Mercredi 5 avril 2023
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 09 h 35.
Audition de M. Bernard Roman, ancien président de l'Autorité de régulation des transports
M. Jean-François Longeot, président. - Je suis heureux d'accueillir ce matin Bernard Roman, ancien président de l'Autorité de régulation des transports (ART).
Alors qu'à ce jour, aucun candidat à la présidence de cette autorité publique indépendante n'a été proposé par le Président de la République depuis le retrait de la candidature de Marc Papinutti en février dernier, et que l'ART n'a donc pas de président depuis août 2022 - date depuis laquelle Philippe Richert assure l'intérim -, il nous semblait important de vous entendre.
Nous avons bien conscience que vous ne portez plus de « parole officielle », puisque vous n'êtes plus en fonction. Néanmoins, je pense pouvoir dire que vous avez, dans votre précédente fonction, fait preuve de courage, d'indépendance et de franc-parler sur des sujets particulièrement complexes. C'est pourquoi, à l'heure où sont évoqués de nouveaux projets d'infrastructures, de nouveaux modèles financements et de nouveaux textes relatifs au secteur des transports, votre retour d'expérience à la tête de l'ART nous intéresse tout particulièrement. D'autant que, sous votre présidence, le régulateur des transports a vu son périmètre et ses prérogatives considérablement s'élargir. Alors qu'en 2016, au début de votre mandat, l'autorité, d'abord dénommée l'Araf, puis l'Arafer, avait, en pratique, vocation à réguler le seul secteur ferroviaire, puis son champ d'action s'est progressivement élargi aux autocars, aux secteurs aéroportuaire et autoroutier ainsi qu'aux transports publics urbains en Île-de-France et aux services numériques de mobilité.
Aussi, et à la lumière de ces évolutions, pourriez-vous dresser le bilan de vos six années passées à la tête de cette autorité et de sa montée en puissance ? En vue de l'audition, que l'on espère prochaine, d'un nouveau candidat, quelles sont d'après vous les qualités indispensables du futur président de l'ART ?
Par ailleurs, estimez-vous que les moyens de l'ART sont suffisants pour faire face à l'ensemble de ses missions ? Notre commission, sur la proposition de ses rapporteurs pour avis sur les projets de loi de finances, s'est plusieurs fois prononcée en faveur d'une augmentation de la subvention pour charges de service public de l'autorité, étant entendu qu'elle a été contrainte, ces dernières années, de solliciter son fonds de roulement, faute d'augmentation de sa subvention. Nous nous inquiétons notamment de ce que l'ART dispose de marges de manoeuvre suffisantes en cas de contentieux. Ce constat est-il, d'après vous, toujours d'actualité ? L'ART dispose-t-elle toujours des moyens de son indépendance ?
Ce sujet est d'une importance cruciale, notamment dans le contexte de l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire national de voyageurs. Avoir un régulateur fort et indépendant est d'ailleurs l'une des conditions de la réussite de l'ouverture à la concurrence.
Parallèlement à l'extension de son champ d'action, l'ART a, en effet, pris une place croissante dans le paysage institutionnel et ses avis, rapports et décisions sont souvent très attendus. Ils jouent un rôle crucial et constituent une forme de jurisprudence pour tel ou tel secteur. Pour ne donner qu'un exemple, la décision du 28 février 2020 portant règlement du différend entre la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et SNCF Voyageurs a permis de définir un cadre méthodologique sur la détermination du nombre d'emplois devant être transférés dans le cadre de l'ouverture à la concurrence des services conventionnés.
À cet égard, je souhaiterais connaître votre appréciation sur le déroulement de l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire. Nous vous avions entendu, il y a un peu plus d'un an, lorsque le nouveau contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État avait été rendu public ; vous n'aviez d'ailleurs pas manqué de pointer, à cette occasion, un certain nombre de difficultés qui demeuraient.
J'en viens à présent à un sujet qui suscite un vif intérêt de la part des membres de notre commission : celui de l'avenir des concessions autoroutières. Nous avons récemment engagé un cycle d'auditions sur le sujet, en entendant le président et le rapporteur de la commission d'enquête sénatoriale de 2020 sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières, ainsi que les dirigeants de Vinci Autoroutes et de Sanef. Nous entendrons également, après votre audition, Philippe Nourry, président d'APRR. Depuis l'élargissement des compétences de l'ART au secteur autoroutier, l'autorité a permis de conseiller l'État concédant dans ses négociations avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes et de réguler les tarifs de péage pour un bénéfice économique direct aux usagers. D'après le rapport « Six ans de régulation des transports », publié à la fin de votre mandat, les recommandations de l'ART se sont traduites par une réduction effective de 290 millions d'euros des péages.
Nous avons bien évidemment l'intention d'entendre l'ART, qui a publié en janvier dernier son deuxième rapport sur l'économie des concessions autoroutières.
Néanmoins, à la lumière de votre expérience, quel regard portez-vous, à date, sur les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) ? Les considérez-vous comme déséquilibrées ? La question de la rentabilité et, plus particulièrement, de la méthodologie de calcul de la rentabilité est à cet égard cruciale.
Enfin, comment appréhendez-vous la fin des concessions autoroutières ? Quel regard portez-vous sur les dernières annonces gouvernementales relatives au secteur autoroutier ? La Première ministre a, lors de la présentation d'un plan d'avenir pour les transports, esquissé la piste d'une plus importante contribution du secteur autoroutier. Bruno Le Maire a, pour sa part, indiqué avoir saisi le Conseil d'État quant à la possibilité de raccourcir de quelques années la durée de certaines des concessions. Se pose également la question de l'avenir des péages, consubstantielle à celle de la fin des concessions. Quel regard portez-vous sur cette problématique ?
M. Bernard Roman, ancien président de l'Autorité de régulation des transports. - J'ai accepté avec plaisir cette invitation, même si je n'ai plus aucune fonction officielle. Ma parole n'engage donc aucunement l'ART. Elle ne sera pas officielle, et sera peut-être, de ce fait, un peu plus libre.
Quel bilan ai-je tiré de six ans de présidence de cette Autorité ? Comme chacune et chacun d'entre vous, j'étais parlementaire et regardais les autorités indépendantes avec beaucoup de suspicion, en me demandant au nom de quelle légitimité elles prenaient des décisions aussi lourdes. J'oubliais, lorsque j'étais parlementaire, que c'est le Parlement qui avait créé l'Araf, puis l'avait transformée en Arafer puis en ART. C'est le Parlement qui lui a donné ses missions et ses pouvoirs, qui sont loin d'être négligeables. Il était donc indispensable de rendre des comptes au Parlement. C'est la raison pour laquelle je suis souvent venu devant votre commission. Je vous ai fait adresser l'ensemble des publications de l'ART et je n'ai pas manqué de vous saisir, Monsieur le Président, ainsi que votre prédécesseur, des problématiques que nous rencontrions sur la question des transports.
Je n'ai jamais rendu compte à l'exécutif ni au Président de la République ni aux ministres. Je n'ai rendu compte qu'au Parlement. C'est important que vous le sachiez alors que vous allez vous prononcer, j'espère dans les prochaines semaines, sur la proposition d'un président de l'Autorité de régulation des transports.
L'Araf avait été créée, en 2009, dans le cadre de la transposition d'une directive européenne. À l'occasion de l'ouverture du marché du rail, il fallait en effet une autorité indépendante qui garantisse un accès équitable, transparent et non discriminatoire à l'infrastructure. C'était la même problématique que pour l'énergie et les télécoms. France Télécom, EDF, et la SNCF géraient le réseau et le service. Pour la SNCF, il fallait séparer le réseau du service pour que d'autres concurrents aient accès au réseau. Il fallait une autorité indépendante qui puisse veiller à ce caractère non discriminatoire et transparent de l'accès au réseau. Il y a eu des transpositions du droit européen dans d'autres secteurs, en particulier avec les aéroports, les données numériques de la mobilité et la RATP. Celle-ci a le réseau et le service. En 2039, et avant cela pour le Grand Paris, il y aura l'ouverture à la concurrence.
Il y a toutefois des secteurs sur lesquels les pouvoirs que vous avez confiés à l'ART n'ont pas été imposés par des directives européennes. Il s'agit notamment des concessions autoroutières. Comment en sommes-nous arrivés là ? Deux rapports, l'un de la Cour des comptes de 2013 et l'autre de l'Autorité de la Concurrence en 2014, stigmatisent les profits considérables - je mets le terme entre guillemets - des sociétés concessionnaires autoroutières. À l'époque la ministre des transports, Ségolène Royal, avait décidé du gel des péages. La loi « Macron » décida qu'il fallait réduire les inégalités de pouvoir entre l'État concédant et les sociétés concessionnaires et qu'il fallait donc un régulateur qui puisse réguler le rapport de forces. On a ainsi donné à l'ART des pouvoirs dans le domaine autoroutier, mais pas sur la régulation des péages, car cette régulation était définie dans les contrats, cela pas seulement depuis la privatisation, mais depuis l'origine des sociétés d'autoroute. Quand les sociétés d'autoroutes ont été privatisées en 2006, les clauses d'évolution des péages - l'indexation à 70 % sur l'inflation et la prise en compte des opérations nouvelles - sont restées les mêmes que celles qui existaient auparavant. Ce n'est pas ce travail que nous faisons, puisqu'il est contractuel. En revanche, chaque fois que des avenants sont proposés, s'ils ont une incidence sur la durée des concessions ou sur l'augmentation des péages, l'ART est consultée pour donner un avis. C'est le premier point.
Le deuxième point est que l'on avait demandé à l'Arafer, devenue ART, de publier chaque année un rapport sur la situation économique et financière de toutes les sociétés concessionnaires d'autoroutes. Troisième point, on a aussi demandé à l'ART de mesurer, tous les cinq ans, le taux de rentabilité interne des sociétés concessionnaires d'autoroutes. C'est ce que nous avons fait une première fois en 2020 et que nous avons recommencé un an et demi plus tard, sans attendre cinq ans, pour éclairer le débat sur la fin des concessions d'autoroutes entre 2031 et 2036 et permettre aux décideurs publics de disposer d'éléments pour pouvoir appréhender cette période.
Je retiens une chose essentielle de mon passage à la présidence de l'ART : il faut un président et un collège totalement indépendants. Nous avons un certain nombre de valeurs pivots à l'ART, inscrites dans une charte : le dialogue, l'expertise, la transparence, et l'indépendance. S'il ne devait en rester qu'une, ce serait l'indépendance. Je vais vous donner la démonstration de l'indépendance qui a été la mienne. J'ai eu à donner un avis sur deux contrats de performance, un sous la présidence de François Hollande et l'autre sous la présidence d'Emmanuel Macron, un avec Alain Vidalies comme ministre des transports, un avec Jean-Baptiste Djebbari. Je suis venu vous présenter mon point de vue sur ces deux contrats de performance, qui a été extrêmement sévère. Je suis très heureux d'avoir connu, « post mortem », un plan de 100 milliards d'investissements dans les transports qui a été annoncé il y a quelques mois par la Première ministre. Il aurait été annoncé il y a sept ans ou il y a un an si l'on avait suivi l'avis de l'ART sur les deux contrats de performance. C'est une démonstration de l'indépendance indispensable à l'ART, son président et son collège.
Je vous livre à présent quelques chiffres illustrant l'action de l'ART. Nous avons examiné 17 avenants aux contrats de concessions autoroutières. C'est beaucoup, mais cela s'explique par le fait que plus les contrats de concession sont longs, plus il y a d'avenants. La grande difficulté quand il y a un avenant c'est qu'il n'y a pas de concurrence. Sans régulateur qui regarde précisément si dans la négociation de gré à gré entre le concédant et le concessionnaire, il n'y a pas d'abus, ce n'est pas régulier. Ces 17 avenants représentaient un peu plus de 2 milliards d'euros. L'ART, en examinant les choses, a proposé une baisse de 800 millions d'euros. Le concédant a finalement retenu près de 300 millions d'euros. C'est beaucoup parce que ce sont 300 millions en moins, payés par les usagers des péages. C'est peu si l'on considère que l'on avait proposé 800 millions. Mais si l'on n'avait pas proposé 800 millions, cela aurait été zéro.
On oublie aussi que l'on a des avis à donner sur les sous-concessions, c'est-à-dire les aires d'autoroute. Nous avons notre mot à dire sur la modération tarifaire du carburant. Sur l'ensemble des avis donnés pendant ma présidence sur ce sujet, ce sont un peu plus de 200 millions d'euros que nous avons fait économiser aux usagers des sociétés d'autoroutes.
Je veux vous donner un dernier chiffre, dans le domaine aéroportuaire. Nous avons donné un avis, conforme celui-ci, sur les tarifications des redevances aéroportuaires. Nous avons fait économiser 48 millions d'euros aux compagnies aériennes qui se répercutent naturellement sur les usagers.
Pour une autre illustration, vous avez évoqué la décision que nous avons prise sur le règlement d'un différend dans les Bouches-du-Rhône concernant l'ouverture à la concurrence du ferroviaire sur un lot. C'est très important, j'en dis un mot. Transdev a gagné l'un des deux lots ouverts par la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, mais dans le cahier des charges, il fallait définir le personnel nécessaire. La SNCF a donné un chiffre que la région a contesté. C'est l'ART qui, par la loi, est chargée d'arbitrer les conflits. L'ART a arbitré et conclu à une diminution de 30 % par rapport au chiffre annoncé par la SNCF. Finalement, la Cour d'appel de Paris, saisie par la SNCF qui a contesté la décision de l'ART, a ramené cette diminution à 25 %. Pourquoi dis-je cela ? Parce que l'on se rend compte, dans le cadre de l'ouverture à la concurrence, qu'il y a des marges de progression en matière de performance chez l'opérateur historique. Vous connaissez mon engagement politique préalable à la présidence de l'ART. Il n'a pas changé sur le fond, je ne suis pas un libéral effréné. Cependant, la performance dans une entreprise publique doit être recherchée, car elle bénéficie à l'usager. Les présidents successifs de la SNCF, MM. Pépy précédemment et Farandou, actuellement, en ont bien conscience. L'indépendance est essentielle, elle permet un dialogue constructif avec chacun. J'ai beaucoup dialogué avec les présidents des sociétés d'autoroutes, avec le ministre des transports, avec le Parlement naturellement, pour essayer de construire une régulation qui soit la plus performante possible.
J'en viens aux autoroutes. Un sujet focalise aujourd'hui l'attention sur cette question des autoroutes. Cela me semble, et je le regrette, non pas être la fin des concessions d'autoroute, mais il s'agit de savoir si l'on doit renationaliser oui ou non avant le terme les sociétés d'autoroutes. Si l'on met fin aux contrats avant leur terme, c'est une nationalisation sans le dire. Je reprends ma liberté de ce point de vue. Je ne suis pas là pour défendre les sociétés concessionnaires d'autoroutes, mais je constate que la France a sans doute le réseau d'autoroute le plus moderne, le plus performant, le plus sécurisé qui existe au monde. Quand on fait la comparaison dans notre pays entre l'état du réseau routier et autoroutier national et l'état du réseau concédé, il n'y a pas de comparaison possible. C'est sans doute lié au fait que les sociétés d'autoroutes, par le fait de la concession, ont eu des ressources qu'elles ont pu affecter intégralement à leur compte d'exploitation et mettre dans l'entretien du réseau de l'argent que l'État devait mettre dans son propre réseau par la fiscalité. Ce n'est pas le système concessif qui est à condamner, c'est la façon dont les contrats ont été écrits. Une fois que les contrats sont écrits, la gestion des contrats ne peut pas s'écarter du droit. Il n'y a pas beaucoup de discussions lorsque les contrats sont en cours. Lorsqu'il y a des contrats de 40 à 60 ans, on est naturellement lié par le transfert du risque essentiellement vers les concessionnaires, qui peut peser positivement ou négativement. S'agissant d'une récente déclaration de Bruno Le Maire : si le taux de rentabilité interne (TRI) actionnaire a autant augmenté ces dernières années, c'est bien parce que les conditions du marché financier n'ont pas été celles qui avaient été prévues en 2006. Elles ont été beaucoup plus favorables aux actionnaires. L'inflation permet aux sociétés concessionnaires d'avoir plus de recettes - plus 4,8 % d'augmentation des péages liés à l'indexation à 70 % sur l'inflation - que de dépenses. Toutefois, si cela avait été le contraire, ces sociétés auraient été en difficulté. Si l'impôt sur les sociétés a diminué ces dernières années, y compris pour les sociétés concessionnaires d'autoroutes, un autre Gouvernement aurait pu l'augmenter, ce qui eut pour effet de pénaliser les sociétés concessionnaires par rapport aux conditions de signature des contrats. La longueur des contrats, le transfert du risque sur les sociétés concessionnaires, nous place trop en position de spectateur de l'évolution des choses.
Deuxième élément, que signifie la rentabilité ? Le rapport IGF-CGEDD, dont j'ai seulement lu les extraits du rapport qui ont été publiés, pointe du doigt la rentabilité actionnaire. On ne sait pas dans quelle temporalité. Quand il y a une privatisation, il y a des actionnaires et des créanciers, avec une dette prise pour la durée des contrats. Le travail fait par l'ART porte quant à lui sur la rentabilité des projets : on prend en compte l'apport des actionnaires et des créanciers et l'on s'inscrit dans la durée de la concession. On ne prend pas à date la rentabilité. C'est la raison pour laquelle notre TRI, tel qu'il a été présenté, est salué, y compris par les instances académiques qui travaillent sur ces questions, et est assez proche des prévisions du contrat, entre 6 et 7,6 %. Bruno Le Maire affirme que le Conseil d'État tranchera. Il faudrait, pour cela, qu'il ait tous les éléments nécessaires. L'ancien président de la section travaux publics du Conseil d'État, Philippe Martin l'avait souligné devant la commission d'enquête sénatoriale. Il voulait, pour que le Conseil d'État puisse se prononcer, qu'une autorité indépendante, je reprends ses termes, puisse fournir une étude avec l'ensemble des éléments - la durée, les créanciers, la dette - afin de pouvoir délibérer de la manière la plus claire qui soit. J'ignore si Bruno Le Maire a lu les déclarations de Philippe Martin à l'époque devant la commission, mais je ne comprends pas et suis très préoccupé que l'on puisse envisager de saisir le Conseil d'État sans lui fournir cette étude indépendante et traiter la question des autoroutes sans demander à l'instance indépendante mise en place par le Parlement de fournir les éléments qu'il lui a demandé d'étudier.
Enfin, dernier message que je souhaite vous délivrer, je me suis efforcé pendant six ans, d'avoir un dialogue constructif avec le Gouvernement. Nous avons même mis en place un dispositif d'évaluation des coûts des opérations. Philippe Richert a publié le deuxième rapport sur les concessions d'autoroute pour préparer le sommet des autoroutes qui était prévu à l'époque.
Aujourd'hui l'autorité est obligée de s'autosaisir sur un contrat de concession, car le Gouvernement ne la saisit pas et publie le décret. Ce contrat est financé sur des indus, comme si les indus n'étaient pas des péages perçus par les sociétés d'autoroutes et comme si cela n'entrait pas dans l'esprit de ce qu'a souhaité le législateur en donnant mission à l'ART de contrôler les avenants. Je vois que le ministre des transports fait une déclaration dans laquelle il prévoit un nouveau sommet des autoroutes avec des parlementaires, des ONG et les sociétés concessionnaires. Et l'ART n'existe pas ? C'est comme si l'on faisait une mayonnaise sans oeuf. N'étant plus concerné et étant averti, je suis très perplexe devant ce qui me semble être une volonté de mettre de côté une autorité indépendante qui a démontré son expertise, même si elle gêne quelques fois le Gouvernement. Nous sommes pourtant aussi là pour ça, quand il s'agit de dire les choses.
M. Michel Dagbert. - Les consultations s'ouvrent sur le nouveau modèle de financement des sociétés d'autoroute qu'appelle de ses voeux le ministre des transports et qui a vocation à permettre le financement et la mise à niveau d'infrastructures ferroviaires, en utilisant les profits constatés dans les rapports que vous venez de mentionner sur les concessions autoroutières. À l'issue de votre mandat, vous aviez également dessiné quelques perspectives et demandé une réflexion plus approfondie sur la façon dont l'autorité pourrait elle-même contribuer à la transition écologique. Pourriez-vous nous préciser ce point et nous donner votre position sur les modalités de la contribution financière que pourraient apporter les concessionnaires dans le cadre des contrats repensés, en lien avec la problématique environnementale ?
M. Gérard Lahellec. - La qualité de votre exposé a eu pour effet de renforcer mes doutes et mes questionnements. Il y a évidemment un lien étroit entre durée des contrats et investissement. L'écriture des contrats est quelque chose d'absolument déterminant. Il n'y a pas de clause de redevance variable dans les contrats en question, par conséquent ce ne sont pas des contrats très mobiles. Nous sommes confrontés à une situation assez complexe. Peut-on attendre 2031 ou 2036 alors que les exigences d'investissement notamment pour la décarbonation des mobilités frappent à la porte ? Je remarque au passage que les sociétés concessionnaires d'autoroutes font beaucoup référence au travail de qualité de l'ART. Ils soulignent qu'il y a des investissements à réaliser. Cependant, dans l'approche du sujet, envisager de nouveaux investissements appellerait presque automatiquement, mieux qu'une prorogation des contrats de concession, un allongement de leur durée. D'un côté, on a besoin d'investir, de l'autre, il nous semble prudent de recommander une nouvelle écriture des contrats. Je tire comme enseignement des déclarations de M. Le Maire qu'il vaut mieux être bon en mathématiques qu'en écriture de contrat. Dans la perspective d'une nouvelle réécriture, avez-vous quelque idée sur la méthode qui pourrait être employée pour ne pas attendre 2031-2036 ? Et en même temps quelles sont les marges de manoeuvre dans le cadre contraint actuel ?
M. Jacques Fernique. - Monsieur le Président, vos six ans à la tête de l'ART s'inscrivent dans un acte I de la régulation des transports, avec des avancées décisives dans le ferroviaire, les grands aéroports, les autocars, les autoroutes, les transports publics urbains franciliens et les services numériques de la mobilité. Les cibles de cet acte I ont été d'éviter les rentes de monopole, les privilèges indus pour l'opérateur historique, l'opacité, les discriminations pour l'accès au réseau, aux données, aux infrastructures, la question de la tarification des péages et d'une éventuelle sur-rentabilité pour les concessionnaires au regard des investissements. Quels approfondissements sont nécessaires pour conforter cet acte 1 que vous avez conduit ? Les valeurs de l'ART, dialogue, expertise, transparence, et, vous l'avez souligné, indépendance, sous-tendent les actions de l'ART. Qu'attendez-vous du Parlement pour conforter l'ART ? Vous évoquiez, par exemple, l'évolution d'un avis simple vers un avis conforme.
L'acte II qui est devant nous ne peut pas être un simple prolongement de l'acte I. Sur l'essor du ferroviaire annoncé, vous avez sévèrement jugé le contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau. La donne semble avoir changé avec le rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI), le discours d'Élisabeth Borne et les dizaines de milliards annoncés. Quel rôle peut jouer l'ART dans le débat et l'élaboration de la programmation pour qu'elle soit cohérente avec la régénération et la modernisation ferroviaires, l'avènement des réseaux express métropolitains et le fret ferroviaire qui doit être doublé à l'horizon 2030 ?
Sur l'autoroutier, il apparaît que l'équilibre financier des concessions est globalement atteint dès maintenant et qu'elles vont encore dégager quelques dizaines milliards de profit d'ici l'issue des concessions actuelles. Comment réguler le partage de ces milliards entre l'État et ses besoins d'investissement dans les reports modaux, les usagers et, un petit peu, les actionnaires ? Comment, aussi, préparer la baisse de rendement de ce que rapportent les autoroutes et plus globalement le transport routier avec la TICPE qui va perdre de la consistance avec la décarbonation ? En outre, avec la fin des concessions assises sur des investissements massifs, le COI parle d'une perspective de baisse des recettes de l'ordre de 50 % à 70 %. Au regard des règles européennes d'aujourd'hui, cela risque de favoriser dans les décennies à venir un mode qu'il nous faudrait au contraire réduire.
Enfin, dernière question. À propos de cet acte II, le COI a dressé un scénario de planification écologique. N'est-ce pas aussi une façon de mettre dans les missions de l'ART une vraie régulation écologique, et quels pourraient en être ses contours ?
M. Philippe Tabarot. - Je me réjouis de cette invitation pour évoquer l'ensemble des sujets et pas seulement les sujets autoroutiers. J'en dirai un mot en rapport à notre actualité au sein de la commission. Je suis ravi du travail que l'on a pu accomplir ensemble. Fringant sénateur de droite du sud, je ne pensais jamais pouvoir travailler avec un ancien député de gauche du nord ! Mais par votre force de travail, votre compétence, votre indépendance, qui est le maître-mot, et votre courage sur la question de l'ouverture à la concurrence, nous avons pu très bien travailler ensemble. Cela, à tel point qu'aujourd'hui Bernard Roman fait un travail tellement efficace qu'il est devenu irremplaçable. Il semble que vous fassiez peur aux candidats putatifs en application de l'article 13 de la Constitution, puisque cela fait bientôt une année que vous n'êtes pas remplacé. Quelques candidatures ont été évoquées. Certaines sont même allées jusqu'au perron du Sénat, puis se sont rétractées la veille au soir. En tout cas, il est important que l'on puisse rapidement, à la fois pour l'autorité administrative indépendante et le monde du transport en général, vous trouver enfin un remplaçant, que j'espère d'aussi grande qualité que vous l'étiez. Ma question concerne ce sujet : quel profil pour vous remplacer ?
D'un côté le ministre Beaune dit qu'il faut plus de moyens, et l'on est heureux de l'entendre, pour l'ART qui doit pouvoir exercer pleinement ses missions ; et d'un autre côté, chaque année, dans le cadre de l'examen du PLF, il donne un avis défavorable à nos demandes de mobiliser des moyens supplémentaires pour permettre à l'ART de fonctionner dans de bonnes conditions, de rendre ses avis, ses rapports et garantir à la gouvernance une indépendance totale dans le cadre de potentiels contentieux. Il semble même que le Président de la République préfère les conventions citoyennes aux autorités administratives indépendantes. De là à les remettre en cause, la question peut se poser. En tout cas, pour nous, elle ne se pose pas. Vous avez rappelé les liens forts qui unissent le Sénat à l'ART. J'aimerais rapidement aborder trois sujets, qui ne sont peut-être pas, pour un en tout cas, de la compétence directe de l'ART, mais qui est dans notre actualité. Votre expertise personnelle est importante.
Que pensez-vous de la montée en puissance des zones à faible émission issues de la loi d'orientation des mobilités (LOM) de 2019 et de la loi « Climat et résilience » de 2021, et de leur acceptabilité sociale et économique et de l'accompagnement de ces mesures ? Est-ce le bon et seul moyen pour baisser les émissions liées aux transports, qui ne baissent pas depuis un certain temps maintenant ?
Concernant le ferroviaire, un sujet qui nous a souvent réunis, nous avons longtemps plaidé pour plus de moyens, notamment par rapport à ces contrats de sous-performance que l'on nous a présentés pendant un certain nombre d'années, avec très peu de moyens donnés pour la régénération et pratiquement rien pour la modernisation. Que pensez-vous donc du rapport du Conseil d'orientation des infrastructures que nous avons porté avec un certain nombre de collègues ici présents et surtout des engagements de la Première ministre Élisabeth Borne ? Pensez-vous que cela sera suivi d'effet ou que c'est un coup politique ? Comment voyez-vous le financement des 75 milliards qui ne sont pas la partie que l'État s'est engagé à amener ?
Concernant la question de l'augmentation des péages ferroviaires, que vous avez régulièrement laissé passer : la jugez-vous définitivement inéluctable dans le mode d'organisation du ferroviaire en France ? Croyez-vous que la Société du grand Paris peut sauver la SNCF et l'aider à remplir ses missions ? Le vivez-vous plutôt comme une mise sous tutelle ou comme une aide providentielle ?
Enfin, deux mots sur les questions autoroutières qui nous réunissent également en ce moment. Il a semblé, la semaine dernière, que votre rapport tombait vraiment à point nommé pour les concessionnaires, qui sont devenus de fervents adeptes de l'ART. Pourquoi existe-t-il une telle disparité entre vos conclusions et celles du rapport Delahaye ou du rapport de l'IGF ? Parle-t-on vraiment de la même chose ? Il semble que non d'après votre première réponse.
M. Olivier Jacquin. - J'ai deux affirmations et trois questions à Bernard Roman. La première affirmation c'est de vous féliciter d'avoir fait venir Bernard Roman alors qu'il n'a plus de fonctions politiques. On savait déjà que c'était un homme libre, il vient d'en refaire la démonstration. C'était très intéressant.
La deuxième affirmation concerne votre indépendance. Je tiens à rappeler à mes collègues que quand il a été nommé, il y avait un vent de suspicion très fort compte tenu de sa proximité de relation avec le Président de la République. À l'époque c'était passé de justesse, en se disant qu'il ne serait jamais indépendant. Il a fait preuve d'une indépendance plus que remarquable. Il le démontre à nouveau aujourd'hui, comme il l'a fait tout au long de son mandat. Je pense encore au cas du contournement de Montpellier où il y avait eu un bras de fer très fort entre le régulateur et le ministre des transports.
J'en viens à mes trois questions. Je souhaiterais que l'on entende un mathématicien, parce que je suis perdu entre les TRI projet et les TRI actionnaire. L'audition de notre collègue Delahaye était extrêmement intéressante. Monsieur le Président, les travaux de MM. Delahaye et Fortin ont été salués dans le rapport de l'IGF. Il y a quelques lignes qui valident leurs travaux, et donc la démarche effectuée. Je vais reprendre la question du TRI actionnaire ou projet autrement. Vincent Delahaye affirmait la semaine dernière que d'ici la fin des contrats et vu leur modèle économique actuel, il existait une marge de manoeuvre de 30 à 35 milliards jusqu'à la fin des contrats pour effectuer des travaux sans augmenter le prix des péages. Qu'en pensez-vous ?
J'ai commis une proposition de résolution nommée « Routes de France » dans laquelle je décris de nouveaux contrats plus courts et dépourvus du risque trafic. Je m'inspire d'une concession française peu connue, celle de Leonord par Abertis en banlieue de Lyon. Quel est votre regard sur des contrats de ce type ? La dernière question vous a déjà été posée, mais c'est à un président libéré que je la pose de nouveau. Tous les ans, nous demandons une augmentation des moyens de l'ART. Je reprends la question de Philippe Tabarot : combien faudrait-il de moyens supplémentaires ?
M. Bernard Roman. - Vous m'avez posé de nombreuses questions, dont certaines pour lesquelles je ne serai pas en mesure d'y répondre, à l'instar des ZFE.
Michel Dagbert évoque la question de l'utilisation des profits pour financer d'autres modes de transport comme le ferroviaire. J'y suis très favorable, si l'on détermine des marges de manoeuvre au-delà des TRI contractualisés. Je suis même pour qu'on le prévoie par anticipation, pour que la route puisse financer l'ensemble des autres modes de transport. Je dois dire, sur ce point, que je suis venu ici une fois en audition sur une proposition de loi - vous avez eu à vous prononcer plusieurs fois sur ces questions - de renationalisation des sociétés d'autoroutes. Derrière cette proposition il y avait l'idée d'un péage gratuit. Quel que soit le mode de gestion choisi pour l'avenir, qu'il s'agisse de concessions, de régies, de partenariats publics-privés différents, je pense que le principe du péage, qui est un principe d'usager-payeur, est essentiel dans l'évolution des transports dans notre pays. On dit souvent que l'État doit se concentrer sur ses missions régaliennes. Il faut se demander, y compris en prenant en compte la dimension écologique qui a été évoquée par beaucoup d'entre vous, si la notion d'usager-payeur n'est pas la plus pertinente en ce qui concerne pas seulement les autoroutes, mais aussi le réseau routier. Par ailleurs, même si je n'ai pas le chiffre précis, mais vous pourriez le demander aux sociétés d'autoroutes, quelle est la part des poids-lourds étrangers qui circulent sur les autoroutes françaises ? Je veux bien que l'on supprime les péages et que ce soit la fiscalité française qui paie les externalités pour faire passer des poids-lourds, mais, tout de même, le principe de l'usager-payeur est un bon principe. La transition écologique est naturellement l'une des questions centrales qui doit être au coeur de la réflexion sur les futurs contrats, s'il y a de futurs contrats. Je pense aux stations de rechargement, aux parkings de dissuasion à l'entrée des métropoles, aux plateformes multimodales en marge des autoroutes à la fois pour les passagers de véhicules légers et pour les poids-lourds, au transport des poids-lourds. Il faut toujours avoir à l'esprit un élément essentiel : 70 % du transport routier de marchandises est réalisé sur les dix derniers kilomètres. On voit une multitude de camions sur l'autoroute, mais ce n'est que 30 % du transport des marchandises.
Faut-il attendre 2031-2036 alors que la décarbonation frappe à la porte ? Non. Je souhaite insister sur un point crucial, à mes yeux. Il ne faudrait pas que la discussion, notamment au Conseil d'État, sur l'aspect juridique de la fin des concessions et la question des profits, cache l'essentiel. Il est en effet primordial d'avoir à l'esprit que dans huit ans prend fin la première concession. Cinq ans plus tard, les concessions sur 90 % du réseau se terminent. Le chantier majeur sur lequel il faut se concentrer maintenant est la fin des concessions. Dans les contrats, les concessionnaires doivent remettre le réseau en bon état. Que signifie ce bon état ? On n'en sait toujours rien. Dans les contrats, il est prévu que sept ans avant leur terme, c'est-à-dire l'année prochaine pour Sanef SAPN, une feuille de route doit être définie sur ce qu'il reste à faire pour rendre le réseau en bon état. Cela représente des milliards d'investissements pour que les sociétés concessionnaires remettent à l'État des biens en bon état. C'est le premier point d'attention. Le deuxième, c'est que dans les contrats, il y avait des opérations qui avaient été prévues, parmi lesquelles certaines n'ont pas été réalisées. Il faut donc revisiter tous les contrats pour les identifier. Le troisième élément est qu'il faut préparer de nouveaux contrats s'il y a de nouvelles concessions. Pour élaborer un cahier des charges, au-delà de la durée et de la géographie des contrats, il faut avoir une vision extrêmement fine et précise des secteurs qui vont être concédés, des travaux qui seront à faire et de leur évaluation. Cette anticipation demandera trois ans de travail, suivis de deux ans de procédure de mise en concurrence. On est à « moins huit », et on sait qu'à « moins cinq », il faudra être prêt à partir. Il ne reste plus de temps. Si l'État ne concentre pas tous ses efforts pour agir dans ce sens, on va se retrouver le bec dans l'eau à la fin dans concessions.
Monsieur Fernique, quel approfondissement pour l'acte 2, avis simple ou avis conforme ? Je pense que le rôle du régulateur, si le Parlement ne choisit pas la régie, devra être renforcé, et avec le passage d'un avis simple à un avis conforme sur un certain nombre de questions liées aux avenants. Cela ne peut porter en aucun cas sur l'opportunité. Par exemple, sur le contournement de Montpellier, nous avons donné un avis très réservé, mais il ne portait pas sur le principe. J'ai eu le maire de Montpellier au téléphone en toute indépendance. J'ai pu l'avoir au téléphone parce qu'il savait que j'étais indépendant, et j'ai pu nouer ce contact parce que je savais que, quelle que soit la nature du coup de téléphone, je prendrais la décision sur le fondement des critères prescrits par l'ART. Notre avis proposait un mode de financement différent, que le Conseil d'État a conforté par la suite. Cet avis, s'il avait été conforme, aurait mené à un changement du mode de financement, mais il était indicatif et le concédant n'en a pas tenu compte. Je suis donc favorable à l'avis conforme.
Quel rôle à l'avenir pour le ferroviaire ? Ce n'est pas à l'ART de veiller à ce que ces 100 milliards arrivent sur la table et soient effectivement dépensés comme le propose le COI, mais l'ART a un rôle de vigie. C'est au Parlement de décider et de faire en sorte que les 100 milliards arrivent. Comment ? 25 milliards de l'État, et 75 milliards d'autres financements. Le Gouvernement compte sur l'Europe naturellement, qui sera au rendez-vous sur les infrastructures propres, et sur les régions. Ce sera à ces dernières de décider, notamment sur les RER métropolitains, qui sont indispensables, selon moi, dans notre pays. J'étais moi-même partisan et partie prenante d'un projet de RER métropolitain entre le bassin minier et la métropole lilloise, il y a longtemps, comme le sait la sénatrice Martine Filleul. Je suis heureux de voir ce dossier remonter à la surface.
M. Philippe Tabarot. - Quelle part de la route pourrait financer le ferroviaire ? C'est l'une des propositions de la Première ministre.
M. Bernard Roman. - Un travail sur les contrats est aujourd'hui nécessaire sur leur durée, leur géographie, et leur contenu, ce que l'on y met, et que l'on n'y met pas. On pourrait imaginer laisser les péages à leur niveau d'aujourd'hui - je ne proposerais pas de les baisser si j'étais dans l'exécutif ou parlementaire -, faire des contrats de 20 ou 25 ans avec l'obligation pour les futurs concessionnaires ou les structures public-privé qui géreraient ces contrats, d'assurer un niveau d'investissement qui permette de dégager une marge supplémentaire, et partager tous les risques, y compris le risque trafic. Dans chaque contrat, il y a un risque trafic : on dit que le trafic va augmenter de 1,5 % par an. S'il augmente de 3 %, le bénéfice double. Il serait possible de partager ce risque trafic et de définir une clause de revoyure avec les concessionnaires qui organise un partage des profits imprévus. Ce que l'État récupérerait, il le mettrait sur le transport ferroviaire. C'est tout un dispositif qu'il faut essayer d'imaginer qui permettrait à la route de contribuer au financement des autres modes, d'où l'impératif de mener un travail sur les contrats qui est indispensable aujourd'hui.
La baisse de rendement de TICPE renvoie à la question globale du financement. Comme je l'ai évoqué en conclusion de mon bilan, on ne peut plus laisser le régulateur indifférent aux questions de développement durable. Dans les transports et l'aéroportuaire, c'est une évidence. Il faut que l'on réfléchisse collectivement à une manière de permettre au régulateur d'introduire cette donnée environnementale dans ses critères, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Monsieur Tabarot, quel profil pour le président de l'ART ? Indépendance, indépendance, c'est essentiel. C'est toute la crédibilité de la régulation des transports qui est en jeu.
Je rebondis sur les propos d'Olivier Jacquin disant que ma candidature a été approuvée de justesse. Cela n'a pas été le cas. Quand j'étais venu dans cette salle, je crois, en vérité, que j'avais eu de nombreux votes blancs et quelques abstentions. Mais j'avais dû faire serment d'indépendance. Je m'y suis tenu. Il est vrai que j'étais un ami proche du Président de la République à l'époque, mais je n'ai jamais reçu d'appel d'un Président de la République, le premier ou le deuxième, sur quelque dossier que ce soit, même si je les savais très intéressés sur ces dossiers. L'indépendance est pour moi une valeur majeure.
À propos des moyens alloués à l'ART, je suis découragé car, après mon départ, le ministre du budget en a, une nouvelle fois, refusé l'augmentation. Je vais vous donner un chiffre, retenez-le. Entre mon arrivée et mon départ, il y a eu une augmentation du personnel de 70 %, principalement des experts. Il n'y pas d'emploi de catégorie C à l'ART, trois emplois de catégorie B et, sinon, seulement des personnels A et A+ : des polytechniciens, des docteurs en économie. 70 % du budget de l'ART finance son personnel. En six ans, il n'y a eu que 20 % d'augmentation de nos ressources. Si l'on veut tuer la régulation des transports, il faut continuer à ne pas donner de moyens à l'autorité. Aucune autorité ne peut fonctionner correctement et affirmer son indépendance si elle n'a pas les moyens de son expertise. L'augmentation du personnel de 70 % s'explique par une compétence étendue à cinq secteurs supplémentaires de régulation. Il a fallu les prendre au pied levé. Pour le secteur aéroportuaire, nous avons reçu la compétence trois mois avant de rendre notre première décision.
Sur la mise en place des ZFE, je ne peux pas vous apporter d'éléments substantiels, je le regrette. S'agissant des concessionnaires d'autoroutes, j'essaie de simplifier les choses pour tous ceux qui ne sont pas mathématiciens. Je ne le suis pas non plus moi-même. De quoi a besoin le Conseil d'État pour statuer ? Comme le disait Philippe Martin, il a besoin de chiffres précis. On ne parle pas vaguement de rentabilité. Parle-t-on de la rentabilité depuis l'origine, depuis la privatisation ou même depuis la loi Sapin, qui a changé un certain nombre de choses ? De la rentabilité pour l'ensemble des apporteurs de fonds, c'est-à-dire les actionnaires et créanciers, ou seulement pour les uns ou pour les autres ? Bruno Le Maire affirme clairement que c'est pour les actionnaires qu'il l'a fait. Et, troisième élément, s'agit-il de la rentabilité à date ou de la rentabilité projetée sur la durée de la concession, comme c'est prévu dans les contrats ? L'ART n'a pas à sa disposition ces trois éléments - à moins que ce travail ait été fait depuis six mois -, mais nous sommes capables de les avoir rapidement parce que nous avons toutes les données grâce aux expertises que l'on a faites. Je ne comprends pas que le Gouvernement ne fasse pas appel à l'autorité qui a été mise en place pour cela, et que l'on s'appuie sur d'autres études qui ont, il est vrai, toute leur valeur. Bruno Le Maire dit lui-même que, sur le TRI du projet, il a peu ou prou les mêmes résultats que ceux de l'ART, qui correspondent à peu près à ce qui était prévu dans les contrats. Si l'on veut que le Conseil d'État soit saisi, il doit l'être avec tous les éléments d'information nécessaires à son analyse. C'est d'ailleurs ce qu'il risque de demander.
Olivier Jacquin, j'ai bien lu la tribune « Routes de France ». Sur ce sujet, c'est l'exécutif qui proposera, et le Parlement qui décidera. Que veut-on pour la suite ? L'essentiel est qu'il y ait un péage et que le principe de l'usager-payeur soit maintenu. Le second point sur lequel il faudra s'interroger, c'est le périmètre. Vous entendez trois grandes sociétés concessionnaires, les échéances des contrats de concession s'étalant de 2031 à 2036. C'est une difficulté pour la suite. Peut-on avoir des positions différentes entre le premier contrat qui se termine et les deux autres ? Faut-il essayer de rassembler l'ensemble en modifiant des dates ? Choisit-on un système qui pourra s'appliquer au premier et aux seconds ? Quel partenariat public-privé ? Quel périmètre prend-on ? Y inclut-on des morceaux d'autoroutes qui ne le sont pas aujourd'hui ? Par exemple, je prends l'autoroute du nord ; je sais jusqu'à quel point la Sanef l'entretient, par contraste. Si l'on veut faire des parkings de dissuasion à l'entrée de Paris vers le nord, il faut qu'il y ait une autoroute concédée ou confiée en gestion à quelque organisme que ce soit qui aille jusqu'au périphérique et qui ne s'arrête pas à 30 kilomètres de Paris, pour faire les parkings au plus près de la capitale. Toutes ces questions vont devoir intégrer la géographie et la durée des contrats. La durée ne peut plus être de cinquante ou de soixante ans. Des durées aussi longues ne permettent pas d'appréhender des problématiques nouvelles, et lorsque des avenants complémentaires apparaissent, il n'y a alors plus de concurrence. Comme je vous l'ai dit, 17 avenants, c'est 2 milliards d'euros, ce qui n'est pas rien.
Concernant le TRI, les chiffres évoqués par Bruno Le Maire et par le rapport Delahaye touchent au même sujet : le TRI actionnaire. Est-ce ce TRI qui vaut ? Je ne suis pas en position de décider. Si le Conseil d'État est saisi, il doit l'être avec tous les éléments.
À propos du transfert du risque, il y a le risque trafic, mais il y a aussi les autres risques. En 2006, lors de la privatisation, le Gouvernement a fait le choix de transférer tous les risques aux concessionnaires dans les contrats. Le risque trafic est sans doute l'un des plus importants, puisque lorsque l'évolution du taux de trafic proposée est de 1,5 % et que l'on arrive à 3 %, le levier est considérable. Je suis beaucoup plus favorable à des risques partagés. L'ART, depuis mon départ, a publié un rapport avec des comparatifs étrangers. J'avais beaucoup travaillé avec le régulateur italien, qui n'est pas un modèle en termes de collégialité puisque c'est le président, avec deux vice-présidents, qui décide de tout, tandis que chez nous il y a un vrai collège qui délibère après des débats argumentés. Cependant, leur modèle sur les autoroutes, complètement modifié depuis l'affaire du pont de Gênes, est un modèle dont nous pouvons beaucoup nous inspirer. Il comprend une clause de revoyure tous les cinq ans avec une rediscussion globale du mécanisme financier qui repose sur les péages. La bonne solution me semble être la définition d'une clause de revoyure qui consisterait à reverser aux autres modes de transport les bénéfices en trop, ou un niveau de bénéfices qui serait similaire à celui de l'État, car les risques auraient été partagés à égalité. J'y insiste, si l'on veut travailler sur la suite, il faut commencer dès maintenant. La liste des opérations qui sont dans les contrats, mais qui ne sont pas réalisées pose question parce l'écriture des contrats n'est pas claire. Sur le Programme d'investissements d'avenir (PIA) 2016-2017, nous avons refusé neuf opérations qui étaient proposées par les sociétés concessionnaires et le Gouvernement, car on s'est rendu compte en épluchant les contrats qu'elles y étaient déjà. Les sociétés concessionnaires ont toutes signifié que dans les contrats, les opérations n'étaient pas tout à fait identiques. Il est vrai qu'il y avait une ambiguïté. Devant la position de l'ART, le Gouvernement les a retirées, mais elles sont toujours en l'air aujourd'hui. Étaient-elles ou non dans les contrats ? Quand une aire de stationnement ou un échangeur était ou n'était pas dans les contrats, ce n'est pas tout à fait la même chose pour la suite. C'est donc un travail colossal pour la préparation des cahiers des charges. Il faut vraiment que le ministère des transports s'y attelle immédiatement.
Quant à ce sommet des autoroutes, j'ai été très étonné par la déclaration de Clément Beaune, que j'ai pourtant rencontré et qui me semblait très ouvert à la contribution de l'ART, qui prévoit un sommet des autoroutes sans l'ART. On y invitera des ONG et des sociétés concessionnaires, et la structure mise en place en France par la loi « Macron » pour avoir une vision objective et indépendante de la situation économique des sociétés concessionnaires d'autoroute, et donc du système concessif, est oubliée. C'est une erreur qui doit être réparée.
M. Jean-François Longeot. - Un grand merci, Monsieur le Président, pour vos propos, vos réponses claires et précises à nos questions, et vos conseils judicieux qui nous tracent un chemin à suivre. Nous avons bien compris qu'il fallait que nous regardions les choses immédiatement si l'on veut être dans les temps et qu'il est nécessaire que l'ART soit bien associé aux travaux futurs.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Commission sur l'avenir des concessions autoroutières - Audition de M. Philippe Nourry, président des sociétés Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et AREA
M. Jean-François Longeot, président. - Nous poursuivons notre cycle d'auditions consacré à l'avenir des concessions autoroutières en accueillant Philippe Nourry, président d'Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et d'AREA, qui sont des filiales d'Eiffage, qui entretiennent et exploitent 2 323 km d'autoroutes en France. L'exploitation de ces autoroutes arrivera à échéance en 2035 pour APRR et en 2036 pour AREA.
À titre liminaire, je me permets de rappeler que notre commission souhaite, à travers ces travaux que nous avons débutés la semaine dernière, anticiper la fin des contrats de concessions autoroutiers et faire le bilan des concessions, telles qu'elles ont été pensées et mises en oeuvre jusqu'à présent.
Dans cette perspective, je souhaiterais vous interroger sur les mêmes points que ceux évoqués avec Pierre Coppey et Arnaud Quémard la semaine dernière.
Ma première question est de nature plutôt prospective : comment appréhendez-vous la fin des contrats de concession ? Comment l'anticipez-vous ? Je souhaiterais, en particulier, savoir dans quelle mesure et comment vous vous préparez à la restitution des biens. Où en sont les inventaires des biens de retour et la définition d'une doctrine quant au « bon état cible » de ces biens ?
Ma seconde question porte, cela ne vous étonnera pas, sur la rentabilité des concessions, sujette à de nombreux commentaires. Plusieurs rapports récents, notamment celui de l'Inspection générale des finances (IGF) - qui a récemment « fuité » dans la presse - tendent à montrer que certaines SCA ont des taux de rentabilité bien supérieurs à ce qui était prévu par les contrats de concessions. Certains suggèrent d'étudier l'opportunité de raccourcir la durée de certains contrats. Le ministre Bruno Le Maire a indiqué avoir saisi le Conseil d'État de cette question. Que répondez-vous à de tels discours et propositions ?
J'en viens à ma troisième question qui porte, quant à elle, sur la fiscalité des autoroutes. La Première ministre a évoqué l'idée de faire davantage contribuer le secteur autoroutier au plan d'avenir pour les transports, et notamment en faveur du mode ferroviaire. Quel regard portez-vous sur cette proposition ? Je rappelle que les sociétés concessionnaires d'autoroutes remettent en cause, depuis 2021, le versement de la contribution volontaire exceptionnelle à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France), compte tenu de l'indexation de la taxe d'aménagement du territoire sur l'inflation. Faut-il s'attendre à une réaction similaire si d'éventuelles nouvelles taxes étaient prévues ? Des discussions avec le Gouvernement ont-elles déjà été engagées sur ce point ?
Pouvez-vous évoquer quels moyens sont consacrés à la décarbonation des autoroutes ? Avez-vous estimé les besoins totaux en la matière ?
Enfin, j'en viens à une question que nous avons abordée la semaine dernière et relative à l'avenir des péages autoroutiers, consubstantielle à la fin des concessions autoroutières. Comment appréhendez-vous cette problématique ?
M. Philippe Nourry, président d'Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et d'AREA. - Je vous remercie de me donner la parole aujourd'hui et, comme vous l'avez souhaité, je vais introduire le débat par quelques considérations générales qui vont d'ailleurs répondre en partie à vos questions, Monsieur le président.
Je voudrais d'abord dire quelques mots sur le modèle de la concession autoroutière, qui est tant décrié par certains, alors que c'est un mode de gestion des services publics qui a vraiment fait ses preuves. Il suffit de voir la qualité du réseau autoroutier français, de loin le meilleur d'Europe, et sans aucun financement public ! Car, comme vous le savez et contrairement à ce que l'on entend souvent, le contribuable n'a rien eu à débourser pour la construction, l'entretien et l'exploitation du réseau. C'est le principe de l'usager payeur, plus équitable, d'autant que de nombreux étrangers utilisent notre réseau tout au long de l'année, véhicules légers comme poids lourds.
L'on entend aussi régulièrement que la concession autoroutière serait une activité de rente. Cela ne correspond pas du tout à la réalité car, par nature, elle est bien une activité à risques, des risques liés au trafic, au financement, à la construction, voire à l'entretien du réseau.
Quelques mots pour illustrer le risque trafic. Avec la crise économique de 2008-2009, juste après la privatisation, le trafic poids lourd avait chuté de près de 20 % sur deux ans. Il a fallu attendre plus de dix ans pour retrouver le niveau de 2007. Je rappelle aussi la crise des gilets jaunes en 2018-2019, qui a eu un impact important sur nos trafics, sans oublier bien sûr la crise sanitaire en 2020-2021 qui a entraîné un effondrement de notre trafic, puisqu'il a chuté de près de 25 % entre 2019 et 2020. J'en profite pour vous dire que nous sommes bien loin du plan d'affaires établi par nos actionnaires dans le cadre de l'appel d'offres de la privatisation, en ce qui concerne le trafic et le chiffre d'affaires. Je crois que c'est important de le dire dans cette période où l'on entend, dit, et lit tellement de contre-vérités sur une supposée surrentabilité.
Autre intérêt pour l'État ; nous apportons - je pense que vous le savez toutes et tous - une forte contribution fiscale. Qui sait, par exemple, dans le grand public que l'État est le premier bénéficiaire des revenus de péages avec un peu plus de 40 % du montant qui lui revient au travers de la fiscalité générale (taxe sur la valeur ajoutée et impôt sur les sociétés) et au travers de la fiscalité spécifique (taxe d'aménagement du territoire et redevance domaniale) ?
Qui sait que nous finançons encore et toujours les autres modes de transport au travers de la taxe d'aménagement du territoire et de la redevance domaniale. C'est près d'un milliard d'euros qui sont alloués chaque année au budget de l'Afit France. Nous sommes donc le premier financeur de cette agence qui soutient des projets routiers, mais surtout des projets ferroviaires ou fluviaux.
Je crois que notre financement représente plus de 50 % des ressources totales cumulées de l'Afit France depuis 2005 et, au total, ce sont plus de cinq milliards d'euros qui sont versés chaque année par les concessionnaires autoroutiers au trésor public.
Le modèle permet aussi une grande capacité d'investissements pour la modernisation et le développement du réseau, et au profit de la desserte des territoires. APRR et AREA ont investi, depuis 2006, plus de cinq milliards d'euros pour le développement du réseau. Nous avons construit dans cette période sept nouvelles sections d'autoroutes, nous avons élargi à trois voies deux cent soixante-dix kilomètres d'autoroutes, nous avons créé ou reconfiguré dix-sept diffuseurs ou noeuds autoroutiers pour améliorer l'expérience client et diminuer la congestion. Ces cinq milliards d'euros ont aussi permis d'améliorer l'insertion environnementale des autoroutes dans le domaine du traitement des eaux, de la protection antibruit et en matière de protection de la biodiversité, avec la construction d'une vingtaine de passages à faune à grand gabarit.
Beaucoup de fausses informations circulent sur notre secteur, en partie par manque de pédagogie de notre part, mais aussi sans doute parce que le modèle économique est très complexe et très particulier. On retrouve même des erreurs d'analyse dans des rapports officiels, comme celui de l'Autorité de la Concurrence en 2014. L'autorité avait analysé, à l'époque, la rentabilité instantanée des concessions, comme si nous étions une société industrielle ou commerciale classique. Elle n'avait pas intégré dans son analyse le coût d'acquisition des concessions (sept milliards d'euros pour ce qui concerne notre groupe), les dettes existantes dans les sociétés (plus de six milliards d'euros pour ce qui concerne notre groupe), et les engagements à investir qui figuraient dans les contrats (plus d'un milliard d'euros pour ce qui concerne notre groupe). Elle avait aussi sous-estimé le fait que l'actif serait rendu en bon état d'entretien, gratuitement et totalement désendetté en fin de concession.
La commission d'enquête de votre assemblée avait produit un travail de qualité en 2020, dont nous partageons la grande majorité des recommandations, sauf l'étude financière qui comportait des erreurs majeures de raisonnement et de méthodologie. Je me permets d'évoquer un exemple pour illustrer les erreurs de M. Fortin, expert en fusion-acquisition d'entreprises, à qui votre collègue, le sénateur Delahaye avait confié l'étude financière des concessions autoroutières. L'étude prévisionnelle de M. Fortin a été établie sur nos comptes à la fin de l'année 2019. Depuis cette date, trois exercices se sont écoulés : 2020, 2021, 2022, et on peut voir que M. Fortin avait très largement surestimé, dans sa prévision, les dividendes versés par rapport à la réalité : il les a surestimés de deux milliards d'euros, sur ces trois ans, les ayant plus que doublés, ce qui génère (avec bien d'autres erreurs) un écart de près de 3 % sur le taux de rentabilité interne (TRI) actionnaires à la fin de l'année 2022 entre son étude et la réalité. Je donne à ce stade, ce seul exemple.
Tout en reconnaissant les erreurs de cet expert et en rappelant le caractère hypothétique de ses calculs, le rapport de l'IGF s'est aussi intéressé au TRI actionnaires. Ce TRI actionnaires - je pense maintenant que vous êtes familiarisés aux deux types de TRI : le TRI actionnaires, d'un côté, et le TRI concession ou projet de l'autre - n'est pas, pour nous, le bon indicateur. Je pense que c'est aussi l'avis de l'Autorité de régulation des transports (ART). Au passage, on peut déplorer que l'ART, autorité indépendante créée par la loi « Macron » en 2015, ne soit pas systématiquement placée au centre des débats sur ce sujet sensible de la rentabilité des concessions. Il s'agit d'un régulateur indépendant et rigoureux, qui mesure les enjeux du modèle autoroutier concessif et qui est justement chargé, entre autres missions, de suivre la rentabilité des concessions. Or l'ART a justement estimé à deux reprises, en 2019 et en 2022, dans ses deux rapports sur l'économie générale des concessions, que le TRI concession était la bonne mesure de la rentabilité, contrairement au TRI actionnaires qui relève davantage des risques et périls du seul acteur privé. Et ces TRI concession mesurés par l'ART sont très proches de ceux attendus au moment de la privatisation, se situant à un niveau raisonnable. Cette conclusion est par ailleurs partagée par l'IGF, qui ne conclut pas pour autant à l'absence de surprofits. Car l'IGF, tout comme M. Fortin, a étudié le TRI actionnaires. Encore une fois, mon analyse est que ce n'est pas la bonne référence, mais si l'on veut regarder ce TRI actionnaires, encore faut-il partir sur de bonnes bases, ce qui n'est pas le cas pour l'IGF - j'y reviendrai certainement. En tout cas, vous l'avez compris, je conteste formellement toute idée de surrentabilité ou de surprofits pour APRR et AREA, contrairement à ce que l'on peut le lire ou l'entendre. En réalité, nous sommes très proches des objectifs qui ont été affichés par nos actionnaires dans le plan d'affaires communiqué à l'État dans le cadre de l'appel d'offres de privatisation.
Un petit mot pour terminer sur nos contrats. Il est vrai qu'ils étaient, à l'origine, quasiment les mêmes que ceux en place lorsque l'État était concessionnaire, et ce sont ces contrats-là qui ont été valorisés par nos actionnaires en 2005. Mais l'on oublie de dire que ces contrats ont été sérieusement durcis au fur et à mesure de la conclusion de nos différents avenants. Quelques exemples ; il y a eu la suppression du foisonnement - il s'agissait d'augmenter davantage les tarifs sur les sections avec beaucoup de trafic pour accroître artificiellement les recettes - qui était pratiqué lorsque l'État était à la fois concessionnaire et actionnaire. Cette pratique a été supprimée en 2007. Il y a eu aussi le durcissement des différentes pénalités, la mise en place de clauses de restitution des éventuels avantages indus en cas de décalage des plannings de travaux et, en 2015, une clause de limitation des tarifs en cas de chiffre d'affaires excédentaire, ainsi qu'une clause qui prévoit de la même manière une fin anticipée de concession pour la période d'extension octroyée dans le cadre du plan de relance 2015. En réalité, à chaque négociation d'avenant, l'État en a profité - ce qui est normal - pour rééquilibrer les contrats et les mettre à jour, ce qui est en quelque sorte une forme de recalage périodique tous les quatre à cinq ans.
Par ailleurs, le supposé laxisme de l'État à notre encontre est une contre-vérité que j'ai entendu au cours de certaines des auditions récentes. À compter de la privatisation, il y a eu un changement rapide et profond dans les relations entre l'État, qui n'était plus à la fois actionnaire et concessionnaire, et les concessionnaires privés. Les contrôles ont été très vite renforcés, les négociations dans le cadre des contrats de plan ou autres plans d'investissements ont été très vite de plus en plus âpres et difficiles, notamment sur le plan financier. Nous avons désormais des objectifs de qualité d'exploitation ambitieux, avec des seuils pénalisables en cas de non-respect. Alors, quand j'entends que le rapport de forces serait déséquilibré entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes en faveur des sociétés concessionnaires d'autoroutes, je crois que l'on se trompe d'époque, car la réalité est bien différente depuis longtemps. Les contrôles sont permanents et très diversifiés, et les équipes ministérielles sont à la fois très compétentes et très exigeantes.
M. Gérard Lahellec. - D'emblée je veux vous rassurer ; je n'ai pas de dogme, je considère que s'il y a spéculation et critique aujourd'hui, ce n'est pas essentiellement de votre fait, je préfère le dire ainsi, mais en même temps, je pense que l'on ne peut pas dire que tout va bien et qu'il suffit d'attendre.
Je crois que c'est opportun que nous ayons à nous pencher sur ce sujet. Nous devrions être dans la phase préparatoire à la fin des concessions. Je pense que l'on va y entrer très vite et, dans le même temps, nous ne pouvons pas nous contenter d'attendre seulement la pleine exécution des contrats, car il y a un certain nombre d'ambitions en perspective, notamment en matière de décarbonation, d'aménagement, etc. Cela me conduit donc à m'interroger sur la question suivante : il faut préparer la restitution des ouvrages, mais dans la restitution de ces périmètres concédés, n'y a-t-il pas lieu de dire finalement « chiche », nous sommes prêts, allons-y et voilà les défis que nous sommes prêts à relever, afin d'éviter peut-être d'avoir à renégocier des contrats, à les remettre en cause, à les prolonger de nouveau, etc.
Mon questionnement gravite autour de l'idée que l'on ne peut pas attendre la fin des concessions sans rien faire et, en même temps, qu'il faut s'assurer d'être le plus irréprochable possible, et si ça peut être d'utilité publique, ça peut vous donner l'occasion de rebondir sur le sujet.
M. Éric Gold. - Votre audition doit permettre d'en savoir plus sur les orientations futures en matière de mode de déplacement sur les autoroutes, et sur ce qui devra être prévu dans les futurs contrats.
Nous avons beaucoup parlé du développement des véhicules autonomes et de la possibilité de les utiliser sur autoroutes ; j'ai l'impression que l'on est aujourd'hui un peu moins bavard sur le sujet. J'aimerais avoir votre avis sur la circulation future de ce type de véhicules. Pour l'instant, il n'est pas possible de confier la conduite à un véhicule au-delà d'une vitesse de soixante kilomètres par heure ; pourtant les autoroutes semblent particulièrement se prêter à la voiture autonome, avec de longs trajets, peu d'obstacles et une vitesse relativement stable. Il semblerait même que sa présence permettrait d'améliorer les conditions de circulation, en absorbant les perturbations et en forçant le conducteur à adopter une bonne vitesse d'équilibre.
Alors, pouvez-vous m'indiquer quel est aujourd'hui l'état de la réflexion et quels sont les freins à la présence du véhicule autonome sur autoroute ; sont-ils technologiques, législatifs, voire psychologiques, et enfin, faut-il selon vous envisager et anticiper la création de voies spécialement équipées, ou de voies réservées pour ce type de circulation ?
M. Pierre Médevielle. - En 2015, le groupe de travail de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable avait noté - sans en tirer véritablement de conclusion - la polémique autour du rapport de l'Autorité de la concurrence, alors présidée par Bruno Lasserre, et du cabinet Microeconomix mandaté par Ségolène Royal. M. Lasserre s'en était d'ailleurs sorti avec une pirouette, en indiquant qu'on ne lui avait pas posé la bonne question, ce qui expliquait la qualité médiocre de son rapport qui calculait une rentabilité à l'instant « t ». Cette polémique s'était répandue dans la presse et les concessionnaires avaient été traités de façon peu cordiale. Que pensez-vous aujourd'hui de la qualité de ce rapport et de ses conclusions ?
M. Jacques Fernique. - J'entends vos messages. Il n'y a pas de laxisme, le rapport de force État-privé n'est pas déséquilibré, on se trompe d'époque ; ma réaction à ce que vous dites est qu'à l'époque, vos prédécesseurs avaient sans doute des discours du même ordre, en disant qu'il n'y avait pas de laxisme et que les choses étaient rigoureusement conduites. Je crois que, dans une coopération public-privé, par nature les choses ne sont pas souples, ne sont pas faciles, ne sont pas évidentes. Et si, aujourd'hui, tous admettent sans soucis que l'on dispose d'un réseau de qualité, on voit bien que sur ce qui reste à faire pour terminer correctement les concessions en cours, il y a des points litigieux. Sur la définition du bon état, la situation n'est pas évidente ; il est normal qu'il y ait des exigences du point de vue de l'intérêt général, et pour ce qui succédera au système concessif d'aujourd'hui, je crois - et j'aimerais votre opinion là-dessus - que quasiment personne ne peut envisager des concessions aussi longues que ce qui a été fait, car on voit bien qu'avec de telles durées les conditions d'élaboration d'avenants qui s'imposent sont compliquées.
Sur la question de la rentabilité, il y a les calculs de la commission d'enquête du Sénat, ceux de l'IGF, de l'ART et les vôtres. Toutes ces différences de calcul montrent qu'il y a une question de transparence d'accès aux données, de paramètres et d'indicateurs que l'on voudrait rigoureux, de suivi à mettre en place. Pour l'avenir, que ce soit à partir de maintenant ou à partir de ce qui succédera - pour vous c'est 2035-2036 - à la concession actuelle ; j'ai deux interrogations.
Sur la décarbonation, qu'est-ce qu'on y met concrètement pour assurer la transition de l'électromobilité ? Le rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI) parle d'un usage de la route et de l'autoroute qui sera moins celui de l'autosolisme, qui nécessitera un fret routier plus efficient, ce qui veut dire que l'objectif n'est pas d'aller vers davantage de trafic et ce qui posera la question du rendement des péages.
Sur les moyens, comment la route peut-elle financer, de façon plus importante qu'aujourd'hui - ce qui semble nécessaire -, les reports modaux nécessaires à la transition écologique ? Et comment notre réseau autoroutier de qualité peut-il le rester face à l'impact fort encore trop peu mesurable du réchauffement climatique, la vulnérabilité du réseau et des modes d'usage de ce réseau ?
M. Jean-Claude Anglars. - Je souhaite d'abord insister sur l'importance du travail sur l'avenir des concessions autoroutières que nous approfondissons aujourd'hui. Il permet bien sûr à notre commission de mieux appréhender les enjeux concrets qui se poseront à la fin des contrats de concessions autoroutières. Et contrairement à ce qui peut être déclaré dans la presse par certains, il ne s'agit pas ici de redite, il s'agit d'un enjeu central pour l'État, notamment dans le contexte actuel des finances publiques et en rapport avec l'aménagement du territoire. Nos travaux s'inscrivent également dans le contexte global du financement des mobilités en France, notamment du rail, du fret et du développement des différents modes de transports.
Vous savez que la question de la « surrentabilité » est au centre des enjeux et de l'actualité. Néanmoins, il ne s'agit pas de débattre ici de la méthodologie de calcul de rentabilité, nos travaux visent à faire le bilan des concessions telles qu'elles ont été pensées et mises en oeuvre jusqu'à présent. L'objectif est de tirer les enseignements des concessions qui vont s'achever pour rendre les prochains contrats moins coûteux pour le contribuable et pour l'État, tout en conservant l'investissement nécessaire à l'entretien du réseau. Mes questions portent sur trois enjeux principaux.
Le premier est le prix des autoroutes. L'un des marqueurs les plus visibles pour les automobilistes est l'augmentation des tarifs des péages avec une hausse de 4,5 et de 5,07 % en 2023 sur votre réseau (APRR). Quels sont les éléments qui justifient les augmentations des tarifs des péages en général, et à quels objectifs sont destinés les bénéfices supplémentaires ? Pouvez-vous nous indiquer, pour le cas de l'année 2023, quels sont les éléments déterminants des augmentations ? Si les raisons sont dépendantes du contexte, pourquoi les sociétés concessionnaires appliquent-elles des hausses différenciées ? Cela signifie-t-il que des réseaux sont donc moins rentables ou plus coûteux que d'autres ? Enfin, concernant la « rentabilité actionnaires » attendue, celle-ci aurait été atteinte en 2022 pour Eiffage, soit seize ans après la privatisation. Ces informations sont-elles exactes ? Quelles sont les informations à tirer selon vous concernant la durée des concessions ?
Le deuxième enjeu est celui de l'aménagement du territoire et, toujours en lien avec la durée des concessions, nous nous interrogeons sur la prise en compte du temps long dans l'aménagement routier. Quels sont les développements sur les projets futurs pour les réseaux APRR et AREA. Étant de l'Aveyron, je souhaiterais évoquer le Viaduc de Millau, mis en service depuis 2004, déroulant son tapis sur 2,4 kilomètres au-dessus du Viaur à 270 mètres d'altitude, et exploité par la compagnie Eiffage du Viaduc de Millau. La durée de la concession, 78 ans, est plus longue que les durées habituelles en raison d'un équilibre plus difficile à atteindre. J'aimerais que vous leviez une rumeur que nous entendons localement dans la presse sur ce qui pourrait être fait avec ce Viaduc de Millau. Quels sont les enseignements à tirer de l'exploitation de ce type de superstructure pour les concessions à venir concernant la durée comme l'augmentation du prix du péage. Je précise pour nos collègues que si nous n'avions pas eu ce mode de fonctionnement pour ce viaduc, jamais l'autoroute A75 n'aurait rejoint le Massif central et la Méditerranée.
Je termine enfin mon intervention par un troisième enjeu, celui de la transition écologique comme évoquée par mes collègues. Quelles sont les conséquences de la transformation du parc automobile sur les concessionnaires ? Concrètement, quels sont les objectifs d'électrification des réseaux APRR et AREA, et comment ces investissements sont-ils financés ? Concernant les mobilités, la décarbonation du trafic autoroutier et le développement des mobilités dites vertes sont au coeur des enjeux des transformations présentes et futures. Il semble, par ailleurs, qu'APRR a mis en place des aides financières pour le covoiturage en Haute-Savoie. Pouvez-vous donc nous présenter brièvement ce dispositif, son financement, et son élargissement éventuel ?
Mme Martine Filleul. - Vous avez déjà réagi sur la question de la surrentabilité et je ne vais pas revenir sur ce sujet cependant important. Mais je voudrais vous demander de réagir aux scénarios possibles évoqués dans le cadre du rapport de l'IGF, à savoir : réduire de dix ans la durée des contrats, ou éventuellement augmenter le prélèvement sur le bénéfice, ou encore baisser les tarifs des péages. Comment appréciez-vous ces éléments, et comment appréhendez-vous surtout cette demande d'étudier un raccourcissement des contrats déjà engagés ?
Ma seconde question concerne la tribune parue dans Le Monde, à l'initiative de mes collègues socialistes qui appellent à la création d'un établissement public à caractère industriel et commercial « Routes de France », et qui aurait vocation à gérer l'ensemble du réseau routier national non concédé, auquel s'ajouterait le réseau autoroutier concédé, une fois les contrats échus. Ce projet est une solution pour construire une autre voie à une opposition devenue stérile entre une renationalisation qui coûte cher et la poursuite d'un modèle concessif qui apparaît abusif. Dès lors et dans ce cadre, comment votre groupe continuerait-il d'opérer la gestion des concessions dans l'hypothèse où celles-ci seraient non renouvelées à terme ?
Je voulais enfin poser une troisième question concernant un sujet qui m'est cher, à savoir « l'illectronisme », car j'ai de nombreuses interrogations sur le flux libre tel que développé actuellement sur l'autoroute A79. J'entends que ce dispositif innovant a, sur le papier, de nombreux avantages qui permettent, selon vos dires, de gagner en fluidité et en sécurité. Je constate cependant que de nombreux usagers sont mécontents et que le dispositif laisse sur le côté de la route ceux qui ne sont pas à l'aise avec l'informatique et le numérique. Avez-vous donc pensé à des aménagements concernant ce dispositif, alors même qu'il est amené à se généraliser sur le territoire, afin de ne pas laisser de côté ces exclus du numérique ?
M. Michel Dagbert. - Merci pour votre propos liminaire au sein duquel vous avez rappelé qu'à différentes reprises, par des discussions avec l'État, les concessions avaient été rééquilibrées, ce qui tend à être un aveu de votre part qu'à l'origine, elles ne l'étaient pas.
Je souhaite vous interroger sur la question de l'entretien des infrastructures auquel sont soumis les concessionnaires. Les sociétés concessionnaires sont en effet contractuellement tenues d'effectuer l'entretien des voies et des ouvrages d'art qui leur sont concédés. Elles ont ainsi l'obligation de réaliser un certain volume de travaux. Les concessionnaires doivent investir jusqu'à la fin des contrats afin de remettre en bon état les infrastructures. Or, en décembre 2022, l'Autorité de régulation des transports (ART) a publié un document très critique face aux pratiques observées lors de la passation des marchés de travaux, de fournitures et de services, mais également lors de la passation des contrats de sous-concession. L'ART rappelle l'importance de disposer de règles claires sur le calcul de la valeur estimée d'un marché de travaux et sur le choix de la procédure d'appel d'offres. Elle note aussi le taux important d'attribution de marchés de travaux aux sociétés liées capitalistiquement. APRR-AREA ont ainsi passé une part importante de leurs marchés auprès de sociétés du groupe Eiffage, avec un taux d'attribution supérieur au taux moyen d'attribution aux sociétés du groupe Eiffage par l'ensemble des sociétés concessionnaires. Elle émet, de fait, certaines réserves sur le coût de certaines opérations et travaux réalisés, et beaucoup regrettent en effet le manque de transparence sur les coûts et prix des travaux réalisés.
Pouvez-vous nous donner votre sentiment et quelques éléments d'appréciation sur ces différents points, et sur les mesures correctives qui pourraient être envisagées ?
M. Philippe Nourry, président d'Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et d'AREA. - J'aborderai la décarbonation des autoroutes, qui est un sujet très central. Comme vous le savez, le secteur des transports représente près de 30 % des émissions de gaz à effet de serre en France, et la part des autoroutes est estimée à 7 %. C'est dire effectivement l'importance d'une action forte et rapide sur nos autoroutes. Concrètement, sur nos réseaux APRR et AREA, nous avons engagé cette transition écologique depuis plusieurs années, au travers de réalisations qui s'articulent autour de cinq grands axes. Le premier est le développement des mobilités partagées. Nous avons déjà aujourd'hui 5 000 places de parking de covoiturage proposées à nos clients, et nous devrions atteindre les 7 000 places à l'échéance 2025. Second point, nous avons mis en service la première voie réservée au covoiturage en France sur autoroute à Grenoble, sur l'autoroute A48, en septembre 2020. Troisièmement, le plan d'investissement APRR et AREA, qui vient de faire l'objet d'un décret à la fin du mois de janvier dernier, va constituer une sorte de vitrine de ce qui pourrait être déployé à bien plus grande échelle sur notre réseau. Ce plan que j'évoque comprend deux nouveaux parkings de covoiturage, des voies réservées au covoiturage et aux transports en commun, ainsi qu'un certain nombre de pôles d'échanges multimodaux à proximité des grandes agglomérations. Le troisième axe engagé pour les mobilités décarbonées est l'accueil des véhicules électriques sur le réseau. Vous y avez fait allusion tout à l'heure, nous sommes très fiers d'avoir relevé le challenge qui consistait à équiper 100 % des aires de service en stations de bornes à haute puissance et à très haute puissance avant la fin de l'année 2022. C'est chose faite depuis décembre dernier : nos 97 aires de service proposent à la clientèle entre 6 et 8 bornes de recharge très haute puissance. C'est un premier pas et il faudra aller un peu plus loin. Le quatrième axe est le développement du solaire sur notre réseau. La nouvelle loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables va permettre d'équiper massivement nos grands parkings d'ombrières photovoltaïques. Dans ce domaine, nous avons déjà engagé le mouvement depuis plusieurs années avec la construction de plateformes solaires sur nos délaissés autoroutiers. Au moment où je vous parle, nous avons d'ores et déjà cinq plateformes solaires qui fonctionnement et qui produisent 30 Mégawatts crête (chacune des plateformes représente 5 hectares et produit environ 5 Mégawatts). Nous avons donc déjà 5 fermes solaires en service, nous en avons une en travaux, quatre qui sont en procédure administrative, et une vingtaine qui sont au stade du projet et de l'étude. Dernier axe ; le déploiement de technologies au service de la fluidité et de la décarbonation. Je pense bien sûr au développement du péage en flux libre. Nous avons mis en service au mois de novembre dernier la première autoroute en flux libre intégral, l'A79. Deuxième point, grâce à notre nouveau plan d'investissement que j'évoquais à l'instant, nous allons pouvoir équiper en flux libre toutes les entrées du réseau AREA. Vous le voyez, la transformation écologique de l'autoroute est déjà en marche, mais il faut effectivement aller beaucoup plus loin, et je suis personnellement persuadé qu'il y a nécessité de conclure avec l'État, à court terme, un très grand plan d'investissement orienté vers la transition écologique, un plan d'investissement qui permettrait aussi en parallèle de relancer l'économie et le secteur des travaux publics qui en aura bien besoin à la sortie de la crise actuelle. Ce plan de transition écologique, qui pourrait comporter plusieurs milliards d'euros d'investissements à l'échelle de la profession, s'articulerait autour de quatre points. Le premier serait le développement massif des nouvelles mobilités décarbonées, avec la vitrine que nous avons mise en place dans le plan actuel. Le second point à signaler est la reconfiguration complète de nos aires de services, pour substituer progressivement l'électrique au carburant. Il s'agit de mettre en place, sur nos aires, non pas des stations de bornes de recharge (6 à 8 bornes), mais de passer à l'étape suivante, c'est-à-dire de véritables pôles de recharge (entre 30 et 40 bornes), car cette évolution est nécessaire pour accompagner au plus vite la transition bien engagée du véhicule thermique vers le véhicule électrique. Personnellement, je n'intégrerais pas dans ce chantier de la décarbonation les poids lourds, car je ne nous pense pas mûrs à ce stade. Il faut attendre un peu pour y voir plus clair, la technologie n'est pas encore arbitrée entre les caténaires, les rails dans les chaussées, l'induction, les terminaux de rechargement tous les 300 ou 400 kilomètres sur les réseaux autoroutiers européens. Il me semble prématuré de se lancer à court terme dans cette direction. Il y a cependant un troisième point capital : il s'agit effectivement de la généralisation du flux libre sur l'ensemble du réseau autoroutier. C'est certes une difficulté de l'A79 ; c'est la première qui est en flux libre et l'on peut comprendre que les clients usagers soient un peu désemparés, en tout cas pour une partie d'entre eux et j'y reviendrai. Donc, la généralisation du flux libre permet d'améliorer la sécurité, de renaturer toutes les plateformes de péage, et de réduire de manière significative les émissions de CO2 créées par les phénomènes de ralentissement et d'accélération. Cela représenterait, je pense, quelques milliers de tonnes équivalent CO2 par an - nous sommes en train d'effectuer le chiffrage fin. J'ajoute aussi un quatrième point qui vous concerne évidemment en tant que représentants des territoires, c'est la construction de nouveaux diffuseurs pour améliorer la desserte. Nous avons une bonne dizaine de projets dans les cartons, mais que nous pourrions mettre à disposition si l'État voulait bien nous aider à les financer. C'est aussi la reprise possible de sections ou de bretelles à proximité de notre réseau pour améliorer le patrimoine existant et pour faciliter l'accès au réseau autoroutier.
Se pose alors la question de la compensation de ce genre d'investissement massif. Je crois qu'il faut se résoudre à une évidence ; la compensation via l'augmentation de tarifs n'est plus efficace et possible aujourd'hui pour deux raisons. La première est que cette mesure de compensation est de moins en moins efficace lorsque l'on se rapproche de la concession ; pour pouvoir compenser les investissements, il faut avoir des augmentations tarifaires très significatives. Le deuxième point est que l'acceptabilité du péage est très limitée. Le grand public, nos clients, nos usagers ne comprennent pas pourquoi nous avons des augmentations tarifaires qui atteignent ou dépassent l'inflation. Cela s'explique par l'existence d'une composante qui est liée à l'inflation - 0,7 fois l'inflation, c'est la formule de base - et s'y ajoutent des composantes qui sont fonction des programmes d'investissement négociés entre les concessionnaires et l'État, expliquant les différences d'augmentation tarifaire entre telle ou telle société, et cela dépend du programme d'investissement qu'elles ont négocié avec l'État. Donc, pour compenser un tel plan, il n'y a pas beaucoup de solutions hormis l'allongement de la durée - je sais que c'est un sujet compliqué qui nécessite, bien sûr, un accord politique, un accord de la Commission européenne, et un accord du Conseil d'État -, mais pour moi cela reste la seule possibilité à ce jour pour envisager un plan d'investissement massif.
Concernant la rentabilité, je vais revenir sur le thème. C'est un sujet qui revient à intervalles réguliers dans le débat, sur la base de rapports plus ou moins à charge, et sur la base de données fausses ou peu objectives. En tout cas, je veux redire très clairement qu'il n'y a pas, pour APRR et AREA, de surrentabilité ou de surprofit, comme on peut le lire ou l'entendre, et nous sommes encore une fois, à la fin 2022, très proches des objectifs qui avaient été affichés dans le plan d'affaires communiqué à l'État dans le cadre de l'appel d'offres de privatisation. Je pense que nous serons aussi proches de ce plan d'affaires en fin de concession si l'on se base sur des prévisions sérieuses que nous communiquons, chaque année, à l'ART et au ministère des transports. En tout cas, nous sommes tout à fait disposés à confronter les chiffres et les modèles pour démontrer cette absence de surrentabilité et pour « remettre les pendules à l'heure » - si j'ose dire. Je dois tout de même saluer une évolution de méthode dans les derniers rapports, vers des calculs plus pertinents de l'analyse de la profitabilité des concessions, dans la mesure où l'on ne s'intéresse pas non plus à la rentabilité instantanée, comme c'était le cas de la part de l'Autorité de la concurrence en 2014, mais au taux de rentabilité interne qui, lui, analyse effectivement la rentabilité sur la totalité de la concession. En ce sens, nous avons progressé. Mais il reste ensuite à savoir de quoi l'on parle, et si possible avec des calculs justes et des prévisions crédibles. Et je le redis encore une fois, je déplore que l'ART ne soit pas systématiquement placée au coeur des débats sur ce sujet, d'autant que cela fait partie des missions que le législateur lui a fixées en 2015. Sur le TRI concession, qui est encore une fois la bonne mesure de notre point de vue, on peut noter qu'il n'y a pas de difficulté, tant pour l'ART que pour l'IGF. Sur le TRI actionnaires, si l'on veut malgré tout le prendre en compte, il faut partir sur de bonnes bases de comparaison, il ne faut pas faire d'erreur d'analyse et de méthodologie, il faut faire des prévisions sérieuses et, surtout, il faut être extrêmement prudent dans les conclusions, car les choses peuvent évoluer très vite, dans un sens comme dans l'autre, que ce soit par exemple au niveau du trafic ou des taux d'intérêt. Concernant l'étude de M. Fortin, j'ai eu l'occasion d'alerter le Sénateur Delahaye à plusieurs reprises, par écrit et par oral, sur les erreurs méthodologiques et de raisonnement figurant dans son étude, que ce soit par exemple pour la comparaison des flux bruts de dividendes avec l'investissement initial, sans actualisation ; l'affectation de dividendes sur la base de la trésorerie disponible et non sur la base du résultat net ainsi que la loi l'impose ; ou sur l'ignorance des règles d'amortissement qui sont spécifiques aux concessionnaires autoroutiers. Je ne reviens pas non plus sur l'estimation des dividendes entre 2020 et 2022 que j'ai évoquée dans mon préambule. Concernant la fiabilité du rapport de l'IGF, nous émettons aussi de grandes réserves. Celui-ci s'inspire d'ailleurs fortement du modèle financier de M. Fortin, c'est écrit dans le rapport et c'est assez préoccupant, en particulier pour la prévision de dividendes post-2019. Par ailleurs, nous n'avons pas connaissance du plan d'affaires de l'IGF. Je rappelle tout de même le contexte de ce rapport, rédigé il y a deux ans et demi, pour faire contrepoids au contentieux engagé par les sociétés concessionnaires d'autoroutes face à l'augmentation de la taxe d'aménagement du territoire, décidée unilatéralement par le Gouvernement fin 2019 dans le cadre du projet de loi de finances 2020. Là aussi, s'agissant des travaux de l'IGF je ne souhaite pas entrer dans un débat trop technique, mais je vais tout de même vous donner un exemple. Le chiffre de 7,67 % qui est donné comme référence du TRI actionnaire - et qui est d'ailleurs commun aux trois groupes autoroutiers, ce qui n'a pas de sens - ne correspond pas du tout à une quelconque référence fixée ou convenue entre les parties. Je rappelle qu'en 2005, nos actionnaires ont répondu à un appel d'offres international sur la base d'un prix par action, et non pas sur la base d'un TRI. Il était demandé par l'État de justifier ce prix par un plan d'affaires, qui a été communiqué, et de ce plan d'affaires découlait un TRI de 9,3 %, et non de 7,67 %. Alors avant même d'entrer dans les calculs et les prévisions, nous sommes face à un sérieux problème sur la référence, et je répète qu'il faut être extrêmement prudent avec les prévisions, d'autant qu'on ne connaîtra qu'à la fin de la concession quelle est sa rentabilité réelle. D'ici là, le trafic, les taux d'intérêt peuvent évoluer très vite dans un sens ou dans un autre ; c'est d'ailleurs le risque du concessionnaire. La prudence s'impose, comme l'a très justement dit le ministre de l'économie lors de son audition à l'Assemblée nationale. Le rapport dit même - je cite - que ces conclusions reposent « sur un calcul très hypothétique et doivent être interprétées avec une grande prudence ». On peut regretter dans cette affaire que l'avis de l'ART ne soit pas pris en compte, l'on peut regretter également qu'une phase contradictoire n'ait pas eu lieu avec nous pour éviter des incohérences manifestes sur un sujet aussi sensible et aussi polémique.
Concernant la saisine du Conseil d'État par le ministre de l'économie, le Gouvernement est libre de s'y tourner pour nourrir sa réflexion. Il ne me semble pas que le Gouvernement soit entré en contentieux, car il s'agit bien d'un avis consultatif. Les contrats ne prévoient pas à ma connaissance de stipulations qui permettent une fin anticipée de la concession sur la base du TRI actionnaires, même du TRI concession, ou sur la base d'une supposée surrentabilité. Cela est d'autant plus vrai que cette surrentabilité est injustement imaginée. Il y a en revanche une clause - et je l'ai déjà dit - négociée dans le cadre de l'avenant du plan de relance autoroutier 2015, qui permet de réduire l'allongement de la durée négociée et actée à l'époque, c'est-à-dire 3 ans pour APRR et 4 ans pour AREA, dans l'hypothèse où le chiffre d'affaires cumulé de la concession depuis l'origine dépasserait un certain seuil. Et je crois que dans cette affaire, il faut toujours garder à l'esprit que la qualité de la signature de l'État est extrêmement importante, tout comme le respect des contrats. Je crois qu'il en va de la crédibilité de la France vis-à-vis des investisseurs français ou étrangers, et je crois d'ailleurs que le ministre de l'économie l'a répété à plusieurs reprises lors de son audition à l'Assemblée nationale le 22 mars.
Concernant la question sur l'évolution des travaux, la réglementation est très stricte, et le rôle confié à l'ART dans le secteur autoroutier en 2015 a eu pour effet d'offrir beaucoup plus de transparence dans l'attribution des marchés, mais pas seulement, car les marchés éligibles au passage en commission des marchés ont été réduits - c'est désormais 500 000 euros en travaux, 240 000 euros pour les fournitures et services. Par ailleurs, depuis 2015, les commissions des marchés comprennent un nombre majoritaire de membres totalement indépendants, et la DGCCRF participe à l'ensemble des réunions. Pour ce qui concerne APRR et AREA, l'ART n'est pas critique sur le taux d'attribution des marchés de travaux à des entreprises du groupe Eiffage. Je peux d'ailleurs vous donner quelques chiffres pour vous permettre d'évaluer la situation. Sur les cinq dernières années, la commission des marchés a attribué chaque année entre 20 % et 25 % des marchés à des entreprises liées au groupe Eiffage, avec une moyenne de 25 % sur les cinq ans. Je pense qu'il n'y a donc pas de vrai problème vis-à-vis de notre actionnaire Eiffage. Cela correspond à peu près d'ailleurs à la part de marché que détenait Eiffage avant la privatisation des autoroutes. Je peux vous dire en tout cas que nous sommes extrêmement vigilants dans les commissions des marchés sur ces sujets-là, la transparence est totale ; les dossiers sont épluchés à la loupe par la DGCCRF et l'ART, et cette dernière peut stopper l'attribution au moindre problème - problèmes que je n'ai pas identifiés à ma connaissance au sein de notre groupe.
Concernant maintenant la fin des contrats, l'inventaire et la classification des biens, notamment les biens de retour, le sujet a été évoqué par un certain nombre d'entre vous, et je le sais cher au Sénateur Jacquin pour en avoir discuté avec lui à plusieurs reprises. En tant que gestionnaire du patrimoine de l'État, nous tenons à jour l'inventaire des biens. C'est un travail très long et très complexe au regard du volume important de données. Ces données sont répertoriées dans des bases de données métier qui sont propres à notre société, mais le partage des données avec les services du ministère des transports est en cours depuis de nombreuses années. Il se trouve qu'en 2016, au regard du volume de données à recueillir, les services du ministère des transports ont décidé d'utiliser une nouvelle base de données qui peut traiter à la fois le réseau routier national concédé, et le réseau routier national non concédé. Cela a pu ralentir le processus, mais les choses avancent normalement. Nous définissons avec les services du ministère la nomenclature souhaitée, ils nous transmettent ensuite les fichiers à remplir (ouvrages d'art, chaussées, etc.), et l'on peut dire que ce processus est maintenant parfaitement opérationnel. En tout cas, il n'y a aucune réticence de notre part à fournir les éléments que nous avons déjà dans nos bases. Pour la classification des biens, il faut distinguer effectivement les biens de retour, qui relèvent de la concession et qui sont indispensables à son fonctionnement ; les biens de reprise, que le concédant peut choisir à son initiative de reprendre ; et les biens propres, qui appartiennent au concessionnaire en fin de concession. Pour dépassionner le débat, je vous dirais que plus de 95 % des biens sont des biens de retour ; on retrouve notamment les infrastructures dans la majorité des actifs. Pour moi il n'y a pas de difficulté sur ce sujet biens de reprise / biens de retour / biens propres ; tout devrait donc bien se passer et aucun problème n'est à signaler. Le vrai sujet n'est pas celui-ci. Il s'agit plutôt de ce que signifie le « bon état d'entretien » qui figure dans nos contrats. En fait, ce bon état d'entretien de notre patrimoine est déjà assuré grâce aux indicateurs de performance mis en place et calculés depuis 2014. De nouveaux indicateurs patrimoine sont inclus dans nos contrats au fur et à mesure des avenants, c'est le cas d'ailleurs du dernier avenant qui inclut un nouvel indicateur sur les structures de chaussées. Cette question devra être totalement tranchée avant l'audit, prévu sept ans avant la fin de concession, mais je peux vous dire que l'on dispose déjà d'une cartographie précise des ouvrages et des chaussées grâce aux indicateurs de performance qui existent et qui sont suivis chaque année par nous et par le concédant. Je suis donc plutôt confiant concernant le fait que nous trouverons un accord complet et définitif avec l'État sur le sujet du bon état d'entretien des concessions dans les prochaines années.
Au sujet de l'avenir des contrats, d'abord, j'espère et je pense que nous serons partie prenante des assises de l'autoroute, que le ministre des transports a indiqué vouloir mettre en place à l'été prochain, afin justement de débattre de ce sujet. L'État décidera donc, mais vous ne serez pas surpris si je recommande de poursuivre le modèle de la concession à la française. J'ai déjà évoqué tous les avantages, le transfert de l'intégralité des risques au concessionnaire ; des savoir-faire reconnus et démontrés par les concessionnaires privés ; une grande capacité d'investissement. Il faudra sans doute adapter les contrats en matière de contenu, probablement introduire une certaine dose de régulation, des clauses régulières de revoyure pour suivre la rentabilité réelle et l'adapter si besoin - non pas parce qu'il y a un problème dans les contrats actuels, mais, car cela permettra d'éviter les soupçons et les polémiques qui reviennent à intervalle régulier sur le sujet, je pense que cela sera préférable pour tout le monde. Vous l'avez dit, effectivement, l'on pourra envisager de réduire les durées. Nous sommes actuellement sur des durées de 30 ans, il ne faudra pas les réduire trop non plus, car les futurs concessionnaires auront besoin d'avoir une certaine visibilité pour organiser leur outil, pour préparer leurs investissements et pour les amortir. Aujourd'hui 30 ans, pourquoi pas 20 à 25 ans dans les futurs contrats ? Il faudra peut-être aussi revoir le périmètre des concessions, pour éviter par exemple qu'un seul acteur puisse gérer plus de 50 % de l'ensemble, ce qui est le cas aujourd'hui. J'imagine mal en tout cas un retour en arrière et une reprise à 100 %. Pour moi, la gestion des autoroutes n'est pas une mission régalienne, et le vrai sujet est de trouver la meilleure solution de gestion sous forme d'une concession retravaillée, mais avec des acteurs privés. Voilà comment je vois les choses.
D'autres questions ont été posées, et notamment concernant le Viaduc de Millau. Un petit rappel sur cet actionnariat : depuis 2008, Eiffage détient 51 %, la Caisse des dépôts et consignations 49 %. Il y a eu effectivement un certain nombre de rumeurs de désengagement possible, non pas d'Eiffage, mais de la Caisse des dépôts. À ce jour, je n'ai aucune confirmation sur une éventuelle volonté de la Caisse des dépôts de sortir du capital.
Concernant les véhicules autonomes et connectés, c'est un sujet essentiel qui avance effectivement plus lentement que nous l'avions imaginé il y a quelques années. On continue néanmoins à y travailler ; nous avons un certain nombre d'accords de partenariat avec des constructeurs ou avec Valeo qui font passer régulièrement, notamment sur l'axe Paris-Lyon, ce type de véhicule pour les tester. Il reste quand même quelques difficultés sur le plan technique. Vous avez dit que, sur l'autoroute, c'était plus simple que sur le réseau classique et vous avez entièrement raison. Néanmoins, c'est un peu plus compliqué, notamment lorsque l'on arrive en zone de travaux, avec des balisages, des réductions de voies, etc. Tout n'est pas complètement réglé, les choses avancent, mais je trouve à titre personnel qu'il y a un certain ralentissement des constructeurs sur ce projet, dont l'aboutissement paraissait facile à court terme ; ce n'est visiblement pas le cas, je pense que l'on est plutôt maintenant sur du moyen terme. Rassurez-vous cependant, car les tests se poursuivent, en particulier sur notre réseau.
Concernant les tarifs, je vous l'ai indiqué, nos contrats prévoient une formule tarifaire essentiellement fondée sur l'inflation, mais qui permet également de financer, par des constantes complémentaires, des plans d'investissements. Nous avons bien conscience que les hausses pratiquées au début de l'année sont importantes dans un contexte difficile sur le plan du pouvoir d'achat. La moyenne des augmentations pour les sociétés historiques s'élève à 4,75 %, ce qui reste néanmoins inférieur à l'inflation qui était de l'ordre de 6 % à la fin octobre. Cela étant, nous avons saisi la dimension du sujet, et en lien avec le ministre des transports, nous avons amélioré les formules d'abonnement qui existaient pour la clientèle fréquente - la clientèle domicile-travail. Depuis 2019, nous avons attribué 30 % de réduction pour cette clientèle fréquente. Le déclenchement de cet abonnement est lié à un minimum de 10 allers-retours par mois sur un trajet donné. Nous sommes passés de 30 % à 40 % à l'occasion des hausses du début 2023 et, là aussi, pour donner un coup de pouce à la transition écologique, nous avons mis en place un nouvel abonnement pour les véhicules électriques qui prévoit une réduction de 5 % sur l'ensemble du réseau autoroutier APRR et AREA.
Un mot sur l'A79. La difficulté provient du fait qu'il s'agit de la première autoroute qui bénéficie de cette technologie de flux libre. Je vous rassure, la très grande majorité de la clientèle est très satisfaite de cette innovation. La plupart des usagers l'empruntent avec un badge de télépéage, ce qui est extrêmement simple. Nous avons d'ailleurs milité dans les premières semaines pour que les clients locaux puissent s'équiper de ces badges et ça a été le cas - nous avons, je pense, réussi les campagnes en début de mise en service. Nous avons aussi la possibilité d'abonnements « plaque » par internet. Concernant les gens qui ne souhaiteraient ni utiliser le badge ni utiliser l'abonnement « plaque », nous avons mis en place des bornes de paiement à pied sur l'ensemble des aires de repos. Nous avons mis du personnel sur ces bornes à pied pour expliquer leur fonctionnement aux clients en difficulté. Je ne vous cache pas qu'il y a eu des difficultés dans les premières semaines et les premiers mois. Cela étant, progressivement, les choses s'améliorent. Bien conscients du problème, nous allons encore renforcer la communication et la pédagogie, et nous espérons que dans les prochains mois il n'y aura plus de difficultés. Encore une fois, si tout le réseau autoroutier était passé massivement en flux libre, la situation aurait été plus facile. Là, nous sommes sur un petit tronçon de 90 kilomètres et c'est plus délicat, mais la situation n'est tout de même pas excessivement difficile. Je sais qu'il y a eu un article dans « Que Choisir » sur le sujet qui a fait un peu boule de neige, comme habituellement avec d'autres problèmes, mais nous ne sommes pas très inquiets et les choses évoluent déjà dans le bon sens.
M. Jean-François Longeot, président. - Merci Monsieur le président, je vous remercie pour vos réponses à ces questions. Je crois qu'il est opportun, à un moment donné, de donner des explications claires. Ces réponses nous permettent aussi d'avoir un éclairage sur le devenir des concessions et également sur la manière dont ces concessions seront envisagées, et sur l'aspect de la décarbonation qui nécessite des investissements lourds et importants.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 30.