Application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

Rappel au Règlement

M. Jean-Pierre Bel.  - Monsieur le président, nous ne pouvons entamer l'examen de ce texte comme si de rien n'était. Ce projet de loi touche à l'essence même de notre action, à notre raison d'être, à ce qui donne du sens à notre engagement dans la vie publique, à l'idée que nous nous faisons de notre démocratie. Il en va de la dignité du Parlement, du droit intrinsèque d'un parlementaire à soutenir ou à s'opposer. Après ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale, nous abordons la discussion avec inquiétude mais aussi avec la gravité qui s'impose à ceux qui ont à coeur de préserver la mission sacrée de la représentation nationale.

Monsieur le président, sous votre autorité, nous travaillons depuis trois mois à la réforme de notre Règlement, dans un état d'esprit constructif, ouvert aux propositions et acquis à la concertation. Pourtant, nos échanges sont compromis par ce fameux article 13 de la loi organique qui limite le droit d'expression des parlementaires. La globalisation du temps de parole va à l'encontre du droit d'amendement garanti par la Constitution à chaque parlementaire !

Nous ne défendons pas seulement les prérogatives de l'opposition mais la liberté l'expression de chacun d'entre nous. Or notre commission des lois propose un vote conforme sur l'article 13 : le débat est clos avant même d'avoir commencé ! Ce n'est pas acceptable.

Vous avez dit, monsieur le président, que le temps globalisé ne serait pas appliqué au Sénat. J'en prends acte, mais est-ce suffisant ? Nous ne légiférons pas uniquement pour le Sénat, ni uniquement pour le moment présent ! L'avenir dure longtemps, dit le philosophe, et la majorité d'aujourd'hui peut être l'opposition de demain... Que chacun réfléchisse donc à la vision qu'il a de sa fonction, la plus noble qui soit. Ce que nous défendons, ce n'est pas notre pré carré, ce sont les droits de tous les parlementaires, c'est une certaine idée des libertés dans une démocratie parlementaire. Ce que nous défendons, dans le fond, c'est la République. (Applaudissements à gauche et sur certains bancs au centre)

M. le président.  - Je vous donne acte de ce rappel au Règlement mais je vous renvoie à la lettre et à l'esprit des propos que j'ai tenus sur ce sujet, en public ou dans le cadre du groupe de travail. L'objectif de la nouvelle organisation des débats, liée à la réforme constitutionnelle, n'est pas de limiter le temps de parole mais de légiférer autrement, en préparant le travail en commission et en garantissant le droit d'amendement de chaque parlementaire. Il s'agit de dégager du temps pour un débat préalable afin que l'ensemble des sénateurs, y compris ceux qui n'appartiennent à aucun groupe, puissent s'exprimer.

Je lis le rapport du président Hyest : « Votre commission estime que les dispositions prévues par les articles 13, 13 bis et 13 ter ne devraient pas trouver d'application pour notre assemblée. Soucieuse du respect de l'autonomie de chaque assemblée, elle considère cependant qu'il n'appartient pas au Sénat de priver l'Assemblée nationale, si elle le souhaite, de la possibilité de recourir éventuellement aux dispositions autorisées par ces articles dans le cadre des garanties fixées par la loi organique. »

Je laisse le débat s'ouvrir dans un esprit serein, en comptant que chacun garde à l'esprit l'objet de la réforme constitutionnelle : le renforcement des pouvoirs du Parlement, dont nous prendrons la mesure à partir du 1er mars.

Discussion de l'article 13

M. le président.  - Avant d'aborder la discussion générale, je voudrais vous informer que la Conférence des Présidents a envisagé de retenir un point fixe, à savoir le mardi 17 février, à 16 heures, pour la discussion de l'article 13 sur la durée globale du débat législatif, et en conséquence des articles 13 bis et 13 ter.

Les présidents de groupe ont en effet unanimement souhaité que chaque parlementaire puisse se rendre disponible.

Il en est ainsi décidé.

Discussion générale

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.  - A partir du 1er mars, nous entrerons dans une nouvelle ère institutionnelle puisque la partie parlementaire de la révision constitutionnelle entrera en vigueur avec trois réformes emblématiques : le partage de l'ordre du jour, l'examen en séance publique du texte adopté par la commission et la limitation de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. Nous ne mesurons pas encore la portée réelle de ces trois grands progrès pour le Parlement mais je vous assure que notre manière de travailler ensemble prendra un tournant.

L'application d'une grande partie des autres dispositions constitutionnelles suppose l'adaptation de votre Règlement et une loi organique est nécessaire pour trois d'entre elles. Le Gouvernement ne tenait pas absolument à présenter une telle loi mais les articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution nous y contraignent pour les résolutions, les études d'impact et l'exercice du droit d'amendement. Le texte du Gouvernement laisse à chaque assemblée les marges de manoeuvre lui permettant de s'organiser selon son identité propre.

Avant d'en venir au fond, je voudrais rendre hommage au travail de votre commission des lois et de son président rapporteur, M. Hyest. Monsieur le président, travailler avec vous et tous les membres de votre commission est un plaisir sans cesse renouvelé et une jouissance intellectuelle permanente ; ce n'est pas là figure de style.

J'aborderai d'abord les propositions de résolution.

Comme vous le savez, l'Assemblée nationale a éprouvé de fortes réticences car elle craignait que cette procédure redevienne, comme avant 1958, un moyen détourné de mettre en cause la responsabilité du Gouvernement. Les députés l'ont même supprimée, avant que vous ne la rétablissiez. L'article 34-1 de la Constitution est le fruit d'un compromis : le droit de résolution est reconnu mais le Gouvernement peut déclarer irrecevables les propositions mettant en cause sa responsabilité ou comportant des injonctions.

Le projet de loi organique en tire les conséquences. Les propositions de résolutions pourront être déposées sans limite. Les députés n'ont pas souhaité de renvoi en commission, alors que votre commission des lois y voit un intérêt. M. Hyest a proposé une rédaction équilibrée laissant à chaque Règlement le soin de trancher.

Le projet de loi organique fixe des conditions de délai pour éviter une adoption dictée par l'émotion ainsi que tout détournement de cette procédure en moyen de harcèlement.

Enfin, les propositions ne pourront pas être amendées, ce qui protège les parlementaires minoritaires ou d'opposition. En revanche, les auteurs pourront bien sûr la rectifier.

L'idée est de ne pas galvauder ce nouveau mode d'expression parlementaire.

Le chapitre 2 porte sur la présentation des projets de loi.

L'intérêt manifesté par les députés pour cette question explique la rédaction un peu confuse de certains articles.

L'article 39 de la Constitution contraint le Gouvernement et les administrations à présenter une étude d'impact à l'appui de tout projet de loi, ce qui obligera les ministres à mieux étudier l'intérêt d'un texte législatif et à s'interroger sur la qualité de ceux qu'ils présentent.

L'Assemblée nationale a beaucoup insisté sur cette discipline nouvelle et le président de sa commission des lois, auquel je rends également hommage, a voulu en faire une vraie garantie pour les parlementaires.

Votre commission a proposé des aménagements bienvenus car ils clarifient les choses tout en préservant un équilibre auquel l'Assemblée nationale et le Gouvernement sont sensibles.

Le Gouvernement veut donner corps à cette réforme que l'on tente d'introduire depuis plus de dix ans.

J'en viens au chapitre 3, qui porte sur le droit d'amendement.

Ces dispositions ont suscité une polémique excessive mais j'espère un débat de fond sur la « rénovation de la procédure législative », selon les termes du rapport de M. Hyest.

On ne peut raisonner comme si rien n'avait changé le 23 juillet, laissant ainsi de côté le partage de l'ordre du jour, l'examen en séance du texte adopté par la commission, l'obligation de laisser six semaines avant le débat en séance publique, enfin la limitation de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, autant de mesures qui auront une incidence directe sur l'élaboration collective de la loi.

Le constituant veut que la séance publique redevienne le lieu du débat politique afin que la majorité, l'opposition et les minorités puissent faire valoir leurs points de vue devant les Français. Pour cela, il faut en finir avec une idée reçue : il est faux que la durée d'une séance publique garantisse la qualité du travail législatif. D'ailleurs, les parlementaires sont parfois découragés par la longueur des débats. De même, examiner en séance une profusion d'amendements techniques nuit aux amendements politiquement significatifs.

Reprenant les travaux passionnants des sénateurs Gélard et Peyronnet, le rapport de M. Hyest montre que tous nos voisins organisent démocratiquement leurs débats.

La révision constitutionnelle donnera un poids nouveau au travail en commission. Discuté en séance publique après six semaines au minimum d'examen en commission, le texte présenté dans la rédaction qu'elle aura adoptée ne devrait plus comporter que les difficultés politiques.

Cette innovation appelle plusieurs conséquences. Les travaux des commissions devront faire l'objet d'une large publicité pour que les citoyens comprennent les lois applicables. Il faudra aussi que les commissions examinent les amendements proposés par les sénateurs qui n'en sont pas membres. Cela n'interdira évidemment pas un nouvel examen de ces suggestions en séance publique mais, si chacun joue le jeu, les amendements techniques auront eu leur sort réglé en commission. Enfin, le Gouvernement devra pouvoir exprimer son point de vue à tous les stades de la procédure.

M. Jean-Jacques Hyest, président et rapporteur de la commission des lois.  - J'en suis d'accord.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Nous aurons un débat passionnant sur ce sujet.

Lors de la révision constitutionnelle, deux orientations avaient été évoquées : accroître l'application des procédures simplifiées et éviter l'obstruction massive en rendant possible la programmation de la durée du débat législatif. J'ai parfois entendu dire que le Gouvernement avait agi par surprise à propos du temps programmé. C'est faux ! Au cours des débats constitutionnels, j'étais intervenu ici sur ce sujet.

Le Gouvernement souhaite que la procédure simplifiée se développe, en espérant que le droit de veto dont disposera chaque président de groupe n'y fera pas obstacle.

Nous reviendrons notamment mardi au temps programmé, mais je voudrais rappeler notre position. L'article 13 du projet de loi organique ouvre une faculté pour chaque assemblée, sans rien imposer. Dans le cadre du groupe de travail conduit de main de maître par le président Larcher, j'ai compris que le Sénat n'envisageait pas de s'engager dans cette voie. Le Gouvernement respecte cette volonté.

A l'Assemblée nationale, les choses seront sans doute différentes car la réalité est différente : l'obstruction, de droite ou de gauche, y est plus fréquente, avec parfois des dizaines de milliers d'amendements. Combinée avec l'ordre du jour partagé, cette pratique pourrait bloquer l'institution parlementaire. Ce serait le pire des paradoxes, alors que la révision constitutionnelle avait pour objet de renforcer le rôle du Parlement.

En quoi le temps programmé serait-il contraire à la démocratie ? Il existe sous différentes formes chez la plupart de nos voisins et il existait en France, de 1935 à 1969, à la demande de personnalités que je crois insoupçonnables en matière de démocratie, comme MM. Léon Blum ou Vincent Auriol. Sous une autre forme, M. Bel a envisagé un encadrement global des débats.

Selon certains, la révision constitutionnelle de juillet ne change rien ; selon d'autres, nous entrons dans une ère nouvelle pour les relations entre le Gouvernement et le Parlement, mais aussi pour le fonctionnement parlementaire.

Le Parlement ne peut être un contre-pouvoir car c'est un pouvoir qui agit dans son domaine de compétence : donner des lois au pays. Le projet de loi organique est équilibré puisque les droits des groupes d'oppositions ou minoritaires sont réaffirmés.

Le Conseil constitutionnel saura donner toute leur valeur aux dispositions de l'article 13 bis. C'est d'ailleurs l'intention du président de l'Assemblée nationale.

De même, les droits des parlementaires non-inscrits, des parlementaires pris individuellement devront être respectés par les Règlements et l'article 13 ter propose une voie pour ce faire.

Ce projet de loi permettra aux assemblées d'exercer de nouveaux droits. Il imposera de nouvelles et réelles contraintes au pouvoir exécutif. Ne les sous-estimez pas. Soucieux de voir la révision constitutionnelle voulue par le Président de la République porter ses fruits, le Gouvernement souhaite que vous adoptiez ce projet de loi qui ouvrira la voie à la dernière étape toute aussi décisive : la réforme de votre Règlement. (Applaudissements à droite et au centre)

Rappel au Règlement

M. Jean-Pierre Michel.  - Rappel au Règlement !

M. le Président.  - Sur quel article ?

M. Jean-Pierre Michel.  - L'article 37. 

Le groupe socialiste se félicite d'accueillir notre ancien collègue Karoutchi mais il s'étonne que le Premier ministre n'ait pas, comme à l'Assemblée nationale, fait l'honneur au Sénat de présenter lui-même ce projet de loi, ou au moins d'introduire nos travaux.

M. Roland du Luart.  - Il a de lourdes occupations ailleurs !

M. Jean-Pierre Michel.  - Nous nous étonnons aussi de l'absence de la garde des sceaux, dont le titre même dit assez qu'elle est compétente pour un tel texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Je ne prends pas ce propos contre moi.

M. Jean-Pierre Bel.  - Surtout pas !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Merci.

Le Premier ministre souhaitait effectivement être devant vous aujourd'hui pour l'ouverture de ce débat. Mais il est retenu par des arbitrages qu'il doit rendre cet après-midi sur des questions qui engagent la vie de la Nation tout entière.

M. Roland du Luart.  - La Guadeloupe !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Mais ce projet de loi n'est que le premier d'une série. En viendront bientôt d'autres, comme sur l'exception d'inconstitutionnalité, qui donneront à la garde des sceaux l'occasion de venir au Sénat. Il est apparu que, dans la mesure où celui-ci concernait exclusivement les relations de l'exécutif et du législatif, le modeste (protestations à droite) secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement suffirait à la tâche.

Discussion générale (Suite)

M. Jean-Jacques Hyest, président et rapporteur de la commission des lois.  - Nous sommes très heureux de vous accueillir, monsieur le ministre. Nous avons toujours plaisir à travailler avec vous, dans la transparence et la cordialité.

Ce projet de loi aurait pu apparaître d'une simplicité telle que ses quatorze articles, ou plutôt treize d'entre eux, n'auraient pas dû susciter tant de débats, de tentatives d'obstruction et d'anathèmes lors de son examen par l'Assemblée nationale. Pour avoir tenté de suivre le cheminement chaotique de sa discussion, on ne peut pas assurer qu'il en est ressorti plus lisible.

Bien entendu, c'est l'article 13 qui a été le plus discuté car il a pour conséquence la mise aux voix sans discussion des amendements parlementaires. J'y reviendrai.

En ce qui concerne les résolutions visées à l'article 34-1, on peut approuver le dispositif prévu par l'Assemblée nationale mais il nous a semblé que le fait d'interdire les amendements sur les résolutions n'interdisait pas aux commissions de s'en saisir. Sous cette réserve, et quand nous aurons aussi disserté sur le fait de savoir si une proposition ne peut être inscrite au cours de la même session si elle a le même objet et le même objectif, et si l'irrecevabilité doit être motivée, examinons l'application de l'article 39.

Sans être fanatique des études d'impact que sous-entend cet article, quels sont les éléments nécessaires pour la présentation des projets de loi ? L'expérience a montré leur vacuité : elles ont le plus souvent été réalisées après l'élaboration de projets de loi et finalement abandonnées.

Le projet de loi organique a été très enrichi par l'Assemblée nationale, qui va jusqu'à viser certaines catégories professionnelles ; nous vous en proposerons une clarification. Souhaitons que ces dispositions, qui pourront être vérifiées à l'initiative de la Conférence des Présidents de la première assemblée saisie par le Conseil constitutionnel conduisent à une déflation législative. L'Assemblée nationale a ajouté que devrait être fournie la liste prévisionnelle des textes d'application nécessaires, leurs orientations principales et le délai prévisionnel de leur publication -oserai-je dire dans le respect des articles 34 et 37 ?

Si, curieusement, aucune étude d'impact n'est prévue pour les propositions de loi, l'Assemblée en a prévu pour les dispositions non exclusives des lois de finances et de loi de financement de la sécurité sociale, sans d'ailleurs, pour des raisons de délai, en sanctionner l'insuffisance ou l'absence. C'est contraire à l'article 39. En revanche, rien n'interdit de le prévoir dans la Lolf, ce que nous vous proposerons.

Nous vous proposerons également de compléter la liste des documents nécessaires à l'information du Parlement pour les traités et accords internationaux visés à l'article 53. Il en est de même pour les ordonnances, en distinguant le stade de l'habilitation et celui de la ratification, laquelle ne peut plus être implicite.

Enfin, et pour éviter que le Gouvernement ne dépose des amendements constituant en fait de véritables projets de loi, des études d'impact peuvent être demandées, et même pour ceux des parlementaires. Souhaitons que ces articles soient utilisés avec modération.

D'une manière générale, si les études d'impact constituent un progrès incontestable, veillons à ce qu'elles ne délivrent pas une vérité univoque qui renforcerait la technocratie au détriment du politique.

J'en viens au droit d'amendement. En permettant l'exercice de ce droit en séance ou en commission, le constituant visait la procédure d'examen simplifié de certains textes, comme cela se pratique pour certains accords internationaux, et pourquoi pas demain pour les lois de codification ou la ratification de certaines ordonnances comme celles qui concernent l'application de la législation outre-mer. En dehors de ce cas, ce droit s'exerce en séance, ce qui ne signifie pas que l'expression orale sur les amendements soit illimitée. Les Règlements des assemblées prévoient d'ailleurs cette limitation, ainsi que la procédure de clôture et le vote bloqué.

L'article 13 du projet de loi, complété par les articles 13 bis et 13 ter, autorise les assemblées à instituer une procédure impartissant des délais pour l'examen d'un texte, déterminant les conditions dans lesquelles les amendements déposés par les parlementaires peuvent être mis aux voix sans discussion. La fixation d'un temps global n'est pas une nouveauté, puisqu'elle a existé jusqu'en 1969 à l'Assemblée nationale, et elle est la règle dans presque tous les parlements d'Europe ; je vous renvoie au rapport de MM. Gélard et Peyronnet, Elle a cependant cristallisé les oppositions.

L'Assemblée nationale a garanti « le droit d'expression de tous les groupes parlementaires », en particulier celui des groupes de l'opposition et des groupes minoritaires. Elle a ajouté la possibilité d'une explication de vote personnelle sur l'ensemble pour chaque parlementaire. Si elle trouve le moyen d'acclimater cette procédure, laissons-la établir son Règlement comme elle l'entend, nous ne saurions nous y opposer, cela ne nous contraint nullement nous-mêmes. En conséquence, les conclusions du groupe de travail présidé par le président du Sénat nous conduisent à ne proposer aucune modification de ces articles 13, 13 bis et 13 ter, que nous n'avons pas l'intention de mettre en oeuvre dans notre Règlement.

J'ai gardé pour la fin un alinéa de l'article 11 prévoyant que le Gouvernement peut être présent lors de l'examen et du vote des amendements en commission. Cette construction intellectuelle sympathique -en fait, à moitié sympathique- n'a fait l'objet d'aucune déclaration ni débat lors de la révision de la Constitution, ce qui aurait dû être le cas s'agissant de l'article 42. Vous avez d'ailleurs fait à ce sujet des déclarations très intéressantes lors de la révision constitutionnelle. C'est pourquoi, je vous proposerai que le Règlement des assemblées détermine les modalités selon lesquelles les ministres sont entendus à leur demande à l'occasion de l'examen du texte en commission.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Très bien !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Si elle est formellement placée par le projet de loi organique dans le chapitre consacré à l'application de l'article 44, le Gouvernement semble la lier, sur le fond, à l'article 42 qui, dans la rédaction issue de la révision constitutionnelle, prévoit que la discussion, en séance publique, porte sur le texte élaboré par la commission. Les députés ont d'ailleurs écarté la disposition relative à la présence du Gouvernement pour les projets de révision constitutionnelle, les projets de loi de finances et les projets de loi organique qui sont discutés en première lecture en séance sur le texte présenté par le Gouvernement et, pour les autres lectures, sur le texte transmis par l'autre assemblée.

Selon le Gouvernement, participer aux réunions de la commission lui permettrait de connaître en temps réel les positions du Parlement et de faire valoir le plus en amont possible les siennes. Mais rien n'indique que le constituant a envisagé une telle procédure. Du reste, pourquoi l'aurait-il fait quand la présence du Gouvernement, Mme Des Esgaulx l'a justement souligné, n'est pas prévue lors des commissions mixtes paritaires, commissions autrement plus importantes aux termes de l'article 45 de la Constitution ? Cette disposition n'est pas nécessaire puisque la pratique actuelle garantit une bonne articulation entre exécutif et législatif. L'audition du ministre par la commission, à la demande du Parlement ou du Gouvernement, à huis clos, en commission élargie ou encore ouverte, constitue toujours la première étape du parcours législatif. Et l'on pourrait imaginer que le ministre soit de nouveau auditionné entre le dépôt du rapport et l'examen en séance publique.

Qui plus est, retenir ce principe dans la loi organique présenterait des inconvénients. Outre que cela reviendrait à amoindrir l'importance de la séance publique, cela priverait chaque assemblée de la faculté de mettre en oeuvre les principes constitutionnels selon des modalités différentes dans son Règlement, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. Pour exemple, les députés ont voulu que les débats en commission soient publics, contrairement au Sénat qui a limité cette possibilité aux seuls cas où il le déciderait. Enfin, si le Gouvernement venait à assister systématiquement aux réunions de la commission, cela aurait pour effet de supprimer la seule étape, avec celle de la commission mixte paritaire, où les parlementaires peuvent délibérer librement. Nous ne sommes pas des enfants qui avons besoin d'être guidés... Bref, ce serait contraire au principe de séparation des pouvoirs, caractérisé sous la Ve République par le régime des incompatibilités parlementaires. En revanche, nos Règlements devront prévoir l'indispensable présence du Gouvernement en cas de procédure d'examen simplifié.

Pardonnez-moi, monsieur le ministre, ce long argumentaire à cause d'un mot de trop dans notre loi suprême mais je me devais de défendre un principe auquel la majorité des sénateurs est très attachée. Pour conclure, rappelons que les lois organiques ne doivent contenir que ce qui est strictement nécessaire à la mise en oeuvre de la révision constitutionnelle dans le respect de l'autonomie d'organisation conférée à chacune des assemblées. Sur cette base et sous réserve de l'adoption des amendements de notre commission, j'invite le Sénat à voter ce projet de loi organique auquel peuvent souscrire ceux qui, pour d'autres raisons, s'étaient opposés à la révision constitutionnelle. Il nous appartiendra bientôt de faire vivre ces nouvelles règles à travers un Règlement réformé ! (Applaudissements à droite et sur quelques bancs au centre)

présidence de M. Roland du Luart,vice-président

M. Patrice Gélard.  - Qu'ajouter après l'excellente présentation de M. Hyest ? (Exclamations ironiques à gauche) Tout d'abord, rappelons que la loi organique, aux termes de l'article 46 de la Constitution, a pour vocation de compléter la Constitution afin d'éviter que notre loi fondamentale n'entre dans d'inutiles détails. Lorsqu'elle concerne le Sénat, elle doit être votée dans les mêmes termes par les deux assemblées. En la matière, le Sénat recouvre donc la plénitude de son attribution parlementaire (même mouvement) : la Haute assemblée n'est pas soumise aux oukases lorsque l'intérêt supérieur du Sénat est en cause. Les lois organiques font l'objet d'un contrôle rigoureux du Conseil constitutionnel...

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Tout à fait !

M. Patrice Gélard.  - A preuve, sa récente décision concernant le projet de loi organique relatif à l'article 25 de la Constitution.

Ensuite, la réforme constitutionnelle du 27 août dernier a prévu une multitude de lois organiques. Outre la loi organique relative à l'article 25 de la Constitution précitée, le législateur devra, en principe avant juin prochain, adopter les textes prévus à l'article 61-1 relatif au Conseil constitutionnel et à la grande innovation que constitue le recours en inconstitutionnalité, à l'article 65-1 concernant le CSM...

M. Patrice Gélard.  - ...à l'article 69 relatif au Conseil économique, social et environnemental, à l'article 71-1 concernant le Défenseur des droits sans oublier la loi organique prévue à l'article 13-1 relative à la nomination en conseil des ministres et à l'avis des commissions parlementaires compétentes. Le texte que nous examinons aujourd'hui clarifie l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

Premier volet, le droit de résolution qui semble poser peu de problèmes. Si ce n'est que la notion de résolution n'est pas définie par la loi...

M. Michel Mercier.  - Elle ne l'a jamais été !

M. Patrice Gélard.  - ...sinon de manière négative. De fait, le Gouvernement peut déclarer irrecevables les propositions de résolution constituant une injonction à son égard ou mettant en cause de manière déguisée sa responsabilité. Mais comment distinguer une proposition de résolution d'une question orale avec débat ? La jurisprudence de chacune de nos assemblées le déterminera. Les propositions de résolution ne peuvent pas être renvoyées en commission, non plus que faire l'objet d'amendements, ce qui est une bonne chose. (M. Bernard Frimat s'exclame) Outre quelques améliorations de forme, le rapporteur propose donc de s'en tenir au texte original du Gouvernement, légèrement modifié par l'Assemblée nationale.

Deuxième volet, la présentation des projets de loi. Figurent, dans ce chapitre, des dispositions dont l'importance est plus grande qu'il n'y paraît. Les études d'impact, réclamées par un côté de l'hémicycle, puis l'autre au gré des alternances, figurent désormais dans notre loi fondamentale. Je nourris l'inquiétude, que n'a pas totalement levée l'amendement proposé par la commission, que ces études ne viennent à prendre plus d'importance que l'examen de la loi elle-même...

M. Guy Fischer.  - Eh oui !

M. Patrice Gélard.  - ...qu'elles n'accaparent le temps consacré aux travaux préparatoires et finissent par noyer le parlementaire. Attention donc à ce que cette mesure ne devienne une monstruosité. Reste que disposer des études d'impact est toujours préférable...

M. Patrice Gélard.  - Je me félicite que l'on prévoie des dispositions spécifiques pour les lois de finances, les lois de financements et les lois de programmation ainsi que pour l'état de crise, les ordonnances et leur ratification. Une dernière observation : évitons de gloser sur le contenu des études d'impact et de dresser un inventaire à la Prévert, sans quoi nous rendrons la mesure inapplicable.

Le chapitre III, qui a beaucoup retenu l'attention tant du rapporteur que du ministre, concerne le droit d'amendement. Nous savons, pour avoir avec M. Peyronnet étudié l'expérience des parlements nationaux au sein de l'Union européenne, que ce droit est, en France, bien plus puissant qu'ailleurs. (Mme Borvo Cohen-Seat approuve) Il y existe comme droit inaliénable de tout parlementaire...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Et c'est heureux.

M. Patrice Gélard.  - ...quand les autres pays européens privilégient les droits des groupes. J'avoue que, quant à moi, je serais partisan, sans mettre en cause les droits individuels, de voir mieux reconnus les droits des groupes, partenaires privilégiés du Gouvernement.

M. Henri de Raincourt.  - Ce n'est pas ce qui se passe.

M. Patrice Gélard.  - Ceci étant dit, je rappelle que l'article 31 de la Constitution aurait pu dispenser d'inscrire à l'article 11 de ce projet de loi organique un alinéa qui prévoit que le Gouvernement peut être présent en commission.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Eh oui.

M. Patrice Gélard.  - « Les membres du Gouvernement ont accès aux deux assemblées. Ils sont entendus quand ils le demandent. Ils peuvent se faire assister par des commissaires du Gouvernement. » : n'était-ce pas suffisant ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Se faire assister en séance.

M. Patrice Gélard.  - Ce n'est pas écrit. Cela aurait peut-être pu s'appliquer en commission.

Si le Gouvernement, à mon sens, doit dire ses intentions et réagir aux amendements, il a tout intérêt à n'être pas là en permanence. Si tel était le cas, il deviendrait un commissaire et sortirait de son rôle. Il ferraillerait en permanence avec l'opposition...

M. Guy Fischer.  - C'est évident !

M. Patrice Gélard.  - ...et mettrait en difficulté, au milieu de ce duel, ceux de ses amis qui le soutiennent.

Le Gouvernement a tout intérêt à manoeuvrer dans l'ombre. (Exclamations à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Quelle vision de l'action politique !

M. Patrice Gélard.  - Il le fait déjà quand il fait déposer certains amendements par des parlementaires amis, comme cela se pratique au États-Unis, ou quand il use de son droit d'amendement en séance. Son intérêt est de conserver le maximum de marges de manoeuvre.

M. Jean-Pierre Sueur.  - D'obscures manoeuvres...

M. Patrice Gélard.  - S'il est présent en commission, quels moyens lui restera-t-il de s'exprimer en séance publique ? C'est pourquoi il me semble que la solution préconisée par le rapporteur est la bonne. Elle permet de distinguer entre Assemblée nationale et Sénat, deux chambres profondément différentes dans leur composition. (M. le ministre le confirme) A l'Assemblée nationale, en raison du mode de scrutin, il existe toujours une majorité gouvernementale, y compris dans chaque commission. Tel n'est pas le cas au Sénat où n'existent plus que des groupes minoritaires (on s'amuse à gauche), si bien que l'on ne peut pas prédire la façon dont pèsera la présence du Gouvernement, qui risque au contraire de gêner.

M. Jean-Pierre Bel.  - Astucieux.

M. Patrice Gélard.  - Sur les articles 13, 13 bis et 13 ter, je souscris aux arguments du rapporteur, qui estime qu'ils ne portent en rien atteinte à l'autonomie des assemblées puisque chacune reste maitresse de son Règlement.

M. Jean-Pierre Sueur.  - La question n'est pas du Règlement mais de la loi.

M. Patrice Gélard.  - Le droit individuel de chaque parlementaire sera respecté.

Ce projet de loi organique confirme le texte constitutionnel.

M. Patrice Gélard.  - On peut certes regretter les risques de lourdeur attachés aux études d'impact, que l'application de l'article 34 n'aille pas aussi loin qu'auraient pu le permettre les débats constitutionnels, mais le fil était difficile à tenir et c'est pourquoi le groupe UMP se rangera aux propositions de la commission des lois.

Reste que la mise en pratique de cette loi organique requerra de tous beaucoup de vertu républicaine et parlementaire. Il en faudra au Gouvernement, afin que les parlementaires ne soient pas bombardés d'amendements inopinés ; il en faudra aux groupes, qui devront faire preuve d'une grande discipline -alors que le calendrier d'examen est étendu, l'urgence encadrée et des semaines entières consacrées au contrôle- pour ne pas retarder l'adoption des textes ; il en faudra à chaque parlementaire, qui devra modérer le nombre de ses amendements et de ses interventions, faute de quoi la réforme serait inapplicable. Nous serions alors contraints de retourner à Versailles...

M. Henri de Raincourt.  - On n'a pas la majorité...

M. Patrice Gélard.  - ...pour durcir ce texte... (Exclamations à gauche)

MM. Sueur et Rebsamen  - Des menaces ?

M. Patrice Gélard.  - ...à notre grand regret. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Yvon Collin.  - Qu'il est loin le temps où l'article premier de la loi du 25 février 1875 s'appliquait et avait valeur constitutionnelle. C'était le temps des Radicaux, me direz-vous... C'était aussi le temps du Parlement ! « Le pouvoir législatif s'exerce par deux assemblées, la Chambre des députés et le Sénat. » Point ! Nulle trace du Gouvernement. Le Parlement avait toute compétence en tout domaine pour statuer sur tous problèmes, sans limitation, ni de procédure, ni de contrôle de constitutionnalité.

C'est avec des textes aussi sobres et aussi favorables au pouvoir législatif que les parlementaires d'alors ont fondé la République, avec ses valeurs, que l'on a tendance à oublier aujourd'hui et que mon groupe parlementaire porte si fièrement en héritage, au risque de sembler parfois anachronique sous une Ve République réductrice qui ne cesse, depuis plus de cinquante ans, d'opposer majorité et opposition au détriment du pluralisme des idées et des convictions.

Autre tendance lourde, la « rationalisation » qui n'a cessé de se renforcer. En limitant le domaine de la loi et en encadrant la procédure législative, on a créé un exécutif tout puissant au détriment d'un Parlement dépossédé de son ordre du jour.

Depuis le Coup d'État permanent de 1964, le déclin du Parlement et sa nécessaire revalorisation sont à l'ordre du jour. Combien de candidats à l'élection présidentielle, combien de présidents élus n'ont-ils pas promis de renforcer son rôle ? C'est en vain qu'en 1995, Jacques Chirac déclarait qu'il fallait « remettre le Parlement à sa vraie place, une place centrale » et qu'il devait « redevenir le lieu privilégié et naturel du débat politique ». Et l'histoire récente, politique comme constitutionnelle, nous incite à la plus grande prudence.

La révision constitutionnelle adoptée le 21 juillet rend certainement possible une revalorisation du Parlement et un éventuel rééquilibrage de la relation trop inégale entre exécutif et législatif. Mais les lois organiques et les Règlements des assemblées doivent lui donner corps.

Ce texte, qui nous revient de débats pour le moins mouvementés à l'Assemblée nationale, a été profondément modifié par les députés, essentiellement ceux de la majorité pour cause d'obstruction de la part du groupe socialiste, mise en scène que n'ont pas suivie les radicaux de gauche, sagesse à laquelle je ne doute pas que se rangeront, ici, nos collègues socialistes.

Il comporte deux types de dispositions : celles qui visent à améliorer la qualité des lois tout en diminuant leur quantité, celles qui visent à donner de nouveaux outils parlementaires au législateur pour peser différemment et mieux sur les débats.

Une série d'articles consacrés à l'instauration et à l'encadrement des résolutions mais également aux études d'impact vise ainsi à enrayer l'inflation législative.

L'augmentation exponentielle des lois fait souvent dire que « trop de lois tue la loi », comme le rappelle souvent, à juste raison, le Conseil constitutionnel. Combien de lois de circonstance, juste destinées à traiter la seule urgence médiatique ? Combien de lois éponymes inutiles, motivées par la seule coquetterie ministérielle ? Il était temps de prendre des mesures pour venir à bout de cet emballement qui porte tort aux bonnes lois, celles qui entendent répondre à l'urgence sociale et économique, la seule qui vaille réellement.

Ce projet de loi organique y suffira-t-il ? On peut en douter. En d'autres temps, les réformes adoptées dans cette optique n'ont pas eu les résultats escomptés. Je pense par exemple à la session unique, brandie à l'époque comme le moyen de raccourcir les séances et d'éviter de siéger la nuit. Cette réforme a échoué : nous n'avons jamais aussi mal dormi !

Plus sérieusement, nos concitoyens nous reprochent cette fièvre législative car l'empilement des normes brouille le paysage juridique et le rend incompréhensible, même par les initiés. Un Parlement revalorisé, c'est avant tout un Parlement qui légifère moins et mieux. De ce point de vue, le texte apporte des solutions qui méritent d'être mises en oeuvre.

Le second volet du projet de loi organique consiste à prévoir une possible réorganisation de nos débats, notamment dans l'hémicycle. C'est ainsi que le droit d'amendement a pu paraître menacé, et qu'il peut toujours l'être puisque tout dépendra des choix qui seront retenus par chacune des deux assemblées lors de la révision de leurs Règlements. C'est cette inquiétude, compréhensible à la lecture du projet de loi organique initial, qui a mis le feu aux poudres à l'Assemblée nationale... mais toujours pas - heureusement- au Sénat. Probablement faut-il y voir la sagesse de notre Haute assemblée et de son président qui n'a pas tardé, dès le projet de loi organique connu, à rappeler publiquement combien « le droit d'amendement est sacré ». Et je dois vous avouer -pour ne pas dire confesser- que le radical laïc que je suis a apprécié, une fois n'est pas coutume, l'emploi de cet épithète qui, ici, est de nature à nous rassurer.

Le droit d'amendement étant au fondement de la démocratie parlementaire, toute mesure visant à le restreindre, ou même à le « rationaliser », est au mieux suspecte, au pire dangereuse. Disposer de temps pour défendre un amendement doit demeurer un droit individuel, imprescriptible. C'est la condition de l'expression de la diversité des opinions démocratiques de notre pays. L'essence même du Parlement n'est-elle pas la discussion entre majorité et opposition, entre exécutif et législatif, ou même entre parlementaires, indépendamment des clivages politiques ?

Le droit d'amendement, c'est d'abord du temps pour échanger et pour convaincre, pour que chacun puisse, sans contrainte, exprimer ses convictions et porter les attentes et les craintes des Français et des territoires dans cette enceinte de la démocratie.

En quoi ce droit « sacré » est-il menacé ? La réponse figure dans l'article 13 qui prévoit la possibilité, pour les Règlements des deux assemblées, d'instaurer le principe du « temps global » ou « crédit-temps », ce que d'autres ont appelé « le temps guillotine ». Autrement dit : l'arrêt immédiat de la discussion des articles et des amendements en séance publique une fois écoulé le temps imparti à chacun des groupes. Une telle procédure peut mettre en cause le droit d'amendement, aujourd'hui plus à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Et je comprends les craintes de mes collègues députés radicaux de gauche.

Pourquoi au Sénat cet article 13 ne soulève-t-il pas la même protestation ? Pourquoi y a-t-il peu de chances d'entendre des sénateurs chanter « la Marseillaise » au pied de cette tribune ? M. Hyest exclut, au nom de notre commission des lois, l'application du « temps global » à la Haute assemblée.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Mais pas d'amendement en ce sens...

M. Yvon Collin.  - Il ne fait que reprendre ici les conclusions des travaux menés, sous la conduite du président Larcher, au sein de notre groupe de travail sénatorial sur la réforme du Règlement du Sénat. Dès nos premières réunions, et en conformité avec la sacralisation du droit d'amendement rappelé par notre président, nous avons exclu toute application du temps global au Sénat.

Par conséquent, la crainte de nos collègues députés qui n'ont pas, eux, reçu les mêmes assurances sur le respect du droit d'amendement, n'a pas lieu d'être pour nous, sénateurs. Faut-il y voir un privilège que s'accorderait la Haute assemblée en récompense de sa grande sagesse et de son aversion pour ce que l'on appelle l'obstruction, ou encore la flibuste ? C'est surtout une marque de respect à l'égard du débat parlementaire toujours de très bon niveau dans cet hémicycle, mais c'est également une façon de donner toute leur place aux groupes de l'opposition et aux groupes minoritaires. Car, depuis le 21 juillet 2008 notre Constitution prévoit dans son article 51-1 que le Règlement de chaque assemblée reconnaît des droits spécifiques aux groupes de l'opposition et aux groupes minoritaires. Cette mention résulte d'un amendement adopté par le Sénat, sur proposition de nos collègues Jean-Michel Baylet et Michel Mercier. Aussi, mon groupe sera-t-il très attentif à la traduction dans notre Règlement de cette prérogative constitutionnelle désormais reconnue aux groupes minoritaires, lesquels ne se reconnaissent ni comme appartenant à l'opposition, ni comme appartenant à la majorité, ce qui est l'essence même -et la force- de mon groupe.

Il est important que la nouvelle procédure législative offre toute leur place aux groupes minoritaires et, surtout, leur garantisse des moyens pour fonctionner et bien travailler. Par exemple, il est indispensable, a fortiori pour un groupe aux effectifs réduits, que les collaborateurs des groupes puissent assister aux travaux des commissions compte tenu de l'importance que ces travaux vont prendre. On ne saurait attendre les comptes rendus des commissions pour suivre la procédure législative, surtout que désormais les délais seront très courts.

Nous proposerons aussi qu'aucun groupe ne dispose de moins de dix minutes dans les discussions générales. Voilà qui garantirait les droits d'expression et la pluralité au sein des groupes.

Si, dans ce projet de loi organique, nous approuvons l'article 13 bis introduit à l'Assemblée nationale et qui reconnaît un droit d'expression, en particulier pour les groupes minoritaires, nous proposerons de le compléter en garantissant que plusieurs orateurs d'un même groupe puissent s'exprimer. Nous sommes attachés aux droits des groupes minoritaires mais aussi aux droits des membres minoritaires dans leur propre groupe. Évitons qu'il n'y ait qu'une voix officielle dans chaque groupe !

Le RDSE, soucieux du pluralisme et du droit d'expression de chacun, ne conçoit pas les groupes politiques comme des espaces de négation ou de restriction des droits individuels et constitutionnels des parlementaires mais, au contraire, comme des garanties d'expression de leurs droits et de leurs libertés. C'est dans cet esprit, fidèles à ces principes de respect du pluralisme et des minorités, qu'avec les membres de mon groupe nous aborderons la discussion de ce projet de loi organique et les débats très attendus que nous aurons dans cet hémicycle sur la réécriture de notre Règlement intérieur. C'est un chantier déjà bien entamé grâce aux travaux sérieux et souvent consensuels du groupe de travail. Toutefois, des espaces de négociation existent encore pour parvenir à un texte qui améliorera l'organisation des travaux de notre Haute assemblée tout en respectant davantage les droits et les intérêts de chacun des groupes politiques mais aussi de chacun des sénateurs qui font vivre cet hémicycle. (Applaudissements au centre)

M. Bernard Frimat.  - Dans une assemblée parlementaire, la majorité politique au pouvoir n'a qu'un avenir, proche ou lointain, c'est de devenir, quand le peuple le décidera, l'opposition. Même au Sénat et en dépit de son mode d'élection, ce principe constitutif de la démocratie finira par se vérifier. En nous opposant à votre projet de loi organique, monsieur le ministre, nous défendons les droits de tous les parlementaires, quel que soit l'endroit où ils siègent dans notre assemblée, quelle que soit leur famille politique. D'une certaine façon, nous tentons de protéger de ses propres excès la majorité d'aujourd'hui puisqu'elle est inexorablement appelée à devenir demain l'opposition. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

La révision constitutionnelle était censée donner des droits nouveaux au Parlement : nous avons dénoncé cette présentation fallacieuse. Les premières lois organiques confirment de manière éclatante que nos craintes étaient fondées. Peu pressé de rendre effectives les mesures positives -exception d'inconstitutionnalité, défenseur des droits- acceptées par nous, même si elles ne concernent pas les droits du Parlement, le Gouvernement a fait le choix de nous présenter en priorité les projets qui lui accordent des facilités nouvelles ou permettent de diminuer les droits du Parlement.

La première loi organique présentée permettait le retour à l'Assemblée nationale ou au Sénat des ministres anciennement parlementaires appelés à quitter le Gouvernement. Il fallait en effet, toutes affaires cessantes, adopter cette loi avant le 24 janvier pour permettre au nouveau secrétaire général de l'UMP de retrouver son siège de député. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Il est difficile de voir dans ces petits arrangements un désir effréné de doter le Parlement de nouveaux pouvoirs. La faculté, pour un ancien ministre, de renoncer à un retour au Parlement pour assurer la pérennité de son suppléant ne relevait pas davantage des droits nouveaux pour le Parlement. Elle était, comme nous l'avions indiqué à cette tribune, inconstitutionnelle, ce que le Conseil constitutionnel a confirmé.

La loi organique votée en décembre permettait enfin d'opérer, par ordonnance, le nouveau découpage relatif aux élections législatives. Préférer l'ordonnance à la loi est toujours une restriction des droits du Parlement.

Cette seconde loi organique s'inscrit dans la même perspective. Qui peut croire, de bonne foi, après son passage à l'Assemblée nationale, qu'elle n'a pas pour finalité de diminuer les droits du Parlement, et en particulier ceux de l'opposition, face à un exécutif qui non seulement ne supporte plus les contre-pouvoirs au sein de la vie sociale mais aspire à s'arroger, dans les faits, le pouvoir législatif. ? « Pour qu'on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par les dispositions des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » : Montesquieu formulait ainsi la théorie de la séparation des pouvoirs sur laquelle repose toute démocratie. Nous sommes, avec nos collègues de l'Assemble nationale, le pouvoir législatif. Nous avons été élus pour voter les lois et notre travail est de fabriquer des lois de bonne qualité. Nous ne sommes pas là pour mettre en forme dans l'urgence, et demain dans des délais de plus en plus courts, les annonces présidentielles. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Or, même si l'existence du Parlement en sauvegarde les apparences, nous vivons de plus en plus dans un régime de confusion des pouvoirs, caractéristique de cette monocratie qu'évoquait, lors de la révision constitutionnelle, notre collègue Robert Badinter. Les exemples de cette confusion abondent. Je n'en prendrai que deux : l'annonce de la suppression de la publicité sur France Télévision et l'annonce récente de la suppression de la taxe professionnelle dès 2010.

Nous avons discuté, pour la première fois sans doute dans l'histoire du Sénat, d'un projet de loi dont la disposition emblématique était entrée en vigueur deux jours avant que ne commence son examen dans cet hémicycle.

Curieuse façon de revaloriser les travaux du Parlement que de le réduire au rôle de législateur a posteriori. Jeudi dernier, nous avons appris que la taxe professionnelle serait supprimée dès 2010. Circulez, députés et sénateurs, il n'y a plus rien à voir ! Le Président de la République vient seul de voter la loi devant les caméras ! Vous pensiez que vous votiez la loi de finances et que vous autorisiez les impôts ? Abandonnez cette illusion et laissez Jean-François Copé se gargariser de la coproduction législative ! Vous n'êtes là que pour ratifier les proclamations présidentielles. Le Président a parlé : l'oracle est rendu. Le Medef en rêvait, Nicolas Sarkozy l'a fait. La loi a déjà une existence virtuelle. Place maintenant aux thuriféraires lefebvristes de la pensée présidentielle pour nous expliquer que la taxe professionnelle est, en réalité, une des causes essentielles de la crise mondiale.

L'omniprésence médiatique du Président de la République est une réalité quotidienne. Pour autant, son temps de parole n'ouvre toujours pas de droit de réponse à l'opposition, en dépit de l'engagement pris, à la veille de la révision constitutionnelle, dans une interview au journal Le Monde et, comme d'autres, oublié depuis. Même si le temps d'expression du Président demeure illimité, le Gouvernement veut limiter le temps d'expression et de discussion du Parlement -surtout celui de l'opposition- et brider l'exercice du droit d'amendement.

Nous préciserons, lors de l'examen des articles, notre position sur les résolutions et les études d'impact, mais l'essentiel du projet de loi organique se situe à l'article 13. Selon la Constitution, seule une loi organique peut définir le droit d'amendement. Le Gouvernement aurait dû se contenter d'en affirmer les principes généraux, laissant le soin à chaque assemblée d'en fixer les conditions d'application dans son Règlement. En effet, rien n'oblige le Gouvernement à instaurer un temps global de discussion et, par là même, à priver un parlementaire du droit de défendre ses amendements. Il a néanmoins tenu à nous proposer un texte allant en ce sens afin de combattre l'obstruction parlementaire qui n'est bien souvent que l'ultime recours de l'opposition pour tenter de faire entendre sa voix, ce qui, au demeurant, n'a jamais empêché l'adoption d'une loi.

Le Gouvernement et sa majorité disposent pourtant déjà d'un arsenal de moyens importants, comme l'irrecevabilité financière des amendements au titre de l'article 40

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - C'est normal !

M. Bernard Frimat.  - L'irrecevabilité relative au domaine de la loi, la possibilité de s'opposer à tout amendement qui n'a pas été antérieurement soumis à la commission, le vote bloqué, l'article 49, alinéa 3, pour le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale ainsi que pour un autre projet de loi par session, la demande de priorité pour faire tomber d'autres amendements, la clôture du débat ou encore le recours à la question préalable positive pour rejeter un texte sans débat.

M. Jean-Pierre Michel.  - Et la deuxième délibération !

M. Bernard Frimat.  - Mais cet arsenal est encore insuffisant puisque le Gouvernement veut contraindre le débat parlementaire : nos travaux, mes chers collègues, sont un obstacle à l'action de l'exécutif. Pourquoi débattre, échanger des arguments, chercher à convaincre, tenter d'améliorer le texte en discussion puisque tout doit se dérouler selon le bon vouloir de l'Élysée ?

Dans sa volonté d'annihiler le rôle du Parlement, le Gouvernement a pourtant oublié un principe constitutionnel fondamental : le droit d'amendement est un droit individuel qui appartient à chaque parlementaire. Il est imprescriptible, consubstantiel à la fonction de parlementaire. Il exprime la liberté absolue donnée à chaque parlementaire de tenter, conformément à ses convictions, d'améliorer le texte proposé. II est le corollaire de la prohibition du mandat impératif. Si le rôle des groupes politiques, reconnu maintenant dans la Constitution, est primordial pour le bon fonctionnement de nos assemblée, il ne peut conduire à priver un parlementaire ni de sa liberté d'expression et d'opinion, ni de sa liberté de vote. II n'est donc pas acceptable de contraindre le droit d'amendement par l'instauration du temps global. En permettant de mettre aux voix un amendement sans qu'il ait été défendu par son auteur, vous ouvrez la boîte de Pandore et faites courir au Parlement le risque de perdre sa raison d'être.

La lecture attentive de votre rapport, monsieur Hyest, m'a définitivement convaincu du caractère néfaste de ce projet de loi organique. Vous évitez, avec une adresse qu'il faut saluer, l'essentiel du problème.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Pas du tout !

M. Bernard Frimat.  - Vous consacrez de longs développements documentés et intéressants aux questions secondaires des résolutions et des études d'impact...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Ce n'est pas du tout secondaire !

M. Bernard Frimat.  - ...mais vous réglez en quelques lignes le sort de l'article 13. Votre argumentation est simple : l'instauration du temps global n'intéresse pas le Sénat puisqu'il ne l'inscrira pas dans son Règlement.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Eh oui !

M. Bernard Frimat.  - Fort de cette affirmation, vous décidez de ne pas vous y opposer car vous ne voyez pas pourquoi priver vos amis députés UMP de cette facilité à laquelle leur président de groupe tient tant. En conséquence, vous proposez au Sénat de voter conforme l'article 13 et ses annexes. Ainsi le débat sera clos sans que sa disposition phare, qui a provoqué le tumulte que l'on sait, puisse être à nouveau discutée. J'ai salué votre habileté, monsieur le rapporteur, mais la ficelle est un peu grosse.

M. Louis Mermaz.  - C'est une corde !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Pas du tout !

M. Bernard Frimat.  - Quelle curieuse démarche que celle de voter conforme un article et de promettre qu'à peine voté, il ne sera pas utilisé.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Il s'agit d'une simple faculté !

M. Bernard Frimat.  - En effet, vous refusez pour le Sénat le temps global et je ne mets pas en doute vos intentions ni celles du président du Sénat qui s'est exprimé dans le même sens. C'est parce que vous estimez qu'il ne faut pas contraindre le droit d'amendement, ni bâillonner le Parlement.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Exactement !

M. Bernard Frimat.  - Pourquoi alors acceptez-vous par un vote conforme de créer les conditions qui permettront d'imposer le temps global immédiatement à l'Assemblée nationale mais aussi demain, si l'envie en vient à une majorité de sénateurs, à la Haute assemblée ?

M. Patrice Gélard.  - Ce sera peut-être vous !

M. Bernard Frimat.  - Dans la protection des droits du Parlement, face à un exécutif jamais rassasié de son pouvoir, vous créez une brèche et vous êtes dans l'impossibilité de nous garantir que le Sénat le l'utilisera jamais. Depuis quand adoptons-nous des lois pour ne pas les appliquer ? Vous faites de même, monsieur le ministre, à propos de la possibilité donnée au Gouvernement d'être présent en commission au moment du vote des amendements.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - C'est autre chose !

M. Bernard Frimat.  - Vous nous assurez que le Gouvernement n'abusera pas de cette faculté, voire même qu'il en usera avec parcimonie. Pourquoi l'inscrire alors dans la loi ? La confiance du Président de la République vis-à-vis des parlementaires de la majorité est-elle si faible qu'il faille, pour le rassurer, les mettre sous surveillance au moment du vote des amendements ? (Marques d'approbations sur les bancs socialistes) Votre projet de loi est inacceptable. L'amélioration des conditions du travail parlementaire n'est pas ce qui vous motive, seul importe pour vous d'aller vite. (M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État, le conteste) Comme le débat parlementaire constitue le dernier rempart face à la frénésie législative présidentielle, il fallait lever cet obstacle.

Or, la meilleure façon de bien voter des lois n'est pas de les limiter dans le temps mais de les consacrer à l'essentiel, c'est-à-dire de cesser de fabriquer, dans l'urgence et en rafale, des textes bavards, complexes et souvent inutiles pour répondre à l'émotion de l'opinion publique. Notre vocation n'est pas de légiférer sur les faits divers ! Ce n'est pas parce que la loi est vite faite qu'elle est bien faite et appliquée. Ce n'est pas la quantité de lois qui détermine leur qualité.

Pour que le Parlement légifère convenablement, et le Grenelle de l'environnement en est un bon exemple, il faut que les parlementaires disposent de temps et de la plénitude de leurs droits, notamment du droit d'amendement. Vous nous proposez moins de droits pour les parlementaires mais vous prétendez accroître les pouvoirs du Parlement, qui peut croire de telles fariboles ?

Il est encore temps de réagir, de refuser ce texte d'abaissement du Parlement. Ce serait l'honneur du Sénat de mettre un coup d'arrêt à la dérive monocratique qui gangrène nos institutions. C'est à cette tâche, mes chers collègues que je vous invite ! (Applaudissements à gauche ; M. Yvon Collin applaudit aussi)

présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente

M. Michel Mercier.  - La très grande majorité du groupe de l'Union centriste a voté la révision de la Constitution le 21 juillet, considérant que cette réforme permettrait un rééquilibrage des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif. Avec ce projet de loi organique, il nous est proposé d'organiser le travail parlementaire, de réactualiser les droits des parlementaires et de donner corps à la révision de la Constitution.

Il est toujours difficile de parler du droit parlementaire. Le juriste Marcel Prélot, qui siégea sur ces bancs, disait : « C'est autour du droit parlementaire que gravite toute l'activité politique ». Il est donc normal que nous ayons une discussion politique sur ce texte. Si le groupe de travail sur les modifications de notre Règlement, qui s'est réuni autour du président du Sénat, a donné de bons résultats, c'est qu'il a marqué le retour du politique dans le fonctionnement de notre Haute assemblée, grâce notamment au rôle accru donné à la Conférence des Présidents représentant l'ensemble des membres du Sénat.

Ce retour en force du politique nous permet d'aborder cette loi organique différemment de l'Assemblée, car notre projet de réforme du Règlement nous offre une approche originale.

Nous devons traiter de trois articles de la Constitution : les résolutions, l'organisation des discussions législatives et le droit d'amendement. En ce qui concerne les discussions législatives et les études d'impact, ce texte n'est pas d'une grande clarté. Nous ne demandons rien d'autre au Gouvernement que de nous communiquer les documents qui l'ont conduit à présenter un projet de loi plutôt qu'une autre mesure. Mais ce n'est pas la longueur de l'énumération qui fera la valeur de l'étude d'impact mais les véritables raisons qui sous-tendent les choix du Gouvernement.

J'ai bien compris qu'il manquerait un document essentiel -nous y reviendrons. Foin de l'énumération si elle ne nous permet pas de comprendre ce qui a conduit le Gouvernement à présenter une loi.

Le droit de résolution et d'amendement sont des droits individuels, attachés à chaque parlementaire, ainsi que cela ressort de l'article premier. Pourquoi ces droits apparaissent-ils si importants quand il s'agit de revaloriser le Parlement ? Parce qu'aujourd'hui, l'origine des lois est essentiellement gouvernementale. Oh !, certes, l'initiative des lois appartient concurremment au Gouvernement et au Parlement, mais le premier a l'initiative de 99 % des lois

M. Patrice Gélard.  - Non !

M. Michel Mercier.  - Disons 98 %. (Sourires) Je vous fais grâce d'1 %. Les parlementaires ne disposent pas des moyens techniques et intellectuels pour faire la loi.

M. Daniel Raoul.  - Intellectuels ?

M. Michel Mercier.  - Ne leur restent que les droits de résolution et d'amendement.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Et de contrôle.

M. Michel Mercier.  - Si le Parlement en a véritablement la possibilité.

Le droit de résolution est très ancien mais il semble faire un peu peur. Sa définition, classique depuis 1875, peut se lire chez Léon Duguit et Marcel Prélot : la résolution est votée par une seule assemblée et n'est pas promulguée ; elle n'a pas valeur de loi mais de voeu...

M. Henri de Raincourt.  - Pieux ?

M. Michel Mercier.  - Naturellement, quand il s'agit de mon groupe. (Sourires)

M. Henri de Raincourt.  - Du mien aussi.

M. Michel Mercier.  - Les parlementaires n'ont d'autre moyen que celui de la résolution pour donner leur sentiment à l'exécutif.

De même, quand on ne peut faire la loi, on dépose beaucoup d'amendements car c'est techniquement plus facile que d'élaborer une proposition de loi. Dès lors, ce droit devient fondamental et on ne peut pas le limiter, même si on peut l'organiser. Je comprends qu'on ait pu parler, à propos du temps global, d'une brimade et je n'aurais jamais voté l'article 13 s'il l'avait institué.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il le rend possible.

M. Michel Mercier.  - Il ne le crée pas, mais le laisse au Règlement des deux assemblées. Il appartient à l'Assemblée nationale et au Sénat d'en décider.

M. Louis Mermaz.  - Ce n'est plus de la piété mais de la casuistique !

M. Michel Mercier.  - On connaît tout en matière de casuistique quand on a écrit les belles pages que vous avez consacrées à Stendhal !

L'article 13 ne crée pas le temps global mais prévoit que, si une assemblée le crée, elle doit préciser comment seront discutés les amendements après qu'il aura été épuisé.

M. Jean-Pierre Sueur.  - A quoi cela sert-il ?

M. Michel Mercier.  - Tous les amendements doivent être étudiés et examinés.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Vous allez voter contre ?

M. Michel Mercier.  - Nous veillerons aux droits attachés au parlementaire ; nous demanderons qu'il ait les moyens de travailler car, comme l'a rappelé M. Fauchon dans Le Figaro, le Parlement est fait pour voter la loi : il faut qu'il en ait les moyens techniques et matériels, ce qui n'est pas le cas. (M. Yvon Collin approuve ; applaudissements au centre et sur de nombreux bancs à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Nous comprenons l'absence du Premier ministre : les grèves se multiplient et l'on manifeste dans les rues de Paris, de Pointe-à-Pitre et de Fort-de-France. Les préoccupations de nos concitoyens sont grandes et graves, mais elles ne sont pas si éloignées des nôtres et nous devons défendre aussi les libertés parlementaires.

Le projet de loi organique a fait couler beaucoup d'encre. « Tempête dans un verre d'eau » comme semble le croire M. Mercier ? Je ne le crois pas et toutes les contorsions du Gouvernement et de la majorité, par la voix du rapporteur, me confortent dans cette opinion.

Ce débat prend sa source dans l'évolution ultraprésidentialiste, voire monarchique, de nos institutions. Voulue depuis 1958-1962, elle a été consacrée, à une voix près, par la révision de juillet dernier. Le Président de la République annonce de nouvelles dispositions législatives tous les jours, il n'a cure du Parlement qu'il met en demeure de voter ces lois sans délai... quand il ne les met pas en oeuvre avant leur vote. Aussi avons-nous dénoncé l'imposture qui consistait à présenter cette révision comme un rééquilibrage. Révolution disiez-vous ; « révolution du temps parlementaire », écrivait encore le président Accoyer fin janvier. Nous disions en juillet que l'objectif était en réalité de réduire le débat en séance publique et de mettre entre les mains de la majorité présidentielle un véritable 49-3 parlementaire. Et la loi organique confirme bien cette volonté de réduire le débat en séance publique au profit du travail en commission et grâce à la procédure simplifiée, ce qui ne semble pas de nature à rendre plus transparents nos rapports avec les citoyens.

Le travail en commission sous l'oeil du Gouvernement aurait réduit la liberté des parlementaires de la majorité. Le rapporteur, dans sa sagesse, supprime cette aimable surveillance, nous sommes d'accord.

La procédure simplifiée, si elle existe, sera appliquée de manière extensive, comme le montre l'exemple de la multiplication des déclarations d'urgence. La loi organique va au-delà de l'article 44, en limitant la durée des débats, ce qui aboutira à priver les parlementaires du droit de s'exprimer. Cette rationalisation du travail parlementaire s'inscrit dans un contexte de présidentialisation accrue et de reprise en main du pouvoir judiciaire et de l'information. Mme Dati se croit autorisée à dire aux élèves de l'École nationale de la magistrature que l'indépendance des magistrats se mérite : nos libertés bientôt se mériteront-elles aussi ? Certes, l'article 44 n'et pas modulable et le doit d'amendement est imprescriptible, inaliénable comme le dit le président Larcher, consubstantiel au mandat parlementaire, comme l'explique M. Gélard. Telle a été la position du Conseil constitutionnel en 1990, pour lequel le Règlement d'une assemblée ne pouvait interdire à un parlementaire de défendre un amendement. La révision de juillet dernier et la loi organique vont-elles servir à revenir là-dessus ?

Cela priverait certains parlementaires du droit de défendre leurs amendements ! Or les restrictions du droit d'amendement ont toujours été le fait de régimes autoritaires. Jusqu'à la Constitution de l'An VIII, ce droit s'exerce librement. Avec le Consulat, « le corps législatif fait la loi sans aucune discussion de la part de ses membres ». A la Restauration, « aucun amendement ne peut être fait à une loi s'il n'a été proposé ou consenti par le roi et s'il n'a été renvoyé par les bureaux ». Reparu en 1848 - naturellement-, le droit d'amendement est à nouveau supprimé par la proclamation impériale du 14 janvier 1852, avant d'être réintroduit en 1866 en raison des tensions politiques et sociales...

Certes, entre 1935 et 1969, le Règlement de l'Assemblée nationale prévoyait le « crédit-temps », mais nous étions en démocratie parlementaire ! Vous oubliez que la Constitution de 1958 donne à l'exécutif de nombreux moyens de brider le débat parlementaire : urgence, procédure « simplifiée », ordonnances, article 49-3, article 40, procédures exceptionnelles pour les lois de finances et de financement. Vous oubliez les prérogatives du Président de la République, le fait majoritaire ! Le Gouvernement pourra à tout moment défendre ses amendements : la comparaison avec le parlementarisme organisé de nombreux pays européens n'est donc pas probante.

Preuve d'une certaine confusion, l'Assemblée nationale a ajouté les articles 13 bis et 13 ter, qui contredisent l'article 13 lui-même ; quant au Sénat, il élabore un nouveau Règlement -avant le vote de la loi organique- qui prévoit qu'il n'utilisera pas les possibilités ouvertes par l'article 13 ! Oui ou non, le droit d'amendement est-il imprescriptible ? Si oui, l'article 13 n'a pas lieu d'être.

La nouvelle rédaction de l'article 44, qui prévoit que le droit d'amendement s'exerce en séance plénière ou en commission, vise manifestement à contourner la décision du Conseil constitutionnel du 7 novembre 1990, mais ne remet pas en cause le droit de chaque parlementaire de défendre un amendement... Gouvernement et majorité, qui se défendent de porter atteinte au droit d'amendement, doivent entériner la seule conclusion possible : la suppression de l'article 13.

Mes chers collègues, ne cédez pas à la pression qui vise à ce que vous restreigniez vous-mêmes vos libertés. L'obstruction a bon dos ! La multiplication frénétique des lois d'affichage affecte la qualité de la loi, son application et entraîne sans doute une lassitude du débat parlementaire. Les parlementaires sont les porte-parole des citoyens qui les ont élus, le relais de ce qui se passe dans le pays. Le débat démocratique ne se résume pas à un vote tous les cinq ans et à l'application mécanique du programme du Président. Le propre de la démocratie représentative, c'est le débat parlementaire public entre sensibilités différentes qui permet de déboucher sur des majorités, voire des compromis. Si les parlementaires ne servaient qu'à voter les textes du Gouvernement, ils pourraient le faire de chez eux ! Les techniques actuelles permettent bien au Président de la République de consulter directement les citoyens-téléspectateurs ! Quand les heures de séances enflent, ce n'est pas sur des questions techniques mais quand le débat est profond dans la société. Au Parlement de s'en faire le reflet.

Un mot sur les autres dispositions du texte. L'article 34 nouveau de la Constitution qui instaure le droit de résolution précise que celles-ci ne sont pas normatives, ne peuvent mettre en cause le Gouvernement ni contenir des injonctions à son égard. Le projet de loi organique restreint encore ce droit, à travers le véto du Premier ministre, les délais imposés ou l'interdiction de tout amendement.

L'évaluation préalable au dépôt des projets de loi, réclamée depuis longtemps, aurait l'avantage de la transparence et limiterait la frénésie législative des gouvernements. Mais la loi organique soustrait à cette obligation toute une série de projets de loi et prévoit que l'évaluation soit modulée, notamment en fonction de l'urgence. L'Assemblée nationale a tempéré ces restrictions, ce que souhaite également notre rapporteur, mais la disposition demeure limitative. La description détaillée des éléments devant figurer dans l'étude d'impact risque de rendre ces dispositions difficilement applicables. Les délais d'examen des projets de loi rendent l'expertise contradictoire du Parlement impossible. Tout projet de loi doit être précédé et suivi d'une évaluation réaliste !

Nous voterons contre ce texte. Le Gouvernement et la majorité laissent entendre que l'Assemblée nationale et le Sénat pourraient décider à leur guise d'appliquer ou non les possibilités ouvertes par la loi organique. Mais, en matière de droit d'amendement, les deux assemblées peuvent difficilement retenir des dispositions différentes, comme l'a souligné le Professeur Gicquel, éminent constitutionnaliste.

La sagesse doit l'emporter, l'article 13 doit être retiré. De toute façon, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - « De toute façon » !