- Jeudi 2 mai 2024
- Audition de Mme Emmanuelle Blatmann, directrice d'Afrique et de l'océan Indien au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, accompagnée de M. Alexandre Olmedo, sous-directeur d'Afrique australe et de l'océan Indien
- Audition de M. Axel-David Guillon, premier conseiller auprès de Nabil Hajlaoui, ambassadeur de France en Tanzanie (en visioconférence)
Jeudi 2 mai 2024
- Présidence de Mme Micheline Jacques, présidente -
La réunion est ouverte à 10 h 30.
Audition de Mme Emmanuelle Blatmann, directrice d'Afrique et de l'océan Indien au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, accompagnée de M. Alexandre Olmedo, sous-directeur d'Afrique australe et de l'océan Indien
Mme Micheline Jacques, président. - Dans le cadre de la préparation du rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, nous accueillons ce matin, Mme Emmanuelle Blatmann, directrice d'Afrique et de l'océan Indien au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Elle est accompagnée de M. Alexandre Olmedo, sous-directeur d'Afrique australe et de l'océan Indien
Madame la directrice, nous vous remercions de vous prêter à cet échange. Nos travaux partent du constat que la coopération régionale dans les outre-mer est encore trop peu développée, alors qu'elle représente un potentiel considérable pour le rayonnement de la France, mais surtout pour le développement propre des territoires ultramarins. La coopération et l'intégration régionales sont aussi un facteur de stabilisation et de sécurité, car les outre-mer sont de plus en plus exposés à des menaces et à des risques géostratégiques. C'est tout particulièrement le cas de Mayotte et de La Réunion.
Votre audition intervient à la suite d'un déplacement de la délégation sénatoriale aux outre-mer à La Réunion et à Maurice, où nous avons notamment rencontré les autorités mauriciennes ainsi que le secrétariat général de la Commission de l'océan Indien (COI). Nous serons dans quelques semaines à Mayotte.
Par ailleurs, nous avons auditionné au Sénat de nombreux acteurs ou observateurs de cette coopération, et tout particulièrement l'ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien, Jean-Claude Brunet. Nous auditionnerons aussi, après vous, l'ambassadeur de France en Tanzanie, afin d'avoir un éclairage sur les perspectives de coopération entre Mayotte et ce partenaire essentiel dans la région du canal du Mozambique.
Un questionnaire indicatif vous a été transmis la semaine dernière afin de guider nos échanges. Votre audition doit en particulier permettre à notre délégation de comprendre la part prise par nos outre-mer de l'océan Indien dans la définition et la conduite de la politique extérieure de la France dans cette zone. Dans quelle mesure les enjeux et les intérêts propres de ces territoires déterminent-ils la politique étrangère de la France ?
Vous nous direz notamment comment l'enjeu ultramarin est intégré à vos réflexions et au travail quotidien de votre direction et des ambassades de France dans la région. À l'inverse, comment les outre-mer sont-ils informés de la mise en oeuvre de la politique de coopération régionale ? Comment y sont-ils associés et mis en avant ?
La reconnaissance pleine et entière de l'appartenance de Mayotte à la République française est un autre enjeu clé. Est-elle au centre de notre diplomatie dans la région ?
Au sujet de la COI, cette organisation régionale vous paraît-elle constituer un cadre efficace pour amplifier la coopération régionale ? Comment expliquer le paradoxe résultant du large financement par la France au regard du statut accordé à Mayotte dans cette institution ?
Mme Emmanuelle Blatmann, directrice d'Afrique et de l'océan Indien au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. - Votre mission d'information fait écho aux travaux de l'État sur l'insertion régionale des outre-mer, récemment illustrés par la tenue du comité interministériel des outre-mer (CIOM), qui a pris des engagements sur l'association des outre-mer à la conduite de notre politique étrangère dans leurs bassins régionaux respectifs. Nous n'avions toutefois pas attendu le CIOM pour prendre en compte le rôle singulier des outre-mer dans les relations de la France avec leurs voisins. Ainsi l'insertion régionale de La Réunion et de Mayotte est-elle une priorité de la direction d'Afrique et de l'océan Indien.
Nos territoires dans la région sont les témoins de notre identité indopacifique et africaine, dont nous sommes fiers, ainsi que d'importants relais de notre influence historique dans cette zone, de la coopération bilatérale et régionale que nous menons et de la stratégie indopacifique voulue par le Président de la République. Ce sont également des territoires à défendre face aux revendications de souveraineté dont ils font l'objet - c'est le cas aussi de territoires non habités comme l'île Tromelin ou les îles Éparses du canal du Mozambique -, mais aussi face aux catastrophes naturelles, aux effets du changement climatique, à la criminalité organisée ou aux trafics divers.
Notre réseau diplomatique est pleinement mobilisé pour soutenir les outre-mer du bassin du sud-ouest de l'océan Indien, non seulement pour répondre à ces défis, mais aussi plus généralement pour créer les conditions d'un développement harmonieux de la région et pour rendre leur environnement le plus sûr, le plus prospère et le plus stable possible. Nous travaillons à tisser des relations étroites avec chaque pays de la région et nous nous engageons fortement dans les enceintes de coopération régionale. Associer nos territoires à ces initiatives est un objectif majeur : c'est déjà le cas pour La Réunion, et nous nous efforçons de renforcer la participation de Mayotte.
Je commencerai par répondre à la première question portant sur la situation géopolitique dans la région, mais plus précisément en Afrique de l'Est et en Afrique australe ainsi que dans la zone sud-ouest de l'océan Indien.
L'Afrique, y compris sa partie insulaire, est une priorité de la politique étrangère de la France. La situation est variable. Si l'Afrique de l'Est reste profondément marquée par une forte instabilité, elle dispose également de nombreuses opportunités.
Pour ce qui concerne l'Éthiopie et le Soudan, les ambitieuses transitions lancées voilà quelques années ont connu un coup d'arrêt brutal du fait de l'explosion du conflit au nord de l'Éthiopie, puis à la suite du coup d'État d'octobre 2021 au Soudan qui a abouti à l'éclatement, le 15 avril 2023, d'une guerre fratricide entre généraux des forces armées soudanaises et d'une des principales milices paramilitaires. Le 15 avril dernier, à l'occasion du tragique premier anniversaire du conflit, la France a pris une initiative majeure en réunissant la communauté internationale à Paris afin d'apporter une réponse humanitaire et politique à ce qui est devenu l'une des plus graves crises humanitaires à l'échelle du continent, et probablement du monde. En Éthiopie, la dynamique issue de l'accord de Pretoria de 2022, bien que fragile, permet une reprise progressive de la coopération avec ce partenaire stratégique.
À la faveur de la crise en Éthiopie, l'Érythrée s'est renforcée sur la scène régionale à l'échelle de la Corne de l'Afrique. Nous maintenons des contacts limités, mais réguliers via notre ambassade et notre ambassadeur à Asmara.
En Somalie, l'offensive du président Hassan Cheikh Mohamoud contre le groupe terroriste des Shebab et l'amorce de la transition entre la Mission de transition de l'Union africaine en Somalie (Atmis) et les forces armées somaliennes ont permis d'avancer, mais les défis demeurent. Ces derniers mois, l'armée somalienne a subi plusieurs revers et les forces armées locales ne parviennent pas à assumer la reprise des responsabilités de sécurité de l'Atmis, censées arriver à leur terme fin 2024. La lutte contre les Shebab doit se poursuivre ; c'est pourquoi nous estimons nécessaire de maintenir une présence internationale après le retrait de l'Atmis. À ce titre, la poursuite du renforcement des capacités de l'armée somalienne fait partie des priorités de la France, afin de juguler la menace terroriste et les flux migratoires qui s'ensuivraient.
Dans ce contexte régional tendu, Djibouti, qui accueille une base militaire française ainsi que des bases militaires américaine, chinoise, japonaise et italienne, constitue un îlot de stabilité et un partenaire essentiel pour la France dans la région. La renégociation en cours du traité de coopération militaire et de défense entre la France et Djibouti fait partie des dossiers que nous suivons de très près. Ouvert sur le détroit stratégique du Bab-el-Mandeb qui relie l'Afrique à la péninsule arabique, le territoire djiboutien s'impose comme un point de passage des migrations et des trafics entre ces différentes zones géographiques.
Djibouti est un acteur essentiel pour la sécurité de la navigation en mer Rouge face aux attaques des Houthis provenant du Yémen, et aussi un acteur important sur le plan économique : du fait de sa position géostratégique, c'est un débouché portuaire majeur pour les pays de la région - particulièrement vital pour l'Éthiopie qui est enclavée et dont plus de 90 % des biens exportés transitent par Djibouti.
Parmi les opportunités, il faut citer le cas du Kenya, qui a réussi sa transition démocratique à l'été 2022 et qui investit de façon croissante dans son environnement régional. Nairobi est l'un des pôles de stabilité de la région, avec lequel nous renforçons activement nos relations. Le nombre d'entreprises françaises y a triplé depuis dix ans. La France a également renforcé ses coopérations universitaires et culturelles. Nous travaillons étroitement avec les autorités kenyanes sur les enjeux globaux, notamment le changement climatique qui est un défi majeur pour la région.
En Tanzanie, la politique d'ouverture de la présidente Samia Suluhu Hassan, qui a exprimé sa volonté de densifier la relation bilatérale avec la France, a permis de sortir le pays de l'isolement dans lequel son prédécesseur l'avait plongé. Nous en faisons désormais l'une de nos priorités, puisque la Tanzanie a été retenue comme l'un des pays accélérateurs des nouveaux partenariats entre la France et les pays africains voulus par le Président de la République ; ces projets sont également défendus par la secrétaire d'État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux, Mme Chrysoula Zacharopoulou. La France entend ainsi dynamiser ses relations dans trois secteurs clés - l'énergie, l'eau et l'économie bleue -, mais aussi l'égalité de genre et l'autonomisation des femmes.
L'Afrique australe est une autre zone prioritaire, et trois autres pays accélérateurs de partenariats s'y trouvent : le Botswana, la Namibie et la Zambie. Comme toutes les régions d'Afrique, cette zone est confrontée à de nombreux enjeux sécuritaires, sanitaires ou alimentaires.
Depuis 2017, le Mozambique fait l'objet d'une insurrection djihadiste de groupes originaires de la province du Cabo Delgado ayant prêté allégeance à l'État islamique : plus de 4 000 morts et 1 million de déplacés internes ont été recensés. Après avoir fait appel à des sociétés de sécurité privées sans obtenir de succès opérationnel, le président mozambicain a décidé de s'appuyer sur des forces de défense rwandaises - plus de 3 000 soldats sont déployés -, ainsi que sur celles de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) et de partenaires internationaux, dont l'Union européenne. Si la montée en puissance de la menace terroriste a été contenue, les groupes armés terroristes poursuivent leurs exactions. Ce facteur de risque pour la sécurité dans le canal du Mozambique met en péril - à 400 kilomètres de Mayotte - les intérêts économiques de plusieurs firmes françaises et européennes dans la région. Nous sommes pleinement mobilisés pour aider le Mozambique à gérer cette crise.
Du point de vue sanitaire, on déplore ces dernières années plusieurs épidémies. Faute d'eau potable, d'infrastructures d'assainissement et de traitement des déchets, une importante épidémie de choléra sévit en Zambie, au Zimbabwe et au Malawi. Des milliers de cas ont été aussi recensés, ces dernières semaines, aux Comores, à Madagascar et plus récemment à Mayotte. En outre, depuis février 2024, la Zambie, le Malawi et le Zimbabwe ont dû déclarer l'état d'urgence nationale en raison de graves sécheresses, notamment provoquées par le phénomène El Niño, qui a détruit une grande partie des récoltes. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), plus de 2 millions de Zambiens, 6 millions de Malawites et 5,5 millions de Zimbabwéens sont, à ce jour, en situation d'insécurité alimentaire. Ces trois pays appellent donc la communauté internationale à les soutenir.
Le sud-ouest de l'océan Indien est un espace stratégique pour la France. Les territoires français situés dans la zone, qui abritent plus d'1 million de ressortissants français et un quart de la zone économique exclusive de la France dans la région, sont les témoins de l'identité régionale française.
Dans son discours de 2019, le Président de la République avait souligné le rôle de La Réunion comme territoire d'ancrage de la France dans l'espace indopacifique. La Réunion et Mayotte font de la France un État de l'espace africain et sont les portes d'entrée de la France dans les enceintes de la coopération régionale, notamment la COI, seule organisation africaine dont la France est membre, et l'Association des États riverains de l'océan Indien (Iora).
En matière de développement économique, la zone est hétérogène. Elle comprend deux pays figurant parmi les plus pauvres - Madagascar et les Comores - et deux pays à revenu intermédiaire - Maurice et les Seychelles. Il s'agit d'une zone de passage commercial très importante : 30 % du trafic mondial des méthaniers transitent par le canal du Mozambique, notamment les très gros navires qui ne peuvent pas passer par le canal de Suez. Toutefois, le commerce régional demeure très faible.
Pour la France, les enjeux dans la région sont multiples.
Il s'agit, d'abord, des migrations irrégulières vers Mayotte depuis les Comores et le continent africain, ainsi que vers La Réunion depuis le Sri Lanka.
Il y a, ensuite, les enjeux sécuritaires : la présence d'un foyer terroriste au Mozambique, à quelques centaines de kilomètres des côtes mahoraises, et la nécessité de sécuriser les flux commerciaux maritimes.
Il faut également citer l'enjeu de la francophonie : on compte 73 % de francophones à Maurice et 53 % aux Seychelles, auxquels il faut ajouter un quart des ressortissants comoriens, qui constituent la diaspora la plus nombreuse, et plus de 100 000 Malgaches vivant en France.
Les autres enjeux sont touristiques et économiques, avec un fort poids de l'économie bleue, mais aussi climatiques et environnementaux, liés à la protection des océans, à l'exposition aux événements météorologiques extrêmes ou à la biodiversité endémique abondante.
Une prise en charge collective de ces enjeux est nécessaire, mais elle se heurte souvent aux importantes disparités économiques de la région.
Nous faisons face à deux défis d'ampleur que vous avez mentionnés, madame la présidente.
Le premier défi est celui des contestations de la souveraineté française à Mayotte, sur les îles Éparses du canal du Mozambique et sur l'île Tromelin, qui brident quelque peu la coopération régionale et la défense des biens communs, même si nous avons réussi à les traiter dans un cadre strictement bilatéral depuis un certain nombre d'années.
Le second défi d'ampleur, c'est la sécurité maritime au sens large : les trafics illicites, la pêche illégale, les risques d'extension du terrorisme ou encore les pollutions marines. La région du sud-ouest de l'océan Indien appartient également à l'espace indopacifique, ce qui en fait un terrain de compétition pour certaines grandes puissances, y compris pour les compétiteurs stratégiques de la France.
Les principales menaces liées à l'environnement régional sont donc d'ordre sécuritaire, migratoire et environnemental.
Sur le plan sécuritaire, l'insurrection djihadiste au Mozambique, précédemment évoquée, comporte des risques d'extension. S'y ajoute la situation en Somalie, qui provoque la migration de réfugiés somaliens vers Mayotte. Les autres enjeux de sécurité sont notamment les trafics de drogue, d'êtres humains ou d'espèces protégées, ainsi que les activités criminelles y afférentes.
Pour ce qui concerne les mouvements migratoires, on constate à Mayotte d'importants flux en provenance des Comores, qui donnent lieu à près de 25 000 reconduites à la frontière par an - le nombre le plus élevé au monde -, mais aussi en provenance de Madagascar et, plus récemment, du continent africain, notamment de la région des Grands Lacs et d'Afrique de l'Est. Ces mouvements restreignent l'accès de la population française aux infrastructures de base, qui sont déjà en tension. L'État prend en charge ces flux : il crée les conditions nécessaires à la reconduite vers leur pays d'origine des étrangers en situation irrégulière sur le territoire français, tout en cherchant à répondre aux causes profondes de l'émigration dans les pays d'origine. Des négociations sont en cours - elles avancent plutôt bien - avec les pays de transit et les pays de départ en Afrique continentale pour aboutir à des accords de réadmission. La Réunion est également destinataire de flux migratoires. Quant aux enjeux environnementaux, je les ai déjà évoqués.
J'en viens aux compétiteurs stratégiques. Un certain nombre d'entre eux peuvent tenter de nous déstabiliser par l'intermédiaire des pays voisins des territoires d'outre-mer, lesquels font l'objet d'actions d'influence et servent parfois de base arrière à l'organisation de réseaux d'influence. Nous sommes très attentifs à ces stratégies et surveillons les moyens et relais utilisés.
Une des questions posées avait trait à l'état des relations de la France avec les différents pays du sud-ouest de l'océan Indien. Je m'attacherai notamment aux Comores, à Madagascar et à Maurice. La présence des territoires ultramarins dans la zone est un déterminant important dans les relations avec ces pays pour des raisons de proximité, de flux et de liens humains, mais aussi du fait de l'implication des différentes souverainetés dans la structuration des relations bilatérales.
La relation avec les Comores est globalement bonne. Elle s'appuie sur les déterminants objectifs que sont les liens historiques, géographiques et humains, la francophonie, et sur la volonté politique partagée d'assurer la stabilité de la région. Elle se décline dans de nombreux domaines, y compris économique et militaire. Toutefois, le climat des affaires, qui n'est pas aussi bon qu'espéré, a conduit au retrait de nombreuses entreprises françaises. La relation bilatérale repose pour l'essentiel sur deux piliers : les investissements solidaires, symbolisés par le plan de développement France-Comores, signé en 2019, qui permet de lutter contre les causes profondes de l'émigration, et la lutte contre l'immigration clandestine. Elle s'assortit d'un dialogue assez franc, mais constructif, sur les principaux enjeux bilatéraux, notamment notre différend en matière de souveraineté et la consolidation de l'État de droit et de la démocratie.
La relation bilatérale avec Madagascar est particulièrement dense dans tous les domaines. La France est le deuxième fournisseur d'aide publique au développement (APD), avec 120 millions d'euros par an, et les entreprises françaises y sont engagées dans plusieurs projets économiques d'envergure. La coopération décentralisée ainsi que la coopération culturelle et linguistique sont également développées - le pays compte 29 Alliances françaises et 23 établissements conventionnés ou homologués par l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), ce qui en fait le réseau d'Alliances françaises le plus important de la zone.
Dans le domaine patrimonial, la France et Madagascar poursuivent leur coopération, à la suite de la demande officielle de restitution du crâne du roi Toera.
Madagascar est aussi notre principal partenaire de défense en Afrique australe et dans l'océan Indien. Le différend relatif à la souveraineté sur les îles Éparses fait l'objet de discussions bilatérales, notamment dans le cadre d'une commission mixte franco-malgache dédiée, qui favorise également la coopération en matière de pêche durable, de sécurité maritime, de recherche ou de protection de la biodiversité.
La relation avec Maurice est également assez dense et s'appuie sur la proximité historique, géographique et humaine avec La Réunion : la commission mixte La Réunion-Maurice permet de décliner la coopération régionale entre les îles. La France y est un acteur économique majeur - premier partenaire bilatéral en termes d'APD -, mais les domaines culturels, scientifiques ou de recherche sont aussi concernés. La coopération en matière de défense et de sécurité est très dynamique, alimentée par la proximité des forces armées dans la zone sud de l'océan Indien (Fazsoi) et la réunion régulière d'un groupe de contact sur la sécurité entre La Réunion et Maurice.
L'intégration régionale des territoires ultramarins avec ces trois pays est, pour nous, une priorité. Elle est plus aboutie pour La Réunion que pour Mayotte, dont le rôle régional est quelque peu disputé. Nous avons cependant obtenu certains succès : l'attribution d'un programme Interreg de l'Union européenne dédié, et l'accord des Comores pour associer Mayotte à plusieurs programmes de la COI, et son inclusion dans le périmètre géographique du programme pour la promotion de la sécurité maritime, lancé en 2018. Par ailleurs, depuis 2019, Mayotte est membre à part entière de deux projets régionaux, l'un portant sur la coopération sanitaire et l'autre sur la sécurité alimentaire et animale. Par ce travail diplomatique, nous avons réduit l'activisme des États qui contestent la souveraineté française dans les enceintes internationales, grâce au développement de la coopération décentralisée de Mayotte, y compris avec les Comores, ou à l'attribution à Mayotte des Jeux des îles de l'océan Indien (JIOI) en 2035.
Les priorités sectorielles pour favoriser l'insertion régionale des territoires ultramarins sont : l'agriculture ; l'approvisionnement alimentaire ; la sécurité maritime ; la connectivité aérienne et maritime ; la coopération culturelle ; la formation professionnelle. Le développement des relations et de la coopération entre les territoires ultramarins français et les États du continent africain, notamment les États côtiers, mais aussi avec toute la région du sud-ouest dans le cadre des organisations de coopération régionale - COI et Iora -, qui est positif et pertinent, gagnerait à être renforcé sur le terrain, en s'émancipant des questions de souveraineté, car les acteurs locaux sont conscients qu'ils ont intérêt à travailler ensemble.
Sur le continent, la Tanzanie est le pays de la zone Afrique orientale pour lequel les coopérations avec les outre-mer pourraient être le plus utilement et le plus facilement développées. Des contacts existent déjà entre des entrepreneurs de Mayotte et des fermes de Tanzanie pour l'exportation de produits maraîchers, par exemple. Des fonds européens du programme Interreg déjà mentionné pourraient financer différents aspects de cette coopération. Les autres pays avec lesquels existent des coopérations sont notamment le Mozambique, l'Afrique du Sud et la Namibie.
Dans la définition de la politique étrangère de la France, les outre-mer sont pour beaucoup à l'origine des liens étroits tissés entre la France et les voisins de la région. Disposer de territoires d'outre-mer renforce notre intérêt à promouvoir une zone stable et un développement régional harmonieux. Les programmes européens de coopération territoriale, pilotés par les collectivités, apportent un concours essentiel à la coopération régionale. Les fonds de coopération régionale (FCR), pilotés par les outre-mer, jouent un rôle d'amorce de projets régionaux. Enfin, les collectivités mènent une coopération décentralisée active, soutenue par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
Pour coordonner l'action de l'État et des collectivités, mais aussi de l'ensemble des parties prenantes à la coopération régionale, y compris les secteurs privé et associatif, une plateforme de coopération de la France de l'océan Indien a été créée en 2019. Elle réunit les préfectures de La Réunion et de Mayotte, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), le conseil régional de La Réunion, les conseils départementaux de La Réunion et de Mayotte, l'Agence française de développement et l'ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien, que vous avez déjà auditionné récemment. Une large gamme d'acteurs de la coopération régionale est associée en tant que de besoin, ce qui fluidifie la diffusion de l'information sur les activités de coopération régionale et permet de coordonner les différentes initiatives.
L'ambassadeur Brunet organise aussi, régulièrement, une conférence de coopération régionale de l'océan Indien. Relancée cette année à Mayotte, elle réunit les élus locaux et nationaux, les acteurs de la coopération régionale dans les collectivités et « l'équipe France » élargie, à savoir notamment les ambassadeurs et les ambassadrices de France de la région. Cette plateforme et cette conférence de coopération régionale constituent des cadres de concertation et de coopération régionaux, qui permettent une association étroite des collectivités et une concertation sur les priorités de la coopération régionale.
Au-delà de ces cadres globaux, l'État tient compte des problématiques spécifiques de chaque collectivité dans son environnement régional au travers des lois votées au cours des années 2000 et, plus récemment, de la loi n° 2016-1657 du 5 décembre 2016 relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional, dite Letchimy, et des conclusions du CIOM. L'État renforce constamment l'association des outre-mer et la prise en compte de leurs intérêts dans la coopération régionale et la conduite de la politique étrangère de la France dans la région. Dans ce cadre, des conseillers diplomatiques ont été placés auprès des préfets de La Réunion et de Mayotte, et nous travaillons à l'affectation d'agents des collectivités de Mayotte et de La Réunion au sein des ambassades de France dans la région - La Réunion met déjà à disposition des volontaires et des chargés de mission dans son voisinage et les discussions avec le conseil départemental de Mayotte sont bien avancées. L'État, représenté par le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, a signé, le 11 mars 2024, une convention de partenariat avec le conseil départemental de Mayotte afin d'accroître la coopération, notamment en matière de formation.
Pour ce qui concerne les aspects européens, les deux régions ultrapériphériques que sont Mayotte et La Réunion ne s'inscrivent pas, à proprement parler, dans la politique européenne de voisinage, qui s'applique d'abord au voisinage méridional et oriental de l'Union européenne (UE). Pour autant, l'Union a développé des outils favorisant l'intégration directe des territoires excentrés au sein de la région : les programmes Interreg.
Le programme Interreg V Océan Indien, piloté par le conseil régional de La Réunion, est doté de 62,2 millions d'euros pour la période 2021-2027. Ses priorités stratégiques sont la recherche, la coopération économique, le développement durable, l'inclusion et le développement social. Le programme Interreg VI Canal du Mozambique, créé en 2021 et piloté par le conseil départemental de Mayotte, est doté de 10,2 millions d'euros pour la période 2021-2027 et s'attache aux questions de recherche, d'innovation, d'environnement ou d'inclusion sociale. La stratégie de l'Union européenne pour les régions ultrapériphériques a été publiée en mai 2022, après une concertation publique organisée l'année précédente, en concertation avec les régions ultrapériphériques et les États membres. La Commission européenne s'est engagée à accorder une attention particulière à ces régions au regard de leurs enjeux spécifiques : l'isolement, l'exposition aux effets du changement climatique, les vulnérabilités sociales, les difficultés d'accès et les enjeux de mobilité.
L'UE est un bailleur de fonds historique de la COI. Si la plupart des projets sont désormais achevés, un financement de 70 millions d'euros qui bénéficie directement à la coopération régionale est encore en cours. Il concerne la sécurité maritime, la sécurité portuaire et de navigation, la sécurité alimentaire et la gestion des risques de catastrophe. Nos territoires ultramarins bénéficient donc également de ces programmes. L'association de l'Union européenne aux activités de l'Iora est plus récente - elle date de 2023 - et nous permettra de développer de nouveaux partenariats.
La convention de partenariat entre l'État et le conseil départemental de Mayotte, précédemment citée, crée un cadre de partenariat et de dialogue pour favoriser l'insertion régionale de Mayotte et les activités communes entre l'État et la collectivité en matière d'action extérieure. Un Comité pour l'insertion régionale de Mayotte a été instauré et se réunira régulièrement avec l'ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien et le président du conseil départemental de Mayotte, pour faire vivre les engagements conjoints. Cette convention s'inscrit dans l'engagement du Gouvernement en faveur du rayonnement régional de Mayotte et de la reconnaissance par ses voisins de la souveraineté française. Elle concrétise aussi notre volonté d'associer les outre-mer à la définition de la politique étrangère de la France dans cette zone et favorisera une compréhension mutuelle des enjeux, des besoins et des marges de manoeuvre de la France dans la région.
La France conduit-elle une action d'influence auprès des États de la région pour obtenir la reconnaissance pleine et entière de la souveraineté française sur Mayotte ? Oui, et c'est un élément central de notre relation avec ces pays. En la matière, notre approche ne doit pas être défaitiste : Mayotte, c'est la France. Ce choix, qui a été exprimé à plusieurs reprises par les Mahorais, nous honore et nous oblige.
Face à la réalité des faits, les tentatives de remise en cause de la souveraineté française, que nous nous attachons à faire taire, ne pèsent pas grand-chose. Depuis 1994, aucune résolution des Nations unies n'a remis en cause la souveraineté française sur Mayotte, et nous avons obtenu des Comoriens qu'ils cessent tout activisme officiel en la matière, à l'ONU comme au sein de l'Union africaine (UA).
Nous pesons de tout notre poids pour défendre Mayotte dans son environnement régional. Nous avons ainsi négocié activement pour obtenir un degré inégalé de coopération migratoire avec les Comores, et nous défendons l'insertion de Mayotte dans les organisations régionales. Et auprès des autres États de la région, nous faisons valoir la réalité de la souveraineté française et la nécessité d'adopter une approche lucide à cet égard.
J'en viens à la question relative à la conditionnalité des aides au développement. Nous faisons en sorte d'avoir un réglage très fin de nos actions et d'obtenir des concessions concrètes au bénéfice de Mayotte, en évitant que la situation actuelle ne se dégrade. Ainsi, au plan migratoire, chercher à imposer à tout prix une reconnaissance formelle de la souveraineté française pourrait mener à une rupture de notre coopération bilatérale. Le remède serait alors pire que le mal.
Des discussions ont été engagées avec les pays de transit d'Afrique continentale - Éthiopie, Kenya et Tanzanie - pour faciliter les retours vers les pays de départ, renforcer les contrôles dans les aéroports de transit et lutter contre les filières d'immigration clandestine. Des discussions sont également en cours avec les pays de départ - Rwanda, Burundi, Somalie - ; avec les deux premiers de ces pays, notre modèle est l'accord de réadmission signé avec la République démocratique du Congo en 2022.
La COI est une organisation pragmatique, francophone et essentielle dans la zone, qui permet aux cinq États insulaires de la région, dont la France, de dialoguer et de coopérer. Face aux enjeux communs, la solution ne peut être que globale et multilatérale. Nous estimons que la France, État membre qui contribue le plus à la COI, doit continuer à participer à ses travaux.
Le multilatéralisme est une méthode vitale pour répondre aux enjeux de la région. Avec des moyens de fonctionnement assez modestes, les résultats obtenus sont plutôt positifs.
Georges Patient, rapporteur. - Bon nombre de pays de la zone contestent la légitimité de la présence française. Les Comores revendiquent Mayotte, l'île Maurice réclame l'île Tromelin, et Madagascar revendique les quatre autres territoires des îles Éparses. Ces contestations de la souveraineté française disposent de plusieurs relais en Afrique, en particulier dans des pays riverains d'Afrique australe. On sait ainsi que l'Afrique du Sud milite officiellement en faveur de la décolonisation de La Réunion. Comment ces territoires français sont-ils réellement perçus par leurs voisins ? Sont-ils associés à l'animation de la politique étrangère de la France ? Quelles relations entretiennent-ils avec leurs riverains ?
La France étant le premier financeur de la COI, comment peut-on accepter que Mayotte ne participe pas à ses travaux ? La stratégie pour l'Indopacifique ne prime-t-elle pas sur les intérêts de ces territoires français, et notamment de Mayotte ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Vous avez rappelé que l'Afrique connaissait une situation d'instabilité globale, et cité des pays d'Afrique australe - Botswana, Namibie - qui ne sont pas particulièrement déstabilisés. Vous n'avez pas évoqué, en revanche, le rôle des Chinois, qui ravagent sans états d'âme l'Afrique, et notamment la république démocratique du Congo via l'extraction du cobalt, cet « or bleu » destiné à produire des batteries électriques. Cette présence de la Chine en Afrique ne risque-t-elle pas de remettre en cause la stratégie française à l'endroit de nos territoires d'outre-mer ?
M. Saïd Omar Oili. - Vous dites, madame la directrice, que tout va bien dans la région. Votre réponse à la question posée par Georges Patient ne me satisfait pas du tout... Selon vous, il serait pire, sur le plan migratoire, d'obliger les Comoriens à cesser leurs revendications sur Mayotte. Il faudrait être gentils avec eux ! Je rappelle que les migrants de toute l'Afrique de l'Est arrivent à Mayotte où aujourd'hui, selon le dernier comptage, 1 500 de ces personnes dorment dans la rue.
Quelles actions le Quai d'Orsay mène-t-il auprès des autorités des États d'Afrique australe, et notamment des Comores, pour ce qui concerne le transit de ces immigrés ? À Mayotte, ce sont des dizaines de kwassa-kwassa qui arrivent tous les jours, les administrations sont complètement débordées, et dans sa maternité - la plus grande de France, si ce n'est d'Europe - naissent chaque année 12 à 13 000 enfants...
Les Mahorais considèrent que les services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères sont complaisants vis-à-vis des autorités comoriennes, qui revendiquent leur souveraineté sur Mayotte. Que répondez-vous à ces critiques ? Pourriez-vous établir un bilan de l'accord signé entre la France et les Comores, lequel prévoit une aide au développement de 150 millions d'euros en contrepartie d'actions contre les flux migratoires vers Mayotte ? Quelles sont vos analyses concernant le flux des migrants fuyant les zones de conflit de l'Afrique de l'Est, qui ont un fort impact sur l'archipel de Mayotte ? Comment ces flux évolueront-ils dans les prochains mois, voire les prochaines années, ?
En Angleterre, une loi vient d'être votée afin d'envoyer tous les demandeurs d'asile politique déboutés au Rwanda, l'un des pays de provenance des migrants arrivant à Mayotte, qui est aujourd'hui le point d'entrée en Europe... De plus en plus de personnes vont donc converger vers notre île ! On nous promettait un « rideau de fer » ; je ne vois qu'un rideau de fumée.
Mme Micheline Jacques, président. - La Russie avait annoncé qu'elle était prête à aider les Comores à récupérer Mayotte et le président de l'Union des Comores, Azali Assoumani, a félicité le président russe Vladimir Poutine pour sa réélection. Enfin, cet État a été choisi pour l'organisation des Jeux des îles de l'océan Indien, pour lesquels Mayotte avait déposé sa candidature. Les déclarations du président comorien, se félicitant de la nomination de son pays, avaient selon moi un caractère provocateur et je considère que la France aurait dû y réagir plus fermement.
Mme Emmanuelle Blatmann. - Je répondrai en diplomate... En effet, monsieur le sénateur Oili, je suis viscéralement afro-optimiste, sans pour autant minimiser les défis. Nous devons aider les pays africains à surmonter leurs difficultés, notamment du fait de la proximité de nos territoires ultramarins, et ce que nous faisons à cet égard a du sens.
Je ne crois pas avoir dit qu'il fallait être « gentil » avec les autorités comoriennes. Notre action passe par la diplomatie, la persuasion et la négociation, et nous considérons que la coopération est nécessaire pour parvenir à nos fins. Si nous cessions toute discussion avec les autorités régionales au motif que certains États contestent la souveraineté française sur nos territoires de la zone, l'effet serait contreproductif.
Nous sommes non pas complaisants à l'égard de l'Union des Comores, mais partisans de relations transactionnelles. On peut certes ralentir et contenir les flux migratoires, mais nous ne pourrons pas faire disparaître les aspirations des Africains qui souhaitent quitter leur pays. Nous avons obtenu des autorités comoriennes des décisions favorables puisque 25 000 migrants clandestins sont renvoyés aux Comores chaque année, ce qui est colossal. Par ailleurs, les moyens accordés aux gardes-côtes ont permis d'éviter 6 000 départs par an. Nous ne souhaitons pas que Mayotte devienne un Lampedusa de l'océan Indien ! Nous faisons donc pression sur nos partenaires africains pour qu'ils empêchent les départs et les transits. Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, qui a fait sa première tournée en Afrique voilà quelques semaines, a abordé notamment ce sujet avec son homologue rwandais.
Il n'y a pas de solution miracle, mais sans ces échanges, la situation risque d'empirer et nous n'aurons plus de leviers pour agir. Pour autant, cet appui financier et matériel de la France demeure assez modeste au regard de l'aide publique au développement, qui représente 15 milliards d'euros. Quoi qu'il en soit, nous ne sous-estimons pas les problèmes.
Pour ce qui concerne nos compétiteurs stratégiques, il est vrai que la Chine et la Russie ont recours à des méthodes souvent déloyales ou agressives. Mais sur le plan économique, un certain nombre de pays africains se rendent compte que la durée de vie des routes chinoises est limitée, que la Chine leur impose un taux d'endettement insoutenable et qu'ils doivent diversifier les partenariats... Il nous revient donc de démontrer que nous sommes des partenaires crédibles, fiables, efficaces.
Les Russes utilisent des méthodes inacceptables - désinformation, diffamation, etc. - aux Comores, à Madagascar et ailleurs. Le Quai d'Orsay a récemment mis en place une structure visant à lutter contre la désinformation et à envisager la riposte à ces attaques méprisables. Nous défendrons la souveraineté française dans nos territoires ultramarins, qui est pour nous une source de fierté.
En termes de coopération régionale, laquelle est un facteur de stabilité pour la zone tout entière, le potentiel est énorme. Nous ferons donc tout ce qui est en notre pouvoir pour la favoriser.
Mme Micheline Jacques, président. - Nous avons compris que les enjeux dans la zone étaient énormes, compte tenu de la situation instable des pays africains voisins. J'ai noté votre enthousiasme et votre volonté de faire avancer les choses. Nous vous remercions de ces éclairages.
Audition de M. Axel-David Guillon, premier conseiller auprès de Nabil Hajlaoui, ambassadeur de France en Tanzanie (en visioconférence)
Mme Micheline Jacques, président. - Dans le cadre de la préparation de notre rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, nous accueillons pour la seconde séquence de ce matin, en visioconférence, M. Axel-David Guillon, Premier conseiller auprès de l'ambassadeur de France en Tanzanie. Une manifestation officielle retient malheureusement son Excellence M. Nabil Hajlaoui, ambassadeur de France en Tanzanie. M. Guillon le remplace.
Notre délégation se rendra à Mayotte à la fin du mois de mai. Nous avons également auditionné le président Ben Issa Ousseni, à la suite de la signature d'une convention-cadre entre le ministère des affaires étrangères et le conseil départemental de Mayotte.
Dans le cadre de leurs réflexions, les rapporteurs ont relevé ce paradoxe de la proximité de certains États et de la modestie des actions de coopération avec nos outre-mer. Ils ont notamment mesuré certaines perspectives très prometteuses de coopération entre Mayotte et la Tanzanie, qui se trouve en face de Mayotte à l'entrée du canal du Mozambique.
C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité vous entendre, à la fois pour que vous fassiez un état des lieux des relations actuelles, mais surtout pour que vous nous informiez sur les projets ou perspectives dans les domaines économiques, agricoles, culturels et des transports. Les enjeux de sécurité et d'immigration sont également forts, la Tanzanie étant le pays de transit de nombreux migrants en provenance d'Afrique continentale vers Mayotte.
M. Axel-David Guillon, premier conseiller auprès de l'ambassadeur de France en Tanzanie. - Pour l'ambassade de France en Tanzanie, il est essentiel d'améliorer l'intégration régionale de Mayotte. Il existe des liens culturels très forts entre cette île et la Tanzanie, et notamment avec Zanzibar, mais aussi des liens économiques et dans le domaine de l'éducation.
Depuis plusieurs années, nous travaillons en vue de favoriser les activités économiques de Mayotte en Tanzanie. Nous avons ainsi noté que nombre de commerçants mahorais venaient s'approvisionner dans ce pays, et nous avons reçu de nombreuses délégations d'entrepreneurs agricoles souhaitant y produire pour exporter vers Mayotte ; un premier accord a d'ailleurs été signé entre une société mahoraise et une ferme tanzanienne.
L'ambassade a aussi mis en place des coopérations culturelles dans les domaines de la musique, de la danse, notamment le hip-hop, et du théâtre - par exemple, au travers d'une résidence à l'Alliance française de Dar Es Salaam. Nous avons aussi mis en place un programme de formation au swahili à destination d'une délégation d'hommes d'affaires mahorais. Actuellement, nous étudions un projet d'échanges entre le lycée technique de Mayotte et l'Alliance française en Tanzanie.
Nous nous efforçons aussi de faire connaître aux Tanzaniens le programme européen Interreg, dont l'objet est d'accorder des subventions à des régions ultrapériphériques. À cette fin, nous échangeons avec la préfecture et les élus de Mayotte afin d'inciter les autorités tanzaniennes à signer cet accord.
Pour ce qui concerne l'immigration clandestine, nous avons constaté depuis 2021 un basculement, lié à la crise du covid et à la fermeture de l'aéroport de Madagascar, des filières de transit vers Mayotte depuis la Tanzanie. Nous échangeons beaucoup avec les Tanzaniens, qui font preuve d'un esprit constructif et sont demandeurs de partenariats, sur ce phénomène récent, et préparons plusieurs accords visant à lutter contre l'immigration clandestine et les réseaux de passeurs. En effet, des Somaliens et des Éthiopiens transitent par la Tanzanie pour se rendre en Afrique du Sud.
Les États de la région des Grands Lacs - Burundi, Rwanda, République démocratique du Congo, etc. - étant membres de la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC), les ressortissants de ces pays n'ont pas besoin de visa pour se rendre en Tanzanie, ce qui rend difficile la détection des flux migratoires. Plusieurs réseaux de passeurs qui conduisaient des clandestins à Mayotte ont cependant été démantelés par les Tanzaniens À cet égard, nous partons donc sur de bonnes bases.
Un autre flux migratoire est composé de Comoriens transitant par l'aéroport de Dar Es Salaam, avec de faux papiers ou des passeports volés, pour se rendre en France métropolitaine. Les Tanzaniens nous ayant sollicités pour les aider à résoudre ce problème, il y aura à l'ambassade, à partir de septembre 2024, un conseiller chargé de la sécurité et de l'immigration qui formera à la détection de la fraude documentaire et sera le point de contact avec les autorités tanzaniennes de toutes nos actions de lutte contre l'immigration clandestine.
M. Georges Patient, rapporteur. - Quelles sont les relations de l'ambassade de France en Tanzanie avec les Comores ? Subissez-vous des pressions de la part d'États qui ne souhaitent pas reconnaître la souveraineté française sur Mayotte ?
M. Axel-David Guillon. - Les autorités comoriennes ont tenté de faire pression sur les Tanzaniens pour entraver les projets de coopération que nous avons avec Mayotte, mais ceux-ci n'ont jamais donné suite à ces tentatives.
Lors de la mise à jour de l'accord bilatéral de services aériens (ASA) entre la France et la Tanzanie, les Tanzaniens ont souhaité qu'Air Tanzania puisse desservir Mayotte, mais ils n'ont pas mis en place de lignes directe entre Dar Es Salaam et Mayotte, pour plusieurs raisons. L'ambassade comorienne leur a rappelé que la Tanzanie, en tant que membre de l'Union africaine, ne devait pas reconnaître la souveraineté française sur Mayotte - mais les Tanzaniens considèrent que cette position ne reflète pas la réalité des relations entre la France et les Comores. Ensuite, la Tanzanie ne dispose pas d'un nombre suffisant d'avions pour desservir Mayotte. Pour notre part, nous insistons après de la compagnie aérienne publique et des compagnies privées tanzaniennes pour leur expliquer qu'il existe un énorme potentiel de fret commercial aérien entre ces deux territoires.
M. Saïd Omar Oili. - La question posée par Georges Patient sur la pression exercée par les autorités comoriennes est pertinente. Notre interlocuteur s'exprime en termes diplomatiques, mais nous savons, en tant que politiques, que cela ne suffira pas...
Quelles actions la Tanzanie mène-t-elle pour lutter contre les organisations criminelles qui profitent de la misère humaine pour faire de l'argent, en mettant en péril la vie des migrants qui veulent rejoindre Mayotte ? Quelles initiatives la France prend-elle auprès des autorités tanzaniennes pour lutter contre ces trafics ?
Il existe un lien culturel très fort entre la Tanzanie et les Comores, et il suffit que les autorités comoriennes s'opposent aux initiatives mahoraises pour que les autorités tanzaniennes lâchent prise. Que peut faire la France en Tanzanie pour prévenir le problème migratoire ?
M. Axel-David Guillon. - La Tanzanie a démantelé plusieurs filières migratoires, mais ses moyens sont modestes. À sa demande, nous développons cet axe de coopération pour aider les autorités tanzaniennes à détecter et démanteler ces filières ; un grand projet est ainsi en cours de préparation par Civipol.
Nous travaillons également sur un projet d'accord de facilitation de transit à partir de l'aéroport de Dar Es Salaam. Il semblerait en effet qu'à Mayotte de nombreux clandestins soient disposés à effectuer un retour volontaire vers leur pays d'origine - Burundi, Rwanda, RDC. Or il n'y a pas de vol direct entre Mayotte et ces pays ; la plateforme de transit serait donc la Tanzanie, qui a des lignes commerciales avec ces trois pays.
Par ailleurs, nous élaborons actuellement avec la Tanzanie une coopération dans le domaine de la sécurisation des frontières et de la lutte contre l'immigration clandestine.
Le sujet de l'immigration clandestine entre les Comores et la Tanzanie est sensible. Voilà six mois, un navire parti de Tanzanie a ainsi été repoussé par les Comoriens et escorté dans les eaux tanzaniennes, ce que les Tanzaniens ont refusé ; une mini-crise diplomatique s'est ensuivie.
Mme Micheline Jacques, président. - Nous avons appris au cours d'une audition que Mayotte souhaitait développer des coopérations agricoles pour atteindre l'autosuffisance alimentaire. La Tanzanie pourrait-elle mettre des terres à disposition des Mahorais ?
Mayotte ne pouvant plus accueillir de migrants, serait-il possible de prévoir en Tanzanie une zone de rétention pour les demandeurs d'asile ?
M. Axel-David Guillon. - Dans le domaine de l'agriculture, l'ambassade a accompagné toutes les démarches des entreprises mahoraises en vue de développer les importations agricoles venant de Tanzanie, ce qui a abouti au contrat que j'ai précédemment évoqué. Mais ce n'est qu'une partie de l'équation. En effet, il n'existe pas dans ce pays de laboratoire qui fasse de la certification ; le plus proche est à Nairobi. Par ailleurs, il n'y a pas de liaison maritime directe entre la Tanzanie et Mayotte - un projet en ce sens de la société CMA CGM est actuellement en cours d'étude.
La question du fret aérien est essentielle et nous avons contacté plusieurs sociétés aériennes privées pour les inciter à lancer de telles lignes ; il existe en effet à Mayotte une forte demande de produits frais. Le problème est que ces sociétés ont leur propre plan de développement régional ; Mayotte n'est pas encore leur priorité.
Le sujet de l'installation de main-d'oeuvre mahoraise en Tanzanie est assez sensible, car dans ce pays 70 % de la population est rurale et exerce une activité agricole ; par ailleurs, le taux de chômage des jeunes est élevé. Les Tanzaniens accepteront donc difficilement que des permis de travail soient délivrés à des Mahorais. Mieux vaudrait développer des accords d'achat entre sociétés mahoraises et entreprises agricoles tanzaniennes.
J'en reviens au sujet de l'immigration. La Tanzanie est, après l'Ouganda, le pays d'Afrique de l'Est qui accueille le plus de réfugiés, dans des camps gérés conjointement avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Les Tanzaniens veulent à tout prix fermer ces camps ; ils rapatrient, par exemple, les réfugiés burundais dans leur pays d'origine.
Les migrants issus de la région des Grands Lacs qui arrivent en Tanzanie sont simplement en transit : ils ne se présentent pas à l'ambassade, mais empruntent les moyens de transport tanzaniens pour se rendre dans un port afin d'embarquer à bord d'un bateau de pêcheur à destination de Mayotte. Nous travaillons donc avec les Tanzaniens afin d'élaborer un accord visant à faciliter le transit dans la zone commerciale de l'aéroport de Tanzanie, pour permettre le rapatriement volontaire de certains de ces migrants vers leur pays d'origine ; nous avons bon espoir de voir cet accord aboutir dans les prochaines semaines.
Mme Micheline Jacques, président. - La Tanzanie offre en effet de formidables opportunités, qui permettront à Mayotte de se développer.
Nous vous remercions de votre exposé.
La réunion est close à 12 h 15.