- Mardi 13 décembre 2022
- Mercredi 14 décembre 2022
- Audition de M. François Toujas, président de l'Établissement français du sang
- Mission sur l'accès aux soins en Suède - Communication
- Projet de loi portant sur les jeux Olympiques et Paralympiques 2024 - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé - Désignation d'un rapporteur
- Mission d'information sur la fin de vie - Désignation de rapporteurs
- Suivi des recommandations de la mission d'information relative aux violences sexuelles sur mineurs en institutions et mise en oeuvre de la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants - Audition de Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargée de l'enfance
Mardi 13 décembre 2022
- Présidence de M. Philippe Mouiller, vice-président -
La réunion est ouverte à 14 h 00.
Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture - Examen des amendements au texte de la commission
M. Philippe Mouiller, président. - Il nous appartient aujourd'hui d'examiner les amendements de séance déposés sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (DDADUE), dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture.
Les commissions saisies pour avis se sont réunies pour procéder à l'examen des amendements sur les articles qui leur ont été délégués au fond. Je vous propose d'entériner les avis et irrecevabilités proposés par la commission des affaires économiques, par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, par la commission des finances et par la commission des lois sur les articles dont l'examen leur a été délégué par notre commission.
Les amendements nos 3 rectifié , 4 rectifié, 5 rectifié, 8 rectifié, 9 rectifié, 10 rectifié, 14 rectifié, 15 rectifié , 23, 24, 25, 26, 27, 31, 32, 33, 35, 36, 37, 41 , 42, 45 rectifié et 75 sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
EXAMEN DE L'AMENDEMENT DU RAPPORTEUR
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - L'amendement n° 84 vise à corriger une erreur rédactionnelle.
L'amendement n° 84 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - L'amendement n° 1 rectifié bis tend à prendre en compte la dimension territoriale de l'accessibilité, notamment pour les terminaux en libre-service tels que les guichets automatiques de banque. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 1 rectifié bis.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - L'amendement n° 67 vise à supprimer l'article 15, qui permet le maintien de la période d'essai de huit mois pour les cadres, sur le fondement d'un accord de branche étendu. La suppression de l'article reviendrait à éliminer des dispositions protectrices tant pour les employeurs que pour les salariés : avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 67.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Les quatre amendements de M. Sautarel, déjà déposés au stade de la commission, tendent à revenir sur le monopole des pharmaciens pour la distribution de certains produits. Je considère que les modifications proposées, soutenant un monopole hospitalier, ne sont pas souhaitables. : avis défavorable à ces amendements.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 16, 19, 17 et 18.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - L'amendement n° 44 rectifié prévoit une consultation des opérateurs par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) lorsque cette dernière confère un caractère indispensable à un dispositif médical ou lorsqu'elle prend des mesures visant à prévenir une rupture. L'intérêt d'une telle consultation me semble évident pour mesurer tant le risque de rupture que ses conséquences sur l'accès aux soins : avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 44 rectifié.
M. Philippe Mouiller, président. - J'informe la commission que les articles 20, 23 et 24 seront appelés en priorité lors de l'examen du texte en séance publique, prévu à 14 h 30.
TABLEAU DES SORTS
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 20 |
|||
Mme GRUNY |
84 |
Correction rédactionnelle |
Adopté |
TABLEAU DES AVIS
La réunion est close à 14 h 10.
Mercredi 14 décembre 2022
- Présidence de M. Philippe Mouiller, vice-président -
La réunion est ouverte à 09 h 30.
Audition de M. François Toujas, président de l'Établissement français du sang
M. Philippe Mouiller, président. - Nous entendons ce matin M. François Toujas, président de l'Établissement français du sang (EFS). J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Notre commission vous a sollicité, monsieur le président, à la suite du dépôt et de la discussion de nombreux amendements relatifs à l'EFS au projet de loi de financement de la sécurité sociale, puis au projet de loi de finances. Ces amendements témoignaient de l'inquiétude de nos collègues sur le modèle français du sang et de leurs interrogations sur l'évolution de l'établissement, qui se traduisaient notamment par des demandes de rapports.
Nous avons, dans un premier temps, pensé à demander une enquête à la Cour des comptes, comme le code des juridictions financières nous le permet. Mais la Cour a publié en 2019 une insertion au rapport public annuel intitulée « La filière du sang en France : un modèle économique fragilisé, une exigence de transformation », laquelle dresse un constat sévère et préconise des transformations profondes, tout en relevant les fragilités du modèle.
Nous avons donc souhaité vous entendre ce matin afin que nos collègues puissent trouver des réponses à leurs questions posées au cours de cet automne budgétaire.
M. François Toujas, président de l'Établissement français du sang. - Depuis ma dernière audition au Sénat, le 28 juillet 2020, liée au renouvellement de mes fonctions au sein du conseil d'administration de l'EFS, le modèle économique de ce dernier s'est fortement dégradé.
Depuis sa création il y a vingt-trois ans, l'EFS a engagé des réformes structurelles et a su se transformer, se moderniser. Il traverse aujourd'hui une crise économique et sociale sans précédent. La poursuite des réformes de l'établissement est essentielle pour pérenniser le modèle éthique, mais elle ne pourra avoir lieu sans investissements humains et financiers supplémentaires.
L'EFS est confronté à sept enjeux majeurs.
Premier enjeu : retrouver des capacités opérationnelles satisfaisantes et adaptées au nouveau contexte, pour déployer une offre agile et garantir la continuité du service de collecte et de délivrance de produits sanguins dans les hôpitaux. L'élément clé sera l'amélioration de l'attractivité des emplois offerts par l'établissement et de la qualité de vie au travail, ainsi que la redéfinition des parcours professionnels. Ce matin, nos stocks étaient de 81 300 poches de sang, un niveau dangereux ; il faudrait disposer, pour assurer la qualité du service sur l'ensemble du territoire, de 90 000 à 100 000 poches. Comme d'autres structures de la santé, l'EFS subit toujours les effets de la crise du covid, en termes de mobilisation des donneurs et d'absentéisme des personnels.
Deuxième enjeu : participer au renforcement de la filière française du fractionnement via une augmentation sensible des volumes de plasma collectés. La revalorisation à hauteur de 10 % des tarifs de cession au Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB) du plasma collecté, au 1er janvier 2023, est une bonne nouvelle et doit se poursuivre pour approcher le niveau des coûts mondiaux. Le prix du litre de plasma cédé au LFB est en France de 120 euros, contre une moyenne européenne de 170 euros, et un prix moyen de 200 dollars aux États-Unis.
Troisième enjeu : répondre toujours mieux aux besoins des patients dotés d'un phénotype dit « d'intérêt », c'est-à-dire d'un groupe sanguin rare. En effet, la répartition des groupes sanguins varie en fonction de l'origine des populations, et nombre de nos compatriotes d'ancestralité africaine présentent des caractéristiques sanguines spécifiques - ils sont ainsi plus nombreux à souffrir de maladies du sang, comme la drépanocytose, qui ne sont soignées que par transfusions. Il est donc important que la population des donneurs ressemble à celle des malades. L'autosuffisance quantitative - disposer de suffisamment de produits sanguins - doit se doubler d'une autosuffisance qualitative, laquelle est un enjeu social, éthique et de santé publique prioritaire.
Quatrième enjeu : participer au développement des thérapies d'avenir, notamment par la mise au point de biothérapies, avec une offre de bioproduction dans les secteurs de l'immunologie et de la médecine régénératrice permettant de préparer les médicaments de demain, et d'assureur notre souveraineté sanitaire.
Cinquième enjeu : poursuivre la transformation de l'EFS, établissement public qui dépend de financements publics, dans le sens d'une plus grande efficience, en particulier numérique.
Sixième enjeu : renforcer la démocratie sanitaire. Dans les instances de gouvernance de l'EFS siègent d'ores et déjà des représentants des donneurs et des patients. Nous devons réfléchir à les associer davantage, comme ce fut le cas lors de la crise sanitaire.
Septième enjeu : promouvoir le modèle éthique français - né d'une crise de santé publique majeure, celle du sang contaminé - en encourageant l'engagement citoyen. J'ai ainsi été frappé, au lendemain des attentats en France, par le nombre de jeunes donneurs.
Je tiendrai un langage de vérité : la situation de l'établissement est difficile, ce qui réinterroge la totalité de nos activités. Comment garantir la continuité de l'activité, qui est un élément essentiel de la sécurité sanitaire ? Chaque jour, en effet, 10 000 produits sanguins doivent être collectés et distribués aux malades. Notre filière de plasma pour fractionnement et nos activités de bioproduction, actuellement déficitaires, risquent-elles de pâtir d'un manque de financements ?
Si l'EFS devait connaître une situation déséquilibrée, toute une partie de notre souveraineté sanitaire serait remise en cause. Nous recherchons donc, avec nos tutelles, des solutions permettant de garantir la sécurité sanitaire et, ce faisant, la sécurité publique.
Nous venons de sortir d'un conflit social important. Celui-ci avait débuté lors de la période de pandémie, durant laquelle l'ensemble des collaboratrices et des collaborateurs de l'établissement ont fait preuve d'un engagement continu, en portant haut et fièrement les valeurs du service public.
La présence quotidienne de l'EFS sur les territoires est le résultat d'une relation forte avec les associations de donneurs, la Fédération française pour le don de sang bénévole (FFDSB) et les bénévoles qui nous aident, sans lesquels rien ne serait possible. Par ailleurs, les exigences légitimes des associations de patients sont fondamentales pour nous projeter dans l'avenir. Nous avons pu mesurer durant la crise sanitaire à quel point notre relation avec les collectivités locales, notamment les communes, était forte. Les mairies nous aident, par exemple, en mettant à notre disposition des salles. L'EFS est un service public qui exerce ses activités dans les territoires.
Cet établissement, indispensable pour notre système de santé, n'est pas le seul du secteur à connaître des difficultés depuis la crise épidémique. Pour autant, durant celle-ci, on n'a jamais manqué de produits sanguins : malgré les difficultés, nous avons assuré la mission que nous ont assignée les pouvoirs publics.
Le modèle économique de l'EFS est confronté à plusieurs facteurs qui mettent en péril son équilibre, voire sa continuité. Le premier d'entre eux est l'absence de revalorisation tarifaire sur le niveau de cession des produits sanguins entre 2015 et 2021. Les recettes de l'établissement ont diminué, précisément parce qu'il est financé par la vente de ces produits aux hôpitaux, lesquels en ont d'ailleurs moins consommé au cours des dernières semaines. Cette baisse a un impact défavorable sur le chiffre d'affaires de l'établissement, alors que c'est grâce à la cession de produits sanguins qu'il finance des activités déficitaires, comme la bioproduction et la recherche.
L'activité de cession de plasma pour fractionnement est structurellement déficitaire. Il convient donc d'améliorer les capacités de collecte du LFB, à l'heure où va s'ouvrir son usine d'Arras, et d'augmenter les tarifs de cession du plasma.
L'EFS rencontre trois problèmes particuliers.
Tout d'abord, il doit faire face à des difficultés de recrutement et au manque d'attractivité de ses métiers. Ses personnels n'ont pas pu bénéficier de la totalité des revalorisations prévues dans le Ségur de la santé, ce qui a provoqué le récent conflit social. Le ministre de la santé a cependant décidé d'une augmentation de 3,5 % des salaires, en conformité avec les hausses de rémunération dans les fonctions publiques et au sein de la sécurité sociale. Nous avons cependant besoin de financements pour réorganiser nos classifications - ce que l'on a appelé, pour l'hôpital, le Ségur II -, car il est difficile non seulement de recruter mais aussi de fidéliser les personnels. D'autant qu'une grande partie des réformes que nous avons faites, notamment pour la collecte, étaient liées à la revalorisation du rôle des infirmières et des infirmiers lors de la téléassistance médicale ou de l'entretien préalable au don.
Ensuite, l'ESF souffre d'une baisse de sa productivité. En effet, si une infirmière manque dans une équipe parce qu'elle est malade, c'est l'ensemble de la collecte qui n'a pas lieu. Du 1er janvier à la fin novembre 2022, plus de 1 600 collectes ont été supprimées, ce qui représente 160 000 produits sanguins non collectés.
Enfin, l'inflation actuelle aura des conséquences négatives sur nos comptes. Trois chiffres sont à retenir : les revalorisations salariales nous coûteront 30 millions d'euros, la baisse d'activité 30 millions, et le choc inflationniste encore 30 millions, ce qui fait un total de 90 millions d'euros. Nous travaillons donc avec l'ensemble de nos tutelles pour présenter un budget permettant de poursuivre notre activité. Je suis optimiste. Il y aura sans doute des économies à trouver, mais on ne pourra pas répondre à tous ces enjeux budgétaires sans ressources supplémentaires.
L'EFS est un bel établissement, qui représente l'excellence de l'éthique française, alliant efficacité et refus de la marchandisation du corps humain. Nous devons améliorer notre activité. Les questions de revalorisation, de classification et de conciliation entre vie privée et vie professionnelle doivent trouver des réponses.
La véritable vie de l'EFS se déroule dans les territoires, là où ont lieu les collectes et les diverses mobilisations. Nous avons besoin d'être aidés pour nous projeter dans l'avenir.
Mme Corinne Imbert. - Quel bilan dressez-vous de l'évolution des points de collecte sur le territoire ? Avez-vous renoncé à certains de ces points, faute d'équipes complètes de collecte ?
Sur l'aspect financier, vous dites que les pouvoirs publics ne pourront pas laisser tomber l'ESF, dont le modèle éthique est un motif de fierté. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur l'évolution des subventions publiques, notamment sur la contribution de l'assurance maladie prévue pour compenser l'évolution du régime fiscal sur les produits sanguins ? Quelles sont les relations financières entre l'EFS et les hôpitaux, et quel est le niveau de dette de ces derniers à son égard ?
Où en est la révision des textes européens relatifs à la filière du sang ? Quelles positions défendent les différents États membres sur ce point ? Le Brexit a-t-il modifié les rapports de force sur ces questions ? Faut-il s'inquiéter, du fait de la négociation en cours, pour le modèle éthique de don « à la française » ?
Les groupes sanguins rares sont plus nombreux dans les populations d'origine africaine et caribéenne. Comment l'EFS promeut-il le don du sang dans les territoires ultramarins, là où les dons, rapportés à la population, sont moitié moindres qu'en métropole ? De quel type de soutien auriez-vous besoin pour augmenter l'impact de votre communication à cette fin ?
L'équipe de recherche de l'EFS de Besançon développe une thérapie innovante, CAR-T-cells, pour le traitement de la leucémie. L'établissement travaille-t-il sur d'autres formes d'immunothérapie ? Peut-il mener à bien de tels chantiers en l'état actuel de son modèle de financement ?
M. François Toujas. - Pour ce qui concerne les points de collecte, il faut rappeler les conséquences de la crise épidémique sur le niveau d'absentéisme, qui est de deux à trois points au-delà de ce taux avant la crise, en 2019. Nous avons engagé, dans un souci d'efficience, une réorganisation de la collecte sous forme d'une concentration : nous sommes passés d'environ 40 000 collectes mobiles à 29 000. Il faut accompagner cette mesure dans les territoires ruraux car, s'il n'y a plus de collecte localement, il n'y aura plus d'associations pour le don du sang. Des associations ont ainsi mené des actions cantonales.
Sur la question du financement, nous avons dû nous mettre en conformité avec le droit européen. Lors de la création de l'ESF, son régime de TVA n'y était pas conforme, ce qui a été découvert un peu tardivement. La disparition de ce régime représente une perte de 80 millions d'euros. L'État a donc pris l'engagement de nous redonner 40 millions sous forme d'avantages fiscaux. Il nous a aussi demandé de réaliser 40 millions d'euros d'économies ; pour nous y aider, il a été décidé d'attribuer à l'EFS une subvention de l'assurance maladie, dégressive annuellement. Pour 2022, le total des subventions attribué l'EFS est de 21 millions d'euros, contre 33,5 millions d'euros en 2021.
Le chiffre d'affaires de l'établissement s'élève à 1 milliard d'euros, dont 54 % sont consacrés aux charges salariales - l'EFS compte 10 000 salariés -, la somme restante, autour de 350 millions d'euros, servant aux achats de machines. Le financement de l'établissement provient, à hauteur de 80 %, de la cession aux hôpitaux de produits sanguins, dont le prix est fixé par arrêté. Il n'y a donc pas de marché du sang, mais un monopole : l'EFS n'a pas de concurrent, et c'est heureux.
Le tarif de cession des produits sanguins, fixé règlementairement, représente une charge pour les hôpitaux. Le financement de l'EFS apparaît donc assez peu dans les lois de financement de la sécurité sociale, mais relève plutôt de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) hospitalier.
L'EFS collecte deux types de produits : d'une part, des produits sanguins labiles (PSL) - globules rouges, plaquettes, plasma thérapeutique - qui sont livrés aux services hospitaliers pour la prise en charge des malades ; d'autre part, du plasma pour fractionnement, dont la totalité est livrée au LFB et qui sert à fabriquer les médicaments dérivés du plasma, lesquels sont produits par des firmes pharmaceutiques. Le tarif auquel nous cédons ce plasma est un prix administratif, très inférieur au cours mondial.
Les relations entre l'EFS et les hôpitaux sont très bonnes, et les équipes cliniques demandent notamment à nos équipes de faire du conseil transfusionnel. Il est vrai que certains établissements hospitaliers nous doivent de l'argent : cette dette s'élève à environ 13 millions d'euros.
Le prochain texte européen relatif à la filière du sang devrait être un règlement. À cet égard, le ministère a pris une position, mais plusieurs éléments sont d'ores et déjà rassurants : le règlement rappellera le principe de non-marchandisation du corps humain et visera à favoriser le don éthique. Ce modèle français du don éthique, il faut non seulement le défendre mais aussi le promouvoir, comme nous le faisons, par exemple, en aidant les Libanais à l'établir dans leur pays. Car ce n'est pas à un malade d'aller chercher du sang, mais à la collectivité de le lui fournir.
Toujours sur le plan européen, je rappelle que l'association European Blood Alliance (EBA) avait été créée par des transfuseurs publics néerlandais, finlandais, français et anglais. Depuis le Brexit, nous voyons beaucoup moins nos collègues anglais, dont nous étions pourtant très proches...
Vous avez parlé des « sangs rares ». Il existe 360 systèmes de groupes sanguins, dont la répartition est différente selon l'origine des populations. Par exemple, il y a beaucoup plus de « O positif » en Afrique qu'en Europe. La population des donneurs doit ressembler à celle des malades. Je prendrai l'exemple de la drépanocytose, première maladie génétique à toucher plus de 10 000 personnes. Les drépanocytaires ont une espérance de vie comparable à celle des personnes ne souffrant pas de cette maladie, mais à condition de recevoir au cours de leur vie 300 à 400 transfusions d'un sang qui corresponde au leur. Pour promouvoir le don du sang auprès des populations ultramarines, entre autres, nous échangeons avec les associations - y compris musicales - issues de ces communautés ; nous demandons aux mairies s'il y a dans la commune une association antillaise ou comorienne. Et, pour la deuxième année consécutive, nous avons organisé en novembre une semaine de sensibilisation aux sangs rares. La collecte de sang dans les territoires d'outre-mer est un enjeu majeur de santé publique.
L'EFS travaille sur l'immunothérapie mais aussi sur la médecine régénérative à partir de cellules souches, une recherche fondamentale pour la médecine de demain, qui coûte 20 millions d'euros. Sans financements, il sera difficile de continuer.
Mme Laurence Cohen. - Comme nombre de mes collègues, je suis intervenue pour soutenir l'EFS, via des courriers au ministère de la santé, des questions écrites, des amendements. Mon groupe avait ainsi proposé dans le cadre du projet de loi de finances d'augmenter le budget de l'établissement de 200 000 euros, mais cet amendement n'a pas été retenu. Cette somme était bien modeste au regard de sa dette : 58 millions d'euros en 2021, auxquels il faut ajouter 11 millions en 2022, soit un total de 69 millions d'euros.
Vos communiqués et les propos des personnels se font l'écho d'une souffrance au travail du fait d'un manque d'effectifs et d'un défaut de reconnaissance de ces métiers. Les personnels de l'EFS n'ont pas bénéficié de la totalité des mesures de revalorisation prévues dans le Ségur de la santé. Pourquoi un tel traitement différencié, d'autant que l'augmentation de salaire qui vient d'être accordée est insuffisante ? Cela pose un problème d'attractivité de ces professions. Quelle est votre stratégie à cet égard ?
Les réserves de produits sanguins sont insuffisantes, pour partie du fait de la crise sanitaire. Mais le problème n'est-il pas plus ancien, et lié au fléchissement des dons ? Quelles politiques mener pour encourager les populations à donner leur sang ?
Le circuit de financement de l'EFS, qui est un établissement public, est paradoxal. Le tarif de cession des produits sanguins est fixé par décret, et ce coût repose sur les hôpitaux. Il faudrait un autre système de financement ! Quant au plasma pour fractionnement, utilisé pour la production de certains médicaments, son prix de cession est également fixé administrativement. Or la vente de ces médicaments permettra à des laboratoires pharmaceutiques de faire des profits. Il y a là une anomalie, voire une injustice.
Mme Élisabeth Doineau. - Ayant reçu vos courriers, nous nous inquiétions de la situation de l'EFS. J'évoquerai trois points de vigilance.
Premièrement, du fait du changement de régime de TVA sur les produits sanguins labiles en 2019, les financements de l'établissement sont moindres.
Deuxièmement, pour ce qui concerne les personnels, le Ségur de la santé a une fois de plus frappé ! Êtes-vous de nouveau en mesure d'attirer les professionnels de santé ?
Troisièmement, qu'en est-il de la mobilisation des bénévoles ? Il faudrait s'adresser aux jeunes, afin que les nouvelles générations prennent l'habitude de donner leur sang.
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
Mme Florence Lassarade. - L'EFS participe-t-il au dépistage des hépatites ?
Quel est le taux de recours par les hémophiles aux médicaments dérivés du plasma ? Des techniques alternatives existent-elles ?
M. François Toujas. - Madame Cohen, étant nommé par les tutelles, j'ai un devoir de loyauté. Disons que nous avons une relation exigeante et constructive. Mon travail consiste à défendre les intérêts de l'EFS et j'invite régulièrement mes interlocuteurs à ne pas oublier le rôle qu'il joue. Ce n'est pas toujours simple, mais il y a une écoute forte lorsqu'on évoque les enjeux de santé publique. En effet, que deviendrait notre système de santé si l'on devait manquer de sang ?
Il est vrai que nous n'avons pas été assez entendus dans le cadre du Ségur, ce qui a produit un conflit social et des conséquences négatives sur notre relation avec les partenaires sociaux, même si le dialogue ne s'est jamais interrompu. Les réponses ont été partielles et je continue à adresser des demandes pour améliorer la situation des personnels.
La crise épidémique a profondément modifié la situation de nos ressources humaines. Outre la question de l'attractivité salariale se posent celles de la qualité de vie au travail et de la compatibilité entre vie professionnelle et vie privée ; il y va de la fidélisation des personnels.
Nos réserves de produits sanguins sont basses. La crise sanitaire a rendu difficile la mobilisation des donneurs. Sur les 1,6 million de donneurs actifs, c'est-à-dire ceux qui donnent leur sang au moins une fois par an, 10 % de cet effectif disparaissent chaque année de nos fichiers en raison de leur âge ou d'une maladie. Pour renouveler le nombre de donneurs à hauteur de 10 %, et les fidéliser, nous nous adressons essentiellement aux jeunes, lesquels s'intéressent au don du sang - 30 % des donneurs ont moins de 30 ans. Or, durant la crise du covid, les universités et les écoles étaient fermées. Le problème était le même dans les entreprises qui avaient recours au télétravail. Par ailleurs, la récente crise sociale dans les raffineries a eu des conséquences sur la mobilisation des donneurs, comme la météo peut en avoir. Nous envisageons donc de nouveaux modes de communication.
La crise sanitaire a aussi eu des conséquences néfastes sur la mobilisation des bénévoles, lesquels sont plutôt des personnes un peu âgées qu'il fallait protéger. Avec la direction générale de la santé (DGS), nous avons donc mis en place les « rendez-vous ». Et nous avons engagé un travail avec les associations sur le rôle qu'elles peuvent avoir dans ce nouveau contexte.
Comme vous l'indiquiez, Madame Doineau, l'Établissement français du sang a connu un choc de TVA. Du jour au lendemain, il nous a fallu réaliser 40 millions d'euros d'économies. Ma responsabilité a été d'assumer les conséquences financières de ce changement de régime fiscal. De fait, en 2019, nous livrions au groupe LFB 900 000 litres de poches de sang tout en ayant des comptes équilibrés ; cet équilibre des comptes a duré jusqu'à l'année dernière.
En matière d'attractivité, 300 postes manquent à l'heure actuelle, faute de candidatures. Pour réenchanter le métier, je compte beaucoup sur les jeunes bénévoles. Il n'est pas possible de leur demander de prendre des responsabilités associatives du fait de leur vie active, mais il est rassurant de voir qu'ils sont de plus en plus nombreux dans les points de collecte.
Concernant les dépistages, nous dépistons notamment l'hépatite C dans toutes les poches de sang. En cas d'anomalie, nous informons la personne et l'engageons à aller voir son médecin.
Au sujet de l'hémophilie, il faut faire attention. Parmi les nombreux médicaments dérivés du plasma, les immunoglobulines sont essentielles. Leur croissance mondiale est comprise entre 10 % et 12 % par an. En dix ans, la France a multiplié par deux sa consommation. Les immunoglobulines sont des produits chers, présents dans les pays riches. Il faut savoir que 80 % du plasma utilisé dans la fabrication des médicaments dérivés du plasma est collecté aux États-Unis, dans des conditions quelquefois éloignées de l'éthique... Par conséquent, la France et l'Europe doivent urgemment accroître leur capacité de prélèvement. L'autosuffisance dans ce domaine est impossible car nous sommes dans un marché, mais nous pouvons abaisser notre dépendance en accroissant notre capacité de collecte, en suivant l'exemple de la construction de l'usine LFB à Arras.
M. Daniel Chasseing. - Nous pouvons être fiers du modèle français : l'Établissement français du sang est indispensable aux services de santé publics. Pourtant, les finances sont dégradées : en plus de l'absence de revalorisation tarifaire depuis 2015, de la baisse de la consommation des hôpitaux ou de la fixation du prix de vente du plasma par l'autorité de tutelle, il vous est encore demandé 40 milliards d'euros d'économie, sans même parler des 30 milliards d'euros de coûts induits par l'inflation. Par conséquent, quels financements vous sont nécessaires à l'heure actuelle afin que l'Établissement retrouve un fonctionnement normal ? Combien d'emplois ?
Mme Victoire Jasmin. - Le personnel dans les outre-mer a les mêmes diplômes et compétences que dans l'Hexagone. Pourtant, au niveau du recrutement, la mobilité est priorisée, ne favorisant pas l'embauche locale.
Je suis fière que l'association des donneurs de sang bénévoles de Morne-à-l'Eau, très active, soit installée dans ma commune. Elle joue un rôle important dans le secteur nord de Grande Terre, en lien avec la communauté d'agglomération. Néanmoins, en matière de communication, il reste beaucoup à faire en Guadeloupe.
Lors de votre dernière audition au Sénat, vous précisiez avoir envisagé de centraliser les analyses biologiques des collectes dans l'Hexagone, au nom de la maîtrise des coûts. La pandémie a montré qu'un tel choix aurait été catastrophique. Je vous remercie d'y avoir renoncé.
Au sujet de l'accréditation et de l'amélioration possible de la qualité, un incendie a eu lieu à l'Établissement français du sang (EFS) de Guyane. Il aurait pu être évité s'il y avait eu un détecteur de fumée, conformément à la réglementation. L'alarme manuelle n'était pas opérationnelle. Si l'incendie avait eu lieu de nuit, peut-être aurions-nous eu des victimes. Il faut une démarche d'amélioration continue dans tous les secteurs, y compris dans la sécurité des biens.
Quant à la baisse du nombre de collectes, plus aucune n'a lieu à Saint-Martin, ni à Saint-Barthélemy ! Les habitants bénéficient alors de collectes prélevées en Guadeloupe, en Martinique ou dans l'Hexagone.
En Guyane, le diagnostic biologique de la maladie de Chagas est désormais possible. Dès lors, il est anormal de ne pouvoir faire une évaluation sanitaire pour voir si l'ESF est en mesure d'y reprendre les collectes. Certes, il existe des protocoles de prise en charge des personnes drépanocytaires, mais faire uniquement des transfusions avec du sang provenant de l'Hexagone pose un problème à terme en raison des réactions auto-immunes.
Face au déficit de couverture médicale, l'emploi de non-médecins est dangereux. En effet, après une collecte de sang, le donneur doit rester 20 minutes sur place, afin de s'assurer qu'il soit en capacité de partir en toute sécurité. Le déficit de médecin, dès lors, va poser problème. Par exemple, il faut pouvoir prendre en compte que les phénotypes c, C, E et Kell sont négatifs chez les personnes noires et positifs chez les « caucasiens ».
Je suis la seule ultramarine ici présente. Aussi, je veux insister sur les véhicules de collecte. L'incapacité d'aller partout sur le territoire représente un frein. Des donneurs potentiels voudraient que l'on vienne vers eux, car le transport peut poser problème.
Je vous livrerai une dernière suggestion. Vérifiez le numéro Adeli lors de vos recrutements, afin qu'ils soient conformes.
M. François Toujas. - Aucune revalorisation ne s'est produite entre 2015 et 2021. Sans accroissement de ressources, notre modèle économique est en jeu. Quels moyens nous faudrait-il ? Je l'ai dit sans trop le dire tout en disant : si nous avons besoin de 30 millions d'euros, auxquels il faut ajouter 30 millions d'euros de choc de chiffre d'affaires et 30 millions d'euros de choc inflationniste, nous atteignons 90 millions d'euros.
Une enquête administrative est en cours au sujet de l'incendie en Guyane. Nous procéderons si nécessaire à des réparations ou à des sanctions. La sécurité des agents doit être la même partout sur le territoire.
Concernant les enjeux d'égalité dans l'accès à la santé, l'Établissement français du sang garantit que la poche de sang donnée à Saint-Laurent du Maroni, à Bordeaux ou à Mayotte est exactement de la même qualité. Une étude a été menée sur la prise en charge des personnes drépanocytaires, mais aussi sur les enjeux comparés d'allo-immunisation à Paris et en Guyane : dans les deux cas, le niveau est le même. Cela signifie que, chez des sujets drépanocytaires, le phénotype étendu de la personne est étudié afin d'éviter les problèmes au moment de lui donner du sang, d'où la nécessité que davantage de personnes noires viennent donner leur sang, malgré les difficultés fortes de mobilisation notamment en Guadeloupe et en Martinique.
L'Établissement français du sang incarne la solidarité nationale. Nous tâchons de faire en sorte que chaque région soit autosuffisante ; toutes les régions françaises le sont sauf l'Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Martinique, Guadeloupe et Guyane. Pour ces régions, la solidarité nationale permet de prendre en charge ce déficit.
Nous collectons dans tous les départements, sauf deux : la Guyane et Mayotte. Le directeur général de la santé, le professeur Salomon, a signé une lettre début 2021 pour demander à Santé publique France d'analyser les conditions d'un retour et d'un accès aux dons dans ces départements. Épidémiologiquement, les résultats montrent que nous ne pouvons pas le faire, car cela représenterait un risque pour la santé des personnes recevant ces produits, par exemple du fait du paludisme.
Je ne sais pas s'il existe un droit à donner son sang, mais il existe un devoir de le donner, au nom de la solidarité ; à ce titre, il est positif que nous ayons pu ouvrir le don de sang aux hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH). Le droit est du côté des patients ; il est celui de recevoir les produits les plus sécurisés possible.
Je salue le travail réalisé par l'association de Morne-à-l'Eau. Des collectes ont été faites à Saint-Martin et Saint-Barthélemy : cela a coûté très cher. Le problème aux Antilles est celui du recrutement de personnel : biologistes, médecins de collecte... Sans cela, la collecte se ferait.
La prise en charge de la collecte dans les DOM est importante. Elle doit être d'autant plus efficace que la collecte peut également servir à soigner certains Antillais vivant en Île-de-France.
Mme Victoire Jasmin. - Pour avoir plus de donneurs alors que ces derniers ne peuvent venir à l'EFS, il faut que votre établissement mette les moyens nécessaires.
Mme Catherine Deroche, présidente. Je vous remercie pour cet échange sur un sujet dont il est souvent question dans nos territoires. À ce titre, j'ai participé il y a quelques semaines à une campagne de recrutement à Angers pour l'opération « Mon sang pour les autres » : j'ai pu constater la présence de nombreux jeunes donneurs.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mission sur l'accès aux soins en Suède - Communication
Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, le bureau de notre commission avait décidé à la fin de l'année 2021 d'inscrire à son programme de travail une mission à l'étranger relative à l'accès aux soins. Le souhait initial était d'étudier la situation d'un pays d'Europe du Nord, les systèmes de protection sociale de ces États étant souvent présentés comme des modèles. La Suède a finalement été choisie, d'une part car sa population est la plus importante, d'autre part - et surtout - car l'étendue de son territoire soulève une problématique d'accès territorial aux soins et de différences entre les zones urbaines du Sud du pays et les zones moins densément peuplées que sont les régions du Nord.
Une délégation de six membres de notre commission, que j'ai eu le plaisir de conduire, s'est ainsi rendue à Stockholm et à Umeå à la fin du mois de septembre dernier. Je remercie Élisabeth Doineau, Corinne Imbert, Michelle Meunier, Martin Lévrier et Véronique Guillotin pour leur participation à ce déplacement au programme bien rempli.
Le déroulé de la mission, élaboré en étroite collaboration avec les services de l'ambassade de France en Suède, nous a permis d'avoir un aperçu assez large des acteurs du système de santé suédois, mais aussi des défis que l'offre de soins doit actuellement relever. Nous avons pu rencontrer différentes agences sanitaires supervisant et évaluant la qualité de l'organisation des soins et des établissements de santé, mais aussi les élus et services régionaux, ou encore différentes associations ou syndicats de médecins ou soignants. Nous nous sommes également rendus dans différents hôpitaux ou centres de soins.
J'évoquais plus tôt les modèles scandinaves. Je crois pouvoir parler au nom de mes cinq collègues en disant que nous n'avons pas trouvé en Suède un modèle d'accès aux soins. Nous ne sommes pas rentrés en ayant le sentiment de solutions prêtes à être importées pour résoudre les problèmes que nous connaissons et qui occupent notre ordre du jour presque chaque mois.
Pour autant, je considère que ce déplacement a été particulièrement instructif sur trois plans. Tout d'abord, il nous a permis d'appréhender le fonctionnement d'un système de santé régionalisé, et offrant une prise en charge publique quasi intégrale des soins. Il nous a aussi permis de voir combien, concernant l'organisation de l'offre de soins, les défis de la démographie médicale, mais aussi, et plus largement, les tensions et perturbations du système de santé dépassent largement nos frontières. Il a enfin été l'occasion - c'est sans doute l'élément le plus important - d'appréhender l'accès aux soins selon une autre approche, avec une garantie d'accès aux soins particulière.
Je commencerai par le système de santé suédois en lui-même. Contrairement à la France, la Suède a délégué la compétence santé à l'échelon régional. Ce sont ainsi les vingt-et-une régions qui financent, mais aussi organisent, pour bonne partie, le système de soins ; force est de constater que le système suédois se trouve finalement assez peu comparable au système français.
En effet, la région est l'effecteur de soins à tous les niveaux. Elle assure, en propre ou par délégation à des opérateurs privés, la gestion des centres de soins primaires, des centres spécialisés, mais aussi des hôpitaux. La Suède compte 1 150 centres de soins primaires pour une soixantaine d'hôpitaux régionaux. Ce sont ces structures ou les régions elles-mêmes qui sont ensuite chargées du recrutement des professionnels, essentiellement salariés. Ce sont ainsi les régions qui sont employeurs et fixent les salaires, parfois par le biais de négociations menées avec les syndicats à l'échelle de l'association des régions.
Même les plus grands hôpitaux du pays, qui jouissent d'un rayonnement international, dépendent des régions. Je pense particulièrement à l'hôpital Karolinska au sein duquel nous nous sommes rendus, qui compte 1 180 lits et accueille 1,35 million de visites par an : il est géré par la région de Stockholm.
Néanmoins, il faut souligner que les choix politiques des majorités régionales se ressentent dans les modes de gestion. Ainsi, la majorité de droite qui a longtemps géré la région de Stockholm a fait le choix de très larges délégations au secteur privé pour gérer en son nom des centres de soins et même un hôpital délégué au groupe Ramsay.
J'insiste sur la notion de délégation. Il s'agissait d'un hôpital public dont la gestion a été, par une procédure de marché public, transférée au privé. On peut s'interroger sur la fragilité de tels contrats au moment de leur renouvellement : qu'adviendrait-il en cas d'attribution du marché à un autre groupe privé ?
Cela peut sembler surprenant pour un Français, mais l'organisation suédoise n'est pas comparable à notre système qui s'appuie largement sur le secteur libéral. Il n'y a pas de secteur 1 ou de secteur 2 ni de dépassements d'honoraires ou de tarifs libres : un hôpital privé est sous contrat, applique les mêmes tarifs et reçoit des dotations directement négociées.
Toutefois, j'apporterai une nuance concernant la coordination inter-régions et particulièrement les hôpitaux universitaires. Chaque région n'a évidemment pas son centre hospitalier universitaire (CHU) ; on compte en Suède six supra-régions sanitaires.
Enfin, le secteur médico-social dépend en Suède des communes. Je ne m'étendrai pas sur ce point, mais je signale que, comme en France, la distribution du sanitaire et du médico-social entre des acteurs différents ou des échelons locaux distincts, même si elle peut avoir une pertinence, provoque fréquemment des reports de charges ou difficultés de coordination.
En guise de remarque d'actualité sur cette organisation territoriale, la coalition de droite et d'extrême-droite récemment élue a dit sa volonté de recentraliser une partie des compétences de santé, en raison d'inégalités territoriales jugées trop importantes. Toutefois, cela relève plus à ce stade d'une déclaration politique que d'un projet très abouti.
J'ajouterai quelques mots sur le financement de ce système. Contrairement à notre modèle de sécurité sociale qui, autour d'une assurance maladie de base obligatoire, laisse une place à des complémentaires, la prise en charge est, en Suède, presque intégralement publique. Les assurances privées, bien qu'en développement, ne concernent que 12 % de la population et à peine 1 % des dépenses. Les régions prennent en charge l'intégralité des soins aux habitants, au-delà d'une participation aux frais de santé plafonnée annuellement autour de 120 euros.
C'est à mon sens une différence fondamentale. La logique est celle du bouclier sanitaire et, de fait, on peut difficilement envisager en Suède un renoncement aux soins pour motif financier.
Pour autant, la logique de pilotage budgétaire est radicalement différente. Élisabeth Doineau a un jour interrogé une responsable régionale sur les déficits liés au système de soins : il a fallu réexpliquer la question, la notion de déficit semblant à notre interlocutrice absolument incongrue ! Les régions ont une très forte autonomie financière mais, comme en France, une interdiction d'endettement. Ainsi, comme cela nous a été expliqué, les dépenses de santé sont inscrites dans le budget local, et leur dynamisme doit être compensé par des économies ou par des augmentations d'impôts, évitant ainsi les dettes. J'invite chacun à estimer ce qu'une telle logique impliquerait quand nous voyons la difficulté des débats sur l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Concernant ce premier point relatif à l'organisation des soins, je souhaite insister également sur ce que nous avons constaté concernant les structures de soins et le recours à celles-ci.
Nous avons pu visiter le centre de soins primaires d'Ålidhem, à Umeå. Nous avons ainsi pu constater que certaines structures de soins sont sans commune mesure avec les cabinets médicaux français ou même avec les structures d'exercice coordonné actuellement en développement. Ce centre de santé comptait quatre-vingt-treize collaborateurs, dont vingt-cinq médecins et dix infirmiers, mais aussi des sages-femmes ou kinésithérapeutes. Il était équipé de salles d'examens spécialisés, pour le secteur oto-rhino-laryngologiste (ORL) par exemple, et d'une salle de prélèvements.
Tous les centres de soins ne sont pas de cette taille, et les centres peuvent aussi être spécialisés. Souvent, ces gros dispensaires comptent entre dix et vingt médecins.
Je note que ces structures semblent emporter une adhésion forte de la part des patients, qui trouvent en un même lieu différents praticiens permettant une prise en charge globale, mais aussi bien de la part des soignants, compte tenu des conditions de travail qui leur sont offertes : équipes de soins, locaux spacieux, assistance administrative.
Surtout, l'un des points marquants a été l'explication de la prise en charge en Suède par les différents acteurs du système de santé. Le premier contact avec le système de santé, pour un patient, ne se fait pas nécessairement par un rendez-vous chez son généraliste. Souvent, ce premier contact est réalisé par téléphone, voire par un tchat internet avec son centre de soins primaires. À l'autre bout de la ligne, ce n'est pas nécessairement un médecin qui assure la régulation, mais, dans la plupart des cas, un infirmier.
Nous avons d'ailleurs constaté que, si les régions organisent chacune les soins comme elles le souhaitent, elles coordonnent une plateforme commune, avec un numéro de téléphone, le 1177, et un site internet qui renvoient vers les services locaux. Le patient peut contacter son centre de soins primaires habituel ou utiliser la plateforme régionale.
Alors que nous débattons beaucoup actuellement de la permanence des soins ou de l'accès direct à certaines professions de santé, la question de la porte d'entrée dans le système de soins me paraît déterminante. L'enseignement suédois, sur ce point, est double.
Premièrement, il n'est pas inenvisageable - ce n'est pas nécessairement mal vécu par l'intéressé - de ne pas laisser le patient choisir son praticien, et surtout de ne pas le laisser arbitrer des praticiens qu'il sollicite : il y a en Suède une régulation stricte, et le soignant rencontré n'est pas nécessairement médecin.
Deuxièmement, il n'est pas impossible de laisser aux infirmiers la charge de la régulation et du premier contact avec le patient. Cet exemple doit pouvoir nourrir notre réflexion sur la régulation de la permanence des soins, et, au-delà, sur l'accès à notre système de soins pour un patient, selon le niveau de gravité et selon les exigences de diagnostic.
Toutefois, et c'est à mon sens aussi un point déterminant, une difficulté a été signalée par de nombreux acteurs : celle de la continuité des soins. Alors que l'exercice médical se fait systématiquement en centres de soins, alors que les patients sont plus ou moins rattachés à une structure, alors que le patient ne choisit pas nécessairement son praticien, le médecin traitant est encore balbutiant en Suède. Or, les Suédois le constatent eux-mêmes, l'absence de suivi par un médecin traitant fait perdre du temps au médecin, qui doit redécouvrir les dossiers, au patient, qui doit réexpliquer sa situation, et, in fine, amoindrit la qualité de la prise en charge. Là encore, c'est donc à mon sens un point de vigilance que nous devons conserver dans nos futurs débats : ne cassons pas le parcours de soins coordonnés, n'affaiblissons pas le rôle de suivi du médecin traitant que nous avons eu du mal à mettre en place.
J'en viens maintenant aux défis du système de santé suédois, dans un contexte de santé publique et d'adaptation du système de soins au vieillissement de la population, finalement assez proche du nôtre. Je ne suis pas sûre que nous comparer puisse ici nous consoler, mais force est de constater que les défis que nous connaissons sont très largement partagés, voire en Suède plus préoccupants encore.
La démographie médicale apparaît encore plus problématique en Suède, avec un nombre de médecins plus réduit, des besoins très importants en matière de généralistes et, contrairement à la France, un problème massif de recrutements de professionnels paramédicaux, notamment d'infirmiers. C'est un sujet de préoccupation aigu de la part des professionnels eux-mêmes, qui ont des revendications que nous connaissons sur les conditions et rythmes de travail.
Quelles solutions les Suédois envisagent-ils pour y remédier ? Pas le conventionnement sélectif, puisqu'il n'y a pas d'exercice libéral. Les régions entrent plutôt en concurrence salariale, tentant chacune d'attirer des médecins dans leurs centres de soins. Pour autant, comme en France, on ne peut pas gérer une pénurie en déshabillant Sven pour habiller Magnus.
À ce titre, le déplacement à Umeå, dans le Nord du pays, a été une étape importante, où nous avons retrouvé pour partie des solutions que nous connaissons. Je dirais qu'elles y ont été mises en place depuis plus longtemps, et qu'elles sont sans doute mieux appréhendées.
Nous avons d'abord une approche partagée : rien ne sert de vouloir mailler le territoire de blocs chirurgicaux ou de maternités, les Suédois considèrent eux aussi qu'il s'agit là de risques pour la qualité des soins plus qu'un atout de prise en charge. Toutefois, dans la région du Norrland se sont développés sept pavillons sanitaires, que l'on pourrait assimiler à nos hôpitaux de proximité. L'idée est bien, comme nous tentons de le faire, d'avoir un maillage différencié selon les niveaux de recours.
Comme nous essayons souvent de l'organiser avec les groupements hospitaliers de territoire (GHT), la réponse sanitaire est graduée, reposant, en outre, sur un nombre plus restreint d'établissements. Je le rappelle, la Suède a un nombre de lits très faible pour 1000 habitants, avec un ratio de 2 contre 5,7 en France. Les opérations les plus lourdes sont réservées à un nombre restreint d'établissements autorisés. Pour les patients, cela peut néanmoins emporter en conséquence un éloignement plus important pour une hospitalisation, comme nous l'avons vu à Umeå où nous logions dans un hôtel qui est pour l'essentiel... un hôtel hospitalier.
Parmi les outils connus se trouve la télémédecine. Nous l'avons vu au sein de l'hôpital universitaire, où des examens de dossiers de patients sont organisés à distance avec des équipes d'autres centres, pour discuter des cas, prioriser les interventions qui doivent être réalisées, et ainsi programmer la venue dans l'hôpital central. Nous l'avons aussi constaté avec la présentation que nous avons eue par la région de Västerbotten et des médecins de celle-ci concernant le suivi de patients en zones rurales. L'une des médecins entendue reconnaissait bien l'impossibilité de rencontrer tous ses patients, de faire des visites à domicile sur un territoire vaste et peu dense. Pour autant, nous avons ressenti un réel engagement conjoint, médical et paramédical, pour maintenir la qualité des soins, et éviter les pertes de chance. Là aussi, ce n'est pas nécessairement une surprise, mais la télémédecine, déployée au moyen de visites d'infirmiers équipés, semble faire ses preuves dans les zones rurales.
Je serai en revanche beaucoup plus réservée sur un projet qui nous a été présenté comme innovant et qui pousse la télémédecine à un extrême qui ne me semble absolument pas souhaitable. Leur projet de télémédecine « sans frontière » ringardise notre débat sur les télécabines puisqu'il s'agit là de recruter des médecins espagnols chargés de réaliser des consultations depuis l'Espagne pour des patients du Nord de la Suède. Je pense qu'aucun de nous n'a été convaincu par ce projet ; il me semble indispensable que la télémédecine ne soit pas déconnectée de la possibilité pour le médecin consulté de voir effectivement son patient.
Il faut enfin souligner les efforts faits par le CHU d'Umeå pour décentraliser certaines de ses formations dans de plus petites villes de la région, et ainsi renforcer leur attractivité pour des étudiants du territoire, a priori plus enclins à y rester par la suite.
Un autre défi que la Suède partage avec la France, corollaire des tensions en matière de démographie médicale, est l'intérim médical. Il est là-bas aussi particulièrement préoccupant. Malheureusement comme en France, il se retrouve dans l'ensemble des structures, y compris dans l'hôpital de pointe qu'est Karolinska. Pour les mêmes raisons que dans notre pays, les établissements font de la réduction de l'intérim un enjeu prioritaire, d'une part en raison de son coût financier, d'autre part, et surtout, car cela déstabilise les équipes soignantes et affecte la coordination des équipes et la qualité des soins.
Face aux enjeux d'attractivité et, en réponse, à des politiques salariales très comparables, l'accent a surtout été mis sur les conditions de travail en centres de soins, mais surtout à l'hôpital. Les préoccupations relatives à la qualité de vie au travail, la rénovation des espaces, les activités proposées, ont été soulignées, mais les intervenants ont aussi particulièrement insisté sur des programmes de formation visant à donner des perspectives de carrière à l'ensemble des professionnels.
Pour autant, les raisons profondes qui poussent à l'intérim rejoignaient les constats que nous avions faits dans le cadre de la commission d'enquête sur l'hôpital : une médecine aux exigences de rentabilité plus forte, des cadences élevées, une perte de sens pour les soignants et, surtout, une absence de maîtrise du rythme de travail. Certains médecins nous ont dit avoir fait le choix de quitter l'hôpital pour partir en intérim. L'une d'elle voyait même son départ comme un signal envoyé au système de santé, pour qu'il se réforme sous la pression collective. Elle nous a dit faire le choix de l'intérim pour conjuguer sa vie familiale avec sa vie professionnelle durant quelques années, mais a reconnu qu'elle souhaitait revenir à terme à l'hôpital, retrouver des postes d'encadrement et progresser dans sa carrière. Ces témoignages, qui ne sont pas si surprenants, doivent nous interpeller sur des mouvements profonds qui animent les nouvelles générations de soignants dans toute l'Europe.
J'en viens pour finir à des éléments qui ont à mon sens été des fils conducteurs des présentations qui nous ont été faites, par des acteurs de nature différente, politiques comme administratifs ou médicaux, concernant le pilotage du système de santé.
Je commencerai par l'approche retenue pour évaluer et concevoir les politiques de santé, qui me semble très anglo-saxonne sur les concepts retenus, ou très scandinave sur la méthode.
Nous avons été abreuvés de déclinaisons de concepts de santé publique, je pense par exemple à la « santé intégrée », qui semblaient irriguer la mise en place de nombreux dispositifs, ou en tout cas largement inspirer leur conception.
Entendons-nous : je ne balaye pas d'un revers de main ce qui nous a été présenté au seul motif que le travail conceptuel de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) semble parfois trop peu opérationnel, voire un peu marketing. Sans doute cherchons-nous trop souvent, de crise en urgence, à colmater les brèches sans réfléchir aux concepts et aux enjeux de santé publique qui ont été utilement théorisés à l'échelle internationale.
L'importance des données nous a également été de nombreuses fois vantée : c'est particulièrement cette approche qui me semblait très scandinave, c'est-à-dire motivée par le souci d'agir sur la base du constat le plus documenté possible.
L'évaluation et le pilotage par les données récoltées sont fondamentaux et, sur ce point, je ne peux que regretter les lacunes que nous constatons trop souvent en France. Quand nous voyons que les réformes de financement des établissements de santé peinent à se déployer faute d'outils techniques, je ne peux m'empêcher de penser qu'elles n'ont donc sans doute pas été suffisamment documentées et justifiées par des données robustes... C'est à mon sens un point déterminant pour notre capacité, en tant que législateurs, à prendre des décisions éclairées.
Cela vaut aussi pour les acteurs du système eux-mêmes. À Karolinska, c'est par une transparence totale sur l'occupation des blocs et les plannings des chirurgiens et soignants que l'hôpital a pu optimiser certains créneaux et ainsi gagner en capacité d'opérations.
Je finirai par une autre approche des politiques de santé, qui a marqué, je pense, l'ensemble des collègues : celle de l'évaluation de l'accès aux soins par la liste d'attente. La Suède a, au niveau national et par la loi, établi une garantie d'accès aux soins. Celle-ci repose sur des délais cibles pour répondre aux besoins des patients.
C'est le fameux 0 - 3 - 90 - 90, que nous savions quasiment prononcer en suédois à la fin du séjour tant nous l'avons entendu : noll, tre, nittio, nittio. « 0 » : le patient doit pouvoir obtenir un contact avec un soignant d'une structure de soins primaires dans la journée. Ce contact peut se faire par téléphone ou par tchat, je l'ai dit. « 3 » : en cas de besoin, le patient doit pouvoir bénéficier d'une consultation médicale dans les trois jours. « 90 » : il s'agit, en nombre de jours, du délai fixé dans lequel le patient doit pouvoir obtenir, si nécessaire, une consultation de spécialiste. À Stockholm, cette cible a été ramenée à trente jours. « 90 » : c'est enfin le délai dans lequel le patient doit pouvoir bénéficier des traitements particuliers ou opérations appropriées.
Cette garantie de soins a pu nous paraître un peu décalée, ou, en tout cas, présentée avec un peu d'excès comme le pilier de la politique d'accès aux soins. Comme les régions le constatent elles-mêmes, la mise en place de la garantie n'a pas nécessairement conduit à réduire effectivement les délais d'attente constatés. En outre, se pose pour l'instant la question du champ de la garantie, qui pourrait être étendue, car elle ne couvre pas d'objectifs relatifs aux actes de biologie ou d'examens radiologiques, par exemple.
Surtout, regarder le nombre de patients en attente sur chaque segment et le dépassement des délais cibles a une limite assez remarquable. En effet, la Suède n'a pas mis en place de file d'attente dans lequel le premier arrivé est le premier servi, et bien heureusement. Les soins sont priorisés : un patient qui souffre et nécessite des soins plus urgents n'attendra pas trois jours pour une consultation de médecine générale, ni quatre-vingt-dix jours pour un spécialiste ! Un patient chez qui l'on suspecterait un cancer sera pris en charge rapidement suivant un protocole accéléré.
Ainsi, ceux qui attendent le plus sont ceux qui peuvent patienter. La file d'attente n'est donc pas a priori une perte de chance ; elle emporte éventuellement une perte de confort. Il y avait parfois une focalisation excessive sur cet indicateur, souvent non satisfait, d'ailleurs, sans que puisse être évalué l'accès effectif aux soins, en temps utile, pour les patients qui en ont besoin. Il faut donc bien relativiser ces indicateurs.
Je tire trois principaux enseignements de l'approche suédoise telle qu'elle nous a été présentée.
Le premier est que, derrière cet indicateur qui paraît uniquement retenir le temps d'attente sur une file de patients, il y a bien une logique de priorisation des besoins. Sur ce point, je ne suis pas certaine que nous ayons poussé la réflexion suffisamment loin en France. Le patient, dans notre pays, choisit presque toujours ses praticiens, et les spécialistes chez qui sont pris les rendez-vous ne peuvent bien souvent prioriser les besoins... Or l'accès aux soins est sans doute pour bonne partie l'enjeu d'un soin apporté dans un délai raisonnable, sans perte de chance.
Le second enseignement est que cet indicateur, très imparfait et reflétant un enjeu de délai non nécessairement qualitatif, a le mérite d'exister. Il permet d'objectiver des situations de recours aux soins, selon les types de soins et selon les territoires. Avons-nous ce type d'outils de pilotage ? Non. Quand on parle de délais pour accéder à un médecin traitant, on se fonde essentiellement sur des expériences relayées.
Enfin, et surtout, cette garantie oblige les offreurs de soins à se placer dans une logique de résultats. Avons-nous un outil comparable en France avec un acteur responsable d'apporter une réponse dans un délai garanti ? Je ne le pense pas. La Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) n'est pas en mesure de garantir l'accès des patients à un praticien dans un délai fixé ni même d'évaluer réellement le délai écoulé entre une sollicitation du patient et sa prise en charge complète.
Cette garantie a ainsi le mérite de fixer des objectifs communs et d'évaluer les tensions d'accès aux soins selon des critères partagés : je pense que ce n'est pas négligeable. Je ne suis pas sûre qu'il soit possible de développer une telle garantie en France mais c'est sans doute un outil que nous devons importer.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, cette mission ne nous permet malheureusement pas de vous proposer de solutions simples pour faire face aux défis que nous connaissons.
Néanmoins, pas de déception ni de défaitisme : j'estime que les échanges que nous avons eus ont soulevé de nombreuses questions que nous écartons parfois et qui sont pourtant fondamentales. Je pense aussi que la façon d'analyser le système de santé, par les agences comme par les offreurs de soins que sont les régions et les structures de soins, doit nous faire réfléchir. Je considère enfin que la comparaison avec la Suède nous rappelle également certains points déterminants de la prise en charge qui doit être offerte aux patients et qui, dans nos débats, sont trop souvent oubliés. Je pense au parcours et à la continuité des soins ; je pense au juste soin dans un délai raisonnable.
Mme Véronique Guillotin. -Cette mission a été riche, et, si nous n'avons pas trouvé de solution miracle concernant les problèmes d'accès aux soins, nous tirons de cette observation du système suédois des enseignements qu'il nous faudra en effet garder à l'esprit lors de l'examen des futures propositions à ce sujet.
Les acteurs que nous avons rencontrés ont beaucoup insisté sur l'accessibilité, la proximité et sur la question fondamentale en Suède des listes d'attente. Je souhaiterais revenir sur un point aussi beaucoup évoqué qu'est celui de la continuité des soins et du rôle du médecin traitant.
Comme l'agence d'analyse des services de santé nous l'a dit, la continuité est une vraie lacune actuelle de la prise en charge en Suède. Les patients changent trop souvent de professionnels, sans le vouloir, y compris pour les consultations de médecins généralistes. Pour autant, l'agence, qui déplorait ce manque de continuité, constatait que les résultats en matière de santé n'étaient pas plus mauvais qu'à l'étranger.
Selon l'association des médecins, dont le rôle est à cheval entre l'ordre et le syndicat, à l'heure actuelle, un Suédois sur quatre seulement a un médecin traitant. L'association recommandait qu'un généraliste soit le médecin traitant de 1 200 patients, contre 800 à 900 en France, quand Socialstyrelsen, la direction centrale de la protection sociale, retenait un nombre de 1 100. C'est une moyenne, naturellement, qui doit être pondérée selon le profil de la population et ses besoins. Je note que cette jauge est globalement la même que celle retenue par Thomas Fatôme comme cible en France. Pour rejoindre ce que la présidente évoquait, je pense que dans les débats sur l'accès direct, il faudra se demander dans quelle mesure cela n'affaiblit pas le médecin traitant.
Surtout, le nombre de patients ayant un médecin référent est faible, mais il semble que les Suédois soient davantage, en pratique, rattachés à un centre de santé. Les centres de soins primaires suédois, d'une taille bien supérieure aux centres de santé français jouent finalement un rôle d'équipe de soins de rattachement.
J'ai retenu que la direction de la protection sociale voulait travailler au cours des prochains mois sur la question du médecin traitant et sur la question des prises de rendez-vous avec les patients afin de réduire les désistements.
Enfin, je souhaite souligner une différence fondamentale qu'est le financement des structures primaires et des professionnels, liée à l'exercice essentiellement salarié en centres de soins.
D'une part, comme l'a dit la présidente, ce sont les régions qui négocient les salaires et recrutent les professionnels, cela peut donc davantage valoriser l'expérience que la seule réalisation d'un nombre d'actes.
D'autre part, la région, gérant ou contractualisant avec les centres de soins, impose des objectifs qui modulent les ressources des structures. Ainsi, elles sont notamment plus ou moins bien rétribuées selon les délais d'attente qu'elles sont capables d'assurer. C'est ce que nous a indiqué la région de Stockholm mais aussi le centre de santé d'Ålidhem.
Alors que le débat en France se cristallise actuellement sur la consultation à 50 euros avec une logique de rémunération basée principalement sur l'acte, je pense que les structures suédoises correspondent peut-être davantage aux aspirations de jeunes générations concernant l'exercice salarié ou, surtout, l'exercice coordonné, et aux besoins de pilotage du système de soins par des rémunérations liées à la qualité et à la continuité des soins.
Mme Michelle Meunier. - Je ne connaissais pas avant ce déplacement le fonctionnement du système de santé suédois. Je m'attendais à un système où l'on aurait pu s'emparer de réponses plus adéquates. Toutefois, si les questions sont les mêmes qu'en France, les réponses ne peuvent être modélisées. J'en repars avec la conviction que l'accès aux soins est primordial, que la continuité des soins est ce qui compte pour le patient. Ces déplacements à l'étranger sont particulièrement utiles pour faire progresser notre réflexion sur ces sujets. Les réponses restent à trouver collectivement.
Mme Florence Lassarade. - Je connais l'hôpital de Göteborg. Le système suédois est spartiate : les premiers diagnostics peuvent être réalisés par des infirmiers de pratique avancée, qui décident, le cas échéant, d'envoyer le patient consulter le chirurgien ; et le patient doit ressortir très vite après son opération, comme il le peut. Les infirmiers et les infirmières, qui entraient dans la catégorie des travailleurs pauvres, ont été revalorisés et touchent désormais un salaire de 4 000 euros mensuels, ce qui a changé leur statut et l'attractivité de leur profession.
Les Suédois vivent en meilleure santé : est-ce parce qu'ils font beaucoup de sport ? La prévention est-elle plus développée en Suède ?
La gestion du covid a été très différente en France et en Suède, et pourtant la mortalité a été équivalente. Avez-vous évoqué le scandale des Ehpad dans lesquels on a laissé des personnes âgées mourir ?
Une anecdote enfin : une étudiante suédoise à Paris ne savait pas vers qui se tourner pour soigner une angine ; finalement, elle a été enchantée des conseils de la pharmacienne de quartier.
Mme Corinne Imbert. - C'était mon premier déplacement en Suède. J'ai été ravie de ce voyage enrichissant. Je ne disposais, avant de partir, que de témoignages de personnes qui considéraient que le système suédois était catastrophique en raison de la privatisation.
Je souhaite revenir brièvement sur le rôle du 1177 dans l'accès aux soins. Ce numéro unique, qui n'est pas un numéro d'urgence, constitue une vraie porte d'entrée dans le système de soins. La région de Västerbotten, qui nous présentait le dispositif, indiquait que le numéro était connu de 99 % de la population et que 89 % des parents de jeunes enfants avaient confiance en ce service. C'est considérable. Il semble que le recours au 1177 soit le mode d'accès au système retenu en priorité, avant le centre de soins puis l'hôpital.
Le nombre de lits à l'hôpital est très inférieur à la France ; il est jugé aujourd'hui trop faible pour faire face aux besoins : 2 lits pour 1 000 habitants, contre 5,7 lits en France. L'ambulatoire n'a pas tout solutionné et le vieillissement de la population crée de nouveaux besoins hospitaliers.
Comme en France, des lits sont fermés faute de personnels. Nous avons pu constater que ce problème n'était pas franco-français et que les solutions n'étaient pas évidentes. Garantir l'attractivité des carrières médicales, en particulier à l'hôpital, constitue là-bas aussi un réel défi.
L'intérim médical est une priorité des établissements. Ils souhaitent vouloir être « indépendants de l'intérim », car leur coûte cher. Il s'agit à nouveau d'un sujet que nous partageons, pour des raisons similaires. Je me souviens des échanges avec les médecins de l'agence d'intérim qui nous expliquaient avoir quitté le système, car ils ne tenaient plus face au rythme imposé et aux sacrifices pour leur vie personnelle.
Enfin, on peut s'interroger sur la place du secteur privé. Selon les régions, les services de santé, centres de soins ou même hôpitaux sont plus ou moins délégués à des groupes privés.
Mme Laurence Cohen. - Si j'ai bien compris, il n'y a pas d'exercice libéral dans les centres de soins primaires. Ce système fonctionne-t-il ?
Aux termes d'une procédure de marché public, un hôpital peut être transféré au privé, sans autre conséquence apparemment : mais alors qu'est-ce que la privatisation apporte ?
Enfin, si les régions organisent le système de soins, quel est le rôle de l'État ? Le Parlement doit-il se prononcer sur le budget de la santé ?
Le salaire des infirmières s'élève à 4 000 euros, mais qu'en est-il réellement si l'on tient compte du coût de la vie ? L'échelle des salaires est différente. À quel niveau un tel salaire se situe-t-il ?
Mme Florence Lassarade. - Leur salaire a doublé !
Mme Victoire Jasmin. - Il est toujours intéressant d'aller voir comment cela se passe ailleurs pour pouvoir faire des comparaisons. Vous avez évoqué les délégations au secteur privé par procédure de marché public. Comment cela fonctionne-t-il ?
Mme Annie Le Houerou. - Le système hospitalier suédois présente un maillage différencié selon les niveaux de recours. Il existe un maillage d'hôpitaux de proximité et la réponse sanitaire est graduée selon la gravité de la pathologie : quelles sont les missions réservées aux pavillons sanitaires et aux hôpitaux de proximité ?
Mme Catherine Deroche, présidente. - Les niveaux des salaires sont effectivement différents en Suède. Même en tenant compte du coût de la vie et de la fiscalité, les salaires des infirmiers restent supérieurs à ceux versés en France, ce qui n'empêche pas la Suède de connaître les mêmes difficultés de recrutement en raison des questions liées au temps de travail, aux difficultés à concilier vie professionnelle et personnelle, au travail de nuit et le week-end, etc.
Notre déplacement n'était pas centré sur la question de la prévention. Peut-être conviendrait-il d'en réaliser un second. L'espérance de vie en bonne santé semble meilleure qu'en France. L'hygiène de vie semble meilleure, avec une pratique des activités physiques plus développée, une qualité de vie au travail meilleure - l'organisation des locaux d'entreprise que nous avons visités semble propice au bien-être au travail. La forte régulation du système ne constitue pas, en tout cas, un facteur entrainant une mauvaise santé de la population.
Nous n'avons guère abordé la question du covid. Nous avons toutefois constaté que les soignants sont, comme en France, épuisés.
La presse faisait mention de préoccupations concernant la mortalité infantile. Les réponses que nous avons reçues se sont concentrées sur le suivi post-natal.
Il n'y a pas, en effet, d'exercice libéral dans les centres de soins primaires, tous les professionnels sont salariés. Les structures sont financées par des dotations, et une part variable en fonction des actes réalisés.
Nous nous attendions à trouver une vraie différence entre les hôpitaux publics et les hôpitaux privés, mais à Stockholm, après avoir visité l'hôpital privé délégué au groupe Ramsay, nous aurions facilement pu prendre l'hôpital Karolinska pour un hôpital privé, et inversement ! Ils ne nous ont parlé que de classement mondial, d'optimisation des blocs, etc.
La région peut déléguer la gestion d'un hôpital à un opérateur privé par la voie d'un appel d'offres ; l'actuel contrat arrive à échéance en 2026. Il revient au gestionnaire d'assurer le recrutement. Les tarifs font l'objet d'une négociation entre l'opérateur et la région. L'hôpital privé doit parvenir à l'équilibre financier, mais pour le patient cela ne revient pas plus cher. Le rôle de l'État est réduit avec la régionalisation ; des agences sanitaires réalisent des contrôles et assurent une supervision d'ensemble, mais avec des financements assez faibles.
On compte seulement 7 CHU en Suède. Chaque région est responsable de l'organisation du système de soins sur son territoire. Le système est gradué, tous les établissements de santé n'étant pas autorisés à réaliser toutes les catégories d'interventions.
Mme Annie Le Houerou. - Qu'en est-il des maternités ?
Mme Catherine Deroche, présidente. - Là aussi, il y a eu une rationalisation, en dépit du maintien d'un certain nombre de maternités de proximité dans des territoires éloignés. Il faut tenir compte de la géographie, dans la mesure où le sud du pays est plus densément peuplé que le nord, et de la démographie, car, comme en France, le nombre des naissances baisse.
Les pavillons sanitaires sont des hôpitaux de proximité. Ils comportent principalement des lits de médecine tournés vers la prévention et la prise en charge des maladies chroniques et des services d'urgence. Ils ne sont pas tournés vers la chirurgie et les accouchements. Les patients dans ces cas sont orientés vers des hôpitaux régionaux ou des centres spécialisés. Quant aux assurances privées, elles permettent surtout à leurs assurés d'accéder plus rapidement à un praticien.
M. René-Paul Savary. - Comment s'effectue la régulation ? Est-ce bien grâce à la plateforme du 1177 que les Suédois arrivent à faire le tri entre les pathologies et à déterminer le niveau d'urgence de la prise en charge ? C'est une piste intéressante, car en France, lorsqu'on prend un rendez-vous, on obtient une consultation en fonction de sa place sur la liste d'attente, non en fonction de la gravité de la maladie.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Les personnes qui appellent reçoivent une réponse dans la journée, on leur indique qui elles doivent aller consulter et dans quels délais. Les Suédois parviennent à réguler ainsi l'accès aux soins. Nous pourrions nous en inspirer. C'est un petit peu ce que l'on essaie de faire avec le Service d'accès aux soins (SAS) ou avec les maisons de santé pluriprofessionnelles.
Mme Corinne Imbert. - J'ai partagé le même étonnement que Catherine Deroche en visitant l'hôpital privé Saint-Göran de Stockholm, géré par Capio, et l'hôpital Karolinska. On aurait facilement pu prendre le directeur de l'hôpital privé pour le directeur de l'hôpital public, et inversement ! L'hôpital public possède une collection d'oeuvres d'art, qui sont exposées dans l'hôpital et dont la valeur s'élève à 12 millions d'euros.
J'ai été surprise aussi d'apprendre que la moitié des généralistes suédois avaient été formés à l'étranger : ils ont le même problème que nous de formation.
Mme Catherine Deroche, présidente. - La formation des médecins généralistes en Suède dure sept ans.
Mme Véronique Guillotin. - Je précise que la régionalisation du système est complète, les budgets sont votés par les conseils régionaux. Il n'y a pas de vote d'un budget de la santé par le Parlement au niveau national.
Finalement, on constate que, quel que soit le statut des médecins - salariés, comme en Suède, ou libéraux, comme en France -, le résultat est le même en termes d'attractivité des métiers et pour l'accès aux soins.
Je ne sais pas si la France est prête à l'instauration d'une plateforme unique de première réponse médicale : les médecins généralistes sont vent debout contre tout système dans lequel la première porte d'entrée du système de santé ne passerait pas par eux. Il sera difficile de transposer le système en France. Il faut tenir compte des cultures et des mentalités de chaque pays.
La commission donne acte de sa communication à la Présidente et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Projet de loi portant sur les jeux Olympiques et Paralympiques 2024 - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur
Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous propose de nous saisir pour avis et de désigner un rapporteur sur le projet de loi portant sur les jeux Olympiques et Paralympiques 2024. Ce texte devrait être examiné en conseil des ministres le 21 décembre prochain, envoyé au fond à la commission des lois et examiné en séance publique à partir du 24 janvier 2023. Quatre articles nous intéressent dans ce texte : ceux sur le centre de santé du village olympique, les compétences des professionnels de santé étrangers, les analyses génétiques sur les sportifs et les dérogations aux règles du travail dominical. Nous examinerions notre avis le 18 janvier prochain. Je vous propose la candidature de notre collègue Florence Lassarade.
La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi portant sur les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, sous réserve de sa transmission, et désigne Mme Florence Lassarade rapporteur pour avis.
Proposition de loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne Mme Corinne Imbert rapporteure sur la proposition de loi n° 362 (A.N, XVIe lég.) portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, sous réserve de sa transmission.
Mission d'information sur la fin de vie - Désignation de rapporteurs
Mme Catherine Deroche, présidente. - Pour la mission d'information sur la fin de vie, décidée par notre bureau début octobre, je vous propose de reconduire nos collègues rapporteurs sur les soins palliatifs : Mmes Corinne Imbert, Christine Bonfanti-Dossat et Michelle Meunier.
La commission désigne Mmes Corinne Imbert, Christine Bonfanti-Dossat et Michelle Meunier rapporteurs la mission d'information sur la fin de vie.
La réunion est close à 12 h 00.
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Suivi des recommandations de la mission d'information relative aux violences sexuelles sur mineurs en institutions et mise en oeuvre de la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants - Audition de Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargée de l'enfance
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous entendons cet après-midi Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargée de l'enfance. Madame la secrétaire d'État, nous avons déjà eu l'occasion d'échanger après votre nomination ; comme vous le savez, votre domaine de compétence est au coeur des travaux de notre commission.
La commission des affaires sociales a inscrit à son programme de travail le suivi des recommandations de la mission commune d'information (MCI) sur les politiques publiques de prévention, de détection, d'organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d'être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l'exercice de leur métier ou de leurs fonctions, qui a rendu son rapport en mai 2019.
Je vous ai fait parvenir notre première évaluation de la mise en oeuvre de ces recommandations et je souhaite que vos services y répondent par écrit, en complément de ce que vous pourrez indiquer à la commission.
Certaines de ces préconisations ont été mises en oeuvre dans la loi de 2022 relative à la protection des enfants. C'est pourquoi j'ai souhaité que cette audition permette également de faire le point sur la mise en application de ce texte.
Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargée de l'enfance. - Je vous remercie de votre implication dans les sujets relatifs à l'enfance. Je tiens tout d'abord à saluer la qualité du rapport de la mission commune d'information et de ses recommandations. Certaines d'entre elles ont été déployées très rapidement par le Gouvernement durant le précédent quinquennat, notamment grâce à la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Je reviendrai sur les décrets d'application de ce texte très riche, qui m'occupe depuis mon arrivée au Gouvernement.
Ce rapport a rejoint celui de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase) et celui de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) ; ces différents travaux nous rappellent l'urgence d'une prise de conscience collective à ce sujet. Nous sommes dans la situation où nous nous trouvions durant le précédent quinquennat s'agissant des violences faites aux femmes : la société entière peine à prendre la mesure de la situation. Or tous nos enfants ne sont pas heureux, tous nos enfants ne sont pas rois ; un enfant meurt dans son cadre familial tous les cinq jours en France et la Ciivise nous dit que 160 000 enfants par an sont victimes d'infractions sexuelles. Nous ne parvenons pas à casser la chaîne de reproduction des violences : les criminels d'aujourd'hui sont souvent des victimes d'hier et cela nous pose question. Votre rapport relève, par ailleurs, le manque de données statistiques dont nous souffrons, pour des raisons diverses. En l'absence de données précises, il n'est pas facile de mettre en place une stratégie claire et partagée.
Pour autant, notre détermination est sans faille. Lors de la réunion du comité interministériel à l'enfance, la Première ministre a mis la lutte contre les violences commises sur les mineurs au premier plan de ses priorités, en agissant selon différents axes, dont ceux que votre rapport présente : l'importance de la connaissance des situations, la prise en charge du psychotraumatisme, la prévention et la formation, le repérage et l'accompagnement des victimes et des auteurs. Vous constatez que je n'ai pas le monopole de ces actions, mais mon rôle auprès de la Première ministre me met en position d'actionner tous ces leviers pour avancer. Nous disposons d'outils opérationnels, comme ce comité interministériel à l'enfance. C'est dans ce cadre que nous avons annoncé la création, en début d'année prochaine, d'un office central de lutte contre les violences faites aux mineurs, accompagné d'une circulaire de politique pénale.
Nous avons également agi au travers du plan de lutte contre les violences faites aux enfants 2020-2022, annoncé par Adrien Taquet. Tous les ministères ont été impliqués et dix-neuf des vingt-deux mesures de ce plan ont été mises en oeuvre en deux ans. C'est un succès qu'il faut saluer et dont nous vous transmettrons le bilan. Ce plan reprend d'ailleurs beaucoup de vos recommandations.
Dans le détail, s'agissant de la prévention et du repérage des situations de violence sexuelle, le ministère de l'éducation nationale a remis sur le métier la question de l'éducation à la vie affective et sexuelle. L'enseignement obligatoire de deux heures n'est pas convenablement mené, nous y revenons en labellisant les associations concernées et nous entendons l'accompagner d'une éducation à la parentalité. Nous avons également renforcé les moyens du 119 et nous améliorons sa visibilité, ainsi que celle du 3018 et du 3020. Ces trois numéros sont, par exemple, inscrits sur les espaces numériques des enfants.
Nous avons augmenté les effectifs du Service national d'accueil téléphonique de l'enfance en danger (Snated), dans le domaine de l'enfance en danger ainsi que dans celui de la prostitution des mineures, qui entre maintenant dans son champ de compétence.
Nous lancerons début 2023 une grande campagne sur les violences sexuelles ; la campagne du 119 avait visé les enfants, la prochaine touchera tous les publics, y compris les parents. Il faut en effet libérer la parole des adultes, qui doivent prendre la responsabilité de protéger les enfants. Je réponds ainsi au #MeToo des enfants : il me semble qu'il revient surtout aux adultes de se saisir de la question.
Nous avons pris en compte les recommandations de la Ciivise. En 2023, nous créerons une plateforme d'écoute des professionnels, qui ne sont pas toujours correctement armés face aux révélations de violence dont ils peuvent être dépositaires. C'est le cas, par exemple, de la maîtresse d'école, qui pourrait se trouver en conflit de loyauté avec les parents, mais également des professeurs du périscolaire, des entraîneurs sportifs, des médecins, etc. Au-delà même de l'obstacle du secret professionnel, il s'agit de leur apprendre à étayer les signaux et de mettre à leur disposition les outils indispensables. Cette plateforme sera d'ailleurs articulée avec les unités d'accueil pédiatriques des enfants en danger (Uaped), lesquelles exercent déjà ce rôle de contrôle auprès de la médecine libérale. Les formations ont été renforcées dans tous les services concernés et nous nous saisirons du très bon guide de formation des professionnels préparé par la Ciivise.
S'agissant de la prévention, nous travaillons sur le contrôle des antécédents judiciaires de tous les professionnels, ainsi que des bénévoles intervenants dans le champ de l'enfance, comme de la consultation systématique du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv). Ce dernier outil requiert toutefois un regard humain, ce qui complique le processus. Pour autant, cette étape est obligatoire depuis le 1er novembre dernier et nous établirons bientôt un dispositif national pour interroger presque en temps réel les services du casier judiciaire, avec l'objectif de ne pas freiner les recrutements, non plus que les initiatives des bénévoles en attendant trop longtemps. Cet instrument sera d'abord ciblé sur le travail social, mais absorbera à terme le champ de responsabilité des ministères de l'éducation nationale et des sports. Cette disposition de la loi relative à la protection des enfants est excellente, mais elle concerne plusieurs millions de personnes, ce qui fait peser une pression importante sur les équipes chargées de la mettre en oeuvre.
Votre recommandation n° 4, relative à l'écoute de la parole de l'enfant victime, a aussi beaucoup avancé. Nous avons constaté un phénomène de glaciation des acteurs après l'affaire Outreau, il faut l'admettre. À ce titre, le combat de La Voix de l'enfant a été salutaire, qui a mené à la création des Uaped, des lieux extraordinaires qui permettent d'écouter les enfants et l'environnement familial. C'est pourquoi, avec le garde des sceaux et le ministre de la santé et de la prévention, nous avons décidé d'aller au-delà des 60 Uaped en cours de création. Début 2024, tous les départements en seront dotés, et nous travaillerons ensuite à les dédoubler dans les grosses juridictions. Ces dispositifs s'articulent avec les fameuses salles « Mélanie » des services d'enquête. Nous entendons ainsi disposer d'un maillage de lieux privilégiés et de personnes formées. Enfin, nous travaillerons avec les Uaped sur la question des données.
Quatre autres points ont émergé dans le cadre du comité interministériel à l'enfance, dont le deuxième, la prise en charge des enfants relevant de l'aide sociale à l'enfance (ASE), recouvre une partie de vos préconisations. Deux éléments importants seront mis en oeuvre dès janvier : le groupement d'intérêt public (GIP) France enfance protégée ainsi que les conseils départementaux de protection de l'enfance. Le département reste chef de file, mais l'État l'accompagne dans la prise en charge de ces enfants. Nous renforcerons ainsi le contrôle des établissements et des services et nous pourrons nous assurer de la bonne vérification des antécédents auprès du Fijaisv et des services du casier judiciaire. Deux autres de nos priorités sont la santé des enfants et la protection contre les effets négatifs du numérique.
Enfin, le service national de la petite enfance offrira une réponse au besoin d'égalité entre hommes et femmes devant le travail, et jouera aussi un rôle de protection des enfants.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Sur le sujet des violences sexuelles sur mineurs en institutions, toute la question est de savoir comment les différentes préconisations sont effectivement mises en oeuvre. Nos rapports ne sont utiles que si nous veillons à la traduction concrète de leurs recommandations.
S'agissant de la vérification des antécédents des professionnels au contact des enfants, en cohérence avec la préconisation n° 14, nous avions voté, au sein de la loi relative à la protection des enfants, un renforcement de l'arsenal législatif, notamment l'article 20, qui rend obligatoire la consultation du Fijaisv pour le recrutement de toute personne travaillant au contact de mineurs dans les secteurs sociaux et médico-sociaux, y compris les bénévoles et les travailleurs occasionnels. Des mesures particulières sont-elles prévues pour faire respecter les contrôles dans les établissements accueillant des enfants handicapés ? Ceux-ci sont particulièrement fragiles et les associations semblent avoir des difficultés à en parler. Certains parents craignent peut-être pour les places, qui sont très limitées.
Une plateforme unique au secteur social de consultation des antécédents judiciaires était annoncée lors des débats parlementaires. Son déploiement est-il prévu prochainement ?
Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État. - Un quart, voire un tiers, des enfants placés sont porteurs de handicap et donc particulièrement fragiles. Les enfants autistes sont ainsi statistiquement plus vulnérables aux violences sexuelles. L'obligation de vérification des antécédents s'applique déjà avec le casier judiciaire, elle a été étendue. L'enjeu est de n'oublier personne, tout en évitant de retarder les embauches. Le dispositif transitoire est centré sur les départements, il s'agit de le rendre opérationnel avant de basculer le plus rapidement possible sur la plateforme nationale, qui a vocation à industrialiser et accélérer le processus.
Mme Catherine Deroche, présidente. - La présentation d'une attestation de non-inscription au Fijaisv pour chaque personne de plus de 13 ans présente au domicile d'une assistante maternelle a été inscrite dans la loi relative à la protection des enfants. Qu'en est-il de son application ?
Quid de la couverture territoriale des centres de prise en charge du psychotraumatisme ? Il est nécessaire d'ouvrir à terme une centaine de ces structures. Alors qu'en 2019 dix centres régionaux du psychotraumatisme (CRP) ont été créés, le plan de lutte du Gouvernement a prévu que soient opérationnels cinq CRP supplémentaires fin 2022. Pouvez-vous nous dire quel maillage effectif a été atteint en la matière dans l'Hexagone et en outre-mer ? De nouveaux appels à projets sont-ils en cours ?
Enfin, quelles mesures portez-vous pour éviter le passage à l'acte des personnes attirées sexuellement par les enfants, mais aussi pour prévenir la récidive des pédocriminels ? Notre rapport préconisait de réaliser une étude criminologique approfondie sur les déterminants de ce passage à l'acte ; ce qui n'a pas été fait, à notre connaissance, en dépit d'un objectif annoncé de développer la recherche sur ce sujet. En revanche, l'idée d'une structure assurant une permanence d'écoute pour les personnes sexuellement attirées par les enfants a su prospérer, ce dont nous nous réjouissons.
Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État. - L'obligation de cribler les personnes habitant au domicile d'une assistante familiale à partir de 13 ans est effective depuis le 1er novembre, elle va être systématisée au moment du recrutement. Le problème reste, si l'on peut dire, la reprise du stock, qui va être systématisée par la plateforme que j'évoquais. Un autre outil sera le fichier recensant les informations relatives aux agréments des assistants familiaux, dont la mise en place est une des missions du GIP France enfance protégée. Pour autant, il subsiste une fragilité : il s'agit de vraies familles, dans lesquelles les enfants viennent et repartent. Il faudra donc assurer un suivi régulier.
S'agissant des CRP, les dix premiers ont été créés en 2019 et cinq supplémentaires en 2020, avec un volet adultes et un volet enfants et adolescents. Ils prennent en charge des victimes de tout type de violences. La question des mineurs de retour de zone d'opérations de groupements terroristes a accéléré le développement de ces cellules, celles-ci fonctionnent maintenant et sont très utiles.
S'agissant des centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (Criavs), nous nous sommes rendu compte que, d'une part, nous sommes en retard par rapport à la Belgique, et, d'autre part, certaines personnes susceptibles de passer à l'acte disent avoir appelé, en vain. Un numéro d'écoute a été mis en place, en plus d'un tchat ; ces mesures font partie des objectifs du plan de lutte contre les violences. Nous sommes très attentifs à ce point, en lien avec la politique menée par le ministre de la justice visant les récidivistes.
Au cours des années 2023 et 2024, une audition publique sur les mineurs auteurs de violences sexuelles sera menée par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), en vue d'optimiser la prévention et la prise en charge des violences sexuelles des mineurs et d'améliorer la pratique des professionnels. L'inceste entre mineurs d'une même fratrie existe. Le risque est important au sein des familles et des institutions. Je veille à ce que l'intimité des enfants soit concrètement préservée au sein des établissements.
Mme Michelle Meunier. - Je ne reviendrai pas sur l'importance d'être formé pour agir, vous l'avez rappelé aujourd'hui et lors de votre visite à Nantes à l'occasion d'une journée de formation des professionnels du département sur le repérage.
En revanche, je souhaiterais vous demander des précisions sur le nombre d'Uaped déployées à ce jour. En 2019, nous avions recensé 58 de ces unités, au cours de nos travaux.
Comment sont protégés ceux qui signalent les violences, notamment les médecins ? Notre travail avait révélé qu'en la matière les dispositions étaient floues - Jean-Marc Sauvé suggérait également de protéger les auteurs de signalement. Deux médecins pédopsychiatres ont récemment été condamnés par leur ordre, ce qui pose problème, car cela contribue à protéger non pas les enfants victimes, mais les agresseurs ! Que comptez-vous faire pour clarifier notre droit sur ce point ?
Enfin, qu'en est-il de la vérification des antécédents des adultes qui interviennent auprès de mineurs ? Comme rappelé précédemment, l'article 20 de la loi du 7 février 2022 généralise la consultation du Fijaisv pour les professionnels et les bénévoles dans les secteurs sociaux et médico-sociaux. Qu'en est-il des contrôles pour les personnes chargées du transport scolaire ou du transport pédiatrique ? Ces professionnels sont-ils soumis à des procédures de vérification et d'habilitation ?
Mme Laurence Cohen. - Madame la secrétaire d'État, vous avez lancé un audit en matière de protection des mineurs porteurs d'un handicap - je rappelle qu'une enquête a été récemment ouverte par le parquet de Chartres contre une société privée à ce sujet... Pourrions-nous avoir des informations sur les suites qui vont être données ?
De plus, pour simplifier le travail de l'administration à ce sujet et éviter l'enchevêtrement des responsabilités entre plusieurs secrétariats d'État, ne faudrait-il pas confier le suivi du dossier à un seul des secrétaires d'État, contrairement à ce qui se fait aujourd'hui ?
Nous avons abordé le sujet de la prostitution des mineurs au sein des travaux de la commission des affaires sociales, de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes et dans notre rapport d'information intitulé La pornographie et son industrie. Hier, à l'Assemblée nationale, une « survivante de la prostitution », pour reprendre ses mots, a expliqué avoir été entraînée dans un réseau de prostitution après avoir été confrontée à la pornographie lorsqu'elle était mineure. Quelle est votre position sur les mineures victimes de prostitution ? De quels leviers d'intervention disposez-vous ?
Enfin, je rappellerai que nous avons recueilli de nombreux témoignages d'enfants placés à l'ASE ayant subi des violences : des rabatteurs seraient présents devant les hôtels pour les entraîner dans un parcours de prostitution ! Que fait l'État pour lutter contre ce problème ? Plus globalement, ne faudrait-il pas remettre à plat l'ASE, dont le système semble s'effondrer, et ce malgré la bonne volonté des départements ?
Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État. - À ce stade, nous avons identifié quelque 135 Uaped et projets d'Uaped dans les agences régionales de santé (ARS) : quelque 56 d'entre elles sont conformes au cahier des charges, environ 19 doivent être mises en conformité avec le cahier des charges, et 60 sont encore en projet. Seuls 6 départements n'ont pas encore lancé de projet, mais vous pouvez compter sur l'engagement de la présidente de l'association La Voix de l'enfant, Martine Brousse, pour les inciter à les monter !
Nous partageons avec le ministre de la santé et avec votre commission l'idée selon laquelle la loi en vigueur ne fait pas obstacle à la révélation du secret médical. En revanche, le code de déontologie pousse beaucoup les professionnels à la prudence, ce qui constitue un blocage personnel et entraîne des jurisprudences pour le moins surprenantes. Nous pouvons toutefois noter que, dans une décision récente, le Conseil d'État est revenu sur la condamnation d'une infirmière sur ce sujet. Avec le ministre de la santé, nous entendons ouvrir un dialogue avec les différents ordres pour leur demander de clarifier leurs positions, afin que nous puissions déterminer la nécessité ou non de présenter un texte législatif permettant de clarifier les règles en vigueur.
L'enjeu des Uaped et de la plateforme téléphonique nationale que nous voulons mettre en oeuvre reste d'accompagner les intervenants libéraux - infirmiers ou masseurs-kinésithérapeutes, par exemple - pour qu'ils puissent être rassurés sur le respect du secret médical.
Sur la question de la formation, nous disposons de plusieurs vecteurs pour toucher l'ensemble des secteurs de la santé - la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) travaille sur ce sujet, et nous dialoguons avec les ordres ; si nos discussions ne sont pas concluantes, nous nous tournerons vers le législateur pour avancer.
La disposition du 7 février 2022 à laquelle Mme Meunier fait référence concerne plusieurs millions de travailleurs - le service du casier judiciaire devra absorber tout ce stock de personnes soumises au contrôle du Fijaisv, et plus simplement du bulletin n° 2 du casier judiciaire, dit B2. Étendre ces contrôles à l'ensemble des professionnels en contact avec les enfants risque de noyer le dispositif. Vous évoquez les professionnels du transport scolaire mais pourraient être rajoutées beaucoup d'autres professions comme les infirmières en services pédiatriques. Le processus de contrôle requiert en effet des interventions humaines pour établir ou non l'atteinte à la probité et vérifier auprès de la juridiction compétente si l'affaire a été classée.
Je suis plutôt d'avis de mettre en oeuvre la loi du 7 février 2022, qui est déjà importante. Nous préférons mettre en place un dispositif au travers duquel chaque professionnel sollicitera un certificat d'honorabilité, qui nécessitera une autre démarche, cette fois-ci individualisée, si la mention « néant » est indiquée.
Nous travaillons de sorte que ce dispositif soit mis en oeuvre au début de l'année 2023 - une dizaine de personnes sont en train d'être recrutées à cet effet. Pour autant, le contrôle en la matière ne sera jamais infaillible.
En matière de handicap - plusieurs membres du Gouvernement sont impliqués dans cette politique publique -, mon domaine de compétences me permet de traiter des sujets relatifs aux parcours de l'enfant tandis que celui de la ministre déléguée chargée des personnes handicapées est de s'intéresser au parcours de la personne tout au long de la vie. Nous travaillons en lien étroit, sur ces questions, avec M. Pap Ndiaye et Mme Geneviève Darrieussecq, tant elles sont prégnantes.
Actuellement, le nombre des diagnostics d'enfants souffrant d'un syndrome autistique ou de trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) augmente. Or, l'ensemble des troubles de l'acquisition est médicalisé et tous les troubles « dys » relèvent désormais du champ du handicap. Tout cela pose le problème de l'accompagnement des parents, souvent dépassés par ces difficultés, ce qui oblige - ce n'est pas un reproche - les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) à faire du social auprès d'eux... Nous avons constitué un corps d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) à part entière, à la suite des pressions que nous avons subies à la rentrée scolaire. Notre objectif est de répondre à ces questions au cas par cas et le mieux possible, tout en ayant une vision globale sur le sujet.
La déléguée interministérielle à l'autisme indique que de plus en plus d'enfants naissent avec des troubles du neurodéveloppement. Nous devons donc disposer d'une feuille de route complète à ce sujet - elle est élaborée par le Conseil national handicap - d'autant que les enfants recevant des prescriptions pour aller dans un institut médico-éducatif (IME) sont de plus en plus nombreux. Or, nous manquons d'IME, si l'on se réfère aux constats des MDPH !
Aussi, nous travaillons à instaurer de nouveaux dispositifs : nous avons déjà augmenté le nombre d'équipes mobiles - il en faut sans doute davantage -, nous avons récemment inauguré un dispositif où l'école se rapproche des IME ; enfin, nous devrons documenter l'ensemble des chiffres qui témoignent de l'explosion du travail des MDPH et des AESH. Cette feuille de route mérite deux ministres !
Nous nous apercevons que les placements des mineurs à l'ASE sont liés aux défaillances des dispositifs du handicap où ils ont été pris en charge auparavant, ce dont nous nous sommes aperçus dans les départements de la Seine-Saint-Denis et du Nord. Nous devons endiguer ce phénomène.
La situation des lieux de vie et d'accueil (LVA), qui a été mise en lumière récemment à la suite des révélations dont Le Canard enchaîné s'est fait l'écho, le 13 décembre dernier, est l'objet de toutes mes préoccupations. Face à la complexité de la situation d'un certain nombre d'enfants et face à l'évolution de la pratique éducative - en raison de la fin des internats dans les grands établissements -, des structures plus souples ont été créées pour répondre aux besoins des enfants, les LVA. Ils sont très demandés, puisque nous comptons un éducateur par enfant et parfois, deux pour un, si la semaine est entièrement prise en compte, le week-end compris.
Le problème, c'est la dispersion des enfants placés qui répond à une demande, mais également, il faut le dire, à une certaine logique économique. Cette situation renvoie à deux problèmes que j'érige en priorité de mon action : l'habilitation des services qui gèrent les enfants et l'augmentation des lieux de placement - certains départements ont besoin de 10 % de places en plus. Comme toujours, l'autorisation administrative passe après la bonne volonté d'accueillir les enfants. Dans mon audit, j'ai demandé à chaque département de vérifier que les LVA ont bien fait l'objet d'une autorisation administrative - les préfets sont impliqués, nous avons fait de cette demande une priorité.
À cet effet, j'ai demandé, dans le budget pour 2023, un renforcement des directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS) et de la DPJJ pour accompagner les départements dans une véritable stratégie de contrôle. La responsabilité de l'État est d'être aux côtés des départements, pour contrôler ces établissements : trop de services ne sont pas contrôlés, ce qui contribue à jeter l'opprobre sur ce métier, malheureusement !
Le sujet de la prostitution suscite une double inquiétude, en raison, d'une part, du nombre de mineures concernées, et, d'autre part, de la grande fragilité des mineures placées, qui sont des proies pour les rabatteurs. Je me rappelle avoir visité un foyer d'accueil dans le nord de Paris, où j'ai pu constater que huit jeunes filles portées disparues depuis deux jours étaient victimes des mécanismes de traite et de prostitution...
Le procureur général a établi un plan pour lutter contre ce phénomène ; nous avons financé une campagne de sensibilisation plutôt efficace, nous formons nombre de professionnels en la matière, et nous continuerons de le faire. L'enjeu est que nous réussissions à articuler cette démarche avec les services de police et de gendarmerie, afin que tous les services s'investissent dès qu'un enfant s'échappe.
Enfin, il faut clarifier les sanctions applicables aux proxénètes et aux consommateurs : avoir une relation tarifée avec une jeune fille de moins de quinze ans, c'est un crime, même si c'est tarifé ! Nous réfléchissons avec le ministre de l'intérieur et le garde des sceaux à la meilleure façon de faire passer ce message.
Mme Colette Mélot. - Nous avons grandement besoin que le personnel soit formé, afin de renforcer la prévention en matière de violences contre les mineurs. L'éducation nationale joue, à ce titre, un rôle très important, au travers de l'éducation à la sexualité et à la parentalité. Cela devrait être institutionnalisé, car trop de familles ne disposent pas des notions pour savoir ce qui doit se faire ou non.
Mme Pascale Gruny. - Sur les cas de violences, les interventions sont très rapides, en revanche, en cas de manquement éducatif - absence à l'école -, les délais sont bien plus longs. Pourtant, il s'agit déjà d'une carence éducative, qui peut cacher des maltraitances plus graves. Le juge n'enjoint pas aux parents de scolariser leur enfant.
Ma seconde question porte sur les visites médicales. Sont-elles régulièrement réalisées ?
M. Philippe Mouiller. - Madame la secrétaire d'État, j'ai apprécié vos propos : vous pourriez les relayer auprès de certains de vos collègues du Gouvernement...
Le débat sur la place des IME est un point essentiel. Les situations sont connues : les parents refusent de porter plainte de peur de perdre la place qu'occupent leurs enfants dans les établissements. Cela pose la question de la répartition des jeunes entre l'ASE et les établissements. Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, le nombre de places en IME a été diminué, alors que les besoins sont criants.
De plus, 1 500 jeunes Français sont aujourd'hui exilés en Belgique, comme l'a rappelé un récent rapport du Sénat : l'État paie des sommes importantes pour leur suivi. Or ce dernier est très inégal selon les établissements : j'ai eu l'occasion de m'en rendre compte personnellement lors d'un déplacement. Chaque année, nous votons un crédit de 90 millions d'euros dans le PLFSS en faveur d'un fonds d'urgence visant à éviter les départs en Belgique : celui-ci n'est jamais utilisé. Les MDPH ne sont plus en capacité d'orienter les personnes. Or la psychiatrie a toujours ses entrées directes avec la Belgique. Se pose ainsi la question de la transversalité sur ces sujets.
Nous avons évoqué la situation des AESH : le secteur médico-social n'est-il pas mieux armé que l'éducation nationale pour gérer ce volet ?
J'ai récemment participé à un colloque organisé par l'École nationale de la magistrature (ENM) sur la prise en charge des personnes handicapées lors des auditions de justice. Généralement, les jeunes concernés ne bénéficient d'aucune écoute, car la justice est incapable de prendre en compte leur parole.
M. René-Paul Savary. - Ma remarque se fonde sur mon expérience d'ancien président de conseil départemental : c'est le juge qui prend les décisions de placement et il revient aux conseils départementaux de veiller à la bonne exécution de la décision. De bonnes relations entre les deux institutions facilitent le placement, mais ce n'est pas toujours le cas. Autrefois, les services étaient bien dimensionnés pour prendre en charge les jeunes de nos départements en difficulté. Depuis l'arrivée des mineurs non accompagnés (MNA) - ils ne sont d'ailleurs pas toujours mineurs -, la charge a considérablement augmenté, au détriment des enfants dont nous avions la responsabilité. Vingt ans plus tard, ce problème est toujours d'actualité.
En outre, nous manquons de pédopsychiatres : vous avez fort à faire dans ce domaine, madame la secrétaire d'État.
Avec le rapprochement des fratries, on fait parfois entrer le loup dans la bergerie. Les choses sont difficiles à appréhender.
Nous étions soulagés de pouvoir compter sur la prise en charge des enfants par la Belgique. Dans mon département, sur 72 enfants, jamais les familles n'ont souhaité que les enfants soient rapatriés. J'ajoute que les établissements belges sont agréés.
« Signaler n'est pas dénoncer » : tel était le slogan d'une campagne qui visait à déculpabiliser les personnes attirant l'attention des services sociaux sur le cas d'un enfant en difficulté. Réitérons cette stratégie en vue d'améliorer la prise en charge des jeunes en difficulté.
Mme Laurence Rossignol. - Je me réjouis de vos propos sur la façon de traiter la prostitution des mineurs, madame la secrétaire d'État.
Certains proxénètes sont traduits en justice à l'occasion de grands procès. Mais les clients ne sont jamais inquiétés : c'est un véritable problème. Certes, des moyens supplémentaires sont nécessaires pour les enquêtes, mais le problème est ailleurs : la loi de 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel n'est pas appliquée. On ne peut pas, d'un côté, faire montre de complaisance envers un client sollicitant les services d'une personne majeure et, de l'autre, soutenir que le client ayant recours à un mineur est un criminel. Il est impossible d'avoir une telle approche dans notre politique pénale. Allez dire à des gamines que la prostitution est impossible quand celles-ci sont mineures, mais qu'à partir de 18 ans, cette pratique relève du glamour. Dans le cadre de la loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste, j'avais proposé que l'achat de services sexuels auprès d'une mineure âgée de 15 à 18 ans soit considéré comme un viol. Le garde des sceaux m'avait alors répondu qu'il ne fallait pas poursuivre « les pauvres gars » qui ne connaissaient pas l'âge de la prostituée : c'est bien là toute l'ambiguïté. Madame la secrétaire d'État, favorisez la bonne application de la loi de 2016 : cela facilitera la poursuite des clients ayant recours à la prostitution, parmi lesquels figurent les clients de personnes mineures.
J'en viens aux troubles divers dont souffrent de plus en plus d'enfants : pourquoi un tel accroissement ? Où en sont nos travaux de recherches ? Le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) et la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) publieront bientôt un rapport sur la médicalisation accrue et précoce des enfants. Mobilisons-nous collectivement sur les causes de ce phénomène de société.
Certaines séparations familiales se déroulent mal : les enfants sont alors les otages de la vengeance de l'un des parents et, en réalité, des pères.
M. Bernard Bonne. - Pas uniquement les pères.
Mme Laurence Rossignol. - J'insiste : statistiquement, dans la majorité des cas, c'est bien le père. Je plaide donc en faveur des juridictions spécialisées : le juge des enfants, le juge aux affaires familiales et le parquet doivent travailler ensemble au profit des familles rencontrant des problèmes. Il faut arrêter de confier des enfants à l'ASE parce que la famille dysfonctionne autour d'une séparation.
Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État. - Faut-il recentraliser l'ASE ? Pour avoir dirigé pendant longtemps les services de PJJ, j'estime qu'une telle décision prendrait beaucoup de temps à se concrétiser. En outre, l'ASE est une politique éminemment territoriale : il convient de prendre en compte les spécificités de chaque département. Elle exige également une coordination entre tous les acteurs : les décrets facilitant la création des comités départementaux pour la protection de l'enfance (CDPE), prévus par la loi du 7 février 2022, sont en cours de finalisation. Développons une stratégie d'offre et de contrôle et définissons des trajectoires pour les professionnels, selon la situation de chaque département. Les CDPE joueront un rôle important à l'avenir. De plus, je compte favoriser un renforcement des contrôles.
J'ai parfaitement conscience que l'ASE se situe au bord de la rupture. C'est un cercle vicieux : la qualité de la prise en charge diminue et l'on manque de professionnels. Il est urgent d'agir, notamment via les missions de contrôle de l'État.
Les assises de la santé aborderont le problème de la démographie médicale dans le secteur scolaire. La santé mentale des enfants, notamment celle des 13-16 ans, fait l'objet de signaux très inquiétants. Il faut mieux documenter ces situations : le handicap mental sert de paravent à des situations bien différentes, en cas de difficulté des parents à éduquer leurs enfants, notamment. On remplace l'accompagnement social par la délivrance de médicaments. Les problèmes sont mieux traités lorsqu'ils sont pris en compte rapidement.
Mme Laurence Cohen. - À cet égard, il faudrait desserrer l'étau sur le nombre d'orthophonistes, qui peuvent parfaitement prendre en charge les enfants atteints de « dys » et éviter ainsi une réponse médicale.
Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État. - Je suis d'accord.
Le décret visant à une nouvelle répartition entre départements des MNA est en passe d'être publié. Les MNA ont contribué à l'engorgement de l'ASE. Cela dit, un mineur doit être confié aux soins de la protection de l'enfance, quel que soit son statut. De plus, la présomption de minorité s'impose quand on ne connaît pas leur âge. L'évaluation de la minorité a progressé, mais elle reste hétérogène. Articulons mieux les dispositifs visant les majeurs avec ceux qui sont destinés aux mineurs.
La prostitution est un vaste sujet. J'aborde les choses avec pragmatisme : tout est bon à prendre lorsque l'on intente des procès aux criminels. Je pense que la peur du gendarme est une méthode efficace. De plus, notre pays a une approche complexe de la sexualité : on le voit dans les violences intrafamiliales. Nous devons progresser en matière d'éducation à la vie affective et sexuelle. Nous faisons face à une montagne : je pense que les procès médiatisés nous aident à avancer dans ce domaine.
La rédaction de neuf décrets d'application de la loi du 7 février 2022 est bien avancée.
M. Bernard Bonne. - Nous manquons de temps pour aborder en profondeur la question de l'application de loi relative à la protection des enfants. Je réitère mes propos tenus en séance le 8 décembre dernier : il serait intéressant, non pas de créer une délégation à la protection de l'enfance, mais de mener une mission d'évaluation sur les lois de 2007, 2016 et 2022. Nous avons adopté des avancées législatives - le Sénat a d'ailleurs fortement enrichi la loi, en proposant par exemple la création des comités départementaux pour la protection de l'enfance - mais nous n'avons pas toujours d'informations sur leur mise en oeuvre concrète.
Mme Catherine Deroche, présidente. - En tant que rapporteur du projet de loi, cette mission de suivre l'application de la loi promulguée vous incombe de droit.
Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État. - Les métiers de la protection de l'enfance se sont largement professionnalisés. Mais les acteurs sont perdus face à la multiplicité des textes et des prescriptions. C'est pourquoi je suis très intéressée par le travail que vous pourrez mener.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Je précise que la mission commune d'information avait été complétée par une mission conjointe de la commission des lois et de notre commission sur la question du secret professionnel et, notamment, du secret médical.
Merci beaucoup pour cet échange de qualité, madame la ministre.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 50.