Mardi 21 mars 2023

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 14 h 15.

Proposition de loi tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs - Examen des amendements au texte de la commission mixte paritaire

Mme Sophie Primas, présidente. - Il nous revient d'examiner quatre amendements proposés par notre rapporteure au texte de la commission mixte paritaire (CMP) sur la proposition de loi tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Article 2 ter B

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - L'amendement n°  1 précise que l'encadrement des promotions sur les produits non alimentaires, en valeur et en volume, entre en vigueur à compter du 1er mars 2024. En effet, une entrée en vigueur dès la promulgation de la présente proposition de loi poserait des difficultés juridiques et économiques importantes, compte tenu du fait que les négociations et accords portant sur les promotions intervenant dans les mois qui viennent ont déjà été formalisés. Par conséquent, une entrée en vigueur immédiate de cet article rendrait caducs ces différents accords.

M. Fabien Gay. - J'ai entendu le ministre M. Bruno Le Maire annoncer hier à la radio qu'il n'était pas d'accord avec cette proposition de loi et souhaitait limiter à 50 % les promotions sur les produits d'hygiène et de beauté. Dans le moment politique où nous sommes, après une CMP conclusive, je crois que le ministre devrait respecter le vote du Parlement.

Mme Sophie Primas, présidente. - L'accord qui a été trouvé en CMP, notamment la rédaction de l'article 3, résulte d'un compromis avec l'Assemblée nationale. Il n'appartient pas au ministre de revenir sur cet équilibre. C'est le sens des échanges que j'ai pu avoir avec lui hier, sachant que mon homologue de l'Assemblée nationale et nos rapporteurs respectifs sont sur cette même ligne.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Les interventions ont été multiples tout au long de l'examen de ce texte et apparaissent inopportunes après que la CMP a tranché. Nous nous sommes mis d'accord avec nos collègues députés et tenons notre position. Le Parlement doit avoir le dernier mot !

Mme Sophie Primas, présidente. - Si le ministre a un désaccord avec sa propre majorité, nous n'en sommes pas responsables...

L'amendement n° 1 est adopté.

Article 3

L'amendement n°  2, de coordination juridique, est adopté.

Article 3 bis

L'amendement n°  3, de coordination juridique, est adopté.

Article 6

L'amendement n°  4, de coordination juridique, est adopté.

La réunion est close à 14 h 20.

Mercredi 22 mars 2023

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de M. Xavier Niel, fondateur et actionnaire du groupe Iliad

Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui M. Xavier Niel, fondateur et actionnaire principal du groupe Iliad, groupe français de télécommunications qui est notamment la maison mère de Free, opérateur de téléphonie mobile et fournisseur d'accès à Internet que nous connaissons toutes et tous et que vous présentez encore aujourd'hui, monsieur Niel, comme étant le « trublion » des télécommunications européennes !

Hier inventeur du concept de « box Internet », aujourd'hui promoteur d'une plus forte concurrence par les prix et demain peut-être futur concurrent français des Gafam américaines, le groupe que vous avez fondé poursuit sa croissance et sa diversification avec plus de 16 500 salariés, un chiffre d'affaires en hausse qui a atteint plus de 7 milliards d'euros en 2021, et plus de 45 millions d'abonnés en Europe dont environ 21 millions en France, 14 millions en Pologne et 9 millions en Italie.

L'internationalisation de votre groupe, qui réalise désormais plus d'un tiers de son chiffre d'affaires en dehors de France, s'accélère fortement et nous questionne sur l'opportunité d'une plus grande concentration des opérateurs de télécommunications au niveau européen. Après avoir acquis Salt, opérateur suisse, et UPC Poland, opérateur polonais, vous avez récemment augmenté votre participation au capital de l'opérateur luxembourgeois MIC et de l'opérateur britannique Vodafone.

Au regard de ces récentes évolutions, quelle ambition européenne portez-vous pour le groupe Iliad-Free ? Quelles sont ses perspectives de développement dans les prochaines années ? Faut-il y voir la préparation d'un retrait progressif du marché français, alors que la France est aujourd'hui le pays le plus fibré d'Europe et que le « chantier de la fibre optique » ne fait que commencer chez nos voisins européens ?

Si nous sommes satisfaits de voir que l'expertise française en matière de fibre optique s'exporte hors de France, nous constatons en France, dans nos départements, que les mécontentements des abonnés, des élus et des collectivités sont de plus en plus nombreux.

Lors de son audition devant notre commission le 25 janvier dernier, la présidente de l'Arcep a annoncé la notification par Free d'un plan de reprise de certains de ses réseaux de fibre optique, notamment situés en région parisienne, pour lesquels des incidents et des malfaçons ont été constatés. Pourriez-vous nous donner davantage de détails sur ce plan de reprise, son financement et son calendrier ? Combien de lignes, d'abonnés et de collectivités sont concernées ?

L'état de la concurrence et de la régulation dans le secteur des télécommunications retient aujourd'hui toute notre attention, en particulier au regard des contentieux juridiques en cours entre Orange et l'Arcep. Si l'opérateur historique plaide pour une hausse des tarifs de dégroupage, conteste le pouvoir de sanction de l'Arcep, allant même jusqu'à introduire une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à ce sujet, et dénonce un transfert de la valeur vers les opérateurs commerciaux, ces derniers refusent toute hausse des tarifs de dégroupage, Bouygues Telecom ayant même porté plainte contre Orange pour défaut d'entretien du réseau cuivre.

Monsieur le président, quel regard portez-vous sur la situation actuelle ? Les contrôles exercés par l'Arcep et l'Autorité de la concurrence vous semblent-ils suffisants pour assurer un « juste » niveau de régulation, sans favoriser un opérateur plutôt qu'un autre ? Quelles seraient les conséquences d'une hausse des tarifs de dégroupage pour Free ? En particulier, une hausse de ces tarifs conduirait-elle Free à revenir sur son engagement de limiter la hausse de ses abonnements de téléphonie mobile dans un contexte où l'inflation pourrait atteindre jusqu'à 7 % cette année et où les dépenses de téléphonie représentent le quatrième poste des ménages français ?

Il est indéniable que l'arrivée de Free sur le marché français a permis une baisse générale des prix des abonnements, mais il semble que nous assistions à un « retour de balancier ». Si la France demeure le pays d'Europe où le prix des abonnements de téléphonie mobile est en moyenne le plus bas, une hausse, même de quelques euros, serait difficile à comprendre notamment parce que la qualité de déploiement n'est plus au rendez-vous.

Ainsi, parmi les sujets majeurs d'incompréhension des particuliers, des élus et des collectivités, il y a notamment celui des modalités d'implantation des antennes, implantation qui s'est fortement accélérée consécutivement à l'amélioration de la couverture numérique de nos territoires. Nous le constatons tous, l'impression est plutôt celle d'un déploiement précipité et désordonné, sans concertation avec les élus locaux.

Monsieur le président, je vous laisse la parole.

M. Xavier Niel, fondateur et actionnaire du groupe Iliad. - Merci de m'accueillir ce matin.

Mon propos introductif portera plutôt sur la France, mais nous pourrons parler plus généralement du reste si vous le souhaitez.

Nous sommes le meilleur exemple de ce que la concurrence dans les télécommunications peut permettre de créer. Elle a apporté de l'innovation, de bas prix et beaucoup d'investissements dans les réseaux.

En France, on s'est développé sur un modèle vertueux dans les télécommunications, avec une régulation qui a été extrêmement volontariste du régulateur sectoriel et de l'Autorité de la concurrence, qui a permis d'avoir quatre opérateurs puissants en téléphonie fixe et mobile. Sur ces quatre opérateurs, trois ont une stratégie avec un déploiement international. Je pense que nous sommes le pays au monde le plus présent à l'étranger grâce à la dérégulation.

Dans le cas d'Iliad, cela nous a permis d'aller en Italie avec un grand succès
- plus de 10 millions d'abonnés - et en Pologne, où nous sommes le premier opérateur. Nous sommes par ailleurs opérateurs de télécommunications dans une vingtaine de pays, où nous connaissons énormément de croissance.

Dans le même temps, nous nous sommes sentis obligés d'aller voir ailleurs pour que l'ensemble des Français puissent bénéficier de cette concurrence. C'est ce que nous avons fait à la Réunion et à Mayotte. Lorsque Free est arrivé là-bas, les prix se sont écroulés, principalement à la Réunion, où ils ont été divisés par deux, alors que, dans le même temps, les prix restaient très hauts aux Antilles. Nous venons de nous y lancer, et l'impact sur les prix est significatif. L'idée était de rendre à tous les Français le bénéfice d'une concurrence effective et réelle.

Aujourd'hui, grâce à ces investissements, Iliad est devenu le sixième opérateur paneuropéen. Nous avons un peu plus de 42 millions d'abonnés en Europe et avons réalisé 8 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2022.

En France, nous comptons 14 millions d'abonnés mobiles et 7,2 millions d'abonnés à qui nous délivrons un service fixe en fibre optique et en ADSL. Nous sommes le deuxième employeur du secteur derrière Orange, avec plus de 10 000 salariés directs en France, et probablement la société qui, en France, investit le plus. Nous investissons environ 25 % de notre chiffre d'affaires annuel dans nos réseaux. Nous sommes montés jusqu'à 30 %, ce qui donne des chiffres très élevés pour une société qu'on peut qualifier de mature, puisque notre croissance est aujourd'hui de l'ordre d'environ 10 % chaque année.

En France, la stratégie de Free est extrêmement simple : nous sommes un opérateur fixe et mobile. Nous proposons des offres simples et attractives. Comme tous les autres opérateurs, nous sommes nés de la possibilité d'utiliser le réseau d'Orange en pratiquant le dégroupage et avons migré vers une activité dans laquelle nous déployons nos propres réseaux en fibre optique. Nous disposons de nos propres sites mobiles. Nous en avons plus de 23 000 en France. Nous déployons et exploitons nos propres réseaux et, dans le même temps, avançons pour diminuer notre empreinte environnementale.

En France, nous pouvons nous réjouir d'une couverture élevée du très haut débit en fixe et en mobile. La France est parmi les grands pays les plus couverts en termes de foyers où l'on peut s'abonner à la fibre optique. Les opérateurs alternatifs supportent une grande partie des investissements. 60 % des investissements dans la fibre optique jusqu'au domicile (FTTH) sont réalisés par les trois opérateurs alternatifs, Orange en conservant 40 %. Cette part continue à diminuer.

Cet investissement est un investissement lourd. On a parfois le sentiment, lorsqu'on rencontre des politiques ou des entreprises sur le terrain, que la totalité de ces investissements sont réalisés par Orange. Or, ils sont majoritairement réalisés par les opérateurs alternatifs nouvellement entrants sur ces sujets.

Un élément est extrêmement important : la réalité de la concurrence qui existe en France fait que nous bénéficions des tarifs parmi les plus bas en Europe. À pouvoir d'achat équivalent, les États-Unis pratiquent des prix trois à quatre fois plus élevés que les prix français.

Vingt-cinq ans après, - nous étions là dès 1998 -, on a donc un bilan d'ouverture à la concurrence très positif.

Des sujets doivent être traités collectivement. Il reste à réaliser beaucoup d'investissements, à couvrir la totalité des foyers en termes de fibre optique, à opérer des raccordements finaux complexes coûteux, à améliorer notre couverture mobile, alors qu'on nous dit dans le même temps qu'il faut une meilleure couverture mais moins d'antennes. Il nous reste également à déployer les nouvelles technologies 5G et à aborder la question de la résilience des réseaux.

Des problèmes persistent sur les conditions envisagées pour l'arrêt du cuivre, qui ne sont pas satisfaisantes et dont le calendrier est trop étendu. Le contexte est difficile pour les opérateurs du fait de l'inflation, de la hausse significative des coûts de l'énergie - même si la France n'est pas parmi les pays les plus mal lotis - et des taux d'intérêt qui montent. Tous les opérateurs sont endettés, les demandes de déploiement de réseaux ayant été mises en oeuvre parce que la totalité des opérateurs de télécommunications français ont vendu des actifs pour financer ces très lourds investissements, notamment dans la fibre. Nous avons tous vendu nos antennes pour récupérer du cash et l'investir dans le déploiement de la fibre optique.

À côté de cela, on a besoin d'une stabilité et d'un cadre concurrentiel équitable. J'aimerais à ce sujet vous parler de trois points précis : l'arrêt du cuivre, la fiscalité dont l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau mobile (Ifer) et la couverture mobile des zones blanches et grises.

L'arrêt du cuivre est pour nous un problème important. Il faut se mettre à la place de l'utilisateur : quand on déploie une zone en fibre optique, 80 % des personnes qui sont dans cette zone vont spontanément prendre, en quelques années, un abonnement à la fibre optique. Cela va être extrêmement facile, chacun en voyant tout l'intérêt. Quand ces personnes vont déménager, elles ne vont pas redemander de l'ADSL, mais prendre la fibre.

Dans environ 10 % des foyers, on va devoir expliquer les choses et réussir à les convaincre. Les irréductibles représentent, en fonction des zones, 10 à 15 % des foyers. Leur ADSL fonctionne, et ils ne souhaitent pas changer. Le seul élément qui va les faire basculer, c'est l'extinction du cuivre. On l'a vu à Lévis-Saint-Nom et dans certains endroits où on a mené des expérimentations. Les seuls moments où cela fonctionne, c'est lorsqu'on retire le cuivre et qu'il faut basculer vers la fibre optique.

Collectivement, on doit donc prendre la décision d'éteindre le plus rapidement possible ce réseau cuivre, en premier lieu parce que cela va réduire l'impact environnemental. Avoir deux réseaux en parallèle a un impact environnemental double, voire un peu plus, le cuivre étant extrêmement consommateur d'énergie.

Cela signifie également optimiser l'investissement. Plus ces réseaux de fibre optique sont remplis, plus notre investissement est rentabilisé.

Nous pensons qu'Orange propose un plan peu ambitieux, avec des fermetures techniques qui commencent longtemps après la fermeture commerciale. On va en effet continuer à vendre des accès et à les laisser vivre. À la vitesse proposée par Orange, je pense qu'on pourra continuer pendant longtemps à avoir du cuivre sur la moitié des lignes en exploitation. Nous ne comprenons pas ce qui nous empêche d'éteindre les grandes villes. On a mené des expérimentations dans des villes moyennes, dans de petites villes : cela fonctionne très bien.

Aujourd'hui, on propose de déréguler Orange sur des zones fibrées sans pousser à une extinction rapide du cuivre. Nous pensons que c'est une erreur pour la France de laisser cinq ans pour ce faire. Cela n'apporte rien de plus.

Dans le même temps, on nous dit qu'on va fortement augmenter le tarif du dégroupage sur ces zones pour subventionner Orange d'une certaine manière. Si Orange a un problème dans ces zones, qu'il éteigne le cuivre et qu'on pousse collectivement ces foyers à passer à la fibre optique !

Nous pensons que cette proposition est critiquable. Rien ne justifie d'augmenter le tarif du dégroupage tant que le cuivre n'est pas réellement arrêté. C'est une formidable rente de situation pour Orange, avec une technologie obsolète et des abonnés qui n'ont pas envie de changer. Tant qu'on ne les contraindra pas à migrer, on n'y parviendra pas.

La fermeture commerciale n'a aucun impact sur la migration de ces abonnés qui ne vont pas choisir la fibre optique si la date de fermeture du réseau cuivre est lointaine. Si Orange reçoit plus de recettes pour le cuivre, on ne le motive pas à fermer ses réseaux. Aujourd'hui, les opérateurs natifs migrent plus vite les abonnés ADSL vers la fibre optique qu'Orange. En outre, l'ADSL, chez Orange, est vendu 10 euros moins cher que la fibre optique.

Tous ces éléments nous font penser que permettre une dérégulation sur ces zones est une erreur. L'Arcep va perdre tout contrôle sur Orange, qui pourrait même décider de conserver le cuivre encore plus longtemps, voire de continuer à augmenter les tarifs.

Un autre élément me paraît extrêmement important : aucun pays d'Europe n'a augmenté ses tarifs de dégroupage, et l'Union européenne recommande une stabilité des prix.

Notre vision est simple : arrêter le cuivre est important, et il faut accélérer les choses. S'il y a une hausse du tarif de dégroupage, elle doit intervenir un an avant la fermeture technique de ces réseaux pour accélérer la migration des abonnés récalcitrants. La hausse du dégroupage ne va servir qu'à augmenter la rente d'Orange.

Nous avons été étonnés d'entendre la directrice générale d'Orange parler d'un deal avec l'Arcep et annoncer qu'une augmentation du tarif de dégroupage est acquise en 2024, avant toute analyse de marché. Le deal est sûrement à la mode, mais on a le droit, dans les télécommunications, d'espérer une forme de concurrence différente. La dérégulation ne doit donc intervenir que lorsqu'on a une date rapide d'extinction du cuivre.

À côté, on a besoin d'un accompagnement et d'explications sur cette fermeture pour rassurer les populations. On l'a fait avec la TNT. Nous pensons que l'on doit faire un grand plan identique et expliquer que le cuivre n'est conservé que pour ceux qui ne peuvent accéder à la fibre optique. C'est un sujet incroyablement important. Une dérégulation trop rapide et mal encadrée peut venir bouleverser le secteur. C'est notre principal point d'inquiétude aujourd'hui.

Autre sujet qui nous tient à coeur, celui de la fiscalité. La fiscalité sectorielle est un véritable fardeau. Nous sommes, je pense, avec l'énergie, le secteur le plus surtaxé de ce pays. L'Ifer mobile est insupportable et injuste. Nous sommes spécialistes, en France, pour taxer les télécommunications, en général avec une bonne raison.

Je me souviens de la taxe sur les distributeurs de services de télévision (TSTD) en faveur du Centre national du cinéma (CNC), en contrepartie d'une TVA à 5,5 % que nous devions acquitter lorsque nous vendions des abonnements de télévision. La TVA est revenue à 20 % sur les abonnements de télévision : on a conservé cette taxe !

On a créé une taxe infinitésimale sur les distributeurs de services de télévision pour compenser l'arrêt de la publicité sur France Télévisions. La taxe ne va à présent plus à France Télévisions, mais au budget général !

L'Ifer mobile, qui devait compenser la perte de la taxe professionnelle, s'élevait, pour le secteur à 120 millions d'euros. En 2022, on est à 270 millions d'euros, et on sera à 500 millions d'euros en 2027. Cette taxe est injuste. Elle est basée sur le nombre de fréquences et le nombre d'antennes. Bien évidemment, plus on nous demande de déployer nos réseaux de capacité, de rapidité, de fréquences et une meilleure couverture, plus cette taxe augmente.

On nous promet régulièrement une réforme qui ne vient pas, et nous avons l'impression d'être pris dans le feu de la relation entre l'État et les collectivités.

La taxe Ifer est inéquitable. Elle ne s'applique pas de la même manière à tous les opérateurs. Deux opérateurs mutualisent leur réseau, Bouygues et SFR. Ils font du renchering. Cela pose par ailleurs un certain nombre de problèmes quand le réseau de l'un ou de l'autre est en panne. On perd alors 50 % de capacité, mais ils se partagent cette taxe, alors qu'Orange et Free payent une surtaxe.

Parallèlement, Orange et Free sont punis puisqu'ils n'ont pas le droit d'utiliser Huawei en France, alors que Bouygues et SFR le peuvent. Ceci a un impact car les équipements de Huawei consomment 30 % d'énergie en moins que les équipements que nous avons le droit d'utiliser.

Aujourd'hui, Free Mobile paye deux fois plus d'Ifer que SFR ou Bouygues Telecom, ramené au chiffre d'affaires. En 2027, ce sera trois fois plus.

C'est un sujet important pour nous. Un plafonnement ou une taxe sur le chiffre d'affaires - bien que ce soit tout ce que l'on déteste - nous semblerait plus juste. La disparition de la taxe me paraîtrait en toute franchise s'imposer ou, à tout le moins, une meilleure répartition entre les différents opérateurs.

Le troisième sujet que j'aimerais évoquer est celui de la couverture mobile. Nous nous étions engagés collectivement, dans le New Deal, à rajouter 5 000 sites : 2 300 sont aujourd'hui en service. Les autres sont en cours de construction, les 800 derniers ayant été affectés en 2023. Nous pensons qu'il serait intelligent d'éviter un point de coupure quand ces 5 000 sites seront en fonction, et de mettre en oeuvre un New Deal 2. En effet, vous aurez bien évidemment des demandes supplémentaires de couverture. Il s'agit d'une vision à long terme.

Cela évitera, en 2030, des discussions longues sur le renouvellement des fréquences pour les opérateurs. Nous pensons que les pouvoirs publics devraient profiter de cette opportunité dès maintenant pour regarder comment avancer et définir un volume de sites à déployer en zones blanches et en zones grises. Nous pensons que cela ne pourrait avoir que des effets positifs, sans quoi on va se retrouver avec ces 5 000 sites, des zones blanches et des zones grises où vous pourriez avoir des demandes.

Depuis dix ans, nos investissements sont au plus haut. On est montés jusqu'à 30 % de notre chiffre d'affaires. L'année dernière, nous étions à 25 % pour assumer des obligations de couverture fibre et mobile, qui sont des demandes fortes de couverture étendue.

Nous connaissons un problème de surfiscalité. Comment concurrencer les Gafam ? En ayant des moyens ! La quasi-totalité du cash produit par les télécommunications l'est aujourd'hui par Orange. Les opérateurs alternatifs, depuis des années, ne génèrent pas de cash-flow positif parce qu'ils investissent lourdement dans leurs réseaux, avec des fréquences qui sont dans le même temps vendues toujours plus chères. Je vous l'ai dit, nous avons vendu énormément de nos pylônes pour financer tout cela.

Malgré tout, il nous reste beaucoup de travail à accomplir pour continuer à déployer ce réseau. Dans le même temps, alors que nous avons des bilans tendus, on nous parle d'augmenter les tarifs de dégroupage, de complétude des réseaux fibre, de résilience - et j'oublie toutes les autres idées que vous pourriez avoir pour taxer les opérateurs.

Nous sommes des sociétés responsables en grande majorité. Nous utilisons le cash que nous arrivons à générer pour réinvestir, nous développer à l'international et concurrencer les Gafam. À un moment où les pouvoirs publics réclament la réindustrialisation, l'indépendance nationale, la présence française dans les domaines stratégiques, l'intelligence artificielle, la cybersécurité, ce n'est pas une très bonne chose que d'appauvrir les groupes les mieux à même de défendre nos couleurs !

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci beaucoup, monsieur Niel.

Je vais passer la parole à Patrick Chaize, président du groupe d'études sur le numérique, puis à Anne-Catherine Loisier, rapporteure budgétaire, et ensuite à l'ensemble de mes collègues.

M. Patrick Chaize. - Merci, madame la présidente. Monsieur le président, je suis un peu resté sur ma faim : vous avez dressé un grand nombre de constats, mais je n'ai pas entendu beaucoup de propositions. Je vais donc essayer, par mes questions, de vous y inciter.

Vous avez estimé que la fermeture du cuivre par Orange n'était pas ambitieuse. Je peux partager cet avis et faire en sorte qu'on accélère la mise en oeuvre de cette fermeture. Néanmoins, quelles mesures proposez-vous pour que la migration et tous les travaux induits sur les parties privatives puissent être réalisés dans de bonnes conditions ?

S'agissant du dégroupage, je ne suis pas du tout votre raisonnement - et c'est le cas depuis longtemps. En 2016, dans le cadre de la loi Macron, j'avais déposé un amendement « zone fibrée » qui permettait de déréguler le prix du cuivre pour qu'il monte et que, mécaniquement, on enregistre un basculement naturel. Je ne comprends pas pourquoi ce mécanisme vous gêne et pourquoi on ne peut le mettre en oeuvre.

Concernant l'Ifer, je partage totalement votre avis. Cela fait cinq ans que je dépose un amendement tous les ans, dans le cadre du projet de loi de finances, pour que cet impôt injuste soit corrigé et puisse être remodelé de façon à être plus égalitaire, avec des possibilités de redirection d'une partie de cet impôt.

S'agissant du New Deal, je ne suis pas du tout d'accord avec vous. Il ne s'agit pas seulement de 5 000 sites ciblés, mais d'un objectif partagé entre l'État, l'Arcep et les opérateurs, afin de faire en sorte qu'à échéance, l'ensemble des habitations de notre pays soient couvertes par les quatre opérateurs, certes avec un mécanisme de couverture ciblée, mais aussi avec les investissements propres des opérateurs. Cet objectif a été financé par le collectif, puisqu'on a fait en sorte que les licences soient prorogées. Le coût est estimé entre 3 et 5 milliards d'euros.

Pour ma part, je suis absolument contre un New Deal 2. Cela me paraît de la malhonnêteté, je vous le dis de façon très claire.

Pour le reste, vous mettez en place une politique tarifaire agressive et annoncez une stabilité de vos tarifs dans les années qui viennent. Est-ce tenable ? Allez-vous pouvoir tenir votre engagement ?

Je me permets de vous relancer sur la question posée par madame la présidente sur votre plan de reprise sur les réseaux identifiés.

Enfin, quand on dresse l'état des lieux du numérique en fixe et en mobile, on se rend compte que le système est en train de se coincer. Quelles solutions pouvez-vous proposer pour faire en sorte qu'on construise non pas un New Deal 2, mais un good deal pour l'ensemble du numérique en France ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Merci pour le travail qui a été réalisé par l'ensemble des opérateurs. Il faut le dire, la France est aujourd'hui bien équipée, à des tarifs qui rendent le service accessible à tous nos concitoyens.

Je voudrais revenir sur deux points, et tout d'abord sur l'extinction du cuivre. Je pense que l'ensemble de mes collègues participent à ce mouvement dans le cadre des comités cuivre qui sont mis en place sur nos territoires, et dont nous pouvons mesurer la complexité.

Je suis assez d'accord avec vous : j'ai un peu de mal à comprendre la méthode d'Orange puisque, dans un territoire comme le mien, cet opérateur commence par les zones rurales les moins équipées, avec un public peut-être moins réceptif à la démarche.

Néanmoins, il s'agit d'un sujet à propos duquel nous pensons, avec mes collègues, qu'il faut prendre le temps d'informer nos concitoyens, parce qu'on a là une source de grande inquiétude et de grande angoisse. On ne va peut-être pas trop en rajouter en ce moment.

Je voudrais également vous poser quelques questions sur votre stratégie spatiale. On évoquait tout à l'heure le rachat de Salt et votre partenariat avec Starlink concernant les discussions sur les zones blanches.

Où en est ce partenariat ? Combien d'abonnés avez-vous aujourd'hui en France ? Comment appréhendez-vous ce partenariat dans le cadre de la stratégie de constellation européenne Iris ?

Enfin, concernant le cloud souverain ou le cloud de confiance, quelle est aujourd'hui la stratégie de Scaleway, votre filiale ? De plus en plus d'universités reçoivent des offres gratuites assez captives de tous les grands opérateurs américains dont on a ensuite beaucoup de mal à ressortir. Quelle est votre stratégie sur ces dossiers importants pour l'avenir ?

M. Xavier Niel. - S'agissant du prix du cuivre, quel est le principal utilisateur du dégroupage dans ce pays ? Orange ! Quand on augmente les prix du dégroupage, le seul qui ne soit jamais touché, c'est Orange. On pousse donc Orange à ne surtout pas éteindre le cuivre car, à partir de ce moment-là, il va perdre ses abonnés face à une concurrence réelle.

M. Patrick Chaize. - Orange ne peut vendre à perte !

M. Xavier Niel. - C'est ce qu'il fait ! Personne ne fait rien sur le sujet ! Orange a déjà été condamné quinze fois. Il sera condamné dans dix ans, mais ce sera trop tard. Quand on augmente le prix du dégroupage aujourd'hui, on accorde à Orange une rente de situation et des parts de marché. Nous pensons que c'est une erreur.

Si on augmente les prix du dégroupage le jour où on ferme le réseau, tout le monde va se presser, y compris Orange. C'est notre demande.

M. Patrick Chaize. - C'est l'idée. Je vous parle des zones fibrées sur lesquelles la fibre est disponible.

M. Xavier Niel. - Dans ce cas, éteignons le cuivre ! Pourquoi n'éteint-on pas le cuivre à cet endroit-là ?

M. Patrick Chaize. - C'est exactement ce que je défends !

M. Xavier Niel. - Nous sommes d'accord !

Nous sommes d'accord pour une hausse du dégroupage un an avant la fermeture pratique du réseau. Même si c'est dérégulé, ce n'est pas un sujet. Je vous rappelle qu'il existe des obligations d'orientation, mais il faut que ce soit fait un an avant, et non cinq ans avant. Or c'est ce qu'on nous vend aujourd'hui, avec une Arcep complètement acquise à Orange, qui se couche devant Orange.

Concernant le New Deal, l'objectif est, pour chaque opérateur, d'améliorer sa couverture de 5 000 sites...

M. Patrick Chaize. - Couverture ciblée !

M. Xavier Niel. - Couverture ciblée.

M. Patrick Chaize. - Et plus de taxe de transport...

M. Xavier Niel. - Plus une taxe de transport. Nous sommes ravis : nous venons de signer un contrat avec un grand transporteur. On doit donc s'améliorer.

Nous avons ouvert 2 300 sites. Nous souhaitons continuer à le faire.

Vous me faites remarquer que l'État français a probablement perdu 3 milliards d'euros de recettes, mais je n'ai pas vu de véritable appel d'offres sur les chaînes de télévision, qui font des profits supérieurs aux nôtres !

M. Patrick Chaize. - Ce n'est pas notre domaine !

M. Xavier Niel. - Ce n'est pas votre domaine, mais il s'agit de fréquences, et nous sommes en concurrence !

M6 fait une marge supérieure à celle de LVMH, et cela ne choque personne. On ne parle pas de leur facturer des fréquences, alors que vous nous réclamez des obligations de couverture qu'on ne demande pas à une chaîne de télévision. Vous ne leur demandez rien, même pas de produire davantage de fictions !

M. Franck Montaugé. - Ce n'est pas notre procès, quand même !

M. Xavier Niel. - Ce n'est pas votre procès, mais vous me dites que nous avons pris 3 milliards d'euros de recettes à la collectivité. Non ! Nous avons fait un deal dans lequel ces 3 milliards d'euros de recettes étaient échangés contre des déploiements de sites que nous n'aurions pas faits ! C'était ce que nous avons mis en oeuvre mais, dans le même temps, nous pensons qu'il est sain et intéressant de regarder la totalité des fréquences et que tout le monde soit facturé.

Quant à la stabilité de nos tarifs dans le mobile, on marche sur la lune ! Vous êtes en train de me demander d'augmenter mes prix ? Mais allez devant la représentation nationale, devant les Français ! Vous m'avez dit : « Vous pratiquez des tarifs extrêmement bas, trop bas ! ».

M. Franck Montaugé. - On se calme, on se calme !

M. Xavier Niel. - Je fais mon métier !

Mme Sophie Primas, présidente. - Tout le monde se calme !

M. Franck Montaugé. - Soyez correct !

M. Xavier Niel. - Monsieur, si vous ne souhaitez pas que je sois là, je peux m'en aller ! Je suis venu spontanément et gentiment. Vous m'agressez à propos de sujets précis !

M. Franck Montaugé. - Je ne vous ai pas agressé !

M. Xavier Niel. - Je vous le concède...

Mme Sophie Primas, présidente. - C'est moi qui dirige les débats ! M. Niel a la parole. Je lui demande d'être un peu plus calme, sinon on n'arrivera pas à tenir la salle jusqu'au bout.

M. Chaize vous a posé des questions, ainsi que Mme Loisier. Vous avez le droit de vous exprimer, et nous allons vous écouter calmement.

M. Xavier Niel. - Merci. On nous dit que nous pratiquons des tarifs trop peu chers. Cela fait partie de nos atouts et de ce que l'on apporte aux Français, c'est-à-dire du pouvoir d'achat. Dans un monde où tous les prix augmentent et où on va avoir des problèmes bien supérieurs à ceux que l'on a en ce moment à propos d'autres réformes, avec des hausses de prix significatives qui peuvent atteindre 10 à 15 %, le fait qu'une société responsable n'augmente pas ses prix ne me paraît pas devoir entraîner des remarques.

Je pense au contraire que cela devrait être vu comme positif.

Mme Sophie Primas, présidente. -Je crois que la question de M. Chaize portait sur le fait de savoir si c'est tenable pour vous.

M. Patrick Chaize. - C'est cela !

Mme Sophie Primas, présidente. - Il n'y avait aucune accusation, mais une simple question.

M. Xavier Niel. - Je suis heureux d'être ici et de vous faire pitié - ou de vous faire de la peine. C'est assez rare.

Mme Sophie Primas. - Ni pitié ni peine !

M. Xavier Niel. - Je vous en remercie.

Mme Sophie Primas, présidente. - Ne faites pas dans la provocation, monsieur Niel. On n'est pas parti sur le bon pied.

Est-ce tenable ?

M. Xavier Niel. - Le sujet est de savoir si nous sommes une société responsable, qui sait compter. Oui ! Notre modèle économique se tient, nous sommes un opérateur rentable, qui dégage du cash. Ce cash est systématiquement utilisé pour être réinvesti dans nos réseaux. On cale nos réinvestissements en fonction de notre capacité à générer du cash. Je vous l'ai dit : à la fin, il n'en reste pas beaucoup, mais c'est ainsi. Nous nous sommes développés en investissant dans des réseaux, et c'est notre volonté d'investir.

Quant au plan de reprise, il comporte un peu plus de 200 000 lignes pour lesquelles nous nous sommes mis d'accord sur une procédure de raccordement renforcé et un suivi de près. Si cela ne devait pas fonctionner, nous avons pris l'engagement de redéployer le réseau sur ces 200 000 prises.

Concernant le New Deal, je vous ai répondu indirectement sur le coût des fréquences et le coût de l'argent que l'on met dans ces fréquences. L'argent que l'on va remettre dans ces fréquences - et ces sujets sont liés - ne sera pas remis sur des couvertures de zones qui pourraient en avoir besoin. C'est un choix.

Je remarque simplement qu'en 2027, un arrêt du déploiement des quatre opérateurs de ces 5 000 sites doit avoir lieu. Si la couverture du territoire est satisfaisante à ce moment-là pour l'ensemble des populations, il n'y a pas de raison d'avoir un New Deal - mais je ne suis pas sûr que vous n'ayez pas des demandes supplémentaires. S'il n'y en a pas, bien évidemment il faut un appel d'offres. Ce que n'aiment pas les opérateurs, c'est l'incertitude à propos de ces notions de fréquences. C'est toujours un stress. Une telle méconnaissance est un vrai sujet.

S'agissant de l'extinction du cuivre, la question est de ne pas avoir de transfert de valeurs entre les opérateurs. C'est le principal sujet. Si on éteint le cuivre à un horizon lointain et que, dans le même temps, on permet à des acteurs de pratiquer des prix plus bas sur ces zones, on se retrouvera avec un sujet de transfert de valeurs ou de transfert de parc d'abonnés entre les opérateurs, et c'est une vraie question.

Concernant Starlink, il ne s'agit pas d'un deal avec la France, mais d'un accord avec la Suisse. Nous avons un important spectre en Suisse. Nous avons autorisé Starlink à utiliser une partie de notre spectre, ce qui permet, dans les zones montagneuses d'avoir la possibilité, sans changer d'abonnement, de se connecter à un opérateur satellitaire. C'est du bas débit et cela ne remplacera jamais ce que l'on est capable de faire, mais il nous a paru important de le faire, car nous avions des défauts de couverture dans certains endroits. Ce surplus de spectre nous permet de le faire.

C'est intégré automatiquement pour la plupart de nos abonnés, mais ce n'est pas ouvert commercialement. Ceci va l'être. Je ne sais si on est capable de faire la même chose en France. On a un spectre moins étendu et c'est plus difficile, mais le satellite va permettre de couvrir des zones où on n'arrivera pas à aller, même avec la fibre optique.

Dépenser 20 000 ou 30 000 euros pour un foyer pour une recette de 30 euros par mois constitue toujours un problème. Comment est-on capable de le traiter ?

Dans certains endroits, on va avoir 20 ou 30 kilomètres de déploiement pour un foyer. Le satellite peut faire sens dans ces zones. Je ne sais si on le fera avec Starlink ou si on est légitime à revendre cette offre-là. Ce qui est vraiment intéressant, c'est qu'il s'agit de fréquences classiques. On a cette possibilité lorsqu'on est dans un endroit où on n'a pas de couverture avec le réseau traditionnel de Salt.

Le cloud souverain constitue un point que je trouve personnellement problématique. On a dit qu'on voulait du cloud souverain en France mais, en fait, on va déployer les logiciels américains sur des machines qui seront physiquement en France. Dans le cloud, ce ne sont pas les machines ou leur localisation le problème, mais le logiciel utilisé. On a beaucoup combattu cette vision du ministère de l'économie en disant que, si on veut du cloud souverain, il faut que des gens fassent du logiciel souverain. C'est toute l'idée de Scaleway, qui reste une petite entreprise. On fait un peu plus de 100 millions d'euros de chiffre d'affaires, et on a une très forte croissance. 500 à 600 développeurs repartent de zéro pour faire du cloud.

Notre travail consiste aujourd'hui à rattraper le retard que l'on peut avoir vis-à-vis des Américains ou des Chinois en termes de produits. Il y a un certain nombre de produits sur lesquels on est avance en avance, comme Kubernetes, etc. Ce sont des briques importantes. Nous les mettons en oeuvre. Il s'agit d'investissements lourds. On pense que l'intelligence artificielle constitue une vraie chance. Ces investissements représentent des centaines de millions d'euros d'achat d'équipements. Nous croyons que c'est incontournable et nécessaire.

La plupart des talents qui travaillent sur l'intelligence artificielle dans les entreprises américaines sont français. On a collectivement financé les études de jeunes brillantissimes qui vont créer des produits exceptionnels, mais au-delà de nos frontières !

Tout le monde ne va pas utiliser l'intelligence artificielle. On a donc une légitimité à revendre ces services et à les développer, mais c'est un sujet d'investissement significatif qui représente des centaines de millions d'euros pour disposer des équipements et des logiciels, en France, afin de permettre à des entités publiques, privées, associatives, de recréer des produits équivalents à ChatGPT ou à Val-E, etc., qui sont maintenant devenus des produits grand public que tout le monde peut utiliser.

Les seuls produits avancés sont américains ou chinois. On n'a rien en France ou en Europe, alors qu'on a tout pour le faire. C'est un vrai sujet et un élément extrêmement important pour nous. Nous gagnerons probablement de l'argent dans dix ans sur ces sujets, mais nous pensons que nous devons réaliser cet investissement pour ne pas être déclassés.

La création de Scaleway vient d'une volonté partagée des salariés d'Iliad et de Free de ne pas voir les données de leurs enfants stockées à terme à l'autre bout de la terre, avec des règles qui ne sont pas les nôtres. Celles-ci peuvent sembler obsolètes, mais la question était de savoir si l'on en avait envie. La réponse étant non, on a développé cette société.

Enfin, excusez-moi, monsieur le sénateur, pour ma passion pour les télécommunications et pour m'être ainsi emporté. Je ne recommencerai pas, et je vous présente sincèrement mes excuses.

Mme Sophie Primas, présidente. - Très bien ! Il faut apaiser les débats. Nous sommes ici au Sénat, pas à l'Assemblée nationale !

La parole est aux commissaires.

M. Alain Cadec. - Monsieur Niel, en 2022, votre groupe Iliad, maison mère d'Internet Free et de Free Mobile, a réalisé un chiffre d'affaires de 8,4 milliards d'euros. L'année a été marquée par une forte croissance de ses activités en France, mais aussi en Pologne avec la marque Play, depuis 2020, et UPC Polska, depuis 2022, en Italie, avec Iliad Italia.

Vous revendiquez la place de sixième opérateur européen, avec près de 46 millions d'abonnés. Il semblerait que vous ambitionniez de grimper au troisième rang en cherchant à investir dans d'autres pays européens, et même au-delà des frontières de l'Union européenne. Avez-vous des pistes précises ?

Par ailleurs, après avoir investi à titre individuel dans le groupe Le Monde, dont vous êtes copropriétaire, vous rachetez le groupe Nice-Matin, France-Antilles, Paris-Turf, et vous portez acquéreur de la revue L'illustration. Il s'agit du premier hebdomadaire illustré en France, créé en 1843 et reconnu oeuvre d'intérêt patrimonial majeur par le ministère de la culture.

S'agissant de cette publication, quelles sont vos intentions concernant la ligne éditoriale ? Allez-vous la changer ou rester dans le même état d'esprit ?

Le 15 février dernier, vous avez présenté aux membres de l'Arcom le projet ambitieux de votre chaîne de télé, Six, avec l'espoir de remplacer M6 sur le canal 6 de la TNT. Vous avez, à cette occasion, reçu le soutien des syndicats culturels, notamment le Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP) mais, finalement, votre projet n'a pas été retenu. L'Arcom vous a-t-elle donné une raison qui vous a semblé juste ou plausible ? Après ce premier revirement, allez-vous persévérer dans votre intention de créer une chaîne de télévision, peut être sur un autre canal, et si oui, lequel ?

Enfin, vous avez, en dehors des télécommunications et de la presse, diversifié vos activités dans un nombre important de domaines dans lesquels vous avez pris des parts, notamment dans l'éducation et la formation aux métiers du Net, du numérique et de l'immobilier. Avez-vous l'intention de poursuivre cette diversification ou bien souhaitez-vous vous recentrer sur les secteurs essentiels de votre activité ?

M. Jean-Pierre Moga. - Monsieur le président-directeur général, pensez-vous que la France agisse suffisamment pour garantir une sécurité optimale de ses réseaux ?

D'autre part, quelle est votre vision sur l'utilisation extensive des réseaux sociaux par les jeunes ? Les Américains ont interdit TikTok, je ne sais pas si, en France on n'interdira pas certaines choses. Que pensez-vous de ce sujet de société ?

Par ailleurs, un certain nombre d'entre nous a visité l'École 42 que vous avez créée. C'est une école ouverte à tous et gratuite. Quel regard portez-vous sur les besoins en formation de la filière numérique ? Considérez que l'action de l'État est suffisante dans ce domaine ?

Mme Sophie Primas, présidente. - On imagine la réponse !

Mme Françoise Férat. - Monsieur le président, j'ai déposé il y a quelque temps une proposition de loi relative au développement de la culture scientifique. Je ne désespère pas qu'on vienne enfin à la discuter. Il me semble absolument nécessaire que nos concitoyens soient formés au raisonnement mathématique et aux fondamentaux des protocoles de recherche, face aux enjeux qui nous attendent - et la liste n'est pas exhaustive : réchauffement climatique, crise sanitaire, nanotechnologies.

Vous êtes un créateur d'entreprises technologiques de communication. La culture scientifique pourrait-elle faire partie de vos diversifications à l'avenir ? Envisagez-vous dans ce cas de développer cette culture grand public grâce à vos titres de presse ?

M. Bernard Buis. - Monsieur le président, Free est actuellement en itinérance sur le réseau Orange. Quel plan et quel avenir pour Free ? Allez-vous conserver le partenariat historique ou jouer la concurrence entre les opérateurs qui pourraient se partager le nouveau réseau ?

Concernant la garantie du passage au 100 % fibre, le gain de performances se fera-t-il sans dégradation pour les consommateurs, dans un contexte de numérisation exponentielle des usages ?

M. Fabien Gay. - Monsieur Niel, vous avez dit que la dérégulation et l'arrivée de Free avaient permis de faire baisser les prix. Je viens d'un courant politique qui considère que les biens communs doivent être gérés par le secteur public, qu'il s'agisse des questions énergétiques, de la question spatiale ou des télécommunications, mais je dois l'avouer, autant, cela fonctionne sur l'énergie ou le ferroviaire, sur lequel beaucoup reviennent, les Anglais en premier, autant on peut avoir le débat sur les télécommunications.

Cela s'est toutefois fait au détriment de l'emploi et des salariés. Tout le monde sait ce qui s'est passé chez France Télécom avec la sous-traitance. Par ailleurs, le privé - et c'est bien normal car il est là pour faire de la rentabilité - s'est d'abord occupé des secteurs les plus rentables. Il existe encore quelques zones blanches et, pour le coup, cela ne peut être comme dans tous les autres domaines. Or on ne peut laisser en semi-public tout ce qui n'est pas rentable, dont les zones désertées. Je pense qu'on peut au moins se mettre d'accord sur ce point.

Enfin, je ne suis pas chez Free, mais chez l'un de vos concurrents. J'ai fait installer la fibre juste après le confinement, et j'ai été assez stupéfait de voir des sous-traitants en cascade venir me l'installer. Vous êtes un grand chef d'entreprise. Il y a là une responsabilité en matière sociale, environnementale et en matière d'emploi. La sous-traitance, notamment s'agissant de l'installation de la fibre, pose question socialement, mais aussi aux élus que nous sommes s'agissant du « western » des branchements, où les arrachages sont légion.

Les sous-traitants, qui sont payés quasiment à la pièce, doivent aller au plus vite. Tout le monde fait pareil : on arrache, on se branche et on repart. Je pense qu'il faut légiférer sur ce point, parce que si vous appelez à ce qu'on aille encore plus vite sur la fibre, il faut encadrer son développement. Sur les douze derniers mois, dans mon quartier, nous n'avons eu ni la télé ni Internet ni le téléphone pendant trois mois à cause des arrachages !

J'aurais voulu vous poser des questions sur la presse, mais j'imagine que d'autres collègues aborderont ce point.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Monsieur le Président, les collectivités territoriales sont de plus en plus victimes d'attaques informatiques, ainsi que les PME et les TPE, alors que les grands groupes disposent généralement d'offres adaptées à leurs besoins ou de logiciels.

Le groupe Iliad semble vouloir se positionner sur ce secteur, alors que Free s'est principalement concentré sur le grand public jusqu'en 2020, sans percer le marché des entreprises ni des collectivités territoriales.

Quels seraient le calendrier et le périmètre des offres, et l'étendue du dispositif de cybersécurité ? J'avais posé une question similaire à la directrice générale d'Orange lorsque nous l'avons auditionnée. Elle nous avait annoncé un investissement de l'ordre d'un milliard d'euros dans le programme Orange Cyberdéfense pour l'ensemble de ses clients.

Enfin, s'agissant du renouvellement des terminaux, quelle politique commerciale Free met-il en oeuvre pour le recyclage ou le reconditionnement au regard des enjeux de recyclage des terminaux en circulation, alors que le nombre de vos points de vente reste relativement modeste comparé à des opérateurs plus anciens ?

M. Daniel Salmon. - Monsieur le président, vous n'êtes pas sans connaître les impacts négatifs du numérique sur la santé mentale et même physique des Françaises et des Français et, en particulier, des plus jeunes. Les études s'accumulent pour montrer que nous allons vers une catastrophe annoncée. Comment prenez-vous en compte ces impacts dans le cadre de votre responsabilité sociale élargie ? Comment allez-vous pouvoir le combiner avec votre souhait de faire toujours plus de volume et votre objectif de faire du cash, comme vous nous l'avez répété ?

Mme Sylviane Noël. - Monsieur le président, pourquoi le groupe Free ne fait pas partie de la Fédération française des télécoms (FFT), contrairement à vos trois autres concurrents, alors que vous avez participé à sa création en 2007 ? La FFT est en effet un interlocuteur de qualité s'agissant de questions de numérique et de téléphonie. Il paraît surprenant qu'un groupe comme le vôtre n'en fasse pas partie.

Je souhaiterais également savoir ce que votre groupe envisage de mettre en oeuvre pour mieux contrôler la qualité du travail des sous-traitants au moment du raccordement des usagers.

M. Daniel Gremillet. - Monsieur le président, vous avez investi dans un incubateur et un centre de formation, Hectar. Vous travaillez beaucoup dans la R&D sur la robotique agricole et sur la ferme verticale. Quelles sont vos raisons ? S'agit-il d'une nouvelle vision de l'alimentation ?

Mme Florence Blatrix Contat. - Monsieur le président, avec plusieurs collègues, dans le cadre de la délégation aux entreprises, nous travaillons sur une mission « Formation, compétences et attractivité ». Nous avons d'ailleurs échangé ce matin avec Thierry Marx sur ses initiatives en matière de formation, qui reposent sur le projet individuel. Pour l'École 42, quelle est la complémentarité avec les formations existantes ? Vers quelles compétences supplémentaires allez-vous vous diriger dans le domaine du numérique ?

Vous avez évoqué la main-d'oeuvre qui s'expatrie aux États-Unis, alors que nous avons des besoins chez nous. Comment faire pour retrouver notre attractivité et conserver cette main-d'oeuvre formée en France ?

Mme Amel Gacquerre. - Monsieur le président, une question sur l'impact des réseaux de télécommunication sur l'émission des gaz à effet de serre : un rapport récent du Sénat a évoqué une augmentation de plus de 60 % de consommation de gaz à effet de serre d'ici 2040 si on ne fait rien, notamment via les usages et la production de terminaux.

Je sais que vous êtes déjà engagé dans ce domaine, mais est-il prévu une accélération des investissements ou un plan qui pourrait aller en ce sens ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur Niel, vous avez la parole. J'indique mon attachement à la question de Daniel Gremillet. Vous êtes installé dans les Yvelines. Je suis donc très curieuse de connaître ce qui s'y passe et la vision qu'il y a derrière.

M. Xavier Niel. - S'agissant de nos activités, de notre déploiement ou de notre développement dans les télécommunications, comment utiliser le savoir-faire acquis en France dans d'autres pays, sur d'autres territoires, pour créer de la valeur et de la croissance ?

Aujourd'hui, nous sommes présents dans une vingtaine de pays. Nous sommes un actionnaire très minoritaire de la société Vodafone, et nous détenons 20 % d'un groupe sud-américain appelé Millicom, qui est présent dans sept pays d'Amérique du Sud. Nous continuons donc notre déploiement. Nous sommes historiquement actionnaire d'une société de fibre optique à Singapour. Nous avons toujours essayé d'utiliser notre savoir-faire pour aider les entreprises à se développer et à croître. Nous avons la volonté de continuer à le faire en ayant toujours des équipes en France.

Pour un certain nombre de ces pays, nous avons créé en France des sites de sous-traitance de gestion des réseaux, de développement des systèmes d'information. Environ un millier d'emplois sont créés en France pour aider nos activités extérieures. Nous pensons avoir un véritable savoir-faire, avec des personnes qui ont reçu, en France, une formation incroyablement performante pour nous aider à nous développer sur ces territoires.

Concernant la presse, L'illustration est l'un des plus anciens magazines ayant existé, créé en 1843, je crois. Toutes les archives étaient là. On les a reprises avec la volonté de les rendre plus accessibles, plus disponibles. Il s'agit des centaines de milliers de pièces. Notre volonté est de continuer le travail patrimonial qui est fait dessus. C'est une vocation non-commerciale destinée à mieux les faire connaître et peut-être les utiliser dans nos autres activités de presse.

S'agissant du projet Six, on ne nous a pas communiqué les raisons pour lesquelles nous n'avons pas été retenus. On l'a dit publiquement : on avait l'impression d'une procédure perdue d'avance. On ne nous l'a pas dit comme cela, mais on nous l'a fait comprendre. Nous espérons avoir réussi à aider les sociétés d'auteurs d'une manière générale à bénéficier de plus d'investissements de la part des chaînes existantes. Ces chaînes, je l'ai dit, utilisent du spectre, un bien commun, et génère à partir de là des revenus et des marges significatives.

Nous y sommes allés avec la volonté de gagner. Nous avons perdu mais, dans le même temps, nous souhaitions agir avec tout le monde de la création.

Je ne sais si nous reviendrons sur ces sujets. Nous pensons que l'on ne peut exister dans le monde de la télévision que si on a un des six premiers canaux. Ce sont ceux qui sont connus, les autres les accompagnent. Nous avions dit publiquement que si nous n'avions pas ce canal, nous n'étions pas vraiment intéressés par les autres canaux.

Concernant l'éducation, l'idée de l'École 42 partait d'un constat assez simple consistant à se dire que les formations au digital ou au numérique sont nombreuses en France, et de qualité, mais malheureusement souvent privées et chères. Il s'agit d'écoles plutôt bonnes qui apprennent le code informatique, mais dont la scolarité coûte une dizaine de milliers d'euros par an et n'est donc accessible qu'à peu de Français. L'idée était de créer la meilleure école gratuite et ouverte à tous pour apprendre le code informatique.

C'est ce qu'on a fait avec une première école à Paris, dans le 17e arrondissement, qui compte un peu moins de 4 000 élèves aujourd'hui. Ses méthodes d'enseignement sont différentes et permettent de s'adapter à des jeunes qui ont décroché scolairement. Il n'y a pas de cours formel. On apprend ensemble. C'est un lieu physique, ce n'est pas du téléapprentissage. Le succès est énorme, puisque les jeunes qui sortent de cette école ont tous des salaires significatifs, autour de 40 000 euros. 40 % d'entre eux n'ont pas le bac.

Nous avions un défaut : cette école manquait de diversité, notamment en termes de jeunes filles. L'école est maintenant dirigée par une femme. Cela a permis d'augmenter de 30 à 40 % le nombre de femmes présentes dans l'école.

Il s'agit d'une initiative qui a dix ans et qui fonctionne. Nous avons plusieurs de ces écoles en France aujourd'hui, et une petite cinquantaine dans le monde - 47 ou 48. Elles continuent à se développer. Cette année une vingtaine devrait ouvrir dans le monde, avec un peu moins de 20 000 élèves formés à partir de cette pédagogie différente.

Ce sont systématiquement des écoles gratuites. La scolarité dure trois ans. L'entrée est basée sur des critères permettant d'accepter tout le monde sur la base de deux éléments, la logique et l'envie d'apprendre. C'est tout ce que l'on demande à nos élèves.

Au début, on accueillait principalement des jeunes. Depuis que nous travaillons avec Pôle emploi, nous acceptons des personnes qui ont une soixantaine d'années, qui ont travaillé dans l'informatique, qui ont été formées de manière un peu ancienne et probablement obsolète. On pense généralement que leur retour au travail est impossible, mais on constate ici que cela fonctionne.

On continue donc à développer plein d'initiatives, en essayant de permettre à tout le monde d'avoir un métier. C'est une mono-formation et ce n'est pas parfait. On peut faire plein de reproches à cette école, mais on garantit un travail d'avenir bien payé.

On essaye toujours de l'améliorer. Le rêve des équipes, c'est d'avoir toujours plus d'élèves. Notre système fonctionne partout, en Corée, au Japon, au Brésil, au Maroc. Une école va ouvrir dans les jours qui viennent en Angola. La République démocratique du Congo veut en ouvrir une. Une école va ouvrir à Dakar. Cela fonctionne partout.

C'est un mode de fonctionnement qui recourt à l'ascenseur social. Je suis très déprimé de voir qu'on est en dernière position, au sein de l'OCDE, en termes d'ascenseur social. Si vos parents étaient ouvriers, vous n'avez aucune chance de ne pas être ouvrier. Pourtant, on a le sentiment du contraire.

J'ai eu la chance de naître dans une famille moyenne, à Créteil, et d'avoir grandi là-bas. L'informatique m'a permis de créer mes entreprises et de gagner très bien ma vie. C'est partant de mon exemple, et en ayant appris tout seul, que j'ai essayé d'aider d'autres personnes à suivre un parcours. Il ne s'agit pas de créer des entreprises - on peut travailler dans des entreprises, créer des associations ou faire autre chose - mais d'aider d'autres personnes à aller dans ce sens.

Autre chose me tient à coeur : le meilleur moyen de trouver un job si on n'en a pas, c'est de créer son entreprise, d'où l'idée de montrer que la France est un pays d'entrepreneurs. C'est la raison de la création d'un lieu comme la Station F, le plus grand incubateur de start-up au monde, qui héberge à Paris 1 000 start-up physiques. Comment donner envie à des jeunes de créer leur société et de leur garantir un emploi, en montrant au reste du monde que la France est un pays d'entrepreneurs ? Cela fonctionne, cela se développe. C'est même un lieu que visitent les chefs d'État étrangers.

L'idée était un peu la même avec Hectar : les agriculteurs sont souvent de petits entrepreneurs. Il y a chez ceux qui ont une vingtaine d'années une quête de sens qui peut passer par l'alimentation et la production. Comment former des jeunes, urbains ou non, à ces nouveaux métiers de l'agriculture, leur apprendre à faire les choses différemment ? L'idée était de créer un lieu significatif en région parisienne - parce que c'est ma région.

J'ai parfois investi dans des start-up particulières dans le domaine de la viande. On a supposé que j'avais une vision de l'agriculture différente. Je mange de la viande, même si j'essaie d'en manger moins. Je me suis battu pour la cause animale, en disant qu'on pouvait essayer de ne pas faire souffrir les animaux qu'on allait manger - cela me paraît quelque chose que l'on peut partager, mais on l'a parfois mal interprété.

Toutes les initiatives dont on vient de parler sont des initiatives non financières, menées par des associations, des fondations. J'ai la volonté d'aider mon pays, parce que je l'aime - trop peut-être parfois. J'ai envie qu'il soit parfait et de lui rendre ce qu'il m'a donné. Je ne sais s'il y a beaucoup de pays où ce qui m'est arrivé est possible. Si cela l'a été pour moi, ce n'est pas le cas de manière assez massive, et j'ai envie d'aider en ce sens.

Vous m'avez demandé mon avis sur l'action de l'État en matière d'enseignement. L'idée est que l'École 42 ne dépende aucunement de l'État ou de l'argent public. Rien n'est parfait, pas même en termes d'éducation, mais on forme des mathématiciens fantastiques, de très bons chercheurs en intelligence artificielle.

J'ai arrêté mes études à 17 ans, mais la formation que j'ai reçue à l'école publique et, à la fin de ma scolarité, dans une école privée, a permis de faire de moi ce que je suis aujourd'hui. Je n'ai pas envie de cracher dans la soupe !

Concernant la sécurité des réseaux, je trouve qu'un certain nombre de services en France travaillent très bien, comme l'Agence nationale de la sécurité informatique (Ansi) et d'autres. À chaque fois qu'on a des problèmes, ces services sont présents et trouvent les solutions. Les différents services qui travaillent sur ces sujets sont vraiment incroyables. Quand nous les comparons avec ceux des autres pays où nous faisons des télécommunications, la différence est en faveur de la France.

Quant aux réseaux sociaux, j'ai un avis pour mes propres enfants qui, je pense, est partagé par beaucoup d'entre vous. Si vous interdisez les réseaux sociaux aux jeunes, ils vont avoir l'impression d'être exclus du groupe. Je n'ai malheureusement pas de réponse sur ce sujet.

En tant qu'opérateur, nous mettons bien évidemment en place tout ce qui nous est demandé par l'ensemble des régulateurs et des organisations. Cela me paraît le strict minimum.

S'agissant du développement de la culture scientifique, je me suis beaucoup inquiété de l'arrêt des mathématiques, non que je les aime particulièrement, mais les choses me paraissent maintenant aller dans le bon sens.

Concernant l'itinérance sur le réseau d'Orange, nous utilisons de la 2G ou de la 3G. L'idée était de ne pas redéployer un nouveau réseau 2G en France. On avait commencé à le faire, un petit pourcentage de nos abonnés n'ayant que des terminaux 2G. Nous nous sommes mis d'accord avec Orange pour utiliser le réseau 2G a priori jusqu'en 2025, ce qui nous permet d'éviter de redéployer un réseau.

S'agissant de la garantie 100 % fibre, je crois que nous avons signé la totalité des réseaux d'initiative publique (RIP) qui peuvent exister dans ce pays, à l'exception de deux, dans le Tarn et l'Ariège. Nous espérons le faire à un moment ou un autre.

Nous souhaitons bien évidemment être présents dans toutes les initiatives. Je ne sais si on arrivera au 100 % fibre. On arrivera probablement à 99 % avec des formes de subventionnement d'argent public, de péréquation. Il faudra mettre en place quelque chose si on veut aller à ce niveau-là.

Concernant le déploiement des réseaux, 3 000 salariés déploient en interne les réseaux de fibre et la partie finale de nos installations. D'une manière générale, nous avons toujours cherché à internaliser les choses au maximum. C'est pourquoi nous sommes le deuxième employeur du secteur, alors qu'en termes de chiffre d'affaires, nous devons plutôt être le troisième ou le quatrième. On a toujours significativement cherché à internaliser ces déploiements.

Quand nous faisons appel à des sous-traitants, d'une manière générale, il s'agit de grandes entreprises, et nous nous interdisons d'avoir plus d'un niveau de sous-traitance. À côté, nous avons mis en pratique un certain nombre de choses, notamment des prises de photos avant/après, etc. On peut espérer que les choses vont s'améliorer à certains endroits.

Certains problèmes précis sont identifiés. Ce n'est pas parfait, je suis d'accord avec vous. Le réseau se déploie rapidement. C'est un réseau d'avenir. Tous les opérateurs n'ont pas une vision à long terme, malheureusement. Tout cela est mis en oeuvre avec l'Arcep.

S'agissant des télécommunications professionnelles, nous avons racheté la société Jaguar Network. Ce secteur d'activité est très peu concurrentiel, dominé par un acteur historique qui produit un service de qualité. La volonté est d'amener un peu de concurrence à cet endroit et, dans le même temps, d'ajouter des offres permettant de régler les problèmes de cybersécurité et de nombreux autres sujets. Tous les acteurs le font. Nous ne sommes pas spécifiquement en pointe en matière de cybersécurité, contrairement à l'intelligence artificielle, sur laquelle nous mettons plus de moyens.

Vous avez évoqué le sujet du renouvellement des terminaux. C'est important pour nous. Nous nous sommes toujours battus contre la subvention des terminaux. La Cour de cassation, sur ce sujet, nous a donné raison.

Nous pensons que la subvention des terminaux avec un abonnement téléphonique pousse à un renouvellement trop rapide. Un terminal mobile est destiné à vivre plus de 24 mois. Il est donc dommage que votre opérateur vous appelle au bout de 22 mois en proposant un nouveau terminal à un euro pour que le client s'engage pour 24 mois. Nous nous battons depuis longtemps sur ce sujet-là. Nous pensons que c'est un sujet de responsabilisation et nous commercialisons des terminaux au travers de crédits ou de location avec option d'achat pour que tout le monde puisse y accéder, sans mélanger le terminal avec l'abonnement.

Vous avez dit que nous étions motivés par le fait de remplir nos réseaux, car plus nous remplissons nos réseaux, plus nous gagnons d'argent. Nos réseaux ayant un coût fixe, au contraire, plus on remplit nos réseaux, plus on est obligé de rajouter des antennes et de se déployer. On n'a donc pas intérêt à une surconsommation des abonnés. Cela étant, ces derniers font ce qu'ils veulent, c'est leur liberté. On leur vend des forfaits, ils les utilisent.

Concernant l'impact du numérique sur la santé mentale, nous avons bien sûr des contrôles parentaux obligatoires, mais je ne suis pas sûr d'être capable de vous répondre précisément sur le sujet. Nous reviendrons vers vous pour vous dire ce que l'on met en oeuvre.

S'agissant de la FFT, vous avez rappelé notre rôle de trublion. « Je ne voudrais jamais faire partie d'un club qui voudrait de moi comme membre », disait Groucho Marx ! On travaille très bien avec eux, même si on n'en fait pas partie. Cela étant, on est toujours en parallèle. On a toujours un peu peur de ces syndicats regroupant des intérêts équivalents. On ne fait pas non plus partie d'un syndicat patronal. On adhère à un seul organisme, l'Association française des entreprises privées (Afep). On ne fait pas non plus partie du Medef. Nous faisons partie de très peu d'associations, ce qui ne nous empêche pas de travailler avec elles et avec les syndicats.

Pour ce qui est des réseaux de télécommunications et leur impact sur les effets de serre, il s'agit de sujets incroyablement importants, sur lesquels nous travaillons. On a créé des choses fantastiques qui ont un impact direct. On investit nous-mêmes dans de nouvelles sources d'énergie, notamment avec Engie, pour créer de nouvelles productions non polluantes.

Nous avons mis en place il y a quelques années une initiative, qui relève du bon sens. On rafraîchit d'énormes salles, alors que les machines n'ont besoin que de 10 % de la climatisation. On a donc décidé d'arrêter de climatiser les salles et de se focaliser sur les machines. Il fait donc 40 degrés partout, sauf à l'intérieur des machines, où l'on a créé des couloirs dans lesquels passe la climatisation. On économise ainsi 30 % d'énergie, et on parvient à s'améliorer.

On crée de nouvelles générations de boxes ou on invente des choses avec de l'intelligence artificielle pour réussir à faire baisser la consommation lorsqu'on n'a pas besoin de la box. Les petits ruisseaux finissent par former de grandes rivières. C'est long, complexe et potentiellement cher, mais on le fait.

Il faut comprendre que c'est une vraie passion pour nos équipes, qui se sentent incroyablement concernées. Je pense que c'est le cas chez tous les opérateurs. La pression est interne, mais d'une force incroyable. Notre chance est d'être une entreprise jeune. Je ne connais pas l'âge moyen des salariés de Free, mais je pense qu'il est inférieur à trente ans. Ce changement est intervenu au cours des cinq dernières années et est devenu central dans notre travail quotidien.

Mme Sophie Primas, présidente. - Lorsque nous avons fait un rapport sur la souveraineté numérique, avec Amel Gacquerre et Franck Montaugé, nous en sommes venus à parler de la fiscalité des réseaux, notamment de celle des Gafam, qui prennent beaucoup de bandes passantes. C'est un sujet européen.

Vous nous avez parlé de fiscalité et d'Ifer mobile. Quel est votre avis à ce sujet ?

M. Xavier Niel. - Si, d'une manière ou d'une autre, les Gafam sont capables de prendre en charge une partie des investissements qui sont réalisés pour eux, on ne va pas être contre.

Mme Sophie Primas, présidente. - Qu'est-ce qui coince aujourd'hui ?

M. Xavier Niel. - Je ne suis pas sûr d'être plus que vous dans les arcanes - je ne l'espère d'ailleurs pas, car il y aurait alors un problème. C'est un sujet compliqué. Les Gafam vont dire qu'il s'agit d'une question de réseaux ouverts et de liberté, et que le fait d'établir un péage remettra en cause l'existence même d'Internet, puisqu'Internet est basé sur des réseaux interconnectés plus ou moins gratuitement - ce en quoi ils n'ont pas tort.

Dans le même temps, les Gafam représentent cinq ou six acteurs qui consomment 75 ou 80 % de notre bande passante. Pour les 20 % restants, il est légitime que les réseaux soient ouverts et gratuits. Pour d'autres, qui en tirent des revenus significatifs et qui représentent une part significative de la consommation, c'est un autre problème.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous aurons un allié, alors ?

M. Xavier Niel. - Je ne sais si notre poids pèsera d'une quelconque manière. Merci d'y croire !

Mme Sophie Primas. - J'ai compris que nous avions un sujet d'énervement général autour du dégroupage et de la fin du cuivre.

M. Xavier Niel. - Je vous renouvelle mes excuses. C'est de la passion !

Mme Sophie Primas, présidente. - Chacun a ses passions et son point de vue.

Merci beaucoup d'avoir accepté cette audition et des réponses que vous nous avez apportées.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 05.