SÉANCE
du mardi 17 juin 2008
93e séance de la session ordinaire 2007-2008
présidence de M. Jean-Claude Gaudin,vice-président
La séance est ouverte à 10 h 5.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Conseil européen des 19 et 20 juin 2008 et présidence française de l'Union européenne (Déclaration du Gouvernement)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur le Conseil européen des 19 et 20 juin 2008 et sur la présidence française de l'union européenne.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. - L'Irlande a voté « non » au référendum sur le traité de Lisbonne jeudi dernier.
M. Jean-Luc Mélenchon. - Bravo !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. - C'est une déception. Mais nous prenons acte de ce choix et le respectons.
Il nous faut maintenant donner au gouvernement irlandais l'opportunité d'analyser ce vote.
J'ai écouté très attentivement la déclaration du Premier ministre irlandais, Brian Cowen, le 13 juin. J'en ai retenu trois éléments sur la question des implications du vote de son pays pour l'Union européenne.
Tout d'abord, il a clairement affirmé que l'Irlande n'a pas souhaité donner un coup d'arrêt à la construction européenne. Je ne le crois pas non plus. Il ne faut pas se méprendre sur la portée de ce vote, qui ne signifie pas que l'Irlande souhaite sortir du jeu européen.
Le Premier ministre irlandais a également appelé à une réflexion sereine, dans son pays, et avec ses vingt-six partenaires.
Enfin, Brian Cowen s'est engagé à consacrer toute son énergie à rechercher des réponses satisfaisantes aux préoccupations qui ont été révélées par le vote. Il a précisé que l'Union avait déjà connu de telles situations et qu'à chaque fois, une solution avait été trouvée pour aller de l'avant.
C'est dans ce contexte, et après avoir pris note de la position du Taoiseach, que la France et l'Allemagne ont, dans une déclaration commune, appelé à la poursuite du processus de ratification et rappelé que le traité de Lisbonne comportait des avancées pour la démocratie et l'efficacité de l'Europe.
Beaucoup d'autres acteurs ont soutenu très explicitement et très rapidement une position similaire : la présidence slovène, le président du Parlement européen, le président de la Commission, ainsi que le Luxembourg, le Portugal, la Finlande et la Slovaquie, qui comptent parmi les dix-huit États qui ont déjà approuvé le traité.
D'autres États, qui ont engagé leur ratification sans l'avoir encore conclue, ont également appelé à poursuivre du processus. Je pense au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, à la Belgique, à l'Espagne.
Par ailleurs, le Président de la République s'est entretenu lundi à Prague avec le Premier ministre tchèque, M. Topolanek, lequel a indiqué qu'après une période de réflexion et compte tenu des responsabilités prochaines de son pays, il n'excluait pas de se rallier à ce consensus. Mme Merkel s'est rendue à Gdansk pour un entretien avec le Premier ministre polonais.
Le terrain est donc préparé pour la discussion qui se tiendra jeudi soir au Conseil européen. Les chefs d'État et de gouvernement feront le point sur la situation avec l'Irlande et évalueront les mesures à prendre.
Ce qui est sûr, c'est que nous n'allons pas nous engager dans la rédaction d'un traité nouveau. Aucun État membre ne le demande.
L'Europe ne s'est pas arrêtée le 13 juin. Nous fonctionnons actuellement sur la base du traité de Nice, qui d'ailleurs devait être et sera le cadre institutionnel de la Présidence française.
Comme l'a dit le Président de la République, la meilleure réponse que la présidence française peut apporter aux préoccupations qui viennent d'être exprimées est de faire en Europe plus de politique et plus de politiques communes. Nous ne pouvons pas nous permettre de retarder les décisions qui vont en ce sens, et qui peuvent être traitées indépendamment des questions institutionnelles. C'est le cas des priorités que le Président de la République a fixées pour la présidence française et qui ont été, depuis un an, présentées à tous nos partenaires européens. Nous continuerons évidemment à les consulter pendant toute la présidence.
Je sais que vous aurez également un agenda dense de rencontres interparlementaires dès le 3 juillet et une réunion de la Cosac dès le 7 juillet, et je m'en félicite.
Le nouveau contexte depuis le 13 juin nous conduit à aborder ce semestre avec modestie et rigueur. Avec modestie parce que le vote irlandais appelle à une remise en question de chacun sur la façon dont nous faisons le lien entre le débat national et le débat européen, qui s'inscrit souvent dans un horizon de plus long terme. Dans un contexte international difficile, il nous faut aussi être conscient des limites et des contraintes dans lesquelles notre action s'inscrit.
Avec rigueur parce que notre unique objectif est de servir l'intérêt collectif des Européens et de faire progresser honnêtement tous les dossiers avec l'ensemble de nos partenaires pour apporter des réponses concrètes aux préoccupations de nos concitoyens, telle la hausse des matières premières et des produits alimentaires. (Mme Cerisier-ben Guiga approuve)
C'est pourquoi nous nous efforcerons de dégager un accord politique sur le « paquet énergie-climat », qui nous permet de contenir les effets du changement climatique en réduisant de 20 % les émissions de dioxyde de carbone d'ici 2020 et promeut le développement des énergies renouvelables. C'est un élément clé de l'exemplarité que nous voulons pour l'Europe pour conforter son rôle moteur dans les négociations internationales sur le climat en vue de la Conférence de Copenhague en 2009. La question du prix de l'énergie sera bien sûr également au coeur de nos préoccupations.
Au-delà du paquet énergie-climat, la France souhaite également contribuer sous sa présidence à l'amélioration de la sécurité énergétique européenne par des actions visant à mieux maîtriser la consommation d'énergie, à faire fonctionner l'espace européen de façon unifiée et solidaire et à renforcer la politique extérieure européenne en matière d'énergie. L'Union sera alors en mesure de mieux assurer sa sécurité énergétique à court et à long terme. Cela suppose un esprit de solidarité entre États de l'Union et de responsabilité pour chacun d'entre eux.
Nous avons, à l'égard de l'Europe centrale et orientale, dont l'approvisionnement énergétique dépend entièrement de la Russie, un devoir de solidarité.
Autre projet politique concret, le pacte européen sur l'immigration et l'asile qui doit engager, pour la première fois, les États membres et les institutions européennes à des lignes de conduite communes pour gérer les flux migratoires sous tous leurs aspects : immigration économique, lutte contre l'immigration illégale, contrôle des frontières, politique de l'asile et stratégie de développement en partenariat avec les pays d'origine.
Être concret, c'est également, dans un contexte d'offre mondiale insuffisante, faire de la politique agricole commune une politique moderne et durable. La PAC doit être renforcée et adaptée aux attentes des consommateurs européens -sécurité des produits alimentaires, développement économique des territoires, investissement dans la recherche, productions durables, simplification des mécanismes d'aides, stabilisation des marchés au moyen d'instruments efficaces de gestion des risques climatiques et sanitaires.
Autre ambition de la présidence française : la relance de l'Europe de la défense. L'expérience de ces dix dernières années nous enseigne que le développement de la politique européenne de sécurité et de défense dépend moins du cadre institutionnel que de la volonté politique. Parce que les moyens des Européens ne sont pas à la hauteur des menaces, nous nous sommes donné les objectifs suivants : doter l'Union européenne d'une stratégie de sécurité actualisée pour la prochaine décennie, afin de mettre à jour l'analyse commune des nouvelles menaces ; renforcer les capacités civiles et militaires de gestion des crises autour de nouveaux projets capacitaires structurants, même s'ils devaient n'être initiés que par quelques pays ; porter l'effort sur l'industrie de défense en parvenant à un accord politique sur le paquet « défense » de la Commission européenne.
Notre ambition s'inscrit dans une vision politique renouvelée de la PESD, prenant en compte la complémentarité entre la défense européenne et l'Otan.
Enfin, nous poursuivrons les efforts en cours sur la stabilisation des marchés financiers, la stratégie en faveur de la croissance et de l'emploi, l'Europe de l'avenir et le renouvellement de l'agenda social de l'Union européenne. Car le programme social de la présidence française sera très dense : ...
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Comme en France !...
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. - ... lutte contre les discriminations, échanges d'étudiants et d'apprentis, conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, mobilité des patients, révision de la directive sur les comités européens d'entreprise, flexisécurité et, conformément au voeu de Martin Hirsch, réflexion sur l'inclusion active et les services sociaux d'intérêt général.
Quels seront, au-delà des résultats sur le référendum irlandais, les sujets à l'ordre du jour du prochain Conseil européen, qui conclura le semestre de la présidence slovène, à laquelle il convient de rendre hommage pour son intelligence et son savoir-faire dans la conduite des travaux ?
Premier sujet, l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Les conclusions du Conseil européen devraient passer en revue les nombreuses propositions en cours de discussion dans ce domaine et appeler à leur adoption rapide. Deux points me paraissent être devoir plus particulièrement relevés : l'appel à mettre en oeuvre une stratégie commune de gestion des flux migratoires, qui correspond aux objectifs du pacte, et l'encouragement à proposer une approche intégrée de la gestion des catastrophes.
Deuxième sujet : les conséquences de la hausse des prix agricoles et des prix des carburants. Le Président de la République a pris une position forte sur ce dossier et présenté des pistes de réflexion : TVA, fonds dédié aux catégories les plus durement affectées par la hausse des prix.
Troisième sujet : les questions économiques, sociales et environnementales. Le Conseil européen engagera à poursuivre les travaux sur le paquet « énergie-climat ». Saluant l'accord politique obtenu par la présidence slovène sur le troisième paquet de libéralisation du marché, il invitera à le finaliser avec le Parlement européen. Je rappelle que cet accord ouvre une troisième voie, que pourrait choisir la France, conformément au souhait de votre assemblée, qui nous a appuyés. Le Conseil européen devrait également approuver l'entrée de la Slovaquie dans la zone euro.
Quatrième sujet : les Balkans occidentaux, priorité forte de la présidence slovène. Parmi les progrès enregistrés on notera la signature des accords de stabilisation et d'association avec la Serbie et la Bosnie-Herzégovine. L'Union européenne a de surcroît assuré la stabilité générale de la région dans le contexte de la proclamation d'indépendance du Kosovo. Son rôle dans le processus de consolidation du nouvel État devrait aller croissant, avec la poursuite du déploiement de la mission Eulex qui prendra la relève de certaines tâches assumées auparavant par la mission des Nations Unies.
L'objectif de la présidence française sera de consolider les perspectives européennes de la région à travers, notamment, la progression des négociations d'adhésion avec la Croatie. Que la Commission puisse, à l'automne, fixer une date pour l'achèvement des négociations constituerait un signal fort pour la région. Mais il faut garder présent à l'esprit que le traité de Nice n'est pas adapté à une Europe à vingt-sept et que l'un des fondements du traité de Lisbonne était bien de préparer l'élargissement.
Cinquième sujet : l'Union pour la Méditerranée et le développement de la politique de voisinage à l'Est
Le Conseil européen abordera la préparation du sommet de l'Union pour la Méditerranée. La participation d'un grand nombre de chefs d'États ou de gouvernement paraît assurée. Ce sera là une première dans l'histoire, qui verra la réunion de quarante-quatre pays, soit l'ensemble des États riverains de la Méditerranée.
L'Union pour la Méditerranée marquera une nouvelle étape de la politique de l'Union européenne envers ses voisins du Sud, dans le prolongement du processus de Barcelone. Elle sera fondée sur une nouvelle gouvernance reposant sur les principes d'égalité et de parité entre le Nord et le Sud.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Alors que vous ne voyez, au lieu d'hommes, que des flux migratoire !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. - Les discussions entre pays participants font apparaître quatre projets principaux : un plan de dépollution de la Méditerranée, le développement de l'énergie solaire, la mise en place d'autoroutes de la mer, une coopération accrue en matière de protection civile contre les incendies et les catastrophes naturelles et, éventuellement, une agence de financement des PME. Chacun de ces projets sera à géométrie variable : seuls participeront les pays qui le souhaitent.
Le Conseil européen abordera enfin la proposition suédo-polonaise de « partenariat oriental ». Nous soutenons cette initiative, qui s'inscrit dans le cadre institutionnel et financier actuel. Il est bon que l'Union développe sa politique de voisinage, sans opposer le Sud et l'Est. La présidence française entend porter l'accent sur l'Ukraine, avec laquelle nous organiserons un sommet, en septembre, en vue de lancer un nouveau partenariat stratégique.
Où en sommes-nous, à deux semaines de notre présidence, de nos préparatifs ? Ils avancent bien, sous la houlette du secrétaire général de la présidence française, l'ambassadeur Claude Blanchemaison.
Nous avons, avec M. Kouchner et Mme Albanel, présenté le 3 juin dernier la saison culturelle européenne, qui accompagnera la présidence tout au long du semestre. Nous accueillerons, partout en France, les créations de nos partenaires, qui, en retour, accueilleront, chez eux, les nôtres. C'est la première fois que l'on se donne les moyens de partager avec le plus grand nombre la vitalité de nos cultures européennes.
Nos outils de communication et d'information sont également prêts -logo, site Internet, systèmes d'accréditation, articulation avec les institutions européennes.
Nous aurons, dès le mois de juillet, plusieurs rendez-vous importants en France. Le 1er juillet aura lieu à Paris une rencontre des membres du Gouvernement et de la Commission européenne. Le 10, le Président de la République présentera le programme de la présidence française devant le Parlement européen, à Strasbourg. Le 13, nous accueillerons à Paris le sommet de l'Union pour la Méditerranée. Puis se tiendra un sommet avec l'Afrique du sud, à Bordeaux, le 25 juillet. Sept réunions informelles des ministres auront également lieu en France. Notre pays présidera également deux conseils européens, en octobre et décembre et assurera la présidence de dix sommets internationaux...
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Combien de diplomates restera-t-il ailleurs ?
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. - ... avec de grands pays émergents comme la Russie, le Brésil, la Chine, l'Inde, l'Afrique du sud...
Il y a ceux qui n'ont pas confiance dans le projet européen, et qui, misant sur sa faiblesse, se mettent en marge, sans renoncer à le réintégrer ; il y a les ultralibéraux, auxquels le laisser-faire et le libre jeu du marché et de la spéculation tiennent lieu de stratégie européenne, les ultrasouverainistes, adeptes de la Ligne Maginot, qui prônent le retour à un Ancien régime chimérique, loin des réalités de notre monde vivant ; les ultratechnocrates, qui préfèreraient voir tout périr plutôt que de renoncer à leur dogme. Et puis il y a ceux, dont nous sommes, qui gardent résolument confiance. (MM. Bret et Mélenchon s'exclament) Car ils savent que l'Europe a toujours trouvé son chemin, grâce à la volonté, à l'audace, en un mot, à la politique. Ils continueront à servir le projet européen, en dépit des incidents de parcours. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. - Nous savions que la présidence française allait s'exercer dans un contexte économique défavorable, celui du troisième choc pétrolier. Nous savons aujourd'hui que le contexte politique sera lui aussi difficile. Après tous les efforts déployés pour repartir sur une bonne base, le « non » des Irlandais est un vrai coup dur. Faut-il pour autant critiquer les dirigeants irlandais d'avoir pris ce risque ? En réalité, ils n'y sont pour rien, la Constitution leur imposait de recourir au référendum. Au passage, cela devrait d'ailleurs faire réfléchir chez nous les partisans du référendum obligatoire. Ne cédons pas non plus à la tentation de faire la leçon aux électeurs irlandais : nous sommes particulièrement mal placés pour cela !
Et ne nous lançons pas dans des constructions imaginaires : pousser, plus ou moins, l'Irlande vers la sortie ou bien appliquer le traité sans elle ? Mais la révision des traités exige l'unanimité. Pour renoncer à cette règle, il faudrait un accord unanime. Le traité de Lisbonne porte avant tout sur les institutions : il ne saurait être question, en cette matière, de géométrie variable. Les ministres irlandais au Conseil et les députés irlandais au Parlement européen appliqueraient le traité de Nice tandis que les autres appliqueraient celui de Lisbonne ? Cela ne tient pas debout !
Pour sortir de cette nouvelle crise, il n'y a guère que deux voies possibles. La première est de poursuivre la ratification dans les huit pays qui ne se sont pas encore prononcés. Si tous ratifient le traité de Lisbonne, nous pourrons alors reprendre le dialogue avec l'Irlande, et voir comment le Conseil européen pourrait prendre des engagements susceptibles de rassurer les électeurs irlandais et de les faire changer d'avis. A ce moment-là, à condition de laisser un peu de temps au temps, il pourrait y avoir un nouveau vote. C'est à espérer car nous avons besoin du traité de Lisbonne. Et il y a des précédents : c'est une solution possible lorsqu'un seul pays a dit « non ». Tous les autres peuvent alors se trouver vers lui et lui dire : « Voulez-vous vraiment, à vous seul (M. Mélenchon s'indigne), bloquer les progrès voulus par tous les autres ? ». Mais, en l'occurrence, ce ne sera pas facile. D'abord, il faut une justification pour un nouveau vote. Dans le cas du Danemark, en 1992, le résultat avait été extrêmement serré, et en Irlande, en 2001, la participation avait été très faible. Or, cette fois-ci, la participation a été relativement élevée et le résultat relativement clair.
M. Robert Bret. - Sans appel !
M. Hubert Haenel, président de la délégation. - Il ne sera pas facile de renverser la tendance. Ensuite, nous ne savons pas encore si le « non » irlandais sera sans conséquence en Grande-Bretagne et surtout en République tchèque. Le Conseil européen va sans doute nous donner des indications mais aujourd'hui nous n'avons pas de certitude.
En cas d'échec, une autre solution serait de mettre quelque temps au second plan le débat institutionnel et d'adopter une attitude pragmatique. Après tout, les progrès possibles de la construction européenne ne sont pas tous suspendus à des changements institutionnels et nous ne devons pas chercher nécessairement, dans une Europe de vingt-sept membres, à avancer tous de la même manière. Prenons l'exemple de la défense. Quand nous nous sommes mis d'accord, au sein de la Convention, sur l'idée de créer une agence européenne d'armement, les États se sont rendu compte que rien n'interdisait d'ores et déjà de la créer ! Et c'est ainsi que l'Agence européenne de défense a été lancée sans attendre la révision des traités. Et si demain, certains États veulent aller plus loin dans la coopération en matière de défense, on voit mal ce qui pourrait les en empêcher. Tandis que si nous voulons absolument avancer à vingt-sept, nous aurons toujours des difficultés à faire travailler ensemble, par exemple, une Irlande farouchement attachée à sa neutralité et ceux qui veulent construire un pilier européen de l'Alliance.
De même, en matière de justice et d'affaires intérieures, les accords de Schengen, puis le traité de Prüm ou encore l'interconnexion des casiers judiciaires ont montré qu'il fallait savoir avancer à quelques-uns pour faire avancer tous les autres. Nous ne progresserons que par un rythme différencié et souple. Toutes les possibilités d'action commune dans le cadre actuel sont loin d'avoir été épuisées. Et lorsqu'il y a une réelle volonté d'agir chez un nombre significatifs d'États, l'expérience montre qu'on finit toujours par trouver une formule pour avancer.
L'idée européenne n'est donc pas morte à Dublin et même si nous ne trouvions pas de solution pour sauver le traité de Lisbonne, il ne faudrait pas tirer le rideau sur l'Europe. Ne facilitons pas la tâche des souverainistes en cédant au découragement. La construction européenne n'a jamais été une marche triomphale, nous avançons en terrain mouvant, sur des chemins non balisés. Mais le pire serait de s'asseoir en regardant le monde changer, et en renonçant à faire partie de ceux qui le façonnent.
C'est pourquoi les responsabilités de la présidence française vont se trouver encore accrues : alors que les obstacles s'accumulent, il va être encore plus nécessaire d'arriver à des résultats. Puisque les citoyens doutent, il faut leur montrer que l'Europe est capable de se saisir des grands problèmes de l'heure et de contribuer à les résoudre. Nous devons dire à nos partenaires que, dans le contexte d'une crise concernant les institutions, l'Europe ne peut se permettre de stagner aussi quant au développement des politiques communes. Elle doit montrer son utilité et sa résilience en agissant. Les priorités de la présidence française -les crises énergétique et alimentaire, le réchauffement climatique, les questions d'immigration et d'intégration- sont autant de domaines où la nécessité d'une action commune est évidente.
Nous devons continuer à avancer et aussi veiller sur les acquis de cinquante ans de construction européenne, dont certains sont menacés. Je pense bien sûr à la politique agricole commune, à nouveau accusée de presque tous les malheurs de la planète et d'abord de la crise alimentaire. Il est consternant d'entendre répéter un tel discours, à peu près inchangé depuis vingt ans, alors que l'actualité lui apporte aujourd'hui un démenti formel. Que se serait-il passé si nous avions suivi ceux qui préconisaient de démanteler la PAC et d'abolir ce qui subsiste de la préférence communautaire ? La production agricole européenne aurait fortement chuté et, aujourd'hui, les consommateurs européens devraient se fournir sur le marché international, ce qui provoquerait une hausse encore plus forte des prix mondiaux dont les pays les moins avancés seraient les premières victimes : la crise alimentaire serait encore plus grave. (M. Fourcade approuve)
Cela me conduit à souligner que, quelles que soient nos affinités avec nos amis britanniques, il subsiste malheureusement sur certaines questions essentielles un fossé à combler. Il était utile de resserrer les liens avec le Royaume-Uni car en matière d'action extérieure et de défense, rien n'est possible sans lui ; de même, il était utile de se rapprocher des nouveaux États membres avec qui, au-delà des malentendus, nous avons énormément en commun. Mais ne voyons pas dans ces démarches justifiées une alternative possible au couple franco-allemand -comme certains l'avaient cru après le voyage du Président de la République au Royaume-Uni-, au « fondu enchaîné » franco-allemand qui reste au coeur de l'Europe élargie. L'histoire comme la géographie lui donnent une irremplaçable capacité d'impulsion et même s'il connaît, inévitablement, des hauts et des bas, nous devons garder le cap franco-allemand avec constance. C'est le meilleur moyen de faire en sorte que notre future présidence soit efficace et utile, ce dont l'Europe a absolument besoin aujourd'hui. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - La présidence française ne peut pas ne pas être affectée par le référendum irlandais. Rien ne serait plus préjudiciable pour l'avenir de l'Union européenne que de tirer des conclusions hâtives de cette péripétie. Il importe de laisser du temps au temps pour rechercher avec nos partenaires une ligne de conduite commune qui permette à l'Union de fonctionner efficacement et chacun des pays qui doivent ratifier le traité de Lisbonne devra faire connaître son choix. A la fin du processus, il faudra faire le bilan et rechercher des solutions concrètes. Même à la suite de référendums négatifs, en Irlande comme au Danemark, des arrangements ont été trouvés qui ont mis fin au blocage des initiatives européennes.
On ne peut à la fois dénoncer l'éloignement des instances européennes et se contenter du maintien de structures qui empêchent toute décision commune. Le temps presse, l'Union est assaillie de problèmes et soumise aux tensions les plus contradictoires. Il lui faut aller de l'avant sous peine de se déliter ou de perdre toute influence dans le monde et toute crédibilité en son sein. La tâche de la présidence française ne sera pas aisée. Il lui faudra donner du corps aux priorités qu'elle a établies et obtenir des avancées dans les domaines d'action qu'elle a retenus. Ces priorités reflètent exactement les défis auxquels l'Union est confrontée et il faut savoir gré au Gouvernement de les avoir définies.
Ne l'oublions pas, c'est en France qu'a été conçu le pari de Pascal : ceux qui ne parient pas ne perdront cependant pas, ceux qui parient ont tout à gagner. Nous pouvons proposer ce pari à tous nos partenaires. C'est dans cet esprit qu'il convient d'aborder notre présidence fondée sur les convictions et non sous la contrainte.
Quelles sont les priorités de la présidence française ? Il s'agit, tout d'abord, d'une Europe qui protège, d'une Europe qui constitue un levier dans la mondialisation. Face à la hausse du prix des hydrocarbures, qui pénalise les citoyens de l'Europe, son agriculture et son économie, les institutions européennes ne peuvent pas rester inactives. Les agriculteurs, les pêcheurs, les transporteurs routiers attendent de l'Europe des réponses à leurs préoccupations concrètes et il faut savoir gré au Président de la République d'avoir posé leurs problèmes avec force
Il s'agit aussi d'une Europe qui sache répondre aux nouveaux défis, comme le réchauffement climatique, l'indépendance énergétique ou encore l'immigration et le terrorisme.
Enfin, dernière priorité, la politique étrangère et de défense. C'est là que s'exprime la plus forte attente des citoyens. Le traité de Lisbonne comporte des avancées importantes sur ces questions, comme la création d'un président stable du Conseil européen, d'un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ou encore d'un service européen pour l'action extérieure. Toutefois, l'influence de l'Europe dépend moins des mécanismes institutionnels, que de sa volonté politique et l'Union ne fera entendre sa voix sur la scène internationale que s'il existe une réelle unité entre les Européens, condition première d'une politique étrangère commune.
Lors du prochain Conseil européen, les chefs d'État et de gouvernement devraient évoquer la situation des Balkans occidentaux, et notamment la mise en place de l'opération Eulex au Kosovo. C'est dans cette région que se joue la crédibilité de la politique étrangère et de sécurité de l'Union. Si elle ne parvient pas à maintenir la paix et la stabilité sur son propre continent, comment peut-elle espérer jouer un rôle sur la scène internationale et contribuer à régler des conflits ailleurs dans le monde ?
Il faut se rendre compte de ce que l'Union européenne représente d'espoirs de développement et de paix pour les candidats. Tant qu'elle sera hors de l'Union, la Serbie n'aura pas la place qui lui revient dans les Balkans. Je le dis aux eurosceptiques : allez dans ces pays ! Après cinquante ans d'Europe, nous sommes blasés et nous apparaissons à beaucoup de ces nations comme des nantis égoïstes. (Applaudissements à droite et au centre)
Le projet d'Union pour la Méditerranée, lancé par le Président de la République, devrait constituer un projet important de la présidence française. Où en est-on ? Comment réagissent les pays de l'autre rive ?
Enfin, la relance pragmatique de l'Europe de la défense doit rester l'un de nos principaux objectifs. Face aux réticences de certains de nos partenaires, il ne faut certes pas s'attendre à des avancées spectaculaires. La défense a ainsi certainement joué un rôle dans le « non » irlandais. Toutefois, les choses progressent. Qui aurait imaginé, il y a encore quelques mois, que la Pologne voudrait aller plus loin dans la voie d'une défense européenne autonome ? Pour progresser, inspirons-nous de la méthode de Jean Monnet et réalisons des avancées concrètes créant des solidarités de fait. Les coopérations structurées permanentes que prévoit le traité de Lisbonne me paraissent bien adaptées. Les domaines de coopération ne manquent pas : mutualisation de la formation ou de l'entretien du matériel, rapprochement de nos industries, programmes communs d'équipements. Tirons aussi les leçons des difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de l'opération Eufor au Tchad et dotons l'Union d'un véritable centre de planification et de conduite des opérations.
L'Union européenne ne parviendra à faire entendre sa voix sur la scène internationale, à être une puissance dans la mondialisation que si elle dispose d'une politique étrangère et d'une défense européenne réellement autonome.
Prétendre apporter des réponses définitives aux questions abordées pendant cette présidence serait présomptueux. Renoncer à les traiter serait irresponsable. Aussi est-ce avec humilité mais détermination, avec courage, avec audace qu'il nous faut nous engager. Nous faisons confiance à l'habileté et à la ténacité du Président de la République pour faire de la présidence française une réussite en dépit d'un environnement difficile. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. - J'ai souhaité m'exprimer sur les enjeux de la politique européenne dans les secteurs de compétences de la commission des affaires culturelles. J'avais en effet envisagé de répondre à la proposition formulée par le Bureau du Sénat en organisant une réunion des commissions chargées de l'éducation, de la recherche, de la culture et de la communication au sein des États de l'Union européenne. Une concertation des responsables européens de ces secteurs stratégiques me paraissait utile, sinon indispensable, à l'occasion de la présidence française. La tenue de cette manifestation supposait l'accord de l'Assemblée nationale, puisque ces réunions sont mixtes. Or sa commission des affaires familiales, culturelles et sociales n'a pas souhaité donner suite à cette proposition car elle avait retenu le thème du financement de la protection sociale pour une telle réunion commune. La séance d'aujourd'hui me permet en quelque sorte une session de rattrapage. (Sourires)
Nous savons que le Gouvernement attache une grande importance à la promotion de la culture européenne comme en témoigne la tenue en novembre prochain du Forum d'Avignon, première rencontre mondiale « Culture, médias et économie ». J'évoquerai tout d'abord la défense de la propriété intellectuelle et du droit d'auteur, spécificité bien française héritée de Beaumarchais, qui reste d'actualité même si elle est loin de faire l'unanimité chez nos voisins européens. Je souhaite que le Gouvernement soit vigilant dans ce domaine. Lors de la révision des directives « services universels » et « protection de la vie privée », la France est apparue très isolée. Au regard des enjeux pour la défense de la propriété intellectuelle, une mobilisation politique et diplomatique française doit s'organiser rapidement afin de sensibiliser et de convaincre nos partenaires. Sans l'engagement fort des pouvoirs publics qui, sous toutes les majorités politiques, ont apporté à la création et à la diversité culturelle un soutien sans faille, il est à craindre que ne soit gâchée la chance offerte par la réforme du paquet « télécom » de consolider le respect du droit d'auteur à l'ère numérique. Les progrès techniques sont tels qu'il importe de mettre rapidement en place des mesures vraiment efficaces.
Il en va de la possibilité de bénéficier d'un cadre européen qui concilie le respect de la vie privée et le droit d'auteur, sans empêcher le développement par les États d'outils permettant de lutter efficacement contre les piratages illicites. Il en va également de l'avenir d'une réponse graduée, qui constitue une opportunité d'apporter une réplique juste et proportionnée au développement des téléchargements illicites sur Internet et qui a fait l'objet d'une campagne de dénigrement fondée sur des approximations et débouchant sur des incertitudes. Un travail de pédagogie et d'explication doit être mené sans tarder. Les résultats de la réunion qui s'est tenue à Luxembourg le 12 juin sont encourageants : un consensus pourrait se dégager sur la proposition de la Commission visant à ce que les opérateurs de télécommunications informent leurs abonnés, avant la signature du contrat, de leurs obligations en matière de droit d'auteur.
La seconde préoccupation que je voudrais relayer concerne la réglementation européenne en matière d'audiovisuel. Le sujet est on ne peut plus d'actualité compte tenu des chantiers d'importance lancés par le Gouvernement en ce domaine : commission pour la nouvelle télévision publique, réforme des décrets Tasca, réforme de l'audiovisuel extérieur. Je tiens néanmoins à rappeler que notre pays devra se conformer, après l'avoir transposée d'ici décembre 2009, à certaines dispositions de la directive « Services de médias audiovisuels ». La transposition de toutes les dispositions contenues dans la directive n'est sans doute pas impérative. Il appartiendra à la représentation nationale de juger de l'opportunité d'assouplir les règles relatives à la publicité pour les services télévisés privés. Cet assouplissement me paraît indispensable et doit être réalisé, pour la santé économique du secteur, dans les meilleurs délais, à condition bien sûr de renforcer dans le même temps la place du secteur public.
Le troisième thème que je veux aborder est celui de la reconnaissance des diplômes au niveau européen. La France doit s'approprier rapidement le cadre européen des certifications actuellement en cours de finalisation, en positionnant avec clarté ses différents diplômes par rapport aux repères fixés par le cadre. Même si l'harmonisation des diplômes secondaires requiert encore un long travail, les outils d'ores et déjà disponibles doivent être pleinement utilisés. Il en va ainsi du portfolio européen des langues, qui définit des niveaux de maîtrise des langues étrangères reconnus partout en Europe. Nous souhaitons que le ministère de l'éducation nationale aille plus loin et utilise ce cadre comme référence pour l'évaluation des élèves au baccalauréat.
Enfin, je voudrais évoquer le sport, dont les problématiques sont de plus en plus internationales : dopage, violence dans les stades, organisation des compétitions professionnelles, régulation de l'activité des agents de joueurs, protection des mineurs sportifs. Son insertion dans le traité de Lisbonne permettra que le sport ne soit pas considéré comme une simple activité économique par la Cour de justice européenne. Il faut aussi profiter de la circonstance pour en tirer des bénéfices concrets et que la France se saisisse de ces questions pour faire avancer ses points de vue. Elle devrait notamment avoir pour objectif la mise en place d'un fichier européen des interdits de stade, l'ouverture de la négociation sur le 6+5 dans les équipes de club, l'instauration d'une régulation européenne de l'activité d'agent de joueur et la mise en place d'un contrôle communautaire de la gestion des clubs.
Au moment où, dans une conjoncture politique européenne difficile -encore qu'il s'agisse de péripétie et non de drame-, notre pays va assumer la présidence de l'Union, il me paraissait utile de rappeler ces quelques points d'actualité. Je demeure persuadé que nous aurions eu intérêt à rencontrer, à l'initiative française, nos homologues européens. Cela n'a pas été possible et je souhaite, monsieur le ministre, que vous vouliez bien relayer les préoccupations que je viens d'évoquer. La presse nous apprend que le secrétariat général de la présidence française vient de décider de développer des actions de communication auprès des entreprises, des universités et des grandes écoles. Nous sommes donc parfaitement en situation. Je vous remercie par avance d'être notre porte-parole. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. - Permettez-moi tout d'abord d'exprimer, au nom de la commission des affaires économiques, ma satisfaction de pouvoir aborder, dans cet hémicycle, la manière dont la France se prépare à une présidence charnière, ponctuée de grands rendez-vous. Cette présidence intervient en effet à un moment particulier pour l'Union européenne : le traité de Lisbonne, porteur d'une réforme institutionnelle sans précédent, est en cours de ratification et le calendrier européen sera marqué par le renouvellement, en 2009, des institutions européennes. Le « non » irlandais ne doit pas remettre en cause le tempo imprimé à la construction européenne mais il relance indéniablement le débat sur l'Europe politique et le sens à donner à l'avenir de l'Union européenne. Il nous rappelle de façon impérieuse que cette construction ne peut se réduire à des documents paraphés compris des seules élites mais qu'elle doit s'incarner à travers un projet commun ambitieux dans lequel les citoyens européens se retrouvent et auquel ils peuvent adhérer. Le résultat irlandais ne doit pas mettre un terme aux réformes institutionnelles qui permettront à l'Union européenne de mieux fonctionner à vingt-sept. Bien au contraire, il nous appartient de redoubler de pédagogie vis-à-vis de l'opinion publique afin de lui rappeler tout ce que la construction européenne nous a apporté en termes de paix, de stabilité et de croissance économique partagée.
Au-delà de la question institutionnelle, il nous faut définir et mettre en oeuvre des politiques européennes visibles dans les secteurs qui intéressent le plus les citoyens européens. Les 19 et 20 juin prochains se tiendra, à Bruxelles, le dernier Conseil européen de la présidence slovène.
Le 1er juillet, la France succédera à la Slovénie et marquera ainsi son « retour en Europe comme une force de proposition et d'entraînement », selon la formule du Président de la République.
Parmi les priorités de la présidence française, je souhaite aborder plus spécifiquement trois dossiers économiques majeurs.
Le premier thème concerne la politique énergétique.
La commission des affaires économiques a constitué un groupe de travail sur le paquet « énergie climat » depuis que la Commission européenne a publié ses propositions le 23 janvier. La France veut obtenir un accord politique cette année. Les objectifs, ambitieux, comportent la réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2020, la révision du système communautaire d'échange de quotas de gaz carbonique, les biocarburants et le développement des énergies renouvelables. Ce paquet illustre le rôle exemplaire de l'Europe dans les négociations internationales sur le climat en vue de la Conférence de Copenhague en 2009. L'Union européenne devra diminuer sa consommation d'énergie et augmenter la part des énergies renouvelables.
Tout en souscrivant à la lutte contre les changements climatiques, j'insiste sur la nécessité de sauvegarder la compétitivité des entreprises européennes et de faire reconnaître au niveau communautaire la spécificité du bouquet énergétique français, particulièrement sobre en carbone grâce à la filière électronucléaire. Notre pays ne peut rester le château du nucléaire de l'Europe sans que l'allocation des quotas n'en tienne compte.
Outre le paquet « énergie climat », la présidence française abordera la sécurité énergétique de l'Union européenne, notamment dans le cadre des relations avec ses partenaires majeurs comme la Russie. Il est indispensable d'améliorer l'interconnexion entre pays européens. Des structures accessibles à divers opérateurs permettront aux consommateurs de bénéficier du meilleur prix, mais la libéralisation ne doit pas affaiblir nos opérateurs.
Le troisième paquet « énergie », présenté par la Commission européenne en septembre 2007, a fait l'objet d'une résolution sénatoriale adoptée le 3 juin. Il s'agit en particulier de la séparation patrimoniale des réseaux de production et de distribution d'énergie. Je me félicite de l'accord intervenu lors du conseil énergie du 6 juin, car ce compromis consacre la « troisième voie » prônée par la France, qui évite de démanteler nos grands groupes énergétiques.
La sécurité des approvisionnements de l'Union européenne a fait l'objet d'une mission commune d'information, créé dès 2006 et présidée par notre collègue Bruno Sido.
Le transport durable fait l'objet de l'important paquet « greening transport », que la Commission européenne doit présenter le 2 juillet. La France tentera de parvenir à une conclusion politique lors du conseil transport d'octobre, après le conseil informel des 1er et 2 septembre à la Rochelle. L'accord du 9 juin sur les émissions de gaz carbonique des voitures, intervenu entre le Président de la République et la chancelière allemande, constitue une avancée importante pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. A cet égard, je me félicite de la réunion organisée le 10 juillet sur le transport et le développement durable par notre commission et la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.
Le deuxième dossier majeur de la présidence française concerne la politique agricole commune (PAC).
Depuis que la Commission européenne a publié ses propositions, notre commission suit avec attention le bilan de santé de la PAC. Elle a constitué un groupe de travail sur ce thème, car il « ne faut pas attendre 2013 pour discuter de la réforme de la PAC », comme le Président de la République l'a rappelé le 23 février au salon de l'agriculture. Conformément aux travaux du Grenelle de l'environnement, notre commission sera très attentive à l'environnement, à l'équilibre des territoires et à la qualité alimentaire. Ces sujets seront largement abordés les 3 et 4 novembre à Bruxelles, lors de la réunion conjointe des commissions chargées de l'agriculture au sein du Parlement européen et des parlements nationaux, portant sur la PAC et la sécurité alimentaire mondiale. Le débat sur la refondation de la PAC doit intégrer une réflexion générale sur la sécurité alimentaire mondiale pour tirer les conséquences du déséquilibre alimentaire et de la hausse du prix des matières premières. En effet, l'augmentation des prix des produits de base inquiète les ménages français à faibles revenus, cependant que de nombreux pays pauvres subissent une pénurie dramatique. L'agriculture doit revenir au coeur des politiques de développement mondial. Le potentiel agricole européen peut atténuer la pénurie alimentaire. Logiquement, le conseil européen des 19 et 20 juin devrait y consacrer un volet spécifique de ses conclusions.
En outre, notre commission sera très attentive à la situation des transports et de l'agriculture, deux secteurs de premier plan en matière énergétique. Elle soutient une meilleure efficacité énergétique et plaide pour les biocarburants de deuxième génération, qui ne concurrencent pas la production alimentaire.
Le troisième grand dossier économique de la présidence française concerne les télécommunications.
La France souhaite obtenir un accord politique lors du conseil télécommunications du 27 novembre 2008. En effet, la Commission européenne a proposé, le 13 novembre 2007, un nouveau paquet « télécom » réformant le cadre réglementaire des communications électroniques. Ces propositions ont fait l'objet d'une résolution sénatoriale, à l'initiative de notre commission des affaires économiques. La présidence française devrait dégager un compromis sur la libéralisation des radiofréquences et sur la création d'un régulateur européen des télécommunications, que les États membres ont refusé lors du conseil européen du 12 juin. A cet égard, je salue le travail réalisé le 21 mai par notre collègue Pierre Hérisson. Comme lui, j'estime que la séparation fonctionnelle du réseau de l'opérateur historique ne saurait intervenir qu'en ultime ressort. La commission des affaires économiques veut combler le fossé numérique entre les villes, bien pourvues en haut débit, et l'espace rural, délaissé par les opérateurs. Elle plaidera pour l'extension du « service universel » à l'Internet haut débit ainsi qu'à la téléphonie mobile dans l'ensemble de l'Union européenne.
En conclusion, je suis euro optimiste...
M. Hubert Haenel, rapporteur. - Très bien !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. - ...quant au retour de la France sur la scène européenne, pour promouvoir une Europe dynamique, porteuse de croissance, d'emploi et de mieux-être environnemental. Représentant des collectivités territoriales, le Sénat saura y contribuer. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Robert Bret. - A la veille de la présidence française, le non cinglant du peuple irlandais, qui rend caduc le traité de Lisbonne, constitue un cuisant revers pour le Président de la République. Ainsi prend fin l'opération médiatico-politique orchestrée par l'Élysée. Ce référendum apporte aussi une réponse cinglante aux tenants de la ratification parlementaire d'un traité qui reprend la défunte constitution européenne fermement repoussée en 2005 par les peuples français et néerlandais.
Rappelez-vous : après deux ans de cogitations, un avatar de l'ex-traité constitutionnel, dénommé « mini traité » puis « traité simplifié », a été élaboré, sans consulter ni même informer les citoyens européens. Sa signature à Lisbonne, le 13 décembre 2007, a donné le signal du départ à la course de ratification. Les chefs d'État et de gouvernement s'était entendus pour contourner les peuples grâce aux ratifications parlementaires. Utiliser la démocratie représentative pour échapper à la volonté du peuple dénature le rôle du Parlement, mais les dirigeants européens ne s'en sont pas souciés, le nouveau traité devant passer coûte que coûte, à n'importe quel prix pour la démocratie. Ainsi, 26 États membres sur 27 ont organisé une ratification parlementaire. Seul le gouvernement irlandais était contraint par sa Constitution à recourir au référendum.
Les électeurs irlandais ont rejeté ce texte à 53,4 %, avec un taux de participation atteignant 53,1 %. Pour M. de Rohan, c'est une péripétie, mais pour moi, c'est un résultat sans appel ! Depuis, la cacophonie règne au sein de l'Union européenne. Le président de la Commission estime que « les ratifications qui restent à faire devraient continuer à suivre leur cours », alors que ce vote n'est pas exclusivement national car les citoyens irlandais se sont exprimés aussi au nom des peuples européens privés du droit d'affirmer leur volonté. Contrairement à ce que prétendent nos médias nationaux, les Irlandais ne sont ni des ingrats ni des ignares : en toute connaissance de cause, ils ont repoussé une Europe dévouée aux lois du marché et au patronat, dont vient de témoigner l'accord entre dirigeants européens sur la durée maximum hebdomadaire du travail. Ainsi, la durée légale restera de 48 heures par semaine au maximum, mais on pourra travailler jusqu'à 60 ou 65 heures, partout en Europe, jusqu'à atteindre la limite de résistance des travailleurs.
L'argument méprisant selon lequel 3 millions d'électeurs ne sauraient entraver la marché de 450 millions d'Européens n'est pas recevable car si les consultations populaires étaient organisées dans d'autres pays, le non l'emporterait presque partout.
En France, le déni de démocratie dont Nicolas Sarkozy s'est rendu coupable lui revient en pleine face comme un boomerang. Le ciel irlandais lui tombe sur la tête, alors que la France va assumer la présidence de l'Union. Le non irlandais est un camouflet pour lui, mais aussi un désaveu de la direction du parti socialiste, qui en prônant l'abstention au congrès de Versailles en février dernier, a facilité la tâche à la majorité. (Murmures sur les bancs socialistes)
L'entrée en vigueur du traité de Lisbonne était conditionnée à la ratification unanime par les vingt-sept membres. Chacun a en somme un droit de veto et le traité est aujourd'hui caduc. Puisque nous allons débattre cet après-midi de la réforme constitutionnelle, profitons-en pour abroger l'article 88.1 et la loi constitutionnelle de février 2008 ! La crise démocratique de l'Union européenne n'est pas résolue, le modèle actuel de construction est de plus en plus contesté. Mesurez-vous qu'il n'y a pas d'avenir pour l'Europe si vous restez sourds au message que vous adressent les peuples ? La présidence française, qui s'ouvre dans quelques jours, ne pourra se borner à prendre acte du refus irlandais. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, dans un communiqué commun, appellent à la « poursuite du processus de ratification » ! On ne pourra faire revoter les Irlandais comme on l'a fait en 2002 après le rejet du traité de Nice en juin 2001.
L'Union européenne n'a pas besoin de rafistolage et nous sommes contre une Europe à deux vitesses, comme le suggère le président Haenel.
M. Hubert Haenel, président de la délégation. - Je n'ai jamais dit cela.
M. Robert Bret. - Rompons avec les logiques libérales et proposons à nos partenaires d'organiser un débat dans tous les parlements et avec les populations. La participation active des citoyens est indispensable ! Et le non irlandais portera les promesses d'un nouvel avenir européen, pour peu que la présidence française travaille en association étroite avec ses partenaires, sans arrogance.
Les thèmes abordés au Conseil européen correspondent aux priorités de M. Sarkozy : politiques de l'immigration, de l'énergie et de l'environnement, évaluation de la PAC, défense européenne. Toutes ces politiques négligent l'intérêt des peuples et s'attirent une forte opposition.
S'agissant de la politique de l'immigration, depuis le retour de M. Berlusconi, M. Sarkozy n'est plus considéré comme un extrémiste. Le couple franco-italien, qui réclame des systèmes de contrôle plus sophistiqués, un recul du droit d'asile, une meilleure protection de l'Europe, a succédé au couple franco-allemand. Quant à nous, nous sommes totalement hostiles à une Europe forteresse mobilisant tout un arsenal militaire, juridique, technologique contre les étrangers. La proposition de directive relative aux normes et procédures applicables au retour chez eux des ressortissants de pays tiers nous préoccupe : elle relègue au second plan les droits de la personne et elle est très répressive. Encore une harmonisation par le bas... Nous avons déposé une proposition de résolution contre ce texte en 2006, hélas les protestations n'affectent en rien le déroulement des choses...
M. Hubert Haenel, président de la délégation. - C'est pour cette raison que Lisbonne est nécessaire !
M. Robert Bret. - Au contraire.
Dans la dernière version, qui sera soumise au vote du Parlement européen demain, trois points posent gravement problème : durée de détention des étrangers, détention et éloignement des mineurs isolés, interdiction de retour pendant cinq ans, à quoi il faut ajouter la possibilité d'envoyer la personne dans un pays tiers et non pas seulement son pays d'origine. Et le délai pour le départ volontaire est de sept jours seulement !
La présidence française souhaite lancer le 13 juillet l'Union pour la Méditerranée. Elle est cependant forcée de se raviser sur la portée du projet. Il ne s'agit désormais plus que de raviver un processus de Barcelone amorphe. Le budget communautaire ne participera pas à ce partenariat. En outre, ce dernier ne paraît pas à la mesure des enjeux. Le conflit israélo-palestinien fragilise toute la région et sa résolution est un préalable à tous les projets envisagés, de la dépollution au plan solaire. Sans un engagement résolu de l'Union européenne sur le terrain politique, rien n'avancera ; tout dépend de l'attitude de l'Europe. Or l'Union européenne tend à conférer à Israël un statut de quasi-membre. L'accord d'association de 2000 est en cours de révision à la hausse, Israël souhaitant une intégration politique et économique renforcée, présence aux conseils européens, participation aux programmes et aux groupes de travail... Des consultations en ce sens se déroulent en grand secret depuis un an, sans que les parlements, européens et nationaux, en soient informés. Si le projet se concrétise, la crédibilité de l'Europe dans la région serait grandement affectée. Du reste, le lancement de l'Union pour la Méditerranée le 13 juillet semble incertain ; plusieurs dirigeants arabes sont encore indécis.
En 2030, l'Europe importera 70 % de l'énergie qu'elle consommera, contre 50 % aujourd'hui. Quid de la sécurité d'approvisionnement ? Priorité a été donnée à la concurrence, au démantèlement des opérateurs historiques. Le résultat en a été l'émergence de monopoles privés. Le recours au marché spot, l'interdiction des tarifs réglementés ont poussé les prix à la hausse.
Il n'y a pas de sécurité d'approvisionnement sans maîtrise publique. Nous sommes donc satisfaits des négociations avec Moscou sur un nouveau partenariat stratégique mais celui-ci ne garantira pas la sécurité à lui seul. La politique européenne de l'énergie passe par la coopération entre les États membres, la reconnaissance du service public, le respect des engagements de Kyoto. Nous approuvons les ambitieux objectifs du nouveau paquet « énergie climat », mais la question fondamentale est celle du système de production et de son organisation. Je songe au développement des énergies propres, à la reconnaissance de la place spécifique du nucléaire. Le recours massif aux biocarburants est de plus en plus contesté : les récoltes de produits nourriciers sont réduites et le prix des denrées augmente.
Suivons le conseil de Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial de l'ONU sur le droit à l'alimentation, qui appelle à un moratoire de cinq ans sur la production de biocarburant à partir de denrées alimentaires.
J'en viens à la PAC. Elle a eu des effets pervers, en favorisant les plus grandes exploitations et en pesant sur l'agriculture du tiers-monde par le maintien d'aides aux exportations européennes. L'alimentation est un enjeu vital qui ne peut être abandonné aux lois du marché. Le 6 juin, à Rome, il n'y a pas eu consensus, seulement des promesses de dons, pour plus de 6 milliards de dollars, mais aucune résolution sur le plan structurel...
Rien n'a été décidé car il n'y a aucune coordination mondiale : à peine 4 % de l'aide publique mondiale et 1 % des prêts de la Banque mondiale y sont affectés ! Seule une Organisation mondiale de l'agriculture régulerait les prix agricoles, en évitant la spéculation qui s'est déjà emparée des prix de l'énergie. Les États doivent arrêter leurs politiques égoïstes !
S'agissant de la défense européenne, la réintégration annoncée de notre pays dans les structures de commandement militaire de l'Otan laisse peu de crédibilité à une Europe de la défense réellement autonome. Nous dénoncions déjà, dans le traité de Lisbonne, le risque d'une subordination de la politique européenne de défense à l'Otan : ce traité entretient la confusion en prônant une politique de sécurité et de défense commune qui soit strictement compatible avec l'Otan. Nous déplorons ce manque d'ambition pour l'Europe qui transparaît malheureusement, encore, dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale que le Président de la République présente aujourd'hui même aux cadres militaires.
Une politique autonome et souveraine de la défense devrait s'attaquer aux causes des tensions et des conflits : le pillage des ressources naturelles s'est aggravé avec la mondialisation, il entretient des conflits étroitement liés aux pays du nord ou encore à des pays émergents, comme la Chine. L'Europe est concernée, nous devons mettre en place d'autres rapports avec les pays du sud, dans le sens du développement durable et du développement humain.
Le référendum irlandais atteste que les peuples, lorsqu'ils en ont la possibilité, refusent la construction européenne telle qu'on la leur impose. L'Europe sera celle des peuples ou ne sera pas ! Le message adressé par les Irlandais, après celui des Français et des Néerlandais en 2005, doit être pris en considération : c'est un appel pressant pour que l'Europe devienne enfin un espace de progrès social et de solidarité, un espace promoteur de paix et de sécurité !
M. Aymeri de Montesquiou. - On avait cru l'Europe sortie de l'impasse et qu'après s'être perdue dans un débat institutionnel sans fin, elle s'était décidée à des projets concrets. La présidence française s'annonçait sous des auspices favorables. Le « non » de l'Irlande, hélas, brise cet élan d'optimisme. Certes, l'Europe, même toute couturée de cicatrices et maintes fois raccommodée, peut avancer vaille que vaille ; ce « non » traduit cependant une inquiétude qui va bien au-delà des seuls Irlandais : gageons que d'autres peuples auraient réservé le même accueil au traité de Lisbonne si on les avait interrogés ! Car les Européens se méfient des conférences au sommet, ils se sentent étrangers à la manière dont on construit l'Europe. Nous avons notre part de responsabilité ! Depuis trop longtemps, nous, responsables politiques, ne parvenons pas à faire partager les finalités de l'Europe par les peuples, à donner du sens à cette union difficile, compliquée. En France, au lieu de dire à nos concitoyens : « Voilà ce que nous pouvons faire ensemble de grand », nous leur répétons inlassablement : « Nous n'y pouvons rien » !
Cependant, l'espoir n'est pas en berne puisque plusieurs pays, en particulier la France et l'Allemagne par une déclaration commune, ont décidé de poursuivre le processus de ratification. La Grande-Bretagne semble décidée à aller jusqu'au bout, ce qui lèverait la principale hypothèque sur le traité.
Monsieur le ministre, quel est l'état d'esprit de nos partenaires à la veille du Conseil européen ? Après la visite du Président de la République en République tchèque, pensez-vous que la ratification du traité par ce pays, plutôt eurosceptique, soit acquise ? Je crois que, malgré la très forte déconvenue du « non » irlandais, il faut conserver le traité de Lisbonne parce qu'il renforce les moyens d'action de l'Europe. Il sera plus facile d'aménager des clauses pour les Irlandais que de renégocier demain un énième traité à vingt-sept.
Concernant le programme de la présidence française, pensez-vous qu'il sera encore question de discuter des attributions et des modalités de désignation des deux nouvelles autorités prévues par le traité, le président du Conseil et le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ? Le Haut représentant s'apparente à un ministre des affaires étrangères, fort du futur service européen d'action extérieure. Grâce à son appartenance à la Commission européenne, il bénéficiera de l'onction du Parlement, source de légitimité qui le rapproche du président de ce Parlement et du président de la Commission. En revanche, quelle sera la place effective du président du Conseil ? Censé être le « Monsieur Europe », il n'aura ni la légitimité démocratique ni les moyens du Haut représentant. De plus, les quatre autorités risquent de se concurrencer, ce qui nuirait à l'action commune.
Gardons à l'esprit que le traité de Lisbonne est un cadre pour que l'Union acquière une dimension politique et une présence plus volontaire dans la mondialisation. La présidence française et les suivantes devront élever le niveau d'ambition en proposant des politiques nouvelles à hauteur des défis lancés à l'Europe. Délocalisations de nos industries et de nos services, fragilité du système financier international, augmentation des flux migratoires, sécurité énergétique, développement durable, réchauffement climatique : plus que jamais, nous avons besoin de l'Europe, nous avons besoin de regrouper nos forces et nos visions communes pour protéger nos citoyens mais aussi pour construire une mondialisation plus équilibrée, plus éthique, plus respectueuse des individus. Que pouvons-nous faire sans l'Europe ?
La présidence française s'est fixé quatre priorités : la lutte contre le réchauffement climatique, l'immigration, la sécurité énergétique, la politique de défense et de sécurité.
Bien que le secteur de l'énergie soit aux origines de la construction européenne, l'Europe ne dispose toujours pas d'une politique énergétique commune. Les menaces sont pourtant là : environnementales, avec le réchauffement climatique, menaces sur l'approvisionnement puisque nous dépendons pour moitié de sources situées dans des zones politiquement instables, menaces, enfin, sur la compétitivité européenne, faute d'une recherche qui nous ferait fabriquer les produits du futur, économes en énergie et pauvres en gaz à effet de serre.
Le paquet « Énergie » de 2007 traduit un certain consensus des États membres, mais aussi leurs hésitations à mettre en place une véritable politique de l'énergie, ce qui fait qu'aucun pays ne peut compter sur une véritable solidarité des autres en matière énergétique.
L'Europe doit accroître son efficacité énergétique, diversifier et sécuriser ses sources d'approvisionnement et les itinéraires de transport. Contrairement à ce que l'on entend dire parfois, les importations d'énergie de l'Union européenne sont assez bien réparties, même pour le gaz naturel. Nous importons de Russie un quart de notre consommation en gaz naturel, ce pays a toujours honoré ses engagements depuis trente ans, même dans des périodes particulièrement troublées pour Moscou. Même si les événements récents, en Ukraine et en Belarus, donnent à craindre que la Russie utilise les exportations de gaz comme un levier politique, même si le gouvernement russe ne fait pas mystère de sa proximité avec l'équipe dirigeante de Gazprom et de son souci d'en renforcer le monopole, les contrats ont toujours été respectés. Nous devons reconnaître la fiabilité de notre fournisseur et la chance qu'a l'Europe d'avoir un voisin disposant de telles réserves. On ne peut se passer du gaz russe !
Le rapport Mandil a fait d'excellentes propositions pour rendre à l'Europe des marges de manoeuvre envers ses fournisseurs, en particulier la Russie. Monsieur le ministre, quelles suites comptez-vous lui donner ? Ce rapport constate avec raison que l'Europe, trop souvent, prétend donner des leçons à la Russie, sans s'appliquer à elle-même les règles qu'elle lui demande.
Au-delà de bons rapports avec nos amis russes, l'efficacité énergétique passe par les mesures concrètes qui nous feront atteindre l'objectif de 20 % d'émission de CO2 en moins d'ici 2020, par des actions sur la demande globale d'énergie, et encore par l'énergie nucléaire, qui est un substitut évident à l'utilisation du gaz pour produire de l'électricité. La fermeture prématurée de centrales sûres et en bon état de fonctionnement est absurde. Enfin, les énergies renouvelables ont un rôle certain à jouer, mais l'Union s'est déjà donné des objectifs très ambitieux dans ce domaine. Enfin, les faiblesses de la politique étrangère et de défense rendent plus difficile l'adoption d'actions stratégiques communes dans le domaine de l'énergie.
La politique étrangère et de défense est d'une importance capitale pour l'Europe, nous devons la hisser à hauteur de la puissance démographique et économique du continent. Toute avancée suppose de rénover l'Otan, dont les objectifs ne sont plus ceux de s'opposer à un Pacte de Varsovie disparu, et de redéfinir le partage des tâches entre l'Otan et l'Union.
Tant que nous ne l'aurons pas fait, l'Otan restera pour beaucoup un substitut confortable et moins onéreux à une défense européenne. Car la seconde condition d'une telle défense, c'est que les pays de l'Union européenne acceptent une contribution plus équilibrée à l'effort de défense, et pour certains un accroissement des crédits budgétaires. Comment la France mènera-t-elle ce dossier durant sa présidence, alors que le problème de la neutralité de certains pays n'est pas réglé ? Ne prend-on pas le risque de crisper un peu plus l'opinion publique irlandaise en prenant des initiatives en ce sens ? Je ne suis pas convaincu qu'il faille, à ce stade, concentrer nos efforts sur ce domaine.
Aux priorités affichées par le Gouvernement, je souhaiterais en ajouter deux. La première, c'est l'Europe sociale. Des avancées en matière sociale sont essentielles pour que les peuples adhèrent de nouveau au projet européen : la campagne référendaire française l'a montré. Le progrès économique n'est pas toujours synonyme de progrès social. La Commission européenne vient d'annoncer un paquet social. Certaines des mesures prévues, en faveur de la flexisécurité, de la lutte contre le travail illégal ou de l'égalité des chances, rencontrent l'assentiment de tous ; d'autres en revanche, touchant les services d'intérêt général ou le temps de travail, font apparaître des différences vives et durables. Que propose le gouvernement français ? L'adoption avant la fin de l'année d'une ou plusieurs directives en matière sociale aurait un impact symbolique très fort. La France doit tenter de convaincre les autres États membres d'augmenter leur niveau de protection sociale, et éviter que s'opposent l'Europe du Sud et les pays acquis au modèle anglo-saxon.
La seconde priorité, c'est l'avenir de la PAC, qui doit faire l'objet cette année d'un « bilan de santé ». Ce sujet prend une acuité particulière, à l'heure où un sixième de la planète a faim et que des émeutes de la faim surgissent tout autour du monde. Si la sécurité alimentaire est assurée en Europe, la question se pose du rôle de l'agriculture européenne pour l'alimentation de la planète. Au cours des derniers mois, la hausse des prix agricoles s'est poursuivie ; des pénuries alimentaires sont apparues dans certains pays ; ailleurs, afin d'éviter la pénurie, on a interdit l'exportation. Cette tendance sera durable. Le développement des agro-carburants pose également problème : ce n'est qu'un facteur marginal des hausses de prix actuelles, mais il peut y contribuer à long terme. D'ailleurs, ne cédons pas à un effet de mode ! Le bilan énergétique des agro-carburants demeure médiocre, et les résultats de ceux de deuxième génération restent incertains. Si nous poursuivons dans cette voie, il faudra utiliser des plantes à vocation énergétique plutôt qu'alimentaire. Au Brésil, pays de l'éthanol de canne, on subventionne l'essence pour qu'elle soit compétitive.
L'agriculture aura donc demain une importance stratégique. Cela devrait discréditer, une fois pour toutes, le discours selon lequel nous pourrions nous contenter en Europe d'une politique rurale au lieu d'une politique agricole, en faisant confiance au commerce international pour assurer notre approvisionnement. Cette année on dressera le bilan de santé de la politique agricole commune. Les propositions de la Commission, qui concernent, le régime de paiement unique et l'organisation des marchés, doivent aboutir à un accord en novembre, et la France doit veiller à ce que les intérêts des agriculteurs soient protégés. Mais il faut aussi poser la question de l'avenir à long terme de cette politique, pas seulement sous l'angle budgétaire. Je me réjouis qu'ait lieu sous la présidence française un débat d'orientation sur l'après 2013, dont le temps fort sera le Conseil informel consacré à l'agriculture au mois de septembre.
Un dernier mot sur la politique en faveur des PME. Ces dernières représentent 99 % du total des entreprises et assurent 75 millions d'emplois dans l'Union européenne. Or la politique de l'Union européenne pour soutenir leur développement demeure bien modeste. Les États-Unis, qui revendiquent leur libéralisme économique, n'ont pas hésité à adopter un Small Business Act d'inspiration très interventionniste. Le président Barroso a annoncé la mise en place d'un SBA européen ; il reviendra à la présidence française de traduire en actes ce projet.
La France a souvent été un moteur de la construction européenne, et elle doit aujourd'hui jouer ce rôle, sans doléances, ni brutalité, ni arrogance. Elle devra faire preuve de diplomatie et de souplesse pour éviter les conflits, et d'imagination pour les surmonter. Le résultat du référendum irlandais rend cette tâche plus délicate encore ; mais l'Europe doit continuer d'avancer. Je recourrai à la métaphore du Tour de France (sourires) : l'Europe, à la manière d'un cycliste, doit toujours rester en mouvement pour se maintenir en équilibre, mais l'histoire européenne s'apparente plus à la conquête des cols alpins qu'au tour des Flandres.
M. Hubert Haenel, président de la délégation - Elle ressemble parfois à une mêlée de rugby !
M. Aymeri de Montesquiou. - Osez, agissez, monsieur le ministre, pour que la France, à l'occasion de sa présidence, endosse le maillot jaune de l'Union. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Denis Badré. - La présidence de l'Union européenne représente pour la France une lourde responsabilité, car il lui faut relever de grands défis. Elle doit exercer sa charge au service de tous les membres de l'Union, anciens ou nouveaux, grands ou petits, qu'ils donnent le sentiment d'y croire ou non, au service surtout de tous les Européens. La présidence française qui va s'ouvrir a été minutieusement préparée ; mais la diversité des sujets ne doit pas occulter notre tâche principale : c'est de faire en sorte que l'Union européenne devienne notre affaire à tous. Car les succès et les échecs de cette présidence nous toucheront tous. C'est pourquoi je me réjouis que nous ayons aujourd'hui ce débat, qui vient à la suite des rencontres entre le Gouvernement et les délégations parlementaires pour l'Union européenne, entre vous-même, monsieur le ministre, et vos homologues européens, et entre les parlementaires nationaux et européens.
La réussite de ce projet dépendra de la manière et du ton que la France adoptera. Nous devons inscrire les politiques adoptées dans une démarche d'ensemble, cohérente et porteuse de sens. Ne pourrions-nous pas présenter les quatre priorités affichées comme autant de manières de faire progresser la paix dans le monde ? Car la condition de la paix, Paul VI le disait déjà, c'est le développement économique. Mais il faut mieux expliciter les objectifs économiques et sociaux de l'Union, afin de gagner en lisibilité et en clarté. Tous les Européens attendent de la France un nouvel élan : la construction européenne s'essouffle, bute sur des obstacles secondaires, et nous oublions les vrais enjeux. Le « non » irlandais rend particulièrement nécessaire que la France sache adopter le ton adéquat.
Il nous faut d'abord faire un effort de communication sur l'Europe. Les Européens doivent retrouver l'émerveillement devant le chemin parcouru !
M. Louis de Broissia. - Très bien !
M. Denis Badré. - Nous n'avons pas suffisamment célébré la mise en place de l'euro et l'élargissement de 2004, qui ont pourtant changé le cours de l'histoire du monde, et étaient encore des utopies il y a un quart de siècle. Admirons aussi le fait que la Slovénie, qui a exercé la présidence de l'Union au premier semestre 2008, a parfaitement joué son rôle : en 1989, le premier ministre slovène était en prison pour délit d'opinion ! Le ministre de la défense de Lituanie est né à Krasnoïarsk où ses parents étaient déportés. N'oublions pas que l'Europe, c'est d'abord les droits de l'homme, et cette Europe-là n'a pas de prix ! (M. de Broissia applaudit) Nul n'a le droit de jouer avec l'Europe.
M. Hubert Haenel, président de la délégation. - Très bien !
M. Denis Badré. - Le XXe siècle fut le siècle de tous les cauchemars, et nous revenons de loin. Continuons sur la voie ouverte par la chute du mur de Berlin !
Les gouvernements et les parlementaires nationaux et européens doivent assumer une pleine responsabilité au sujet de l'Europe. Ils doivent cesser de promouvoir leurs petits intérêts, et de rejeter sur l'Europe la responsabilité des échecs. Lorsqu'un chef d'État signe un traité européen, il doit s'engager dans la campagne référendaire pour le ratifier, et ses homologues européens doivent le soutenir. Il y a quelques jours, quelques uns d'entre nous ont eu un débat intéressant avec des collègues suédois ; vous y étiez, monsieur le président.
M. Hubert Haenel, président de la délégation. - Absolument.
M. Denis Badré. - Tous souhaitaient que leur pays rejoigne la zone euro, mais ils nous ont dit que l'opinion publique suédoise n'y était pas prête. Mais au sujet de l'Europe, il appartient aux politiques de tirer les opinions, et non de se laisser tirer par elles ! La réconciliation franco-allemande aurait-elle eu lieu si vite si on avait attendu que Français et Allemands la réclament ?
M. Hubert Haenel, président de la délégation. - Vous avez raison !
M. Denis Badré. - Les Allemands étaient-ils disposés à abandonner le mark pour l'euro ? Je n'ose imaginer le résultat de référendums sur de tels sujets. Ce n'est pas en attendant les opinions que l'on construit le monde ! Les responsables politiques nationaux doivent monter en ligne, porteurs de l'intérêt national, mais aussi de l'intérêt supérieur commun, même si c'est moins immédiatement populaire. Aujourd'hui l'Europe est minée par les égoïsmes nationaux, déguisés en « retours nets » et en « j'en veux pour mon argent ». Si nous ne savons pas redonner aux Européens le sens de l'intérêt commun, l'idée européenne mourra. Ne pouvons-nous pas convaincre les peuples que le premier intérêt, c'est l'intérêt européen ?
Ma troisième réflexion porte sur le couple franco-allemand. « Alors que nous nous apprêtons à exercer la responsabilité de la présidence de l'Union, il est, pour nous, Allemands, d'une importance décisive de lui redonner un élan durable. Seule une vigoureuse rénovation d'une relation franco-allemande qui a fait ses preuves peut permettre d'y parvenir. » Ainsi s'exprimait Richard von Weizsäcker, ancien président de la République fédérale, le 27 novembre 2006. Remplaçons « Allemands » par « Français » et faisons nôtre cette citation !
L'Alsacien, le Rhénan que je suis est convaincu qu'il n'y a pas d'avenir pour l'Union si le couple franco-allemand n'assume pas sa responsabilité particulière, si chacun ne fait pas tout pour comprendre et respecter l'autre, se faire comprendre et se mettre avec lui au service de l'Union. C'était vrai dans l'Europe des six, ça l'est davantage dans l'Union à vingt-sept. Il nous faut adresser à notre partenaire un discours univoque, direct, confiant et engagé. II ne peut plus être question entre nous d'arrière-pensées, de zones d'influence ou de leaderships. L'accord de Hanovre sur l'Union pour la Méditerranée a clos une querelle inutile. Et le climat qui régnait à Straubing comme les engagements pris sont de bon augure.
Il est bon que nous reprenions à notre compte, avec les Tchèques et les Suédois, la formule de « portage à trois » inaugurée par les Allemands avec leurs successeurs à la présidence. La crise née du vote irlandais en souligne le bien-fondé et le Président de la République s'est à juste titre rapproché immédiatement de nos amis tchèques. Alors que nous devons progresser sur le climat, l'énergie et la PAC, beaucoup des efforts déployés pour préparer notre présidence risquent d'être compromis par le vote irlandais et il est heureux que les plus hautes autorités allemandes et françaises aient choisi de réagir conjointement.
L'Europe a encore un avenir après le non irlandais, souvenons-nous du non français et néerlandais, mais sans doute était-ce une erreur de présenter le traité comme simplifié : prévoyant précisément le fonctionnement d'une Union à vingt-sept, il ne pouvait être ni concis ni simple. Sa nature le qualifiait plutôt pour un examen par voie parlementaire, qui est parfaitement démocratique. La Constitution irlandaise lui imposait d'emprunter la voie référendaire mais, dans certaines circonstances, démocratie peut rapidement rimer avec démagogie. Sur un texte complexe, le « oui » est plus difficile à défendre que le « non ». Il est tellement plus facile de détruire que de construire ! Ce n'est pas une raison pour ne pas répondre au besoin d'explications des Européens, que la présidence française doit entendre.
Nous sommes engagés dans un exercice de démocratie très exigeant... Avec ce référendum, le « non » semblait sans conséquences et le défoulement gratuit n'impliquait pas une sortie de l'Union. Deux principes démocratiques se heurtent toutefois ici. Comme tous les Européens, les Irlandais doivent pouvoir s'exprimer et rester maîtres de leur avenir, mais leur vote a des conséquences pour notre destin commun et la majorité doit aussi emporter la décision. Comment concilier ces deux fondements de la démocratie ? La ratification du traité doit constituer notre objectif incontournable : il représente un projet dans le sens de la démocratie -au nom de laquelle certains le refusent ! Nous ne pourrons aller guère plus loin avec un Conseil européen sans existence juridique alors qu'il lui faut intervenir sur des sujets aussi sensibles que les frontières, les nominations ou le budget.
Je rappelle qu'à Philadelphie la Convention américaine avait prévu que la Constitution serait adoptée si neuf des treize États appelés à se fédérer l'approuvaient. Nos exigences ont été bien plus démocratiques que celles des Américains il y a deux siècles ! La présidence française doit appeler les vingt-sept au pragmatisme et à la responsabilité. Il n'est question ni de renoncer, ni de repartir pour une énième tentative avec un nouveau texte super-simplifié. (M. Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, approuve) L'Europe y perdrait toute crédibilité.
Il est heureux que trois nouveaux États membres aient ratifié le texte au moment même où l'Irlande le rejetait et il faut mettre les Irlandais face à leurs responsabilités, tout en restant à leurs côtés, à l'écoute de leurs questions, souvent partagées par tous les Européens. Une mission peu ordinaire est confiée à la France. Elle doit trouver des ressources d'imagination et de volonté politique dans l'exemple de Schuman et Monnet, qui ont surmonté l'insurmontable et, à partir d'un champ de haines et de ruines, initié une Europe de la paix et des droits de l'homme.
Monsieur le ministre, les sénateurs du groupe UC-UDF sont à vos côtés pour que la France se mette, durant les prochains mois, au service de la vraie Europe, dont nous sommes fiers, et des Européens, dont l'attente est immense. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Didier Boulaud. - Le report du débat sur les priorités de la présidence française avait finalement tout d'un acte prémonitoire. La situation est décevante, voire inquiétante. Que comprendre du message de nos amis irlandais ? Il rappelle d'abord le manque de démocratie européenne, il exprime le sentiment qu'à partir de 2009 l'Irlande n'aurait plus eu les moyens de peser sur les décisions. Ce traité comporte pourtant des dispositions très positives pour rapprocher l'Europe de ses citoyens : renforcement du rôle du parlement européen, des parlements nationaux et du vote à la majorité qualifiée, droit de pétition des citoyens, désignation du président de la Commission européenne par le Parlement européen -pour autant que celle-ci ne soit pas ficelée par des tractations diplomatiques qui contournent la concertation démocratique.
Mais ce traité, dont le Président de la République revendique la paternité, est-il trop institutionnel et pas assez mobilisateur ? Il s'agit là d'une question parmi toutes celles qui se posent désormais. Le contexte incite à la retenue, sinon à la prudence. Je ne voudrais pas, contrairement aux déclarations du Président de la République et à la cacophonie gouvernementale, minimiser la situation. Ainsi, le Président de la République a affirmé qu'il n'était pas question de suspendre le processus de ratification du traité de Lisbonne, alors que l'Irlande n'a pas l'intention de consulter à nouveau ses citoyens. Face à des déclarations aussi divergentes le Conseil européen devra présenter un éventail de solutions. Il faut se donner le temps de la réflexion, car les conséquences de l'option retenue pourraient changer la nature de l'Union européenne, tout en rebondissant rapidement.
La présidence française devra revoir ses priorités et proposer des projets qui recueillent enfin l'adhésion des citoyens. Elle ne pourra plus se contenter de projets flous, ou de la précipitation et de l'improvisation qui ont entouré le projet d'Union pour la Méditerranée. Les déclarations sur la priorité accordée à la politique européenne de sécurité et de défense sont l'exemple même de l'effet « poudre aux yeux » qu'affectionne l'exécutif. La stratégie en a été lancée en décembre 2007 et le renforcement des capacités civiles et militaires est décidé depuis longtemps : quelles sont les propositions françaises et quels seraient les « nouveaux projets capacitaires structurants » que vous proposerez ? Nicolas Sarkozy estime que le budget de l'Union consacré à la défense devra être revu à la hausse. Étant donné l'état des finances de notre pays et les remontrances européennes à l'encontre de la gestion financière du Gouvernement, vous pouvez imaginer avec quel entrain nos partenaires vont accueillir une telle proposition...
C'est de surcroît le rendez-vous des occasions manquées d'entrée de jeu, notamment celle de réaliser un Livre blanc européen sur la défense et la sécurité ! Nicolas Sarkozy considère peut-être que l'édification d'une Europe de la défense indépendante n'est pas incompatible avec la consolidation de l'Otan. Ce pari risqué nous place à la remorque d'un allié important, qui mène des politiques que nous ne partageons pas, et que nous avons critiquées. La franchise du secrétaire national pour l'Europe de l'UMP, Alain Lamassoure, est à ce titre tout à fait rafraîchissante : « La mise en place de la défense européenne sera politiquement impossible tant que nous n'aurons pas le feu vert de Washington. Une négociation sera menée sur la réforme de l'Otan, qui ne pourra commencer que lorsqu'il y aura une nouvelle administration américaine. Il sera difficile de lancer de grandes initiatives lors de cette présidence. » Dont acte ! Il n'y a rien à espérer du deuxième semestre 2008.
Le pacte pour l'immigration paraît incongru et il ne parvient pas à masquer la volonté française de faire adopter une politique d'immigration répressive. Nous regrettons vivement que cette présidence défende la vision d'une Europe qui se replie sur elle-même en définissant les moyens d'exclure plutôt que d'inclure. La France doit résister à la tentation de transposer au niveau européen des choix nationaux, ou pire encore d'y proposer des dispositions écartées au niveau national. Une politique d'immigration ne se définit pas par une moyenne établie entre des législations et des traditions différentes.
La France et l'Allemagne se sont prononcées la semaine dernière pour l'interdiction européenne des régularisations massives d'immigrés en situation illégale. L'efficacité d'une politique d'immigration ne peut pourtant pas se mesurer à une politique du chiffre. Elle doit combiner normes communes en matière d'immigration légale, lutte contre la criminalité organisée et politique de codéveloppement. Nous aurions souhaité que la présidence française privilégie une politique européenne renforcée d'immigration légale, qui assure l'intégration sereine des migrants. Perpétuer une tradition d'accueil est, certes, une manière différente de rassurer les citoyens qui ont besoin de l'être, mais tout aussi efficace que la vôtre. Le compromis dégagé sur le projet de directive sur l'expulsion des immigrés illégaux annonce le ton du pacte pour l'immigration que vous préparez. Comment peut-on utiliser ainsi l'Europe pour faire régresser notre droit ? Cette directive vous offre le moyen de faire adopter par la suite une législation nationale moins protectrice. Pensez-vous vraiment que c'est ce qu'attendent les citoyens français ?
Mon optimisme me fait pourtant dire et croire que l'Europe peut faire tant de choses qui apporteraient une réelle valeur ajoutée à la vie quotidienne de nos concitoyens... Une des réponses à apporter à la situation actuelle, c'est le développement et le renforcement de l'Europe sociale. Or cette Europe sociale qui aurait dû être votre première priorité est totalement absente. Votre programme se résume au patronage de négociations en cours, à des conférences ou des manifestations diverses, sans véritable initiative législative. Dans ces conditions, on ne peut pas affirmer, comme Xavier Bertrand, que l'année 2008 verra le redémarrage de l'Europe sociale.
Vous ne construisez aucune véritable stratégie d'impulsion. Égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ? Mme Dati vient de s'opposer, lors de l'examen de la réforme des institutions à l'Assemblée, à l'amendement demandant son inscription dans la Constitution. Proposition de directive interdisant les discriminations fondées sur le handicap ? Il s'agit d'une initiative de la Commission européenne, vous le reconnaissez vous-même. Agenda social européen ? C'est un hasard du calendrier puisqu'il doit être mis en oeuvre en mars 2010.
Notre conception de l'Europe sociale ne consiste pas à mettre l'accent sur la lutte contre le travail illégal et les fraudes sociales. En quoi la généralisation de l'opt out britannique en matière de durée légale du travail serait un progrès pour les travailleurs, comme l'a affirmé Xavier Bertrand après l'adoption par le Conseil de la proposition de directive sur le temps de travail ?
Dire que cela ne s'appliquera pas en France, n'est-ce pas reconnaître que notre législation est plus protectrice ? Mais combien de temps encore ? Nous souhaiterions que la présidence française fût porteuse, en matière sociale, de projets qui garantissent réellement les droits des citoyens européens.
Est-ce un simple forum, comme celui que vous prévoyez pour octobre, qui permettra de traiter des services sociaux d'intérêt général ? Est-ce un simple calendrier qui permettra, comme le disait Xavier Bertrand lors de son audition devant l'Assemblée nationale, d'entamer une phase de réflexion ?
Rien n'est dit, plus généralement, sur l'élaboration d'une législation-cadre relative aux services d'intérêt général. Pas d'agenda social ambitieux, pourtant, sans avancée vers l'adoption d'une directive-cadre. La présidence française vous offre une occasion unique de donner l'impulsion politique seule à même de dépasser le refus de légiférer de la Commission européenne. Une feuille de route et un calendrier précis pour l'adoption d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général, à faire acter par le Conseil européen de décembre 2008, devraient être élaborés sans tarder.
Une occasion rare nous est aussi offerte de donner une impulsion forte à de grands projets, décisifs pour les années à venir. Comment ne pas s'étonner, dès lors, de votre silence sur la préparation de la révision des perspectives financières dont la présidence française devait être saisie ? C'est lors de cette révision que s'élaboreront les politiques européennes de demain : n'avons-nous pas besoin d'une réflexion en amont ? Pour mener des politiques plus volontaristes, l'Europe doit se doter d'un véritable budget, qui lui permette de se mobiliser au bon moment, au bon endroit et de répondre aux situations imprévues.
Je reste optimiste, car l'Europe ne s'arrête pas pour autant. Nous avons, devant nous, bien des tâches à poursuivre et de nouveaux défis à relever. Une impulsion forte, qui ne doit pas être synonyme de précipitation, mérite d'être donnée au paquet « énergie-climat », décisif pour lutter contre le réchauffement climatique. Une volonté politique commune existe, nous dit-on, de parvenir à un accord. Mais seule la date butoir fait aujourd'hui consensus. Ce n'est pourtant rien de moins que des questions comme la sécurité de l'approvisionnement énergétique, la menace de délocalisation des industries, le développement des énergies renouvelables, le débat relancé sur l'alternative nucléaire, la place des biocarburants qui sont en jeu. Un accord à tout prix risquerait de se conclure a minima autour d'un catalogue d'intentions renvoyant les vraies décisions à plus tard, comme les vingt-sept prennent trop souvent l'habitude de le faire... Un bon accord devra privilégier les mesures concrètes, rendues d'autant plus indispensables par la crise énergétique.
Mais comment mettre en oeuvre rien d'ambitieux quand aucun financement n'a été prévu par le cadre financier actuel ? A l'évidence, la crise énergétique impose une solution européenne. Alors que nous défendons le principe d'une diminution de la TVA sur les produits de première nécessité, l'essence n'en est-elle pas devenue un, tant sont nombreux les citoyens qui en dépendent pour exercer leur métier ? Nous savons pourtant qu'obtenir un accord unanime est une vraie gageure : pourquoi, dès lors, ne pas réfléchir à d'autres solutions, comme la taxation des profits pétroliers que propose le ministre des finances italien ? Car une telle décision ne serait efficace qu'à l'échelle de l'Europe.
Sur la Macédoine (« ah ! » au banc des commissions), dont les difficultés ne sont pas étrangères à la lenteur du processus conduisant à l'ouverture de négociations d'adhésion, l'Union européenne serait bien avisée de sortir de l'ambigüité. Il serait bon que la présidence française prenne attentivement en charge cette candidature et mette tout son poids dans la balance pour parvenir à un accord bilatéral entre la Grèce et la Macédoine sur le sujet futile du nom et obtienne que le Conseil européen de décembre 2008 engage enfin les négociations d'adhésion. La Grèce vient, hélas, de réitérer son opposition à l'ouverture de négociations. Mais peut-elle elle-même se prévaloir d'avoir été exemplaire lors de son entrée dans l'Union ? Le Conseil européen de cette semaine sera l'occasion d'une première concertation.
Je comprends, en un sens, le mot du Président de la République, annonçant, trois ans après le « non » des Français au traité constitutionnel, « le retour de la France en Europe ». Le rejet des traités n'est, au bout du compte, jamais positif pour un pays, exclu par là du cercle de confiance des partenaires européens, et il est inquiétant que les Irlandais aient vu dans leur « non » le seul moyen de peser sur les décisions européennes.
Ironie du sort : c'est la France qui doit désormais aider l'Europe à sortir de la crise qui s'ouvre. Elle ne marquera son retour en Europe que si elle sait déployer une réelle capacité de mobilisation et de conciliation, faite d'un savant dosage de célérité et de patience, pour trouver une solution.
Nous espérons que l'ampleur du défi n'empêchera pas la concrétisation de projets qui répondent aux souhaits des citoyens européens. Ce sont eux qu'il faut convaincre du bien-fondé de l'Europe, pas nous. Faites en sorte qu'elle se consacre aussi à leur vie quotidienne, à leurs besoins immédiats.
Des résultats concrets seront indispensables. Nous sommes prêts à soutenir une stratégie constructive. Quelles sont, monsieur le ministre, vos pistes de relance et quelles priorités assignerez-vous désormais à la présidence française ? J'ose espérer que vous reviendrez devant notre Assemblée...
M. Hubert Haenel, président de la délégation. - Bien sûr !
M. Didier Boulaud. - ... non pas en décembre, à la fin de la présidence française, mais à mi-parcours de son exercice, afin de rendre compte à la représentation nationale des actions et démarches que vous aurez entreprises, au nom de l'Europe, pour son bien et celui de ses citoyens qui, ne l'oublions pas, auront l'occasion d'un nouveau rendez vous démocratique avec elle, lors des élections européennes de juin 2009. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)
M. Robert del Picchia. - Il n'est pas permis d'oublier le référendum irlandais. Soit. C'est un « non » sans appel. Les Irlandais, en rejetant le traité de Lisbonne, ont pris leurs responsabilités. Je souhaite, au nom du groupe UMP, que ce résultat ne remette pas en cause les priorités de la présidence française de l'Union. Nous devons, au contraire, nous concentrer sur les objectifs concrets que nous avions fixés et travailler à les atteindre. Nous devons montrer, en ne renonçant pas à nos priorités, que, malgré le vote irlandais, la construction européenne avance. Paradoxalement, il s'agit d'une véritable opportunité pour la future présidence : un appel à faire plus et mieux, à travailler encore plus. Montrons aux citoyens que l'Union peut répondre à leurs préoccupations quotidiennes, et d'abord en les protégeant C'est le souhait du Président de la République et nous le partageons.
Sur le problème des institutions, qui reste entier, le Conseil des 19 et 20 juin devrait permettre de dégager des grandes lignes, notamment, nous le souhaitons fermement, la poursuite du processus de ratification du traité. Nous sommes investis, pour les six mois à venir, de la lourde responsabilité de la relance et de l'approfondissement. Nous devons l'envisager avec gravité. La France devra convaincre nos partenaires de la pertinence de ses priorités et de la justesse de ses choix, cela sans arrogance et avec le souci de concilier les avis des autres pays membres, notamment de l'Allemagne. Le couple franco-allemand a retrouvé, depuis quelques mois, sa vitalité et il faut s'en féliciter. Cet axe majeur de notre diplomatie est devenu, au coeur de l'Europe, une réalité incontournable : son affaiblissement ne peut jamais être compensé. (M. le président de la délégation approuve)
Nous approuvons, monsieur le ministre, les grandes lignes directrices que vous nous avez présentées. Vous prônez une présidence citoyenne, nous vous suivons. Les Français se méfient d'un monde qui leur fait un peu peur : ils mettent tous leurs espoirs dans l'Europe, qu'ils croient capable de maîtriser des évolutions globales qu'ils ont le sentiment de subir. Pour eux, l'énergie est aujourd'hui une priorité, qu'aiguise l'augmentation des prix. La question de la sécurité de nos approvisionnements doit être soulevée, en même temps que celle de la promotion du nucléaire pour lutter contre le réchauffement climatique. La politique européenne de l'énergie lui est liée. Nous voulons une Europe du développement durable et de l'innovation. Dans l'élan de son Grenelle de l'environnement, la France peut faire de l'Union européenne un exemple mondial en matière de protection de l'environnement.
Autre priorité à laquelle nous souscrivons volontiers, la maîtrise des flux migratoires. Même si 80 % des flux ne concernent que cinq pays, dont le nôtre, toute l'Europe est soumise à des tensions démographiques importantes. Il est donc nécessaire de coordonner les actions des États membres et d'assurer la cohérence de ces actions avec les politiques communautaires ; de voir dans quelle mesure nos politiques de traitement des demandes d'asile, d'accueil et d'intégration, mais aussi nos actions concrètes en matière de lutte contre l'immigration illégale et de développement solidaire peuvent être mieux harmonisées. La collaboration avec les pays du Sud doit être une priorité. La création d'un pacte européen sur l'immigration, brillamment défendue par M. Hortefeux, n'impose aucun transfert de souveraineté. Bref, protéger les frontières extérieures de l'Union, organiser l'immigration légale et mettre en place une politique commune de l'asile nous semble des objectifs de bon sens.
Nous travaillons à l'Europe de la défense depuis les années 1990. Les Européens doivent avoir les moyens militaires de leurs ambitions politiques. La PESD permettra de répondre à cette exigence. L'édification d'une Europe de la défense n'est pas incompatible avec l'Otan : l'une et l'autre sont complémentaires, comme le montre le nombre croissant de crises qui donnent lieu à un déploiement conjoint. N'oublions pas, de surcroît, que vingt et un des vingt et un alliés de l'Otan sont membres de l'Union européenne et que vingt et un, sur les vingt-sept membres de l'Union, sont membres de l'Otan.
L'Union pour la Méditerranée nous semble une excellente initiative ; son élargissement est une bonne chose ; ses objectifs nous semblent réalisables.
Enfin, la France doit lancer des réflexions sur le réexamen des politiques européennes et de leur financement après 2013, en particulier sur la politique agricole commune. Il faut éviter en effet que le débat agricole soit submergé par celui des perspectives financières 2013-2020. L'augmentation des prix agricoles pourrait être à cet égard un atout pour préparer l'avenir de la PAC.
Malgré les difficultés, la présidence française est une chance pour notre pays d'assurer son « retour en Europe ». Elle nous offre l'opportunité de rassembler en mobilisant les énergies. Le processus de ratification doit se poursuivre : le traité de Lisbonne n'est pas mort. Il faudra une forte volonté politique conjuguée à une forte adhésion des sociétés civiles et des opinions publiques. Comme l'a dit M. de Rohan, alors que les pays de l'Est, hors de l'Union européenne, rêvent d'Europe, l'Irlande, après son « non », risque de connaître un réveil difficile. (Applaudissements à droite.)
M. Hubert Haenel, président de la délégation. - Comme la France.
M. Robert del Picchia. - À nous de l'aider à revenir à la lucidité. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Le projet d'Union pour la Méditerranée sera-t-il l'un des points forts de la présidence française ? Nous souhaitons la réussite de projets pragmatiques menés avec persévérance dans cette partie du monde, mais la méthode nous inquiète. L'unilatéralisme de la France a suscité la méfiance générale des Européens, le scepticisme, voire le rejet violent des chefs d'État du Sud, où les peuples demeurent bâillonnés.
Aujourd'hui, le projet d'Union pour la Méditerranée ne se réduit-il pas à une relance à grand spectacle du processus de Barcelone alors qu'il pourrait être porteur d'espoir ? Pour cela, il faudrait que les causes qui ont provoqué l'échec de ce processus aient été analysées et qu'on y ait remédié. C'est loin d'être le cas : les pays que nous prétendons rassembler dans un projet commun sont trop divisés à l'intérieur d'eux-mêmes et entre eux, leurs intérêts divergent trop d'avec les nôtres, nous sommes trop divisés nous-mêmes pour qu'une instance supplémentaire réussisse ce qui a échoué avec Barcelone, alors que les circonstances sont beaucoup moins favorables qu'au lendemain des accords d'Oslo.
Comment inspirer confiance à la fois aux autocrates et aux peuples dont ils contrarient l'aspiration à une réelle citoyenneté ? Nos ambiguïtés diplomatiques ont un coût. Comment convaincre l'innombrable jeunesse de la rive sud que nous voulons établir des relations d'égalité et de parité avec leurs pays au moment même où l'Union européenne élabore des moyens juridiques communs pour leur fermer ses portes ?
Notre crédibilité est aussi atteinte par notre refus de regarder la réalité en face : comment réunir dans le même projet l'Algérie et le Maroc, opposés sur le Sahara occidental et incapables de s'entendre sur le tracé de leur frontière ? Comment faire travailler sur des projets communs Chypre et la Turquie ? Le Liban et la Syrie ? Comment faire accroire à la Turquie que ce projet n'est pas un moyen de dissoudre sa demande d'adhésion dans un vague ensemble méditerranéen ?
Comment enfin réunir les Palestiniens avec les Israéliens alors que la colonisation accélérée de la Cisjordanie et le siège de Gaza ruinent toute illusion de paix, même dans l'esprit de Condoleezza Rice ? Nous sommes là au coeur de l'échec de Barcelone. Et voilà que l'Union européenne, à la veille de la présidence française, annonce ce qui se tramait secrètement depuis plusieurs mois : l'approfondissement du partenariat Union Européenne-Israël, c'est-à-dire un statut de quasi membre de l'Union pour ce pays, sans qu'aucune des conditions exigées ne soit remplie : respect des conventions internationales dans les territoires palestiniens occupés, respect des résolutions de l'ONU, respect de la feuille de route. Avons-nous oublié les exigences auxquelles l'Union soumet les nations qui veulent adhérer, aussi bien en ce qui concerne leurs relations avec leurs voisins que le traitement de leurs minorités ?
La France qui s'apprête à présider l'Union devra cesser de prendre des initiatives diplomatiques désordonnées, incompréhensibles pour ses partenaires et qui nous valent bien des inimitiés. Un jour tel dirigeant est placé au banc d'infamie, le lendemain il est invité dans la tribune d'honneur du 14 juillet. Que peut-on y comprendre ? Nous réunissons à Paris la conférence des donateurs d'Annapolis mais nous acceptons toutes les entraves mises par Israël à la réalisation des projets à financer. Nous condamnons la colonisation de la Cisjordanie mais nous laissons nos entreprises y prêter la main !
Tout cela est incohérent et contre-productif. Alors, pendant sa présidence, nous souhaitons que la France contribue à faire prendre des positions claires, cohérentes et compréhensibles par tous, à commencer par les peuples de l'Union.
Pour le conflit palestino-israélien, les solutions sont connues de tous et depuis longtemps. Il faut les mettre en oeuvre pour libérer les Palestiniens de l'oppression et assurer la pérennité de l'État d'Israël. Il faut les mettre en oeuvre pour tarir une des sources du ressentiment des peuples arabes et des musulmans envers l'Occident, pour rendre possibles des progrès politiques dans le bassin méditerranéen et éloigner une menace qui pèse sur notre sécurité. Or ce n'est certainement pas en se privant volontairement de toute capacité d'influence, par le renforcement de ses liens avec Israël, sans exiger en contrepartie de cet État le respect d'aucune de ses obligations, que l'Union européenne y parviendra.
Ce que nous attendons de la présidence française, ce n'est pas une intervention miraculeuse de l'Union face à tous les risques écologiques, économiques, politiques qui pèsent sur la Méditerranée, c'est une prise de position courageuse de notre pays pour qu'une voix, au moins, s'élève au service de la paix : il faut clairement faire entendre à Israël qu'après avoir gagné la guerre, il lui faut aujourd'hui gagner la paix, et que c'est le préalable à tout partenariat renforcé avec l'Union européenne. Sans cela, l'idée de l'Union pour la Méditerranée ne sera qu'un feu d'artifice suivi d'effroyables explosions meurtrières. (Mme Alima Boumediene-Thiery et M. André Boyer : « très bien ! »).
M. Louis de Broissia. - Quelques jours après le « non » irlandais, le prochain Conseil européen prend une nouvelle tournure. Il s'agit maintenant de rendre l'Europe démocratique et plus proche de nos concitoyens. Monsieur Bret, décrire l'Europe comme un croquemitaine, alors qu'elle a mis fin aux guerres et à la sauvagerie, à l'horreur, à la barbarie, c'est un contresens que nous ne saurions commettre ici !
Je ne traiterai que des actuels travaux entrepris à l'échelle européenne et initiés par la France, pour libérer pleinement le potentiel des PME. Depuis maintenant plus de trois ans, je m'intéresse au sein de notre délégation à la question d'un « Small Business Act » à l'européenne. Malgré une popularité limitée à ses débuts, l'idée d'un tel SBA a fait son chemin auprès des instances européennes, notamment grâce au soutien vigoureux du gouvernement français et particulièrement de Christine Lagarde, alors ministre déléguée au commerce extérieur. Aujourd'hui la Commission européenne, reprenant cette idée, a lancé la procédure législative visant à instaurer un « Small Business Act européen ».
A l'origine, c'était une loi américaine de 1953 qui, en pleine guerre de Corée, a créé la « Small Business Administration », agence fédérale indépendante dont le mandat est de conseiller et défendre les intérêts des PME et faciliter leur accès au capital privé. C'était l'époque des entreprises logées dans des garages, dans la Silicon Valley...
Alors que nos travaux ne se concentraient initialement que sur la transposition de cette mesure en droit français, puis au niveau européen, nous avons très vite élargi notre projet. Une clause réservataire sur le modèle américain imposait une renégociation de l'accord sur les marchés publics de l'OMC. Or, en dépit d'un engagement sans faille du gouvernement français, aucune position commune n'a encore pu être trouvée en Europe, certains États membres restant attachés à une philosophie d'ouverture maximale des marchés.
Si le Gouvernement continue de défendre sa proposition de réciprocité avec les États-Unis pour l'accès aux marchés publics des PME, il n'en oublie pas pour autant les autres mesures en faveur des PME, qui devraient faciliter un accord au niveau européen et il faut saluer la persévérance française qui n'est sans doute pas étrangère à l'annonce officielle de la mise en place prochaine d'un « Small Business Act européen » par le président de la Commission européenne en octobre dernier. Cela prouve, une fois de plus, que, comme disait le général de Gaulle, « là où il y a une volonté, il y a un chemin ».
Depuis, une grande consultation a été lancée par la Commission, consultation à laquelle ont été associés les gouvernements des États membres et les représentants des PME. Les premières conclusions sorties à la fin du mois d'avril constitueront le socle de la proposition de la Commission en vue d'« un SBA européen » qui devrait être l'évènement de ces prochains jours. La France a fait parvenir ses conclusions dès l'annonce de la consultation, s'inspirant des travaux déjà menés par Christine Lagarde, par les parlementaires et par Lionel Stoléru dont le rapport commandé par le Président de la République était l'une des clefs de voûte.
A l'occasion de la présidence française, je souhaite que ce « Small Business Act européen » devienne enfin une réalité et, à titre personnel, je suis particulièrement attaché à certaines mesures de simplification et de clarification du statut des PME qui amélioreraient leur financement et leur accès aux marchés privés et publics. A titre d'exemple, voici quelques objectifs d'amélioration de l'environnement des PME auxquels la Commission européenne est ouverte : la promotion de l'esprit d'entreprise, la simplification de l'accès à la mobilité professionnelle, l'adoption du brevet communautaire, l'aide aux entreprises dans leurs démarches, l'allégement des contraintes administratives, l'harmonisation de l'impôt sur les sociétés, la création d'un fonds de garantie destiné aux PME.
Il faut également donner la priorité à la croissance de ces PME. Les entreprises de taille intermédiaires -de 250 à 2 000 salariés- manquent cruellement en France et en Europe. Il faut donc concentrer nos efforts sur les effets de seuils ; la Commission nous a fait part de son soutien sur ce sujet.
Il est aussi indispensable d'aider plus particulièrement les PME innovantes, appelées à gagner des parts de marché. Le projet de loi de modernisation de l'économie fait un premier pas audacieux en proposant, dans son article 7, un traitement préférentiel de ces entreprises dans la passation des marchés publics.
Grâce à la volonté française, une nouvelle page est en train de s'écrire pour la compétitivité des PME et, à quelques jours de la présidence française, je souhaite le succès de ce « Small Business Act européen ». (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Une directive, validée le 5 juin par les vingt-sept ministres de l'intérieur de l'Union, doit être discutée demain au Parlement européen. Ce texte, dit « directive retour », instaure des règles communes pour le traitement des étrangers, en situation irrégulière, quels que soient leur situation spécifique, leur temps de séjour, leur situation de travail, leurs liens familiaux, leur volonté et le succès de leur intégration.
Si cette directive garantit des droits à des personnes qui en étaient dépourvues, dans certains États de l'Union, ce texte durcit encore les conditions de détention et d'expulsion des migrants sans papiers. Non seulement, ils seront tous « éloignés », selon les termes si politiquement corrects de ce texte, mais, en plus, on prévoit la possibilité de les maintenir en détention jusqu'à dix-huit mois, avant de les expulser. En outre, ce texte systématise l'interdiction du territoire de l'Union pendant cinq ans pour les personnes expulsées, ce qui revient à les exclure et à les criminaliser, en créant, dans le champ juridique européen, une véritable procédure de bannissement.
Cette « directive retour » prévoit également la détention et l'éloignement des personnes vulnérables -femmes enceintes, personnes âgées, victimes de torture- et des mineurs, qu'ils soient ou non accompagnés, au mépris du respect de l'intérêt supérieur de l'enfant. Ces étrangers en situation irrégulière seraient renvoyés vers les pays par lesquels ils n'ont fait que transiter. Plus grave encore, le texte permet la détention et l'expulsion forcée des mineurs isolés vers un pays tiers, où ils n'ont ni famille, ni tuteur légal. Enfin, le texte supprime l'obligation pour les États de fournir l'aide juridictionnelle gratuite.
Autant dire que cette directive viole un certain nombre de droits et principes de grandes conventions internationales dont la France est signataire, notamment le droit pour tous de chercher asile et protection. On nous dit qu'elle est le fruit d'un compromis, qui fut long à obtenir, entre les vingt-sept et qu'elle offre de nouvelles garanties et des droits à des personnes qui en étaient privées dans certains États. Mais est-ce une raison suffisante pour généraliser des procédures d'enfermement, de bannissement et d'expulsion des personnes sans papiers dans toute l'Union européenne ?
Nous savons tous que ce n'est jamais de bon coeur que les hommes et les femmes partent en exil. Ils ont souvent été obligés de quitter leur pays et leur famille pour fuir la misère, les déficits économiques qui vont souvent de pair avec les déficits démocratiques. En Europe, ils contribuent à la prospérité et la richesse de nos pays. Ils occupent des emplois dans le bâtiment, dans les services aux personnes, dans les hôpitaux, dans les restaurants, des emplois que ne peuvent pas ou ne veulent pas occuper nos concitoyens. Ils paient des impôts et participent au financement des retraites et des caisses sociales, dont ils ne bénéficient que très rarement en raison de l'irrégularité de leur séjour. Ils contribuent également au dynamisme démographique de notre société. Ils aident à maintenir la relation entre actifs et inactifs, garante de la cohésion sociale et du dynamisme du marché interne face aux défis démographiques et financiers.
Or, depuis plusieurs années, l'Union européenne adopte des politiques toujours plus fermes et plus répressives en matière d'immigration et d'asile. Pourquoi ? Pour susciter la peur et trouver des boucs émissaires à notre incapacité à résoudre nos problèmes de société ? Ce projet de directive préfigure l'installation d'un modèle européen qui criminalise les étrangers sans papiers et les demandeurs d'asile, qui organise leur enfermement et qui risque d'engendrer de nouveaux malheurs dont l'Europe portera la responsabilité. Tout cela va à l'encontre de l'image que l'Union tente d'exporter, celle d'un continent phare qui éclaire le monde de ses droits et de ses libertés fondamentales, et qui accueille les victimes. Il n'en va donc pas seulement de la vie de ces migrants, qui se trouvent humiliés et criminalisés, parfois persécutés à leur retour au pays, mais aussi de l'image de l'Union européenne.
Je regrette que notre politique d'immigration et d'asile se contente d'un volet répressif et rétrograde, en complète contradiction avec nos principes fondateurs. M. Sarkozy déclarait lors de sa campagne électorale, le 18 mars 2007 : « Je veux être le Président d'une France qui se sente solidaire de tous les proscrits, de tous les enfants qui souffrent, de toutes les femmes martyrisées, de tous ceux qui sont menacés de mort par les dictatures et par les fanatismes. Je ne passerai jamais sous silence les atteintes aux droits de l'homme au nom de nos intérêts économiques. Je défendrai les droits de l'homme partout où ils sont méconnus ou menacés. » (On approuve sur les bancs UMP) Je prends acte de ces paroles et j'espère que le Président de la République s'en souviendra et s'opposera avec force et vigueur à cette directive de la honte.
Les droits fondamentaux sont universels. Ils ne peuvent pas s'arrêter aux frontières de l'Europe, ni ne s'appliquer qu'aux seuls citoyens européens. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. - Je vous remercie pour ce très riche débat. Nos ambitions étaient déjà très grandes, vous en avez encore complété la liste ! Je remercie tous ceux qui ont encouragé à poursuivre la ratification du traité et qui ont évoqué des questions aussi importantes que l'énergie, la politique agricole commune, l'immigration, les PME. C'est bien ce qu'on attend de l'Europe, dont nous devons faire en sorte qu'elle soit positive, comme l'a bien dit M. de Broissia.
Non, nous ne souhaitons certainement pas « forcer la main » de l'Irlande. Nous ne serions d'ailleurs pas les mieux placés pour le faire ! (Sourires) Un nouveau traité ? Cela ne paraît pas réaliste. L'idée de lancer un « noyau dur » ne nous paraît pas non plus très bonne. L'Irlande ne souhaite pas être marginalisée. Nous sommes tous d'accord pour poursuivre le processus de ratification, après quoi les Irlandais nous présenteront leurs propositions et les décisions politiques importantes qu'ils auront à prendre. Vous ne pouvez pas dire, monsieur Boulaud, qu'il y aurait, là-dessus, cacophonie gouvernementale.
On ne peut non plus, monsieur Bret, présenter ce référendum comme une « réplique cinglante » à M. Sarkozy. C'est tout de même lui qui a remis la France en position de moteur sur la scène européenne. Où en serions-nous si nous n'avions rien fait sur ce dossier ? Tous les candidats à la présidentielle s'accordaient sur la nécessité d'agir et ne divergeaient que sur les modalités de ratification. Enfin, il ne faut pas stigmatiser les Irlandais qui ne sont ni des ingrats ni des ignares ; les Tchèques ne sont pas contre un consensus, ils l'ont dit, même si un débat interne peut avoir lieu et M. Brown s'est engagé à poursuivre le processus de ratification au Royaume-Uni. Comme l'a dit M. Badré, nous devons faire jouer nos complémentarités.
L'expérience récente l'a montré : la politique européenne de sécurité et de défense dépend bien plus de la volonté politique que du cadre institutionnel. Celui-ci existe, celle-là pas toujours. Remarquez que l'opération européenne la plus importante, celle qui est menée au Tchad, au Soudan et en République centrafricaine, est commandée par un général irlandais, dont le pays est le deuxième contributeur... Les coopérations permanentes non plus ne remettent pas en cause le statut de neutralité. L'Autriche participe comme l'Irlande à l'Eufor, et la Suède est, avec la France, le seul pays à avoir participé à toutes les opérations européennes de défense. Nous devons continuer à discuter avec nos partenaires neutres.
M. Valade a posé de très importantes questions sur la propriété intellectuelle. Oui, le brevet européen sera bien à l'ordre du jour. Nous avons élaboré un accord sur la contrefaçon, avec le Japon et les États-Unis en tenant compte des susceptibilités de chacun sur la question des langues. Nous discutons avec l'Espagne et l'Allemagne. Il faudra agir de façon très ciblée. La riposte graduée ne peut être imposée, elle doit être négociée avec les fournisseurs d'accès à Internet, à la suite du rapport Olivennes. Je remercie M. Toubon pour son action au Parlement européen. Le paquet « télécom » sera traité lors d'une réunion informelle des ministres compétents ; nous espérons avancer avec la contribution de la commission sur les droits d'auteur, avec la réduction de la durée des droits voisins. Nous sommes très prudents sur l'opérateur unique, monsieur Emorine : il faudra une certaine libéralisation avec une extension du service universel pour les opérateurs Internet et le haut débit.
Nous souhaitons poser le problème du sport, même si la suspension du traité prive de base juridique toute action commune ; un mémorandum est sur la table, grâce aux Néerlandais. Il faudra effectivement encadrer la profession d'agent de joueur qui est la seule à ne pas l'être au plan européen. Nous en parlerons le 12 juillet. La question du 6+5 est très délicate, M. Valade ne l'ignore pas, lui que je sais supporter fervent d'un certain club...(Sourires) Nous cherchons à avancer.
M. Emorine a raison de vouloir concilier le paquet « énergie » avec la compétitivité des entreprises. A juste titre, il tient à inclure les importations dans le partage des quotas, pour combattre les délocalisations. Ce sera un thème majeur de la présidence française.
De même, nous voulons développer l'interconnexion est-ouest en matière énergétique.
Monsieur de Montesquiou, nous voulons mettre en oeuvre le rapport Mandil quant à la coopération avec la Russie. Il faut respecter un équilibre entre l'énergie nucléaire et l'utilisation de ressources renouvelables.
A propos de la PAC, nous mettons l'accent sur la qualité alimentaire, l'équilibre des territoires et la sécurité alimentaire mondiale. La France a proposé lors de la réunion de la FAO un partenariat pour l'alimentation et l'agriculture.
Monsieur Bret, l'accord sur le temps de travail conforte la protection des travailleurs, puisqu'on pouvait auparavant travailler jusqu'à 78 heures par semaine en Grande-Bretagne. En outre, le recours à l'opt out est strictement encadré au-delà de 48 heures. Enfin, cet accord introduit une protection pour les travailleurs intérimaires. Malgré ses insuffisances, la décision du Conseil marque donc un progrès, dont je souligne qu'il n'allonge pas la durée légale du travail en France.
Messieurs Bret et Boulaud, le pacte sur l'immigration n'a pas pour priorité de combattre les résidents illégaux. L'Europe, quelle que soit la sensibilité des gouvernements, de droite ou de gauche, est convaincue de la nécessité de réguler les flux migratoires, mais le Conseil n'a pas examiné l'ensemble du problème, alors que le pacte traite de tous les volets de l'immigration, en incluant les motivations économiques, l'asile et le développement.
La directive « retour » ne fixe que des standards minimaux, sans porter atteinte aux garanties existantes. Certes, on peut regretter l'insuffisance de ces standards, qui seront examinés demain par le Parlement européen, mais je souligne qu'un progrès modeste est préférable à l'immobilisme. Privilégier le retour volontaire est une bonne chose. Aujourd'hui, certains pays ne disposent d'aucune réglementation en la matière, sept États membres connaissant même une durée de rétention illimitée ! Elle sera désormais plafonnée, ce qui n'empêche pas la France de maintenir son délai de trente-deux jours, le plus bas d'Europe.
J'ajoute que la directive « retour » n'est pas incluse dans le pacte, celui-ci insistant sur l'intégration des immigrés dans l'Union européenne, car nous connaissons un déficit démographique.
Monsieur de Montesquiou, monsieur Boulaud, la politique sociale sera une composante majeure de la présidence française. Nous recherchons un large accord pour le retour à l'emploi et la lutte contre toutes les formes de pauvreté.
MM. de Broissia et de Montesquiou ont raison de souhaiter un traitement préférentiel en faveur des PME. Chacun désormais souhaite un « Small Business Act ». L'accord obtenu avec les Allemands la semaine dernière va en ce sens.
J'en viens à l'élargissement. La présidence française accordera une attention particulière à l'ex-république yougoslave de Macédoine, bien qu'il soit trop tôt pour dire si ce pays, candidat depuis 2005, peut ouvrir des négociations. L'Union européenne doit continuer son soutien à l'Arym pour qu'elle assure sa stabilité dans le contexte nouveau créé par l'indépendance du Kosovo. Nous appelons la Grèce et l'Arym à trouver un compromis acceptable sur le nom de cet État.
L'approche des élections européennes et la fin du mandat de la Commission ne sont pas propices à l'engagement de discussions sur les perspectives financières au-delà de 2013, les contacts que j'ai eus avec les groupes du Parlement européen m'en ont convaincu.
J'en viens aux relations avec Israël, qui ne peuvent être dissociées du contexte politique régional. Favorable au processus de paix, l'Europe s'inquiète vivement de la poursuite de la colonisation. Dans ces conditions, il ne peut y avoir d'accord politique avec Israël.
Madame Cerisier ben-Guiga, le processus de Barcelone était paralysé, victime du conflit israélo-palestinien, de la bureaucratie, de la faible attention accordée au Sud et de l'insuffisance des financements. A l'inverse, l'Union pour la Méditerranée introduit une gouvernance partagée entre le Nord et le Sud, une approche par projet de coopération et des financements variés, notamment par des pays tiers ou des partenariats public-privé. Il est logique d'y convier tous les pays riverains de la Méditerranée. S'il fallait attendre l'adoption générale de standards démocratiques comparables aux nôtres, cette Union ne serait pas près de voir le jour, et surtout pas le 13 juillet !
Y a-t-il une contradiction dans nos positions ? Nullement. Dans le contexte créé par le dialogue noué entre Israël et la Syrie à propos du Golan, et par l'élection d'un nouveau Président de la République du Liban, il est souhaitable d'associer ces pays riverains au sommet des 12 et 13 juillet. Tous seront invités le 14 juillet, l'invité d'honneur étant le secrétaire général de l'ONU, M. Ban Ki-moon. Il y a là un symbole majeur de paix, rehaussé par la présence simultanée d'Israël, de la Syrie et du Liban, tandis que défileront les troupes des Nations Unies.
M. Hubert Haenel, président de la délégation. - Très bien !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. - L'accord stratégique franco-allemand est plus que jamais nécessaire, mais ce couple doit être ouvert à d'autres partenaires. L'Europe à vingt-sept conserve son attractivité. D'ailleurs, le non irlandais ne met pas en cause l'Union, qui reste un gage de paix et de développement. Pour relancer ce qui doit l'être, la création du groupe de travail -de neuf à douze membres- sur l'avenir de l'Union, que nous avions demandé au Conseil européen de décembre, est d'une brûlante actualité. Le projet européen subit une contradiction entre la stratégie suivie à moyen terme et les aspirations à court terme des citoyens. Il faut donc plus de politique, plus de démocratie, plus de réactivité et de politiques communes. Nous ne devons pas avoir honte d'avoir créé la première union des peuples fondée sur le droit, la démocratie, le développement et les droits de l'homme ! (Applaudissements au centre et à droite)
Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée et distribuée.
La séance est suspendue à 13 h 15.
présidence de M. Christian Poncelet
La séance reprend à 16 heures.