- Lundi 3 juillet 2023
- Mardi 4 juillet 2023
- Mercredi 5 juillet 2023
- Audition commune des fédérations hospitalières sur l'évolution du financement des établissements de santé
- Mise en oeuvre de la solidarité à la source - Examen du rapport d'information
- Application des lois relatives à la protection de l'enfance - Examen du rapport d'information
- Proposition de loi visant à renforcer la protection des familles d'enfants atteints d'une maladie ou d'un handicap ou victimes d'un accident d'une particulière gravité - Désignation des candidats à la commission mixte paritaire
- Jeudi 6 juillet 2023
Lundi 3 juillet 2023
- Présidence de Mme Chantal Deseyne, vice-président -
La réunion est ouverte à 16 h 50.
Projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2022 - Examen des amendements de séance
Mme Chantal Deseyne, président. - Nous examinons les amendements de séance sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2022.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je reviendrai brièvement sur les raisons qui m'ont conduite à vous proposer la motion tendant à opposer la question préalable adoptée par la commission lors de sa réunion du 28 juin 2023. La loi organique du 14 mars 2022 a créé une nouvelle catégorie de lois de financement de la sécurité sociale, les lois d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Lacss). L'objectif est double : permettre au Parlement de se prononcer au printemps sur l'exécution de l'année précédente et favoriser un « chaînage vertueux » entre le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour l'année suivante, notamment grâce aux informations figurant dans les annexes au Placss.
Sur le premier point, la Cour des comptes a refusé de certifier les comptes 2022 de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et de la branche famille, en raison de l'augmentation de la proportion de paiements erronés. Dans le cas de l'exercice 2021, le tableau patrimonial devant être annexé à la Lacss prend en compte un produit de 5 milliards d'euros, résultant des cotisations dues par les travailleurs indépendants en 2020, ignorant ainsi la correction apportée par le Parlement, à l'initiative du Sénat, lors de l'examen du PLFSS pour 2023.
Concernant les annexes au Placss, on peut mentionner deux violations de la loi organique.
Tout d'abord, les rapports d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) ne nous permettent pas d'avoir un débat éclairé, car sauf exception nous ne disposons pas des résultats de l'année 2022, les indicateurs s'arrêtant habituellement en 2020 ou en 2021. Ensuite, l'annexe relative aux niches sociales doit comprendre une « évaluation de l'efficacité » pour un tiers des niches, chacune devant faire l'objet d'une évaluation une fois tous les trois ans. Or cette annexe ne comprend aucune évaluation.
Par cohérence, j'émets donc un avis défavorable à l'amendement du Gouvernement et aux amendements de suppression des articles. Toutefois, si la motion n'était pas adoptée en séance publique, j'indique que j'envisage de donner, à titre personnel, un avis favorable aux amendements déposés par Mme Cohen, qui pourraient être considérés comme des amendements de repli.
Mme Laurence Cohen. - Je tiens à souligner la cohérence du groupe CRCE. Ce projet de loi ne fait que reprendre les éléments contenus dans les PLFSS passés, auxquels nous nous sommes opposés. D'où nos amendements de suppression des articles du projet de loi. Votre motion tendant à opposer la question préalable repose sur d'autres arguments.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je salue votre constance. Ces Placss correspondent en effet à l'ancienne première partie des PLFSS. Si la motion n'était pas adoptée en séance publique, j'émettrais un avis favorable à vos amendements de suppression, pour d'autres raisons que celles que vous invoquez.
La commission émet un avis défavorable à l'ensemble des amendements.
TABLEAU DES AVIS
La réunion est close à 17 h 00.
Mardi 4 juillet 2023
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
La réunion est ouverte à 14 h 00.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer la protection des familles d'enfants atteints d'une maladie ou d'un handicap ou victimes d'un accident d'une particulière gravité - Examen des amendements au texte de la commission
Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, nous avons à examiner les amendements au texte de la commission sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer la protection des familles d'enfants atteints d'une maladie ou d'un handicap ou victimes d'un accident d'une particulière gravité.
EXAMEN DE L'AMENDEMENT DU RAPPORTEUR
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement n° 14 vise à harmoniser les autorisations spéciales d'absence accordées aux agents publics en cas de décès de leur enfant et le congé pour décès d'un enfant d'un salarié. Le Gouvernement dépose, de son côté, un amendement identique pour assurer la recevabilité financière de cette disposition au titre de l'article 40 de la Constitution.
L'amendement n° 14 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement n° 1 reprend à l'identique l'amendement visant à rétablir l'article 1er de la proposition de loi sur lequel nous avions émis un avis défavorable en commission. Un tel rétablissement irait en effet à l'encontre des objectifs du texte. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement n° 12 est rédactionnel. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 12.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement n° 2 vise à allonger à dix jours la durée du congé pour annonce de la survenue d'un handicap ou d'une maladie grave chez l'enfant. Nous avions déjà eu le débat en commission : évaluons d'abord les conséquences du passage de ce congé de 2 à 5 jours avant de décider, le cas échéant, d'un nouvel allongement. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement n° 13, présenté par le Gouvernement, a pour objet d'harmoniser les congés pour décès d'un enfant au bénéfice des agents publics. Il assure ainsi la recevabilité financière, au titre de l'article 40 de la Constitution, de l'amendement identique déposé au nom de la commission. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 13.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement n° 4 vise à instaurer une obligation d'information de la possibilité de télétravailler pour un salarié aidant. La commission s'était prononcée contre un amendement identique lors de son examen du texte, car l'amendement crée, par sa rédaction, un risque juridique. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement n° 3 porte sur la prise en charge par l'employeur des frais de télétravail pour les parents d'enfants atteints d'une maladie ou d'un handicap grave. Ces dispositions sont déjà satisfaites. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement no 3.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement n° 6 déposé par Mme Mélanie Vogel et ses collègues vise à créer un droit à la réduction du temps de travail pour les salariés aidants. Or sa rédaction pose problème, car, aux termes de cet amendement, c'est bien la réduction du temps de travail et non le temps de travail lui-même qui ne pourra pas être inférieure à 32 heures. Autrement dit, si cet amendement était adopté, un salarié aidant aux 35 heures pourrait obtenir de droit une réduction de 32 heures de son temps de travail pour le porter à trois heures hebdomadaires. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement n° 7 a pour objet l'institution de modalités dérogatoires pour les salariés aidants sur les aménagements à la hausse du temps de travail. Les dispositions de cet amendement sont soit déjà satisfaites, soit excessivement prescriptives pour l'employeur. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 7.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement n° 5 vise à instaurer une dérogation à la présomption de démission en cas d'abandon de poste pour les parents d'enfants atteints d'une maladie ou d'un handicap graves. Avis défavorable, car la portée de cet amendement semble extrêmement réduite, les cas d'abandon de poste de parents d'enfants malades étant très rares.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement n° 8 tend à ouvrir un droit à du temps de repos pour les salariés exerçant la responsabilité parentale d'un enfant atteint d'un handicap ou d'une maladie grave. Avis défavorable, car cet amendement est trop imprécis pour être pleinement fonctionnel.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement n° 9 vise à créer une avance sur le versement de l'allocation journalière de proche aidant (Ajpa), parallèlement à la possibilité d'avance créée par l'article 3 pour l'allocation journalière de présence parentale (AJPP). Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 9.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement n° 10 a pour objet d'étendre la protection s'appliquant à l'expiration du bail au bénéfice des locataires allocataires de l'Ajpa. Avis défavorable, car cette disposition bouscule l'équilibre entre les droits des bailleurs et ceux des locataires.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement n° 11 a trait à la suspension de l'exécution des obligations résultant d'un crédit à la consommation ou un crédit immobilier lorsque l'enfant du débiteur est atteint d'une maladie grave, un handicap ou un accident grave. Il est irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.
L'amendement n° 11 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
TABLEAU DES AVIS
La réunion est close à 14 h 05.
Mercredi 5 juillet 2023
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 05
Audition commune des fédérations hospitalières sur l'évolution du financement des établissements de santé
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous recevons ce matin des représentants des fédérations hospitalières au sujet de l'évolution du financement des établissements de santé. J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat, qui sera ensuite disponible en vidéo à la demande.
Nous le savons, le Président de la République a déclaré, lors de ses voeux aux professionnels de santé pour l'année 2023, qu'il convenait de « sortir de la tarification à l'activité dès le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, pour aller vers un nouveau financement, qu'on doit rebâtir sur la base d'un travail en profondeur et d'une concertation qui repose sur une rémunération basée sur des objectifs de santé publique ».
À mi-année, il est donc important de faire le point sur l'état de ce chantier qui ne pourra qu'avoir de fortes conséquences pour les hôpitaux, publics privés, ainsi que pour la concertation en cours.
Nous avons le plaisir d'accueillir :
- la Fédération hospitalière de France (FHF), dont la délégation est conduite par Mme Cécile Chevance, responsable du pôle OFFRES (Offre de soins, Finances, FHF-Data, Recherche, E-Santé) ;
- la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), dont la délégation est conduite par sa déléguée générale, Mme Christine Schibler ;
- la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés solidaires (Fehap), dont la délégation est conduite par M. Charles Guépratte, directeur général ;
- et Unicancer, dont la délégation est conduite par Mme Sophie Beaupère, déléguée générale.
Je vous propose de commencer cette audition commune par un propos liminaire, de préférence relativement bref afin de laisser toute leur place aux échanges qui suivront.
Mme Cécile Chevance, responsable du pôle OFFRES de la Fédération hospitalière de France (FHF). - Je tiens à vous remercier pour cette audition, qui concerne un sujet important sur lequel nous intervenons fréquemment en ce moment, ce qui nous conduit à tenir des propos similaires dans différentes enceintes.
À titre liminaire, je tiens à rappeler les trois prérequis que la FHF estime nécessaires à cette réforme du financement des activités de médecine, chirurgie, obstétrique (MCO). Celle-ci succède à des évolutions récentes ou en cours portant sur les soins médicaux et de réadaptation (SMR) ainsi que de psychiatrie. Ce sujet nous préoccupe depuis longtemps et nous avons formulé plusieurs propositions. Notre premier prérequis est que la réforme s'inscrive dans un schéma de pluriannualité offrant de la lisibilité aux établissements de santé. À ce titre, nous appelons de nos voeux une loi de programmation qui établisse clairement un nombre restreint de priorités fondamentales de santé publique pour éviter la dispersion entre de trop nombreux objectifs. Nous souhaitons également le renouvellement du protocole de pluriannualité 2020-2022 qui a pris fin l'année dernière.
Le deuxième prérequis est que cette réforme doit s'appuyer sur la refondation des règles de construction et de régulation de l'Ondam (objectif national de dépenses d'assurance maladie). Des travaux ont déjà été entrepris sur ce sujet, en particulier au Sénat, et le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) a formulé un certain nombre de propositions. Nous estimons que cette évolution de l'Ondam doit également reposer sur une logique de pluriannualité assortie d'une déclinaison annuelle des priorités de santé publique. C'est pourquoi nous avons proposé, dans le cadre des travaux du HCAAM, la création d'une réserve pluriannuelle permettant de lisser les aléas auxquels nous devons faire face. Je rappelle que l'Ondam est actuellement régulé de manière annuelle, voire infra-annuelle, ce qui crée une forte incertitude pour les ressources des établissements de santé. Les dernières notifications de crédits ne sont communiquées qu'en mars-avril de l'année suivante - et donc après la clôture de l'exercice précédent -, ce qui crée une incertitude absolument ingérable pour un établissement de santé qui manie des centaines de millions d'euros. D'après nos premiers échanges avec la mission de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), celle-ci est très à l'écoute de nos propositions, ce qui est encourageant, mais cela ne préjuge en rien des décisions qui seront prises ultérieurement.
Le troisième prérequis est que, comme l'a annoncé le Président de la République, ensuite relayé par le ministre de la Santé, cette réforme soit systémique et concerne l'ensemble du système de santé ainsi que tous les acteurs, en particulier en termes de modulation sur la base d'objectifs et des résultats de santé publique. Ce dernier aspect nous motive tous, car nous ne voyons pas comment certains acteurs pourraient agir à eux seuls sur la santé des populations. C'est en travaillant tous ensemble que les acteurs relevant de tous les statuts - public, privé lucratif ou non et libéraux - pourront avoir un réel impact sur les indicateurs de santé publique. Je fais observer qu'en termes d'espérance de vie en bonne santé et sans incapacité, la France est moins performante que certains de ses voisins proches, même si l'espérance de vie en valeur absolue est élevée dans notre pays. Je précise que ce retard n'est pas forcément lié au montant des dépenses de santé rapporté au PIB. De ce point de vue, les choses ne s'engagent pas au mieux car, pour l'instant, la mission de l'Igas et de l'inspection générale finances (IGF) se concentre uniquement sur le périmètre des établissements de santé. On a ainsi l'impression de voir se reproduire l'épisode de la réforme de la santé en 2022, en particulier avec les forfaits pathologies chroniques qui devaient concerner l'ensemble des acteurs de santé, mais qui finalement ont été discutés uniquement avec les établissements de santé. Or sur les pathologies chroniques, on peut difficilement progresser au regard des indicateurs de santé publique si on se contente d'impliquer certains acteurs ne disposant pas de tous les leviers d'action. Nous regrettons cette situation, qui va nous conduire à restreindre notre action aux seuls objectifs sur lesquels nous disposons de l'ensemble des moyens d'action, ce qui restreint considérablement l'ambition et l'ampleur du chantier global.
Enfin, je rappelle que les hôpitaux publics sont dans une situation particulière et que le « tout T2A » (tarification à l'activité) ou le « tout forfait » n'a pas beaucoup de sens dans ce contexte. En effet, nous disposons déjà d'une grande diversité de financements - au forfait, à la dotation, aux missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (Migac), aux très importantes missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation (Merri). En prenant en compte les financements liés à l'activité au sens large - sans se limiter à l'activité médicalisée du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) et des séjours - on constate que ceux-ci représentent 60 % des ressources des établissements publics de santé issues de l'assurance maladie. En se limitant strictement aux recettes de séjours liées à la T2A, celles-ci atteignent en moyenne 37 % des ressources des hôpitaux publics et je précise que les gros établissements sont moins sensibles aux aléas de la T2A que ceux de plus petite taille. J'appelle donc à bien prendre en compte la situation spécifique de nos hôpitaux publics.
M. Charles Guépratte, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés solidaires (Fehap). - Merci de nous donner l'occasion de nous exprimer aujourd'hui. Nous partageons un certain nombre de remarques formulées par la Fédération hospitalière de France, en particulier sur l'importance de la pluriannualité et de la programmation pour améliorer la visibilité du système.
Tout en indiquant au préalable que la nécessité de modifier les règles de financement fait l'objet d'un consensus de la part de nos organisations, je souhaite préciser plusieurs points importants pour notre fédération. Le premier concerne le financement des missions de service public. Nos établissements de santé privés d'intérêt collectif (Espic) ont un très grand nombre de missions en commun avec les établissements publics de santé. Pourtant, le financement de certaines missions, comme la permanence des soins, est assez hétérogène. Nous attendons donc avec impatience une modification dans ce domaine et, de façon encore plus ambitieuse, une réforme de la définition des missions de service public dévolues aux établissements, quel que soit leur statut ou leur nature : en effet, nous participons tous à l'accueil de patients non programmés avec des restes à charge à zéro euro ou des tarifs opposables.
La part de T2A se situe entre 65 % et 70 % des ressources des Espic issues de l'assurance maladie, ce qui constitue un pourcentage un peu supérieur à celui qui a été mentionné précédemment mais il ne s'agit pas non plus de notre seul mode de financement. Nous sommes donc intéressés par une nouvelle ventilation, non seulement pour les missions de service public, mais aussi pour le financement des objectifs de santé publique, comme les maladies chroniques et les objectifs de responsabilité populationnelle. Notre fédération, qui souhaite s'engager sur ces sujets importants, a besoin de visibilité et de lisibilité dans ce domaine, en particulier s'agissant des règles de fixation de ces objectifs. Ces règles ne doivent pas uniquement résulter de discussions locales, mais devraient être établies dans un cadre national connu et reposer sur une méthodologie partagée entre les régions afin d'éviter des situations trop hétérogènes.
Enfin, la Fehap est favorable à des modifications de la T2A : nous avons ainsi évoqué la possibilité de financement hybride entre l'entretien des plateaux techniques et les soins non programmés, qui ne correspondent pas exactement à la permanence des soins en établissements de santé (PDSES). Il s'agit de financements visant à équilibrer des activités qui ne peuvent pas l'être car certains établissements sont tenus de rester ouverts ou de maintenir des capacités disponibles même lorsqu'elles ne sont pas mobilisées. La réforme de la T2A en elle-même, avec un retour à une vision plus tarifaire basée sur les coûts pour définir les tarifs, nous intéresse également beaucoup.
Enfin, notre fédération, qui a une dimension très médico-sociale, estime opportune une meilleure articulation entre le sanitaire et le médico-social. La césure actuelle entre ces deux univers nous apparaît comme surannée et il est souhaitable de créer des passerelles plus significatives, sans même parler de la médecine de ville.
Mme Christine Schibler, déléguée générale de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP). - Merci beaucoup de nous avoir invités à cette audition sur un sujet absolument majeur. Tout d'abord, nous pensons que les réformes du financement doivent être des outils au service d'une stratégie de santé qui en constituerait le socle. J'indique également que nous nous associons pleinement aux propos de Cécile Chevance sur la pluriannualité, la refondation de la régulation de l'Ondam et la nécessité d'une réforme systémique.
En complément, j'insisterai sur quelques sujets qui nous tiennent à coeur, à commencer par la refonte du service public hospitalier vers un service public de santé inclusif. Comme cela a été mentionné, nous partageons tous un certain nombre de missions pour offrir des soins à l'ensemble des publics sur les territoires, et il nous paraît important de partir de ce socle. Nous soulignons également la nécessité d'une meilleure reconnaissance des acteurs de tous statuts dans leur mission. Nos équipes représentent, au niveau de la FHP, des effectifs très importants avec 150 000 salariés et 40 000 médecins libéraux. Cependant, comme c'est le cas pour d'autres établissements du secteur privé, les revalorisations de rémunération de nos salariés ne sont pas systématiquement prises en compte dans les financements qui nous sont alloués. Cela soulève des difficultés, car nous devons discuter pendant plusieurs mois avec nos collègues d'Unicancer et de la Fehap pour obtenir des financements permettant à nos salariés de bénéficier d'augmentations, or je rappelle que 92 % de nos ressources sont issues de l'assurance maladie.
Il est également nécessaire de redéfinir les missions des agences régionales de santé (ARS) afin de les conforter dans un rôle de régulateur équitable, dans un contexte de régionalisation des politiques et de mise en place d'une véritable démocratie territoriale. D'une situation relativement stable il y a environ quatre ou cinq ans, nous sommes maintenant passés à l'inflation, à la pénurie de ressources humaines et à une succession de crises. Nous sommes donc tout à fait disposés à travailler à une réforme, mais nous pensons qu'au-delà des prérequis mentionnés à juste titre par la FHF, il faut aussi définir des priorités stratégiques et adopter des méthodes réformatrices en rupture avec celles que nous observons actuellement en matière de SMR et de psychiatrie. Comme vous le savez, ces réformes se font dans la douleur : en témoigne le fait qu'aujourd'hui, 5 juillet 2023, celle des SMR est théoriquement applicable alors qu'on ne dispose toujours pas de simulations stabilisées. Je fais observer que la version 3 des simulations, que nous avons reçue il y a une quinzaine de jours, prévoit une perte de recettes de 30 millions d'euros pour les établissements de soins de suite et de réadaptation (SSR) adhérents à la FHP, soit 1,1 % de leurs recettes ; or nous représentons 42 % de l'activité nationale des SMR. Contre toute attente, cette réforme, qui visait à valoriser les activités très spécialisées des SMR, engendrerait donc un sous-financement majeur qui remet en cause l'existence de certaines filières spécialisées. Je cite en exemple deux chiffres. D'une part, un groupe possédant 40 établissements SMR enregistrerait une perte colossale de 23,5 millions d'euros, ce qui menacerait la pérennité de certaines activités si aucun ajustement n'intervenait. D'autre part, un autre établissement spécialisé en neurologie, dans la région de Granville, perdrait 10 % de ses recettes avec la version 3 ; or cet établissement assure les deux tiers de la prise en charge des patients qui sortent du CHU de Caen après y avoir été traités. Cela illustre les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Pour ne pas rééditer ces travers, nous soulignons la nécessité, pour la réforme, de fixer des objectifs, d'assurer une meilleure lisibilité pour les établissements et de disposer d'une méthodologie pour anticiper les impacts en étroite concertation avec les acteurs concernés. J'ajoute que les incertitudes qui accompagnent les réformes imparfaitement conduites entraînent sur le terrain un blocage total des investissements faute, pour les opérateurs, de visibilité sur leur rémunération future.
Mme Sophie Beaupère, déléguée générale d'Unicancer. - Merci de nous permettre de nous exprimer sur ce sujet si important pour notre fédération.
Je vais tout d'abord souligner à mon tour l'importance de la pluriannualité : celle-ci est fondamentale pour favoriser la prévention, l'innovation et une véritable vision stratégique. Par conséquent favorables à une loi de programmation, nous sommes également en attente d'un protocole de pluriannualité opérationnel avant 2025 conformément aux attentes et aux besoins de nos établissements.
Comme l'a souligné Charles Guépratte, nos centres de lutte contre le cancer (CLCC) sont à 100 % dédiés au service public et sans activité libérale. Aujourd'hui, l'absence d'équité tarifaire entre les CLCC et les hôpitaux publics - nos tarifs subissent un coefficient de minoration de près de 2,73 % par rapport à ceux de l'hôpital public - suscite une forte indignation des professionnels. Parallèlement, nous souffrons de tensions inédites sur les ressources humaines et d'une crispation très forte au quotidien dans nos établissements. Nous souhaitons donc qu'à service public égal, nous puissions bénéficier du même traitement et des mêmes financements. Cela inclut également la revalorisation des gardes et astreintes, dont n'ont pas pu bénéficier les professionnels des centres de lutte contre le cancer, alors même qu'ils assurent une continuité des soins pour leurs patients. Je précise que 20 % des séjours de lutte contre le cancer concernent des patients non programmés et nécessitent une prise en charge durant la nuit. Ce pourcentage ne cesse de progresser en raison de la tendance de fond à l'augmentation de la prise en charge ambulatoire en cancérologie. Poursuivre cette évolution suppose que nos établissements puissent accueillir dans de bonnes conditions les patients non programmés : c'est notre deuxième priorité.
La troisième est de favoriser l'évolution du système de financement vers un modèle basé sur le parcours de soins. Une telle logique est conforme aux avancées scientifiques et techniques, en particulier en cancérologie ou pour les maladies chroniques. Un financement basé sur le parcours de soins et sous forme de forfait permettrait de rémunérer l'intervention coordonnée de chaque professionnel de ville ou de nos établissements. Nous souhaitons le développement de ce type de financement, qui serait alloué non pas en aval, mais dès le début de la prise en charge du patient, en particulier pour les soins de support et en faveur de la prévention. Cette possibilité a d'ailleurs été évoquée comme une piste pour développer des financements en dehors de la tarification à l'activité (T2A).
Nous soutenons également le développement de l'hospitalisation à domicile en cancérologie et portons un projet en ce sens, en collaboration avec la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile (Fnehad), pour y allouer un forfait spécifique. Cette hospitalisation à domicile répondrait aux attentes sociétales des patients et des aidants, ainsi qu'aux évolutions scientifiques et techniques qui le permettent aujourd'hui. Nous soutenons également la mise en place d'un forfait en radiothérapie pour atteindre des standards comparables à ceux de nos collègues européens : il s'agit de réduire le nombre de séances, ce qui est fondamental pour la qualité de vie des patients et la pertinence des soins. Malheureusement, le forfait en radiothérapie n'est pas inclus dans le périmètre de la mission sur la réforme du financement ; nous restons néanmoins convaincus qu'il doit être rapidement mis en oeuvre.
Enfin, notre quatrième priorité est d'assigner à la réforme du financement l'objectif d'améliorer le parcours des patients : il s'agit de tenir compte de l'évaluation de la qualité perçue par les patients - sur la base d'indicateurs comme les PREMs, ou Patient-Reported Experience Measures - et de cibler la réduction des délais de prise en charge, qui constitue un sujet important en termes d'égalité d'accès pour les patients. J'ajoute qu'il convient également de couvrir intégralement les dépenses relatives aux actes de diagnostic moléculaire, car la dotation actuelle ne permet de les financer qu'à 50 %, ce qui ne favorise pas l'égalité d'accès à cet élément-clé pour guider tous les traitements en cancérologie. Enfin, après avoir été échaudés sur ce point en 2023, nous resterons très vigilants à propos des sorties de liste de molécules onéreuses qui peuvent avoir un impact sur la prise en charge des cancers.
Mme Catherine Deroche, présidente. - J'éprouve un peu d'agacement, car nous avons réalisé avec René-Paul Savary un rapport sur la réforme de l'Ondam dès 2019, et c'est seulement aujourd'hui que Gouvernement envisage d'éventuelles évolutions à l'horizon 2025. Il en va de même pour le référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN), qui sont essentiels pour la prise en charge des cancers. Je précise que nous sommes confrontés à des mutations cellulaires de plus en plus spécifiques, qui nécessitent des tests sur la tumeur avant de commencer le traitement pour en améliorer la performance. Dans ce domaine, nous avons également réalisé dès 2018 un rapport sur l'accès précoce aux médicaments innovants, qui n'a toujours pas été mis en oeuvre.
La réforme dont nous discutons a été souhaitée par le président Macron, qui lui a assigné deux objectifs. Le premier est la réforme de la gouvernance. Nous ne la jugeons pas prioritaire, car des lois récentes ont déjà permis d'introduire une certaine souplesse. Le professeur Olivier Claris a produit un excellent rapport il y a trois ans ; et voilà qu'aujourd'hui le Gouvernement le sollicite pour en préparer un de plus. S'agissant de la réforme de la tarification, nous avons formulé des propositions dans le rapport de commission d'enquête « Hôpital : sortir des urgences » que j'ai réalisé en mars 2022, la commission d'enquête étant présidée par Bernard Jomier. Nous avons alors souligné l'importance de la tarification à l'activité, à condition que les critères et les cotations soient suffisamment simples, et aussi l'importance de la prise en compte des aspects populationnels et des critères de qualité - en évitant de créer une usine à gaz sur ce dernier point. Or aujourd'hui nous constatons, en entendant vos propos, que le périmètre de la réforme est encore trop restreint : nous risquons donc d'aboutir à une sorte de bricolage proposé par le Gouvernement dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui ne permettra pas nécessairement d'atteindre les résultats escomptés. Je reconnais qu'il n'est pas facile de tout remettre à plat et qu'il peut être opportun d'avancer pas à pas ; encore faut-il éviter, dès le départ, de restreindre l'étendue du diagnostic, sans quoi le traitement sera inadéquat. J'en ferai part demain au ministre de la santé, mais franchement, cela devient lassant.
Mme Corinne Imbert. - Madame la Présidente, en complément de vos observations, j'ajoute que le Gouvernement ferait mieux de lire les excellents rapports du Sénat que vous avez mentionnés plutôt que de se contenter de donner des avis favorables à des amendements aux PLFSS prévoyant des rapports qui soit ne seront pas écrits, soit ne seront pas lus.
Je me réjouis que notre commission, après avoir réalisé une nouvelle audition sur la gouvernance de l'hôpital, traite le sujet essentiel du financement, avec la tarification à l'activité appliquée dans le coeur du réacteur hospitalier, à savoir le champ de la médecine-chirurgie-obstétrique. Comme l'a rappelé la Présidente, cet enjeu financier a été annoncé au plus haut niveau de l'État et devrait se traduire par des mesures prises dans le prochain PLFSS, avec un risque de se livrer à une sorte de bricolage faute de vision suffisamment globale.
Je mentionne mon récent déplacement en Nouvelle Aquitaine, dans le cadre des travaux de notre commission : j'ai visité un centre hospitalier universitaire (CHU), un centre hospitalier, un établissement de santé privé d'intérêt collectif (Espic), une clinique privée, et rencontré l'agence régionale de santé. La Fédération de l'hospitalisation privée a évoqué la situation actuelle et je souhaite interroger chaque intervenant sur la situation financière de vos établissements au premier semestre 2023, sachant que beaucoup n'ont pas encore rattrapé le niveau d'activité d'avant la pandémie. J'y ajoute une question concrète sur le niveau de la dette hospitalière : 13 milliards d'euros de reprise de dette ont été votés en 2020 et je m'inquiète des moyens à la disposition des établissements pour réaliser leurs programmes d'investissements dans le contexte inflationniste actuel. Par ailleurs, quel bilan tirez-vous de la garantie de financement en faveur des établissements, qui a été appliquée de 2020 à 2022 : quel a été son impact, avez-vous pu constater des effets pervers, et comment anticipez-vous l'impact du nouveau dispositif de sécurisation modulé à l'activité pour 2023, qui n'aura pas les mêmes effets compensateurs que la précédente garantie de financement, laquelle s'est révélée indispensable comme en témoignent mes rencontres de terrain ?
Sur la réforme du financement des établissements de santé annoncée par le Président de la République, j'enregistre votre consensus sur la pluriannualité, mais avez-vous tous été consultés par la mission Igas ou par la cheffe de projet de la direction générale de l'offre de soins du ministère de la Santé (DGOS) ? Le moment choisi pour cette réforme vous semble-t-il opportun, au regard de ce qui vient d'être dit sur son caractère parcellaire ? Quel calendrier estimez-vous réaliste pour cette réforme ? Le PLFSS 2024 vous paraît-il le bon outil ? Estimez-vous que la réforme de la T2A constitue bien une priorité dans le contexte actuel ? Plutôt que de réformer la T2A - à laquelle on fait porter tous les maux de l'hôpital - le vrai sujet n'est-il pas en réalité celui des tarifs et de la prise en compte, comme cela a été mentionné, du coût des actes ?
Je reviens sur la commission sénatoriale d'enquête et le rapport de Catherine Deroche, qui avait préconisé un modèle-cible s'appuyant sur trois piliers : l'activité, la dotation populationnelle et la qualité. Avez-vous réfléchi à ce modèle, souvent recommandé par les acteurs hospitaliers, et quelles sont à votre avis les pistes de mise en oeuvre simples et efficaces ? La commission avait bien précisé qu'il fallait éviter l'usine à gaz que représentent aujourd'hui les nomenclatures complexes ou le financement à la qualité (incitation financière à l'amélioration de la qualité, Ifaq). Enfin, quel bilan tirez-vous des récentes réformes de financement - je pense évidemment à celles des SSR et SMR ; la Fédération de l'hospitalisation privée a signalé les conséquences fâcheuses de la troisième version de la simulation de la réforme et, compte tenu de ces résultats, faut-il maintenir cette initiative ? Vous avez enfin évoqué la révision de l'Ondam hospitalier. Sans dégrader fortement les comptes de la sécurité sociale, quelle est à cet égard votre cible pour les prochaines années pour permettre à vos établissements de survivre ?
Mme Cécile Chevance. - Je vais m'efforcer de répondre à vos nombreuses questions et n'hésitez pas à rafraîchir ma mémoire si j'en oublie quelques-unes.
Tout d'abord, les établissements publics de santé de la Fédération hospitalière de France sont dans une situation financière extrêmement préoccupante en cette période dite de sortie de crise, mais qui ne mérite pas son nom car les difficultés perdurent. En effet, après les vagues épidémiques, l'hôpital public a joué un rôle de bouclier sanitaire avec 85 à 86 % des séjours liés à la covid, alors que nous représentons normalement - hors période de crise - 57 % des séjours et 69 % des nuitées. Nous avons ensuite connu des tensions avec la grippe ainsi que des épidémies de bronchiolite extrêmement sévères et précoces qui ont frappé pendant deux années consécutives. On ne doit plus désormais parler d'épidémies hivernales mais saisonnières : les courbes des deux dernières années sont assez significatives, avec des pics très violents de recours aux urgences et d'hospitalisations qui nous ont amené à déprogrammer des interventions chirurgicales ou des traitements médicaux pour les enfants. Je précise que la grippe, particulièrement sévère cette année, nous a également contraints à des déprogrammations. Ces crises et ces vagues épidémiques, associées à une incertitude sur l'avenir, ont été suivies par une aggravation des tensions préexistantes sur les recrutements et les effectifs alors que nous avions déjà des postes vacants. L'absentéisme a augmenté pendant la crise, avec des personnels fatigués et atteints de pathologies comme la covid ou la grippe, ce qui a pesé sur nos capacités opérationnelles. Aujourd'hui, des blocs opératoires sont fermés par manque d'infirmiers de bloc opératoire diplômés d'État (Ibode) et des lits sont également fermés faute d'infirmières et d'aides-soignants. Or nous partions d'une situation structurelle où 30 % des postes de titulaires étaient en moyenne vacants à l'hôpital. Nous subissons donc un effet de ciseaux. D'une part, les recettes ne sont pas aujourd'hui au rendez-vous en raison d'une activité qui n'a pas retrouvé son niveau initial d'avant la pandémie : en 2022, l'activité de chirurgie reste à un niveau inférieur de 1 % à celui de 2019 dans l'ensemble des établissements de santé et le retard atteint 5 % dans l'hôpital public. En ambulatoire, l'activité a tout juste retrouvé son niveau d'avant la pandémie dans nos établissements.
Comme vous l'avez indiqué, les mécanismes de garantie de financement ont sauvé la vie des hôpitaux publics. Cela représente des milliards d'euros et 80 % d'établissements bénéficiaires, y compris encore en 2022. Nous avions demandé, ici encore, une visibilité pluriannuelle. Cependant, le dispositif de sécurisation des recettes prévu par la loi n'est prévu que pour un an et nous nous inquiétons déjà pour 2024, sachant que 2023 sera encore une année atypique puisque l'année a commencé avec des déprogrammations liées à la grippe, ce qui aura un impact sur nos recettes. J'ajoute que les dispositifs de garantie de sécurisation de recettes ne prennent en compte que les effets tarifaires mais pas les effets volume. En 2022, la sous-exécution a atteint 421 millions d'euros pour les établissements publics de santé et les établissements privés non lucratifs : on ne nous en a restitué qu'une partie et le manque à gagner est important. Bien que nous n'ayons pas encore les résultats définitifs, nous prévoyons, pour 2022, une augmentation des dépenses de 5 à 6 % pour le personnel et de 9 % pour les dépenses générales, y compris l'énergie. Plus encore, en 2023, les dépenses de fonctionnement devraient augmenter d'environ 19 % et de 14 % pour les dépenses hors personnel : cette croissance s'explique principalement par un effet report sur les factures d'énergie des hôpitaux publics. Je mentionne que certains établissements bénéficiaient de contrats groupés sur l'énergie en 2022, ce qui leur a permis d'atténuer les augmentations. En 2023, nous prévoyons un effet de rattrapage important et la perspective d'un doublement du déficit hospitalier structurel d'avant crise, qui passerait de 500 à 600 millions d'euros à un milliard d'euros, n'est pas une hypothèse d'école. Cette situation financière extrêmement préoccupante représente un risque pour l'investissement dans la santé et l'innovation, qui reposent sur une visibilité pluriannuelle et une prise de risque à long terme. C'est pourquoi nous proposons une gestion pluriannuelle avec une réserve financière plus importante pour amortir les aléas potentiels.
Sur les réformes en cours, j'indique en premier lieu, s'agissant de la psychiatrie et des SSR, qu'il était indispensable de prendre des mesures pour mettre fin à une forte inégalité de traitement entre les secteurs. En effet, comme l'a signalé la Cour des comptes, on voyait se juxtaposer, d'un côté, une enveloppe fermée avec l'équivalent d'une dotation globale, et, de l'autre, un mécanisme ouvert de financements à l'activité non médicalisée à la journée. Il en a résulté des écarts de taux d'évolution importants - allant de un à quatre - entre les secteurs et une telle situation ne peut pas perdurer. Je rappelle d'ailleurs que le poids du secteur public en psychiatrie est très important : 80 % de la file active de patients étant accueillie dans les hôpitaux publics ou le secteur public, il était crucial de mettre en place des règles de financement équitables. Je précise que 80 % des prises en charge en psychiatrie se font désormais en ambulatoire, ce qui correspond à une tendance à la forte diminution des hospitalisations, dont il faut se féliciter, même pour certains patients psychiatriques lourds. Quant aux urgences, la réforme du financement semble fonctionner de façon satisfaisante et commence à structurer l'offre de soins.
S'agissant des SMR, nous avons appelé de nos voeux la réforme, dont les simulations ne donnent pas, pour l'instant, les résultats attendus par rapport aux objectifs d'équité de traitement. En effet, les hôpitaux publics sont donnés perdants à hauteur de 3 % de leurs ressources, ce qui est considérable. J'ajoute que, pour nous, l'objectif de la réforme n'était pas seulement de valoriser les soins spécialisés ; je fais d'ailleurs observer que nous sommes très majoritairement investis sur des soins polyvalents gériatriques qui s'adressent à des patients extrêmement dépendants. Manifestement, le modèle ne prend pas en compte cette dépendance, ni la lourdeur qui en découle, pour que nous puissions prendre en charge ces patients, ce qui nous défavorise dans les calculs de financement, pour le moment. Nous demandons donc une évolution des paramètres du modèle, ce qui semble en principe envisageable car on nous a toujours dit que les réformes pouvaient faire l'objet d'ajustements. Je reconnais que pour l'instant les établissements comprennent mal cette réforme, dont ils attendaient beaucoup en termes d'augmentation de leurs recettes. Cependant, nous en sommes encore au début de la démarche et nous ne désespérons pas de faire évoluer le modèle.
En ce qui concerne notre situation financière, il faut prévoir a minima plusieurs milliards de déficit. Tout d'abord, nous souffrons d'un sous-financement très important dû à l'inflation. Ensuite, les mesures générales annoncées pour la fonction publique nous conduisent à estimer les besoins supplémentaires de rémunération à 900 millions d'euros pour la fonction publique hospitalière en 2023 et à 1,7 milliard d'euros en 2024. Je ne suis d'ailleurs pas certaine que ce dernier chiffre incorpore l'impact en 2024 de la prime mise en oeuvre en 2023, car il s'agit d'estimations provisoires. Nous sommes particulièrement préoccupés par la valorisation des heures supplémentaires : celles-ci sont très largement assumées par l'hôpital public puisque que nous représentons 90 % des crédits de la permanence des soins dans les établissements de santé. Je souligne que ces heures supplémentaires et la lourdeur qui en résulte sont la principale raison des départs massifs, plus encore que les niveaux et les écarts de rémunération. Des mesures provisoires ont heureusement été mises en oeuvre, mais nous espérons leur pérennisation et leur sécurisation concernant le travail de nuit, les gardes et les astreintes, ce qui représente environ 2 milliards d'euros pour ce seul poste de dépenses. Pour couvrir l'ensemble des besoins, au moins 5 milliards d'euros sont nécessaires, sans même prendre en compte la sous-évaluation du Ségur de la santé, car nous ne parvenons pas à couvrir complètement les charges réelles malgré une enveloppe déjà très importante dont nous ne contestons pas la réalité. Nous espérons donc vivement que la réforme du financement pourra permettre de placer la pertinence des soins et la prévention au coeur de la rénovation du système de santé afin de dégager à nouveau des marges de manoeuvre.
Mme Catherine Deroche, présidente. - La prévention est, bien évidemment, à moyen terme une source d'économies majeure : on le constate par exemple en cancérologie. En négligeant la prévention, on accumule les soins de dernier recours ou les pathologies plus graves.
Mme Cécile Chevance. - Je précise, sur la réforme du financement et la mission Igas, que nous avons été bien été auditionnés à plusieurs reprises et que nous avons pu envoyer des contributions écrites. Nous espérons également être associés aux travaux de simulation. Par ailleurs, en 2024, la réforme ne se traduira que dans quelques lignes ou articles du PLFSS. L'essentiel de la traduction budgétaire interviendra en 2025 voire 2026, d'après ce qui nous a été annoncé. Ce qui nous dérange, comme Sophie Beaupère l'a souligné, c'est le manque de visibilité sur 2024 et l'absence de perspectives claires pour 2025. Nous pensons qu'il est possible d'agir avant, de façon responsable, malgré les incertitudes. J'ajoute que subsistent des mesures d'économies qui ne disent pas leur nom : elles sont prises de manière improvisée, sans réflexion à long terme et sans concertation avec les acteurs. On a par exemple évoqué la liste en sus des médicaments et nous sommes confrontés au même problème pour les dispositifs médicaux, avec des radiations de la liste en sus sans aucune concertation préalable, ni même une information minimale si ce n'est une seule réunion à ce sujet le 16 décembre 2022 pour une mesure applicable au 1er mars. Deux dispositifs médicaux - l'un sur les guides FFR (Fractional Flow Reserve) en cardiologie et l'autre sur la thrombectomie, utile pour prévenir les AVC - ont été radiés sans réintégration dans les tarifs, ce qui correspond à un déremboursement. Cette radiation d'outils majeurs de diagnostic risque d'amplifier le recours à des examens inutiles et non pertinents à l'avenir. Je rappelle ici que les maladies cardiovasculaires sont la première cause de décès et de handicap en France chez la femme. Pour l'homme, c'est encore le cancer parce que les générations masculines concernées ont encore des comportements à risque plus important que les dames, même si a priori les tendances vont malheureusement s'égaliser. Ce déremboursement de techniques qui ont montré toute leur efficacité et qui ne sont pas arrivées à maturité suscite l'incompréhension totale des communautés hospitalières. Nous souhaitons que les mécanismes de radiation de la liste en sus ne soient pas uniquement guidés par des mécanismes comptables : il faut instituer une clause de sauvegarde pour les dispositifs innovants qui n'ont pas été généralisés. J'ajoute qu'il est prévu que de telles sorties de liste de dispositifs efficaces se reproduisent en 2024 dans le domaine des maladies cardiovasculaires. Il faut mettre en place des mécanismes pour éviter que les économies de dépenses supposées ne s'appliquent pas de façon au final contre-productive.
Mme Christine Schibler. - Je confirme tout d'abord que la garantie de financement a été salutaire pour accompagner nos établissements. Cependant, nous n'avons pas encore tous les chiffres pour 2022 que nous avons demandés sur l'activité de nos établissements, sur la mise en place de la garantie de financement et sur le mécanisme prévu en cas de sous-activité, dont nous avons été exclus. La Commission d'accès aux documents administratifs (Cada), que nous avons saisie, a demandé que cette réponse nous soit fournie, mais à ce jour, nous n'avons reçu qu'un fichier totalement inexploitable, ce qui est très préoccupant en termes de transparence concernant les conditions d'exécution de l'Ondam. Nous espérons obtenir des informations complémentaires lors de notre prochain comité économique.
En 2020, 61 % des établissements privés ont bénéficié de la garantie de financement et 56 % en 2021. Nous avons eu moins recours à cette garantie que le secteur public où le pourcentage a atteint 81 % en 2021 pour les activités de médecine, de chirurgie et d'obstétrique (MCO). Je précise que le dispositif de sécurisation modulé à l'activité pour 2023 est transitoire et vise à soutenir les établissements qui pourraient rencontrer des difficultés. Cependant, nous rencontrons une difficulté car les référentiels utilisés pour calculer ces garanties de financement et qui servent de base aux discussions sont encore ceux de 2019, comme si tout s'était arrêté en 2019. En ce qui concerne nos derniers résultats, nous sommes en train de consolider un document que nous pourrons vous transmettre dans une quinzaine de jours. Il s'agit d'une étude qui dresse un bilan de la situation économique de nos établissements à partir d'un panel qui en représentent plus de 40 %. Je peux d'ores et déjà vous indiquer que sans les recettes annexes provenant de l'assurance maladie complémentaire (AMC) et sans la garantie de financement, 80 % de nos établissements seraient déficitaires. Cela montre clairement que dans un contexte de sous-financement systémique des soins par l'assurance maladie, le dispositif de garantie a permis à de nombreux établissements de rester à l'équilibre. Cependant, je fais observer que 30 % de nos établissements restent déficitaires et que le niveau de résultat net des établissements MCO est limité à 1 %, ce qui ne leur laisse aucune marge de manoeuvre. C'est pourquoi j'ai souligné la nécessité de financer les revalorisations salariales, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. S'y ajoutent le contexte inflationniste et une accumulation de réformes en cours qui créent un climat d'incertitude : celui-ci bloque complètement les investissements et décourage un certain nombre d'investisseurs.
Deux priorités nous paraissent essentielles pour ramener un peu de stabilité dans ce paysage. La première est de définir des objectifs stratégiques - en limitant leur nombre à moins de dix - et d'y travailler sur plusieurs années pour les atteindre en permettant aux équipes de disposer de perspectives claires et visibles. La deuxième priorité, que nous exprimons depuis longtemps à la FHP, est de lancer un grand plan d'attractivité, d'emploi et de formation dans le secteur de la santé, non seulement dans le secteur sanitaire mais aussi dans le médico-social et la médecine de ville. C'est un aspect absolument majeur car les générations actuelles ont une approche du travail qui a évolué et qu'il faut prendre en compte à travers la refonte de notre dispositif de formation. Nous sommes prêts à nous impliquer dans les stages, l'apprentissage et le remaquettage des formations dans le cadre du protocole pluriannuel, à condition qu'une décision soit prise par les pouvoirs publics sur ce sujet. Je conviens qu'il faut sans doute éviter les usines à gaz technocratiques en revenant à des objectifs simples et clairement énoncés : je rejoins à ce titre vos propos qui mettent l'accent sur le financement basé sur la qualité. Encore faut-il disposer de plus de visibilité, ce qui est loin d'être le cas, comme l'illustre le fait que les modalités de l'incitation financière à l'amélioration de la qualité (Ifaq) pour 2022 n'ont été connues que le 30 décembre 2022.
Par ailleurs, nous sommes favorables à la réforme du financement des SMR mais nous contestons la manière dont elle est organisée : nous redoutons que cette méthode soit étendue à d'autres activités sans que soient tirées les leçons de l'expérience des SMR. Les financements sont basés sur une moyenne standardisée, ce qui ne correspond pas à un objectif de santé publique. Nous pensons qu'une réforme doit être accompagnée d'une augmentation des allocations et nous demandons que le système actuel de facturation et de financement soit maintenu pour 2024, comme c'était le cas pour les six derniers mois de 2023, afin d'éviter d'aggraver les difficultés.
S'agissant enfin de l'évolution de l'Ondam, je souhaite compléter les propos de Cécile Chevance, que nous partageons totalement. Pour les années 2022 et 2023, en prenant la seule composante d'inflation et en excluant la partie ressources humaines (RH), nous estimons qu'il manquait 4,3 milliards d'euros pour l'ensemble de nos établissements. Par rapport aux chiffres mentionnés par la FHF, notre secteur privé a subi une hausse des achats beaucoup plus importante en 2022 et 2023, qui s'établit à 12 %. Ainsi, la plupart de nos établissements n'ont pas pu bénéficier de la couverture financière portant sur les factures énergétiques. Il est extrêmement important de prendre en compte ces effets cumulatifs sur les charges, les achats, les loyers ainsi que sur les ressources humaines avec des mesures de revalorisation et de défense des salaires. Nos salariés doivent être accompagnés pour qu'ils puissent faire face aux coûts de l'inflation et bénéficier de conditions de travail décentes. Le taux d'augmentation auquel nous aboutirons sera nécessairement supérieur à 6 % et c'est sur cette base que nous travaillons avec le ministère de la Santé. Nous rejoignons les propos de Cécile Chevance sur l'augmentation très significative de l'Ondam pour 2024. Il faudra également travailler sur la pénibilité spécifique de nos métiers et sur un plan d'attractivité prenant en compte la qualité de vie au travail, sans se contenter d'augmenter les dotations : le Ségur de la santé n'a sans doute pas été assez propice à aller au fond des difficultés.
M. Charles Guépratte. - Je tiens à souligner que notre situation financière se détériore fortement depuis plusieurs mois en raison de plusieurs facteurs. Tout d'abord, je ne reviens pas sur le contexte inflationniste, qui est exogène. Je signale également un phénomène de changement de notre mix d'activités avec une progression significative de la part de l'ambulatoire ; nous ne nous ne pouvons que nous en réjouir. Cependant, l'activité en volume des séjours est en hausse de 5 % en 2022, tandis que la revalorisation n'est que de 1 % et cela soulève d'importants problèmes de déséquilibre financier pour nos établissements. Je fais observer que ceux-ci ne sont pas immortels : dotées de fonds propres, nos entreprises et nos associations sont soumis à la vie des affaires et nous sommes préoccupés par leur pérennité à long terme.
J'ajoute que nous faisons face à un déficit d'attractivité. Je souligne à nouveau que nous souffrons d'une inéquité de financements alloués à des missions identiques. En particulier, les établissements privés solidaires ne bénéficient pas du financement des mesures dites Braun prévues pour les services d'urgences et les services en tension alors que nos établissements assurent des missions de service public, y compris pendant la période estivale dans des villes comme Bordeaux, Strasbourg et Paris. En effet, on nous demande de venir en appui des hôpitaux publics pour assurer l'accueil des urgences de jour et de nuit. Or les salariés de la Fehap ne peuvent pas bénéficier des mêmes avantages que les fonctionnaires de l'hôpital public, ce qui crée une réelle difficulté de recrutement. Nos établissements ont la capacité juridique de mettre en oeuvre ces mesures mais n'en ont pas les moyens financiers : cela représente une somme inatteignable, par exemple, pour des établissements relevant de l'Institut catholique de Lille, où les mesures Braun coûteraient 1,8 million d'euros, ce qui n'est pas finançable sur fonds propres.
Heureusement, nous avons été soutenus par la garantie de financement et nous considérons que le dispositif prévu pour 2023 permet d'en lisser l'extinction progressive. La très grande majorité de nos établissements ont bénéficié de cette garantie en 2022 ainsi qu'en 2023, ce qui s'explique par le changement de profil de nos activités au profit de l'ambulatoire.
Nous soutenons également l'esprit de la réforme du secteur psychiatrique et des SMR et sommes attentifs aux dotations populationnelles qui doivent être construites avec les ARS. Nous demandons que des règles claires soient établies quant à la méthodologie de construction de ces objectifs. Nous restons circonspects sur la possibilité de mettre en oeuvre la réforme dès le 1er janvier 2024 : nous verrons s'il est possible d'obtenir des résultats aussi rapidement. La question fondamentale est de savoir quelle est la décomposition financière de la réforme, c'est-à-dire quelles parts seront consacrées à la T2A, aux missions ou aux objectifs de santé publique. La mission d'experts n'était pas chargée de définir ces proportions, mais nous savons bien qu'il y a 50 milliards d'euros d'un côté et 15 milliards de l'autre. Or la réforme n'aura pas du tout le même effet si elle réduit de moitié la T2A ou si elle se contente de lui retrancher un milliard d'euros. C'est ce point qui nous préoccupe et il rejoint les observations qui ont été faites sur la modélisation et les simulations qui peuvent être réalisées. Nous restons également très attentifs aux modalités de mise en oeuvre de cette réforme.
Enfin, en ce qui concerne l'Ondam hospitalier, je m'associe aux remarques des autres intervenants en constatant l'importance des effets inflationniste exogènes et des mesures salariales, qui viennent alourdir les coûts de fonctionnement de nos établissements : nous prévoyons ainsi une augmentation de 4 % à 5 %, qui correspond à la répercussion automatique de ces hausses.
Mme Sophie Beaupère. - Mes propos vont compléter ceux de mes collègues. Tout d'abord, 7 de nos 18 centres ont bénéficié de la garantie de financement. Je signale des effets de bord très mal vécus par les centres qui ont dû accueillir des patients qui n'auraient pas été pris en charge dans d'autres structures. En effet, nos centres ont été pénalisés financièrement car ils n'ont bénéficié en fin d'année que d'un dégel partiel des fonds, malgré une progression de l'activité liée aux cas de cancer. Le panorama qui vient d'être publié par Santé publique France et l'Institut national du cancer (INCa) met en évidence un doublement des cas de cancer en 30 ans, ce qui rejaillit sur la difficulté de la tâche dans nos établissements ainsi que dans les autres structures qui prennent en charge les cas de cancer.
Financièrement, et de manière inédite, 7 centres sur 18 ont été déficitaires à la fin de l'année 2022 tandis qu'au premier quadrimestre 2023, l'activité a augmenté de 7 % dans nos établissements. Nous faisons face à une tension sans précédent car, de même que les établissements de la Fehap, nous ne bénéficions pas d'une équité de traitement avec les hôpitaux publics. Les mesures dites Braun illustrent ce phénomène et nous faisons face à de grosses difficultés pour motiver nos professionnels, qui assurent la prise en charge des cancers et vivent très mal de ne pas pouvoir bénéficier de ces compléments de rémunération. Aujourd'hui, six de nos établissements - parmi lesquels se trouvent les plus grands centres de lutte contre le cancer, comme l'Institut Gustave Roussy, l'Institut Curie et, à Marseille, l'Institut Paoli-Calmettes - bénéficient du dispositif de sécurisation existant. En effet, ils subissent une contraction des ressources humaines, une perte d'attractivité et une charge accrue pour les personnels en activité. Il en résulte une difficulté pour maintenir suffisamment de lits disponibles alors qu'un fort volume d'activité est au rendez-vous.
En ce qui concerne la réforme de la T2A, nous avons appelé de nos voeux un bilan préalable de celle-ci ainsi que de la garantie de financement. Nos fédérations n'ont cependant pas pu partager avec le ministère les conclusions du rapport de l'Igas sur la garantie de financement, ce qui aurait été souhaitable avant de se lancer dans une réforme. Je rejoins les propos de mes collègues en estimant que certaines priorités doivent être établies, comme l'équité de traitement pour les structures exerçant des missions de service public et le financement des investissements. Ce dernier sujet nous préoccupe énormément en tant que centres d'expertise et de recours pour deux raisons. D'une part, il est crucial d'avoir une stratégie dans ce domaine et, d'autre part, dans le cadre du Ségur de la Santé, les centres de lutte contre le cancer n'ont reçu que 0,4 % des crédits alloués aux investissements alors qu'à elle seule, leur activité MCO représente 2,5 % du total. Par conséquent, il est difficile pour nos établissements de renouveler leur parc d'équipements, qui est essentiel en cancérologie, et d'adapter leurs bâtiments à la transition énergétique.
Au-delà du financement des investissements, qui nécessite une vision pluriannuelle, d'autres orientations majeures nous semblent essentielles. Il en va ainsi du financement de la prévention. Nous pensons qu'il est souhaitable de développer des parcours permettant d'assurer une prévention efficace, comme le programme « Interception » développé par l'Institut Gustave Roussy à destination des personnes à haut risque de cancer. Nous avons récemment soumis, dans le cadre de l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, un projet qui permettrait de généraliser ce programme à l'ensemble des établissements de lutte contre le cancer. Nous nous espérons qu'il servira d'exemple pour financer une prévention efficace et démontrer des résultats concrets dans la prise en charge précoce et la réduction des hospitalisations.
Le développement du financement basé sur la qualité devrait, à notre avis, s'appuyer sur des indicateurs de qualité probablement plus spécifiques aux pathologies que ceux actuellement utilisés par l'Ifaq, et en se concentrant notamment sur les délais de prise en charge pour améliorer la coordination des acteurs.
En ce qui concerne l'Ondam, nous sommes impactés, comme les autres établissements, par l'inflation, avec une augmentation a minima de 15 % des dépenses de fonctionnement - en particulier des factures d'énergie - entre 2022 et 2023. Nous estimons qu'une hausse d'au moins 5 ou 6 % de l'Ondam serait nécessaire pour faire face à ces dépenses.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Vous avez beaucoup insisté sur la formation des personnels : avez-vous été associés aux travaux lancés par François Braun et la ministre de l'enseignement supérieur sur le métier d'infirmier ?
Mme Sophie Beaupère. - Pas encore à ce stade.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Il serait souhaitable que vous puissiez y participer prochainement.
M. René-Paul Savary. - Tout d'abord, je rappelle que vos fédérations n'avaient pas réagi de façon très positive à l'idée de régionaliser l'Ondam, qui figurait dans le rapport que nous avions réalisé avec la présidente Catherine Deroche. Cependant, lorsque vous parlez de prévention et de concertation associant tous les acteurs, y compris ceux qui interviennent dans l'hébergement et dans les soins de ville, il serait logique d'avoir un Ondam territorialisé. Cela permettrait d'éviter de traiter séparément le cas des hôpitaux et de la médecine de ville : qu'en pensez-vous et votre point de vue a-t-il changé sur ce point ? Bien entendu, la nécessité d'inscrire l'Ondam dans un cadre pluriannuel me paraît d'une redoutable évidence.
M. Alain Milon. - Merci aux fédérations pour les explications qu'elles nous ont données. Je souhaite juste aborder la question des charges sociales et fiscales, de l'assujettissement à la TVA ainsi que de la taxe sur les salaires : quel est votre avis sur une harmonisation de ces prélèvements ?
Mme Florence Lassarade. - Je commencerai d'abord par un témoignage qui peut être intéressant en matière de formation. J'ai récemment visité le centre de formation de la polyclinique de Bordeaux Nord Aquitaine, qui s'adressait initialement aux aides-soignants. Le recrutement est relativement facile car les candidats savent qu'ils trouveront des débouchés dans cet établissement. Très rapidement, ces aides-soignants se voient proposer une formation interne pour devenir infirmiers et, par la suite, on leur offre également la possibilité de progresser vers des postes de cadres hospitaliers. De tels systèmes qui incorporent des mécanismes d'ascenseur social interne ne doivent-ils pas être privilégiés par rapport aux écoles d'infirmières à recrutement direct ?
Deuxièmement, depuis plus de 30 ans, dans notre pays, nous mettons systématiquement l'accent sur les urgences, qui sont le point d'arrivée pour tous ceux qui n'ont pas été soignés en amont. Il ne s'agit pas seulement de ceux qui ne trouvent pas de médecin, mais aussi de cas où la prise en charge précoce a échoué, en particulier en cancérologie. Pourquoi un patient atteint de cancer se retrouve-t-il aux urgences alors qu'il pourrait être pris en charge dans un établissement approprié ? Cette congestion des urgences par des maladies chroniques soulève la question du financement des services où l'on prodigue de vrais soins et de la prévention, plutôt que d'en arriver à la fin de chaîne. Je sais bien que notre ministre a été urgentiste mais ne devrions-nous pas être plus efficaces dans la prise en charge en amont ?
Mme Michelle Meunier. - Ma question s'adresse à Madame Sophie Beaupère d'Unicancer. Lorsque vous avez parlé du financement et du parcours des patients, vous avez fait un rapprochement entre le forfait en radiothérapie et une meilleure prise en charge : pouvez-vous préciser ce point ?
Mme Sophie Beaupère. - S'agissant de l'idée d'un Ondam régional, il est vrai qu'aujourd'hui, comme cela a été souligné par la mission, nous avons un enjeu de transparence en ce qui concerne la répartition des financements au niveau régional. Par conséquent, instituer un Ondam régional nécessiterait au préalable de clarifier les règles de répartition des fonds entre les établissements, quel que soit leur statut.
En ce qui concerne la prise en charge des cancers, nous pensons qu'il faut une politique nationale, notamment pour réduire les inégalités d'accès. Par exemple, un programme de prévention comme celui que j'ai évoqué devrait être déployé au niveau national afin de donner les mêmes chances à tous, tout en tenant compte des adaptations régionales correspondant à la réalité du terrain, étant donné que ce type de programme nécessite une coordination entre les établissements et les médecins généralistes. Encore faut-il avoir suffisamment de médecins généralistes disposant d'un minimum de temps pour s'y consacrer.
Par ailleurs, nous ne pouvons qu'être favorables à l'harmonisation des charges sociales et fiscales, car les nôtres sont aujourd'hui supérieures à celles de l'hôpital public.
Je rejoins vos propos sur la formation interne, que nous appelons de nos voeux Pendant longtemps, les dispositifs de formation professionnelle n'étaient pas adaptés au domaine de la santé et imposaient souvent aux apprentis payés par l'établissement de suivre leur stage ailleurs. Le système de formation et de promotion interne que vous décrivez répond à une véritable attente sociétale : nous y sommes très favorables car les professionnels ont besoin de perspectives d'avenir.
En ce qui concerne la surcharge des urgences, nous sommes également en plein accord avec vos observations. Il faut bien distinguer la question de la permanence des soins et celle des pathologies chroniques. Pour ces dernières, le besoin de continuité des soins ne peut qu'augmenter en raison du vieillissement de la population et de la croissance des cas de cancer. Les services d'urgence généralistes ne sont certainement pas l'endroit le plus approprié pour répondre à ce besoin.
Enfin, s'agissant du forfait de radiothérapie, le système actuel de paiement à la séance ne nous permet pas d'en optimiser le nombre. Les nouvelles techniques permettent de réduire le nombre de séances, et donc leurs effets secondaires pour les patients, tout en obtenant les mêmes résultats. Plusieurs pays européens, comme les Pays-Bas, ont mis en place un financement forfaitaire de la radiothérapie, ce qui encourage les acteurs à fournir des soins aussi efficaces que possible. C'est pourquoi nous appelons de nos voeux l'instauration d'un tel paiement au forfait en France.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Il est vrai que le traitement classique prévoit plusieurs séances par semaine pendant plusieurs semaines. Réduire le nombre de séances offre de nombreux avantages : les malades évitent ainsi les déplacements ainsi que les frais qui en découlent et cela permet également d'optimiser l'utilisation des équipements. Cependant, le mode de financement actuel ne favorise pas ce type de gestion de la radiothérapie, et les établissements demandent un réajustement. Il est essentiel d'avancer dans ce sens, car le financement actuel bride les possibilités d'évolution.
Mme Sophie Beaupère. - Exactement : le financement au forfait permet d'optimiser et d'encourager tous les acteurs de la radiothérapie à utiliser les techniques innovantes permettant de réduire le nombre de séances.
Mme Catherine Deroche, présidente. - C'est évidemment dans l'intérêt des patients, qui pourraient éviter la lourdeur des traitements actuels.
Mme Michelle Meunier. - Votre réponse est éclairante, mais elle montre que le système actuel est aberrant du point de vue de l'intérêt du patient.
Mme Cécile Chevance. - L'Ondam régional nous semble comporter un risque en termes d'équité et d'égalité réelle d'accès aux soins sur l'ensemble du territoire. Les réformes du financement qui incorporent une part de dotation populationnelle nous semblent précisément avoir pour but de répondre à cet objectif de réduction des inégalités. On constate, en effet, à travers certaines études conduites par la DGOS, un décalage entre l'offre et la demande de santé non seulement entre les régions mais aussi au sein des régions.
En ce qui concerne les différences de règles fiscales et sociales, notre préoccupation principale concerne le secteur médico-social, qui présente des écarts très importants par rapport à l'ensemble de secteur public. De plus, les Ehpad publics ne peuvent plus être assujettis à la TVA, ce qui place ces établissements dans une situation extrêmement compliquée, car certains avaient déjà entrepris cette démarche avec une demande de récupération de TVA. Comme cela a été souligné, on fonctionne malheureusement aujourd'hui en silo entre le sanitaire et le médico-social. 60 % des difficultés financières des centres hospitaliers sont imputables au secteur médico-social, où l'on observe à la fois une sous-occupation en termes d'activité, une augmentation des charges et une inflation qui n'est absolument pas prise en compte. Cela crée une situation très préoccupante.
En ce qui concerne la formation, je suis tout à fait d'accord avec vous. Il faut privilégier les évolutions de carrière à long terme, et en particulier offrir des perspectives pour les deuxièmes parties ou les fins de carrière, notamment pour les médecins. L'ascenseur social et la promotion interne fonctionnent très bien à l'hôpital public et doivent être encouragés.
Je m'associe également à vos propos : il faut éviter que les pathologies chroniques atteignent un stade grave voire aigu, ce qui concerne des maladies comme le diabète, l'insuffisance cardiaque ainsi qu'une longue liste de pathologies. C'est d'ailleurs l'objectif de la démarche de responsabilité populationnelle pilotée par la Fédération hospitalière de France dans cinq territoires pionniers, dans le cadre d'un appel à manifestation d'intérêt encadré par l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. Il s'agit d'une initiative qui concerne une population importante atteinte de diabète de type 2 et d'insuffisance cardiaque. Elle vise à la fois les personnes déjà malades et celles présentant un risque de développer ces pathologies. Cette initiative participe d'une démarche de prévention impliquant tous les professionnels de santé, qu'ils travaillent dans des établissements publics ou privés lucratifs ainsi que les professionnels libéraux. Heureusement, les pathologies chroniques sont prises en charge avant tout par les soins de premier recours et pas uniquement par l'hôpital. L'objectif est donc de réduire le nombre d'apparitions ou de retarder l'apparition de la maladie, puis de réduire ou de retarder l'aggravation des différents stades de la maladie, ainsi que de minimiser le nombre de passages aux urgences dans des situations dégradées. Cette démarche a débuté en 2019 et la crise sanitaire a retardé sa mise en pratique. On commence cependant à observer des effets positifs, notamment dans les territoires qui sont sous-dotés en professionnels de santé, car ils n'ont peut-être pas d'autre choix que de travailler ensemble.
Mme Élisabeth Doineau. - Sénatrice de la Mayenne, je témoigne de la vive préoccupation des élus à propos des fermetures de services d'urgence dans certains territoires. Je me demande comment nous allons pouvoir envoyer des messages rassurants à la population sur ce point car nous aurons du mal à recruter des urgentistes en raison de la faible attractivité et de la difficulté des postes proposés. De plus, malgré les nombreux plans d'action sur les urgences, je me demande si cette réforme pourra répondre aux problématiques de terrain. Nous savons tous que certaines personnes se rendent aux urgences sans réelle nécessité, faute de réponse appropriée sur place et d'accès aux soins. Comment pouvons-nous bien communiquer et répondre efficacement aux situations d'urgence vitale ? J'observe que des messages contradictoires sont diffusés à travers les médias et je m'interroge sur les moyens qui permettraient à tous d'aller dans la même direction.
Mme Catherine Deroche, présidente. - J'ajoute qu'une partie non négligeable de personnes se tournent aussi vers les urgences sans avoir exploré les autres options de soins disponibles sur leur territoire.
M. Charles Guépratte. - En ce qui concerne l'Ondam, je partage ce qui a été dit sur la nécessité d'avoir une vision nationale pour élaborer la politique publique de santé, mais je souligne également l'importance de la territorialisation de la gouvernance du système. Nous soutenons fortement les initiatives dans ce sens à condition d'unifier le pilotage au niveau des territoires en associant les collectivités et tous les acteurs, quel que soit leur statut, y compris les médecins libéraux. Actuellement, on observe des tentatives de décloisonnement de l'organisation en silo à travers les systèmes post-CNR (Conseil national de la refondation) et post-CTS (Conseils territoriaux de santé), qui apparaissent néanmoins comme une nouvelle strate s'ajoutant aux dispositifs existants. Le fléchage financier peut ici s'avérer utile mais un pilotage plus unifié, tout particulièrement entre le secteur sanitaire et le médico-social, nous semble nécessaire.
Nous sommes également très favorables à l'harmonisation des charges fiscales et sociales qui a été évoquée. Nous avons déjà mis en place des coefficients de minoration pour tenir compte des différences de prélèvement sectoriel, mais nous rencontrons des difficultés d'application de la fiscalité locale pour nos établissements, notamment en ce qui concerne la taxe foncière et la taxe d'habitation. Ces sujets prennent de l'importance, car ils donnent lieu à des redressements fiscaux ainsi qu'à des demandes de conseils sur la conduite à tenir de la part de nos établissements.
Par ailleurs, je suis convaincu que la formation est le moyen le plus déterminant pour améliorer notre attractivité. Cela implique une rénovation des plateformes ainsi que du contenu pédagogique des formations, en particulier dans le domaine paramédical. La promotion professionnelle est également importante ; cependant, pour les établissements privés qui, comme les nôtres, cotisent à un opérateur de compétences (Opco), il est difficile d'obtenir des financements adéquats : en effet, le coût de la promotion professionnelle est élevé, et avoisine, par exemple, 80 000 euros pour la transition entre aide-soignant et infirmier. Je signale des avancées dont pourront bénéficier les aides-soignants, qui pourront être dispensés d'une année de formation grâce à la validation des acquis de l'expérience (VAE), mais cela reste insuffisant. Nous souhaiterions développer plus massivement l'apprentissage, qui nous semble un levier puissant pour améliorer l'attractivité de nos métiers, en particulier pour les plus jeunes, face aux difficultés actuelles pour susciter des vocations dans le secteur du soin. Je rejoins également les observations de Cécile Chevance sur les deuxièmes ou troisièmes parties de carrière, car il est difficile de demander à des aides-soignants de 50 à 55 ans d'accomplir les mêmes tâches, avec le même engagement, qu'à ceux qui ont 20 ans.
Enfin, le secteur médico-social est pour les services d'urgence un important fournisseur de patients mais peut aussi être une source de congestion : en effet, si les patients ne trouvent pas de solution pour sortir de l'hôpital, ils y restent, ce qui engorge le système. Nous croyons donc beaucoup aux dispositifs de détection des fragilités et à l'orientation vers les Ehpad, les soins à domicile ou encore le renforcement de l'aide à domicile pour détecter les fragilités et éviter l'hospitalisation. On peut également travailler sur les admissions directes sans passer par les urgences pour les patients qui en ont besoin. Bien entendu, des dispositifs existent dans ce sens mais il est nécessaire de les renforcer. Il faut également aider les Ehpad à ne pas multiplier les transferts vers les urgences, ce qui implique de les outiller en offre médicalisée et de leur permettre de disposer de personnels paramédicaux, sans quoi il sera difficile de maintenir les résidents fragilisés dans ces établissements.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Il me reste à vous remercier pour cet éclairage, qui est une bonne préparation pour alimenter le débat dans la perspective du PLFSS et de cette réforme, sur laquelle nous interrogerons demain le ministre.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10h35.
Mise en oeuvre de la solidarité à la source - Examen du rapport d'information
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous allons entendre à présent la communication de René-Paul Savary et Raymonde Poncet Monge qui interviennent à l'issue des travaux de la mission d'information qu'ils ont conduite, au nom de la Mecss, dont René-Paul Savary est le président, sur la solidarité à la source. Je vous rappelle que nos travaux s'inscrivent dans le cadre du programme de contrôle de la Mecss au titre de la session 2022-2023. Le bureau de la commission a pris acte, en fin d'année dernière, de ce programme. Je cède donc la parole aux rapporteurs.
M. René-Paul Savary, rapporteur. - Madame la présidente, mes chers collègues, la solidarité à la source suscite bien des interrogations depuis que le Président de la République, Emmanuel Macron, en a fait l'une des principales (et rares) propositions de sa dernière campagne présidentielle, sans jamais l'expliquer. Son intitulé suggère qu'il s'agirait de l'opposé du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu. Le ministre Jean-Christophe Combe a déjà eu l'occasion de venir lever les ambiguïtés initiales en nous précisant qu'il ne s'agit pas d'un projet d'automatisation du versement des prestations sociales à toutes les personnes éligibles, mais d'un projet d'interconnexion des bases de données sociales visant à lutter tout à la fois contre le non-recours aux prestations, les indus et la fraude. Du fait de contraintes pratiques et, sans doute, de préoccupations d'ordre financier, les ambitions gouvernementales ont été largement revues à la baisse depuis le précédent quinquennat. Il nous a donc paru opportun de conduire des travaux à ce sujet dans le cadre de la Mecss afin de vous apporter, ainsi qu'à nos concitoyens, les éclaircissements nécessaires à la compréhension de cette réforme, dont les prémices remontent à 2020.
Raymonde Poncet Monge, rapporteure. - Au préalable, il convient de rappeler dans quel contexte s'inscrit ce projet de réforme. Le paysage des prestations versées sous conditions de ressources, vaste et hétérogène, est le produit de la sédimentation de dispositifs visant des publics plus ou moins spécifiques et conçus pour répondre à une grande variété d'objectifs. Au sein de ce paysage se distinguent les prestations de solidarité : des prestations de nature monétaire visant à soutenir le revenu de ménages modestes, soumises à conditions de ressources et dégressives à partir d'un certain montant de revenus jusqu'à s'éteindre au-delà d'un seuil prédéfini. Elles incluent les minima sociaux mais aussi d'autres aides financées et gérées par des acteurs variés. Trois de ces prestations, versées par les caisses d'allocations familiales (CAF) ou les caisses de mutualité sociale agricole (MSA), concernent neuf personnes sur dix parmi la population aujourd'hui soutenue par des aides sociales : le revenu de solidarité active (RSA), la prime d'activité et les aides personnelles au logement. Le total des dépenses au titre de ces trois prestations avoisine 40 milliards d'euros.
S'il contribue effectivement à réduire le taux de pauvreté et les inégalités en France, le système de prestations de solidarité est devenu illisible, notamment parce qu'il compte autant de « bases ressources », c'est-à-dire de façons de mesurer les différentes catégories de revenus, qu'il y a de prestations. De plus, le système de solidarité ayant été construit sans jamais avoir été pensé dans sa globalité, les prestations interagissent les unes avec les autres d'une façon qui n'est pas toujours cohérente. S'ajoutent à cette illisibilité les complexités propres à certaines prestations. Par exemple, la définition du salaire prise en compte pour le calcul des droits au RSA et à la prime d'activité est le « revenu net perçu », une notion qui n'est définie par aucun texte et qui s'avère d'une très grande opacité pour les allocataires car elle ne correspond à aucun des agrégats affichés sur le bulletin de paie. Cette complexité et cette illisibilité sont une cause majeure du non-recours aux prestations par une partie des personnes qui pourraient y prétendre, un phénomène qui entraîne des risques accrus de pauvreté et d'exclusion. La mesure du non-recours est un exercice complexe qui a longtemps été réalisé partiellement. Un nouveau dispositif, qui a été construit par la Drees à partir de l'enquête « EFRS » de l'Insee, a permis d'estimer le taux de non-recours au RSA à 34 % en moyenne par trimestre et à 20 % de façon pérenne pour 2018. Ainsi, près de 3 milliards d'euros de RSA par an ne seraient pas versés du fait du non-recours.
En revanche, l'EFRS ne permet pas d'estimer de manière fiable le non-recours à la prime d'activité, notamment en raison de la fréquence très insuffisante des données disponibles. Une solution identifiée est l'utilisation du dispositif des ressources mensuelles, nous y reviendrons ; elle doit être mise en oeuvre afin de permettre notamment une mesure régulière et comparable dans le temps du non-recours à cette prestation. De même, il n'existe pas d'évaluation fiable du non-recours aux aides au logement. On estime cependant que le taux de non-recours est plus faible pour ces dernières.
Alors que la lutte contre le non-recours est inscrite depuis plusieurs années à l'agenda des politiques sociales et qu'elle figure parmi les objectifs des organismes de sécurité sociale, le phénomène persiste à un niveau élevé et pourrait même s'être aggravé pour les publics les plus vulnérables, comme le suggèrent les études de terrain qui ont été réalisées par diverses associations. Nous ne pouvons certainement pas nous satisfaire de cette situation. L'accès aux droits et la lutte contre le non-recours, qui participent de l'objectif de délivrer le juste droit, devraient faire l'objet d'une politique publique résolue.
À l'inverse, les obligations déclaratives lourdes et complexes à la charge des bénéficiaires entraînent de nombreux versements indus du fait d'erreurs. Ce phénomène semble s'être aggravé au cours des dernières années. Dans son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale de 2022, la Cour des comptes estimait qu'un euro sur six de RSA et un euro sur cinq de prime d'activité seraient versés à tort à titre définitif. Le niveau élevé des indus imputables à des erreurs déclaratives non corrigées est un des principaux motifs qui fondent le refus de la Cour des comptes de certifier les comptes de la branche famille et de la Cnaf pour l'exercice 2022. Selon la Cour, le RSA, la prime d'activité et les aides au logement sont à l'origine de 82 % du montant estimé des indus et des rappels non détectés. Au total, le système actuel reste donc loin de garantir le paiement à bon droit des prestations, ce qui doit suffire à justifier la nécessité d'une réforme. Le Gouvernement prévoyait, dans le cadre de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté (2018-2022), une rénovation en profondeur du système de minima sociaux et de prestations sous conditions de ressources, notamment au travers de la création d'un revenu universel d'activité, le RUA. La proposition centrale du rapport de préfiguration de Fabrice Lenglart, qui n'a pas été rendu public mais que nous avons consulté, est d'instaurer un « revenu social de référence », c'est-à-dire d'harmoniser les bases ressources utilisées pour calculer le montant des différentes aides. Cette harmonisation devra permettre d'assurer une meilleure articulation des prestations de solidarité les unes avec les autres et favoriserait un calcul du droit plus juste. L'inscription des diverses prestations de solidarité dans un système unifié aurait permis, selon le rapport Lenglart, d'assurer à la fois un meilleur recours aux droits et une plus grande continuité des droits. Une telle réforme aurait toutefois requis des arbitrages complexes, notamment sur le périmètre des prestations concernées, la définition exacte des ressources qui sont comptabilisées au titre du revenu social de référence ou encore le barème à retenir pour les aides au logement, dont les bases de calcul diffèrent de celles du RSA. Cette complexité, et les coûts qu'elle induisait, explique sans doute que le Gouvernement ait renoncé au RUA pour y substituer le projet de « solidarité à la source ». Derrière cet intitulé conquérant s'est ainsi dessinée l'automatisation du remplissage des déclarations de ressources des demandeurs et allocataires de prestations sociales soumises à conditions de ressources.
En réalité, il ne s'agit là que du prolongement de la réforme des APL, qui est intervenue en 2021. Pour rappel, celle-ci se décomposait en deux évolutions concomitantes. D'une part, leur contemporanéisation, c'est-à-dire l'utilisation, comme base de calcul, des ressources des douze derniers mois glissants, et non plus celles de l'avant-dernière année, et le réexamen du droit chaque trimestre au lieu de tous les ans. D'autre part, le pré-remplissage des déclarations de ressources à partir d'une base de données, le dispositif de ressources mensuelles ou DRM. Cet instrument agrège les données de salaires issues de la déclaration sociale nominative et les informations relatives aux revenus de remplacement, véhiculées par la déclaration « prélèvement à la source et revenus autres » ou PASRAU, qui peuvent être consultées par les CAF et les caisses de MSA via un service de restitution. La mise en oeuvre de la réforme, reportée d'un an du fait de la crise sanitaire, n'a pas été simple et a suscité bien des difficultés. En premier lieu, seuls 80 % des revenus des allocataires sont sécurisés par le DRM, les 20 % restants devant faire l'objet de déclarations psécifiques. En outre, alors que les revenus de l'avant-dernière année étaient jusqu'alors communiqués directement aux CAF et aux caisses de MSA par l'administration fiscale chaque année, sans que les allocataires aient à accomplir une quelconque démarche, les ressources non véhiculées par le DRM doivent désormais faire l'objet d'une déclaration. Il en a résulté de la complexité pour les demandeurs, qui s'ajoute à l'instabilité du montant des APL induite par leur contemporanéisation. D'après la Cour des comptes, 17 % des allocataires ont dû procéder à une déclaration de ressources en 2022, contre 9 % en 2019-2020. En outre, il est impossible aux allocataires de corriger a priori les éventuelles anomalies affectant les données du DRM. Dans ce cas, la prestation est calculée sur une base erronée, ce qui est effectivement le cas dans 50 % des signalements, avant que l'anomalie signalée ne fasse l'objet d'un traitement par une cellule dédiée au sein de la Cnav et que l'erreur ne soit corrigée par l'employeur. La Cnaf et la MSA ont donc été contraintes de mettre au point des procédures de forçage permettant de corriger le montant des ressources prises en compte, ce qui n'est pas satisfaisant. Nous proposons dès lors de permettre aux allocataires de procéder à une correction ex ante lorsqu'ils pensent déceler une anomalie, après quoi il serait procédé à une vérification et au recouvrement des éventuelles sommes indûment versées.
Au total, la réforme a généré un recul de près de 9 % du nombre d'allocataires des APL entre 2020 et 2021 et a permis la réalisation d'une économie significative, estimée à 1,1 milliard d'euros en 2021 et à 1,3 milliard en 2022. Pour autant, il est incontestable que le pré-remplissage des déclarations a permis de réduire le nombre de cas d'erreurs et d'omissions éventuellement frauduleuses, et de simplifier les démarches des allocataires : ainsi, l'automatisation du remplissage des déclarations de ressources des demandeurs de la complémentaire santé solidaire, la C2S, aurait contribué à accroître les effectifs de bénéficiaires de 300 000 personnes de 2021 à 2022. Le Gouvernement souhaite désormais autoriser le recours au DRM pour le pré-remplissage des déclarations des demandeurs et allocataires du RSA et de la prime d'activité, qui sont d'ores et déjà recalculées tous les trimestres, mais sur la base des revenus des trois derniers mois glissants et non des douze derniers comme les APL. C'est dans cette perspective que des tests « à blanc » visant à vérifier la fiabilité du DRM sont menés par les CAF depuis l'an dernier. L'objectif est de mettre en oeuvre cette réforme sur certains territoires dès le mois de juillet 2024 et de la généraliser en 2025. Dans le même temps, la base de calcul de ces prestations serait modifiée. Actuellement, le revenu net perçu doit être reconstitué par l'allocataire, en intégrant les sommes qu'il ne perçoit pas, alors qu'elles constituent un revenu, comme la part salariale des chèques vacances, et en excluant les sommes perçues sans constituer pour autant un revenu, par exemple les remboursements de frais professionnels. Un nouvel agrégat, dénommé montant net social et défini par arrêté, figure obligatoirement sur les bulletins de paie depuis le 1er juillet. Les allocataires n'auront donc plus qu'à reporter ce montant sur leurs déclarations de ressources dans l'attente de la mise en oeuvre du pré-remplissage.
Malgré nos multiples demandes, ni la Cnaf ni le Gouvernement n'ont daigné nous communiquer les estimations de l'incidence financière de la réforme, dont ils semblent pourtant disposer. Tout au plus, le directeur de la Cnaf a-t-il admis qu'elle pourra permettre de générer « plusieurs centaines de millions d'euros » d'économies du fait de la réduction du nombre d'erreurs et de cas de fraude.
À côté de l'automatisation des déclarations de ressources, le deuxième axe du projet de solidarité à la source consiste en des mesures actives de lutte contre le non-recours. Il s'agit notamment de l'expérimentation « Territoires zéro non-recours », qui devrait être lancée ce mois-ci après la sélection de dix territoires devant expérimenter sur le terrain des pratiques visant à favoriser le recours aux droits sociaux. Par ailleurs, le DRM pourra être utilisé dès cette année dans l'objectif de conduire des campagnes de ciblage du non-recours, à la prime d'activité dans un premier temps, puis au RSA, d'abord parmi les allocataires des APL. À nos yeux, il est impératif que les économies qui résulteront de la « DRMisation » du RSA et de la prime d'activité soient consacrées au financement de la lutte contre le non-recours.
M. René-Paul Savary, rapporteur. - Qui dit utilisation des données de la paie pour calculer les droits sociaux dit fiabilisation des données pour assurer le paiement à bon droit des prestations, dans un sens comme dans l'autre. Or, comme j'avais déjà eu l'occasion de l'évoquer devant vous l'an dernier avec notre collègue Cathy Apourceau-Poly, les Urssaf ont, en la matière, pris du retard sur l'Agirc-Arrco, qui contrôle les DSN à la maille nominative, salarié par salarié. Si les Urssaf recouvrent traditionnellement à la maille agrégée, c'est-à-dire à l'échelle de l'entreprise, elles développent toutefois des capacités de fiabilisation des données individuelles. Une nouvelle cinématique déclarative permettant leur contrôle au fil de l'eau a ainsi été généralisée en janvier dernier et le champ des contrôles réalisés est appelé à s'étoffer progressivement. Ces progrès sont urgents compte tenu des enjeux. Je rappelle que la Cnaf estimait l'an dernier à 2 % le taux d'erreur affectant le flux DSN qui alimente le DRM, ce qui est tout sauf insignifiant eu égard aux conséquences sur les droits sociaux des salariés. Du reste, en l'état des tests réalisés par les CAF en vue de la « DRMisation » du RSA et de la prime d'activité, les déclarations des allocataires et celles qui sont préremplies à partir du DRM ne sont identiques que dans 30 % des cas sur une base mensuelle. En effet, pour 20 % des foyers bénéficiaires du RSA et la moitié des foyers bénéficiaires de la prime d'activité, des salaires ne figurent pas encore dans le DRM au moment du test de calcul de la prestation. Les délais impartis pour la prise en compte du salaire du dernier mois pour le calcul des prestations sont en effet trop courts pour assurer la transmission de la DSN, sa fiabilisation et son éventuelle correction à temps.
Le Gouvernement a donc décidé de « vieillir » la période de référence retenue pour calculer les droits au RSA et à la prime d'activité, passant de M-3 jusqu'à M-1 à M-4 jusqu'à M-2. Il en va de même des APL, qui sont calculées sur la base des revenus de M-13 à M-2. En outre, contrairement aux APL, les allocataires du RSA et de la prime d'activité seront en mesure de corriger toute éventuelle anomalie a priori, ce dont nous nous réjouissons. Nous formulons toutefois un certain nombre de préconisations pour renforcer encore davantage la fiabilité du DRM. Il nous paraît d'abord indispensable de sécuriser les DSN dès leur émission, en instaurant une labellisation des logiciels de paie, ceci afin de garantir le respect des exigences minimales en matière de fiabilité. Il faut aussi veiller à stabiliser l'architecture de la DSN, à laquelle sont régulièrement ajoutées des catégories de données, parfois interprétées différemment selon les organismes sociaux et les entreprises, ce qui accroît le risque d'erreurs déclaratives. Les Urssaf, quant à elles, doivent poursuivre leurs efforts en matière de fiabilisation à la maille nominative, en s'appuyant sur l'expertise de l'Agirc-Arrco, dans le but d'abandonner, à terme, la maille agrégée. La « DSN de substitution », qui doit permettre aux Urssaf de corriger les erreurs déclaratives détectées lorsque l'employeur ne peut ou ne veut pas le faire, n'est toujours pas opérationnelle à défaut de textes d'application. Nous souhaitons qu'elle puisse être émise au plus vite. Enfin, le montant net social devant désormais être calculé par les employeurs, ce qui fait peser sur eux une charge nouvelle, il est nécessaire d'assurer sa fiabilité. Pour l'heure, seuls des contrôles de cohérence avec les données du DRM doivent être réalisés par les Urssaf. Il paraît important que ces dernières puissent procéder au recalcul, salarié par salarié, du montant déclaré.
Au-delà de la question de la fiabilité du DRM se pose celle de son exhaustivité. Comme vous l'a indiqué Raymonde Poncet Monge, plusieurs catégories de ressources, par exemple les revenus des travailleurs indépendants et les pensions alimentaires, n'y figurent pas pour l'heure en raison de leurs spécificités. Il apparaît pourtant, au terme de nos auditions, que des solutions peuvent être trouvées pour permettre l'intégration d'autant de catégories de revenus que possible au sein du DRM. Par exemple, les revenus des micro-entrepreneurs pourraient être inclus sur la base de leur chiffre d'affaires, qui est déjà déclaré mensuellement ou trimestriellement et auquel est appliqué un abattement variant selon la nature de leur activité. Idem pour les pensions alimentaires nouvellement fixées, qui sont désormais versées par le biais des CAF au titre de leur mission d'intermédiation financière et dont celles-ci connaissent le montant. Si certains revenus sont par nature difficilement déclarables, que ce soit mensuellement ou trimestriellement, nous pensons qu'il est souhaitable d'alimenter le DRM avec chaque catégorie ou sous-catégorie de revenus qui pourra y être intégrée afin de simplifier au maximum les démarches des allocataires, tout en limitant les risques d'erreur ou d'omission.
À côté de ces indispensables améliorations du dispositif de pré-remplissage des déclarations de ressources, il faut aussi amplifier l'effort de lutte active contre le non-recours. Cela passe d'abord à nos yeux par l'instauration dans les CAF et les caisses de MSA de la demande unique de prestations, qui devrait permettre d'examiner en une seule démarche la situation du demandeur, et de lui proposer l'ensemble des prestations et services auquel il a droit. Les campagnes de ciblage des non-recourants parmi les allocataires de la branche famille menées à partir du DRM pourraient en parallèle être étendues aux non-allocataires au travers d'une coopération avec la branche maladie, qui dispose de données sur la quasi-totalité des Français. Dans le même temps, au-delà du seul examen des droits aux prestations, le DRM devrait être utilisé pour mener des actions de contrôle a posteriori dans une logique de lutte contre la fraude.
Pour prometteuse qu'elle soit, l'exploitation numérique des données sociales ne saurait enrayer les ressorts profonds du non-recours aux droits. Dans cette perspective, les démarches d'« aller vers », qui désignent le fait de sortir d'une logique de guichet pour aller au-devant des personnes, sont l'indispensable complément de l'industrialisation des prestations. Elles constituent d'ailleurs un axe de l'expérimentation « Territoires zéro non-recours ». Cette approche du travail social nécessite souvent un changement de posture de la part des accompagnants, qui doivent eux-mêmes être accompagnés dans cette voie. La stratégie pauvreté 2018-2022 prévoyait la transformation de la formation des travailleurs sociaux qui comprenait notamment un volet relatif à l'« aller vers ». Cette mesure n'ayant été que très partiellement mise en oeuvre, nous préconisons de mener à bien un vaste plan de formation. Sur le plan méthodologique, il importe d'associer les personnes concernées, ainsi que les associations qui les accompagnent, aux expérimentations et à l'évaluation de la réforme.
Par ailleurs, la « DRMisation » n'épuise pas davantage la question de la simplification de l'attribution des prestations. Un premier axe de simplification ambitionne de veiller à l'harmonisation des périodes de référence pour la prise en compte des ressources et de la fréquence d'actualisation de la base de ressources. Là encore, il existe presque autant de modèles qu'il y a de prestations. Dans le but d'amorcer une harmonisation entre les périodes de référence des principales prestations de solidarité et de garantir à la fois une prévisibilité suffisante du niveau des aides et un montant « équitable » au regard de la situation des allocataires, nous proposons d'aligner le RSA, la prime d'activité et les aides au logement sur une période de référence de six mois glissants, avec une actualisation tous les trois mois. Compte tenu du « vieillissement » que nous avons évoqué, la période de référence s'étendrait ainsi du mois M-7 au mois M-2.
À ce stade, le projet de réforme laisse toutefois de côté la problématique qui était au coeur du chantier du RUA : celle de l'harmonisation des bases ressources. Sur la base des préconisations du Conseil d'État, des ajustements ponctuels semblent être d'ores et déjà envisageables. Ainsi, il paraît possible de simplifier la prise en compte des revenus du patrimoine en fixant notamment un seuil de prise en compte des revenus de l'épargne liquide de manière à exonérer la petite épargne. La question du maintien de la prise en compte de ressources qui, par nature, ne peuvent pas être intégrées au DRM et dont l'importance n'est pas déterminante, comme les dons et libéralités, peut également se poser. Un rapprochement plus ambitieux des bases ressources passerait par une harmonisation de la prise en compte des revenus professionnels, notamment pour les trois prestations au coeur de la solidarité à la source. Or, rapprocher la base ressources des aides au logement de celle du RSA et de la prime d'activité aurait un impact considérable sur le montant des aides et supposerait d'en réviser profondément les barèmes. Cependant, nous sommes convaincus que seule une telle harmonisation permettrait de rendre notre système de solidarité plus lisible, plus équitable et plus incitatif à l'emploi, et d'en permettre à terme un meilleur pilotage.
En guise de conclusion à mon propos, les objectifs initiaux de la réforme du RUA, solidarité, lisibilité, équité et gain au travail, restent pertinents et doivent guider les réformes à venir du système de solidarité, de même que l'ambition d'en faire, à terme, un tout articulé et cohérent. Nous vous remercions.
Mme Michelle Meunier. - Je remercie sincèrement nos collègues pour leurs préconisations, dont la mise en oeuvre est cependant conditionnée à la mobilisation de moyens supplémentaires, en particulier sur le plan humain. Mes réserves sur ce point ne m'empêchent pas de soutenir vos propositions.
M. René-Paul Savary, rapporteur. - Effectivement, des moyens supplémentaires devront être déployés, dans un premier temps pour renforcer l'effort de fiabilisation des données individuelles engagé par les Urssaf. Cette intensification est prévue par la convention d'objectifs et de gestion (COG) 2023-2027 des Urssaf.
Mme Chantal Deseyne. - Le rapport qui nous a été restitué ce matin présente des propositions qui sont tout à fait pertinentes, en particulier celle relative à la création d'une demande unique de prestations. Les allocataires et les éventuels bénéficiaires des prestations sociales sont perdus quand ils sont confrontés au maquis des dispositifs.
M. René-Paul Savary, rapporteur. - Certains pourront juger certaines de nos propositions « utopiques ». Cela dit, le préalable est la fiabilité des données de salaires, véhiculées par la DSN. C'est notamment pour cela que nous appelons de nos voeux la certification des logiciels de paie, qui doit garantir le respect de standards techniques en matière de fiabilité des données, alors que certaines fonctionnalisations ne sont aujourd'hui accessibles que par le biais des versions premium des logiciels concernés.
Mme Raymonde Poncet Monge, rapporteure. - La COG 2023-2027 des Urssaf prévoit d'ailleurs l'examen des conditions de mise en oeuvre de la labellisation des logiciels de paie.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie. Il me revient à présent de consulter notre commission sur la publication du rapport d'information de nos collègues.
Les recommandations sont adoptées.
À l'unanimité des membres présents, la commission des affaires sociales adopte le rapport d'information sur la mise en oeuvre de la solidarité à la source et en autorise la publication.
Application des lois relatives à la protection de l'enfance - Examen du rapport d'information
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous allons à présent entendre la communication de Bernard Bonne à l'issue de ses travaux sur l'application des lois relatives à la protection de l'enfance. Je vous rappelle que nous avons entendu, dans ce cadre, en séance plénière, la secrétaire d'État chargée de l'enfance, Charlotte Caubel, intervenue le 24 mai dernier en commission. Il apparaissait alors que de nombreuses dispositions en termes d'application des lois de protection de l'enfance restaient à prendre. Je suppose que notre rapporteur pourra donc nous apporter des précisions et nous indiquer s'il a observé des progrès depuis lors.
M. Bernard Bonne, rapporteur. - Madame la présidente, mes chers collègues, en octobre 2021, nous examinions le projet de loi devenu loi du 7 février 2022 relatif à la protection des enfants. Je ne crois pas travestir le sentiment que nous avions exprimé en disant que cette loi était bienvenue : elle apportait des ajustements favorables, dont l'ambition a d'ailleurs été rehaussée au Sénat. Elle intervenait alors que l'application des lois précédentes n'était pas assurée et que les raisons de cette situation n'étaient pas évaluées. Il me semblait donc important, plus d'un an après la promulgation de cette réforme, de dresser un bilan de l'application des chantiers législatifs en protection de l'enfance et je remercie madame la présidente de m'avoir confié cette mission qui témoigne de l'importance que revêt ce sujet aux yeux de notre commission.
Par application, il faut entendre la publication des textes réglementaires, qui relève de la compétence du Gouvernement, et qui permet à certains articles de la loi de produire des effets juridiques. Madame la présidente nous a présenté en mai dernier le taux d'application particulièrement bas de la loi du 7 février 2022 : seuls 37 % des textes attendus ont paru. Toutefois, cette situation devrait bien finir par rentrer dans l'ordre. Ce n'est pas le cas de la seconde ambition, plus exigeante, que constitue la mise en oeuvre fidèle des dispositions de la loi par les parties prenantes.
Avec le recul dont nous disposons aujourd'hui, la force des trois lois qui se sont succédé, en quinze ans, dans le champ de la protection de l'enfance réside dans la grande continuité de leurs actions ; le législateur est intervenu sans défaire ce qu'il avait précédemment construit. La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance a consacré le rôle central du département comme chef de file, en reconnaissant la primauté des mesures administratives sur les mesures judiciaires d'assistance éducative. Elle a été fondatrice pour organiser le dispositif de repérage et de traitement des situations de danger grâce aux cellules départementales de recueil des informations préoccupantes (Crip). Elle a aussi renforcé le rôle de la prévention en protection de l'enfance et la coordination des acteurs par des observatoires départementaux de la protection de l'enfance et le projet pour l'enfant. La loi du 14 mars 2016, issue de l'initiative de notre collègue Michelle Meunier, a renforcé l'approche de la protection de l'enfance par les besoins fondamentaux de l'enfant. Il a souhaité garantir une prise en charge des mineurs globale et coordonnée, par un bilan de santé et la désignation d'un médecin référent. Il a renforcé l'anticipation de la sortie de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et l'accompagnement des jeunes majeurs. Les lois de 2007 et 2016 ont ainsi su poser la doctrine de la protection de l'enfance, selon les propres mots de Marie-Paule Martin-Blachais, initiatrice de la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant. La loi du 7 février 2022, sans renouveler la protection de l'enfance, n'en a toutefois pas moins porté des mesures ambitieuses : renforcement de l'accueil chez un membre de la famille ou un tiers digne de confiance ; interdiction de l'hébergement hôtelier ; prise en charge des jeunes majeurs confrontés à des difficultés de nature financière ou sociale ; droit au retour à l'ASE ; présence favorisée de l'avocat pour l'enfant discernant ; revalorisation de la rémunération des assistants familiaux.
Les travaux conduits dans le cadre de cette mission d'information confortent le sentiment que le décalage s'accentue entre des dispositions législatives de plus en plus ambitieuses et la réalité de la protection de l'enfance. Nous devons garder à l'esprit que l'aide sociale à l'enfance (ASE) subit une « triple pression ». Je reprends là les mots de Charlotte Caubel devant notre commission. En effet et en premier lieu, les dispositifs de protection de l'enfance sont saturés. La tendance de long terme est à la hausse puisque le nombre d'enfants accueillis à l'ASE est passé de 147 000 en 2007 à 205 000 en 2021. S'ajoute, ces derniers mois, une nette recrudescence soudaine de placements d'enfants en bas âge. En second lieu, les flux migratoires ont repris et avec eux l'arrivée de mineurs non accompagnés (MNA), arrivée qui met en tension les capacités d'accueil des départements. En troisième et dernier lieu, la pénurie de professionnels dans le travail social est exacerbée en protection de l'enfance. Il faut donc faire mieux avec moins d'effectifs. Le contexte de l'ASE, peu propice à l'évolution des pratiques professionnelles et des politiques départementales, offre donc une explication générale au défaut de mise en oeuvre des lois qui, bien entendu, est insuffisante. Il nous faut encore descendre dans le détail des dispositions et des obstacles qu'elles rencontrent.
Le rapport, que je vous présente, et à plus forte raison mon intervention de ce matin, ne peut pas évaluer l'application minutieuse de toutes les dispositions adoptées dans ces lois qui représentent, à elles trois, 131 articles législatifs. Vous me permettrez donc de ne pas être exhaustif en choisissant quelques exemples éclairants et d'esquisser les pistes de réflexion pour l'avenir.
Pour ne pas désespérer, je commencerai par une note positive puisque les avancées prévues par les lois, notamment celle de 2007, relatives au repérage et au traitement des informations préoccupantes (IP), se sont concrétisées, même s'il reste encore à parachever les ambitions du législateur. Quasiment tous les départements possèdent une Crip qui réunit les informations préoccupantes. Si bien sûr des disparités existent selon les territoires, en lien notamment avec les moyens humains engagés, les auditions révèlent que ces Crip réussissent, globalement, à remplir leur mission de centralisation, de transmission et de filtre des IP en amont de la saisine du parquet et du juge des enfants. Il est une difficulté majeure qui demeure, elle concerne les délais de traitement des IP : ils peuvent dépasser la durée maximale de trois mois fixée par décret. Un autre chantier sera l'appropriation, par les professionnels, du référentiel national d'évaluation des informations préoccupantes élaborée par la Haute Autorité de santé et que la loi de 2022 a consacré comme cadre de l'évaluation menée par les Crip. S'agissant de l'entrée des enfants dans la protection de l'enfance, la déjudiciarisation souhaitée par la loi de 2007 n'a pas eu lieu : en 2021, 75 % des enfants confiés à l'ASE l'ont été par une décision judiciaire. Les raisons sont multiples : les services départementaux font face à de nombreux refus, ne serait-ce que d'un parent, ou d'adhésion « de façade », ce qui rend obligatoire le recours au juge. Parfois, ce sont les professionnels de l'ASE qui préfèrent le recours à une intervention cadrée et plus rassurante de l'autorité judiciaire. Il est un point plus compliqué : il s'avère que certains territoires sont dépourvus de dispositifs de prise en charge adaptée à des mesures administratives. Force est de constater que le manque d'investissement des départements dans les mesures d'aide éducative à domicile renforcée rend nécessaire la sollicitation d'une aide éducative en milieu ouvert renforcée (AEMOR) décidée par le juge. Enfin, par héritage culturel, le recours au juge reste difficile à minimiser dans notre modèle français de l'assistance éducative.
J'illustrerai l'application des dispositions concernant l'accueil des enfants par deux exemples issus de la loi du 7 février 2022. Le premier article de cette loi renforce la priorité donnée à l'accueil de l'enfant par un membre de la famille ou par un tiers digne de confiance, en rendant obligatoire l'évaluation de cette option, ceci préalablement à tout placement judiciaire. Plus d'un an après son introduction, cette disposition est restée lettre morte, alors qu'il s'agit là d'un des articles les plus structurants de la loi. Les départements estiment ne pas avoir les moyens de remplir les missions incombant aux services évaluateurs. De même, la loi a prévu de renforcer l'accompagnement des tiers dignes de confiance par les services de l'ASE. La parution du décret devant préciser cet accompagnement, en particulier son périmètre, se fait attendre en raison des inquiétudes soulevées par les départements. Or, les tiers dignes de confiance se sentent trop souvent laissés à eux-mêmes et réclament un meilleur suivi et encadrement. Il s'agit également d'une impérieuse nécessité de vérifier que l'accueil des enfants se fait dans de bonnes conditions.
J'en viens désormais à un autre point sensible de la loi de 2022, c'est-à-dire le respect par les départements de l'interdiction de l'hébergement hôtelier. À l'initiative du Sénat, l'interdiction, sans dérogation, devrait entrer en vigueur en février 2024 pour laisser aux départements le temps d'anticiper, perspective qui les a conduits à prendre les dispositions nécessaires pour éviter ce type d'hébergement inadapté aux mineurs protégés. De nombreux départements ont lancé des appels à projets. Dans le département des Hauts-de-Seine, où la situation a été particulièrement scrutée en raison du drame qui s'y est produit en 2019, le conseil départemental a pris la mesure de la situation en investissant dans la construction de nouvelles structures. Un projet de structure d'hébergement de 300 places est en cours de réalisation depuis juillet 2022. La loi agit donc efficacement pour transformer l'accueil des enfants même si le regain des flux de personnes arrivant en France et se déclarant MNA complique la mise en oeuvre totale et uniforme de l'interdiction. Une dizaine de départements, dans lesquels la contrainte foncière est la plus forte ou les flux migratoires les plus directs, sont en difficulté pour bannir l'hôtel de leur offre d'accueil, même s'il faut le rappeler, cette interdiction ne vaut que pour les personnes hébergées au titre de l'ASE. Les personnes qui sont encore en attente d'évaluation de leur minorité pourront toujours, en cas de saturation des autres dispositifs, être mises à l'abri en urgence dans des structures hôtelières.
Les lois ont prévu de nombreux dispositifs pour compléter l'accompagnement des enfants et des jeunes lors de leur prise en charge par l'ASE. À ce titre, le projet pour l'enfant est devenu emblématique des défaillances d'application de la loi en protection de l'enfance. Issu de la loi de 2007, le PPE n'est toujours pas mis en oeuvre pour tous les enfants. En 2019, seuls 27 départements sur 83 interrogés par le ministère de la santé mettaient systématiquement en oeuvre un projet pour l'enfant. Certains départements ne prévoient un PPE que pour une infime partie des mineurs qui leur sont confiés, j'ai pu le constater moi-même. Gautier Arnaud-Melchiorre, à qui le ministre Adrien Taquet avait confié une mission sur la protection de l'enfance à travers la parole recueillie des enfants, m'a indiqué en audition n'avoir jamais entendu un seul enfant lui parler du PPE. Même quand il est déployé, le projet se limite à un document administratif formel, peu utile et sans aucun sens pour les enfants. À l'inverse, le projet pour l'enfant devrait permettre de coucher par écrit les ambitions que l'on peut former, avec le mineur, quant à son avenir, à l'instar des projets que les parents établissent pour leurs enfants. C'est un outil de coordination pour les professionnels qui doit être investi et être régulièrement actualisé.
Plus récentes sont les dispositions législatives prévoyant le parrainage et le mentorat. À l'initiative d'un amendement du Gouvernement, l'article 9 de la loi de 2022 prévoit que ces dispositifs doivent systématiquement être proposés aux mineurs pris en charge par l'ASE soit 377 000 enfants. Nous avons soutenu la très bonne intention de cette disposition en partageant quelques doutes sur la capacité de réunir autant de parrains et de mentors. Comme vous l'imaginez, cette disposition à caractère théoriquement systématique est très loin d'être appliquée. Le décret prévoyant les conditions de contrôle des parrains et marraines - contrôle qui sont essentiels, ainsi que les modalités d'habilitation des associations de parrainage ne sont pas encore publiés. Le Gouvernement ne semble pas se donner les moyens de concrétiser ses annonces ambitieuses.
Ma dernière illustration des faiblesses de l'application des lois concerne donc la coordination des acteurs locaux concourant à la protection de l'enfance. En effet, entre services du département, de l'État déconcentré, de la justice et des associations, des échanges fluides et efficaces ont été maintes fois rêvés par le législateur. Pourtant, tous les départements ne possèdent pas d'observatoires départementaux de la protection de l'enfance réellement actifs et assurant les missions qui lui sont confiées par la loi. De même, les protocoles devant réunir président de conseil départemental, président de conseil régional et préfet en vue de favoriser l'accès à l'autonomie des jeunes ne sont pas tous opérants.
Dans l'optique de revivifier la gouvernance locale, l'article 37 de la loi de 2022 a prévu les comités départementaux de protection de l'enfance (CDPE), co-présidés par le président du département et par le préfet, dont le rôle est de s'assurer que tous les services de l'État participent à la coordination de la politique. La patience fut de mise mais les premiers comités ont été institués par décret et sont en cours d'installation. L'expérimentation se déroule dans dix départements volontaires, dont les instances de coordination avaient été mises en sommeil. Les présidents des conseils départementaux de la Somme et de l'Eure-et-Loir, que j'ai pu rencontrer, placent de grands espoirs dans ces comités, y compris pour aborder les cas individuels complexes, comme la loi l'a prévu. Plusieurs points de vigilance émergent toutefois pour garantir la réussite de l'expérimentation et envisager sa généralisation. L'articulation des CDPE avec les autres instances doit éviter toute redondance et perte de temps. De même, il revient à l'autorité judiciaire, ainsi qu'à tous les services concernés de l'État, en particulier l'Éducation nationale, de se plier à l'exercice, sans quoi les comités perdront de leur intérêt. La secrétaire d'État Charlotte Caubel m'a assuré que des instructions ont été données aux préfets pour la mobilisation des services de l'État. Une circulaire de mars 2023 insiste sur l'importance de ces comités auprès des parquets. L'optimisme est donc permis.
Vous l'aurez toutefois compris, chers collègues, le bilan dressé ici n'est qu'un échantillon représentatif d'une application des lois en deçà des attentes. Il n'y a donc pas de coupable idéal, mais davantage une responsabilité partagée des acteurs de la protection de l'enfance qui doivent réinvestir leurs missions respectives.
L'État, d'abord, est responsable à trois titres. D'une part, le Gouvernement, détenteur du pouvoir réglementaire national, fait preuve de toutes les peines du monde à publier les décrets d'application d'un texte de loi, pourtant de son initiative. Certes une période d'élections présidentielle et législative est venue couper un élan initial et le contexte de la protection de l'enfance s'est dégradé avec l'arrivée en grand nombre de MNA. Les délais de parution des décrets ne sont tout de même pas acceptables.
D'autre part, l'État semble se désengager des missions qui sont les siennes et qui concourent à une bonne politique de protection de l'enfance. Les services de l'ASE doivent accueillir des enfants en situation de handicap pour lesquels une prise en charge plus adaptée relèverait des IME ou des Itep. En Eure-et-Loir, des difficultés de coordination entre le conseil départemental et l'ARS m'ont été soulignées sur ces sujets. En outre, si le contrôle des établissements sociaux et médico-sociaux relevant de l'ASE incombe au président du conseil départemental, le préfet détient une compétence générale de contrôle. Celle-ci peut être exercée, notamment si la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral des personnes accueillies sont susceptibles d'être compromis. Les représentants de l'État ne font que très rarement usage de cette possibilité. Il conviendrait que les préfets diligentent davantage de contrôles conjointement avec les services de l'ASE. Le champ des investigations ne devrait pas s'arrêter aux défaillances les plus flagrantes, mettant en danger les enfants, mais porter également sur le respect des exigences légales par les structures d'accueil. Je crois enfin que l'État doit soutenir les départements pour faire face, de façon pérenne, aux conséquences financières que les dispositions de la loi de 2022 engendrent (évaluation et contrôle des tiers dignes de confiance, interdiction de l'hébergement hôtelier, rémunération rehaussée des assistants familiaux, accompagnement des jeunes majeurs de moins de 21 ans, etc.) Le Sénat avait soutenu les avancées législatives en ne cessant de réclamer plus de moyens au profit de la protection de l'enfance. C'est à l'État de faire en sorte que la justice en assistance éducative possède les moyens permettant de suivre les enfants de façon optimale. Le nombre de dossiers par juge atteint souvent les 600, soit le double des recommandations prônées par les référentiels en la matière. L'embolie des cabinets de juges des enfants accroît le délai d'audiencement et de décisions. Elle amoindrit également la qualité de la procédure : les juges ne peuvent même plus entendre chaque mineur individuellement ni même tenir des audiences pour le renouvellement de leurs mesures.
Pour les départements, ensuite, la politique de protection de l'enfance ne peut être une compétence facultative. Certains investissent des moyens humains et financiers importants. Ainsi, près de 9 milliards d'euros sont consacrés par les départements à l'aide sociale à l'enfance. D'autres, en revanche, négligent une mission qui ne peut être à la hauteur des enjeux sans réelle volonté politique. Il n'est pas acceptable que les enfants en danger soient plus ou moins bien pris en charge selon le territoire sur lequel ils vivent. L'application des dispositions législatives doit devenir la priorité des départements. Le Gouvernement doit inciter à cette application, en particulier en l'insérant dans la prochaine vague de contractualisation et en généralisant cette contractualisation de manière à éviter les mises en oeuvre disparates selon les territoires. En troisième lieu, les professionnels de la protection de l'enfance portent une grande responsabilité, dès lors que le respect des lois dépend de leurs pratiques. Quand des avancées législatives viennent bousculer des connaissances ou des pratiques qui sont solidement ancrées, une certaine inertie dans la mise en oeuvre apparaît alors. Le levier de la formation doit donc être largement investi. D'une part, pour que les changements législatifs se diffusent rapidement, il convient de favoriser la formation continue des professionnels. Les initiatives développées par l'école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, qui dispense des formations aux professionnels de l'aide sociale à l'enfance, doivent être encouragées. Plus largement, la structuration de la formation en blocs de compétences au sein des instituts régionaux du travail social (IRTS) doit être encouragée afin de permettre aux éducateurs, assistants familiaux ou référents ASE, exerçant déjà leur profession, de suivre des modules spécifiques à la protection de l'enfance et actualiser ainsi leurs connaissances.
Alors qu'une pénurie des professionnels en protection de l'enfance est déjà à l'oeuvre, les IRTS déplorent une baisse préoccupante de l'entrée en formation sur les métiers du secteur social, depuis la mise en place de Parcoursup. À cette désaffection, se rajoute un décalage entre les enseignements théoriques et la réalité des métiers de la protection qui conduit au découragement, voire à la réorientation des éducateurs peu de temps après leur prise de fonction. Pour pallier ces difficultés, il est nécessaire de renforcer les partenariats entre les conseils départementaux et les établissements de formation, ainsi que des départements le proposent déjà. Ces conventions favorisent le développement d'expériences concrètes en protection de l'enfance (stages et apprentissage), ainsi que le recrutement des jeunes diplômés dès la sortie des formations.
En guise de conclusion, le législateur doit aussi tirer les enseignements de la mise en oeuvre imparfaite des lois de 2007, 2016 et 2022. Les professionnels de la protection de l'enfance ont salué le travail législatif entrepris, mais ils ont également manifesté le souhait qu'une pause soit observée dans les réformes. En dehors des ajustements s'avérant nécessaires, une nouvelle loi d'ampleur dans la protection de l'enfance, aussi bien réfléchie soit-elle, présentera très probablement plus de problèmes que d'avantages. Accroître la distance entre les exigences normatives et la réalité ne pourra que décevoir les espérances et démoraliser les professionnels. J'estime donc que la priorité est davantage à la construction d'un outil statistique dans le champ de la protection de l'enfance et à l'évaluation des dispositions en vigueur. La ministre comme l'Assemblée des départements de France ont insisté sur la faiblesse de l'étude d'impact de la loi de 2022. Cette mission d'évaluation, qui fait aujourd'hui défaut, incombe au nouveau GIP « France Enfance protégée » et à l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE). Pour ne pas bâtir sur des bases mal assurées, tout nouveau projet de loi devrait être conditionné à une étude minutieuse des précédentes réformes.
M. Laurent Burgoa. - Je remercie notre collègue pour la qualité de sa restitution, laquelle permet de relever l'intérêt du contrôle parlementaire quant à l'efficience des lois adoptées. Je souhaite évoquer le fichier des mineurs non accompagnés rendu obligatoire par la loi du 7 février 2022. Il s'avère que certains départements n'appliquent pas cette disposition. L'État a-t-il pris une mesure financière à l'encontre de ces territoires, notamment par un moindre financement de la prise en charge des MNA ? Je l'espère. S'agissant du budget, nous constatons que certains départements rencontrent des difficultés à distinguer celui dédié à l'aide sociale à l'enfance et celui dédié aux mineurs non accompagnés. Il serait opportun de remédier à ce problème.
M. René-Paul Savary. - Je me joins aux propos de mon collègue. Force est de constater que l'arrivée de mineurs non accompagnés dans les départements a fortement perturbé les missions qu'ils assuraient jusqu'alors au titre de l'aide sociale à l'enfance pour les jeunes confrontés à des difficultés sociales ou financières. Il importe de ne pas confondre ces deux publics. Qui plus est, bien souvent, les travailleurs sociaux eux-mêmes ne sont pas formés pour gérer les MNA. Quant aux PPE, je crois que leur faible nombre peut s'expliquer par leur extrême formatage. Les travailleurs sociaux en sont réduits à passer davantage de temps devant leur poste de travail à instruire un dossier de PPE que face au jeune dont ils doivent élaborer le projet ! Je comprends le propos de Bernard Bonne sur la nécessaire formation des éducateurs sociaux, formation qui est d'autant plus nécessaire que ces éducateurs sont confrontés à des cas très difficiles. Peut-être faudrait-il songer à leur offrir la possibilité d'évoluer sur le plan professionnel au bout d'un certain nombre d'années ? J'achève mon propos en saluant le travail de notre collègue.
Mme Michelle Meunier. - Je tiens, moi aussi, à saluer le travail sans concession de notre collègue, travail qui prouve aisément que le problème qui se pose n'est pas celui des lois, mais de leur application. Cette responsabilité n'incombe pas seulement à l'État. En la matière, j'en appelle donc à une grande politique nationale sur la protection de l'enfance. Je ne peux que déplorer que les mesures dites « administratives », mais qui sont avant tout des mesures éducatives, ne sont pas mises en oeuvre, faute de moyens. Le recours en dernier recours au système judiciaire s'avérera in fine inopérant car il ne dispose, lui aussi, pas des moyens suffisants. Dès lors, nous assistons à des notifications de mesures qui ne sont pas appliquées, faute de solutions idoines. Une autre difficulté est la précarité des éducateurs. Nombre d'entre eux sont des travailleurs intérimaires. Dès lors, il en résulte que les jeunes qui ont besoin de stabilité et de perspectives ne sont accompagnés que par des personnes qui sont elles-mêmes en grande précarité professionnelle et qui ne peuvent a priori pas assurer l'accompagnement sur le long terme. Ils ne restent dans la structure que quelques mois. In fine, je me joins à ce qui a été dit concernant le caractère inadéquat de Parcoursup. Ce dispositif n'est en rien adapté aux populations dont il est ici question.
Mme Élisabeth Doineau. - Je m'associe aux remerciements de mes collègues. Les travaux restitués durant cette session par notre collègue sont de très grande qualité. Il était intéressant de procéder à l'évaluation de la mise en oeuvre des politiques de protection de l'enfance, d'autant qu'il m'a été donné, alors que j'étais en responsabilité dans mon département, de constater l'indigence des dispositions d'évaluation qui y étaient en vigueur. Les travaux de l'Observatoire national de l'action sociale (Odas) sur la protection de l'enfance ont pu éclairer nos politiques en ce domaine. J'observe une hausse du nombre d'enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance depuis quinze ans, ceci indépendamment des mineurs non accompagnés. Je relève aussi la complexité des profils, complexité qui mobilise les professionnels du secteur. Ces derniers constatent une tendance plus répandue de ces profils à tomber dans la délinquance ou à présenter des troubles psychiatriques. Pour finir, je crois opportun qu'un des problèmes auxquels les départements sont confrontés est celui du recrutement des effectifs dédiés à la protection de l'enfance. Ces effectifs ne sont très clairement pas suffisants. Je m'étais inquiétée de la suffisance des moyens octroyés aux départements en la matière. Cette alerte n'avait pas été prise en compte par les pouvoirs publics qui n'avaient pas jugé opportun d'abonder le fonds national de financement de la protection de l'enfance. La résolution de ce problème est une priorité absolue. Pour finir, je ne peux que déplorer la précarité des mesures prises par certains territoires et du financement qui leur est associé.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je tiens à féliciter Bernard Bonne pour la qualité de son rapport. Nous savons tous que les enfants d'aujourd'hui sont les adultes de demain. Si les enfants ne peuvent pas bénéficier d'un cadre idoine, ils ne seront pas des adultes construits et épanouis. Mon territoire compte plus de 7 000 enfants placés, dont un nombre important de MNA parmi eux. Ils souffrent beaucoup de carences éducatives, eu égard à la pauvreté sociale du Pas-de-Calais. Mon département a pris l'initiative de créer un comité dédié à la protection de l'enfance. J'ai été intéressée par l'audition de la secrétaire d'État qui ne dissimulait pas le problème que constituent à terme les difficultés de recrutements en termes d'assistants familiaux. Il importe de revaloriser la rémunération que ces professionnels touchent et le métier qu'ils exercent. Ce métier est insuffisamment connu et reconnu. Le rapport évoque cette question de la reconnaissance et je m'en félicite sincèrement, outre le fait qu'il insiste sur la coordination du travail qu'opèrent les acteurs de terrain.
M. Bernard Bonne. - Je vais tâcher de répondre à chacune de vos interventions en confirmant tout d'abord à mon collègue Laurent Burgoa qu'il n'existe pas de distinction entre les budgets alloués aux mineurs non accompagnés et à l'ASE dans la plupart de nos départements. Comme l'a souligné fort justement René-Paul Savary, les MNA sont confiés à l'ASE mais la prise en charge adaptée à leur situation diffère de celle à déployer pour les autres enfants. Leurs problèmes comme leur âge sont notablement différents. Les approches doivent donc être différentes. J'espère vivement que la future loi sur l'immigration permettra de remédier à ce problème. Il convient que l'État prenne sa part dans la résolution financière de ce problème. De la même façon, la précarité du statut des éducateurs est un autre problème qui doit impérativement être instruit. Cette précarité est bien évidemment préjudiciable aux enfants que ces éducateurs suivent.
Je remercie ensuite Michelle Meunier pour ses propos en soulignant tout l'intérêt que nous avons à travailler au-delà de nos étiquettes partisanes sur des sujets qui sont aussi importants que celui qui nous intéresse ce matin. Cela nous renvoie à la question de la formation de ces éducateurs : elle nécessite elle aussi d'être très nettement améliorée. J'en terminerai en estimant qu'avant de voter des lois, il importe de faire appliquer celles qui existent. Il s'agirait d'un progrès très net que j'appelle de mes voeux.
Mme Catherine Deroche. - Je vous remercie. Il me revient à présent de consulter notre commission sur la publication du rapport d'information de notre collègue.
Les recommandations sont adoptées.
À l'unanimité des membres présents, la commission des affaires sociales adopte le rapport d'information sur l'application des lois relatives à la protection de l'enfance et en autorise la publication.
Proposition de loi visant à renforcer la protection des familles d'enfants atteints d'une maladie ou d'un handicap ou victimes d'un accident d'une particulière gravité - Désignation des candidats à la commission mixte paritaire
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous devons désigner des candidats pour cette commission mixte paritaire (CMP).
Cette CMP se réunira dès demain matin au Sénat.
La commission soumet au Sénat la nomination de Mmes Catherine Deroche, Marie-Pierre Richer, Corinne Imbert, Brigitte Devésa, Annie Le Houerou, Émilienne Poumirol et M. Xavier Iacovelli comme membres titulaires, et de Mmes Pascale Gruny, Frédérique Puissat, Brigitte Micouleau, MM. Alain Duffourg, Bernard Jomier, Mmes Véronique Guillotin, Cathy Apourceau-Poly comme membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la protection des familles d'enfants atteints d'une maladie ou d'un handicap ou victimes d'un accident d'une particulière gravité.
La réunion est close à 12 h 10
Jeudi 6 juillet 2023
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
Audition de M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention
Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, pour clore cette semaine d'intenses travaux parlementaires, en commission, en séance et même en commission mixte paritaire, nous recevons M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention.
Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Monsieur le ministre, nous n'avons pas eu l'occasion de vous entendre au cours de ce semestre, alors même que les sujets dont vous avez la charge constituent une part importante de l'activité de notre commission et, au-delà, des préoccupations des Français.
J'ai donc souhaité que nous puissions échanger avant la fin de cette session extraordinaire, sans thème précis, afin de nous permettre d'aborder ensemble les questions d'actualité de votre ministère. Ces sujets seront donc peut-être assez divers.
Je vous invite à commencer par faire un point, au début de l'été, sur la situation des établissements de santé. Des tensions comparables à celles de l'année dernière sont-elles à attendre ? Élisabeth Doineau m'a d'ailleurs transmis une question au sujet de son département de la Mayenne.
Par ailleurs, je souhaite que vous nous éclairiez sur l'état d'avancement de deux grands chantiers : d'une part, les Assises de la pédiatrie, lancées par vous-même en décembre dernier, qui furent l'occasion pour nous de recevoir Adrien Taquet, ainsi que le professeur Christèle Gras-Le Guen, la pédiatre qui l'accompagne dans cette mission, pour qu'ils nous transmettent une feuille de route ; de l'autre, la réforme de la gouvernance et du financement des établissements de santé, lancée par le Président de République à l'occasion de ses voeux aux professionnels de santé, en janvier 2023. Nous avions d'ailleurs organisé deux tables rondes au sujet de la réforme, au cours desquelles nous avions reçu le professeur Claris, ainsi que les présidents de commissions médicales d'établissements (CME) et les représentants des directions des hôpitaux. J'en profite pour signaler que, à mes yeux, la réforme de la gouvernance des hôpitaux n'était pas une priorité. Hier, nous recevions au sujet du financement des établissements de santé les représentants de la Fédération hospitalière de France (FHF), de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap) et d'Unicancer.
Monsieur le ministre, vous avez la parole.
M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention. - Je me réjouis que la commission des affaires sociales ait souhaité m'entendre ce matin dans le cadre de cette audition, dont la date correspond presque à l'anniversaire de mon arrivée au ministère de la santé et de la prévention, le 4 juillet 2022, ainsi qu'à ma première audition dans cette configuration.
À l'époque, j'ai d'emblée été amené à engager un travail de fond avec les parlementaires, sur l'examen des derniers textes relatifs à l'urgence sanitaire et la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023. Avant même d'être ministre, j'étais venu vous rendre compte des avancées de la mission flash qui m'avait été confiée par le Président de la République. Depuis lors, vos visages me sont devenus familiers, et je tiens à saluer la qualité des nombreux travaux que nous avons menés au Parlement tout au long de l'année. Surtout, à l'approche du renouvellement sénatorial, je salue les sénateurs qui vont passer le témoin, notamment vous, madame la présidente Deroche, avec qui j'ai pris un plaisir sincère à travailler. Je souhaite par ailleurs une bonne campagne à tous les candidats. J'en profite pour rendre hommage à la qualité des débats, souvent contradictoires mais toujours constructifs, qui se sont déroulés au Sénat et ont permis de coconstruire et de faire avancer de multiples travaux au service des Français et de notre santé collective.
J'envisage aussi cette audition de portée générale comme l'occasion de faire le bilan de l'année écoulée et de tracer des perspectives pour la suite. Vous le savez, les défis auxquels est confronté notre système de santé sont nombreux, il reste beaucoup à faire.
Dans un contexte de forte pression démographique conjuguée à une raréfaction des effectifs soignants, pour des raisons structurelles pouvant être exacerbées par des tensions conjoncturelles, l'accès aux soins est aujourd'hui la priorité des Français dans le champ de la santé. C'est la raison pour laquelle la feuille de route fixée par le Président de la République a fait de l'accès équitable à la santé, partout et pour tous, sa colonne vertébrale. En tant que ministre de la santé et de la prévention, je m'emploie à avancer dans la transformation de notre système, guidé par la lutte contre toutes les inégalités d'accès à la santé, qu'elles soient sociales, liées à des vulnérabilités particulières comme le grand âge ou le handicap, ou géographiques. Je sais, sans exclure les autres, que les enjeux de territorialisation de la santé, de lutte contre la désertification médicale, préoccupent tout particulièrement les représentants de la diversité de nos régions que vous êtes.
Comme vous, je suis conscient que les problèmes locaux appellent des réponses adaptées aux spécificités de chaque territoire et ma méthode n'a jamais varié. Elle consiste à activer des leviers nationaux nouveaux et à identifier des besoins sur le terrain, grâce notamment à la démarche du Conseil national de la refondation (CNR) en santé, pour cibler les soutiens, expérimenter les outils, appuyer la mobilisation des professionnels de santé, des citoyens et des élus. Je veux être un ministre qui libère les solutions dans les territoires, qui s'engage clairement en faveur d'une territorialisation de politique de la santé, afin que nous puissions répondre efficacement aux besoins. Ainsi, nous avons reconnu un droit de dérogation aux agences régionales de santé (ARS).
Au cours de ma toute première audition devant vous, alors que je n'étais pas encore ministre, je plaidai pour une fluidification de la réponse aux soins non programmés dans les services d'urgence, dans un contexte de préparation aux tensions de l'été 2022. Il me semble opportun de commencer ma présentation sur ce point, un an après le lancement de la mission flash, non seulement parce que l'été 2023 présentera des défis supplémentaires, comme l'accueil de la coupe du monde de rugby, mais aussi parce que les problèmes rencontrés aux urgences sont le reflet de difficultés qui parcourent l'ensemble de notre système de santé et qui se cristallisent dans les services d'urgence. En effet, ces derniers sont la partie émergée de l'iceberg et illustrent les difficultés de l'amont, c'est-à-dire la médecine de ville et la couverture des soins non programmés, et de l'aval, c'est-à-dire dans les hôpitaux, avec le manque de lits et les questions liées à l'organisation de la permanence des soins et de la complémentarité entre la médecine de ville et l'hôpital.
Les solutions trouvées l'été dernier au travers de la mission flash ont montré toute leur efficacité avec, pour la première fois depuis vingt ans, une baisse inédite de 5 % de la fréquentation de nos services d'urgence. Ce premier acquis constitue un socle sur lequel nous devons résolument nous appuyer pour continuer de consolider l'ensemble de la chaîne de réponse aux soins non programmés.
À l'approche de l'été, la fluidité des filières de prise en charge est un enjeu fort. Sous l'égide des ARS, l'ensemble des mesures qui ont fait leurs preuves l'été dernier ont été reconduites, voire, pour un certain nombre d'entre elles, pérennisées. Les ARS disposent donc d'une boîte à outils permettant de mobiliser toutes les mesures utiles à l'échelle de chaque territoire, pour répondre aux besoins de santé de la population. Par exemple, l'intervention de sages-femmes libérales en établissements de santé est mieux organisée et facilitée, dans le cadre des discussions conventionnelles en cours avec leurs représentants.
Pour garantir à chacun de nos concitoyens une réponse adaptée aux besoins, le service d'accès aux soins (SAS) couvrira prochainement l'ensemble du territoire. Il couvre actuellement plus de 50 % de la population et 34 services sont opérationnels. L'implantation dans l'ensemble des départements est en cours et sera effective d'ici à la fin de l'année. J'ai rappelé mercredi dernier aux différents partenaires l'objectif de ce maillage avec, en plus, la possibilité d'ajouter des filières spécifiques de prise en charge dans la régulation médicale, que ce soit pour la pédiatrie, la psychiatrie ou la gériatrie. L'engagement des professionnels qui participent au SAS est soutenu. La rémunération des médecins généralistes qui assurent la régulation téléphonique ou l'effection des soins a été inscrite dans le règlement arbitral, à hauteur de 15 euros pour les actes réalisés à la demande de la régulation médicale, et de 100 euros par heure pour l'activité de régulation.
Les efforts menés pour mieux valoriser le métier d'assistant de régulation médicale, devenu profession de santé à la faveur de la loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, se poursuivent avec un plan d'action spécifique, qui inclut un recrutement accru ainsi qu'une revalorisation de leurs revenus.
Plus généralement, pour soutenir l'ensemble des services, tenir l'engagement d'une plus grande reconnaissance des soignants qui s'engagent à l'hôpital et reconnaître la pénibilité, les mesures de doublement des indemnités de garde de nuit et de week-end pour le personnel paramédical sont prolongées, tout comme la multiplication par 1,5 de l'indemnité de garde pour les praticiens hospitaliers, qui est prolongée jusqu'à l'aboutissement des discussions engagées pour mieux rémunérer de façon pérenne la sujétion et la pénibilité de ce travail de nuit.
Par ailleurs, la valorisation financière des soins critiques a été étendue aux puériculteurs et auxiliaires de puériculture, dans les services d'urgences, de réanimation et de soins critiques.
Les mesures de valorisation du point d'indice bénéficieront bien sûr à l'ensemble des agents de la fonction publique hospitalière (FPH).
Afin d'assurer une réponse médicale juste et adaptée dans tous les territoires, il est primordial de donner à nos concitoyens les bons réflexes pour l'été qui arrive. Une grande campagne d'information portée par les ARS sera lancée et permettra de rappeler les gestes simples pour faire face à certaines situations : canicule, piqûres de guêpe, etc. Surtout, il sera rappelé que, si votre médecin traitant n'est pas joignable et si vous ne trouvez pas de médecin mais faites face à une urgence, il faut composer le 15. Ce numéro permet en effet de soulager les urgences et d'apporter une réponse adaptée.
En parallèle, les capacités d'hospitalisation sont dorénavant gérées à l'échelle territoriale. Nous sommes revenus à une gestion qui a fait ses preuves pendant la crise de la covid-19, c'est-à-dire à une gestion territoriale des lits disponibles qui associe public et privé, pour faciliter les hospitalisations à partir des urgences. La coopération à l'échelle territoriale entre public et privé est un élément clef qui va nous permettre de faciliter les prises en charge pendant l'été.
Dans cette perspective, le droit de dérogation des ARS a été élargi depuis le 7 avril dernier, ce qui leur permet de déployer plus rapidement les solutions travaillées localement, grâce aux CNR territoriaux. Ces solutions peuvent être pérennisées grâce à la proposition de loi portée par le député Frédéric Valletoux, qui devrait arriver prochainement dans l'hémicycle.
J'ai également pris l'engagement d'animer, tout au long de l'été, des temps de dialogue avec les professionnels et les ARS, comme j'avais pu le faire pendant la mise en application de la lutte contre les dérives de l'intérim médical.
Tout est mis en place pour que, dans nos territoires, nos concitoyens puissent avoir, cet été et au-delà, la réponse plus adaptée à leurs besoins de santé.
Cette mobilisation estivale s'appuie en outre sur des évolutions structurelles du système de santé engagées depuis plusieurs mois et qui sont le fruit d'un travail de coconstruction, ambitieux et soutenu, avec les parlementaires.
La santé compte parmi les domaines les plus prolifiques au cours de la session parlementaire écoulée. En plus des textes budgétaires traditionnels, nous avons enrichi et adopté de nombreuses propositions de loi. J'ai notamment à l'esprit la loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite loi Rist, qu'un travail constructif en commission mixte paritaire avait permis d'enrichir de nombreuses mesures utiles visant à renforcer la mobilisation des collectifs interprofessionnels et permettre aux Français d'accéder plus rapidement à une réponse. Grâce aux débats parlementaires transpartisans de grande qualité, nous avons collectivement pu faire de ce texte un vecteur pour de nombreuses avancées qui n'étaient pas prévues dans le dispositif initial, comme la possibilité pour les personnes souffrant de diabète de se faire prescrire des orthèses plantaires et des soins directement par les pédicures-podologues, la révision annuelle des tests rapides d'orientation diagnostique (Trod) par les professionnels de santé, la possibilité pour le pharmacien de renouveler les traitements chroniques pour une durée maximale de trois mois lorsque le médecin prescripteur n'est pas disponible, ou encore la possibilité pour les infirmiers formés à cette fin de prendre en charge le traitement des plaies chroniques en exercice coordonné.
Ce mouvement de confiance envers nos professionnels de santé, d'accélération du décloisonnement du système, de meilleur partage des compétences, soutient l'accomplissement de nos objectifs fondamentaux, fixés comme cap par le Président de la République. Tout ce que j'ai mentionné sur la préparation de l'été et le renforcement de la réponse collective contribue à désengorger nos services d'urgence. Toute l'efficacité d'organisation permet de gagner du temps soignant et libérer de la ressource médicale pour ceux qui en ont le plus besoin.
Ainsi, je peux vous annoncer que le grand plan d'aller-vers mis en place pour les patients en affection de longue durée qui ne disposaient pas de médecin traitant, a déjà permis de rapprocher 53 000 d'entre eux d'un médecin traitant. Ce résultat peut paraître important ou dérisoire ; cela correspond à la population d'une ville comme Bobigny.
La proposition de loi déposée par le sénateur Bruno Retailleau, cosignée par de nombreux membres de la Haute Assemblée, pour instaurer la quatrième année du diplôme d'études spécialisées (DES) de médecine générale, orientée en zones sous-denses a été retranscrite dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale (LFSS). Nous avons créé un modèle inédit de rémunération, qui favorise l'installation des généralistes dans les territoires qui en manquent le plus. Le rapport sur cette quatrième année m'a été remis, les dernières signatures sont collectées et la mise en application est prévue pour la rentrée prochaine, comme je m'y étais engagé.
Plusieurs autres propositions de loi sont à mettre à notre actif, comme la proposition de loi visant à améliorer l'encadrement des centres de santé, de Fadila Khattabi, qui a permis de renforcer l'arsenal de lutte contre toutes les formes de fraude sociale, une question à laquelle je sais les sénateurs attachés. La proposition de loi visant à favoriser l'accompagnement psychologique des femmes victimes de fausse couche, de Sandrine Josso, vient quant à elle d'être adoptée définitivement et renforce la logique de parcours de santé pluriprofessionnels sur l'enjeu spécifique des interruptions spontanées de grossesse. Elle a fait l'objet d'amendements sénatoriaux qui ont permis une meilleure protection des femmes victimes de discrimination en milieu professionnel.
Enfin, la proposition de loi Valletoux vise à moderniser le fonctionnement de notre système de santé pour faciliter l'émergence de réponses territorialisées. Nous aurons également à travailler ensemble sur le prochain budget de la sécurité sociale, qui nous occupe déjà puisqu'il comporte des enjeux importants pour accélérer le virage préventif, consolider l'attractivité des carrières des soignants et réformer notre hôpital, notamment son mode de financement. Je ne doute pas que vous aurez des questions sur ce sujet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre écoute. Ce lien avec la commission des affaires sociales est précieux à mes yeux. Vous pouvez croire en ma volonté ferme de travailler en bonne intelligence avec vous tous et de vous impliquer dans les différents pans de l'action que je mène. Je reste bien sûr à votre entière disposition pour répondre à vos questions.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Dans une question qu'elle m'a transmise à votre attention, Élisabeth Doineau évoquait la situation en Mayenne - fermetures de services d'urgences et appels au 15 -, mais vous avez largement développé ce point.
Notre rapporteure générale souhaitait par ailleurs savoir si vous aviez prévu des renforts au sein des centres de régulation.
M. François Braun, ministre. - La mise en place d'une régulation médicale préalable à l'entrée dans les services d'urgence prendra tout son sens cet été avec un nombre accru de fermetures temporaires de ces services. Néanmoins, l'été dernier, nous avions vu que les fermetures ne remettaient en rien en cause la sécurité et la qualité des soins pour les urgences vitales. De nouveau, nous pouvons affirmer que la prise en charge de ces dernières reste assurée.
Le renforcement de la régulation médicale porte d'abord sur les assistants de régulation médicale (ARM), pour lesquels nous avons engagé une grande campagne de recrutement. En réponse à leur demande forte et pressante en ce sens, après la triste affaire de Naomi Musenga survenue à Strasbourg, leur métier est désormais reconnu comme une profession de santé. Il s'y appliquera une grille indiciaire spécifique. Nous avons mis en place des centres de formation à l'attention des ARM. Pour moitié théorique et pour moitié pratique, leur formation atteindra un volume annuel d'approximativement 1 500 heures. Dès avant la crise qui les a touchés, nous nous étions engagés à ce que chaque ARM valide sa formation avant la fin de l'année 2023 ; à l'été dernier, la mesure avait fait l'objet d'un premier report à fin 2024 ; nous devons la reporter de nouveau, en raison d'un recrutement à présent bien plus important. Ce recrutement s'effectue pour l'heure sur la base d'une formation minimale correspond à la formation précédente, avec l'engagement, pour l'instant assorti d'une perspective à fin 2025 ou 2026, que tous les nouveaux recrutés passeront par le mécanisme de la validation des acquis de l'expérience (VAE).
Depuis un an, un changement de paradigme intervient dans la fréquentation des urgences. L'investissement personnel des médecins hospitaliers, des ARM et, plus encore, des médecins généralistes, y contribue. Ces derniers ont mis en place des solutions qui, lorsqu'aucun d'eux n'est disponible, évitent d'orienter systématiquement les patients vers les urgences. De plus en plus de maisons médicales de garde sont ainsi déployées, garantissant la continuité des soins. Je vous citais l'exemple de patients en affection de longue durée (ALD) qui ont pu retrouver un médecin traitant avec l'intervention des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Un autre exemple, mis en évidence lors des sessions du CNR en santé, a trait aux équipes paramédicales de médecine d'urgence. À la demande de la régulation médicale, il est possible d'engager une infirmière avec un recours à la télémédecine. En Normandie, des expérimentations ont montré que le dispositif permettait d'éviter l'hospitalisation à 70 % des patients.
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche assurance maladie. - Sur l'hôpital, qu'en est-il des deux réformes que le Président de la République a annoncées, celle de la gouvernance hospitalière d'une part, celle de la tarification à l'activité d'autre part ? Est-ce le bon moment de les engager ?
M. François Braun, ministre. - Oui...
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Eh bien, voilà une bonne nouvelle ! À ceci près que l'échéance était fixée au 1er juin pour la réforme de la gouvernance... Le Gouvernement n'a-t-il pas plutôt constaté que, révisé en 2021, le droit actuel répondait déjà au besoin de rééquilibrage du binôme directeur-président de CME, sous réserve peut-être de ménager encore un peu de temps aux intéressés ? Est-ce vraiment pour vous la priorité du moment ?
En ce qui concerne la tarification à l'activité (T2A), nous avons entendu les représentants des présidents de CME et des directeurs d'établissement. De nouveau, jugez-vous le moment opportun pour une réforme en la matière ? Dans l'affirmative, quel calendrier estimez-vous réaliste de lui associer ? Comme cela nous a été exposé hier au cours d'une audition, le problème ne tient-il pas concomitamment aux tarifs et à la qualité de la prise en charge des patients ?
Quel niveau d'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) imaginez-vous, dans son volet hospitalier, pour le PLFSS 2024 qui sera soumis à votre arbitrage ?
M. François Braun, ministre. - Il est encore un peu tôt pour vous répondre.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Vous pourriez déjà avoir une idée ; les fédérations hospitalières que nous recevions hier nous ont communiqué un chiffre !
Mme Catherine Deroche, présidente. - C'est un chiffre souhaité
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Sans doute n'est-ce que celui qu'elles espèrent, mais il donne une première idée. Les fédérations n'ont pas non plus manqué de saluer la garantie de financement dont elles ont bénéficié entre 2020 et 2022. Elles en reconnaissent unanimement le caractère indispensable. En 2023, bien que moins généreuse, sa nouvelle version avec une « sécurisation modulée à l'activité » leur apparaît également nécessaire ; peut-être ménage-t-elle aussi des marges de manoeuvre pour un futur Ondam hospitalier ?
Une question sur la lutte contre l'antibiorésistance et le problème des patients qui se présentent à l'hôpital avec des contaminations croisées : le PLFSS 2024 pourrait-il inclure la prise en charge des Trod et des PCR, afin d'assurer le dépistage de ces patients porteurs de germes et pour lesquels nous ne disposons à ce jour pas de réponse antibiotique ? Si je déposais un amendement en ce sens, il encourrait l'irrecevabilité au titre de l'article 40 de la Constitution.
Dernière question au sujet de l'hôpital : on annonce que le déficit actuel atteindrait environ 1 milliard d'euros ; l'urgence n'est-elle pas de s'en occuper, surtout dans un contexte de vacance de 30 % des postes en milieu hospitalier ?
Sur la ville, la proposition de loi de Frédéric Valletoux n'attisera-t-elle pas la crispation des médecins ? Envisagez-vous une réouverture des négociations conventionnelles avec l'assurance maladie ? Envisagez-vous un véritable projet de loi santé, tel que nous l'attendons ?
La commission d'enquête relative aux pénuries de médicaments a rendu publiques, ce matin, ses conclusions. Par quelles mesures lutterez-vous contre les ruptures et les tensions d'approvisionnement ? Nous avons pris connaissance de la liste des 450 médicaments essentiels. Des professionnels de santé indépendants la critiquent. La retiendrez-vous en l'état ou préféreriez-vous la modifier ?
Que pouvez-vous nous dire des ambitions poursuivies par la dernière LFSS sur les rendez-vous de prévention et sur le déploiement de ce dispositif ?
La fédération Unicancer nous faisait hier état d'une recrudescence des cancers. Un rapport sévère de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) pointe la politique de dépistage. Quelles suites lui donnerez-vous ?
Mme Catherine Deroche, présidente. - Un médecin généraliste de mon département, qui enseigne à la faculté de médecine de Nantes, m'a fait part d'une baisse des crédits affectés à la formation de médecins maîtres de stage universitaires, ce qui l'inquiète au moment même où l'on veut renforcer l'action de ces derniers par une quatrième année d'internat.
M. François Braun, ministre. - Au sujet de la gouvernance de l'hôpital, après avoir rédigé un premier rapport, le professeur Claris en a écrit un second à ma demande, afin d'établir rapidement un bilan du premier. Les questions de gouvernance et de médicalisation de la gouvernance restent en effet prégnantes dans l'ensemble des établissements. Le second rapport recommande donc de s'assurer que les mesures retenues dans le premier rapport ont bien été mises en application. J'ai demandé aux ARS de le vérifier.
Médicaliser la gouvernance consiste à améliorer le lien entre médecins et directeur d'établissement dans une logique, non plus seulement d'offre de soins - ce qui correspond à un raisonnement financier -, mais de réponse aux besoins de la population en matière de santé - ce qui correspond à une approche beaucoup plus médicale.
Pour autant, il faut être réaliste : d'une part, nous avons besoin des médecins auprès des patients ; d'autre part, nous ne disposons pas d'un vivier suffisant de médecins expérimentés qui souhaiteraient s'orienter davantage vers un rôle de gouvernance, lequel peut s'avérer extrêmement prenant. J'en ai discuté avec les présidents de CME : leurs occupations sont déjà nombreuses. C'est pourquoi je préfère progresser par paliers : faire d'abord le point de ce qui existe puis, à la suite du rapport qu'Olivier Claris et Nadiège Baille, ancienne directrice du centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon, m'ont remis, mettre en place avant la fin de l'année le contrat de gouvernance entre les présidents de CME et les directeurs d'établissement. Le contrat de gouvernance répartira les responsabilités des uns et des autres. Il sera tous les ans soumis à l'évaluation du conseil de surveillance de l'établissement.
En arrière-plan de la mesure, nous mettons en place des formations destinées aux médecins que le « management » d'établissements intéresse. Je n'entends pas pour autant susciter dès le début de leur formation une vocation de manageur. Il s'agit plutôt de s'appuyer dans un premier temps sur l'expérience de médecins cliniciens pour participer à le gestion des établissements. Des formations existent déjà, au sein de l'École des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes, de certaines facultés, ou encore à Sciences Po Lille. Elles forment les médecins au « management » et à la complexité de l'hôpital, en particulier à son financement.
Nous pouvons nous fixer un objectif à cinq ans pour affecter plus de médecins à des postes de gouvernance dans les établissements ; mais toujours, comme dans toutes les politiques que je conduis, en favorisant l'engagement à l'échelle d'un territoire. S'agit-il d'une priorité ? Oui, en se donnant le temps de la mettre en place, parce qu'elle contribue au passage d'une logique d'offre de soins à la réponse aux besoins de santé de la population, notre solution pour surmonter les difficultés présentes.
Comme n'importe quel autre mode de financement, la T2A n'est pas mauvaise en soi. Le problème tient à ce que tout mode de financement conduit, au bout d'un certain temps, à des dérives, qui le rendent inadapté. La T2A correspond à un mode de financement qui s'appuie sur l'offre de soins, mais nullement à la transformation que le Gouvernement conduit dans le sens d'une réponse aux besoins de santé de la population.
Nous avons versé une dotation globale de (DG) à tous les établissements publics et privés non lucratifs jusqu'à ce que l'on découvre que certains d'entre eux travaillaient de moins en moins mais gagnaient toujours plus d'argent quand d'autres, au contraire, devaient ou voulaient travailler davantage mais n'y parvenaient plus, faute de moyens financiers. Les prix de la journée d'hospitalisation ont entraîné une autre dérive qui s'est accentuée avec la T2A, celle d'établissements qui commençaient à sélectionner leurs patients ou les activités en fonction des prix de journée les plus intéressants.
La T2A est issue du grand programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), importé par Jean de Kervasdoué des États-Unis et qui permet de classer les patients dans des groupes homogènes de malades (GHM) correspondant à un coût à peu près unique. Je rappelle que ce système prenait pour référence l'accouchement normal, qui équivalait à 1 000 points. La valeur du point changeait selon le budget dont l'hôpital disposait, ce qui ne permettait guère d'avoir une vision à long terme. La T2A a accentué des dérives concurrentielles entre établissements publics eux-mêmes et entre établissements publics et privés, avec des groupes homogènes de séjour (GHS) et des GHM plus « rentables » que d'autres.
De mon expérience de l'hôpital, je garde le souvenir de réunions absurdes entre la direction et les chefs de pôle, au cours desquelles on nous présentait des diagrammes de parts de marché. Concurrentiel, ce système concentrait les efforts sur des activités rentables et négligeait celles qui l'étaient beaucoup moins. Dans l'est de la Moselle par exemple, on trouvait plus de chirurgiens capables de poser une prothèse de hanche que de pneumologues aptes à soigner les pathologies respiratoires liées à l'amiante ou consécutives aux travaux des mines. Ceci est tout à fait contraire à la politique que je mène.
Des prémices de nouveaux objectifs apparaissaient néanmoins déjà avec la T2A. On commençait en effet à parler de qualité, de parcours et de financements dédiés. Clairement, l'idée est d'aller plus loin. Il s'agit non pas de renoncer à la T2A, mais de sortir du tout-T2A. Les premiers jalons seront dans le PLFSS, selon trois axes.
Le premier consiste en un compartiment de financement à la mission. Il sera le financement socle d'activités comme la maternité ou la réanimation. Il s'apparente à un financement populationnel. Les financements des missions d'intérêt général y seront intégrés. Avec la gradation des soins, il contribuera à redonner du sens à l'hôpital de proximité. Un financement spécifique sera consacré à ceux des établissements qui, bien qu'indispensables à la réponse aux besoins de santé d'un secteur médical, n'ont pas une activité suffisante pour leur permettre de persister dans ce secteur.
Un deuxième compartiment financera des objectifs de santé publique. Nous y retrouverons l'incitation financière à l'amélioration de la qualité (Ifaq), simplifiée et stabilisée, des objectifs territoriaux de santé publique, dont la permanence des soins et le partage de sa pénibilité entre établissements publics et privés. À titre d'exemple, si dans un même secteur géographique, un établissement de santé privé d'intérêt collectif (Espic), une clinique privée et un hôpital public comptent tous les trois, sans que l'activité le justifie véritablement, un service de chirurgie vasculaire avec chacun deux spécialistes, la permanence des soins repose exclusivement sur l'hôpital public, soit sur deux chirurgiens qui travaillent un jour sur deux de garde. C'est, à tous points de vue, déraisonnable. Il s'agit de dire que, à l'échelle de ce territoire, le besoin existe d'une garde de chirurgie vasculaire et que les six chirurgiens y participeront.
Un dernier compartiment reste consacré au financement à l'activité. Certaines activités particulières, extrêmement onéreuses, nécessitent en effet un financement spécifique.
Cela s'apparente à une extension à l'ensemble de l'hôpital du modèle qui fonctionne depuis deux ans pour les urgences.
Les travaux sur le prochain Ondam sont en cours. Cet Ondam sera particulièrement intéressant, avec un choix affiché du Président de la République et du Gouvernement de définir la santé comme une priorité, avec un premier budget hors covid-19, mais difficile en raison de l'augmentation continue des dépenses inhérente au vieillissement de la population, au coût des médicaments et à l'inflation qui touchera encore l'année prochaine nos établissements. Pour appuyer la politique de santé, il me faudra trouver des marges de manoeuvre. J'y travaille.
Ces marges de manoeuvre répondront non pas à la volonté de réaliser des économies, mais à une logique de santé publique. Vous évoquiez l'antibiorésistance ; elle constitue typiquement pour moi un objectif de santé publique. Diminuer les prescriptions d'antibiotiques - dont nous sommes en France plus fortement prescripteurs que nos voisins européens - représente concomitamment un bien pour la santé publique et un gain pour nos finances, c'est-à-dire l'occasion d'une marge de manoeuvre tant pour l'hôpital que pour la ville. Autre exemple, nous lançons à la rentrée prochaine le nouveau plan de lutte contre le tabac. Le tabagisme reste un fléau, avec 75 000 morts par an. Les pathologies liées au tabac représentent un coût de 1 milliard d'euros pour la sécurité sociale. Quoi qu'on en dise, ce qui marche le mieux pour diminuer le nombre des fumeurs et, par conséquent, celui des malades, c'est d'augmenter le prix du paquet de cigarettes. Je porte ainsi la volonté d'une augmentation progressive de ce prix dans les années qui viennent, avec une harmonisation des taxes sur tous les produits du tabac et de la nicotine. On peut jouer sur les mots, mais j'estime pour ma part que la nicotine est effectivement un produit du tabac ; je souhaite d'ailleurs, à titre préventif, interdire les puffs, ces cigarettes parfumées à usage unique.
À quelles cibles seront destinées les marges de manoeuvre que nous voulons ménager ? Je citerai l'attractivité des métiers et surtout de nos établissements, la reconnaissance de la pénibilité du travail de nuit et le week-end, que notre société post-covid accepte de moins en moins alors que des professions de santé n'y échappent pas, la lutte contre les pénuries de médicaments - et pas seulement à l'échelle française comme le souligne le rapport de la commission d'enquête sénatoriale adopté le 4 juillet dernier -, la politique de prévention, autour de laquelle doit enfin s'axer le système de santé.
J'ajoute que l'augmentation structurelle de l'Ondam avoisine 2,6 %. L'objectif, c'est évident, consiste à aller au-delà.
Vous parlez d'un déficit des établissements d'environ 1 milliard d'euros. Je confirme qu'il est de cet ordre.
Quant à la vacance de 30 % des postes, je pense que la réponse tient dans la politique d'attractivité que nous entendons mener.
En ce qui concerne la ville, j'assume une part des responsabilités dans le fait que les négociations de la nouvelle convention médicale n'aient pas abouti. Sans doute, d'autres discussions devant l'Assemblée nationale ont-elles perturbé l'état d'esprit des médecins généralistes, pourtant particulièrement ouverts à une évolution de leur profession, y compris dans son mode de financement. Je continue bien entendu à discuter avec leurs représentants. Nous nous sommes donné un objectif commun de rouvrir les négociations conventionnelles lorsque nous serons sûrs qu'elles aboutiront. Bien qu'il ne satisfasse personne - ni les généralistes ni le ministère de la santé et de la prévention -, le règlement arbitral en vigueur nous donne deux ans pour y parvenir. Je souhaite évidemment réengager les négociations avant cette échéance. À ce stade, nous sommes globalement d'accord sur la cible à atteindre ; nous discutons encore du chemin pour l'atteindre, mais je reste optimiste sur ce point.
Une réforme de notre système de santé est essentielle et nous nous accordons sur le fait que nous ne saurions nous en tenir à la situation actuelle. Il y a deux façons de s'y prendre : construire pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, un grand projet de loi de santé ou profiter de l'ensemble des vecteurs législatifs pour marquer des jalons dans le sens que nous voulons. C'est pour l'instant cette seconde voie que je privilégie. Les discussions que nous avons eues au Parlement, vos votes, m'invitent à penser qu'elle est la bonne. Si elle est peut-être moins visible, elle nous permettra d'avancer plus vite.
Un mot sur la liste des 450 médicaments essentiels. Alors que l'on a pour la première fois demandé à plus de 400 professionnels de terrain, de quasiment toutes les sociétés savantes, de donner leur avis, d'avoir une méthodologie de classement tout à fait transparente en classant les médicaments selon deux critères - un critère sur l'aspect indispensable du médicament et un critère sur la fréquence de son utilisation -, la liste qu'ils ont dressée essuie d'ores et déjà la critique. Je crois qu'il faut avancer pas à pas. On parle de cette liste de médicaments essentiels depuis plusieurs années. Après les Américains et l'Organisation mondiale de la santé (OMS), nous parvenons à notre tour à en obtenir une, conforme à la logique européenne de lutte contre les pénuries.
Je comprends qu'on puisse s'étonner du contenu de cette liste, par exemple de la présence du gel utilisé pour les échographies. Cependant, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) classe effectivement ce produit comme un médicament. Faute de gel, on ne ferait plus d'échographie. J'assume donc le fait qu'il figure sur la liste. Certains soulignent aussi qu'elle comprend plusieurs médicaments d'une même classe thérapeutique, par exemple les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). Les professionnels de santé ont reconnu la nécessité de maintenir des IPP. Or, vu le volume d'IPP prescrits, n'en garder qu'un seul dans la liste ne permettrait pas à l'entreprise qui le produit de le fournir en quantité suffisante. C'est pourquoi, très pragmatiquement, il a paru préférable d'en inscrire plusieurs. Je veux continuer à déployer cette approche de terrain, qui est celle du CNR.
Comme je m'y étais engagé, nous progressons sur les rendez-vous de prévention. C'est loin d'être simple et je pensais avancer plus vite. Mais ils se mettront en place le 1er octobre prochain, très probablement sur une seule classe d'âge jusqu'à la fin de l'année, puis en se généralisant aux trois classes d'âge prévues à partir du 1er janvier 2024. Plusieurs enjeux les concernent. Il s'agit d'abord que les professionnels de santé y adhèrent pleinement, puis que nos concitoyens s'y rendent, enfin qu'ils ouvrent sur un parcours de santé et des prises en charge. Ces rendez-vous de prévention rejoignent nos efforts en matière de sport-santé, pour lequel Amélie Oudéa-Castéra, Jean-Christophe Combe et moi-même avons lancé la mission Delandre. Celle-ci vient de nous remettre des conclusions qui nous conduiront, en principe le 14 septembre prochain, à annoncer des engagements forts sur une politique interministérielle de sport-santé. Une telle politique alimentera, comme le plan obésité ou le plan de lutte contre le tabac, les parcours mis en place à l'issue des rendez-vous de prévention.
La quatrième année du diplôme d'études spécialisées (DES) de médecine générale a été décidée, ainsi que son programme. Sa nouveauté tient à un mode spécifique de financement pour l'activité libérale. Les docteurs juniors en médecine générale percevront, outre une rémunération salariée comme l'ensemble des docteurs juniors, une rémunération en fonction des actes qu'ils réaliseront, dans la limite d'un plafond défini à 4 500 euros, afin de ne pas accuser d'écart par rapport aux autres spécialités.
La formation des maîtres de stage universitaires (MSU) a donné lieu à un important flottement sur le rôle des uns et des autres, entre l'Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC) et des syndicats qui disposent de leurs propres organismes de formation. Nous avons besoin de maîtres de stage universitaires, particulièrement dans les déserts médicaux, et je vous invite à vous y faire les ambassadeurs auprès des généralistes pour qu'ils le deviennent. En 2026, des docteurs juniors seront affectés en zones sous-dotées. Fin juin, nous avons informé l'ANDPC de l'augmentation de son budget et de la nécessité qu'elle forme en trois ans suffisamment de maîtres de stage universitaires de médecine générale pour arriver à un effectif d'à peu près 15 000 à 16 000 praticiens.
M. Bernard Jomier. - J'irai plus loin sur la question fondamentale que vous a posée Corinne Imbert : quelles évolutions législatives estimez-vous nécessaires pour notre système de santé dans l'année qui s'ouvre ? Le débat sur un grand projet de loi de santé me laisse plutôt indifférent. La vraie question tient à la direction que doit prendre l'évolution de notre système de santé.
Le nombre important de propositions de loi ne vous a pas échappé. Nous ne nous plaçons pas dans une opposition systématique et avons par exemple voté conjointement avec la majorité au Sénat la dernière proposition de loi Rist. Pour autant, nous restons dubitatifs sur les évolutions du système de santé. Demain se tiendra au Sénat un colloque coorganisé par plusieurs associations d'élus, dont l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) ou Élus, santé publique et territoires (ESPT), et des sociétés savantes comme la société française de santé publique (SFSP), sur le thème « Collectivités territoriales et santé : le temps des compétences ». Sur ce sujet, vous vous êtes contenté de nous dire que vous vous félicitiez de la parution d'une circulaire qui ouvre une dérogation aux ARS. C'est là de la verticalité descendante de l'État. Or une véritable territorialisation de la santé renvoie nécessairement aux collectivités territoriales et aux acteurs locaux de la santé, dans une dynamique ascendante.
Estimez-vous ou non que le cadre législatif actuel est satisfaisant ? J'aimerais que vous approfondissiez la réponse que vous avez commencé à donner à Corinne Imbert.
Par ailleurs, notre système de santé se caractérise par un phénomène de financiarisation doublé d'un phénomène d'ubérisation, avec les dérives que cela emporte. À votre avis, disposons-nous des outils pour y répondre ? Dans l'affirmative, je trouve bien faible la réponse de l'État ; dans le cas contraire, attendez-vous que nous adoptions de nouvelles dispositions pour lutter contre ce phénomène ?
M. Laurent Burgoa. - Le cannabis à usage médical fait depuis deux ans l'objet d'une expérimentation. Prolongée d'une année supplémentaire par la dernière LFSS, l'expérimentation parviendra à son terme le 30 mars 2024. Sa généralisation sera-t-elle inscrite au prochain PLFSS ? Dans l'affirmative, à quelles conditions ?
Mme Raymonde Poncet Monge. - Des mesures exceptionnelles, notamment en matière de revalorisation des gardes et des astreintes, ont été consenties aux hôpitaux publics, qui traversent une crise profonde et ne sont pas encore tirés d'affaire. Le secteur hospitalier privé non lucratif, qui concourt aussi au service public de l'hôpital et assure des urgences, n'est pas, sur ce terrain, à égalité. Il attend toujours un alignement de ses charges sociales et fiscales sur le régime de l'hôpital public. Sa demande ne paraît pas extravagante. Les établissements associatifs mutualistes subissent encore plus profondément la crise et sont peu à peu rachetés partout en France par de grands groupes privés commerciaux. Dans le territoire dont je suis élu, le Rhône, la clinique mutualiste Les Portes du Sud à Feyzin, qui a un service de médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) et des urgences, ainsi que l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) qui lui est rattaché, ont dû demander leur placement en redressement judiciaire. À Lyon, un centre de santé mutualiste menace de fermer. Chaque fois, le risque de reprise par le secteur privé commercial se précise. Quelles mesures conjoncturelles et structurelles comptez-vous prendre pour protéger ce tiers secteur ?
Ma deuxième question porte sur les inquiétudes relatives aux simulations de l'impact financier de la réforme de financement des soins médicaux et de réadaptation (SMR) et de la psychiatrie. Elle inquiète, pour des raisons différentes d'ailleurs, le secteur public et le secteur privé commercial. On nous avait dit que cette réforme était neutre, c'est-à-dire qu'il y aurait 80 % de gagnants et uniquement 20 % de perdants, ceux qui étaient en enveloppe ouverte et qui, depuis des années, créaient de facto de nouvelles places.
Nous en sommes à la troisième évaluation. Une quatrième évaluation est-elle en cours ? Sera-t-elle plus satisfaisante, en particulier pour le secteur public ? Vous le savez, le secteur public, contraint par une enveloppe fermée, souffre aujourd'hui des retards cumulés de financement des SMR et de la psychiatrie. À l'inverse, le secteur privé, financé à l'acte, avec une enveloppe ouverte, a créé 80 % des nouvelles places ou a repris les places d'un secteur public asphyxié. Cela a à voir avec le phénomène de financiarisation qui a été évoqué.
Enfin, une question subsidiaire sur les marges de manoeuvre dont vous avez parlé à propos de la lutte contre le tabac : à quand une lutte équivalente contre l'alcool ?
Mme Corinne Féret. - Monsieur le ministre, je souhaite également vous interroger sur la situation de la psychiatrie en France et plus précisément dans le département dont je suis élue, le Calvados.
La psychiatrie est le parent pauvre de notre système de santé et, en 2017 déjà, la ministre de la santé reconnaissait qu'elle avait fait l'objet d'un abandon. Année après année, la LFSS n'apporte aucune réponse susceptible d'améliorer la situation de ce secteur. Les personnels exercent leur métier dans des conditions difficiles que la crise de la covid-19 n'a fait qu'aggraver. Avec cette crise, la détérioration de la santé mentale des enfants s'est accentuée, de même que le manque d'accompagnement de leurs parents. Les files d'attente s'allongent dans les centres médico-psychologiques et les centres médico-psycho-pédagogiques alors qu'au même moment, partout, des lits, voire des unités entières, ferment, à tel point que la prise en charge même des patients suscite de l'inquiétude.
Je vous parle du Calvados, car, à l'établissement public de santé mentale (EPSM) de Caen, les équipes ne cessent d'alerter sur le manque de personnel, les fermetures de lits, le manque de financements. Elles ont participé au mouvement de grève du 3 juillet dernier et elles demandent plus de moyens et une véritable reconnaissance de leur métier et de leur engagement quotidien auprès de tous ceux qui ont besoin de leurs services, en particulier dans le secteur public.
Quelles mesures entendez-vous prendre pour améliorer une situation qui n'est plus acceptable en 2023 ?
M. François Braun, ministre. - Concernant, tout d'abord, la territorialisation et la manière dont on peut la rendre plus visible, je suis intimement convaincu que les solutions doivent être mises en place au niveau des territoires. Elles doivent l'être selon une logique non pas descendante mais ascendante.
La logique ascendante correspond à celle des CNR en santé, dont je reste un fervent défenseur en dépit de tout ce qui a pu être dit à leur sujet. En effet, ils représentent exactement ce que je souhaite faire en matière de santé, c'est-à-dire territorialiser les réponses. Cela veut dire étudier ce qui fonctionne dans les territoires - permanence des soins, prise en charge des patients sans médecin traitant, psychiatrie -, et les innovations y sont nombreuses, puis rendre ces innovations visibles dès lors qu'elles fonctionnent, ce qui nous place dans une logique ascendante. Enfin, nous les mettons à la disposition de l'ensemble des territoires : c'est la logique descendante, ou la deuxième phase du CNR, celle au cours de laquelle ces fameux outils sont mis à la disposition de tous, pour avancer.
L'ARS, qui représente les territoires, n'est pas là pour faire les choses à leur place ; son rôle est plutôt d'aider chaque territoire à mettre en oeuvre des solutions. La solution est ainsi construite selon cette logique CNR, entre les professionnels de santé, les citoyens et les élus, au sein de chaque territoire.
Pour répondre à ces enjeux, il existe des contrats territoriaux de santé - qui ont d'ailleurs une composante psychiatrique - mais c'est une coquille vide : ils sont peu utilisés et on n'y retrouve pas tout le monde. Ainsi, je ne pense pas qu'il faille prendre de nouvelles mesures législatives : puisque ces contrats territoriaux de santé existent, je les englobe dans la logique des CNR et c'est à leur échelon que la politique sera construite, que les idées seront remontées et le budget nécessaire alloué. À ce propos, j'ai mis 30 millions d'euros de côté dans le cadre du fonds d'intervention régional (FIR), pour favoriser justement le lancement des projets et déployer ce qui fonctionne bien. C'est dans cette logique continue - ascendante puis descendante - du CNR que des décisions sont prises à l'échelon national. En somme, le pouvoir de dérogation des ARS s'exerce, certes, dans un sens descendant, mais il naît d'une demande des territoires.
Par exemple, le déploiement de 100 médicobus dans les territoires les plus en difficulté, que la Première ministre a annoncé, correspond à un dispositif existant que j'ai vu fonctionner, dont on peut tirer un mode d'emploi et qui peut être étendu ailleurs avec l'aide de l'État.
Le principe du guichet unique est un autre sujet à l'échelle des territoires, également issu des CNR et intégré à la loi Rist. S'il concernait jusqu'à présent l'installation des médecins dans les territoires, nous l'étendons désormais à leur maintien. Il s'agit d'un point d'entrée unique pour le professionnel de santé, où ce dernier retrouvera le conseil départemental, le conseil régional, la caisse primaire d'assurance maladie et l'ARS. Ce guichet unique mettra à sa disposition l'ensemble des aides et des soutiens nécessaires à son installation dans les territoires. Pour définir, à partir de ce qui existe, le modèle à déployer dans cette logique de guichet unique, j'ai confié une mission au député Jean-François Rousset.
Ainsi, nous avons les outils. Il faut simplement leur donner corps.
Pour terminer sur la territorialisation, je souligne l'importance de la proposition de loi Valletoux concernant la logique de permanence des soins et sa territorialisation, la reconnaissance de l'échelon des territoires de santé dans le cadre du CNR et dans le cadre territorial. Tout cela est contenu dans cette proposition de loi, qui a été adoptée à l'Assemblée et que je vous inviterai à voter très prochainement afin d'avancer dans le sens de la régionalisation.
À propos de la financiarisation et de l'ubérisation de la santé, la proposition de loi Valletoux prévoit le contrôle des comptes des cliniques. Vous faites sans doute allusion aussi au groupe Ramsay et à la polémique autour de l'offre de prétendues téléconsultations avec des médecins sur abonnement au prix de 14 euros. Je suis rassuré de savoir que seules 30 personnes sont abonnées : les Français ont su faire la différence entre téléconsultation et simple conseil médical. Le prochain PLFSS sera l'occasion de discuter des limites de la téléconsultation afin d'éviter toute dérive.
Une autre dérive se dessine autour des centres de soins non programmés, des structures ouvertes de 8 heures à 19 heures, fermées le samedi et le dimanche, et, donc, la nuit. Certains sont financés par des fonds régionaux ; c'est le cas notamment en région Auvergne-Rhône-Alpes, où ils fonctionnent de 10 heures à 20 heures, 7 jours sur 7, répondant ainsi au besoin de santé de la population. Je lance une mission au deuxième semestre de l'année pour y voir plus clair sur leur modèle économique. Il n'est pas concevable que ces structures ne participent pas à la permanence des soins : si elles souhaitent persister, elles devront le faire.
Concernant le cannabis thérapeutique, la fin de l'expérimentation est effectivement prévue en mars 2024 après un prolongement d'un an en l'absence des 3 000 cas indispensables pour tirer des conclusions. À l'issue de cette phase, nous nous dirigerons vers une évaluation du produit par la HAS. Comme d'autres pays nous ayant précédés sur la question, nous pourrions considérer que le cannabis thérapeutique peut entrer dans la pharmacopée. Réponse en 2024, dans le respect des procédures de reconnaissance d'un produit comme médicament.
Au sujet de la problématique de l'hôpital et, en particulier, celle des établissements de santé privés d'intérêt collectif (Espic), c'est-à-dire ce qui touche à la revalorisation des gardes et des astreintes, ou encore au plan d'attractivité des personnels non médicaux et des personnels médicaux, les Espic sont effectivement concernés par les mesures qui seront prises, y compris par les mesures portant sur la fonction publique hospitalière. Ils sont concernés au même titre que les établissements publics, car c'est aussi cela la logique de droits et de devoirs : on a les mêmes droits dès lors que l'on répond aux mêmes devoirs. C'est particulièrement vrai sur la question de la permanence des soins.
Concernant la problématique des charges sociales, des travaux sont en cours dans le cadre de la réforme du financement, je n'ai donc pas encore de conclusions à vous donner.
La clinique de Vénissieux, que vous avez évoquée, recherche activement un repreneur, d'après l'ARS, mais je n'en sais pas plus.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Un repreneur privé serait un problème.
M. François Braun, ministre. - Notre système de santé fonctionne sur ses deux jambes. Il a besoin d'équilibre pour avancer. Entre les deux, il y a les participants au service public hospitalier (PSPH)...
Mme Raymonde Poncet Monge. - C'est justement cette jambe qui est écrasée.
M. François Braun, ministre. - Dans mes réflexions, j'intègre bien les PSPH au cadre public.
Concernant à présent le financement des soins de suite et réadaptation (SSR), la réforme est entrée en application le 1er juillet 2023. C'est, d'un point de vue financier, une réforme à blanc en 2024 - des établissements gagnent un peu d'argent, d'autres en perdent -, avant une montée progressive entre 2025 et 2027. Une difficulté a été identifiée entre le SSR polyvalent et les SSR très spécialisés. Par rapport au SSR d'orthopédie-traumatologie, par exemple, le SSR de neurologie est beaucoup plus lourd. À ma demande, la direction générale de l'offre de soins (DGOS) travaille avec les professionnels de santé pour revaloriser la rééducation neurologique, qui est un enjeu majeur compte tenu des pathologies neuro-vasculaires.
Concernant la lutte contre l'alcool, l'idée de taxes comportementales fait partie des réflexions. Elles pourraient également s'appliquer à la question des jeux en ligne, mais je ne peux pas vous en dire plus : nous en discuterons dans le cadre du prochain PLFSS.
Concernant la psychiatrie, il est évident qu'il y a une difficulté. Par rapport à l'ensemble des filières de soins, il faut quand même reconnaître que les chiffres ne sont pas si mauvais : nous avons 15 500 psychiatres en France, dont 1 500 psychiatres libéraux exclusifs, ce qui nous place au-delà de la moyenne européenne, en quatrième position parmi les 27 pays de l'Union européenne en densité de psychiatres. Cela représente 20 psychiatres pour 100 000 habitants. Par ailleurs, nous comptons 59 000 infirmiers psychiatriques principalement concentrés dans les hôpitaux.
Ces données chiffrées pourraient être rassurantes, car elles constituent une réponse, mais, quand on entre dans le détail, c'est effectivement plus inquiétant. Notre préoccupation va avant tout à la répartition des psychiatres sur nos 600 établissements psychiatriques. Elle concerne aussi le manque d'attractivité de ces métiers, particulièrement dans le domaine de la pédopsychiatrie, aujourd'hui sinistrée. Les jeunes ne s'inscrivent plus dans les filières psychiatriques pour deux raisons. D'une part, en libéral, l'activité n'est pas valorisée. Dans ce secteur, en effet, deux spécialités ont un revenu inférieur à celui des médecins généralistes : les pédiatres et les psychiatres. D'autre part, en milieu hospitalier, les conditions d'exercice sont difficiles. Les impératifs administratifs liés à l'hospitalisation sous contrainte ou tout ce qui concerne les contentions sont lourds. Des solutions sont sur la table pour redonner du temps aux professionnels et limiter au strict nécessaire toutes les tâches bureaucratiques ou administratives.
Toutefois, des solutions fonctionnent. Je pense à MonSoutienPsy, qui enregistrera bientôt 600 000 consultations, aux Maisons des adolescents, qui ont maintenant essaimé dans tous les départements avec une prise en charge de 100 000 adolescents et autant de familles, au secourisme en santé mentale déployé déjà très largement avec 43 000 secouristes et, enfin, aux infirmières en pratique avancée (IPA), un dispositif qui se déploie encore insuffisamment mais dont la Cour des comptes suggère d'augmenter l'importance. Je travaille donc à une réforme complète de la formation du métier d'infirmière.
Les enjeux de la psychiatrie dépassent donc ceux de l'hospitalisation sous contrainte. La vraie question est celle de l'attractivité de cette profession ainsi que de la meilleure répartition des psychiatres et des unités psychiatriques sur notre territoire.
Mme Pascale Gruny. - Ma première question porte sur les données de santé et, plus précisément, d'une part, sur la disponibilité des données de santé auprès de la plateforme de stockage, le Health Data hub, avec un sujet sur l'hébergement viable sécurisé, et, d'autre part, sur la gestion encore assurée par la caisse nationale d'assurance maladie, qui conduit parfois à rendre disponibles les données pour des projets de recherche bénéficiant de l'aval du comité d'éthique et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) dans un délai de plus de dix-huit mois.
Ma deuxième question porte sur la bronchiolite. Les Assises de la pédiatrie ont-elles permis d'avancer sur le sujet ?
J'ai également une remarque au sujet du stage effectué au cours de la quatrième année de médecine. En raison de la configuration géographique de nos départements, certains territoires sont enclavés dans d'autres et, par le fait, sont oubliés dans la répartition des stagiaires.
Par ailleurs, avez-vous prévu de travailler sur un texte prenant en compte la prévention santé dans la fonction publique ?
Mme Laurence Cohen. - Les urgentistes franciliens ont menacé de transférer d'office les patients sévères vers les hôpitaux psychiatriques de leur secteur au bout de quarante-huit heures. Selon le professeur Antoine Pelissolo, chef de service de psychiatrie au CHU Henri-Mondor dans le département dont je suis élue, il y a un an, 150 patients psychiatriques avaient passé quarante-huit heures aux urgences. Aujourd'hui, c'est le double, avec 300 patients qui restent sur des brancards de contention entre 3 et 7 jours.
La cellule régionale d'appui à la recherche de lits d'hospitalisation croule sous les appels, notamment dans le Val-de-Marne et en Seine-Saint-Denis. En un an, les urgentistes de l'hôpital Henri-Mondor ont sollicité cette cellule 516 fois, l'hôpital du Kremlin-Bicêtre 208 fois. Par comparaison, les urgentistes de la Pitié Salpêtrière l'ont appelée 11 fois. La solution proposée par l'ARS n'en est pas une, car la cellule régionale, en ne tenant plus compte du secteur, peut imposer un patient en surnombre, ce qui est une vraie catastrophe. J'aimerais savoir ce que vous comptez faire par rapport à cette situation dramatique.
Ma deuxième question porte sur l'Agence générale des équipements et produits de santé (Ageps). Quand vous avez été entendu par la commission d'enquête sur la pénurie de médicaments, je vous ai signalé que 40 à 50 équivalents temps plein (ETP) étaient menacés au sein de l'Ageps. Vous deviez revenir vers moi sur ce sujet. Avez-vous aujourd'hui des éléments à partager avec nous ?
Concernant la pénurie de médicaments, je vous demande de nous recevoir, la présidente de la commission d'enquête et moi-même, pour que nous vous donnions des détails sur le rapport que nous avons produit.
Concernant, enfin, l'établissement de la liste des médicaments essentiels, il semble que la méthode d'élaboration ne fasse pas l'unanimité, notamment auprès de la HAS. J'aimerais vous entendre à ce sujet.
Mme Michelle Meunier. - Monsieur le ministre, ma question se situe à la limite de votre portefeuille : elle concerne la sécurité numérique. Comme vous le savez, on assiste depuis quelque temps à des piratages contre des centres hospitaliers. Quand les attaquants comprennent qu'ils n'obtiendront pas d'argent, ils n'hésitent plus désormais à divulguer des gigaoctets de contenus sensibles sur les données de santé. Comment pensez-vous pouvoir aider les hôpitaux, en France, à se doter de systèmes de sécurité informatique capables de lutter contre ces cyberattaques ?
Mme Émilienne Poumirol. - Je m'inquiète aussi de la dérive marchande de notre système de santé et je voudrais vous interpeller sur les centres de soins non programmés qui prolifèrent en ce moment. Mon attention a été appelée sur le cas du CHU de Toulouse, car 70 % des urgences sont aujourd'hui orientées vers l'hôpital public, contre 2 % à 3 % pour le secteur privé. Bien entendu, les urgences les plus graves sont envoyées à l'hôpital public, qui se trouve de plus en plus étouffé.
Par ailleurs, nombre d'urgentistes sont allés chercher dans les CNSP des conditions plus confortables d'exercice de leur métier. Ces centres fonctionnent effectivement de 8 heures à 20 heures, mais jamais la nuit ni le week-end. Que va-t-on faire de ces centres ? Va-t-on, comme vous le dites, les obliger à participer au moins aux tours de garde ?
Comment éviter, en outre, le rachat des centres de soins primaires, qui fonctionnent aujourd'hui avec les médecins libéraux et la Croix-Rouge et qui pourraient être « ubérisés » demain ? La recherche du bénéfice à tout prix, dans l'accès à la santé, est quelque chose qui doit nous inquiéter.
M. François Braun, ministre. - Concernant, tout d'abord, MonSoutienPsy; je vous confirme les données de juin 2023, qui font état de 585 839 consultations prises par 131 127 patients. En effet, seuls 2 300 psychologues y prennent part, ce qui est très largement insuffisant. J'en discuterai avec eux, mais, vous le savez, les psychologues ne sont pas des professionnels de santé ; ils n'ont, par conséquent, pas accès aux dossiers médicaux, ce qui est indispensable pour prendre en charge, en premiers secours, des patients psychiatriques.
Concernant la disponibilité des données de santé, je rappelle qu'elles sont essentielles pour répondre aux besoins de santé de la population, depuis le diagnostic initial jusqu'à l'évaluation des mesures que nous mettons en place.
Notre principe est celui d'un hébergement souverain de ces données. C'est l'objectif donné par le Président de la République. Il faut le faire en France et, à tout le moins, à l'échelon européen. Nous avons beaucoup de données de santé disponibles dans notre pays : nous devons les rendre cohérentes, notamment en les croisant avec celle du Health Data Hub, ou entrepôt de données de santé, pour en tirer la substantifique moelle. Je lie cet enjeu à celui, tout à fait majeur, de Mon espace santé, ce carnet de santé numérique pour l'ensemble de nos concitoyens. Je souhaite, d'ailleurs, le rattacher à notre politique de prévention, car il est un outil de suivi précieux sur le temps long, je pense par exemple à l'obésité de l'enfant qui peut être étudiée sur une durée de vingt ans.
Sur le cas de Reims, nous verrons cela prochainement avec le doyen de l'UFR de médecine de l'université, Mme Pham.
Concernant la prévention de la santé dans la fonction publique, et plus précisément la santé des soignants, j'en ai confié la mission à Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Le rapport n'est pas encore finalisé. Des questionnaires ont été envoyés puis remplis par environ 50 000 soignants : leur analyse est en cours.
L'enjeu sur la sécurité des soignants est grand lui aussi. J'attends les résultats d'un audit sur la sécurité demandé à tous les établissements de santé.
Concernant la psychiatrie en Île-de-France, j'ai effectivement été alerté de cette situation compliquée. Néanmoins, je ne désapprouve pas le droit de dérogation dont disposent les ARS. Lorsqu'un secteur est saturé, il est bon de sortir de ce secteur pour se diriger vers un autre, susceptible lui d'accueillir les patients. De ce point de vue, la plateforme de régulation régionale qui a été mise en place est une bonne chose. Sans doute faut-il la doter de plus de moyens. Elle répond à cette logique territoriale dont je parlais tout à l'heure, particulièrement utile pour l'aval des services d'urgences d'une façon générale.
Concernant l'Ageps, d'après mes informations, il n'y a pas de menace de suppression d'emplois. Nous menons une réflexion sur l'évolution de ses activités, une réflexion liée, comme vous le savez, à la question des pénuries de médicaments.
Mme Laurence Cohen. - Ainsi, depuis notre commission d'enquête, aucune suite n'a été donnée au projet de suppression d'emplois ? Nous servons donc à quelque chose...
M. François Braun, ministre. - À propos des pénuries de médicaments, je vous accueille dès que possible, bien entendu. Je suis extrêmement attentif à ce sujet. C'est d'ailleurs une politique qui est menée à l'échelon européen et, dans ce cadre, la France soutient une proposition belge sur la lutte contre les pénuries comportant quatre axes : le premier porte sur la solidarité européenne ou sur la possibilité d'aider les pays en difficulté sur certains produits ; le deuxième porte sur la souveraineté européenne à la production des principes actifs ; le troisième porte sur la transparence en matière de production des produits de santé, notamment sur les questions de prix ; et le quatrième porte sur l'élaboration d'une liste de médicaments essentiels à l'échelon européen.
Vous m'interrogiez sur ce dernier point et, je le répète, même si la HAS n'a pas été consultée pour l'élaboration de la liste française, la méthodologie me satisfait, car la parole a été donnée de manière équilibrée à la fois aux professionnels de terrain et aux experts.
La question sur les cyberattaques vient à propos. J'étais ce matin à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui, depuis hier 19 heures, a lancé dans deux de ses établissements, et pendant vingt-quatre heures, un exercice d'une ampleur inégalée en France. Il illustre notre stratégie sur le risque cyber. Outre le respect des mesures barrières et la conduite d'audits, elle consiste, de concert avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), à sensibiliser les établissements aux bonnes pratiques et aux bons réflexes à adopter en cas d'attaque. Tous les établissements identifiés comme essentiels ont déjà réalisé un exercice cette année et en feront d'autres. Nous mettons, davantage encore, l'accent sur les établissements les plus directement concernés par l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques. Il s'agit de se préparer au mieux à d'éventuelles attaques, dont nous avons mesuré le danger qu'elles représentent au cours de l'été 2022.
La dernière attaque en date, à Rennes, a très vite été bloquée. C'est ce vers quoi nous devons tendre, face à un risque qui s'accroît. Sans entrer dans les détails des diverses attaques survenues, leurs causes tiennent principalement soit à des mises à jour qui ne sont pas effectuées en temps et en heure sur des failles pourtant identifiées, soit à l'ouverture de pièces jointes de courriels.
Je termine avec la dérive marchande. Oui, les centres de soins immédiats non programmés qui s'installent devront participer à la permanence des soins. C'est, comme je vous le disais, un principe de droits et de devoirs, et je m'en fixe l'objectif. J'attends néanmoins une évaluation du modèle financier de ces services, qui sont souvent une porte d'entrée pour des établissements privés. Non rentables en tant que tels, parce que le simple paiement à l'acte ne suffit pas à garantir leur équilibre, ils sollicitent le financement public attribué aux urgences. Ils devront donc rendre des comptes.
Quand, à Toulouse, des services privés ne prennent en charge que 4 %, semble-t-il, des urgences, nous sommes confrontés à un vrai problème de régulation médicale et d'orientation. Des initiatives à Lyon, que j'avais dupliquées à Metz, consistaient à réunir l'ensemble des acteurs locaux autour d'une même table et à leur demander quel type de patients ils prenaient. Ma réflexion sur la permanence territoriale des soins nous conduit ainsi à redéfinir les secteurs, à identifier qui répond aux besoins et à nous mettre collectivement d'accord sur la répartition des patients.
Dans les services d'urgence privés et les centres de soins immédiats non programmés, les urgentistes ne gagnent pas mieux leur vie ; ils bénéficient simplement de meilleures conditions de travail, puisqu'ils ne travaillent plus la nuit ni le week-end. Désormais, ils devront participer à l'effort global et travailler la nuit et le week-end.
M. Alain Milon. - Pour avoir eu l'honneur de rapporter toutes les grandes lois de santé depuis la loi hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009, je pense que des lois de ce type sont le meilleur moyen d'éluder les difficultés. Avant le vote de la loi HPST, l'Assemblée nationale avait traité des ARS le dernier jour, entre minuit et deux heures du matin. Avant celui de la loi santé que Marisol Touraine portait, nous n'avions consacré que deux heures à l'examen de dispositifs aussi importants que les groupements hospitaliers de territoire (GHT) ou les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), en raison de sujets parasites tels que les taxes sur le tabac et l'alcool, qui nous avaient mobilisés plus d'une journée. Je vous rejoins donc sans réserve quand il s'agit de dire que les grandes lois sont la meilleure façon de parasiter les transformations majeures à mettre en place...
Je vous rejoins encore sur l'importance de l'effort de territorialisation et de proximité du soin. Cependant, je m'inquiète de l'attitude de l'État qui consiste, lors qu'il va vers les territoires, à solliciter le financement des collectivités pour ses propres réalisations et, en cas de refus, à refuser à son tour le sien. Attention donc à la manière dont nous allons demander aux collectivités territoriales de financer les maisons de santé, les CPTS, les hôpitaux locaux, etc. C'est un danger que nous avions déjà rencontré dans la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) et que nous avions essayé de limiter par l'instauration de conditions inspirées des lois de décentralisation de 1983 en matière d'éducation nationale.
Je rejoins par ailleurs Bernard Jomier sur le constat d'une financiarisation et d'une ubérisation de la santé. Quoiqu'on fasse d'intéressant et d'utile sur la réorganisation du financement de la santé, il faudra revenir à des questions d'ordre général et national relatives à la répartition des financements et des paiements entre l'assurance maladie et les mutuelles. La commission des affaires sociales en a discuté avec la Cour des comptes : la France dépense 250 milliards d'euros par an pour la santé de ses concitoyens, mais elle les dépense certainement mal ; comment mieux employer ces dépenses ?
Monsieur le ministre, la question extrêmement technique que je souhaite vous poser sur les soins sans consentement ne requiert pas de réponse immédiate ; il s'agit en fait d'une question écrite que je vous avais adressée il y a deux mois et à laquelle je n'ai reçu aucune réponse. La division du contrôle et des questions du Sénat m'a autorisé à la poser de nouveau. Je vous la renverrai donc en vous demandant, cette fois-ci, une réponse écrite.
Mme Laurence Rossignol. - J'ai deux questions et un cadeau pour le ministre !
Quel est votre point de vue sur les différentes propositions de loi qui visent à supprimer l'aide médicale d'État pour lui substituer une aide d'urgence ?
Au sujet des IPA, qui interviennent en psychiatrie, avez-vous veillé à ce que leur rémunération ne soit pas supérieure à celle des psychologues cliniciens qui exercent au sein de l'hôpital public ? J'attire votre attention sur le fait que le niveau de salaire d'embauche de ces derniers demeure très bas. Or, si je vous entends bien, le secteur de la psychiatrie entend s'appuyer aussi sur leurs compétences, mais encore faudrait-il leur proposer des salaires corrects.
Quant au cadeau, je me déplace pour vous l'apporter : il s'agit du rapport d'information que la délégation au droit des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes vient de produire sur la santé des femmes au travail.
M. François Braun, ministre. - Je vous remercie, madame la sénatrice.
Mme Laurence Rossignol. - J'imagine qu'un membre de votre cabinet le regardera...
M. François Braun, ministre. - Mais moi aussi !
Mme Laurence Rossignol. - Vous y trouverez des propositions qui concernent autant la santé que le travail.
Mme Nadia Sollogoub. - Je suis élue dans la Nièvre. À Nevers, l'hôpital public se porte particulièrement mal et nous sommes heureux de pouvoir compter aussi sur une clinique privée. J'apprécie donc de vous entendre dire que le système de santé prend appui sur les deux secteurs, le public et le privé. Pourtant, ce dernier n'est appelé à participer aux GHT ni aux conseils territoriaux de santé (CTS). Un déséquilibre manifeste apparaît dans nos travaux. On a l'impression que, plutôt que d'être complémentaires, ces deux secteurs se livrent sur le terrain à une forme de concurrence, en particulier dans le recrutement des infirmières.
Je me réjouis que nous ayons abordé le sujet des maîtres de stage universitaires en médecine générale. Pour ma part, je demande systématiquement à tous les médecins généralistes de mon département s'ils en exercent bien les fonctions. Ils me répondent en général qu'ils doivent se rendre à Dijon pour se former, ce qui s'avère extrêmement compliqué pour eux, qui sont déjà débordés. Par ailleurs, si les maîtres de stage ont tous vocation à avoir un stagiaire avec l'instauration d'une quatrième année, nombre d'entre eux n'en ont pas pour l'instant. Enfin, au sujet des crédits de formation, un changement, me semble-t-il, est intervenu : désormais, quand les médecins généralistes se forment à la maîtrise de stage, la formation s'impute sur leur crédit global de formation, de sorte qu'il leur faut choisir...
M. François Braun, ministre. - Non, ils ont un quota.
Mme Nadia Sollogoub. - C'est ce que l'on m'avait rapporté...
J'en viens aux praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue). Nous tenons tous au maintien de l'excellent niveau de formation de nos médecins et il ne s'agit pas d'accepter n'importe qui, n'importe comment. Néanmoins, si une différence s'impose entre les médecins en provenance d'États extérieurs à l'Union européenne et ceux qui résident en France de longue date, qui en connaissent le système de santé et en maîtrisent la langue, on leur prescrit parfois certaines choses impossibles à réaliser : notamment des formations dans lesquelles aucune place n'est disponible ou qui, parce qu'elles s'organisent en plusieurs sessions, les privent trop longtemps de ressources.
Je crois que 100 millions d'euros étaient consacrés au covid long. Cette somme a-t-elle suffi à la prise en charge correcte des très nombreux malades que leur affection soumet à de grandes difficultés ? Vous avez évoqué un premier budget hors covid-19, mais il me semble au contraire que nous nous inscrirons désormais toujours dans des budgets covid-19 ; ne perdons pas de vue les covid longs.
Mme Annie Le Houerou. - Je me réjouis d'entendre que la contribution à la permanence de soins sera mieux répartie. Je pense que cette nouvelle répartition apporte l'une des réponses à l'urgence de la situation. Nous assistons en effet à une fuite des médecins des hôpitaux qui rejoignent les centres de soins non programmés et à l'organisation de deux circuits parallèles. La première raison en tient à la permanence des soins.
Ma question concerne votre politique de suspension des maternités. Je souhaite connaître votre avis sur les maternités de niveau 1 : suivez-vous les recommandations du rapport Yves Ville ?
Pour avoir participé à plusieurs conseils d'administration d'établissements de santé psychiatrique, je puis vous dire que l'inquiétude prévaut dans ce secteur sur l'application d'un critère de financement populationnel, en raison de sa très grande complexité.
Vous avez parlé de libérer les initiatives territoriales. La formation onéreuse du personnel paramédical - kinésithérapeutes, ergothérapeutes, infirmières - relève de la compétence des régions. Or celles-ci ne disposent à ce jour pas de la capacité financière pour l'assurer et répondre aux besoins de santé. L'accompagnement des étudiants eux-mêmes reste difficile et beaucoup d'entre eux se retrouvent en situation de précarité.
Pour assurer leur fonctionnement, un certain nombre d'établissements, notamment des hôpitaux de proximité, recourent largement aux Padhue. Cette année, quelque 800 d'entre eux se portent candidats à la régularisation, pour une vingtaine de places seulement. Autant dire que c'est presque « Mission : impossible », alors que, au bord de la rupture, notre système de santé a besoin de leurs services.
En matière de prévention, la caisse primaire d'assurance maladie nous invite aimablement par courrier à ne pas omettre certaines consultations de dépistage. Or, passé cette information, je constate que dans mon département, aucun service médical de consultation ne peut proposer de rendez-vous avant un délai d'un an. C'est un scandale !
Mme Brigitte Devésa. - Je vous remercie de toutes vos réponses, monsieur le ministre. Je souhaite pour ma part vous poser une question sur les médecins exclus du Ségur de la santé, dont les dispositions ont été étendues par décret en 2022 à tout le personnel soignant. Or la loi de finances rectificative pour 2022 qui portait cette mesure n'a pas transformé la prime Ségur des médecins en complément de traitement indiciaire.
J'ai été interpellée en outre par les médecins de la protection maternelle et infantile de mon département, car on observe une aggravation de l'état de santé des enfants, pour lesquels la prévention et le repérage médical précoce sont essentiels. Du reste, les médecins m'ont également alertée sur la difficulté de recruter dans ce domaine.
Si vous ne pouvez me répondre dans l'immédiat, je le comprendrai.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Monsieur le ministre, notre commission doit adopter la semaine prochaine un rapport d'information sur les données de santé. Par ailleurs, nous aurons sans doute à étudier la question des Padhue au cours de la prochaine session.
M. François Braun, ministre. - Monsieur Milon, si je vous ai bien compris, si je vous présente un grand projet de loi de santé, ce sera que je veux cacher quelque chose ; je serai donc prudent...
Sur l'ubérisation, terme employé à plusieurs reprises, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, si j'ose dire. Il y a aussi un aspect de l'ubérisation qui fonctionne très bien : c'est Entr'Actes, outil utilisé par les professionnels de santé d'une CPTS. Par exemple, si un médecin généraliste a besoin d'un scanner dans les vingt-quatre heures pour l'un de ses patients, il peut demander cet acte via l'application et les radiologues connectés qui ont un créneau disponible proposent leurs services. On entend souvent l'ubérisation en mauvaise part, mais il y a aussi des aspects positifs, qu'il convient de conserver.
Monsieur Milon, je veux profiter de votre question pour vous présenter mes excuses pour mon délai de réponse à votre question écrite, d'autant que le raccourcissement de nos délais de réponse est un objectif fixé par la Première ministre. Vous le savez, mes services sont ceux qui reçoivent le plus de questions écrites - c'est colossal -, alors que leurs effectifs sont en grande tension. Nous faisons le maximum, nous avons rattrapé quelques mois de retard, mais il reste des délais et je suis le premier gêné, quand je signe un courrier, de voir la date de la question...
Madame Rossignol, vous me posez la question de l'AME. Ma position à ce sujet est claire : ce dispositif, tel qu'il existe, me paraît très bon et il faut le préserver. L'augmentation du coût global de l'AME n'est nullement liée à l'augmentation du coût moyen par bénéficiaire de l'AME, il est directement lié au nombre de bénéficiaires. Il n'y a donc pas de dérive. C'est un coût important en volume mais très faible comparativement au budget global de la santé. Enfin, c'est une nécessité non seulement de santé publique, évidemment - cela évite les contagions, donc les épidémies, en cas de maladie infectieuse -, mais aussi d'humanisme ; or notre système de santé est humaniste et doit le rester.
Sur la rémunération des IPA par rapport aux psychologues cliniciens, il n'y a pas de lien évident entre les deux : ils n'ont pas fait les mêmes études et n'ont pas les mêmes modes d'exercice, puisque les psychologues cliniciens ont 30 % de leur activité préservée pour faire de la formation. Bref, c'est difficilement comparable en l'état. Néanmoins, je cherche à ce que les personnes travaillant dans le domaine de la santé soient rémunérées le mieux et le plus justement possible par rapport à leur valeur. Je suis très attentif à la situation des psychologues cliniciens, mais leurs conditions d'exercice sont tellement différentes de celles des IPA que la comparaison m'est difficile.
Concernant la formation des maîtres de stage universitaires, je vous confirme, madame Sollogoub, que ces temps de formation sont hors quota, donc il n'y a pas de choix à faire entre l'encadrement d'un stagiaire et une autre formation. C'est le cas depuis plus d'un an, donc il faut que les médecins l'aient bien en tête. En outre, ils bénéficient de toutes sortes de formations différentes, assurées le cas échéant par des organismes rattachés à leur syndicat professionnel. La gamme est donc très large et ils n'ont pas besoin de se rendre chaque fois à Dijon ou ailleurs. Ils doivent négocier avec leurs partenaires syndicaux pour avoir des formations locales, cela semble largement atteignable.
En ce qui concerne les Padhue, il faut d'abord se réjouir d'avoir résorbé le stock d'un peu plus de 3 000 personnes qui attendaient depuis très longtemps.
Le principe de ce statut repose sur l'obtention d'un examen d'évaluation des compétences générales en médecine et la validation éventuelle de la spécialité. Pour celle-ci, il y a des jurys par spécialité, portés par le conseil de l'ordre et auxquels participent des professionnels de santé - je l'ai fait pendant plusieurs années pour la médecine d'urgence - ainsi qu'un représentant du ministre de la santé. À l'issue du parcours de la personne, ce jury définit des moyens complémentaires, selon qu'il est ou non nécessaire de compléter la formation ; cela peut aller d'un stage de six mois à une formation complémentaire de trois ans, selon le parcours du titulaire. C'est donc un dispositif adapté aux compétences professionnelles. La proposition de loi déposée par M. Valletoux permet, d'une part, de faciliter et d'accélérer les procédures actuelles et, d'autre part, d'introduire le « passeport talents » pour les professionnels de santé - médecins, pharmaciens, dentistes et sages-femmes. Grâce à ce titre, qui existe déjà pour les chercheurs, un médecin qui signerait un contrat avec un établissement français avant de venir dans notre pays pourrait demeurer treize mois sur le territoire national et, en cas de réussite à son examen à l'issue de cette période, pourrait bénéficier d'un visa de quatre ans avec la possibilité de faire venir sa famille. C'est la question du salaire minimum qui justifie un distinguo entre le « passeport talents » des professionnels de santé et celui des chercheurs. Environ 2500 praticiens devraient réussir l'examen cette année.
S'agissant de la prévention et l'aval, vous avez raison. Je ne veux pas de réponse ponctuelle mais la mise en place de parcours clairement identifiés pour les trois âges clés de la vie, ce qui prend du temps. Nous devrions être prêts au 1er octobre pour la première tranche d'âge identifiée. Il faut définir la façon dont on prévient les personnes concernées, comment on les oriente vers les professionnels idoines, comment on construit l'aval derrière.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Quelle sera la première tranche d'âge ciblée ?
M. François Braun, ministre. - Même si l'arbitrage n'est pas définitif, cela devrait être la tranche 45-50 ans. En tout cas, on ne peut pas démarrer avec les trois tranches d'un coup pour de multiples raisons, notamment de communication.
Pour ce qui concerne les médecins de PMI, j'ai transmis votre remarque au ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées, Jean-Christophe Combe, qui a la main sur ce sujet.
S'agissant des maternités, je rappelle que le rapport de M. Yves Ville a été rédigé pour l'Académie de médecine et non pour le ministère. Si ses préconisations ne me lient donc pas, je reconnais qu'il est très bien fait et pose les vrais problèmes. Pendant des années, on a « garroté » l'hôpital - et donc les maternités - pour des raisons financières. Il en résulte une pénurie de professionnels susceptible de mettre en danger les femmes et les enfants au moment de l'accouchement. Une maternité doit disposer de trois types de spécialistes - le pédiatre, le gynécologue-obstétricien et l'anesthésiste - en permanence, y compris la nuit et le week-end, ce qui est une énorme difficulté. Ma responsabilité en tant que ministre est d'assurer la sécurité des femmes qui accouchent, ce qui n'est pas possible dans les établissements ne pouvant assurer la continuité, 24 heures sur 24, des trois spécialités dont j'ai parlé. Je ne veux pas davantage participer aux dérives de l'intérim ayant permis à certains professionnels d'être rémunérés 500 000 euros par an en maternité.
Nous devons donc nous réorganiser dans une logique territoriale. L'acte même de l'accouchement est à haut risque : s'il se passe bien dans 98 % des cas, il peut conduire à des conséquences dramatiques, pour la mère comme pour l'enfant, en cas de complications s'il n'y a pas le plateau technique adéquat. Comme le souligne Yves Ville, la période critique, à sécuriser à tout prix, se termine environ trois heures après l'accouchement. Au-delà, il n'y a plus de risques liés à l'acte d'accouchement. Ce délai semble très court mais je signale qu'à Mayotte, les femmes quittent la maternité à la quatrième heure et sont prises en charge dans des centres de soins.
Dès lors, l'expérimentation de clinique territoriale que nous mettons en place à Autun consiste à ne toucher ni à la structure ni au personnel de la maternité d'Autun qui continue de prendre en charge les parturientes avant l'accouchement, les femmes sont ensuite transférées au besoin au moyen de consultations avancées au Creusot, qui dispose d'un plateau technique complet, pour l'accouchement lui-même en ambulance avec une sage-femme, avant un retour dans les douze heures après l'accouchement à la maternité d'Autun qui assure la suite des soins. On arrive ainsi à sécuriser l'accouchement sans déstructurer le territoire. De toute façon, je le répète, nous n'avons pas le nombre de professionnels suffisant pour assurer un maillage complet.
Mme Annie Le Houerou. - On peut avoir la volonté d'atteindre ce nombre...
M. François Braun, ministre. - Nous avons cette volonté mais il s'agit de perspectives à dix ans puisque les sages-femmes n'assureront pas les accouchements les plus compliqués et que nous ne transformerons pas les chirurgiens esthétiques en gynécologues-obstétriciens.
Aux élus de terrain que vous êtes, je veux dire que je pense sincèrement qu'on ne peut plus tout faire partout parce que la médecine devient de plus en plus spécialisée et parce que les actes sont de plus en plus techniques. Il s'agit d'un principe ancien, qui se reflétait déjà quand, il y a vingt ans, on a dit qu'il fallait rapprocher les patients victimes d'un infarctus d'un plateau de coronarographie avant de revenir dans son établissement de départ 48 heures plus tard. Cela a fait réagir au début mais n'est désormais plus contesté par personne - et on a ainsi fait chuter la mortalité de façon remarquable.
Mais je ne veux en aucun cas dévitaliser les territoires. Parlant avec une collègue présidente de la CME d'un établissement situé dans une vallée de montagne qui craignait les conséquences du départ à la retraite de son chirurgien orthopédiste, je lui ai fait observer les risques qu'il y avait de ne disposer que d'un seul chirurgien. Ce qu'il convient de faire, c'est de continuer à organiser les consultations dans l'hôpital de proximité, éventuellement en téléconsultation pour l'anesthésie, au grand établissement situé plus loin pour l'acte lui-même avant un retour à l'établissement de proximité pour les suites de soins et la rééducation. C'est ce que nous devons construire demain. À défaut, vous me reprocheriez légitimement la hausse de la mortalité liées à certains actes. Nous devons être pragmatiques dans cette organisation - dans une logique de soins et non financière, les établissements de proximité devant d'ailleurs être sécurisés dans leur budget.
Mme Catherine Deroche, présidente. - C'est l'éternelle difficulté de concilier qualité et proximité. Nous avons tous des exemples à l'esprit. Dans un récent colloque au Sénat que j'ai parrainé sur les relations soignants - patients, a été soulignée l'importance de la prise en charge de la femme au moment de l'accouchement et plus particulièrement l'importante corrélation entre dépression post-partum et, bien plus tard, suicide des adolescents. À mon sens, la qualité de cette prise en charge devrait être un critère pris en compte en matière de financement des établissements.
Merci, Monsieur le ministre, d'avoir pris le temps de répondre à nos questions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'espace européen des données de santé -Désignation d'un rapporteur
Mme Catherine Deroche, présidente. - La commission des affaires européennes a adopté hier une proposition de résolution européenne de Pascale Gruny et Laurence Harribey sur l'espace européen des données de santé. Il s'agit d'un sujet qui intéresse notre commission, d'autant que notre groupe de travail sur les données de santé doit rendre ses conclusions la semaine prochaine. Je vous propose de vous saisir de cette PPRE afin d'en accélérer la transformation en résolution du Sénat.
La commission désigne Mme Catherine Deroche rapporteure de la proposition de résolution sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'espace européen des données de santé (COM(2022) 197 final).
La réunion est close à 13h45.