Prévention du terrorisme
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification d'une convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme. - La convention du Conseil de l'Europe sur la prévention du terrorisme, adoptée le 16 mai 2005 à Varsovie, a été signée par la France le 22 mai 2006. Elle est entrée en vigueur le 1er juin dernier et sept États membres l'ont ratifiée.
Plus encore que toutes les autres menaces auxquelles nos sociétés sont confrontées, le terrorisme doit être appréhendé sous un angle à la fois répressif et préventif, comme le soulignait en 2006 le Livre blanc du gouvernement français sur la sécurité intérieure face au terrorisme. Les aspects répressifs, qui n'entrent pas dans le cadre de cette convention, ont été abordés ici même à l'occasion de la ratification du protocole amendant la convention européenne pour la répression du terrorisme, entrée en vigueur le 4 août 1978. J'évoquerai donc plutôt les efforts entrepris par la communauté internationale en matière de prévention.
Les responsables des groupes terroristes utilisant tous les moyens disponibles pour diffuser leurs messages de haine, inciter certains individus à franchir le pas et leur donner la formation nécessaire, la communauté internationale devait se doter d'instruments et de dispositifs spécifiques. A cet effet, ont été inscrits sur la liste des Nations Unies, après les attentats de septembre 2001, des personnes et des entités associées à Al-Qaïda et aux Taliban. Le gel des avoirs, l'interdiction de voyager et l'embargo sur les ventes d'armes constituent des mesures de prévention efficaces. La liste européenne s'inscrit dans la même logique, en luttant contre le financement des groupes impliqués dans des actes de terrorisme.
Des mesures plus générales, susceptibles de répondre en amont à cette menace et de lutter contre sa propagation, s'imposaient. En 2005, le Conseil de sécurité a voté la résolution 1624, demandant aux États de lutter contre l'incitation au terrorisme. Le Conseil de l'Europe a adopté la présente convention, qui crée des incriminations s'appliquant aux étapes préparatoires aux actes terroristes : provocation publique ou incitation, recrutement ou entraînement. Sont également érigées en infractions pénales la complicité, l'organisation ou la contribution à de tels actes. La convention peut servir de base à des extraditions.
Ces incriminations rejoignent certaines dispositions de notre droit interne, tels l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 modifié par la loi du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme ou l'article 421-2-1 du code pénal qui incrimine la participation à un groupe formé pour préparer des actes de terrorisme, couvrant également le recrutement ou la formation. La convention encourage la promotion de la tolérance pour prévenir les tensions susceptibles d'engendrer le terrorisme.
Ces dispositions correspondent à notre philosophie et à la logique des conventions des Nations Unies que la France a soutenues, ou dont elle a pris l'initiative s'agissant de la convention sur la répression du financement du terrorisme. Respectueuse des droits de l'Homme, la présente convention marque une nouvelle étape dans la mise en cohérence des normes internationales destinées à lutter contre un phénomène qui ne peut être combattu que par un effort commun. (Applaudissements à droite)
M. André Rouvière, rapporteur de la commission des affaires étrangères - Après les attentats du 11 septembre 2001, les États membres du Conseil de l'Europe ont décidé de renforcer leur dispositif juridique en matière de lutte antiterroriste. Face à l'internationalisation croissante de ce type d'actes, ils ont entrepris une démarche originale mettant l'accent sur la prévention, alors que les textes précédents visaient à renforcer la coopération internationale.
La France, qui a élaboré dès 1986 une législation antiterroriste très complète, dispose déjà des instruments juridiques contenus dans cette convention. En revanche, celle-ci pourra servir de cadre à des pays dont la législation doit être complétée, et ce socle commun constituera un instrument d'autant plus puissant qu'il sera adopté par un nombre de pays le plus élevé possible. Seuls sept États membres l'ont ratifiée : c'est un début. Une convention aussi importante devrait susciter un enthousiasme généralisé. Pour cette raison, la commission des affaires étrangères a souhaité qu'elle ne soit pas adoptée par la procédure simplifiée.
Ce texte permet d'améliorer la prévention du terrorisme par deux moyens. Tout d'abord, il institue la qualification pénale de certains actes pouvant survenir très en amont des infractions terroristes, tels que la provocation publique, le recrutement -et même la tentative de recrutement-, l'entraînement et la complicité. Il prévoit, d'autre part, des dispositions relatives à la protection et à l'indemnisation des victimes, et un processus de consultation pour en assurer la mise en oeuvre et le suivi. Ces incriminations n'exigent pas que l'acte terroriste ait été perpétré et s'appliquent aux personnes physiques comme morales. Elles s'accompagnent de la clause de dépolitisation, ce qui signifie que les mobiles de ces actes ne sont pas considérés comme politiques, l'emploi de méthodes terroristes disqualifiant les motivations de leurs auteurs.
La convention prévoit le refus d'extradition vers des États utilisant la torture et la peine de mort. Elle respecte la liberté d'expression et d'association, le droit d'asile et le principe de non-refoulement, et comporte un volet pédagogique, invitant au dialogue interreligieux et transculturel.
Comme vient de nous l'indiquer Mme le Secrétaire d'État, ce texte a été ratifié par sept États membres du Conseil de l'Europe, dont six dès le 1er juin 2007, ce qui a permis son entrée en vigueur. La commission des affaires étrangères vous propose d'y ajouter la ratification de la France.
M. Robert Bret. - Les attentats du 11 septembre 2001 ont façonné un nouvel ordre mondial fondé sur la loi du plus fort, la peur de l'autre et le tout répressif. Bien que les urgences sociales et environnementales ne manquent pas, le monde est pensé à travers le seul prisme de la lutte contre le terrorisme. En témoigne cette convention du Conseil de l'Europe, qui fait fi de la protection des droits fondamentaux. Soyons clair : notre détermination à éradiquer le terrorisme est entière. Pour autant, nous ne pouvons pas être favorables à un texte qui, malgré son titre, ne vise pas à prévenir le terrorisme, mais à le réprimer davantage en créant, aux articles 5 à 9, de nouvelles incriminations pour le moins vagues. Ainsi, l'infraction de « provocation publique à commettre une infraction terroriste », par son flou, peut porter atteinte à la liberté d'expression. Plus généralement, la définition extrêmement incertaine des infractions terroristes comme des actes de nature à « gravement déstabiliser les structures fondamentales politiques, économiques ou sociales » peut donner lieu à diverses interprétations et, partant, à des dérives, si ce n'est des abus de pouvoir. C'est contraire au principe de légalité des délits et des peines selon lequel les définitions des infractions doivent être dépourvues de toute ambiguïté.
La convention facilite également l'extradition à l'article 20 en limitant la possibilité pour l'État d'opposer le caractère politique d'une infraction pour refuser une extradition, ce qui est prévu en France à l'article 696-4 du code de procédure pénale. Enfin, la possibilité pour un État de refuser l'extradition vers des pays où les personnes risquent la peine de mort, la torture ou l'emprisonnement à vie sans libération conditionnelle ne représente qu'une protection a minima. En effet, rien n'est prévu pour garantir le droit à un recours judiciaire, à un tribunal indépendant et impartial, au respect de la présomption d'innocence.
Bref, cette convention est un énième texte qui alimente la peur et réduit les libertés. C'est pour le moins paradoxal et regrettable que le Conseil de l'Europe se fasse le relais d'une politique sécuritaire alors que la construction d'une Europe judiciaire doit passer, plus que jamais, par le respect de l'État de droit européen. Pour toutes ces raisons, le groupe CRC votera contre.
L'article unique du projet de loi est adopté.