Santé au travail des salariés et risques professionnels (Proposition de loi)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à améliorer la santé au travail des salariés et à prévenir les risques professionnels auxquels ils sont exposés, présentée par Mme Michelle Demessine et les membres du groupe CRC.
Discussion générale
Mme Michelle Demessine, auteur de la proposition de loi. - Cette proposition impose solennité, gravité même, car les victimes, tombées prématurément, sont au coeur de ce débat. Voici les veuves courage de Dunkerque, qui envisagent de reprendre leur marche en ce début d'année 2008 parce que justice est loin d'être rendue ; voici les salariés d'Alstom, d'Eternit, des chantiers navals et de tant d'autres entreprises, qui combattent, malades, angoissés, en souffrance, pour la reconnaissance et la prévention de leur maladie professionnelle. Émotion, donc, et reconnaissance, mais aussi effroi en pensant aux quatre cents hommes et femmes qui se suicident chaque année sur leur lieu de travail, aux quatre cents familles anéanties par des formes inacceptables de pénibilité qui vident la vie de toute perspective, ainsi qu'à toutes les personnes exposées à la précarité ou que l'intérim et la sous-traitance excluent de la prévention, et aux vingt cinq mille victimes d'un cancer non reconnu maladie professionnelle condamnées à l'indignité de l'oubli.
Cette liste est déjà longue mais pas exhaustive ; elle pointe les conséquences du libéralisme économique, que nul en France ou dans le monde ne peut ignorer.
Les considérations partisanes ne sont plus de mise devant le drame de l'amiante et la mission d'information du Sénat a souligné la responsabilité irréfutable du lobby de l'amiante. Les pouvoirs publics n'ont pas été à la hauteur d'un drame qui aura fait cent mille victimes d'ici 2025. Nous le savons et nous savons également qu'on aurait pu limiter son ampleur voire le conjurer. De quelles avancées pouvons-nous nous prévaloir aux yeux des victimes, de ceux qui produisent l'essentiel de la richesse nationale ?
Je ne me range pas du côté de ceux qui font avec quiétude rimer modernité et progrès en oubliant que celui-ci doit être social. La situation est grave, elle s'aggrave même parce qu'une fois encore, on nous dit qu'il est urgent d'attendre.
Les syndicats avaient salué l'ambition du plan santé au travail lancé en 2005 : il piétine faute de moyens et de volonté politique. S'attaquer à l'organisation du travail, à la profitabilité du capital exige une vision sans compromis et une résolution sans faille. Or les alertes continuent d'affluer mais le plan continue de planifier tandis que la médecine du travail agonise, par manque de personnel et d'indépendance. Il nous faudrait une médecine du travail pleinement partie prenante mais notre dispositif de veille est mal coordonné et l'État n'assure pas la cohérence de l'ensemble. Que peuvent quatre cent soixante inspecteurs du travail pour quinze millions de salariés ? Enfin, je ne suis pas rassurée par la récente recodification du code du travail, qui met sur le même pied employeurs et salariés.
Ce tableau peu reluisant une fois brossé, il faut se demander si en ce début de XXIème siècle, le pays s'est doté d'un système garantissant la santé au travail. Nombre des suicides, exposition à l'amiante et autres matières cancérigènes mutagènes, précarisation massive, interdisent de répondre positivement. Le travail est pourtant une composante majeure de la société : le travail fait société et les conditions dans lesquelles on l'exerce façonnent la société contemporaine. Il importe de le considérer dans sa globalité non comme une absence de maladie, mais, suivant la définition de l'OMS comme un complet bien-être.
Avec Roland Muzeau et tous les membres du groupe CRC, nous avons élaboré en concertation ce texte, certes perfectible, aux cinquante-trois articles organisés en huit titres. Il ambitionne d'établir une politique de prévention du risque professionnel. Le titre premier renforce significativement le rôle de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (ATMP). L'article premier lui confie un vrai budget de prévention ; il porte à cet effet à 10 % au moins la fraction du prélèvement sur les cotisations affectée au fonds national de prévention. Un rapport de l'Igas ayant parfaitement identifié les raisons pour lesquelles la tarification ne contribuait pas à la réduction des risques, l'article 2 exclut les cotisations ATMP des dispositifs d'exonération et l'article 3 subordonne les mesures consenties au respect des règles d'hygiène et de sécurité. Les articles 4 et 5 renforcent le rôle incitatif de la tarification, en autorisant les Cram à appliquer une cotisation supplémentaire aux entreprises surexposant leurs salariés aux risques ou limitant les déclarations d'accident du travail et de maladies professionnelles. Les articles 6 et 7 partagent le coût des accidents entre donneurs d'ordre et sous-traitants. L'accord d'avril 2006 ne nous convient pas parce qu'il renforce le poids des employeurs ; l'article 8 propose donc que la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles soit gouvernée majoritairement par ceux dont le travail finance la branche.
Le 28 février 2002, la chambre sociale de la Cour de cassation a souligné que le contrat de travail impose à l'employeur une obligation de résultat en matière de sécurité.
Cette jurisprudence n'étant pas respectée, le Titre II précise et élargit les obligations des employeurs en matière d'évaluation et de prévention : le document unique doit être transmis aux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), à l'inspection du travail et à la sécurité sociale. Tout manquement expose l'employeur à une cotisation supplémentaire voire à une sanction pénale. Seules 5 % des entreprises environ remplissent correctement le document unique ! L'employeur devra aussi remettre à chaque salarié un livret d'information comprenant des détails sur les procédures de déclaration ainsi que les coordonnées des acteurs en santé au travail. Cette obligation est du reste étendue aux sous-traitants et intérimaires. Récemment un rapport de la Dares indiquait que l'existence d'un CHSCT « réduit le nombre de salariés qui se plaignent de leur travail ». Preuve de son efficacité ! Pour les entreprises de moins de cinquante salariés, nous conférons à l'inspecteur du travail la possibilité d'étendre la compétence d'un CHSCT à toute la chaîne de sous-traitance ou à une zone entière d'activité ; nous créons dans les petites entreprises des postes de délégués de prévention. Les salariés doivent pouvoir se retirer de leur poste de travail en cas de danger grave et imminent : nous précisons le droit de retrait.
La déclaration des accidents ou des maladies professionnelles est vécue comme un parcours du combattant par le salarié, contraint d'arbitrer entre son emploi et sa santé. C'est ce qui explique pour partie la sous-déclaration des AT-MP avec des conséquences graves pour les victimes comme pour notre système de protection sociale. Le rapport de M. Diricq concluait en 2005 à la persistance de ce phénomène « particulièrement dommageable pour les finances sociales et pour la politique de prévention ». Nous facilitons la déclaration et la reconnaissance des maladies professionnelles. Nous nous intéressons à la reconstitution des parcours professionnels : les expositions aux risques et le suivi médico-social devront figurer dans un volet spécifique santé au travail, au sein du dossier médical personnel -accessible aux seuls généralistes. Nous instaurons dans chaque caisse régionale d'assurance maladie une cellule d'accueil, d'information et d'accompagnement -je songe aux démarches de reconnaissance, de réparation, voire de procédure judiciaire. Enfin, pour sécuriser réellement le devenir professionnel des victimes, nous réformons le droit de l'inaptitude en joignant à l'obligation de reclassement une obligation de résultat -sous le contrôle renforcé des institutions représentatives du personnel. Une allocation compensatrice de perte de salaire sera versée jusqu'au reclassement effectif.
Les infractions répétées et continues au code du travail et aux règles d'hygiène et de sécurité ont des conséquences particulièrement graves sur la santé des salariés. Sur les chantiers de désamiantage, les contrôles ont révélé un non-respect de la réglementation dans 67 % des cas ! Le manque de volonté du ministère de la justice de poursuivre les entreprises délictueuses, le caractère peu dissuasif des sanctions en cas d'infraction au code du travail déresponsabilisent les employeurs. Le tribunal correctionnel de Lille a reconnu coupables, en septembre 2006, la société Alstom et son ancien directeur pour mise en danger de la vie d'autrui. Il nous semble essentiel de conforter cette jurisprudence en renforçant les instruments de la politique pénale. C'est le titre V. Le délit d'exposition d'autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures constitue le pivot de la politique pénale de répressions des infractions à la réglementation de sécurité au travail. Nous révisons le niveau des peines, aujourd'hui dérisoires. Assimilant la violence industrielle à la violence routière, nous retenons la majoration des peines en cas d'atteintes involontaires à l'intégrité de la personne ou d'homicide involontaire. Nous ajoutons la référence à une incapacité permanente partielle ou totale. Songez au cas dramatique des plaques pleurales...
Le problème de fond en matière de médecine du travail, tous les syndicats et les professionnels de la santé au travail le savent -et les derniers scandales de financement occulte l'attestent- réside dans la gestion exclusivement patronale des services, alors que l'enjeu en est l'équilibre social et la santé publique. Le dernier rapport de l'Igas nous alerte sur « la crise majeure de la médecine du travail », le Titre VI réforme en profondeur cette organisation, avec la création d'une agence nationale de santé au travail qui garantit l'indépendance des professionnels, coordonne les services médicaux et favorise la recherche fondamentale et appliquée. Il y a pénurie de praticiens : l'agence déterminera annuellement le nombre de professionnels nécessaire. L'ensemble des cotisations affectées aujourd'hui à la médecine du travail sera attribué au budget de l'agence. Dans notre proposition, la consultation médicale professionnelle est désormais annuelle. Nous supprimons la fiche d'aptitude, issue de la tradition eugéniste ancienne et parfaitement contraire à l'éthique et à la déontologie médicales.
Le titre VII traite des mesures particulières de protection des travailleurs contre les risques liés à l'amiante. La mission sénatoriale sur le sujet de l'amiante fut très claire, souhaitant que le risque amiante fasse l'objet d'une attention toute particulière, notamment dans le bâtiment. Hélas, le problème reste entier dans ce secteur qui détient le triste pourcentage de 80 % des mésothéliomes recensés. Actuellement, l'inspecteur du travail ne peut prononcer l'arrêt des travaux que dans le cadre d'opérations de confinement ou de retrait d'amiante. Cette possibilité est ici étendue aux opérations d'entretien et de maintenance. Et la durée du travail dans le désamiantage est réduite, le salaire étant maintenu à taux plein. L'article 36 crée un registre des salariés qui ont été ou sont exposés à l'inhalation de poussières d'amiante.
La réparation intégrale est très attendue par les associations, les victimes et le monde syndical. Nous l'instaurons pour l'ensemble des victimes et améliorons les droits particuliers des victimes de l'amiante. La Cour de cassation, en février 2002, a adopté une nouvelle définition de l'obligation de sécurité-résultat pesant sur le chef d'entreprise -un manquement emporte la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur. Le dispositif de réparation des dommages a perdu sa cohérence, il ne répare rien et c'est à la victime de démontrer la faute de l'employeur pour être intégralement indemnisée ! Depuis sept ans, aucune amélioration concrète ! Le Medef a su profiter du rapport de 2005 de la Cour des comptes sur les fonds d'indemnisation et les dépenses de la branche AT-MP, attribuant le déficit au coût du dossier amiante. Il interprète le rapport de 2006 de l'Igas sur le fonds de cessation anticipée d'activité pour revoir les droits à la retraite avancée et il tente de faire progresser l'idée qu'il n'y a pas de justification au régime « d'exception » des victimes de l'amiante ! C'est inacceptable. Sortons des incohérences et des exceptions, oui, mais par le haut. Notre texte inscrit le droit à réparation intégrale des préjudices subis par les victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle. Les taux de rente sont alignés sur le taux d'incapacité permanente médicalement reconnu. S'y ajoute, en cas de faute inexcusable, une indemnité en capital. Les indemnités journalières doivent être à parité avec le salaire net journalier. Et la victime bénéficie d'une indemnisation à compter de la date du dommage.
Nous levons un des obstacles à la reconnaissance de maladies non inscrites aux tableaux de maladies professionnelles, en effaçant du code deux dispositions qui limitent le principe de gratuité des soins. Concernant plus particulièrement les victimes de l'amiante, nous voulons pérenniser le dispositif de cessation anticipée d'activité et en corriger les imperfections.
Satisfaite de voir ce texte abordé lors de cette niche parlementaire, je regrette néanmoins qu'il ne soit pas discuté article par article : comme l'a souligné le rapport, ce résultat d'un travail important présente des pistes plausibles et cohérentes. Je souhaite donc vivement qu'il apporte une pierre à l'édifice de la santé au travail que nous devons construire ! (Applaudissements à gauche.)
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur de la commission des affaires sociales. - « Rien de si beau que la justice, de meilleur que la santé » : cette maxime qu'Aristote réservait à la définition du bonheur résume à merveille l'objet de cette proposition de loi, tout comme l'ensemble des travaux lancés dernièrement pour faire progresser la prévention et la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Nous sommes tous d'accord pour conjuguer dans la loi la beauté de la justice et la bonté de la santé, mais il serait encore plus intéressant de nous accorder sur des propositions concrètes et encore plus remarquable de nous mettre d'accord sur leur application. Notre débat devrait au moins permettre de repérer ce qui nous rapproche de ce qui nous sépare.
Par souci de clarté, je distinguerai quatre grands thèmes dans la proposition de loi, tout en rappelant à Mme Demessine que j'ai examiné son texte article par article.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. - Bien sûr !
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - Commençons par la médecine du travail.
Il nous est proposé d'introduire dans le dossier médical personnalisé (DMP) un volet « santé au travail » renseigné par les médecins du travail, les seuls qui pourraient y accéder. Il y a là un élément de réponse au problème crucial constitué par le suivi de la santé des travailleurs et par la traçabilité des risques. Au sein de la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles (CATMP), la branche AT-MP a constitué un groupe de travail qui doit remettre en juin ses conclusions sur ce thème. Notre commission estime indispensable d'attendre ses analyses et propositions avant de statuer.
Notre collègue propose aussi de mettre en place une cellule chargée d'accueillir les victimes dans chaque caisse régionale d'assurance-maladie. La convention d'objectifs et de gestion de la branche AT-MP comporte déjà cette disposition, qu'il est donc inutile d'inscrire dans la loi.
D'autres dispositions tendent à réformer le droit de l'inaptitude, avec une saisine obligatoire du CHSCT ou des délégués du personnel lorsqu'un chef d'entreprise envisage de reclasser, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'entreprise, un salarié déclaré inapte. Il nous est également proposé de verser au salarié ni reclassé ni licencié une allocation nouvelle compensatrice de perte de salaire.
Par ailleurs, la mission des médecins du travail, la périodicité des examens médicaux obligatoires et la coordination des services de santé au travail seraient modifiées.
Sur ce dernier point, particulièrement important, le texte comporte la création d'une agence nationale, ce qui n'est pas sans évoquer l'étatisation préconisée en février 2006 par la mission parlementaire d'information de l'Assemblée nationale sur les risques et les conséquences de l'exposition à l'amiante. Je rappelle que le rattachement de la médecine du travail à la branche AT-MP a par ailleurs été suggéré. Personnellement, je préfère conserver le lien entre les services de santé au travail et les entreprises, afin que le médecin du travail favorise la montée en puissance de la prévention. Il vaut peut-être mieux conserver le schéma en vigueur, tout en donnant aux services de l'État les moyens d'une politique fondée sur des objectifs de santé, comme l'ont récemment préconisé les professeurs Conso et Frimai dans leur rapport.
S'agissant des consultations médicales, l'obligation d'une visite annuelle risque d'accaparer les médecins pour un maigre résultat.
Je crois nécessaire d'examiner ces suggestions dans une démarche plus large et intégrée, comme celle proposée dans le rapport de MM. Conso et Frimai, qui distingue trois axes de progression : passer d'un exercice individuel à une pratique collective de la prévention afin de résoudre rapidement la question fondamentale de la démographie des médecins du travail ; mettre la prévention au centre de leur activité ; passer d'une logique de moyens à une logique de résultats et de régulation. La commission estime nécessaire d'aborder simultanément ces trois axes. Le rapport Conso et Frimai a été soumis aux partenaires sociaux ; par ailleurs le Conseil économique et social doit rendre un avis d'ici la fin février ; enfin le Gouvernement s'est engagé à présenter un plan de réforme à la fin du premier semestre. Le dossier de la médecine du travail doit être traité dans le cadre de cet ensemble.
Le deuxième thème de la proposition de loi est constitué par la prévention des risques.
Pour améliorer la formation des salariés, il nous est proposé de conférer une valeur législative au document unique d'évaluation des risques, actuellement régi par un décret. En outre, ce document ferait l'objet d'une publicité accrue, au risque d'alourdir les charges administratives des entreprises sans bénéfice manifeste pour les salariés. Enfin, un livret d'information sur les risques serait délivré par l'employeur à chaque salarié. Cette mesure a été repoussée par le Sénat lorsqu'il a examiné le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, car l'actuel document unique d'évaluation des risques est satisfaisant. Aller au-delà ferait peser une charge inutile sur les PME et les TPE. (Mme Michelle Demessine le consteste)
Un autre volant de la proposition aborde l'intervention de salariés d'entreprises extérieures. Apparaît ici l'équilibre entre la dispersion des responsabilités en matière de prévention des risques et la coresponsabilité inévitable entre l'entreprise d'accueil et les entreprises extérieures face à la dangerosité et à la complexité de certaines activités. Notre commission estime indispensable de consulter les partenaires sociaux avant de modifier cet équilibre.
Un troisième volant concerne le CHSCT, dont la mise en place pourrait être imposée par l'inspecteur du travail en cas de risque grave. Par ailleurs, les compétences d'un CHSCT pourraient être étendues à d'autres entreprises. Or, l'inspecteur du travail peut déjà imposer la création d'un CHSCT ; par ailleurs, je ne suis pas certaine qu'un organisme élu par les salariés d'une entreprise puisse être compétent pour d'autres salariés.
La proposition de loi tend par ailleurs à créer des représentants des salariés en matière de prévention et de santé au travail dans les entreprises comptant moins de cinquante salariés. Or, les missions du CHSCT y sont exercées par les délégués du personnel. Il est donc inutile d'en rajouter.
Enfin, un article du texte aborde le droit de retrait des salariés en créant une infraction si l'employeur ne résout pas la difficulté révélée par l'exercice de ce droit. Est-ce bien nécessaire ? Nous n'en sommes pas convaincus.
Au demeurant, à l'initiative du Gouvernement, les partenaires sociaux viennent d'engager une négociation faisant suite à la conférence tripartite du 4 octobre sur les conditions de travail. Elle porte sur trois thèmes : le dialogue social sur les conditions de travail dans les PME et TPE ; le rôle des CHSCT ainsi que la durée des mandats et la formation des représentants du personnel à cette instance ; les alertes sur les conditions de travail. De fait, il faut régler de nombreuses questions pour étendre les CHSCT et renforcer le dialogue social dans les PME et TPE. Par ailleurs, il faut améliorer les capacités d'expertise des CHSCT. Enfin, il ne faut plus subordonner la possibilité d'une alerte sur les conditions de travail en cas de risque majeur à l'existence d'un CHSCT ou de délégués du personnel. À nouveau, la commission vous recommande d'attendre les propositions des partenaires sociaux et du Gouvernement avant de légiférer.
Le troisième thème de la proposition de loi porte sur le régime des accidents du travail et maladies professionnelles.
Manifestement, il faut agir car les accidents du travail ne décroissent pas assez vite. Le plan de modernisation et de développement de l'inspection du travail, lancé en 2006 à l'initiative de M. Gérard Larcher, a permis d'accroître substantiellement les contrôles, mais il reste que la sous-déclaration fait supporter à l'assurance-maladie des charges relevant de la branche AT-MP.
M. Guy Fischer. - Très bien !
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - En outre, la tarification en vigueur ne favorise pas les entreprises qui mettent en oeuvre une réelle politique de prévention. Il faut donc avancer, mais pas sans précaution. Ainsi, l'accord des partenaires sociaux signé le 12 mars 2007 demande que toute nouvelle proposition de tarification fasse l'objet de simulations pour assurer sa faisabilité technique tout en évaluant son incidence sur les cotisations. Notre commission partage ce souci de pragmatisme, alors que la proposition de loi aborde successivement la gouvernance et les ressources de la branche AT--MP, puis les modalités de réparation. Ainsi, elle tend à inscrire dans la loi l'existence et les missions du Fonds national de prévention des accidents du travail et maladies professionnelles. Par ailleurs, elle crée une nouvelle dépense pour aider à l'implantation de délégués chargés de la prévention dans les entreprises de moins de cinquante salariés. En outre, elle triple les ressources que la CATMP verse au fonds sur le produit des cotisations AT-MP. Enfin, elle crée une nouvelle ressource issue de nouvelles sanctions financières contre les entreprises.
La commission ne croit pas utile de donner une valeur législative au fonds national de prévention des AT-MP. Dans la mesure où le budget du fonds est actuellement élaboré par la CATMP, les évolutions proposées sur son financement devraient faire l'objet d'une consultation des partenaires sociaux. Les contrôleurs de sécurité ont déjà la possibilité d'imposer une cotisation supplémentaire pour risque exceptionnel ou révélé par une infraction aux règles de sécurité. S'agissant enfin du non-respect de l'obligation de déclaration d'un accident du travail, la caisse peut actuellement poursuivre l'employeur en vue du remboursement de la totalité des dépenses engagées. Je suis donc tentée de dire que nos collègues du groupe CRC ont globalement satisfaction.
Satisfaction a aussi été donnée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 à la disposition qui supprime les exonérations de cotisations dans le champ de la branche AT-MP.
Une autre proposition subordonne la décision d'octroi de ristournes sur les cotisations à l'avis du CHSCT. Mais les ristournes sont déjà accordées, sur décision de la Cram, après avis du CHSCT. S'agissant de la répartition du coût des AT-MP entre les entreprises utilisatrices et les entreprises de travail temporaire, il nous semble indispensable de consulter les partenaires sociaux, qui n'ont pas abordé cette question dans leur accord du 12 mars 2007.
La consultation s'impose moins sur la répartition au cas par cas du coût des AT-MP entre les entreprises sous-traitantes et les entreprises utilisatrices, après enquête des services de prévention des Cram, car ce dispositif serait manifestement ingérable. Elle n'est pas non plus indispensable sur la proposition de porter à deux tiers la proportion des représentants des salariés dans la CATMP, dans la mesure où les partenaires sociaux ont clairement réaffirmé leur attachement au paritarisme pur et simple dans l'accord du 28 février 2006.
La proposition de loi pose le principe de la réparation intégrale des AT-MP. Nous jugeons inopportun de revenir sur la réparation forfaitaire, à laquelle les partenaires sociaux ont réaffirmé leur adhésion dans l'accord du 12 mars 2007, tout en proposant d'évoluer vers une réparation forfaitaire personnalisée. L'accord dessine d'ailleurs quelques pistes dans ce domaine, tout en avertissant : « les mesures proposées sont inspirées par une préoccupation d'optimisation des dépenses de la branche AT-MP de la Cnam Elles sont conditionnées à la capacité de la branche de les financer ». Notre commission s'est inscrite dans une démarche identique et a donc rejeté l'ensemble des articles de la proposition de loi qui tirent les conséquences du passage à la réparation intégrale des AT-MP.
D'autres propositions soulèvent des objections. C'est ainsi que l'idée d'assouplir les conditions de reconnaissance de la maladie professionnelle pour les affections non mentionnées au tableau des maladies professionnelles remet en cause, à terme, le principe d'un tableau. Nous ne croyons pas possible de supprimer le forfait d'un euro pour toutes les victimes d'AT-MP.
D'autres propositions dépensières présentent de meilleures perspectives. Il en est ainsi de la prise en charge des frais médicaux et paramédicaux des victimes d'AT-MP sur la base des frais engagés. Dans l'accord du 12 mars 2007, les partenaires sociaux ont demandé l'amélioration de cette prise en charge pour certains postes tels que l'appareillage dentaire, optique ou auditif. Sans doute pourrait-on explorer cette piste.
Intéressante aussi la proposition concernant la date d'ouverture des droits en matière de maladie professionnelle : distinguer le fait constitutif de l'ouverture des droits du point de départ du délai de prescription nous semble une bonne idée, sous réserve d'une étude portant sur les conséquences de l'abandon du parallélisme entre l'indemnisation des accidents du travail et celle des maladies professionnelles.
J'en viens au dossier de l'amiante, qui continue de poser de graves problèmes d'efficacité, d'équité et de financement. Pour protéger les salariés contre les risques liés à l'amiante, il est proposé de permettre à l'inspecteur du travail de prescrire l'arrêt temporaire des opérations de confinement ou de retrait d'amiante dans un certain nombre de cas nouveaux ; de donner au préfet la possibilité d'enjoindre à une personne ayant mis à disposition des locaux ou installations, ou à celle qui en a l'usage, de rendre leur utilisation conforme ; de limiter le nombre d'interventions avec port des équipements de protection individuelle et de restreindre la durée de chaque intervention ; de créer dans chaque Cram un registre des salarié exposés, ou l'ayant été, à l'inhalation de poussière d'amiante, l'inscription à ce registre ouvrant droit à un suivi national spécifique ou à une surveillance médicale post-professionnelle.
Ces propositions sont intéressantes et nous souhaitons qu'elles restent en débat. Les autres propositions visent pour la plupart le régime de cessation anticipée d'activité des salariés et anciens salariés de l'amiante. Il faut certainement revoir ce système, à la fois trop coûteux et insuffisamment focalisé sur ses destinataires naturels. Un groupe de travail entre les associations et les partenaires sociaux a été installé hier à cette fin. Il aura quatre mois pour rendre des conclusions en vue du PLFSS pour 2009. Il nous semble inenvisageable de légiférer sans prendre connaissance de ses travaux.
La proposition de loi présente des pistes que nous souhaitons explorer le moment venu. Il en va ainsi de la prise en compte des périodes d'activité exercées dans les établissements de construction et de réparation navales du ministère de la défense pour la détermination des droits à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, l'Acaata. Nous n'y sommes pas hostiles, sous réserve de vérifier dans quelle mesure il est justifié de prendre en compte l'ensemble de ces établissements.
M. Nicolas About, président de la commission. - Et l'ensemble des postes de travail.
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - Au surplus cela ressortit au domaine réglementaire. La proposition de loi étend cette même allocation à différentes catégories de salariés et anciens salariés, ceux contraints au port de vêtements de protection amiantés par exemple. L'expertise des partenaires sociaux nous est nécessaire avant de nous prononcer. Il est aussi proposé de donner un caractère indicatif à la liste des établissements ouvrant droit au fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, le Fcaata. Donner à la liste un caractère indicatif impliquerait la nécessité pour les victimes d'apporter la preuve de leur exposition à l'amiante, ce qui est difficile. Cette proposition ne nous semble donc pas pertinente.
En revanche, nous jugeons utile la motivation obligatoire de la décision de refuser d'inscrire un établissement sur la liste des établissements ouvrant droit au Fcaata, qui a été adoptée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, puis annulée par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier social. Il faudra la réintroduire le moment venu.
Il nous est proposé de déterminer le montant de l'Acaata sur la base des douze meilleurs mois de la carrière du bénéficiaire et non plus des douze derniers mois. Il faudrait que le coût de cette mesure soit évalué. Faut-il, dans un domaine connexe, porter de quatre à trente ans le délai de prescription des demandes d'indemnisation adressées au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante ? La prescription quadriennale, d'ores et déjà plus favorable que la prescription de deux ans des maladies professionnelles, a soulevé nombre de problèmes pour les victimes décédées avant la création du Fiva. Ces problèmes ont été résolus dans le cadre juridique existant. Un équilibre convenable a sans doute été ainsi atteint et la fixation d'une prescription de trente ans ne nous semble pas de nature à améliorer sensiblement la situation des victimes de l'amiante.
Faut-il supprimer les plafonds de la contribution des employeurs au Fcaata ? Nous ne le croyons pas, car cela mettrait en danger la survie d'un certain nombre d'entreprises. Le Sénat a d'ailleurs refusé cette proposition lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.
Cette proposition de loi présente des pistes plausibles et d'autres qui le sont moins. Notre commission a essayé de faire sans parti pris le tour des unes et des autres, afin de nourrir les futurs débats sur la santé au travail. Le Gouvernement et les partenaires sociaux sont en train d'élaborer leurs propositions en ce moment même ; grâce à l'examen de cette proposition de loi, nous serons armés pour les étudier en connaissance de cause. Il serait en revanche inopportun de légiférer sans attendre sur les points particuliers qui nous semblent bien posés dans ce texte. Tout se tient, et c'est certainement pourquoi nos collègues CRC ont estimé nécessaire de présenter une proposition aussi ample, aussi intégrée, aussi cohérente. C'est pourquoi, tout en saluant la qualité du travail de nos collègues, notre commission propose au Sénat d'adopter ses conclusions négatives. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité. - J'aimerais d'abord saluer le travail accompli pour cette proposition de loi, qui contient cinquante trois articles denses touchant à tous les aspects de la prévention et de la gestion des risques professionnels. Je salue également le travail rapide et efficace de votre rapporteur, Mme Desmarescaux, et de votre commission des affaires sociales.
Ce travail s'inscrit dans le contexte de la conférence sur les conditions de travail et la volonté du Gouvernement de renforcer le dialogue social : c'est en impliquant davantage les acteurs de l'entreprise que nous pourrons améliorer durablement la santé et la sécurité au travail.
Cette proposition de loi arrive-t-elle trop tôt ou trop tard ? En tout cas elle nous offre l'occasion de débattre sur des sujets essentiels pour des millions de salariés. Pour ma part, je crois qu'elle arrive à la fois trop tôt, car elle précède plusieurs processus de réforme récemment mis en place -je pense au Fcaata, à la médecine du travail ou encore aux négociations lancées à la suite de la conférence du 4 octobre dernier -et trop tard, car elle intervient sur certains sujets après la signature d'accords par les partenaires sociaux dans le cadre de la gestion de la branche AT-MP. C'est pourquoi je partage l'avis de la commission des affaires sociales. Nous devons toutefois profiter de cette occasion pour avancer sur les solutions à mettre en oeuvre.
Sur plusieurs sujets, la proposition de loi a d'ores et déjà satisfaction. C'est le cas de la suppression des exonérations de cotisation AT-MP, qui a déjà été adoptée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.
Je partage votre motivation.
Mme Michelle Demessine. - Mais que se passera-t-il ensuite ?
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État. - Il ne faut pas exonérer les employeurs de leurs responsabilités.
Les contrôleurs de sécurité ont déjà la possibilité d'imposer des sanctions aux entreprises en cas de manquements aux règles de sécurité, comme vous le proposez à l'article 4.
Concernant les CHSCT, l'inspecteur du travail a la faculté d'imposer la création d'un tel comité dans les établissements de moins de cinquante salariés. Par ailleurs, le dispositif de CHSCT, élargi pour les entreprises à haut risque de type Seveso, devrait être étendu sous peu aux installations nucléaires de base. Un projet de décret est actuellement examiné en Conseil d'État. Enfin, le comité doit, selon le code du travail, disposer du document unique d'évaluation des risques professionnels, ce qui paraît suffisant pour assurer son droit d'information sans aller jusqu'à une remise en main propre.
Quant à votre proposition de créer un service pour les victimes dans chaque antenne à l'article 19, elle est expérimentée en Normandie et en Bretagne depuis septembre dernier et sera ensuite, si le bilan est satisfaisant, généralisée.
Ensuite, sur d'autres sujets que vous abordez, les partenaires sociaux ont négocié des accords qu'il n'est pas souhaitable de remettre en cause. En mars 2006, ils ont rappelé leur attachement au maintien d'un paritarisme strict au sein de la branche AT-MP. En avril 2007, ils ont écarté le principe d'une réparation intégrale, après qu'un rapport de l'inspection générale des affaires sociales en 2004 a démontré qu'il ne serait pas favorable aux victimes avec faible taux d'incapacité ainsi qu'aux victimes retraitées, pour proposer une indemnisation forfaitaire plus personnalisée. Du reste, M. Xavier Bertrand et moi-même avons chargé la semaine dernière la direction de la sécurité sociale d'étudier les possibilités de transposer ces dispositions.
A l'article 5, vous proposez de subordonner à l'avis du CHSCT la décision d'accorder une ristourne sur les cotisations. Or l'implication des partenaires sociaux paraît suffisante, le dispositif actuel prévoyant que les caisses régionales d'assurance maladie consultent le CHSCT ou, à défaut, les délégués du personnel.
D'autre part, vous proposez de revoir les compétences et les possibilités d'intervention des CHSCT ainsi que les dispositifs d'alerte, chantier auquel doivent s'atteler les partenaires sociaux lors des prochaines négociations sociales, comme le leur a confirmé le document d'orientation qui leur a été adressé le 22 novembre dernier.
La médecine du travail fait l'objet d'une vaste modernisation depuis 2002. Tous les acteurs se sont mobilisés pour faire vivre cette réforme, ce dont je leur rends hommage. Les services de santé se sont engagés dans la voie de la pluridisciplinarité en s'ouvrant aux « intervenants en prévention des risques professionnels », c'est-à-dire aux ergonomes, ingénieurs sécurité, psychiatres, psychologues, toxicologues ou encore épidémiologistes. Plus de mille sept cent cinquante spécialistes ont été habilités. Auparavant, la médecine du travail était assimilée, surtout dans les plus petites entreprises, à la seule visite médicale et aux cotisations annuelles. Depuis, elle représente une aide à l'évaluation des risques professionnels, à la formation et à l'information en matière de prévention. Le rapport d'évaluation de cette réforme, évaluation particulièrement nécessaire en ces temps où la démographie médicale est défavorable, a été publié le 5 novembre dernier.
Une réflexion a été engagée sur l'aptitude avec le rapport de M. Gosselin, et la pluridisciplinarité, avec un rapport d'audit transmis la semaine dernière aux partenaires sociaux ; nous ferons des propositions avant la fin du présent trimestre après une vaste concertation lors d'une conférence sur les conditions de travail au printemps prochain. C'est dire combien le Gouvernement étudie avec sérieux et dans le souci du dialogue social l'avenir de la médecine du travail. Il ne faudrait pas anticiper sur les résultats ces discussions en cours. La solution radicale que vous préconisez, l'étatisation de la médecine du travail avec la création d'une agence, risquerait de rompre le lien de confiance que le médecin doit établir en se tenant à équidistance des salariés et de l'employeur. (Mme Michelle Demessine, auteur de la question, en doute.) Par ailleurs, cette solution ne saurait répondre, à elle seule, aux enjeux de la modernisation des services de santé au travail.
Le groupe de travail présidé par le député Jean Le Garrec et composé des sénateurs MM. Dériot et Vanlerenberghe, de représentants des partenaires sociaux, des associations de victimes, de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés et de l'État, que j'ai installé hier, sera chargé de recentrer le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, le Fcaata, dont les dysfonctionnements ont été pointés par les rapports sénatoriaux de MM. Dériot et Godefroy, sur les personnes ayant été réellement exposées à l'amiante. La réforme proposée devra respecter les principes d'équité, de faisabilité, notamment pour les modes de preuve de l'exposition à l'amiante et de soutenabilité financière.
Enfin, plusieurs de vos propositions méritent de faire l'objet d'une consultation préalable des partenaires sociaux. Il en va ainsi du triplement du fonds de prévention des AT-MP, à l'article premier, qui aurait pour conséquence de modifier la répartition des dépenses de la branche. (Mme Michelle Demessine le conteste.) et de la répartition du coût des AT-MP entre une entreprise intérimaire et une entreprise utilisatrice, à l'article 6. Sur ce dernier point, le Gouvernement croit davantage à des actions de coopération, visées dans la charte de bonnes pratiques pour la prévention des risques professionnels, adoptée par l'ensemble des entreprises du secteur de l'intérim en présence de M. Xavier Bertrand le 28 novembre dernier.
L'amélioration de la santé et de la sécurité des salariés passe par des réformes en profondeur, grâce à la concertation et au dialogue, que l'État ne doit pas perturber par des initiatives unilatérales. C'est pourquoi nous préférons ne pas retenir cette proposition de loi. En revanche, certains de ses éléments nourriront notre réflexion et je salue le travail considérable mené par Mme Demessine et son groupe pour brosser un tableau complet de ce vaste chantier qui nous attend ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Nous comprenons fort bien l'émotion et les motivations qui ont poussées Mme Demessine à déposer ce texte, comme les raisons qui déterminent la commission à le repousser. En effet, certaines des mesures, tel le conditionnement des exonérations de cotisations dans la branche AT-MP, sont satisfaites ; d'autres, comme celles relatives au paritarisme, vont à l'encontre de l'accord conclu le 28 février par les partenaires sociaux sur la gouvernance de cette branche ; et, surtout, la plupart des thèmes abordés font l'objet d'une concertation entre partenaires sociaux.
En matière de santé au travail, priorité doit être donnée au dialogue social. Des questions aussi importantes que la traçabilité des maladies professionnelles, le droit de l'inaptitude, la question de la réparation des AT-MP ou encore la prévention des risques ne peuvent être tranchées dans la précipitation. Pour autant, ce texte a le mérite de soulever une question fondamentale, celle de l'avenir du système AT-MP et, plus généralement, celle du droit de la santé au travail après le drame de l'amiante.
La proposition de loi s'appuie sur un exposé des motifs qui reprend, pour une large part, les observations de la mission amiante que j'ai eu l'honneur de présider en 2005. C'est pourquoi je me concentrerai sur la question de l'amiante autour de laquelle se cristallise aujourd'hui le débat de la réforme du droit de la santé au travail. D'ailleurs, beaucoup d'articles de la proposition de loi lui sont spécifiquement consacrés.
Le drame de l'amiante aurait pu être évité, sa dangerosité ayant été mise en évidence en 1906. Tout était connu dès cette époque mais le lobby de l'amiante est parvenu à faire utiliser ce matériau dans notre pays jusqu'en 1997, alors que la Grande-Bretagne avait pris des mesures dès 1931 et les États-Unis dès 1946. Résultat : trente cinq mille personnes sont mortes, en France, d'une maladie de l'amiante entre 1965 et 1995. Et le pire est encore à venir : entre cinquante mille et cent mille décès sont encore attendus d'ici 2025. Encore plus grave : malgré l'interdiction de 1997, la question de l'amiante résiduel, omniprésent dans les bâtiments construits dans les années soixante-dix et quatre-vingt, en particulier dans les établissements hospitaliers et les bâtiments scolaires et universitaires, n'est pas résolue et de nombreuses populations y sont encore exposées : professions de second oeuvre dans le bâtiment, personnels de maintenance et d'entretien et, bien entendu, ouvriers des chantiers de désamiantage.
Notre mission avait relevé que les mesures prises à partir de 1998 -création de la préretraite-amiante financée par le Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata), puis institution du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva)- n'avaient pas donné entièrement satisfaction.
Voila pour le constat que nous partageons en espérant qu'il y aura un avant et un après amiante parce que nous devons tirer toutes les leçons de ce drame sans précédent. Mais c'est à ce stade que je diverge d'avec les auteurs de la proposition de loi, ce qui n'a rien d'étonnant puisque, au sein de la mission, nos collègues CRC étaient les seuls à s'être abstenus.
Mme Michelle Demessine. - Abstention largement motivée !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Leurs observations d'alors constituent le substrat de la présente proposition de loi. Notre mission avait défini plusieurs réformes prioritaires. Ainsi, plutôt que d'ouvrir le bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité (Acaata) à des catégories déterminées de salariés, comme le prévoit l'article 47 de la proposition de loi, nous préconisions de compléter le système actuel d'accès à cette allocation par une voie d'accès individuelle qui permettrait aux salariés exposés à l'amiante, mais dont l'entreprise ne figure pas sur les listes du Fcaata, de bénéficier néanmoins de la préretraite. Dans cette optique, afin d'identifier plus facilement les droits de chacun, des comités de site rassemblant l'ensemble des parties concernées pourraient mettre en commun les informations et témoignages dont ils disposent.
Autre priorité avancée par notre mission : la majoration de l'indemnisation versée par le Fiva en accordant aux victimes le bénéfice attaché à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur. Il s'agirait de désengorger les tribunaux et de permettre au fonds d'indemnisation de consacrer ses moyens aux seuls recours subrogatoires. Justement, madame la ministre, qu'en est-il de ces recours ? Ces fonds peuvent-ils les exercer et la jurisprudence le leur permet-elle ?
La mission proposait également de revaloriser progressivement l'Acaata. Elle insistait aussi sur la trop forte mutualisation des dépenses d'indemnisation et proposait que l'État prenne en charge 30 % des dépenses du Fcaata et du Fiva, pour tenir compte de sa responsabilité en tant qu'employeur, mais aussi en tant que puissance publique qui n'a pas su prendre, en temps utile, les mesures de prévention nécessaires. En outre, nous pensons qu'il faut restreindre la mutualisation des dépenses d'indemnisation. La création, par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005, d'une contribution à la charge des employeurs dont les salariés perçoivent l'Acaata a déjà atténué cette mutualisation mais il faut aller plus loin en individualisant davantage la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles. C'est dans ce sens que va la proposition de loi quand, dans son article 52, elle déplafonne la contribution due par les entreprises ayant exposé leurs salariés à l'amiante.
Comme Mme Demessine, la mission a présenté une série de propositions visant à protéger les salariés ayant été exposés à l'amiante sans être malades, ainsi que ceux qui y sont encore exposés. La proposition de loi prévoit la périodicité annuelle de la visite médicale obligatoire pour tous. Sans y être défavorables, nous préconisions de renforcer le suivi médical post-professionnel des anciens salariés de l'amiante afin de détecter précocement d'éventuelles pathologies liées. Il faut réaliser un important effort d'information en direction des salariés potentiellement concernés. Et la mission allait beaucoup plus loin que la proposition de loi en direction des publics encore exposés puisqu'elle proposait d'opérer un recensement national des salariés des entreprises de désamiantage et des bâtiments amiantés, d'établir une liste nationale de tous les chantiers de désamiantage, de réduire les plages horaires journalières d'exposition des salariés concernés, de renforcer la qualification des agents chargés du diagnostic amiante, de renforcer les garanties pour les salariés du BTP travaillant sur les chantiers amiantifères ou encore d'interdire les fibres céramiques réfractaires.
Un tel drame ne doit pas se reproduire. L'utilisation massive dans l'industrie de produits chimiques cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques est donc préoccupante. Notre mission avait proposé d'instituer une autorisation de mise sur le marché des produits chimiques, mais aussi des produits minéraux, organiques et biologiques, inspirée de la procédure en vigueur pour les médicaments, et s'inscrivant dans le cadre du règlement européen Reach.
Nous souhaitons que les propositions de notre mission soient prises en compte au plus vite parce qu'elles pourront s'insérer dans un droit de la santé au travail rénové en profondeur. Pour voir se dessiner les contours de cette rénovation, nous attendons avec impatience l'avis du Conseil économique et social sur la médecine du travail, l'aboutissement, à l'issue du premier semestre 2008, des négociations entre partenaires sociaux ainsi que les conclusions du groupe de travail sur l'Acaata. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Pierre Godefroy. - Je remercie le groupe CRC d'avoir fait inscrire cette proposition de loi à l'ordre du jour. Mes félicitations également à Mme Desmarescaux pour son rapport même si, sur le fond, nous sommes en partie en désaccord.
La santé au travail et la prévention des risques professionnels sont trop peu abordées par nos assemblées, en dehors du traditionnel examen du PLFSS. Et même, dans ce cas, les dispositions à ce sujet sont le plus souvent réduites à des mesures strictement financières. Et cette année, l'application stricte de l'article 40 a empêché le débat sur nos amendements ! Ce texte est donc le bienvenu et nombre de ses cinquante trois articles paraissent pertinents.
On peut légitimement se demander si le travail, officiellement synonyme d'accomplissement de soi et d'intégration sociale, n'est pas en train de devenir synonyme de souffrance physique et psychique pour un nombre croissant de salariés. Un peu plus de 25 % des travailleurs de l'Union européenne s'estiment exposés à des risques pour leur santé et leur sécurité. En France, en 2005, les inspecteurs du travail ont relevé près de sept cent soixante mille infractions, dont la majorité concernait la santé et la sécurité au travail. Près de dix mille procès-verbaux ont été transmis au parquet, et plus de sept mille mises en demeure signifiées, dont 96 % relatives à la santé et à la sécurité, et un peu plus quatre mille arrêts de travaux ont été ordonnés.
Les chiffres des accidents du travail et des maladies professionnelles sont tout aussi révélateurs. Leur coût ne cesse de s'accroître alors même qu'ils sont sous-déclarés, comme l'atteste le reversement annuel à la branche assurance-maladie. La sous-déclaration prend maintenant des formes de sophistication très élaborées...
Un drame comme celui de l'amiante ne doit plus se reproduire. Le rapport de 2005 de la mission du Sénat a permis d'identifier les responsabilités et les lacunes de notre système de santé au travail. Aujourd'hui, d'autres dangers doivent retenir notre attention : amiante résiduel, produits de substitution telles les fibres céramiques réfractaires, produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques -éthers de glycols, dioxines, produits phytosanitaires, etc. Si l'on veut éviter de nouvelles catastrophes, il faut aller plus vite et ne pas laisser passer à nouveau quinze ans entre l'identification des risques et l'interdiction des produits dangereux.
A cet égard, le dispositif français d'expertise souffre incontestablement d'un manque de moyens, qu'il s'agisse de l'Agence française de sécurité sanitaire et du travail (AFSSET), de l'Institut national de veille sanitaire (INVS), du Plan santé travail (PST) ou du Plan national santé environnement (PNSE).
Sur la prévention dans les entreprises, je partage l'analyse de nos collègues : il faut renforcer les moyens et les missions des CHSCT. L'article 14 traite du regroupement des entreprises de moins de cinquante salariés pour créer un CHSCT parce que c'est dans les petites et moyennes entreprises que l'effort doit être amplifié.
Des CHSCT inter-entreprise devraient regrouper des entreprises du même bassin d'emploi, du même secteur d'activité, relevant des mêmes droits professionnels ou mettant en oeuvre des pratiques de sécurité identiques.
La médecine du travail, clé de la prévention des risques, est aujourd'hui bien mal en point. Elle a été la grande absente de la Conférence nationale sur les conditions de travail. Le rapport de l'Igas dresse un bilan sévère de la réforme de 2004, estimant qu'il ne l'a pas mise en mesure de relever les défis à venir -suivi médical des travailleurs précaires, risques à effet différé, intensification du travail... Il dénonce une offre déconnectée des besoins, une procédure d'habilitation tournant à vide, un contrôle de l'État fluctuant, un temps médical insuffisant pour faire face aux besoins, le manque de formation des praticiens... Les médecins du travail, isolés et enfermés dans une logique formelle d'aptitude à l'emploi axée sur les moyens plus que sur les résultats ne sont pas à même de faire évoluer le système vers une logique de prévention collective. Les propositions de nos collègues me semblent à cet égard pertinentes : pas de réforme qui vaille sans la création d'un grand service public de la santé au travail. Je regrette que Mme le rapporteur ne partage pas cet avis. Confier à un opérateur unique des missions aujourd'hui éclatées entre l'Affset, l'INVS, le Plan national de santé et le Plan national santé environnement permettrait pourtant de définir une politique globale de santé au travail véritablement pilotée.
La gestion patronale des services de santé au travail, dans sa forme actuelle, a vécu. Les pouvoirs publics doivent exercer un contrôle plus efficace, et la médecine du travail doit revoir son fonctionnement et son mode de gouvernance, qui donnent aux employeurs un pouvoir disproportionné. Il ne s'agit pas de rompre tout lien entre ces services et les entreprises, mais de privilégier une gestion paritaire et d'assurer l'indépendance des médecins du travail.
Puisque ce texte ne semble pas devoir survivre au-delà du débat d'aujourd'hui, nous attendons avec impatience les conclusions que tirera le Gouvernement des futures propositions des partenaires sociaux. Mais j'avoue nourrir quelques inquiétudes : n'est-ce pas ce Gouvernement qui, dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale, a confié aux employeurs le contrôle médical des arrêts de travail ? Disposition dangereuse et d'autant plus contestable quand elle s'applique aux accidentés du travail et victimes de maladies professionnelles. Un médecin rémunéré par l'employeur sera chargé de valider l'arrêt de travail dû à un accident dont ce même employeur est responsable ! Le conflit d'intérêt est patent.
Je partage l'idée émise par nos collègues, et que notre groupe avait avancée lors de la réforme de 2004, de créer, au sein du dossier médical personnel, un volet spécifique dédié à la santé au travail. Elle se heurterait, nous dit-on, à un problème de faisabilité. Mais n'est-ce pas le dossier médical tout entier qui s'y heurte ? Les retards accumulés depuis quatre ans en témoignent.
M. Nicolas About, président de la commission. - Perspicace !
M. Jean-Pierre Godefroy. - J'en viens à la branche AT-MP, dont tout le monde s'accorde à reconnaître qu'elle doit être réformée.
M. Nicolas About, président de la commission. - Parce qu'elle est en équilibre ?
M. Jean-Pierre Godefroy. - Le système de mutualisation sur lequel repose son financement a vécu. La tarification, peu lisible et peu individualisée, n'encourage pas les efforts de prévention. La nécessité de son individualisation fait aujourd'hui consensus. Il est urgent de s'y engager. Les propositions de ce texte, même si certaines suscitent de ma part des réserves, ont le mérite d'exister et devraient être débattues.
Je suis également mes collègues sur la question de la réparation intégrale...
M. Nicolas About, président de la commission. - Que ne l'avez-vous fait !
M. Jean-Pierre Godefroy. - ...même si j'ai conscience des contraintes financières qui s'imposent à nous.
M. Nicolas About, président de la commission. - Ah !
M. Jean-Pierre Godefroy. - Mais la question mériterait une étude approfondie et un débat.
La réforme des AT-MP ne pourra se faire sans les partenaires sociaux mais les deux accords conclus en février 2006 et mars 2007 sont loin de faire l'unanimité, au point que le Gouvernement a renoncé à les transposer. Il faudra, le cas échéant, qu'il prenne, avec le Parlement, ses responsabilités.
M. Nicolas About, président de la commission. - N'est-ce pas une menace sur les partenaires sociaux ?
M. Jean-Pierre Godefroy. - Une menace du Gouvernement ? Car de notre part, c'est un encouragement, que vous ne pouvez que partager !
Je suis également favorable à l'exonération du forfait de un euro et des franchises médicales en faveur des victimes d'AT-MP car il y a là un véritable déni à l'encontre des victimes. Même si le Conseil constitutionnel n'a pas donné droit à notre recours, nous continuons d'estimer anormal que certaines victimes ne puissent prétendre à la même indemnisation que toutes les autres.
J'en viens à la question de l'amiante, sujet qui me tient particulièrement à coeur. Mme Demessine a rendu hommage aux « mères courage » de Dunkerque. Mes pensées vont à mes anciens collègues des constructions navales et aux salariés de Condé-sur-Noireau, dans ce que l'on a appelé la « vallée de la mort ».
Sur l'indemnisation des victimes, je rejoins mes collègues, dont les propositions sont dans la droite ligne du rapport d'information de la mission « amiante » et des amendements déposés par notre groupe à chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale, sauf cette année, pour les raisons que j'ai dites.
Tout le monde s'accorde à reconnaître les dysfonctionnements du régime de la cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, notamment en ce qui concerne la procédure d'inscription des établissements sur les listes ouvrant droit à l'allocation de cessation d'activité. Nous proposons de compléter le système par une voie d'accès individuelle au Fonds de compensation qui permettrait aux salariés exposés mais dont l'entreprise ne figure pas sur la liste de bénéficier néanmoins d'une préretraite. Nos collègues proposent d'en confier la gestion aux caisses régionales d'assurance maladie : je penche plutôt pour la création de comités de sites, rassemblant l'ensemble des parties concernées, qui permettraient d'identifier plus facilement les droits de chacun. C'est une des propositions de la mission « amiante ». Nous avons pu constater sur place, à Cherbourg, combien il est difficile de reconstituer la carrière des salariés des entreprises de nettoyage qui auront été, au fond, les premiers désamianteurs.
Sur le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, je soutiens la proposition de nos collègues de retenir la prescription trentenaire. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, créant le fonds, n'ayant pas prévu de délai de prescription, le conseil d'administration du fonds, dont la composition a été modifiée en cours de route par le Gouvernement, a voté une durée de quatre ans en s'appuyant sur la durée de prescription en matière de finances publiques. Pourtant, dans la mesure où le Fiva se substitue aux juridictions civiles pour réparer les dommages subis par les victimes, il serait normal que s'appliquent les dispositions de l'article 2262 du code civil, qui prévoit une prescription trentenaire pour toutes les actions en indemnisation. Outre que cela éviterait l'encombrement, ce serait une mesure de justice pour les quatre mille victimes isolées qui n'ont pas encore engagé de démarches mais seraient fondées à demander un complément d'indemnisation.
Sur le financement des dépenses d'indemnisation, nos collègues ont repris la proposition de la mission d'information relative à la clé de répartition des charges entre l'État et la sécurité sociale. On nous a opposé l'article 40 lors du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale : ce débat me donne l'occasion d'y revenir ! Ce sont 30 % des dépense du Fiva qui devraient revenir à l'État, eu égard à sa responsabilité d'employeur et parce que comme puissance publique, il n'a pas pris les mesures de prévention nécessaires.
M. Nicolas About, président de la commission. - C'est raisonnable.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Je regrette que le Gouvernement n'ait toujours rien retenu des propositions formulées dans les rapports du Sénat et de l'Assemblée nationale. Mme le rapporteur nous dit que le dossier de l'amiante continue de poser de redoutables problèmes d'efficacité, d'équité et de financement. Pourquoi, dès lors, rejeter les propositions faites dans ce texte ?
J'espère néanmoins que ce débat se poursuivra sous une autre forme afin de promouvoir une réforme globale du système de santé au travail, et je souhaite qu'un projet de loi voie le jour après consultation des partenaires sociaux. C'est aussi pourquoi, madame le rapporteur, malgré les qualités de votre rapport, nous voterons contre ses conclusions. (Applaudissements à gauche)
Mme Isabelle Debré. - Je salue tout d'abord le travail accompli par le groupe CRC, qui a dégagé, dans sa proposition de loi, des pistes de réflexion intéressantes et fait des suggestions utiles pour faire avancer la protection de la santé des salariés. Cependant, comme l'a souligné Mme Desmarescaux, il est plus sage d'attendre les conclusions de la négociation en cours entre les partenaires sociaux.
L'exposé des motifs relève l'inaction du Gouvernement et son absence de projets. Je m'attacherai à démontrer qu'il n'en est rien.
L'affaire de l'amiante a mis en lumière les lacunes, pressenties depuis longtemps, de notre système de santé au travail. Archaïque, il doit être revu en profondeur. Un récent rapport des professeurs Françoise Conso et Paul Frimat montré la forte implication de l'État et fait le bilan des réformes intervenues dans la foulée de l'accord interprofessionnel de décembre 2000, de la loi de modernisation sociale de 2002 et de celle relative à la politique de santé publique de 2004 : nous sommes passés d'une logique de réparation à une logique de prévention. Mais le même rapport dresse un tableau assez noir de la médecine du travail ; le nombre de maladies professionnelles continue d'augmenter, l'image de la profession est ternie, le nombre de postes diminue, l'utilité préventive de la procédure d'aptitude est contestée.
Le Gouvernement souhaite donner une impulsion nouvelle. Mme la secrétaire d'État a annoncé un plan de modernisation des services de santé au travail et a présidé, le 4 octobre, avec M. Bertrand, une conférence tripartite sur les conditions de travail, animée par notre collègue M. Gérard Larcher. Différents points ont été soumis aux partenaires sociaux et un avis du CES est attendu pour la fin du mois de février. Dans ces conditions, et quel que soit l'intérêt des propositions de nos collègues CRC, il n'est pas souhaitable d'anticiper.
Le précédent gouvernement avait affirmé sa volonté de faire de la lutte contre les risques professionnels une priorité. En février 2005, M. Gérard Larcher, alors ministre du travail, avait lancé un plan « santé au travail » couvrant la période 2005-2009 et comportant vingt-trois mesures articulées autour de quatre objectifs : développer la connaissance des dangers en milieu professionnel, renforcer l'effectivité des contrôles, refonder les instances de coordination et de pilotage, enfin encourager les entreprises à être les acteurs de la santé au travail. La mise en oeuvre de ce programme ambitieux se poursuit. Les partenaires sociaux sont en outre saisis de ces questions, notamment pour renforcer le rôle des CHSCT, améliorer leur fonctionnement, moderniser leurs capacités d'expertise -le domaine devient en effet de plus en plus complexe- revoir la durée du mandat, la formation et les missions de leurs membres. Il importe en outre de faire en sorte que les dispositifs d'alerte sur les conditions de travail soient accessibles, quelle que soit la taille de l'entreprise. Les travaux du Grenelle de l'environnement doivent également être pris en compte. Sur cette question de la prévention des risques, je rejoins donc aussi la commission.
En 2006 le nombre d'accidents du travail avec arrêt, soit sept cent mille, n'a augmenté que de 0,2 % par rapport à l'année précédente, après avoir été divisé par deux en vingt ans. Reste qu'il faut encore améliorer une situation toujours inacceptable et renforcer pour cela les moyens de l'inspection du travail. Le Gouvernement a ainsi lancé un plan de modernisation et le recrutement de cent quatre vingts inspecteurs en 2007 et cent soixante dix en 2008. Sont également prévues des actions de sensibilisation et des campagnes de contrôle.
La conférence tripartite a conclu qu'il fallait sensibiliser les entreprises à une évaluation a priori des risques, améliorer la formation des représentants des salariés et faire travailler en réseau les acteurs de la prévention. Sur des sujets aussi complexes que la gouvernance et les ressources de la branche, la réparation intégrale des accidents et maladies professionnelles, il est sage de laisser les négociations suivre leur cours.
Dernier point et non le moindre, l'amiante. Notre pays dispose d'une réglementation solide. Des contrôles réalisés en 2006 sur les chantiers de désamiantage ont décelé des anomalies dans 76 % des cas. Les agents, dont l'expertise sera améliorée, doivent désormais sanctionner systématiquement les manquements. Si des progrès ont été constatés en matière de protection respiratoire, si les campagnes de contrôle ont entraîné une prise de conscience salutaire, il faut poursuivre les efforts. Certaines des propositions du groupe CRC pourraient compléter le dispositif, comme la possibilité donnée aux inspecteurs du travail d'interrompre un chantier en cas d'absence de communication des dossiers techniques. La réforme proposée du régime de cessation anticipée d'activité mérite, elle, d'être expertisée ; il serait sage d'attendre les conclusions du groupe de travail qui vient d'être mis en place pour, éventuellement, les intégrer dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Au total, il me paraît plus prudent et plus cohérent de ne pas légiférer trop tôt. Le groupe UMP, saluant le travail approfondi de nos collègues du groupe CRC, qui prépare nos débats futurs, approuve le rejet du texte par la commission. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme la présidente. - Je laisse la présidence à M. Gouteyron pour aller saluer Mme Marcelle Devaud, qui fête ses 100 ans ; elle fut la première vice-présidente d'une assemblée qui s'appelait alors le Conseil de la République. Je lui dirai qu'une femme présidait notre séance, qu'une autre rapportait le texte en discussion et qu'une autre encore siégeait au banc du Gouvernement ...
présidence de M. Adrien Gouteyron,vice-président
Mme Marie-Christine Blandin. - Je soulignerai une autre particularité de notre débat : Mme la secrétaire d'État, deux des intervenants et moi-même sommes du Nord-Pas-de-Calais, où l'expérience de la contamination est bien partagée.
La proposition de loi met en lumière des droits acquis essentiels pour la santé des salariés. Or, par une refonte du code du travail menée sous ordonnance, ils ont subi une conséquente érosion. Il fallait simplifier, nous a-t-on dit ; dans un jeu kaléidoscopique, on a réécrit ce qui doit être avant tout un instrument au service du droit, de la justice, des salariés pour faire de la protection de ceux-ci une responsabilité partagée, comme si nous vivions dans un monde idéal dépourvu d'employeurs indélicats. Mais qui, sinon des membres de la majorité, a parlé de patrons voyous ? Alors que le « dialogue social » retarde le contrat durable et facilite le licenciement, ce n'est vraiment pas le moment d'exonérer les employeurs de leur responsabilité.
Et si le port d'un casque sur un chantier ou d'un masque dans une scierie ne se discute pas, le confinement étouffant d'un scaphandre de désamianteur nécessite des pauses sanitaires rémunérées.
Durant la mission amiante du Sénat, nous avons interrogé le directeur santé-sécurité d'Arcelor sur l'éradication de l'amiante des usines du Brésil : « Non car, là-bas, ce n'est pas obligatoire ». C'est la loi, ses décrets et leur application qui apportent des garanties, et non la responsabilité de l'employeur.
Le recours au Conseil constitutionnel a été déposé pour la forme de l'ordonnance mais aussi sur le fond car un article permissif excluait la responsabilité de l'employeur en raison des instructions données par celui-ci sur les conditions d'utilisation des moyens de protection. Les seuils pour produits fabriqués ne s'appliquent pas si le produit est manipulé au cours du process de production ; le temps dévolu à la prévention est fonction des disponibilités ; il y aura une visite médicale tous les deux ans, sans plus de temps minimum alors que le médecin du travail se voit attribuer un secteur ; les modalités de mise en demeure par l'inspecteur du travail sont renvoyées au décret mais celui qui traite de la mise sur le marché des matières dangereuses n'évoque plus les conditions d'indemnisation. Peu importe à l'employeur peu vertueux et récidiviste puisque le doublement des sanctions disparaît... Tout cela plaidait pour la proposition de loi du groupe CRC.
La France n'est pas au sommet de l'exigence, qui exclut de l'application de la directive « Cancérogènes et mutagènes » des filières entières reconnues par le Centre international de recherche sur le cancer, dont les fonderies, la peinture, le caoutchouc -excusez du peu... La santé au travail se réduit comme peau de chagrin. Que sont devenues les propositions du rapport Frimat-Conso et comment anticipez-vous le départ de mille trois cents médecins du travail quand vous ne prévoyez d'en recruter que trois cent soixante-dix ? Avec quelles formations fera-t-on face aux nouvelles connaissances et à la transformation du système productif ? On compte les morts accidentelles ou par désespoir parce qu'on reste dans une logique administrative !
Le Président de la République vante la précaution : nous allons créer un droit à la transparence totale, proclame-t-il en évoquant un principe de vigilance, de transparence et de responsabilité, par des décisions qui doivent non pas dégrader leur situation mais profiter aux plus démunis. Est-ce pour cela qu'on supprime soixante trois tribunaux de prud'hommes ? Est-ce pour cela que la commission des affaires sociales renvoie la proposition du groupe CRC à un groupe de travail ? Le travail a déjà été fait, longuement et scrupuleusement, avec les rapports de l'Assemblée nationale et du Sénat -notre mission a procédé à soixante-dix auditions, qui ont révélé un scandale absolu, une faillite éthique, des négligences impardonnables...
M. Nicolas About, président de la commission. - Des abus d'indemnisation !
Mme Marie-Christine Blandin. - L'amiante est une fibre qui, contrairement à d'autres substances cancérigènes, signe son crime. Et la proposition de loi rencontre les attentes des milliers de victimes qu'elle a faites. Nous avions collectivement dit : « Plus jamais ça ». Nous avons exploré tous les mécanismes et constaté la nécessité de l'indépendance d'une médecine du travail aux moyens renforcés. Fallait-il attendre pour mettre à la retraite anticipée un médecin du travail de Condé-sur-Noireau ? La mission était sous influence avant.
L'indemnisation d'un nombre croissant de victimes par le Fiva ainsi que les conflits en justice nécessitent une claire responsabilisation des employeurs. Mais le principal, celui qu'ont condamné les tribunaux de Brest, Cherbourg et Toulon, c'est le ministère de la défense : que pensent les anciens ouvriers du désamiantage du Clémenceau en Inde ?
Le bon choix d'aujourd'hui réduira les déficits publics de demain. Les caisses sont vides ? J'en appelle au bon sens de la ménagère ! Il faut revitaliser en urgence la formation des épidémiologistes et des écotoxicologues en créant de véritables filières sans lesquelles nous ne pourrons pas appliquer la directive Reach.
Nous devons, pour la santé des populations, bâtir une architecture nouvelle, dans laquelle le ministère de la santé recouvrerait sa mission de prévention et de précaution. En la matière, nous n'avons pas été au rendez-vous puisque des milliers de personnes demandent réparation et indemnisation. Or voici les nano-matériaux, dont sept cents circulent déjà, mais où est la transparence ? Voici encore quelques suspects parmi les éthers de glycol. Voici les fibres céramiques réfractaires dont le professeur Brochard disait que nous n'avions qu'un recul de trente ans quand il en faudrait cinquante...
Nous devons prendre pleinement la mesure des dangers et des risques, sans attendre pour agir qu'un danger soit avéré. Il suffit parfois de passer de la protection de la femme enceinte à celle de la femme en âge de procréer. Chercheur, ouvrier ou citoyen, il faut pour lancer l'alerte, se faire entendre et être protégé. Combien, hier taxés d'oiseaux de mauvais augure, ont-ils vus leurs prévisions se réaliser et combien, frappés d'ostracisme, ont-ils vu leur vie professionnelle basculer ? Un médecin du travail avait dénoncé l'amiante dès 1906 : un statut doit protéger les avertisseurs.
Sachons écouter avec humilité ce que disent les travailleurs exposés : qui embaucherait un ancien travailleur d'Alstom privé de son certificat d'exposition à l'amiante ? Il faut trois ans pour qu'un tribunal fasse appliquer la loi ; dans l'intervalle, combien de drames ? Les anciens salariés d'Alstom alertent sur les dangers d'une chaudière collective tapissée d'amiante et souvent installée dans des salles de sport mais quand je l'ai interrogé, M. Douste-Blazy a refusé d'attirer l'attention sur un équipement particulier. Les veuves de l'amiante, quant à elles, organisent l'accompagnement des victimes et attirent l'attention sur une utilisation pernicieuse de la loi Fauchon.
Mieux associer les salariés, donner des moyens aux CHSCT, créer des unités santé-environnement, décentraliser l'expertise grâce à des agences régionales de la santé environnementale et professionnelle : nous devons aujourd'hui sortir de la frilosité de nos prédécesseurs.
Pour toutes ces raisons, et pour qu'on ne protège pas davantage les biens que les hommes, les Verts pensent qu'un texte inspiré du travail de Mme Demessine doit être mis en discussion. Si l'on attend les discussions entre partenaires sociaux, le texte devra tirer toutes les conséquences des drames survenus et passer d'une insuffisante surveillance à une vraie précaution. J'ajouterai devant cette assemblée, prompte à s'émouvoir des dépenses, que la précaution est source d'économies. (Applaudissements à gauche)
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité. - A M. Vanlerenberghe, qui m'a interrogée sur les recours pour faute inexcusable, je veux dire que si la loi autorise le Fiva à les exercer, il manquait de moyens pour ce faire. Aussi le Gouvernement a-t-il décidé de les renforcer significativement, créant sept postes en 2007 et cinq en 2008.
Les effectifs du Fiva atteignent donc soixante personnes.
Des campagnes de contrôles ont été menées en 2005 et 2006 sur les chantiers de désamiantage : neuf cent trente six en 2006 ! Et en 2008, toutes les directions régionales du travail et de l'emploi devront mener des contrôles sur des opérations de retrait et de confinement de l'amiante ainsi que sur des activités et matériels susceptibles d'émettre des fibres d'amiante.
Concernant l'accès au Fcaata, faut-il combiner un système d'inscription par liste et une voie individuelle ? C'est au groupe de réforme auquel vous appartenez de le dire, en veillant à garantir l'équité et la faisabilité technique. Quant au suivi post-professionnel des victimes, la Haute autorité de santé élabore actuellement des référentiels.
Monsieur Godefroy, il y a deux phénomènes à ne pas confondre : la sous-déclaration par les médecins, par méconnaissance des risques professionnels -l'internat des généralistes ne comporte que quelques heures de formation sur le sujet !- et l'omission de déclaration par certaines entreprises, que le Gouvernement entend sanctionner sévèrement. Vous avez cité une grande entreprise automobile : un rapport d'inspection a été rendu, l'instruction se poursuit.
Laissons les partenaires sociaux discuter, tant sur les CHSCT de site que sur le cadre approprié du dialogue dans les TPE et les PME. Les médecins du travail seraient trop « enfermés » : la pluridisciplinarité a pour objet, précisément, d'enrichir leur travail en leur permettant de recourir aux intervenants en prévention des risques professionnels. Enfin, l'indemnisation par le Fiva n'est pas soumise comme vous l'affirmez à une reconstitution de carrière ; elle est proposée à toutes les victimes de l'amiante, y compris lorsque la pathologie est d'origine environnementale.
Madame Debré, il s'agit moins de contrôler le respect des règles de prévention que de développer une culture de la prévention, notamment dans les plus petites entreprises et dans le BTP. Pour ce faire, il faut coordonner les actions de toutes les parties.
Les conclusions du rapport que vous avez cité, madame Blandin, sont étudiées et feront l'objet d'une concertation afin de résoudre le problème démographique dans la médecine du travail. Il faudra à l'évidence relever le quota dans cette spécialité ; et dans l'intervalle, faire appel à des généralistes, après une formation appropriée. Les dispositions sur les risques chimiques n'ont pas disparu du code du travail, elles ont simplement basculé dans la partie réglementaire.
Enfin, je tiens à remercier Mme Desmarescaux de son analyse fouillée de la proposition : son exposé nous a éclairés. Je salue aussi le travail qui a été présenté. Il nous donne un aperçu des discussions qui nous attendent dans un avenir proche !
La discussion générale est close.
Interventions sur l'ensemble
M. le président. - Je vais mettre aux voix l'ensemble du projet.
Mme Anne-Marie Payet. - Le risque alcool est négligé dans les entreprises. Il est pourtant responsable de 20 % des accidents du travail inexpliqués. Un professeur de médecine disait ainsi à ses étudiants : « Quand vous ne connaissez pas la cause, cherchez l'alcool ».
On passe rapidement du stade de « bon vivant », porteur sain en quelque sorte, à celui de la dépendance et de la maladie. Les apprentis subissent un rite initiatique : il leur faut boire de l'alcool pour montrer qu'ils sont de vrais hommes. Or, sous l'emprise de l'alcool, les conducteurs de véhicules et d'engins perdent rapidement leurs réflexes et leur vigilance. Dans son rapport sur la prévention et la lutte contre l'alcoolisme, Hervé Chabalier propose la formation de l'encadrement, l'élaboration d'un règlement sur la consommation d'alcool, un groupe de travail sur les risques, l'instauration d'un taux zéro alcool au travail dans les postes de sécurité, forces de l'ordre, BTP, transports et la suppression de l'alcool dans les cantines d'entreprise. Du reste, dans ce dernier cas, les dispositions législatives existent, il suffirait de les réactualiser et de veiller à leur application. Le code du travail interdit la distribution et la consommation dans l'entreprise de toutes boissons alcooliques autres que le vin, la bière, le poiré, le cidre et l'hydromel. Mais dans un verre de whisky, de rhum, de bière ou de vin il y a la même quantité d'alcool pur. Au nom de la cohérence, nous devons rapidement modifier sur ce point le code du travail. (Applaudissements au centre)
Mme Michelle Demessine. - Nous avons examiné cette proposition au pas de charge mais le débat fut de qualité. Notre texte est le fruit d'années de lutte, de travail, de dialogue... Nous n'attendions pas un consensus d'emblée. Nous nous réjouissons de cette amorce de débat sérieux, qui prolonge opportunément les travaux de la mission sénatoriale. Je regrette que l'Assemblée nationale, elle, n'examine pas le texte que voulait lui soumettre notre ancien collègue Roland Muzeau.
Tant de commissions et missions ont été citées, madame la ministre ! Je regrette que l'on n'utilise pas plus la Haute assemblée, qui compte sur ces sujets nombre d'experts, légitimés par le suffrage universel.
Vous nous opposez les conclusions à venir du dialogue social. Mais la dégradation des conditions de travail, du fait de la course à la rentabilité, justifient bien que la Nation, l'État, le Parlement conservent une responsabilité de premier plan. La santé au travail n'est pas un simple arbitrage entre les intérêts financiers des entreprises et la santé des salariés. Il y a un enjeu de société et de santé publique. Le drame de l'amiante et ceux qui se profilent exigent un cadre juridique précis.
Sur la tarification à la date et au risque, votre refus est fondé sur le souci de ne pas dégrader la rentabilité des entreprises. Mais les salariés ne sont pas une variable d'ajustement. De plus en plus, les productions à risque sont externalisées vers des sous-traitants, vers l'intérim, vers les pays à bas coûts. C'est pourquoi je ne crois pas à cette coopération que Mme la ministre envisage entre l'entreprise et ses sous-traitants. Certaines attitudes sont particulièrement cyniques. La direction d'Arkema, dans une circulaire interne, détaille les mesures à prendre pour contourner la reconnaissance des maladies professionnelles, au nom de la rentabilité. Et dans l'affaire Alstom, l'avocate générale de la cour d'appel de Douai a relevé que dans une note aux actionnaires, le groupe annonçait que l'amiante n'affecterait pas ses résultats, la réparation étant prise en charge par la sécurité sociale...
Plusieurs articles avaient fait l'objet d'amendements en discussion du PLFSS. C'est que nous sommes persévérants. Du reste, la loi de financement devrait jouer un rôle plus grand.
Après les deux missions parlementaires relatives aux drames de l'amiante, nous espérions que le débat sur le PLFSS aborderait les grandes questions posées dans les rapports. Malheureusement, il s'est concentré sur le budget du Fcaata, sur celui du Fiva et sur la réversion à la charge de la branche AT-MP. Seuls les amendements déposés par notre groupe ou par nos collègues socialistes et verts ont suscité un débat public sur ces sujets. Hélas ! Le nouveau règlement du Sénat ne permet plus de déposer des amendements en séance.
Bien que trop courte, notre discussion d'aujourd'hui a permis de revenir sur cette grave question et de lui donner une nouvelle résonance.
Sans porter atteinte à la négociation entre partenaires sociaux, la représentation nationale doit rester engagée dans des domaines de la santé au travail. Mme Blandin a rappelé la réponse cynique faite par le directeur d'Arcelor Dunkerque. Je souhaite rappeler qu'en mars 2004 un arrêt du Conseil d'État a condamné l'État à indemniser les victimes de l'amiante pour carence dans la prévention des risques professionnels. La haute juridiction a souligné l'absence de toute réglementation spécifique avant 1977 et le caractère insuffisant de celle introduite par la suite.
Je remercie notre rapporteur pour l'examen attentif de notre proposition de loi, je sais gré à Mme la ministre de sa réponse, j'ai apprécié les interventions et suggestions des orateurs, mais je ne peux accepter les conclusions négatives de la commission, contre lesquelles nous voterons. (Applaudissements à gauche)
M. le président. - Je mets aux voix les conclusions de la commission, dont l'adoption conduirait au rejet de la proposition de loi.
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - Bien que l'intervention de Mme Payet n'ait concerné qu'un aspect de notre débat, je tiens à saluer les propos de notre collègue dont je connais l'engagement contre l'alcool, ici et sur le terrain.
Madame Demessine, étudier votre proposition de loi fut un honneur pour moi. Je l'ai examinée non d'un pas rapide mais avec attention. Elle ne restera pas sans suite, même si elle n'est pas aujourd'hui gravée dans le marbre. (Applaudissements au centre et à droite)
Les conclusions de la commission sont adoptées.
En conséquence, la proposition de loi est rejetée.