Mercredi 14 décembre 2022
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 10 h 00.
Questions diverses
M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, la discussion de la loi de programmation militaire (LPM) pourrait intervenir en juin prochain au Sénat, ce qui aura des conséquences sur l'organisation de nos missions.
M. Rachid Temal. - Je voudrais revenir sur la séance budgétaire du 5 décembre dernier. Lors de l'examen de la mission « Aide publique au développement », nous avons été surpris, non du fait que la commission des finances dépose des amendements, ce qui est bien légitime, mais que ces amendements - pour mémoire, il s'agit des amendements II-4 et II-499 rectifié - aient été déposés sans échanges préalables, ni avec notre commission, ni avec les rapporteurs pour avis. On m'a dit que je devais me satisfaire d'un rabot de 200 millions d'euros de dépenses pour l'aide publique au développement, car le montant initialement envisagé était de 400 millions d'euros ! Monsieur le président, il me semble que cette méthode est désobligeante, et qu'il faut un minimum de décence et de respect dans nos échanges. Cela s'est terminé avec un scrutin public, pour s'assurer de l'adoption de l'amendement de la commission des finances...
Par ailleurs, cela fait un an et demi que nous demandons la mise en place de la commission d'évaluation et de contrôle sur l'aide publique au développement prévue par la loi du 4 août 2021. Si l'Assemblée nationale supprimait l'amendement II-1268 du Gouvernement, que nous avons soutenu, nous repartirions pour une nouvelle attente. Une partie de notre excellent travail collectif pour faire adopter la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales d'août 2021 se trouve détricoté, du point de vue financier comme de celui d'un des outils majeurs voulu par la commission. J'espère que la majorité sénatoriale sera plus sensible, les prochaines années, à l'importance de l'aide publique au développement.
M. Christian Cambon, président. - Je n'avais effectivement pas été prévenu par les rapporteurs de la commission des finances concernant cet amendement, également déposé par la majorité sénatoriale. Je n'ai pas soutenu cet amendement en séance, car je n'approuvais pas cette décision. Je regrette que certains de nos collègues prennent position sur ce sujet sans bien le connaître.
La position de la commission des finances me semble problématique. Il y a eu un écart par rapport à ce que le Sénat avait voté en 2021, qui n'est pas lié à notre commission, qui a fait un excellent travail sur l'aide au développement.
M. Rachid Temal. - Je le disais dans mon intervention.
M. Christian Cambon, président. - Je comprends l'objectif de réduire les dépenses publiques, mais le sujet méritait mieux. Concernant l'aide publique au développement, on pouvait par exemple critiquer les dépenses dus siège de l'Agence française de développement (AFD). Il faut mesurer ce sur quoi on veut faire porter les efforts, et non supprimer 200 millions ex abrupto. Au départ, il était question de réduire de 400 millions d'euros le budget. Nous avons diminué cette somme par deux. Si cela est de toute façon effacé par le 49.3, toute notre agitation ne sert à rien. Au sein du groupe majoritaire, plusieurs membres n'ont pas participé à ce vote.
Perspectives du processus de paix au Proche-Orient - Examen du rapport d'information
M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Nous allons maintenant examiner les conclusions du rapport d'information sur les perspectives du processus de paix au Proche-Orient. Je présenterai les principales conclusions du rapport, puis chacun pourra exprimer son point de vue ou celui de son groupe.
J'ai conduit du 26 juin au 2 juillet 2022 une délégation composée de nos collègues Olivier Cigolotti, Guillaume Gontard, Pierre Laurent, Sylvie Goy-Chavent et Nicole Duranton en Israël et dans les Territoires palestiniens de la bande de Gaza. Mickaël Vallet faisait partie de la délégation, mais il a été touché par la covid dès le premier jour et n'a pu participer à l'ensemble du programme.
Cette mission avait pour thème l'avenir du processus de paix au Proche-Orient, un sujet d'une haute sensibilité sur lequel nul d'entre nous n'ignore les divergences politiques qui existent au niveau international, entre les acteurs de la région, mais aussi à notre niveau sur la question de la reconnaissance de la Palestine comme un État souverain. C'est pourquoi, en accord avec le bureau de notre commission, j'avais demandé et obtenu une dérogation à nos règles de déplacement, afin que tous les groupes politiques du Sénat qui le souhaitaient soient représentés, avec donc sept sénateurs.
Après la résolution 181 de l'ONU de 1947, il y a 75 ans, et bientôt 30 ans après les accords d'Oslo instituant la solution à deux États, l'occasion nous était ainsi donnée d'interroger chacune des parties sur les chances de reprise d'un dialogue autour de la solution à deux États, sans ignorer le contexte d'extrême tension sécuritaire et politique qui entourait notre déplacement.
En effet, après la grave crise de Gaza de mai 2021, la situation n'a cessé de se dégrader avec, dans les trois mois précédant notre visite, la mort de 19 Israéliens tués dans des attaques terroristes et de plus de 60 civils palestiniens, du fait des forces de sécurité israéliennes ou de colons. Cette situation s'est depuis encore dégradée, avec un très net regain de violence en Cisjordanie et à Jérusalem, qui a connu un double attentat à l'explosif fin novembre.
Dans le même temps, notre mission a coïncidé avec la dissolution de la Knesset et le lancement de nouvelles élections législatives, les cinquièmes en moins de quatre ans. Comme vous le savez, ces élections se sont tenues le 1er novembre dernier et ont donné une assez large victoire au Likoud. À l'heure où nous parlons, Benjamin Netanyahou est toujours en train de négocier des accords de coalition, en vue de former un nouveau gouvernement.
Compte tenu de ce contexte, il est important de saluer l'excellent accueil qui nous a été réservé par la Knesset à Jérusalem puis par l'Autorité palestinienne à Ramallah. J'en profite également pour souligner les efforts déployés par notre ambassade, et ceux de notre consulat, qui a rendu possible la visite à Gaza de l'antenne de l'Institut français, ainsi que d'une usine de traitement des eaux financée par l'Agence française de développement (AFD) et l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Je souligne le formidable travail réalisé par la France dans les Territoires palestiniens.
Nous avons donc été reçus à haut niveau, et les deux parties, israélienne et palestinienne, nous ont exprimé leurs positions sur la question du processus de paix. Il est ressorti de nos entretiens et visites de terrain un état des lieux très inquiétant : une tension extrême, une montée des radicalismes et le risque d'une rupture irréversible du processus de paix.
Les priorités pour Israël, comme cela nous a été dit clairement, sont la sécurité et la lutte contre le terrorisme, le regard tourné vers l'Iran. De fait, nous avons vu que la crise de Gaza de mai 2021 a mis en évidence l'exposition de tout le territoire aux tirs de roquettes provenant de la bande de Gaza, du Hamas et du Jihad islamique, plus extrémiste encore, mais aussi du Liban et du Hezbollah. Nous sommes descendus dans les fameux tunnels creusés par les terroristes à la frontière entre le Liban et Israël, pour infiltrer le territoire israélien.
Les principales formations politiques de la Knesset que nous avons rencontrées sont convaincues que la principale menace sur l'existence de l'État d'Israël est l'Iran, en raison de son programme nucléaire et balistique ainsi qu'à cause de ses ramifications au Liban via le Hezbollah, ou dans les Territoires palestiniens, par l'intermédiaire du Hamas et du Jihad islamique.
L'échiquier politique israélien relègue la question palestinienne au second plan, compte tenu de la nécessité de composer avec des coalitions où les partis les plus radicaux rejettent toute relance d'un processus de paix. Ainsi, même si le parti Yesh Atid de Yaïr Lapid soutenait la solution à deux États, il n'a pu progresser sur ce sujet en raison de l'absence d'accord de plusieurs partis de sa coalition. Il n'en sera pas autrement pour la nouvelle coalition que Benjamin Netanyahou s'efforce de mettre en place, dont certains membres soutiendraient même l'idée d'une annexion de la Cisjordanie.
Pour l'Autorité palestinienne, la reconnaissance de la souveraineté de la Palestine constitue toujours l'objectif politique majeur.
De notre entretien avec le Premier ministre, Mohammad Shtayyeh, nous avons bien saisi l'appel en direction de la France et de l'Europe face au désengagement américain et à l'absence d'initiative en faveur d'un processus politique de résolution du conflit israélo-palestinien. Plus largement, la viabilité d'une Palestine indépendante est remise en cause par la poursuite de la politique de colonisation et la discontinuité territoriale des Territoires palestiniens, dont on prend bien la mesure sur place.
De nos visites à Bethléem, Hébron et Jérusalem-Est, nous comprenons le découragement devant l'absence de perspective d'accession à l'indépendance et la dégradation généralisée de la situation. À Hébron, des rues de la vieille ville sont fermées par des murs, de chaque côté desquels les populations s'épient et s'agressent. Cette perte d'espoir et de perspectives est en soi un important facteur de risque. Concrètement, l'Autorité palestinienne pourrait être débordée par des mouvements encore plus radicaux que le Hamas.
Les éléments que nous vous livrons ici ne sont bien sûr que très partiels, et plus de précisions figureront dans le rapport. Toujours est-il que si j'ai veillé à respecter un équilibre dans l'organisation de cette mission entre nos partenaires israéliens et palestiniens, cela ne signifie pas que nous jugions la relation entre Israël et les Territoires palestiniens comme égale et équilibrée. Mes collègues, et notamment Pierre Laurent et Guillaume Gontard, pourront compléter mes propos sur l'asymétrie des rapports israélo-palestiniens, dans lequel seul Israël détient les pouvoirs d'un État souverain, et sur le nécessaire respect du droit international. Le rapport rappellera bien sûr la position de la France en faveur de la solution à deux États, avec d'une part le droit d'Israël à exister et à vivre en sécurité, et d'autre part la création d'un État palestinien, vivant dans des frontières sûres et reconnues. Cette position va de pair avec le respect du droit international et la condamnation ferme de toute politique de colonisation.
J'en viens au rôle de la France. Nos interlocuteurs nous ont fait remarquer que la France continuait à avoir un rôle à jouer en raison de son influence dans la région, notamment au Liban, en Jordanie et en Égypte, mais aussi de par sa présence institutionnelle et historique, notamment au titre de ses domaines nationaux de Jérusalem et de l'antenne de l'Institut français à Gaza, laquelle se situe dans une zone ayant connu de nombreux bombardements. C'est une fierté de voir que la France est présente auprès de la population de Gaza, pour offrir un regard sur le monde et sur notre culture à des habitants dont la plupart ne sont jamais sortis de l'enclave - notons qu'aucune mission sénatoriale ne s'était rendue à Gaza depuis près de 18 ans.
Côté israélien, il y a une demande et un intérêt mutuel bien compris de renforcement du dialogue politique et interparlementaire. Côté palestinien, nous avons bien entendu le besoin de soutien financier et politique que la France peut apporter soit directement, soit par son entremise avec l'Union européenne et les Nations unies.
J'en viens maintenant à nos conclusions sur cette mission. Soyez rassurés, nous n'avons pas la prétention de proposer des recommandations sur un dossier qui n'a pas pu être réglé en 75 ans. On voit bien ce que deviennent les plans de paix et les conventions internationales de toutes sortes. Je me contenterai de vous proposer tout au plus quelques constats et quelques pistes de réflexion consensuelles, élaborées par l'ensemble des commissaires ayant réalisé ce déplacement.
S'agissant des constats, force est de reconnaître que le processus de paix se trouve dans une triple impasse de politique intérieure israélienne - l'élection de Benjamin Netanyahou ne devrait d'ailleurs pas favoriser les choses -, de déficit de légitimité de l'Autorité palestinienne et de paralysie du « Quartet pour le Moyen-Orient » composé des États-Unis, de la Russie, de l'Union européenne et des Nations unies. Mais le statu quo est-il possible ? La solution d'un État unique trouve un écho auprès de Palestiniens qui désespèrent du blocage du processus de paix et espèrent un meilleur développement économique, mais cette solution est-elle viable et acceptable ?
Toutes les parties prenantes s'accordent sur le fait que la solution à deux États n'est pas viable dans les paramètres actuels. Mais pour autant, il ne faut pas oublier que le statu quo et l'absence de résolution du conflit israélo-palestinien restent une source de danger pour la société israélienne elle-même : la crise de Gaza a embrasé la société israélienne avec des affrontements intra-israéliens entre juifs et arabes, bien au-delà de l'affrontement entre Israël et le Hamas.
La solution à un seul État a semblé poser des problèmes insurmontables à tous nos interlocuteurs, qu'il s'agisse de problèmes démographiques ou consubstantiels à la judéité de l'État d'Israël, mais aussi, du point de vue palestinien, des risques de ségrégation et d'apartheid pour les droits des Palestiniens.
Aussi, pour reprendre le célèbre aphorisme de Winston Churchill, nous pourrions en arriver à la conclusion que la solution à deux États est la pire des solutions, à l'exception de toutes les autres.
J'en viens donc aux pistes de réflexion que nous proposons. Comment redonner un espoir au processus de paix, avec un horizon politique et un nouvel agenda ?
Il faut admettre que la solution à deux États est devenue une posture purement incantatoire, dans laquelle les parties, la communauté internationale et nous-mêmes, avec notre diplomatie, nous nous sommes enfermés. Soutenir concrètement la solution à deux États doit nous conduire à établir un diagnostic qui tienne compte des nouveaux paramètres de la situation et de ce que veulent vraiment les populations, en Israël et en Palestine.
Nous proposons de fixer comme premier objectif que la France et l'Union européenne reprennent l'initiative politique, afin, dans un second objectif, de réfléchir à une nouvelle feuille de route, un nouvel agenda « pas à pas » pour le processus de paix. Cette expression a été reprise avec insistance par plusieurs de nos interlocuteurs : les plans tout faits, comme celui de Jared Kushner, sont voués à l'échec, et le processus sera très lent. Pour mettre en oeuvre ces deux objectifs, nous vous proposons douze pistes de réflexion.
La première, c'est de réaffirmer que la solution à deux États est la seule voie possible et acceptable par toutes les parties. Il vaut mieux tordre le cou à l'idée d'un seul État, rejetée par les deux parties pour des raisons différentes.
Notre deuxième proposition est de préparer, à l'initiative de la France, une conférence internationale pour établir un diagnostic et étudier les paramètres d'une relance du processus de paix israélo-palestinien. Mais, pour qu'il ne s'agisse pas d'une énième conférence internationale sans lendemain, il faudrait qu'un groupe de travail s'attache en amont à élaborer avec toutes les parties prenantes un nouveau diagnostic de la situation, en remettant à plat les paramètres d'application de la solution à deux États et cesser d'en parler de manière incantatoire. Tant du côté israélien que du côté palestinien, les choses ont énormément changé : il faut prendre en compte les évolutions de la population et des problématiques internationales, comme le fait que les Palestiniens se sentent oubliés, y compris du monde arabe. Avant d'organiser une conférence internationale, il faut donc un groupe de travail réunissant toutes les parties prenantes pour établir un nouveau diagnostic de la situation.
Notre troisième proposition est d'appeler l'Union européenne à s'emparer du volet politique du processus de paix, en plus de son rôle de bailleur financier et humanitaire. Nous ne pouvons que constater qu'en matière diplomatique et politique, l'Union européenne est trop absente.
Notre quatrième proposition est d'associer à la démarche les États riverains, l'Égypte, la Jordanie et le Liban, ainsi que les pays partenaires des accords d'Abraham. La commission des affaires étrangères a réalisé ou va mener en 2023 des déplacements dans ces pays, et il nous faut réunir les travaux des rapports précédents. Les accords d'Abraham méritent de faire l'objet d'un examen précis, car des pays qui se combattaient autrefois s'entendent désormais pour des intérêts régionaux qui dépassent le sort des populations, comme la confrontation entre l'Arabie Saoudite et l'Iran en témoigne.
Notre cinquième recommandation est de s'appuyer sur la mission institutionnelle de la France en Israël et en Palestine, au titre notamment des domaines nationaux de la France à Jérusalem, de l'Institut français de Gaza et de ses actions de coopération en matière de développement. La présence française est immédiatement identifiable, notamment dans le domaine culturel, mais pas seulement.
Notre sixième proposition est d'intensifier les relations interparlementaires, notamment pour préciser le diagnostic et les paramètres de relance du processus de paix. Israël se plaint d'insuffisants contacts, tant entre les dirigeants gouvernementaux qu'entre les parlements, et notamment entre les groupes d'amitié. Entendons-les.
Pour le second objectif, qui vise à promouvoir une nouvelle feuille de route, voici six autres préconisations.
D'une part, il faut recenser les irritants et réfléchir à une levée progressive des points de blocage de la solution à deux États.
Puis, nous devons examiner les conditions d'implantation à Jérusalem-Est d'une capitale de droit pour la Palestine. Ce sujet est épineux, car le contentieux revient de manière permanente, le principal argument avancé par les Palestiniens pour ne pas organiser d'élections étant qu'Israël ne permet pas l'organisation de ces élections à Jérusalem-Est.
Notre troisième recommandation est de réfléchir à la question de la reconnaissance officielle de l'État de Palestine, à condition de l'assortir d'un calendrier partagé d'accession « pas à pas » à la souveraineté, cette progression devant permettre de faire accepter la situation nouvelle.
Quatrième recommandation, il faut fixer un agenda démocratique pour la Palestine avec une garantie internationale sur le déroulement du scrutin en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est. Une part des critiques faites aux Palestiniens est d'être incapables d'introduire un processus démocratique : il n'y a pas eu d'élection depuis 16 ans. En plus de l'opposition entre le Hamas et l'Autorité palestinienne, le Jihad islamique apparaît encore plus radical que le Hamas.
Notre cinquième recommandation est d'appeler Israël à abandonner la stratégie de colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Lorsque l'on visite Israël, les murs et les séparations sont effroyables. À Hébron, l'hostilité entre les deux communautés est la plus forte. Dans une rue qui sépare les deux communautés, les Israéliens ont l'habitude de jeter les pires déchets sur la tête des Palestiniens, et la rue doit être couverte de grillages de protection. Nous avons constaté dans cette ville de très fortes tensions entre les communautés, et notamment l'hostilité de colons juifs d'origine américaine.
Enfin, nous terminons par un voeu pieux : celui d'engager les parties à s'abstenir de toute provocation ou action susceptible d'aggraver la situation, afin d'engager une désescalade de la violence.
J'ai résumé nos principales pistes de réflexion qui font l'objet d'un consensus. Je propose que les collègues ayant participé à cette mission éreintante et passionnante prennent désormais la parole.
Nous reviendrons peut-être sur le fait que j'ai dû personnellement insister auprès des autorités militaires et intervenir auprès de la Knesset pour obtenir, grâce à cette dernière, que nous puissions entrer à Gaza, alors que ce voyage avait été négocié depuis longtemps, avec un engagement de notre part sur le programme des visites. Nous avions également dû insister pour voir les installations du « dôme de fer ».
M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - Je souscris aux conclusions présentées par notre président et m'associe aux remerciements qu'il a adressés à nos hôtes de la Knesset et de l'Autorité palestinienne. J'ajoute que sans l'engagement de nos diplomates - nous étions parfois aux limites de l'incident diplomatique - nous n'aurions certainement pas pu faire un tour d'horizon aussi complet aux frontières nord et sud d'Israël, ainsi que dans les Territoires palestiniens, notamment à Gaza.
Pour ma part, et en complément de ce que vient d'exposer le président, je voudrais mettre en évidence la vulnérabilité d'Israël face aux attaques aériennes, pouvant provenir de la menace balistique iranienne ou de groupes armés, le Hezbollah à partir du Sud Liban, le Hamas et le Jihad islamique depuis Gaza.
Cette situation explique l'expertise qu'a développée l'industrie de défense israélienne, notamment l'entreprise Rafael avec le concours américain, pour développer le système antiaérien dit « dôme de fer ».
Mes collègues pourront confirmer les difficultés « administratives » que nous avons dû surmonter pour pouvoir visiter une batterie de ce « dôme de fer » à proximité de la bande de Gaza. Il faut se rendre compte que lors de la crise de Gaza de mai 2021 plus de 4 000 roquettes ont été tirées depuis Gaza, faisant 12 morts et 355 blessés côté israélien. Je n'oublie pas de dire qu'en représailles, les bombardements israéliens ont provoqué du côté palestinien 248 morts et 1 910 blessés.
Israël disposait déjà d'un dispositif de défense passive matérialisé par des abris dans les résidences individuelles ou collectives. Nous avons pu nous en rendre compte lors de la visite d'un « moshav » se situant à quelques centaines de mètres du mur de séparation construit autour de Gaza. Le temps imparti pour se rendre à un abri va de quelques secondes à 3 minutes au maximum, selon le lieu où l'on se trouve. Aussi l'armée israélienne a-t-elle mis en place ce système antimissile, dont le dispositif de détection et de calcul des trajectoires permet d'intercepter environ 90 % des roquettes tirées vers les zones habitées.
La délégation a pu également se rendre compte de tout l'arsenal sécuritaire développé par les forces israéliennes de défense sur la « ligne bleue » à la frontière nord avec le Liban, et visiter un des tunnels creusés par le Hezbollah sous la frontière.
Bien sûr, il faut se montrer circonspect sur les impressions que l'on peut avoir sur les lieux tant la situation est complexe. Ainsi, nous n'avons pas pu nous rendre sur le plateau du Golan.
Plus largement, c'est sur le terrain que nous pouvons mesurer la dimension sécuritaire de la politique israélienne, avec une jeunesse en arme du fait du service militaire obligatoire, l'omniprésence des murs et des checkpoints séparant les différentes zones de Cisjordanie.
M. Pierre Laurent, rapporteur. - Je remercie le président Cambon pour l'organisation de notre visite et la qualité du travail de la délégation, y compris dans les moments tendus. Je partage les recommandations du rapport : dans la situation actuelle, elles sont importantes.
Sans rentrer dans les détails, j'ai fait remarquer au président que le rapport fait état de nos discussions et de nos impressions d'un côté et de l'autre, mais qu'il ne faut pas que cela efface la dimension totalement asymétrique de la situation. Comme nous le disons dans le rapport, le processus d'accession à la pleine souveraineté des Palestiniens sur les territoires occupés n'a jamais eu lieu. Il y a une puissance occupante et colonisatrice, et une autre qui subit la situation.
La présence palestinienne ne doit pas être réduite à celle de plusieurs groupes plus ou moins radicaux. Il y a une non-reconnaissance des droits de 6 millions de Palestiniens, qui ne peuvent pas vivre normalement, ce qui rend la situation intenable. Nous avons pu vérifier la réalité de la formule selon laquelle Gaza, territoire totalement fermé, est une prison à ciel ouvert. Selon les Israéliens, 14 000 permis de travail sont délivrés ; autant dire, en comparaison avec les deux millions d'habitants de la bande de Gaza, que personne n'entre ni ne sort. Nous avons nous-mêmes éprouvé les conditions de contrôle des entrées et des sorties : la situation humanitaire est très grave. Heureusement que l'UNRWA est sur place, pour tenir à bout de bras la situation humanitaire, notamment pour la scolarisation : sans elle, la situation serait encore plus dramatique.
Nous avons visité Gaza et Hébron. Auparavant, j'étais déjà allé dans les territoires occupés, où les atteintes aux droits humains sont quotidiennes, permanentes et insupportables, où la politique de colonisation progresse et continue d'aggraver la situation.
Dans ces conditions, malgré toutes les difficultés, il est important de réaffirmer la solution à deux États. La solution à un État, évoquée par certains, n'a aucune viabilité réelle. Nous devons reprendre l'idée d'une conférence internationale à l'initiative de la France, et reparler de la reconnaissance de l'État de Palestine.
Nous proposons également une recommandation de garantie internationale pour permettre aux Palestiniens de tenir leurs élections. L'absence d'élections constitue une réelle difficulté, compte tenu du déficit d'autorité de l'Autorité palestinienne.
Ma dernière remarque est que dans la région il y a un très grave problème d'impunité internationale. Il faudrait émettre une recommandation pour affirmer que la France agira pour que cette impunité ne perdure pas. Le gouvernement israélien qui se prépare n'arrangera pas la situation, et ne peut agir en toute impunité, en bafouant le droit international. La passivité de la communauté internationale devient très problématique.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je partage entièrement les propos de Pierre Laurent. Ce voyage était important, et j'en remercie le président Cambon. En cette période, le conflit israélo-palestinien passe en deçà des radars, on a l'impression de ne plus rien avoir à y faire ; il faut au contraire le rendre à nouveau visible.
Cette délégation n'a pas toujours été facilement conduite. Nous avons dû insister, notamment pour nous rendre à Gaza, ce qui était très important. Je souscris totalement aux importantes recommandations du rapport.
C'était la première fois que je me rendais dans cette région. On n'en revient pas indemne : voir la réalité de la situation dans les territoires occupés, le contexte politique en Israël, et les problématiques qui se posent des deux côtés, entre l'exigence des Israéliens de vivre en sécurité et les événements dramatiques côté palestinien, permet d'appréhender les choses autrement.
J'ai ressenti une très forte tension, et perçu le danger que représente l'absence de perspectives. Avec les députés israéliens et les habitants palestiniens, nous en avons discuté : ils ont conscience que cela ne peut durer ainsi. La jeunesse palestinienne est très vive, s'investit dans son pays, veut passer à autre chose et vivre en sécurité.
Je partage l'ensemble des recommandations, mais il faut peut-être mettre en avant le respect des règles internationales. On ne pourra pas avancer sans condamner clairement et fermement la colonisation, premier problème qui se pose actuellement. Il ne suffit pas de condamner : il faut des sanctions claires contre la colonisation, à Hébron comme sur l'ensemble du territoire. Il faut une prise de conscience internationale, dans laquelle la France et l'Europe peuvent jouer un rôle important.
Il faut affirmer que la solution à deux États reste la seule solution. Qu'impliquerait la solution à un État ? Des citoyens de seconde zone ? Il n'y a aucune perspective pour la solution à un État. Il faut donc reconnaître l'existence de l'État palestinien. Une résolution du Sénat de 2014 avait reconnu la réalité de l'État palestinien : c'est un préalable qu'il faut réaffirmer.
Concernant l'avancée « pas à pas », nous nous demandons quels peuvent être les déclics pour déclencher les discussions et ouvrir des perspectives. La question des élections me semble pouvoir aller dans ce sens. Depuis 2005, il n'y a pas eu d'élections palestiniennes, à part quelques élections locales ; une génération n'a jamais pu peser sur l'avenir de son pays. Cela ne peut plus durer : la jeunesse demande des perspectives. La communauté internationale ne doit pas avoir peur d'encadrer des élections : on avance souvent que le Hamas représente un risque, mais il ne faut pas avoir peur de la démocratie, qui reste un levier important pour avancer. La communauté internationale, la France et l'Europe doivent jouer un rôle.
Mme Nicole Duranton, rapporteur. - Je souhaite revenir sur deux temps forts de notre mission : nous avons pu aller à Gaza, grâce à l'ambassadeur de France et à nos collègues de la Knesset, mais surtout à la pugnacité de notre président. Merci encore : cela faisait partie de notre programme, nous devions aller à Gaza, et nous y sommes allés.
La France y est présente physiquement, par une antenne de l'Institut français. C'est d'ailleurs la seule représentation officielle d'un État européen et occidental dans ce territoire. Je souhaite à cette occasion rendre hommage aux agents de nos services consulaires, ainsi qu'aux Gazaouis, qui y trouvent un lieu de culture, d'échange et de calme dans ce qu'il faut bien nommer une prison et une déchetterie à ciel ouvert.
Le président l'a déjà dit, mais c'est sur place qu'il faut se rendre compte de l'utilité de l'aide que la France apporte par l'AFD et par les Nations unies ; 70 % de la population y vit sous le statut de réfugié.
Lors de la visite de l'Institut français, j'ai échangé avec trois jeunes étudiants gazaouis, qui ne sont jamais sortis de Gaza. Nos échanges ont été très riches et émouvants. La population de Gaza est privée de liberté de circulation ; il n'y a pas d'eau potable, d'éducation, de santé. Tout est à revoir. Mais malgré cette situation, ces jeunes restaient confiants, déterminés et volontaires. Ils se disaient heureux de pouvoir étudier et de fréquenter l'Institut français. Malgré les mesures d'occupation, le chômage et l'absence de perspective, ils gardent espoir et continuent de s'accrocher à la vie. Quel témoignage extraordinaire ! Grâce à cette jeunesse, Gaza garde l'espoir d'une vie meilleure, et toute la Palestine pense à l'avenir. Ces jeunes m'ont donné une leçon de vie. De jeunes francophones ont créé un site d'information en français, « Gaza en français », pour informer le monde francophone, et partager leur vie quotidienne à Gaza ; pour eux, partager, c'est continuer à vivre. J'ai été très émue d'échanger avec ces jeunes.
Le second temps fort a été celui de la visite de la vieille ville d'Hébron, où la situation dépasse l'entendement. Depuis 1997, et plus encore à la suite de la deuxième intifada en 2000, la vieille ville d'Hébron comporte une enclave israélienne étroitement surveillée par l'armée - nous-mêmes étions en permanence suivis par des soldats israéliens. Cette situation se caractérise par une imbrication de la colonie au sein même de la cité, avec par exemple les rez-de-chaussée d'une rue appartenant à des Palestiniens, tandis que les étages et les terrasses sont condamnés et sous contrôle militaire, surveillés par des caméras. Le cycle des violences intercommunautaires est dur et tenace. On toucherait à l'absurde si cet exemple d'enfermement mutuel n'était pas le symbole du déni de toute fraternité humaine. On se demande d'ailleurs qui enferme qui...
Pour autant, je ne souhaite pas réduire l'ampleur du conflit israélo-palestinien ni sa complexité à la seule détresse des Palestiniens.
Nous avons vu combien la vie quotidienne côté israélien comporte d'angoisses sur la survenue d'un attentat ou d'une attaque. Le soir même de notre arrivée à Jérusalem, nous avons été confrontés au bouclage de la vieille ville à la suite d'une tentative d'attaque au couteau. Certains arrêts de bus sont encadrés par des militaires postés et en armes, ce qui illustre l'état de tension de la vie quotidienne.
Aussi, dans le contexte de la guerre en Ukraine, qui détourne l'attention internationale du conflit israélo-palestinien, la paix au Proche-Orient ne doit pas cesser d'être une priorité. Comme le Président de la République est parfois seul à le rappeler à nos interlocuteurs, qu'ils soient israéliens, américains ou européens, la résolution du conflit israélo-palestinien ne doit pas passer au second plan derrière la menace iranienne ou les accords d'Abraham.
Je vous remercie pour ce déplacement, monsieur le président, mes chers collègues, ainsi que M. Patriat, qui m'a permis de participer à ce déplacement au nom de notre groupe.
M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Nous souhaitions faire ce déplacement depuis longtemps. Nous n'en ressortons pas très optimistes ; les éléments de fonds ont énormément changé. Les hommes politiques israéliens disent que le problème n'est plus de savoir s'il faut privilégier la solution à un ou à deux États, mais que le seul problème, c'est la sécurité et l'Iran, qui ne doit pas avoir la bombe nucléaire.
M. Cédric Perrin. - Merci pour vos témoignages. Concernant le « dôme de fer », la soutenabilité économique du système a-t-elle été évoquée ? Des missiles à bas coût sont interceptés par d'autres qui coûtent très cher. En Europe, un système similaire pourrait se développer.
M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - L'aspect financier n'a pas été évoqué. L'ensemble de ces batteries est souvent manoeuvré par de jeunes recrues, souvent des femmes. La préoccupation majeure est l'efficacité : 90 % des tirs sont interceptés, par un mode de calcul impressionnant. L'aspect financier n'est pas la priorité, contrairement à l'efficacité, la détection des tirs et l'interception par une batterie ou une autre, qui sont réparties avec un maillage précis du territoire.
M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Il faut comprendre que, par rapport au projet allemand ou aux problématiques de défense aérienne, ce système marche très bien parce que les distances sont très courtes. C'est la difficulté de mise en oeuvre de ce dispositif : les radars extrêmement précis permettent de détecter le tir au moment où il intervient.
Un taux important de ces tirs retombe dans les champs. Ce sont les zones urbaines qui sont protégées. Les servantes de ces batteries sont des jeunes recrues, venant souvent d'Europe ou d'ailleurs, formées lors d'un service militaire long, qui dure deux à trois ans.
Mme Gisèle Jourda. - Dans cette commission, où nos rapports sont souvent très suivis, je n'ai jamais entendu un rapport ayant autant de sens. Les pistes de réflexion proposées sont les seules que l'on puisse émettre : elles sont sages et clairvoyantes.
Il faut reprendre la piste à deux États, organiser une conférence internationale, et reconnaître l'État palestinien. Je remercie la délégation pour ces témoignages.
À Carcassonne, depuis longtemps, nous avons instauré un lien avec Gaza, mais depuis trois ans, les associations ne peuvent plus la rejoindre, alors que pendant de nombreuses années c'était possible. Je regrette que ce type de liens ne puisse plus être entretenu.
Avec cet enfermement des Territoires palestiniens, je ne me pose pas la question de savoir qui enferme qui : la réponse est claire. Il faut soutenir la présence des associations internationales.
Concernant la question sanitaire et l'accès aux soins de la population, la démographie va jouer un rôle. Mais au quotidien, pour pouvoir se soigner ou même accoucher - je me souviens du témoignage d'un médecin palestinien qui devait passer plusieurs checkpoints pour travailler et qui est d'ailleurs décédé dans une attaque - la situation est digne de celle d'un État occupé, en guerre constante.
Ce rapport n'est pas une restitution comme les autres. Comment humaniser cette situation occultée par une avalanche d'autres événements, qui n'apparaît plus sur les chaînes d'information en continu, alors que le problème nous concerne tous ? Je termine par une interrogation personnelle : comment un peuple persécuté peut-il en persécuter un autre, avec l'appui de certaines grandes puissances ?
M. Christian Cambon, président, rapporteur. - L'entrée à Gaza est une épreuve incroyable, où il faut passer trois niveaux de contrôle : Israël, l'Autorité palestinienne, et officieusement le Hamas. Nous, qui étions une délégation officielle, avec un drapeau, nous y avons passé un temps fou. Depuis, c'est terminé : si nous refaisions ce voyage aujourd'hui, nous ne pourrions plus passer. Il n'y a plus qu'un seul point d'entrée dans Gaza depuis l'Égypte.
L'aire d'échange des marchandises, située à Kerem Shalom, est invraisemblable. Dans un désert se trouve un campement gigantesque de douane, hypersurveillé, où des camions déposent des marchandises, qui sont ensuite chargées sur d'autres véhicules, puis déposées 600 mètres plus loin pour rentrer dans Gaza, avec à chaque fois des contrôles. Le transit des marchandises est déjà très difficile, alors pour les personnes... Une autorité souveraine peut décider qu'aujourd'hui personne ne passe. Aucune ONG classique ne peut passer, à l'exception de l'UNWRA, qui porte le système social de Gaza. Nous en avions d'ailleurs reçu le directeur général au moment de la suppression de la subvention des États-Unis - depuis, M. Biden l'a en partie rétablie. Il suffit de passer une journée à Gaza pour comprendre tout de suite que l'on y vit comme dans un territoire du milieu de nulle part. Pour cette raison, la présence française fait chaud au coeur : l'Institut français est comme une bulle de bonheur, mais il y a eu des bombardements juste à côté qui ont affecté l'Institut.
M. Pierre Laurent, rapporteur. - Mme Jourda a évoqué la situation sanitaire à Gaza, complètement fermée. Mais ce qui est vrai à Gaza est également vrai dans les autres territoires, où la possibilité de vivre et de se déplacer s'est largement dégradée. Nous l'avons vu à Hébron, où la situation est la pire, mais sur tout le territoire les murs se multiplient. En Cisjordanie occupée, il y a un double système routier, un pour les colonies, et un autre, utilisé par les Palestiniens, avec des checkpoints partout. Il est impossible d'aller se faire soigner à Jérusalem ! La dégradation de la vie humaine est partout insupportable.
Notre mission a démarré par la visite de Yad Vashem. Une guide, âgée, ayant vécu en France, nous a fait vivre l'émotion incroyable de cette histoire. Quand on passe de ce mémorial aux territoires occupés, le choc est particulièrement perturbant, et engendre des interrogations très fortes.
M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - J'insiste sur l'image très positive dont bénéficie la France à Gaza. De l'autre côté de la rue de l'Institut français se trouve le siège du Hamas, d'où la proximité immédiate de certains bombardements. Les personnels de l'Institut effectuent un travail extraordinaire, en accueillant les jeunes de manière exceptionnelle compte tenu des difficultés rencontrées dans ce territoire. Heureusement que les Nations unies sont également présentes pour l'aide humanitaire, l'alimentation et le sanitaire : la situation à Gaza serait encore pire sans ces instances internationales.
Mme Nicole Duranton, rapporteur. - J'ai échangé avec le personnel de l'Institut français. Des Palestiniens sont obligés de suivre des chimiothérapies à Jérusalem, et doivent réaliser un parcours du combattant, celui-ci restant au bon vouloir des soldats israéliens, qui peuvent les empêcher de passer au dernier moment. L'arbre de Noël des enfants du personnel est organisé chaque année à l'ambassade de France à Jérusalem, pour le personnel palestinien de l'Institut. Les demandes doivent être faites trois mois auparavant. Parfois, les soldats acceptent que les enfants passent, mais pas leurs parents. Ces témoignages sont édifiants. Nous ne pouvons pas revenir indemnes de ce déplacement.
M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Nous-mêmes avons été fouillés...
M. Gilbert Roger. - Je suis heureux que cette mission ait pu être organisée, même si j'ai regretté de ne pas avoir pu vous accompagner, pour des raisons médicales.
Je connais la Palestine et Israël depuis bien longtemps. J'ai toujours reçu des interdictions d'entrer à Gaza. Lors des différentes missions que j'ai organisées, je me suis rendu à la Knesset, où il y avait également des refus. Il est très bien que M. Cambon ait fait passer le message : on ne doit pas permettre de trouver des prétextes pour nous interdire d'entrer à Gaza.
Le rapport formule de belles recommandations. Mais quelle sera la suite ? Le Sénat pourra-t-il mettre les fers au feu pour relancer le processus ?
Je n'aurais pas forcément exclu, dans un préalable, de faire discuter Palestiniens et Israéliens, devant la communauté internationale, de la solution à un seul État. Il faut pousser cette logique à son bout pour montrer que la solution à deux États est peut-être la moins bonne solution, mais qu'il n'y en a pas d'autre, pour paraphraser Churchill.
Par ailleurs, j'étais sur un plateau télévisuel en direct de Tel-Aviv hier soir ; j'y suis invité régulièrement, car j'y représente une certaine opinion de la France vis-à-vis de la Palestine. Le gouvernement Netanyahou n'arrive pas à se monter actuellement. Le Premier ministre avait annoncé que tout serait réglé en un jour. Or nous en sommes à une date butoir : si dans une semaine il n'a pas présenté de gouvernement, son élection tombe.
Les Israéliens ont élu en catastrophe un président de la Knesset par intérim, pour débattre de lois ; mais le premier projet de loi débattu concernera l'autorisation pour Israël de relancer le processus de colonisation, et d'autoriser l'implantation de colonies dans des zones jusqu'à présent jamais touchées, en particulier à Gaza. Hier soir, je disais que si le gouvernement tentait cela, que si les colons forçaient le passage à Gaza, il y aurait la guerre. Nous ne sommes pas sortis de l'auberge...
L'autre gravité, c'est l'extrême faiblesse que représente l'absence d'élections démocratiques contrôlées par les autorités internationales en Palestine. Je l'ai redit il y a une dizaine de jours, lorsque j'ai reçu au nom du Sénat une délégation palestinienne, à la demande du Président Larcher. Ils avancent que cela tient à la situation à Jérusalem ; je réponds qu'il faut laisser faire les autorités internationales, qui disent bien que Jérusalem sera la capitale de deux États.
J'aurais rajouté une treizième recommandation : faire que les deux groupes interparlementaires d'amitié, France-Israël et France-Palestine, se réunissent dans une même salle au Sénat. J'avais posé la question à Philippe Dallier lorsqu'il était sénateur ainsi qu'à Roger Karoutchi, mais même au Sénat on n'arrive pas à réunir ensemble les deux groupes d'amitié ! Voilà un autre voeu pieux...
M. Alain Cazabonne. - Merci pour vos témoignages. Le conflit palestinien me fait parfois penser aux problèmes entre la France et l'Allemagne, ces deux États s'étant battus pendant des années pour le charbon et l'acier, avant que la Communauté européenne du charbon et de l'acier (Ceca) ne permette la paix.
Là se rajoute l'aspect religieux : il faut accepter de partager Jérusalem, et que les deux religions cohabitent. Pour les Palestiniens, il y a aussi la solution de l'Iran : détruire Israël pour régler le problème... Pour que les deux pays acceptent de travailler ensemble, il faut un accord sur le plan religieux. Les conditions de vie dans un seul État sont insupportables pour les Palestiniens, et ne peuvent pas durer. C'est une poudrière. Il faut donc deux États, mais pour cela il faut partager Jérusalem, ainsi que les ressources, notamment l'eau et les richesses énergétiques récemment découvertes en mer. Avez-vous eu, lors de vos rencontres, le sentiment qu'il y avait une volonté d'accepter les choses ?
M. Pierre Laurent, rapporteur. - Je vois les choses différemment : l'histoire même de la ville de Jérusalem, c'est la cohabitation religieuse. Nous avons fait une visite de la ville, accompagnés par le consul de France à Jérusalem, et son conseiller aux affaires religieuses, car il se trouve que la France est le garant du statu quo de la protection des lieux saints à Jérusalem. La ville s'est construite, depuis toujours, dans la cohabitation religieuse, qui est aujourd'hui empêchée par la politique, qui instrumentalise les religions et les extrémistes. La cohabitation religieuse est possible à Jérusalem, car c'est elle qui a fait l'histoire de la ville.
Aujourd'hui, malheureusement, les choses sont fermées, compartimentées. Il y a vingt ou trente ans, la ville était extraordinaire pour cette raison. La cohabitation n'est pas impossible, c'est l'histoire même et l'identité de cette ville. À vouloir le nier, à vouloir laisser telle ou telle communauté accaparer la ville, c'est cette dernière et son identité profonde qui va être abîmée.
M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Lors de notre visite de la maison d'Abraham, on nous a expliqué que les deux projets pour la ville sont de construire un téléphérique pour les touristes au niveau du mur de Salomon, et un parc de loisir dans le Mont des oliviers. C'est de la provocation !
Il est triste de voir que les bras sont baissés de tout côté. Lors d'un dîner avec les représentants des communautés religieuses, nous avons soulevé la question : le Pape peut bien intervenir pour dire qu'on ne peut pas construire un parc d'attraction au Mont des oliviers ! Il faut que chacun prenne ses responsabilités. Le Saint-Siège, comme les autres religions, peut s'exprimer sur les lieux religieux ! Ces provocations relèvent effectivement d'une volonté de certains extrémistes de faire de cette ville qui ne laisse personne indifférent une capitale du tourisme dans la région, ce qui n'a pas de sens.
Hébron nous laisse un souvenir effroyable, tant les communautés y sont séparées... Nous avons tous été maires, nous avons dû gérer des problématiques concernant les communautés, et nous sommes arrivés très ouverts ; c'est la dimension asymétrique du sujet, où l'un a tous les pouvoirs alors que l'autre n'a que le droit de se taire, qui est le problème.
M. Rachid Temal. - Je remercie les membres de la délégation. En 2017, j'avais mené une délégation pour mon parti, et les choses n'ont pas beaucoup progressé depuis...
Il y a deux sociétés extrêmement morcelées et fracturées, mais cette fragmentation, d'un côté comme de l'autre, permet aussi de rassembler et d'éviter que d'autres questions ne se posent.
Nous pouvons faire douze ou treize recommandations, mais nous devons évoquer l'extrême faiblesse de la France et de l'Union européenne dans cet espace, ce qui n'était pas le cas historiquement. Nous pouvons nous agiter, mais plus personne, ni la France ni l'Union européenne, n'a la main sur les évènements. Ce type de rapport doit évoquer le fait que nous ne nous donnons pas les moyens de faire mieux.
Les États-Unis ont repris la main, et personne ne nous reconnaît plus comme acteur, sauf sur les questions culturelles et économiques. Dans les affaires militaires, sécuritaires ou diplomatiques, on n'appelle plus les Européens ou les Français, mais les Américains ; tant que cette question n'est pas abordée, nous en restons aux voeux pieux.
Je suis assez d'accord avec Gilbert Roger sur la question de la solution à un État ou à deux États. J'en avais discuté avec le premier ministre et le président palestiniens de l'époque : en off, il y a des Palestiniens qui reconnaissent que l'option à un État ne doit pas être exclue, ne serait-ce que parce qu'à Jérusalem et dans ses alentours les choses sont géographiquement et économiquement très imbriquées, et qu'il s'agit d'une terre très étroite. Je ne dis pas que la solution à un État est la bonne ; mais on ne peut pas dire qu'il ne faut pas en discuter.
Le point central, c'est la faiblesse de l'Union européenne et de la France, qui fait que nous serons que des spectateurs ou un portefeuille, mais que nous ne pouvons pas être un des acteurs majeurs.
M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Les rapports servent à dire ce qu'on voit. Nous pouvons dresser des conclusions sur l'insuffisance des gouvernements successifs des uns et des autres, mais nous avons voulu ainsi rendre hommage aux équipes françaises sur place, qui font un travail extraordinaire et conservent vivace la présence française.
Il n'y a plus de volonté européenne : mon sentiment, c'est que ce conflit n'intéresse plus personne...
M. Rachid Temal. - À commencer par les pays arabes !
M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Bien entendu ! Les accords d'Abraham ont changé la donne : le conflit n'est plus israélo-arabe, mais israélo-palestinien. Au Maroc, des forces israéliennes de défense participent à des manoeuvres militaires. Pour que cela fasse bon poids, de l'autre côté de la frontière les Algériens manoeuvrent avec des Russes. Les grandes puissances considèrent le Moyen-Orient comme un cercle de jeu : ces luttes d'influence ont aujourd'hui des conséquences entre l'Arabie saoudite, l'Iran...
M. Rachid Temal. - Et la Turquie !
M. Christian Cambon, président, rapporteur. - On nous l'a suggéré : les contacts entre Israël et l'Arabie Saoudite seraient sur le point d'aboutir. C'est le monde à l'envers, et toutes les cartes sont rebattues - la Turquie joue également ce jeu.
Comme nous le dénonçons en permanence, avec la fin du multilatéralisme chacun met en avant ses propres intérêts. L'intérêt de l'Arabie Saoudite et des Émirats arabes unis est de s'appuyer sur un État technologiquement très puissant. Le premier ministre palestinien m'a marqué, lorsqu'il a dit qu'il n'attendait rien de la visite de M. Biden, cinq jours plus tard.
La question n'intéresse plus personne. L'Europe n'a dégagé aucune ligne politique, aucun leader pour prendre la main pour proposer une solution. Le conflit est gelé, mais pour les populations les difficultés et les souffrances se vivent au quotidien.
M. Joël Guerriau. - Je rebondis sur la question de M. Cazabonne sur les hydrocarbures, et la réserve de 28 milliards de dollars de gaz naturel qui traîne à trente kilomètres des côtes de Gaza. Comment Gaza pourrait-il en tirer un bénéfice ? L'Égypte, Israël et Gaza se trouvent concernés par ces négociations...
L'existence de Gaza dépend largement de ses rapports avec l'Égypte. Par le passé, nous avons pu voir à quel point il était important que l'Égypte puisse être dans une position de médiateur. Qu'en est-il aujourd'hui ?
M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Une mission en Égypte aura lieu en 2023. Nous aurons ainsi fait le tour des pays voisins en quelques années. Les Émirats arabes unis, autre pays où nous aurons une mission en 2023, mériteraient aussi d'être questionnés quant à leur relation avec Israël.
Concernant la répartition du pétrole et du gaz, Gaza n'a pour l'instant rien. Le seul accord conclu a été signé, pour l'instant, entre Israël et le Liban...
M. Gilbert Roger. - Dans deux pièces séparées à Washington !
M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Tout à fait. Ils ont tout de même conclu un accord, qui n'est certainement pas au bénéfice de Gaza. Dans aucune hypothèse, Gaza pourtant frontalier de la mer, ne pourrait bénéficier d'une part de ces ressources.
M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - Dans l'enclave douanière que nous avons visitée, la plupart des produits alimentaires ou manufacturés proviennent d'Égypte. Le jeu de l'Égypte, porte d'entrée sur ce territoire, est particulier. Parmi tous les produits qui entrent à Gaza, 80% proviennent d'Égypte, avec les difficultés d'approvisionnement inouïes évoquées par M. Cambon. Tout est déchargé, vérifié, reconditionné.
M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Nous vous avons donc fait part de nos sentiments à l'issue de cette mission. Nous l'avons rapidement évoqué : du point de vue d'Israël, il faut aller dans les tunnels plongeant à 80 mètres de profondeur pour voir les trésors d'ingéniosité déployés par le terrorisme. Il y a des torts, et pire que des torts, des deux côtés.
Le Sénat ne doit pas parler pour ne rien dire, et Gilbert Roger a raison : il faut une suite à ce rapport. Mais cette suite ne dépend plus de nous. Je remercie les équipes diplomatiques sur place, notamment notre ambassadeur Éric Danon et le consul général de France à Jérusalem, René Troccaz, qui nous ont brossé un panorama d'une connaissance parfaite de la situation. Il est absurde de taper sur le corps diplomatique comme cela a été fait pour la réforme récente de ce corps, quand on voit la qualité du travail réalisé !
Mme Vivette Lopez. - Vous êtes-vous senti en danger à un moment ?
M. Christian Cambon, président, rapporteur. - Non, car nous étions très protégés. Nous avons craint de ne pouvoir mener à bien notre mission, et nous avons dû donner de la voix, car parfois la barrière est baissée et on nous dit que personne n'a la clef du cadenas... Pour entrer à Gaza, on traverse des bâtiments invraisemblables, où les sacs sont jetés, et où de jeunes soldats de vingt ans postés à des vitres en hauteur commentent les moindres faits et gestes. Il y a une tension permanente, mais pas de danger pour nous.
Dans un kibboutz, nous avons vu un mur, présenté comme la seule solution pour vivre tranquille.
La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.
Nos travaux de 2023 s'achèvent ainsi. Cette année a été favorable au travail de la commission. Nous avons rendu plusieurs rapports importants. Lors de deux déplacements en Serbie et au Vietnam, j'ai constaté que les travaux du Sénat sont écoutés et respectés. Les documents sont consultés par les diplomates et les responsables politiques.
La réunion est close à 11 h 45.