Rappel au règlement
Mme Annie David. - Jamais l'application de l'article 40 n'aura été, dans ces lieux, aussi sévère. Je n'irai pas jusqu'à la qualifier d'antidémocratique, mais me contenterai de regretter que la commission des finances, en jetant l'anathème sur les amendements du groupe CRC et du groupe socialiste, voire de la commission des affaires sociales, prive la Haute assemblée d'un réel débat sur le financement de notre régime de protection sociale.
Ce sont les amendements du groupe CRC proposant de nouvelles ressources et améliorant la satisfaction des besoins qui ont été touchés. Crainte du débat ? Comment pourra-t-on traiter de l'allongement du congé de maternité, de l'aide médicale d'État, du financement de l'hôpital ou de l'indemnisation des victimes de l'amiante qu'on a laissé tuer au nom de la rentabilité ? Vous vous refusez à créer de nouvelles recettes pour mieux faire avancer la privatisation rampante de la sécurité sociale. Les conditions d'un débat démocratique sont-elles réunies quand toutes les propositions alternatives sont censurées ? La droite sénatoriale, commission des finances en tête, entend empêcher le Parlement de jouer son rôle : la fonction législative, raison d'être du Parlement, est réduite à son strict minimum. Cette nouvelle interprétation de l'article 40 pose la question de l'existence même du Parlement !
Je demande une réunion d'urgence de la commission des finances pour revenir sur la question de la présentation des amendements en séance publique. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Pierre Bel - Nous avions formulé un rappel au règlement hier et je m'associe aujourd'hui à la demande d'une convocation de la commission des finances.
M. le président. - Dans sa réunion du 20 juin dernier, la Conférence des Présidents a décidé « pour tenir compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ... d'appliquer à partir du 1er juillet un dispositif de contrôle préalable de la recevabilité financière des amendements ». J'ai adressé une lettre à ce sujet à chacun de vous et demandé à la commission des finances d'adresser à tous les sénateurs un vade-mecum sur la question.
M. Jean-Pierre Bel. - Des critères précis avaient été prévus. L'interprétation qui en est faite est abusive.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous siégeons à la Conférence des Présidents. Nous avons pris acte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, même si nous n'étions pas d'accord, mais la commission des finances semble ne pas avoir toujours la même interprétation. Nous demandons que la commission des finances se réunisse pour clarifier la situation.
M. Jean-Jacques Jégou. - Ni le président de la commission des finances, ni le rapporteur général ne sont encore là. Je ne veux pas dépasser ma condition, en tant que simple membre de cette commission, je puis néanmoins assurer qu'elle n'a pas manqué à ses obligations. (M. le président de la commission des finances entre en séance)
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Merci de me permettre de dissiper un éventuel malentendu. Voici un an, nous avons voté un projet de loi de financement de la sécurité sociale que le Conseil constitutionnel a censuré en faisant explicitement reproche au Sénat de n'avoir pas appliqué l'article 40 et en le sommant de le respecter. L'exercice n'est pas gratifiant pour ceux qui en assument la responsabilité. Plusieurs d'entre vous ont connu ce moment où ils sentaient qu'ils emportaient la conviction d'un nombre croissant de collègues, mais où tout s'arrêtait parce que, au moment de passer au vote, le ministre invoquait l'article 40. Le représentant de la commission des finances devait alors déclarer qu'il s'appliquait, ce qui suscitait une incompréhension, voire une colère, qui se manifestait parfois encore dans les couloirs, au sortir de l'hémicycle. Il arrivait aussi qu'un ministre, battu au moment des arbitrages interministériels, suscitât un amendement contre lequel il se gardait bien d'évoquer l'article 40 ; l'opinion était bientôt informée mais le Conseil constitutionnel semait la désillusion en censurant la disposition.
C'est pourquoi nous avons, sous votre autorité, monsieur le Président, décidé, avec l'accord de tous les groupes du Sénat (protestations à gauche), d'appliquer l'article 40. Depuis cette date, les auteurs des amendements concernés sont systématiquement prévenus : ainsi, j'ai signé des lettres ce matin, que certains d'entre vous, comme Mme David ou M. Godefroy, vont recevoir par dizaines. Dois-je rappeler que toute augmentations de la dépense publique n'est pas gageable ? Augmenter une dépense en augmentant à due concurrence une recette n'est pas recevable. (Exclamations d'incompréhension à gauche) Respecter la Constitution n'est pas bafouer la démocratie. (Applaudissements au centre et à droite)
M. le président. - Pour la petite histoire, je signale que nous avions modifié l'application de l'article 40 à l'initiative du président Dailly.
M. Jean-Pierre Godefroy. - L'argumentation du président de la commission des finances pourrait être recevable pour la plupart des textes, mais quand il s'agit de textes financiers, l'impossibilité de proposer une augmentation des dépenses nous prive de tout moyen d'action. Nous ne savons même pas pourquoi nos amendements tombent sous le coup de l'article 40 car la commission des finances ne motive pas ses décisions. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. François Autain. - Il y a deux poids, deux mesures.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - C'est faux !
M. François Autain. - Et cet amendement ? (L'orateur brandit un amendement)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. - Grande a été ma surprise de voir qu'un de mes amendements avait été écarté alors qu'un amendement similaire du groupe CRC ne l'était pas ! (Rires à gauche) Je m'en suis expliqué avec le président de la commission des finances. J'ai ensuite appris qu'un amendement de la commission des affaires sociales avait été retoqué alors qu'il ne s'agissait pas de créer une dépense nouvelle mais de modifier une dépense existante : il s'agissait d'un transfert entre maison du handicap et assurance maladie. Or le jour où nous sommes avertis que nos amendements sont retoqués, nous sommes forclos et ne pouvons plus les corriger : il y a là une entrave au travail parlementaire. Ce n'est pas acceptable, d'autant que le Conseil constitutionnel n'a jamais sanctionné une disposition au titre de l'article 40. Je comprends et admets le processus qui a été engagé mais il faut permettre aux parlementaires de redéposer les amendements rectifiés : il y va des droits du Parlement. (Applaudissements à gauche)