Pilotage de l'économie
M. le Président. - Nous allons maintenant examiner les crédits de la mission « Pilotage de l'économie française ».
M. Marc Massion, rapporteur spécial. - La mission « Pilotage de l'économie française » constitue l'une des innovations du projet de loi de finances pour 2008. Elle résulte de la modification des périmètres ministériels et comprend deux programmes. Le premier est issu de la mission « Stratégie économique et pilotage des finances publiques », aujourd'hui disparue de la maquette budgétaire. Le second programme, nouveau, porte sur la « Politique économique et de l'emploi ».
Les crédits de paiement de cette mission s'élèvent à 844 millions et se répartissent de manière équilibrée entre les deux programmes.
Le programme « statistiques et études économiques » a atteint son régime de croisière grâce au contrat pluriannuel de performances, signé en 2007, qui le rend plus visible tout en préservant des marges de manoeuvre : il augmente de 1,3 %, à 451,5 millions, dont 83,7 % en dépenses de personnel. Le plafond d'emplois diminue de 111 équivalents temps plein travaillé, à 6 131 emplois.
Le programme « statistiques et études économiques » gagnerait à disposer d'une comptabilité analytique, pour en connaître les coûts et permettre un contrôle de gestion.
Le nouveau programme « politique économique et de l'emploi » vise à décloisonner les politiques en faveur de la compétitivité des entreprises et les politiques de l'emploi. Il lui faudra du temps pour faire travailler ensemble la direction générale du trésor et de la politique économique (DGTPE), la direction de la législation fiscale (DLF) et la direction générale de l'emploi et de la formation professionnelle (DGEFP), qui ont chacune une culture administrative qui leur est propre.
Ce programme est hétérogène, intégrant des dépenses fiscales sans lien direct, par exemple les réductions de droits pour les donations. La mesure de sa performance n'est guère satisfaisante, faute d'indicateurs adaptés, en particulier le volet emploi : le programme « politique économique et de l'emploi » s'est arrêté au milieu du gué. Nous espérons qu'il le franchira complètement l'an prochain !
La commission des finances vous propose d'adopter ces crédits. (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite)
Mme Odette Terrade, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - Sur les 841 millions de cette mission, 70 % sont des crédits de personnels, dont la moitié va à l'Insee.
L'Insee est au coeur du débat sur la mesure de l'inflation et l'indice des prix. Depuis l'an dernier, on s'explique mieux le décalage entre l'indice des prix et la perception qu'en ont les Français. Vous avez annoncé, monsieur le ministre, la constitution d'une commission dédiée à la mesure du pouvoir d'achat : comptez-vous modifier l'indice des prix à la consommation, ou créer de nouveaux indices ?
Le deuxième débat porte sur le calcul du taux de chômage, depuis qu'en mars, l'Insee a reporté la publication de ce chiffre, face à divergence entre les résultats de l'enquête « Emploi » et les données de l'ANPE. Le Conseil national de la statistique y travaille, il devrait faire connaître ses conclusions ce mois-ci. Parallèlement, un rapport a été demandé à l'inspection générale des finances. Cependant, le taux de chômage pour 2006, publié finalement le 12 novembre, a tenu compte par avance des recommandations de l'inspection des finances : pourquoi ne pas avoir attendu aussi les conclusions du conseil national ? L'inspection des finances a proposé de doubler la taille de l'échantillon de l'enquête « Emploi » : l'Insee devrait-il faire ce travail supplémentaire à effectifs constants ?
Troisième débat, l'indépendance de l'Insee : la France n'applique pas cette disposition du code de bonnes pratiques de la statistique européenne, adopté en 2005, qui prévoit l'indépendance de l'autorité statistique. Où en est-on, monsieur le ministre ? Envisagez-vous de créer un Haut conseil composé de personnalités indépendantes ? Notre commission ne souhaite pas transformer l'Insee en établissement public ou en Agence : le statut public des administrateurs de l'Insee garantit leur indépendance, leur polyvalence et leur rôle de coordinateur des statistiques élaborées par les différents organismes.
Le deuxième programme de la mission, doté de 392,7 millions, regroupe essentiellement les crédits des personnels de la direction générale du Trésor. Je regrette que le regroupement de la politique économique et de la politique de l'emploi, se soit effectué dans une certaine précipitation : le nouveau programme ne dispose d'aucun objectif ni indicateur de performance relatif à la politique de l'emploi ! Que comptez-vous faire ?
Sous le bénéfice de ces observations, la majorité de la commission des affaires économiques vous propose d'adopter ces crédits.
M. Jean-Claude Danglot. - Ne disposant que de cinq minutes, je parlerai surtout de l'Insee. L'institut vient d'annoncer qu'il doublerait la taille de l'échantillon de l'enquête « Emploi », alors que le contrat pluriannuel de performance prévoit une réduction de 5,4 % des emplois sur trois ans : ce n'est pas acceptable !
Une statistique indépendante, à l'abri des pressions politiques, est un outil de démocratie politique, chacun en conviendra. Or, pour la première fois de son histoire, l'Insee a reporté la publication des chiffres du chômage au lendemain de l'élection présidentielle. C'est que, contrairement aux déclarations triomphales du gouvernement Villepin sur un chômage à 8,7 %, l'Institut mesurait un chômage de 9,8 % : cela n'arrangeait guère les affaires d'un candidat, membre du Gouvernement depuis plusieurs années ! L'Insee reconnaît que la nouvelle méthode de calcul réduit d'un point le taux de chômage au deuxième trimestre 2007.
Le taux baisse, mais le nombre de chômeurs au sens du bureau international du travail est bien supérieur aux 2,2 millions officiels ! Pourquoi croyez-vous que nos concitoyens ne ressentent pas l'embellie annoncée ? C'est que les chiffres ne rendent pas la réalité ! Le taux de chômage se stabilise, mais la précarité s'accroît. Dans le Pas-de-Calais, tous les secteurs sont touchés : 10 000 emplois industriels perdus en quelques années, et le Gouvernement annonce la suppression de 7 000 contrats dits « aidés » !
Les statistiques, par leur froideur, ne rendent pas du tout compte de la vie concrète, du licenciement de milliers de nos concitoyens qui veulent vivre dignement de leur travail !
Le 27 octobre, une délégation de chômeurs du Nord-Pas-de-Calais a remis au Président de la République plus de 4 500 curriculum vitae, au terme d'une marche de plusieurs semaines. A ce jour, aucune offre ne leur est parvenue ! Le Président de la République, avant son élection, a promis deux propositions d'emploi adaptées à chaque chômeur : le Gouvernement a-t-il les moyens d'honorer cet engagement ?
Le moins, pour cette mission, aurait été de se préoccuper du décalage croissant entre les chiffres, et la réalité que vivent nos concitoyens.
M. Aymeri de Montesquiou. - Cette mission est une nouveauté dans ce projet de loi de finances pour 2008, une nouveauté majeure car, en l'état actuel des choses, notre politique budgétaire ne permet ni une allocation efficace des ressources, ni leur redistribution équitable, ni une stratégie macroéconomique de l'État. Si notre pays ne dispose plus de l'ensemble des leviers budgétaires, qui dépendent désormais de l'Union, il conserve néanmoins une certaine latitude pour agir. Il serait contreproductif de ne pas tenir compte de ce que font nos voisins européens. Le principal problème de notre économie, c'est une compétitivité très moyenne. Le Forum économique mondial nous classait en 2006 au 18ème rang mondial, en recul de six places ; sont en cause notre déficit public, l'efficacité limitée de notre système éducatif et l'incroyable rigidité de notre marché du travail. Certes, nous sommes restés au même rang en 2007, mais est-ce une consolation ? Nos compatriotes demandent légitimement à mieux vivre du fruit de leur travail, mais une hausse des salaires doit absolument s'accompagner de profondes réformes structurelles en faveur de la compétitivité. Rappelons la crise de 1983 où l'augmentation des coûts avait fait exploser l'inflation et conduit au creusement abyssal de notre déficit commercial et à trois dévaluations. Aujourd'hui, l'euro fort nous protège, mais en réalité nous cache les maux qui nous frappent. Agissons sans attendre !
Pourquoi ne pas s'inspirer de l'exemple de nos voisins allemands qui, partis en 2005 d'un déficit de 2,5 %, semblable au nôtre, passeront à un probable excédent budgétaire à partir de 2010, voire 2009. Depuis vingt-sept ans, aucun Premier ministre français n'a présenté un budget en équilibre. Monsieur le ministre, quelles raisons nous donnez-vous de croire que cela va changer ?
Selon le programme de stabilité 2009-2012 transmis à la Commission, l'objectif de réduction de la dette publique a encore été modéré pour viser 63,2 % en 2009 et 60 % en 2012. Pourquoi ? Cette politique est très négative vis-à-vis de nos partenaires et vis-à-vis de nos compatriotes car l'État montre un exemple déplorable. Tous les experts estiment que notre dette, à terme, sera insoutenable. En 2004, le rapport Camdessus préconisait une décrue des effectifs de fonctionnaires, la généralisation de la contractualisation dans le secteur public et l'adoption d'une approche budgétaire contra-cyclique ; en 2005, le rapport Pébereau recommandait de stabiliser les dépenses de l'État en euros courants, d'affecter intégralement les recettes exceptionnelles au désendettement, ou encore de gager toute dépense nouvelle par la suppression à due concurrence d'une autre dépense ; enfin, dans son récent rapport sur les perspectives économiques 2008-2012, notre collègue Bourdin appelait de ses voeux le ciblage d'une croissance potentielle plus élevée tout en resserrant la dépense publique.
Il est impératif de rationaliser les dépenses de l'État. La fonction publique occupe 25 % de la population active française, contre 16 % en moyenne dans l'OCDE. De 1990 à 2001, ses effectifs ont connu une augmentation de 23 %, supérieure de neuf points à celle des salariés du privé. Enfin, en 2003, la rémunération moyenne nette d'un agent public était supérieure de 14 % à celle d'un salarié du privé à fonctions équivalentes. Cet aperçu explique la nécessité d'une réforme de l'État. Mettons en place une gouvernance efficace !
Que s'est-il fait ailleurs ? En 2000, la Suisse a supprimé le statut de fonctionnaire pour y substituer un contrat individuel de droit public fondé sur l'efficacité et la mobilité de l'agent, ouvrant la possibilité d'un licenciement en contrepartie d'une meilleure rémunération. Les effectifs sont ainsi passés de 140 000 en 1996 à 110 000 en 2004, à qualité constante du service rendu. Dans les années 90, la Suède a diminué de moitié ses effectifs de fonctionnaires qui sont aujourd'hui employés sous contrat de droit privé et la qualité des services a progressé.
La discussion des crédits de cette mission n'a malheureusement pas la dimension qui devrait être la sienne. Les montants engagés, faibles comparés à l'ensemble du budget, financent des services essentiels au redressement de notre économie et sont destinés à mettre en place la véritable révolution culturelle qu'il nous faut adopter. Nous ne pouvons plus nous contenter d'une politique budgétaire d'accompagnement, aux marges de manoeuvre dérisoires. Seule une politique ambitieuse et courageuse, certainement difficile à mettre en place mais vitale, pourra remettre la France sur la voie de la prospérité. Monsieur le ministre, vous êtes convaincu de l'efficacité d'une politique économique et sociale libérale.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. - Oui !
M. Aymeri de Montesquiou. - Je souhaite que vous en soyez l'initiateur. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. - Je remercie les rapporteurs pour leur contribution au débat.
Quatre grandes directions ont été réunies pour la première fois au sein d'une même enveloppe budgétaire : la Direction générale du Trésor et de la politique économique, la Direction de la législation fiscale, la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, et l'Institut national de la statistique et des études économiques.
J'aimerais souligner la grande convergence entre les rapports de M. Massion et de Mme Terrade et la réflexion du Gouvernement sur certains sujets touchant à la statistique publique. La mission de l'Insee est de donner au Gouvernement et à l'opinion des indicateurs économiques pertinents, au premier rang desquels l'indice des prix à la consommation et les chiffres du chômage. Je salue la présence du nouveau Directeur général de l'institut, M. Jean-Philippe Cotis. Comme vous tous, le Gouvernement est attaché à la clarté des chiffres et à l'indépendance de l'Insee.
Deux indicateurs doivent être complétés ou modernisés. D'abord l'indice des prix à la consommation, Le 23 octobre, Mme Lagarde a annoncé la constitution d'une commission dédiée à la mesure du pouvoir d'achat, qui étudiera notamment les dépenses contraintes et livrera ses conclusions au printemps. Elle devrait proposer à l'Institut la mise au point d'indicateurs supplémentaires distinguant l'évolution du coût de la vie pour les locataires et pour les propriétaires. Quant à l'Assemblée nationale, elle a créé une mission d'information sur ce même sujet.
Pour ce qui est des chiffres du chômage, le rapport de l'IGF et de l'Igas rendu le 24 septembre dresse un constat précis des divergences entre les différentes sources. Il n'y a donc plus de suspicion à avoir et l'Insee a rendu public le 14 novembre une série révisée de taux de chômage jusqu'au premier semestre 2007. Ce taux est en repli continu en France pour atteindre 8,11 % au deuxième trimestre 2007 ; c'est une excellente nouvelle !
Enfin, un groupe de travail présidé par Jean-Baptiste de Foucauld au sein du Conseil national de l'information statistique a été chargé de proposer de nouveaux indicateurs en matière d'emploi, de chômage, de sous-emploi et de précarité de l'emploi.
Madame Terrade, le Gouvernement est très attaché à l'indépendance de l'Insee, garantie de son efficacité, de sa fiabilité, et de la confiance des citoyens. Elle est déjà assurée dans les faits. Nous envisageons aujourd'hui de l'inscrire dans le droit, conformément aux recommandations du Code de bonnes pratiques de la statistique européenne de 2005. Nous attendons les conclusions du Cnis.
Monsieur Massion, selon vous, les indicateurs de cette mission ne sont pas pertinents. Je suis prêt à vous l'accorder parce que la pertinence d'indicateurs relatifs au travail et à l'emploi doit s'apprécier dans la mission « Travail et emploi ».
En effet, la mission « Travail, emploi » dispose de 11,3 milliards d'euros, alors que la mission « Développement économique » doit se contenter de 20 millions. Au demeurant, cela n'interdit pas d'améliorer les indicateurs actuels.
Monsieur de Montesquiou, vous avez prononcé une profession de foi pour doter notre pays de finances publiques équilibrées. Tel est bien l'objectif du Gouvernement. Alors que nos prédécesseurs ont affiché depuis un certain nombre d'années des budgets en déficit, nous voulons rétablir l'équilibre et désendetter l'État. Nous poursuivons à cette fin une double politique.
Le premier volet consiste à rétablir la compétitivité de nos entreprises. D'où les lois qui tendent à libérer le travail et qui favorisent l'investissement dans le capital des PME, notamment par les contribuables assujettis à l'ISF ; d'où notre soutien global à l'innovation.
Le second volet de cette action est la revue générale des politiques publiques, qui doit déboucher sur un État plus efficace à moindre coût. Je souhaite la nécessaire baisse des dépenses publiques, mais à l'issue de cette revue générale.
Je ne saurais donc trop vous encourager à soutenir le Gouvernement. (Sourires) Au demeurant, vous faites partie de la majorité. J'ai constaté de nombreuses convergences de vue.
M. Paul Raoult. - Et de nombreuses couleuvres avalées !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. - Le Gouvernement conduit avec détermination une politique économique cohérente. Au-delà de ces outils, il y a aussi une volonté, une détermination qui s'exprime au plus haut sommet de l'État pour rendre notre économie compétitive afin d'obtenir la croissance dont nous avons besoin. (Applaudissements à droite et au centre)
Les crédits de la mission sont adoptés.