- Mardi 30 mai 2023
- Mercredi 31 mai 2023
- Projet de loi de programmation militaire - Audition de l'amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine
- Projet de loi de programmation militaire - Audition du général Pierre Schill, chef d'état-major de l'armée de Terre
- Projet de loi de programmation militaire - Audition du général Stéphane Mille, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace
Mardi 30 mai 2023
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La séance est ouverte à 16 h 30.
Questions diverses
M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, je vous rappelle quelques éléments de calendrier sur le projet de loi de programmation militaire (2024-2030). Le délai limite pour le dépôt des amendements en commission est fixé au lundi 12 juin à 12 heures et celui pour le dépôt des amendements en séance publique au jeudi 22 juin à 12 heures.
Nous examinerons les amendements de séance le mardi 27 juin au matin.
La discussion en séance publique devrait se dérouler du mardi 27 juin à partir de 14 h 30 au jeudi 29 juin avec éventuellement le vendredi 30 juin si besoin.
Projet de loi de programmation militaire - Audition du général Thierry Burkhard, chef d'état-major des armées
M. Christian Cambon, président. - Nous poursuivons notre cycle d'auditions préparatoires à l'examen du projet de loi de programmation militaire (LPM) en recevant cet après-midi le général d'armée Thierry Burkhard, chef d'état-major des armées.
Vous vous en doutez, votre audition était attendue par nos collègues. Nos travaux doivent éclairer ce texte structurant pour nos forces. D'une manière générale, nous souhaiterions vous entendre sur la vision stratégique qui sous-tend ce projet de LPM. Le ministre nous a présenté les dix « patchs » de modernisation prioritaires : renseignement, cyber, espace, fonds marins, outre-mer, soutien, spatial, munitions, etc. Mais nous souhaiterions que vous reveniez sur la manière dont ils s'articuleront entre eux et sur la doctrine opérationnelle sous-jacente, dont nous pouvons parfois avoir du mal à percevoir les contours exacts.
Surtout, nous souhaiterions avoir votre analyse sur la question fondamentale à laquelle une LPM devrait répondre : quel modèle d'armée pour demain ? Il semble que le projet diffère la réponse, puisqu'il y a à la fois une volonté de préserver un modèle d'armée complet, et en même temps une poursuite de l'approche « échantillonnaire ». Le ministre nous a déclaré, à ce sujet, que la « cohérence » comptait plus que la masse.
S'agissant de la question des moyens budgétaires, l'effort nominal est important : 118 milliards d'euros supplémentaires par rapport à la précédente programmation. Mais l'effort réel est incertain compte tenu de l'inflation et du « hiatus » de 13,3 milliards d'euros, pour reprendre les termes du président du Haut Conseil des Finances publiques (HCFP), Pierre Moscovici.
Vous nous direz ce que nos armées attendent concrètement de ces moyens supplémentaires et si, au-delà des éléments de langage, cette LPM vous semble réellement en mesure de transformer nos armées ou si elle permettra, du moins, une consolidation des efforts de réparation entrepris dans le cadre de la LPM actuelle.
Au niveau capacitaire, le projet de LPM prévoit de nombreux étalements de programmes majeurs. C'est à ce sujet que le ministre nous exposé un choix délibéré visant à privilégier la cohérence sur la masse, comme je l'ai déjà indiqué. Si nous pouvons comprendre qu'il peut être préférable de disposer d'un nombre plus limité d'équipements disponibles qu'un parc important de matériels indisponibles, dans le même temps, le retour d'expérience ukrainien a démontré que nous devions gagner en épaisseur et masse. Dans un contexte budgétaire contraint, comment arbitrer entre ces deux objectifs ?
L'équilibre entre l'exigence de cohérence et la nécessité de la masse n'est pas facile à trouver, et ce d'autant moins que le contexte géopolitique est volatil.
Ces « révisions de cadencement » ne sont-elles pas de nature à exposer nos forces à un risque accru de rupture de capacité du prolongement de matériels en fin de vie, et de l'usure accélérée de matériels récents, mais peu nombreux ?
Par ailleurs, le prolongement de parcs hétérogènes ne risque-t-il pas de se traduire par un renchérissement du coût du maintien en condition opérationnelle (MCO) ?
S'agissant de l'activité opérationnelle, la provision annuelle prévue pour couvrir les opérations extérieures (Opex) et les missions intérieures (Missint) devrait passer de 1,2 milliard d'euros en 2023 à 750 millions d'euros à partir de 2025 afin de prendre en compte la fin de l'opération Barkhane et l'évolution du dispositif Sentinelle après les jeux Olympiques de 2024.
Pour autant, dans un contexte de forte instabilité géopolitique, la diminution du montant de la dotation destinée au financement des Opex et des Missint vous semble-t-elle cohérente avec le retour de la haute intensité ? En effet, nous ne souhaiterions pas revenir à la pratique très contestable des sous-budgétisations, qui se traduisaient par une diminution des ressources du ministère des armées du fait d'un recours insuffisant à la solidarité interministérielle.
Après votre propos liminaire, je donnerai la parole à mes collègues pour un échange de questions-réponses, en commençant par nos rapporteurs budgétaires qui m'assistent dans la préparation de mon rapport.
Disposez-vous, en outre, d'éléments sur la situation au Kosovo et sur l'attaque de drones qui a frappé Moscou cette nuit ?
Mon général, vous avez la parole.
Général Thierry Burkhard, chef d'état-major des armées. - Au sujet de l'attaque de drones qui a visé Moscou, la capacité de destruction des drones envoyés sur Moscou n'est en rien comparable à ceux qui frappent Kiev. Il n'en demeure pas moins que la portée symbolique de cette action est importante : elle montre aux Russes que nul n'est à l'abri de la guerre. Il s'agit avant tout d'une manoeuvre dans le champ des perceptions.
La situation au Kosovo s'enracine dans les tensions que connaît la région depuis longtemps. Des élections municipales ont eu lieu en décembre ; les Serbes du Kosovo les ont boycottées et des maires albanais ont été élus, y compris dans des municipalités du nord du pays à majorité serbes - à Zubin Potok, Mitrovica Nord et Zvecan. Lorsque ces maires ont voulu prendre leurs fonctions, les Serbes s'y sont opposés ; la police et la Force des Nations unies pour le Kosovo, la KFOR, sont intervenues : vingt-huit Casques bleus appartenant aux contingents hongrois et italien ont été blessés, dont cinq grièvement. Le niveau de tension est élevé en Serbie. L'armée serbe est en état d'alerte à la frontière, même s'il n'y a pas eu d'incident.
Avant d'aborder la loi de programmation militaire, je reviendrai sur l'action de nos armées ces derniers mois, qui fournit un aperçu des scénarios auxquels notre armée est confrontée et doit se préparer.
L'Indopacifique est la zone emblématique de la compétition, elle devient de plus en plus le centre de gravité du monde et la France y a des intérêts et des atouts importants, notre capacité d'action doit être conçue en prenant en compte la tyrannie des distances, et donc les délais d'action. Cela permet d'assumer la compétition dans cette zone. Nous avons mené récemment une manoeuvre de signalement stratégique, l'exercice Croix du Sud, qui a impliqué dix-neuf nations. Nous avons employé des éléments des forces armées de la Nouvelle-Calédonie ainsi que le groupe Jeanne d'Arc, qui est venu de métropole : il s'agissait principalement d'un scénario reflétant une action humanitaire à la suite d'une catastrophe naturelle, car ce type de mission est sans doute celui qui répond le mieux aux attentes des différents pays de la zone. Ces pays, déjà soumis à la pression chinoise, font face aux conséquences du changement climatique et sont demandeurs d'une aide en la matière. Nous devons donc mettre l'accent sur ce domaine.
L'Afrique est le continent de la contestation si je reprends la grille de lecture stratégique des armées. La menace terroriste s'étend en direction du golfe de Guinée. L'instabilité est chronique, entretenue par nos différents compétiteurs, dans un contexte de vive défiance à l'égard de l'Occident. Nos forces doivent donc être prêtes à tout.
C'est ainsi que nous avons mené, entre le 22 et le 28 avril, l'opération Sagittaire, qui a permis de rapatrier du Soudan plus de 1 000 personnes de 80 nationalités différentes, dont plus de 250 Français. Nous nous sommes appuyés sur notre point d'appui de Djibouti, ce qui illustre l'importance stratégique de nos positions avancées. Nous avons procédé à sept rotations d'A400M, depuis un aéroport situé au nord de Khartoum, et à deux rotations de C130 pour réaliser l'évacuation primaire entre Khartoum et Djibouti. L'évacuation secondaire vers l'Europe, a, elle, été effectuée par des vols civils affrétés. La frégate multi-missions (Fremm) Lorraine , qui était en mer Rouge, a évacué en outre 400 personnes, employés et familles de l'ONU, entre Port-Soudan et Djeddah. Nous avons aussi rapatrié par voie aérienne militaire d'autres personnes des Nations unies depuis El Fasher vers N'Djamena.
Le niveau de risque de cette opération était élevé. Les factions sont incontrôlables. Un commando de marine a d'ailleurs été très grièvement blessé. Le module de chirurgie vitale (MCV) qui avait été déployé sur l'aéroport de Khartoum lui a sauvé la vie. Il est rentré en France et son état est satisfaisant. Cette opération est une démonstration de notre crédibilité à l'égard de nos alliés, avec lesquels nous nous sommes coordonnés et auxquels nous avons passé la main une fois notre action terminée.
Il s'agit d'une opération menée en toute autonomie, emblématique de ce que nos forces doivent savoir faire : pour cela nous devons disposer d'A400M, de C130, de MCV, etc. Si un type de matériel nous avait manqué, nous n'aurions pas pu la réaliser de cette façon et nous aurions probablement dû prendre plus de risque. Ces opérations en effet doivent être menées dans un délai restreint. Il est difficile de penser que l'on puisse monter une action coordonnée avec nos partenaires en des délais si brefs, même en cherchant encore à améliorer nos capacités d'actions communes avec nos plus proches alliés comme nous le faisons. Les objectifs peuvent aussi varier selon les pays : en l'occurrence, certains pays voulaient évacuer leur personnel diplomatique, d'autres, leurs ressortissants, tandis que nous avions prévu d'évacuer tous nos ressortissants et ceux d'autres pays. Les modes d'action diffèrent aussi selon les pays. Nous avons procédé en souplesse, en négociant avec les différentes factions ; d'autres pays ont choisi d'employer des moyens plus lourds. Il est donc difficile de mener dans l'urgence une opération conjointe. Notre autonomie d'appréciation et d'action, fondée sur un modèle d'armée complète, même si cela a pour conséquence un caractère qui peut apparaître parfois échantillonnaire, est un gage de réactivité et d'autonomie.
En ce qui concerne le partenariat militaire opérationnel (PMO), nous devons prendre en compte les attentes de nos partenaires et adopter une démarche partenariale d'égal à égal avec les pays africains et appuyer la montée en puissance des armées locales, si nécessaire en allant jusqu'au combat. C'est ce que nous faisons avec les parachutistes nigériens par exemple. L'essentiel est la démarche de coréflexion et de coconstruction avec ces pays. Seules les armées locales seront capables de vaincre le terrorisme. Il faut donc adapter notre dispositif pour répondre à leurs besoins, en mettant notamment l'accent sur les capacités 3D, qui ne sont pas suffisamment développées et pour lesquelles les attentes sont fortes. Il faut également améliorer la perception de notre action dans ces pays, mais cela dépasse le cadre militaire et concerne aussi l'éducation, la culture, le développement économique, le sport, etc.
Sur la lutte informationnelle, un effort considérable doit être mené pour défendre notre image car c'est dans ce domaine que nos compétiteurs cherchent à s'imposer à nous. C'est un effort collectif là encore, interministériel, pas seulement militaire.
En Europe, on assiste au retour de l'affrontement entre États puissances. En Ukraine particulièrement, on observe une guerre de position, avec la volonté d'épuiser l'adversaire. La Russie mise sur le temps long, comme elle l'a fait dans le passé lors de la Seconde Guerre mondiale ou face à Napoléon. Elle est capable d'encaisser des coups tout en commençant à renouveler son potentiel. L'Ukraine ne bénéficie pas de la même profondeur stratégique. Son territoire est plus exposé aux coups de l'ennemi. L'aide occidentale contribue à augmenter la profondeur stratégique ukrainienne, mais ce facteur n'est pas totalement sous le contrôle des Ukrainiens. Ils n'ont donc pas intérêt à se laisser engager dans un conflit de long terme, d'où leur volonté de profiter de l'aide occidentale et de l'été qui va permettre de conduire des opérations pour casser la linéarité stratégique russe. Il faut également rappeler que 2024 est une année d'élections, aux Etats-Unis en particulier. La France contribue à appuyer l'Ukraine. Le président de la République a fixé l'état final recherché, lorsqu'il a déclaré que l'Ukraine ne devait pas perdre la guerre. La France fournit des systèmes d'armes et dispense des formations en France et en Pologne à l'usage de matériels français.
Le dernier « scénario » est l'exercice Orion. Il s'agit d'un exercice de grande ampleur pour préparer les conflits de haute intensité ; de nombreux alliés y ont participé. Il fut l'occasion pour les armées de faire le point sur leurs capacités. L'exercice a été riche en enseignements, d'autant plus que tout ne s'est pas déroulé comme prévu, comme dans la vraie guerre en somme.
La loi de programmation militaire, qui détaille les moyens futurs de nos armées, s'inscrit dans ce cadre. Elle ne peut pas se résumer dans un tableau Excel récapitulant les matériels achetés. Elle doit être pensée en fonction de la manière dont on veut utiliser ces matériels, de notre capacité à former des hommes entraînés et à disposer de munitions et de pièces de rechange. Un travail de réflexion très dense a été conduit sous l'égide du ministre des armées et selon les directives du Président de la République pour penser la transformation du monde et définir le rôle de nos armées. Cette réflexion s'est traduite notamment par les différents patchs que vous avez évoqués. Les armées ont conscience de la situation économique et de l'effort que consent la Nation pour leur fournir leur équipement. J'ai fixé quatre impératifs aux armées, qui traduisent les priorités de la loi de programmation militaire, en cohérence avecla revue nationale stratégique.
Le premier impératif qui est la mission première des armées est d'assurer une sécurité à 360 degrés, pour défendre notre souveraineté en métropole comme outre-mer, face à toutes les menaces, qu'elles soient physiques ou immatérielles, cyber ou informationnelles. Cela inclut d'abord une modernisation de notre dissuasion nucléaire, qui est notre assurance-vie, pour prendre en compte l'évolution de la menace et les progrès des défenses sol-air ou anti-missiles balistiques. Nous devons aussi accroître notre capacité d'action dans le cyber et l'espace. Nous devons renforcer nos déploiements outre-mer pour pouvoir agir plus vite. Enfin, il faut savoir être réactifs, pour éviter le fait accompli : c'est pourquoi l'échelon national d'urgence est renforcé.
Le deuxième impératif qui correspond à ce que les autres voient de nous est de conforter notre crédibilité. Nous devons nous adapter aux évolutions de la conflictualité marquée par une extension des domaines de lutte et une hausse de l'intensité. La France doit pouvoir être reconnue comme une nation-cadre dans les domaines terrestre, aérien ou maritime. Cela nécessite de disposer d'aptitudes en matière de systèmes d'information et de commandement, de posséder des moyens d'appui, en particulier de feux dans la profondeur que tous les pays ne possèdent pas, et de capacités logistiques. Ces facultés doivent pouvoir être mobilisées au sein de l'Otan, de l'Union européenne ou de coalitions ad hoc. Nous devons développer les savoir-faire pour être capables de conduire la guerre de demain : c'était le sens de l'exercice Orion. Celui-ci a permis de combiner les opérations et d'accélérer leur tempo, de mobiliser un vaste panel de moyens cinétiques, en matière de frappes dans la profondeur notamment, tout en agissant dans le domaine des perceptions ou le domaine cyber.
Le troisième impératif est celui de l'adaptation permanente. L'adaptation doit devenir le mode de fonctionnement normal en raison des évolutions rapides des technologies et de la conflictualité. La stabilité est un mirage. Nous réalisons un travail pour nous approprier les nouvelles technologies - l'intelligence artificielle, les drones, le cyber, les munitions téléopérées, etc. - et pour les intégrer dans nos modes d'action, pour prendre en compte les espaces contestés - le cyber, l'espace, les fonds marins - et développer de nouvelles capacités en tirant parti des nouvelles opportunités. Si la loi de programmation militaire a un horizon de six ans, cela ne signifie pas que l'effort devra s'arrêter à cette date. Au contraire, nous devons continuellement anticiper l'avenir et nous préparer. Nous devrons faire des points d'étape et procéder à des révisions régulières. Nous devons investir dans le champ de la lutte d'influence et de la guerre informationnelle pour contrer les menaces hybrides de nos adversaires. Les actions et les effets dans le champ des perceptions ne concernent pas que le militaire, mais toute la Nation : c'est une question de cohésion nationale et de résilience. Nous devons aussi systématiquement intégrer dans nos réflexions le changement climatique et la dimension environnementale. Ce levier est utilisé par nos adversaires ; nous devons l'utiliser aussi pour renforcer notre cohésion nationale et notre influence vis-à-vis de certains de nos partenaires, à l'image des petits pays de la zone indopacifique qui y sont très sensibles. Enfin, nous devons adapter notre mode de gestion des ressources humaines pour prendre en compte le décalage croissant entre les sujétions liées à l'état militaire, qui ne changeront pas, et les standards de la vie civile.
Enfin, dernier impératif dans le contexte socio-économique contraint que nous connaissons, nous devons optimiser l'emploi de l'argent public : la recherche de l'efficience doit être systématique. Cela passe par l'optimisation : nous devons tirer parti des stratégies régionales de nos partenaires pour éviter de dupliquer ces efforts avec nos moyens. Nous devons aussi être prêt à utiliser le potentiel d'opérateurs civils, peut-être pas au début d'une opération mais après un certain délai. C'est plus efficace si on le prévoit dès le début. La recherche de l'efficience passe aussi par la simplification. Les armées doivent simplifier leurs modes de fonctionnement : on travaille mieux lorsque l'on travaille simplement. Mais simplifier n'est pas simple et c'est un combat permanent ! Nous avons ainsi organisé des assises ministérielles de la simplification le 16 mai.
Sur le plan capacitaire, nous devons réinterroger la soutenabilité dans la durée de nos programmes d'armement avec la direction générale de l'armement (DGA), au-delà de l'horizon de la loi de programmation militaire, en ayant une vision stratégique et en veillant à intégrer les nouvelles technologies. Il convient par exemple de tirer les leçons de la guerre en Ukraine.
L'horizon fixé dans la loi de programmation militaire n'est donc pas un aboutissement, mais bien un début. Nous devrons utiliser au mieux le matériel et transformer nos armées. Mon point de vigilance concerne les hommes et les femmes engagés au service de la France : la politique RH doit être à la hauteur, simple, agile, en phase avec les attentes de la société, même si la sujétion du militaire reste la base et le fondement de l'existence de l'armée. Cette singularité du statut militaire fait que la France disposera d'hommes et de femmes capables, formés et conscients de ce que l'on attend d'eux. La loi de programmation militaire constitue un acte majeur. Les Français nous regardent - nous sommes responsables des 413 milliards que la nation nous octroie ! Nos partenaires et alliés nous regardent, car la France constitue une force d'entraînement en Europe. Nos compétiteurs nous regardent aussi. Comptez sur moi et sur les armées pour être à la hauteur !
M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie pour cette présentation. Celle-ci ne comporte que peu de chiffres, mais je ne doute pas que vous apporterez à nos rapporteurs des précisions en réponse à leurs questions.
M. Cédric Perrin. - Je vous interrogerai sur l'équipement des forces. Vous avez été le théoricien de la guerre de haute intensité. Or nous n'arrivons pas à voir la stratégie et le but poursuivis avec cette loi de programmation militaire. Cette dimension manquait déjà dans la revue nationale stratégique.
La modernisation des deux composantes de la dissuasion nucléaire est au coeur de la construction de cette LPM. Mais c'est un volet sur lequel nous n'avons que peu d'informations. La précédente LPM précisait au moins dans son rapport annexé que l'effort au profit de la dissuasion nucléaire s'élèverait à environ 25 milliards d'euros courants sur la période 2019-2023. Qu'en sera-t-il sur la durée de cette loi de programmation militaire 2024-2030 ? Comment va s'échelonner cet effort sur la période ?
Par ailleurs, cette LPM tire-t-elle suffisamment les enseignements de la guerre en Ukraine, en termes de masse d'équipements conventionnels ? Gagner la guerre avant la guerre, c'est le principe de la dissuasion. Nous avons la dissuasion nucléaire. Mais, pour être crédibles dans des coalitions multinationales, n'aurions-nous pas intérêt à être plus dissuasifs sur le plan conventionnel, alors que certains de nos partenaires européens ont entamé un effort de réarmement conséquent ?
Enfin, vous avez évoqué l'opération Sagittaire. Je souhaiterais vous interroger sur nos capacités de transport aérien militaire, essentiel à la projection de forces. Le projet de LPM mentionne, à ce titre, le projet de futur avion-cargo médian, développé dans le cadre de la coopération structurée permanente - Permanent Structured Cooperation (Pesco) en anglais. Mais il n'est pas question de la capacité de transport stratégique hors gabarit, qui fait, elle aussi, l'objet d'un projet Pesco. Or la destruction de plusieurs avions Antonov en Ukraine a réduit l'accès des forces armées européennes à ce type de capacité. La France va-t-elle s'investir davantage dans le projet Pesco ? Avons-nous besoin d'une capacité patrimoniale dans ce domaine ?
Mme Hélène Conway-Mouret. - Pouvez-vous faire un point sur notre aide à l'Ukraine et sur son impact pour nos armées en termes capacitaires, y compris en considérant les capacités requises pour la formation des Ukrainiens ? Êtes-vous confiant dans le financement, hors crédits budgétaires, et dans la livraison rapide de recomplètements à la hauteur des dons effectués ? L'aide à l'Ukraine est de plus en plus multiforme et surtout, elle est immédiate, entraînant des réductions de capacités dans l'attente des recomplètements. Comment traitez-vous cette question ?
Par ailleurs, le rapport annexé annonce une augmentation significative de l'enveloppe des programmes à effet majeurs (PEM), de 59 milliards d'euros dans l'actuelle LPM, à 100 milliards d'euros, soit une augmentation de 70 %. Parallèlement, les autres opérations d'armement (AOA) n'augmenteront que beaucoup plus modestement, de l'ordre de 18 %, passant de 11 milliards d'euros à 13 milliards d'euros.
Comme nous l'avons souligné dans plusieurs rapports, les autres opérations d'armement sont moins visibles que les PEM, mais elles sont le ciment essentiel à l'épaisseur de nos trois armées et à leur cohérence dans l'exercice de leurs missions.
Dès lors, comment expliquer la moindre augmentation des AOA par rapport aux PEM ? Cette évolution n'est-elle pas en contradiction avec l'objectif de cohérence affiché ?
Enfin, je voudrais revenir sur la restructuration de nos bases en Afrique. À Abidjan, nos effectifs militaires seront ainsi réduits de moitié. Quel est le redéploiement capacitaire engagé ? Quelle est la nature du dialogue avec nos partenaires africains.
Général Thierry Burkhard. - Sur le modèle d'armée, il existe un vrai modèle français. Il est intéressant à cet égard de comparer les approches française et britannique, deux pays similaires avec des ambitions mondiales. Il existe quelques différences entre le Royaume-Uni et la France, qui justifient des choix propres. Ces différences portent notamment sur la place de nos outremers, sur la relation de défense avec les Etats-Unis ou le positionnement vis-à-vis de l'Union Européenne. Toutes ces différences expliquent en partie les choix faits de chaque côté de la Manche. Nous avons des visions différentes de notre souveraineté et de nos responsabilités.
Les deux composantes de la dissuasion nucléaire sont prises en compte. D'une part, le nucléaire aéroporté est lié au développement de l'air-sol moyenne portée amélioré rénové (ASMPA-R) et à la préparation de l'air-sol nucléaire de quatrième génération (ASN4G). D'autre part, le nucléaire océanique passe par le développement, déjà programmé, des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de troisième génération (SNLE 3G), et qui arriveront en production pendant cette loi de programmation militaire.
Nous voyons les masses qui sont en jeu en Ukraine, mais la France est dans une situation différente pour au moins deux raisons. D'une part, nous sommes un État doté . D'autre part, notre défense est collective car nous faisons partie d'une alliance.
La dissuasion nucléaire étant la clé de voûte de notre défense, nous y consacrons des moyens en priorité ; pour autant, les forces conventionnelles fournissent un épaulement indispensable et évitent le contournement par le bas. Le monde ne se résume pas à l'affrontement entre puissances dotées ; nos forces conventionnelles assurent aussi la protection de notre souveraineté dans les départements et collectivités d'outre-mer, la protection des intérêts et des ressortissants français partout dans le monde, mais aussi la mise en oeuvre le cas échéant de nos accords avec nos alliés. Il y a une complémentarité évidente entre nos forces et une spécificité française tant dans la dissuasion nucléaire que dans la possession et l'emploi des moyens conventionnels. En matière de crédibilité, la cohérence est supérieure à la masse : quand on achète un véhicule, un avion ou un bateau, il faut avoir le personnel pour l'armer, des agents entraînés à le servir, ce qui nécessite d'engager des moyens. Dans la construction de la loi de programmation militaire, il ne faut pas seulement définir une cible de matériels , il faut aussi dimensionner les moyens pour en exploiter le potentiel au quotidien .
Le transport aérien stratégique est un bon exemple d'opportunités de mutualisation avec des partenaires : c'est dans ce domaine qu'il est probablement le plus facile de mutualiser les moyens, notamment au travers du commandement européen du transport aérien (EATC).
Un avion de taille intermédiaire nous permettrait effectivement d'être plus souples : il s'agit de savoir si nous voulons le développer seul, à plusieurs, ou se tourner vers un tiers pour disposer de cette capacité.
Au sujet des bases en Afrique, les trois principalement concernées étant celles de Dakar, d'Abidjan et de Libreville, il est nécessaire de modifier la manière dont la France est perçue et présente. Des discussions sont engagées à l'échelle locale : chaque pays a des interactions différentes avec nous. Ces trois bases avaient des missions différentes : deux points d'appui de coopération au Sénégal et au Gabon, adossés aux deux organisations régionales que sont l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique Centrale, et un réservoir de forces à Abidjan. À Abidjan, le camp de Port-Bouët est assez bien accepté : la proposition faite aux Ivoiriens est de le partager avec eux et de réduire notre niveau de forces prépositionnées pour s'appuyer plus sur des forces déployées temporairement, soit en détachement d'instruction opérationnelle soit en exercice.
M. Christian Cambon, président. - À Mont-de-Marsan, ce partage de base a suscité de nombreux doutes.
Général Thierry Burkhard. - C'est bien d'abord une affaire de dialogue avec chacun des partenaires.
M. Pascal Allizard. - Je vous interrogerai en tant que corapporteur du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». L'Assemblée nationale a adopté l'amendement n° 1174 tendant à mener des études complémentaires portant sur le format à deux porte-avions afin d'éclairer la décision d'acquisition d'un second bâtiment qui devra être prise avant 2028. Un tel scénario vous semble-t-il crédible sans que cela se traduise par un effet d'éviction sur d'autres programmes ?
En matière de renseignement, les armées développent leur capacité à recueillir des informations avec des capteurs de plus en plus technologiques et efficaces. Toutefois, l'analyse de ces données de masse demeure un enjeu majeur pour obtenir du renseignement fiable et à temps. L'interprétation voire la traduction des données est notamment un sujet complexe. Comment envisagez-vous de mettre à niveau les armées dans l'analyse des données recueillies ? Les cibles de recrutement dans le renseignement vous paraissent-elles réalistes ? Où en sommes-nous, depuis un an, dans la direction du renseignement militaire (DRM) ?
Général Thierry Burkhard. -la question d'un 2ème porte-avions est d'abord celle de la soutenabilité à long terme de nos programmes à effet majeur : il faut regarder non sur cinq ans, mais sur dix ou quinze ans, c'est-à-dire sur plusieurs LPM. Nous y travaillons avec la DGA.
Le renseignement fait face au défi de l'analyse des données. Les capacités de recueil d'information, notamment techniques, connaissent actuellement une explosion. Le mur de la donnée relève de la falaise : il faut choisir lesquelles traiter. L'intelligence artificielle permettra de dégrossir le travail et de consacrer l'intelligence humaine à la dernière partie de la chaîne, mais des données resteront inexploitées.
L'enjeu est aussi celui de leur conservation : certains renseignements ne prennent du sens que dix jours, un mois ou deux ans après leur recueil. Les services capables de conserver la totalité des informations pour ensuite aller les retrouver prendront un avantage décisif. La DRM et la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) travaillent en ce sens.
Le projet ARTEMIS.IA (Architecture de Traitement et d'Exploitation Massive de l'Information multi-Sources et d'Intelligence Artificielle), piloté par l'AND, vise à doter le MINARM d'une solution souveraine et sécurisée de traitement massif de données et d'IA : la fonction interarmées du renseignement sera la bénéficiaire de la première plateforme opérationnelle, dès cette année.
En plus d'alimenter en informations les autorités politiques et militaires, la particularité de la DRM, par rapport aux autres services du premier cercle du renseignement, est d'animer la fonction interarmées du renseignement. Sa force vient non seulement de ses milliers d'agents, mais aussi de l'ensemble des armées, qui agissent comme des capteurs. Tout en informant les chefs, la DRM doit donner des renseignements, qui sont le carburant des opérations, aux commandants opérationnels pour mener les opérations.
Cela a des conséquences en matière de ressources humaines. Les parcours croisés entre forces et renseignement sont une chance, mais il faut les organiser pour garantir aux intéressés des parcours de carrière attractifs, et à chaque grand employeur le meilleur retour sur investissement. .
M. Olivier Cigolotti. - Je suis corapporteur avec Michelle Gréaume du programme 178 « Préparation et emploi des forces ». L'effort demandé à la nation par cette LPM est ambitieux et nous le reconnaissons bien volontiers. Sera-t-il suffisant et efficient ?
S'agissant des contrats opérationnels, comment expliquer que les moyens détaillés dans les postures de réactivité et en cas d'engagement majeur soient réduits par rapport aux contrats opérationnels prévus dans la précédente LPM ? Nous nous attendions plutôt à ce que la perspective de la haute intensité conduise à les augmenter ou, au moins, à les stabiliser. Les contrats opérationnels et les moyens sont-ils bien cohérents ?
Cette cohérence est mise en avant pour justifier le redimensionnement de la disponibilité : on aurait besoin de moins d'équipements disponibles faute de pouvoir les utiliser. Vos besoins en entraînement ont-ils donc diminué ?
Nous sommes soucieux du flou des informations qui nous sont présentées. Les chiffres de progression de l'entretien programmé du matériel (EPM) sont globaux, sans aucune annuité : une augmentation de 14 milliards d'euros sur les sept ans est annoncée sans indiquer le rythme de réalisation. Quels sont les objectifs et les priorités ?
La remontée de la préparation opérationnelle n'est pas non plus détaillée. A-t-elle seulement progressé au cours de la précédente LPM ? Certainement pas au rythme espéré. Dans le projet de LPM, les chiffres de la préparation opérationnelle sont comparés à la cible du document budgétaire pour 2023. Si on les compare à la cible de la précédente LPM, force est de constater qu'il n'y a pas de progression. Les objectifs sont inchangés car non atteints. La préparation opérationnelle n'a-t-elle pas été la variable d'ajustement et n'est-elle pas à un niveau trop bas pour nos ambitions ? Nous pensons que le Parlement devrait en être informé. Quels sont les objectifs pour les annuités 2024 et 2025 de remontée de la préparation opérationnelle ?
Mme Michelle Gréaume. - La guerre en Ukraine a changé la donne. Elle rappelle ce que coûte réellement la défense de la France : on ne doit plus rogner comme cela a été fait, y compris lors de la précédente LPM. Nous l'avions souligné lors de l'actualisation de cette dernière sur l'entraînement, sur le maintien en condition opérationnelle (MCO), sur les stocks et sur les services de soutien.
Les services de soutien doivent bénéficier de 4 milliards d'euros supplémentaires en sept ans par rapport à la précédente LPM qui ne répondait pas à tous leurs besoins. Comment pouvons-nous juger si c'est suffisant sans autre précision que des « exemples de réalisation à l'horizon 2030 » ? Quelle sera la répartition entre les services de soutien ? Comment expliquer que les services auditionnés ne puissent pas nous indiquer leurs besoins pour cette période ? Comment peut-on se satisfaire d'une absence de visibilité sur l'augmentation des personnels de ces services de soutien pendant l'examen d'une LPM qui doit nous amener à la haute intensité ?
Une augmentation de 16 milliards d'euros des fonds alloués aux stocks de munitions est annoncée, mais les besoins prévisibles en infrastructures de stockage et l'adaptation du service interarmées des munitions (SIMu) ne sont pas mentionnés. Faut-il comprendre que cela n'est pas prévu ? Que nous avions des espaces de stockage vides et un SIMu surdimensionné ? Telle n'est pas l'impression qui se dégage lorsque l'on sait les attritions qu'ont subies les services de soutien au cours des précédentes LPM.
Général Thierry Burkhard. -La préparation opérationnelle est un sujet d'attention, pour faire en sorte qu'elle soit la plus optimisée possible. A ce titre, la phase 4 de l'exercice Orion était intéressante car ce déploiement fusionnait un certain nombre d'exercices permettant d'aller plus loin à coût constant.
Il faut davantage d'anticipation au sujet des activités menées avec nos alliés et avec nos partenaires stratégiques, et intégrer ces exercices dans la préparation opérationnelle, car on ne duplique pas le temps disponible. J'avais accepté comme CEMAT de décaler des livraisons de matériel pour l'armée de terre afin de pouvoir abonder la préparation opérationnelle, tant elle me paraît indispensable. Nous continuerons à nous battre là-dessus cette année ; des arbitrages sur la préparation opérationnelle 2024 et 2025 ont permis une stabilisation.
Une des priorités que j'avais fixée était le rééquilibrage au profit de la cohérence et du soutien. Le soutien a des conséquences immédiates et très concrètes sur le quotidien de nos unités. Nous avons réussi à préserver une partie des moyens envisagés à son profit, mais ils doivent produire - je l'ai demandé - des effets perceptibles sur le terrain. Nous y arriverons si nous simplifions notre fonctionnement, avec plus de subsidiarité pour mieux répondre aux besoins avec les moyens qui nous sont alloués.
M. Joël Guerriau. - Je vous interrogerai en tant que corapporteur du programme 212 « Soutien de la politique de la défense » avec Marie-Arlette Carlotti. En dépit de la contraction des effectifs des forces armées observée depuis la fin des années 1990, que l'inversion de tendance observée depuis 2015 est loin d'avoir contrebalancée, le projet de loi de programmation militaire actuel aurait pour effet de réduire de 800 unités la cible de création de postes au ministère de la défense pour l'année 2024 puis de 800 unités supplémentaires pour l'année 2025. Quelles seront les conséquences de cette contraction pour les forces armées ?
Par surcroît, l'article 6 du projet de loi comporte un alinéa qui a pour objet d'adapter la réalisation des cibles d'effectifs à la situation du marché du travail. Faut-il dès lors comprendre que, dans le cas où la situation du marché du travail serait tendue, les forces pourraient être obligées de remplir leur contrat opérationnel sans les créations d'effectifs prévues dans le projet de loi ?
La rémunération de nos militaires constitue un levier essentiel pour assurer l'attractivité de la condition. Comme nous avons eu l'occasion de l'écrire dans un avis budgétaire récent, la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) porte assez mal son nom dès lors qu'elle ne concerne que la partie indemnitaire de la solde à l'exclusion de la partie indiciaire qui représente pourtant 60 % en moyenne de la rémunération. Il semble exister un consensus sur la nécessité de réviser les grilles indiciaires des militaires pour assurer une progressivité adéquate et maintenir une incitation à progresser dans la carrière. Dès lors, quelles sont selon vous les priorités ? Est-ce que la révision de l'intégralité des grilles des militaires du rang en 2023 puis de l'intégralité des grilles des sous-officiers en 2024 vous semble être un horizon temporel proportionné à l'urgence de la situation ?
Général Thierry Burkhard. - Au sujet des objectifs de recrutement pour 2024 et 2025, il faut observer la situation telle qu'elle est : les armées éprouvent une difficulté à atteindre leurs objectifs. Il a été décidé de réviser les cibles de manière réaliste. nos propositions visent à ce qu'on ne gère pas de manière séparée les budgets pour recruter et ceux pour fidéliser : si le marché du travail est tendu, il faudra faire des efforts du côté de la fidélisation.
Au sujet de la rémunération, c'est bien dans la part indiciaire que doit se retrouver la singularité militaire. Un militaire n'est pas « payé à l'acte » : l'armée doit être employable en tout temps et en tout lieu, prête à l'engagement.
Vouloir segmenter militaires du rang, sous-officiers et officiers ne traduit pas la manière dont fonctionnent les armées : la moitié des militaires de rang deviennent sous-officiers et la moitié des sous-officiers deviennent officiers. Par conséquent, la revalorisation de la grille indiciaire des sous-officiers profite de fait aux militaires du rang.
Il faut voir de manière globale notre système d'escalier social, qui doit être incitatif : si la grille indiciaire est écrasée, elle n'incite pas à prendre des responsabilités supplémentaires avec les droits, les devoirs et les bénéfices associés. Il faut revoir ces grilles de manière à être cohérent avec l'organisation de notre modèle et avec l'escalier social qui le sous-tend.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je vous remercie d'être allé à Narvik le week-end dernier. Depuis des décennies, personne, à votre niveau, ne s'y était rendu pour célébrer cette première victoire des forces alliées durant la Seconde Guerre mondiale, menée par un Français devenu sénateur des Français de l'étranger.
Quelque 137 Rafale sont prévus à l'horizon 2030. Pourtant, lorsque 185 étaient envisagés il y a quelques mois, le général Parisot indiquait que le nombre était insuffisant. Puisque des rallonges pour des Griffons ou des frégates font l'objet d'interrogations, seraient-elles possibles pour les Rafale ?
Vous parliez de sécurité à 365 degrés ; les Français de l'étranger eux aussi ont besoin de la protection de l'État. À ce titre, il faut davantage de réservistes citoyens, prêts à travailler bénévolement pour faire de la veille géostratégique et pour aider en cyberdéfense. Il est important de réintroduire cette notion dans la LPM, ce que je tenterai au travers d'un amendement.
De même, les Journées défense et citoyenneté (JDC) à l'étranger ont été supprimées. C'est très grave : les jeunes, en particulier les binationaux qui ne sont pas dans des lycées français, ont besoin de retrouver la fierté de ce qu'est la France, ce qui fait partie de l'influence.
Général Thierry Burkhard. - Je suis allé à Narvik discuter d'affaires opérationnelles avec mon homologue, originaire de Bjerkvik, le village d'à côté où une partie des Français avaient débarqué. J'ai eu l'honneur de commander la 13e demi-brigade de Légion étrangère (DBLE) qui était celle du général Béthouard, qui est effectivement devenu sénateur par la suite.
Nous n'oublions pas la sécurité des Français à l'étranger, en particulier au travers de notre capacité à mener des opérations d'évacuation des ressortissants.
La réserve citoyenne n'est pas spécifiquement présente dans le texte, mais elle est bien prise en compte. Il y a une volonté d'avancer sur le sujet en matière d'effectifs. Les réserves opérationnelle et citoyenne doivent être davantage une réserve d'emploi. Il faut également constituer une réserve de spécialistes. Je sais que des progrès restent à faire dans l'animation des réservistes citoyens.
Pour revenir sur la réduction des cibles en matière de nombre de Rafale, le format chasse, c'est-à-dire à la fois les Rafale et les Mirage 2000, est fixé à 185 appareils . Nous sommes dans une phase de transition qui nous amènera à une flotte Rafale homogène à horizon 2035. Le nouveau standard F4 en matière de connectivité est mis en oeuvre et des études sont lancées pour le standard F5, qui sera porteur de l'ASN4G.
L'armée de l'air réfléchit aussi aux moyens de mieux employer la simulation dans son entraînement pour compenser un volume qui peut être jugé trop faible. C'est un sujet de bonne gestion du potentiel : pour l'entraînement, les moyens peuvent être moindres, mais pour la guerre les avions doivent être là.
M. Jacques Le Nay. - L'année dernière, l'annonce du vote de 100 milliards d'euros de fonds spéciaux par le Parlement allemand a été ressentie dans le monde de la défense comme un séisme. Quel est le regard de nos alliés sur la LPM et sur son montant record de 413 milliards d'euros, de même que sur la transformation ainsi prévue de nos armées ?
Depuis quelques années, les difficultés de recrutement s'accroissent au sein de ces dernières : départs dans le privé, perte de reconnaissance de la société envers les militaires, problèmes de rémunération... Je fais référence à l'article du Monde du 9 mai 2023 titré : « Les armées françaises confrontées à une évaporation croissante de leurs troupes ». Cette réalité semble s'opposer à l'objectif de l'exécutif d'aller au-delà d'un doublement du nombre de réservistes - de 40 000 à 105 000 - et de créer 6 300 nouveaux postes au sein des armées. Dans quelle mesure la LPM contient-elle des solutions pour remédier au problème de l'attractivité ?
Général Thierry Burkhard. - Les 100 milliards d'euros doivent être dépensés en cinq ans : ce défi de taille n'est probablement pas encore tout à fait relevé par les Allemands. Les 413 milliards d'euros de la LPM matérialisent, quant à eux, une ambition forte. Mais le chiffre ne fait pas tout. Il faut rester une armée crédible en étant d'abord capable d'être nation-cadre et d'avoir un effet d'entraînement sur nos alliés.
Les ressources humaines sont notre défi permanent et de taille. Il ne s'estompera pas : face aux évolutions sociétales, nous avons un sujet d'acceptabilité des sujétions militaires qui resteront indispensables pour l'efficacité et la crédibilité de notre modèle d'armée. Je m'explique :
D'une part, le marqueur le plus fort de la singularité militaire est selon moi le rapport au temps. Dans le monde militaire, le chef est responsable de la gestion du temps pour ses hommes. Des entreprises passent à la semaine de quatre jours, mais cela ne peut être transposé dans les armées pour une large partie des militaires, de même pour la téléactivité.
D'autre part, un facteur de complexité supplémentaire est celui de la mobilité, professionnelle et donc le plus souvent aussi géographique. Elle est indispensable pour que l'escalier social fonctionne : elle permet d'être toujours en train de se préparer à prendre la place de son chef pendant que votre chef vous aide en ce sens. Pour cela, il faut dire à ce dernier au bout de deux ans qu'il s'en va. Les conséquences de la mobilité sont importantes sur la vie de famille : travail du conjoint, scolarité des enfants, accès à la propriété et aux soins...
À ce titre, le plan Famille doit atténuer certaines difficultés. Il faut toutefois accepter qu'un certain niveau de sujétion soit rémunéré, même si le niveau de revenu ne peut pas être la seule motivation. Nos militaires restent si la mission a du sens, s'ils sont bien commandés et s'ils sont bien dans leur environnement. Cela fonctionne encore correctement, mais c'est un effort permanent.
M. François Bonhomme. - En matière d'innovation de défense, les Américains ont créé l'Agence pour les projets de recherche avancée de défense (Darpa, Defense Advanced Research Projects Agency) avec un budget important et des succès que l'on connaît. En France, l'Agence de l'innovation de défense (AID) a été mise en place. Vous indiquiez que nous devions être dans l'adaptation permanente : face aux conflits à venir, ne pensez-vous pas qu'il faudrait passer à l'« AID-E », à savoir une AID intégrant une dimension européenne ?
Général Thierry Burkhard. - Probablement. L'AID a déjà connu des changements : le DGA est le mieux placé pour en parler. Même sans « E », l'AID est à la recherche de partenariats et d'échanges, en particulier pour l'innovation. En effet, dès lors que trois pays travaillent ensemble, des financements européens leur sont alloués, ce qui est une motivation forte.
M. Rachid Temal. - Pourriez-vous nous préciser le coût d'un porte-avions, de l'étude à la mise à l'eau, et celui de son fonctionnement ?
Je partage votre position : l'Indopacifique est le centre du monde actuel et de demain. Comment peut-on assurer une présence française par le biais d'une base ? Quelle forme prendrait-elle ? Comment garantir que cette présence permanente soit suffisamment dense et massive ? Comment imaginer cela au travers de la LPM, qui ne vise aucune création de base ? Vous souteniez que la LPM n'était pas un aboutissement, mais un début : le début de quoi ?
Général Thierry Burkhard. - Le besoin militaire d'un 2ème porte-avions, c'est « la permanence de l'alerte », autrement dit la garantie d'en avoir toujours au moins un disponible pour nos opérations.
M. Rachid Temal. - Quel est le coût de fonctionnement ?
Général Thierry Burkhard. -
Un porte-avions n'opère jamais seul. Plus que le coût d'un porte-avions, c'est le coût d'un groupe aéronaval qu'il faut considérer, avec ses matériels et ses hommes : groupe aérien, frégates d'escorte, ravitailleurs, sous-marins, etc. C'est tout cela qu'il faut considérer pour estimer si un 2ème porte-avions est ou non « à notre portée ».
M. Bruno Sido. - Un second porte-avions coûterait relativement moins cher, car il y aurait des mutualisations. La rénovation d'un porte-avions peut durer un an et demi. Comment faire dans ces situations ?
Général Thierry Burkhard. - Nous devons composer avec ces exigences. Il faut aussi se poser la question des équipages à générer.
M. Cédric Perrin. - Cet amendement permettrait peut-être de parvenir à une analyse factuelle et donc de clore le sujet qui s'apparente à une arlésienne. Cette question a été posée pendant les précédentes campagnes présidentielles. Plusieurs candidats proposaient de se doter d'un second porte-avions. L'aspect financier n'est peut-être pas déterminant - on se souvient que le programme Rafale a coûté plus de 80 milliards d'euros -, mais il compte.
M. Christian Cambon, président. - Il y a eu un moment où l'on pensait que l'ère des porte-avions était révolue... On pensait s'en remettre à nos bases extérieures.
Général Thierry Burkhard. - Comment défendre nos intérêts en Indopacifique ?
M. Rachid Temal. - En y installant des bases ?
Général Thierry Burkhard. - Nous disposons déjà de bases sur place. La question est de déterminer la menace. Il n'y a pas selon moi de menace militaire contre la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie Française. En revanche, une menace visant l'exercice de notre souveraineté est plus d'actualité. Cette question a une dimension locale. Il faut savoir comment enraciner le sentiment d'appartenance à la France. Il y a aussi la menace liée à l'influence chinoise : ce n'est pas seulement en construisant des bases qu'on la contrecarrera. Il faut pour cela répondre aux besoins des populations et des pays de la zone. Les pays riverains ne sont pas focalisés sur l'aspect militaire, car ils ne veulent pas avoir à choisir un camp ou un autre. En revanche, ils sont préoccupés à juste titre par le changement climatique, les conséquences des catastrophes naturelles. Nous devons leur apporter une aide en ces domaines, les aider à contrôler leur ZEE, etc. C'est dans cette voie que nous devons avancer.
M. André Gattolin. - Beaucoup de nos alliés font le pari d'une attrition des capacités des forces russes terrestres à l'issue de la guerre en Ukraine et tendent à sous-investir dans leurs forces terrestres : c'est le cas du Royaume-Uni. La Pologne fait le choix inverse. La France cherche à avoir une position équilibrée. L'Europe pour sa défense doit-elle jouer sur la complémentarité entre les pays ?
Général Thierry Burkhard. - Comment organise-t-on la défense collective ? Pour la quasi-totalité des pays européens, elle est assurée par l'Otan. L'élaboration de plans régionaux doit opérer une répartition des rôles. L'armée polonaise, dont la dimension terrestre est très puissante, n'a pas à avoir les mêmes caractéristiques que l'armée espagnole
Il faut s'organiser ensemble en fonction de nos analyses de l'environnement et des menaces. Des armées reproduisant le même modèle ne seraient pas un signe d'efficacité et de bonne réflexion tactique.
Mme Gisèle Jourda. - En 2016, Jean-Marie Bockel et moi avions commis un rapport intitulé : « Garde nationale » : une réserve militaire forte et territorialisée pour faire face aux crises. Nous avions préconisé des réunions régulières entre les forces armées afin de créer une émulation au sein de la garde nationale. Quelle est la place dans cette LPM de la garde nationale ? Existe-t-elle vraiment encore ? Comment s'articule-t-elle ?
Général Thierry Burkhard. - la phase 4 de l'exercice Orion comptait 8 % de réservistes engagés : presque mille hommes et femmes. Les réservistes sont donc présents lors de tous les rendez-vous majeurs. Il faut voir la garde nationale comme le chapeau haut de l'ensemble des différents types de réserves.
Néanmoins, à de rares exceptions près, il n'y a pas de Français qui s'engagent pour devenir réservistes de cette garde. Les volontaires se tournent vers des corps qui ont une identité propre : marine, armée de l'air, armée de terre, gendarmerie... Le champ d'action de la garde nationale touche à ce qui est collectif, comme les relations entre réservistes et entreprises. Elle doit mener des travaux de prospective, par exemple sur l'évolution des réserves. On peut pour cette raison avoir l'impression qu'ils ont une moindre visibilité.
Mme Gisèle Jourda. - Il faut s'adapter : peut-être la garde nationale est-elle un concept qui n'est plus tout à fait de mise et qui doit être revu.
Général Thierry Burkhard. - La réserve nationale a toujours toute son utilité, car elle réalise des travaux de prospective et joue un rôle important dans le développement des réserves du ministère des armées et du ministère de l'intérieur et des outremers. Par exemple, la marine nationale veut déployer des réserves côtières et l'armée de terre a un projet de reterritorialisation de la réserve.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - En 2010, Michel Boutant et moi avions rédigé un rapport Pour une réserve de sécurité nationale. La LPM prend en compte cette réserve de sécurité nationale, mais la réserve citoyenne a disparu. Cette dernière pourrait s'articuler avec la réflexion sur la garde nationale.
Général Thierry Burkhard. - Il faut mieux cadrer ce que l'on veut faire de la réserve citoyenne et la distinguer plus nettement de la réserve opérationnelle.
M. Christian Cambon, président. - Nous vous remercions pour cette audition qui a permis de mieux comprendre votre vision de la LPM. Notre commission est très attentive à la présentation de cette loi de programmation, ayant le souci d'éviter une défidélisation dans les différentes armées et de disposer d'un débat à la hauteur. L'important est que la représentation nationale entraîne l'opinion publique parce que les sommes sont considérables. Il faut expliquer pourquoi cet effort est nécessaire. Rendons hommage au fait que deux LPM successivement ont presque multiplié par deux les moyens des armées.
Général Thierry Burkhard. - Les armées sont conscientes de l'effort de la Nation : le signal est important. Vous pouvez compter sur elles pour être au rendez-vous.
M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie.
La réunion est close à 18 h 35.
Mercredi 31 mai 2023
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La séance est ouverte à 9 h 30.
Projet de loi de programmation militaire - Audition de l'amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine
M. Christian Cambon, président. - Amiral, soyez le bienvenu devant notre commission. Après avoir entendu hier le chef d'état-major des armées, le général Thierry Burkhard, nous sommes heureux de vous recevoir pour connaître votre appréciation sur le projet de loi de programmation militaire (LPM) qui sera bientôt examiné par le Sénat.
La mer est un théâtre renouvelé de compétition, voire de confrontation. Le droit international est remis en cause. Un réarmement naval rapide est engagé sur tous les océans. La guerre en Ukraine, les tensions en Méditerranée, le basculement géopolitique vers l'Indopacifique confirment ces évolutions, que vous nous avez exposées ici à plusieurs reprises. Dans ce contexte, nous nous interrogeons sur les réponses apportées par la LPM. Celle-ci permettra-t-elle de se préparer à l'imprévisible et à la haute intensité en mer, comme vous le préconisez ? Vous permettra-t-elle de mener à bien votre plan stratégique Mercator, et notamment d'intensifier la préparation opérationnelle ?
Pourriez-vous nous apporter des précisions sur le contrat opérationnel de la marine ? Entre la Revue nationale stratégique (RNS) - dont nous avons regretté la rapidité et la faiblesse de la rédaction - et la LPM, il manque en effet un échelon dans l'analyse. Le rapport annexé est assez laconique.
Le porte-avions de nouvelle génération est confirmé. Un amendement au projet de la LPM, adopté à l'Assemblée nationale, vient même évoquer l'hypothèse d'un second porte-avions. N'est-ce pas utopique, lorsque l'on constate les difficultés à financer le premier ? D'autres programmes sont en recul, tels que les frégates de défense et d'intervention (FDI). La priorité semble être de les exporter. La plupart des flottes seront, certes, renouvelées, mais le projet de loi vous semble-t-il assez ambitieux, à la lumière des enjeux et au regard de la taille de l'espace maritime français ? Notre puissance maritime de premier rang se donne-t-elle les moyens de sa souveraineté ?
S'agissant de l'Indopacifique, la LPM consacre un chapitre, doté de 13 milliards d'euros, à la souveraineté outre-mer. Pourriez-vous le détailler ? Couvrir nos immenses zones économiques exclusives (ZEE) demande des moyens importants : cette LPM les apporte-t-elle ?
Amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine. - Je suis très heureux de me retrouver devant votre commission, après plusieurs mois de travail assidu pour préparer cette LPM et faire les choix nécessaires.
Je me place aujourd'hui sous le regard des marins qui sont en mer ou de quart dans les centres opérationnels, ou les bases de la Marine. A terre, en mer ou dans les airs, les marins sont déployés au quotidien au service de la France et des Français. Ils sont la raison d'être de notre action. Entre 3 000 et 5 000 d'entre eux sont constamment déployés en mer, ce qui est considérable.
Je rentre tout juste d'un déplacement à Hawaï, à la rencontre du commandant régional américain de la zone indopacifique et du commandant de la flotte du Pacifique. L'évolution du climat sécuritaire y est profonde. Comme l'a dit le Président de la République, dans cette zone, « l'ordre international cède à un état de nature entre les nations tel que nous n'en avions pas vu depuis des décennies ». Il y a une inquiétude latente face au risque de modification profonde de l'ordre actuel qui pourrait conduire à rebattre les cartes.
Je souligne à ce titre la qualité des rapports d'information que vous avez publiés sur l'Indopacifique et sur le golfe de Guinée, sur le retour d'expérience de la guerre en Ukraine ou encore sur les tensions en Méditerranée. Ces rapports nourrissent notre réflexion et soulignent votre intérêt politique.
La France a une très grande responsabilité face à l'immensité et à l'éloignement des espaces à protéger. L'effort de renouvellement de nos moyens prépositionnés, porté par la LPM, acte un engagement à la hauteur de cette responsabilité. Cet effort de la France est très bien perçu dans la région. Pour ce qui est du domaine naval, la France est le contributeur le plus efficace à la politique européenne dans l'Indopacifique. Les équilibres en jeu nous invitent à maintenir un très haut niveau d'interopérabilité avec nos alliés, car nous ne ferons rien seuls. Cette interopérabilité implique des compétences techniques communes, mais aussi des entraînements et des exercices communs.
Si j'ai été reçu avec autant d'attention dans le Pacifique, c'est du fait de l'importance de nos moyens prépositionnés, mais également de la régularité et du niveau de nos déploiements sur zone, avec des moyens de haut du spectre. Ces moyens réalisent un « signalement stratégique » qui témoigne de l'engagement de la France dans la sécurité de la zone et sa volonté d'y nouer des partenariats contributifs de stabilité. Le groupe Jeanne d'Arc, après une séquence entre Nouméa et Papeete, a participé à l'exercice « Croix du Sud » en Nouvelle-Calédonie, avec une douzaine de pays limitrophes, et patrouille actuellement autour de Clipperton. La frégate multi-missions (FREMM) Lorraine effectue son déploiement de longue durée avant son admission au service actif. Elle a été engagée dans l'opération « Sagittaire » d'évacuation de ressortissants du Soudan. En quelques heures, son équipage s'est reconfiguré pour se ravitailler en carburant à la mer via un pétrolier allié, embarquer des renforts, notamment un hélicoptère, pour finalement extraire 398 ressortissants de 64 nationalités différentes. Cette frégate est actuellement au Japon en escale et sera prochainement intégrée à un groupe aéronaval américain dans le cadre d'un exercice.
Mesdames et messieurs les sénateurs, dans ce contexte, quels sont les effets pour la Marine de la Loi de programmation militaire ?
Les efforts consentis jusque-là ont permis de répondre à l'urgence et d'initier le renouvellement attendu. Le P400 La Glorieuse tire sa révérence après trente-six ans de service dans le Pacifique, remplacé par le patrouilleur outre-mer (POM) Auguste Bénébig. Le pétrolier ravitailleur La Marne tire aussi sa révérence, au profit du Jacques Chevallier, qui poursuit sa montée en puissance et qui conduira sa traversée longue durée à la fin de l'été.
Du point de vue capacitaire, cette LPM est bien une loi de transformation. Elle permettra d'arrêter l'exploitation des équipements les plus anciens. Le dernier A69 sera bientôt désarmé après 45 ans de navigation, tout comme le dernier patrouilleur de service public (PSP) et le dernier le sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) de type Rubis, le dernier pétrolier ravitailleur de type Durance, le dernier Falcon 200 Gardian. Les Chasseurs de Mines Tripartites et les F50 connaîtront leurs derniers jours.
Tous ces moyens seront renouvelés par des matériels performants, évolutifs, numériques, capables de s'intégrer dans un environnement du futur, à l'instar des premiers patrouilleurs hauturiers - la première livraison est attendue fin 2026 - ou de la première corvette hauturière outre-mer, qui remplacera les frégates de surveillance. Nous aurons aussi le deuxième et troisième bâtiment ravitailleur de forces (BRF). Les nouveaux systèmes de lutte contre les mines, entièrement dronisés, sont actuellement testés à Brest. Les premiers avions Falcon 2000 Albatros viendront renouveler la composante d'aviation de surveillance et d'intervention outre-mer.
Vous l'aurez compris, cette LPM arrive à un moment charnière. Une Marine, ce sont des objets du temps long. C'est la continuité de l'effort qui paiera. Cette LPM aura des effets bien après 2030. Le SNA Duguay-Trouin, deuxième unité de la classe Suffren, a fait sa première descente à immersion maximale le 5 mai dernier ; le programme a été lancé en 2006, la construction a débuté en 2012 et la fin de service est programmée en 2062. La découpe de la première tôle de la deuxième FDI a eu lieu le 7 décembre 2022 ; le programme a été lancé en 2015 et le bâtiment naviguera jusqu'en 2063.
Je salue à ce titre la confirmation du calendrier retenu pour le porte-avions de nouvelle génération. Disposer d'un successeur au Charles de Gaulle sans discontinuité opérationnelle imposait d'entreprendre sans délai le lancement de sa réalisation au cours de cette LPM. Sous l'impulsion du ministre, la signature de l'avant-projet détaillé en avril dernier contient deux amers essentiels : la continuité des compétences de l'industrie de la propulsion nucléaire et la continuité de la capacité opérationnelle. Le défi est considérable : ce porte-avions sera très différent de l'actuel, incluant par exemple de nouvelles catapultes et de nouveaux réacteurs. L'enjeu est d'assurer sans à-coups la montée en puissance d'un tout nouveau navire qu'il va falloir mettre au point et apprendre à utiliser, tout en exploitant jusqu'au bout les capacités du Charles de Gaulle. L'ampleur de ce défi est d'une toute autre nature que la remontée en puissance après un arrêt technique périodique. Il s'agit là de mettre en oeuvre une unité complètement nouvelle. Cela va nécessiter 15 ans d'efforts.
Pour mettre en oeuvre les moyens dont elle dispose, il y a 2 moteurs dans la Marine: l'activité et les marins qui arment nos bateaux. L'activité vise à conduire les opérations qui nous sont confiées et à maintenir à niveau nos équipages. Certains savoir-faire ne peuvent être transmis qu'à la mer. C'est le cas par exemple des tirs de munitions complexes qui permettent de valider des cas de tir ambitieux, correspondant à de nouveaux cadres d'emploi. Parce qu'ils correspondent à l'évolution de la menace, les thèmes de tir sont de plus en plus exigeants.
J'en viens aux effectifs. L'enjeu est à la fois accompagner les manoeuvres de retrait des bateaux les plus anciens tout en assurant la mise en service des nouveaux navires. Le transfert de compétences est un élément fondamental. Les navires ont fait un saut technologique immense, nous obligeant à transformer nos métiers et à adapter notre offre de formation. Ces évolutions toucheront environ 4 000 marins sur la durée de la LPM, dont plus de 3000 feront l'objet d'une transformation interne de métier. Le détecteur affecté sur le pétrolier-ravitailleur Somme ne fait pas le même métier que celui affecté sur le Jacques Chevallier, pas plus que l'atomicien du Rubis en comparaison de celui du Suffren, ou encore le second-maître mécanicien d'un aviso conçu dans les années 60, par rapport à son homologue sur une FREMM entièrement automatisée. Nos techniciens n'ont pas le même métier selon qu'ils sont affectés à un bateau ancien ou moderne.
Mesdames et messieurs les sénateurs, dans cette période d'incertitude stratégique et d'inconfort opératif, la Marine se voit confier un engagement dans quatre grandes missions.
Premièrement, la mise en oeuvre d'une dissuasion océanique permanente et souveraine dans un environnement toujours plus complexe. Vous le savez, assurer la permanence à la mer d'au moins un SNLE demande un effort qui concerne de près ou de loin quasiment toutes les unités de la Marine. Cela pose un niveau d'excellence technique et opérationnelle qui tire en avant des moyens aussi variés que les FREMM, les ATL2, nos fusiliers-marins ou encore nos moyens hydrographiques. C'est avant tout pour remplir cette mission que l'arrivée des nouveaux moyens de guerre des mines, les composantes frégate et patrouilleurs métropolitains ou le successeur de l'ATL2 sont regardés de près.
Deuxièmement, la capacité à assurer un combat de haut du spectre. Cela repose sur notre aptitude à déployer loin et longtemps un groupe aéronaval ou un groupe amphibie, avec un niveau de menace caractérisé par le réarmement massif de nos compétiteurs. Aujourd'hui, nous devons mener des opérations extrêmement complexes en intégrant toutes les zones allant du fond des mers à l'espace.
Troisièmement, protéger nos concitoyens, de la métropole aux outre-mer. La Marine contribue au quotidien à cette mission, notamment par la chaîne des 58 sémaphores répartis le long du littoral métropolitain ou encore par les patrouilles régulières le long de nos côtes. Au-delà des capacités de surveillance, la Marine intervient, notamment face aux effets du dérèglement climatique et contre les atteintes à la biodiversité. J'ai perçu une grande fierté des Calédoniens lors de mon dernier déplacement à Nouméa face à l'engagement des unités de la Marine lors des 2 cyclones qui ont dévasté le Vanuatu en mars 2023.
Quatrièmement, l'engagement dans les nouveaux champs de la conflictualité, tels que les drones, le cyber et l'espace. L'acquisition d'informations est essentielle pour prendre les bonnes décisions et acquérir la supériorité en mer. À titre d'exemple, la LPM prévoit d'octroyer à la marine une capacité opérationnelle jusqu'à 6 000 mètres de profondeur, ce qui permettra d'accéder potentiellement à 97 % des fonds marins.
Ces missions nous imposent d'agir à court terme, sans attendre les changements induits par les effets du temps long induit par les décisions de cette LPM. L'objectif à atteindre est de gagner les combats d'aujourd'hui et de demain : tel est le sens du plan stratégique que j'ai défini voilà trois ans et qui sera remis à jour prochainement.
C'est la confirmation de l'ambition « Polaris » définie il y a 2 ans. Plus qu'un exercice, il s'agit de l'impulsion donnée à la refondation de la préparation opérationnelle de la Marine, avec une double ambition de niveau et de complexité. En allant à la rencontre des unités dans les ports, je constate l'imprégnation des équipages d'un « esprit Polaris » fait de pugnacité, d'engagement et d'autonomie.
Le combat en mer suppose aussi d'utiliser des armes de rupture : en lien avec la direction générale de l'armement (DGA), nous avons lancé la démarche « Perseus » en vue d'embarquer sur nos bâtiments la technologie en cours de développement. Nous pourrons ainsi l'évaluer et mieux la maîtriser.
Pour accélérer, nous faisons également le pari du lien à la Nation et à la jeunesse. La marine va à leur rencontre, notamment par le biais des préparations militaires Marine (PMM) : 87 centres ont ainsi récemment accueilli 3 200 jeunes. Selon les souhaits du ministre, la Marine est pleinement engagée dans l'augmentation des forces de réserve. Trois axes ont été définis : l'appui aux marins d'active, la création de flottilles côtières et le développement de compétences spécifiques.
Mesdames et messieurs les sénateurs,
Cette LPM reflète l'effort que la nation consent pour sa sécurité. L'ampleur des défis nous impose de poursuivre la transformation en cours. Je réunirai prochainement tous les commandants de la marine pour faire un point sur cette transformation. La Marine est pleinement mobilisée : chaque euro dépensé doit avoir un effet utile. Cette LPM est une occasion historique. Elle offrira de poursuivre l'effort de la LPM précédente, dans un moment où la montée des périls en mer est chaque jour plus prégnante.
M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis sur les crédits du programme 178 « Préparation et emploi des forces ». - Nous connaissons tous la courbe en U - ou en baignoire - du maintien en condition opérationnelle (MCO) : les matériels jeunes et les matériels anciens demandent plus d'entretien en heures, en personnels et en crédits, que les matériels en milieu de vie.
Le non-remplacement ou le retard de livraison d'un équipement a un impact que l'on nomme gériatrie des matériels. Par exemple, le retard de la livraison du Rafale Marine a obligé la marine à prolonger l'emploi du Crusader, au prix de 67 heures de maintenance pour une heure de vol.
Les choix faits dans la LPM risquent-ils d'avoir les mêmes conséquences, à savoir une augmentation du coût du MCO et une réduction de la disponibilité des matériels ? Quels efforts faudrait-il consentir pour améliorer la situation ?
Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis sur les crédits du programme 178 « Préparation et emploi des forces ». - La Marine sera-t-elle en mesure de rehausser son niveau de préparation opérationnelle ?
Quelles étaient les ambitions pour 2023 dans l'épure de la LPM précédente, avant que les actualisations annuelles ne viennent ajuster systématiquement à la baisse le niveau de préparation opérationnelle ? Subissez-vous comme l'armée de terre un décalage de cinq ans, dicté par les impératifs budgétaires ?
Quels sont les objectifs pour 2024 et 2025 ? Quid de la qualification des pilotes ?
Quel est l'impact sur les capacités de la marine ? Quelles seraient les conditions nécessaires pour que la préparation opérationnelle de la marine augmente plus rapidement, si la nécessité d'un engagement de haute intensité se faisait jour ?
Amiral Pierre Vandier. - La disponibilité actuelle des bâtiments de la marine nationale est bonne ; elle s'élève entre 70 % et 80 % selon le type de bâtiments.
Les contrats pluriannuels permettent de maîtriser les coûts du MCO. Je tiens à souligner le travail du service de soutien de la flotte (SSF) : la mise en concurrence systématique des grands contrats permet de maîtriser les coûts et de gagner en efficacité. Nous nous inscrivons dans une logique vertueuse avec nos trois grands interlocuteurs - Naval Group, CNN MCO et les Chantiers de l'Atlantique.
Les réductions temporaires de capacité représentent notre principal défi. Les patrouilleurs sont aujourd'hui particulièrement touchés. Je me réjouis du lancement à venir du programme des patrouilleurs hauturiers.
La LPM prévoit un plateau en matière d'activité entre 2024 et 2027. Cette contrainte temporaire va être gérée sans conséquence lourde sur le niveau opérationnel de nos unités, car la manière dont nous utilisons nos moyens a beaucoup évolué. De plus, le renfort de la simulation permet de tirer un meilleur parti de nos pratiques en mer. Auparavant, nous devions passer plusieurs jours en mer pour nous entraîner à des savoir-faire élémentaires. Aujourd'hui, les simulateurs des sous-marins Barracuda nous permettent de gagner beaucoup de temps. C'est un combat, mais j'ai la conviction que nous parviendrons à maintenir le niveau de nos forces, en attendant l'augmentation de l'activité.
J'en viens à votre question sur les décalages. Les formats ne seront pas revus à la baisse. Toutefois, s'est imposée une adaptation du point de passage : toutes les forces doivent progresser de manière cohérente, d'où un étalement de la livraison des patrouilleurs hauturiers, par exemple. Les nouvelles FDI seront livrées en 2030, notamment du fait du succès à l'export de ce navire. Faut-il s'en inquiéter ? Globalement, j'estime que la copie est équilibrée.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis sur le programme 146 « Équipement des forces ». - La LPM maintient le parc des Rafale marine à 41. Or aucun Rafale Marine n'est prévu dans la future commande, en 2023, de 42 nouveaux avions ni sur la durée de la LPM. Toutefois, pour aligner 24 Rafale marine sur le porte-avions, tout en répondant aux exigences de formation et d'entraînement, il semble qu'un renouvellement partiel soit nécessaire. Le vieillissement du parc signifie-t-il, en réalité, une réduction de la capacité ? Dans quelle mesure le parc sera-t-il immobilisé par des rétrofits ?
De plus, le projet de LPM programme une capacité de drones pour les moyens et grands fonds marins, jusqu'à 6 000 mètres de profondeur. Les fonds marins sont un nouveau champ de conflictualité. Aujourd'hui, ce sont les câbles ou les oléoducs et les gazoducs qui peuvent être visés. Demain, ce pourraient être aussi les ressources biologiques et minérales pour lesquelles le récent traité international de protection de la haute mer n'apporte malheureusement pas de réponse.
La marine a expérimenté des drones norvégiens Hugin de l'entreprise Kongsberg. Quels sont les résultats de cette expérimentation ? Il s'agit là d'une capacité louée à titre exploratoire. Mais l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) a développé le drone Ulyx, capable de plonger à 6 000 mètres. La capacité fonds marins pérenne de la marine s'en inspirera-t-elle ? Quels seront le délai et le coût d'acquisition de la capacité souveraine prévue dans la stratégie relative aux fonds marins du ministère des armées ?
M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis sur le programme 146 « Équipement des forces ». - Cette LPM confirme le renouvellement de la plupart des flottes de la marine, y compris le lancement du porte-avions de nouvelle génération (PA-NG) et la modernisation de la dissuasion. C'est positif, mais des incertitudes subsistent.
La livraison de deux FDI est décalée, dans l'espoir d'un export. C'est un pari risqué sur le financement de la LPM. Que se passera-t-il si l'export n'a pas lieu comme prévu et que les frégates doivent être rachetées sur l'enveloppe de la LPM ? Comment gérez-vous les incertitudes sur la date de livraison des frégates compte tenu des exports et de la réduction du format qui en résulte ?
Un autre point d'inquiétude porte sur le programme de système de lutte antimines du futur (SLAM-F). Les capacités programmées à l'horizon 2030 sont reportées à 2035. Entre-temps, la technologie continuera d'évoluer. C'est une capacité qui accompagne la dissuasion. Par ailleurs, la guerre russo-ukrainienne en illustre l'intérêt alors que les routes céréalières en mer Noire sont menacées.
La LPM prévoit 6 bâtiments de guerre des mines en 2035. C'est autant que la Belgique ou que les Pays-Bas, pour un espace maritime beaucoup plus vaste, et nous n'en aurons que 3 en 2030. Est-ce suffisant en toute hypothèse ?
Quelle est votre appréciation sur l'utilisation du drone naval à voilure tournante d'Airbus VSR700 et des drones de la société autrichienne Schiebel ? Comment envisagez-vous, pour l'avenir, la cohabitation entre les drones, les hélicoptères, voire les munitions téléopérées sur les bâtiments de la marine nationale ?
En outre, l'entraînement est un point fondamental ; c'est une source importante d'économies. Quels sont les moyens de simulation mis à votre disposition ?
Le Royaume-Uni, la Chine et les États-Unis disposent déjà d'armes à énergie dirigée. Où en sommes-nous à cet égard ?
Amiral Pierre Vandier. - Nous disposons aujourd'hui de 41 Rafale : sur les 46 qui ont été livrés, 4 ont été détruits et 1 appareil sert actuellement d'avion d'essai chez Dassault. Le dernier Rafale livré pour la marine date de 2016. Nous sommes vigilants quant à l'âge moyen de notre flotte - dix-sept ans -, afin qu'il ne diverge pas trop de celui l'Armée de l'air - actuellement de douze ou treize ans -, ce qui nous exposerait à des problèmes de communauté de flotte.
Dans la LPM, la priorité a été donnée à l'Armée de l'air, qui a un besoin plus urgent d'acquérir de nouveaux appareils. Dans la LPM suivante, trois voies seront à creuser : le recomplètement de la flotte Rafale marine, le tuilage avec le système de combat aérien du futur (SCAF) en fonction de sa date de livraison et, enfin, la part de notre parc aérien que nous pourrions « droniser ».
Sur les fonds marins, nous avons une capacité exploratoire. Nous avons eu recours à une société norvégienne, leader mondial de l'Oil and Gas. Si nous voulions atteindre leur niveau, il nous faudrait déployer une énergie considérable. C'est la raison pour laquelle, plutôt que de partir de zéro, nous avons voulu aborder ce sujet avec une technologie de pointe et à jour. Nous pourrons ainsi fixer des exigences pour le développement de drones nationaux, ce qui est bien l'ambition de la LPM, laquelle consacrera près de 108 millions d'euros au développement de capacités duales. L'objectif est de disposer, en 2030, d'un robot sous-marin AUV (Autonomous Underwater Vehicle) à 6 000 mètres, d'un drone ROV (Remotely Operated Vehicle) à 6 000 mètres, des infrastructures nécessaires et d'un système de contrôle.
Aujourd'hui, le gaz européen provient à 30 % de Norvège, où l'Oil and Gas mobilise près de 600 drones sous-marins. C'est avant tout, là-bas, l'affaire de l'industrie. Naturellement, notre objectif n'est pas de déployer 600 drones, mais de nous permettre, de manière souveraine, d'aller voir ce qui se passe dans certaines zones, de récolter des preuves en termes de renseignement et de pouvoir ensuite intervenir pour des missions pointues et à fort effet levier. Il ne s'agit pas de protéger des kilomètres de câbles de gazoducs et de systèmes électriques, même si nous pouvons ponctuellement et en complément, participer à cette surveillance.
Les FDI seront livrées respectivement en 2024, 2027, 2028, 2031 et 2032. La Grèce recevra trois frégates et la LPM fait l'hypothèse de deux exports supplémentaires. La situation n'est pas nouvelle : quand elles se concrétisent, les exportations entraînent des décalages et de nouvelles hypothèses budgétaires. Les perspectives d'action commune avec la Grèce sont très intéressantes. À l'horizon 2030-2035, nous serons heureux de trouver trois FDI grecques en Méditerranée.
Le SLAM-F regroupera en 2035 six bâtiments de guerre des mines. Ce dispositif permet, sans bâtiment support, de nettoyer les approches maritimes d'une manière satisfaisante et de se projeter dans les zones européennes, mais aussi au-delà, par exemple dans les pays du Golfe. L'ambition est raisonnable. La Belgique et les Pays-Bas ont chacun trois bâtiments, ce qui leur permet d'en maintenir un en alerte en permanence. Tout cela est cohérent.
Concernant les drones aériens, trois programmes sont en cours. Le premier est le système de mini-drones pour la Marine (SMDM). Douze systèmes à deux vecteurs sont en cours de déploiement. Nous expérimentons par ailleurs le drone S-100 de l'opérateur autrichien Schiebel. Nous avons trois systèmes à deux vecteurs chacun, dont un s'est abîmé en mer l'année dernière. Ces équipements sont testés sur les porte-hélicoptères amphibies (PHA) et l'un de ces drones a participé avec succès récemment à une opération de lutte contre le narcotrafic. Enfin, le dernier programme est le système de drone aérien pour la Marine (SDAM). Des essais sont menés avec Airbus autour de la cellule du VSR700. Une expérimentation avec une frégate multi-missions est prévue à l'automne.
En matière de simulation, nous avons dans la Marine entre 200 et 250 simulateurs. Ils portent sur des simulateurs métier génériques, sur des simulateurs tactiques et sur des simulateurs de war game. Une étude en cours, menée avec la DGA, vise à bâtir une architecture de simulation en vue d'une mise en réseau. Pendant leur transit, les flottes américaines peuvent aujourd'hui être placées dans des univers de simulation complètement intégrés, dans des zones éloignées de celles dans lesquelles elles naviguent. C'est un modèle intéressant.
M. Cédric Perrin. - Est-ce suffisant ?
Amiral Pierre Vandier. - Les 20 millions d'euros représentent le coût de 110 jours de mer d'une frégate multi-missions. L'expérience montre que les programmes qui ont bénéficié de simulations ont connu une amélioration de la qualité d'activité, pas nécessairement une baisse d'activité. Les heures gagnées sont reportées sur des entraînements tactiques plus compliqués. La simulation est donc le corollaire de la performance. Si les économies en heures de vol ou jours de mer sont marginales, la robustesse militaire en bénéficie largement.
Je tiens particulièrement aux armes à énergie dirigée. En la matière, nous prévoyons cet été une expérimentation avec Helma-P, une tourelle laser de puissance fournie par Cilas, que nous placerons sur une frégate de défense aérienne. Nous voulons ainsi prouver qu'il est possible, avec un laser de puissance, d'abattre des drones dans un rayon de quelques kilomètres.
Nous développons également un programme visant, à terme, à équiper nos bateaux de brouilleurs de puissance capables de détruire l'électronique de missiles assaillants à plusieurs kilomètres de distance. Au travers de cette LPM, nous voulons intégrer les premiers équipements dans les programmes à effet majeur et dans la défense sol-air basse couche. Ces travaux sont conduits en interarmées.
Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis sur le programme 212 « Soutien de la politique de la défense » - En 2019, l'état-major de la marine nationale, s'inspirant du système existant pour nos sous-marins nucléaires, a lancé l'expérimentation du double équipage pour les deux frégates multi-missions Aquitaine et Languedoc. Cette expérimentation s'est poursuivie sur les Fremm et nos patrouilles de service public.
Le double équipage a plusieurs avantages : il améliore l'efficacité opérationnelle des bâtiments concernés, il permet de mieux préparer les équipages en amont et d'anticiper davantage les départs, ce qui facilite la conciliation entre la vie de famille et la vie professionnelle. Le déploiement du double équipage sera-t-il poursuivi, voire généralisé ? Si oui, les recrutements prévus dans la loi de programmation militaire sont-ils suffisants ?
M. Joël Guerriau. - Comme l'ensemble des forces armées, la marine nationale est impliquée dans le projet de doublement des effectifs de la réserve opérationnelle, annoncé l'été dernier par le Président de la République. Ce projet représente un défi en matière de recrutement et de gestion des ressources humaines. La marine devra recruter et gérer 6 000 réservistes pendant la période de programmation.
Dans ce contexte, pourriez-vous nous présenter le projet de création de flottilles côtières, appuyées sur la réserve opérationnelle de premier niveau, qui permettra à la marine nationale de décliner de manière territorialisée sa participation à la montée en puissance des réserves ? Quel est le calendrier de déploiement envisagé ? Quel est enfin le coût estimé de ce projet, en dehors du financement des soldes, pour financer les infrastructures et équipements qui seront à la disposition des flottilles de réservistes ?
Amiral Pierre Vandier. - La création de doubles équipages sur certains types de bâtiments de surface est une oeuvre de mon prédécesseur. Nous l'avons poursuivie, si bien que quatre FREMM deux à Toulon et deux à Brest, trois patrouilleurs de service public et plusieurs bâtiments de soutien et d'assistance outre-mer fonctionnent aujourd'hui en double équipage.
Les bénéfices du double équipage sont effectivement importants. Le double équipage permet ainsi de gérer facilement des alertes, notamment outre-mer. Il s'accompagne également d'une augmentation très significative du niveau opérationnel, les équipages dans leur période à terre pouvant se concentrer sur l'analyse poussée du retour d'expérience, sur l'évolution des tactiques et doctrines et sur la préparation de la prochaine mission. Sans doubles équipages, je n'aurais pas pu faire Polaris.
La LPM porte l'ambition de mettre deux FREMM supplémentaires en double équipage en zone atlantique. La pression militaire, notamment sous-marine, y est en effet croissante. Le nombre de frégates restant inchangé, nous avons donc besoin de plus de jours de mer. Or une FREMM en double équipage est aujourd'hui à 162 jours de mer par an, contre 123 seulement pour une FREMM à simple équipage. Ce gain de 80 jours de mer environ est très intéressant.
Tout cela s'insère dans la manoeuvre RH globale dite « admission du service actif - retrait du service actif » (ASA-RSA). Pour le porte-avions, nous avons fait la démonstration que notre flotte embarquée devait être augmentée de 800 à 900 marins au cours de la période de programmation. Cela permettra de mettre en oeuvre les installations du PA-NG à partir de 2032-2033. Un point de revoyure est programmé vers 2027. En ce qui concerne l'équipage du porte-avions Charles-de-Gaulle, il est prévu de redescendre en effectifs après l'admission en service actif du PA-NG, soit en 2038-2039. La décision n'est donc pas à prendre maintenant.
En tout état de cause, le bénéfice du double équipage est avéré. Mon homologue britannique envisage d'ailleurs de passer l'ensemble de la Royal Navy en double équipage. Les États-Unis ont une vision différente : les missions des frégates américaines ont une durée très longue et le surplus de missions leur sera apporté par le déploiement de la flotte de drones de surface.
Concernant le doublement des effectifs de la réserve, l'objectif pour la marine est la territorialisation des unités de réservistes opérationnels. Nous voulons, d'une part, renforcer la cohésion nationale en améliorant le contact de l'armée avec la population et, d'autre part, combler les angles morts de nos préfectures maritimes dans la surveillance du littoral.
La première flottille côtière sera déployée en Atlantique à l'été 2024, une escouade étant constituée d'une embarcation semi-rigide, d'un véhicule permettant de la remorquer et d'un drone. Des antennes sont envisagées dans les départements et régions d'outre-mer (Drom) et dans les collectivités d'outre-mer (Com) et l'objectif est à terme d'atteindre 2000 à 3 000 réservistes. Nous voulons nous doter, à l'été 2025, d'une deuxième flottille côtière en Méditerranée et de deux escouades outre-mer et, à l'été 2026, d'une troisième flottille en Manche-Mer du Nord. Les coûts en équipement, matériel, véhicules et embarcations, sont de l'ordre de 50 millions d'euros sur l'ensemble de la LPM. En matière d'infrastructures, nous étudions les solutions les plus légères possible. Nous souhaitons utiliser l'existant, notamment le foncier de nos sémaphores, et solliciter les mairies pour trouver des terrains.
M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis des crédits du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». - En partenariat avec la DGA et les industriels, la marine nationale a engagé une démarche innovante baptisée Perseus, qui permet de tester en conditions réelles de nouvelles technologies à l'occasion d'exercices militaires. Quel en est le bilan ? Pourriez-vous nous présenter des exemples d'innovations dont l'intégration au sein d'un programme ou d'un équipement est envisagée à la suite de ces tests ?
M. Pascal Allizard. - Le 22 décembre dernier, la DGA a notifié à Airbus Defence and Space et à Dassault Aviation deux études d'architecture du système de patrouille maritime futur, sur la base de l'A320neo pour Airbus et du Falcon 10X pour Dassault, prenant ainsi acte de l'arrêt de la coopération avec l'Allemagne dans le cadre du programme Maritime Airborne Warfare System (MAWS). Quelles sont les attentes de la marine vis-à-vis de ce programme ?
Par ailleurs, le cahier des charges de la DGA prévoit que les solutions qui seront proposées par les avionneurs devront rester ouvertes à la coopération avec d'autres partenaires européens. D'autres pays se sont-ils déjà rapprochés de la marine pour intégrer ce programme ?
Pourriez-vous nous en dire plus sur la démarche Perseus ? A-t-elle vocation à être transposée aux autres armées ? Enfin, quels sont les premiers retours d'expérience de l'exercice Orion 23 ? Nécessitent-ils des adaptations de la LPM ?
Amiral Pierre Vandier. - L'engagement de la marine dans ORION s'est traduit par le déploiement de 26 navires de surface, 7 frégates françaises, 7 frégates alliées, 2 porte-avions, 2 sous-marins et 48 aéronefs. Ont participé à cet exercice des Britanniques, des Américains, des Espagnols, des Allemands, des Néerlandais, des Grecs et des Italiens. L'objectif était de mettre en oeuvre des forces navales opposées en préalable à une opération de débarquement. L'ensemble des domaines de conflictualité, ainsi que le volet logistique ont été pris en compte.
Nous en tirons comme enseignement le retour de l'extrême brutalité du combat naval. Les conflits navals symétriques sont très violents. Pendant la guerre des Malouines, les britanniques ont perdu jusqu'à un bateau par jour. Pour gagner, il faut être extrêmement réactif et avoir l'esprit à l'offensive. Pendant des années, on a profité de la haute mer en considérant que la zone était à faible risque. La portée et la précision des armes nous obligent aujourd'hui à être sur le qui-vive.
Notre principal retour d'expérience est que la pugnacité paie. Nous avons pu inventer des modes d'action performants et agiles. Un raid commando utilisant des missiles de l'armée de terre a ainsi pu détruire une frégate, qui s'était cachée au nord des îles du Frioul et qui n'était donc pas attaquable avec des missiles antinavires. Nous avons donc appris que, même cachés au milieu des îles, nous n'étions pas à l'abri. C'était d'ailleurs l'une des leçons de la guerre des Malouines : une frégate anglaise avait alors été touchée par surprise par un Exocet côtier.
Dans le cadre de « Perseus », nous avons expérimenté de nouveaux équipements, parmi lesquels un système d'interception de guerre électronique, des capacités durcies de positionnement GPS ou encore les premiers drones sous-marins. Grâce à de grands exercices, il nous est possible aujourd'hui d'affiner et de corriger les concepts qui nous sont proposés par les industriels.
Le cycle de la guerre est devenu très rapide. Nous devons donc nous faire un avis consolidé sur les équipements afin de bien flécher les investissements. « Perseus » offre à la DGA la possibilité d'avoir des avis d'experts militaires, dans des environnements opérationnels. Cela devrait permettre des économies significatives pour les centres d'essais et d'évaluations. Je crois beaucoup à la vertu de ce système.
Les études sur le système de patrouille du futur sont attendues pour le milieu de l'année prochaine. Nous avons aujourd'hui deux cellules, dont la taille, la capacité à emporter des armements et le domaine de vol diffèrent. On ne tire pas les mêmes armes depuis un avion à soute et avec des armements sous voilure. Il est intéressant de voir le domaine d'emploi militaire exploitable autour d'un Falcon 10X ou autour d'un A320neo.
M. Gilbert Roger. - Vous avez souligné l'importance de notre présence dans l'Indopacifique. En conséquence, nous abandonnons la Méditerranée aux Russes et aux Turcs et à leurs porte-avions. Ne serait-il pas envisageable de maintenir le Charles-de-Gaulle en Méditerranée pendant que le nouveau porte-avions se déploierait sur des théâtres beaucoup plus lointains ?
Amiral Pierre Vandier. - Vous semblez sous-entendre qu'il faudrait maintenir le Charles-de-Gaulle plus longtemps. Le lancement du projet PA-NG est précisément motivé par la date limite de fonctionnement du Charles-de-Gaulle. Techniquement, c'est la durée de vie de la cuve du réacteur, dont la structure atomique évolue dans le temps à cause du flux neutronique, et les études de sûreté ne prévoient pas un fonctionnement au-delà de la fin de la décennie 2030. Or changer la cuve revient à refaire un bateau, ce qui n'a pas de sens financièrement.
Je ne peux pas vous laisser dire que la Marine abandonne la Méditerranée. Nous y sommes au contraire très présents, au travers d'exercices comme Orion par exemple. Nos frégates assurent une présence quasi permanente en Méditerranée orientale. Nous participons également aux missions de l'Union européenne et réalisons des exercices bilatéraux avec les Grecs, les Italiens et les Espagnols. Nous sommes donc présents en Méditerranée, tout comme l'est l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan).
Fondamentalement, le porte-avions est un outil de combat naval de haute mer. Compte tenu de la violence et de la vitesse du combat naval, celui qui dispose la supériorité aérienne en haute mer dispose également de la supériorité navale. C'est la raison pour laquelle toutes les puissances qui s'imaginent un avenir militaire en mer - Italie, Royaume-Uni, France, États-Unis, Inde, Corée, Japon, Turquie - sont équipées ou sont en train de s'équiper de porte-avions.
M. Jacques Le Nay. - La LPM prévoit de doter la marine nationale d'au moins quinze systèmes de drones aériens marine d'ici à 2035, dont trois d'ici à la fin de l'année. En octobre dernier, vous avez expliqué à l'Assemblée nationale que ce système avait connu des difficultés techniques lors des essais réalisés sur une plateforme. Les essais plus récents sont-ils satisfaisants ? Comment seront utilisés les systèmes qui seront livrés dans les prochains mois ?
Amiral Pierre Vandier. - Le déploiement des drones implique une boucle d'apprentissage sur les cas d'usage. La réalité est que leur utilisation doit correspondre à un concept de mission pertinent. Le premier concept de mission que nous avons développé est de permettre aux bateaux qui ne sont pas équipés de plateformes pour hélicoptères de voir plus loin, au-delà d'une dizaine de kilomètres alentour. Aujourd'hui, les SMDM permettent d'atteindre une visibilité de 25 à 30 nautiques. Nous allons déployer ces drones sur les nouveaux patrouilleurs outre-mer.
Le deuxième axe est celui des drones hélicoptères, comme le S-100 de Schiebel. Le concept est le même : il s'agit d'améliorer la surveillance, grâce à l'optronique, ou oeil déporté.
La troisième étape vise à développer des drones avec une charge utile. C'est l'ambition du programme SDAM que nous menons avec Airbus. La spécification de la marine est la suivante : huit heures de surveillance à quatre-vingt miles nautiques, avec quatre-vingt kilos de charge utile. Nous recherchons la maturité, l'efficacité et la rentabilité. Le prix de la plateforme doit en effet se situer dans un rapport très favorable par rapport au prix de l'hélicoptère. Il faut enfin que la cohabitation entre le drone hélicoptère et l'hélicoptère lui-même soit possible. Les premiers drones hélicoptères devraient équiper nos frégates en fin de période de programmation.
M. Guillaume Gontard. - On connaît le rôle de la marine dans la protection des espaces naturels, la préservation des ressources et de la biodiversité, la lutte contre la pollution, ainsi que son expertise sur les questions climatiques ou sur les fonds marins. Comment cette expertise pourrait-elle être mieux partagée, par exemple avec l'Office français de la biodiversité (OFB) ou avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ? Existe-t-il déjà des canaux de partage de ces données, une forme de veille océanique ? Comment vous inscrivez-vous enfin dans la stratégie climat et défense ?
Amiral Pierre Vandier. - Compte tenu de la taille de notre ZEE, la deuxième au monde, nous avons évidemment un devoir d'exemplarité. Nous y travaillons beaucoup, au travers du « verdissement » de la Marine, et par la mise en oeuvre de directives de préservation de la biodiversité ou de sobriété énergétique sur nos bases à terre par exemple. Je pense également à nos investissements dans la déconstruction des navires, au branchement systématique de nos navires à quai, à l'emploi du gazole à bas taux de soufre ou encore aux études que nous menons sur la propulsion.
Nous allons même au-delà, en participant à la connaissance du milieu marin. Avec des scientifiques de Sorbonne-Université, nous avons ainsi lancé la mission Bougainville. Mon prédécesseur, formé en océanographie, a été très actif dans ce domaine. Nous avons créé sur nos bateaux outre-mer des officiers environnement qui participent à la collecte de données. Bougainville, c'est une très forte augmentation du volume des mesures par exemple sur les différents types de planctons, qui sont à la base des chaines alimentaires et qui jouent un rôle dans la captation du carbone de l'atmosphère.
Nous avons également missionné nos sémaphores pour surveiller la dimension environnementale et développé les moyens du centre d'expertises pratiques de lutte antipollution (Ceppol) de Brest. Tout un volet de notre action outre-mer est consacré à la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, dite pêche INN.
J'ai évoqué des partenariats scientifiques. Nous travaillons énormément avec le service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) et avec l'IFREMER. Sur le plus long terme se pose la question de la création d'un jumeau numérique de l'océan. Nous prêtons à ce projet une grande attention. Derrière les bonnes intentions climatiques et écologiques se cachent souvent des ambitions de puissance. Nous surveillons donc de près les puissances scientifiques émergentes qui, sous couvert d'océanographie, captent de la donnée à des fins militaires.
La notion de confidentialité des données est importante. Toute donnée scientifique n'est pas forcément destinée à être communiquée. Quand vous connaissez bien votre colonne d'eau, vous savez vous y cacher.
M. Olivier Cadic. - Ma question porte sur les besoins de recrutement de sous-mariniers pour accompagner les besoins de notre arme de dissuasion. Partir en mer à l'isolement, sans contact avec ses proches ni Internet pendant de longues semaines constitue un véritable défi. Lors d'une visite à Toulon, nous avions découvert cet enjeu critique. La question est-elle résolue ?
Mon passage sur l'île de Pâques il y a un mois, à 4 000 kilomètres des côtes les plus proches, m'a permis de mesurer les effets de la distance pour les marins. J'aimerais prendre avantage de votre échange récent avec votre homologue américain pour savoir si à vos yeux et aux siens, la LPM permettra de couvrir des missions visant à garantir la liberté de navigation dans l'Indopacifique, notamment en mer de Chine méridionale et dans le détroit de Taïwan, afin de sauvegarder la paix et la stabilité de la région. Serons-nous capables de patrouiller en mer de Chine et, en même temps, de surveiller nos côtes face au développement très rapide de la marine chinoise, qui paraît plus dynamique que la nôtre ?
Amiral Pierre Vandier. - La population de sous-mariniers s'élève aujourd'hui à 335 postes d'officiers dans le nucléaire et 850 postes d'officiers mariniers. Les flux entrants dans les forces sous-marines sont de l'ordre de 300 à 350 marins par an. Aujourd'hui, nous ne rencontrons pas de difficultés de recrutement particulières dans ce domaine.
Nous parlions d'écologie voilà un instant. De l'aveu même des sous-mariniers, il existe une « sobriété numérique ». Je constate que les jeunes qui ont subi un sevrage des réseaux sociaux ne s'en portent pas plus mal. Certes, la première phase durant laquelle vous êtes coupé de votre famille est assez dure, mais après trois semaines à un mois de mer, la sociabilité à l'intérieur des bateaux s'en ressent positivement.
Tous nos bateaux de surface ont des connexions internet. Cette situation peut être problématique par les traces numériques qui sont laissées. C'est pourquoi dès que l'on entre en opérations, nous coupons les connexions.
Les missions en mer de Chine méridionale sont fréquentes et régulières. Nous y défendons la liberté de navigation et refusons la privatisation de cette mer. Nos frégates stationnées en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie effectuent régulièrement ce genre de mission dans le nord de l'océan Pacifique. L'ambition de la France est d'affirmer le droit international, de préserver sa capacité à maîtriser ses espaces de manière souveraine et de naviguer en transit inoffensif dans les eaux internationales.
M. André Guiol. - J'ai eu la chance d'assister à un tir réussi de missile Aster 15 à bord de la frégate de défense aérienne Forbin. Ces tirs complexes ont lieu en moyenne tous les deux ans. L'effort qui est fait dans la LPM sur les munitions complexes est-il de nature à réduire cette période, quitte à jouer sur les dates de péremption ? Au-delà des tirs simulés, cette mesure permettrait de consolider la confiance des équipages dans leur matériel de défense.
Amiral Pierre Vandier. - L'ambition de la LPM est de procurer aux bateaux qui partent en mission une dotation de combat en munitions. La cible 2030 est d'équiper 70 % des bateaux, autrement dit tous ceux qui naviguent, d'une dotation de combat.
En termes d'entraînement, la LPM maintient le rythme actuel. Un missile de croisière naval coûte aujourd'hui 1,5 million d'euros. Le tirer dans un centre d'essais coûte 8 millions d'euros. Dans ces conditions, les tests doivent profiter à un maximum de bateaux. J'ai donc demandé que les officiers armes des bateaux qui ne tirent pas viennent à bord, que les débriefings soient très approfondis et que les cas de tirs soient suffisamment exigeants pour vérifier la performance du système. Tous nos tirs récents sont des succès et nous poursuivons dans cette direction.
M. Christian Cambon, président. - 8 millions d'euros pour tirer un missile dans un centre d'essais ?
Amiral Pierre Vandier. - C'est en effet très compliqué. Il faut descendre le missile du bateau, l'envoyer chez MBDA pour enlever la charge militaire et la remplacer par une case de télémesure qui coûte assez cher. Ajoutez à cela la préparation de la mission et la prestation du centre d'essais et le coût s'envole.
M. Ludovic Haye. - La maîtrise des mers et des océans fait l'objet depuis longtemps de nombreuses théorisations, selon le précepte des origines « celui qui commande sur mer commande partout ». Que peut-on entendre selon vous par l'expression « maîtriser les espaces maritimes », lorsque l'on estime que seulement 5 % à 10 % des fonds marins sont aujourd'hui cartographiés avec précision ? Certains chercheurs estiment même que l'on connaît mieux l'espace proche que les fonds marins de notre planète... Qu'attendez-vous concrètement de la LPM 2024-2030 et des nouvelles technologies qui l'accompagnent pour vous aider à progresser dans ce domaine ?
Amiral Pierre Vandier. -Mon prédécesseur a pris conscience de cette situation lorsqu'il s'est engagé auprès des familles des marins de La Minerve à retrouver ce bateau, qui avait disparu dans les années 1970. Malgré les moyens que l'État a mis en oeuvre, les recherches sont restées vaines au bout d'un mois de campagne. Nous avons donc fait appel à une société américaine utilisant des drones norvégiens et l'épave a été retrouvée en moins d'une semaine, à 3 500 mètres de fond.
Le développement des câbles, l'activité de la Russie et de ses sous-marins gigognes, nous obligent à réinvestir ce domaine. Les dispositions de la LPM devraient permettre de retrouver le niveau technique et la compréhension du domaine.
Nous n'avons pas pour ambition de maîtriser des millions de kilomètres carrés de fonds marins, mais d'être en mesure de comprendre certaines activités militaires spécifiques ou d'aller récupérer des objets. Vous aurez noté que les deux F35 qui sont tombés en mer ont tous les deux été remontés par les Américains, pour des raisons de secret technologique. Nous devons être capables de faire de même.
La donnée et le numérique constituent à nos yeux un axe de transformation technologique très important. Nous voulons mener des opérations augmentées et acquérir la supériorité décisionnelle grâce au numérique. Nous sommes en pointe dans ce domaine, grâce notamment au centre support de la donnée marine de Toulon, qui développe les premiers clouds de combat.
Concernant les armes à énergie dirigée, mon objectif est qu'on ne tire pas un Aster 15 qui vaut un million d'euros contre un drone qui vaut 10 000 euros. Le prix d'un tir vers un drone doit être inférieur ou égal au prix du drone. C'est une condition de notre supériorité.
Enfin, le dernier axe est la démultiplication de nos effets par les drones. Pour les non-connaisseurs, les drones sont des armes de substitution. Je suis convaincu que, en mer, ce sont des armes de complément. Elles permettent de prendre davantage de risques. Ce sont des exhausteurs de capacités, qui ne remplaceront pas toutefois les capacités existantes.
M. Christian Cambon, président. - Nous vous remercions, Amiral, pour toutes ces précisions. J'en profite pour renouveler notre soutien à la marine nationale.
Projet de loi de programmation militaire - Audition du général Pierre Schill, chef d'état-major de l'armée de Terre
M. Christian Cambon, président. - Mon Général, je vous remercie de votre présence devant la commission pour évoquer le projet de loi de programmation militaire 2024-2030 qui est en discussion à l'Assemblée Nationale et qui sera bientôt examiné par le Sénat.
Alors que le déroulement de la guerre en Ukraine a démontré la place centrale du combat terrestre dans la guerre d'aujourd'hui et de demain, nous sommes très attentifs à recueillir votre appréciation sur ce projet de LPM. Vous nous direz dans quelle mesure le projet présenté par le gouvernement est en cohérence avec la programmation actuelle.
Nous sommes particulièrement vigilants à ce que cet exercice de programmation permette de mener des actions sur le temps long. Vous nous direz si les grandes priorités identifiées dès 2018, je pense en particulier au programme Scorpion, sont bien poursuivies et consolidées par ce projet de LPM. Nous constatons que ce programme capacitaire pourrait être ralenti sur le plan quantitatif. Toutefois le ministre nous a indiqué que ce ralentissement est lié à une question de cohérence, vous nous donnerez votre sentiment sur ce sujet.
Annoncée comme une loi de transformation, cette LPM a pour ambition de faire évoluer l'armée de terre en profondeur pour s'adapter aux défis de la nouvelle ère qui s'ouvre. Vous nous direz en quoi la large réorganisation programmée, qui concernera 15 % des forces opérationnelles, est susceptible de nous préparer aux défis prioritaires de l'action en profondeur et de l'hybridité. Vous nous apporterez également un éclairage sur les quatre principes que vous avez fixés pour cette modernisation : durer, protéger, agir et innover.
En premier lieu, nous aimerions en apprendre davantage sur la cohérence mise en avant dans cette transformation. Si on prend l'exemple des régiments d'infanterie et de cavalerie, l'acquisition de moyens de guerre électronique ou de drones soulève de nombreuses questions. Quel sera, par exemple, l'impact du surcoût lié au maintien en condition opérationnelle de matériels informatiques qui sont substantiellement plus fragiles que des chars ou des fusils ? Envisagez-vous l'acquisition de matériel de moindre coût au regard de la faible espérance de vie des drones au combat tel qu'illustré par la guerre en Ukraine ? Comment faire en sorte que l'important chantier de formation induit par la transformation ne dégrade pas la capacité d'entraînement de ces unités ? Enfin, si ces développements nouveaux se font par reconversion d'anciennes unités de mêlée, ne risquons-nous d'aggraver encore le problème de l'épaisseur de nos forces en cas de conflit ?
En deuxième lieu, nous serons intéressés par votre analyse sur la question des munitions. Alors que le projet de loi évoque une enveloppe de 2,6 milliards d'euros dédiée aux munitions de l'armée de Terre, pouvez-vous nous donner des précisions sur la cadence d'acquisition de ces munitions et sur les conséquences que cela représente en termes d'infrastructure de stockage ?
En troisième lieu, nous souhaiterions avoir des précisions sur le projet de « Volontaires du territoire national » que vous avez évoqué dans le cadre de l'objectif de doublement de la réserve opérationnelle de l'armée de Terre, ce qui représente le recrutement de 25 000 réservistes supplémentaires. En particulier, qu'en sera-t-il de la création d'unités de réservistes dans les zones identifiées comme des « déserts militaires » ? Vous connaissez l'attachement du Sénat à nos territoires, et notre commission aimerait savoir quels sont les besoins en infrastructures et en matériels identifiés pour la création de ces unités de réserve.
Mon Général, Vous avez la parole.
Général Pierre Schill, chef d'état-major de l'armée de Terre. - Depuis plus d'un an, la guerre est revenue en Europe. Dans ce contexte, les ambitions de défense définies par le Président de la République sont réelles et la Nation consent un effort pour accroître les ressources des armées. Compte tenu du contexte stratégique et politique, j'estime qu'il y a un moment pour l'armée de Terre.
L'armée de Terre est une armée d'emploi, polyvalente, qui connaît le prix du sang pour l'avoir payé lors de ses engagements successifs. Elle est adaptée à l'ambition d'une France puissance d'équilibres et d'entraînement. C'est une armée de force médiane. Cela ne signifie pas que nous renonçons à la puissance, mais la mobilité, la polyvalence et la cohérence sont recherchées en priorité. Il est primordial de tenir cet équilibre entre les combats de ce soir et ceux de demain, entre capacité conventionnelle et capacité émergente, entre haute intensité, hybridité et influence, entre territoire national, Europe et arc de crise.
La date du 24 février 2022 est le symbole d'une nouvelle ère stratégique. À l'affrontement militaire se superposent des lignes de fracture qui dépassent largement le périmètre géographique et temporel de la guerre en Ukraine. Elles sont d'ordre géopolitique, culturel et portent sur les valeurs. Quels sont, pour l'armée de Terre, les défis de cette nouvelle ère ? J'en vois trois.
Le premier défi est celui de l'action immédiate et permanente. Quoi qu'il arrive, l'armée de Terre doit être en mesure d'agir en permanence et simultanément dans trois espaces stratégiques : celui de la protection, la souveraineté, la résilience et l'esprit de défense en métropole et outremer ; celui de la prévention et l'influence dans l'arc de crise élargi (Afrique, Moyen-Orient, océan indien, Pacifique) ; celui enfin de la solidarité stratégique, principalement en Europe et au Moyen-Orient, jusqu'à l'engagement majeur qu'est le combat de haute intensité.
Le deuxième défi est celui de la consolidation de nos fondamentaux, à commencer par notre capacité à remplir notre mission. Le contrat opérationnel de l'armée de Terre fixé dans la nouvelle loi de programmation militaire est proche, en volume, de celui de la loi précédente, mais réorganisé comme celui des autres armées. Il comprend d'une part une posture de réactivité représentant jusqu'à quatre brigades et d'autre part un complément de forces jusqu'à une division de combat et un poste de commandement de corps d'armée mobilisables en cas d'engagement dans une opération majeure. Ces outils, qui sont ceux de la haute intensité, sont ceux qui nous permettraient de tenir notre rang et nos engagements en coalition pour la défense collective de l'Europe, mais aussi de jouer un rôle de nation-cadre dans d'autres types d'engagements. La consolidation de nos fondamentaux appelle également celle de notre culture d'armée d'emploi. Manifestée dans la polyvalence et les forces morales de l'armée de Terre française, cette culture repose sur l'alchimie entre les soldats qui forment les rangs et un encadrement performant et expérimenté qui valorise l'esprit d'initiative et la responsabilité.
Je vois un troisième défi en contrepoint de cette consolidation : les enjeux de la nouvelle ère stratégique nous appellent à nous adapter aux évolutions. Nous ne pouvons pas rater le tournant de la transformation. Cette transformation, pour l'armée de Terre sera conduite à trois niveaux.
En premier lieu, la modernisation des capacités nous fera gagner en puissance. L'effort consenti par la loi de programmation militaire 2024-2030 nous permet de poursuivre ce qui a été initié. Ainsi, la modernisation Scorpion se poursuivra au cours des sept prochaines années. Deux mille quatre cents véhicules seront livrés, soit quatre fois plus que les six cents que nous avons aujourd'hui. Dans le même temps, l'armée de Terre acquerra des capacités qui lui font défaut afin de gagner en puissance, quitte à faire des choix pour cela sur le séquencement d'autres priorités. Il faut être réaliste : le décalage envisagé des cibles Scorpion a été la condition de l'acquisition de capacités alternatives indispensables et urgentes : feu dans la profondeur, drones et robots, capacités cyber, moyens de défense sol-air, moyens anti-char, munitions, stocks. Les cibles initiales seront bien atteintes mais après l'échéance de 2030.
La deuxième transformation est celle de l'ajustement de notre organisation dans un sens plus opérationnel et susceptible de produire des effets militaires dès le temps de la compétition. Notre organisation actuelle dite « au contact !» a donné une cohérence forte à chacune des composantes fonctionnelles de l'armée de Terre, mais au prix d'un mécanisme de mise sur pied des forces à déployer et de coordination quotidienne couteux en délai et complexe. Les apports de ce modèle nous permettent aujourd'hui de prendre une orientation davantage portée par les finalités et plus à même de nous interfacer avec le monde des opérations interarmées.
Le troisième facteur de transformation, que je crois le plus fondamental, est celui d'une révolution copernicienne dans le fonctionnement interne de l'armée de Terre. Je veux que nous simplifions en passant d'une culture des modalités à une culture des finalités, comme au combat.
Le contexte stratégique et politique de la loi de programmation militaire donne l'opportunité et appelle l'armée de Terre à s'adapter en profondeur aux défis de la nouvelle ère stratégique pour traverser les périls de la décennie à venir. L'armée de Terre a les moyens, donc le devoir, de bâtir l'armée de Terre dont la France et les armées auront besoin pour la décennie 2030-2040. J'estime indispensable de pousser les feux sur la transformation. Après la consolidation pendant une décennie de l'armée de Terre « Au contact ! », nous franchissons une nouvelle étape en visant une « armée de Terre de combat ». Elle devra « être et durer », protéger, agir et innover.
Être et durer, c'est d'abord être une armée d'emploi et le demeurer ; être animé de l'esprit guerrier et le perpétuer. Le soldat est le pilier central qui structure l'édifice « armée de Terre ». C'est pourquoi les investissements « à hauteur d'homme » seront poursuivis. Nous sommes l'une des rares armées en Europe à recruter chaque année en quantité et en qualité les jeunes dont nous avons besoin, même si cela reste un défi permanent et croissant. Gagner la bataille des effectifs et de la fidélisation sera primordial pour disposer d'une force opérationnelle terrestre de 77 000 soldats. La direction des ressources humaines de l'armée de Terre sera renforcée pour faire fructifier davantage notre richesse humaine. Les enjeux sont de taille. Le premier enjeu consiste à conserver notre attractivité, dynamiser le recrutement et fidéliser, en conduisant notamment des travaux ciblés sur les grilles indiciaires. Le deuxième enjeu est de faciliter la génération de compétences techniques : dès la rentrée 2023, l'effectif du BTS cyber de Saint-Cyr l'Ecole sera doublé ; à l'horizon 2027, le nombre de jeunes admis à l'école militaire préparatoire technique de Bourges sera, lui aussi, doublé, le panel des scolarités y sera élargi. Le troisième enjeu requiert de moderniser la gestion du personnel d'active comme de réserve en relevant les défis de la compétence comme de la mobilité (professionnelle et géographique). Enfin, le quatrième enjeu repose sur le renforcement de la « communauté Terre » pour accompagner ses membres, leurs familles, nos mille trois cents camarades blessés et les associations d'entraide. Un officier général « communauté Terre » sera nommé cet été pour porter cette politique.
Être et durer, c'est aussi préserver les atouts et consolider le socle de la formation de nos cadres, qui est au coeur de la qualité et du style de commandement de l'armée de Terre. Ma priorité portera sur le commandement, en veillant à ce que chaque échelon soit à sa bonne place, en donnant de l'autonomie, en réintroduisant de la subsidiarité, c'est-à-dire en tendant vers le respect du triptyque une mission/un chef/des moyens. L'échelon des brigades sera ainsi davantage investi des responsabilités qui pèsent aujourd'hui trop directement, depuis l'échelon central, sur nos cent quatre-vingts régiments et formations administratives.
Être et durer, c'est aussi accroître l'épaisseur logistique, assurer la régénération des matériels et densifier la préparation opérationnelle. Les crédits en croissance dédiés au maintien en condition des matériels, accompagneront le rééquilibrage de la charge d'entretien entre industrie privée, industrie étatique et régiments de maintenance. La structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres développera le dialogue avec les industriels, dans une logique « d'économie de guerre ».
Deuxième volet : protéger. L'armée de Terre joue un rôle majeur dans la protection des Français en métropole comme outremer ainsi qu'à la promotion de l'esprit de défense et à la résilience de la Nation. Son commandement du territoire national accompagnera la consolidation d'une capacité de coordination et de planification interarmées pour la gestion d'évènements majeurs planifiés tels que les Jeux Olympiques de Paris en 2024 ou la réaction aux situations d'urgence en appui des forces de sécurité intérieure.
Au cours de ces dernières décennies, la réserve n'a pas suffisamment bénéficié des effets de la modernisation. Les effectifs de la réserve seront doublés, et apporteront un complément de masse. Au-delà de la quantité, la réserve connaîtra une évolution profonde de structure et de finalité. À terme, l'armée de Terre comptera quelques 50 000 réservistes, répartis entre compléments individuels et unités de réserve, représentant environ 150 compagnies.
L'armée de Terre contribuera, avec les autres armées, au renforcement du dispositif outremer, qui se traduira notamment par une modernisation des équipements et un investissement dans les infrastructures.
Troisième volet : agir. Par sa posture, ses signalements, l'armée de Terre est appelée à produire des effets en permanence pour décourager nos adversaires et « gagner la guerre avant la guerre », tout en se tenant prête à vaincre au combat si nécessaire. Tout peut arriver, à tout moment. La puissance sera un gage de fiabilité de notre armée de Terre. La réactivité de notre système d'alerte garantira notre capacité à remplir les missions confiées. La guerre en Ukraine souligne l'importance du commandement, du soutien, de la logistique et des appuis. Nous allons procéder à un rééquilibrage de ces fonctions opérationnelles au sein des brigades et entre brigades.
Pour être à la hauteur de ces exigences, le commandement des forces terrestres sera réorganisé. Nos piliers métiers actuels seront réorganisés en trois commandements, pour apporter aux divisions les capacités nécessaires au combat moderne dans les domaines du renseignement, des opérations dans la profondeur, des actions spéciales, de l'hybridité, du cyber, des appuis et de la logistique. Le tout reposera sur des brigades interarmes et spécialisées plus autonomes.
Les régiments d'infanterie seront significativement réorganisés au cours de la loi de programmation militaire, amenant à un renforcement de leurs capacités. Les Griffon et les Serval continueront à remplacer les véhicules d'ancienne génération. Demain, la transition de la Peugeot 205 à la voiture connectée sera achevée.
Les régiments de cavalerie verront leurs capacités d'agression, leur dotation de munitions téléopérées et leurs moyens de renseignement renforcés. Cela permettra de mieux équiper les escadrons de reconnaissance et de créer de nouvelles unités spécialisées de guerre électronique ou de renseignement technique. La majeure partie de nos chars Leclerc sera rénovée.
Pour répondre au durcissement des conflits, la loi de programmation militaire permettra de renouveler les équipements de nos unités d'appui et de combler certaines de leurs fragilités. D'ici 2030, chaque régiment d'artillerie disposera de seize Caesar de nouvelle génération, de huit mortiers embarqués sur Griffon, de munitions téléopérées moyenne portée et de nouveaux moyens d'acquisition et de renseignement.
Dans les faits, l'armée de Terre comblera les manques actuels du volet « feu » et densifiera la modernisation de ses moyens d'acquisition. Dans le domaine des feux dans la profondeur, elle comptera au moins treize lanceurs en 2030. La capacité de défense antiaérienne d'accompagnement entamera sa reconstitution, permettant de combattre les menaces aériennes au-dessus des forces terrestres.
Réorganisé, le génie bénéficiera d'un renforcement en effectif qui lui permettra de recréer des unités disparues spécialisées dans le minage, le contre-minage et le franchissement, et de densifier des capacités qui sont aujourd'hui échantillonnaires (ouverture d'itinéraires, franchissement fluvial).
L'aéro-combat réalisera sa mue depuis des parcs hétérogènes vers des parcs modernes et homogènes avec notamment la livraison de vingt hélicoptères NH-90 dont dix-huit au standard « forces spéciales ».
La période 2024-2030 marquera surtout la transition entre deux générations de connectivité et soutiendra l'ambition de nation-cadre à travers un système de commandement complet, durci et modernisé. Le réseau de commandement de théâtre sera renouvelé par les programmes Astrid et Syracuse. La connectivité Scorpion sera déployée. Au-delà du renouvellement des équipements, c'est la révolution du combat collaboratif qui se concrétisera, c'est-à-dire l'aptitude de plusieurs unités à partager en temps réel les positions, alertes et cibles pour des défenses et des attaques croisées, ainsi que des tirs au-delà de la vue directe.
L'armée de Terre poursuivra la démarche robotique Vulcain. En 2026, une première unité pilote sera équipée de six à huit plates-formes armées dans le but d'expérimenter l'accompagnement de groupes de combat débarqués. En 2030, les premières unités robotiques seront opérationnelles. La LPM portera donc un ambitieux programme robotique. L'enjeu sera de concilier la haute technologie de ces futurs robots avec le pragmatisme et la rusticité de notre armée de Terre.
Quatrième volet : innover. La modernisation Scorpion est un succès qui permet à l'armée de Terre d'être en avance, par rapport à ses partenaires européens, dans le domaine du combat collaboratif. Toutefois, certains virages doivent encore être négociés : l'opérationnalisation des drones, l'hybridité, le cyber, le big data et son traitement, le cloud de combat. Pour éclairer, comprendre les enjeux de la métamorphose de la guerre et dynamiser la transformation capacitaire des unités, je souhaite créer un commandement du combat futur. L'objectif est de favoriser la transformation de l'armée de Terre en assurant la continuité entre innovation réactive et prospective. Il s'agira, par une démarche exploratoire, de transformer les innovations technologiques en innovations tactiques pertinentes mises en place dans nos unités pour conserver la supériorité sur le champ de bataille. Nous le ferons en concentrant dans une même structure la doctrine, le retour d'expérience, l'expérimentation et l'innovation participative.
Pour conclure, je dirai que la transformation de l'armée de Terre doit se concrétiser par des jalons opérationnels successifs :
- en 2023, l'expérimentation d'une brigade interarmes Scorpion ;
- en 2025, une capacité portée à deux brigades Scorpion, ainsi que la participation à l'exercice Warfighter avec l'armée de terre américaine ;
- en 2026, l'exercice Orion, qui donnera l'occasion d'exploiter les retours d'expérience de l'édition que nous venons d'achever ;
- en 2027, l'opérationnalisation d'une division Scorpion à deux brigades déployables en un mois ;
- en 2030, une division relevable.
Je suis prêt à répondre à vos questions.
M. Olivier Cigolotti. - Le char Leclerc pourrait être pérennisé jusqu'à 2040, voire 2045. Quel sera le surcoût de cette pérennisation et l'impact sur l'utilisation du Leclerc par les équipages ? Les moyens d'entretien programmé du matériel nécessaires à ce choix sont-ils bien inscrits en LPM ?
Plus globalement, le rythme de consommation de l'EPM et le niveau de disponibilité sont supposés être mis en cohérence avec les livraisons des équipements neufs. Il semble que les contrats opérationnels le soient aussi. Pouvez-vous nous préciser les grandes évolutions du contrat opérationnel de l'armée de terre par rapport à la précédente LPM ?
Pourquoi les matériels nécessaires au contrat opérationnel ne sont-ils pas énumérés dans la LPM ?
Enfin, peut-on dire que le contrat opérationnel progresse par rapport à la précédente LPM ?
Mme Michelle Gréaume. - Les missions opérationnelles de nos forces à l'est de l'Europe, aux côtés de nos alliés, conservent une portée dissuasive, mais permettent également de d'entrainer nos troupes. Pensez-vous que ces missions méritent d'être densifiées ?
Vous avez indiqué à l'Assemblée nationale que le niveau d'entraînement se situe aujourd'hui à 70 % de la norme et que votre ambition est d'atteindre 100 % à la fin de la période couverte par la loi de programmation militaire. Le niveau de 70 % de la norme devait-il initialement être atteint en 2023 ou plus tôt au cours de la LPM actuelle ? Ces 100 % devaient initialement être atteints à la fin de la LPM 2019-2025 ; ils ne le seraient qu'en 2030. Ce décalage de 5 ans semble être dicté par des impératifs budgétaires, à l'image des retards de livraison de véhicules.
Quel sera son impact sur les capacités de l'armée de terre ? Quelles seraient les conditions nécessaires pour que la préparation opérationnelle de l'armée de terre augmente plus rapidement si la nécessité d'un engagement de haute intensité advenait ?
Général Pierre Schill - La rénovation du Leclerc doit être prise en compte dans la question plus générale du char, donc du MGCS, qui est le programme à venir avec les Allemands. Le char doit lui-même être pris en compte dans la logique plus vaste des unités blindées. Dans notre armée de terre, nous avons deux brigades blindées lourdes. Nous avons besoin de pouvoir mettre sur pied en trente jours une brigade lourde qui comprendrait deux régiments de chars avec chacun quatre escadrons. C'est ce qui dimensionne le contrat opérationnel de nos chars, sachant que nous avons aussi besoin de garder une capacité de réaction de deux autres escadrons de chars, pour pouvoir faire face à une autre menace. C'est à partir de ces éléments que nous avons défini le parc chars Leclerc dont nous avons besoin.
Le Leclerc arrivera en fin de vie à l'horizon que vous décrivez. Nous voulons le remplacer par le MGCS, en coopération avec les Allemands. Initialement, nous avions pour ambition que les premiers éléments de ce nouveau système arrivent dans les forces en 2035. Ce nouveau système sera probablement un char classique, habité ou non en fonction des modalités d'engagement, accompagné d'engins du même calibre ou capable d'effectuer les mêmes missions de percement du dispositif ennemi et d'exploitation dans la profondeur. Manifestement, certains segments du programme MGCS pourraient glisser dans le temps pour des questions industrielles, mais aussi parce que la maturité de la robotique terrestre arrivera un peu plus tard que celle des systèmes de robotique aériens ou navals compte tenu de la complexité du milieu dans lequel ils évoluent.
L'avenir du char Leclerc dépend de la date d'entrée en service opérationnel du MGCS. Le ministre a demandé publiquement que la coopération avec les Allemands soit relancée, notamment en se mettant formellement d'accord sur le besoin opérationnel. J'espère que ce sera possible dans les prochaines semaines, ce qui nous permettra ensuite de progresser sur le plan industriel. Concernant le Leclerc, mon objectif est de lancer une première modernisation du char. Nous réaliserons des études complémentaires afin de définir en 2025 la portée et la profondeur de cette modernisation. Je souhaite m'associer autant que possible à des pays partenaires. Les Emiriens sont prêts à coopérer avec nous pour la modernisation du Leclerc.
A conserver ?...Je le maintiendrais
Le contrat opérationnel n'est pas pour 2030 ou 2040, mais pour aujourd'hui. Il sera pérenne sur la décennie à venir. Ce contrat opérationnel doit être tenu en permanence tout au long de la transformation. L'objectif est de le tenir de mieux en mieux, et de manière cohérente sur les différentes capacités constitutives, mais aussi sur les capacités de munitions en stock.
L'entraînement au combat de haute intensité est la toise maximale de ce que nous devons savoir faire. Nous devons nous préparer au risque le plus élevé. L'enjeu, en s'entraînant à ce maximum, est de pouvoir ensuite décliner des modes d'engagement moins exigeants, mais qui seront une réalité, même si nous devons affronter des milices paraétatiques puissantes, disposant notamment de capacités nivelantes (drones, cyber, feu longue portée). L'arsenal que nous avons à acquérir pour, le cas échéant, tenir notre position dans la défense collective en Europe, se trouve être similaire dans sa nature, à celui dont nous aurions besoin dans les autres types d'engagement.
La cohérence se mesure d'abord en interarmées. Je lui vois deux dimensions au sein de la seule armée de Terre. La première est la cohérence de l'ensemble des fonctions opérationnelles entre elles. Aujourd'hui, les fonctions de mêlée sont sans doute sur-représentées dans l'armée de Terre. La cohérence consiste à rééquilibrer nos différentes fonctions opérationnelles. La seconde cohérence est davantage capacitaire. Un équipement majeur ne peut déployer sa pleine efficacité qu'avec un certain nombre d'éléments d'accompagnement, dont les munitions. Il est donc nécessaire que les équipages soient entraînés avec leur équipement.
La loi de programmation militaire actuelle prévoyait une croissance du niveau de préparation d'activité (de 50 % à 100 % de la norme d'activité correspondant à celle d'une année de premier rang). En 2023, notre niveau d'activité atteindra 70 % de cette norme. La prochaine loi de programmation militaire prévoit les ressources pour maintenir ce niveau d'activité, puis le faire croître jusqu'à 100 % en 2030. Cette année, le niveau de 70 % nous a permis de participer à l'exercice Orion et de poursuivre la préparation opérationnelle de nos unités.
Nos chars seront moins disponibles pendant la modernisation du Leclerc, si bien que le nombre d'heures de fonctionnement de chars Leclerc dans l'armée de Terre sera réduit pendant la période initiale de modernisation.
M. Joël Guerriau. - L'armée de terre est, avec 116 000 militaires, le premier employeur du ministère des armées. C'est aussi la force qui a été la plus concernée par les réductions de cible d'augmentation des effectifs réalisée au cours des exercices annuels successifs d'actualisation de la programmation militaire actuelle. Alors que la trajectoire initiale de 2018 prévoyait 220 créations de poste dans l'armée de terre en 2024, cette cible a été ramenée à 90 après les exercices d'actualisation successifs.
À quels postes renoncerez-vous ? Quel est le nombre programmé de créations de postes au sein de l'armée de terre en 2024 et en 2025 ? Quelles seront les conséquences pour les forces opérationnelles de la réduction des cibles de création de postes pour les deux premières années de la programmation ?
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Le projet de loi présenté par le gouvernement propose, en son article 15, de pérenniser et de codifier la possibilité de maintien temporaire en service qui avait été créée par une loi de juin 2020 pour réagir dans l'urgence face aux difficultés de recrutement associées au déclenchement de la crise sanitaire. Le projet de loi prévoit aussi de modifier la durée maximale de maintien en service au-delà de la limite d'âge ou de durée de service en la portant d'un an à trois ans.
Au regard de l'impératif de jeunesse qui pèse particulièrement sur l'armée de terre en raison de ses engagements opérationnels fréquents, y compris à l'extérieur du territoire national, quelle est votre position sur ce dispositif ? Estimez-vous qu'une réflexion doit être engagée sur les limites d'âge actuellement en vigueur pour les militaires de carrière concernés par ce dispositif ?
Général Pierre Schill. - En 2024, il n'y aura pas de postes créés pour l'armée de Terre. Néanmoins, sur l'ensemble de la loi de programmation militaire à venir, 600 postes seront créés pour l'armée de Terre. Dans la loi de programmation militaire qui s'achève, nous avions un certain nombre de créations de postes. Nous avions choisi de les cibler sur les postes à plus haute valeur ajoutée. Nous voulions notamment créer des postes dans les nouvelles capacités cyber et du renseignement. Nous avons créé ces postes par transfert depuis d'autres fonctions opérationnelles.
Le recrutement de nos militaires du rang est correct. Nous avons fini l'année 2022 à l'effectif qui nous était accordé. Il n'empêche qu'il existe une vraie difficulté de recrutement et de fidélisation, avec à peine plus d'un candidat pour un poste. Nous devons donc renforcer notre attractivité pour recruter davantage de militaires du rang mais aussi de sous-officiers. L'impératif de jeunesse doit être conservé. Nous avons besoin d'une armée jeune. Nos régiments ont une moyenne d'âge de ving-huit ans, cadres compris. Nos jeunes s'engagent à vingt ans en moyenne. Ils passent six à sept ans dans les armées. Nos militaires du rang ont une moyenne d'âge de vingt-six ans. C'est un atout, même si j'aimerais que la moyenne d'âge des militaires du rang soit un peu plus élevée. Cette réalité globale doit être maintenue. Je suis donc très satisfait que les limites de pensions à jouissance immédiate n'aient pas été remises en cause par la récente réforme des retraites. En revanche, il est tout à fait bienvenu que les maintiens puissent être facilités dans certains cas. Prenons l'exemple des colonels : peu atteignent chaque année la limite d'âge de 59 ans. Beaucoup d'entre eux choisissent de partir et de reprendre un emploi dans le civil avant cette limite. La possibilité de prolongation ne concernera donc que quelques personnes. Cette mesure créera un nouvel espace de liberté et donnera davantage de souplesse en gestion sans remettre en cause l'impératif de jeunesse.
M. Pascal Allizard. - La semaine dernière, le ministre Sébastien Lecornu a indiqué à nos collègues députés qu'il se rendrait à Berlin le 12 juin pour « un premier attendu des besoins des deux armées de terre concernant le char du futur », tout en précisant vous avoir demandé de formuler des propositions, en lien avec votre homologue allemand, pour « définir clairement ce que l'on attend de ce char de demain ». Pourriez-vous préciser les attentes françaises concernant ce futur char ? A ce stade, ces attentes vous semblent-elles compatibles avec celles identifiées par les Allemands ?
Compte tenu de la menace observée en Ukraine, le nombre de véhicules de lutte anti-drone vous paraît-il adapté ? Y a-t-il des coopérations européennes possibles sur ce sujet ?
Enfin, pourriez-vous évoquer l'organisation de la réserve au niveau local, notamment la création de bataillons territoriaux dans les déserts militaires et leur financement ?
M. Yannick Vaugrenard. - Les crédits consacrés à l'innovation devraient atteindre 10 milliards d'euros entre 2024 et 2030, dont 7,5 milliards d'euros au titre des études amont. Avez-vous déjà connaissance de l'enveloppe qui sera dévolue au domaine terrestre ? Le projet de LPM vous semble-t-il de nature à couvrir l'ensemble des besoins terrestres devant être étudiés dans le cadre du projet TITAN, qui vise à garantir l'aptitude à acquérir et conserver la supériorité dans le milieu terrestre face à un adversaire de premier rang à l'horizon 2040 ?
Général Pierre Schill. -Le retard pris par le projet MGCS s'explique surtout par des raisons industrielles. Notre ministre des armées a échangé sur ce sujet avec son homologue. Nos équipes continuent à travailler. De son côté, le DGA se rendra à Berlin en amont de la visite du ministre.
Nous avons d'abord un besoin en volume. Nous avons besoin de pouvoir aligner une brigade blindée à cent vingt chars Leclerc. Avec le MGCS, nous aurons besoin du même nombre d'escadrons pour constituer une brigade blindée. Le char, au sein de cette brigade blindée, devra d'abord être connecté à l'ensemble des autres équipements. Dans le combat interarmes, voire interarmées, une capacité ne vaut que si elle est intégrée. Le système MGCS devra aussi être puissant pour s'engager dans un combat destructeur : percer le dispositif adverse puis exploiter dans la profondeur. Ce système devra aussi être capable d'accomplir d'autres missions que le combat frontal. Il ne doit donc pas être trop lourd. Il doit pouvoir agir en dehors du théâtre européen. Voilà nos impératifs. Le MGCS sera un compromis entre ces priorités. J'estime que nos impératifs rejoignent ceux de l'armée de Terre allemande, et au-delà, ceux des autres armées européennes qui ont toutes vocation à terme à acquérir ce système.
Les engagements modernes ont montré que la menace aérienne était omniprésente. Il n'existe pas d'engagement possible sans une forme de protection contre cette menace, qu'il s'agisse de drones légers ou d'hélicoptères. Il n'y a pas, aujourd'hui, de solution de protection contre les drones qui soit réellement efficace et universelle. De nombreuses études sont menées. La loi de programmation militaire a identifié le sujet de la défense sol-air, dont la lutte anti-drones est la couche la plus basse, comme étant un domaine dans lequel des investissements sont nécessaires. Des ressources ont été identifiées pour cet ensemble. Le sous-ensemble « lutte anti-drones » en bénéficiera pour développer des solutions qui dépendent aussi des évolutions technologiques des années à venir. Au niveau de l'armée de Terre, nous avons identifié deux voies : des systèmes portatifs ou des systèmes à base de lasers ou de canons montés sur les véhicules.
Dans ce domaine, l'innovation est nécessairement interarmées. Le domaine clé dans lequel nous devons avancer, est celui de la connectivité des systèmes de commandement. Les crédits consacrés aux études y sont transverses. Dans la loi de programmation militaire, les crédits de recherche me semblent bien équilibrés entre les différents domaines. La démarche de combat collaboratif (Scorpion, puis Titan) et la démarche robot (terrestre et aérien) bénéficient de crédits qui me semblent adaptés. Sur les questions d'intelligence artificielle et de quantique, l'armée de Terre bénéficiera des investissements de recherche au même titre que les autres armées.
M. Cédric Perrin. - La guerre en Ukraine a démontré la centralité du combat terrestre dans la guerre de haute intensité. C'est pourquoi nous sommes nombreux à nous être étonnés de certains arbitrages de la LPM, sans vous mettre directement en cause au regard de la nature politique de ces arbitrages.
C'est une erreur historique majeure que de croire et de faire croire que jamais nous ne pourrions être attaqués sur notre territoire national. L'armement conventionnel reste évidemment majeur sur lequel nous devons nous appuyer. Il est difficile pour le parlementaire que je suis d'admettre que cette LPM est moins ambitieuse, en termes de matériel, que la LPM actuelle. Nous devrons vraisemblablement diminuer nos cibles de matériels, alors qu'il se passe un certain nombre d'évènements en Europe et dans le monde qui est en train de rapidement changer.
J'aimerais revenir sur le sujet des lance-roquettes unitaires. La LPM programme 13 systèmes, mais quelle est la portée des systèmes que vous prévoyez d'acquérir ? Faut-il accroître la portée des LRU ? J'aimerais vous soutenir sur le renouvellement du LRU et saluer l'effort du ministre qui a demandé à la DGA d'imaginer une solution souveraine. Je voudrais tout de même mettre en garde la DGA contre un risque d'allongement des délais et des budgets. Ce LRU portera-t-il les mêmes roquettes que l'actuel ?
L'armée de terre cède des véhicules AMX10-RC à l'Ukraine. Parallèlement, elle commence à percevoir des véhicules Jaguar. Un amendement à la LPM adopté à l'Assemblée nationale revoit à la hausse les livraisons de Jaguar avec 38 unités supplémentaires, soit un parc de 238 Jaguar au lieu de 200 dans la prochaine LPM. Pour autant, la cible reste inférieure à la LPM actuelle. De plus, le ministre a récemment reconnu que le programme Jaguar était soumis à des aléas et que la tourelle ne serait pas stabilisée. Pouvez-vous nous préciser la nature du problème et le décalage prévisible dans les livraisons pour les régiments qui sont désormais privés des AMX10-RC qui ont été donnés à l'Ukraine ?
Enfin, 5 milliards d'euros ont été mis sur les drones. L'un des seuls points qui voyait sa cible augmenter est celui des Patroller, mais j'ai révélé qu'une erreur assez majeure s'était glissée dans la LPM, si bien qu'il n'est pas question de 85 drones Patroller, mais de 17. Nous aurons finalement 28 drones, soit 5 système de 5 plus 3 drones d'entraînement. Par ailleurs, vous avez évoqué une livraison en 2028 pour les systèmes Arinae et Colibri. Il semblerait que la DGA ait repris la main sur ce dossier. Que pouvez-vous en dire ?
Mme Hélène Conway-Mouret. - Où en sont les projets de véhicule blindé d'aide à l'engagement (VBAE), successeur du VBL, et de l'engin du génie de combat (EGC) ? Ces deux programmes semblaient sur le point d'être lancés. Nous avons souligné à plusieurs reprises la nécessité de renouveler les moyens du génie, mais ces deux programmes ne sont pas mentionnés dans la LPM. Sont-ils maintenus ? Quels pourraient en être les calendriers et les cibles ?
Au-delà des programmes phares que sont les véhicules blindés ou les chars de combat, disposerez-vous, avec cette LPM, des équipements nécessaires pour donner à nos forces l'épaisseur requise par la haute intensité ? Je pense en particulier aux appuis, aux moyens logistiques ou encore aux moyens d'évacuation sanitaire. Nos capacités sont-elles suffisantes ? Le successeur du poids lourds 4-6 tonnes n'est, par exemple, pas mentionné dans le rapport annexé à la LPM. Qu'en est-il ?
Ma troisième question porte sur les hélicoptères. Le Tigre mark 3 est devenu Tigre mark 2+, mais la LPM ne l'évoque pas. Peut-être pourrez-vous nous donner quelques précisions, de même que sur la génération suivante d'hélicoptères de combat. Les Américains avancent. Ils misent sur la grande vitesse, la manoeuvrabilité, une approche multi-domaines et des systèmes combinant appareils habités, drones et munitions télé-opérées. Comment analysez-vous l'évolution du besoin pour l'armée de terre ? N'est-on pas en train de prendre du retard sur cette question ?
Général Pierre Schill. - Les VBAE sont bien là. Il y en aura cent quatre-vingts en 2030. Néanmoins, le VBAE vient de prendre du retard. La proposition qui a été faite n'était pas satisfaisante. Un nouveau tour de piste a été lancé. Il est clair que nous avons besoin de cet équipement. Il devra être intégrable à l'ensemble de l'environnement.
Concernant les engins de combat du génie, nous en aurons cinq en 2030, puis cent soixante-dix à terminaison.
La loi de programmation militaire priorise les équipements requis par la haute intensité pour transformer les grands équipements en une capacité réellement opérationnelle. Il y a un effet d'optique sur un certain nombre de cibles. Par exemple, il n'y a pas de réduction des cibles Scorpion, mais les cibles seront atteintes en 2035 plutôt qu'en 2030 pour acquérir en contrepartie un certain nombre d'éléments nouveaux, qu'il s'agisse des munitions télé-opérées ou des petits équipements d'environnement nécessaires à nos unités. La cohérence ne remplace par la masse : elle vient avant la masse. Une brigade ne se résume pas à ses seules compagnies de combat, ses escadrons de chars et ses batteries de canons. Elle a aussi besoin d'un échelon logistique cohérent et d'un soutien adapté. Par exemple, plusieurs dizaines de camions sont nécessaires chaque jour pour transporter les unités de feu des régiments d'artillerie.
Le programme « Tigre » est un programme pour lequel de nombreuses questions se sont posées : l'hélicoptère habité de combat existera-t-il encore en 2045/2050 ? Devons-nous mettre des crédits dans le Tigre standard 3 qui vivrait jusqu'en 2055/2060 ou faut-il consacrer ces crédits à un autre projet ? Toutes les nations occidentales, et probablement les Russes, se posent cette question. Les Américains viennent de rénover leurs hélicoptères et considèrent que la génération suivante sera certainement automatisée. Toutefois, les Américains ont un théâtre d'engagement prioritaire qui est le Pacifique, alors que notre théâtre d'engagement prioritaire est plutôt le centre de l'Europe, le Moyen-Orient et l'Afrique. Ils ont besoin d'hélicoptères qui aillent vite et loin pour se rendre d'un archipel à l'autre, quand nous avons besoin d'hélicoptères capables de se déplacer très près du sol, de nuit et de manière très agile. Nous n'avons donc pas des besoins identiques. Nous sommes engagés avec l'Espagne sur la modernisation du Tigre standard 2. Les discussions sont en cours sur la portée de cette modernisation.
Nous sommes dans un changement d'ère stratégique. Sommes-nous capables de distinguer aujourd'hui ce que seront les décisions pérennes à prendre pour la sortie de ce tournant ? Je ne crois pas. Toutefois, il est impératif que nous ne prenions pas de mesures qui remettent en cause notre capacité à aller vers cette direction générale. Ce que j'ai dit sur la modernisation du Leclerc ou sur le Tigre standard 3 s'inscrit dans ce cadre. Il ne faut pas insulter l'avenir, mais s'y préparer.
La guerre en Ukraine renvoie aux questions centrales du système de commandement, de l'hybridation, de la transparence du champ de bataille, qui rejoint celle de l'intelligence artificielle et de la létalité. Nous en tirons deux grands enseignements.
D'une part, le feu tue. Nous avons besoin d'appliquer des feux pour obtenir des effets tactiques. Les feux de précision seront sans doute une solution de plus en plus pertinente, ce qui limitera notre logistique. Toutefois, dans d'autres situations, nous aurons besoin de conserver des capacités de neutralisation zonale, comme nous le voyons dans les combats d'attrition qui sont menés en Ukraine, avec des feux importants à délivrer.
D'autre part, la supériorité aérienne, qui était le moyen privilégié de porter le feu des armées occidentales au cours des engagements précédents, n'est plus nécessairement acquise. La question des moyens d'appui des forces terrestres est donc centrale. Traditionnellement, nous considérions que les capacités d'appui feu d'une division devaient disposer d'une allonge correspondant à la profondeur de la division ennemie c'est-à-dire 50 à 60km. C'est pourquoi les LRU ont une profondeur de tir de soixante-dix km. Les feux longue portée qui leur succèderont devront faire au moins la même chose, y compris en tirant les mêmes munitions. La possession d'un système souverain, qui n'existe pas actuellement, est l'un des enjeux à venir. Les LRU arriveront en fin de vie en 2027. Il est donc impératif de trouver une solution à court terme. Par ailleurs, est-ce un armement adapté aux seuls besoin du combat des divisions, ou l'armée de Terre doit-elle apporter à l'interarmées une capacité de frappe opérative davantage dans la profondeur ? Cette deuxième option me semble retrouver toute sa pertinence. La loi de programmation militaire est en cours d'adoption. Lorsqu'elle aura été adoptée, je compte relancer la réflexion sur un certain nombre de sujets dont la question des feux longue portée, les programmes Arinae et Colibri.
Concernant le Jaguar, je suis convaincu qu'il est un très bon équipement. Comme l'a souligné le ministre, des ajustements sont encore nécessaires pour qu'il soit pleinement opérationnel. Les industriels ont bien intégré cet aspect. Un nouveau standard du Jaguar, doté d'un nouveau logiciel, sera livré par l'industriel mi-2024. Il ne fera pas encore du tir au-delà des vues directes, mais il fera du tir en mouvement sur des cibles en mouvement. Si cette conduite de tir est performante, nous poursuivrons la transformation des régiments. Concernant les drones, l'Arinae aura une portée de cinquante km et le Colibri de neuf km. Les dates de livraison sont en cours de définition.
Avant la guerre en Ukraine, il était courant d'estimer que le drone n'était employé qu'à partir du moment où la maîtrise du ciel était acquise : les drones sont très peu protégés. La guerre en Ukraine enseigne que les drones pénètrent l'espace adverse, puis qu'ils sont fréquemment détruits. Cela pousse à évoluer vers des drones plus consommables. L'enjeu consiste à intégrer les drones du haut du spectre dans la boucle de ciblage des forces terrestres. En parallèle, nous développons la question de l'usage des drones à tous les niveaux pour tout type de mission dans toutes les unités. Nous avons mis en place un système de crédits dans les régiments pour acquérir des drones du commerce.
M. Cédric Perrin. - Où sont les 5 milliards d'euros ? Où est l'effort concernant les drones ?
Général Pierre Schill. - L'effort, en termes de crédits, porte sur l'Eurodrone, le Reaper et le système de drone tactique (SDT). Les questions des munitions télé-opérées et d'autres drones sont, comparativement, moins consommatrices de ressources.
M. Cédric Perrin. - C'est une vraie interrogation pour nous. On nous dit qu'on fait des efforts, mais nous ne voyons pas où est cet effort. Nous sommes très loin des 5 milliards d'euros.
Général Pierre Schill. - Concernant le SDT, nous visons toujours la cible qui était celle de cette loi de programmation militaire.
M. Jacques Le Nay. - Quel sera le rôle de l'armée de Terre pendant les Jeux Olympiques ? Combien d'hommes pourraient être mobilisés ? Quelle sera l'évolution du dispositif Sentinelle après cet évènement ?
M. François Bonneau. - Le conflit ukrainien montre qu'il existe à la fois un besoin de haute technologie et d'équipements plus rustiques. Comment conciliez-vous cela au sein de la LPM ?
M. Philippe Folliot. - Le conflit ukrainien nous fait parfois oublier qu'il y aura d'autres zones de conflictualité, notamment dans l'Indopacifique. L'entrée en théâtre est un élément essentiel. Notre armée a cette capacité à entrer en théâtre rapidement. À cet égard, la préparation des forces parachutistes vous semble-t-elle satisfaisante ?
Les effectifs de l'armée de terre déployés en outremer ont fondu au cours des 40 dernières années, alors que les outre-mer sont un vivier de recrutement particulièrement intéressant. Ne pourrions-nous pas permettre à une partie de ces jeunes de servir dans les outre-mer ? Cela nous offrirait une capacité de projection dans l'Indopacifique à partir de nos territoires ultramarins.
Général Pierre Schill. - L'armée de Terre sera présente aux Jeux Olympiques de Paris au travers de ses athlètes et para-athlètes. En outre, elle accompagnera le parcours de la flamme. Enfin, elle sera présente en particulier à Paris, Marseille et en Polynésie, pour contribuer à la sécurité. Le travail est en cours. Nous avons mené un travail de planification avec le COJO, la préfecture de police et les entités qui s'occupent du sujet. Les armées assureront notamment la sécurité du port de départ de la parade fluviale lors de la cérémonie d'ouverture ; elles contribueront également à la sécurité générale. Environ 10 000 hommes de l'armée de Terre pourraient être mobilisés pour cet événement.
Une autre question se pose : celle de la défaillance éventuelle des sociétés privées qui seront chargées d'assurer un certain nombre de prestations importantes. À Londres, des acteurs importants de la sécurité privée ont prévenu quatre semaines avant l'évènement qu'ils ne seraient pas au rendez-vous. Les Britanniques ont dû engager plusieurs dizaines de milliers de soldats en secours. Aujourd'hui, tout est fait pour que cela ne survienne pas à Paris.
Actuellement, Sentinelle mobilise environ 6 000 soldats de l'armée de Terre, dont 2 500 sont déployés en permanence. Après les Jeux Olympiques de Paris, le dispositif sera probablement moins déployé, et plus réactif à partir de nos différents quartiers.
La question de l'équilibre entre la technologie et la rusticité est extrêmement importante, notamment sur le plan opérationnel. Existe-t-il des systèmes qui soient à la fois rustiques et très performants ? Faut-il privilégier la masse ou l'efficacité ? Nous sommes un pays de haute technologie. Notre industrie sait construire et élaborer des équipements de haute technologie. Cela correspond aussi à notre système éducatif. Il est donc naturel que nous nous positionnions plutôt sur le « segment haut » sans toutefois se laisser emporter par le « tout technologique ».
S'agissant de nos parachutistes, ils n'effectuent pas assez de sauts. Il s'agit d'une question de disponibilité des moyens de l'armée de l'air. L'an dernier, nous nous étions mis d'accord pour faire un effort commun dans ce domaine, mais les avions ont été concentrés sur le redéploiement de nos forces du Mali. Cette année, nous atteindrons environ 70 % des sauts que nous voulions faire, comme l'an dernier. Dans les années à venir, nous y remédierons en externalisant une partie de nos sauts, notamment les plus élémentaires. Néanmoins, je ne veux pas aller au-delà de cette forme d'externalisation pour conserver avec l'armée de l'air la capacité à réaliser des opérations aéroportées qui ne soient pas seulement des sauts techniques. J'ai assez bon espoir qu'avec les livraisons de l'A400M, qui se poursuivent, et cette rustine de l'externalisation, nous puissions rejoindre le seuil minimum de l'entraînement. Cela n'empêche pas les entraînements plus opérationnels comme Orion.
Concernant les outremers, les distances sont telles que la question de la projection des forces se pose. Il est probablement plus facile de se rendre dans un pays comme l'Indonésie à partir de la métropole, où nous avons les A400M, que de la Nouvelle Calédonie. Nos forces outremer ont la mission première de la souveraineté sur nos espaces terrestres et maritimes nationaux, puis une mission de partenariat avec les pays voisins.
15 % des jeunes qui sont recrutés chaque année dans l'armée de Terre viennent des outremers. 20 % de nos effectifs sont composés d'ultramarins. Faut-il que nous les affections prioritairement dans leur territoire ? S'ils le souhaitent, c'est bien. Néanmoins, les forces françaises ne sont pas territorialisées. Ce sont les forces de l'ensemble du pays. Notre modèle consiste à lutter contre le communautarisme, sous toutes ses formes, au sein de nos unités. En revanche, il est envisageable qu'une proportion raisonnable de jeunes issus d'un territoire puissent t être affectée dans ce même territoire. Cela me semble une bonne solution, qui renvoie à la création d'unités de réserve territorialisées. Nous essaierons d'avancer vite sur ce sujet en Nouvelle Calédonie.
- Présidences de MM. Christian Cambon, président et de Philippe Paul, vice-président -
La séance est ouverte à 16 h 30.
Projet de loi de programmation militaire - Audition du général Stéphane Mille, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace
M. Philippe Paul, président. - Mes chers collègues, mon général, nous vous souhaitons la bienvenue devant notre commission. Je vous prie d'excuser notre président Christian Cambon, qui est tenu d'assister à un débat en séance sur l'application des lois. Par votre audition, nous clôturons cet après-midi notre cycle d'auditions préparatoires à l'examen du projet de loi de programmation militaire qui a commencé hier avec le Général Thierry Burkhard, chef d'état-major des armées, et s'est poursuivi ce matin avec vos homologues de l'armée de terre et de la marine nationale.
Mon Général, depuis votre nomination en septembre 2021 et vos auditions successives par notre commission, nous apprécions la précision de vos réponses et votre franc-parler. Ainsi dès octobre 2021, lors de votre première audition, vous indiquiez que votre deuxième priorité, après celle des ressources humaines, était le format de l'aviation de chasse. Vous redoutiez d'avoir, entre 2023 et 2025, 10 à 20 Rafale en moins que ce que prévoyait la LPM précédente, du fait notamment des cessions à l'export grec et bientôt croate. Aussi, vos craintes risquent de perdurer jusqu'après 2030. Je laisserai les rapporteurs vous questionner plus précisément à ce sujet, mais la cible de 137 Rafale fin 2030 est nettement inférieure à l'ambition de la LPM actuelle, qui en prévoyait 185 à l'horizon 2030. Vous nous expliquerez comment l'armée de l'air et de l'espace remplira son contrat opérationnel avec ces moyens.
Certes, les livraisons de Rafale neufs ont repris et le parc d'avions de transport A400M continuera à s'étoffer sur la période, mais nous nous interrogeons sur le paradoxe d'une LPM en hausse de 40 % sans traduction majeure sur vos effectifs et vos équipements, voire des baisses ou des reports significatifs dans le domaine du renseignement aérien. Je pense aux avions légers de surveillance et de renseignement ou encore au remplacement des Transall Gabriel par le système Archange.
Le ministre des armées communique selon une logique de « patch » : 10 milliards d'euros pour l'innovation, 6 milliards pour l'espace, 5 milliards pour la défense sol-air ou encore 5 milliards pour le renseignement et 16 milliards pour les munitions. Quelles en seront les parts affectées à l'armée de l'air et de l'espace et pour quelles priorités ?
Enfin, plusieurs sujets d'attention dépassent la dimension strictement capacitaire de la LPM et concernent l'emploi des forces. En matière de drones et de défense sol-air, comment voyez-vous l'articulation de vos moyens avec ceux de l'armée de terre qui, nous le voyons à la lumière de la guerre en Ukraine, revendique l'intérêt de maîtriser ses propres moyens en drones, en défense anti aérienne et en frappe dans la profondeur.
Enfin, nous aimerions vous entendre sur votre vision stratégique concernant la haute atmosphère et l'espace exo atmosphérique dont on voit bien l'accélération de la menace chinoise (l'affaire des ballons d'observation) et russe. De quels moyens nouveaux disposera notre commandement de l'Espace dans le cadre de cette LPM ?
Je m'arrête là, car, après votre propos liminaire, je donnerai la parole à mes collègues pour un échange de questions réponses.
Général Stéphane Mille, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace. - Merci monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
C'est toujours un grand honneur pour moi de pouvoir m'exprimer devant cette commission et y aborder les enjeux de notre outil de défense en général, et de l'armée de l'air et de l'espace en particulier, notamment sur un sujet ô combien structurant que celui du projet de loi de programmation militaire (LPM).
Je tiens en tout premier lieu à vous exprimer ma gratitude pour les efforts consentis par nos parlementaires et par les membres de cette commission tant dans les travaux en amont que dans ceux en cours. Je vous sais particulièrement investis et profondément engagés dans les réflexions afférentes à cette loi, animés par la motivation essentielle et commune de permettre à la France de se protéger des menaces de demain et de tenir son rang dans le concert des nations. Je crois savoir d'ailleurs qu'une délégation de la commission se rendra demain sur la base d'Évreux pour évoquer la coopération franco-allemande en matière de défense.
À travers vos travaux, les mots du Général de Gaulle prennent tout leur sens : « la politique de défense ne peut être que l'expression armée, que le bras armé de la politique étrangère ».
Or les relations internationales étant en perpétuelle évolution, il nous faut refaire en permanence l'analyse de l'équilibre des forces, évaluer au regard de nos ambitions des menaces avérées ou potentielles avant de faire un pas vers l'avenir.
Rappelons-nous que l'histoire est le moteur du présent. La LPM 2019-2025 a façonné le modèle d'armée dont nous disposons aujourd'hui et a jeté les bases du modèle 2030. La LPM 2019-2025, dite « de réparation », a permis d'inverser la tendance des précédentes LPM et de lancer la reconstruction d'un outil capable de répondre promptement et efficacement aux sollicitations opérationnelles.
Je ne cesse d'en faire l'écho depuis ma prise de fonction en septembre 2021 : APAGAN en Afghanistan puis la posture renforcée de l'OTAN suite à l'invasion russe en Ukraine, soulignent les premiers résultats visibles d'une puissance aérienne articulée autour du triptyque Rafale-A400M-MRTT. Le dernier exemple en date est l'évacuation de ressortissants à Khartoum au Soudan. Fin avril, l'opération interarmées Sagittaire, à forte dominante aérienne, a ainsi mis en sécurité plus de 1 000 personnes de 84 nationalités différentes, dont 280 de nos compatriotes. Ce bilan a été salué par les Nations-Unies, et sur lequel je voudrais revenir quelques instants. Il mérite un éclairage particulier, ne serait-ce que pour souligner une nouvelle fois l'utilité de notre C2 (Capacité de commandement et de conduite des opérations aériennes) centralisé à Lyon qui a permis de coordonner des moyens en provenance de Djibouti, de l'Hexagone et du Sahel, dans un environnement complexe. La crédibilité de nos forces aériennes s'est concrétisée par plusieurs rotations avant de transmettre le flambeau sur l'aéroport aux Allemands.
Depuis notre dernière entrevue le 16 novembre dernier, le contexte international ne s'est pas éclairci et « nous nous enfonçons encore davantage dans les brumes de l'horizon » comme le disait Victor Hugo. Outre la situation au Soudan, la guerre en Ukraine continue de s'installer dans la durée, l'instabilité s'accélère en Afrique, les menaces s'accroissent et se diversifient. Elles s'étendent désormais à la très haute altitude et sont plus prégnantes que jamais dans l'espace.
La singularité de la situation laisse aussi place à l'initiative et à l'innovation. Dans ce contexte, le projet de LPM fixe une nouvelle ambition, un cadre qui permettra à l'armée de l'air et de l'espace de poursuivre sa réparation et d'effectuer un pivot pour prendre en compte de manière encore plus efficace les enjeux de notre temps.
L'objet de mon intervention sera de vous expliquer par quels moyens et de quelles manières nous allons atteindre les trois objectifs généraux fixés par le Chef de l'État : protéger les Français, garantir notre autonomie stratégique et notre souveraineté, et tenir notre rang.
Le premier but qui nous est assigné consiste à contribuer à la protection des Français et de notre pays. Garantir la sécurité de nos concitoyens impose à l'armée de l'air et de l'espace de moderniser les systèmes servant à ses deux missions structurantes depuis 1964 - d'une part la composante nucléaire aéroportée permanente et d'autre part la posture permanente de sûreté aérienne (PPS-Air) , afin qu'elles restent toutes deux crédibles robustes et efficaces.
Le renouvellement de la composante nucléaire aéroportée sera poursuivi dans une logique de stricte suffisance. Pour les armes, la rénovation de l'ASMPA (Air-Sol moyenne portée amélioré) s'échelonnera jusqu'à la fin de la LPM. La LPM prend également en compte le développement de la 4ème génération de missiles aéroportés ASN4G. Côté porteurs de la dissuasion, les évolutions du Rafale et les réflexions sur le SCAF (système de combat aérien du futur) garantiront un niveau de pénétration adapté face à des menaces modernisées. La mise à niveau des infrastructures sera amorcée pour assurer l'arrivée de l'ASN4G dans les forces aériennes stratégiques au milieu de la prochaine décennie. La capacité de ravitaillement en vol sera complétée dès le début de la période par la conversion des trois derniers A330 au format MRTT. Cette dynamique permettra un retrait accéléré des vieux C135 en 2025. Dès lors, la gestion de la flotte de ravitailleurs sera optimisée, car entièrement homogène et polyvalente. Le MRTT Phénix bénéficiera d'évolutions dans le domaine de la connectivité, en cohérence avec le Rafale, de l'autoprotection et de la résilience de ses moyens de navigation.
Concernant la PPS, nous déploierons dans le cadre du programme SCCOA des radars tactiques GM200, des radars d'approche, et moderniserons les radars Track2400. Il s'agira d'améliorer nos capacités de détection au-dessus du territoire national, y compris dans les hautes altitudes. Le système d'information permettant la planification et la conduite des opérations aériennes dont la PPS bénéficiera du déploiement de l'ACCS (Air command and control system) développé au sein de l'OTAN, qui favorisera l'interopérabilité avec nos alliés. Concernant les chasseurs, la reprise des livraisons de Rafale compensera le retrait des Mirage 2000-5 prévu en 2028.
Le deuxième objectif de l'armée de l'air et de l'espace à l'horizon 2030 est de contribuer à l'autonomie stratégique de la France et à l'exercice de sa souveraineté en permettant notamment la projection de forces. Par conséquent, il faudra consolider notre aptitude à intervenir immédiatement, sous toutes les latitudes pour protéger nos intérêts hors de l'Hexagone et vers nos outremers. De fait, la prochaine LPM conduira à l'évolution des flottes de chasse et de transport. Tout d'abord, d'ici 2030, près de 60 Rafale seront livrés à l'armée de l'air et de l'espace, après 4 années sans aucune livraison. La transition vers le tout Rafale à l'horizon 2035 sera clairement relancée avec un objectif confirmé à 185 appareils à terme. Sur le plan qualitatif, le standard des livraisons sur la LPM 2024-2030 sera le Rafale F4 décomposé en trois sous-standards (F4.1, F4.2 et F4.3). Les avancées incrémentales seront notamment les suivantes : le viseur de casque, une première brique de connectivité, l'amélioration de la survivabilité, l'intégration d'armements rénovés et l'amélioration de la disponibilité. Le ministre des armées a validé cette année le lancement des travaux de développement du futur standard F5, lequel constituera le premier jalon du combat collaboratif. Il permettra au Rafale de garder l'avantage à l'horizon 2030 et plus et de conserver sa capacité « d'entrée en premier ». Un amendement a été adopté par l'Assemblée nationale sur proposition du ministre, qui prévoit le développement d'un drone accompagnateur du Rafale issus des travaux du démonstrateur Neuron.
Le transport aérien réceptionnera au minimum 12 A400M sur la période. Ces livraisons permettront d'atteindre la cible d'au moins 35 appareils à l'horizon 2030. À cette échéance, nous serons en mesure de transporter 5 fois plus de fret qu'en 2012 avec 2 fois moins d'appareils. Ce chiffre n'intègre pas la capacité logistique du MRTT. La LPM 2024-2030 verra la mise en service du hub logistique des armées à Istres, dont la capacité de transport atteindra 2 000 passagers par semaine, soit 100 000 passagers par an. Par ailleurs, le développement au niveau européen du FMTC (Futur median tactical cargo) permettra de palier le retrait des C130H puis celui des CASA au cours de la prochaine décennie. À noter également le lancement d'études financées par le Fonds européen de défense (FED) sur un « Outsized cargo », portées par l'Allemagne.
Au bilan, la modernisation de nos vecteurs aériens Rafale, A400M, MRTT confortera notre capacité à projeter de la puissance aérienne partout sur le globe et en particulier vers nos outre-mer et la zone indopacifique. Une illustration de cette capacité est le prochain déploiement Pégase prévu fin juin 2023 qui permettra la projection de 10 Rafale, 5 MRTT et 4 A400M. Ils rejoindront en 48 heures la Malaisie avant de participer à l'exercice majeur américain « Large Scale Global Employment » à partir de l'île de Guam. Pendant cet exercice, les A400M participeront à plusieurs activités au profit des forces stationnées en Polynésie ou en Nouvelle-Calédonie. De nombreuses escales permettront au cours du déploiement de renforcer nos liens avec nos principaux partenaires de la région, voire de visiter des partenaires que nous n'avons pas visités depuis longtemps : Corée du Sud et Japon.
Enfin, la composante hélicoptère de manoeuvre joue un rôle important à ne pas sous-estimer dans ce renfort aux outre-mer. Le projet de LPM vise à disposer d'une flotte modernisée qui s'accompagnera d'une meilleure disponibilité que celle de nos vieux Puma. Le remplacement des Puma sera initié avec la réception des 8 Caracal du plan de soutien à l'aéronautique, sur la période 2024-2026 et le transfert attendu de 8 Caracal de l'armée de terre sur l'exercice 2026-2027.
Le troisième objectif fixé à l'armée de l'air et de l'espace est de permettre à la France de tenir son rang de puissance d'équilibre. Cela passe par une forte ambition dans le domaine spatial, 5ème milieu de conflictualité. Les enjeux liés à l'espace ont conduit à l'élaboration de la stratégie spatiale de défense en 2019. Elle prévoit le maintien de notre autonomie stratégique, la garantie d'accès au milieu spatial et la défense des intérêts nationaux y compris de manière active. La LPM 2024-2030 consolidera l'action depuis l'espace, renforcera l'action vers l'espace et développera l'action dans l'espace avec un budget supérieur à 6 milliards d'euros sur la période.
Pour l'action depuis l'espace, les principales réalisations porteront sur la composante d'observation spatiale avec le lancement du 3ème satellite CSO en 2024 et la mise en orbite des deux successeurs IRIS à l'horizon de la fin de la décennie. Ils amélioreront globalement notre taux de revisite, offriront une meilleure résolution et un recueil plus important en nombre d'images. L'action depuis l'espace s'appuiera également sur le successeur du satellite CERES pour le renseignement d'origine électromagnétique. Ce satellite CELESTE est attendu à la fin de la décennie. Dans le domaine des communications, je cite la constellation de connectivité sécurisée multiorbite européenne IRIS 2 et la préparation de SYRACUSE 5 pour la fin de la LPM. IRIS 2 permettra d'avoir une meilleure couverture, un temps de latence plus faible, une grande résilience, autant de facteurs importants pour notre futur Cloud de combat européen, mais également au-delà pour tous les utilisateurs du combat collaboratif, qui deviendra la norme dans les airs, sur terre et sur mer. Cette constellation complétera nos moyens souverains.
L'action vers l'espace s'appuiera sur le radar nouvelle génération de surveillance de l'espace, le successeur de GRAVES étant attendu à la fin de la décennie, pour disposer d'une capacité spatiale autonome. Elle s'appuiera également sur le développement, l'expérimentation et la démonstration de laser d'aveuglement (Blum Laser) des satellites depuis le sol avant la fin de la décennie.
L'action dans l'espace s'appuiera sur le démonstrateur patrouilleur-guetteur YODA en 2025 et sur ses successeurs attendus en 2028 en orbite géostationnaire. Ces moyens seront complétés par le programme innovant « action LEO » : l'objectif sera, dès 2023, d'explorer la question des patrouilleurs en orbite basse de manière rapide et agile. Ce programme devrait se concrétiser par le lancement d'un patrouilleur-guetteur français de type nano ou microsatellite en 2025, placé sur une orbite d'intérêt, capable d'observer et de manoeuvrer en toute sécurité. Elle s'appuiera également sur un démonstrateur laser dans l'espace. Enfin, l'expérimentation « Flamhe » doit contribuer à une capacité de défense active spatiale. Les premiers résultats laissent entrevoir des opportunités tant dans l'emploi de cette capacité que dans la manière de s'en protéger. Nous aurons également une action soutenue sur le C2 de l'espace : ASTREOS. La première capacité opérationnelle du système de commandement est attendue en 2025. ASTREOS devrait démarrer en 2024 et monter en puissance tout au long de la LPM, avec une pleine capacité opérationnelle à l'horizon 2030.
Enfin, je rappelle que le triptyque -patrimonial, coopérations, services spatiaux- qui sera adopté dans cette LPM permettra un développement agile et soutenable au domaine spatial. A côté des capacités patrimoniales garantissant une autonomie nationale et celles issues des coopérations assurant une « dépendance maitrisée ». L'augmentation du recours au secteur privé est devenue une nécessité pour maintenir un avantage opérationnel sur l'ensemble du spectre des missions spatiales. Par ailleurs, la montée en puissance du commandement de l'espace à Toulouse se poursuivra, avec l'inauguration du bâtiment en 2025 et l'installation du centre d'excellence de l'OTAN à proximité.
Tenir le rang de la France se traduit également pour l'armée de l'air et de l'espace par son aptitude à s'engager dans un conflit de haute intensité et d'assumer le rôle de nation-cadre au sein d'une coalition de l'OTAN, de l'UE ou de circonstances. Dans ce cadre, l'armée de l'air et de l'espace doit être en mesure de projeter en complément de l'échelon national d'urgence, jusqu'à 40 Rafale et les avions d'accompagnement associés au sein d'une coalition.
Cette LPM investira des ressources significatives dans le domaine de « l'entrée en premier » et de la SEAD (suppression des défenses aériennes ennemies) avec le développement du standard F5 du Rafale et de la défense sol-air. Celle-ci sera améliorée tant en qualité qu'en quantité : 100 % de la capacité de la défense sol-air de l'armée de l'air et de l'espace sera renouvelée d'ici 2030.
Être nation-cadre signifie également être capable d'employer des systèmes modernes à la pointe de la technologie, notamment en matière de drones. Après 25 ans d'expériences opérationnelles ininterrompues, l'armée de l'air et de l'espace poursuivra ses avancées dans le domaine avec le Reaper qui recevra un nouveau pod de reconnaissance permettant une exploitation à plein régime avant sa fin de carrière prévue dans une dizaine d'années. Le développement et la mise en service de l'EuroMALE dotera la France et les trois nations européennes impliquées dans ce programme d'un outil interopérable, souverain, au potentiel d'évolution élevé. Il pourra être adapté aux besoins ultramarins. Je citerai également la livraison d'autres systèmes de type SKYLARK, SMDR et DROP principalement au profit de nos forces spéciales.
Enfin, tenir son rang signifie être reconnu comme crédible, être puissant tout en réduisant ses vulnérabilités. Cela nécessite une cohérence de l'outil de combat. Ce projet de LPM porte quelques autres marqueurs forts, gages de la cohérence d'ensemble. La simulation est un des éléments déterminants en la matière et fait l'objet d'un investissement conséquent dans cette LPM, avec 250 millions d'euros alloués à l'armée de l'air et de l'espace. Elle conduira notamment à la généralisation de la simulation massive en réseau, permettant de connecter l'ensemble des systèmes présents sur nos bases aériennes pour simuler des missions complexes, mais aussi la mise en oeuvre du LVC (Live virtual constructive) qui permet de mixer activité réelle et activité simulée, afin de s'entraîner efficacement notamment à la haute intensité.
Les munitions sont un autre facteur de cohérence, car le pouvoir de coercition de l'arme aérienne est directement lié à ses capacités létales. Sur les 16 milliards d'euros consacrés à l'acquisition de munitions sur la LPM, 7 sont dédiés à l'armée de l'air et de l'espace. Les stocks de munitions complexes seront complétés.
Enfin, la cohérence repose sur trois piliers fondamentaux, voire essentiels, pour la mise en oeuvre de nos armes : l'activité, les infrastructures aéronautiques et les ressources humaines (RH).
Concernant l'activité, le ministre s'est engagé sur ce sujet, et je partage totalement ses déclarations sur l'importance de l'entraînement aérien. Le projet de LPM intègre les hypothèses de Bercy pour le coût du carburant opérationnel, qui devront être ajustées chaque année au regard de la réalité. Ce projet doit permettre de renforcer la préparation opérationnelle de l'armée de l'air et de l'espace, notamment en faisant monter en gamme le volet simulation et en renforçant sa capacité vers la haute intensité. Notre ambition est de rejoindre progressivement les objectifs de préparation opérationnelle inscrits dans le rapport annexé, à savoir 180 heures pour la chasse, 320 heures pour le transport et 200 heures pour les équipages d'hélicoptère.
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
L'infrastructure des aires aéronautiques constitue un autre point d'attention majeur. La dette d'infrastructure de l'armée de l'air et de l'espace est conséquente. Nous disposons actuellement de 16 plateformes et 17 pistes bitumées et toutes sont dans un état globalement satisfaisant. Il est important d'en assurer la maintenance lourde et le contexte financier nous contraint parfois à effectuer de nombreuses opérations palliatives auxquelles j'accorderai une vigilance particulière.
Enfin, la problématique RH est un enjeu de cohérence, mais surtout d'existence. Il nous faut des aviateurs en nombre, formés correctement pour être capables d'exploiter pleinement les potentialités de la puissance aérienne et d'accroître nos capacités. Le format de l'armée de l'air et de l'espace devrait légèrement augmenter au cours de la prochaine LPM, l'enjeu majeur portera en conséquence sur la fidélisation des aviateurs. Les mesures qui seront prises dans le cadre de cette LPM (plan famille, condition du militaire...) sont essentielles pour retenir les talents. Par ailleurs, les mesures réglementaires décrites dans le projet de LPM devraient nous aider en offrant la possibilité aux anciens militaires de carrière radiés des cadres depuis moins de 5 ans d'être recrutés avec le grade et l'ancienneté de grade qu'ils détenaient. Nos aviateurs pourront également être maintenus en service sur demande agréée pour une période n'excédant pas 3 ans suivant la limite d'âge ou de service. À mon niveau, je m'efforce de dynamiser le parcours des aviateurs, de maîtriser les flux sortants, notamment en signant des conventions avec la plupart des industries aéronautiques.
Enfin, la réserve est un dernier levier qui participe directement à la performance de l'armée de l'air et de l'espace. Elle est constituée aujourd'hui de 5 500 personnels environ : la LPM permettra de rejoindre progressivement les 10 000 réservistes sous contrat. Si la problématique RH est un sujet de préoccupation, elle ne doit pas obérer notre capacité à aller de l'avant.
Concernant l'aviation de chasse, le projet de loi accompagnera le développement du SCAF. La phase 1b a été enclenchée fin 2022 et devrait s'achever en 2025. Elle aboutira à l'architecture finale du SCAF, c'est-à-dire le spectre des capacités du chasseur (manoeuvrabilité, furtivité, puissance). La définition précise de la famille des Remote Carrier est un enjeu quant à leurs tailles, fonctions et degrés de connectivité. Suite à l'amendement adopté la semaine dernière par l'Assemblée nationale, le gouvernement présentera au Parlement, en amont de la discussion du projet de loi de finances, un point d'étape sur les travaux réalisés.
En résumé, grâce à la prochaine LPM, l'armée de l'air et de l'espace verra ses capacités augmenter, ce qui lui permettra de contribuer aux buts politiques fixés par la revue nationale stratégique.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, au terme de cette intervention, j'espère vous avoir convaincu que ce projet de LPM non seulement consolide l'aptitude de l'armée de l'air et de l'espace à mener ses opérations actuelles, mais s'engage également sur une pente de montée en puissance cohérente. Ces investissements nous offriront les armes nécessaires pour faire face aux menaces prévisibles de la prochaine décennie.
M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie mon général et propose de passer à la séquence des questions de nos rapporteurs pour avis. Commençons par le programme 178 « préparation et emploi des forces » : je cède la parole à Olivier Cigolotti puis à Michelle Gréaume.
M. Olivier Cigolotti. - La prochaine LPM recherche un optimum économique, en trompe-l'oeil, arbitrant entre deux variables majeures : l'activité et la disponibilité technique, fournie à partir de pièces de rechanges et de réponses techniques transmises par les industriels titulaires de contrats verticalisés.
Le raisonnement visant à réduire une supposée « sur-disponibilité » pour financer plus d'heures d'activité ne nous paraît pas rationnel économiquement et techniquement : il conduirait à une surusure des équipements et à l'érosion plus rapide du capital technique des armées.
On parlera désormais de gériatrie des matériels avec trois conséquences : une moindre disponibilité pour l'entraînement et l'activité, un surcoût d'EPM (entretien programmé du matériel) et un impact sur les capacités de l'armée de l'air et de l'espace à tenir son contrat opérationnel.
Disposez-vous de visibilité sur les moyens prévus pour l'EPM tout au long de la prochaine LPM ? Une augmentation globale de 14 milliards d'euros sur les 7 ans est annoncée, quel sera son rythme de réalisation pour l'armée de l'air et de l'espace ?
La disponibilité technique sera-t-elle la nouvelle variable d'ajustement après la préparation opérationnelle ?
Quels sont vos objectifs pour 2024 et 2025 tant en consommation de crédits dédiés à l'EPM, qu'en remontée ou stabilisation de la préparation opérationnelle et de la disponibilité technique opérationnelle ?
Mme Michelle Gréaume. - Général, le niveau de réalisation des activités et de l'entraînement pour vos personnels a connu une évolution décevante entre 2019 et 2023.
Deux des trois indicateurs ont diminué pendant cette LPM de consolidation : les heures de vol par pilote de chasse de 10°%, les heures de vol par pilote de transport de 13,5 % ! Comment expliquez-vous cette évolution préoccupante ?
À quel niveau de la norme se situe aujourd'hui la préparation opérationnelle de l'armée de l'air ? Quel est le rythme de remontée prévue pendant la prochaine LPM ? Quels sont les objectifs pour 2024 et 2025 ?
L'armée de l'air et de l'espace peut-elle dans ces conditions tenir le contrat opérationnel ? Comment celui-ci a-t-il évolué par rapport à la précédente LPM ?
Quelles seraient les conditions nécessaires pour que la préparation opérationnelle de l'armée de l'air et de l'espace augmente plus rapidement, si la nécessité d'un engagement de haute intensité advenait ?
Général Stéphane Mille. - Concernant l'équilibre activité/disponibilité technique, je rappellerai toutes les évolutions du périmètre du MCO aéronautique dans son ensemble, qui est complexe avec la mise en place des contrats verticalisés auxquels on attribue une partie des maux ou des bénéfices d'une disponibilité qui est en légère augmentation.
Tout ne vient pas des contrats verticalisés : la performance globale du MCO repose aussi sur les aviateurs et les mécaniciens qui le mettent en oeuvre, réparent les avions et participent à l'amélioration de la disponibilité. Le fait que les mécaniciens soient capables d'accélérer les boucles de maintenance, car ils connaissent parfaitement l'A400M, y participe.
À cet ensemble complexe s'ajoutent des normes également complexes à suivre. Les plateaux permettant de réunir tous les acteurs (titulaires des marchés verticalisés, DMAE, armée de l'air et de l'espace, DGA) autour de la table sont la meilleure manière de gérer cet ensemble. Nous le faisons aujourd'hui pour chacune des flottes des différentes armées. La disponibilité technique deviendra-telle une variable d'ajustement ? Oui, si elle est contraignante. Je n'ai pas l'impression que ce soit le sujet aujourd'hui : nous devons bien utiliser les ressources disponibles, réunir les acteurs autour de la table, prendre les bonnes décisions au bon moment, afin que la bonne pièce arrive en temps et en heure pour éviter d'immobiliser un appareil. C'est une affaire d'organisation.
L'exercice ORIONIS a permis de réunir autour de la table tous les acteurs du MCO aéronautique pour s'interroger sur les actions à mettre en place dans le cas d'un engagement de haute intensité. Il s'agit de dégager des marges de manoeuvre, de sortir des avions immobilisés aujourd'hui faute d'un acte technique ou d'un élément manquant. Si on lève certaines contraintes, il serait alors possible de dégager de la disponibilité dès le temps de paix.
La réflexion doit être lancée. Ce carcan existe aujourd'hui et il est nécessaire d'en sortir, de se poser les bonnes questions, d'examiner ce que l'on est en capacité de faire et de le faire dès à présent. C'était bien l'objectif d'ORIONIS : tirer les leçons de l'expérience et identifier des décisions transposables dans le fonctionnement quotidien.
Concernant le personnel et en particulier l'activité, les ambitions de la LPM sont de rejoindre les objectifs d'entraînement figurant dans le rapport annexé. Dans le projet de LPM 2023, j'avais expliqué que l'activité serait limitée à 147 heures, car certains appareils ont été prélevés pour les marchés export. Ce point bas est inscrit dans ce projet de LPM. L'objectif est de remonter à 160 heures dès les deux premières années de la LPM et d'atteindre les 180 heures avant la fin de la LPM. Le Ministre l'a clairement exprimé lors de son audition à l'Assemblée nationale.
M. Christian Cambon, président. - Nous passons au programme 146 « équipement des forces ». Je cède la parole à Cédric Perrin puis Hélène Conway-Mouret.
M. Cédric Perrin. - Le Président de la République a annoncé, à Mont de Marsan, vouloir passer au « tout Rafale ». Mais le projet de LPM est en recul par rapport à la LPM actuelle, avec 137 appareils en 2030 au lieu de 185. Or 225 appareils au moins seraient probablement nécessaires pour la seule armée de l'air, pour pouvoir assurer sereinement ses multiples missions : dissuasion, protection de l'espace aérien national, projection de forces. 24 appareils sont prélevés au bénéfice de la Grèce et de la Croatie, conduisant à un plancher alors que les livraisons reprennent tout juste depuis la fin 2022. Mon général, ce recul sur les Rafale n'est-il pas un pari risqué ?
Par ailleurs, disposer du Rafale est une chose, mais encore faut-il qu'il soit convenablement équipé pour remplir ses missions, avec un stock suffisant de missiles, pods et radars. La LPM apporte-t-elle des réponses satisfaisantes sur ce point ? J'avais soulevé la problématique des radars AESA, condition sine qua non pour engager nos avions lors des combats ; or nous en avons moins de 60. Qu'en est-il aujourd'hui ? Quelles sont les conséquences pour l'armée de l'air et de l'espace des contrats d'exportation ? Combien cela va-t-il nous coûter ? Quel est l'impact sur les RH ?
Ma deuxième question porte sur les drones MALE. Incidemment, je suis heureux que des opérateurs de drones Reaper aient reçu cette année, pour la première fois, la Croix de la valeur militaire, car c'est une preuve de reconnaissance que nous demandions depuis déjà un moment pour cette filière drone. Il s'agit d'une recommandation de notre rapport de 2017 sur les drones, car la chancellerie contestait le fait que les opérateurs de Reaper qui n'étaient pas au combat direct de corps-à-corps avec l'ennemi puissent obtenir une quelconque récompense.
Les drones MALE ne sont pas ceux dont on parle le plus dans le contexte actuel, étant donné l'urgence à acquérir de petits drones, mais ils continuent néanmoins à jouer un rôle crucial, appelé à évoluer avec la fin de l'opération Barkhane. Ces drones pourraient être amenés à intervenir davantage pour la surveillance du territoire national et dans le domaine de la surveillance maritime. Comment envisagez-vous cette évolution ? Les 4 systèmes Reaper seront-ils suffisants ? Êtes-vous confiant dans la capacité de l'Eurodrone à répondre aux besoins dans les délais ? De nouveaux capteurs sont nécessaires pour le territoire national, au champ beaucoup plus large, voire d'autres drones. Pensez-vous qu'une solution souveraine peut exister sur le territoire national aujourd'hui en matière de drone MALE.
Enfin, pouvez-vous évoquer la question de Parade, sujet sur lequel je vous ai alerté depuis plusieurs mois ?
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je tiens à rendre hommage au travail de sécurisation réalisé avec un très grand professionnalisme pour réaliser l'évacuation des civils venus du Soudan à Djibouti par le général de division Laurent BOÏTÉ et ses hommes. Certains d'entre nous ont été aux premières loges pour suivre cette opération.
Dans le domaine spatial, la LPM acte un renoncement dans le domaine des satellites de télécommunications avec l'abandon du satellite Syracuse 4C. Il est décidé d'investir plutôt dans la constellation de l'Union européenne IRIS2 (« Iris carré »), qui est toutefois assez différente. En effet :
- d'une part, Iris2 sera une constellation en orbite basse alors que les satellites Syracuse sont en orbite géostationnaire ;
- d'autre part, les satellites européens seront ouverts à un grand nombre d'utilisateurs, donc potentiellement moins sécurisés que le programme strictement militaire Syracuse.
D'où mes deux questions à ce sujet : ne risque-t-on pas une rupture temporaire de capacité du fait des délais de mise en oeuvre d'Iris2 ? Peut-on vraiment substituer le programme européen au programme Syracuse sans perte d'efficacité ?
Par ailleurs, un budget de 1,5 milliard d'euros est programmé pour l'espace dans le cadre du plan France 2030. Ces budgets peuvent venir financer des projets duaux et donc, directement ou indirectement, des projets intéressant la défense. Est-ce le cas et dans quels domaines ?
Général Stéphane Mille. - Concernant le tout Rafale, la LPM prévoit une livraison de 137 appareils. Ce chiffre peut être décevant si l'on s'en tient au chiffre annoncé de 185, qui reste toujours la cible.
Le passage au tout Rafale est clairement enclenché. Ce qui m'intéresse est la pente de montée en puissance du Rafale. Avec 60 Rafale livrés d'ici 2030, le format de l'armée de l'air et de l'espace va considérablement s'adapter. J'ai posé la première pierre à Orange pour préparer les escadrons à recevoir du Rafale. La montée en puissance de cette opération prendra un certain temps. Après une absence de livraison pendant 4 ans, les livraisons reprennent à hauteur de 12 Rafale par an en moyenne. Cette montée en puissance est soutenable tant sur la partie infrastructures que sur les parties RH, activité et optionnels. La cohérence d'ensemble prend tous ces éléments en compte. Il serait certes préférable d'aller au-delà de ces 60 Rafale, mais je ne suis pas certain que l'armée de l'air et de l'espace serait en capacité de garantir la même cohérence. Le format d'aviation de chasse ne descendra pas sous le chiffre 185, car nous piloterons le retrait des Mirage 2000D au fur et à mesure de la livraison des Rafale.
Concernant les autres options, une nette amélioration est attendue dans le cadre de cette LPM, qui fera passer le nombre d'AESA de 25 en 2023 à 75 en 2030. Le nombre de pods TALIOS passera également à 51 dès 2026, ce qui représente environ un pod par patrouille, et ce qui est notablement supérieur à ce que l'on est en capacité d'aligner aujourd'hui. La LPM agit également sur ces éléments indispensables à la réalisation des missions modernes dans une aviation de chasse digne de ce nom.
Concernant les drones MALE, je me félicite de la reprise des attributions de croix de la valeur militaire, qui avaient été accordées jusqu'en 2014 puis interrompues. Il avait été nécessaire à l'époque d'expliquer le rôle des drones pour qu'ils méritent d'être récompensés.
L'Eurodrone arrivera-t-il trop tard ? Factuellement, il arrive plus tard que ce que l'on avait imaginé au lancement du programme et il arrivera à la fin de vie du REAPER. Nous y voyons le successeur du REAPER avec des capacités de souveraineté et de montage des systèmes que nous déciderons d'installer à bord. Vous avez évoqué l'éventualité de solutions souveraines : nous examinons attentivement les nombreux porteurs de projets. J'ai encore reçu la semaine dernière un acteur qui est venu présenter un projet intéressant. Ces projets correspondent au secteur du drone MALE, de la responsabilité de l'armée de l'air et de l'espace, mais j'attends de voir les premiers vols. Il s'agit de bien identifier ce qui peut passer du papier à la réalité dans des délais raisonnables. Le constructeur en question présente l'intérêt de prendre des équipements sur étagère et de les intégrer dans une structure qu'il a développée et qui est souveraine. Nous pourrons obtenir des éléments d'information complémentaires au Bourget.
J'examine précisément l'avancée du système Parade de lutte anti-drone compte tenu de l'approche des Jeux Olympiques et des délais à respecter pour être au rendez-vous. Il faut distinguer ce que l'on souhaitait et ce qui est contractuel. Il n'y a pas de retard sur le plan contractuel. Nous aurions souhaité commencer à le faire manoeuvrer par les opérateurs Air dès le Salon du Bourget, mais ce ne sera pas le cas. J'ai informé la DGA de la nécessité d'examiner très attentivement le programme pour garantir sa mise à disposition pour les jeux Olympiques. Les opérations de vérification sont en cours : le caractère opérationnel du système n'est pas encore expertisé. Comme tout nouveau système, il est nécessaire de débuguer les premières connexions.
Sur le spatial, il s'agit moins d'un « renoncement » sur Syracuse 4 que d'un transfert vers l'orbite basse. Le concept est différent et il s'agit d'une autre manière de voir les communications satellitaires. Le géostationnaire et l'orbite basse ont tous deux des avantages et des inconvénients. L'avantage réside à mon sens à pouvoir disposer des deux. En orbite basse, les taux de latence sont très faibles, car le délai d'acheminement du signal est beaucoup plus court lorsqu'il s'agit de monter à 400 km qu'à 36 000 km. Dans le combat collaboratif aérien, ces délais feront toute la différence dans un système du futur. Nous devons investir sur ces équipements pour être certains d'être au rendez-vous lorsque des systèmes comme le SCAF ou le Rafale F5 seront utilisés, avec les premières briques de connectivité. L'avenir nous dira si nous serons au rendez-vous et je compte sur la vigilance de la représentation nationale pour s'assurer du bon rythme d'avancement du programme. Le sujet de surveillance des délais est réel. Le pari que nous avons pris semble valoir la peine dans la perspective du combat collaboratif.
Le 1,5 milliard d'euros pour l'espace dans le cadre de France 2023 participera notamment à la surveillance de l'espace et aux retombées sur des mini et micro-lanceurs que nous pourrions tester.
M. Christian Cambon, président. - Je propose d'aborder le programme 144 « environnement et prospective de la politique de défense » et je donne la parole à Pascal Allizard.
M. Pascal Allizard. - Mon Général, un amendement du Gouvernement à la LPM adopté par nos collègues députés prévoit que le standard F5 du Rafale comprendra notamment un drone accompagnateur issu des travaux du démonstrateur Neuron. Pourriez-vous nous préciser les attentes de l'armée de l'air vis-à-vis de ce futur drone ?
Par ailleurs, le déclenchement de la guerre en Ukraine nous a montré l'importance d'avoir des moyens souverains en matière de renseignement afin de préserver notre autonomie de décisions et, surtout, notre capacité d'anticipation des menaces.
Dans ce domaine de quels moyens aériens et spatiaux disposerez-vous pour la période 2024-2030 ? Il est important que vous puissiez nous apporter des précisions sur les nombreux changements opérés par la LPM.
Nous avions déjà évoqué le trou capacitaire laissé par le retrait du service des Transall Gabriel l'an dernier, mais les moyens de substitution semblent avoir évolué depuis lors :
- La LPM ne prévoit plus que 3 avions légers de surveillance et de reconnaissance au lieu de 8 et nous avons appris lors des auditions qu'un recours accru à des avions de location serait effectué par la DRM. On peut s'interroger sur les raisons de ce revirement : est-il industriel ou budgétaire ? Et quelles conclusions en retirer sur la souveraineté de nos moyens de renseignement ?
- D'autre part, le premier avion de renseignement du système Archange n'a été annoncé par M. Trappier, Président de Dassault aviation, que pour 2028 avec une configuration complète de 3 appareils en 2030. Dans l'intervalle quelles seront les alternatives ? On nous a parlé d'un contrat dénommé « Solar » pour assurer provisoirement le recueil de renseignements électromagnétiques, de quoi s'agit-il ?
Général Stéphane Mille. - Nous lançons le développement du Rafale F5, qui deviendra le standard des livraisons post-2030. Sur la base de travaux réalisés depuis 10 ans sur le Neuron, l'idée est d'examiner dans quelle mesure le Rafale F5 pourra travailler avec un drone d'accompagnement « successeur » du Neuron. Ces différentes briques nous permettront d'aller vers le SCAF 2040-2045. L'orientation prise est donc de travailler avec un Rafale + un drone dès les années 2030, afin d'être efficaces en préparation du SCAF à venir.
Concernant le renseignement, le retrait des Transall Gabriel et le calendrier d'Archange sont conformes à ce qui est inscrit dans le projet de LPM. La solution intermédiaire est une solution locative dès l'année 2023 et qui permettra de disposer d'appareils de recueil au format « petit Gabriel » pour les missions que nous avons à réaliser. Cette solution locative sera conservée jusqu'à la livraison d'Archange. Nous avons également des compétences à entretenir et il est important de continuer à avoir des opérateurs d'écoute et de recueil pour être en capacité d'exploiter l'Archange dès sa livraison en 2028.
Je confirme que la cible relative à l'ALSR visée dans la précédente LPM a été révisée. La véritable problématique est celle de l'échelle de temps et de son évolutivité. Il est aujourd'hui très compliqué de modifier l'équipement d'un ALSR patrimonial. Lorsqu'ils sont loués, comme c'est le cas pour une partie des ALSR opérant en Afrique, ils peuvent être adaptés très rapidement. Les troupes les plus pointues qui opèrent en Afrique préfèrent opérer sur la version locative. Celle-ci propose plusieurs options : location d'un système complet, location d'une coque nue en y mettant nous-mêmes les équipages et les opérateurs, location de l'appareil avec les pilotes sans les opérateurs que nous installons nous-mêmes. En fonction de la nature des opérations, c'est l'une ou l'autre des options qui sera retenue. Il est important de conserver quelques ALSR patrimoniaux pour former les opérateurs. C'est ce que nous ferons avec les 3 ALSR que nous continuerons à faire fonctionner et qui réalisent des missions. Il est nécessaire d'être pragmatique pour avoir une armée de l'air et de l'espace avec le meilleur matériel et qui rende les meilleurs effets.
M. Christian Cambon, président. - Nous passons à présent au programme 212 « soutien de la politique de la défense ». Je passe la parole à Marie-Arlette Carlotti.
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Général, le projet de loi présenté par le Gouvernement propose à son article 17 de clarifier le statut des apprentis militaires, c'est-à-dire des militaires mineurs qui servent sous le statut d'engagés militaires pendant leur scolarité au sein d'un établissement militaire d'enseignement technique et préparatoire (ETPM).
L'armée de l'air et de l'espace dispose à ce titre d'une école d'enseignement technique intégrée à la base aérienne 722 de Saintes qui recrute chaque année 300 lycéens, ou apprentis militaires, pour une scolarité de deux ans.
Alors que l'apprentissage militaire est identifié par les forces armées comme un levier favorisant à la fois le recrutement et la fidélisation des militaires, quelles sont les perspectives de développement de l'école d'enseignement technique de l'armée de l'air et de l'espace ?
En particulier, estimez-vous que les crédits inscrits dans la loi de programmation militaire vous permettront d'ouvrir de nouvelles places au sein de l'école, et si oui selon quelles échéances ?
En l'absence de mon co-rapporteur Joël Guerriau, je m'exprime par la suite en son nom.
Le projet de loi présenté par le Gouvernement propose à l'article 14 de rénover le dispositif de rappel des réservistes opérationnels de deuxième niveau, c'est-à-dire des anciens militaires qui restent soumis à une obligation de disponibilité jusqu'à cinq années après leur départ des forces.
En particulier, le projet de loi a été amendé à l'Assemblée nationale pour fixer à cinq jours par an le nombre de jours de disponibilité imposés aux anciens militaires pour que les armées puissent vérifier et maintenir leurs compétences.
Au regard de la technicité particulière des fonctions occupées par les militaires de l'armée de l'air et de l'espace, quelle est votre position sur cette nouvelle durée de disponibilité imposée ?
Estimez-vous qu'un rappel de cinq jours par an soit suffisant pour maintenir les compétences des anciens militaires ?
Parallèlement, pensez-vous qu'une rédaction plus souple prévoyant un nombre total de jours sans fixer un quota annuel serait plus adaptée au maintien des compétences des anciens militaires ?
Général Stéphane Mille. - L'établissement de Sainte est une véritable pépite pour l'armée de l'air et de l'espace. Il accueille des jeunes souvent perdus et en perte de repères lorsqu'ils entrent chez nous, et qui, après deux ans de scolarité, rejoignent pour la plupart notre école de sous-officiers à Rochefort. Certains terminent plus haut dans la hiérarchie : mon DRH, le général de corps aérien Alvarez, en est issu. Cette pépite favorise le recrutement notamment de nos sous-officiers et la fidélisation. Il nous faut investir sur cet établissement. Nous avons ouvert une nouvelle filière de Bac Professionnel systèmes numériques pour répondre au besoin de recrutement dans les nouveaux métiers de l'armée de l'air et de l'espace. Nous l'avons déjà fait dans le cadre de cette LPM et nous continuerons à le faire en ouvrant un deuxième Bac Professionnel aéronautique cette année. Les crédits sont suffisants pour continuer au rythme actuel (2 classes). Je n'éprouve pas de difficulté à les financer compte tenu du retour sur investissement attendu.
Faut-il assouplir la période et le nombre de jours de disponibilité exigés pour les réservistes ? Certains métiers se prêtent facilement à une remise à jour en 5 jours. Pour d'autres métiers, une absence de pratique pendant 6 mois ou un an peut vous mettre hors-jeu et 5 ou même 10 jours ne suffiront pas à revenir au niveau que l'on avait avant de partir. Pour autant, quelle que soit la spécialité, les besoins de réservistes existeront pour assurer la résilience et avoir la capacité de faire face aux coups durs. La culture militaire de chaque ancien militaire peut être utilisée dans une autre spécialité. Je pense en particulier à la protection des bases aériennes, à l'organisation du service général sur la base aérienne... Il est préférable de ne pas définir de choses trop strictes, qui enferment dans des carcans, mais de faire preuve de souplesse dès lors que l'on accorde sa confiance au chef pour faire appel à la capacité dont il a besoin pour faire tourner son armée.
M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie mon général. Nous avons quelques questions diverses.
Mme Catherine Dumas. - Nous sommes un certain nombre à avoir participé à l'opération Poker à bord d'un A330 MRTT. Nous avons pu constater l'importance de la composante nucléaire aéroportée. Concernant le domaine spatial, j'ai compris que la LPM allait permettre de poursuivre les efforts en dotant la France d'une capacité de défense active à l'horizon 2030. Le paysage de l'industrie spatiale évolue très rapidement : comment l'arrivée de nouveaux acteurs privés peut remettre en cause les modèles économiques utilisés actuellement et comment vont-ils s'intégrer dans l'organisation et les pratiques de la politique spatiale militaire ?
Général Stéphane Mille. - Le DGA sera plus à même de répondre que moi sur l'organisation du paysage industriel. Les modèles économiques évoluent significativement et nous devons veiller à conserver une capacité d'accès à l'espace. Cet élément essentiel dépasse le cadre de l'armée de l'air et de l'espace et du ministère des armées. Ils sont néanmoins très attentifs à la conservation de cette capacité à envoyer nos satellites. Des orientations ont été prises sur ce sujet très complexe.
M. Philippe Folliot. - Ce matin, le chef d'état-major de l'armée de terre nous a indiqué que les capacités de préparation opérationnelle des régiments parachutistes étaient fortement perturbées par le manque de disponibilité d'aéronefs, en citant un chiffre de 70 %. Ceci pose des problèmes de capacité opérationnelle de projection, mais aussi de sécurité pour les parachutistes, qui ne peuvent pas réaliser le nombre de sauts requis. Il a indiqué que même s'il faisait appel, pour atteindre ce seuil de 70 %, à des prestataires extérieurs, cette solution n'était pas satisfaisante et n'allait pas dans le sens d'une bonne préparation des forces. Pouvez-vous nous rassurer afin que durant l'exercice 2023 et les suivants, les moyens adéquats en la matière soient déployés ?
Par ailleurs, l'opération Pégase a permis une transposition de moyens dans les outre-mer. Je suis très attaché à ces enjeux relatifs à une stratégie indopacifique. Ne pensez-vous pas que ce qui a été fait ponctuellement pourrait être fait durablement, avec des moyens prépositionnés dans nos outre-mer de manière quasi définitive, ce qui entraînerait une signification politique vis-à-vis de l'ensemble des puissances de cette zone indopacifique ?
Général Stéphane Mille. - Je suis le sujet de la disponibilité de vecteurs pour l'entraînement et la préparation opérationnelle des parachutistes depuis plusieurs années. L'actualité préempte les vecteurs aériens. Au-delà des sujets de disponibilité d'appareil, on trouve également des sujets d'annulation au regard du contexte. Orion prévoyait d'effectuer de grosses opérations de largage de parachutistes, mais elles ont toutes été annulées en raison de difficultés météorologiques ou de réflexions pour une éventuelle projection sur l'opération Sagittaire. Il est difficile de garantir que nous ayons la capacité à faire sauter 100 % des parachutistes de l'armée de terre. L'A400M n'est pas le meilleur vecteur, car il est très lourd. Je réfléchis à un cargo médian à l'horizon 2030 pour remplacer les CASA et qui pourrait être utile pour la préparation opérationnelle de l'armée de terre. Cette période est d'autant plus difficile que les sollicitations pour l'Ukraine sont importantes. Nous devons rendre des arbitrages et à défaut, trouver d'autres solutions passant par la location.
Concernant l'opération Pégase, nous réalisons chaque année une projection de puissance vers les outre-mer et la zone indopacifique en particulier. Nous le ferons également en 2023 avec un dispositif conséquent. Les avions de transport permettront aux forces françaises de Polynésie et de Nouvelle-Calédonie de rayonner dans leur zone d'intérêt. La Polynésie doit effectuer un exercice d'assistance humanitaire (HADR) aux îles Fidji et la Nouvelle-Calédonie participera à un exercice parachutiste en Australie. Faut-il aller jusqu'à la présence permanente de ces moyens ? Si nous disposions de 300 Rafales et 200 A400M, pourquoi pas ? Aujourd'hui, cette présence serait surdimensionnée et les contraintes de stationnement permanent sur place seraient supérieures au service rendu. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas être présent plus régulièrement sur place. Nous réfléchissons à réaliser à partir de 2025 plusieurs « petits Pégases », permettant d'être présents avec des volumes plus faibles, mais plus régulièrement, avec des moyens capables d'opérer dans le secteur. Il s'agira d'une présence quasi-permanente compte tenu du nombre des vecteurs qui passeront. Ces sujets de permanence outre-mer sont également compliqués d'un point de vue RH et nécessitent d'avoir de nombreux plots en auto-gérance.
M. Philippe Folliot. - Nous l'avons fait en Jordanie.
Général Stéphane Mille. - Tout dépend si vous souhaitez une permanence dans tous nos outre-mer ou dans un DROM COM spécifique. La montée en puissance est en cours et nous verrons ce que nous pouvons mettre en place en prenant en compte toutes les contraintes de gestion à plusieurs milliers de kilomètres de la métropole. J'expérimente quotidiennement ces difficultés sur le soutien des flottes de CASA et de Pumas dans les DROM-COM.
M. Jacques Le Nay. - L'armée de l'air et de l'espace a choisi de louer les avions de surveillance et de reconnaissance. Quelles sont les modalités de location ? La location peut-elle être un outil permettant d'augmenter la gamme des équipements de l'armée de l'air et de l'espace ? Quelles leçons tirez-vous de l'exercice Orion réalisé en début d'année 2023 ?
Général Stéphane Mille. - Je rappelle que la capacité ALSR a d'abord été locative : après avoir loué cet outil adapté aux besoins militaires, l'armée de l'air et de l'espace a décidé de lancer un programme d'acquisition autonome. Nous avons utilisé les deux vecteurs. Le pragmatisme l'emporte aujourd'hui et nous essayons d'avoir le meilleur effet pour répondre à nos besoins. Nous devons examiner si nous pouvons aller vers d'autres sujets de ce type.
L'exercice Orion, de nature interarmées, a été majeur. Les premières leçons que l'ensemble des acteurs ont pu en tirer sont tout d'abord la nécessité d'avoir un niveau opératif permettant de coordonner les effets sur le terrain entre l'aérien, le marin, le terrestre, le cyber et le spatial. Une autre leçon à tirer d'Orion est l'absolue nécessité dans un combat de haute intensité d'obtenir la supériorité aérienne et spatiale : tous les commandants de composante l'ont souligné. Le travail de décryptage de l'exercice Orion est en cours. La taille de la zone d'Orion 4 (400 km sur 250 km) a été soulignée : elle était très petite pour un avion de chasse, qui pouvait la parcourir en 10 à 15 minutes. Pour la composante aérienne, le combat de demain se fera au-delà, dans et en arrière de cette zone. L'activité de l'armée de l'air et de l'espace ne sera pas réduite à cet espace aérien.
M. Hugues Saury. - Depuis plusieurs mois, des ballons espions ont été observés et parfois abattus par l'US Air Force dans l'espace aérien américain. La Chine est accusée par les services de renseignements américains de mener un programme mondial d'espionnage en utilisant des ballons stratosphériques. Cet espace aérien supérieur est emprunté par des ballons stratosphériques, des planeurs hypersoniques et est aussi un lieu de passage pour des missiles balistiques et certains moyens pour les opérations spéciales. À l'été 2023, l'armée de l'air et de l'espace devrait disposer d'une feuille de route pour définir les missions et les moyens dans la très haute altitude. La France dispose-t-elle aujourd'hui de capacités militaires pour agir et assurer notre défense et notre souveraineté dans l'espace aérien supérieur ? Quels moyens y seront consacrés dans les années futures ?
Général Stéphane Mille. - Nous examinons l'affaire des ballons espions de près. J'ai demandé au CEMA de me donner mandat pour mener une réflexion sur cette tranche d'altitude entre 20 et 100 km, fort des observations sur le développement des planeurs hypersoniques. Il est pertinent de s'intéresser à cette zone historiquement délaissée, car inhospitalière aux objets volants. Ces réflexions sont en cours et ont été lancées par un colloque ouvert aux industriels. Nous devons rendre un travail cet été pour établir une stratégie contre ces menaces.
Nous nous sommes assurés que nos radars pourraient, moyennant certains réglages, être en mesure de détecter les ballons dans la tranche d'altitude où ils ont été détectés aux États-Unis, c'est-à-dire la tranche basse de la tranche évoquée. Nous n'avons pas de radars permettant d'observer ce qui se passe dans la partie haute de cette tranche. Nous sommes en capacité d'utiliser les mêmes moyens d'interception que les Américains.
M. Olivier Cadic. - Vous avez mentionné le futur cloud de combat européen. Interrogé lors de son audition captée sur l'initiative lancée par le département de défense américain d'un cloud de défense « Zero Trust Reference Architecture », le président de Dassault Aviation a fait part de sa circonspection concernant un cloud européen. Il a annoncé la création d'un cloud souverain par Dassault et Naval Group et a appelé la DGA à soutenir cette initiative. Incitez-vous la DGA à suivre l'appel d'Éric TRAPPIER et avez-vous des commentaires sur la stratégie américaine en matière de cloud de défense, qui semble financièrement très agressive ?
Général Stéphane Mille. - Il ne faut rien écarter sur tous ces sujets. Lorsqu'on parle de cloud souverain, c'est à échelle d'une bonne décennie. J'appelle l'attention sur la nécessité d'avoir une souveraineté et de travailler avec nos alliés. Si le cloud souverain ne parle qu'avec lui-même, nous ne pourrons pas faire la guerre de haute intensité de demain, pour laquelle la France est censée se préparer. Je suis le premier à défendre la souveraineté, mais je suis aussi le premier à dire que nous devons travailler avec les autres. En temps de paix, nous pouvons rester chacun de notre côté, mais nous devons prévoir le « tube » permettant d'échanger entre deux clouds souverains. Il faut tenir compte de cette problématique technique dès le départ. Je cite souvent l'exemple de l'opération Hamilton : lorsque la décision d'y aller ensemble a été prise, tous les verrous ont été levés : encore fallait-il que les tuyaux soient capables de supporter les flux générés par cette levée de verrous...
M. Christian Cambon, président. - Cette journée d'audition des chefs de l'état-major se clôture et nous permet de mieux cerner la réalité de la LPM. De nombreuses questions se posent sur les 5 milliards d'euros consacrés aux drones et il est difficile de distinguer dans la loi les grandes orientations en la matière. Il serait utile de nous éclairer sur ce point.
Général Stéphane Mille. - J'apporterai des éléments plus complets. L'idée est de travailler avec un Rafale F5 qui est la première brique de connectivité et de profiter du retour d'expérience du Neuron pour lui associer un drone. Cela représente une partie des 5 milliards d'euros : le reste correspond aux Eurodrones et à l'ensemble de la composante drone des armées françaises.
M. Christian Cambon, président. - Nous vous remercions mon général.