Disponible au format PDF Acrobat
Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
Modernisation des institutions de la Ve République
Loi de modernisation de l'économie (Commission spéciale)
Modernisation des institutions de la Ve République (Suite)
SÉANCE
du mardi 17 juin 2008
93e séance de la session ordinaire 2007-2008
présidence de M. Jean-Claude Gaudin,vice-président
La séance est ouverte à 10 h 5.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Conseil européen des 19 et 20 juin 2008 et présidence française de l'Union européenne (Déclaration du Gouvernement)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur le Conseil européen des 19 et 20 juin 2008 et sur la présidence française de l'union européenne.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. - L'Irlande a voté « non » au référendum sur le traité de Lisbonne jeudi dernier.
M. Jean-Luc Mélenchon. - Bravo !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. - C'est une déception. Mais nous prenons acte de ce choix et le respectons.
Il nous faut maintenant donner au gouvernement irlandais l'opportunité d'analyser ce vote.
J'ai écouté très attentivement la déclaration du Premier ministre irlandais, Brian Cowen, le 13 juin. J'en ai retenu trois éléments sur la question des implications du vote de son pays pour l'Union européenne.
Tout d'abord, il a clairement affirmé que l'Irlande n'a pas souhaité donner un coup d'arrêt à la construction européenne. Je ne le crois pas non plus. Il ne faut pas se méprendre sur la portée de ce vote, qui ne signifie pas que l'Irlande souhaite sortir du jeu européen.
Le Premier ministre irlandais a également appelé à une réflexion sereine, dans son pays, et avec ses vingt-six partenaires.
Enfin, Brian Cowen s'est engagé à consacrer toute son énergie à rechercher des réponses satisfaisantes aux préoccupations qui ont été révélées par le vote. Il a précisé que l'Union avait déjà connu de telles situations et qu'à chaque fois, une solution avait été trouvée pour aller de l'avant.
C'est dans ce contexte, et après avoir pris note de la position du Taoiseach, que la France et l'Allemagne ont, dans une déclaration commune, appelé à la poursuite du processus de ratification et rappelé que le traité de Lisbonne comportait des avancées pour la démocratie et l'efficacité de l'Europe.
Beaucoup d'autres acteurs ont soutenu très explicitement et très rapidement une position similaire : la présidence slovène, le président du Parlement européen, le président de la Commission, ainsi que le Luxembourg, le Portugal, la Finlande et la Slovaquie, qui comptent parmi les dix-huit États qui ont déjà approuvé le traité.
D'autres États, qui ont engagé leur ratification sans l'avoir encore conclue, ont également appelé à poursuivre du processus. Je pense au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, à la Belgique, à l'Espagne.
Par ailleurs, le Président de la République s'est entretenu lundi à Prague avec le Premier ministre tchèque, M. Topolanek, lequel a indiqué qu'après une période de réflexion et compte tenu des responsabilités prochaines de son pays, il n'excluait pas de se rallier à ce consensus. Mme Merkel s'est rendue à Gdansk pour un entretien avec le Premier ministre polonais.
Le terrain est donc préparé pour la discussion qui se tiendra jeudi soir au Conseil européen. Les chefs d'État et de gouvernement feront le point sur la situation avec l'Irlande et évalueront les mesures à prendre.
Ce qui est sûr, c'est que nous n'allons pas nous engager dans la rédaction d'un traité nouveau. Aucun État membre ne le demande.
L'Europe ne s'est pas arrêtée le 13 juin. Nous fonctionnons actuellement sur la base du traité de Nice, qui d'ailleurs devait être et sera le cadre institutionnel de la Présidence française.
Comme l'a dit le Président de la République, la meilleure réponse que la présidence française peut apporter aux préoccupations qui viennent d'être exprimées est de faire en Europe plus de politique et plus de politiques communes. Nous ne pouvons pas nous permettre de retarder les décisions qui vont en ce sens, et qui peuvent être traitées indépendamment des questions institutionnelles. C'est le cas des priorités que le Président de la République a fixées pour la présidence française et qui ont été, depuis un an, présentées à tous nos partenaires européens. Nous continuerons évidemment à les consulter pendant toute la présidence.
Je sais que vous aurez également un agenda dense de rencontres interparlementaires dès le 3 juillet et une réunion de la Cosac dès le 7 juillet, et je m'en félicite.
Le nouveau contexte depuis le 13 juin nous conduit à aborder ce semestre avec modestie et rigueur. Avec modestie parce que le vote irlandais appelle à une remise en question de chacun sur la façon dont nous faisons le lien entre le débat national et le débat européen, qui s'inscrit souvent dans un horizon de plus long terme. Dans un contexte international difficile, il nous faut aussi être conscient des limites et des contraintes dans lesquelles notre action s'inscrit.
Avec rigueur parce que notre unique objectif est de servir l'intérêt collectif des Européens et de faire progresser honnêtement tous les dossiers avec l'ensemble de nos partenaires pour apporter des réponses concrètes aux préoccupations de nos concitoyens, telle la hausse des matières premières et des produits alimentaires. (Mme Cerisier-ben Guiga approuve)
C'est pourquoi nous nous efforcerons de dégager un accord politique sur le « paquet énergie-climat », qui nous permet de contenir les effets du changement climatique en réduisant de 20 % les émissions de dioxyde de carbone d'ici 2020 et promeut le développement des énergies renouvelables. C'est un élément clé de l'exemplarité que nous voulons pour l'Europe pour conforter son rôle moteur dans les négociations internationales sur le climat en vue de la Conférence de Copenhague en 2009. La question du prix de l'énergie sera bien sûr également au coeur de nos préoccupations.
Au-delà du paquet énergie-climat, la France souhaite également contribuer sous sa présidence à l'amélioration de la sécurité énergétique européenne par des actions visant à mieux maîtriser la consommation d'énergie, à faire fonctionner l'espace européen de façon unifiée et solidaire et à renforcer la politique extérieure européenne en matière d'énergie. L'Union sera alors en mesure de mieux assurer sa sécurité énergétique à court et à long terme. Cela suppose un esprit de solidarité entre États de l'Union et de responsabilité pour chacun d'entre eux.
Nous avons, à l'égard de l'Europe centrale et orientale, dont l'approvisionnement énergétique dépend entièrement de la Russie, un devoir de solidarité.
Autre projet politique concret, le pacte européen sur l'immigration et l'asile qui doit engager, pour la première fois, les États membres et les institutions européennes à des lignes de conduite communes pour gérer les flux migratoires sous tous leurs aspects : immigration économique, lutte contre l'immigration illégale, contrôle des frontières, politique de l'asile et stratégie de développement en partenariat avec les pays d'origine.
Être concret, c'est également, dans un contexte d'offre mondiale insuffisante, faire de la politique agricole commune une politique moderne et durable. La PAC doit être renforcée et adaptée aux attentes des consommateurs européens -sécurité des produits alimentaires, développement économique des territoires, investissement dans la recherche, productions durables, simplification des mécanismes d'aides, stabilisation des marchés au moyen d'instruments efficaces de gestion des risques climatiques et sanitaires.
Autre ambition de la présidence française : la relance de l'Europe de la défense. L'expérience de ces dix dernières années nous enseigne que le développement de la politique européenne de sécurité et de défense dépend moins du cadre institutionnel que de la volonté politique. Parce que les moyens des Européens ne sont pas à la hauteur des menaces, nous nous sommes donné les objectifs suivants : doter l'Union européenne d'une stratégie de sécurité actualisée pour la prochaine décennie, afin de mettre à jour l'analyse commune des nouvelles menaces ; renforcer les capacités civiles et militaires de gestion des crises autour de nouveaux projets capacitaires structurants, même s'ils devaient n'être initiés que par quelques pays ; porter l'effort sur l'industrie de défense en parvenant à un accord politique sur le paquet « défense » de la Commission européenne.
Notre ambition s'inscrit dans une vision politique renouvelée de la PESD, prenant en compte la complémentarité entre la défense européenne et l'Otan.
Enfin, nous poursuivrons les efforts en cours sur la stabilisation des marchés financiers, la stratégie en faveur de la croissance et de l'emploi, l'Europe de l'avenir et le renouvellement de l'agenda social de l'Union européenne. Car le programme social de la présidence française sera très dense : ...
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Comme en France !...
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. - ... lutte contre les discriminations, échanges d'étudiants et d'apprentis, conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, mobilité des patients, révision de la directive sur les comités européens d'entreprise, flexisécurité et, conformément au voeu de Martin Hirsch, réflexion sur l'inclusion active et les services sociaux d'intérêt général.
Quels seront, au-delà des résultats sur le référendum irlandais, les sujets à l'ordre du jour du prochain Conseil européen, qui conclura le semestre de la présidence slovène, à laquelle il convient de rendre hommage pour son intelligence et son savoir-faire dans la conduite des travaux ?
Premier sujet, l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Les conclusions du Conseil européen devraient passer en revue les nombreuses propositions en cours de discussion dans ce domaine et appeler à leur adoption rapide. Deux points me paraissent être devoir plus particulièrement relevés : l'appel à mettre en oeuvre une stratégie commune de gestion des flux migratoires, qui correspond aux objectifs du pacte, et l'encouragement à proposer une approche intégrée de la gestion des catastrophes.
Deuxième sujet : les conséquences de la hausse des prix agricoles et des prix des carburants. Le Président de la République a pris une position forte sur ce dossier et présenté des pistes de réflexion : TVA, fonds dédié aux catégories les plus durement affectées par la hausse des prix.
Troisième sujet : les questions économiques, sociales et environnementales. Le Conseil européen engagera à poursuivre les travaux sur le paquet « énergie-climat ». Saluant l'accord politique obtenu par la présidence slovène sur le troisième paquet de libéralisation du marché, il invitera à le finaliser avec le Parlement européen. Je rappelle que cet accord ouvre une troisième voie, que pourrait choisir la France, conformément au souhait de votre assemblée, qui nous a appuyés. Le Conseil européen devrait également approuver l'entrée de la Slovaquie dans la zone euro.
Quatrième sujet : les Balkans occidentaux, priorité forte de la présidence slovène. Parmi les progrès enregistrés on notera la signature des accords de stabilisation et d'association avec la Serbie et la Bosnie-Herzégovine. L'Union européenne a de surcroît assuré la stabilité générale de la région dans le contexte de la proclamation d'indépendance du Kosovo. Son rôle dans le processus de consolidation du nouvel État devrait aller croissant, avec la poursuite du déploiement de la mission Eulex qui prendra la relève de certaines tâches assumées auparavant par la mission des Nations Unies.
L'objectif de la présidence française sera de consolider les perspectives européennes de la région à travers, notamment, la progression des négociations d'adhésion avec la Croatie. Que la Commission puisse, à l'automne, fixer une date pour l'achèvement des négociations constituerait un signal fort pour la région. Mais il faut garder présent à l'esprit que le traité de Nice n'est pas adapté à une Europe à vingt-sept et que l'un des fondements du traité de Lisbonne était bien de préparer l'élargissement.
Cinquième sujet : l'Union pour la Méditerranée et le développement de la politique de voisinage à l'Est
Le Conseil européen abordera la préparation du sommet de l'Union pour la Méditerranée. La participation d'un grand nombre de chefs d'États ou de gouvernement paraît assurée. Ce sera là une première dans l'histoire, qui verra la réunion de quarante-quatre pays, soit l'ensemble des États riverains de la Méditerranée.
L'Union pour la Méditerranée marquera une nouvelle étape de la politique de l'Union européenne envers ses voisins du Sud, dans le prolongement du processus de Barcelone. Elle sera fondée sur une nouvelle gouvernance reposant sur les principes d'égalité et de parité entre le Nord et le Sud.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Alors que vous ne voyez, au lieu d'hommes, que des flux migratoire !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. - Les discussions entre pays participants font apparaître quatre projets principaux : un plan de dépollution de la Méditerranée, le développement de l'énergie solaire, la mise en place d'autoroutes de la mer, une coopération accrue en matière de protection civile contre les incendies et les catastrophes naturelles et, éventuellement, une agence de financement des PME. Chacun de ces projets sera à géométrie variable : seuls participeront les pays qui le souhaitent.
Le Conseil européen abordera enfin la proposition suédo-polonaise de « partenariat oriental ». Nous soutenons cette initiative, qui s'inscrit dans le cadre institutionnel et financier actuel. Il est bon que l'Union développe sa politique de voisinage, sans opposer le Sud et l'Est. La présidence française entend porter l'accent sur l'Ukraine, avec laquelle nous organiserons un sommet, en septembre, en vue de lancer un nouveau partenariat stratégique.
Où en sommes-nous, à deux semaines de notre présidence, de nos préparatifs ? Ils avancent bien, sous la houlette du secrétaire général de la présidence française, l'ambassadeur Claude Blanchemaison.
Nous avons, avec M. Kouchner et Mme Albanel, présenté le 3 juin dernier la saison culturelle européenne, qui accompagnera la présidence tout au long du semestre. Nous accueillerons, partout en France, les créations de nos partenaires, qui, en retour, accueilleront, chez eux, les nôtres. C'est la première fois que l'on se donne les moyens de partager avec le plus grand nombre la vitalité de nos cultures européennes.
Nos outils de communication et d'information sont également prêts -logo, site Internet, systèmes d'accréditation, articulation avec les institutions européennes.
Nous aurons, dès le mois de juillet, plusieurs rendez-vous importants en France. Le 1er juillet aura lieu à Paris une rencontre des membres du Gouvernement et de la Commission européenne. Le 10, le Président de la République présentera le programme de la présidence française devant le Parlement européen, à Strasbourg. Le 13, nous accueillerons à Paris le sommet de l'Union pour la Méditerranée. Puis se tiendra un sommet avec l'Afrique du sud, à Bordeaux, le 25 juillet. Sept réunions informelles des ministres auront également lieu en France. Notre pays présidera également deux conseils européens, en octobre et décembre et assurera la présidence de dix sommets internationaux...
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Combien de diplomates restera-t-il ailleurs ?
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. - ... avec de grands pays émergents comme la Russie, le Brésil, la Chine, l'Inde, l'Afrique du sud...
Il y a ceux qui n'ont pas confiance dans le projet européen, et qui, misant sur sa faiblesse, se mettent en marge, sans renoncer à le réintégrer ; il y a les ultralibéraux, auxquels le laisser-faire et le libre jeu du marché et de la spéculation tiennent lieu de stratégie européenne, les ultrasouverainistes, adeptes de la Ligne Maginot, qui prônent le retour à un Ancien régime chimérique, loin des réalités de notre monde vivant ; les ultratechnocrates, qui préfèreraient voir tout périr plutôt que de renoncer à leur dogme. Et puis il y a ceux, dont nous sommes, qui gardent résolument confiance. (MM. Bret et Mélenchon s'exclament) Car ils savent que l'Europe a toujours trouvé son chemin, grâce à la volonté, à l'audace, en un mot, à la politique. Ils continueront à servir le projet européen, en dépit des incidents de parcours. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. - Nous savions que la présidence française allait s'exercer dans un contexte économique défavorable, celui du troisième choc pétrolier. Nous savons aujourd'hui que le contexte politique sera lui aussi difficile. Après tous les efforts déployés pour repartir sur une bonne base, le « non » des Irlandais est un vrai coup dur. Faut-il pour autant critiquer les dirigeants irlandais d'avoir pris ce risque ? En réalité, ils n'y sont pour rien, la Constitution leur imposait de recourir au référendum. Au passage, cela devrait d'ailleurs faire réfléchir chez nous les partisans du référendum obligatoire. Ne cédons pas non plus à la tentation de faire la leçon aux électeurs irlandais : nous sommes particulièrement mal placés pour cela !
Et ne nous lançons pas dans des constructions imaginaires : pousser, plus ou moins, l'Irlande vers la sortie ou bien appliquer le traité sans elle ? Mais la révision des traités exige l'unanimité. Pour renoncer à cette règle, il faudrait un accord unanime. Le traité de Lisbonne porte avant tout sur les institutions : il ne saurait être question, en cette matière, de géométrie variable. Les ministres irlandais au Conseil et les députés irlandais au Parlement européen appliqueraient le traité de Nice tandis que les autres appliqueraient celui de Lisbonne ? Cela ne tient pas debout !
Pour sortir de cette nouvelle crise, il n'y a guère que deux voies possibles. La première est de poursuivre la ratification dans les huit pays qui ne se sont pas encore prononcés. Si tous ratifient le traité de Lisbonne, nous pourrons alors reprendre le dialogue avec l'Irlande, et voir comment le Conseil européen pourrait prendre des engagements susceptibles de rassurer les électeurs irlandais et de les faire changer d'avis. A ce moment-là, à condition de laisser un peu de temps au temps, il pourrait y avoir un nouveau vote. C'est à espérer car nous avons besoin du traité de Lisbonne. Et il y a des précédents : c'est une solution possible lorsqu'un seul pays a dit « non ». Tous les autres peuvent alors se trouver vers lui et lui dire : « Voulez-vous vraiment, à vous seul (M. Mélenchon s'indigne), bloquer les progrès voulus par tous les autres ? ». Mais, en l'occurrence, ce ne sera pas facile. D'abord, il faut une justification pour un nouveau vote. Dans le cas du Danemark, en 1992, le résultat avait été extrêmement serré, et en Irlande, en 2001, la participation avait été très faible. Or, cette fois-ci, la participation a été relativement élevée et le résultat relativement clair.
M. Robert Bret. - Sans appel !
M. Hubert Haenel, président de la délégation. - Il ne sera pas facile de renverser la tendance. Ensuite, nous ne savons pas encore si le « non » irlandais sera sans conséquence en Grande-Bretagne et surtout en République tchèque. Le Conseil européen va sans doute nous donner des indications mais aujourd'hui nous n'avons pas de certitude.
En cas d'échec, une autre solution serait de mettre quelque temps au second plan le débat institutionnel et d'adopter une attitude pragmatique. Après tout, les progrès possibles de la construction européenne ne sont pas tous suspendus à des changements institutionnels et nous ne devons pas chercher nécessairement, dans une Europe de vingt-sept membres, à avancer tous de la même manière. Prenons l'exemple de la défense. Quand nous nous sommes mis d'accord, au sein de la Convention, sur l'idée de créer une agence européenne d'armement, les États se sont rendu compte que rien n'interdisait d'ores et déjà de la créer ! Et c'est ainsi que l'Agence européenne de défense a été lancée sans attendre la révision des traités. Et si demain, certains États veulent aller plus loin dans la coopération en matière de défense, on voit mal ce qui pourrait les en empêcher. Tandis que si nous voulons absolument avancer à vingt-sept, nous aurons toujours des difficultés à faire travailler ensemble, par exemple, une Irlande farouchement attachée à sa neutralité et ceux qui veulent construire un pilier européen de l'Alliance.
De même, en matière de justice et d'affaires intérieures, les accords de Schengen, puis le traité de Prüm ou encore l'interconnexion des casiers judiciaires ont montré qu'il fallait savoir avancer à quelques-uns pour faire avancer tous les autres. Nous ne progresserons que par un rythme différencié et souple. Toutes les possibilités d'action commune dans le cadre actuel sont loin d'avoir été épuisées. Et lorsqu'il y a une réelle volonté d'agir chez un nombre significatifs d'États, l'expérience montre qu'on finit toujours par trouver une formule pour avancer.
L'idée européenne n'est donc pas morte à Dublin et même si nous ne trouvions pas de solution pour sauver le traité de Lisbonne, il ne faudrait pas tirer le rideau sur l'Europe. Ne facilitons pas la tâche des souverainistes en cédant au découragement. La construction européenne n'a jamais été une marche triomphale, nous avançons en terrain mouvant, sur des chemins non balisés. Mais le pire serait de s'asseoir en regardant le monde changer, et en renonçant à faire partie de ceux qui le façonnent.
C'est pourquoi les responsabilités de la présidence française vont se trouver encore accrues : alors que les obstacles s'accumulent, il va être encore plus nécessaire d'arriver à des résultats. Puisque les citoyens doutent, il faut leur montrer que l'Europe est capable de se saisir des grands problèmes de l'heure et de contribuer à les résoudre. Nous devons dire à nos partenaires que, dans le contexte d'une crise concernant les institutions, l'Europe ne peut se permettre de stagner aussi quant au développement des politiques communes. Elle doit montrer son utilité et sa résilience en agissant. Les priorités de la présidence française -les crises énergétique et alimentaire, le réchauffement climatique, les questions d'immigration et d'intégration- sont autant de domaines où la nécessité d'une action commune est évidente.
Nous devons continuer à avancer et aussi veiller sur les acquis de cinquante ans de construction européenne, dont certains sont menacés. Je pense bien sûr à la politique agricole commune, à nouveau accusée de presque tous les malheurs de la planète et d'abord de la crise alimentaire. Il est consternant d'entendre répéter un tel discours, à peu près inchangé depuis vingt ans, alors que l'actualité lui apporte aujourd'hui un démenti formel. Que se serait-il passé si nous avions suivi ceux qui préconisaient de démanteler la PAC et d'abolir ce qui subsiste de la préférence communautaire ? La production agricole européenne aurait fortement chuté et, aujourd'hui, les consommateurs européens devraient se fournir sur le marché international, ce qui provoquerait une hausse encore plus forte des prix mondiaux dont les pays les moins avancés seraient les premières victimes : la crise alimentaire serait encore plus grave. (M. Fourcade approuve)
Cela me conduit à souligner que, quelles que soient nos affinités avec nos amis britanniques, il subsiste malheureusement sur certaines questions essentielles un fossé à combler. Il était utile de resserrer les liens avec le Royaume-Uni car en matière d'action extérieure et de défense, rien n'est possible sans lui ; de même, il était utile de se rapprocher des nouveaux États membres avec qui, au-delà des malentendus, nous avons énormément en commun. Mais ne voyons pas dans ces démarches justifiées une alternative possible au couple franco-allemand -comme certains l'avaient cru après le voyage du Président de la République au Royaume-Uni-, au « fondu enchaîné » franco-allemand qui reste au coeur de l'Europe élargie. L'histoire comme la géographie lui donnent une irremplaçable capacité d'impulsion et même s'il connaît, inévitablement, des hauts et des bas, nous devons garder le cap franco-allemand avec constance. C'est le meilleur moyen de faire en sorte que notre future présidence soit efficace et utile, ce dont l'Europe a absolument besoin aujourd'hui. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - La présidence française ne peut pas ne pas être affectée par le référendum irlandais. Rien ne serait plus préjudiciable pour l'avenir de l'Union européenne que de tirer des conclusions hâtives de cette péripétie. Il importe de laisser du temps au temps pour rechercher avec nos partenaires une ligne de conduite commune qui permette à l'Union de fonctionner efficacement et chacun des pays qui doivent ratifier le traité de Lisbonne devra faire connaître son choix. A la fin du processus, il faudra faire le bilan et rechercher des solutions concrètes. Même à la suite de référendums négatifs, en Irlande comme au Danemark, des arrangements ont été trouvés qui ont mis fin au blocage des initiatives européennes.
On ne peut à la fois dénoncer l'éloignement des instances européennes et se contenter du maintien de structures qui empêchent toute décision commune. Le temps presse, l'Union est assaillie de problèmes et soumise aux tensions les plus contradictoires. Il lui faut aller de l'avant sous peine de se déliter ou de perdre toute influence dans le monde et toute crédibilité en son sein. La tâche de la présidence française ne sera pas aisée. Il lui faudra donner du corps aux priorités qu'elle a établies et obtenir des avancées dans les domaines d'action qu'elle a retenus. Ces priorités reflètent exactement les défis auxquels l'Union est confrontée et il faut savoir gré au Gouvernement de les avoir définies.
Ne l'oublions pas, c'est en France qu'a été conçu le pari de Pascal : ceux qui ne parient pas ne perdront cependant pas, ceux qui parient ont tout à gagner. Nous pouvons proposer ce pari à tous nos partenaires. C'est dans cet esprit qu'il convient d'aborder notre présidence fondée sur les convictions et non sous la contrainte.
Quelles sont les priorités de la présidence française ? Il s'agit, tout d'abord, d'une Europe qui protège, d'une Europe qui constitue un levier dans la mondialisation. Face à la hausse du prix des hydrocarbures, qui pénalise les citoyens de l'Europe, son agriculture et son économie, les institutions européennes ne peuvent pas rester inactives. Les agriculteurs, les pêcheurs, les transporteurs routiers attendent de l'Europe des réponses à leurs préoccupations concrètes et il faut savoir gré au Président de la République d'avoir posé leurs problèmes avec force
Il s'agit aussi d'une Europe qui sache répondre aux nouveaux défis, comme le réchauffement climatique, l'indépendance énergétique ou encore l'immigration et le terrorisme.
Enfin, dernière priorité, la politique étrangère et de défense. C'est là que s'exprime la plus forte attente des citoyens. Le traité de Lisbonne comporte des avancées importantes sur ces questions, comme la création d'un président stable du Conseil européen, d'un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ou encore d'un service européen pour l'action extérieure. Toutefois, l'influence de l'Europe dépend moins des mécanismes institutionnels, que de sa volonté politique et l'Union ne fera entendre sa voix sur la scène internationale que s'il existe une réelle unité entre les Européens, condition première d'une politique étrangère commune.
Lors du prochain Conseil européen, les chefs d'État et de gouvernement devraient évoquer la situation des Balkans occidentaux, et notamment la mise en place de l'opération Eulex au Kosovo. C'est dans cette région que se joue la crédibilité de la politique étrangère et de sécurité de l'Union. Si elle ne parvient pas à maintenir la paix et la stabilité sur son propre continent, comment peut-elle espérer jouer un rôle sur la scène internationale et contribuer à régler des conflits ailleurs dans le monde ?
Il faut se rendre compte de ce que l'Union européenne représente d'espoirs de développement et de paix pour les candidats. Tant qu'elle sera hors de l'Union, la Serbie n'aura pas la place qui lui revient dans les Balkans. Je le dis aux eurosceptiques : allez dans ces pays ! Après cinquante ans d'Europe, nous sommes blasés et nous apparaissons à beaucoup de ces nations comme des nantis égoïstes. (Applaudissements à droite et au centre)
Le projet d'Union pour la Méditerranée, lancé par le Président de la République, devrait constituer un projet important de la présidence française. Où en est-on ? Comment réagissent les pays de l'autre rive ?
Enfin, la relance pragmatique de l'Europe de la défense doit rester l'un de nos principaux objectifs. Face aux réticences de certains de nos partenaires, il ne faut certes pas s'attendre à des avancées spectaculaires. La défense a ainsi certainement joué un rôle dans le « non » irlandais. Toutefois, les choses progressent. Qui aurait imaginé, il y a encore quelques mois, que la Pologne voudrait aller plus loin dans la voie d'une défense européenne autonome ? Pour progresser, inspirons-nous de la méthode de Jean Monnet et réalisons des avancées concrètes créant des solidarités de fait. Les coopérations structurées permanentes que prévoit le traité de Lisbonne me paraissent bien adaptées. Les domaines de coopération ne manquent pas : mutualisation de la formation ou de l'entretien du matériel, rapprochement de nos industries, programmes communs d'équipements. Tirons aussi les leçons des difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de l'opération Eufor au Tchad et dotons l'Union d'un véritable centre de planification et de conduite des opérations.
L'Union européenne ne parviendra à faire entendre sa voix sur la scène internationale, à être une puissance dans la mondialisation que si elle dispose d'une politique étrangère et d'une défense européenne réellement autonome.
Prétendre apporter des réponses définitives aux questions abordées pendant cette présidence serait présomptueux. Renoncer à les traiter serait irresponsable. Aussi est-ce avec humilité mais détermination, avec courage, avec audace qu'il nous faut nous engager. Nous faisons confiance à l'habileté et à la ténacité du Président de la République pour faire de la présidence française une réussite en dépit d'un environnement difficile. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. - J'ai souhaité m'exprimer sur les enjeux de la politique européenne dans les secteurs de compétences de la commission des affaires culturelles. J'avais en effet envisagé de répondre à la proposition formulée par le Bureau du Sénat en organisant une réunion des commissions chargées de l'éducation, de la recherche, de la culture et de la communication au sein des États de l'Union européenne. Une concertation des responsables européens de ces secteurs stratégiques me paraissait utile, sinon indispensable, à l'occasion de la présidence française. La tenue de cette manifestation supposait l'accord de l'Assemblée nationale, puisque ces réunions sont mixtes. Or sa commission des affaires familiales, culturelles et sociales n'a pas souhaité donner suite à cette proposition car elle avait retenu le thème du financement de la protection sociale pour une telle réunion commune. La séance d'aujourd'hui me permet en quelque sorte une session de rattrapage. (Sourires)
Nous savons que le Gouvernement attache une grande importance à la promotion de la culture européenne comme en témoigne la tenue en novembre prochain du Forum d'Avignon, première rencontre mondiale « Culture, médias et économie ». J'évoquerai tout d'abord la défense de la propriété intellectuelle et du droit d'auteur, spécificité bien française héritée de Beaumarchais, qui reste d'actualité même si elle est loin de faire l'unanimité chez nos voisins européens. Je souhaite que le Gouvernement soit vigilant dans ce domaine. Lors de la révision des directives « services universels » et « protection de la vie privée », la France est apparue très isolée. Au regard des enjeux pour la défense de la propriété intellectuelle, une mobilisation politique et diplomatique française doit s'organiser rapidement afin de sensibiliser et de convaincre nos partenaires. Sans l'engagement fort des pouvoirs publics qui, sous toutes les majorités politiques, ont apporté à la création et à la diversité culturelle un soutien sans faille, il est à craindre que ne soit gâchée la chance offerte par la réforme du paquet « télécom » de consolider le respect du droit d'auteur à l'ère numérique. Les progrès techniques sont tels qu'il importe de mettre rapidement en place des mesures vraiment efficaces.
Il en va de la possibilité de bénéficier d'un cadre européen qui concilie le respect de la vie privée et le droit d'auteur, sans empêcher le développement par les États d'outils permettant de lutter efficacement contre les piratages illicites. Il en va également de l'avenir d'une réponse graduée, qui constitue une opportunité d'apporter une réplique juste et proportionnée au développement des téléchargements illicites sur Internet et qui a fait l'objet d'une campagne de dénigrement fondée sur des approximations et débouchant sur des incertitudes. Un travail de pédagogie et d'explication doit être mené sans tarder. Les résultats de la réunion qui s'est tenue à Luxembourg le 12 juin sont encourageants : un consensus pourrait se dégager sur la proposition de la Commission visant à ce que les opérateurs de télécommunications informent leurs abonnés, avant la signature du contrat, de leurs obligations en matière de droit d'auteur.
La seconde préoccupation que je voudrais relayer concerne la réglementation européenne en matière d'audiovisuel. Le sujet est on ne peut plus d'actualité compte tenu des chantiers d'importance lancés par le Gouvernement en ce domaine : commission pour la nouvelle télévision publique, réforme des décrets Tasca, réforme de l'audiovisuel extérieur. Je tiens néanmoins à rappeler que notre pays devra se conformer, après l'avoir transposée d'ici décembre 2009, à certaines dispositions de la directive « Services de médias audiovisuels ». La transposition de toutes les dispositions contenues dans la directive n'est sans doute pas impérative. Il appartiendra à la représentation nationale de juger de l'opportunité d'assouplir les règles relatives à la publicité pour les services télévisés privés. Cet assouplissement me paraît indispensable et doit être réalisé, pour la santé économique du secteur, dans les meilleurs délais, à condition bien sûr de renforcer dans le même temps la place du secteur public.
Le troisième thème que je veux aborder est celui de la reconnaissance des diplômes au niveau européen. La France doit s'approprier rapidement le cadre européen des certifications actuellement en cours de finalisation, en positionnant avec clarté ses différents diplômes par rapport aux repères fixés par le cadre. Même si l'harmonisation des diplômes secondaires requiert encore un long travail, les outils d'ores et déjà disponibles doivent être pleinement utilisés. Il en va ainsi du portfolio européen des langues, qui définit des niveaux de maîtrise des langues étrangères reconnus partout en Europe. Nous souhaitons que le ministère de l'éducation nationale aille plus loin et utilise ce cadre comme référence pour l'évaluation des élèves au baccalauréat.
Enfin, je voudrais évoquer le sport, dont les problématiques sont de plus en plus internationales : dopage, violence dans les stades, organisation des compétitions professionnelles, régulation de l'activité des agents de joueurs, protection des mineurs sportifs. Son insertion dans le traité de Lisbonne permettra que le sport ne soit pas considéré comme une simple activité économique par la Cour de justice européenne. Il faut aussi profiter de la circonstance pour en tirer des bénéfices concrets et que la France se saisisse de ces questions pour faire avancer ses points de vue. Elle devrait notamment avoir pour objectif la mise en place d'un fichier européen des interdits de stade, l'ouverture de la négociation sur le 6+5 dans les équipes de club, l'instauration d'une régulation européenne de l'activité d'agent de joueur et la mise en place d'un contrôle communautaire de la gestion des clubs.
Au moment où, dans une conjoncture politique européenne difficile -encore qu'il s'agisse de péripétie et non de drame-, notre pays va assumer la présidence de l'Union, il me paraissait utile de rappeler ces quelques points d'actualité. Je demeure persuadé que nous aurions eu intérêt à rencontrer, à l'initiative française, nos homologues européens. Cela n'a pas été possible et je souhaite, monsieur le ministre, que vous vouliez bien relayer les préoccupations que je viens d'évoquer. La presse nous apprend que le secrétariat général de la présidence française vient de décider de développer des actions de communication auprès des entreprises, des universités et des grandes écoles. Nous sommes donc parfaitement en situation. Je vous remercie par avance d'être notre porte-parole. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. - Permettez-moi tout d'abord d'exprimer, au nom de la commission des affaires économiques, ma satisfaction de pouvoir aborder, dans cet hémicycle, la manière dont la France se prépare à une présidence charnière, ponctuée de grands rendez-vous. Cette présidence intervient en effet à un moment particulier pour l'Union européenne : le traité de Lisbonne, porteur d'une réforme institutionnelle sans précédent, est en cours de ratification et le calendrier européen sera marqué par le renouvellement, en 2009, des institutions européennes. Le « non » irlandais ne doit pas remettre en cause le tempo imprimé à la construction européenne mais il relance indéniablement le débat sur l'Europe politique et le sens à donner à l'avenir de l'Union européenne. Il nous rappelle de façon impérieuse que cette construction ne peut se réduire à des documents paraphés compris des seules élites mais qu'elle doit s'incarner à travers un projet commun ambitieux dans lequel les citoyens européens se retrouvent et auquel ils peuvent adhérer. Le résultat irlandais ne doit pas mettre un terme aux réformes institutionnelles qui permettront à l'Union européenne de mieux fonctionner à vingt-sept. Bien au contraire, il nous appartient de redoubler de pédagogie vis-à-vis de l'opinion publique afin de lui rappeler tout ce que la construction européenne nous a apporté en termes de paix, de stabilité et de croissance économique partagée.
Au-delà de la question institutionnelle, il nous faut définir et mettre en oeuvre des politiques européennes visibles dans les secteurs qui intéressent le plus les citoyens européens. Les 19 et 20 juin prochains se tiendra, à Bruxelles, le dernier Conseil européen de la présidence slovène.
Le 1er juillet, la France succédera à la Slovénie et marquera ainsi son « retour en Europe comme une force de proposition et d'entraînement », selon la formule du Président de la République.
Parmi les priorités de la présidence française, je souhaite aborder plus spécifiquement trois dossiers économiques majeurs.
Le premier thème concerne la politique énergétique.
La commission des affaires économiques a constitué un groupe de travail sur le paquet « énergie climat » depuis que la Commission européenne a publié ses propositions le 23 janvier. La France veut obtenir un accord politique cette année. Les objectifs, ambitieux, comportent la réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2020, la révision du système communautaire d'échange de quotas de gaz carbonique, les biocarburants et le développement des énergies renouvelables. Ce paquet illustre le rôle exemplaire de l'Europe dans les négociations internationales sur le climat en vue de la Conférence de Copenhague en 2009. L'Union européenne devra diminuer sa consommation d'énergie et augmenter la part des énergies renouvelables.
Tout en souscrivant à la lutte contre les changements climatiques, j'insiste sur la nécessité de sauvegarder la compétitivité des entreprises européennes et de faire reconnaître au niveau communautaire la spécificité du bouquet énergétique français, particulièrement sobre en carbone grâce à la filière électronucléaire. Notre pays ne peut rester le château du nucléaire de l'Europe sans que l'allocation des quotas n'en tienne compte.
Outre le paquet « énergie climat », la présidence française abordera la sécurité énergétique de l'Union européenne, notamment dans le cadre des relations avec ses partenaires majeurs comme la Russie. Il est indispensable d'améliorer l'interconnexion entre pays européens. Des structures accessibles à divers opérateurs permettront aux consommateurs de bénéficier du meilleur prix, mais la libéralisation ne doit pas affaiblir nos opérateurs.
Le troisième paquet « énergie », présenté par la Commission européenne en septembre 2007, a fait l'objet d'une résolution sénatoriale adoptée le 3 juin. Il s'agit en particulier de la séparation patrimoniale des réseaux de production et de distribution d'énergie. Je me félicite de l'accord intervenu lors du conseil énergie du 6 juin, car ce compromis consacre la « troisième voie » prônée par la France, qui évite de démanteler nos grands groupes énergétiques.
La sécurité des approvisionnements de l'Union européenne a fait l'objet d'une mission commune d'information, créé dès 2006 et présidée par notre collègue Bruno Sido.
Le transport durable fait l'objet de l'important paquet « greening transport », que la Commission européenne doit présenter le 2 juillet. La France tentera de parvenir à une conclusion politique lors du conseil transport d'octobre, après le conseil informel des 1er et 2 septembre à la Rochelle. L'accord du 9 juin sur les émissions de gaz carbonique des voitures, intervenu entre le Président de la République et la chancelière allemande, constitue une avancée importante pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. A cet égard, je me félicite de la réunion organisée le 10 juillet sur le transport et le développement durable par notre commission et la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.
Le deuxième dossier majeur de la présidence française concerne la politique agricole commune (PAC).
Depuis que la Commission européenne a publié ses propositions, notre commission suit avec attention le bilan de santé de la PAC. Elle a constitué un groupe de travail sur ce thème, car il « ne faut pas attendre 2013 pour discuter de la réforme de la PAC », comme le Président de la République l'a rappelé le 23 février au salon de l'agriculture. Conformément aux travaux du Grenelle de l'environnement, notre commission sera très attentive à l'environnement, à l'équilibre des territoires et à la qualité alimentaire. Ces sujets seront largement abordés les 3 et 4 novembre à Bruxelles, lors de la réunion conjointe des commissions chargées de l'agriculture au sein du Parlement européen et des parlements nationaux, portant sur la PAC et la sécurité alimentaire mondiale. Le débat sur la refondation de la PAC doit intégrer une réflexion générale sur la sécurité alimentaire mondiale pour tirer les conséquences du déséquilibre alimentaire et de la hausse du prix des matières premières. En effet, l'augmentation des prix des produits de base inquiète les ménages français à faibles revenus, cependant que de nombreux pays pauvres subissent une pénurie dramatique. L'agriculture doit revenir au coeur des politiques de développement mondial. Le potentiel agricole européen peut atténuer la pénurie alimentaire. Logiquement, le conseil européen des 19 et 20 juin devrait y consacrer un volet spécifique de ses conclusions.
En outre, notre commission sera très attentive à la situation des transports et de l'agriculture, deux secteurs de premier plan en matière énergétique. Elle soutient une meilleure efficacité énergétique et plaide pour les biocarburants de deuxième génération, qui ne concurrencent pas la production alimentaire.
Le troisième grand dossier économique de la présidence française concerne les télécommunications.
La France souhaite obtenir un accord politique lors du conseil télécommunications du 27 novembre 2008. En effet, la Commission européenne a proposé, le 13 novembre 2007, un nouveau paquet « télécom » réformant le cadre réglementaire des communications électroniques. Ces propositions ont fait l'objet d'une résolution sénatoriale, à l'initiative de notre commission des affaires économiques. La présidence française devrait dégager un compromis sur la libéralisation des radiofréquences et sur la création d'un régulateur européen des télécommunications, que les États membres ont refusé lors du conseil européen du 12 juin. A cet égard, je salue le travail réalisé le 21 mai par notre collègue Pierre Hérisson. Comme lui, j'estime que la séparation fonctionnelle du réseau de l'opérateur historique ne saurait intervenir qu'en ultime ressort. La commission des affaires économiques veut combler le fossé numérique entre les villes, bien pourvues en haut débit, et l'espace rural, délaissé par les opérateurs. Elle plaidera pour l'extension du « service universel » à l'Internet haut débit ainsi qu'à la téléphonie mobile dans l'ensemble de l'Union européenne.
En conclusion, je suis euro optimiste...
M. Hubert Haenel, rapporteur. - Très bien !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. - ...quant au retour de la France sur la scène européenne, pour promouvoir une Europe dynamique, porteuse de croissance, d'emploi et de mieux-être environnemental. Représentant des collectivités territoriales, le Sénat saura y contribuer. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Robert Bret. - A la veille de la présidence française, le non cinglant du peuple irlandais, qui rend caduc le traité de Lisbonne, constitue un cuisant revers pour le Président de la République. Ainsi prend fin l'opération médiatico-politique orchestrée par l'Élysée. Ce référendum apporte aussi une réponse cinglante aux tenants de la ratification parlementaire d'un traité qui reprend la défunte constitution européenne fermement repoussée en 2005 par les peuples français et néerlandais.
Rappelez-vous : après deux ans de cogitations, un avatar de l'ex-traité constitutionnel, dénommé « mini traité » puis « traité simplifié », a été élaboré, sans consulter ni même informer les citoyens européens. Sa signature à Lisbonne, le 13 décembre 2007, a donné le signal du départ à la course de ratification. Les chefs d'État et de gouvernement s'était entendus pour contourner les peuples grâce aux ratifications parlementaires. Utiliser la démocratie représentative pour échapper à la volonté du peuple dénature le rôle du Parlement, mais les dirigeants européens ne s'en sont pas souciés, le nouveau traité devant passer coûte que coûte, à n'importe quel prix pour la démocratie. Ainsi, 26 États membres sur 27 ont organisé une ratification parlementaire. Seul le gouvernement irlandais était contraint par sa Constitution à recourir au référendum.
Les électeurs irlandais ont rejeté ce texte à 53,4 %, avec un taux de participation atteignant 53,1 %. Pour M. de Rohan, c'est une péripétie, mais pour moi, c'est un résultat sans appel ! Depuis, la cacophonie règne au sein de l'Union européenne. Le président de la Commission estime que « les ratifications qui restent à faire devraient continuer à suivre leur cours », alors que ce vote n'est pas exclusivement national car les citoyens irlandais se sont exprimés aussi au nom des peuples européens privés du droit d'affirmer leur volonté. Contrairement à ce que prétendent nos médias nationaux, les Irlandais ne sont ni des ingrats ni des ignares : en toute connaissance de cause, ils ont repoussé une Europe dévouée aux lois du marché et au patronat, dont vient de témoigner l'accord entre dirigeants européens sur la durée maximum hebdomadaire du travail. Ainsi, la durée légale restera de 48 heures par semaine au maximum, mais on pourra travailler jusqu'à 60 ou 65 heures, partout en Europe, jusqu'à atteindre la limite de résistance des travailleurs.
L'argument méprisant selon lequel 3 millions d'électeurs ne sauraient entraver la marché de 450 millions d'Européens n'est pas recevable car si les consultations populaires étaient organisées dans d'autres pays, le non l'emporterait presque partout.
En France, le déni de démocratie dont Nicolas Sarkozy s'est rendu coupable lui revient en pleine face comme un boomerang. Le ciel irlandais lui tombe sur la tête, alors que la France va assumer la présidence de l'Union. Le non irlandais est un camouflet pour lui, mais aussi un désaveu de la direction du parti socialiste, qui en prônant l'abstention au congrès de Versailles en février dernier, a facilité la tâche à la majorité. (Murmures sur les bancs socialistes)
L'entrée en vigueur du traité de Lisbonne était conditionnée à la ratification unanime par les vingt-sept membres. Chacun a en somme un droit de veto et le traité est aujourd'hui caduc. Puisque nous allons débattre cet après-midi de la réforme constitutionnelle, profitons-en pour abroger l'article 88.1 et la loi constitutionnelle de février 2008 ! La crise démocratique de l'Union européenne n'est pas résolue, le modèle actuel de construction est de plus en plus contesté. Mesurez-vous qu'il n'y a pas d'avenir pour l'Europe si vous restez sourds au message que vous adressent les peuples ? La présidence française, qui s'ouvre dans quelques jours, ne pourra se borner à prendre acte du refus irlandais. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, dans un communiqué commun, appellent à la « poursuite du processus de ratification » ! On ne pourra faire revoter les Irlandais comme on l'a fait en 2002 après le rejet du traité de Nice en juin 2001.
L'Union européenne n'a pas besoin de rafistolage et nous sommes contre une Europe à deux vitesses, comme le suggère le président Haenel.
M. Hubert Haenel, président de la délégation. - Je n'ai jamais dit cela.
M. Robert Bret. - Rompons avec les logiques libérales et proposons à nos partenaires d'organiser un débat dans tous les parlements et avec les populations. La participation active des citoyens est indispensable ! Et le non irlandais portera les promesses d'un nouvel avenir européen, pour peu que la présidence française travaille en association étroite avec ses partenaires, sans arrogance.
Les thèmes abordés au Conseil européen correspondent aux priorités de M. Sarkozy : politiques de l'immigration, de l'énergie et de l'environnement, évaluation de la PAC, défense européenne. Toutes ces politiques négligent l'intérêt des peuples et s'attirent une forte opposition.
S'agissant de la politique de l'immigration, depuis le retour de M. Berlusconi, M. Sarkozy n'est plus considéré comme un extrémiste. Le couple franco-italien, qui réclame des systèmes de contrôle plus sophistiqués, un recul du droit d'asile, une meilleure protection de l'Europe, a succédé au couple franco-allemand. Quant à nous, nous sommes totalement hostiles à une Europe forteresse mobilisant tout un arsenal militaire, juridique, technologique contre les étrangers. La proposition de directive relative aux normes et procédures applicables au retour chez eux des ressortissants de pays tiers nous préoccupe : elle relègue au second plan les droits de la personne et elle est très répressive. Encore une harmonisation par le bas... Nous avons déposé une proposition de résolution contre ce texte en 2006, hélas les protestations n'affectent en rien le déroulement des choses...
M. Hubert Haenel, président de la délégation. - C'est pour cette raison que Lisbonne est nécessaire !
M. Robert Bret. - Au contraire.
Dans la dernière version, qui sera soumise au vote du Parlement européen demain, trois points posent gravement problème : durée de détention des étrangers, détention et éloignement des mineurs isolés, interdiction de retour pendant cinq ans, à quoi il faut ajouter la possibilité d'envoyer la personne dans un pays tiers et non pas seulement son pays d'origine. Et le délai pour le départ volontaire est de sept jours seulement !
La présidence française souhaite lancer le 13 juillet l'Union pour la Méditerranée. Elle est cependant forcée de se raviser sur la portée du projet. Il ne s'agit désormais plus que de raviver un processus de Barcelone amorphe. Le budget communautaire ne participera pas à ce partenariat. En outre, ce dernier ne paraît pas à la mesure des enjeux. Le conflit israélo-palestinien fragilise toute la région et sa résolution est un préalable à tous les projets envisagés, de la dépollution au plan solaire. Sans un engagement résolu de l'Union européenne sur le terrain politique, rien n'avancera ; tout dépend de l'attitude de l'Europe. Or l'Union européenne tend à conférer à Israël un statut de quasi-membre. L'accord d'association de 2000 est en cours de révision à la hausse, Israël souhaitant une intégration politique et économique renforcée, présence aux conseils européens, participation aux programmes et aux groupes de travail... Des consultations en ce sens se déroulent en grand secret depuis un an, sans que les parlements, européens et nationaux, en soient informés. Si le projet se concrétise, la crédibilité de l'Europe dans la région serait grandement affectée. Du reste, le lancement de l'Union pour la Méditerranée le 13 juillet semble incertain ; plusieurs dirigeants arabes sont encore indécis.
En 2030, l'Europe importera 70 % de l'énergie qu'elle consommera, contre 50 % aujourd'hui. Quid de la sécurité d'approvisionnement ? Priorité a été donnée à la concurrence, au démantèlement des opérateurs historiques. Le résultat en a été l'émergence de monopoles privés. Le recours au marché spot, l'interdiction des tarifs réglementés ont poussé les prix à la hausse.
Il n'y a pas de sécurité d'approvisionnement sans maîtrise publique. Nous sommes donc satisfaits des négociations avec Moscou sur un nouveau partenariat stratégique mais celui-ci ne garantira pas la sécurité à lui seul. La politique européenne de l'énergie passe par la coopération entre les États membres, la reconnaissance du service public, le respect des engagements de Kyoto. Nous approuvons les ambitieux objectifs du nouveau paquet « énergie climat », mais la question fondamentale est celle du système de production et de son organisation. Je songe au développement des énergies propres, à la reconnaissance de la place spécifique du nucléaire. Le recours massif aux biocarburants est de plus en plus contesté : les récoltes de produits nourriciers sont réduites et le prix des denrées augmente.
Suivons le conseil de Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial de l'ONU sur le droit à l'alimentation, qui appelle à un moratoire de cinq ans sur la production de biocarburant à partir de denrées alimentaires.
J'en viens à la PAC. Elle a eu des effets pervers, en favorisant les plus grandes exploitations et en pesant sur l'agriculture du tiers-monde par le maintien d'aides aux exportations européennes. L'alimentation est un enjeu vital qui ne peut être abandonné aux lois du marché. Le 6 juin, à Rome, il n'y a pas eu consensus, seulement des promesses de dons, pour plus de 6 milliards de dollars, mais aucune résolution sur le plan structurel...
Rien n'a été décidé car il n'y a aucune coordination mondiale : à peine 4 % de l'aide publique mondiale et 1 % des prêts de la Banque mondiale y sont affectés ! Seule une Organisation mondiale de l'agriculture régulerait les prix agricoles, en évitant la spéculation qui s'est déjà emparée des prix de l'énergie. Les États doivent arrêter leurs politiques égoïstes !
S'agissant de la défense européenne, la réintégration annoncée de notre pays dans les structures de commandement militaire de l'Otan laisse peu de crédibilité à une Europe de la défense réellement autonome. Nous dénoncions déjà, dans le traité de Lisbonne, le risque d'une subordination de la politique européenne de défense à l'Otan : ce traité entretient la confusion en prônant une politique de sécurité et de défense commune qui soit strictement compatible avec l'Otan. Nous déplorons ce manque d'ambition pour l'Europe qui transparaît malheureusement, encore, dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale que le Président de la République présente aujourd'hui même aux cadres militaires.
Une politique autonome et souveraine de la défense devrait s'attaquer aux causes des tensions et des conflits : le pillage des ressources naturelles s'est aggravé avec la mondialisation, il entretient des conflits étroitement liés aux pays du nord ou encore à des pays émergents, comme la Chine. L'Europe est concernée, nous devons mettre en place d'autres rapports avec les pays du sud, dans le sens du développement durable et du développement humain.
Le référendum irlandais atteste que les peuples, lorsqu'ils en ont la possibilité, refusent la construction européenne telle qu'on la leur impose. L'Europe sera celle des peuples ou ne sera pas ! Le message adressé par les Irlandais, après celui des Français et des Néerlandais en 2005, doit être pris en considération : c'est un appel pressant pour que l'Europe devienne enfin un espace de progrès social et de solidarité, un espace promoteur de paix et de sécurité !
M. Aymeri de Montesquiou. - On avait cru l'Europe sortie de l'impasse et qu'après s'être perdue dans un débat institutionnel sans fin, elle s'était décidée à des projets concrets. La présidence française s'annonçait sous des auspices favorables. Le « non » de l'Irlande, hélas, brise cet élan d'optimisme. Certes, l'Europe, même toute couturée de cicatrices et maintes fois raccommodée, peut avancer vaille que vaille ; ce « non » traduit cependant une inquiétude qui va bien au-delà des seuls Irlandais : gageons que d'autres peuples auraient réservé le même accueil au traité de Lisbonne si on les avait interrogés ! Car les Européens se méfient des conférences au sommet, ils se sentent étrangers à la manière dont on construit l'Europe. Nous avons notre part de responsabilité ! Depuis trop longtemps, nous, responsables politiques, ne parvenons pas à faire partager les finalités de l'Europe par les peuples, à donner du sens à cette union difficile, compliquée. En France, au lieu de dire à nos concitoyens : « Voilà ce que nous pouvons faire ensemble de grand », nous leur répétons inlassablement : « Nous n'y pouvons rien » !
Cependant, l'espoir n'est pas en berne puisque plusieurs pays, en particulier la France et l'Allemagne par une déclaration commune, ont décidé de poursuivre le processus de ratification. La Grande-Bretagne semble décidée à aller jusqu'au bout, ce qui lèverait la principale hypothèque sur le traité.
Monsieur le ministre, quel est l'état d'esprit de nos partenaires à la veille du Conseil européen ? Après la visite du Président de la République en République tchèque, pensez-vous que la ratification du traité par ce pays, plutôt eurosceptique, soit acquise ? Je crois que, malgré la très forte déconvenue du « non » irlandais, il faut conserver le traité de Lisbonne parce qu'il renforce les moyens d'action de l'Europe. Il sera plus facile d'aménager des clauses pour les Irlandais que de renégocier demain un énième traité à vingt-sept.
Concernant le programme de la présidence française, pensez-vous qu'il sera encore question de discuter des attributions et des modalités de désignation des deux nouvelles autorités prévues par le traité, le président du Conseil et le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ? Le Haut représentant s'apparente à un ministre des affaires étrangères, fort du futur service européen d'action extérieure. Grâce à son appartenance à la Commission européenne, il bénéficiera de l'onction du Parlement, source de légitimité qui le rapproche du président de ce Parlement et du président de la Commission. En revanche, quelle sera la place effective du président du Conseil ? Censé être le « Monsieur Europe », il n'aura ni la légitimité démocratique ni les moyens du Haut représentant. De plus, les quatre autorités risquent de se concurrencer, ce qui nuirait à l'action commune.
Gardons à l'esprit que le traité de Lisbonne est un cadre pour que l'Union acquière une dimension politique et une présence plus volontaire dans la mondialisation. La présidence française et les suivantes devront élever le niveau d'ambition en proposant des politiques nouvelles à hauteur des défis lancés à l'Europe. Délocalisations de nos industries et de nos services, fragilité du système financier international, augmentation des flux migratoires, sécurité énergétique, développement durable, réchauffement climatique : plus que jamais, nous avons besoin de l'Europe, nous avons besoin de regrouper nos forces et nos visions communes pour protéger nos citoyens mais aussi pour construire une mondialisation plus équilibrée, plus éthique, plus respectueuse des individus. Que pouvons-nous faire sans l'Europe ?
La présidence française s'est fixé quatre priorités : la lutte contre le réchauffement climatique, l'immigration, la sécurité énergétique, la politique de défense et de sécurité.
Bien que le secteur de l'énergie soit aux origines de la construction européenne, l'Europe ne dispose toujours pas d'une politique énergétique commune. Les menaces sont pourtant là : environnementales, avec le réchauffement climatique, menaces sur l'approvisionnement puisque nous dépendons pour moitié de sources situées dans des zones politiquement instables, menaces, enfin, sur la compétitivité européenne, faute d'une recherche qui nous ferait fabriquer les produits du futur, économes en énergie et pauvres en gaz à effet de serre.
Le paquet « Énergie » de 2007 traduit un certain consensus des États membres, mais aussi leurs hésitations à mettre en place une véritable politique de l'énergie, ce qui fait qu'aucun pays ne peut compter sur une véritable solidarité des autres en matière énergétique.
L'Europe doit accroître son efficacité énergétique, diversifier et sécuriser ses sources d'approvisionnement et les itinéraires de transport. Contrairement à ce que l'on entend dire parfois, les importations d'énergie de l'Union européenne sont assez bien réparties, même pour le gaz naturel. Nous importons de Russie un quart de notre consommation en gaz naturel, ce pays a toujours honoré ses engagements depuis trente ans, même dans des périodes particulièrement troublées pour Moscou. Même si les événements récents, en Ukraine et en Belarus, donnent à craindre que la Russie utilise les exportations de gaz comme un levier politique, même si le gouvernement russe ne fait pas mystère de sa proximité avec l'équipe dirigeante de Gazprom et de son souci d'en renforcer le monopole, les contrats ont toujours été respectés. Nous devons reconnaître la fiabilité de notre fournisseur et la chance qu'a l'Europe d'avoir un voisin disposant de telles réserves. On ne peut se passer du gaz russe !
Le rapport Mandil a fait d'excellentes propositions pour rendre à l'Europe des marges de manoeuvre envers ses fournisseurs, en particulier la Russie. Monsieur le ministre, quelles suites comptez-vous lui donner ? Ce rapport constate avec raison que l'Europe, trop souvent, prétend donner des leçons à la Russie, sans s'appliquer à elle-même les règles qu'elle lui demande.
Au-delà de bons rapports avec nos amis russes, l'efficacité énergétique passe par les mesures concrètes qui nous feront atteindre l'objectif de 20 % d'émission de CO2 en moins d'ici 2020, par des actions sur la demande globale d'énergie, et encore par l'énergie nucléaire, qui est un substitut évident à l'utilisation du gaz pour produire de l'électricité. La fermeture prématurée de centrales sûres et en bon état de fonctionnement est absurde. Enfin, les énergies renouvelables ont un rôle certain à jouer, mais l'Union s'est déjà donné des objectifs très ambitieux dans ce domaine. Enfin, les faiblesses de la politique étrangère et de défense rendent plus difficile l'adoption d'actions stratégiques communes dans le domaine de l'énergie.
La politique étrangère et de défense est d'une importance capitale pour l'Europe, nous devons la hisser à hauteur de la puissance démographique et économique du continent. Toute avancée suppose de rénover l'Otan, dont les objectifs ne sont plus ceux de s'opposer à un Pacte de Varsovie disparu, et de redéfinir le partage des tâches entre l'Otan et l'Union.
Tant que nous ne l'aurons pas fait, l'Otan restera pour beaucoup un substitut confortable et moins onéreux à une défense européenne. Car la seconde condition d'une telle défense, c'est que les pays de l'Union européenne acceptent une contribution plus équilibrée à l'effort de défense, et pour certains un accroissement des crédits budgétaires. Comment la France mènera-t-elle ce dossier durant sa présidence, alors que le problème de la neutralité de certains pays n'est pas réglé ? Ne prend-on pas le risque de crisper un peu plus l'opinion publique irlandaise en prenant des initiatives en ce sens ? Je ne suis pas convaincu qu'il faille, à ce stade, concentrer nos efforts sur ce domaine.
Aux priorités affichées par le Gouvernement, je souhaiterais en ajouter deux. La première, c'est l'Europe sociale. Des avancées en matière sociale sont essentielles pour que les peuples adhèrent de nouveau au projet européen : la campagne référendaire française l'a montré. Le progrès économique n'est pas toujours synonyme de progrès social. La Commission européenne vient d'annoncer un paquet social. Certaines des mesures prévues, en faveur de la flexisécurité, de la lutte contre le travail illégal ou de l'égalité des chances, rencontrent l'assentiment de tous ; d'autres en revanche, touchant les services d'intérêt général ou le temps de travail, font apparaître des différences vives et durables. Que propose le gouvernement français ? L'adoption avant la fin de l'année d'une ou plusieurs directives en matière sociale aurait un impact symbolique très fort. La France doit tenter de convaincre les autres États membres d'augmenter leur niveau de protection sociale, et éviter que s'opposent l'Europe du Sud et les pays acquis au modèle anglo-saxon.
La seconde priorité, c'est l'avenir de la PAC, qui doit faire l'objet cette année d'un « bilan de santé ». Ce sujet prend une acuité particulière, à l'heure où un sixième de la planète a faim et que des émeutes de la faim surgissent tout autour du monde. Si la sécurité alimentaire est assurée en Europe, la question se pose du rôle de l'agriculture européenne pour l'alimentation de la planète. Au cours des derniers mois, la hausse des prix agricoles s'est poursuivie ; des pénuries alimentaires sont apparues dans certains pays ; ailleurs, afin d'éviter la pénurie, on a interdit l'exportation. Cette tendance sera durable. Le développement des agro-carburants pose également problème : ce n'est qu'un facteur marginal des hausses de prix actuelles, mais il peut y contribuer à long terme. D'ailleurs, ne cédons pas à un effet de mode ! Le bilan énergétique des agro-carburants demeure médiocre, et les résultats de ceux de deuxième génération restent incertains. Si nous poursuivons dans cette voie, il faudra utiliser des plantes à vocation énergétique plutôt qu'alimentaire. Au Brésil, pays de l'éthanol de canne, on subventionne l'essence pour qu'elle soit compétitive.
L'agriculture aura donc demain une importance stratégique. Cela devrait discréditer, une fois pour toutes, le discours selon lequel nous pourrions nous contenter en Europe d'une politique rurale au lieu d'une politique agricole, en faisant confiance au commerce international pour assurer notre approvisionnement. Cette année on dressera le bilan de santé de la politique agricole commune. Les propositions de la Commission, qui concernent, le régime de paiement unique et l'organisation des marchés, doivent aboutir à un accord en novembre, et la France doit veiller à ce que les intérêts des agriculteurs soient protégés. Mais il faut aussi poser la question de l'avenir à long terme de cette politique, pas seulement sous l'angle budgétaire. Je me réjouis qu'ait lieu sous la présidence française un débat d'orientation sur l'après 2013, dont le temps fort sera le Conseil informel consacré à l'agriculture au mois de septembre.
Un dernier mot sur la politique en faveur des PME. Ces dernières représentent 99 % du total des entreprises et assurent 75 millions d'emplois dans l'Union européenne. Or la politique de l'Union européenne pour soutenir leur développement demeure bien modeste. Les États-Unis, qui revendiquent leur libéralisme économique, n'ont pas hésité à adopter un Small Business Act d'inspiration très interventionniste. Le président Barroso a annoncé la mise en place d'un SBA européen ; il reviendra à la présidence française de traduire en actes ce projet.
La France a souvent été un moteur de la construction européenne, et elle doit aujourd'hui jouer ce rôle, sans doléances, ni brutalité, ni arrogance. Elle devra faire preuve de diplomatie et de souplesse pour éviter les conflits, et d'imagination pour les surmonter. Le résultat du référendum irlandais rend cette tâche plus délicate encore ; mais l'Europe doit continuer d'avancer. Je recourrai à la métaphore du Tour de France (sourires) : l'Europe, à la manière d'un cycliste, doit toujours rester en mouvement pour se maintenir en équilibre, mais l'histoire européenne s'apparente plus à la conquête des cols alpins qu'au tour des Flandres.
M. Hubert Haenel, président de la délégation - Elle ressemble parfois à une mêlée de rugby !
M. Aymeri de Montesquiou. - Osez, agissez, monsieur le ministre, pour que la France, à l'occasion de sa présidence, endosse le maillot jaune de l'Union. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Denis Badré. - La présidence de l'Union européenne représente pour la France une lourde responsabilité, car il lui faut relever de grands défis. Elle doit exercer sa charge au service de tous les membres de l'Union, anciens ou nouveaux, grands ou petits, qu'ils donnent le sentiment d'y croire ou non, au service surtout de tous les Européens. La présidence française qui va s'ouvrir a été minutieusement préparée ; mais la diversité des sujets ne doit pas occulter notre tâche principale : c'est de faire en sorte que l'Union européenne devienne notre affaire à tous. Car les succès et les échecs de cette présidence nous toucheront tous. C'est pourquoi je me réjouis que nous ayons aujourd'hui ce débat, qui vient à la suite des rencontres entre le Gouvernement et les délégations parlementaires pour l'Union européenne, entre vous-même, monsieur le ministre, et vos homologues européens, et entre les parlementaires nationaux et européens.
La réussite de ce projet dépendra de la manière et du ton que la France adoptera. Nous devons inscrire les politiques adoptées dans une démarche d'ensemble, cohérente et porteuse de sens. Ne pourrions-nous pas présenter les quatre priorités affichées comme autant de manières de faire progresser la paix dans le monde ? Car la condition de la paix, Paul VI le disait déjà, c'est le développement économique. Mais il faut mieux expliciter les objectifs économiques et sociaux de l'Union, afin de gagner en lisibilité et en clarté. Tous les Européens attendent de la France un nouvel élan : la construction européenne s'essouffle, bute sur des obstacles secondaires, et nous oublions les vrais enjeux. Le « non » irlandais rend particulièrement nécessaire que la France sache adopter le ton adéquat.
Il nous faut d'abord faire un effort de communication sur l'Europe. Les Européens doivent retrouver l'émerveillement devant le chemin parcouru !
M. Louis de Broissia. - Très bien !
M. Denis Badré. - Nous n'avons pas suffisamment célébré la mise en place de l'euro et l'élargissement de 2004, qui ont pourtant changé le cours de l'histoire du monde, et étaient encore des utopies il y a un quart de siècle. Admirons aussi le fait que la Slovénie, qui a exercé la présidence de l'Union au premier semestre 2008, a parfaitement joué son rôle : en 1989, le premier ministre slovène était en prison pour délit d'opinion ! Le ministre de la défense de Lituanie est né à Krasnoïarsk où ses parents étaient déportés. N'oublions pas que l'Europe, c'est d'abord les droits de l'homme, et cette Europe-là n'a pas de prix ! (M. de Broissia applaudit) Nul n'a le droit de jouer avec l'Europe.
M. Hubert Haenel, président de la délégation. - Très bien !
M. Denis Badré. - Le XXe siècle fut le siècle de tous les cauchemars, et nous revenons de loin. Continuons sur la voie ouverte par la chute du mur de Berlin !
Les gouvernements et les parlementaires nationaux et européens doivent assumer une pleine responsabilité au sujet de l'Europe. Ils doivent cesser de promouvoir leurs petits intérêts, et de rejeter sur l'Europe la responsabilité des échecs. Lorsqu'un chef d'État signe un traité européen, il doit s'engager dans la campagne référendaire pour le ratifier, et ses homologues européens doivent le soutenir. Il y a quelques jours, quelques uns d'entre nous ont eu un débat intéressant avec des collègues suédois ; vous y étiez, monsieur le président.
M. Hubert Haenel, président de la délégation. - Absolument.
M. Denis Badré. - Tous souhaitaient que leur pays rejoigne la zone euro, mais ils nous ont dit que l'opinion publique suédoise n'y était pas prête. Mais au sujet de l'Europe, il appartient aux politiques de tirer les opinions, et non de se laisser tirer par elles ! La réconciliation franco-allemande aurait-elle eu lieu si vite si on avait attendu que Français et Allemands la réclament ?
M. Hubert Haenel, président de la délégation. - Vous avez raison !
M. Denis Badré. - Les Allemands étaient-ils disposés à abandonner le mark pour l'euro ? Je n'ose imaginer le résultat de référendums sur de tels sujets. Ce n'est pas en attendant les opinions que l'on construit le monde ! Les responsables politiques nationaux doivent monter en ligne, porteurs de l'intérêt national, mais aussi de l'intérêt supérieur commun, même si c'est moins immédiatement populaire. Aujourd'hui l'Europe est minée par les égoïsmes nationaux, déguisés en « retours nets » et en « j'en veux pour mon argent ». Si nous ne savons pas redonner aux Européens le sens de l'intérêt commun, l'idée européenne mourra. Ne pouvons-nous pas convaincre les peuples que le premier intérêt, c'est l'intérêt européen ?
Ma troisième réflexion porte sur le couple franco-allemand. « Alors que nous nous apprêtons à exercer la responsabilité de la présidence de l'Union, il est, pour nous, Allemands, d'une importance décisive de lui redonner un élan durable. Seule une vigoureuse rénovation d'une relation franco-allemande qui a fait ses preuves peut permettre d'y parvenir. » Ainsi s'exprimait Richard von Weizsäcker, ancien président de la République fédérale, le 27 novembre 2006. Remplaçons « Allemands » par « Français » et faisons nôtre cette citation !
L'Alsacien, le Rhénan que je suis est convaincu qu'il n'y a pas d'avenir pour l'Union si le couple franco-allemand n'assume pas sa responsabilité particulière, si chacun ne fait pas tout pour comprendre et respecter l'autre, se faire comprendre et se mettre avec lui au service de l'Union. C'était vrai dans l'Europe des six, ça l'est davantage dans l'Union à vingt-sept. Il nous faut adresser à notre partenaire un discours univoque, direct, confiant et engagé. II ne peut plus être question entre nous d'arrière-pensées, de zones d'influence ou de leaderships. L'accord de Hanovre sur l'Union pour la Méditerranée a clos une querelle inutile. Et le climat qui régnait à Straubing comme les engagements pris sont de bon augure.
Il est bon que nous reprenions à notre compte, avec les Tchèques et les Suédois, la formule de « portage à trois » inaugurée par les Allemands avec leurs successeurs à la présidence. La crise née du vote irlandais en souligne le bien-fondé et le Président de la République s'est à juste titre rapproché immédiatement de nos amis tchèques. Alors que nous devons progresser sur le climat, l'énergie et la PAC, beaucoup des efforts déployés pour préparer notre présidence risquent d'être compromis par le vote irlandais et il est heureux que les plus hautes autorités allemandes et françaises aient choisi de réagir conjointement.
L'Europe a encore un avenir après le non irlandais, souvenons-nous du non français et néerlandais, mais sans doute était-ce une erreur de présenter le traité comme simplifié : prévoyant précisément le fonctionnement d'une Union à vingt-sept, il ne pouvait être ni concis ni simple. Sa nature le qualifiait plutôt pour un examen par voie parlementaire, qui est parfaitement démocratique. La Constitution irlandaise lui imposait d'emprunter la voie référendaire mais, dans certaines circonstances, démocratie peut rapidement rimer avec démagogie. Sur un texte complexe, le « oui » est plus difficile à défendre que le « non ». Il est tellement plus facile de détruire que de construire ! Ce n'est pas une raison pour ne pas répondre au besoin d'explications des Européens, que la présidence française doit entendre.
Nous sommes engagés dans un exercice de démocratie très exigeant... Avec ce référendum, le « non » semblait sans conséquences et le défoulement gratuit n'impliquait pas une sortie de l'Union. Deux principes démocratiques se heurtent toutefois ici. Comme tous les Européens, les Irlandais doivent pouvoir s'exprimer et rester maîtres de leur avenir, mais leur vote a des conséquences pour notre destin commun et la majorité doit aussi emporter la décision. Comment concilier ces deux fondements de la démocratie ? La ratification du traité doit constituer notre objectif incontournable : il représente un projet dans le sens de la démocratie -au nom de laquelle certains le refusent ! Nous ne pourrons aller guère plus loin avec un Conseil européen sans existence juridique alors qu'il lui faut intervenir sur des sujets aussi sensibles que les frontières, les nominations ou le budget.
Je rappelle qu'à Philadelphie la Convention américaine avait prévu que la Constitution serait adoptée si neuf des treize États appelés à se fédérer l'approuvaient. Nos exigences ont été bien plus démocratiques que celles des Américains il y a deux siècles ! La présidence française doit appeler les vingt-sept au pragmatisme et à la responsabilité. Il n'est question ni de renoncer, ni de repartir pour une énième tentative avec un nouveau texte super-simplifié. (M. Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, approuve) L'Europe y perdrait toute crédibilité.
Il est heureux que trois nouveaux États membres aient ratifié le texte au moment même où l'Irlande le rejetait et il faut mettre les Irlandais face à leurs responsabilités, tout en restant à leurs côtés, à l'écoute de leurs questions, souvent partagées par tous les Européens. Une mission peu ordinaire est confiée à la France. Elle doit trouver des ressources d'imagination et de volonté politique dans l'exemple de Schuman et Monnet, qui ont surmonté l'insurmontable et, à partir d'un champ de haines et de ruines, initié une Europe de la paix et des droits de l'homme.
Monsieur le ministre, les sénateurs du groupe UC-UDF sont à vos côtés pour que la France se mette, durant les prochains mois, au service de la vraie Europe, dont nous sommes fiers, et des Européens, dont l'attente est immense. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Didier Boulaud. - Le report du débat sur les priorités de la présidence française avait finalement tout d'un acte prémonitoire. La situation est décevante, voire inquiétante. Que comprendre du message de nos amis irlandais ? Il rappelle d'abord le manque de démocratie européenne, il exprime le sentiment qu'à partir de 2009 l'Irlande n'aurait plus eu les moyens de peser sur les décisions. Ce traité comporte pourtant des dispositions très positives pour rapprocher l'Europe de ses citoyens : renforcement du rôle du parlement européen, des parlements nationaux et du vote à la majorité qualifiée, droit de pétition des citoyens, désignation du président de la Commission européenne par le Parlement européen -pour autant que celle-ci ne soit pas ficelée par des tractations diplomatiques qui contournent la concertation démocratique.
Mais ce traité, dont le Président de la République revendique la paternité, est-il trop institutionnel et pas assez mobilisateur ? Il s'agit là d'une question parmi toutes celles qui se posent désormais. Le contexte incite à la retenue, sinon à la prudence. Je ne voudrais pas, contrairement aux déclarations du Président de la République et à la cacophonie gouvernementale, minimiser la situation. Ainsi, le Président de la République a affirmé qu'il n'était pas question de suspendre le processus de ratification du traité de Lisbonne, alors que l'Irlande n'a pas l'intention de consulter à nouveau ses citoyens. Face à des déclarations aussi divergentes le Conseil européen devra présenter un éventail de solutions. Il faut se donner le temps de la réflexion, car les conséquences de l'option retenue pourraient changer la nature de l'Union européenne, tout en rebondissant rapidement.
La présidence française devra revoir ses priorités et proposer des projets qui recueillent enfin l'adhésion des citoyens. Elle ne pourra plus se contenter de projets flous, ou de la précipitation et de l'improvisation qui ont entouré le projet d'Union pour la Méditerranée. Les déclarations sur la priorité accordée à la politique européenne de sécurité et de défense sont l'exemple même de l'effet « poudre aux yeux » qu'affectionne l'exécutif. La stratégie en a été lancée en décembre 2007 et le renforcement des capacités civiles et militaires est décidé depuis longtemps : quelles sont les propositions françaises et quels seraient les « nouveaux projets capacitaires structurants » que vous proposerez ? Nicolas Sarkozy estime que le budget de l'Union consacré à la défense devra être revu à la hausse. Étant donné l'état des finances de notre pays et les remontrances européennes à l'encontre de la gestion financière du Gouvernement, vous pouvez imaginer avec quel entrain nos partenaires vont accueillir une telle proposition...
C'est de surcroît le rendez-vous des occasions manquées d'entrée de jeu, notamment celle de réaliser un Livre blanc européen sur la défense et la sécurité ! Nicolas Sarkozy considère peut-être que l'édification d'une Europe de la défense indépendante n'est pas incompatible avec la consolidation de l'Otan. Ce pari risqué nous place à la remorque d'un allié important, qui mène des politiques que nous ne partageons pas, et que nous avons critiquées. La franchise du secrétaire national pour l'Europe de l'UMP, Alain Lamassoure, est à ce titre tout à fait rafraîchissante : « La mise en place de la défense européenne sera politiquement impossible tant que nous n'aurons pas le feu vert de Washington. Une négociation sera menée sur la réforme de l'Otan, qui ne pourra commencer que lorsqu'il y aura une nouvelle administration américaine. Il sera difficile de lancer de grandes initiatives lors de cette présidence. » Dont acte ! Il n'y a rien à espérer du deuxième semestre 2008.
Le pacte pour l'immigration paraît incongru et il ne parvient pas à masquer la volonté française de faire adopter une politique d'immigration répressive. Nous regrettons vivement que cette présidence défende la vision d'une Europe qui se replie sur elle-même en définissant les moyens d'exclure plutôt que d'inclure. La France doit résister à la tentation de transposer au niveau européen des choix nationaux, ou pire encore d'y proposer des dispositions écartées au niveau national. Une politique d'immigration ne se définit pas par une moyenne établie entre des législations et des traditions différentes.
La France et l'Allemagne se sont prononcées la semaine dernière pour l'interdiction européenne des régularisations massives d'immigrés en situation illégale. L'efficacité d'une politique d'immigration ne peut pourtant pas se mesurer à une politique du chiffre. Elle doit combiner normes communes en matière d'immigration légale, lutte contre la criminalité organisée et politique de codéveloppement. Nous aurions souhaité que la présidence française privilégie une politique européenne renforcée d'immigration légale, qui assure l'intégration sereine des migrants. Perpétuer une tradition d'accueil est, certes, une manière différente de rassurer les citoyens qui ont besoin de l'être, mais tout aussi efficace que la vôtre. Le compromis dégagé sur le projet de directive sur l'expulsion des immigrés illégaux annonce le ton du pacte pour l'immigration que vous préparez. Comment peut-on utiliser ainsi l'Europe pour faire régresser notre droit ? Cette directive vous offre le moyen de faire adopter par la suite une législation nationale moins protectrice. Pensez-vous vraiment que c'est ce qu'attendent les citoyens français ?
Mon optimisme me fait pourtant dire et croire que l'Europe peut faire tant de choses qui apporteraient une réelle valeur ajoutée à la vie quotidienne de nos concitoyens... Une des réponses à apporter à la situation actuelle, c'est le développement et le renforcement de l'Europe sociale. Or cette Europe sociale qui aurait dû être votre première priorité est totalement absente. Votre programme se résume au patronage de négociations en cours, à des conférences ou des manifestations diverses, sans véritable initiative législative. Dans ces conditions, on ne peut pas affirmer, comme Xavier Bertrand, que l'année 2008 verra le redémarrage de l'Europe sociale.
Vous ne construisez aucune véritable stratégie d'impulsion. Égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ? Mme Dati vient de s'opposer, lors de l'examen de la réforme des institutions à l'Assemblée, à l'amendement demandant son inscription dans la Constitution. Proposition de directive interdisant les discriminations fondées sur le handicap ? Il s'agit d'une initiative de la Commission européenne, vous le reconnaissez vous-même. Agenda social européen ? C'est un hasard du calendrier puisqu'il doit être mis en oeuvre en mars 2010.
Notre conception de l'Europe sociale ne consiste pas à mettre l'accent sur la lutte contre le travail illégal et les fraudes sociales. En quoi la généralisation de l'opt out britannique en matière de durée légale du travail serait un progrès pour les travailleurs, comme l'a affirmé Xavier Bertrand après l'adoption par le Conseil de la proposition de directive sur le temps de travail ?
Dire que cela ne s'appliquera pas en France, n'est-ce pas reconnaître que notre législation est plus protectrice ? Mais combien de temps encore ? Nous souhaiterions que la présidence française fût porteuse, en matière sociale, de projets qui garantissent réellement les droits des citoyens européens.
Est-ce un simple forum, comme celui que vous prévoyez pour octobre, qui permettra de traiter des services sociaux d'intérêt général ? Est-ce un simple calendrier qui permettra, comme le disait Xavier Bertrand lors de son audition devant l'Assemblée nationale, d'entamer une phase de réflexion ?
Rien n'est dit, plus généralement, sur l'élaboration d'une législation-cadre relative aux services d'intérêt général. Pas d'agenda social ambitieux, pourtant, sans avancée vers l'adoption d'une directive-cadre. La présidence française vous offre une occasion unique de donner l'impulsion politique seule à même de dépasser le refus de légiférer de la Commission européenne. Une feuille de route et un calendrier précis pour l'adoption d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général, à faire acter par le Conseil européen de décembre 2008, devraient être élaborés sans tarder.
Une occasion rare nous est aussi offerte de donner une impulsion forte à de grands projets, décisifs pour les années à venir. Comment ne pas s'étonner, dès lors, de votre silence sur la préparation de la révision des perspectives financières dont la présidence française devait être saisie ? C'est lors de cette révision que s'élaboreront les politiques européennes de demain : n'avons-nous pas besoin d'une réflexion en amont ? Pour mener des politiques plus volontaristes, l'Europe doit se doter d'un véritable budget, qui lui permette de se mobiliser au bon moment, au bon endroit et de répondre aux situations imprévues.
Je reste optimiste, car l'Europe ne s'arrête pas pour autant. Nous avons, devant nous, bien des tâches à poursuivre et de nouveaux défis à relever. Une impulsion forte, qui ne doit pas être synonyme de précipitation, mérite d'être donnée au paquet « énergie-climat », décisif pour lutter contre le réchauffement climatique. Une volonté politique commune existe, nous dit-on, de parvenir à un accord. Mais seule la date butoir fait aujourd'hui consensus. Ce n'est pourtant rien de moins que des questions comme la sécurité de l'approvisionnement énergétique, la menace de délocalisation des industries, le développement des énergies renouvelables, le débat relancé sur l'alternative nucléaire, la place des biocarburants qui sont en jeu. Un accord à tout prix risquerait de se conclure a minima autour d'un catalogue d'intentions renvoyant les vraies décisions à plus tard, comme les vingt-sept prennent trop souvent l'habitude de le faire... Un bon accord devra privilégier les mesures concrètes, rendues d'autant plus indispensables par la crise énergétique.
Mais comment mettre en oeuvre rien d'ambitieux quand aucun financement n'a été prévu par le cadre financier actuel ? A l'évidence, la crise énergétique impose une solution européenne. Alors que nous défendons le principe d'une diminution de la TVA sur les produits de première nécessité, l'essence n'en est-elle pas devenue un, tant sont nombreux les citoyens qui en dépendent pour exercer leur métier ? Nous savons pourtant qu'obtenir un accord unanime est une vraie gageure : pourquoi, dès lors, ne pas réfléchir à d'autres solutions, comme la taxation des profits pétroliers que propose le ministre des finances italien ? Car une telle décision ne serait efficace qu'à l'échelle de l'Europe.
Sur la Macédoine (« ah ! » au banc des commissions), dont les difficultés ne sont pas étrangères à la lenteur du processus conduisant à l'ouverture de négociations d'adhésion, l'Union européenne serait bien avisée de sortir de l'ambigüité. Il serait bon que la présidence française prenne attentivement en charge cette candidature et mette tout son poids dans la balance pour parvenir à un accord bilatéral entre la Grèce et la Macédoine sur le sujet futile du nom et obtienne que le Conseil européen de décembre 2008 engage enfin les négociations d'adhésion. La Grèce vient, hélas, de réitérer son opposition à l'ouverture de négociations. Mais peut-elle elle-même se prévaloir d'avoir été exemplaire lors de son entrée dans l'Union ? Le Conseil européen de cette semaine sera l'occasion d'une première concertation.
Je comprends, en un sens, le mot du Président de la République, annonçant, trois ans après le « non » des Français au traité constitutionnel, « le retour de la France en Europe ». Le rejet des traités n'est, au bout du compte, jamais positif pour un pays, exclu par là du cercle de confiance des partenaires européens, et il est inquiétant que les Irlandais aient vu dans leur « non » le seul moyen de peser sur les décisions européennes.
Ironie du sort : c'est la France qui doit désormais aider l'Europe à sortir de la crise qui s'ouvre. Elle ne marquera son retour en Europe que si elle sait déployer une réelle capacité de mobilisation et de conciliation, faite d'un savant dosage de célérité et de patience, pour trouver une solution.
Nous espérons que l'ampleur du défi n'empêchera pas la concrétisation de projets qui répondent aux souhaits des citoyens européens. Ce sont eux qu'il faut convaincre du bien-fondé de l'Europe, pas nous. Faites en sorte qu'elle se consacre aussi à leur vie quotidienne, à leurs besoins immédiats.
Des résultats concrets seront indispensables. Nous sommes prêts à soutenir une stratégie constructive. Quelles sont, monsieur le ministre, vos pistes de relance et quelles priorités assignerez-vous désormais à la présidence française ? J'ose espérer que vous reviendrez devant notre Assemblée...
M. Hubert Haenel, président de la délégation. - Bien sûr !
M. Didier Boulaud. - ... non pas en décembre, à la fin de la présidence française, mais à mi-parcours de son exercice, afin de rendre compte à la représentation nationale des actions et démarches que vous aurez entreprises, au nom de l'Europe, pour son bien et celui de ses citoyens qui, ne l'oublions pas, auront l'occasion d'un nouveau rendez vous démocratique avec elle, lors des élections européennes de juin 2009. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)
M. Robert del Picchia. - Il n'est pas permis d'oublier le référendum irlandais. Soit. C'est un « non » sans appel. Les Irlandais, en rejetant le traité de Lisbonne, ont pris leurs responsabilités. Je souhaite, au nom du groupe UMP, que ce résultat ne remette pas en cause les priorités de la présidence française de l'Union. Nous devons, au contraire, nous concentrer sur les objectifs concrets que nous avions fixés et travailler à les atteindre. Nous devons montrer, en ne renonçant pas à nos priorités, que, malgré le vote irlandais, la construction européenne avance. Paradoxalement, il s'agit d'une véritable opportunité pour la future présidence : un appel à faire plus et mieux, à travailler encore plus. Montrons aux citoyens que l'Union peut répondre à leurs préoccupations quotidiennes, et d'abord en les protégeant C'est le souhait du Président de la République et nous le partageons.
Sur le problème des institutions, qui reste entier, le Conseil des 19 et 20 juin devrait permettre de dégager des grandes lignes, notamment, nous le souhaitons fermement, la poursuite du processus de ratification du traité. Nous sommes investis, pour les six mois à venir, de la lourde responsabilité de la relance et de l'approfondissement. Nous devons l'envisager avec gravité. La France devra convaincre nos partenaires de la pertinence de ses priorités et de la justesse de ses choix, cela sans arrogance et avec le souci de concilier les avis des autres pays membres, notamment de l'Allemagne. Le couple franco-allemand a retrouvé, depuis quelques mois, sa vitalité et il faut s'en féliciter. Cet axe majeur de notre diplomatie est devenu, au coeur de l'Europe, une réalité incontournable : son affaiblissement ne peut jamais être compensé. (M. le président de la délégation approuve)
Nous approuvons, monsieur le ministre, les grandes lignes directrices que vous nous avez présentées. Vous prônez une présidence citoyenne, nous vous suivons. Les Français se méfient d'un monde qui leur fait un peu peur : ils mettent tous leurs espoirs dans l'Europe, qu'ils croient capable de maîtriser des évolutions globales qu'ils ont le sentiment de subir. Pour eux, l'énergie est aujourd'hui une priorité, qu'aiguise l'augmentation des prix. La question de la sécurité de nos approvisionnements doit être soulevée, en même temps que celle de la promotion du nucléaire pour lutter contre le réchauffement climatique. La politique européenne de l'énergie lui est liée. Nous voulons une Europe du développement durable et de l'innovation. Dans l'élan de son Grenelle de l'environnement, la France peut faire de l'Union européenne un exemple mondial en matière de protection de l'environnement.
Autre priorité à laquelle nous souscrivons volontiers, la maîtrise des flux migratoires. Même si 80 % des flux ne concernent que cinq pays, dont le nôtre, toute l'Europe est soumise à des tensions démographiques importantes. Il est donc nécessaire de coordonner les actions des États membres et d'assurer la cohérence de ces actions avec les politiques communautaires ; de voir dans quelle mesure nos politiques de traitement des demandes d'asile, d'accueil et d'intégration, mais aussi nos actions concrètes en matière de lutte contre l'immigration illégale et de développement solidaire peuvent être mieux harmonisées. La collaboration avec les pays du Sud doit être une priorité. La création d'un pacte européen sur l'immigration, brillamment défendue par M. Hortefeux, n'impose aucun transfert de souveraineté. Bref, protéger les frontières extérieures de l'Union, organiser l'immigration légale et mettre en place une politique commune de l'asile nous semble des objectifs de bon sens.
Nous travaillons à l'Europe de la défense depuis les années 1990. Les Européens doivent avoir les moyens militaires de leurs ambitions politiques. La PESD permettra de répondre à cette exigence. L'édification d'une Europe de la défense n'est pas incompatible avec l'Otan : l'une et l'autre sont complémentaires, comme le montre le nombre croissant de crises qui donnent lieu à un déploiement conjoint. N'oublions pas, de surcroît, que vingt et un des vingt et un alliés de l'Otan sont membres de l'Union européenne et que vingt et un, sur les vingt-sept membres de l'Union, sont membres de l'Otan.
L'Union pour la Méditerranée nous semble une excellente initiative ; son élargissement est une bonne chose ; ses objectifs nous semblent réalisables.
Enfin, la France doit lancer des réflexions sur le réexamen des politiques européennes et de leur financement après 2013, en particulier sur la politique agricole commune. Il faut éviter en effet que le débat agricole soit submergé par celui des perspectives financières 2013-2020. L'augmentation des prix agricoles pourrait être à cet égard un atout pour préparer l'avenir de la PAC.
Malgré les difficultés, la présidence française est une chance pour notre pays d'assurer son « retour en Europe ». Elle nous offre l'opportunité de rassembler en mobilisant les énergies. Le processus de ratification doit se poursuivre : le traité de Lisbonne n'est pas mort. Il faudra une forte volonté politique conjuguée à une forte adhésion des sociétés civiles et des opinions publiques. Comme l'a dit M. de Rohan, alors que les pays de l'Est, hors de l'Union européenne, rêvent d'Europe, l'Irlande, après son « non », risque de connaître un réveil difficile. (Applaudissements à droite.)
M. Hubert Haenel, président de la délégation. - Comme la France.
M. Robert del Picchia. - À nous de l'aider à revenir à la lucidité. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Le projet d'Union pour la Méditerranée sera-t-il l'un des points forts de la présidence française ? Nous souhaitons la réussite de projets pragmatiques menés avec persévérance dans cette partie du monde, mais la méthode nous inquiète. L'unilatéralisme de la France a suscité la méfiance générale des Européens, le scepticisme, voire le rejet violent des chefs d'État du Sud, où les peuples demeurent bâillonnés.
Aujourd'hui, le projet d'Union pour la Méditerranée ne se réduit-il pas à une relance à grand spectacle du processus de Barcelone alors qu'il pourrait être porteur d'espoir ? Pour cela, il faudrait que les causes qui ont provoqué l'échec de ce processus aient été analysées et qu'on y ait remédié. C'est loin d'être le cas : les pays que nous prétendons rassembler dans un projet commun sont trop divisés à l'intérieur d'eux-mêmes et entre eux, leurs intérêts divergent trop d'avec les nôtres, nous sommes trop divisés nous-mêmes pour qu'une instance supplémentaire réussisse ce qui a échoué avec Barcelone, alors que les circonstances sont beaucoup moins favorables qu'au lendemain des accords d'Oslo.
Comment inspirer confiance à la fois aux autocrates et aux peuples dont ils contrarient l'aspiration à une réelle citoyenneté ? Nos ambiguïtés diplomatiques ont un coût. Comment convaincre l'innombrable jeunesse de la rive sud que nous voulons établir des relations d'égalité et de parité avec leurs pays au moment même où l'Union européenne élabore des moyens juridiques communs pour leur fermer ses portes ?
Notre crédibilité est aussi atteinte par notre refus de regarder la réalité en face : comment réunir dans le même projet l'Algérie et le Maroc, opposés sur le Sahara occidental et incapables de s'entendre sur le tracé de leur frontière ? Comment faire travailler sur des projets communs Chypre et la Turquie ? Le Liban et la Syrie ? Comment faire accroire à la Turquie que ce projet n'est pas un moyen de dissoudre sa demande d'adhésion dans un vague ensemble méditerranéen ?
Comment enfin réunir les Palestiniens avec les Israéliens alors que la colonisation accélérée de la Cisjordanie et le siège de Gaza ruinent toute illusion de paix, même dans l'esprit de Condoleezza Rice ? Nous sommes là au coeur de l'échec de Barcelone. Et voilà que l'Union européenne, à la veille de la présidence française, annonce ce qui se tramait secrètement depuis plusieurs mois : l'approfondissement du partenariat Union Européenne-Israël, c'est-à-dire un statut de quasi membre de l'Union pour ce pays, sans qu'aucune des conditions exigées ne soit remplie : respect des conventions internationales dans les territoires palestiniens occupés, respect des résolutions de l'ONU, respect de la feuille de route. Avons-nous oublié les exigences auxquelles l'Union soumet les nations qui veulent adhérer, aussi bien en ce qui concerne leurs relations avec leurs voisins que le traitement de leurs minorités ?
La France qui s'apprête à présider l'Union devra cesser de prendre des initiatives diplomatiques désordonnées, incompréhensibles pour ses partenaires et qui nous valent bien des inimitiés. Un jour tel dirigeant est placé au banc d'infamie, le lendemain il est invité dans la tribune d'honneur du 14 juillet. Que peut-on y comprendre ? Nous réunissons à Paris la conférence des donateurs d'Annapolis mais nous acceptons toutes les entraves mises par Israël à la réalisation des projets à financer. Nous condamnons la colonisation de la Cisjordanie mais nous laissons nos entreprises y prêter la main !
Tout cela est incohérent et contre-productif. Alors, pendant sa présidence, nous souhaitons que la France contribue à faire prendre des positions claires, cohérentes et compréhensibles par tous, à commencer par les peuples de l'Union.
Pour le conflit palestino-israélien, les solutions sont connues de tous et depuis longtemps. Il faut les mettre en oeuvre pour libérer les Palestiniens de l'oppression et assurer la pérennité de l'État d'Israël. Il faut les mettre en oeuvre pour tarir une des sources du ressentiment des peuples arabes et des musulmans envers l'Occident, pour rendre possibles des progrès politiques dans le bassin méditerranéen et éloigner une menace qui pèse sur notre sécurité. Or ce n'est certainement pas en se privant volontairement de toute capacité d'influence, par le renforcement de ses liens avec Israël, sans exiger en contrepartie de cet État le respect d'aucune de ses obligations, que l'Union européenne y parviendra.
Ce que nous attendons de la présidence française, ce n'est pas une intervention miraculeuse de l'Union face à tous les risques écologiques, économiques, politiques qui pèsent sur la Méditerranée, c'est une prise de position courageuse de notre pays pour qu'une voix, au moins, s'élève au service de la paix : il faut clairement faire entendre à Israël qu'après avoir gagné la guerre, il lui faut aujourd'hui gagner la paix, et que c'est le préalable à tout partenariat renforcé avec l'Union européenne. Sans cela, l'idée de l'Union pour la Méditerranée ne sera qu'un feu d'artifice suivi d'effroyables explosions meurtrières. (Mme Alima Boumediene-Thiery et M. André Boyer : « très bien ! »).
M. Louis de Broissia. - Quelques jours après le « non » irlandais, le prochain Conseil européen prend une nouvelle tournure. Il s'agit maintenant de rendre l'Europe démocratique et plus proche de nos concitoyens. Monsieur Bret, décrire l'Europe comme un croquemitaine, alors qu'elle a mis fin aux guerres et à la sauvagerie, à l'horreur, à la barbarie, c'est un contresens que nous ne saurions commettre ici !
Je ne traiterai que des actuels travaux entrepris à l'échelle européenne et initiés par la France, pour libérer pleinement le potentiel des PME. Depuis maintenant plus de trois ans, je m'intéresse au sein de notre délégation à la question d'un « Small Business Act » à l'européenne. Malgré une popularité limitée à ses débuts, l'idée d'un tel SBA a fait son chemin auprès des instances européennes, notamment grâce au soutien vigoureux du gouvernement français et particulièrement de Christine Lagarde, alors ministre déléguée au commerce extérieur. Aujourd'hui la Commission européenne, reprenant cette idée, a lancé la procédure législative visant à instaurer un « Small Business Act européen ».
A l'origine, c'était une loi américaine de 1953 qui, en pleine guerre de Corée, a créé la « Small Business Administration », agence fédérale indépendante dont le mandat est de conseiller et défendre les intérêts des PME et faciliter leur accès au capital privé. C'était l'époque des entreprises logées dans des garages, dans la Silicon Valley...
Alors que nos travaux ne se concentraient initialement que sur la transposition de cette mesure en droit français, puis au niveau européen, nous avons très vite élargi notre projet. Une clause réservataire sur le modèle américain imposait une renégociation de l'accord sur les marchés publics de l'OMC. Or, en dépit d'un engagement sans faille du gouvernement français, aucune position commune n'a encore pu être trouvée en Europe, certains États membres restant attachés à une philosophie d'ouverture maximale des marchés.
Si le Gouvernement continue de défendre sa proposition de réciprocité avec les États-Unis pour l'accès aux marchés publics des PME, il n'en oublie pas pour autant les autres mesures en faveur des PME, qui devraient faciliter un accord au niveau européen et il faut saluer la persévérance française qui n'est sans doute pas étrangère à l'annonce officielle de la mise en place prochaine d'un « Small Business Act européen » par le président de la Commission européenne en octobre dernier. Cela prouve, une fois de plus, que, comme disait le général de Gaulle, « là où il y a une volonté, il y a un chemin ».
Depuis, une grande consultation a été lancée par la Commission, consultation à laquelle ont été associés les gouvernements des États membres et les représentants des PME. Les premières conclusions sorties à la fin du mois d'avril constitueront le socle de la proposition de la Commission en vue d'« un SBA européen » qui devrait être l'évènement de ces prochains jours. La France a fait parvenir ses conclusions dès l'annonce de la consultation, s'inspirant des travaux déjà menés par Christine Lagarde, par les parlementaires et par Lionel Stoléru dont le rapport commandé par le Président de la République était l'une des clefs de voûte.
A l'occasion de la présidence française, je souhaite que ce « Small Business Act européen » devienne enfin une réalité et, à titre personnel, je suis particulièrement attaché à certaines mesures de simplification et de clarification du statut des PME qui amélioreraient leur financement et leur accès aux marchés privés et publics. A titre d'exemple, voici quelques objectifs d'amélioration de l'environnement des PME auxquels la Commission européenne est ouverte : la promotion de l'esprit d'entreprise, la simplification de l'accès à la mobilité professionnelle, l'adoption du brevet communautaire, l'aide aux entreprises dans leurs démarches, l'allégement des contraintes administratives, l'harmonisation de l'impôt sur les sociétés, la création d'un fonds de garantie destiné aux PME.
Il faut également donner la priorité à la croissance de ces PME. Les entreprises de taille intermédiaires -de 250 à 2 000 salariés- manquent cruellement en France et en Europe. Il faut donc concentrer nos efforts sur les effets de seuils ; la Commission nous a fait part de son soutien sur ce sujet.
Il est aussi indispensable d'aider plus particulièrement les PME innovantes, appelées à gagner des parts de marché. Le projet de loi de modernisation de l'économie fait un premier pas audacieux en proposant, dans son article 7, un traitement préférentiel de ces entreprises dans la passation des marchés publics.
Grâce à la volonté française, une nouvelle page est en train de s'écrire pour la compétitivité des PME et, à quelques jours de la présidence française, je souhaite le succès de ce « Small Business Act européen ». (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Une directive, validée le 5 juin par les vingt-sept ministres de l'intérieur de l'Union, doit être discutée demain au Parlement européen. Ce texte, dit « directive retour », instaure des règles communes pour le traitement des étrangers, en situation irrégulière, quels que soient leur situation spécifique, leur temps de séjour, leur situation de travail, leurs liens familiaux, leur volonté et le succès de leur intégration.
Si cette directive garantit des droits à des personnes qui en étaient dépourvues, dans certains États de l'Union, ce texte durcit encore les conditions de détention et d'expulsion des migrants sans papiers. Non seulement, ils seront tous « éloignés », selon les termes si politiquement corrects de ce texte, mais, en plus, on prévoit la possibilité de les maintenir en détention jusqu'à dix-huit mois, avant de les expulser. En outre, ce texte systématise l'interdiction du territoire de l'Union pendant cinq ans pour les personnes expulsées, ce qui revient à les exclure et à les criminaliser, en créant, dans le champ juridique européen, une véritable procédure de bannissement.
Cette « directive retour » prévoit également la détention et l'éloignement des personnes vulnérables -femmes enceintes, personnes âgées, victimes de torture- et des mineurs, qu'ils soient ou non accompagnés, au mépris du respect de l'intérêt supérieur de l'enfant. Ces étrangers en situation irrégulière seraient renvoyés vers les pays par lesquels ils n'ont fait que transiter. Plus grave encore, le texte permet la détention et l'expulsion forcée des mineurs isolés vers un pays tiers, où ils n'ont ni famille, ni tuteur légal. Enfin, le texte supprime l'obligation pour les États de fournir l'aide juridictionnelle gratuite.
Autant dire que cette directive viole un certain nombre de droits et principes de grandes conventions internationales dont la France est signataire, notamment le droit pour tous de chercher asile et protection. On nous dit qu'elle est le fruit d'un compromis, qui fut long à obtenir, entre les vingt-sept et qu'elle offre de nouvelles garanties et des droits à des personnes qui en étaient privées dans certains États. Mais est-ce une raison suffisante pour généraliser des procédures d'enfermement, de bannissement et d'expulsion des personnes sans papiers dans toute l'Union européenne ?
Nous savons tous que ce n'est jamais de bon coeur que les hommes et les femmes partent en exil. Ils ont souvent été obligés de quitter leur pays et leur famille pour fuir la misère, les déficits économiques qui vont souvent de pair avec les déficits démocratiques. En Europe, ils contribuent à la prospérité et la richesse de nos pays. Ils occupent des emplois dans le bâtiment, dans les services aux personnes, dans les hôpitaux, dans les restaurants, des emplois que ne peuvent pas ou ne veulent pas occuper nos concitoyens. Ils paient des impôts et participent au financement des retraites et des caisses sociales, dont ils ne bénéficient que très rarement en raison de l'irrégularité de leur séjour. Ils contribuent également au dynamisme démographique de notre société. Ils aident à maintenir la relation entre actifs et inactifs, garante de la cohésion sociale et du dynamisme du marché interne face aux défis démographiques et financiers.
Or, depuis plusieurs années, l'Union européenne adopte des politiques toujours plus fermes et plus répressives en matière d'immigration et d'asile. Pourquoi ? Pour susciter la peur et trouver des boucs émissaires à notre incapacité à résoudre nos problèmes de société ? Ce projet de directive préfigure l'installation d'un modèle européen qui criminalise les étrangers sans papiers et les demandeurs d'asile, qui organise leur enfermement et qui risque d'engendrer de nouveaux malheurs dont l'Europe portera la responsabilité. Tout cela va à l'encontre de l'image que l'Union tente d'exporter, celle d'un continent phare qui éclaire le monde de ses droits et de ses libertés fondamentales, et qui accueille les victimes. Il n'en va donc pas seulement de la vie de ces migrants, qui se trouvent humiliés et criminalisés, parfois persécutés à leur retour au pays, mais aussi de l'image de l'Union européenne.
Je regrette que notre politique d'immigration et d'asile se contente d'un volet répressif et rétrograde, en complète contradiction avec nos principes fondateurs. M. Sarkozy déclarait lors de sa campagne électorale, le 18 mars 2007 : « Je veux être le Président d'une France qui se sente solidaire de tous les proscrits, de tous les enfants qui souffrent, de toutes les femmes martyrisées, de tous ceux qui sont menacés de mort par les dictatures et par les fanatismes. Je ne passerai jamais sous silence les atteintes aux droits de l'homme au nom de nos intérêts économiques. Je défendrai les droits de l'homme partout où ils sont méconnus ou menacés. » (On approuve sur les bancs UMP) Je prends acte de ces paroles et j'espère que le Président de la République s'en souviendra et s'opposera avec force et vigueur à cette directive de la honte.
Les droits fondamentaux sont universels. Ils ne peuvent pas s'arrêter aux frontières de l'Europe, ni ne s'appliquer qu'aux seuls citoyens européens. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. - Je vous remercie pour ce très riche débat. Nos ambitions étaient déjà très grandes, vous en avez encore complété la liste ! Je remercie tous ceux qui ont encouragé à poursuivre la ratification du traité et qui ont évoqué des questions aussi importantes que l'énergie, la politique agricole commune, l'immigration, les PME. C'est bien ce qu'on attend de l'Europe, dont nous devons faire en sorte qu'elle soit positive, comme l'a bien dit M. de Broissia.
Non, nous ne souhaitons certainement pas « forcer la main » de l'Irlande. Nous ne serions d'ailleurs pas les mieux placés pour le faire ! (Sourires) Un nouveau traité ? Cela ne paraît pas réaliste. L'idée de lancer un « noyau dur » ne nous paraît pas non plus très bonne. L'Irlande ne souhaite pas être marginalisée. Nous sommes tous d'accord pour poursuivre le processus de ratification, après quoi les Irlandais nous présenteront leurs propositions et les décisions politiques importantes qu'ils auront à prendre. Vous ne pouvez pas dire, monsieur Boulaud, qu'il y aurait, là-dessus, cacophonie gouvernementale.
On ne peut non plus, monsieur Bret, présenter ce référendum comme une « réplique cinglante » à M. Sarkozy. C'est tout de même lui qui a remis la France en position de moteur sur la scène européenne. Où en serions-nous si nous n'avions rien fait sur ce dossier ? Tous les candidats à la présidentielle s'accordaient sur la nécessité d'agir et ne divergeaient que sur les modalités de ratification. Enfin, il ne faut pas stigmatiser les Irlandais qui ne sont ni des ingrats ni des ignares ; les Tchèques ne sont pas contre un consensus, ils l'ont dit, même si un débat interne peut avoir lieu et M. Brown s'est engagé à poursuivre le processus de ratification au Royaume-Uni. Comme l'a dit M. Badré, nous devons faire jouer nos complémentarités.
L'expérience récente l'a montré : la politique européenne de sécurité et de défense dépend bien plus de la volonté politique que du cadre institutionnel. Celui-ci existe, celle-là pas toujours. Remarquez que l'opération européenne la plus importante, celle qui est menée au Tchad, au Soudan et en République centrafricaine, est commandée par un général irlandais, dont le pays est le deuxième contributeur... Les coopérations permanentes non plus ne remettent pas en cause le statut de neutralité. L'Autriche participe comme l'Irlande à l'Eufor, et la Suède est, avec la France, le seul pays à avoir participé à toutes les opérations européennes de défense. Nous devons continuer à discuter avec nos partenaires neutres.
M. Valade a posé de très importantes questions sur la propriété intellectuelle. Oui, le brevet européen sera bien à l'ordre du jour. Nous avons élaboré un accord sur la contrefaçon, avec le Japon et les États-Unis en tenant compte des susceptibilités de chacun sur la question des langues. Nous discutons avec l'Espagne et l'Allemagne. Il faudra agir de façon très ciblée. La riposte graduée ne peut être imposée, elle doit être négociée avec les fournisseurs d'accès à Internet, à la suite du rapport Olivennes. Je remercie M. Toubon pour son action au Parlement européen. Le paquet « télécom » sera traité lors d'une réunion informelle des ministres compétents ; nous espérons avancer avec la contribution de la commission sur les droits d'auteur, avec la réduction de la durée des droits voisins. Nous sommes très prudents sur l'opérateur unique, monsieur Emorine : il faudra une certaine libéralisation avec une extension du service universel pour les opérateurs Internet et le haut débit.
Nous souhaitons poser le problème du sport, même si la suspension du traité prive de base juridique toute action commune ; un mémorandum est sur la table, grâce aux Néerlandais. Il faudra effectivement encadrer la profession d'agent de joueur qui est la seule à ne pas l'être au plan européen. Nous en parlerons le 12 juillet. La question du 6+5 est très délicate, M. Valade ne l'ignore pas, lui que je sais supporter fervent d'un certain club...(Sourires) Nous cherchons à avancer.
M. Emorine a raison de vouloir concilier le paquet « énergie » avec la compétitivité des entreprises. A juste titre, il tient à inclure les importations dans le partage des quotas, pour combattre les délocalisations. Ce sera un thème majeur de la présidence française.
De même, nous voulons développer l'interconnexion est-ouest en matière énergétique.
Monsieur de Montesquiou, nous voulons mettre en oeuvre le rapport Mandil quant à la coopération avec la Russie. Il faut respecter un équilibre entre l'énergie nucléaire et l'utilisation de ressources renouvelables.
A propos de la PAC, nous mettons l'accent sur la qualité alimentaire, l'équilibre des territoires et la sécurité alimentaire mondiale. La France a proposé lors de la réunion de la FAO un partenariat pour l'alimentation et l'agriculture.
Monsieur Bret, l'accord sur le temps de travail conforte la protection des travailleurs, puisqu'on pouvait auparavant travailler jusqu'à 78 heures par semaine en Grande-Bretagne. En outre, le recours à l'opt out est strictement encadré au-delà de 48 heures. Enfin, cet accord introduit une protection pour les travailleurs intérimaires. Malgré ses insuffisances, la décision du Conseil marque donc un progrès, dont je souligne qu'il n'allonge pas la durée légale du travail en France.
Messieurs Bret et Boulaud, le pacte sur l'immigration n'a pas pour priorité de combattre les résidents illégaux. L'Europe, quelle que soit la sensibilité des gouvernements, de droite ou de gauche, est convaincue de la nécessité de réguler les flux migratoires, mais le Conseil n'a pas examiné l'ensemble du problème, alors que le pacte traite de tous les volets de l'immigration, en incluant les motivations économiques, l'asile et le développement.
La directive « retour » ne fixe que des standards minimaux, sans porter atteinte aux garanties existantes. Certes, on peut regretter l'insuffisance de ces standards, qui seront examinés demain par le Parlement européen, mais je souligne qu'un progrès modeste est préférable à l'immobilisme. Privilégier le retour volontaire est une bonne chose. Aujourd'hui, certains pays ne disposent d'aucune réglementation en la matière, sept États membres connaissant même une durée de rétention illimitée ! Elle sera désormais plafonnée, ce qui n'empêche pas la France de maintenir son délai de trente-deux jours, le plus bas d'Europe.
J'ajoute que la directive « retour » n'est pas incluse dans le pacte, celui-ci insistant sur l'intégration des immigrés dans l'Union européenne, car nous connaissons un déficit démographique.
Monsieur de Montesquiou, monsieur Boulaud, la politique sociale sera une composante majeure de la présidence française. Nous recherchons un large accord pour le retour à l'emploi et la lutte contre toutes les formes de pauvreté.
MM. de Broissia et de Montesquiou ont raison de souhaiter un traitement préférentiel en faveur des PME. Chacun désormais souhaite un « Small Business Act ». L'accord obtenu avec les Allemands la semaine dernière va en ce sens.
J'en viens à l'élargissement. La présidence française accordera une attention particulière à l'ex-république yougoslave de Macédoine, bien qu'il soit trop tôt pour dire si ce pays, candidat depuis 2005, peut ouvrir des négociations. L'Union européenne doit continuer son soutien à l'Arym pour qu'elle assure sa stabilité dans le contexte nouveau créé par l'indépendance du Kosovo. Nous appelons la Grèce et l'Arym à trouver un compromis acceptable sur le nom de cet État.
L'approche des élections européennes et la fin du mandat de la Commission ne sont pas propices à l'engagement de discussions sur les perspectives financières au-delà de 2013, les contacts que j'ai eus avec les groupes du Parlement européen m'en ont convaincu.
J'en viens aux relations avec Israël, qui ne peuvent être dissociées du contexte politique régional. Favorable au processus de paix, l'Europe s'inquiète vivement de la poursuite de la colonisation. Dans ces conditions, il ne peut y avoir d'accord politique avec Israël.
Madame Cerisier ben-Guiga, le processus de Barcelone était paralysé, victime du conflit israélo-palestinien, de la bureaucratie, de la faible attention accordée au Sud et de l'insuffisance des financements. A l'inverse, l'Union pour la Méditerranée introduit une gouvernance partagée entre le Nord et le Sud, une approche par projet de coopération et des financements variés, notamment par des pays tiers ou des partenariats public-privé. Il est logique d'y convier tous les pays riverains de la Méditerranée. S'il fallait attendre l'adoption générale de standards démocratiques comparables aux nôtres, cette Union ne serait pas près de voir le jour, et surtout pas le 13 juillet !
Y a-t-il une contradiction dans nos positions ? Nullement. Dans le contexte créé par le dialogue noué entre Israël et la Syrie à propos du Golan, et par l'élection d'un nouveau Président de la République du Liban, il est souhaitable d'associer ces pays riverains au sommet des 12 et 13 juillet. Tous seront invités le 14 juillet, l'invité d'honneur étant le secrétaire général de l'ONU, M. Ban Ki-moon. Il y a là un symbole majeur de paix, rehaussé par la présence simultanée d'Israël, de la Syrie et du Liban, tandis que défileront les troupes des Nations Unies.
M. Hubert Haenel, président de la délégation. - Très bien !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. - L'accord stratégique franco-allemand est plus que jamais nécessaire, mais ce couple doit être ouvert à d'autres partenaires. L'Europe à vingt-sept conserve son attractivité. D'ailleurs, le non irlandais ne met pas en cause l'Union, qui reste un gage de paix et de développement. Pour relancer ce qui doit l'être, la création du groupe de travail -de neuf à douze membres- sur l'avenir de l'Union, que nous avions demandé au Conseil européen de décembre, est d'une brûlante actualité. Le projet européen subit une contradiction entre la stratégie suivie à moyen terme et les aspirations à court terme des citoyens. Il faut donc plus de politique, plus de démocratie, plus de réactivité et de politiques communes. Nous ne devons pas avoir honte d'avoir créé la première union des peuples fondée sur le droit, la démocratie, le développement et les droits de l'homme ! (Applaudissements au centre et à droite)
Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée et distribuée.
La séance est suspendue à 13 h 15.
présidence de M. Christian Poncelet
La séance reprend à 16 heures.
Modernisation des institutions de la Ve République
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle, modifié par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République.
Au nom de tous, je tiens à remercier M. Fillon d'être venu lui-même présenter ce texte extrêmement important. (Applaudissements à droite et sur divers bancs du centre) Nous allons veiller à ce que ce débat se déroule dans une grande dignité, comme il est de règle dans cette enceinte.
Discussion générale
M. François Fillon, Premier ministre. - (Applaudissements à droite et sur la plupart des bancs au centre) Le Sénat est une arène politique.
M. Jean-Louis Carrère. - Vous êtes le torero ?
M. François Fillon, Premier ministre. - Les rivalités y sont d'ordinaire légitimes mais aujourd'hui vous êtes invités à débattre d'une cause supérieure. Au-delà des partis, des alternances, de toutes nos oppositions, la Constitution de la République est notre loi fondamentale. La réformer n'est pas une question de majorité ou d'opposition mais de responsabilité vis-à-vis des Français et de la démocratie dont nous avons la passion. Réformer la Constitution, c'est une occasion rare et donc précieuse. Qui d'entre nous peut jurer qu'elle se représentera à lui ?
En 1973, Georges Pompidou avait tenté d'instaurer le quinquennat : il portait son projet au nom des évolutions de la société, il comprenait ses changements avec lucidité et il en tirait les conséquences avec courage. Ce projet fut adopté par le Parlement à une courte majorité mais il ne put réunir les trois cinquième au Congrès. Entre les deux, un certain nombre de parlementaires avaient trouvé d'excellents arguments pour rester en retrait de cette réforme, les uns estimant qu'elle allait trop loin et les autres pas assez. L'occasion précieuse fut ainsi perdue et, treize ans plus tard, le cycle des cohabitations s'enclenchait pour se briser sous le choc du 21 avril 2002. Cet épisode doit nous inspirer. A ceux de mes amis qui craignent les évolutions proposées, je leur demande si la situation actuelle est si favorable au fonctionnement de notre démocratie pour n'en rien changer. A ceux qui, dans l'opposition, rêvent d'une autre réforme, je leur demande s'ils veulent refuser une amélioration de notre démocratie au nom d'un autre projet improbable.
M. Jean-Louis Carrère. - Oui !
M. François Fillon, Premier ministre. - Chacun est invité à peser ses responsabilités.
Il y a cinquante ans, après avoir sauvé l'honneur de la France, le général de Gaulle redressait celui de la République. Comme nombre d'entre vous, je défends les atouts de la Ve République. Sa force s'est éprouvée au feu des crises dont celles de la guerre d'Algérie ou de la décolonisation. Sa stabilité a fait de la France une nation moderne et respectée dans le monde.
Le Gouvernement est attaché à la Ve République, mais pour en prolonger l'esprit et l'efficacité, il vous demande d'en recréer les équilibres. Vous savez comment la pratique politique a altéré l'exercice de vos droits, et ramené la question institutionnelle au premier plan de notre réflexion. Vous savez comment l'élection du Président de la République au suffrage universel, le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral, ont érodé les traits originels du parlementarisme rationalisé. Vous savez, et je sais, moi aussi, qui ai été longtemps parlementaire, quel carcan pèse sur les épaules des Chambres.
Certains me demandent, hors de ces enceintes, si l'affaiblissement du Parlement n'a pas ses avantages. Je ne le crois pas. Un Parlement faible n'est pas le gage d'un Gouvernement fort. Un État est respecté lorsqu'il rend des comptes à un Parlement renforcé.
Rien n'obligeait le pouvoir exécutif, dans la position assez commode qui est la sienne, à proposer une révision institutionnelle dont les avancées bénéficieront d'abord au Parlement. Rien, sauf l'engagement pris par le Président de la République de rénover notre démocratie.
M. Jean-Louis Carrère. - Façon de parler !
M. François Fillon, Premier ministre. - Je suis convaincu que vous apporterez à ce projet la hauteur de vues et l'esprit de responsabilité qu'il exige. Vous ferez, en conscience, un choix pour l'avenir. A entendre les différents groupes et les différentes sensibilités, les voies de cet avenir sont naturellement nombreuses. Certains prônent un régime exclusivement parlementaire. D'autres, dont je fus, défendent l'idée d'un régime présidentiel.
M. Pierre Fauchon. - Bravo !
M. François Fillon, Premier ministre. - Certains militent pour des changements de scrutin, d'autres pour la fin complète du cumul des mandats, d'autre encore pour le droit de vote des étrangers. Bref, les propositions sont nombreuses et chaque conviction est sincère, chaque thèse a ses arguments. Mais aujourd'hui, le moment est venu d'aller à l'essentiel et de nous accorder sur un compromis innovant et réaliste. Innovant, parce que l'ampleur du projet qui vous est soumis le place au tout premier rang des révisions envisagées depuis 1962. Réaliste, parce que tout aventurisme, tout risque de dérive institutionnelle ont été écartés du projet.
Il n'est pas facile de trouver le bon chemin entre l'audace et le réalisme mais je crois que nous y sommes parvenus, grâce à la concertation. Je veux exprimer une gratitude particulière au groupe d'experts de tous bords, présidé par l'ancien Premier ministre Édouard Balladur, qui a défini les premières lignes du projet. Je veux aussi saluer la commission des lois présidée par M. Hyest, qui a examiné ce texte avec pragmatisme et ouverture. (Marques d'ironie sur certains bancs socialistes) Dans un esprit d'écoute et de rassemblement, j'ai entendu les principaux responsables politiques, pour examiner avec eux les propositions susceptibles de réunir le consensus. La revalorisation du rôle du Parlement était au coeur de leurs demandes : c'est elle qui est consacrée par ce projet.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Première nouvelle !
M. François Fillon, Premier ministre. - Renforcer les prérogatives du Parlement, ce n'est pas renouer avec les errements d'un régime d'assemblée pour lequel je n'ai aucune complaisance. Le texte de 1958 a été conçu pour tirer l'exécutif des ornières de ce régime impuissant. Nous n'y retomberons pas. Ce texte est dominé par une logique d'efficacité gouvernementale : nous n'en braderons pas les outils. Le recours au vote bloqué, la maîtrise de la procédure pour les lois de finances, l'encadrement strict de la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement seront intangibles.
La rénovation de notre pacte économique et social engagée depuis un an n'est pas dissociable de cette nécessaire revalorisation du Parlement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ah bon ?
M. François Fillon, Premier ministre. - Pour qu'une société de confiance s'instaure, il faut que cette confiance renaisse d'abord entre les élus et les citoyens. Pour qu'une culture de la responsabilité prenne racine dans le pays, il faut, au sommet, responsabiliser les pouvoirs eux-mêmes. Pour raviver les couleurs de l'identité nationale, votre Assemblée doit être libre de les brandir. Pour dégager des consensus face aux grands défis de notre temps, il faut pouvoir les bâtir ici.
Aujourd'hui, notre démocratie se réinvente à tous les niveaux. Les collectivités locales poursuivent leur essor. Les réseaux et les associations relaient à une échelle inédite les revendications et les propositions du terrain. L'Europe, quant à elle, déploie ses législations et ses règles communautaires. Peu à peu, ces pouvoirs nouveaux serrent de près notre démocratie parlementaire, ils la soumettent à un jeu de concurrence qui n'est pas sans incidences sur le fonctionnement de notre République. Si vous n'incarnez pas la souveraineté nationale, si vous ne relayez pas les débats qui agitent la société française, si vous ne les arbitrez pas, qui le fera ? Nous avons besoin d'un Parlement influent et écouté, mais aussi du bicaméralisme et de la pondération qu'il garantit. Nous avons besoin d'une forte représentation des territoires et des collectivités, dans leur variété et dans leur richesse : les qualités propres du Sénat devront s'exprimer plus librement. (Applaudissements à droite et sur divers bancs au centre)
M. Alain Gournac. - Très bien !
M. Jean-Guy Branger. - Alors n'y touchez pas !
M. François Fillon, Premier ministre. - Voilà pourquoi cette réforme institutionnelle est nécessaire.
Les mesures proposées étendent le champ de l'intervention parlementaire, elles apportent des précisions importantes à la définition des prérogatives présidentielles, elles défendent l'individu et le citoyen.
Elles vont profondément transformer vos modes de travail comme ceux du Gouvernement. La reconnaissance de la liberté du Parlement de fixer son ordre du jour, arrêté par sa Conférence des Présidents, est une des mesures emblématiques de son émancipation, les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale conservant le régime spécifique que leur originalité réclame. Cette règle existe dans toutes les démocraties modernes. L'autre symbole de son émancipation est l'encadrement du recours à l'article 49-3, restreint à la loi de finances et à un seul autre texte par session. Je veux rassurer ceux qui s'inquiètent : cette disposition ne prive pas le Gouvernement de sa capacité à gouverner. L'usage du 49-3 s'est progressivement dévoyé : à l'origine instrument à usage exceptionnel destiné à encadrer une majorité rétive, il s'est imposé comme un outil de lutte contre l'obstruction parlementaire. Nous devons tirer toutes les conséquences de l'instauration du quinquennat, qui conforte le fait majoritaire et présidentiel. Quant à l'obstruction parlementaire, c'est un sujet dont doivent se saisir les règlements des deux assemblées ; le président Accoyer a tracé quelques pistes, je ne doute pas que le Sénat fera de même.
La qualité du travail législatif sera confortée par la reconnaissance d'un rôle plus affirmé des commissions, dont le nombre sera porté à huit, le champ de compétences de chacune d'entre elles limité et l'effectif réduit. Le texte débattu en séance sera désormais le leur. Cette innovation majeure étend la responsabilité législative bien au-delà du droit d'amendement ; elle contraint le Gouvernement à s'impliquer avec davantage de courage et de précision dans la défense de sa propre rédaction. Le même souci de qualité justifie l'allongement du délai d'examen des textes, dont une analyse scrupuleuse garantira la rigueur et l'autorité.
Nous avons eu il y a quelques semaines un débat sur l'Afghanistan, dont nous nous devions de tirer les conséquences. Avec le texte, le Gouvernement sera tenu d'informer le Parlement dans les trois jours de tout engagement de troupes françaises sur un théâtre d'opérations, et une autorisation parlementaire sera nécessaire pour prolonger un tel engagement au-delà de quatre mois.
Le Gouvernement accueille avec intérêt la proposition qui l'obligerait à assortir chaque projet de loi d'une étude d'impact poussée. L'évaluation fait déjà partie de la pratique de ce Gouvernement ; elle sera systématisée et approfondie et votre propre rôle dans l'évaluation des politiques publiques sera conforté par un ordre du jour réservé spécifique.
L'Assemblée nationale a apporté au texte des modifications significatives -elle a adopté 107 amendements, dont une vingtaine de l'opposition ; je ne doute pas que le Sénat enrichisse encore le projet de loi. Parmi les points d'accord figurent le référendum d'initiative populaire ou l'octroi aux commissions chargées des nominations d'un droit de veto à la majorité qualifiée. Un amendement voté dans l'autre chambre crée la possibilité de voter des lois de programmation pluriannuelles engageant les finances publiques sur des trajectoires vertueuses ; cet exemple, qui prouve la volonté d'ouverture du Gouvernement, doit encourager le Sénat.
L'Assemblée nationale a d'autre part modifié l'article 88-5 afin d'inscrire dans la Constitution la consultation automatique du peuple pour les élargissements les plus significatifs de l'Union européenne. Je sais que beaucoup d'entre vous doutent de la nécessité de cette disposition ; j'ai eu l'occasion de m'exprimer sur ce point à titre personnel, mon sentiment est proche du vôtre. Il faut intégrer dans notre réflexion cet outil nouveau qu'est le référendum d'initiative populaire. Sur ce sujet délicat, j'attends des débats ouverts ; le Gouvernement écoutera tout le monde.
Parce que le succès du dialogue parlementaire dépend des garanties apportées à l'opposition, le Gouvernement est décidé à lever les obstacles constitutionnels qui interdisaient l'octroi de droits particuliers aux partis non majoritaires ; il compte sur votre confiance et votre sens de l'intérêt commun.
Le rééquilibrage ne s'arrête pas là. Le Président de la République a voulu que les prérogatives du chef de l'État soient plus étroitement définies : limiter l'exercice à deux mandats, pour faire primer le souci d'agir sur celui de durer ; soumettre au droit de regard du Parlement des nominations qui relevaient jusqu'à présent de sa décision souveraine ; encadrer le recours à l'article 16 et soumettre son application à un contrôle renforcé du Conseil constitutionnel ; restreindre l'exercice du droit de grâce aux cas individuels. C'est aller plus loin que jamais, c'est resserrer au plus juste les garde-fous de ce que M. Badinter identifiait comme une tendance de la Ve République à la monocratie.
M. Robert Badinter. - Absolument.
M. François Fillon, Premier ministre. - C'est donner au Parlement les garanties les plus poussées de sincérité, de respect et de vigilance.
Au vu de ces garanties, je crois très acceptable, et d'autant plus légitime, que le Président se voit reconnaître le droit d'intervenir sans vote devant le Congrès. L'encadrement très strict du droit de message tire son origine de circonstances historiques aujourd'hui dépassées. Notre démocratie mérite aujourd'hui plus de confiance, plus de clarté dans l'échange. Le projet conserve à cette intervention présidentielle un caractère exceptionnel.
Le projet de réforme renforce enfin le pouvoir et la protection des citoyens. L'initiative populaire est un des traits d'une démocratie vivante. Une proposition du comité Balladur recommande l'instauration d'un référendum d'initiative populaire. Le Gouvernement est acquis à ce principe, dont les modalités restent soumises à votre réflexion. Les risques de dérives ne nous ont pas échappé et nous serons attentifs aux propositions d'encadrement que vous formulerez, qui ont vocation à figurer dans la loi organique qui organisera la procédure.
La création d'un Défenseur des droits des citoyens est une autre avancée notable. Dans le prolongement de l'excellent travail du Médiateur de la République et d'autres autorités indépendantes, ce Défenseur tirera de son ancrage constitutionnel une autorité morale et une efficacité plus grandes.
La possibilité, pour chaque citoyen, d'être entendu quand il s'estime lésé par un service public se passe d'argument. Un même pragmatisme suggère d'introduire dans la culture juridique française l'exception d'inconstitutionnalité.
M. Robert Badinter. - Très bien !
M. François Fillon, Premier ministre. - Les juridictions françaises savent d'ores et déjà écarter l'application d'une loi qu'elles jugent non conforme à une convention internationale ; elles montreront désormais le même scrupule vis-à-vis de cette norme première qu'est notre Constitution. Il est difficile d'expliquer à nos concitoyens qu'on peut invoquer un texte international, mais pas notre Constitution. Cette réappropriation par les citoyens de notre loi fondamentale ne peut vous laisser insensible. Je veux dire à mon ami Adrien Gouteyron qu'il ne faut pas craindre un gouvernement des juges ; grâce au filtrage des requêtes, le Conseil constitutionnel ne sera saisi que des contestations les plus sérieuses, celles qu'il n'a pas eu l'occasion d'examiner dans le cadre du recours parlementaire. Cette réforme aura des vertus pédagogiques, qui incitera chacun d'entre nous à être encore plus attentif au respect de notre texte constitutionnel. L'autorité et la légitimité de la loi en seront confortées ; et c'est notre État de droit et notre démocratie qui en sortiront renforcés.
Le projet organise en dernier lieu la réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). L'évolution du rôle dévolu à I'autorité judiciaire dans une démocratie moderne recommande que le Président de la République cesse d'en assurer la présidence. Il la transmettra au Premier président de la Cour de cassation ou à son procureur général. Pour garantir son indépendance et son ouverture, des personnalités qualifiées seront appelées à y siéger. Beaucoup d'entre vous ont souhaité que la parité soit maintenue en matière disciplinaire. Le Gouvernement sera ouvert à cette préoccupation.
Les questions que ce projet nous pose sont sans détours. Serons-nous à la hauteur de l'occasion historique qui s'offre à nous ? Sommes-nous capables de dépasser nos logiques d'affrontement pour faire aboutir un projet où prime l'intérêt général ? Refuserons-nous un texte qui renforce le poids du Parlement et les droits du citoyen ?
M. Jean-Louis Carrère. - La ficelle est un peu grosse !
M. François Fillon, Premier ministre. - Ceux qui le feront devront s'en expliquer clairement. Nul ne doit s'y tromper : un pouvoir que vous ne saisirez pas sera saisi par d'autres. Un pouvoir dont le Parlement hésiterait à s'investir, les démagogues, les prétendus experts et les slogans de la rue s'en empareront. La Constitution de la Ve République est le coeur de notre patrimoine politique ; hésiter à la faire évoluer, c'est renoncer à la faire vivre.
Le projet qui vous est soumis porte la marque de la créativité que le peuple français attend de nous. II porte aussi la marque de la raison. Les droits que ce projet dépose devant vous sont nombreux et importants. A vous de les juger, de les adopter puis de les utiliser. A vous de saisir l'occasion historique de donner un nouveau souffle à notre République. La France mérite que des institutions rénovées l'animent. Vous avez aujourd'hui le pouvoir d'élargir les sources de sa démocratie.
Voilà la haute et belle responsabilité qui est la vôtre. (Applaudissements prolongés à droite et sur la plupart des bancs au centre)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois. - Même s'il a moins d'intérêt pour les médias que l'anniversaire de telle ou telle vedette du spectacle...
M. Bernard Frimat. - Jaloux !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - ...le cinquantenaire de la Constitution de la Ve République mérite mieux que des colloques, pour indispensables qu'ils soient.
A ceux qui ont vécu cette période ou s'intéressent à l'histoire, cette Constitution qui a résisté aux crises politiques et aux alternances électorales apparaît étonnement efficace, après une IVe République instable et incapable de surmonter la décolonisation.
M. Yannick Bodin. - Alors gardons-là.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Mais, loin d'être une réponse circonstantielle à la crise qui l'avait vu naître, et grâce à la prescience du Général de Gaulle et des autres « pères fondateurs », notre Constitution a traversé cinq décennies et fait de la France une démocratie moderne. L'adhésion de nos concitoyens à leurs institutions transcende les clivages politiques, même si quelques-uns rêvent d'une VIe République -l'imagination constitutionnelle est inépuisable et permet à certains de se faire un peu de publicité...
M. Jean-Louis Carrère. - Jaloux !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Faut-il rouvrir le « laboratoire constitutionnel » permanent qui a marqué notre histoire politique depuis 1789 ? Certes non, mais deux réformes importantes ont eu une influence sensible sur l'équilibre de nos institutions et le moment est venu d'en tirer toutes les conséquences. L'élection au suffrage universel direct du Président de la République après 1962 et le fait majoritaire lié au mode de scrutin choisi en 1958 pour les élections législatives ont renforcé le pouvoir exécutif : c'est le parlementarisme rationalisé, qui a ouvert la voie à une présidentialisation du régime. Depuis 1958, les impulsions politiques sont données pour l'essentiel par le chef de l'État, situation confortée par l'instauration du quinquennat et l'élection des députés à la suite immédiate de la présidentielle.
La tentation est grande de prôner par conséquent un régime présidentiel... Il est sage, pour préserver l'avenir, de ne pas toucher aux équilibres prévus par la Constitution au sein de l'exécutif : on ne peut que suivre l'Assemblée nationale, qui a supprimé l'article 8 du projet de loi et maintenu les prérogatives du Premier ministre en matière de défense nationale. Conformément aux engagements du candidat à la Présidence de la République, la présente réforme constitutionnelle est la plus importante depuis 1958. Si elle est adoptée, elle constituera le meilleur gage de la pérennité du lien entre les Français et la Ve République.
Il ne s'agit pas de la première révision, mais de la vingt-troisième ! Le rythme des révisions va s'accélérant, puisqu'il y en a eu dix-sept depuis 1992...
Voix à gauche. - Il est temps que ça s'arrête.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - ... il est vrai souvent pour adapter notre loi fondamentale aux traités européens. La réforme de 1995, le parti socialiste s'en souvient, visait déjà à moderniser le fonctionnement du Parlement ; elle avait soulevé des espoirs mais n'a pas eu de grands résultats... La présente réforme vise quant à elle, essentiellement, à rééquilibrer les institutions en renforçant le Parlement et à mieux assurer les droits du citoyen. Elle a été préparée de façon exemplaire par le comité de réflexion présidé par Edouard Balladur et nourrie plus anciennement par les réflexions du comité Vedel comme par celles du Parlement. Continuité heureuse ! De nombreuses propositions font aussi écho aux recommandations formulées en 2002 par le groupe de réflexion sur l'institution sénatoriale présidé par notre ancien collègue Daniel Hoeffel et plus récemment par la mission d'information sur les Parlements des pays européens, emmenée par MM. Gélard et Peyronnet. (M. Badinter se montre dubitatif)
Je veux souligner d'abord la cohérence de la démarche. Notre commission des lois vous proposera de préserver deux acquis essentiels de la Ve République : la plasticité du texte constitutionnel concernant les relations au sein de l'exécutif, et l'efficacité des institutions. Nous nous sommes longuement interrogés sur la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement, concluant que l'article 49.3 était un élément de stabilité.
M. Jean-Pierre Fourcade. - Très bien.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - L'occasion était tentante, sans doute, de revenir sur des sujets, certes importants, tels que le statut des langues régionales, l'égalité entre hommes et femmes, la décentralisation, la frontière entre la loi et le règlement. Même si nous pouvons adopter nombre de dispositions votées à l'Assemblée nationale, je vous invite à la sobriété en ce domaine, pour garder à la Constitution son caractère de texte régulateur de nos institutions et de notre démocratie. La Constitution n'est pas la loi organique, qui n'est pas la loi simple, qui n'est pas le règlement... Je n'insisterai pas sur la limitation des pouvoirs de nomination du Président de la République, ni sur le nombre des mandats présidentiels, l'adresse au Congrès. Ce sont des éléments importants. Mais le coeur de la réforme est bien le renforcement effectif des droits du Parlement et une meilleure garantie des droits et des libertés.
Dans la droite ligne des travaux de l'Assemblée nationale, la commission des lois vous proposera de conforter les droits du Parlement en matière de contrôle et d'évaluation de la loi et des politiques publiques, d'améliorer les conditions de présentation des projets de loi et surtout de mieux organiser les travaux parlementaires. Notre objectif est de garantir effectivement -et non pas seulement en apparence- le droit d'initiative du Parlement, je songe en particulier aux droits de l'opposition. L'examen en première lecture du texte de la commission va bouleverser la routine parlementaire et ne sera pas sans effet sur les relations entre l'exécutif et le législatif. Nous l'appelions de nos voeux. A nous d'en tirer toutes les conséquences dans notre règlement. Parmi les droits du Parlement, il y a celui de voter les résolutions. L'Assemblée nationale a craint qu'il ne nuise à l'équilibre de nos institutions : toutes les craintes sont dans la nature, mais celle-ci ne nous paraît pas fondée, pour peu que le vote de résolutions soit encadré et ne permette pas de mettre en cause l'action du Gouvernement. Cela nous évitera sans doute des lois mémorielles. Il existe déjà des résolutions dans le domaine européen, pourquoi refuser de les étendre à d'autres sujets ? Nous rechercherons également le point d'équilibre dans l'exercice du droit d'amendement, en préservant l'autonomie des Assemblées.
Un des volets essentiel du projet vise à assurer une meilleure garantie des droits et libertés : participation, dans le respect du pluralisme, des partis politiques à la vie démocratique ; institution d'un référendum d'initiative populaire, ou plutôt d'initiative parlementaire soutenue par une pétition de citoyens, à condition que soit prévu un contrôle de constitutionnalité a priori avant le référendum ; exception d'inconstitutionnalité sous forme de motion préjudicielle renvoyée au Conseil constitutionnel -il s'agit de la troisième tentative à ce sujet, peut-être sera-ce la bonne !
M. Robert Badinter. - On va voir.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Quant à un défenseur des droits, nous aurons à en préciser les compétences car les autorités administratives indépendantes se multiplient depuis quelques années...
Arrêtons-nous sur le volet européen. Nous souscrivons largement à la révision proposée -dans la perspective de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Quant à la réforme du CSM, pour répondre au malaise créé par les affaires judiciaires récentes et lever tout soupçon de corporatisme du corps judiciaire, la commission souscrit à la réforme, à condition que la procédure disciplinaire soit aménagée pour respecter le principe paritaire.
Ambitieuse réforme, de nature à revivifier nos institutions ! Le Parlement, s'il s'y engage résolument, pourra exercer la plénitude de ses attributions. Reste un point dont certains en font un préalable -c'est leur droit, mais nous ne sommes pas obligés de les suivre. Pour des raisons que nous avons quelque mal à comprendre, certains affirment que le Sénat constitue au mieux « un défi à la démocratie », au pire « un déni de démocratie ». Si l'on veut faire du Sénat un clone de l'Assemblée nationale... (Protestations à gauche)
MM. Bernard Frimat et Jean-Pierre Sueur. - Personne ne demande cela !
M. Robert Bret. - Mauvaise foi !
M. Jean-Pierre Bel. - On peut vous expliquer ce qu'il en est.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - ... en l'élisant sur des critères purement démographiques, on nie sa spécificité, à savoir l'élection au suffrage universel indirect par les représentants des collectivités locales. Le débat engagé a créé un doute sérieux sur le maintien de cette spécificité. Mais M. le ministre chargé des relations avec le Parlement entendu par la commission des lois nous a rassurés.
Je ne vais pas relire ses propos.
M. Charles Pasqua. - Mais si, relisez !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. - C'est très intéressant !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Je relis donc : « le texte précise que le Sénat représente les collectivités locales en tenant compte de la population afin que le mode d'élection des sénateurs ne conduise pas à une disproportion excessive du poids de certaines collectivités territoriales au regard de leur population, sans aboutir pour autant à ce que les sénateurs ne soient plus élus essentiellement par les élus ». C'est ce qu'avait tenu à préciser la commission des lois, contrairement à ce qu'on entend dans le tapage médiatique repris en choeur par le microcosme parisien, qui n'a jamais compris la réalité des territoires. (Marques d'approbation à droite, protestations à gauche)
M. Jean-Louis Carrère. - Je découvre que j'appartiens au microcosme parisien.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Rien n'interdit de faire évoluer le corps électoral du Sénat en tenant mieux compte de la population, ce que MM. de Rohan et de Raincourt et moi-même même avions proposé en 1999. Nous n'y sommes pour rien si cette proposition, votée au Sénat, a fait l'objet d'une fin de non-recevoir de la part du Gouvernement de l'époque. (Marques d'approbation à droite)
M. Charles Pasqua. - Des noms !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Si ce changement peut être compris comme un moyen d'inscrire le mode de scrutin dans la Constitution, mieux vaut ne pas modifier l'article 24, puisque l'ajout « en tenant compte de la population » énonce une évidence, conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. On nous a assez reproché d'inscrire dans la Constitution ce qui relève de la jurisprudence !
M. Henri de Raincourt. - Il a raison !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Je fais remarquer incidemment à nos collègues qu'ils devraient retirer tous leurs amendements sur l'élection des députés, pour ne pas encourir le même reproche. (Rires à droite) Sa spécificité donne au Sénat une autonomie qui irrite parfois le pouvoir, et qui fait de lui le défenseur des libertés fondamentales. Cette autonomie est précieuse à une époque de pensée unique. Nous devrions tous la défendre.
Souhaitons que ce projet de loi, qui révise profondément notre Constitution tout en préservant ses grands équilibres, puisse aboutir pour le plus grand bien de la démocratie française. C'est une occasion précieuse, que nous ne devons pas manquer ; et je suis persuadé qu'au terme de la navette parlementaire, nous aurons élaboré un texte qui constituera une réelle modernisation de nos institutions. (Applaudissements sur les bancs UMP et la plupart des bancs au centre)
M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. - (Applaudissements à droite) Par un hasard du calendrier, le Sénat commence l'examen de ce projet de révision de la Constitution de 1958 la veille du 18 juin, et c'est pour moi l'occasion de rendre hommage au libérateur de la France, qui nous a légué cette Constitution à laquelle nous sommes fondamentalement attachés. (Vifs applaudissements à droite et sur de nombreux bancs au centre) Mais par souci d'équité, et devant six de ses anciens ministres de gauche, je souhaite également rendre hommage à François Mitterrand, qui a scrupuleusement respecté la lettre et l'esprit d'une Constitution qu'il avait à l'origine combattue.
M. Henri de Raincourt. - C'est vrai !
M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. - C'est la preuve que c'était une bonne Constitution. (Applaudissements à droite et sur quelques bancs au centre) Issue des propositions du comité Balladur, cette révision constitutionnelle s'annonce comme une réforme profonde. Son principal objectif est de rééquilibrer nos institutions en revalorisant le rôle du Parlement. S'il est un domaine où la notion de rééquilibrage prend tout son sens, c'est bien celui de la politique des affaires étrangères et de défense. L'expression de « domaine réservé » a toujours été récusée par le général de Gaulle ; elle résulte d'une pratique favorisée par le président de l'Assemblée nationale de l'époque, mais elle n'est pas dans la Constitution. Mais il faut bien admettre que, dans le domaine de la politique étrangère et de défense, l'exécutif prédomine traditionnellement.
Non que le Parlement soit dépourvu de moyens pour contrôler l'action du Gouvernement ; mais la volonté de préserver l'unité de la politique étrangère et le relatif consensus qui prévalait sur ces questions ont conduit les parlementaires à s'imposer une certaine retenue. Cet équilibre est remis en cause aujourd'hui par l'aspiration de l'opinion à une transparence accrue et à un débat public sur ces affaires, et ce débat doit avoir lieu dans les assemblées. D'ailleurs le temps n'est plus pour l'exécutif à la conquête de prérogatives qui lui seraient disputées par un Parlement ombrageux. Soyons clair : c'est à l'exécutif, et en particulier, au Président de la République, qu'il incombe de conduire la politique étrangère et de défense de la France ! Mais celle-ci sera d'autant mieux comprise et acceptée par nos concitoyens qu'elle aura été débattue au sein des assemblées. Le projet de loi constitutionnelle renforce sensiblement les prérogatives du Parlement dans ce domaine. C'est pourquoi la commission des affaires étrangères et de la défense a souhaité se saisir pour avis de ce projet de loi ; elle a adopté plusieurs amendements visant à conforter le rôle du Parlement.
En matière de défense, l'une des principales nouveautés du projet de loi tient à la création d'une procédure de contrôle parlementaire sur les interventions des forces armées à l'étranger. Il s'agit d'un mécanisme à double détente. En cas d'intervention des forces armées à l'étranger, le Parlement devra être informé par le Gouvernement dans un délai de trois jours et il pourra éventuellement débattre de cette intervention, sans toutefois pouvoir se prononcer par un vote. Au-delà de quatre mois, la prolongation d'une intervention sera soumise à un vote d'autorisation du Parlement. Tel qu'il a été modifié par l'Assemblée nationale, le dispositif proposé me paraît satisfaisant : il préserve l'équilibre entre la nécessité d'associer le Parlement et celle de ne pas empiéter sur les prérogatives de l'exécutif, afin de ne pas nuire à l'efficacité des interventions militaires.
Notre commission n'aurait pas accepté que les interventions militaires à l'étranger soient soumises à l'autorisation préalable du Parlement : un tel système risquerait de paralyser l'action de nos forces. Il n'existe d'ailleurs pas chez nos partenaires, à l'exception des Allemands, pour des raisons historiques. Faudrait-il attendre de réunir le Parlement pour procéder à l'évacuation en urgence de nos ressortissants d'un pays en crise ? Ce serait irresponsable vis-à-vis de nos compatriotes et de nos militaires, et cela risquerait de fragiliser les responsabilités internationales de notre pays. Il est vrai que le texte laisse une certaine marge d'appréciation au Gouvernement. Je souhaite que le débat sur cet article permette de préciser la notion d'intervention des forces armées à l'étranger, et la distinction entre les interventions devant donner lieu à une information du Parlement et les autres. Le texte ne précise pas non plus le point de départ du délai de trois jours pour l'information du Parlement. Est-ce la date de la décision d'intervenir ou bien le jour à partir duquel les troupes sont déployées sur le terrain ? Compte tenu du décalage souvent important entre ces deux dates, par exemple à l'occasion de l'opération Eufor au Tchad et en République centrafricaine, cette question n'est pas sans importance. La discussion de cet article pourrait permettre de préciser ce point ; mais je voudrais proposer au ministre de la défense de réunir un groupe de travail auquel participeraient les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.
J'avoue avoir été heurté par la phrase qui dispose qu'« en cas de refus du Sénat, le Gouvernement peut demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement sur la prolongation de l'intervention ». Notre commission a adopté un amendement prévoyant que « la prolongation de l'intervention au-delà de quatre mois est autorisée en vertu d'une loi ». L'Assemblée nationale aurait le dernier mot en cas de divergence entre les deux Chambres mais la rédaction est plus respectueuse du Sénat. Toutefois, contrairement à la procédure législative ordinaire, le droit d'amendement ne s'appliquerait pas : comme le précise l'exposé des motifs du projet de loi, l'acte d'autorisation « ne saurait s'accompagner d'aucune condition concernant les modalités opérationnelles d'engagement des troupes ».
Le projet renforce également le contrôle du Parlement sur la politique étrangère et européenne. Il prévoit d'étendre le champ des textes européens devant être transmis par le Gouvernement au Parlement, de reconnaître la faculté pour chacune des assemblées d'adopter des résolutions sur tout document émanant de l'Union européenne, de constitutionnaliser et de modifier la dénomination des délégations pour l'Union européenne. Dans sa version initiale, le texte reconnaissait également aux Assemblées le droit de voter des résolutions. L'Assemblée nationale a supprimé cette disposition, estimant qu'elle ne permettait pas de revaloriser le Parlement et qu'elle pourrait même être dangereuse pour l'équilibre de nos institutions. Notre commission a estimé au contraire que le vote de résolutions pourrait être utile, à condition d'encadrer strictement ses conditions de mise en oeuvre. Cela permettrait en effet de revaloriser le rôle de la loi, et d'éviter la multiplication de lois purement déclaratoires comme les lois mémorielles.
M. Henri de Raincourt. - Très bien !
M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. - Il convient cependant d'encadrer strictement cette procédure, afin qu'elle ne soit pas dévoyée. C'est pourquoi notre commission a proposé de rétablir le droit pour les assemblées de voter des résolutions, tout en considérant que les conditions et limites de ce droit devraient être fixées par une loi organique. De plus, toute proposition de résolution mettant en cause, directement ou indirectement, la responsabilité du Gouvernement ou de l'un de ses membres serait irrecevable.
J'évoquerai enfin la procédure d'autorisation de ratification des traités d'adhésion à l'Union européenne. Depuis la révision constitutionnelle de 2005, toute nouvelle adhésion, sauf celle de la Croatie, doit faire l'objet d'un référendum dans notre pays. Cette disposition visait surtout à éviter que le débat sur la Turquie n'interfère avec le référendum sur la Constitution européenne, avec le succès que l'on sait ! Aujourd'hui, tout le monde s'accorde à dire qu'il ne serait pas indispensable de consulter les Français par référendum sur l'adhésion de pays comme la Norvège, qui ne suscite aucun débat dans l'opinion. Ce dispositif pourrait entraîner une succession de référendums, sur l'adhésion du Monténégro ou de la Macédoine, dont on peut présager qu'ils se solderaient par une faible participation.
Le comité Balladur a donc proposé un autre mécanisme, repris dans le texte initial du projet de loi, lequel prévoyait que tout projet autorisant la ratification d'un projet d'adhésion devait être adopté dans des termes identiques par les deux assemblées, puis soumis, sur décision du Président de la République, soit au référendum soit au Congrès. Le recours au référendum restait donc la procédure de droit commun mais, comme avant 2005, le Président de la République conservait la faculté d'en décider autrement. La procédure restait plus contraignante que pour la ratification des autres traités, puisque la majorité des trois cinquièmes était requise, en cas de ratification par le Congrès, comme pour une révision constitutionnelle.
Ce mécanisme a suscité toutefois de vives critiques à l'Assemblée nationale au motif qu'il ne rendra plus obligatoire l'organisation d'un référendum dans le cas d'une éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union européenne. A l'initiative de sa commission des lois, un amendement a été adopté qui prévoit que les futures adhésions à l'Union relèveront de la procédure de droit commun applicable à la ratification des traités et accords internationaux, la seule exception concernant les États dont la population représente plus de 5 % de celle de l'Union européenne, dont l'adhésion resterait soumise à la procédure du référendum.
L'essence même des dispositions de nature constitutionnelle n'est-elle pas cependant de poser des principes à caractère général ? Or, il est clair que cette rédaction vise à réserver un traitement particulier à la Turquie, seule, parmi tous les pays candidats, à répondre à ce critère des 5 %.
Inscrire dans la Constitution, c'est-à-dire dans la plus haute norme juridique, une disposition visant directement un pays ami et allié, sans le nommer, c'est à l'évidence porter un grave préjudice à nos relations diplomatiques avec ce pays, dont les autorités et l'opinion publique ne manqueraient pas d'être extrêmement sensibles à l'adoption d'une disposition perçue comme discriminatoire à leur encontre. (Marques d'approbation sur plusieurs bancs)
M. Gérard Delfau. - C'est vrai !
M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. - Au moment où la France va assurer la présidence de l'Union européenne et où elle a fait du projet d'Union pour la méditerranée l'une de ses priorités, ce serait un mauvais signal adressé non seulement à la Turquie mais aussi à nos partenaires européens et, plus largement, à l'ensemble des pays du pourtour méditerranéen.
Cette disposition, de surcroît, n'est-elle pas anachronique ? Depuis le 3 octobre 2005, des négociations d'adhésion ont été engagées entre l'Union européenne et la Turquie. Cette décision a été prise par le Conseil des ministres, à l'unanimité, ce qui signifie que la France l'a pleinement acceptée.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Bien sûr ! Nous savions tout cela, à l'époque !
M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. - Depuis cette date, les négociations avancent lentement. Sur trente-cinq chapitres, seuls six ont été ouverts et un seul est provisoirement clos, tandis que trois ont été gelés à la demande de la France. En outre, ces discussions sont conduites sur la base d'un « cadre de négociations », qui précise que « ces négociations sont un processus ouvert dont l'issue ne peut être garantie à l'avance ».
Ainsi, l'éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union européenne est une question qui se posera au mieux dans une dizaine d'années et nul ne peut prétendre connaître l'issue des négociations. Il est clair que la Turquie ne remplit pas, à l'heure actuelle, les conditions pour devenir membre de l'Union européenne.
Mais la question n'est pas aujourd'hui de se prononcer pour ou contre l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Elle est de savoir si nous maintenons dans la Constitution l'obligation de procéder à un référendum pour un seul pays.
La disposition introduite par les députés est également inutile : dans le dispositif proposé par le comité Balladur, le Président de la République conserve la faculté de consulter les Français par référendum sur toute nouvelle adhésion. En outre, le référendum d'initiative populaire, introduit par l'Assemblée nationale, donne aux citoyens un moyen de pression fort pour demander l'organisation d'un référendum.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ah !...
M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. - Enfin, alors que le principal objectif de la révision constitutionnelle vise la revalorisation du rôle du Parlement, l'adoption de cette disposition revient à reconnaître une sorte de supériorité de la voie référendaire sur la voie parlementaire. Surtout, elle aboutit à diminuer les prérogatives du Président de la République, élu au suffrage universel direct, en restreignant la liberté offerte au chef de l'État de choisir entre l'une ou l'autre voie.
Pour ces raisons, la commission des affaires étrangères et de la défense a adopté à l'unanimité un amendement visant à rétablir le texte initial du projet de loi constitutionnelle, tel qu'il avait été proposé par le comité constitutionnel.
Le projet de loi qui nous est soumis préserve un équilibre : il renforce le rôle du Parlement dans le respect des prérogatives de l'exécutif. C'est la raison pour laquelle votre commission a émis un avis favorable à son adoption. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)
Rappel au Règlement
M. Robert Bret. - Merci, monsieur le président, de me donner la parole une heure après ma demande... Mon intervention est relative à l'organisation de nos travaux et au travail des commissions. « Il n'y a plus de traité de Lisbonne en cas de « non » irlandais », affirmiez-vous, monsieur le Premier ministre, jeudi soir, sur un plateau de télévision. Eh bien le peuple irlandais a voté « non ». Il a rejoint les peuples français et hollandais dans le refus d'une Europe antidémocratique et éloignée des préoccupations des populations -quel pouvoir d'achat ? quelles conditions de travail ? quelle retraite ? quels soins ? quelle éducation ? Aujourd'hui, on s'apprête à entamer l'examen d'une révision constitutionnelle d'importance. Plusieurs dispositions ont trait à l'intégration du traité de Lisbonne dans notre Constitution, je pense en particulier à l'article 35 du projet de loi. En outre, le texte soumis au débat ne permet pas de poser la question du devenir de l'article 88-1 de la Constitution, qui permet l'intégration du traité après la ratification par l'ensemble des États membres. Est-il possible de légiférer constitutionnellement comme si de rien n'était ? Est-il possible de nier longtemps cette réalité : le traité de Lisbonne est mort. De deux choses l'une : ou le Gouvernement propose des amendements d'abrogation ou le Sénat suspend ses travaux pour analyser les conséquences du vote irlandais sur notre droit. (M. Karoutchi s'exclame) Chacun connaît aujourd'hui l'étroite imbrication entre normes de droit interne et norme européenne. Réviser la Constitution sans écarter les dispositions relatives au traité de Lisbonne, c'est ouvrir la porte à la confusion, tant juridique que politique. La Convention de Vienne de 1969 pose, en l'article 24 de sa section III qu'« un traité entre en vigueur dès que le consentement à être lié par le traité été établi par tous les États ayant participé à la négociation. » Cessons de tourner autour du pot. Cessons de mépriser la parole du peuple en la réduisant à une péripétie. Cessons de fouler aux pieds cette essence de la démocratie qu'est le suffrage universel. Je demande que la commission des lois examine, avant la discussion générale, les conséquences sur notre constitution du référendum irlandais. C'est une question fondamentale, que l'on ne peut balayer d'un revers de main. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRC ; MM. Charles Gauthier et Carrère applaudissent aussi)
Discussion générale (Suite)
M. Jean-Pierre Bel. - Nous en avons rapporté à plusieurs reprises la preuve : nous étions disponibles pour une réforme de notre Constitution, qui a aujourd'hui cinquante ans d'âge. Lorsque le processus de révision a débuté, nous n'avons pas rechigné à vous communiquer nos travaux, nos rapports, et même une proposition de loi qui jetait les bases d'une nouvelle République. C'est que nous envisagions, quant à nous, non une simple modification institutionnelle mais bien l'instauration d'une nouvelle pratique du pouvoir plus respectueuse de la diversité, du pluralisme et de l'échange démocratique, alors que la Ve République s'épuise dans la concentration des pouvoirs, la dévalorisation du Parlement et l'irresponsabilité présidentielle.
La démocratie est l'horizon de toute réforme politique d'envergure. C'est dire combien notre désillusion est grande ! Comment, alors qu'un consensus existait, avez-vous pu nous mener dans cette impasse ?
A quelles pesanteurs, à quels freins se heurte aujourd'hui la démocratie dans notre République ?
D'abord un Parlement contesté dans sa représentativité, abaissé par la présidentialisation, bridé par le Gouvernement, étiolé par la mise à l'écart de l'opposition, étouffé par une majorité souvent godillot, qui ne joue plus son rôle au sein de nos institutions. (M. Gournac proteste) Ensuite, véritable déni de démocratie, une assemblée, dans un régime bicaméral, où l'alternance n'est pas possible ; où, quel que soit le résultat des scrutins municipaux, cantonaux, régionaux, il est inscrit en lettres d'or que la majorité ne bougera pas, que la droite sera à tout jamais inamovible et que le Sénat pourra, tel un monarque de droit divin, s'opposer aux réformes voulues par le peuple à l'occasion des élections présidentielles ou législatives qui ont lieu, elles, au suffrage universel direct.
A ces anomalies criantes, qui justifiaient une réforme ambitieuse, quelles réponses avez-vous apportées ? Des propositions décevantes, voire inquiétantes, qui ne sont pas à la hauteur. Votre réforme, qui prétend toucher à tout, ne touche à rien. Le déficit démocratique reste inchangé. Votre majorité sénatoriale a même eu la velléité de faire, au lieu de pas en avant, des pas en arrière, en gravant dans le marbre de la Constitution les privilèges inacceptables qu'elle s'accordait à elle-même. Nous avons échappé à la glaciation même si nous n'en sommes pas tout à fait sortis. Où l'on espérait une véritable revalorisation des droits du Parlement, de la place de l'opposition, où l'on vous attendait pour remédier à l'anomalie des modes de scrutin qui empêchent l'alternance dans une assemblée et une véritable représentativité dans l'autre, vous répondez par une réforme en trompe-l'oeil qui s'apparente à un marché de dupes.
Pourquoi cette réforme, monsieur le Premier ministre, passe-t-elle si mal ? Parce qu'elle renforce, d'abord, le rôle du Président de la République au détriment de celui du Premier ministre ; parce qu'elle renforce, ensuite, la majorité au détriment de l'opposition ; parce qu'elle renforce, enfin, les pouvoirs d'obstruction du Sénat au détriment de l'Assemblée nationale, élue au suffrage universel.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Nous aussi !
M. Jean-Pierre Bel. - Elle ne passe pas enfin parce que, quelles que soient vos déclarations, elle va consacrer, sur un sujet qui réclamerait la contribution de tous, la victoire d'un camp contre un autre.
Alors, le groupe socialiste, même s'il reste attentif à la suite des travaux de nos assemblées, ne peut souscrire en l'état à un texte qui manque de lisibilité et aggrave le déséquilibre démocratique. Monsieur le Premier ministre, si, comme vous le dites, vous voulez vraiment des institutions rénovées et démocratisées, il vous reste beaucoup de chemin à faire, il faut convaincre votre majorité, il vous faut de l'audace. A vous d'apporter la démonstration que, parce que vous allez changer d'attitude, vous êtes prêt pour ce grand rendez-vous de l'histoire de notre République. Les socialistes vous attendent, vous les trouverez ouverts mais sans complaisance parce qu'il en va de notre démocratie et de notre République. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; M. Renar applaudit aussi)
M. Henri de Raincourt. - (Applaudissements à droite) M de Rohan a fait référence au 18 juin 1940, je rappellerai pour ma part le 16 juin 1946...
M. Jean-Louis Carrère. - Et le 17 juin ?
M. Henri de Raincourt. - ...où, à Bayeux, le général de Gaulle esquissa l'architecture de notre Ve République. Grâce à lui, la France bénéficie depuis cinquante ans d'une Constitution qui a doté notre pays d'institutions efficaces et qui ont fait la preuve de leur adaptabilité. Consultés à plusieurs reprises, les électeurs ont approuvé cette organisation équilibrée, solide et souple et qui a permis à notre pays de retrouver sa dignité. Soutenue massivement par le peuple français, la Constitution de la Ve République a été vivement combattue, à l'origine, par certaines formations politiques.
M. Alain Gournac. - Eh oui !
M. Henri de Raincourt. - Elles dénonçaient la tyrannie de l'exécutif et l'effacement du Parlement.
M. Charles Gautier. - C'est encore vrai !
M. Henri de Raincourt. - Nous n'avons pas oublié ce qu'écrivait l'auteur du Coup d'État permanent qui, heureusement, par la suite, s'est glissé avec délice, gourmandise et efficacité dans les habits présidentiels. Ce sont souvent les mêmes qui, depuis un an, s'émeuvent de la grande activité du Président de la République. Pourtant, il avait prévenu qu'il serait un président acteur et engagé dans la réalisation de son programme.
Notre groupe, attaché à la permanence de nos institutions, a une légitimité certaine à donner son point de vue lorsqu'il s'agit de les modifier. Par principe, nous considérons qu'il faut y regarder de près avant de modifier notre loi fondamentale. Sa force, c'est son équilibre, qu'il ne faut pas rompre. Plus un texte de révision constitutionnelle serait dense, plus il chercherait alors à toucher, parfois dans le détail, aux règles du jeu actuelles, plus il fragiliserait ce bel édifice. Une Constitution, c'est un socle, admis par tous, sur lequel chacun peut s'appuyer et se reconnaître. C'est aussi un code qui définit les règles du vivre ensemble. Notre Constitution a été modifiée vingt-trois fois depuis 1958. Mais trois modifications déterminantes ont jalonné son parcours : en 1962, l'élection du Président de la République au suffrage universel ; en 1974, la possibilité de saisine du Conseil constitutionnel par soixante députés ou soixante sénateurs ; en 2000, l'instauration du quinquennat.
Aujourd'hui, les élections législatives suivent de peu l'élection présidentielle. C'est un changement considérable qui renforce l'influence du Président de la République. Était-ce l'objectif recherché par les auteurs de cette réforme ? Ce n'est pas sûr... On n'en a pas encore mesuré toutes les répercussions. Le temps politique de l'exécutif s'étant accéléré, il convient de l'équilibrer par une revalorisation du rôle du Parlement. Le Président de la République l'a bien compris en déclarant, lors de son discours du 14 janvier 2007, qu'il voulait une « démocratie irréprochable ». « La démocratie irréprochable, ce n'est pas une démocratie où les nominations se décident en fonction des connivences et des amitiés mais en fonction des compétences. C'est celle dans laquelle l'État est impartial... La démocratie irréprochable, ce n'est pas une démocratie où l'exécutif est tout et le Parlement rien, c'est une démocratie où le Parlement contrôle l'exécutif et a les moyens de le faire. La démocratie irréprochable, c'est un président qui s'explique devant le Parlement ».
M. Jean-Louis Carrère. - Fouquet's !
M. Henri de Raincourt. - « Notre démocratie n'a pas besoin d'une nouvelle révolution constitutionnelle, on change trop notre Constitution. Nous devrons changer radicalement nos comportements pour aller vers davantage d'impartialité, d'équité, d'honnêteté, de responsabilité, de transparence ». Il me semble que nous pourrions tous nous retrouver sur cette ligne raisonnable...
M. Jean-Louis Carrère. - Au Fouquet's !
M. Henri de Raincourt. - ....sans que quiconque ait à se renier. Notre société a connu, depuis un demi-siècle, de profondes mutations. L'Europe n'est plus seulement un horizon mais un acteur puissant du quotidien. Depuis vingt-cinq ans, la décentralisation a transformé notre vie locale. L'action politique s'est inversée : autrefois, décidée par le haut, elle avait vocation à s'appliquer uniformément et sans discussion ; nos compatriotes veulent dorénavant être écoutés, associés et entendus et, contrairement à une idée reçue, ils ne se désintéressent pas de la manière dont s'exerce le pouvoir dans notre pays. Ils souhaitent davantage de transparence, de débat, de simplicité, de lisibilité et d'efficacité. Ces évolutions doivent nécessairement se traduire dans le fonctionnement de nos institutions et c'est tout l'enjeu de cette réforme constitutionnelle voulue par le Président de la République.
Notre groupe souscrit aux grandes orientations de cette révision. Nous apprécions le travail de la commission des lois et de son rapporteur, Jean-Jacques Hyest, qui n'a pas ménagé ses efforts pour redonner au Sénat la place qui lui revient. (Applaudissements à droite) Nous approuvons la volonté de réformer les relations entre le chef de l'État et le Parlement. Actuellement, ces relations sont placées sous le signe de l'interdit puisque l'article 18 de la Constitution dispose que le Président de la République « communique avec les deux assemblées du Parlement par des messages qu'il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat ». Comment justifier aujourd'hui le maintien d'une prohibition désuète qui remonte à 1875 alors que le chef de l'État peut s'exprimer dans tous les parlements étrangers, de même qu'il peut parler directement aux Français par l'intermédiaire de tous les médias ? Il semble opportun de lui permettre d'intervenir devant le Parlement réuni en Congrès dans la mesure où les conditions de solennité et de dignité sont respectées.
Le grand bénéficiaire de cette réforme sera incontestablement le Parlement car elle renforce son rôle et celui de l'opposition. Aucune autre réforme de cette ampleur n'a été proposée jusqu'à ce jour. Une place plus grande nous est accordée dans l'élaboration de la loi et dans la maîtrise de la procédure législative. La fonction de contrôle est reconnue dans sa plénitude.
M. Jean-Louis Carrère. - Ce n'est pas vrai !
M. Henri de Raincourt. - Mais si ! L'évaluation des politiques publiques figure désormais parmi nos missions et nous pourrons mieux contrôler l'application des lois. Le Parlement pourra désormais s'exprimer sur les interventions des forces armées françaises à l'étranger autrement que par le biais de débats généraux ou lors de la discussion budgétaire. En outre, toutes les propositions d'actes européens, sans plus aucune restriction, seront transmises aux assemblées et pourront faire l'objet de résolution.
Cette révision sera l'occasion de repenser les relations et les méthodes de travail entre l'exécutif et le législatif et, pour nous, l'occasion de réfléchir sur nos modes de fonctionnement, sur la place des groupes politiques au sein du Sénat et, par là-même, sur notre règlement. Le débat politique doit retrouver le chemin de l'hémicycle parlementaire sans être rongé par l'excitation médiatique.
L'article 9 du projet de loi précise que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales « en tenant compte de leur population ». Cette définition n'est pas pleinement satisfaisante. Le Sénat, dont les pouvoirs ont été restaurés par la Constitution de la Ve République, a toujours veillé à représenter à la fois la population et les territoires. Un pays comme la France puise aussi son équilibre et sa cohésion nationale dans la diversité de ses deux Chambres et c'est grâce au mode d'élection du Sénat que les sénateurs peuvent effectivement refléter et exprimer la diversité des collectivités territoriales françaises. Le suffrage est certes indirect, mais il est universel : les sénateurs sont élus par les élus locaux. Si le projet de loi constitutionnelle venait à dénaturer la singularité du Sénat, il y aurait là une véritable anomalie démocratique. (Rires à gauche) Il faut préserver ce qui fait la force du bicamérisme, à savoir la spécificité du mode d'élection des sénateurs. L'amendement de notre rapporteur permet, par le retour à la rédaction actuelle de l'article 24 de la Constitution, de préserver cette spécificité.
Pour autant, le Sénat n'est pas figé. Il a démontré, il y a peu, sa capacité d'auto-réforme. En 2003, sa majorité a été à l'initiative d'une réforme courageuse : réduction de la durée du mandat sénatorial à six ans, renouvellement par moitié tous les trois ans, abaissement de l'âge d'éligibilité, scrutin proportionnel à quatre sièges...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Avant, c'était trois !
M. Robert Bret. - Vous ne connaissez que la marche arrière.
M. Henri de Raincourt. - ...augmentation du nombre de sénateurs afin d'accompagner les évolutions démographiques du pays sans sacrifier la représentation des départements à faible population. Si le Sénat doit poursuivre son évolution, il doit veiller à sauvegarder nos équilibres institutionnels et territoriaux et à jouer pleinement son rôle de complémentarité et de modération - et, à en juger par ce que j'entends, on pourrait en douter... Le Sénat ne saurait être un enjeu politicien étranger à son rôle institutionnel. Par le sérieux de son travail et son sens aigu des responsabilités, il vaut mieux que cela.
La dernière dimension de ce projet de loi consiste à conférer de nouveaux droits à nos concitoyens.
M. Jean-Louis Carrère. - Provocation !
M. Henri de Raincourt. - La modernisation de nos institutions serait inachevée si elle ne favorisait pas une démocratie plus vivante, une démocratie plus ouverte aux citoyens. Comme le soulignait le Président de la République, notre loi fondamentale n'a pas seulement pour vocation d'organiser le fonctionnement des institutions, elle reconnaît également aux citoyens des droits qui doivent évoluer au rythme des sociétés.
Le projet de loi constitutionnelle répond à cette attente en conférant à nos compatriotes de nombreux droits nouveaux dont l'exception d'inconstitutionnalité qui existe dans toutes les grandes démocraties. La réforme des institutions est une chance historique pour la Ve République ; saisissons-la. Si, par malheur, elle échouait, il n'est pas certain qu'elle se représenterait avant longtemps.
Le Président de la République le soulignait à Épinal, le 12 juillet 2007 : « les institutions, ce sont les points fixes des sociétés humaines ; c'est le pont entre le passé et l'avenir ; c'est tout ce qui permet que les énergies, les volontés, les imaginations se complètent et s'additionnent au lieu de se disperser et de se contrarier ».
La Constitution, voilà notre guide. C'est dans cet esprit que notre Assemblée doit mener ses travaux, animée par le seul souci de servir la République, la France et les Français. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Au moment où vous voulez poursuivre votre révision de la Constitution, le non irlandais devrait vous amener à réfléchir sur les rapports entre les citoyens et leurs institutions. La construction européenne actuelle est tout un symbole : elle se fait sans les peuples, pour la bonne raison qu'elle tourne le dos à leurs aspirations. Dans trois pays, le peuple a été consulté en 2005 sur le traité constitutionnel ; deux dirent non alors que leurs parlements avaient dit oui. Les chefs d'État n'en ont eu cure ; ils décident de ne pas consulter leurs peuples que les parlementaires désavouent en votant le traité de Lisbonne. Le gouvernement irlandais est obligé de consulter : il est désavoué par les citoyens. Allez-vous persister ? Le Président de la République, bientôt président de l'Union européenne, va-t-il escamoter le non irlandais comme il a escamoté les non français et néerlandais ?
Comment s'étonner que ne cesse de se creuser la distance entre les citoyens et ceux qui sont censés les représenter ? En avril, moins d'un an après l'élection présidentielle, 71 % des Français estimaient que les politiques ne se préoccupaient pas de leur opinion. D'ailleurs, ils se sont massivement abstenus aux élections municipales et cantonales et, qui plus est, vous avez été sanctionnés. Cette crise de la représentation politique est dangereuse pour la démocratie. La seule question qui vaille, au moment de débattre d'une réforme de la Constitution, est de savoir si cette réforme répond à cette crise. Est-elle une avancée démocratique ? Le seul fait que le Président de la République n'ait pas jugé bon de consulter le peuple sur sa réforme -dont le ministre chargé des relations avec le Parlement estime qu'elle est la plus importante depuis 1958- en dit long.
La Constitution est la loi fondamentale qui unit les citoyens. Elle ne saurait être la propriété de quelques experts -désignés par le seul Président de la République- et de la classe politique. Vous affirmez que le candidat Sarkozy avait annoncé ses intentions. Il a dit alors beaucoup de choses, par exemple sur le pouvoir d'achat -on voit ce qu'il en est. Sur les institutions, il disait le 14 janvier 2007, au congrès de l'UMP : « Notre démocratie n'a pas besoin d'une nouvelle révolution constitutionnelle. On change trop notre Constitution. Mais nous devons changer radicalement nos comportements pour aller vers davantage d'impartialité, d'équité, d'honnêteté, de responsabilité, de transparence ». Je vous laisse juge de son comportement. Ce qui est certain, c'est qu'il a quelque chose à voir avec l'hyperprésidence, qu'il a souhaité constitutionnaliser, une fois élu.
Quant à la transparence, je vous laisse juge aussi : au moment même où le Parlement débat de la réforme des institutions, où ne figure aucune indication sur les modes de scrutins, le Gouvernement concocte sans aucune transparence une modification du mode de scrutin régional et législatif et un redécoupage...
M. Guy Fischer. - Un charcutage !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - ... des circonscriptions qui semble devoir être encore plus favorable à la majorité, en tout cas au bipartisme. La feuille de route du Président de la République au comité Balladur était claire et les 77 propositions en sont sorties conformes : un présidentialisme inspiré de la Constitution américaine, mais assorti des pouvoirs exorbitants que confère la Constitution de 1958 au Président de la République française, et agrémenté d'un parlementarisme rationalisé à la britannique, sans les inconvénients pour l'exécutif. Autrement dit : un Président de la République seul véritable chef de l'exécutif, doté d'une majorité qui lui doit son élection -le comité Balladur prévoyait d'ailleurs qu'elle soit élue le même jour !- majorité dont il est aussi le chef, comme il est le chef du parti majoritaire, s'adressant directement au Parlement, disposant donc d'un pouvoir d'injonction à la représentation nationale...
M. Ivan Renar. - « Oui chef ! »
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - ... alors qu'il est irresponsable et qu'il dispose du domaine réservé, du droit de dissolution, de l'article 16. Dérive bonapartiste, monarchie présidentielle comme le craignait M. Mazeaud en 1993, à propos du quinquennat.
Certes, vous avez dû composer avec votre majorité et gommer quelques aspects dès l'avant-projet, notamment ceux qui tendaient à supprimer le Premier ministre. Mais l'économie générale reste la même, sauf qu'ont disparu les propositions du comité Balladur visant à introduire une dose de proportionnelle dans les scrutins, à démocratiser l'élection sénatoriale ou limiter le cumul des mandats. Après passage à l'Assemblée nationale, la confusion des pouvoirs demeure mais le parti majoritaire est conforté dans sa surreprésentation.
Alors, vous agitez un leurre : cette réforme constituerait un renforcement des pouvoirs du Parlement que les parlementaires, toutes opinions confondues, seraient bien ingrats de refuser. Le ministre chargé des relations avec le Parlement a même qualifié ces dispositions de « révolutionnaires ». Il y a des limites à la méthode Coué et je constate que vous avez du mal à convaincre. L'ordre du jour ? En guise de partage, deux semaines par mois pour le Gouvernement, une pour le Parlement, dont un jour pour l'opposition. Et voilà votre statut de l'opposition !
Le travail en commission ? Votre objectif est clair : réduire le débat en séance publique et remettre en cause le droit d'amender. Le projet instaure un véritable 49-3 de la majorité présidentielle. Le rapporteur propose de rejeter la limitation de l'utilisation du 49-3 ? Le fait est que le Gouvernement n'en aura plus besoin. Le droit de résolution ? Il n'ajoute aucun pouvoir au Parlement, on voit ce qu'il en est en matière européenne. Les débats thématiques non plus, on peut d'ailleurs se demander s'ils ne sont pas un moyen de contourner la responsabilité du Gouvernement. L'intervention du Parlement dans les nominations présidentielles ? En exigeant une majorité des trois cinquièmes, vous la rendez inopérante.
En réalité, le projet ne touche en rien au déséquilibre structurel des pouvoirs inscrits dans la Constitution de 1958 -que nos prédécesseurs communistes n'ont pas votée- déséquilibre accentué par l'élection du Président de la République au suffrage universel et aggravé par le quinquennat et l'inversion du calendrier que nous n'avons pas votés non plus. Votre projet organise une rationalisation non démocratique de la décision politique, accentuant le bipartisme et le fait majoritaire issu de la présidentielle, rendant illusoire la séparation de pouvoirs. Il tourne le dos aux exigences démocratiques en ignorant les évolutions désormais largement soutenues par la population : la proportionnelle ; la limitation du cumul des mandats ; le vote des immigrés aux élections locales ; l'initiative citoyenne.
Pourtant, le respect du pluralisme et donc la représentativité du Parlement sont constitutifs de la « démocratie irréprochable », annoncée par le Président de la République, que Mme la Garde des sceaux se plaît à relayer dans ses propos. Le Parlement n'est absolument pas représentatif de la société : moyenne d'âge de 60 ans, 18 % de femmes ; 1 % d'ouvriers ; surreprésentation des professions libérales et des fonctionnaires ; absence de toute diversité d'origine. Le cumul des mandats et les modes de scrutin en sont largement responsables. Ici la majorité sénatoriale atteint des sommets en refusant toute évolution du mode de scrutin sénatorial. Vous avez renoncé à constitutionnaliser l'impossibilité d'élargir le corps électoral ; mais vous avez renoncé aussi à tenir compte de la population. Donc, retour à la case départ ! C'est un cas unique en démocratie : une assemblée législative, dotée de pouvoirs de veto, toujours à droite, quel que soit le choix des électeurs. Que représente le Sénat si ce n'est la population des collectivités locales ? Les édifices ? Les terres ? Les propriétés ? On se le demande !
M. Jean-Pierre Sueur. - Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Le projet ignore l'aspiration à une démocratie plus citoyenne qui se manifeste pourtant au niveau des collectivités territoriales. Les députés ont réintroduit le référendum d'initiative populaire du comité Balladur censuré par le Gouvernement. Mais sa mise en oeuvre est si restrictive qu'elle est quasi impossible et il est plutôt d'initiative parlementaire.
Vous répondez par une nouveauté pour les citoyens : l'exception d'inconstitutionnalité. Soit. Mais avec un Conseil constitutionnel inchangé ce n'est pas une avancée démocratique. En tout état de cause, le contrôle de constitutionnalité doit renvoyer les dispositions litigieuses au vote du Parlement. Le projet ignore le respect des droits des citoyens sans lequel il n'y a pas de droit. L'expérience du droit au logement opposable que vous avez concédé et que l'État ne peut assurer, aurait dû vous alerter. Vous répondez par le « Défenseur des droits » en renvoyant à plus tard ses compétences et son champ d'intervention. Est-il bien raisonnable de demander aux parlementaires de s'engager en aveugle ? Sur trente-cinq articles, vous renvoyez au moins quinze fois à la loi organique ; par contre, vous fixez très précisément le nombre de députés et de sénateurs.
Ce projet ignore aussi une question essentielle : le respect du pluralisme dans les médias, gage pourtant d'une démocratie irréprochable ! Il ignore la nécessaire implication des citoyens et de leurs représentants dans les choix européens. Vous ne proposez aucun pouvoir réel du Parlement sur les mandats des représentants du Gouvernement dans les négociations européennes. Pire, la majorité veut revenir sur l'obligation de référendum en matière d'évolution de la construction européenne. Fort heureusement, la commission des lois n'a pas été convaincue par Mme Dati et a rejeté le dispositif de l'article 11 qui permet la rétroactivité de la loi, y compris pénale. Nous prenons acte qu'elle a supprimé la présence du ministre de la justice lors des séances des formations du CSM en matière de nomination ou de discipline, ainsi que l'insertion dans le domaine de la loi de la répartition des litiges entre juges judiciaires et administratifs. Mais rien de cela ne change la nature du projet de loi.
Vous l'avez compris, notre opposition à cette réforme est globale ; on pourrait dire frontale pour répondre au ministre chargé des relations avec le Parlement.
La seule réponse à la défiance envers les politiques, c'est de donner plus de pouvoirs aux citoyens et des pouvoirs réels au Parlement. Nous sommes résolument pour un régime parlementaire -reconnu, je le rappelle, comme le plus démocratique- avec des élections à la proportionnelle, un Parlement qui retrouve ses prérogatives en matière de budget, d'utilisation des forces armées, de politique européenne. Nous sommes pour le respect du pluralisme tel qu'il existe dans la société et donc pour la reconnaissance des droits et moyens des groupes politiques. Nous sommes pour le droit de vote des résidents étrangers, pour la reconnaissance de la démocratie participative, pour un droit d'initiative législative des citoyens et des collectivités locales. Nous sommes pour des droits réels pour les salariés et leurs représentants, tant sur les conditions de travail que sur les choix des entreprises, question jamais abordée et pourtant au coeur d'une démocratie moderne.
Vous l'avez compris, notre groupe, comme à l'Assemblée Nationale, votera contre votre réforme qui va à l'encontre des exigences démocratiques de notre temps.
Monsieur le Premier ministre, vous avez déclaré en décembre que le vote de cette réforme supposait un consensus en sa faveur. Or, ce consensus n'existe pas. Y aura-t-il des marchandages pour gagner les quelques voix nécessaires pour réformer la loi fondamentale du pays ? Je n'ose le penser ! (Applaudissements sur les bancs CRC et sur une partie des bancs socialistes)
M. Jean-Michel Baylet. - Depuis sa promulgation le 4 octobre 1958, la Constitution de la Ve République a fait l'objet de nombreuses révisions, mais rarement d'une réforme profonde. Cinquante ans après, le moment est venu de lui donner un nouveau souffle.
En effet, le parlementarisme rationalisé, qui devait assurer la stabilité Gouvernementale, a fini par transformer en mythe la séparation des pouvoirs si chère à Montesquieu. Le fait majoritaire, l'élection du Président de la République par tous les Français, puis l'instauration du quinquennat et l'inversion du calendrier électoral ont achevé d'accentuer la nature présidentielle du régime. Lorsqu'un régime présidentiel dispose d'un exécutif à deux têtes -l'une élue par le peuple et l'autre responsable devant le Parlement-, il faut remédier à cette anomalie conceptuelle.
Le projet de loi constitutionnelle est-il à la mesure du défi ? Je crains que les conditions ne soient pas réunies pour que notre démocratie s'épanouisse davantage. Votre réforme est bien timide, aux yeux des radicaux de gauche engagés sur cette question depuis vingt ans, car malgré ses avancées, il ne va pas jusqu'à supprimer les verrous judicieusement posés par les constituants de 1958 pour museler les assemblées parlementaires.
Il aurait fallu aller plus loin, pour qu'une VIe République assure l'équilibre de nos institutions. Dans cet esprit, nous avions déposé en 2000 une proposition de loi au Sénat et à l'Assemblée nationale afin qu'une Constitution prenne en compte les aspirations des Français, rationalise les procédures parlementaires et rende aux citoyens le pouvoir dont ils peuvent légitimement s'estimer privés. Notre vision audacieuse, que j'ai défendue devant le comité Balladur, tend vers un régime présidentiel accompagné d'une stricte séparation des pouvoirs.
Dans cette perspective, nous avons déposé une série d'amendements pour supprimer cette dyarchie au sommet de l'État, une exception parmi les démocraties occidentales.
L'instauration d'un régime présidentiel suppose un renforcement substantiel des pouvoirs du Parlement : nous voulons donc abolir la dissolution et la motion de censure. Le Parlement devrait maîtriser son ordre du jour et voter les lois sans procédure d'urgence ni 49-3. La représentation nationale devrait aussi donner son accord à certaines nominations effectuées par le Président de la République. Nous proposerons donc une modification à l'article 4.
Restauré dans ses droits, le Parlement doit aussi garantir le pluralisme. C'est pourquoi nous proposerons une autre rédaction de l'article 24 sur les droits des groupes, parce que la distinction entre majorité et opposition ne recouvre plus la réalité parlementaire. En outre, une dose de proportionnelle pour l'élection des députés permettrait aux citoyens d'être représentés dans la diversité de leurs opinions. Sur ce thème, les amendements de la commission des lois destinés à empêcher toute alternance au Sénat sont une provocation. Ils ont été retirés, mais le régime électoral du Sénat reste en débat. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Les radicaux de gauche seront intransigeants sur ce point. Il en ira de même à l'article 33, affublé de critères démographiques qui visent la Turquie. Nous ferons tout pour revenir sur ses petits calculs indignes.
Enfin, la Constitution doit rester à l'abri de toute transaction circonstancielle ou partisane. Je pense notamment à la laïcité, fragilisée alors qu'elle devrait être un principe intangible. (Applaudissements sur certains bancs au centre et sur les bancs socialistes) Pour les radicaux de gauche, la laïcité ne saurait être à géométrie variable. C'est pourquoi nous souhaitons rappeler ses principes avant l'article premier : elle est définie dans la loi du 9 décembre 1905, dans la loi de la République !
Les députés radicaux de gauche se sont abstenus. Leur président, Gérard Charasse, a parlé d'une abstention positive. La vérité oblige à dire qu'hormis l'heureuse initiative concernant la Turquie, les amendements de la commission des lois nous ont beaucoup choqués. Comme nous voulons rester confiants, nous nous abstiendrons, mais dans un esprit négatif de prudence.
M. Philippe Marini. - Quelle subtilité !
M. Jean-Michel Baylet. - J'espère que le texte évoluera d'ici le Congrès afin que nous puissions enfin doter la France d'une Constitution moderne et plus démocratique. (Applaudissements sur certains bancs au centre et sur certains bancs socialistes)
M. Michel Mercier. - « Notre démocratie a aujourd'hui besoin de voir ses institutions modernisées et rééquilibrées » a écrit le Président de la République dans la lettre de mission envoyée à M. Balladur lorsqu'il l'a chargé de présider le comité de réflexion constitutionnelle, ajoutant que cela passe par la fixation de certaines limites au pouvoir du Président de la République, par le rééquilibrage des pouvoirs du Parlement, par la revalorisation de la fonction parlementaires, par l'organisation d'une vie politique plus représentative de la diversité de l'opinion et par le renforcement des droits des citoyens. Lorsqu'il lui a remis son rapport, l'ancien Premier ministre a estimé notamment que les institutions de la Ve République ne fonctionnaient pas de manière pleinement satisfaisante, qu'il fallait davantage encadrer les attributions du chef de l'État et desserrer l'étau du parlementarisme rationalisé, d'où les grandes lignes d'une réforme devant rendre ses institutions plus démocratiques.
Partageant cette opinion, notre groupe s'est engagé dans ce débat avec confiance, et même enthousiasme, tant il soutenait les annonces faites par le chef de l'État et l'exposé des motifs du projet de loi. Nous attendions beaucoup de ce rééquilibrage pour aboutir à Une République moderne, selon le titre d'un livre célèbre quand nous étions jeune étudiants.
Les institutions seront plus équilibrées avec un Président de la République qui gouverne tout en étant encadré. Il doit gouverner car il est élu par les citoyens, même si la Constitution dit un peu autre chose. Lors de sa conférence de presse du 31 janvier 1964, le général de Gaulle a déclaré que le Président de la République était « la clef de voûte de nos institutions ».
Nous sommes d'accord pour limiter à deux le nombre de mandats et pour encadrer les nominations, en attendant une véritable codécision. Nous sommes d'accord à propos des pouvoirs spéciaux et des opérations limitées. Ces mesures sont intéressantes, d'autant plus que d'autres dispositions libèrent le Parlement de son carcan. Comme l'a dit M. Balladur : « il faut sortir de l'étau du parlementarisme rationalisé ».
A une époque, nous avons eu besoin de ce parlementarisme rationnalisé. Mais aujourd'hui, pour sauver le régime parlementaire, nous devons ouvrir les portes et les fenêtres. Nous approuvons les mesures relatives à l'ordre du jour, aux pouvoirs du Parlement en matière d'évaluation des lois et des politiques publiques. Nous souhaitons en revanche que le droit de résolution, supprimé par l'Assemblée nationale, soit rétabli par le Sénat. Ce droit est en effet essentiel dans un régime parlementaire et il ne faut pas le confondre avec le droit d'interpellation. D'ailleurs, le Président de la République n'a-t-il pas dit à M. Balladur que le Parlement devrait avoir le droit d'adopter une résolution susceptible d'influencer le Gouvernement ?
Cette révision pourrait être l'occasion de construire une République plus démocratique, plus respectueuse des suffrages de nos concitoyens. Comme vous le dites dans l'exposé des motifs, monsieur le Premier ministre, un Parlement renforcé est un Parlement plus représentatif. Pour nous, cela signifie que le Parlement doit respecter les suffrages qui se sont exprimés. Le pluralisme doit être garanti par la Constitution, ce qui impliquerait que tous les groupes politiques aient les mêmes droits. (Applaudissements sur les bancs UC-UDF, du RDSE, du groupe CRC et sur certains bancs socialistes). C'est fondamental ! Nous ne pouvons accepter qu'au détour d'une phrase alambiquée, on organise un bipartisme réducteur. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs)
M. Jean-Michel Baylet. - Il a raison !
M. Jean-Louis Carrère. - C'est le parti unique qu'ils veulent !
M. Michel Mercier. - Le respect du pluralisme doit être total : il en va de la considération que nous devons aux Français qui nous ont élus. La démocratie ne doit pas seulement être une affaire d'élus entre eux, car elle concerne tous nos concitoyens.
Nous nous félicitons que les Français aient accès à la justice constitutionnelle et que le Parlement voie ses liens avec les institutions européennes renforcé. S'agissant de l'adhésion de nouveaux États membres à l'Union, nous souhaiterions en revanche en revenir au texte du Gouvernement.
Mais l'essentiel n'est pas là : si nous étions confiants au départ, nous nous inquiétons que la commission des lois ait rejeté tous nos amendements.
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous n'êtes pas les seuls !
M. Michel Mercier. - Nous sommes désormais moins enthousiastes. S'agissant des dispositions relatives au pluralisme et à la représentation, au Sénat, nous considérons que le texte du Gouvernement est bon et qu'il faudrait en rester là. Nous souhaitons que tous les groupes parlementaires aient les mêmes droits et les mêmes responsabilités. (M. Arthuis applaudit)
Un exemple : par la voie de l'action ou de l'exception, on ouvre le recours en constitutionnalité à tout le monde. Ne pensez-vous pas, monsieur le Premier ministre, que les groupes parlementaires devraient avoir eux aussi le droit de saisir le Conseil constitutionnel ? Ne serait-ce pas plus équilibré et démocratique de le prévoir ?
Parlementaires, nous espérons dans ce débat : qu'il soit l'occasion d'obtenir des avancées. Mais, pour l'instant, nous n'en voyons pas et nous attendons du Gouvernement qu'il fasse plus que nous écouter. Il faut que les intentions affichées par le Premier ministre, par le Président de la République et par M. Balladur au début du processus deviennent réalité mais, de grâce, n'en arrivons pas, de reculades en reculades, à une réformette ou au statu quo ! Nous voulons une vraie réforme : les institutions, le Parlement, le Gouvernement, les citoyens y trouveraient leur compte ! (Applaudissements au centre)
M. Bernard Frimat. - Qui, parmi nous, oserait prétendre que la modification de nos institutions est une attente prioritaire des Français ?
M. Jean-Louis Carrère. - Il fait fuir le Premier ministre ! (Sourires)
M. Bernard Frimat. - Assommés par la flambée des prix du pétrole et des produits alimentaires, inquiets pour leur avenir et, pour les plus fragiles d'entre eux, forcés de choisir entre se loger, se nourrir, ou se soigner, les Français ont d'autres préoccupations. Ils sont néanmoins les premiers concernés car un débat sur les institutions, c'est d'abord un débat sur la démocratie.
C'est avec objectif de faire progresser la démocratie que les parlementaires socialistes ont abordé cette révision constitutionnelle. A l'issue de la première lecture, les députés socialistes ont voté contre, compte tenu de la modestie des avancées et des refus multiples opposés à leurs propositions. Il appartient donc au Gouvernement et à la majorité d'accepter au Sénat des modifications significatives. Faute de cela, nous serions contraints de voter comme nos collègues députés.
Je reconnais volontiers qu'il faut une solide dose d'optimisme pour attendre un progrès démocratique de ce débat, mais ne ratons pas l'occasion de vérifier si, comme il a été dit lors de la campagne présidentielle, « ensemble tout devient possible ».
Laissons de côté le terme flou de « modernisation », il est trop souvent l'habillage utilisé pour dissimuler les régressions sociales les plus importantes. Attaquons-nous plutôt au déficit démocratique dont souffrent les institutions de la Ve République.
Le quinquennat a, de fait, renforcé les pouvoirs du Président. Le projet de révision initial prévoyait la possibilité, pour le Président, de venir s'exprimer devant le Congrès, l'Assemblée nationale ou le Sénat. Cette modification institutionnelle a été qualifiée par Mme Elisabeth Zoller, professeur à Paris II et directrice du centre de droit américain, de changement de régime. La Ve République basculerait alors dans un régime consulaire digne de l'An VIII, le Président cumulant ses pouvoirs d'arbitrage, le droit de dissolution de l'Assemblée nationale et une capacité d'exprimer devant le Parlement, en tant que législateur en chef, son programme de gouvernement. Mme Zoller estime donc qu'il faut mettre en place, à l'instar du système américain, des contrepoids permettant de « tempérer les effets d'une tyrannie toujours possible de la majorité ».
Les pouvoirs du Président sont suffisamment étendus pour refuser leur extension. En conséquence, déplacer neuf cents parlementaires au château de Versailles...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Quel symbole !
M. Bernard Frimat. - ... et ce pour écouter le Président est sans doute une modernisation si les autobus remplacent les carrosses, mais il ne s'agit nullement d'une avancée démocratique. En revanche, l'encadrement du pouvoir de nomination du Président peut être considéré comme tel. Encore faut-il qu'il ne s'agisse pas d'un trompe-l'oeil.
M. Jean-Pierre Sueur. - Eh oui !
M. Bernard Frimat. - Donner aux parlementaires un droit de veto à la majorité des trois cinquièmes, c'est autoriser toutes les nominations qui recueilleraient 40 % d'avis favorables, ce qui n'a pas grand sens quand on dispose de la majorité. Si la majorité des trois cinquièmes était requise pour les nominations, la personne nommée bénéficierait d'une reconnaissance majeure, ce qui démontrerait que notre démocratie respecte le pluralisme d'opinion.
Il convient également de s'interroger sur le temps de parole du Président. La règle des trois tiers était acceptable quand les interventions du Président étaient un évènement. Elle ne l'est plus quand celles-ci relèvent de notre quotidien. Nous ne voulons pas contraindre d'une quelconque façon la liberté d'expression du Président, mais mettre un terme au déni de démocratie dont sont victimes toutes les composantes de l'opposition.
Le rapport Balladur a fait des propositions en ce sens ; il importe que le Gouvernement évolue sur le sujet. Il nous revient de faire cesser le caractère grotesque d'une situation qui voit, pendant des semaines de campagne électorale, les temps de parole pesés à la seconde près, mais perdurer une inégalité audiovisuelle flagrante et permanente.
Dans l'exposé des motifs, le Gouvernement dit sa volonté de revaloriser le Parlement. Mais une révision constitutionnelle ne peut se limiter à améliorer la technique parlementaire. Vous en convenez d'ailleurs, monsieur le ministre, dans le même exposé des motifs, en souhaitant surmonter les contraintes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui « a eu pour effet d'interdire toute évolution du corps électoral sénatorial dans le sens d'un équilibre plus juste en termes démographiques entre petites, moyennes et grandes communes ». Même si la modification de l'article 24 que vous proposiez était en deçà du rapport Balladur, elle permettait une évolution démocratique dont vous fixiez même le terme, 2011. Mais cette seule perspective a glacé d'effroi les sénateurs de l'UMP ; l'idée même de perdre, peut-être, un jour, la majorité leur a été insupportable. Et ils ont trouvé un moyen de vider votre proposition de tout son sens, afin que rien ne change au Sénat quels que soient les choix politiques exprimés par le peuple aux élections locales. (Applaudissements sur les bancs socialistes) La première tentative de ces serruriers a été de verrouiller le corps électoral actuel en le constitutionnalisant, interdisant de ce fait toute évolution, même mineure. En apparence, ils y ont renoncé ; mais c'est une illusion : leur nouvelle proposition revient à préserver la situation actuelle, qui ne tient pas compte de la population -situation, monsieur le ministre, que vous disiez vouloir corriger. Il vous appartient donc de dire si vous approuvez ce mépris du suffrage universel, cette négation de la démocratie...
M. Josselin de Rohan. - Oh là là !
M. Bernard Frimat. - ...contre votre volonté d'améliorer la représentativité du Parlement.
Revaloriser le Parlement, c'est aussi garantir le droit constitutionnel d'amendement, qui est la liberté d'expression individuelle de chaque parlementaire, qu'il appartienne à la majorité ou à l'opposition. Nous ne pouvons accepter que ce droit soit régi par le seul règlement de chaque assemblée ; nous refusons de remettre entre les mains de la majorité UMP le pouvoir de décider quelle liberté surveillée elle daignera nous concéder.
Un mot enfin du droit de vote aux élections locales des étrangers qui vivent chez nous depuis plusieurs années. Ces femmes et ces hommes, dont les enfants sont souvent devenus français, sont des acteurs de la vie locale ; ils participent par leurs impôts au financement des collectivités locales ; beaucoup d'entre eux animent des associations. Les esprits ont évolué : le temps est venu du courage politique et, pour la France, de rejoindre le camp des démocraties les moins frileuses.
C'est d'abord du Gouvernement que dépend le sort de la révision constitutionnelle. A lui de donner des signes d'écoute qui permettraient, sans le recours à de petits arrangements politiciens médiocres, de réunir la majorité des trois cinquièmes. La balle est dans son camp. Il lui appartient que ce camp soit celui du progrès démocratique de nos institutions. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Pierre Raffarin. - (Applaudissements à droite) Nous vivons un moment grave de notre vie démocratique. Le sujet est d'une extrême sensibilité. La Constitution est le lien indestructible entre la France et les Français, c'est elle qui leur permet de faire vivre la France, c'est la chance pour eux d'être à la fois héritiers et bâtisseurs de la France. Toucher au marbre de la Constitution n'est jamais anodin. Notre débat ne saurait donc être ramené à une suite d'améliorations d'articles de la Constitution. Son objet est la Constitution, mais son sujet, c'est la France.
Nous connaissons les mérites de la Constitution du 4 octobre 1958 ; elle a marqué une rupture salutaire dans notre histoire constitutionnelle, en faisant la synthèse entre un régime parlementaire, symbole de démocratie moderne, et l'existence d'un exécutif fort, gage d'efficacité et d'unité. Si une très large majorité de Français est attachée à la Ve République, c'est qu'elle en a apprécié les mérites. La Constitution de 1958 a permis, pendant cinquante ans, de garantir la stabilité, de préserver la démocratie lors des épreuves, de rendre possible l'alternance, d'accompagner la construction européenne et la décentralisation, de traverser les cohabitations. Les Français se sont approprié leurs institutions, qui ne sont ni de droite ni de gauche : la Ve république est devenue le patrimoine commun de la Nation. Voilà pourquoi nous sommes si nombreux à y être attachés.
En tant que Premier ministre trois ans durant, j'ai pu mesurer le caractère inestimable de ses règles fondatrices, dont quatre me paraissent immuables et d'abord la légitimité populaire du Président, celle qui nous a permis, en 2002, d'écarter l'extrémisme grâce au sursaut républicain.
M. Jean-Louis Carrère. - Grâce aux socialistes !
M. Jean-Pierre Raffarin. - C'est elle qui fait du Président l'homme en charge de l'essentiel.
La deuxième de ces règles est la dualité de l'exécutif : unis dans l'action, les deux rôles institutionnels ne peuvent être confondus. Parce que le Premier ministre est nommé par le Président, sa loyauté est l'essentiel de sa légitimité ; parce que son gouvernement peut être renversé par l'Assemblée nationale, il ne peut être privé de son rôle de chef de la majorité parlementaire. L'un peut dissoudre, l'autre être censuré. Avec le président Chirac, j'ai vécu cet équilibre de manière apaisée parce que chacune des deux fonctions étaient par l'autre respectée. Peut-être, pour un Premier ministre, y a-t-il avantage à travailler avec un président qui a été Premier ministre... (Rires sur les bancs socialistes)
L'efficacité de l'action publique est la troisième règle. La Ve République a offert à l'exécutif les leviers de l'efficacité pour remédier à l'impuissance politique. On peut les modifier pourvu que celle-ci, dans un pays aussi difficile à gouverner que la France, n'en soit pas renforcée. On peut contester les choix politiques de chacun ; mais si j'ai pu réaliser l'essentiel du projet présidentiel de 2002, je le dois aussi à nos institutions et à notre Constitution. Je saisis l'occasion pour dire merci à celle qui ne m'a jamais manqué : la majorité sénatoriale. (Applaudissements à droite ; rires à gauche)
Enfin, quatrième règle, la séparation des pouvoirs. Ce principe fondateur doit être sans cesse protégé, car il est fragile dans notre société de globalisation, de centralisation et de médiatisation. La démocratie représentative est bousculée par certaines illusions de la démocratie participative, mais la complexité de la société appelle à davantage d'expertise, de confrontation et de régulation. De toutes les institutions, c'est le Parlement qui peut et doit être renforcé pour mieux équilibrer l'exercice des pouvoirs. En de multiples occasions, je pense par exemple aux lois bioéthiques, il a montré sa maîtrise de la complexité. Ceux qui ont entendu Mme Hermange et M. About dans le débat récent sur les addictions peuvent en témoigner.
Notre Constitution donne aux différents pouvoirs la force nécessaire pour faire aboutir les réformes difficiles, trancher les débats fondamentaux et programmer l'action publique. Si une adaptation de notre gouvernance est nécessaire, c'est que l'on ne gouverne plus aujourd'hui un pays comme la France comme il y a cinquante ans. En 1958, le général de Gaulle expliquait aux Français que c'était « pour le peuple que nous sommes, au siècle et dans le monde où nous sommes, qu'a été établi le projet de Constitution ». Les Français ont changé, les temps ont changé, le monde n'a plus rien à voir avec ce qu'il était dans les années 1960. (MM. Carrère et Mélenchon marquent ostensiblement leur lassitude)
Au-delà des profonds mouvements qui agitent nos sociétés, liés à la confrontation des cultures et des technologies, un phénomène politique s'affirme : la personnalisation du pouvoir. Même les pays qui ont un régime parlementaire personnalisent leurs campagnes électorales -qu'on se souvienne du dernier débat entre M. Schroeder et Mme Merkel, ou du parcours de M. Blair. En France, l'élection présidentielle au suffrage universel et le quinquennat accélèrent cette évolution -ce qui n'est pas étranger à ce que certains appellent l'hyper présidence. Dans le monde, les opinions publiques identifient les grands pays en désignant leur leader. Ce processus très anglo-saxon nous interpelle. Comment oublier que la Chambre des communes, le Bundestag et le Congrès des États-Unis sont des assemblées parlementaires parmi les plus puissantes ? Dans une démocratie, le leadership d'un exécutif fort doit avoir pour contrepartie un pouvoir parlementaire renforcé, davantage écouté et mieux légitimé.
C'est pourquoi je suis dans le camp des réformateurs, pour éviter toute dérive vers ce que M. Badinter a appelé, pour la dénoncer, la monocratie.
Mais, fait significatif, c'est précisément celui que l'on accuse de tous les excès de la personnalisation du pouvoir qui propose une réforme visant à mieux équilibrer nos institutions. Je salue la lucidité et l'initiative de notre Président de la République pour encadrer Ies pouvoirs de sa fonction et élargir ceux du Parlement. C'est notre devoir d'oser cette réforme ! Je le dis à tous nos collègues qui craignent un trop fort mouvement de rééquilibrage : les seules limites à ne pas franchir sont la primauté de l'institution présidentielle et le parlementarisme rationalisé -et soyons attentifs au risque d'éclatement qu'il y aurait à inscrire les langues régionales dans notre Constitution. (Très bien ! à droite)
M. Jean-Luc Mélenchon. - Enfin ! Nous y voilà !
M. Jean-Pierre Raffarin. - Les défenseurs de la Ve République ne pourraient accepter une limitation de l'article 49.3 sans en contrepartie un strict encadrement du pouvoir d'obstruction. Je comprends les réserves de M. de Rohan : la dissuasion n'a de valeur qu'imprévisible. Mais aujourd'hui, l'enjeu est de transformer une relation de loyauté en un partenariat de liberté. La concordance des temps des mandats présidentiel et législatif a ouvert la voie à un véritable gouvernement de législature qu'appelait déjà de ses voeux Pierre Mendès-France. Si la réforme est adoptée, nous devrons inventer un nouveau rôle pour le Parlement. Nous avons besoin d'un régime parlementaire fondé sur des rapports plus équilibrés entre le Gouvernement et le Parlement : partage de l'ordre du jour, renforcement du rôle des commissions permanentes et augmentation de leur nombre, comité chargé des affaires européennes proposé par MM. Hyest, de Rohan, Gélard, Haenel et Mercier... Nous avons également besoin de mieux reconnaître le rôle de l'opposition. Notre pays a besoin de pacifier son débat démocratique pour progresser sur la voie des réformes. Afin de préserver l'harmonie au sein de notre Assemblée, nous devrions décréter que les principales décisions concernant le fonctionnement du Sénat seront prises d'un commun accord.
Nous avons besoin d'un régime parlementaire qui reconnaisse au Parlement une véritable capacité d'initiative législative -ce qui nécessitera de le doter d'une véritable capacité prospective propre. Notre horizon n'est plus la session, nos initiatives prendront le rythme quinquennal. Les Français n'acceptent plus que les réformes soient préparées dans l'ombre des cabinets ministériels ou sur la foi de rapports d'experts très éloignés du quotidien, ils ne veulent plus de réformes idéologiques ou sans égards pour le dialogue social. Nous avons besoin de la force positive des syndicats pour conduire les réformes !
Selon Alain Finkielkraut, être moderne c'est être mécontent : n'ayons pas peur de la modernité. C'est la force du Sénat de savoir qu'il a le devoir d'être libre et responsable.
M. Ivan Renar. - Bernard Thibaud, président du Sénat !
M. Jean-Pierre Raffarin. - Un Sénat libre et indépendant est une garantie pour le Gouvernement, une assemblée unique, comme le disait Victor Hugo, c'est un océan gouverné par la tempête ! Notre proposition relative aux conditions de l'élargissement de l'Union européenne à la Turquie est la marque de la sagesse sénatoriale. Voilà pourquoi nous avons besoin d'un bicamérisme renforcé. (Lazzi à gauche) J'ajoute que, pour l'image du Sénat, je crois moins à la communication de l'institution qu'à la valorisation du travail des sénateurs.
M. Jean-Louis Carrère. - Discours de campagne !
M. Jean-Pierre Raffarin. - La nouvelle Ve République devra prendre forme au Sénat : les libertés nouvelles devront être pleinement exercées ! Au-delà des textes, ce sont nos pratiques, notre état d'esprit, qui doivent évoluer. La modernisation du Sénat est déjà en cours, le Président du Sénat avait engagé une auto-réforme avec le soutien de mon Gouvernement. Jamais, sans doute, le besoin de Sénat n'a été aussi criant : le Sénat est l'irrévocable Édit de Nantes de la République, selon la forte expression de Maurice Schumann. Soyons clairs, le Sénat n'est pas une monnaie d'échange pour le Congrès et les sénateurs de la majorité ne céderont à aucune pression. (« Très bien ! » à droite) Nous savons ce que nous pouvons changer...
M. Bernard Frimat. - Rien !
M. Jean-Pierre Raffarin. - Nous savons aussi ce que nous devons préserver. Notre position est ferme -mais pas fermée. Le Président de la République a fait des propositions que nous approuvons. Serons-nous les seuls parlementaires au monde à dire non à des libertés ainsi proposées ? Allons-nous refuser de tempérer le pouvoir présidentiel, d'évaluer l'action publique, d'anticiper davantage les attentes de la société et d'injecter de la prospective dans le processus législatif ? Notre vote nous engage gravement. Nous nous fixons un objectif : inventer le Parlement du XXIe siècle. Le défi n'est pas mince : je ne le crains pas. « La France vient du fond des âges, elle vit, les siècles l'appellent », c'est pourquoi seul l'immobilisme pourrait l'atteindre. Je vous propose donc de relever ce défi. Depuis qu'à cette tribune Victor Hugo nous a dit : « Sénateurs, montrez que vous êtes nécessaires »...
M. Jean-Luc Mélenchon. - Pitié, Jean-Pierre...
M. Jean-Pierre Raffarin. - ... nous sommes toujours face à la nécessité de gagner la confiance des Français, par et pour le service de la France. (Vifs applaudissements à droite)
M. Guy Fischer. - Quatre petites heures de discussion générale pour un projet de loi constitutionnelle jugé par ses auteurs comme le plus important depuis 1958, c'est bien peu. Où est le grand débat national, démocratiquement nécessaire dès que l'on touche à l'équilibre de nos institutions ? Des opérations se trament à l'heure actuelle pour gagner quelques voix à Versailles. Où est le référendum tout aussi nécessaire, comme en 1958, comme en 1962, comme en 1969, comme en 2000 ? Mme Borvo Cohen-Seat a évoqué l'absence de rééquilibrage et même la dérive présidentialiste -certains professeurs de droit constitutionnel évoquent même une dérive consulaire, en référence au jeune Bonaparte.
Une chose est certaine, ce texte ne répond pas à l'attente, plus forte à chaque consultation, des Français : rapprocher le citoyen de ses représentants et des centres de décisions européens. Le projet constitutionnel ne fait qu'effleurer le sujet ; pire, il impose un traité, celui de Lisbonne, désormais caduc ! Ainsi s'accumulent dans notre Constitution les vestiges des défunts traités. Comment commencer ce débat sans tirer les leçons de la crise institutionnelle européenne et évoquer la hiérarchie des normes, nationales et européennes ?
Rien n'est prévu pour restaurer le lien entre institution et citoyen, sinon une initiative parlementaire s'appuyant sur une démarche populaire extrêmement encadrée. La démocratie participative reste lettre morte. L'idée d'une représentation proportionnelle avancée à plusieurs reprises par Nicolas Sarkozy est à présent repoussée d'un revers de main, alors que 81 % des Français y sont favorables. Plus question non plus du droit de vote des étrangers. M. Karoutchi affirme que cette réforme n'est « ni de gauche, ni de droite ». (M. le ministre le confirme) Pas de gauche, j'en conviens ! Le combat des forces qui portent l'espérance des plus faibles, des exploités, n'a pas d'écho dans un texte qui concentre les pouvoirs dans la main d'un seul homme et brise le débat parlementaire.
La conception et la construction de ce texte sont fondées sur une hypocrisie fondamentale. On nous répète que la réforme restaurera les droits du Parlement et bridera le pouvoir exécutif. Depuis un an, Nicolas Sarkozy agite un leurre ; il a été relayé par M. Balladur et le Gouvernement. Véritable campagne d'intoxication ! Parmi les porte-parole et les ministres, Mme Dati fait fort -« le pouvoir législatif sort profondément renforcé »- mais c'est M. Karoutchi -une « révolution attendue depuis des décennies par tous les groupes parlementaires »- qui décroche le prix du meilleur vendeur. Le ministre a même indiqué que le texte allait « rendre à chaque parlementaire un vrai rôle, une vraie identité et lui donner une vraie influence dans l'élaboration des lois ». Bref, plus c'est gros, mieux ça passe ! (M. Carrère applaudit)
M. Jean-Claude Carle. - C'est un spécialiste qui le dit...
M. Guy Fischer. - Mais quel mépris à l'égard des assemblées... Le président de l'Assemblée nationale, ne voulant pas être en reste, a vu dans votre réforme « une chance historique de renforcer les pouvoirs du Parlement ». Mais pourquoi ne pas avoir fait confiance au Parlement pour élaborer cette révision le concernant, affirmez-vous, en premier lieu ?
Comme l'indiquait le professeur Sur, spécialiste du droit constitutionnel : « Qu'une commission nommée par l'exécutif octroie des droits nouveaux au Parlement a quelque chose de paradoxal, presque d'indécent ».
Il a proposé une formule très pertinente : « ce prétendu renforcement du Parlement n'est que la salade qui entoure le rôti ». (Rires à gauche) Le « rôti », c'est la présidentialisation du régime, mise en place selon la politique de l'artichaut, feuille par feuille. Ce projet est trompeur, beaucoup aujourd'hui s'en rendent compte. La baudruche se dégonfle au fil des semaines. M. Hyest ne masque d'ailleurs pas grand-chose dans son rapport, et il expose sans sourciller comment les droits des parlementaires sont presque réduits à néant. La primauté du débat en commission, la restriction du droit d'amendement et les nouvelles modalités de fixation de l'ordre du jour constituent une agression voilée mais extrêmement violente contre la démocratie parlementaire.
Le travail en commission nous est présenté comme une panacée. J'attache une grande importance à ce travail préparatoire, mais il doit demeurer un prélude à la séance publique, qui est le lieu naturel de la confrontation d'idées, de la présentation des propositions des groupes politiques et des parlementaires. Limiter le travail législatif au débat en commission, c'est mettre à mal le pluralisme, car seuls les groupes importants peuvent s'y assurer une présence forte et régulière. C'est également un coup porté à la transparence, car les commissions subissent la pression des lobbies, véritables fléaux. Le fait de discuter en séance publique sur la base du texte élaboré en commission et non plus du projet gouvernemental est présenté comme une avancée démocratique. C'est un mensonge. Il s'agit en fait d'un tour de passe-passe destiné à modifier profondément la nature du débat en séance publique. Faisons le lien avec l'article 18 du projet, qui stipule que le droit d'amendement s'exerce en séance publique ou en commission. Le « ou » est fondamental : on pourra ainsi contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, depuis 1990, donne à chaque parlementaire le droit d'amender en séance publique. Le but poursuivi est clair : vous voulez étendre la pratique de la procédure simplifiée, qui interdit aux parlementaires de débattre sur un texte. Cette procédure est aujourd'hui limitée à des textes dont l'impact politique est faible, comme les conventions internationales ; tout groupe parlementaire peut d'ailleurs s'y opposer. Ce qui nous est proposé aujourd'hui, c'est de généraliser cette procédure et de retirer aux groupes la possibilité de s'y opposer en renvoyant la décision à la Conférence des Présidents, donc à la majorité.
Vous prévoyez, monsieur le rapporteur, une loi organique qui précisera la portée de ce nouveau dispositif ; mais son contour reste flou. Elle aurait dû être déjà élaborée et présentée aujourd'hui aux parlementaires. Avec une franchise inquiétante, M. Hyest évoque la possibilité d'une adoption complète des textes de lois en commission, tout en affirmant que les Français ne sont pas encore prêts à cette évolution.
Le droit d'amendement est également attaqué par la mise en place d'un véritable 49-3 parlementaire. En effet, les motivations de l'article 18 sont claires. Voici ce qu'on lit dans le rapport du comité Balladur, dont cet article est inspiré : « la principale proposition du comité est de donner à la Conférence des Présidents de chaque assemblée la charge de fixer une durée programmée de discussion pour l'examen des propositions de lois. Cela suppose que le temps de la discussion, y compris celui consacré aux motions de procédure, à la discussion générale et à celle des articles, soit réparti entre les groupes politiques. Une fois écoulé le temps de la discussion, celle-ci serait close et l'on en viendrait au vote. En cas de besoin, la Conférence des Présidents pourrait décider qu'il y a lieu de prolonger le débat en accord avec le Gouvernement ». Cette tentation de réduire le débat démocratique est grave. Le prétendu renforcement des droits du Parlement est en réalité un renforcement du fait majoritaire. Les droits de l'opposition seront foulés au pied par une Conférence des Présidents acquise au pouvoir exécutif. Pour le Président de la République et l'UMP, rehausser les droits du parlement c'est étouffer le droit d'amendement et la séance publique. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Louis Carrère. - Très bien ! Mais de toute façon, nos collègues de la majorité n'écoutent pas !
M. Guy Fischer. - J'évoquerai enfin la nouvelle organisation de l'ordre du jour. Il s'agit d'un recul programmé de la séance publique dédiée au travail législatif. Faire la loi est la prérogative première de la représentation nationale depuis la Révolution française ; mais ce principe républicain est aujourd'hui remis en cause. Deux semaines seraient consacrées à l'examen des textes du Gouvernement et à des débats thématiques, une semaine au contrôle et une journée serait consentie aux groupes non majoritaires. Mais le Parlement doit être totalement maître de son ordre du jour !
S'il souhaite légiférer quatre semaines sur quatre pour répondre aux besoins du peuple, il en a le droit, il en a le pouvoir, il en a le devoir. Le Gouvernement impose au Parlement un véritable corset, dont le Président de la République peut resserrer les liens selon son bon vouloir et les exigences de l'heure, avec la complicité du groupe majoritaire des deux assemblées. (Protestations à droite) On comprend mieux la volonté de l'UMP de conserver la maîtrise du Sénat contre vents et marées, contre la volonté populaire.
La véritable ambition du pouvoir en place, c'est de changer le régime, de porter un coup masqué à la démocratie. Les sénateurs du groupe CRC refusent cette rupture d'équilibre au profit du Président de la République et au détriment du pluralisme et du débat démocratique. Ils voteront contre ce texte sans hésitation. (Applaudissements sur les bancs communistes et socialistes)
M. Nicolas Alfonsi. - Ce projet de révision constitutionnelle est d'une ampleur sans précédent, et il est malaisé d'en prendre une vue d'ensemble. Au-delà du terme commode mais ambigu de « modernisation », ce texte a deux objectifs principaux : rééquilibrer les institutions en faveur du Parlement et renforcer la protection des droits fondamentaux. Sur ce dernier point, nous approuvons la création d'un Défenseur des citoyens, avec certaines réserves au sujet de son champ de compétence et de la concurrence avec les autorités indépendantes déjà en place. Nous sommes également favorables à l'amélioration du fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, sous réserve de son caractère paritaire, à la possibilité ouverte aux justiciables de contester la constitutionnalité des lois, par une procédure de renvoi préjudiciel au Conseil constitutionnel...
M. Michel Charasse. - C'est ce que voulait François Mitterrand !
M. Nicolas Alfonsi. - ...au principe d'égal accès des hommes et des femmes aux fonctions publiques ou privées et à l'affirmation selon laquelle les langues régionales appartiennent au patrimoine de la République, même si son inscription dans l'article premier peut surprendre.
S'agissant du rééquilibrage entre les pouvoirs publics, il faut soutenir les mesures renforçant les pouvoirs du Parlement. Mais ce renforcement n'est-il pas illusoire ? Certes il est temps de desserrer l'étau du parlementarisme rationalisé, et nous approuvons la meilleure répartition de l'ordre du jour, la discussion en séance sur la base des textes adoptés en commission, l'augmentation du nombre des commissions permanentes, l'assouplissement du droit d'amendement, l'allongement du délai d'examen des textes. Nous sommes également favorables à la faculté de consulter pour avis le Conseil d'État au sujet des propositions de lois, à l'amélioration du contrôle et de l'évaluation des politiques publiques, notamment par des résolutions sur des actes communautaires, à l'obligation d'informer le Parlement des interventions des forces armées à l'étranger et à la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel au sujet de la durée d'exercice par le Président de la République des pouvoirs exceptionnels prévus par l'article 16.
Mais la modification des responsabilités au sein du pouvoir exécutif suscite davantage de perplexité. D'une part, la modification du rôle du Premier ministre dans le domaine de la défense nationale ne s'impose pas. D'autre part, le changement du mode de communication du Président de la République avec le Parlement appelle une appréciation nuancée. Le droit d'accès du Président de la République aux assemblées rompt avec une longue tradition parlementaire héritée des débuts de la IIIe République, pleinement justifiée par l'absence de responsabilité du Président devant l'Assemblée nationale.
M. Michel Charasse. - Cela date de Thiers !
M. Nicolas Alfonsi. - Mais la révision proposée n'a apparemment pour objet que de moderniser le droit de message. D'ailleurs, le Président est appelé à s'exprimer dans l'enceinte de parlements étrangers, et des chefs d'État étrangers se sont déjà exprimés devant le parlement français. Est-ce un argument suffisant pour rompre avec une longue tradition et pour mettre en place un dispositif qui risque de faire sortir le Président de son rôle d'arbitre et de porter atteinte à son crédit ?
Sans doute, l'inconvénient que représente l'intervention, sans débat ni vote, du Président de la République devant l'Assemblée nationale, alors que seul le Gouvernement est responsable devant elle, a été atténué puisqu'il est désormais prévu que le Président de la République ne peut prendre la parole que devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès. Est-ce à dire que le Congrès devrait être convoqué une fois par an ? A tout moment ? Une chose est sûre, il lui faudrait s'habituer à se réunir à Versailles pour ne pas voter ! Troublante innovation quand on sait que jusqu'à ce jour les congrès à Versailles se concluaient toujours par un vote.
M. Jean-Louis Carrère. - À la lanterne !
M. Nicolas Alfonsi. - Nul ne peut prévoir la pratique institutionnelle qui résulterait d'une telle disposition... Et que penser de cette acclimatation aux institutions de la Ve République de dispositions inspirées du régime présidentiel américain -adresse au Congrès, interdiction d'exercer plus de deux mandats présidentiels, avis parlementaire sur les nominations considérées comme les plus importantes ?
Certaines mesures, enfin, inutiles ou incertaines, entretiennent le doute et appellent des réserves. Certaines dispositions du projet recouvrent des mesures de convenance dont la justification objective n'a pas été exposée avec suffisamment de clarté. Ainsi du droit de retour automatique au Parlement de ministres démissionnaires, qui, déjà envisagée puis abandonnée en 1974, outre qu'elle ne répond pas à l'esprit de la Ve République, serait sans effet sur la stabilité gouvernementale, mais pas sans conséquence sur l'instabilité ministérielle au sein du Gouvernement.
D'autres mesures s'apparentent à un trompe-l'oeil. Ainsi, la limitation des conditions dans lesquelles le Gouvernement peut engager sa responsabilité sur un texte devant l'Assemblée nationale constitue-t-elle un réel renforcement des droits du Parlement, alors que cette responsabilité n'a été mise en jeu qu'à trois reprises depuis dix ans. Est-ce donc par cette rupture profonde avec la tradition de la Ve République que s'augmentera, aux yeux de l'opinion, le crédit du Parlement ? De même, le référendum d'initiative mixte, difficilement praticable, constitue-t-il un réel progrès ?
Enfin, la Constitution ne saurait comporter de mesures de circonstances. A force de faire, défaire, puis refaire la Constitution au gré de l'évolution de nos réflexions sur l'élargissement et en particulier sur l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, il est alors à craindre que les détenteurs du pouvoir constituant ne se déterminent plus qu'en fonction des convictions politiques du moment.
M. Gérard Delfau. - Très bien !
M. Nicolas Alfonsi. - Nous avons apprécié les efforts du président Hyest pour parfaire ou modifier le texte adopté par l'Assemblée Nationale, à l'exception du scrutin sénatorial, sur lequel nous exprimons nos plus expresses réserves. Si notre commission des lois a ainsi amélioré ce texte pour le moins baroque, bien des réserves demeurent. Vous connaissez les sensibilités différentes qui s'expriment au sein de notre groupe, et qui viennent encore de s'enrichir : ouvert à la discussion et ne nourrissant aucun préjugé, il se déterminera, à la fin du débat, en fonction des améliorations qui lui seront apportées. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et sur quelques bancs à gauche)
M. Nicolas About. - Dans la grande révision constitutionnelle qui nous est présentée dans le but de moderniser les institutions de la Ve République, un point, central, nous concerne plus directement : la rénovation des méthodes de travail du Parlement. Si j'interviens donc en qualité de président de la commission des affaires sociales, ne concluez pas du fait que je n'aborde pas l'ensemble des autres dispositions que je les tiens pour négligeables.
Cette révision présente, pour nous, deux intérêts majeurs. D'abord, elle vient affirmer solennellement que le rôle du Parlement consiste, parallèlement à sa mission la plus sacrée de législateur, à exercer sa puissance de contrôle de l'action du Gouvernement. Ce n'est certes pas une innovation. Nous effectuons depuis longtemps cette tâche difficile, qui mobilise du temps, de l'énergie et des moyens, notamment humains, bien que ceux-ci demeurent encore réduits au regard de l'ampleur de la tâche. C'est dans cet objectif que nous avons créé, au sein de la commission des affaires sociales, une mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la Mecss, qui fait désormais -je puis le dire sans immodestie puisque c'est à son président Alain Vasselle qu'elle le doit- figure d'expert dans le monde austère des finances sociales. Je suis très satisfait du choix que nous avons fait de mêler étroitement vote des lois -la loi de financement de la sécurité sociale pour ce qui nous concerne ici- et organe de contrôle : on sait ainsi comment et quoi contrôler avec pertinence, tout en préparant, sur un mode prospectif, les réformes à venir. C'est pourquoi je ne doute pas qu'après voir obtenu la reconnaissance de la Mecss en loi organique, notre Assemblée s'emploiera à réaffirmer officiellement son existence dans notre règlement intérieur, appelé à être profondément remanié à l'issue de la révision. D'autant que la procédure pratique d'examen des textes devrait rompre avec les habitudes solidement ancrées acquises depuis 1958. La rupture qui sera, pour nous, la plus sensible, tient au fait qu'il nous est proposé de débattre désormais en séance publique sur le texte issu des travaux de la commission saisie au fond. C'est là une revendication ancienne, répondant à un souci de respect du travail parlementaire. Il en découlera néanmoins un certain nombre de difficultés techniques qu'à n'en pas douter nous saurons résoudre dans notre Règlement, mais sur lesquelles nous avons encore besoin, madame la ministre, d'éclaircissements. Je pense notamment aux modalités pratiques d'application de l'article 40, à l'ardente nécessité d'une présence renforcée au stade du débat en commission, afin d'être assuré de bien rendre compte de la diversité de ses opinions et de la majorité qui s'en dégagera, à la rigueur et à la sérénité qui doivent présider à l'adoption de son texte dès lors qu'il fera foi en séance publique... Des amendements ont été présentés sur ce point, y compris par moi-même, et je ne doute pas que nous en tirions les éléments nécessaires à notre réflexion. Je souhaite aussi que les nouveaux délais d'examen qui, nous dit le texte du projet de loi, devraient nous être accordés pour laisser aux parlementaires le temps de travailler, soient considérés comme une règle impérieuse et respectés.
Soyez assurés de mon souci de faire en sorte que notre norme constitutionnelle reflète les préoccupations de notre société dans la diversité de ses composantes, se préoccupe de l'égalité des chances et de la bonne gestion des finances publiques. (Applaudissements sur plusieurs bancs UMP et du centre.)
M. Robert Badinter. - Je m'associerais volontiers aux propos liminaires du président de Rohan, qui a salué la mémoire du grand homme que fut le fondateur de notre Ve République. Jamais nous n'aurons assez de reconnaissance envers celui qui a sauvé l'honneur de la France face à l'immonde régime de Vichy. Je suis sensible au fait qu'il ait rappelé que François Mitterrand, devenu Président de la République, avait scrupuleusement respecté la Constitution, comme c'était son devoir de républicain. Mais je rappelle qu'il disait volontiers que si avant lui, la Constitution était dangereuse, après lui, elle le redeviendrait... (M. Carrère applaudit)
Quelles brillantes perspectives n'avait-on pas d'abord ouvertes en annonçant cette révision constitutionnelle. Si l'on en croit la lettre de mission du comité Balladur, il ne s'agissait de rien moins que de « redéfinir les relations entre les différents membres de l'exécutif » -entendez, le Président de la République et le Premier ministre-, d'« encadrer les pouvoirs du Président de la République par de réels contre-pouvoirs », de « régulariser les rapports entre le Parlement et l'exécutif », de « s'interroger sur l'opportunité de reconnaître dans la Constitution l'existence d'un véritable pouvoir judiciaire », sur la nécessité, quant aux modes de scrutin, qui « ont à l'évidence un effet majeur sur l'équilibre des institutions, de « s'interroger sur l'opportunité d'introduire une dose de représentation proportionnelle au niveau national pour les élections législatives ou sénatoriales » ! Bref, un grand souffle réformateur allait passer sur la Constitution de la Ve République. (Rires à gauche) C'était exactement ce que Napoléon, de retour de l'île d'Elbe, avait demandé à Benjamin Constant. On en connaît le produit : ce fut le texte étriqué de l'acte additionnel aux Constitutions de l'Empire que Chateaubriand se plaisait à appeler ironiquement la Benjamine. Appellera-t-on celle-ci l'Édouardienne, ce qui aurait un joli parfum anglais qui conviendrait bien à son auteur ? Mais tant de propositions du comité Balladur ont disparu en cours de route, ou ont été altérées, qu'il serait sans doute préférable de lui rechercher un sobriquet par référence à son inspirateur. La Nicolette ? Ce serait charmant... mais le fossé est si large entre les proclamations de départ et les dispositions que nous aurons à l'arrivée que ce sera une révision qui aura fait « pschitt », selon un mot cher à Jacques Chirac...
En matière constitutionnelle, la portée d'une réforme ne se mesure pas au nombre mais à l'importance des règles adoptées et il suffit parfois de modifier un seul article pour changer la nature des institutions : ce fut le cas lorsque le général de Gaulle fit voter la réforme de 1962.
Dans le texte proposé, les dispositions sont nombreuses, mais il n'est pas porté remède au défaut majeur de nos institutions : l'hyper puissance du Président de la République. Depuis 1962, depuis l'instauration de son élection au suffrage universel -disposition à laquelle les Français sont aujourd'hui si attachés qu'il paraît démocratiquement impossible d'y porter atteinte-, nous vivons sous le régime de l'omnipotence d'un homme -peut-être demain d'une femme- élu certes par le peuple mais qui, pendant son mandat, jouit de pouvoirs supérieurs à ceux de tout chef d'État ou de gouvernement dans les autres démocraties occidentales. Comme l'a dit tout à l'heure le Premier ministre, un tel régime est une monocratie, le gouvernement d'un seul. Le meilleur commentaire en a été fait par le Général de Gaulle lui-même dans sa célèbre conférence de presse du 31 janvier 1964 : «L'autorité indivisible de l'État est confiée toute entière au Président par le peuple qui l'a élu, il n'en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire qui ne soit conférée et maintenue par lui ». Cette écrasante omniprésence du Président ne s'efface qu'en cas de cohabitation. Or la réforme de 2000, en instaurant le quinquennat et en faisant se succéder élections présidentielle et législatives, a écarté, hormis circonstances extraordinaires, toute cohabitation.
C'est cette conjonction de l'élection directe par le peuple, et de la maîtrise de la majorité présidentielle à l'Assemblée nationale qui assure au président français sa surpuissance. Il n'y a pas, comme aux États-Unis, d'autonomie réelle du pouvoir législatif. Le président américain ne peut pas dissoudre la Chambre des représentants ni le Sénat, La séparation des pouvoirs n'est pas là-bas une formule, c'est une réalité. Alors qu'en France, le Président de la République, véritable aigle à deux têtes, est le maître souverain de l'exécutif nommant et renvoyant à sa guise les ministres, y compris le Premier, il contrôle en même temps politiquement le pouvoir législatif via le principal parti dont il est le chef. « Cy veut le Roi, cy veut la loi » disait l'adage de l'Ancien Régime. Le président français, via la majorité présidentielle, est en fait le principal législateur français.
Si on y ajoute le pouvoir de nomination aux grands emplois de l'État, on a la mesure d'un pouvoir présidentiel sans équivalent et d'autant plus grand qu'il s'exerce sans que la responsabilité politique du Président soit jamais engagée en cours de mandat par ses décisions. Ainsi l'échec du référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen n'a eu aucune conséquence politique. Par un paradoxe constitutionnel unique en France, le Président peut tout et il n'est responsable de rien. On ne peut mieux définir la monocratie à la française.
La vraie question dès lors, à propos de ce projet de révision est : réduit-il effectivement la prédominance excessive du pouvoir présidentiel ? La réponse est hélas pour l'essentiel négative. Ce n'est pas un rééquilibrage de la Constitution qu'on vous demande de voter, c'est tout au plus un lifting ! Le projet conserve l'essentiel des pouvoirs du Président. Laissons de côté l'accessoire : le renoncement aux grâces collectives. Il n'est pas obligé d'exercer ce droit mais pourquoi inscrire dans la Constitution que nul ne le pourra plus alors que ces grâces, face à la surpopulation pénale et aux canicules de l'été, sont souvent la seule façon d'éviter des explosions carcérales ?
Oublions la légère modification des conditions de mise en oeuvre de l'article 16. Nous avons l'État de siège et l'État d'urgence et ces dispositions suffisent à la sûreté républicaine.
Même inutilité pour la limitation à deux du nombre des mandats successifs : cette disposition avait déjà été débattue en 2000 mais écartée : pourquoi se priver dans des périodes très graves pour le pays -en cas de guerre par exemple- d'un bon Président qui aurait la confiance des Français ? Et en temps ordinaire, tels que sont les Français, il est douteux qu'ils accordent leurs suffrages trois fois consécutives à un même président...
Reste la véritable innovation : la prise de parole du Président devant le Parlement réuni en Congrès, suivie d'un débat hors sa présence. Il y a plus là que la volonté de mettre en scène l'éloquence présidentielle. En s'exprimant devant le Parlement réuni, le Président apparaîtra physiquement comme chef de la majorité parlementaire : c'est elle qui applaudira longuement les bons passages et se lèvera pour l'ovation finale. Elle approuvera ainsi spectaculairement le programme d'action du Président et, du coup, le rôle traditionnel du Premier ministre comme chef de la majorité parlementaire sera effacé aux yeux de tous. Ce sera la « présidence impériale » se montrant en majesté à Versailles.
Quant au pouvoir de nomination à certaines hautes fonctions, le Président avait annoncé que le Parlement y serait dorénavant associé et le comité Balladur avait prévu qu'une commission parlementaire serait constituée pour donner son avis sur les projets de nomination. Mais par un admirable tour de passe-passe, le projet voté par l'Assemblée stipule que le Président ne peut passer outre un avis négatif de cette commission... s'il a recueilli une majorité des trois-cinquièmes. Exit alors toute possibilité de recherche d'un consensus sur ces nominations et l'opposition, comme toujours, demeure sans recours.
Que le Parlement débatte à partir du rapport adopté par les commissions, qu'il bénéficie d'une maîtrise partielle de l'ordre du jour -un cheval pour la majorité, une alouette pour l'opposition-, que le droit d'amendement s'exerce plus librement, ce sont de petites avancées. Mais peu importe quand le pouvoir qui compte vraiment, c'est le pouvoir du Président qui s'exerce au Parlement à travers la majorité dont il est le chef. Les deux mains, celle de l'exécutif et celle du législatif obéissent au même cerveau, celui du Président. C'est cela, la monocratie. Une volonté réelle de rééquilibrage passe par la reconnaissance de droits nouveaux à l'opposition. Est-ce le cas ? On nous promet un statut de l'opposition mais on n'indique nulle part que la présidence de certaines commissions lui serait confiée, ni que l'ordre du jour sera plus avantageux pour elle... Et que dire du maintien de l'article 49-3 dont on pensait qu'il allait enfin disparaître, hors lois de finances et de financement, mais qui réapparaît dans le texte de l'Assemblée nationale ?
Sur le changement de la loi électorale, nous n'avons pas d'annonce précise et, à propos du Sénat, il n'est question que de maintenir la situation actuelle, telle que l'a interprétée le Conseil constitutionnel. Mais, au lieu de la constitutionnalisation explicite de la décision du Conseil constitutionnel, on préfère plus habilement une constitutionnalisation implicite de cette interprétation qui a pour effet d'interdire à vue humaine tout changement de majorité au Sénat. Comme le pouvoir de révision constitutionnelle passe par l'accord de la majorité sénatoriale, celle-ci pourra s'opposer à toute modification que voudrait la gauche majoritaire à l'Assemblée nationale. C'est quasiment à perpétuité que la majorité sénatoriale entend condamner les forces de gauche à rester minoritaires au Sénat. Cela conduit l'opposition à rester éternellement telle. Belle avancée démocratique !
Les droits des citoyens doivent avoir une importance particulière en démocratie ; je me réjouis bien sûr des avancées sur ce terrain.
J'éprouve une satisfaction personnelle à voir acceptée l'exception d'inconstitutionnalité. J'en ai été l'instigateur dès 1989 et j'avais réussi à convaincre François Mitterrand qui était trop attaché à la souveraineté parlementaire pour s'y montrer spontanément favorable. Le filtre que j'avais prévu devait éviter la surcharge du corps judiciaire et le pénétrer de l'importance des principes constitutionnels. J'espère que cette disposition sera adoptée. Il me semble me souvenir que le Sénat lui avait opposé deux fois son veto...
Quand je regarde la réalité de cette révision, au-delà des proclamations et des annonces, je retrouve le mot sublime que Tommaso de Lampedusa prête à Tancrède Falconeri dans Le Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». (Vifs applaudissements à gauche)
M. Josselin de Rohan. - (Applaudissements sur les bancs UMP) En cinquante ans, notre Constitution a été révisée vingt-trois fois. Cette révision-ci est justifiée par la volonté de rééquilibrer les pouvoirs au profit du législatif. Le parlementaire que je suis ne peut que s'en réjouir, mais une disposition de ce projet de loi remet en cause l'équilibre de la Constitution, d'une manière à la fois contestable et dangereuse : il s'agit de la réforme proposée de l'article 49-3.
Sa mise en place, en 1958, devait remédier à un défaut majeur des républiques antérieures : dans la pratique, les majorités se disloquaient avant le vote à la majorité absolue qui était censé les renverser et le gouvernement démissionnait sans attendre que la confiance lui ait été explicitement refusée. L'exécutif était ainsi privé des moyens de gouverner sans que personne n'ait pris la responsabilité directe de sa chute. C'est à l'initiative conjointe de Pierre Pflimlin et de Guy Mollet, forts de leur expérience d'anciens présidents du Conseil, que l'article 49-3 fut introduit dans la Constitution. Son objectif était double : il s'agissait de contraindre une majorité craintive ou rétive à accepter un texte qu'elle ne voulait pas mais que le gouvernement jugeait indispensable ; cet article devait aussi donner à l'exécutif les moyens de mettre un terme à la pratique d'obstruction dénommée filibuster, qui retarde le vote des lois et peut ainsi bloquer l'action du gouvernement.
Michel Debré considérait l'article 49-3 comme l'ultima ratio. Son abus démontre la faiblesse d'un gouvernement à qui manque la pleine confiance de sa majorité, et il donne du parlementarisme une image caricaturale.
La motion de censure est le pendant et la réplique de cet article : il est normal que l'opposition dénonce la politique qu'elle réprouve. Chacun est ainsi amené à prendre ses responsabilités.
L'utilisation excessive du 49-3 par certains gouvernements a conduit à le mettre en cause. Il a été utilisé 39 fois entre juin 1988 et avril 1993, dont 28 fois par le gouvernement Rocard.
Que nous propose-t-on ? D'encadrer cet article qui, hors lois de finances et de financement, ne pourrait être utilisé qu'une seule fois dans l'année. Ce serait dangereux pour le gouvernement, qui serait privé d'une arme dont la puissance réside dans sa capacité dissuasive ; or, comme l'a dit tout à l'heure M. Raffarin, une arme qui ne peut servir qu'une fois est dépourvue de crédibilité. De plus, l'expérience montre que les majorités parlementaires ne sont pas toujours solides. Celle de 1967 ne tenait qu'à une voix, celle de 1988 à guère plus, et si devait être réintroduite la représentation proportionnelle, rêvée par certains, reviendrait le temps des majorités improbables, des alliances douteuses et des coalitions instables. Conjuguée avec les autres dispositions de ce texte, la restriction de l'usage du 49-3 conduirait une majorité frileuse ou frondeuse à paralyser l'exécutif. Le Gouvernement devrait négocier pied à pied, pendant une session de sept mois. L'issue de ce combat n'est pas douteuse : l'inertie, l'attentisme, l'inaction guetteraient un gouvernement étrillé, avec en prime le discrédit.
Les rédacteurs du projet de loi ont tenté de désamorcer la critique, mais au prix d'une demi-mesure : il ne s'agit pas de rafistoler le 49-3 mais de le conserver ou de le supprimer. Je voterai donc l'amendement de la commission, en espérant que sa rédaction ne fera pas les frais d'un compromis ultérieur, mais sans beaucoup d'illusions...
En d'autres enceintes, d'aucuns objecteraient que le Sénat n'aurait pas à se prononcer sur une disposition qui ne le concerne pas. Quoi, je pourrais avoir un avis en tant que citoyen mais pas en tant que sénateur ! Il s'agit du Parlement et de l'équilibre des institutions : dès lors, aucune disposition du projet de loi ne saurait nous être étrangère. Nous sommes une assemblée constituante !
M. Jean-Louis Carrère. - Très bien !
M. Josselin de Rohan. - Cette réforme me fait penser à ce qu'avait dit le général de Gaulle en évoquant le Gouvernement dans la Constitution de 1946 : il estimait n'y avoir vu ni le mot, ni la chose. Je souhaite que l'on conserve le mot sans altérer la chose, car au moment où j'approche de mon soir, je ne veux pas revoir le temps de ma jeunesse où la République était inexistante, absente et discréditée ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. Pierre Fauchon. - Constatant que ce projet de loi comportait des dispositions multiples en apparence disparates, M. Alfonsi a parlé de texte fourre-tout et baroque, comme si le baroque n'était pas un grand style digne de considération. Pourtant, la réforme institutionnelle ne manque pas de cohérence. Elle tend à rééquilibrer notre démocratie en faveur du Parlement et -plus timidement, mais il faut vivre avec son temps- en faveur des citoyens.
Certes, le projet de loi fournit une nouvelle occasion de confrontation droite gauche et suscite des réactions contradictoires unissant dans un même combat conservateur le fétichisme des uns avec la surenchère des autres. Mais ne perdons pas de vue qu'il offre une occasion unique et inespérée de réanimer profondément notre vie politique, après une longue période d'enlisement qui a débouché sur l'impuissance des pouvoirs publics. Rappelez-vous ces manifestations de rue qui, il n'y a pas si longtemps, ont remplacé une opposition inexistante : elles furent élevées à la dignité de contre-pouvoir malgré leur caractère partiel et irresponsable. Giraudoux, déjà, avait écrit De pleins pouvoirs à sans pouvoirs.
Saluons cette entreprise opportune qui donnera peut-être à nos institutions le tempérament qui leur manque depuis l'élection du Président de la République au suffrage universel. Il est inutile de rappeler que ce phénomène a eu de profondes conséquences pour notre vie politique. Il a débouché sur un affaissement du Parlement, dont l'absentéisme est parfois le visage le plus visible et, il y a quelques jours, le plus affligeant.
Mais, tout en saluant la démarche et en contribuant à l'améliorer, est-il permis de douter qu'elle suffise à désenliser la vie publique ? Elle n'aborde pas l'épineuse question du cumul des mandats, dont nul ne parle.
M. Jean-Pierre Bel. - Le suffrage universel règle cette question !
M. Pierre Fauchon. - Bel exemple de convergence !
Je crains non pas un pschitt, mais le poids de la routine. En fait, nul ne sait par avance le résultat d'une réforme : lorsque M. Giscard d'Estaing a réformé la Constitution afin que soixante parlementaires puissent saisir le Conseil constitutionnel, il a suscité le scepticisme des milieux politiques, alors que cette disposition a profondément influencé notre République. Je souhaite une réforme plus radicale. Vous devinez que je songe à un régime présidentiel. Ce projet de loi nous en rapproche, mais sans franchir l'étape décisive, bien que le Premier ministre ne cache pas qu'elle aurait sa préférence.
Cette solution mettrait fin à la pseudo responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale, qui ne garantit que l'affaiblissement du Parlement. Elle ne changerait guère la vie de l'exécutif, mais assurerait au pouvoir législatif une confiance plus féconde que la loyauté. Ne devant plus disposer d'une majorité homogène, l'Assemblée nationale pourrait mieux refléter le pluralisme de l'opinion. En allégeant le poids des clivages partisans, on éviterait les affrontements stériles entre groupes, en faveur de majorités d'idées.
De bons esprits s'inquiéteront des risques de blocage induits par ce système, car notre tempérament conduit à l'affrontement plus qu'à la composition. Il faudrait donc imaginer un régime présidentiel à la française. Dans cet esprit, avec quelques amis, nous vous soumettrons des amendements, non dans l'espoir de bousculer les choses dans l'immédiat, mais afin d'élever le débat en vue d'une étape ultime mettant fin à la confusion paralysante dont la présente réforme aura du mal à nous sortir. (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)
M. Pierre Mauroy. - La Constitution de la Ve République aura cinquante ans le 4 octobre, une longévité record parmi les quinze constitutions françaises depuis 1789. Ses institutions ont eu le mérite de s'adapter à des contextes politiques et sociaux très différents. Elles ont survécu à vingt-trois modifications constitutionnelles et permis par trois fois la cohabitation d'un Président de la République et d'un Premier ministre de bords opposés. Je m'associe aux hommages que plusieurs orateurs ont rendus au général de Gaulle et à François Mitterrand, le premier pour avoir élaboré cette Constitution, le second pour l'avoir maintenue.
Pourquoi une nouvelle réforme ? À l'évidence, une modification institutionnelle ne peut résoudre la crise politique qui persiste depuis des années en France et en Europe, mais elle peut y contribuer. Les socialistes acceptent donc le principe, mais pas le texte dont nous débattons, qui est d'ailleurs loin de recueillir le soutien de la majorité. D'autres orateurs ont exposé les raisons des parlementaires socialistes. Je me bornerai donc à la présidentialisation accentuée du régime et au Sénat.
La révision de 1962 qui a instauré l'élection du Président de la République au suffrage universel direct a donné un tour présidentiel incontestable à nos institutions, bien que le Gouvernement reste responsable devant l'Assemblée nationale. Mais le fait majoritaire, puis le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral ont accentué les pouvoirs du Président de la République, puisque celui-ci cumule en pratique les fonctions de chef de l'État et celles de Premier ministre. Alors, de grâce, n'allons pas plus loin !
Or, l'article 7 du projet de loi, loin d'être anodin, modifie la nature de nos institutions, car il permet au Président de la République de « prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès. » Il y a là une évolution emblématique vers le régime présidentiel, avec une personnalisation du pouvoir, que l'actuel chef de l'État applique d'ailleurs par anticipation. (Sourires)
Certains, de droite ou de gauche, souhaitent un régime présidentialiste à la française. J'y suis opposé, comme la majorité des socialistes.
C'est pourquoi nous défendrons tout à l'heure, comme l'ont fait les députés socialistes, un amendement de suppression de l'article 7 du projet.
Le régime présidentiel ne correspond ni à l'histoire politique de notre pays, ni au souhait des Français qui se souviennent que la seule expérience que la France ait connue de 1848 à 1851 a abouti au coup d'État du 2 décembre 1851 et à l'instauration du Second Empire. Et je ne parle pas des pleins pouvoirs accordés à Pétain qui ont mis fin au régime parlementaire : cela est hors normes.
Enfin, la tradition républicaine française ne permet pas d'importer un système à l'américaine, dont les règles d'équilibre entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire sont très différentes des nôtres.
Dès lors, qu'apporterait la venue du Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès ? Nicolas Sarkozy explique que « puisque le Président gouverne, il doit être responsable ». Certes, mais devant qui ? Comme le Gouvernement a renoncé à faire du chef de l'État le chef de l'exécutif en ne modifiant pas l'article 20 de la Constitution, cette venue n'a pas de sens. Il ne peut pas être responsable devant le Parlement alors que lui-même est doté de la même légitimité que celle des parlementaires, celle du suffrage universel direct. Aucune des deux légitimités ne pouvant être supérieure à l'autre, le Président de la République ne peut être responsable que devant les seuls électeurs. Cette prise de parole du Président devant le Congrès ne ferait qu'ajouter à la confusion entre les deux têtes de l'exécutif, dont les rapports sont parfois difficiles, voire signeraient la fin de la fonction de Premier ministre telle que l'a conçue la Constitution. Or cette dualité n'a pas si mal marché depuis cinquante ans. Moi-même, je ne m'en suis pas plaint lorsque j'ai exercé la fonction qui fut la mienne : l'harmonie régnait entre le Président et le Premier ministre. Je ne sais pas ce qu'en pense aujourd'hui M. Fillon. (Sourires) Peut-être nous fera-t-il un jour des confidences... Quoi qu'il en soit, il faut conserver cette dualité qui a autorisé une souplesse de fonctionnement, le plus souvent favorable au Président, lequel tire sa force de la fonction d'arbitre que lui confie l'article 5 de la Constitution et qui le place au-dessus des contingences politiciennes. A lui de garder la force et la sagesse de cette fonction. Dès lors, pourquoi aller plus loin ?
Avec beaucoup d'entre nous, je suis un partisan convaincu du régime parlementaire et je me suis prononcé à de nombreuses reprises, et d'abord devant la Commission du doyen Vedel il y a quelques années, en faveur d'un Président de la République élu pour sept ans non renouvelables. Mais le temps a passé et nous ne reviendrons pas sur le quinquennat. Nous devons prendre le système tel qu'il est, avec ses forces et ses faiblesses, et, au contraire de ce qu'on nous propose, renforcer son aspect parlementaire. Si réforme de la Constitution il doit y avoir, l'urgence, aujourd'hui, porte sur le rééquilibrage des pouvoirs au profit du Parlement dont l'effacement n'a que trop duré. Faisons donc en sorte que le parlement français occupe une place comparable à celle dont les autres parlements disposent dans les grandes démocraties européennes.
J'en viens à une question qui me touche plus particulièrement, celle du Sénat. La réforme qu'on nous propose contient certes quelques avancées, mais elles sont largement en deçà de ce qu'on pouvait attendre. En outre, certaines d'entre elles ne laissent pas d'être inquiétantes, comme l'article 18 qui pourrait aboutir à une restriction du droit d'amendement des parlementaires.
M. Bernard Frimat. - Absolument !
M. Pierre Mauroy. - Dès lors que le Gouvernement dit qu'il veut renforcer les droits du Parlement et de l'opposition, la question de la démocratisation du Sénat est centrale. Je me suis déjà exprimé sur cette question ici même, il y a deux semaines, lors de la discussion de notre proposition de loi relative à la réforme du mode d'élection des sénateurs, dont vous avez refusé de débattre au fond et que vous avez rejetée. Comment peut-on sérieusement vouloir renforcer le Parlement et s'opposer à ce que l'une des deux chambres qui le composent soit dans l'impossibilité de connaître l'alternance ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - C'est une affirmation gratuite !
M. Pierre Mauroy. - Il ne peut exister deux types de sénateurs : les uns comblés, les autres condamnés à perpétuité ! (Exclamations à droite)
M. Jean-Pierre Raffarin. - C'est faux !
M. Pierre Mauroy. - Le rejet de notre proposition de loi nous faisait déjà douter de la sincérité du Gouvernement et de sa majorité. Le coup de grâce a été donné par les sénateurs de droite qui, la semaine dernière en commission des lois, ont poussé la provocation jusqu'à prétendre sceller dans le marbre constitutionnel, contre tout usage, un mode d'élection des sénateurs empêchant à tout jamais l'alternance dans notre assemblée ! C'est un véritable déni de démocratie qui, je l'espère, sera supprimé. Ce serait tout à fait inacceptable, comme l'a dit notre collègue Frimat. D'ailleurs, plus vous perdez de représentativité dans les collectivités territoriales, plus vous voulez garder le Sénat captif.
M. David Assouline. - En captivité, madame la Garde des sceaux !
M. Pierre Mauroy. - Plus vous serez intraitables sur ce sujet, plus nous serons combattifs. Et nous arriverons bien un jour à gagner ce combat car il s'agit là d'un pied de nez à la démocratie, à la Constitution et à la République. Il est indispensable de régler cette question et les sénateurs socialistes ne pourront que voter contre ce projet de loi, qui risque fort d'être celui d'une occasion manquée et qui présage bien mal de son propre avenir. Si vous souhaitez une Constitution modernisée, digne de la République, à vous d'accepter une réforme démocratique du Sénat. Si vous ne voulez pas de ce débat, il sera alors porté devant le peuple et j'espère bien que nous le gagnerons. (Applaudissements socialistes et sur divers bancs du groupe CRC)
M. Gérard Larcher. - (Applaudissements à droite) Cette réforme institutionnelle qui modifie un tiers de la Constitution est importante...
M. David Assouline. - Encore un discours de candidat !
M. Gérard Larcher. - ... car elle concerne un sujet qui nous est cher : le Parlement. « Rationalisés » en 1958, ses pouvoirs sortent sensiblement renforcés de ce projet de loi constitutionnelle.
Les principaux éléments de cette revalorisation nous ont été exposés par le rapporteur, dont je tiens à saluer l'écoute et la très grande qualité du travail qu'il a accompli.
Les nouvelles prérogatives attribuées au Parlement répondent à une double exigence et nous lancent un double défi. Cette réforme permet en effet d'équilibrer les institutions de la Ve République, qui constituent l'un des legs majeurs du général de Gaulle à la France. Il a voulu qu'elles garantissent la stabilité gouvernementale. La France n'est plus le pays qui avait le triste privilège de changer de Premier ministre tous les six mois sous la pression des assemblées. En revanche, ces institutions répondent aussi à une exigence d'équilibre. Dans son discours de Bayeux, le général de Gaulle ne déclarait-il pas : « Tous les principes et toutes les expériences exigent que les pouvoirs publics -législatif exécutif, judiciaire- soient nettement séparés et fortement équilibrés » ?
Aujourd'hui, cette exigence d'équilibre a besoin d'être revisitée. Depuis 1958, l'élection du Président de la République au suffrage universel, le fait majoritaire, l'inversion des élections législatives et présidentielles puis le quinquennat ont transformé une Constitution faite pour protéger des majorités fragiles contre les minorités turbulentes en un instrument accentuant la bipolarisation de notre vie politique.
Sous les IIIe et IVe Républiques, la toute-puissance parlementaire annihilait l'efficacité gouvernementale : c'était une source d'altération du fonctionnement démocratique de notre pays. La Constitution de 1958 a corrigé la situation mais, depuis, la donne a changé. Le fait majoritaire, c'est-à-dire la constitution de majorités stables à l'Assemblée nationale, est une constante depuis 1962 et c'est lui qui fonde la prééminence du Président de la République quand les majorités présidentielles et parlementaires coïncident. C'est ce fait majoritaire qui assoit le pouvoir du Premier ministre en cas de cohabitation.
Avec le quinquennat et la tenue des élections législatives juste après celle du Président, les cas de cohabitation deviendront la grande exception. Dans un tel contexte, qui pousse à une redéfinition du rôle de Premier ministre, les mécanismes constitutionnels mis en place pour faire barrage à la toute-puissance parlementaire sont devenus surabondants. Ils tendent à constituer une gêne pour la vitalité du débat démocratique, dont le Parlement doit redevenir le lieu d'exercice.
Voilà pourquoi les deux assemblées doivent disposer d'instruments nouveaux pour qu'elles exercent pleinement leur rôle de contre-pouvoir, sans pour autant ouvrir la voie à un retour aux errements du « parlementarisme absolu ».
Le projet de loi répond également à l'exigence d'une plus grande participation de l'opposition à la vie parlementaire ; ses articles premier, 22 et 24 lui reconnaissent des droits particuliers qu'ils organisent, c'est une novation, selon une pratique proche de celle, très ancienne, du parlement anglais. Ces dispositions sont pour moi légitimes et inséparables de la revalorisation du rôle du Parlement ; elles participent à l'affermissement de son autonomie et transformeront le dialogue parfois trop singulier qui se noue entre le Gouvernement et sa majorité.
La voie ainsi tracée doit être approfondie par notre règlement et nos pratiques. Le respect de l'autre, l'acceptation d'un regard différent sont des valeurs républicaines, inséparables d'une conception dynamique du Parlement. A nous d'imaginer comment mieux les inscrire dans la vie de notre assemblée, sans altérer, bien sûr, la légitimité de la décision majoritaire. Je suis convaincu qu'une réforme de notre règlement est inéluctable ; ce sera un moment fort de la vie de notre assemblée, un acte essentiel pour lui donner un nouvel élan.
La réforme constitutionnelle, si elle est favorable au Parlement, lance aussi un double défi, et d'abord à l'opposition parlementaire. Le groupe socialiste est aujourd'hui confronté à un choix.
M. Jean-Louis Carrère. - Oh non !
M. Gérard Larcher. - Ses membres appartiennent à une famille de pensée qui, depuis plus de quarante ans, réclame une revalorisation du rôle du Parlement. Cette position n'est pas qu'intellectuelle, elle s'appuie sur une tradition politique dont ils sont les héritiers. En 1967, André Chandernagor, dont M. Mauroy fit plus tard un de ses ministres, publiait Le Parlement, pour quoi faire ?, un essai qui a nourri la réflexion de générations de juristes. Ce texte n'a pas tellement vieilli, si ce n'est la référence au Plan... J'ai été frappé de constater que la plupart de ses préconisations sont satisfaites par le projet de loi.
M. Jean-Louis Carrère. - C'était il y a quarante ans !
M. Gérard Larcher. - Qu'il s'agisse des droits nouveaux accordés au Parlement ou des droits de l'opposition...
M. Jean-Pierre Bel. - Nous n'en avons pas !
M. Gérard Larcher. - ... ou encore du nombre de commissions permanentes. André Chandernagor en voyait deux ou trois supplémentaires...
Que dire de plus ? Comme le Président de la République a confirmé la tenue du Congrès, l'opinion sera juge de la cohérence des choix des uns et des autres le moment venu. (Exclamations à gauche)
Je voterai cette réforme, qui est aussi un défi lancé au Sénat. Les neuf dixièmes des dispositions du texte concernant les assemblées confèrent au Sénat des pouvoirs égaux à ceux de l'Assemblée nationale, ce qui est d'ailleurs cohérent avec le quinquennat et la logique d'un gouvernement de législature. Il était nécessaire de conforter le rôle du Sénat, qui devient le lieu central de l'altérité institutionnelle. N'est-il pas le seul des pouvoirs d'État ne découlant pas du résultat d'élections au suffrage uninominal à deux tours ? Représentant des collectivités territoriales, ne tire-t-il pas sa légitimité d'une autre source que la loi du nombre en combinant représentation des populations, des territoires et des Français de l'étranger ?
M. Robert del Picchia. - Très bien !
M. Gérard Larcher. - N'assure-t-il pas la continuité indispensable à la stabilité de la République, dès lors que les deux autres pouvoirs élus nationalement voient leur mandat s'achever en même temps ? Son mandat n'est-il pas le seul qui n'obéisse pas au rythme du quinquennat ? Par la spécificité de son recrutement, par sa fonction, par la durée de son mandat, le Sénat assure une vision binoculaire à l'action des pouvoirs publics. (On apprécie à droite ; on s'amuse à gauche) Cette vision, c'est celle qui donne du relief ! Cette fonction d'altérité sera demain davantage impulsée par le droit, ce qui donne à notre assemblée une responsabilité accrue à laquelle elle ne se dérobera pas. Je suis persuadé qu'elle sera à la hauteur.
Je ne peux achever sans dire un mot des propos du Premier ministre Mauroy. Le Sénat a démontré qu'il ne craignait pas la réforme ; il s'est déjà réformé. Et nous avons un rendez-vous en 2014, je ne pense pas que l'alternance soit impossible.
M. Jean-Pierre Bel. - Pourquoi pas maintenant ?
M. Gérard Larcher. - N'utilisons pas un débat sur un texte qui revalorise le Parlement, qui refonde l'équilibre des pouvoirs à des fins qui ne concernent pas la Constitution. C'est une autre affaire, un autre débat, certes légitime mais qui ne doit pas justifier le choix qui sera fait demain à Versailles ! (Applaudissements à droite)
La séance est suspendue à 20 h 25.
présidence de M. Philippe Richert,vice-président
La séance reprend à 22 h 30.
Loi de modernisation de l'économie (Commission spéciale)
M. le président. - M. le Premier ministre a transmis à M. le président du Sénat le projet de loi de modernisation de l'économie, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence. Au mois de février dernier, nous avons constitué un groupe de travail intercommissions préfigurant une commission spéciale sur ce texte. Le président du Sénat a reçu mandat de la Conférence des Présidents pour proposer, le moment venu, en application de l'article 16, alinéa 2 du Règlement, la création de cette commission spéciale. Il vous propose d'inscrire l'examen de cette proposition et la nomination des membres de cette commission à notre ordre du jour de demain après-midi, mercredi 18 juin.
Il en est ainsi décidé.
Modernisation des institutions de la Ve République (Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, adopté par l'Assemblée nationale. Nous poursuivons la discussion générale.
Discussion générale (Suite)
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Depuis l'instauration de l'élection présidentielle au suffrage universel direct, diverses réformes constitutionnelles, ainsi que la pratique, ont accentué la dérive présidentialiste de notre régime. Aidés par le fait majoritaire, l'inversion du calendrier électoral et l'introduction du quinquennat, les pouvoirs de l'exécutif se sont renforcés. Le parlementarisme rationnalisé a laissé la place à un présidentialisme irrationnel : le pouvoir du Parlement s'est affaibli, et avec lui la représentation des citoyens. L'enjeu de cette réforme est de mieux encadrer le pouvoir exécutif et de revaloriser les pouvoirs du Parlement.
Lors de son discours du 12 juillet 2007 à Épinal, le Président de la République a ouvert le débat de la réforme des institutions. Le projet était ambitieux et honorable : « Je souhaite que l'on examine concrètement tous les moyens qui permettront à notre République et à notre démocratie de progresser. » Depuis, le principe de réalité a pris le dessus. Entre les 77 propositions du comité Balladur et ce projet de loi, il y a un fossé. Déjà incomplètes au départ, beaucoup de ces propositions ont été écartées par l'avant-projet de loi, puis bannies du texte présenté à l'Assemblée nationale. Cette réforme ressemble aujourd'hui à une peau de chagrin et je crains que son examen devant le Sénat ne lui administre le coup de grâce. Notre déception est à la hauteur des espoirs que nous y avions placés. Du programme ambitieux, il ne reste que des avancées timides et, dans de nombreux cas, de simples affichages médiatiques. La modernisation annoncée ne sera qu'un toilettage sans grande incidence sur la répartition des pouvoirs.
En ce qui concerne les nouveaux pouvoirs accordés au Parlement, ce texte tente l'impossible : rééquilibrer sans toucher aux équilibres, en adoptant des consensus mous, sans effet sur la distribution des pouvoirs entre exécutif et législatif. Ce qui relève de la loi relève de votre majorité, et donc de votre bonne volonté : l'opposition ne pourra peser dans le débat démocratique, illustrant ainsi le sort qui lui est réservé par ce texte.
Quel intérêt de donner plus de pouvoirs au Parlement lorsque ce dernier est pieds et poings liés à l'exécutif, si les droits de l'opposition sont soumis à des lois contrôlées par la majorité ? Où est le réel contre-pouvoir à l'exécutif, appelé de ses voeux par le Président de la République ? Où sont les nouveaux pouvoirs du Parlement, gage de ce rééquilibre ? Il aura la faculté de donner un avis sans valeur contraignante. On lui permet de contrôler un droit utilisé une fois dans l'histoire de la Ve République : les pouvoirs exceptionnels. On lui concède des droits théoriques en raison du corsetage du fait majoritaire. On le tient informé des interventions à l'étranger et on lui permet de voter leur prolongation, mais qu'en est-il du contrôle du maintien des soldats ?
Sur l'encadrement du pouvoir exécutif, on ne peut parler de réelles avancées. La possibilité donnée au Président de la République de s'adresser directement au Parlement réuni en Congrès est-elle l'une de ces avancées ? La séparation physique, reflet de la séparation théorique des pouvoirs, est balayée d'un revers de main. Cette réforme ne doit pas être l'occasion pour le Président de se réconcilier avec les parlementaires de sa majorité. Nous ne construisons pas un pacte de non-agression entre le premier et les seconds, mais un pacte pour l'avenir démocratique de notre pays. Cela suppose des concessions de la part de la majorité comme du Gouvernement.
Au prétexte de ne pas toucher aux grands équilibres de la Ve République, nous ne devons pas nous résoudre à une réforme symbolique sans remédier à la crise de confiance politique actuelle. Nous devons passer de l'incantation à l'action. Cette révision porte en elle toutes les contradictions de l'action du Gouvernement -l'empressement, les voeux pieux, la longue réflexion- pour finalement ne jeter que de la poudre aux yeux. « J'ai une conviction : il ne faut jamais fuir le débat, il ne faut jamais en avoir peur ! » Chers collègues, faites vôtre cette phrase du Président de la République.
En ce qui concerne les droits des citoyens, notre principal objectif est une meilleure prise en compte de leurs aspirations et leur représentation dans des assemblées rajeunies, féminisées et métissées, à l'image de notre société. Je prends bonne note de la création d'une exception d'inconstitutionnalité, ainsi que d'un Défenseur des droits, mais qu'en est-il de la représentation de tous les courants politiques par l'introduction d'une dose de proportionnelle aux élections législatives, du renouvellement de la classe politique grâce à la limitation du cumul des mandats, de la possibilité pour les citoyens de se saisir d'un projet par un référendum local d'initiative citoyenne ?
Notre principale revendication est la reconnaissance du droit de vote des étrangers aux élections locales, afin de rendre justice à ces citoyens qui contribuent à la richesse de notre pays. De votre réponse dépendra le vote des parlementaires verts. Certains diront que ce n'est pas le moment mais ce n'est jamais le moment ! Nous avons trop attendu, nos parents mêmes ont trop attendu pour bénéficier de l'élan démocratique que connaissent nos voisins européens. Saisissons l'occasion de donner à ces résidents permanents le droit de maîtriser leur destin et témoignons-leur le respect, le devoir de mémoire et de justice qu'ils méritent, au-delà des intérêts partisans et des luttes intestines.
Les libertés publiques reculent, la colère gronde, le discrédit plane -les taux d'abstention aux élections en témoignent. L'histoire nous montre que, lorsque le peuple ne croit plus en ses dirigeants, la démocratie laisse place à l'autoritarisme. Pour reconquérir la confiance de nos concitoyens, nous devons mener de véritables réformes pour la démocratisation de nos institutions, notamment du Sénat, dernier bastion du conservatisme. Il s'agit d'un enjeu démocratique pour l'avenir de notre société. (Applaudissements à gauche)
M. Jean Puech. - Ce projet de modernisation des institutions est un événement. La Constitution de la France est solide et moderne, mais elle date de 1958. Il n'est pas scandaleux de procéder à une révision générale, une sorte de check-up qui nous confirme qu'elle a bien vieilli, mais n'est plus adaptée à un monde qui change. Rappelons-nous cette période de tensions politiques : la guerre froide, le choc des idéologies, notre présence en Algérie et l'instabilité de la IVe République. Le nouveau pouvoir exécutif ne pouvait qu'être fort ! Depuis, la France a vécu l'alternance, et même la cohabitation. L'Europe s'est construite, les distances se sont effacées. Les instances de décision de notre pays ont parfois eu du mal à prendre la mesure de ces bouleversements. Paradoxalement, les élus locaux n'ont eu d'autre choix que de s'adapter.
Présidant l'Observatoire de la décentralisation, je suis très attaché aux questions touchant les collectivités locales, leurs élus et leurs électeurs. Les élus, confrontés aux problèmes de nos concitoyens, désirent répondre à leurs attentes. Ils sont en prise directe avec les réalités quotidiennes du troisième millénaire : il leur faut enregistrer ces évolutions afin d'y faire face -à leur niveau bien sûr. Pourtant, dans les vagues déferlantes des réformes qui se succèdent, la situation des élus locaux est ignorée, sauf lorsqu'il s'agit de leur taper sur les doigts parce qu'ils dépenseraient trop...
M. Jean-Louis Carrère. - Très bien !
M. Jean Puech. - ... ou pour remettre en cause un jour la commune, l'autre le département, sans qu'ils soient pour autant associés aux multiples rapports qui les concernent directement.
Réparons cette injustice. Accordons aux élus locaux la reconnaissance nationale que les Français leur témoignent déjà -car ils sont les meilleurs ouvriers de la démocratie. De compétences arrachées en lois de décentralisation, les collectivités territoriales ont enfin acquis leur vraie place. Mais beaucoup de retard a été pris. Le Sénat a fortement contribué à l'adoption de la réforme constitutionnelle de 2003 avec le plein soutien du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. La décentralisation était enfin inscrite dans notre Constitution. Mais aujourd'hui, qu'attendent les collectivités territoriales de l'État ? Elles ont besoin de la confiance de l'État, qui trop souvent se départit de son rôle de conseil pour retomber dans la tutelle.
La décentralisation implique aussi la contractualisation : les élus locaux souhaitent un État organisé avec un interlocuteur unique sur le terrain, légitime et responsable, le plus souvent le préfet, souvent court-circuité sur le terrain. Enfin, les collectivités et leurs élus ont besoin de sécurité juridique, de règles stables et consensuelles.
De cette réforme, les collectivités locales ne sauraient être absentes, ne serait-ce que parce que le Sénat, grand conseil des collectivités territoriales de France, est concerné au premier chef. Un maire, un conseiller général, un conseiller régional traite chaque jour de questions qui dépassent son ressort géographique. C'est cela, la vraie France. Il est donc légitime que les élus locaux aient ici voix au chapitre. Au Sénat, nous n'esquivons pas ces questions : qui fait quoi sur le territoire ? Qui est responsable de quoi ? La clarification des compétences est établie, mais elle n'est pas encore effective -elle le deviendra lorsque les citoyens pourront identifier sans difficulté ceux qui décident en leur nom. La Constitution doit intégrer la reconnaissance de cette légitimité. Il faut à l'élu local un véritable statut, les moyens de se consacrer à son mandat, la possibilité de retrouver plus tard une activité professionnelle -et une protection sociale comme tout citoyen qui travaille. Voilà pourquoi bon nombre de nos collègues ont cosigné mon amendement. Cette ambition est partagée par l'ensemble des membres de l'Observatoire et par une très large majorité de notre Assemblée, au-delà des divergences politiques. Mon amendement introduit une référence au statut de l'élu local dans notre Constitution. Une loi déterminera les conditions d'exercice du mandat. Nous ne faisons pas autre chose que de rationaliser des mesures qui existent déjà. L'inscription d'une référence au statut de l'élu local est l'aboutissement de notre réflexion sur la République décentralisée.
Les élus locaux ne comptent pas leur temps et n'économisent pas leur peine. Ils prennent des risques. Ils ne demandent rien d'autre que la reconnaissance de leur pays. La République s'honorerait de les accueillir dans ce sanctuaire de la démocratie qu'est la Constitution. Et que cette inscription soit proposée par le Sénat est significatif : le Président de la République a souhaité restaurer la confiance dans nos institutions et renforcer la légitimité des représentants du peuple. Prolongeons l'esprit de la réforme constitutionnelle !
Je forme le voeu que le Sénat renforce encore son rôle de représentant des territoires et de leurs élus. Les membres de l'Observatoire souhaitent que les moyens du Sénat soient renforcés pour que ce dernier puisse mieux suivre l'évolution des collectivités territoriales. La place de notre Haute Assemblée dans les institutions républicaines en sera confortée. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Claude Peyronnet. - (Applaudissements sur les bancs socialistes) Je veux exprimer ma déception. J'avais personnellement considéré comme très positive l'initiative du Président de la République, à la fin de l'été dernier. Je fondais de réels espoirs sur les conclusions du comité Balladur et j'espérais que nous aboutirions à un large accord politique pour rénover la vie politique. Mieux encadrer les pouvoirs du Président de la République, renforcer le rôle du Parlement : c'était une perspective réjouissante.
Nous nous trouvons aujourd'hui dans une démocratie simulée. Sans rien changer à la lettre de la Constitution, le Président de la République en a profondément modifié la pratique. Le Premier ministre fait de la figuration. Le Président décide de tout -sans être responsable, sinon devant le peuple, mais après cinq ans. Le Parlement, quant à lui, fait semblant d'exister. L'opposition n'est jamais écoutée et la majorité obéit au doigt et à l'oeil.
M. Henri de Richemont. - Ce n'est pas exact !
M. Jean-Claude Peyronnet. - Vous moins qu'un autre, je l'admets.
Il y avait pour mettre fin à ce semblant de démocratie deux solutions. La première eût été -je parle en mon nom personnel- la plus efficace, y compris pour redonner des couleurs à un Parlement devenu théâtre d'ombres : c'eût été d'aller vers un régime présidentiel. Pour le Parlement, c'était le seul moyen de dépasser le blocage démocratique du fait majoritaire poussé à son extrême. Le Parlement se serait grandi en exerçant de façon rigoureuse un réel contrôle sur l'action de l'exécutif. Parallèlement, on aurait mis fin au pouvoir de dissolution, à l'usage de l'article 49-3 et aux nominations discrétionnaires aux postes stratégiques des grands corps de l'État.
C'est l'autre solution qui a été choisie : une voie possible à condition que l'on joue réellement le jeu de la démocratie et qu'en particulier l'une des branches du bicamérisme soit mieux en rapport avec la situation démographique et politique du pays. La majorité de la commission des lois a renoncé à constitutionnaliser ce qui s'apparentera de plus en plus aux « bourgs pourris » de l'Angleterre du 18e siècle.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Cela reste à prouver !
M. Jean-Claude Peyronnet. - Ce qui revient à laisser le Conseil constitutionnel, dont on connait la composition politique, maintenir sa jurisprudence qui interdit de fait toute alternance. Voilà pourquoi l'on refuse la représentation des collectivités territoriales en fonction de leur population, comme le proposait le comité Balladur. Je n'ignore pas les progrès : vote sur le texte issu des commissions, mode de fixation de l'ordre du jour, etc. Mais il existe pour nous des empêchements dirimants. Voyez le cas du défenseur des droits des citoyens. Heureuse initiative... mais Mme la Garde des sceaux refuse de nous dire quelles institutions il est destiné à regrouper ! Elle a seulement cité à plusieurs reprises la commission nationale de déontologie et de sécurité. Le but de cette création serait-il de faire disparaître des institutions « poil à gratter » ? Le pouvoir de nomination également pose problème. Chez nos partenaires, les nominations le plus souvent se font à la majorité qualifiée du Parlement. Au lieu de quoi vous proposez un veto des 3/5e, revenant à une approbation par 2/5e. Mystification ! Et comment oser prétendre qu'une nomination par le Parlement à la majorité qualifiée est une ingérence politique dans la haute administration ? Plaisanterie ! C'est tout l'inverse : nous suggérons des nominations fondées sur un accord entre les forces politiques, donc un choix objectif.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Marchandage !
M. Jean-Claude Peyronnet. - Enfin, concernant l'exercice du droit d'amendement, vous ne semblez pas disposés à assouplir l'application de l'article 40. Je pense, contrairement peut-être à la plupart de mes amis politiques, que le droit d'amendement doit être mieux encadré...
M. Jean-Pierre Sueur. - Il doit l'être !
M. Jean-Claude Peyronnet. - Franchement, ce n'est pas ainsi qu'il fallait procéder. Vous voudriez nous pousser à voter contre ce texte que vous ne vous y prendriez pas autrement. Voilà comment, dans notre République d'apparence, les effets d'annonce les plus séduisants masquent un conservatisme profond, voire une régression (M. le ministre le conteste vigoureusement) sinon un simple habillage. Et, monsieur le ministre, je maintiens ce que je viens de dire ! (Applaudissements à gauche)
M. Patrice Gélard. - Une Constitution n'est pas une tente dressée pour le sommeil, disait Napoléon Ier. Depuis près de cinquante ans, notre Constitution a été modifiée vingt-trois fois : elle a fait la preuve de son adaptabilité, et a su se moderniser. (Marques de désapprobation à gauche) La réforme qui nous est proposée aujourd'hui est mal comprise par certains d'entre nous. (Protestations à gauche) Ce n'est pas une réforme globale : elle modifie nos institutions sur un certain nombre de points seulement. Contrairement à ce que certains affirment, elle ne dresse pas l'épouvantail du régime présidentiel, mais préserve les équilibres de la Ve République. Loin de renforcer les pouvoirs du Président, elle les réduit plutôt. (Marques de désapprobation à gauche) Il ne s'agit pas pour autant de revenir aux vieilles lunes du régime parlementaire !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. - Non, en effet !
M. Patrice Gélard. - Certains regrettent encore que la Constitution d'avril 1946 n'ait pas été adoptée ; mais un tel régime conduit à l'impuissance, et à la dictature parlementaire. (Protestations à gauche)
M. David Assouline. - On n'a jamais vu au monde de dictature parlementaire ! Pouvez-vous en donner un seul exemple ?
M. Patrice Gélard. - Il en existe une multitude ! (Exclamations à gauche) Cette révision renforce, de manière mesurée, le rôle du Parlement, afin de parvenir à un meilleur équilibre des pouvoirs. Elle tient compte de l'introduction du quinquennat, qui a profondément transformé nos institutions, notamment par la coïncidence des élections présidentielle et législatives. Nous ne sommes plus sous le septennat ou sous le quinquennat de Jacques Chirac, où l'on avait continué à fonctionner selon des règles anciennes. Je me félicite qu'aient été reprises certaines propositions de nos deux rapports : comme nous l'avions proposé il y a dix ans déjà, les Chambres débattront désormais en séance publique du texte adopté en commission, et non plus du projet du Gouvernement ; et le Comité des affaires européennes est constitutionnalisé. Pour l'essentiel, ce texte satisfait donc ceux qui attendaient que nos institutions soient adaptées au nouveau régime du quinquennat.
Mais j'ai plusieurs regrets à formuler. Tout d'abord, il faudrait corriger les règles du recours au référendum, que nous ne savons pas utiliser.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'est sûr !
M. Patrice Gélard. - Les électeurs ne répondent pas à la question posée, mais se prononcent pour ou contre le Gouvernement. (On ironise à gauche) Je propose donc que tout référendum auquel moins de 50 % du corps électoral aura pris part soit considéré comme nul et non avenu. (Marques d'approbation à droite, et de désapprobation à gauche)
M. Henri de Richemont. - Bravo !
M. David Assouline. - Ce n'est pas très gaulliste !
M. Patrice Gélard. - Ensuite, je souhaiterais que l'on s'interroge sur le statut des anciens présidents. Que ces derniers soient membres de droit du Conseil constitutionnel ne répond à aucune nécessité.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Très bien !
M. Patrice Gélard. - Les membres du Conseil sont tenus à un devoir de réserve. Surtout, le Conseil devra désormais juger par voie d'exception les recours des justiciables : les anciens présidents, membres à vie, pourraient ainsi avoir à se prononcer sur des lois qu'ils auront eux-mêmes promues ! C'est une situation anormale, et sans reprendre l'idée que les anciens présidents pourraient devenir sénateurs à vie...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'est très démocratique, cela !
M. Patrice Gélard. - ... je laisse au Parlement le soin de réfléchir aux fonctions qui pourraient être les leurs. C'est anormal... Il faudrait donc réfléchir au statut des anciens présidents.
Enfin, le Conseil constitutionnel risque d'être confronté à une surcharge de travail, suite aux nouveaux recours. Je propose donc que le nombre de ses membres passe de neuf à douze, et que le Conseil d'État, la Cour de cassation et la Cour des comptes y délèguent chacun un représentant.
M. David Assouline. - Et qu'ils soient tous doyens !
M. Henri de Raincourt. - Ajoutons-y le Garde des sceaux !
M. Patrice Gélard. - Le projet de révision prévoit l'adoption de plusieurs lois organiques, et la révision de notre Règlement. Il doit entrer en vigueur en mars 2009 : nous devrons donc faire vite. Je souhaite que l'ensemble aboutisse rapidement, car cette révision constitutionnelle marque un véritable progrès. (Vifs applaudissements à droite)
M. Pierre-Yves Collombat. - Michel Debré disait en 1958 que le parlementarisme rationalisé permet la collaboration entre « un chef de l'État et un Parlement séparés, encadrant un Gouvernement issu du premier et responsable devant le second, avec entre eux un partage des attributions donnant à chacun une semblable importance dans la marche de l'État et assurant les moyens de résoudre les conflits qui sont dans tout système démocratique, la rançon de la liberté. » D'où un ensemble de dispositions que vous connaissez. Alain Peyrefitte écrivait quelques années plus tard que « cette Constitution a été faite pour gouverner sans majorité ». Conçue pour corriger un système parlementaire où les majorités étaient faibles et changeantes, la constitution de la Ve République a fonctionné, du fait de la loi électorale, des réformes constitutionnelles, de l'évolution du système partisan et de la médiatisation de la vie politique, avec des majorités solides, voire introuvables. Par suite, le parlementarisme rationalisé est devenu un parlementarisme lyophilisé. (Sourires à gauche) Quand le Président et l'Assemblée sont du même bord, tout le pouvoir réside à l'Élysée ; en cas de cohabitation, il est partagé entre le Président et le Premier ministre, sorte de maire du Palais dont la puissance dépend de la discipline de ses troupes. Le Parlement, lieu théorique de l'élaboration de la loi, du débat démocratique contradictoire et du contrôle de l'exécutif n'a plus pour rôle que de soutenir, de corriger les fautes de syntaxe et d'enregistrer. Chaque jour montre qu'il a pris goût à sa servitude. Cette révision changera-t-elle ses moeurs ? Non. D'abord parce que le texte fait l'impasse sur la question de la loi électorale, contrairement aux propositions du comité Balladur. Il n'est plus question d'introduire la proportionnelle à l'Assemblée Nationale ou de permettre l'alternance au Sénat. Or le problème constitutionnel n'est pas séparable de celui du mode de scrutin. L'actuelle Constitution associée à la proportionnelle d'arrondissement, par exemple, aurait des effets tout à fait différents.
Ensuite, les pouvoirs du Président de la République ne sont nullement réduits, si l'on excepte quelques mesures décoratives. Edouard Balladur lui-même en convient, qui disait au journal Le Monde : « On ne peut pas dire que, sauf sur quelques points, il y ait une réduction des pouvoirs du Président. » Un « rééquilibrage » qui renforcerait un des acteurs sans affaiblir l'autre est une contradiction dans les termes. Or non seulement les pouvoirs du Président de la République ne seront pas réduits, mais ils sont renforcés par le pouvoir considérable en démocratie médiatique de se présenter devant les parlementaires comme le véritable chef du Gouvernement et de la majorité. Justifier cette mesure par l'exemple des États-Unis, est une escroquerie intellectuelle. Mme Zoller, professeur à Paris-II, a dit devant notre commission que la France changerait de régime, si le droit de message devait faire du Président le législateur en chef ; celui-ci ne serait plus, comme son homologue américain, qu'un chef de parti, investi du pouvoir de mettre en forme législative le programme de gouvernement pour lequel il a été élu.
Du coup, ajoute-t-elle, les fonctions d'arbitrage du Président n'ont plus de titulaire. La phrase clé de la fonction présidentielle, qui veut que « le Président de la République assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État », n'a alors plus de sens dans le jeu institutionnel. Le système américain échappe à ce dilemme, puisque le Président n'y exerce pas cette fonction d'arbitrage, relève-t-elle encore, avant de conclure qu'ériger le Président, en France, en législateur en chef sans diminuer ses pouvoirs existants, c'est-à-dire en maintenant l'intégralité de ses pouvoirs d'arbitrage et sans toucher à ses pouvoirs de direction du travail des assemblées par Gouvernement et Premier ministre interposé « fait verser le régime dans un système consulaire ». J'ajoute, quant à moi, qu'en démocratie médiatique, s'il n'est pas besoin de baïonnettes pour faire des consuls, il y faut la complicité des parlementaires. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur plusieurs bancs CRC)
M. Hubert Haenel. - Les révisions constitutionnelles ont cessé d'être une occasion rare et solennelle. Depuis 1992, notre Constitution n'aura pas été révisée moins de dix-huit fois, au risque de nous faire perdre de vue que ces révisions sont une affaire grave. Elles nous conduisent à toucher aux fondements mêmes du fonctionnement de l'État et à trancher des questions de principe : bricolage et marchandage devraient en être exclus.
Si les révisions, jusqu'à présent, ont porté sur des aspects précis de la Constitution, nous sommes ici saisis d'un ensemble de modifications entre lesquelles le lien n'est pas toujours évident.
Une série, pourtant, forme un ensemble : celle des dispositions qui atténuent le parlementarisme rationalisé que, par réaction, la Ve République avait peut-être poussé trop loin. Un grand discernement est ici de mise. S'il est utile et de l'intérêt bien compris du Gouvernement, qui a besoin d'avoir face à lui un Parlement actif et vigilant, de laisser plus d'espace aux assemblées pour remplir leurs fonctions de législation et de contrôle, il faut aussi songer, au-delà des temps ordinaires, aux circonstances difficiles, qu'elles soient extérieures ou intérieures. Il me semble essentiel, dans cette optique, de ne pas trop encadrer l'usage du 49-3 : comme les antibiotiques, s'il ne faut pas en abuser, on ne peut ignorer que, dans certains cas, ils sont indispensables. La position de la commission des lois me paraît donc empreinte de sagesse.
M. Henri de Richemont. - Bravo !
M. Hubert Haenel. - Deux dispositions du projet, parmi celles qui ne se rattachent pas directement au rôle du Parlement dans nos institutions, me semblent poser d'importantes questions de principe.
La composition du Conseil supérieur de la magistrature a suscité un vif débat à l'Assemblée nationale, qui se poursuit dans la presse. Débat récurrent, trop lié, peut-être, aux mouvements d'opinion suscités par telle ou telle affaire. Que la méfiance s'abatte sur le monde politique et rien n'est de trop pour rassurer le public sur l'indépendance des juges. Mais que la justice échoue spectaculairement dans sa mission et l'opinion s'indigne que les responsables ne semblent pas avoir à rendre de comptes.
Il n'est pas inutile de revenir à quelques principes de base.
Tout d'abord, l'indépendance du juge ne signifie pas qu'il appartient à un ordre privilégié. Elle n'est pas une fin en soi mais un moyen de rendre la justice de manière impartiale. Pour juger bien, ce n'est pas seulement à l'égard du pouvoir politique ou des intérêts économiques que le juge doit rester indépendant mais aussi à l'égard de ses propres préjugés, de ses choix politiques ou syndicaux, voire de ses tentations médiatiques... Nous devons l'inciter à toujours se remettre en question : nous n'y parviendrons pas en faisant de la magistrature une tour d'ivoire.
M. Henri de Richemont. - Il faut supprimer l'École nationale de la magistrature !
M. Hubert Haenel. - Quant aux magistrats du parquet, dont la fonction est de mettre l'action publique en mouvement, couper tout lien avec le pouvoir reviendrait à leur confier des choix politiques sans qu'ils soient élus ni responsables : quelle serait alors leur légitimité ? Évitons de faire de la magistrature un corps séparé ne rendant de comptes qu'à lui-même. Ce serait un mauvais service rendu aux magistrats. Sauf à minorer son rôle, le Conseil supérieur de la magistrature ne saurait devenir une simple variété de comité technique paritaire : la composition retenue par notre commission me semble bien refléter le rôle spécifique et éminent qui est le sien. On ne peut accepter le procès en légitimité que mènent certains sur ce thème. En quoi les non-magistrats, nommés par les plus hautes autorités de l'État républicain, seraient-ils moins légitimes que des magistrats élus sur des listes syndicales ? Que les formations proprement disciplinaires du CSM soient composées à parité, soit, mais ce serait une erreur d'aller plus loin. Ce ne serait pas rendre service à la magistrature que d'en donner l'image d'une corporation réglant elle-même ses affaires.
Autre question de principe : on ne peut tolérer, dans une Constitution républicaine, aucune disposition « ad nationem ». Viser un pays précis, sous une formulation qui ne trompe personne, c'est renoncer à la généralité de la loi qui est au coeur de l'idée républicaine.
Je me trouvais en mission en Turquie, avec Robert del Picchia, lors du vote de l'Assemblée nationale. Nos interlocuteurs ne comprennent pas qu'un pays ami et allié introduise dans sa loi suprême une disposition qu'ils ressentent comme une discrimination, et pour certains comme une humiliation. (Mme Voynet applaudit) Imaginons un instant le même procédé employé à notre encontre. Quels hurlements n'entendrait-on pas ! Je soutiens donc la position de notre commission des affaires étrangères, qui propose de revenir au texte initial.
La question n'est pas ici de savoir si l'on est pour ou contre l'adhésion pleine et entière de la Turquie à l'Union. C'est une décision qui, si elle est à prendre, ne le sera pas avant quinze ou vingt ans. Nul ne sait où en sera alors l'Europe ni la Turquie. L'unique question qui se pose à nous aujourd'hui est celle-là : voulons-nous faire figurer dans notre texte fondamental une disposition qui stigmatise un pays, au demeurant partenaire et allié de la France ?
Je ne peux conclure sans évoquer les dispositions du projet relatives au traitement des affaires européennes. Je ne vois rien à changer au texte adopté par l'Assemblée nationale, hors la rédaction maladroite de l'article 88-6 qui n'a pas échappé à la sagacité de notre commission des lois. Que l'on appelle l'organe chargé des affaires européennes comité ou commission importe peu, pourvu que l'on change enfin ce nom de délégation, incompréhensible pour nos partenaires. Vous dirais-je que j'ai récemment reçu un courrier du Parlement européen adressé à « M. Hubert Haenel, délégué du Sénat auprès de l'Union européenne » ! Celui qui m'écrivait a dû se demander pourquoi je n'étais pas localisé à Bruxelles !
L'organe chargé des affaires européennes n'empiètera nullement sur les compétences législatives des commissions permanentes. Les traités européens, comme les autres traités, doivent rester de la compétence de la commission des affaires étrangères et la transposition des directives du ressort de la commission compétente au fond. Restera à définir la bonne articulation entre l'organe européen et les commissions permanentes. Si les parlements nationaux avaient été mieux associés par le passé, nous n'aurions peut être pas à déplorer aujourd'hui le « non » irlandais. Un fossé s'est creusé entre les opinions publiques et l'Europe. Les parlements nationaux ont une responsabilité essentielle pour aider à le combler. Et le Sénat ne doit pas se dérober devant la part qui lui incombe. C'est une exigence qui devrait l'emporter sur toute autre considération. Je fais confiance à notre Assemblée pour s'orienter dans ce sens. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Richard Yung. - Je traiterai de l'article 9 qui introduit dans notre loi fondamentale le principe de la représentation à l'Assemblée nationale des 2,5 millions de Français établis hors de France. La modification de l'article 24 de l'actuelle Constitution constitue une avancée démocratique qui couronne le long chemin, débuté il y a trente ans, d'une grande et belle idée qui fut portée par le parti socialiste et, en particulier, par ses candidats successifs à l'élection présidentielle. La proposition 48 des cent-dix propositions du Président Mitterrand prévoyait que « la représentation des Français de l'étranger, comprenant non seulement des sénateurs mais aussi des députés, sera assurée selon des procédures qui en garantiront le caractère démocratique ». Pour ma part, j'avais déposé en 2005 avec ma collègue Monique Cerisier-ben Guiga une proposition de loi en ce sens qui n'a malheureusement jamais été discutée.
La situation actuelle n'est pas satisfaisante. D'une part parce que, les députés, étant censés représenter la Nation tout entière, on ne peut en priver deux millions et demi de citoyens. D'autre part parce que la plupart de nos collègues de l'Assemblée méconnaissent la situation de leurs concitoyens de l'étranger, ils en ont souvent une fausse image, ce qui les conduit régulièrement à tenir des propos empreints d'a priori parfois blessants -« évadés fiscaux » et autres gentillesses. Il est donc temps que les Français établis hors de France fassent entendre leur voix au Palais Bourbon. La France rejoindrait ainsi l'Italie et le Portugal, qui élisent respectivement douze et quatre députés représentant leurs ressortissants établis à l'étranger.
Ce projet fait naître deux craintes. D'abord celle que la droite soit consubstantiellement majoritaire parmi ces douze nouveaux députés. Mais la démocratie ne se monnaye pas et nous sommes prêts à en assumer le risque.
On craint aussi que le Sénat perde sa priorité dans l'examen des textes relatifs aux français de l'étranger. Mais la grande majorité de ces textes sont des propositions et non des projets de loi.
Je m'inquiète en revanche de la définition du mode de scrutin et du choix du découpage électoral. Le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale a refusé que les députés représentant les Français de l'étranger soient élus selon un mode de scrutin différent de celui des autres députés. Quant à vous, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, vous avez été encore plus catégorique en affirmant que ces parlementaires seraient élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Un tel mode de scrutin supposerait la création de douze circonscriptions uninominales. Au vu de la répartition géographique des personnes inscrites sur les listes électorales consulaires, la moitié des douze circonscriptions se trouverait en Europe. Quant aux six autres circonscriptions, elles couvriraient des territoires très vastes : les États-Unis, le Canada, l'Amérique latine, le Maghreb et le Levant, le reste de l'Afrique et l'Asie-Pacifique. L'argument de proximité invoqué pour justifier le scrutin uninominal n'est pas pertinent dans la mesure où, à l'exception de l'Europe, les députés auraient à couvrir jusqu'à une vingtaine de pays !
Par ailleurs, le choix du découpage électoral pourrait aussi avoir des incidences sur la sincérité du scrutin. En outre, le gel du nombre maximal de députés va sérieusement compliquer les choses. Nous risquons de nous retrouver dans la même situation qu'en Italie, où la création d'une circonscription « étranger » avait entraîné une modification de la répartition des sièges à la Chambre des députés car le nombre total de parlementaires y était resté inchangé. Un scénario identique aurait pour fâcheuse conséquence de mettre les élus dos à dos et de stigmatiser les représentants des Français de l'étranger. Nous refusons donc que le chiffre de 577 soit figé dans le marbre de la Constitution.
Nous sommes sensibles aux avancées proposées sur ce point précis des Français de l'étranger, mais nous porterons une appréciation plus globale sur l'ensemble de ce projet de réforme. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Alain Vasselle. - Il me paraît impératif que tous les projets de loi qui nous sont soumis soient accompagnés d'une étude d'impact qui comporterait un volet réglementaire, avec l'ensemble des décrets et mesures réglementaires prévus, et un volet financier pour les réformes qui ont besoin d'être chiffrées. J'ai noté avec satisfaction que les députés ont repris l'esprit de cette disposition. Trop souvent, en effet, nous votons des lois ordinaires dont le caractère social ou fiscal a des incidences sur les lois de finances et de financement, incidences qui ne sont pas mesurées.
M. Philippe Marini. - C'est bien vrai !
M. Alain Vasselle. - Comme l'a clairement souligné la Cour des comptes dans un récent rapport effectué à notre demande, il faut aujourd'hui dépasser le stade du chiffrage global et volontariste des réformes pour parvenir à une évaluation plus affinée de l'impact des dispositifs envisagés pour l'ensemble des acteurs concernés. Je pense par exemple à la loi sur les retraites de 2003 ou à la réforme de l'assurance maladie de 2004 dont les effets ont été évalués de façon trop grossière et optimiste : on a négligé l'évolution des comportements ainsi que les interactions avec d'autres mesures. Comment s'étonner des difficultés d'application des lois, de leur insuffisante mise en oeuvre ou de l'impasse financière à laquelle elles mènent si on n'a pas, au préalable, réfléchi à leurs conséquences et mesuré leurs implications concrètes sur le terrain ?
En matière de contrôle, toujours, nous ne pouvons plus nous contenter de grandes incantations et dire que le Parlement va s'investir de plus en plus dans cette mission, sans pour autant lui en donner les moyens. J'entends encore Jean-Louis Debré ou le président Poncelet demander au Gouvernement de laisser au Parlement le temps d'exercer sa fonction de contrôle. Mais on n'a constaté aucun effort en ce sens, ni de la part des conférences des présidents ni de la part du Gouvernement.
Je suis satisfait que cette idée ait été inscrite par l'Assemblée nationale à l'article 48 de la Constitution. Toutefois, je ne suis pas certain que les modalités retenues soient les meilleures, à savoir réserver une semaine sur quatre à l'action de contrôle. Cela sera certainement très difficile à respecter en fin de session et avant l'interruption des travaux de la fin décembre. Il semblerait plus judicieux d'inscrire dans la Constitution que le quart du temps de travail parlementaire, apprécié globalement, sera réservé au contrôle.
Dans le même esprit, je propose que le Sénat consacre une séance par semaine aux questions d'actualité au Gouvernement.
Je comprends le souci de nos collègues députés d'avoir inscrit dans la Constitution le principe du respect d'un objectif d'équilibre des finances publiques. Nous traînons en effet depuis trop longtemps des déficits publics et sociaux qui viennent invariablement accroître chaque année la dette publique de notre pays, ce qui revient à reporter sur nos enfants et petits-enfants la charge de nos dépenses d'aujourd'hui.
Je ne suis cependant pas persuadé que le vote d'une telle disposition générale soit réellement efficace car elle ne tient pas suffisamment compte des aléas extérieurs et économiques qui pourraient survenir. En revanche, il me semble indispensable de se donner les moyens de parvenir à cet objectif. C'est pourquoi, avec le président de la commission des affaires sociales, Nicolas About, avec le président et le rapporteur général de la commission des finances, Jean Arthuis et Philippe Marini, nous avons déposé un amendement visant à encadrer constitutionnellement le vote des niches fiscales et sociales. Désormais, l'entrée en vigueur d'une réduction ou d'une exonération d'impôt ou de cotisation ou contribution sociales sera conditionnée à son approbation par la prochaine loi de finances en matière fiscale ou par la prochaine loi de financement en matière sociale.
En janvier, nous avons adopté ici une proposition de loi organique en ce sens, mais un risque d'inconstitutionnalité nous a été opposé. M. Xavier Bertrand avait dit qu'il n'était pas en désaccord sur le fond. Le temps est donc venu de supprimer ce verrou constitutionnel.
M. Philippe Marini. - Très bien !
M. Alain Vasselle. - J'en viens à la proposition formulée par certains de réunir en un texte loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale. Je n'y suis pas favorable. En octobre, un rapport de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, que je préside, a fait le point sur cette question. Je vous y renvoie pour l'analyse détaillée des raisons conduisant à repousser cette formule et me contenterai aujourd'hui d'insister sur la différence de nature des recettes inscrites dans les deux textes. En effet, les recettes de la loi de finances sont globalisées, alors que celles inscrites dans la loi de financement sont affectées à chaque branche de la protection sociale. Comment justifier une réforme des retraites sans afficher l'insuffisance des cotisations face aux prestations ? Serait-il plus vertueux de tout mettre dans un pot commun en renvoyant chaque difficulté financière à la solidarité nationale ? En définitive, cette préconisation irait à l'encontre de la transparence et de la lisibilité de l'action publique souhaitées par nos concitoyens. (Applaudissements à droite)
M. David Assouline. - Notre pays a un profond besoin de démocratie politique, sociale, participative et médiatique. La candidate socialiste à l'élection présidentielle l'avait bien compris, elle qui voulait aller vers une VIe République, loin de la prétendue modernisation que vous proposez aujourd'hui pour - mal- masquer une présidentialisation renforcée. Est-il moderne d'exclure de toute participation à la vie démocratique les étrangers d'origine extracommunautaire résidant en France en situation régulière, vivant et travaillant dans notre pays ?
Est-il moderne d'ignorer le quatrième pouvoir ? Toute notre vie sociale et privée est modifiée par l'essor des médias de masse, notamment télévisuels. Cette intrusion dans notre quotidien ne compromettrait pas la vie démocratique si les médias français étaient indépendants, mais la situation est plus qu'inquiétante.
M. Jean-Pierre Sueur. - Elle est très inquiétante !
M. David Assouline. - Pouvons-nous accepter que le chef de l'État affirme devant des journalistes rêver d'en « finir avec le journalisme de dénigrement pour promouvoir un journalisme pédagogique de l'action gouvernementale » ? Notre démocratie peut-elle accepter le fait du prince compromettant la télévision publique pour accroître les recettes publicitaires des chaînes privées ? La même interrogation vaut pour la deuxième coupure publicitaire dans les films diffusés par les chaînes privées et pour le seuil anti-concentration dans les actionnariats des chaînes numériques terrestres.
Faudra-t-il encore longtemps fermer les yeux sur les amitiés que le chef de l'État entretient avec les patrons de groupes de presse, notamment lorsque les revenus desdits groupes dépendent largement des commandes publiques ? Arnaud Lagardère possède Europe 1, Paris-Match et le Journal du dimanche, mais il est aussi actionnaire stratégique d'EADS. Le groupe Dassault, qui fabrique le Rafale, édite Le Figaro et Le journal des finances. Martin Bouygues est toujours à la tête d'un puissant groupe de BTP qui participe à de nombreux marchés publics. Enfin, Vincent Bolloré a diversifié ses activités dans les médias, avec Direct, Direct soir, Matin plus et la Société française de production, achetée à l'État il y a quelques années dans des conditions particulièrement avantageuses. Pour clore ce tour d'horizon des liaisons dangereuses, LVMH est désormais propriétaire des Échos après une longue bataille avec ce quotidien, conduite avec l'appui direct du Président de la République. Cette concentration aux mains de puissants groupes industriels dont les patrons sont presque tous proches du chef de l'État -et dont la plupart dépendent de la commande publique- est préoccupante et unique au monde.
L'inquiétude de nombreuses rédactions est proportionnelle aux pressions subies. Et je passe sur le dernier remaniement à la tête de l'information et du journal télévisé du principal média audiovisuel de notre pays...
Ces pratiques antidémocratiques sont contraires à l'indépendance et au pluralisme des médias. Faut-il rappeler que la jurisprudence du Conseil constitutionnel a érigé le pluralisme en objectif constitutionnel, sur le fondement de l'article XI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ?
Je rappelle que la proposition n°77 du comité Balladur consistait à créer un organisme chargé de veiller au pluralisme.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. - Et la proposition n°78 ?
M. David Assouline. - Cette protection est d'autant plus urgente que l'expression politique à la radio et la télévision est envahie par la parole du chef de l'État.
M. Philippe Marini. - C'est le chef de l'État...
M. David Assouline. - En l'occurrence, le comité Balladur a exigé d'infléchir l'application de la règle des trois tiers ou, au moins, de modifier la loi du 30 septembre 1986. Mais la majorité n'étant disposée ni à l'une ni à l'autre, nous proposons que la prise en compte du temps d'expression présidentielle devienne une obligation constitutionnelle.
Nous espérons aussi convaincre la majorité sénatoriale, en comptant sur sa sagesse bien que nous regrettions son inamovibilité, qu'il faut graver l'indépendance des médias dans le marbre de la loi fondamentale, en interdisant aux groupes dont une part substantielle des recettes provient de la commande publique de participer au capital des entreprises audiovisuelles ou de presse. Les journalistes de France attendent que la représentation nationale leur accorde la protection à laquelle ils ont droit dans une République démocratique. Ne les abandonnons pas ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Robert del Picchia. - J'aurais pu me borner à dire que, l'Assemblée nationale ayant tranché pour ce qui la concerne, la courtoisie républicaine veut que nous n'y touchions plus, mais je me devais de prendre mes responsabilités, puisque j'ai défendu le projet de députés des Français de l'étranger. Je le devais d'autant plus qu'un de mes collègues s'est exprimé sur ce sujet.
M. Jean-Louis Carrère. - C'est le marquage à la culotte !
M. Robert del Picchia. - « Les Français établis hors de France sont représentés à l'Assemblée nationale et au Sénat. » : en ces termes, l'article 9 du projet de loi résume soixante-deux ans d'attente. Rendez-vous compte, des députés élus par les Français de l'étranger ! Un relais dans l'autre assemblée parlementaire pour faire entendre une voix qui doit parcourir des milliers de kilomètres ! Bref, un Parlement plus représentatif.
Je sais quelles réticences l'idée inspire à certains d'entre vous, puisque disparaîtrait ainsi le deuxième bonus constitutionnel du Sénat, maison des Français de l'étranger. J'espère pourtant vous convaincre qu'il y aurait là une avancée. L'Assemblée des Français de l'étranger, composée d'élus au suffrage universel direct représentant plus de deux millions de Français expatriés, a adopté ce projet à l'unanimité moins neuf abstentions.
Mais permettez-moi d'examiner les principales objections entendues ces derniers mois.
Une première interrogation revient souvent : pourquoi les Français de l'étranger devraient-ils élire des députés ? On peut surtout se demander pourquoi ces citoyens ne devraient élire de représentants que dans une seule chambre du Parlement. Lorsque leur participation à la Résistance imposa l'idée de représenter les Français établis hors de France, elle s'est heurtée à l'impossibilité matérielle d'organiser des élections dans les pays de l'Est, puis dans les anciennes colonies. Seules ces considérations matérielles ont empêché la création de députés, en 1946 comme en 1958. L'élection au suffrage indirect s'impose alors. C'est donc au Sénat, alors Conseil de la République, que nos concitoyens établis hors de France obtiennent huit représentants.
Or, le suffrage universel direct existe à l'étranger depuis 1976, quand une loi organique a organisé l'élection du Président de la République et la participation à des scrutins référendaires dans des centres de vote ouverts à l'étranger. Depuis 1979, les Français ont voté dans les consulats pour élire les députés français au Parlement européen. La dernière extension du suffrage universel direct remonte à 1982, avec la loi modifiant l'élection du Conseil supérieur des Français de l'étranger, aujourd'hui Assemblée des Français de l'étranger. Avec 580 centres de vote ouverts hors de nos frontières, l'impossibilité matérielle d'organiser des scrutins au suffrage direct a disparu. Il reste à franchir la dernière étape.
Accorder des députés aux Français établis hors de France, c'est proclamer leur appartenance à la communauté nationale et notre besoin d'une présence française à l'étranger, forte et attachée à son pays d'origine.
La deuxième objection fréquemment formulée est que les Français établis hors de France sont très bien représentés actuellement. C'est vrai, mais par une représentation unijambiste. Faut-il refuser la deuxième jambe lorsqu'on nous propose une greffe ? Les sénateurs élus dans des circonscriptions où les échelons électifs se superposent n'imaginent pas la difficulté de n'être représenté que dans la seule assemblée. Être absent d'une chambre, c'est souvent être caricaturé, c'est entendre, impuissant et frustré, les approximations et contrevérités énoncées à des tribunes inaccessibles.
Nous ne voulons pas rester bancals.
L'Assemblée des Français de l'étranger va disparaître. L'actuel article 39 de la Constitution prévoit, dans sa dernière phrase, que les projets de loi concernant les « instances représentatives des Français établis hors de France sont soumis en premier lieu au Sénat ». L'Assemblée nationale a estimé que cette partie de l'article 39 devait être supprimée, vu la création de députés représentants les Français de l'étranger, d'où le risque de disparition de la fameuse « instance représentative », à savoir l'Assemblée des Français de l'étranger. C'est aller un peu vite : voté en 2003, soit 55 ans après la création du Conseil supérieur des Français de l'étranger, aujourd'hui AFE, l'alinéa constitutionnel institue seulement une prévalence du Sénat pour les Français de l'étranger. Celle-ci a signifié pour le Sénat la consécration de son propre rôle de « Maison des Français de l'étranger », pas celui de l'Assemblée des Français de l'étranger qui n'est pas inscrite dans la Constitution et qui ne le sera pas demain. Pour calmer les inquiétudes, il serait possible d'ajouter à l'article 34 un alinéa qui indiquerait la représentation élective des Français de l'étranger, ce qui induirait implicitement le maintien de l'AFE. Nous allons vraisemblablement faire cela dans quelques jours.
La défense du Sénat et de ses prérogatives préoccupe beaucoup d'entre vous. Pourtant, il ne tient qu'à nous, sénateurs des Français de l'étranger, de garder l'avantage. La prévalence du Sénat ne concernait que les projets de loi. A nous l'initiative des propositions de loi. Chacun sait que la grande majorité des textes adoptés en cette matière sont d'origine sénatoriale. Notre prévalence sera à l'avenir le fait de notre expertise, héritée de notre histoire et d'une intimité avec les problématiques propres à nos compatriotes à l'étranger, et pas d'un paragraphe dans la Constitution. On ne nous enlève rien mais on ne fait qu'ajouter ailleurs. Aurions-nous si peur de la concurrence ? Comme mes collègues, je ne le pense pas.
On nous dit aussi que le nombre de sénateurs des Français établis hors de France va diminuer. Le Président de la République a été très clair : il y aura des députés et des sénateurs. De six, nous sommes passés à douze en 1983, pour compenser l'absence de représentation à l'Assemblée nationale. Mais aujourd'hui, la population des Français vivant à l'étranger a doublé : nous sommes aujourd'hui le septième « département » en ordre d'importance électorale et les douze sénateurs semblent tout à fait appropriés.
A l'Assemblée nationale, on s'est inquiété de la grandeur des circonscriptions et du coût pour aller à la rencontre des électeurs. Mes onze collègues et moi-même sommes élus dans le cadre d'une circonscription qui s'étend au monde entier. C'est donc bien plus grand que les circonscriptions des futurs députés. Et puis nous n'allons plus sous les préaux d'écoles : Internet a permis de travailler bien plus vite et mieux. Les députés feront comme nous.
Nos collègues du Palais Bourbon se sont également demandé combien ces députés allaient être et comment ils seraient élus. Combien ? Douze. Comment ? On se posera la question des découpages après l'adoption de cette révision. (M. Assouline ironise) Il sera toujours facile de voter la loi électorale ensuite ou de ne pas la voter si elle ne vous convient pas !
En approuvant la modification de la Constitution, nous avons l'opportunité d'être Français, et pas seulement à l'étranger. (Applaudissements à droite. M. Mercier applaudit aussi)
M. Jean-Pierre Bel. - Et le droit de vote des étrangers ?
M. Éric Doligé. - En introduction, je pensais vous demander si vous connaissiez le nom du pays qui, en cinquante ans, a révisé sa constitution vingt-trois fois. La réponse ayant été donnée une bonne dizaine de fois, je n'y reviendrai pas. Notre Constitution est-elle si peu adaptée à l'évolution de notre société qu'il faille en réécrire régulièrement des passages significatifs ? Avec ce projet de loi, vous nous demandez de retoucher 35 articles de notre loi fondamentale. Il ne s'agit donc pas d'un simple réajustement mais d'une réorientation de notre Constitution sur trois points majeurs : l'exécutif, le législatif et les droits des citoyens. Nous irons donc à Versailles le 21 juillet afin que vous puissiez, madame la ministre, imposer votre sceau sur une Constitution qui devrait, selon les statistiques, être corrigée dans moins de deux ans. Je ne le souhaite pas, et vous non plus. Puis-je suggérer que l'on introduise un nouvel article pour préciser qu'on ne pourra modifier la Constitution qu'une fois par quinquennat ? (Sourires) Cela devrait être possible puisque nous allons limiter le recours au 49-3.
Lors de sa campagne électorale, M. Sarkozy estimait que le Président de la République devait pouvoir s'exprimer devant chacune des assemblées. Ce droit est légitime et conforme aux usages internationaux. A l'issue des travaux de la commission Balladur, un sondage révélait que 81 % des Français y étaient favorables. Les modifications proposées par l'Assemblée nationale sont justifiées.
Le Président avait également dit sa volonté de renforcer le pouvoir législatif. Certaines propositions sont légitimes : maîtrise de l'ordre du jour, accroissement de pouvoir de contrôle et d'évaluation, meilleure information sur la politique de défense. Bref, il s'agit d'une véritable revalorisation du Parlement.
Enfin, de nouveaux droits sont donnés aux citoyens. Dans le pays des droits de l'homme, il serait mal venu de critiquer cette évolution, même si l'Assemblée nationale a traité ce problème de façon générale. Concernant le référendum sur les nouveaux entrants dans l'Union, il nous faudra revenir sur les 5 %, qui sont particulièrement mal venus, comme l'a démontré M. de Rohan.
Au-delà de ces trois grandes orientations, je m'interroge sur l'utilité des précisions relatives à l'organisation des travaux du Parlement. Ne relèveraient-elles pas en grande partie du Règlement de nos assemblées ? J'ai le sentiment que nous devons passer par une contrainte constitutionnelle pour compenser un certain manque de courage politique.
M. Alain Vasselle. - Eh oui !
M. Éric Doligé. - A ce jour, nous ne nous sommes octroyés que des niches.
M. Alain Vasselle. - Tout à fait !
M. Éric Doligé. - Pour en sortir, nous irons à Versailles.
Qu'est-ce qui nous empêchait de parvenir à un accord pour donner plus d'espace à la maîtrise de l'ordre du jour ? Il semble en définitive plus aisé de modifier la Constitution que le Règlement des assemblées !
M. Alain Vasselle. - C'est vrai !
M. Éric Doligé. - L'Assemblée nationale a fixé le nombre des députés à 577. Pourquoi le Sénat n'en ferait-il pas de même en estimant, par exemple, que le nombre de sénateurs doit être de 348, soit celui prévu pour les élections de septembre ? Le référendum sur les adhésions à l'Union ne doit pas être lié à un pourcentage de population. L'ajout concernant le Sénat et relatif à « la population » ne comporte aucun intérêt, à moins qu'il ne cache une volonté de changer la représentation de notre Assemblée. Pouriez-vous nous éclairer, madame la ministre ? Il y a quatre ans, le Sénat s'est réformé et il n'a eu nul besoin de pressions pour y parvenir.
Dans le futur article 34, une notion nouvelle apparaît avec l'expression : « La loi favorise ». Or les sept premiers alinéas de cet article « fixent » et les huit suivants « déterminent ». Nous sommes dans l'action et non dans l'incantation. Or, l'Assemblée a jugé bon de prévoir que « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales ». Si cette notion est majeure, pourquoi ne pas l'avoir inscrite dans le préambule ? Pour ma part, je suis très réservé : l'imprécision de cet ajout est telle que toutes les interprétations seront possibles. De même, fallait-il inscrire dans l'article premier que « les langues régionales appartiennent à son patrimoine » ? J'y suis d'autant plus opposé que cette phrase précède celle qui rappelle que « la langue de la République est le français ». Nous reprochons, à juste titre, de ne pas disposer d'évaluations préalables aux lois qui nous sont présentées. Il en est de même pour cette révision. Sur les deux sujets que je viens d'évoquer, nous risquons d'avoir une profusion de saisines du Conseil constitutionnel qui interprétera la Constitution.
Je suis également surpris que l'on ne retrouve pas dans la Constitution un statut des élus locaux, alors qu'ils concourent au fonctionnement de notre pays. L'amendement de M. Puech est fort intéressant.
Je suis certain que vous saurez répondre à nos interrogations, ce qui nous permettra un vote éclairé et positif. (Applaudissements à droite)
Mme Gisèle Gautier. - Je me réjouis que ce projet de loi constitutionnelle nous offre l'occasion de mieux garantir l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions de responsabilité, conformément au souhait exprimé à plusieurs reprises par le Président de la République. L'Assemblée nationale a introduit une disposition prévoyant que : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales », à la suite de l'adoption d'un amendement présenté par Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la Délégation aux droits des femmes à l'Assemblée nationale. Compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cette modification de la Constitution était indispensable pour permettre au législateur d'adopter des dispositions en faveur d'une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les diverses fonctions de responsabilité. A l'heure actuelle, les femmes ne sont en effet que très faiblement représentées dans les instances de décision des entreprises, du secteur public, des organisations syndicales et des associations. Le Parlement avait adopté, dans le cadre de la discussion du projet de loi relatif à l'égalité salariale en 2005, des mesures imposant le respect de proportions minimales de représentants de chaque sexe au sein de diverses instances, comme les conseils d'administration et de surveillance des sociétés privées et des entreprises du secteur public, les comités d'entreprise, les organismes paritaires de la fonction publique. Mais le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions, qui n'avaient pourtant pas été contestées par les parlementaires signataires du recours, en se fondant sur le respect du principe d'égalité de tous devant la loi. Conformément à sa jurisprudence antérieure, il a considéré que la mesure relative à la parité introduite dans la Constitution en 1999 ne s'appliquait qu'aux élections à des mandats et fonctions politiques. La révision constitutionnelle de 1999 a permis l'adoption des lois de 2001 et 2007 relatives à la parité en politique, qui ont permis de réelles avancées dans les assemblées élues et dans leur exécutif, même si beaucoup reste encore à faire, notamment pour l'intercommunalité.
Le moment est donc venu de compléter la révision constitutionnelle de 1999 en élargissant la portée de la disposition favorisant l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats politiques et aux fonctions électives.
Je me félicite en conséquence de l'amendement de la commission des lois qui tend à inscrire parmi les grands principes de la République, à l'article premier de la Constitution et non plus dans son préambule, celui de l'accès égal des femmes et des hommes aux responsabilités tant collectives que professionnelles. Le Sénat s'honorerait à l'adopter ; nous franchirions ainsi une nouvelle étape sur le chemin de l'égalité. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Rachida Dati, Garde des sceaux. - Je remercie tous les orateurs qui, dans leur majorité, ont dit leur volonté d'être au rendez-vous d'une modernisation en profondeur du fonctionnement de notre démocratie. Je salue l'excellence du travail du président Hyest, qui prolonge celui de l'Assemblée nationale ; je vois dans la qualité du travail parlementaire le bien-fondé de notre projet.
La question constitutionnelle est posée depuis l'origine de la Ve République, la réforme la plus importante, l'élection du Président de la République au suffrage universel, n'ayant eu lieu que quatre ans après l'adoption de la Constitution de 1958. Comme beaucoup, M. de Rohan a salué la lucidité et la prescience du général de Gaulle qui a su concevoir une constitution forte et durable.
Chacun a sa sensibilité, MM. Fauchon et Baylet ont plaidé pour un régime présidentiel ; mais notre intention est claire : revaloriser le Parlement sans remettre en cause les fondements de nos institutions. Le Gouvernement est prêt à entendre tous les arguments et à évoluer ; mais il invite chacun au bon sens et à la responsabilité. Aller beaucoup plus loin serait ruiner l'équilibre du texte ; aller moins loin serait brider son ambition. La surenchère, madame Borvo Cohen-Seat, est synonyme d'immobilisme. C'est une posture facile et confortable. Je renvoie son propos à M. Bel : il faut en effet faire preuve d'audace.
Nous approchons d'un compromis sur plusieurs points, notamment sur les pouvoirs nouveaux conférés au Parlement. Nous devons « sortir du carcan du parlementarisme rationnalisé », a dit le président Mercier. Le partage de l'ordre du jour, l'examen du texte de la commission en séance publique, cher à M. Gélard, l'accroissement des délais d'examen des textes, autant de mesures qui modifieront en profondeur nos méthodes de travail, le président About ne s'y est pas trompé. Le renforcement de la mission d'évaluation et de contrôle, souligné par le président de Raincourt, participe également à la modernisation nécessaire du rôle du Parlement.
Ces réformes imposeront au Gouvernement de vous associer encore plus en amont à ses projets. Notre volonté réformatrice en sortira confortée. Un parlement aux pouvoirs renforcés est le gage d'un État qui rend des comptes, d'un État plus efficace et mieux géré, d'une démocratie irréprochable.
C'est vrai, aussi, de l'encadrement du pouvoir de nomination du Président de la République ; ses modalités méritent sans doute d'être précisées, comme l'a relevé le président Hyest.
L'encadrement des opérations extérieures est un autre élément majeur de la revalorisation du Parlement. L'examen attentif auquel s'est livrée la commission des affaires étrangères permettra d'apporter des précisions utiles. Le président de Rohan a bien souligné les enjeux : concilier l'information indispensable du Parlement avec la sécurité de nos forces armées.
Un consensus se dessine également autour de dispositions qui renforcent les pouvoirs des citoyens, comme l'a rappelé M. Alfonsi. Je remercie particulièrement le président Hyest de sa contribution sur ce volet du projet de loi. Je pense au périmètre des pouvoirs du Défenseur des droits, qui est l'une des innovations majeures du texte. Je pense également à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature ; le Gouvernement sera ouvert aux préoccupations que vous avez exprimées sur la composition des formations siégeant en formation disciplinaire. Il conviendra aussi de veiller, comme nous y invite le président Haenel, à la légitimité de cet organisme aux yeux de nos concitoyens.
Enfin, Mme la présidente Gisèle Gautier a eu raison de relever le progrès que constitue la reconnaissance de l'égalité entre les hommes et les femmes en matière professionnelle.
Certains points suscitent encore interrogations ou inquiétudes. Je comprends qu'on puisse s'interroger, comme l'a fait avec beaucoup de conviction le président de Rohan, sur l'encadrement de l'article 49-3. Mais nous avons recherché un équilibre. Cet outil, s'il doit être préservé, ne peut devenir sans danger un instrument banalisé de gestion de l'agenda parlementaire : un gouvernement qui ne pourrait mettre en oeuvre son programme législatif qu'au prix d'une contrainte permanente serait en réalité profondément affaibli. Un outil de dissuasion doit s'accommoder d'un usage parcimonieux.
Je ne partage pas l'analyse de MM. Frimat, Badinter et Mauroy : cette réforme ne renforce pas les pouvoirs du Président de la République. Ils contestent la faculté ouverte à celui-ci de s'exprimer devant le Parlement. Comment justifier la pratique désuète qu'évoquait le président de Raincourt ? Le choix du Congrès permettra d'abandonner une formule inadaptée à notre temps, tout en marquant le caractère exceptionnel de cette intervention.
Je veux également apaiser la crainte qu'a pu susciter notre volonté de conférer des droits supplémentaires à l'opposition. Il s'agit d'un élément déterminant du rééquilibrage de nos institutions, comme l'ont relevé MM. Badinter et Larcher. Il ne s'agit pas de conforter un bipartisme imaginaire mais de mieux partager des pouvoirs aujourd'hui concentrés dans les mains du parti majoritaire. Le projet tend à lever les obstacles constitutionnels qui s'opposent à ce que des droits particuliers soient conférés à chacun des groupes parlementaires. Nous sommes également sensibles au souhait du président Mercier de voir le mot « pluralisme » figurer dans le texte constitutionnel ; nous nous efforcerons d'y répondre tout en ménageant nos équilibres institutionnels.
S'agissant de l'élargissement de l'Union européenne, je comprends qu'on veuille éviter la stigmatisation d'un pays, quel qu'il soit. Le Gouvernement sera ouvert à vos propositions. Je vous demande néanmoins de comprendre la volonté de certains députés de veiller à ce que les élargissements futurs ne puissent intervenir contre la volonté populaire. Le référendum d'initiative populaire peut être une réponse. Je suis persuadée qu'il sera possible de trouver une solution acceptable pour les deux assemblées.
Nombreux sont ceux, tels MM. Raffarin et Larcher, qui ont relevé que cette réforme représentait un défi pour le Sénat, dont la spécificité institutionnelle a été justement soulignée. Personne ici n'entend la remettre en cause. S'agissant de son collège électoral, je souhaite rappeler quelques évidences. Le Sénat doit conserver un collège spécifique, différent de celui de l'Assemblée Nationale -sinon le bicamérisme n'aurait plus de sens. (On approuve à droite) Le mode électoral du Sénat n'est en outre pas figé -votre assemblée s'est récemment réformée de manière profonde- et continuera à évoluer, mais dans le respect de sa spécificité, celle de représenter les territoires, ce qu'a rappelé le président Puech. Voilà la ligne tracée : je fais confiance aux parlementaires pour trouver une solution qui la préserve.
Ce qui est en jeu, c'est l'essentiel : la loi fondamentale ; ce sont les modalités de fonctionnement de nos institutions et la manière dont les citoyens sont associés à l'exercice du pouvoir. Ce texte est un texte d'équilibre. A ceux qui craignent d'abandonner un régime qui a apporté la preuve de son efficacité, je dis que nous ne changeons pas de République ; nous modernisons nos institutions pour tirer, notamment, les conséquences du quinquennat et pour donner au Parlement le rôle qu'il a dans toutes les grandes démocraties. A ceux qui considèrent que le projet ne va pas assez loin, je dis qu'une révision constitutionnelle passe nécessairement par un consensus. Vouloir aller à un point où l'on sait que la majorité ne suivra pas, c'est la certitude de l'immobilisme, la certitude de ne bénéficier d'aucun des progrès qu'on appelle pourtant de ses voeux depuis longtemps.
Vous incarnez dans une certaine mesure la permanence et la stabilité de nos institutions ; ne laissez pas passer cette chance de revaloriser le Parlement, cette chance de donner à notre démocratie un souffle de renouveau. (Applaudissements au centre et à droite)
La discussion générale est close.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Quarante-trois amendements sont en discussion commune à l'article 11. Tous concernent l'article 34 de la Constitution, mais relèvent de sujets très divers. Je souhaite, pour la clarté de nos débats, que soit disjoint l'examen de l'amendement 187 rectifié de Mme Borvo Cohen-Seat qui réécrit l'article 11 ; nous pourrons alors aborder séparément les thèmes que les autres propositions abordent.
M. le président. - Nous avons régulièrement recours à cette manière d'organiser nos débats. Je pense que personne n'y verra d'objection.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°2, présentée par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République (n° 365, 2007-2008).
Mme Éliane Assassi. - Cette réforme voulue par le Président de la République nous est présentée comme un rééquilibrage entre un pouvoir exécutif mieux contrôlé, un Parlement aux pouvoirs renforcés et des citoyens dotés de droits nouveaux. En réalité, il concentre encore plus les pouvoirs entre les mains du Président de la République ; les droits des citoyens sont réduits au strict minimum ; et le Parlement n'est plus que l'ombre de lui-même. Cette réforme n'est pas bonne, qui ne répond pas aux attentes du peuple français.
Depuis plusieurs années, le groupe CRC propose une nouvelle vision de nos institutions ; il plaide pour une république démocratique où le Parlement retrouverait sa légitimité, une république sociale où les droits des salariés seraient renforcés, une république participative où les citoyens auraient un pouvoir d'intervention directe. Élection après élection, le peuple s'éloigne de ses représentants et de ses dirigeants.
Cette réforme répond-elle à ce constat partagé à droite comme à gauche ? Non. Ce projet n'est au service que d'un seul homme, le Président de la République, et l'alibi pour une seule chose, le discours devant le Parlement. La satisfaction des désirs du Président pose des problèmes au regard du respect des principes fondamentaux qui régissent notre démocratie.
Au-delà de l'apparente incohérence à défendre une exception d'irrecevabilité sur un projet de loi constitutionnelle...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Bien vu !
Mme Éliane Assassi. - ...plusieurs raisons justifient de rejeter ce texte. Tout d'abord, il ne respecte pas le principe de séparation des pouvoirs, qui occupe une place particulière dans la hiérarchie des normes au titre de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. » Plusieurs auteurs considèrent ce principe comme une exigence de nature supra-constitutionnelle. Déjà, sous la IlIe République, Maurice Hauriou concluait dans son Précis de droit constitutionnel au caractère impératif pour le constituant de l'article 2 de la loi du 14 août 1884 relatif à la forme républicaine du Gouvernement, dont la légitimité constitutionnelle serait placée au-dessus de la Constitution écrite. D'autres voient dans la séparation des pouvoirs une des composantes de la forme républicaine du Gouvernement, aux côtés de principes comme le suffrage universel ou le régime représentatif. La forme républicaine du Gouvernement, énoncée au cinquième alinéa de l'article 89 de la Constitution, ne pouvant faire l'objet d'une révision, cela limite le pouvoir constituant. Certains se dégagent de tout rattachement à la forme républicaine du Gouvernement pour donner la prééminence à la Déclaration de 1789. En 1989, lors du bicentenaire de ce texte, notre collègue Robert Badinter s'était demandé s'il n'y avait pas « des libertés intangibles que le constituant même ne pourrait supprimer ».
Cette réforme accroît les déséquilibres existants entre le pouvoir exécutif, en particulier le Président de la République, et le Parlement. Les parlementaires communistes n'ont eu de cesse de dénoncer le caractère présidentialiste de la Ve République, qui s'est aggravé en 1962 avec l'élection du Président au suffrage universel direct, puis avec le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral. Notre démocratie s'apparente à une sorte de monarchie élective. Aujourd'hui, le Parlement, réduit au rôle de chambre d'enregistrement, est sommé d'entériner des projets de loi émanant parfois directement du Président de la République, à l'instar de la loi sur les peines planchers. Nous sommes loin d'un Parlement représentant le peuple et soucieux d'élaborer la loi dans l'intérêt général...
Au-delà, toute la vie politique est menacée au nom du bipartisme. Nos institutions ne sont plus en phase avec les attentes de nos concitoyens, qui demandent à participer à l'élaboration des décisions qui les concernent, grâce notamment au développement de la démocratie participative, et à contrôler l'action des parlementaires par la saisie directe d'un Conseil constitutionnel modernisé. A l'inverse, ce texte nous propose de limiter l'action du Parlement en assurant la domination du Président de la République, qui non seulement conserve ses pouvoirs d'arbitrage, de dissolution et de supervision du travail parlementaire, mais de surcroît s'en voit octroyer de nouveaux, et notamment la possibilité de s'exprimer devant le Parlement réuni en Congrès. Même si les députés ont supprimé la possibilité pour le Président de venir devant « l'une ou l'autre des deux assemblées », son pouvoir en sort considérablement renforcé puisqu'il pourra s'exprimer devant le Parlement autant de fois qu'il le souhaitera, les parlementaires se retrouvant ainsi soumis au bon vouloir du Prince.
Il est étrange d'affirmer vouloir renforcer les droits du Parlement en permettant au Président de la République de venir s'exprimer devant celui-ci, puis en prévoyant un débat facultatif -« la déclaration du Président peut donner lieu à un débat »- non suivi d'un vote, et donc sans contrepartie à l'immixtion présidentielle dans les travaux législatifs. Le Parlement n'aura aucun pouvoir supplémentaire face au Président de la République, dont le droit de dissolution de l'Assemblée nationale conforte la prééminence institutionnelle tandis que son irresponsabilité politique est symboliquement réaffirmée. La confusion des pouvoirs exécutif et législatif s'accroît. La possibilité de s'exprimer devant le Parlement a une grande portée symbolique : le président participe ainsi, physiquement, à la fonction législative. Jusqu'à présent, hors période de cohabitation, il déterminait l'organisation des travaux du Parlement mais le principe de la séparation des pouvoirs lui interdisait l'accès à l'hémicycle.
Si le droit de message du Président des États-Unis a inspiré le Président de la République, les membres du comité Balladur et les rédacteurs de ce projet de loi, il est finalement bien éloigné de la nouvelle prérogative présidentielle. Lors de son audition par la commission des lois, Elisabeth Zoller, professeur à Paris-II, a expliqué comment le système américain parvenait à maintenir un équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif. Le message du Président se décompose en deux parties, l'une sur l'état de l'Union, l'autre sur les recommandations. Comme en France, le pouvoir exécutif rédige les projets de loi, mais Elisabeth Zoller qualifie le président américain de « législateur en chef » car « s'il participe de façon prépondérante à la préparation des textes législatifs, le Congrès en est totalement maître lors de leur examen ». Cela n'est pas le cas en France.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - C'est bien d'admirer les institutions américaines ! (Sourires)
Mme Éliane Assassi. - Elisabeth Zoller considère que la modification du droit de message entraînerait un profond changement institutionnel, un changement de régime faisant du Président français un législateur en chef et un chef de parti, sa fonction d'arbitrage disparaissant de ce fait. Le système américain a pu échapper à ce dilemme grâce, notamment, à l'absence de fonction d'arbitrage du Président et de droit de dissolution du Congrès. La conclusion d'Elisabeth Zoller est sans appel : la modification de l'institution présidentielle ainsi proposée « basculerait le régime de la Ve République dans un système consulaire ». Ce système, caractérisé par une très forte concentration des pouvoirs au profit d'un seul homme politiquement irresponsable, peut conduire à toutes les dérives autocratiques. En France, il a conduit à l'avènement du second Empire.
Elisabeth Zoller a donc appelé à la mise en place, si le droit de message de l'article 7 était adopté, « des poids et contrepoids du système américain ». Ce n'est pas ce qu'a prévu le projet de loi. Le Président peut déjà s'exprimer comme il l'entend dans les médias sans que son temps de parole soit décompté, il convoque les parlementaires de la majorité à l'Élysée et les sermonne lorsqu'ils n'ont pas obtempéré à ses ordres. Qu'a-t-il besoin de s'exprimer devant le Parlement, si ce n'est pour conforter sa prééminence institutionnelle ? Il est pour nous impensable de sacrifier le principe de séparation des pouvoirs sur l'autel des désirs du Président de la République.
Deuxième motif d'irrecevabilité de ce texte : la remise en cause du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère opérée par les députés à l'article 11. S'il est prévu d'inscrire ce principe dans la Constitution, il pourrait connaître des exceptions en cas de « motif déterminant d'intérêt général » -toutes les interprétations sont ouvertes. Cela me semble directement inspiré des problèmes récents qu'a connus le Gouvernement avec la loi relative la rétention de sûreté : il n'est pas simple de vouloir contourner un principe constitutionnel énoncé à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789... Lors de nos débats, madame la ministre, nous avons eu droit à des démonstrations hasardeuses visant à faire adopter la rétroactivité de cette loi. II aura fallu une mise au point du président de notre commission des lois pour vous rappeler que la rétroactivité s'applique non pas à la condamnation, mais aux faits incriminés. Et le Président de la République n'a pas hésité à demander au Premier président de la Cour de cassation, Vincent Lamanda, de trouver le moyen de contourner la décision du Conseil constitutionnel qui avait considéré que « la rétention de sûreté [...] ne saurait être appliquée à des personnes condamnées [...] pour des faits commis antérieurement » à la publication de la loi. Or, dans son rapport intitulé Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux, Vincent Lamanda ne vous offre toujours pas la possibilité d'appliquer la loi de façon rétroactive. Un amendement pouvait donc être opportunément déposé lors de cette révision constitutionnelle afin de permettre qu'un motif déterminant d'intérêt général, telle la lutte contre la récidive, justifie la rétroactivité d'une loi. Si nous adoptions définitivement une telle disposition, notre Constitution contiendrait une disposition qui permettrait l'adoption de lois contraires à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Dernier motif d'irrecevabilité, l'article 35 du projet de loi devait prévoir la modification du titre XV de la Constitution à compter de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007. Le « non » irlandais, dont je me félicite mais que certains méprisent comme ils ont méprisé le « non » du peuple français en 2005, devrait profondément remettre en cause le processus de ratification ainsi que l'adoption de l'article 35, désormais dépourvu de fondement. Le projet de révision de la Constitution suspend donc le contenu du texte à la ratification du traité de Lisbonne par les autres États européens.
Cette conditionnalité est incompatible avec l'article 89 de la Constitution, selon lequel le pouvoir constituant dérivé ne saurait subordonner le contenu de la Constitution à la décision d'États étrangers. La fonction constitutionnelle dérivée serait ainsi déléguée, or une telle délégation ne pourrait résulter, au mieux, que de la volonté du pouvoir constituant originaire. Le pouvoir constituant dérivé exprimé par la voie des lois constitutionnelles peut autoriser la ratification d'un traité contraire à la Constitution, mais il ne saurait subordonner une révision constitutionnelle à l'entrée en vigueur d'un traité, donc à une décision d'autorités étrangères. Cette altération de la technique de révision constitutionnelle aboutirait à une délégation inconstitutionnelle du pouvoir constituant et constituerait un précédent extrêmement dangereux si le « non » irlandais ne remettait pas en cause l'article 35.
Cette réforme constitutionnelle ne vise nullement à renforcer la démocratie, à rendre le pouvoir au peuple et à ses représentants, mais à assouvir les désirs de prééminence institutionnelle d'un seul homme, au détriment des principes fondamentaux qui régissent notre démocratie. Elle ne porte pas d'ambition moderne et progressiste, mais fait survivre les archaïsmes d'une oligarchie conservatrice.
Tel est l'objet de notre motion. (Applaudissements sur les bancs CRC et sur quelques bancs socialistes)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Efforts méritoires, mais vains, pour défendre une exception d'irrecevabilité à l'occasion d'une révision de la Constitution. S'agissant de la non-rétroactivité, l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme est un principe fondamental et je précise que nous voulions lever toute ambiguïté. Quoi qu'il en soit, s'il existe un pouvoir supérieur à celui du constituant, quel est-il ? Laissons ce débat aux constitutionnalistes... Il n'y a aucun danger : nous ne mettons pas en cause la forme républicaine du gouvernement. Aujourd'hui, il s'agit de réformer la Constitution pour donner plus de pouvoir au Parlement.
L'intervention du Président de la République devant les assemblées relevait du cérémonial chinois au début de la IIIe République : on décidait si le Président pouvait venir ; puis il venait. Aujourd'hui, c'est chinoiser que de s'opposer à l'idée que le Président s'adresse aux assemblées réunies en Congrès. Et quel conservatisme profond ! Pourquoi les monarchistes refusaient-ils la venue de Thiers devant la Chambre des députés ? Parce qu'ils redoutaient son influence sur l'assemblée et sa capacité à changer une majorité. Si vous craignez la même chose, vous avez raison, car le Président de la République a une grande force de conviction.
M. Robert Bret. - Qui se reflète mal, curieusement, dans les sondages...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Mme Assassi a dit que son groupe combat nos institutions depuis les débuts de la Ve République. Puis-je lui rappeler que la Constitution a été votée par 13 millions d'électeurs contre 8 millions. Elle appartient à notre patrimoine institutionnel, que cela vous plaise ou non. (Exclamations sur les bancs CRC) La commission ne peut être favorable à l'exception d'irrecevabilité.
M. Jean-Pierre Raffarin. - Très convaincant.
M. le président. - Madame la ministre, vous vous ralliez aux propos du rapporteur ? (Mme la Garde des sceaux esquisse un geste d'assentiment)
En application de l'article 59, la motion n°2 est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin.
Nombre de votants | 327 |
Nombre de suffrages exprimés | 233 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 117 |
Pour l'adoption | 24 |
Contre | 209 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. - Motion n°1 rectifiée, présentée par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République (n° 365, 2007-2008).
M. Jean-Pierre Sueur. - Mes arguments sont tellement forts qu'ils parleront d'eux-mêmes ; je n'aurai pas à m'éterniser.
Que de leurres dans ce texte ! Que de faux-semblants ! On nous parle de « réformes profondes », mais quand on y regarde de plus près, il en va tout autrement. Les nominations ? Une majorité des trois-cinquièmes aurait eu un sens... L'urgence ? Elle était tellement utilisée qu'elle devenait la procédure de droit commun. On nous explique qu'il va être mis fin à cet abus... uniquement si les Conférences des Présidents des deux assemblées refusent cette procédure. Autrement dit, on n'y arrivera jamais. Le droit d'expression du Président de la République ? Comme vous, j'entends tous les jours à la radio et je vois tous les jours à la télévision le Président de la République. Ce n'est pas le manque mais plutôt le trop-plein. Dans le car, en route pour Versailles, nous écouterons les commentaires sur le discours à venir ; au retour, nous entendrons les exégèses... Tout cela est formel, désuet. Il n'y a pas là, en tout cas, de révolution. Les droits de l'opposition ? Un jour par mois, ce n'est pas le Pérou ! L'article 49-3 ? Il est maintenu, alors qu'on aurait pu le supprimer. Le droit d'amendement ? Ce droit imprescriptible, condition d'existence de la fonction de parlementaire, est soumis à des considérations réglementaires. Bref, des changements en trompe-l'oeil.
J'en viens à la question du Sénat. Pourquoi refuser l'alternance dans une assemblée démocratique ? La casuistique a dominé -et je ne fais pas allusion aux propos de M. Lecerf défendant une question préalable contre la proposition de loi de M. Bel tendant à réformer le mode de scrutin à l'élection sénatoriale. Il ne faut pas en parler, nous avait-on dit, ce n'est pas le moment, il y aura une réforme constitutionnelle.
Celle-ci est arrivée ; la commission des lois propose un amendement... qui bloque tout. Mais le président de l'Assemblée nationale s'exprime, cela fait désordre. L'amendement disparaît et l'on en revient au statu quo ante : tout est verrouillé. La Haute assemblée telle qu'elle est ne peut traduire une respiration démocratique.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Faux !
M. Jean-Pierre Sueur. - Dans toutes les assemblées du monde, on considère que l'alternance est un bienfait.
Puisque vous avez évoqué Pierre Mendès-France, monsieur Raffarin, je citerai un passage de La république moderne : « Les réserves formulées contre le Sénat portent le plus souvent sur son mode de recrutement plutôt que sur son existence. » Il ajoute plus loin : « Chacun connaît l'injustice choquante qui préside à la répartition des sièges sénatoriaux. »
M. Jean-Pierre Raffarin. - Ne faites pas de Mendès-France un comptable !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur - Vous oubliez que le nombre de sénateurs élus par département a évolué depuis !
M. Bernard Frimat. - Laissez-le parler !
M. Jean-Pierre Sueur. - Ce projet pose encore un autre problème : celui du vote des étrangers aux élections locales. Nous sommes persuadés que c'est une des conditions de l'intégration des étrangers qui vivent et travaillent depuis longtemps dans notre pays. Pour faire reculer la ségrégation et la haine, il faut permettre aux étrangers de participer pleinement à la vie républicaine au niveau local. Je citerai ici les propos de Nicolas Sarkozy...
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. - Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. - ...dans un livre publié en 2001, intitulé Libre : tout un programme ! « A partir du moment où ils paient des impôts, où ils respectent nos lois et où ils vivent sur le territoire depuis un temps minimum, par exemple cinq ans, je ne vois pas au nom de quelle logique nous pourrions les empêcher de donner une appréciation sur la façon dont est organisé leur cadre de vie quotidien. » En 2005, devenu ministre de l'intérieur, il exprimait les mêmes idées.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Il a dit tellement de choses !
M. Jean-Pierre Sueur. - Cela fait des années qu'on nous dit que le vote des étrangers aux élections locales serait une bonne chose mais que l'opinion n'y est pas prête. Aujourd'hui, l'occasion s'offrait de mettre enfin les actes en accord avec les paroles. Une telle mesure aurait pesé lourd sur notre décision finale. Pierre Mendès-France a beaucoup écrit sur les méfaits de la IVe République...
M. Jean-Jacques Hyest. - Ah oui, il en a été écoeuré !
M. Jean-Pierre Sueur. - ...mais aussi sur les défauts de la Ve. La monocratie dont parlait M. Badinter existe toujours, et nous devons la réformer. Je finirai en citant Montesquieu : « Tout homme qui a le pouvoir est porté à en abuser. Il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur - J'aime que l'on cite Montesquieu, et l'on pourrait aussi citer Montaigne aujourd'hui. Mais rien n'est plus dangereux qu'une citation : souvent, l'auteur tempère au paragraphe suivant le jugement exprimé au précédent. (Mme Voynet et M. Sueur ironisent) Ce que vous nous présentez n'est pas une question préalable mais un ensemble de préalables à l'examen du projet. La question préalable consiste à demander si les conditions requises pour poursuivre l'examen d'un texte sont remplies : cela n'a rien à voir avec les problèmes du mode de scrutin, du vote des étrangers ou de la présence du Président de la République au Parlement ! S'agissant de ce dernier point, je rappelle que la constitution de 1848 obligeait le Président à venir au moins une fois par an devant l'Assemblée pour l'informer de la situation de la nation : vous voyez que les opinions varient, et d'ailleurs la question est secondaire. Vous dites aussi que le mode d'élection des sénateurs interdit l'alternance.
M. Jean-Pierre Bel. - Regardez les résultats des dernières élections locales !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur - Il est normal que le Sénat n'évolue pas au même rythme ! Patientez, messieurs ! Le pire n'est pas sûr pour nous !
Vous avez dit que ce texte comporte des leurres. En ce qui concerne les nominations, l'Assemblée a estimé qu'il fallait une majorité des trois-cinquièmes pour empêcher une nomination ; mais même en cas d'avis simple...
M. Jean-Pierre Bel. - Il n'y a pas d'avis simple.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur - Mais si ! En cas d'avis adopté par une majorité simple, je ne vois pas comment le Président pourra persister dans son choix.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Il n'y a qu'à le dire expressément !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur - En ce qui concerne le vote des étrangers, je n'y suis personnellement pas favorable. La France est un des pays où l'acquisition de la nationalité est la plus facile : cinq ans de résidence régulière suffisent.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Ce n'est pas vrai !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur - Nous avons d'ailleurs simplifié la procédure, en la regroupant sous l'autorité d'un seul ministère. Notre modèle d'intégration, à partir du moment où des gens venus d'ailleurs s'installent durablement dans notre pays...
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Et les Européens ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur - C'est autre chose : il y a une citoyenneté européenne, et pas de citoyenneté pour les étrangers.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Il devrait !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur - Tous vos arguments sont des prétextes. Continuons l'examen du projet qui nous est proposé et qui constitue une réforme importante de nos institutions. J'invite à rejeter la question préalable.
Mme Josiane Mathon-Poinat. - Puisque nous avons entendu ce soir beaucoup de citations, je citerai le général de Gaulle, qui exprimait son mépris pour le Sénat en l'appelant « ce truc, ce machin ».
M. Robert del Picchia. - C'était l'ONU, pas le Sénat !
Mme Josiane Mathon-Poinat. - Il aurait pu le dire ! M. Sueur a eu raison d'insister sur le défaut de démocratisation des assemblées, notamment du Sénat où l'alternance est impossible. Au sujet du droit de vote des étrangers aux élections locales, c'est une proposition que notre groupe a souvent faite. Je ne comprends pas votre position, monsieur Hyest : ainsi il y aurait en France des citoyens de seconde zone, qui paient leurs impôts, participent à la vie économique et sociale, mais pas à la vie municipale ? Nous continuerons malgré tout à oeuvrer en faveur de cette réforme.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur - Vous ne voulez pas vraiment l'intégration.
M. Bernard Frimat. - Nous aurons l'occasion de revenir, lors de la discussion des articles, tant sur le droit de message du Président de la République, dont le président Hyest estime qu'il est tellement secondaire qu'il est essentiel de le garder, que sur le droit de vote des étrangers, sur lequel le même président Hyest a atteint le summum de son art intellectuel puisqu'il se déclare favorable au vote des étranger aux élections locales, à condition qu'ils soient Français. (Rires et applaudissements à gauche)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Absolument !
En application de l'article 59, la motion n°1 rectifiée est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 328 |
Nombre de suffrages exprimés | 320 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 161 |
Pour l'adoption | 119 |
Contre | 201 |
La motion n°1 rectifiée n'est pas adoptée.
Renvoi en commission
M. le président. - Motion n°505, présentée par M. Bret et les membres du groupe CRC.
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des Lois Constitutionnelles, de Législation, du Suffrage universel, du Règlement et d'Administration générale, le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République (n° 365, 2007-2008).
M. Robert Bret. - Je proteste à nouveau contre le refus du président Poncelet de me donner la parole en début de séance pour un rappel au règlement sur l'organisation de nos travaux. Mes collègues et moi estimions pourtant nécessaire d'éclairer nos débats, avant même l'intervention du Gouvernement et des rapporteurs, sur les conséquences constitutionnelles de la caducité du traité de Lisbonne. La réponse s'est une fois encore limitée à un « Circulez, ya rien à voir ».
Le dépôt de cette motion n'est pas une manoeuvre dilatoire : nous ne cherchons nullement à éviter un débat que nous appelons de tous nos voeux. Mais il convient de tirer toutes les conséquences du référendum irlandais, dont je rappelle qu'avec un taux de participation de 53,1 %, il a conduit à un rejet du traité par 53,4 % des voix. Or, chaque État membre disposant, en cette matière, d'un droit de veto, le refus cinglant exprimé par les Irlandais, le 12 juin, suffit à faire obstacle à l'entrée en vigueur du traité. L'article 88-1 de notre Constitution, qui prévoit que la République « peut participer à l'Union européenne dans les conditions prévues par le traité de Lisbonne » faisant référence à un texte qui n'entrera pas en vigueur, devient ainsi inopérant : il convient de l'abroger, en même temps que la loi constitutionnelle du 4 avril 2008, qui modifie le titre XV de la Constitution. Car comment, par exemple, maintenir un article 88-6, qui fait référence aux « actes législatifs européens », catégorie de norme créée par un traité caduc ? La commission des lois a-t-elle un avis sur cette question ? Si tel était le cas, il serait largement temps de le formuler.
La convention de Vienne, ainsi que je l'ai rappelé tout à l'heure, stipule, à l'article 24 de sa section III, qu'un traité entre en vigueur dès que le consentement à être lié a été établi par tous les États ayant participé à la négociation. Tel n'est pas le cas du traité de Lisbonne. Au nom de notre groupe, je demande à la commission des lois d'examiner les conséquences du « non » irlandais sur notre Constitution. Vous ne pouvez vous dérober comme vous l'avez fait tout à l'heure.
Nous avions déjà dit, lors de la discussion du projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution, que ses dispositions validaient par avance le traité de Lisbonne, méconnaissant ainsi le pouvoir d'autorisation de ratifier de la souveraineté nationale. Le même schéma avait déjà été retenu en 2005, au motif que la généralité de la formule était destinée à lever l'ensemble des obstacles juridiques à la ratification du traité constitutionnel. Pourtant, le peuple français, le 5 mai 2005, a clairement et massivement exprimé son refus et l'article premier du projet de loi constitutionnelle, resté inscrit dans la Constitution, est devenu lettre morte, jusqu'à son remplacement par une disposition de la loi constitutionnelle de 2008, qui reproduit la même erreur : une disposition inopérante est inscrite dans notre Constitution, alors qu'elle aurait pu être par deux fois évitée en notifiant expressément que ces deux textes resteraient inapplicables en cas de rejet du traité modificatif. Mais il est vrai qu'il s'agissait, en 2005, de passer outre la souveraineté nationale, par une validation ex ante, tandis qu'en 2008, M. Sarkozy avait décidé de passer outre la décision prise par le peuple français en mai 2005, les chefs d'État et de gouvernement des pays membres s'étant entendus pour contourner les peuples en donnant aux ratifications parlementaires le pas sur les consultations populaires. Las, la Constitution du gouvernement irlandais lui fait obligation de recourir au référendum ! On en sait le résultat : il fait obstacle à l'entrée en vigueur du traité. Aux mêmes causes les mêmes effets : comme en 2005, le second alinéa de l'article 88-1 et la loi constitutionnelle de 2008 doivent être abrogés, et c'est pourquoi nous vous invitons à voter cette motion de renvoi en commission.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Un texte est renvoyé en commission quand on estime que le travail n'a pas été bien fait. Or, nous avons siégé toute la journée de mercredi. Bien que certains aient alors décidé de quitter la séance...
M. Bernard Frimat. - À juste titre !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - ... nous avons travaillé. De surcroît, nous examinerons demain vos amendements sur le sujet. A quoi bon cette motion ?
Sur le fond, je ne me réjouis pas, quant à moi, du « non » irlandais.
M. Robert Bret. - Ce n'est pas la question !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Le processus de ratification se poursuit. L'Europe aura ensuite à décider de la façon dont il convient de faire face. Il serait imprudent, à ce stade, de tenir des propos définitifs. Quant à citer la Convention de Vienne, ce n'est pas pertinent. Ce qui compte dans ce traité, c'est la souveraineté des États. Il nous faut donc réviser la Constitution pour la mettre en conformité avec le traité, et aviser ensuite. Pour toutes ces raisons, la commission est défavorable à un renvoi en commission totalement inutile.
M. le Président - Madame la Garde des sceaux, même avis ? (Mme la Garde des sceaux opine du chef)
La motion n°505 n'est pas adoptée.
Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 18 juin 2008, à 15 heures.
La séance est levée à 1 h 35.
Le Directeur du service du compte rendu analytique :
René-André Fabre
ORDRE DU JOUR
du mercredi 18 juin 2008
Séance publique
À QUINZE HEURES ET LE SOIR
1. Examen de la proposition du Président du Sénat tendant à la création d'une commission spéciale sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, de modernisation de l'économie et, éventuellement, nomination des membres de cette commission spéciale.
2. Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle (n° 365, 2007-2008), modifié par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République.
Rapport (n° 387, 2007-2008) de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Avis (n° 388, 2007-2008) de M. Josselin de Rohan, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
_____________________________
DÉPÔTS
La Présidence a reçu de M. le Président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à rendre obligatoire l'installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d'habitation.