Prolongation de l'intervention des forces armées en Afghanistan

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat et un vote sur la demande du Gouvernement tendant à autoriser la prolongation de l'intervention des forces armées en Afghanistan, en application de l'article 35, alinéa 3 de la Constitution, tel qu'il résulte de la récente révision et qui dispose : « lorsque la demande de l'intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l'autorisation du Parlement ».

Nous nous retrouvons donc, fait inhabituel, au lendemain même des élections sénatoriales, dans le cadre de la session extraordinaire du Parlement convoqué par le Président de la République à compter de ce jour.

C'est donc le Sénat dans sa composition antérieure aux élections d'hier qui est aujourd'hui appelé à se réunir, conformément à l'article LO. 277 du code électoral qui précise que le mandat des sénateurs nouvellement élus commence à l'ouverture de la session ordinaire qui suit leur élection, date à laquelle expire le mandat des sénateurs antérieurement en fonction. J'ai donc le plaisir d'accueillir, une nouvelle fois dans notre hémicycle, certains de nos collègues dont le mandat s'achèvera dans quelques jours.

La date inhabituelle de ce débat est toutefois justifiée par l'aggravation de la situation en Afghanistan au cours des dernières semaines. C'est en effet le 18 août dernier qu'une embuscade a coûté la vie à dix de nos soldats au cours de combats contre des terroristes talibans dans le cadre d'une mission approuvée par les Nations unies.

J'ai aussitôt, au nom des sénatrices et des sénateurs, exprimé ma très vive émotion et salué leur mémoire, rendant hommage à leur action, à leur courage et à leur dévouement exemplaires au service de la lutte contre le terrorisme et pour la paix. J'ai naturellement adressé à leurs familles et à leurs proches, si cruellement éprouvés, nos condoléances les plus attristées.

Notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s'est réunie le 29 août dernier, sous la présidence de notre collègue Josselin de Rohan, pour entendre M. le ministre de la défense et M. le ministre des affaires étrangères et européennes sur ces événements dramatiques et sur l'évolution de la situation.

Par ailleurs, M. le Président de la République a complété, par décret du 27 août 2008, le décret du 1er août portant convocation du Parlement en session extraordinaire afin que le Gouvernement puisse soumettre à l'autorisation du Parlement la prolongation de l'intervention des forces armées en Afghanistan.

Avant de donner la parole aux orateurs pour cette première application de l'article 35, alinéa 3 de la Constitution, permettez-moi de rendre aujourd'hui un nouvel hommage, au nom du Sénat, à la compétence, au professionnalisme et au sens du sacrifice de nos soldats qui luttent contre le terrorisme et pour la défense de nos valeurs. (Applaudissements à droite, sur la plupart des bancs au centre ainsi que sur plusieurs bancs socialistes et CRC)

M. François Fillon, Premier ministre.  - (Applaudissements à droite) Nous mesurons tout le poids de notre responsabilité lorsque le sort de nos soldats est engagé. Nos soldats sont engagés en Afghanistan, et nous venons de l'éprouver douloureusement. Ils le sont aussi en Côte d'Ivoire, au Tchad, au Kosovo, au Liban...

Depuis la fin de la guerre froide, notre sécurité ne se joue plus exclusivement à nos frontières. L'interdépendance des enjeux et des menaces nous contraint à agir loin, parfois puissamment. Cette évolution stratégique n'est pas sans incidence sur le lien, si nécessaire, entre la nation, nos armées et leurs missions.

Se battre sur nos frontières est une chose ; se risquer pour d'autres, loin de l'Hexagone, en est une autre. Et l'entreprise est d'autant plus sensible que notre société, qui vit en paix, n'est naturellement pas rompue aux épreuves de l'affrontement. Faut-il s'engager pour Beyrouth ? Pour le Koweït ? Pour Sarajevo ? Pour Kaboul ? La nouvelle donne stratégique nous conduira, de plus en plus souvent, à nous poser la question. Et la réponse ne sera plus seulement du ressort du Président de la République et du Gouvernement, puisque dorénavant, conformément à l'article 35 de notre Constitution, chacun d'entre vous sera conduit à se prononcer par son vote. Voulue par le Président de la République et adoptée par la majorité de votre assemblée, cette clause institutionnelle, qui signe la fin du domaine réservé, sera un progrès pour notre démocratie. Elle sera un atout pour notre politique étrangère et de défense qui, par votre intermédiaire, sera l'affaire de tous les citoyens. Elle contribuera au soutien de nos armées qui sentiront ainsi le Parlement à leurs côtés.

Pour l'Afghanistan, je crois à la nécessité du consensus national. Ce consensus, il se bâtit dans l'écoute des convictions et des interrogations de chacun. La situation afghane ne se prête ni aux postures ni aux caricatures. Il faut la considérer lucidement en ne cédant ni à l'angélisme ni au catastrophisme. Nous sommes suffisamment conscients de nos devoirs pour en débattre avec gravité et responsabilité.

Depuis deux ans, la situation s'est tendue, notamment dans l'Est et le Sud de l'Afghanistan. C'est pourquoi la France a insisté pour rénover la stratégie de la coalition et décidé, au printemps dernier, d'augmenter le nombre de ses hommes. Et l'Allemagne vient à son tour d'annoncer qu'elle comptait porter ses effectifs à 4 500 soldats.

Les talibans et les insurgés accentuent leur pression. Leur organisation et leurs méthodes se sont sophistiquées. Ils misent sur notre lassitude et nos doutes.

Le 18 août, dans la vallée d'Uzbeen, dix soldats sont morts au combat, vingt-et-un ont été blessés. Les événements se sont déroulés dans une région qui avait été jusque-là le théâtre d'affrontements de faible intensité conduits par des insurgés qui ne s'accrochaient pas au terrain. Partis pour une simple mission de reconnaissance, nos hommes sont tombés dans une embuscade tendue par une centaine de rebelles lourdement armés et aguerris. Au cours de cet accrochage violent qui a duré plusieurs heures et occasionné des pertes importantes également chez nos agresseurs, nos troupes ont fait preuve sous le feu d'une cohésion et d'une vaillance exemplaires, allant jusqu'à des actes héroïques.

Je ne reviens pas sur les déclarations antérieures du ministère de la défense en réponse aux légitimes questions, mais aussi aux rumeurs infondées de ces dernières semaines. Toutefois, face aux toutes dernières d'entre elles, relayées par un journal canadien et fondées sur un compte rendu à chaud qui ne recoupe pas les informations que nous avons recueillies, je veux confirmer que les forces engagées dans les combats du 18 août ont toujours été en mesure de riposter aux tirs de leurs adversaires. Plus de trois tonnes de munitions supplémentaires ont été acheminés durant les combats à cette fin. Par ailleurs, les moyens de communication n'ont pas manqué : une section d'infanterie est aujourd'hui équipée de vingt postes radio de différentes natures. L'un d'entre eux, destiné aux liaisons avec l'arrière au sein de la section tombée dans l'embuscade, est resté muet quelques minutes lorsque le soldat qui le portait a été mortellement touché. Enfin, un seul de nos soldats a été tué à l'arme blanche, aucun n'a été capturé.

La réalité est suffisamment cruelle pour ne pas y ajouter le mensonge et la désinformation. (Applaudissements à droite et sur la plupart des bancs au centre)

M. Charles Pasqua.  - Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Depuis 2001, nos alliés ont perdu près d'un millier d'hommes et vingt-quatre militaires français ont trouvé la mort.

Je sais votre assemblée solidaire de nos soldats et je salue, avec vous, leur professionnalisme et leur courage. Ceux qui sont tombés sous le feu ennemi étaient jeunes et, en découvrant leur visage, chacun en a eu le coeur serré. Mais ils étaient des soldats entraînés et motivés dont l'engagement était réfléchi et souvent passionné. J'affirme avec force que leur mission était et demeure juste. Nos soldats ne sont pas « tombés pour rien ». Nos troupes ne sont pas en Afghanistan pour annexer quelque territoire que ce soit. Elles n'y sont pas pour des intérêts économiques. Elles sont sur place pour assurer notre sécurité collective, afin que l'Afghanistan ne redevienne pas le sanctuaire du terrorisme international. (On approuve à droite) Elles sont là-bas pour reconstruire un pays ruiné et longtemps déchiré. Elles y sont, dans le cadre d'un mandat de l'ONU, aux côtés de trente-neuf nations, dont vingt-cinq membres de l'Union européenne. Elles y sont pour que le peuple afghan puisse vivre en paix, de façon souveraine et démocratique.

Ce 18 août, notre peuple s'est associé à la douleur des familles dont la dignité fait figure de leçon. Le Président de la République et le Gouvernement ont tiré les enseignements de cette embuscade meurtrière. Nous avons décidé de renforcer nos moyens militaires dans les domaines de l'aéromobilité, du renseignement et de l'appui. Concrètement, dans quelques semaines, des hélicoptères Caracal et Gazelles, des drones, des moyens d'écoute, des mortiers supplémentaires seront envoyés, avec les effectifs correspondant, soit une centaine d'hommes.

La situation en Afghanistan exige un discours de vérité. Pour parvenir à la sécurité et à la paix, il faudra faire preuve de ténacité, établir une confiance partagée, mais aussi prendre des risques. Nous ne sommes nullement en guerre avec le peuple afghan, mais nous sommes impliqués dans des opérations de guerre. Le redressement de l'Afghanistan est une oeuvre lente et difficile, mais nos efforts portent déjà leurs fruits.

Je ne doute pas de la légitimité de notre intervention, et je sais que la plupart d'entre vous sont du même avis. Ne pas agir, ce serait laisser le champ libre aux talibans et à Al-Qaïda, abandonner le peuple afghan aux mains de ses bourreaux, laisser nos partenaires combattre à notre place, renoncer aux valeurs universelles auxquelles nous croyons, porter un coup d'arrêt au développement d'une société qui n'est pas condamnée au malheur éternel. En 2001, seuls 800 000 garçons étalent scolarises ; il y a aujourd'hui 6 millions d'écoliers, dont 40 % de filles. (Marques d'incrédulité à gauche)

M. Jean-Louis Carrère.  - Ce n'est pas vrai.

M. François Fillon, Premier ministre.  - Le taux de mortalité infantile a baissé de plus de 25 % ; le nombre de centres médicaux a augmenté de 60 % ; plus de 20 % de la population a désormais accès à l'eau potable, contre 4 % en 1990. Près de 70 % des électeurs afghans ont voté lors des élections présidentielles de 2004 ; et le Parlement afghan compte près de 30 % de femmes.

Le Gouvernement est conscient des difficultés rencontrées par nos troupes. Les causes en sont multiples. Après que les forces alliées eurent chassé la dictature talibane, elles ont concentré leurs efforts sur Kaboul et ses environs. Les zones plus lointaines n'ont pas fait l'objet de la même attention ; seules les opérations coup de poing de l'opération « Liberté immuable » contre les talibans et les réseaux terroristes s'y déployaient. Ce n'est qu'à partir de 2006 que la Fias s'est engagée à sécuriser l'ensemble du territoire. Aujourd'hui nous concentrons nos efforts dans ces zones périphériques, ce qui multiplie les occasions d'affrontement. La présence dans le pays des djihadistes internationaux s'est accrue. L'approche strictement militaire, avec ses drames collatéraux, a trouvé ses limites ; chaque erreur peut faire basculer la population afghane dans la désolation, la défiance, voire l'hostilité. L'aide à la reconstruction n'est ni assez rapide, ni assez coordonnée. La corruption et le trafic de drogue continuent de gangrener la société afghane.

La France pressentait ces difficultés, mais elle ne s'y résout pas. Voilà pourquoi, sous l'impulsion du Président de la République, notre pays est à l'origine de la rénovation de la stratégie internationale entérinée lors du sommet de l'Otan qui s'est tenu à Bucarest en avril 2008. Cette stratégie rompt avec la vision quantitative et d'abord militaire qui prévalait jusqu'alors. La France s'est aussi beaucoup impliquée dans la conférence de Paris sur la reconstruction de l'Afghanistan, le 12 juin dernier.

Il faut sans cesse rappeler l'objectif central de notre intervention : il s'agit de donner au peuple afghan le pouvoir d'assurer par lui-même et pour lui-même sa sécurité, sa prospérité et sa souveraineté. Pour cela, nous devons d'abord gagner la confiance des Afghans. Des expériences locales nous encouragent dans cette voie. Ainsi la plaine de Shamali, que nos soldats parcourent depuis 2003 et qui compte 400 000 habitants, connaît-elle une véritable renaissance : les champs sont en culture, les écoles fonctionnent, les lignes électriques sont remises en marche, les échanges commerciaux reprennent. C'est le fruit d'une démarche déterminée, où l'équilibre est constamment recherché entre les actions offensives et les actions de reconstruction, entre le retour de la sécurité et l'amélioration des conditions de vie. Nous devons adopter une approche globale, comme le Président de la République l'a rappelé avec force lors du sommet de Bucarest et de la conférence de Paris.

Notre stratégie repose d'abord sur l'afghanisation. Plus tôt les Afghans seront en mesure de stabiliser leur pays et de prendre leur destin en main, plus tôt nous nous retirerons. L'armée afghane compte aujourd'hui 60 000 hommes ; plus de 300 de nos soldats participent à sa formation. L'objectif est de former et d'équiper une armée de 80 000 hommes avant 2010, et de 130 000 hommes à terme. Le transfert de la responsabilité de Kaboul aux autorités militaires afghanes est en cours depuis le 28 août dernier, celui de la région Centre est prévu pour avril 2009.

Notre stratégie repose aussi sur la reconstruction rapide de l'Afghanistan, A Paris, 20 milliards de dons ont été recueillis et une feuille de route pour les trois ans à venir a été fixée. Mais pour que cet argent soit utilement dépensé, la politique des autorités afghanes doit être rationalisée, hiérarchisée et évaluée. Les dépenses civiles doivent aussi être articulées avec des opérations de sécurisation. La coordination civile et militaire fut longtemps insuffisante ; nous avons demandé et obtenu qu'elle soit désormais placée sous l'égide de l'ONU, qui a dépêché sur place un nouveau représentant, le Norvégien Kai Eide. Le gouvernement du président Karzaï a élaboré une stratégie nationale de développement ; il lui faut intensifier ses efforts pour mettre en oeuvre des réformes, pour promouvoir les droits de l'homme et lutter contre la corruption et la drogue. Le 17 septembre, le directeur de l'Office des Nations unies contre le crime et la drogue, Antonio Maria Costa, a indiqué devant une commission de l'Assemblée nationale que la superficie cultivée et la production de drogue avaient diminué pour la première fois en 2008. C'est un combat très difficile, souvent mal vécu par les populations locales ; il exige de la fermeté, mais il suppose aussi le développement de cultures alternatives rentables pour les paysans.

Notre stratégie repose enfin sur la démocratisation de l'Afghanistan et la réconciliation des Afghans. La démocratie n'est pas le privilège des nations développées ; elle est aussi une arme contre ceux qui misent sur la servitude et le mutisme du peuple afghan. Près de 8 millions d'électeurs ont voté lors de l'élection présidentielle de 2004, 5 millions aux législatives de 2005. L'élection présidentielle et celle des conseils provinciaux se tiendront à l'automne 2009, les élections législatives et celles des conseils de district à l'été 2010. Ces élections seront décisives, et nous devons contribuer à leur succès. Il faut aussi oeuvrer en faveur d'une réconciliation nationale. Les autorités afghanes doivent engager un dialogue politique avec tous ceux qui sont susceptibles de respecter les institutions et de déposer les armes. De notre côté, nous devons réfléchir à la nature de l'insurrection à laquelle nous sommes confrontés. L'adversaire ne constitue pas un bloc unifié ; il faut s'efforcer de séparer les djihadistes internationalistes et ceux qui inscrivent plutôt leur action dans une logique nationale ou tribale. Sécurisation, afghanisation, reconstruction, démocratisation et réconciliation : c'est cette approche globale que nous défendons dans toutes les instances politiques et militaires, à l'ONU, au Conseil de l'Atlantique nord, et au sein de l'état-major de la Fias.

Cette approche demande une grande maîtrise dans les opérations militaires. Les armées de la coalition doivent veiller à faire un usage proportionné de la force. Nos soldats ne peuvent nouer une relation de confiance avec la population, si celle-ci continue à être meurtrie par des actions offensives insuffisamment ciblées. Une bombe ne doit pas créer plus d'ennemis qu'elle n'en supprime en frappant sans discernement. Nos soldats sont particulièrement sensibilisés à cet impératif, et nous exerçons un contrôle permanent et très strict sur les actions de notre contingent : nos pilotes ont pour instruction de ne tirer que sur des cibles identifiées à 100 %. Il importe que tous nos alliés fassent preuve de la même vigilance.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Jean-Luc Mélenchon.  - Ah !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Il faut également renforcer la complémentarité entre les forces de la Fias et celles de l'opération « Liberté immuable ». Le commandant actuel de la Fias vient de se voir confier également le commandement des troupes américaines de l'opération « Liberté immuable » : espérons que cela contribuera à cet objectif. (M. Jean-Luc Mélenchon se montre dubitatif)

Il faut enfin développer une vision géostratégique. Nous ne pourrons pas stabiliser la situation en Afghanistan sans nous soucier des pays voisins, et d'abord du Pakistan. Ce pays, frappé de plein fouet samedi dernier par le terrorisme, est tiraillé entre ses exigences internationales et ses tensions internes. Les talibans profitent de la porosité de la frontière entre les deux pays ; nous ne pouvons pas les laisser se réorganiser au Pakistan sans réagir. Mais il faut le faire en accord avec les Pakistanais. Nous allons développer notre relation politique et sécuritaire avec ce pays. Nous incitons le gouvernement pakistanais à mieux contrôler les zones tribales frontalières. Nous devons aussi favoriser le rapprochement entre Kaboul et Islamabad. L'évolution récente de ce pays offre une opportunité, que nous comptons bien saisir : le Président de la République s'entretiendra d'ailleurs demain avec le président Zardari.

Mesdames et messieurs les sénateurs, vous allez vous prononcer sur la poursuite de notre engagement militaire en Afghanistan. Certains doutent de son bien-fondé. Pour ceux-là, le sort de cette terre étrangère ne mérite pas nos efforts et encore moins nos souffrances. Ceux qui réclament que nous nous retirions d'Afghanistan sont souvent ceux-là mêmes qui, il y a dix ans, s'indignaient de la passivité de la communauté internationale face à la barbarie des talibans, face à la destruction des statues de Bamiyan et au sort effrayant réservé aux femmes ! (Murmures à gauche) Si l'on croit à des valeurs universelles, il faut prendre le risque de lutter pour elles ! (Applaudissements à droite, et sur la plupart des bancs au centre) Sur le terrain, nos soldats en font bien plus pour ces valeurs que tous les donneurs de leçons !

M. Jean-Luc Mélenchon.  - La charia !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Pour d'autres en revanche, la cause afghane est une priorité, une exigence morale et une opportunité. C'est une priorité, parce que la France ne peut tourner le dos à un conflit dont les enjeux nous concernent tous. Nous ne sommes pas à l'abri du terrorisme qui a frappé à New York, Djerba, Bali, Casablanca, Madrid, Londres, Amman, Alger et Islamabad. C'est une exigence morale, parce que nous ne pouvons nous replier sur nous-mêmes au moment où se décide le sort d'une nation qui nous fait confiance, et l'avenir d'une certaine conception de l'homme en laquelle nous croyons. C'est enfin une opportunité, parce qu'une victoire de la paix et de la démocratie en Afghanistan constituerait un coup porté à l'intégrisme, qui est un dévoiement de la religion musulmane et une détestable mise en scène du conflit des civilisations.

Cette victoire, je la crois possible. Le Gouvernement ne méconnaît ni les obstacles, ni les possibles tragédies qui parsèment le chemin de la paix. J'ai pris connaissance de la lettre que le parti socialiste a adressée au Président de la République ; je me réjouis que l'engagement de la France en Afghanistan n'y soit pas remis en cause. Je souhaite cependant vous répondre sur certains points. Vous parlez d'enlisement ; c'est un risque qui doit être constamment pris en compte.

Reste que les faits vous répondent : les talibans ont été chassés du pouvoir et l'obscurantisme avec eux (protestations à gauche) ; l'Afghanistan n'est plus une plate-forme du terrorisme; la démocratie a été instaurée ; (nouvelles protestations sur les mêmes bancs) les enfants vont à l'école, les femmes ne sont plus humiliées, les hôpitaux ont ouvert.

M. Jean-Louis Carrère.  - Propagande !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Vous suggérez la création d'un directoire de la coalition. C'est faire l'impasse sur les structures internationales compétentes et laisser entendre que, parmi les quarante nations engagées, il conviendrait de faire le tri. Vous en appelez à un dialogue politique entre les Afghans et à une clarification avec le Pakistan. Je vous ai répondu sur ce point et je ne vois là rien qui nous distingue.

Enfin, vous réclamez un calendrier sur notre présence en Afghanistan. Mais ce serait faire le jeu de nos adversaires : dès lors que vous fixez des dates à votre départ, vous leur ouvrez des perspectives. (Protestations à gauche)

M. Didier Boulaud.  - C'est Sarkozy lui-même qui l'a demandé pendant la campagne.

M. François Fillon, Premier ministre.   - Ce calendrier dépend des avancées de la stratégie globale que je viens de vous préciser. Il est dicté par la réussite de deux objectifs majeurs : permettre aux Afghans d'assurer leur propre sécurité et garantir la stabilité des institutions afghanes.

Le Gouvernement entend tenir le Parlement pleinement informé de l'évolution de la situation et des résultats de notre engagement. J'ai demandé au ministre des affaires étrangères et au ministre de la défense de rendre compte, de façon régulière, devant vos commissions compétentes, de la situation.

Votre vote d'aujourd'hui constituera une première dans nos institutions. Nul ne doit en relativiser la portée. Un vote positif serait un encouragement à poursuivre nos efforts. Un vote négatif aurait une conséquence directe : l'obligation faite au Gouvernement de retirer nos forces. Cela signifierait que tout ce que nous avons fait, tout ce pour quoi nos hommes se sont battus est vain.

C'est une haute responsabilité qui vous incombe : responsabilité au regard de notre politique étrangère et de défense, qui ne se prête pas aux jeux politiciens ; responsabilité vis-à-vis de nos alliés, de l'Europe, de l'ONU ; responsabilité à l'égard du peuple afghan qui a une affection particulière pour notre pays et sa culture ; responsabilité aussi vis-à-vis des talibans qui nous observent et savent jouer de nos hésitations ; responsabilité vis-à-vis de nos soldats, qui prendront connaissance de votre choix.

J'appelle votre Assemblée à voter en faveur de la prolongation de notre action en Afghanistan. Je le fais pour notre sécurité, pour nos valeurs. Je le fais en songeant à celles et ceux, qui, là-bas, agissent pour la paix. Je le fais pour la France, qui est une nation courageuse et généreuse. (Applaudissements soutenus à droite et au centre)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.  - (Applaudissements à droite) Le 18 août dernier, dix de nos soldats sont tombés en Afghanistan. Vingt-et-un ont été blessés. Ces hommes appartenaient à la quatrième compagnie du 8e RPIMa de Castres, au régiment de marche du Tchad de Noyon ainsi qu'au 2e régiment étranger de parachutistes de Calvi. Je voudrais, avant toute chose, rendre hommage au sacrifice de nos soldats. Ces hommes se sont battus avec courage et avec un très grand professionnalisme, ils sont tombés victimes d'une embuscade imprévisible dans le cadre de cette guerre asymétrique qui nous oppose, avec tous nos alliés, au terrorisme international.

L'émotion légitime et le mouvement de compassion qu'ont fait naître ces événements ont relancé le débat sur la justification de l'engagement de la France aux côtés de nos alliés, en particulier de 24 autres pays appartenant à l'Union européenne, en Afghanistan.

Certains se demandent si la France dispose d'une stratégie en Afghanistan. Pourtant, le 1er avril dernier, nos assemblées ont eu un débat extrêmement complet sur cette question après une déclaration du Gouvernement présentée par vous-même, monsieur le Premier ministre. La majorité, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, avait alors apporté son soutien au Gouvernement pour le renforcement de notre contingent au sein de la force internationale d'assistance et de sécurité, la Fias, dont je vous rappelle que l'existence repose sur un mandat précis du Conseil de sécurité des Nations unies, renforcé et complété par de nombreuses et régulières conférences internationales dont les plus importantes ont été la conférence de Bonn, celle de Londres et, plus récemment, concernant le financement de l'aide à la reconstruction de ce pays, celle de Paris.

La stratégie, non pas de la France seule, mais de quarante pays de la communauté internationale, a été parfaitement définie lors du dernier sommet de l'Otan à Bucarest au mois d'avril dernier. C'est en effet l'Otan qui, comme vous le savez, assume, depuis 2003, le commandement de la Fias. C'est cependant notre pays qui a été à l'origine, par l'intermédiaire d'une lettre adressée par le Président de la République à nos partenaires, de la définition des principes qui guident notre contribution, et celle des trente-neuf autres pays, à la reconstruction de l'Afghanistan : engagement ferme et commun s'inscrivant dans la durée ; soutien à une prise de responsabilités accrue par les Afghans, et au renforcement de leur leadership ; approche globale de la communauté internationale, conjuguant efforts civils et militaires ; coopération et engagement accrus avec les voisins de l'Afghanistan, en particulier le Pakistan.

Que faisons-nous en Afghanistan ? Là encore je voudrais vous citer la déclaration des chefs d'État et de gouvernement à Bucarest : « Notre vision du succès est claire : que l'extrémisme et le terrorisme ne constituent plus une menace pour la stabilité, que les forces de sécurité nationales afghanes aient la direction des opérations et soient autonomes, et que le gouvernement afghan puisse faire bénéficier tous ses citoyens, dans l'ensemble du pays, de la bonne gouvernance, de la reconstruction et du développement. Notre vision s'appuie sur un plan politico-militaire interne à moyen terme conforme au pacte pour l'Afghanistan et à la stratégie de développement national de l'Afghanistan ».

Telle est la vision stratégique de la Force internationale d'assistance à la sécurité, dont la dénomination est dépourvue de toute ambigüité. Elle est présente à la demande du peuple afghan et de son Gouvernement et au service de la paix et de la reconstruction de ce pays. Elle lutte contre le terrorisme international qui avait fait de ce pays, comme il a tenté de le faire également en Irak ou au Soudan, une base étatique de préparation des attentats qui ont frappé New York, Londres, Madrid, Casablanca et, plus récemment, le Maghreb. C'est en prenant part à cette lutte, d'un intérêt majeur pour la sécurité de notre pays et de nos concitoyens, que nos soldats ont fait le sacrifice de leur vie.

Cette lutte sans merci exige un engagement déterminé et de longue haleine. Elle demandera sans doute encore bien des sacrifices. Notre opinion publique doit s'y attendre et y être préparée par une campagne de communication d'ampleur pour faire apparaître les enjeux de notre engagement sur ce théâtre d'opérations.

Il est de notre responsabilité de manifester à nos forces sur le terrain tout l'intérêt que la Nation porte à leur action et la fierté qu'elle leur inspire. Le déplacement de deux des membres de notre commission auprès de notre détachement à Kaboul, au mois de mai dernier, témoigne de cette attention.

Tout en étant conscient du caractère inéluctable, et pour une part imprévisible, de ces accrochages il nous appartient également de vérifier que tous les moyens en équipements, en technologie et en renseignements sont déployés pour limiter au maximum les risques et les pertes. S'agissant de ces équipements, notre commission, et j'en suis sûr le Sénat tout entier, est particulièrement attentive à ce que le maximum soit fait pour assurer la capacité opérationnelle de nos unités et la protection de nos soldats. S'il me paraît évident que les militaires engagés à Uzbin, le 18 août dernier, étaient parfaitement entraînés et équipés, il est sans doute possible d'améliorer encore leur équipement. Le système « Félin » me paraît devoir être en priorité affecté aux opérations extérieures. Il en va de même pour tout ce qui concerne les véhicules blindés et à protection renforcée contre les mines, les engins balistiques improvisés et les projectiles balistiques du champ de bataille. Il en va très concrètement ainsi, et de manière urgente, des tourelles téléopérées qui doivent être adaptées aux véhicules de l'avant blindés.

En matière de renseignement, il convient de développer les capacités de renseignement stratégique dont nous disposons -satellites, avions ou drones- par des moyens mis à disposition au niveau de l'unité de combat et par l'accroissement du renseignement humain.

L'axe central de notre stratégie doit conduire, comme le souhaite le Président de la République, à l'afghanisation des opérations en cours. Nous ne méconnaissons nullement tant l'extraordinaire travail déjà effectué pour la formation et l'entraînement de l'armée nationale afghane à travers l'opération Epidote que les actions menées dans les OMLT (Operational Mentoring Liaison Teams). Le transfert de la responsabilité de la sécurité de Kaboul à l'armée nationale afghane témoigne de cette ligne directrice sans laquelle il ne saurait y avoir de solution au conflit afghan.

Comme l'a observé l'un des meilleurs connaisseurs de l'Afghanistan, Michael Barry, ce pays, en raison de sa situation géographique, de son histoire, de ses populations fractionnées en ethnies, en tribus rivales et en chefferies ennemies, ne peut ni se passer de l'aide extérieure, ni accepter la domination étrangère. Le défi auquel nous sommes confrontés est de faire émerger un État unitaire acceptable par la population et capable d'assurer la sécurité des Afghans et le développement de leur territoire. Chacun peut comprendre qu'il s'agit d'une oeuvre de longue haleine.

Notre action militaire immédiate soulève un certain nombre de questions. La première est celle de la concomitance de deux actions militaires : celle de la Fias, dont j'ai rappelé tout à l'heure les objectifs, et celle de l'opération des États-Unis, « Enduring freedom » qui, depuis 2001, s'inscrit dans le cadre d'une guerre contre le terrorisme international. Il me semble particulièrement important qu'une meilleure coordination soit établie entre les deux opérations et que leurs méthodes d'action sur le terrain et leurs objectifs finaux soient aussi harmonisés que possible.

A cet égard, les controverses sémantiques sur le point de savoir si nous sommes en guerre ou non me paraissent accessoires. Autant il est sûr que nous ne sommes pas juridiquement en guerre contre un État, autant il est évident que l'opération d'assistance à la sécurité à laquelle nous participons emploie les moyens de la guerre pour atteindre ses objectifs au service du peuple afghan et de son Gouvernement. Ce faisant, nous défendons très directement, dans ce pays lointain, la sécurité de nos concitoyens. Il n'échappe en effet à personne que les attentats perpétrés ou déjoués qui ont eu lieu en Europe, au Maghreb ou en Mauritanie, notre voisinage proche, ont été le fruit de l'action d'une internationale terroriste qui a clairement déclaré la guerre à nos sociétés démocratiques et à Ieurs valeurs. Elle s'appuie sur des moyens financiers d'envergure et recourt à des méthodes de propagande contre lesquelles il faut lutter plus efficacement.

La seconde limite tient à ce qu'on peut appeler la « caveatisation » de la guerre, qui mérite une réflexion approfondie avec nos alliés de manière à s'assurer que l'ensemble des forces qui composent la Fias puissent être utilisées dans Ies mêmes conditions au service de sa mission.

Il me paraît également particulièrement important d'affirmer, et de faire appliquer, dans le conflit afghan, le droit des conflits armés et notamment le principe de proportionnalité. Ce point particulièrement sensible doit déterminer la qualité et le niveau de notre engagement dans ce pays. L'action de la coalition en Afghanistan est clairement ordonnée autour de la reconstruction et la sécurisation de ce pays au profit d'un peuple qui a été suffisamment éprouvé durant les trente dernières années. Les dommages collatéraux imputés à l'ensemble des forces de la coalition, tandis que la distinction entre les deux opérations menées sur le terrain se fait moindre, doivent impérativement être limités. Là encore, l'afghanisation de la guerre, c'est-à-dire la montée en première ligne de l'ANA, doit permettre d'identifier les actions de pacification du territoire comme des actions de politique intérieure dont l'aboutissement est souhaité par une très grande majorité de la population qui aspire à la paix, à la sécurité et au mieux-être. La paix ne se gagnera pas dans les armes mais dans les coeurs.

L'intervention militaire ne se suffit pas à elle-même. Elle est indispensable à la sécurisation mais c'est par la reconstruction et le développement que la paix sera acquise. Notre diplomatie a joué un rôle très positif, que je veux saluer, lors la conférence de Paris, pour l'obtention des moyens financiers nécessaires à ces actions. Il s'agit là d'un enjeu fondamental. L'action de la communauté internationale, pourtant considérable, n'a trouvé qu'une traduction très insuffisante au niveau de la population. En matière d'infrastructures, d'accès à l'eau, d'irrigation, de cultures alternatives à la production de pavot, d'électrification, les progrès accomplis ont été notoirement insuffisants pour des raisons que chacun connaît et, en particulier, par l'existence d'une corruption endémique.

La population afghane, dont les conditions de vie ne s'améliorent pas au rythme qu'elle souhaiterait, risque de se retourner progressivement contre l'intervention extérieure au risque de la percevoir comme une force d'occupation. Le terrorisme taliban, dans ses composantes intérieure et internationaliste, joue sur ce thème. Pour autant, il serait injuste de passer sous silence les remarquables résultats obtenus dans le domaine de la santé, de l'éducation et des infrastructures depuis sept ans qui ont permis d'arracher la population, et singulièrement les femmes, à l'obscurantisme et à l'arriération imposés par les talibans.

Nous devons également faire porter notre effort -comme cela a été décidé au sommet de Bucarest- vers les pays limitrophes de l'Afghanistan. Le Pakistan en premier lieu, avec ses zones tribales pachtounes de part et d'autre de la ligne Durand, constitue un foyer majeur d'insécurité. L'action internationale doit porter en priorité sur la stabilisation et le renforcement de cet État pour qu'il impose son autorité sur ces zones. Compte tenu de la crainte obsidionale de ce pays, les puissances occidentales doivent oeuvrer au rapprochement de ces deux puissances nucléaires que sont l'Inde et le Pakistan. La résolution du conflit du Cachemire pourrait convaincre le Pakistan de porter ses efforts sur sa sécurité intérieure et, grâce à une coopération étroite avec les autorités afghanes, à lutter avec efficacité contre l'insurrection des talibans. De ce point de vue, les contacts récents entre les deux présidents Karzaï et Zardari sont très positifs.

Le Pakistan peut également lutter, avec la communauté internationale, contre le développement de la culture du pavot et le trafic de drogue qui concernent également l'Iran et les États d'Asie centrale voisins de l'Afghanistan. Notre effort devrait porter, d'une part, sur la répression de la demande qui concerne directement nos sociétés occidentales et, d'autre part, sur le contrôle de tous les marchés et l'élimination des laboratoires de transformation du pavot en héroïne.

Faute de progrès dans ces deux domaines, le conflit afghan risque de s'éterniser et l'opinion publique de dénier son soutien à une action qui lui paraîtrait sans issue. Il faut toutefois souligner qu'elle prendra du temps et que le débat d'aujourd'hui ne sera sans doute pas le dernier.

Nos collègues Robert del Picchia et Jean-Louis Carrère, à la suite de leur déplacement en Afghanistan auprès de nos forces armées, du 26 avril au 2 mai dernier, concluaient ainsi leur rapport : « Les causes géopolitiques et stratégiques qui ont conduit à l'engagement international en Afghanistan demeurent. Dans ce contexte, l'échec n'est pas une option. »

Certains -ils sont très rares-, au lendemain des événements tragiques du 18 août, ont réclamé le retrait immédiat des troupes françaises d'Afghanistan. Une telle décision eût été outrageante pour la mémoire de nos soldats et contraire à nos engagements envers nos alliés et le peuple afghan. Souvenons-nous des propos de Winston Churchill au lendemain de Munich : « Vous avez voulu acheter la paix au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre. ». Nos soldats ne sont pas tombés en vain. Ils sont morts pour la défense de nos idéaux de justice, de liberté et de démocratie. Tel est le sens du combat que mènent nos troupes et celles de nos alliés. Telle est la raison pour laquelle nous soutenons votre politique. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Joseph Kergueris.  - (Applaudissements au centre et sur quelques bancs à droite) Ce débat et ce vote sur l'utilisation de nos forces armées en Afghanistan justifient à eux seuls, s'il en était besoin, la révision constitutionnelle à laquelle notre assemblée et notre groupe ont pris une large part. La décision que nous prendrons ce soir est un acte grave qui va nous engager ; c'est une responsabilité majeure de notre vie de parlementaire. Aussi, je voudrais rappeler les buts poursuivis par la coalition internationale en Afghanistan, le rôle qu'y joue la France, et tirer les leçons du passé.

Dans le plein respect du droit international, la résolution 1386 du 20 décembre 2001 a créé la Force internationale d'assistance et de sécurité (Fias) qui intervient militairement avec un mandat d'un an, renouvelé périodiquement par le Conseil de sécurité. Ce mandat comporte quatre missions : aider le gouvernement afghan à étendre son autorité à l'ensemble du pays, assurer stabilité et sécurité dans ce pays en coordination avec les forces afghanes, encadrer et soutenir l'armée afghane, soutenir les programmes du gouvernement visant à désarmer les groupes illégaux. La Fias, coalition de pays volontaires déployée sous l'autorité du Conseil de sécurité des Nations unies, est placée, depuis août 2003, sous le commandement de l'Otan. Aujourd'hui, 38 pays participent à cette force dont douze n'appartiennent pas à l'Otan et tous les pays de l'Union européenne y sont représentés, à l'exception de Chypre et de Malte. La Force internationale compte 51 000 hommes répartis dans cinq régions au service d'un triple objectif : reconstruire l'Afghanistan, consolider son État de droit et lutter contre le terrorisme international qui menace l'ensemble des démocraties.

La présence de la France dans ce pays résulte de la décision conjointe du Président Chirac et de son Premier ministre de l'époque, Lionel Jospin. Ce fut d'abord un appui aérien conséquent : nos appareils stationnés sur des aéroports d'Asie centrale ont effectué de nombreuses sorties, les plus importantes après celles des États-Unis. Ce fut ensuite un soutien de notre groupe aéronaval avec un porte-avions. Ce fut enfin l'intervention décisive de nos forces spéciales qui ont mené des actions de renseignement et de soutien aux interventions aériennes et de contre-guérilla. Ce concours s'est révélé précieux.

Dans ce théâtre d'opérations difficile et dangereux, des pays exposaient particulièrement leurs troupes dans les engagements au sol : les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie, les Pays-Bas et le Canada. C'est pour remplir nos obligations de membre permanent du Conseil de sécurité que le Président de la République a décidé de renforcer et de redéployer nos effectifs, conformément à un engagement commun à toute la Force internationale pris au sommet de Bucarest en avril dernier. Les puissances internationales s'y sont engagées à s'appuyer mutuellement pour partage le fardeau, à mettre à disposition des commandants militaires les moyens adéquats, à rechercher la souplesse d'utilisation maximale des forces et à éviter les victimes civiles. Aujourd'hui, nous avons en Afghanistan, en application de cet engagement, 2 550 soldats, 450 aviateurs et 300 marins.

Ce pays a toujours été l'objet d'une rivalité entre Orient et Occident, Russie et Grande-Bretagne, Union Soviétique et États Unis. Dans cet Orient compliqué, dans ce Moyen-Orient dangereux, chacun attend la décision du Parlement français. Donner le sentiment d'hésiter, de reculer, de ne pas être unis serait une faute alors que ceux qui ont la charge de notre défense attendent notre soutien. La coalition internationale a besoin de notre présence militaire. Aux côtés des 51 000 hommes de la Fias, nos amis américains ont un contingent propre de 30 000 hommes et comptent sur notre concours. L'Union européenne, presque unanime, est présente en Afghanistan. Malgré leur statut particulier de neutralité, la Suède, la Finlande et l'Autriche ont donné une réponse favorable. Enfin, nous ne pouvons baisser la garde devant un terrorisme international qui menace, sans cesse et en tout lieu, chacun d'entre nous. Le retour en Afghanistan de nos forces spéciales me parait indispensable afin de renforcer notre dispositif, et des moyens matériels supplémentaires doivent être octroyés à nos troupes afin d'améliorer leur sécurité

Je partage la préoccupation de notre collègue Pozzo di Borgo sur la participation de nos officiers aux opérations militaires comme celle du 18 août dernier et sur les stratégies d'éradication de la drogue. Il va nous falloir réfléchir à la durée de notre engagement en Afghanistan, aux moyens mis en oeuvre en appui de notre politique, tant sur le plan militaire que diplomatique, au sein de la coalition ou de l'Union européenne.

Nos neuf parachutistes d'Infanterie de marine et notre cavalier du régiment de marche du Tchad sont morts dans un conflit dont l'objet ne se limite pas aux seules frontières de l'Afghanistan et qui peut à tout moment atteindre les nôtres. Souvenons-nous de leur sacrifice. Le Gouvernement mène un combat courageux et juste contre les talibans. C'est en vous rappelant cette phrase de Thomas d'Aquin, « Sont dignes de louanges ceux qui ont délivré le peuple d'un pouvoir tyrannique », que je vous indique que le groupe de l'Union centriste autorisera le maintien de nos forces armées en Afghanistan. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Philippe Adnot.  - Le 1er avril 2008, nous avons débattu sans vote de la situation en Afghanistan. Je partageais alors les arguments de M. de Montesquiou et j'avais fait état de mes préoccupations : comment sont choisies nos indignations, déterminés nos lieux d'intervention ? Irak ? Tchétchénie ? Darfour ? Comment apprécions-nous l'efficacité de nos opérations ? Vaut-il mieux plus de soldats ou plus de moyens économiques ? La guerre est-elle susceptible d'être gagnée ? Nous savons bien que non : il n'y aura pas d'issue à cet engagement, solidaire mais sans avenir. Seule l'action politique auprès du Pakistan et des pays périphériques peut amener une certaine stabilité. J'ai entendu les explications de M. le Premier Ministre et j'apprécie les inflexions nouvelles qu'il a apportées. Mais seul l'engagement des Afghans sera porteur d'avenir. Nous sommes de plus en plus considérés comme une armée d'occupation.

Comme quatre sénateurs non inscrits, je vais, par mon vote, réaffirmer ma solidarité et ma confiance. Nous l'avons fait déjà au mois d'avril. Mais si aucun calendrier de retrait n'est établi et si les missions ne sont pas réorientées vers le soutien, l'appui, la formation et le renseignement, ce sera la dernière fois.

Nos soldats ont payé de leur vie cette présence ; notre devoir n'est pas de critiquer après coup ceux qui sont sur le terrain mais de savoir prendre à temps les décisions nécessaires pour sortir de ce processus avec le sentiment d'être utiles à la paix dans le monde. (Applaudissements sur quelques bancs)

M. Jean Louis Masson.  - La décision la plus importante de la présidence de M. Chirac a été le refus de s'associer aux Américains dans leur intervention armée en Irak. Si nous les avions suivis, nous aurions été complices d'Abou Grahib, complices des opérations qui ont causé la mort de 500 000 Irakiens, complices d'une guerre d'agression bâtie sur le mensonge (M. Mélenchon applaudit) car il n'y a jamais eu d'armes de destruction massive sur le sol irakien comme le prétendait George Bush. (Applaudissements sur plusieurs bancs socialistes) Aujourd'hui en Afghanistan, il en va de même : les talibans, nous affirme-t-on, viennent d'ailleurs. Comment croire que quelques milliers de soldats ne viendraient pas à bout de quelques centaines de talibans si ceux-ci n'étaient pas soutenus par la population afghane ? Je suis certain que nos soldats, le 18 août, ont été pistés dés le début, dés qu'ils ont quitté leur base ; et ce, par des Afghans, non des talibans !

Dans les années quarante, en France, le gouvernement de Vichy parlait aussi des « terroristes » à propos des résistants... (Protestations sur les bancs UMP) Et je crois que le gouvernement Karzaï est l'équivalent du gouvernement de Vichy. (Même mouvement) Peu à peu, la population se dresse contre les troupes d'invasion et notre coalition connaîtra le même sort que les Russes, elle sera obligée de partir ! Après combien de morts ?

Je ne serai pas complice des bombardements aveugles des Américains en Afghanistan, qui détruisent sans discernement, comme en France pendant la dernière guerre. Quand un taliban, un seul, est soupçonné d'avoir trouvé refuge dans un village, on rase ce village, comme ce fut le cas à Oradour-sur-Glane. (Exclamations à droite) Je ne serai pas complice de ces actes.

M. Philippe Marini.  - Quelle modération !

M. Didier Boulaud.  - Je veux d'abord rendre hommage à la mémoire de nos soldats morts en Afghanistan, les dix du mois dernier, les quatorze d'avant ; et tous les autres, de toutes nationalités. En demandant la vérité sur les causes de leur sacrifice ultime, en faisant en sorte que la nation soit correctement informée des risques et des périls de la mission assignée par l'autorité politique, c'est cet hommage que nous leur rendons. Nous nous inclinons devant leur mémoire.

La stratégie suivie et la nature des missions devraient être au coeur de notre débat : les Français doivent savoir pourquoi ils payent le prix du sang ! A la lettre des présidents de groupes parlementaires socialistes au Président de la République, la réponse a été : votre diagnostic est le bon, vos recommandations sont justes, mais je vais poursuivre ma politique. Selon cette missive, dont je dois rappeler la substance, la France doit lancer le débat avec ses alliés sur une meilleure répartition des responsabilités au sein de la coalition, sur l'analyse des réussites et des échecs, sur le dialogue politique entre Afghans afin d'élargir la coalition autour du président Karzaï, sur un partenariat le plus large face au terrorisme, sur le Pakistan, impliqué dans la situation interne de son voisin. Il faut un calendrier prenant en compte les nouveaux objectifs de la coalition... que nous ne vous demandons pas de publier à la Une du Figaro !

Nous sommes pour un véritable changement de stratégie. Il est bien sûr impossible de quitter dans la précipitation l'Afghanistan, en l'abandonnant à la guerre et au chaos. Mais nous sommes contre une prolongation de l'intervention sans changement de stratégie. Parce que nous soutenons l'action de nos soldats -encadrée par un mandat de l'ONU- et parce que nous sommes soucieux de leur sécurité, bref, parce que nous sommes responsables, nous disons non à la politique du Président Sarkozy en Afghanistan. Du reste, nous avons refusé cette nouvelle escalade dès avril 2008. Il s'agissait alors d'accroître la présence française pour satisfaire les exigences des États-Unis.

Nous, nous n'avons pas changé... Quant à M. Sarkozy, il indiquait à Arlette Chabot, entre les deux tours de l'élection présidentielle en 2007 : « La présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive. II y a eu un moment donné pour aider le gouvernement de M. Karzaï (...) et d'ailleurs le Président de la République a pris la décision de rapatrier nos forces spéciales (...). C'est une politique que je poursuivrai. » Il ajoutait : « Aucune armée étrangère n'a jamais réussi dans un pays qui n'était pas le sien. » Mais, en avril 2008, plus question de poursuivre la politique de retrait : le Président annonce depuis Londres et confirme depuis le sommet de l'Otan l'envoi des renforts en Afghanistan. Quelle rupture ! Quel alignement !

Nous ne sommes pas pour un retrait immédiat qui condamnerait au chaos et à la désolation ces terres si éprouvées. Nous ne pouvons laisser les talibans redevenir les maîtres de la situation. Mais il est suicidaire de continuer sans rien changer. On voudrait maintenant nous enfermer dans un processus binaire. Vous votez oui et vous êtes bon pour le service ; non et vous êtes insensible au sacrifice des soldats. Misérable manipulation qui vise à masquer l'erreur originelle : le Président avait décidé le renforcement avant même de demander une redéfinition de la stratégie. L'alignement l'a emporté dès avril sur l'autonomie de décision. Nous n'acceptons pas cela. Pourquoi ne pas avoir attendu que les commissions et missions parlementaires apportent leur éclairage ? Pourquoi tant de précipitation ? Continuons ainsi et nous aboutirons à un piteux résultat : laisser le champ libre aux talibans ! Les Canadiens ont annoncé leur départ au plus tard en 2011. Les Britanniques seraient ravis de trouver auprès de nous la force et le soutien nécessaires pour infléchir la politique des États-Unis. Et nous allons voter l'enlisement les yeux fermés ?

Ce conflit a connu trois périodes. Sous la cohabitation Chirac-Jospin, après les attentats du 11 septembre, la « légitime défense » était reconnue aux États-Unis par les Nations unies. La France intervenait avec une mission claire, démanteler les bases d'Al-Qaïda, renverser le régime des talibans et instaurer un nouveau gouvernement représentatif à Kaboul. La deuxième période débute en 2003 avec l'intervention des Américains en Irak. La Fias est placée sous commandement Otan ; les États-Unis continuent malgré tout à mener seuls leurs propres opérations sur le terrain. La confusion s'installe, elle persiste aujourd'hui. Les engagements d'aide civile et de reconstruction ne sont pas tenus. Les talibans se renforcent. La mission des forces de la coalition se dilue. En 2005-2006, le gouvernement français accepte d'envoyer des troupes spéciales... et, fin 2007, entreprend de les retirer. Troisième période, la présidence Sarkozy : le sens originel des missions de la coalition s'est perdu. L'échec de l'interventionnisme militaire américain et de la « guerre au terrorisme » de George Bush est patent. De la légitime défense, on est passé à une guerre de pacification menacée d'enlisement. C'est pourquoi nous avions, dès avril 2008, exigé un changement de stratégie. Durant le seul mois d'août, quatre humanitaires assassinés, dix soldats français tués dans une embuscade, une frappe américaine qui a coûté la vie à quatre-vingt dix civils afghans...

Un journal, dont le propriétaire s'y connaît en matière d'armement, notait : « En Afghanistan, nos troupes manquent d'hélicoptères, de mortiers lourds et de canons, de blindés, d'équipements de protection et de brouillage, de drones, de munitions »... Est-il concevable d'envoyer nos troupes dans ces conditions ? Voilà le bilan. Il faudra trouver les responsables d'un tel échec. Quand, comment et pourquoi les missions de 2001 ont-elles dérivé ? Un désastre militaire et diplomatique se profile. Le piège tendu par le terrorisme se referme sur nous. Va-t-on décider dans l'émotion ? Hélas, les chefs militaires le disent, il y aura encore des victimes. C'est une guerre !

La confusion entre la Fias et la mission américaine nuit à la cohérence et l'efficacité. Il faut modifier l'organisation du commandement. Travaillez-vous en ce sens ? L'augmentation sans limites des forces militaires est-elle la solution ? Peut-on diviser les talibans, les affaiblir politiquement, les isoler de la population afghane afin de refonder une alliance nationale modérée autour du président Karzaï ? Peut-on faire avancer le développement économique et social alors que la culture du pavot est endémique et que la corruption gangrène l'administration de ce pays ? Les bombardements aveugles, provoquant de nombreuses victimes civiles, vont-ils continuer ? Avez-vous demandé aux Américains de cesser ces pratiques inacceptables ? Depuis juillet 2008, George Bush autorise ses forces spéciales à frapper les sanctuaires talibans au Pakistan. Décision lourde de conséquences pour toutes les forces armées présentes en Afghanistan et aussi pour l'exportation tous azimuts du terrorisme.

Est-ce la bonne méthode que d'ouvrir un nouveau front, au Pakistan cette fois-ci ? Est-ce qu'avant de prendre cette décision le président américain s'est concerté avec ses alliés ? Est-ce que la France a été consultée sur ce tournant militaire stratégique ? A-t-elle donné son accord ? Il est certain qu'un des éléments clés vient de ce que les talibans disposent d'une zone sanctuaire au Pakistan, grâce à des affinités tribales, géographiques et religieuses. Faut-il jeter dans la marmite d'une nouvelle guerre civile ce pays fragilisé qui détient l'arme nucléaire ? On a vu ce qui s'est passé samedi dernier à l'hôtel Marriott d'Islamabad.

La représentation nationale avait droit à des réponses à toutes ces questions avant de se prononcer aujourd'hui. Mais l'urgence politique vous commande, et vous mettez à profit l'émotion pour faire taire la raison.

Il ne faut pas prolonger cette guerre. Pour sortir de la spirale de l'échec, il faut changer de stratégie afin d'éviter que la population afghane n'identifie les forces de la coalition à des forces d'occupation. La lutte contre le terrorisme ne peut jamais être réduite à ses aspects militaires. Nous voudrions être unis et montrer cette unité au monde mais il ne faut pas pour autant vouloir nous faire avaliser n'importe quelle stratégie, n'importe quelle politique ! Ce serait d'ailleurs très mal venu de la part d'un président qui s'applique avec une rare constance à casser le consensus relatif, mais réel, existant depuis des décennies dans notre pays en matière de politique étrangère et de défense. Nous condamnons le cantonnement à l'Élysée de la conduite de cette guerre.

Les Européens doivent élaborer et imposer une nouvelle orientation de cette guerre avant de continuer à envoyer des troupes supplémentaires. Le changement de stratégie est la priorité, les États-Unis doivent le comprendre. Puisse leur prochain gouvernement infléchir cette politique désastreuse qui aggrave la situation et sert de bouillon de culture au terrorisme. Le concept de guerre au terrorisme est une absurdité politique. L'objectif doit rester la lutte contre Al-Qaïda, contre le terrorisme.

Nous n'approuverons pas en septembre les décisions que nous avons désapprouvées en avril. Nous n'allons pas vous donner un chèque en blanc. Nous vous conjurons de redéfinir les missions et les moyens militaires ; de veiller à épargner les populations civiles ; de rééquilibrer aides civile et militaire afin d'aider autrement les autorités afghanes ; de mener une lutte efficace contre la drogue, qui ne semble pas préoccuper certains membres de la coalition malgré les ravages que l'héroïne cause chez eux ; de mettre le Pakistan et les autres acteurs régionaux devant leurs responsabilités ; enfin et surtout, de replacer l'ONU au centre de la future solution politique, seule issue d'une guerre qui risque d'entraîner la planète vers ce que chacun redoute dorénavant : un troisième conflit mondial. (Applaudissements à gauche)

Mme Dominique Voynet.  - Il y a plus d'un siècle, un président des États-Unis refusa de déclarer la guerre, préférant être jugé trop prudent qu'aventurier. Ses successeurs ne voient pas tous les choses ainsi... Si nous débattons aujourd'hui d'une situation qui tourne au bourbier, nous le devons aux multiples erreurs stratégiques et militaires de l'administration américaine.

L'intervention autorisée le 20 décembre 2001, sous mandat de l'ONU, était légitime. Il s'agissait, après la chute d'un régime obscurantiste et criminel, complice revendiqué des terroristes d'Al-Qaïda, de maintenir la sécurité à Kaboul, pour permettre aux autorités afghanes et au personnel des Nations unies de travailler. Ce mandat clair a été étendu en 2003 à l'ensemble du pays. Nous avions raison de vouloir empêcher de nuire les terroristes du 11 septembre, qui visaient, outre les États-Unis, toutes les sociétés démocratiques. Il n'était pas question de se résoudre à la division du travail dénoncée par Joschka Fischer, selon laquelle les Américains combattent et les Européens reconstruisent. Nous ne pouvions être les passagers clandestins d'une action internationale qui nous concernait.

Aujourd'hui, ce n'est pas le mandat qui est en cause, mais la façon dont il a été conduit. En confiant le commandement pérenne de la Fias à l'Otan, on a miné la crédibilité de la force internationale : il n'est plus possible à la population afghane de distinguer l'action de la Fias de celle de « Liberté immuable ». Si justes qu'aient été les intentions initiales, les résultats sont loin d'être à la hauteur des objectifs.

Le régime taliban est tombé mais l'Afghanistan est-il plus stable et plus sûr ? Est-il débarrassé de la violence, de la corruption, de la drogue ? La population approuve-t-elle le maintien des armées étrangères ? Celles-ci sont passées en sept ans de 20 000 à 70 000 soldats sans que l'on comprenne où pourrait mener une telle fuite en avant. Les talibans, hier rejetés par la population, se sont relevés de leur débâcle. Ils étaient perçus comme des extrémistes incompétents, ils pourraient demain être perçus comme des libérateurs. Ne prenons pas ce risque ! Ceux qui furent perçus comme les libérateurs de Kaboul ne doivent pas devenir l'armée d'occupation d'un pays qui les rejette malgré les efforts fournis en matière d'eau potable, de santé, d'éducation. Va-t-on rester pour l'éternité, « rester pour rester » comme di Barak Obama, et se résigner à l'enlisement et à l'extension du conflit ? Des voix s'élèvent pour réclamer l'extension du conflit au Pakistan, un pays nucléaire !

Vous avez raison, monsieur le Premier ministre, de dire qu'il serait irresponsable d'abandonner le peuple afghan à son sort, au risque de faciliter le retour des talibans et la reconstitution d'un État terroriste, mais il ne serait pas moins irresponsable de ne rien changer à la stratégie actuelle et de continuer à suivre les cycles chaotiques du président Bush, qui radicalisent l'opinion afghane. On multiplie ainsi les pertes humaines et l'on adapte sa stratégie à l'émotion que suscitent ces pertes ! On en vient, comme du temps de la guerre d'Algérie, aux injonctions à un patriotisme obligatoire.

La France doit retirer ceux de ses soldats qui sont engagés hors du mandat de l'ONU, et engager avec nos partenaires européens un dialogue qui permette de peser sur les États-Unis pour les faire changer de stratégie. La France saura-t-elle convaincre ?

Nous ne pouvons vous accorder le blanc-seing exigé : nous n'ajouterons pas nos votes à ceux de votre majorité. (Applaudissements à gauche)

M. Jean François-Poncet.  - Le 11 septembre 2001, une vingtaine de terroristes prenaient d'assaut quatre avions de ligne aux États-Unis. Les deux premiers appareils furent précipités contre le World Trade Center, dont les deux tours s'effondrèrent, faisant près de 3 000 victimes. Le troisième appareil s'écrasa sur le Pentagone. Dans le quatrième, destiné à la Maison Blanche, les passagers, alertés par leurs portables, maîtrisèrent les terroristes et, dans la bagarre qui s'ensuivit, l'avion explosa au sol dans un champ de Pennsylvanie. Grâce au courage de ces passagers, la Maison Blanche fut épargnée et le président des États-Unis sauvé. L'attaque, d'une audace inouïe, avait été ourdie, préparée et financée par Ben Laden et l'état-major d'Al-Qaïda installés en Afghanistan, sous la protection des talibans.

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Qu'en savez-vous ?

M. Jean François-Poncet.  - Il est vrai que certains prétendent que ce sont les Américains eux-mêmes...

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Cette réponse est déloyale ! Reste ma question : d'où savez-vous que les talibans seraient responsables de cet attentat ?

M. Didier Boulaud.  - C'est l'ami de Sarkozy, Jean-Marie Bigard, qui dit ça.

M. Jean François-Poncet.  - Ces évènements sont dans toutes les mémoires. Si j'en ai rappelé les dramatiques péripéties, c'est pour situer l'embuscade dont dix soldats français ont été les victimes héroïques dans son véritable contexte, celui du combat de l'Occident et de ses alliés contre le terrorisme international, qui n'a pas cessé, depuis septembre 2001, de s'étendre, organisant des attentats meurtriers au Maroc, en Algérie, en Angleterre, en Espagne, ainsi qu'en Asie du Sud.

Je tiens à m'incliner au nom de l'UMP devant le sacrifice de nos dix soldats, piégés à 50 kilomètres à l'est de Kaboul, et à saluer leur admirable courage. Ils se sont battus toute la nuit sous un feu meurtrier, obligeant au petit matin leurs adversaires à se retirer. Je ne m'arrête pas sur la polémique malveillante concernant le déroulement des combats. Certains tentent de mettre en cause l'armement de nos soldats et l'aide qu'ils auraient dû recevoir. Un journal canadien a repris ces rumeurs et fait état d'un rapport secret de l'Otan. Ces accusations ont été catégoriquement démenties, y compris par les soldats engagés dans ces combats.

Sans doute y aura-t-il des enseignements à tirer du déroulement de l'embuscade. Nous faisons totale confiance au commandement des forces françaises.

L'enjeu en Afghanistan est triple : la sécurité de notre pays face au terrorisme, la stabilité de l'Asie méridionale et centrale, l'avenir de la démocratie afghane.

Pouvons-nous laisser l'Afghanistan redevenir le sanctuaire principal du djihad international ? Pouvons-nous le laisser redevenir le havre où Ben Laden, le mollah Omar et leur état-major réinstalleront en toute sécurité leurs camps d'entraînement et, un jour, peut-être, des sites de fabrication d'armes de destruction massive ? Irons-nous les traquer s'ils disposent en Afghanistan d'une base arrière où ils peuvent en toute impunité se préparer à nous frapper ? L'intérêt national est en cause ; l'opinion publique a du mal à le comprendre et il est de notre responsabilité de l'éclairer.

Pouvons-nous laisser l'Afghanistan mettre en péril la stabilité du Pakistan et des républiques d'Asie centrale ? La talibanisation rampante de ce grand pays deviendrait irrésistible. Une sorte de djihadisation pakistanaise donnerait aux talibans une profondeur stratégique -le Pakistan possède un arsenal nucléaire... L'attentat contre un grand hôtel d'Islamabad montre la terrifiante réalité de ce danger.

Est-il imaginable de laisser l'Afghanistan à une dictature aussi obscurantiste, qui a pratiqué les exécutions collectives dans les stades et fait des femmes des citoyennes de seconde zone ? Est-il pensable que la France, pays des droits de l'homme, tourne ainsi le dos à la mission qui est la sienne depuis la Révolution ?

Poser ces questions, c'est y répondre : l'enjeu est évident et historique. Le groupe UMP votera donc l'autorisation de prolonger l'intervention des troupes françaises en Afghanistan. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Quelle stratégie face à la montée en puissance des talibans ? D'une audace croissante, leurs attentats ont augmenté de 30 % en un an : attentat contre le président Karzaï, contre l'ambassade d'Inde, contre la prison de Kandahar. Il est parfaitement légitime de s'interroger sur la stratégie, mais il ne faut pas la caricaturer afin de la critiquer voire pour affirmer qu'elle n'existe pas. Si la situation s'est dégradée, c'est d'abord parce qu'après avoir chassé les talibans du pouvoir en quelques semaines, les Américains ont transféré en Irak l'essentiel de leurs moyens. Après ce demi-abandon, la stratégie n'a jamais été celle du tout militaire contrairement à ce que déclarent certains, elle a toujours comporté plusieurs volets.

Le volet militaire, d'abord, avec 50 000 hommes des forces de soutien à la sécurité, sous commandement de l'Otan et les 20 000 soldats des forces spéciales américaines. Suffiront-ils à pacifier le pays ?

M. Jean François-Poncet.  - Le secrétaire général de l'Otan ne le pense pas, le président des États-Unis non plus, qui est prêt à envoyer trois brigades supplémentaires.

M. Hervé Morin, ministre de la défense.  - Et Obama 10 000 hommes !

M. Jean François-Poncet.  - Les candidats ont également annoncé qu'ils demanderaient aux Européens d'accentuer leur effort. Le Président de la république a déjà décidé d'envoyer un renfort de 700 hommes, portant leur effectif total à 3 000, ce qui témoigne de notre solidarité avec nos alliés.

L'efficacité militaire ne dépend pas seulement des moyens engagés mais aussi des conditions de leur engagement. Il n'est plus acceptable que certains posent des restrictions...

M. Hervé Morin, ministre.  - Absolument.

M. Jean François-Poncet.  - ...des caveat. Il est essentiel que les forces de l'Otan forment un ensemble homogène et que la coordination avec les forces américaines soient améliorée.

Personne ne pense que les armes décideront seules de l'issue du conflit. Depuis le premier jour, la stratégie comporte aussi un important volet économique. Une guerre insurrectionnelle ne se gagne qu'avec le peuple. La misère s'est répandue pendant trente années de guerre. Les ONG accomplissent un travail admirable mais les gouvernements ont mis en place des équipes régionales de reconstruction. Cet effort, qui reste à développer, a déjà obtenu des résultats importants, même s'il reste d'énormes progrès à réaliser dans la lutte contre la corruption, endémique à tous les niveaux. Mais la reconstruction économique suppose la pacification.

Reste le volet politique. Les talibans ne forment pas un bloc homogène. Les extrémistes, endoctrinés au Pakistan, sont encadrés par Al-Qaïda, mais parmi les Pachtouns, certains combattent les étrangers par simple nationalisme. C'est avec eux que le dialogue doit être noué. Il appartient à l'Occident de l'encourager mais il revient au président Karzaï, lui-même Pachtoun, de les convaincre.

Notre propre objectif doit être clairement défini. Il ne s'agit pas remporter la victoire comme dans une guerre conventionnelle mais de former et d'équiper les forces afghanes, de les préparer à assurer elles-mêmes la responsabilité de pacifier le pays. Elles auront sans doute besoin longtemps d'un soutien, mais plus tôt interviendra le passage de témoin et mieux cela vaudra. Le Président de la République vient de l'annoncer, le processus déjà engagé à Kaboul se poursuivra dans la région centre.

Un débat sur la stratégie occidentale doit s'engager avec nos alliés américains. Ce n'est pas seulement une question d'effectifs mais aussi de reconstruction. Le problème crucial de l'avenir du Pakistan et des zones tribales du nord-ouest doit être clairement réglé. Les talibans y règnent en maîtres et alimentent en armes les insurgés afghans. Il faut débattre de la drogue car elle nourrit la corruption jusque dans l'entourage du président Karzaï ; c'est d'elle que les talibans tirent leurs ressources et par elle que les seigneurs de la guerre peuvent défier l'autorité présidentielle.

Ne sous-estimons pas la détermination de nos alliés américains. Nul n'a désormais plus d'expérience qu'eux de la lutte contre une insurrection dont les attentats suicides et les explosifs cachés au bord des routes sont les armes favorites. Ils ont remporté des succès contre Al-Qaïda parmi les tribus sunnites irakiennes. La partie est loin d'être gagnée mais, après des années de guerre et 4 000 soldats morts, les résultats sont significatifs. Si l'Amérique est aguerrie, l'Europe doit être traitée en partenaire égal.

L'Afghanistan n'est pas le seul théâtre de lutte contre le terrorisme international. Il constitue pourtant, avec la création d'un État palestinien et l'arrêt du nucléaire iranien, un défi à relever pour éviter que le choc des civilisations ne devienne une réalité. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)

Mme Michelle Demessine.  - Avec la mort de dix de ses soldats, le 18 août dernier, la France découvrait brutalement qu'elle était en guerre. Je rends hommage à tous ces soldats et ces sous-officiers qui exercent au nom de la paix des missions difficiles et souvent périlleuses. Et je m'associe, au nom de mon groupe, à la douleur des familles.

Nos concitoyens ne connaissent ni ne comprennent les raisons de notre présence en Afghanistan ; leur reviennent même en mémoire les périodes noires des aventures algérienne et vietnamienne -ce qui explique qu'ils soient 62 %, selon un sondage récent, à s'opposer au maintien de nos troupes en Afghanistan. Pour la première fois depuis longtemps, des soldats français, engagés comme supplétifs des Américains dans une guerre qui n'est pas la leur, sont morts sans que la Nation ne sache pourquoi. La presse a fait état d'un compte rendu mentionnant leur sous-équipement en munitions et en moyens de communication. Les informations dont nous disposons manquent singulièrement de précision : le Gouvernement doit dire toute la vérité sur les conditions et la mort de nos soldats, ou démentir les rumeurs.

M. Hervé Morin, ministre.  - Cela a été fait !

Mme Michelle Demessine.  - Ce sont les événements tragiques du 18 août dernier qui ont contraint le Gouvernement à justifier devant le Parlement la politique voulue par le Président de la République. Mais loin d'admettre l'impasse dans laquelle celle-ci nous conduit, il nous demande notre accord pour prolonger l'intervention de nos forces armées en Afghanistan. Nous le lui refuserons parce que cette intervention a plusieurs fois changé de nature depuis 2001, sans que le Parlement ait eu à en débattre, parce que la stratégie qui la sous-tend a échoué.

Fin 2001, il s'agissait, sous le couvert d'une opération des Nations unies, d'une intervention des États-Unis en coalition pour détruire les sanctuaires d'Al-Qaïda, renverser le régime des talibans et établir un État de droit. C'est sur ces bases que la France est intervenue. Les talibans chassés du pouvoir, la priorité devait être donnée à la sécurité et à la reconstruction avec l'aide de la communauté internationale. Mais en 2003, la Fias est passée en catimini sous commandement de l'Otan, sans consultation du Parlement sur les nouveaux objectifs ; nos forces devaient intervenir en appui et pour former l'armée afghane. Avec l'envoi de 700 soldats supplémentaires, décidé par le seul Président de la République pour satisfaire les Américains, les missions de nos forces sont devenues des missions de combat, bien loin des objectifs initiaux. Malgré les dénégations du ministre de la Défense, nous participons directement à des opérations de guerre définies par les Américains dans le cadre de l'Otan. Le drame du 18 août en est la tragique illustration. En envoyant des renforts, en étendant la guerre aux zones tribales du Pakistan sans solliciter l'avis de ce pays, les États-Unis nous entraînent dans une aventure aveugle que nous devons avoir le courage de refuser. L'attentat d'Islamabad nous y appelle.

Il faut donc mettre fin à l'escalade, redéfinir les objectifs de notre présence. Chacun sait que les motifs de la décision du Président de la République d'envoyer des renforts étaient politiques : céder aux demandes des Américains en contrepartie de notre intégration dans le commandement militaire de l'Otan. Il faut mettre fin à cette aventure, qui confirme le risque d'enlisement que nous n'avons cessé de dénoncer. L'échec de la stratégie mise en oeuvre est patent, le bilan catastrophique -ceux qui opèrent sur le terrain contredisent les statistiques fournies par le Gouvernement.

Il faut regarder la réalité en face : l'Afghanistan est morcelé, aux mains des chefs de guerre ; l'État est inexistant, le président Karzaï n'est que la marionnette corrompue des Américains ; le commerce de l'opium est florissant, qui alimente les talibans. Il s'agissait au départ de permettre l'installation d'un État démocratique : les autorités afghanes viennent d'adopter une constitution qui définit le pays comme un État islamique fondé sur les lois coraniques...

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Exactement !

Mme Michelle Demessine.  - ...dont les femmes, qui subissent déjà des pratiques moyenâgeuses, seront les premières victimes. Loin de lutter contre le terrorisme, la stratégie aujourd'hui à l'oeuvre, avec des bombardements sans discernement, le renforce un peu plus chaque jour, et fait basculer la population lasse de compter ses morts ; 339 civils ont été tués en août dernier, un record mensuel en sept ans.

Oui, il faut regarder la réalité en face : la stratégie de l'Otan et des Américains conduit la communauté internationale à dépenser dix fois plus pour les actions militaires que pour la reconstruction et le développement ; quand les États-Unis dépensent cent millions de dollars par jour pour la guerre, l'aide internationale pour la reconstruction ne se monte qu'à sept millions. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRC et sur plusieurs bancs du groupe socialiste) Cette aide est mal utilisée ; selon un rapport de l'Agence de coordination de l'aide à l'Afghanistan, seuls quinze milliards des vingt-cinq promis ont été débloqués. Et 40 % de cette somme sont revenus aux pays donateurs sous forme de contrats divers. La contribution de la France est d'ailleurs inférieure à celle de l'Allemagne ou de la Norvège... Lors de la conférence de juin, le Président de la République a promis de doubler l'aide française à la reconstruction, en privilégiant l'agriculture et la santé. Le Gouvernement peut-il nous donner des précisions sur la programmation des vingt milliards de dollars promis lors de cette conférence ?

Les choix stratégiques ont échoué : il faut en changer, la solution ne peut être militaire. La présence de soldats ne remplace pas l'action sociale, le développement, la démocratisation des institutions. Pour sortir du bourbier, il faut proposer des perspectives politiques et relancer le dialogue entre les Afghans. Aucune évolution des moeurs et du système de valeurs de la société afghane ne pourra se faire sans la volonté du peuple afghan, avec le soutien de toutes les forces progressistes.

Il faut ensuite mettre en oeuvre une solution régionale -par exemple sous la forme d'une conférence. Il faut privilégier la reconstruction et le développement civil ; le combat contre le terrorisme passe par la lutte contre ce qui le nourrit, la misère et l'humiliation des peuples. Poursuivre dans la voie actuelle, c'est jeter un peu plus les Afghans dans les bras des talibans. La France doit mettre à profit le poids que lui confèrent la présidence de l'Union et son rôle de membre permanent du Conseil de sécurité pour faire prévaloir auprès de l'Otan une nouvelle stratégie s'appuyant sur la reconstruction et le développement, et obtenir un calendrier redéfinissant les objectifs à atteindre. Agir ainsi, ce serait mettre fin à la politique d'alignement atlantiste et de suivisme à l'égard des États-Unis et de l'Otan. Soyons lucides : cette région stratégique est, au-delà de la lutte contre le terrorisme, l'enjeu d'un conflit pour l'accès à ses ressources pétrolières et gazières, dans lequel les États-Unis défendent avant tout leurs intérêts.

Pour toutes ces raisons, nous refusons que la France s'aligne sans condition derrière l'Otan et une administration Bush finissante adepte de la fuite en avant. La France doit prendre des initiatives. Sa présence ne devrait désormais se concevoir qu'intégrée dans une opération des Nations unies, avec un mandat global donnant la priorité à l'aide d'urgence, à la reconstruction et aux droits du peuple afghan.

La mort de nos soldats doit nous conduire à reconsidérer les missions de nos troupes. Nous considérons qu'elles n'ont de légitimité que dans le cadre d'opérations de maintien de la paix sous mandat de l'ONU, comme au Liban, ou de l'Union européenne, comme au Tchad ou en Centrafrique.

M. Hervé Morin, ministre.  - C'est le cas !

Mme Michelle Demessine.  - Les propos du Premier ministre ne nous ont pas convaincus que le Gouvernement a la volonté de plaider cette cause auprès de nos partenaires de l'Otan. Nous sommes opposés à la prolongation de l'intervention de nos forces en Afghanistan ; il faut même organiser sans tarder leur retrait. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRC et sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Michel Baylet.  - L'article 35 de la nouvelle Constitution nous invite, pour la première fois, à autoriser ou non la prolongation de l'engagement de nos forces armées. Je me réjouis de cette nouvelle prérogative parlementaire, née de la réforme adoptée le 21 juillet dernier.

M. Jean-Patrick Courtois.  - Très bien !

M. Jean-Luc Mélenchon.  - N'en rajoutez pas ! (Sourires)

M. Jean-Michel Baylet.  - Chacun votera en conscience sur un sujet essentiel. Nous sommes tous déchirés entre notre passion de la paix et le coût de la paix. (M. le ministre de la défense approuve) Nous souhaiterions un Afghanistan en paix, acteur de son développement et maître de son destin. Hélas, nous en sommes loin. Que reste-t-il de la feuille de route confiée il y a sept ans par l'ONU à la coalition internationale ? L'Afghanistan n'est pas sécurisé : 8 000 personnes ont été tuées en 2007, dont 1 500 civils ; les talibans ont gagné du terrain et approchent de Kaboul ; les institutions ne sont pas stabilisées, l'État peine à s'imposer dans une société foncièrement tribale et féodale. Malgré nos efforts, l'armée afghane reste faible et mal perçue. Comment se satisfaire d'un PIB largement porté par l'opium et par les trafics d'armes financés par la drogue ?

Dans ce contexte, la France doit-elle poursuivre sa mission au sein de la Fias ? Pour nous radicaux, la démission n'entre pas dans notre conception de la raison. Certes, la compassion nous a gagnés depuis le terrible traquenard tendu aux troupes françaises le 18 août. Les démocraties sont-elles prêtes à payer le prix de la paix ? Oui, si la force s'accompagne d'une stratégie claire, responsable et périodiquement réaffirmée. Les Américains n'ont pas cherché à rétablir les droits de l'homme à Kaboul, ils ont seulement voulu extirper Ben Laden de son sanctuaire.

Nous pourrions baisser les bras et laisser au peuple afghan un peu de temps pour passer du Moyen-âge au XXIe siècle. Nous pourrions céder à la tentation de la démagogie, sachant les réticences de l'opinion publique. Nous pourrions donner raison à ceux qui spéculent sur notre supériorité morale parce qu'ils savent que nous accordons à la vie humaine un prix sans rapport avec leur fanatisme.

M. Aymeri de Montesquiou.  - Très bien !

M. Jean-Michel Baylet.  - Nous pourrions faire le choix de la lâcheté et laisser nos amis américains se débrouiller... Ce serait une victoire médiatique facile et une défaite pour notre conception de la politique.

Deux éléments s'ajoutent au sombre tableau qui se dessine en Afghanistan : le Pakistan s'est doté de l'arme nucléaire, et le président Zardari a annoncé qu'il n'avait ni les moyens ni la volonté de s'opposer à la contamination de son territoire par le terrorisme et le fanatisme. L'attentat contre l'hôtel Marriott en est une démonstration éclatante.

Avons-nous ou non la volonté de nous opposer à cette montée des plus grands dangers ? Nous aurons à rendre compte aux générations futures de notre courage ou de notre démission. Les radicaux de gauche voteront la prolongation de l'intervention des troupes françaises en Afghanistan.

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Très bien.

M. Jean-Michel Baylet.  - Mais pas à n'importe quelle condition. Si la France a des devoirs, elle a aussi des exigences. Nous les avons transmises, avec nos amis socialistes, au Président de la République, qui nous a répondu de manière bien évasive... Nous voulons un meilleur partage des responsabilités au sein de la coalition et une évaluation de notre engagement ; la relance d'un dialogue politique entre Afghans ; l'intégration d'autres pays à la coalition. Le Pakistan doit clarifier sa position, car les attaques transfrontalières se multiplient. Nous voulons enfin un calendrier sur les objectifs, afin de ne pas donner à l'opinion publique, ni au camp d'en face, le sentiment de l'enlisement. Notre vote positif est un vote de raison, nullement un blanc-seing au Président et à la majorité. Comptez sur notre vigilance. (Applaudissements à droite et sur les bancs du groupe RDSE)

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Applaudissements à droite... !

M. Aymeri de Montesquiou.  - Nous avons tous été consternés par la mort de nos soldats dans la vallée d'Uzbin. Nos pensées vont à leurs proches. L'armée et la Nation ont payé un lourd tribut. Faut-il s'engager plus loin dans cette guerre ? Cette question se pose à chaque conflit. Lors des deux guerres mondiales, les alliés devaient-ils venir se battre en France ? Les résistants à l'occupation nazie ont-ils eu tort de donner leur vie au nom de la liberté ?

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Oh la la...

M. Aymeri de Montesquiou.  - La réponse est la même aujourd'hui. Nous luttons contre un obscurantisme brutal au nom de la liberté et des droits de l'homme. Nous combattons les talibans pour qu'ils ne réitèrent pas leurs crimes contre le peuple afghan, pour contrarier leur objectif avoué de transformer les pays d'Asie centrale en émirats, pour que le Moyen-Orient, taraudé par Al-Qaïda, ne bascule pas, pour que nous ne lui abandonnions pas 65 % des ressources mondiales de pétrole.

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Ah ha !

M. Aymeri de Montesquiou.  - En 2002, les soldats alliés furent accueillis en libérateurs. Sept ans plus tard, la situation s'est considérablement dégradée, malgré l'augmentation des effectifs.

La mosaïque afghane est constituée de trois groupes, qui appellent des politiques distinctes. Tout d'abord, ceux qui aspirent à un État plus laïc et regrettent, à raison, que nous ayons laissé consacrer la charia comme socle de la Constitution.

M. Aymeri de Montesquiou.  - Parmi eux, les anciens communistes sont notre appui le plus fort : nous devons soutenir leur aspiration à la modernisation du pays (Marques d'étonnement amusé sur les bancs CRC)

Pour les nationalistes, les forces alliées sont une armée d'occupation. Leur nombre augmente : 10 000 nouveaux combattants depuis un an ! Plus nous augmenterons nos effectifs, plus ils deviendront hostiles et agressifs, se rassemblant contre l'envahisseur. Au plus fort de la crise en Irlande du Nord, les Britanniques déployaient 20 soldats pour 1 000 habitants. Appliquer un tel ratio en Afghanistan serait absurde. Auprès de ces nationalistes, la force pure est illusoire, voire contre-productive. Il faut revoir notre stratégie -peace building plutôt que peace keeping-, démontrer que la présence alliée est synonyme de développement économique et non de prosélytisme occidental, porter l'effort sur le qualitatif plutôt que le quantitatif. Sur les cinq milliards d'aide internationale à la population afghane, combien ont été détournés ? Les vingt milliards supplémentaires annoncés seront contre-productifs sans méthode claire.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, vous préconisez un recours massif aux ONG. Si certaines ont un rôle très positif, d'autres consomment des crédits de fonctionnement exorbitants, exaspérant les populations ! J'ai visité un village où chaque habitation, construite par une ONG locale, revenait à 700 euros ; dans une vallée voisine, la même maison, construite par une ONG internationale, coûtait cinq fois plus ! Les bénéficiaires de ces fonds internationaux sous-traitent, et les retombées pour la population sont très faibles. Inspirons-nous des Chinois, qui envoient dans les pays déshérités des cadres qui embauchent la main-d'oeuvre locale !

Troisième catégorie : les talibans, sur lesquels la raison n'a pas de prise. J'ai demandé à des talibans pakistanais et chinois, universitaires, pourquoi ils brûlaient les villages et tuaient femmes et enfants. Ils m'ont répondu : « parce que le Mollah l'a demandé ». Contre les talibans, je citerai Clémenceau : « je fais la guerre, je fais la guerre, je fais la guerre ». Mais au-delà des actions militaires, il faut tarir leurs ressources financières et humaines. Loin d'avoir reculé, la culture du pavot a explosé depuis 2002 dans les zones contrôlées par les talibans : plus de 100 000 hectares dans le Helmland, contre moins de 30 000 en 2002 ; 90 % de l'héroïne provient des champs de pavot afghans, qui représentent 60 % du PIB ! Comment lutter contre ce fléau, quand le blé rapporte deux fois moins ? Ne pourrait-on imaginer une prime à l'hectare versée à ceux qui abandonnent l'opium pour une autre culture ? Un tel système favoriserait l'autosuffisance alimentaire et réduirait les dépenses induites par la lutte contre le trafic de drogue.

A défaut utiliser ce moyen pacifique, il faut défolier et détruire les laboratoires.

La lutte contre les talibans passe aussi par le tarissement des flux humains. Nous ne comprenons pas toujours les logiques de solidarité qui agissent dans notre dos et peuvent retourner les alliances. Le monde indo-persan nous est peu connu. De même, nous ne savons pas si les autorités pakistanaises font le nécessaire dans les zones tribales par lesquelles des milliers de volontaires affluent. Il faudrait, en collaborant avec elles, contrôler véritablement ports et aéroports. Autre point vital : les alliés doivent modifier l'image impérialiste qu'ils véhiculent en coopérant avec les organisations régionales et les États limitrophes de l'Afghanistan. Pourquoi ne pas faire appel à ces États voisins pour parler aux Turkmènes, aux Ouzbeks, aux Tadjiks, aux Hazaras ? Pourquoi ne pas tendre la main à l'Iran quand 2,5 millions d'Afghans y ont trouvé refuge, quand la langue dari est au farsi ce que le québécois est au français (sourires) et que 20 % des Afghans sont chiites ? Nos intérêts convergents commandent une alliance. Ce serait, de plus, l'occasion de réintégrer la République islamique dans la communauté internationale.

Monsieur le Premier ministre, nous avons tenu un débat sur l'Afghanistan le 1er avril dernier. N'aura-t-il été qu'un exercice de rhétorique ?

M. Didier Boulaud.  - Eh oui !

M. Aymeri de Montesquiou.  - Que sont devenues nos propositions ? Quelles ont été les évolutions depuis lors ?

M. Didier Boulaud.  - Il n'y en a pas eu !

M. Aymeri de Montesquiou.  - Seule une compréhension profonde des mentalités nous permettra de vaincre l'extrémisme. S'il faut un effort de guerre, notre effort de paix doit être mieux organisé. Reste que nos soldats ne doivent pas douter de notre soutien.

M. Hervé Morin, ministre.  - Bien sûr !

M. Aymeri de Montesquiou.  - Le jour où le Président de la République, président de l'Union européenne, parle devant les Nations Unies, il ne peut être désavoué.

M. Hervé Morin, ministre.  - Très juste !

M. Aymeri de Montesquiou.  - Jaurès, qui était un pacifiste, déclarait quatre jours avant son assassinat « Si la France entre en guerre, je m'engagerai ». (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame) C'est pour ces raisons que le groupe RDSE votera pour ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.  - Durant ce débat, j'ai entendu bien des questions, des interrogations, des angoisses. Je les partage. L'Afghanistan, ce n'est pas simple et je ne peux répondre en quelques minutes à ce débat, qui a été riche et doit se poursuivre.

Les associations qui travaillent depuis une trentaine d'années dans ce pays -j'y ai moi-même travaillé pour Médecins sans frontières puis Médecins du monde durant huit ans- le savent bien : le pays est confronté aux mêmes difficultés qu'auparavant ! A l'époque, 130 000 soldats soviétiques y avaient été envoyés. Ils ont échoué !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Justement !

M. Didier Boulaud.  - Ils se sont enlisés !

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Patientez, la suite de mon discours risque de moins vous plaire...

Les ONG, que j'ai rencontrées ce matin, ne souhaitent pas le retrait de nos troupes. Elles demandent que nous changions notre stratégie. C'est précisément ce que nous proposons depuis les conférences de Paris et Bucarest ! (On s'exclame à gauche) Ce peuple est soumis aux mêmes pressions depuis vingt-cinq ans. Pensez-vous qu'on puisse tout changer en trois mois ? Pour autant, nous agissons. (Applaudissements à droite) Nous avons, les premiers, affirmé qu'il ne fallait pas s'en tenir à la seule solution militaire et passer la main aux Afghans. Que sont devenus les 20 millions recueillis pour l'Afghanistan ? Ils ont été confiés à la Banque mondiale. Mais nous en verrons les fruits dans de longues années. Pour m'en tenir au seul domaine de la santé, il existe aujourd'hui 718 dispensaires dans le pays, contre 20 il y a une trentaine d'années. Est-ce un progrès ? Oui. Est-ce suffisant ? Non. Mais est-ce une raison pour se retirer ?

M. Didier Boulaud.  - Ce n'est pas ce que nous disons !

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Nous travaillons à modifier la stratégie de la coalition. Celle-ci compte maintenant vingt-cinq pays de l'Union européenne. Qu'on ne me parle donc pas d'américanisation ! Il y a une européanisation de l'Otan. Notre mission est encadrée par l'ONU sur le plan politique -nous avons donc l'accord des Russes et des Chinois-, par l'Otan sur le plan militaire. Qui l'a demandé ? Nous ! Certes, sur le terrain, il faudrait un commandement commun. A cette fin, nous voulons engager une concertation avec nos partenaires européens. Le Royaume-Uni a envoyé 8 500 de ses soldats sur le terrain, il a consenti des sacrifices considérables en hommes et subi, hélas !, de lourdes pertes. L'Allemagne est également présente, mais dans le nord du pays, moins exposée. Le calendrier transatlantique, avec l'élection du président des États-Unis, nous offre l'occasion de rediscuter notre stratégie.

Le président Karzaï et son gouvernement n'ont pas votre soutien. Mais croyez-vous qu'ils soient soutenus par tout le peuple afghan ? Pourtant, il a été élu ainsi qu'une assemblée composée à 40 % de femmes...

M. Josselin de Rohan, président de la commission.  - C'est mieux qu'ici ! (Rires)

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Les talibans ne visent pas que les Occidentaux. La semaine dernière, deux médecins de l'OMS de nationalité afghane qui travaillaient à la vaccination des populations ont été tués. Bien sûr, certains d'entre eux, tels ceux sous l'autorité du Mollah Omar, ne sont pas prêts au dialogue. Pour autant, dans les régions, les familles, les clans, on discute ! Certes, Kaboul, ce n'est pas l'Afghanistan. Mais la ville compte un gouvernement démocratiquement élu, c'est un progrès, de même que le fait que les enfants aillent à l'école. Dans ces circonstances, faut-il s'en aller ? Non !

Durant ce débat, de nombreuses questions techniques ont été posées auxquelles je ne peux répondre aujourd'hui. Nous avons mis en place un groupe de suivi pour les parlementaires au Quai. Je serais heureux de vous y accueillir. Mesdames et messieurs, je vous ai entendus ; les observations que vous avez faites, je les partage. Je vous recommande la lecture de l'ouvrage Afghanistan, le royaume de l'insolence (exclamations à gauche), qui rappelle que ce pays n'a jamais été soumis. Sachez que si nous nous en allions, ce serait une belle victoire pour les talibans ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Hervé Morin, ministre de la défense. - Je voudrais répondre brièvement aux questions posées. Monsieur de Rohan et Monsieur Boulaud, des moyens militaires supplémentaires ont été mobilisés. Depuis le drame du 18 août dernier, nous avons décidé l'envoi d'un hélicoptère Caracal et de deux Gazelle, un détachement de drones, une section de mortier ainsi que les moyens humains correspondants, soit une centaine d'hommes. Néanmoins, lors d'embuscades comme celle du 18 août dernier, tout n'est pas affaire de technologie. Si l'on tient un décompte macabre, les Etats-Unis, qui comptent pour 50 % des moyens militaires mondiaux, ont déjà perdu 600 hommes. Le risque zéro, ça n'existe pas !

Par ailleurs, nous avons débloqué 50 millions pour des achats d'urgence afin d'approvisionner les troupes en nouveaux matériels, des gilets pare-balles aux lunettes de visée pour mitrailleuses. Il faut améliorer l'interopérabilité entre les alliés ainsi que la sécurité individuelle et collective.

Madame Demessine, la vérité sur cette embuscade, nous l'avons dite et redite ! Nous avons reconstitué en détail ce qui s'était passé le 18 août en collationnant toutes les informations disponibles, en recueillant le témoignage des soldats présents. Malgré cela, les rumeurs continuent de courir. Pourquoi ? La raison en est simple, les talibans savent qu'ils ne peuvent pas gagner la guerre sur le plan militaire. Ils mènent alors la guerre de l'opinion publique en jouant sur ses faiblesses afin de remporter la bataille ! C'est ainsi qu'ils comptent nous mettre en difficulté. Mais croyez bien que nous avons tout dit.

Les seuls éléments que nous ayons cachés sont ceux qui relèvent du secret des familles. Il fallait respecter celui-ci, et non flatter les penchants de nos sociétés voyeuristes. (Applaudissements au centre et à droite)

Non, les missions des nos forces n'ont pas changé : nous avons décidé d'envoyer des troupes supplémentaires, mais l'objectif est toujours de sécuriser et de stabiliser la vallée.

Certains prétendent que notre stratégie dans ces zones n'est pas assez globale, qu'il faut s'occuper du développement ; mais comment voulez-vous développer une région avant de l'avoir sécurisée ? Comment construire des écoles, des hôpitaux, des dispensaires dans une zone qui n'a pas été préalablement sécurisée et stabilisée ?

Nos efforts portent lentement leurs fruits : nous avons formé une armée qui n'existait pas il y a six ans, et qui compte aujourd'hui 50 000 soldats et 4 000 officiers. Certes, nous rencontrons des difficultés ; mais cela ne signifie pas que toute la politique menée depuis six ans est à jeter au rebut !

Certains préconisent le retrait de nos troupes. Est-ce pour rendre la mainmise sur le pays aux talibans, qui représentent une menace terroriste, et qui sont responsables d'atteintes effroyables aux droits de l'homme ? La France est membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, où les Russes et les Chinois eux-mêmes s'apprêtent à voter, comme nous, une résolution renouvelant d'un an le mandat de la Fias.

M. Bernard Kouchner, ministre.  - C'est chose faite.

M. Hervé Morin, ministre.  - Il ne s'agit pas d'une lutte américaine contre je ne sais quel adversaire, mais d'un combat de la communauté internationale toute entière ! Comment nous retirer, alors que nous assurons la présidence de l'Union européenne, dont vingt-cinq membres sont présents en Afghanistan ? Comment nous retirer, alors que notre pays prétend porter dans le monde le message des droits de l'homme ?

Je crois profondément que la France a besoin d'unité, comme en 2001, pour lutter contre le terrorisme...

M. Charles Pasqua.  - Très bien !

M. Hervé Morin, ministre.  - ...pour défendre les droits de l'homme et pour soutenir nos soldats qui exercent une mission difficile dans des conditions dangereuses. Nos soldats ont besoin de l'unité du pays, qui commence par l'unité de la représentation nationale. (Vifs applaudissements à droite et au centre)

L'autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en Afghanistan est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 328
Nombre de suffrages exprimés 328
Majorité absolue des suffrages exprimés 165
Pour l'adoption 209
Contre 119

Le Sénat autorise la prolongation de l'intervention des forces armées en Afghanistan. (Applaudissements à droite et au centre)

Je constate que le Sénat a épuisé son ordre du jour pour la session extraordinaire. L'Assemblée nationale n'ayant pas terminé ses travaux, le Sénat voudra sans doute s'ajourner. Je prendrai acte de la clôture de la session extraordinaire par voie d'une communication publiée au Journal officiel. La session ordinaire 2008-2009 sera ouverte le mercredi 1er octobre à 15 heures.

Prochaine séance, mercredi 1er octobre à 15 heures.

La séance est levée à 20 h 40.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mercredi 1er octobre 2008

Séance publique

A QUINZE HEURES

1. Installation du Bureau d'âge

2. Ouverture de la session ordinaire 2008-2009

3. Allocution du président d'âge

4. Scrutin à la tribune pour l'élection du Président du Sénat

5. Fixation de la suite du calendrier de renouvellement des instances du Sénat

_____________________________

DÉPÔTS

La Présidence a reçu de :

- M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire de la République française et à leur retour dans leur pays d'origine ainsi qu'à la lutte contre les réseaux d'exploitation concernant les mineurs ; un projet de loi pénitentiaire ; un projet de loi pour le développement économique de l'outre-mer ; un projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion ; un projet de loi autorisant l'approbation de l'accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume d'Espagne sur les dispositifs éducatifs, linguistiques et culturels dans les établissements de l'enseignement scolaire des deux États ; un projet de loi portant dispositions relatives à la gendarmerie et un projet de loi relatif à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports ;

- M. Robert del Picchia une proposition de loi organique relative à l'élection de députés des Français établis hors de France ;

- M. Philippe Arnaud une proposition de loi visant à instaurer une imposition forfaitaire sur les lignes de chemin de fer à grande vitesse concédées ;

- M. Gérard Delfau une proposition de loi visant à favoriser la prise en compte des exigences du développement durable dans le domaine des fournitures scolaires.