Installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d'habitation (Deuxième lecture)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale, visant à rendre obligatoire l'installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d'habitation.
Discussion générale
Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville. - Les incendies domestiques font environ 10 000 victimes par an, dont près de 500 décès. Je partage la peine des familles endeuillées, des personnes meurtries et blessées, à qui il faut un véritable soutien pour surmonter ce traumatisme.
La protection des personnes repose sur différents piliers : la lutte contre le feu, qui relève des Sdis ; l'adaptation des immeubles au risque d'incendie, qu'il s'agisse de logements neufs ou de logements anciens, notamment vétustes ou indignes, avec l'obligation, à compter du 1er janvier 2009, de réaliser un état de l'installation électrique au moment de la vente ; enfin, les dispositifs d'avertissement et d'alerte pour les ménages. La priorité va aux logements dégradés, occupé par des personnes fragiles, qui constituent un parc social de fait.
Les systèmes d'avertissement ont fait leurs preuves dans plusieurs pays, et leur intérêt est confirmé par les services de la sécurité civile. Dans son rapport du 20 mars 2008, la commission de la sécurité des consommateurs recommande également aux pouvoirs publics de faire évoluer la législation sur ce sujet.
Toutefois, les avertisseurs ne constituent pas un remède miracle. Pour que ces dispositifs permettent de sauver des vies, il faut qu'ils soient bien installés et que les personnes connaissent parfaitement le comportement à tenir en cas d'alerte.
Certains articles, notamment sur les assurances et les garanties données aux occupants, ont été votés conformes par les deux assemblées. La discussion porte aujourd'hui sur la définition du dispositif, les spécifications techniques et l'identification des responsables de l'installation et de la maintenance.
Il faut trouver un équilibre entre locataires et bailleurs. Je suis attentive aux inquiétudes des propriétaires, et je tiens à respecter les engagements pris devant vous lors de l'examen du projet de loi pour le pouvoir d'achat.
On peut préférer le terme plus générique de détecteur de fumée à celui, retenu par l'Assemblée nationale, de détecteur autonome avertisseur de fumée, mais la réglementation traitera bien de détecteurs autonomes.
Les spécifications techniques font l'objet d'une normalisation européenne, d'application obligatoire, et d'une normalisation française, facultative. La définition de ces dispositions par décret en Conseil d'État suffit pour garantir la qualité des produits.
En responsabilisant l'occupant des lieux pour l'installation, la maintenance et l'entretien, nous gagnerions en efficacité, et les actions de communication auraient plus d'impact. Il faudra accompagner certains occupants, locataires modestes ou propriétaires impécunieux. Par ailleurs, pour les foyers ou les résidences de vacances, c'est bien entendu au propriétaire d'assurer l'ensemble des tâches.
Après la vaste campagne de 2006, nous préparons la prochaine campagne d'information et de prévention. Une communication ambitieuse, voilà ma priorité. (Applaudissements à droite)
M. René Beaumont, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Comme beaucoup de textes d'initiative parlementaire, celui-ci a cheminé lentement : déposé par les députés Meslot et Morange au lendemain des tragiques incendies de l'été 2005, adopté par l'Assemblée nationale à l'automne 2005, il n'a dû qu'à l'insistance du président Émorine d'être enfin examiné par le Sénat le 25 janvier 2007. Dix-huit mois se sont écoulés avant la deuxième lecture à l'Assemblée nationale. Son inscription à l'ordre du jour de la session extraordinaire laisse toutefois espérer une adoption prochaine.
Cette proposition de loi constitue une mesure simple, nécessaire sinon suffisante, susceptible de réduire le coût humain des incendies domestiques : hier encore, à Ostricourt, dans le Nord, deux jeunes enfants ont péri et deux autres sont entre la vie et la mort. En 2006, on a déploré 7 000 victimes de feux d'habitation, dont 257 morts et 658 blessés graves. Beaucoup de ces drames pourraient être évités.
En première lecture, nous avions modifié le dispositif proposé sur trois points. La pédagogie en matière de prévention et de conduite à tenir en cas de sinistre nous paraissant être un préalable indispensable, nous avions prévu que le délai de cinq ans avant l'entrée en vigueur de la loi soit mis à profit pour organiser des campagnes d'information et de sensibilisation du public, dont il serait rendu compte au Parlement en même temps que le premier bilan d'application de la loi.
L'Assemblée nationale avait par ailleurs prévu de rendre obligatoire l'installation des seuls détecteurs avertisseurs autonomes de fumée, appareils à pile comportant une alarme intégrée. Nous avions, quant à nous, laissé le choix en renvoyant au décret le soin de définir les caractéristiques des appareils pouvant être installés, en imposant seulement qu'ils soient normalisés.
Enfin, l'Assemblée nationale avait mis l'installation et la maintenance des détecteurs de fumée à la charge des occupants des logements. Nous avions jugé, pour notre part, qu'il serait plus logique et surtout plus efficace que ces obligations incombent aux propriétaires.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale nous a suivi sur la question de la pédagogie, et a même avancé à la date d'entrée en vigueur de la loi la remise au Parlement du rapport sur son application et sur les actions de sensibilisation du public. Il sera un peu tôt pour dresser un bilan d'application de la loi, mais il est primordial que le Parlement puisse, dès son entrée en vigueur, apprécier les efforts faits pour informer le public. Nous vous proposerons donc d'adopter l'article 4 conforme.
En revanche, l'Assemblée nationale est revenue à ses positions de première lecture sur le choix des détecteurs autonomes avertisseurs de fumée et la responsabilité exclusive des occupants des logements. Nous vous proposerons une position équilibrée, qui devrait nous permettre de trouver un accord.
Selon les statistiques britanniques, 36 % des détecteurs à pile ne se déclenchent pas en cas d'incendie, contre seulement 13 % des détecteurs sur secteur. Les détecteurs fonctionnant sur piles ordinaires sont d'ailleurs systématiquement écartés par les réglementations nationales. Dans ces conditions, il serait paradoxal d'interdire les détecteurs sur secteur, partout considérés comme les plus sûrs.
Les détecteurs à pile, s'ils sont de bonne qualité et bien entretenus, peuvent permettre d'équiper les logements anciens rapidement et pour un coût raisonnable. Mais, outre qu'il n'appartient pas au législateur de définir les caractéristiques techniques d'équipements de sécurité, il serait illogique de considérer que des appareils plus performants ne satisferaient pas à la loi !
Par ailleurs, nous demeurons convaincus que les propriétaires doivent être responsables de l'installation des détecteurs, comme cela se fait systématiquement à l'étranger. C'est dans la logique des textes régissant la responsabilité des propriétaires et les rapports entre bailleurs et locataires, à commencer par la loi Méhaignerie, que j'ai rapportée à l'Assemblée nationale il y a quelques décennies.
Normalement, en effet, c'est aux propriétaires d'assurer la conformité des bâtiments aux obligations de sécurité. Mais c'est aussi, comme nous l'avions souligné en première lecture, une solution plus efficace. D'abord parce que les organismes bailleurs, ou les copropriétés, auront plus de moyens pour apprécier la fiabilité des appareils proposés et s'assurer qu'ils seront correctement installés. Ensuite, parce que cela pourra inciter, lors des constructions nouvelles ou des rénovations à prévoir, pour un coût modique, une installation électrique permettant la pose des détecteurs sur secteur.
L'Assemblée nationale a jugé qu'il serait impossible de responsabiliser les occupants des logements s'ils n'installaient pas eux-mêmes les détecteurs. Cet argument n'emporte pas ma conviction, et me choque un peu. Je ne vois pas pourquoi nos concitoyens, informés et sensibilisés par vos soins, madame le ministre, comprendraient plus difficilement que nos amis britanniques, américains, canadiens ou belges l'intérêt et le bon usage de ces appareils, même s'ils ont été installés par leurs propriétaires. En revanche, nous vous proposerons de modifier les positions que le Sénat avait prises en première lecture pour confier à l'occupant du logement la responsabilité de l'entretien courant des détecteurs. Nous avons été sensibles, en effet, au récent avis de la commission de la sécurité des consommateurs qui a souligné que la sécurité des logements était l'affaire de tous et qui a préconisé un tel partage des rôles entre propriétaires et occupants. Cette solution, retenue à l'étranger en Belgique ou au Royaume-Uni, fonctionne bien, grâce à des conventions ou des clauses types qui précisent les obligations des uns et des autres. Nous vous proposerons de nous inspirer de ces exemples.
Sous réserve de l'adoption de l'unique amendement qu'elle vous propose, votre commission des affaires économiques vous demande d'adopter la proposition de loi qui nous est soumise. (Applaudissements à droite)