Contrôleur général des lieux de privation de liberté (Suite)
Renvoi en commission
M. le Président. - Motion n°59, présentée par M. C. Gautier et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la Commissions des lois le projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté (n° 371, 2006-2007).
M. Louis Mermaz. - La mise en place d'un contrôle indépendant des lieux de privation de liberté répond à une exigence internationale prévue par le protocole facultatif à la Convention des Nations unies du 18 décembre 2002, signé par la France le 16 septembre 2005, qu'elle s'est engagée à ratifier avant la fin du premier semestre 2008, alors que le protocole est en vigueur depuis juin 2006. Cette mesure avait été annoncée dès 1999, à la suite du rapport de la commission Canivet de juillet 1999 et des rapports de l'Assemblée nationale et du Sénat, portant sur la situation dans les prisons. Le Sénat avait ouvert la voie en adoptant en 2001 une proposition de loi de MM. Hyest et Cabanel. Puis plus rien, jusqu'à la fin de la législature qui s'est achevée au printemps 2002 ni tout au long de celle qui s'est étendue de 2002 à 2007.
A l'examen du présent projet de loi et des amendements votés par la commission des lois une question se pose : la création, telle que prévue, d'un contrôle général des prisons permettra-t-elle vraiment d'alerter l'opinion, les pouvoir publics, le gouvernement ? Aura-t-elle des conséquences sur l'évolution de la politique pénale en France, sur les moyens mis à la disposition des ministères de la Justice et de l'Intérieur ? Encore faut-il que le contrôleur général, tel qu'il nous est proposé, dispose de moyens réels. Voyons de quoi il retourne.
Notre commission, se souvenant de la proposition de loi adoptée en 2001, s'est sentie obligée de remédier -en partie seulement, hélas !- aux carences, aux insuffisances et aux ambiguïtés du projet gouvernemental. Elle n'a cependant accompli qu'une partie du chemin indispensable pour assurer l'indépendance et l'efficacité de ce contrôle général.
L'examen des amendements de l'opposition n'ouvrant la plupart du temps aucun espace, ni à la confrontation des points de vue, ni au dialogue, se concluant par des réponses mécaniques, trop souvent du rapporteur et toujours du gouvernement, il nous semblerait judicieux de voter la présente motion de renvoi en commission. Cela aurait l'avantage de permettre dans un climat, souhaitons-le apaisé, de doter la France d'un véritable contrôle général conforme à ses engagements internationaux. Le Sénat s'honorerait en ouvrant ainsi la voie à un autre regard des pouvoirs publics et de l'opinion sur les libertés, trop souvent bafouées hypocritement, malgré d'innombrables professions de foi non suivies d'effet.
Si ce projet de loi a été amendé par la commission des lois, il l'a été trop timidement, même si c'est dans le bon sens. Nous apprécions ainsi le voeu, même s'il ne s'agit que d'un voeu, que le choix de la première personnalité appelée à exercer de telles fonctions asseye le magistère moral de cette autorité. Attendons pour voir.
Nous déplorons que le projet de loi, tel qu'il nous arrive de la commission des lois, ne soit pas accompagné d'une étude d'impact. Est-ce parce que le gouvernement et sa majorité répugnent à voir dresser le tableau de la situation provoquée par les lois répressives Perben et Sarkozy ? D'aucuns prévoient 80 000 emprisonnements dans dix ans...
Une étude d'impact aurait également permis d'apprécier la situation faite aux immigrés dits en situation irrégulière dans les zones d'attente et les centres de rétention administrative, situation qui s'est aggravée avec le démantèlement du droit d'asile à la suite du vote de la loi du 10 décembre 2003.
Pourquoi ne pas reprendre les dispositions de la proposition de loi de MM. Hyest et Cabanel, adoptée ici même en 2001, et les conclusions de la commission d'enquête du Sénat sur les conditions pénitentiaires ? Nous ne pouvons nous satisfaire de la procédure de nomination du Contrôleur général. Le gouvernement aurait-il déjà oublié l'engagement du Président de la République d'associer pleinement le Parlement à la nomination des membres des autorités indépendantes ? On nous objecte qu'un comité Théodule est chargé d'y réfléchir mais il est temps de rompre avec le type de nomination de tant d'organismes et de conseils dont les prétendues prérogatives empiètent sur les droits de la représentation nationale. Nous avons aujourd'hui l'occasion de mettre un terme à cet abaissement du Parlement en faisant preuve d'un minimum de responsabilité et d'audace.
Puisque le Contrôleur général devra s'occuper de 5 500 lieux privatifs de liberté, nous ne pouvons nous satisfaire du flou qui entoure la nomination et les pouvoirs de ses assistants. Pourquoi pas une spécialisation des contrôleurs et un rôle de coordination dévolu au Contrôleur général?
Vous passez sous silence la question du contrôle des lieux de détention français situés à l'étranger.
Et surtout, vous dotez le Contrôleur général de pouvoirs réduits quand il faudrait lui accorder un droit de visite illimité comme celui dont jouissent les parlementaires, lui permettre d'entendre toute personne intervenant dans un centre privatif de liberté et de rencontrer tout détenu en faisant la demande et ne pas restreindre ses pouvoirs d'investigation. Sur ce dernier point, la commission s'est bornée à supprimer la référence à la sécurité des lieux. Or toutes les restrictions prévues par le texte, du secret de la défense nationale à la sûreté de l'État, entraveront de manière arbitraire et insupportable un Contrôleur général qui est déjà tenu au secret professionnel.
Enfin, pour éviter que les rapports de cette autorité indépendante garnissent les rayonnages des ministères sans entraîner de suite, le ministre de la justice, une fois informé, doit être tenu d'y répondre et le Contrôleur général doit rendre publiques, au-delà de recommandations et de propositions, des injonctions lorsqu'il y a atteinte aux droits fondamentaux des personnes privées de liberté.
Bref, si nous voulons conférer au contrôleur général le statut et les moyens qui lui permettront d'agir, et non faire semblant, la commission doit se remettre immédiatement au travail en s'inspirant de la proposition de loi de MM. Hyest et Cabanel et en tenant compte des engagements pris par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale. De toute façon, pour que ce texte soit mis en oeuvre, nous devrons adopter une loi pénitentiaire, sans quoi les ministères de la justice et de l'intérieur n'auront pas les moyens de faire face à leurs obligations. Ce devrait être l'objet de nos travaux cet automne. En attendant, créer un véritable contrôleur général des lieux privatifs de liberté, ce sera déjà s'engager sur la voie de la réforme ! (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Monsieur Mermaz, je vais tenter de ne pas répondre de manière trop mécanique (Sourires) ...à cette critique quelque peu systématique. Pourquoi renvoyer le texte en commission quand le Sénat a l'expérience de la commission d'enquête ? Nous avons déjà attendu trop longtemps, notamment parce que votre majorité s'est montrée très prudente... Qui a adopté la loi d'orientation et de programmation pour la justice et a amélioré les conditions de détention et construit des établissements pénitentiaires pour les mineurs ? C'est nous ! (M. Gournac approuve.) Certes, c'est insuffisant. D'où le texte pénitentiaire que nous examinerons cet automne qui, madame le Garde des sceaux, devra être une nouvelle loi de programmation. Les nombreux travaux que le Sénat a consacrés à la question, la trentaine d'auditions organisées par la commission des lois, le niveau de connaissance de chacun des intervenants prouvent que le renvoi en commission n'est pas utile. D'autant que le Sénat a adopté une proposition de loi qui allait dans le même sens en 2001...
M. Alain Gournac. - Nous sommes cohérents !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Compte tenu de l'urgence, l'heure n'est plus à la délibération. Avis défavorable. (Applaudissements à droite)
A la demande du groupe socialiste, la motion n°59 est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 325 |
Nombre de suffrages exprimés | 317 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l'adoption | 119 |
Contre | 198 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La séance est suspendue à midi cinquante-cinq.
présidence de M. Christian Poncelet
La séance reprend à 16 heures.