Débat sur l'avenir de la presse
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. - Trop longtemps, les pouvoirs publics ne se sont préoccupés que de la survie de la presse. Dans un pays où la pluralité des opinions conditionne la vitalité du débat démocratique, c'est insuffisant. Colmater des brèches, procéder à des ajustements partiels, tout cela relève plus de l'attentisme que d'une véritable réponse aux difficultés structurelles de la presse écrite.
Tous les acteurs du secteur ont leur part de responsabilité dans cette crise durable de la presse. Malgré des aides publiques qui représentaient, en 2008, 13 % du chiffre d'affaires de la presse payante, les pouvoirs publics sont devant un cruel constat d'échec dont ils ne sauraient se dédouaner. C'est pourquoi l'État assume pleinement sa part de responsabilité, ce dont je suis le premier à me réjouir.
En tant que garant du pluralisme démocratique et au regard du soutien financier qu'il consent à ce secteur, l'État a raison d'intervenir dans la refondation du modèle économique de la presse. En réunissant des états généraux de la presse écrite, le Président de la République a ouvert la voie et donné à tout le secteur de la presse du grain à moudre. Les difficultés structurelles ont été abordées dans leur globalité, pour établir un diagnostic partagé et élaborer une stratégie commune. Une dynamique s'est déclenchée, comme en témoigne l'ouverture de négociations sur la définition d'un nouveau contrat social dans les imprimeries. Il nous appartient de l'entretenir.
Notre commission s'est de longue date mobilisée en faveur d'une presse indépendante et dynamique, comme l'illustre le rapport d'information établi par notre ancien collègue de Broissia. Ce débat sera l'occasion d'en réexaminer les propositions à la lumière des conclusions des états généraux.
Le système d'aides publiques, censé garantir le pluralisme de la presse, ne remplit plus ses objectifs. Il représente une gestion dans l'urgence qui multiplie les efforts dispersés sans jamais pouvoir associer la profession à une vision de long terme, ce qui donne l'inconfortable impression d'une presse maintenue sous perfusion. Une presse survivante qui se raccroche désespérément à des aides aussi insuffisantes qu'inadaptées, c'est tout sauf une presse indépendante !
Je me réjouis donc que le Président de la République ait annoncé que les mesures d'urgence et le plan d'aide à la presse, d'un montant de 600 millions sur trois ans, seront subordonnés à un engagement ferme du secteur à mettre en oeuvre les réformes structurelles dégagées par les états généraux. L'État honorera ses promesses dès le prochain collectif budgétaire, à hauteur de 150,75 millions, afin de garantir à la presse un environnement financier suffisamment solide pour développer des stratégies de long terme.
Pour faire écho aux recommandations de notre groupe de travail, je souhaite vous interroger sur la manière dont le Gouvernement compte évaluer l'efficacité des dispositifs d'aide aux entreprises de presse. Devant le risque de saupoudrage, il est impératif de mesurer l'effet de levier exercé par ces aides.
Le développement du portage étant souvent présenté comme la clé de la rénovation de notre circuit de distribution, il faut se féliciter que l'État fasse passer l'aide au portage de 8 à 70 millions cette année. Il faudra étudier les modalités d'octroi de l'aide au portage, comme nous y invitait le rapport de Broissia. Dans les zones peu denses, il y a peu de chances que le portage des seuls quotidiens d'information politique et générale constitue la panacée. Le portage ne permet de réaliser des économies substantielles qu'à condition de banaliser l'exemplaire distribué : pourquoi pas un portage multititres, associant tous les quotidiens ainsi que les magazines ?
Il est également indispensable de mettre le réseau de vente de la presse quotidienne régionale à la disposition de la presse quotidienne nationale. Cette mutualisation des réseaux est-elle en bonne voie ?
Je salue l'empirisme qui a présidé au déroulement des états généraux. Pour la distribution, l'idée est de poursuivre sur six mois des expérimentations, comme ce fut le cas pour le plafonnement des invendus ou l'assouplissement des règles d'assortiment, sans toucher pour autant aux équilibres subtils de la loi Bichet. C'est ce que recommandait le rapport d'information de notre groupe de travail en 2007 avec les périodes transitoires.
Notre commission a consacré une table ronde au métier de journaliste afin de recueillir les avis de personnalités compétentes sur la meilleure façon de mettre en avant la valeur ajoutée d'une information professionnelle de qualité et certifiée comme telle.
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Jacques Legendre, président de la commission. - Affirmer les droits et les devoirs propres aux journalistes, c'est renforcer le crédit de la profession. L'annexion d'un code de déontologie à la convention collective des journalistes constitue donc une première réponse à la désaffection du lectorat. Toutefois, l'adossement des normes déontologiques aux seules conventions collectives supposerait de faire de la juridiction prud'homale l'instance compétente en la matière, ce que certains jugent insuffisant. Quelle sera la portée juridique de ce futur code de déontologie et quelles autorités compétentes en sanctionneront le respect ?
Je souhaite que les parlementaires puissent suivre de près les travaux du comité de sages chargé de le rédiger. Comme pour la protection du secret des sources, il revient à la représentation nationale de protéger les garanties fondamentales qui s'attachent au métier de journaliste et à la liberté de l'information.
La modernisation de la presse passe par l'univers numérique, ce qui pose la question des droits d'auteur. Journalistes et éditeurs se sont accordés sur le principe d'un droit lié à un temps d'exploitation et non plus à la publication sur un support déterminé.
La commission souscrit à la volonté du Gouvernement de donner force juridique aux conclusions du « Blanc » élaboré sur le sujet en 2007. Mon prédécesseur M. Valade et M. de Broissia s'étaient déjà penchés sur la question en déposant un amendement au projet de loi sur la modernisation de l'économie ; cette initiative avait alors été jugée prématurée faute de concertation. La profession est désormais mûre ; la commission souhaite que soit garanti dans les plus brefs délais, le cas échéant dans la loi « Création sur internet », le principe de la neutralité du support d'exploitation. Les professionnels discuteront ensuite des questions relevant de la négociation collective. Pourriez-vous, madame la ministre, nous donner des précisions sur le rôle et la composition de la commission de conciliation qui doit arbitrer les différends non résolus par la négociation collective en matière de droits d'auteur ?
Je m'inquiète en outre de l'ambiguïté du droit en vigueur en matière de publicité sur l'alcool. Un article évoquant de façon informationnelle la production viticole court aujourd'hui le risque d'être sanctionné pour publicité indirecte. Ne faut-il pas distinguer plus clairement l'information et les insertions publicitaires, afin de mieux concilier le combat contre l'abus d'alcool et la liberté d'expression des journalistes ?
Il importe enfin d'aider la presse écrite payante à s'adapter aux nouveaux modes de lecture. Le renforcement de l'aide au développement des services en ligne des entreprises de presse, portée à 20 millions d'euros dans le prochain collectif, lui permettra d'aborder dans les meilleures conditions le virage d'internet. Je me félicite que le Gouvernement ait décidé d'encourager l'investissement privé dans le développement de la presse numérique ; la création d'un statut de l'éditeur de presse en ligne permettra en particulier de distinguer la presse en ligne des autres sites de communication et de certifier la qualité de l'information produite en ligne par des professionnels.
Combattre la désaffection du lectorat suppose également de conquérir les jeunes. La participation de l'État à la mesure permettant à tout jeune de bénéficier d'un abonnement gratuit à un quotidien de son choix à ses 18 ans va dans le bon sens ; l'expérience montre que les titres sont généralement conduits à se rapprocher de leurs jeunes lecteurs. Ne faudrait-il pas cependant privilégier l'abonnement gratuit à un seul numéro par semaine, sauf à risquer de lasser les jeunes lecteurs ? La mesure se limitera-t-elle aux seuls quotidiens d'information politique et générale ? Pourquoi ne pas étendre l'abonnement gratuit à d'autres publications plus à même d'intéresser les jeunes ?
Je me permets enfin de vous interroger sur l'avenir de l'Agence France-Presse, fleuron français du journalisme professionnel et indépendant auquel notre commission et le Parlement sont très attachés.
Les états généraux ont montré que les professionnels étaient prêts ; la commission leur fait confiance pour s'engager dans la voie de la modernisation. La presse écrite a un avenir : comme le rappelait Marcel Gauchet, l'expertise du journaliste est plus que nécessaire pour guider le citoyen dans le dédale d'une information démultipliée par la révolution numérique. L'analyse rigoureuse de l'information, seule capable de susciter un débat démocratique de qualité, ne sera jamais gratuite. Elle est un bien d'intérêt général que nous devons défendre. Il n'y plus de temps à perdre. La progression de 2,3 % en 2008 de l'audience de la presse quotidienne témoigne d'un intérêt croissant pour la lecture de la presse. Il est donc de notre devoir de refuser toute fatalité. (Applaudissements au centre et à droite)
M. David Assouline, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles de la mission média (presse). - La presse écrite doit se rénover profondément à tous les niveaux, de la rédaction à la diffusion. Après les états généraux convoqués par le Président de la République, l'enjeu, pour les acteurs du secteur, est désormais de s'affranchir de cette pesante tutelle pour réfléchir ensemble à des solutions communes.
Aux termes de l'article 34 révisé de la Constitution, il revient désormais au législateur de fixer les règles concernant « la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ». Le régime des aides publiques à la presse doit répondre à ces objectifs. Mais la France se caractérise encore aujourd'hui par une hyper-concentration de ses médias, particulièrement en province où les quotidiens survivants sont en situation de monopole dans les trois quarts des départements. Ce symptôme de l'extrême fragilité financière de nos entreprises de presse est inquiétant : notre système d'aides publiques ne garantit plus le pluralisme de la presse. Avec des organes de presse soupçonnés d'être inféodés au pouvoir politique ou à des groupes industriels, la confiance que le citoyen prête à une information de plus en plus uniformisée est altérée. La défiance est le danger économique le plus préoccupant pour la presse écrite. Pouvez-vous, madame la ministre, faire le point sur l'état des négociations bilatérales avec la Suisse tendant à supprimer l'interdiction faite à un investisseur non communautaire de détenir plus de 20 % du capital d'une entreprise de presse ?
Améliorer l'information du public sur l'actionnariat des entreprises de presse va dans le bon sens, de même que l'idée d'un recours accru au mécénat pour consolider leur assise financière. Un fonds adossé à la Caisse des dépôts pourrait collecter les dons de particuliers, lesquels dons ouvriraient droit à des réductions d'impôts à hauteur de 66 %. Ce mécanisme devrait encourager l'investissement dans les entreprises de presse, y compris en ligne. Comment cependant les dons seront-ils fléchés vers les entreprises de presse ? Leur distribution sera-t-elle contrôlée par une autorité indépendante chargée de veiller à la transparence et à l'équité ?
Devant l'effondrement attendu du marché publicitaire en 2009, après le mauvais exercice 2008, deux mesures d'urgence recommandées par les états généraux ont été reprises dans le prochain collectif : la compensation, à hauteur de 25,4 millions d'euros, du manque à gagner pour La Poste du report d'un an de la mise en oeuvre des accords sur l'augmentation des tarifs postaux ; et la mise en place d'une aide exceptionnelle aux diffuseurs de presse pour 27,6 millions d'euros. Il est cependant probable que la presse ne pourra pas, dans un an, supporter la revalorisation des tarifs postaux décidée en juillet 2008 ; les tarifs de distribution de la presse par La Poste devront être renégociés avant la levée du moratoire.
Ces aides d'urgence complètent des mesures de soutien à des réformes d'ordre structurel. Une partie importante de l'effort devrait porter sur la modernisation de notre système de distribution ; si ses coûts se situent dans la moyenne européenne, la distribution de la presse n'est pas aussi efficace que ce qu'on pourrait espérer. L'État s'est engagé à investir dans trois grands chantiers. Le Chef de l'État a dit vouloir replacer le diffuseur au centre du circuit de distribution, afin d'en faire « un métier de vendeur » et non pas de « manutentionnaire des invendus », ce qui passe notamment par une revalorisation de sa rémunération. Si le collectif prévoit d'autre part un renforcement de l'aide à la modernisation de la diffusion et à l'informatisation du réseau des diffuseurs de presse à hauteur de 11,3 millions d'euros, je m'interroge : s'agit-il d'une aide à la formation continue, aux techniques du merchandising, aux investissements informatiques ? Ses effets seront-ils évalués ? Au-delà d'une aide dont le montant paraît encore insuffisant, il faut organiser le sursaut de la profession dans la durée, ce qui passe, à mon sens, par un rééquilibrage du rapport de forces entre messageries, dépositaires et marchands de journaux.
Une mission a d'autre part été mise en place pour réfléchir aux obstacles à la création de nouveaux points de vente. La réponse est encore trop timorée, il faudrait privilégier la lutte contre la disparition des magasins de presse en centre-ville -350 ont fermé ces deux dernières années. L'ouverture de kiosques est une solution, mais les procédures sont aujourd'hui si lourdes qu'on peut s'interroger sur la volonté réelle du Gouvernement de faire avancer les choses. Comment l'État compte-t-il concrètement accélérer le développement des magasins de presse de proximité ?
La réforme du système de distribution doit prendre en compte la situation actuelle, préjudiciable aux distributeurs indépendants et aux marchands de journaux. Elle doit se mettre en place dans le cadre de la loi Bichet et des équilibres voulus par le législateur d'alors, respecter les principes fondamentaux, la liberté de diffusion et l'égalité de traitement de tous les titres. A quelle date le président de l'autorité de la concurrence remettra-t-il ses conclusions sur le sujet ?
Autre chantier capital, la réhabilitation du métier de journaliste. La déontologie est une préoccupation très ancienne des journalistes, qui n'ont pas attendu les états généraux pour demander la reconnaissance juridique de leur statut. Les états généraux ont décidé l'annexion d'un code de déontologie à la convention collective ; s'il faut saluer ce pas en avant, des incertitudes juridiques demeurent. Il faut aller plus loin, notamment au niveau législatif. Je me félicite de la validation par le Conseil constitutionnel du fondement législatif donné, dans la loi « Audiovisuel », à une disposition garantissant à « tout journaliste d'une société nationale de programme (...) le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources, de refuser de signer une émission ou une partie d'émission dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté. Il ne peut être contraint à accepter un acte contraire à son intime conviction professionnelle ». Des normes déontologiques analogues pourraient être consacrées par le législateur au profit des journalistes de presse ; il est des garanties fondamentales relatives à l'exercice de la profession de journaliste qui doivent relever de la loi. Les états généraux comme le Président de la République ont d'autre part écarté l'idée, portée par les assises du journalisme le 20 janvier dernier, d'une reconnaissance juridique des rédactions.
Le Président de la République estime qu'on pourrait décourager d'éventuels investisseurs en donnant l'impression de vouloir déterminer la ligne éditoriale en maintenant à l'écart les éditeurs et les actionnaires. Donner une identité aux équipes rédactionnelles constituerait au contraire un rempart contre les rachats par des groupes extérieurs à la presse, ce qui serait particulièrement utile dans le climat de suspicion croissante qui pèse sur les relations entre le politique, les grands groupes industriels et les titres de presse. Les rédactions pourraient être consultées sur l'évolution de la structure du capital afin de préserver leur indépendance et d'éviter la valse incessante des responsables.
A l'heure où chacun peut s'imaginer journaliste sur internet, à l'heure où les sites de communication en ligne tendent à banaliser l'information, il faut redéfinir le métier et certifier la production professionnelle sur le web. La scandaleuse interpellation subie par M. de Filippis montre qu'il faut clarifier la responsabilité d'un éditeur de presse poursuivi pour ce qu'un lecteur écrit sur le site internet de la publication. Nous attendons encore la « procédure pénale plus respectueuse des droits et de la dignité des personnes » réclamée à cette occasion par l'Élysée.
Quand le statut d'éditeurs de presse en ligne verra-t-il le jour ? Quel sera son régime de responsabilité ?
Comme il me paraît indispensable d'associer les parlementaires au suivi des états généraux, je souhaite entendre le Gouvernement confirmer que nous serons régulièrement consultés par le comité de suivi dont la création a été annoncée le 23 janvier. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Serge Lagauche. - Quel crédit accorder à des états généraux de la presse où la représentation journalistique est réduite à la portion congrue et où l'on retrouve des patrons de presse à la tête des quatre groupes de travail ? Les lecteurs et les associations de journalistes ont été totalement absents.
Rien de surprenant à ce que le Président de la République satisfasse les revendications des patrons de la presse écrite, après avoir satisfait celles de l'audiovisuel privé.
Et les journalistes dans tout cela ?
Ce sont eux qui font l'information, c'est leur métier qui est mis en question par la révolution numérique. Or, la seule mesure qui les concerne directement remplace le droit d'auteur lié à la publication par un droit lié à la durée d'exploitation : ils se verront imposer gratuitement la polyvalence et la mise en commun des pages. C'est une cession de droits, alors que droit patrimonial et droit moral sont indissociables.
Le simulacre de discussion a courageusement ignoré l'uniformisation de la presse et sa mise sous tutelle par la rentabilité économique. Après le leurre de la commission Copé pour l'audiovisuel, les états généraux servent à légitimer les revendications récurrentes des patrons de presse.
Le constat est unanime : la publicité se détourne de l'information. La crise technique et économique est également culturelle et sociologique, avec les nouveaux usages de la lecture et de l'information, surtout par les jeunes. En se concentrant sur les coûts de fabrication et sur la distribution, les états généraux de la presse sont passés à côté du problème de fond, mais pouvait-il en aller autrement ?
Une tendance lourde se profile : l'information de masse, rapidement faite par des précaires. On voit ainsi les dépêches en continu triompher sur le net. A l'opposé, le succès éclatant des blogs est celui de la subjectivité personnelle. On trouve ainsi des positions très affirmées, face à des organes de presse en perte de repères idéologiques. Les blogs permettent de relayer des informations négligées par les médias traditionnels et de confronter les points de vue. Il est vrai que la frontière entre blogs et organes de presse est floue, puisque les journaux sont toujours plus nombreux à intégrer des blogs sur leur site.
Internet a donc fait exploser nos modèles traditionnels d'intermédiation, mais l'information peut-elle exister sans journalistes ? Est-ce encore de l'information ou seulement de la communication ? Si le journalisme évolue vers l'agrégation de contenu, la démocratie sera menacée.
Cette transformation conduit à envisager le statut de l'intermédiation. En contrepoint, viennent la qualité, la légitimité ou la défiance envers les produits élaborés par la société civile. Pour certains, internet permet l'expression de toute communauté qui ne se sent pas représentée. Il y aurait là une revanche sur le pouvoir économique de classes moyennes en voie de déclassement et de professions intellectuelles en voie de marginalisation. Cette interprétation est accréditée par le radicalisme de la blogosphère contre l'establishment.
Il faut également aborder la collecte de l'information, jusqu'à présent structurée autour des grands organes de presse. Tous les médias ferment peu à peu les bureaux entretenus à l'étranger, les correspondants sont rapatriés. Et la crise économique risque de conduire de grands quotidiens reconnus internationalement à mettre la clé sous la porte.
Malgré la diffusion d'internet à l'échelle planétaire, tous les pays ne sont pas encore couverts. La presse écrite est bien plus répandue ! Nous sommes ainsi confrontés aux risques de réduire la couverture des événements.
Dans ce contexte, nous sommes très inquiets pour l'avenir de l'AFP, seule agence de presse francophone. Là encore, le désengagement de l'État se profile à l'horizon. L'appel des enseignants-chercheurs à soutenir l'AFP n'est pas anodin. J'acquiesce à leur vision d'un « même combat fondamental pour l'indépendance de ceux que l'on appelle aujourd'hui les travailleurs du savoir et de l'information. La garantie de l'indépendance des universitaires constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la république. Une loi de 1957 garantit l'indépendance de l'AFP ». Soulignant que l'AFP doit rechercher partout les éléments d'une information complète et objective, les enseignants-chercheurs s'associent au combat « contre le renoncement à l'ambition au profit de réussite gestionnaire immédiate, contre le renoncement à la création et à la diversité au profit de la standardisation et de la banalisation par le marché, contre le renoncement à l'indépendance au profit de la privatisation du financement ». Nous sommes toujours dans la même ligne avec le mépris du Président de la République pour l'indépendance des chercheurs, des magistrats et des journalistes !
Un des enjeux de l'ère numérique porte sur la construction d'une économie de l'information qui ne soit pas inféodée à l'industrie des télécoms, ni réduite à une production individuelle -donc précaire- de l'information. A ce titre, la mainmise de Google sur l'information et la publicité diffusées sur internet n'aurait pas été tolérée dans l'économie traditionnelle. Quelque 85 % des sessions utilisent le moteur de recherche Google, qui capte 90 % de la publicité contextuelle.
Internet permettra-t-il de financer une industrie de la presse, alors que prédomine aujourd'hui le modèle publicitaire fondé sur le seul audimat ? Le revenu publicitaire fourni chaque année par un visiteur mensuel unique varie de 1 à 3 euros sur internet, contre 20 à 60 euros pour la presse écrite.
La coexistence de modèles gratuits et payants montre que nous sommes en pleine période de tâtonnements, certains plaidant pour la fusion des rédactions sur papier et web, d'autres défendant la solution inverse. Dans ce nouveau contexte, il faut envisager la constitution d'un pôle public de l'information sur le net, autour de l'AFP, de France Télévisions, de Radio France, de l'Ina, d'Arte, des chaînes parlementaires et de l'audiovisuel extérieur.
L'information est de plus en plus mobile, pensons à l'actualité par l'envoi de SMS.
Pour le papier, même la presse gratuite n'a pas trouvé un nouveau modèle économique, puisque les budgets publicitaires sont les premiers touchés en période de crise.
Un autre sujet essentiel guère abordé pendant les états généraux concerne la moindre crédibilité de la presse écrite, pour partie parce qu'elle appartient à de grands groupes industriels contrôlant le pouvoir économique et en connivence étroite avec le pouvoir politique. Le club présidentiel du Fouquet's en est une fameuse illustration. Lorsqu'il a racheté L'express et Le Figaro, M. Serge Dassault a déclaré qu'un journal permettait « de faire passer un certain nombre d'idées saines ». Dans un autre registre, il faudrait ajouter les fausses affaires médiatiques, comme l'agression du RER D ou le bagagiste d'Orly. Et que dire du traitement médiatique de l'affaire d'Outreau ?
Nos concitoyens prennent toujours plus de distance avec le journalisme de complaisance. Le simulacre de la récente émission télévisée du Président de la République participe de ce mouvement.
Dans cette perspective, on peut s'interroger sur le salut que les pouvoirs publics pourraient apporter. Le fait que le Président de la République ait déterminé l'issue des propositions des états généraux atteste l'allégeance des médias au pouvoir présidentiel, alors que la révolution de la presse doit venir des journalistes. Ainsi, après avoir annoncé que les dépenses de communication institutionnelle seraient doublées, Nicolas Sarkozy a ironisé en ajoutant : « j'espère que personne n'y verra d'atteinte à son indépendance ». Bien sûr, un média peut librement critiquer un annonceur, sans que cela porte à conséquence !
Les états généraux ont émis des propositions précises pour le numérique, mais pas pour la presse papier, ce qui risque de retarder encore sa réinvention.
Toutefois, le pire a été évité puisque Nicolas Sarkozy n'a pas joué au jeu de chamboule tout !
Une seule demande des syndicats de journalistes a été retenue : l'inclusion d'un code de déontologie dans leur convention collective. Mais rien pour les pigistes, ni pour l'indépendance des équipes rédactionnelles, à l'heure où les journaux appartiennent à des groupes industriels qui vivent de la commande publique, donc d'un pouvoir politique ne concevant l'information qu'au service de sa communication. Pourtant, l'indépendance rédactionnelle pourrait rétablir la confiance du public.
Au final, le discours du Président de la République a illustré l'écart entre l'enjeu -sauver la presse écrite- et un catalogue de petites mesures. Le pire a été évité mais nous serons vigilants quant à la traduction législative des états généraux. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur certains bancs au centre)
Mme Catherine Morin-Desailly. - La presse écrite traverse depuis plusieurs années une crise structurelle, qu'aggrave encore la crise économique mondiale. Tous les titres de la presse d'information politique sont pris en tenaille entre la baisse continue des recettes et des coûts de production élevés. Leurs difficultés proviennent notamment du développement de l'information sur internet et de l'essor des journaux gratuits.
Lors des récents états généraux de la presse écrite, les participants ont souligné que ce secteur connaissait la pire crise de son histoire et formulé 90 propositions pour y remédier. Le 23 janvier dernier, le Président de la République a annoncé des mesures de soutien. L'aide de l'État représentera une somme de 200 millions par an pendant trois ans, répartie entre le soutien aux marchands de journaux et au portage à domicile et l'abonnement gratuit de chaque jeune Français à un quotidien de son choix l'année de ses 18 ans. Un statut d'éditeur de presse en ligne sera créé et l'aide de l'État au développement des journaux sur internet augmentée. Le régime des droits d'auteur des journalistes sera modifié pour s'adapter à l'ère numérique, ce qui me semble indispensable tant pour les journalistes que pour les photographes. Un amendement en ce sens a d'ailleurs été déposé à l'Assemblée nationale lors de l'examen du projet de loi « Création et internet ». Enfin, il est prévu d'expérimenter pendant six mois, sans toucher à la loi Bichet, des formes alternatives de distribution, par exemple la distribution des quotidiens nationaux par le réseau de la presse régionale ou celle par les éditeurs eux-mêmes de leurs titres dans des enseignes spécialisées.
Les sénateurs centristes sont attachés à l'existence d'une presse écrite indépendante et de bonne qualité pour la construction de l'opinion publique et d'une culture partagée ; c'est pour cette raison qu'elle doit être pluraliste et indépendante, vivre de ses propres moyens et reposer sur des rédactions puissantes ; c'est aussi pour cela qu'il faut se préoccuper de l'écart croissant entre ceux qui lisent régulièrement la presse et ceux qui la lisent peu.
Les causes de cette crise ont été identifiées depuis longtemps : investissements trop faibles, offre éditoriale inadaptée, baisse de la diffusion, vieillissement du lectorat, diminution du nombre des points de vente, déclin des recettes publicitaires, fuite des petites annonces sur internet, média global, interactif et gratuit et, par voie de conséquence, pertes d'exploitation. Le rapport de M. de Broissia constatait l'érosion du lectorat de la presse écrite payante : notre pays ne se classe qu'au 31e rang mondial et au 12e rang européen pour la diffusion des quotidiens, avec moins de 160 exemplaires diffusés pour 1 000 habitants.
La situation morose de la presse quotidienne payante contraste avec la bonne santé de la presse gratuite. Il n'y a donc pas diminution de la demande d'information mais crise d'un modèle.
Pour en sortir, il est indispensable de rationaliser les coûts de production à tous les niveaux de la chaîne de production. Outre la réduction des coûts d'impression, les plus élevés d'Europe, il faut prendre en compte les besoins nouveaux de formation, pour permettre notamment au personnel de fabrication de s'adapter au nouvel environnement numérique.
Il faut aussi développer de nouveaux modes de diffusion. La presse gratuite, grâce au portage, est très facilement accessible à ses lecteurs, contrairement à la presse quotidienne payante. Les initiatives lancées dans le cadre du plan Défi 2010 doivent être encouragées. M. Sarkozy a affirmé sa volonté de « mettre le diffuseur au centre de tout », en améliorant ses conditions de travail, en développant l'assortiment et en plafonnant les invendus, mais aussi en développant le réseau sous toutes ses formes. Ces propositions répondent en grande partie au problème de l'accessibilité. Mais comme M. le rapporteur le soulignait dans son rapport budgétaire pour 2009, il faut également réfléchir à la revalorisation du métier de porteur, qui pourrait être transformé en service à la personne. Le système actuel d'aide au portage, insuffisamment incitatif, doit être rénové afin de pérenniser les réseaux de portage multititres dans lesquels d'autres acteurs du secteur, comme la presse magazine, pourraient être intégrés.
En outre, un renouvellement de l'offre éditoriale s'impose. Face à la concurrence d'internet et des chaînes d'information en continu, les quotidiens doivent se montrer plus réactifs et mettre en évidence leur valeur ajoutée, qui consiste à ne pas se contenter d'une information brute mais à proposer une analyse critique des faits.
Cette réflexion sur les contenus, l'éthique du métier, le traitement de l'information, le fonctionnement et les pratiques des rédactions est indispensable pour restaurer le lien de confiance entre la presse et ses lecteurs. Cela passe par le renforcement de la formation initiale et continue : une quasi-unanimité s'est dégagée lors des états généraux pour demander la mise en place d'une formation minimale obligatoire aux spécificités de la profession, notamment dans les domaines du droit et de l'éthique, au cours des deux premières années d'exercice. Cette mesure doit être mise en oeuvre aussi rapidement que possible.
Il faut également investir les nouveaux supports, en particulier internet, car il n'y a d'avenir que dans le « bimédia ». Le passage à l'ère numérique n'implique pas que la presse écrite se conforme aux codes de lecture en vigueur sur la toile mais qu'elle diffuse sur internet sa propre identité : afin de se distinguer des autres sites à caractère informatif comme les blogs, elle doit certifier ses informations et permettre aux lecteurs de faire la différence entre une information professionnelle de qualité et le reste.
Enfin, il est indispensable d'initier les jeunes à la lecture de la presse écrite. Je salue l'initiative qui consiste à abonner chaque jeune Français à un quotidien de son choix l'année de ses 18 ans, même si, comme l'a souligné M. Legendre, les modalités d'application de cette mesure doivent être précisées. Il faudrait également garantir le libre accès aux quotidiens dans les collèges, favoriser l'installation de points de vente dans les lycées et encourager les enseignants à former leurs élèves à la lecture des médias. Le citoyen, et en particulier le jeune citoyen, doit être remis au centre de notre réflexion sur la presse car, selon la Déclaration universelle des droits de l'homme, « la liberté de la presse n'est pas un privilège des journalistes mais un droit des citoyens ». (Applaudissements au centre, à droite et au banc des commissions)
M. Ivan Renar. - Depuis plusieurs années la presse écrite se porte mal, en particulier la presse quotidienne d'information et la presse dite d'opinion -comme si toute la presse n'était pas d'opinion ! Ce phénomène concerne tous les pays occidentaux, y compris les États-Unis où l'on a assisté ces dernières semaines à des faillites en cascade. La crise économique et financière mondiale ne fait qu'aggraver cette situation et nombre de titres sont aujourd'hui en danger de mort. Les journaux en ligne ne sont pas épargnés. Il serait paradoxal que la « révolution informationnelle », comme on dit, aboutisse à la « mal-info », à un recul du pluralisme et, partant, de la démocratie !
La presse écrite remplit une fonction civique essentielle : elle demeure indispensable à la vie et à l'échange des idées. A l'heure où se répandent l'intégrisme et l'obscurantisme, une intervention publique résolue s'impose pour défendre le pluralisme, d'autant qu'il s'agit d'un secteur économique important.
Les problèmes structurels qui entravent le développement de la presse écrite sont bien connus : vieillissement du lectorat, baisse des ventes, augmentation des coûts de production et du prix du papier, insuffisance du nombre des points de vente, migration des ressources publicitaires vers internet, faiblesse du portage à domicile, perte de confiance des lecteurs, effondrement du marché des petites annonces, concurrence des journaux gratuits, disparition de nombreux titres locaux et modification des modes de vie. A cela s'ajoutent des difficultés conjoncturelles liées à la crise, et ce n'est pas jouer les Cassandre que de prévoir la mort de nombreuses entreprises de presse si nous ne faisons rien.
Le Livre vert publié lors des états généraux souligne la nécessité d'une mesure exceptionnelle d'urgence en faveur de la presse écrite d'information générale. Car avant de songer à renforcer le réseau de distribution ou à aider les journaux à se développer, il faut garantir leur survie. Aller au chevet d'une presse qui souffre ne suffit pas : un traitement de choc s'impose. C'est une question de vie ou de mort pour de nombreux titres : demain, il sera trop tard. En 1993, dans une situation moins alarmante, le Gouvernement avait déjà consenti une aide en faveur de la presse nationale et locale d'information politique et générale afin de compenser les effets de la récession économique. Le Gouvernement est accouru à la rescousse des banques et de certains secteurs économiques en danger : il se doit à présent d'apporter un secours financier à la presse écrite.
Le Président de la République a annoncé quelques mesures qui vont dans le bon sens : le moratoire sur l'augmentation des tarifs postaux, l'amélioration de la rémunération des marchands de journaux, la création d'un statut d'éditeur en ligne, le développement des points de vente et du portage à domicile afin que le journal aille au lecteur et non l'inverse. Il faudrait également défiscaliser les dons. Mais ces mesures n'ont de sens que si l'on sauve d'abord les journaux. Une aide financière immédiate et exceptionnelle est indispensable pour permettre à certains titres de traverser la tourmente. Les citoyens, attachés à l'existence d'une presse pluraliste, à l'abri des aléas du marché et de la rentabilité, ont volé au secours de Politis, de La Croix et de L'Humanité hier, de Témoignage chrétien aujourd'hui, et manifesté leur solidarité à Libération. Dans une société en panne de repères, plus l'info low cost se développe sous couvert de modernité -excusez l'anglicisme-, plus nous avons besoin de la rigueur d'analyse, de la distance critique, de la pertinence et de l'impertinence de la presse d'opinion. Celle-ci ne peut être considérée uniquement comme une activité marchande, soumise au caprice d'actionnaires qui n'ont pour seul credo que la rentabilité financière. D'ailleurs cette activité de moins en moins profitable ne les attire plus guère, ce qui n'est pas seulement un mal puisque l'actionnariat alimente les soupçons d'intervention sur les contenus et entretient la méfiance des citoyens.
Différentes formules sont expérimentées sur internet où la gratuité est perçue comme une norme, ce qui complique l'émergence de modèles économiques viables. Les sites des journaux nationaux en ligne attirent de plus en plus d'internautes et le lectorat global est nettement plus important qu'il y a quelques années. Mais ce succès d'audience ne se traduit pas en succès financier car la publicité ne suffit pas. Les supports papier et électronique sont complémentaires, et l'avenir passe par les deux à la fois. Les recettes publicitaires qui constituaient un apport déterminant à l'équilibre financier des journaux n'en finissent pas de s'écrouler ; aucun site d'information ne parvient à en vivre.
Cela ne devrait pas s'améliorer : Google News, site d'information sans journaliste qui puise dans des centaines d'autres sites, s'ouvre aux annonceurs sans partager ses gains avec les journaux. Quand les moteurs de recherche vampirisent le marché publicitaire, il y a abus de position dominante.
Si les remèdes sont incertains, il est temps de repenser le modèle économique de la presse en méditant les analyses de Jürgen Habermas. Face à un flux ininterrompu d'immédiateté, on a besoin d'une information de qualité. Dans La fin de la presse, le patron de L'Expansion propose d'imaginer un service public de l'information indépendant des pouvoirs publics -c'est L'Expansion et je suis d'accord... (Sourires) Aux États-Unis, Michael Schmidt suggère dans le New York Times de s'inspirer du financement des universités, avec des fondations : les Américains réfléchissent à un journalisme du non-profit.
La meilleure arme de la presse, c'est la qualité, qui suppose de recourir à de nombreux professionnels. Le métier de journaliste est en effet de plus en plus nécessaire. Or les plans qui se succèdent aboutissent à moins de journalistes, partant, à la fuite des lecteurs. Si un service public est la meilleure solution pour assurer le pluralisme sous la protection du Parlement, il est incompréhensible de privatiser l'AFP. Le Gouvernement veut ouvrir son capital et remettre en cause un statut qui fait son succès. Avec sa dimension planétaire, l'Agence est au service du droit de savoir des citoyens. Il est indispensable de conforter son troisième rang mondial en sauvegardant son statut.
La représentation nationale a le devoir éthique de soutenir la presse écrite et le financement public constitue une réponse à une situation dramatique. Il est important de redonner le plaisir de lire le papier qui noircit les doigts et qui éclaire l'esprit. Comment perpétuer les rites de la lecture gourmande ? L'abonnement d'une année au dix-huitième anniversaire est une excellente mesure mais, pour donner le goût du pluralisme, ne faut-il pas faire découvrir aux jeunes une large palette et expérimenter les différentes offres sur les lieux de vente ? Ne peut-on s'inspirer de la semaine de la presse à l'école organisée par l'Éducation nationale avec les professionnels ? Les journaux sont des réserves de matière première pour l'enseignement du français, de l'histoire, de l'économie...
M. Jacques Legendre, président de la commission. - C'est vrai !
M. Ivan Renar. - Ils offrent la meilleure pédagogie de la citoyenneté. Il conviendrait de renforcer le nombre et la fonction des documentalistes, tout en développant l'esprit critique des élèves.
Les défis de la presse sont l'affaire de tous parce que chaque journal qui disparaît, c'est un morceau de démocratie qui meurt. La liberté de la presse n'est pas un privilège des journalistes mais est un droit du citoyen, pour citer la Déclaration universelle des droits de l'homme. Comment comprendre son époque sans le miroir que nous tendent les journaux ? Ne laissons pas la démocratie s'appauvrir mais valorisons l'intelligence au service de l'émancipation humaine. La véritable ambition est de remettre le citoyen au coeur de l'enjeu démocratique que représente la presse. (Applaudissements sur les bancs CRC-SPG)
Mme Colette Mélot. - Je me réjouis que nous ouvrions cette semaine d'évaluation et de contrôle des politiques publiques par ce débat sur l'avenir de la presse. Le sujet est important tant sur le plan démocratique, car nous avons besoin d'une information complète, indépendante et pluraliste, que sur le plan économique, puisque ce secteur connaît une situation difficile. Notre commission des affaires culturelles a engagé la réflexion depuis longtemps et les nombreuses auditions de son groupe de travail ont abouti au rapport de M. de Broissia, « Chronique d'une mort annoncée », qui fait référence.
Bien que la presse totalise 35 % de la publicité globale en France, les annonceurs se tournent vers internet et l'audiovisuel, tandis que la presse payante est concurrencée par internet et par les gratuits. Quel peut être son avenir ? La crise actuelle est mondiale mais la France l'aborde avec des retards : manque d'adaptation du réseau de distribution ; disparition de nombreux points de vente ; coûts de production et de distribution parmi les plus élevés. Leur diffusion situe les quotidiens français au 58e rang mondial et au 20e rang européen : elle atteint 8 millions d'exemplaires contre 16 millions au Royaume-Uni et 24 millions en Allemagne ! Il faut relativiser la progression des ventes en 2008 que Le Monde révélait hier, car elles ont reculé de 15 % depuis le début de l'année.
La presse française est la plus chère en Europe. Des dispositifs vieillissants se traduisent par une augmentation des prix de vente plus rapide que la hausse des prix, d'où une désaffection du lectorat populaire et des jeunes, les lecteurs de demain. Les invendus encombrent les points de vente et, selon le Livre vert, on ne peut plus transporter des journaux faisant de 40 à 90 % d'invendus. Nos quotidiens abordent la crise actuelle avec des handicaps qu'on connaissait depuis longtemps.
Les états généraux ont permis une consultation exemplaire. Le plan annoncé par le Président de la République comporte des mesures d'urgence.
Le Gouvernement a su cibler ses priorités. Le plan s'attaque aux racines du mal, ainsi pour les coûts de distribution, en augmentant les aides au portage de 8 à 70 millions et en supprimant les charges sociales pour tous les porteurs au niveau du Smic, mais aussi en développant les points de vente ou en revalorisant le métier de diffuseur.
« Si la presse ne prend pas le virage d'internet, elle n'aura pas de réponse à offrir aux générations du numérique », a prévenu le Président de la République, d'où le statut d'éditeur en ligne et l'adaptation du régime des droits d'auteur. Mais quelles actions allez-vous entreprendre pour la recherche-développement et de quels moyens la culture dispose-t-elle pour une plate-forme nationale sur la recherche médias ?
Il faut encourager les jeunes à lire des journaux. Ils les lisent peu mais estiment que la presse est le média le plus utile pour comprendre le monde. Nous espérons qu'avec l'abonnement offert au dix-huitième anniversaire, la presse retiendra l'attention des jeunes. Envisagez-vous d'autres mesures ?
L'État débloque une aide importante : 200 millions l'an sur trois ans. L'essentiel, toutefois, dépendra de la presse elle-même et de sa capacité à renouveler son offre éditoriale en l'adaptant aux besoins de ses lecteurs. Le chemin est encore long, mais l'élan est donné. (Applaudissements à droite et au centre)
La séance, suspendue à 16 h 15, reprend à 16 h 20.