Mardi 29 novembre 2022
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 17 h 00.
Projet de loi de finances pour 2023 - Crédits relatifs à la prévention des risques - Examen du rapport pour avis
M. Jean-François Longeot, président. - Nous achevons aujourd'hui l'examen des avis budgétaires sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2023. Je souhaite vous remercier pour votre implication dans cet exercice annuel exigeant, et tout particulièrement nos neuf rapporteurs pour avis. Leurs travaux ont représenté près d'une cinquantaine heures d'auditions, donnant lieu au dépôt de 24 amendements au nom de notre commission, dont 7 ont été d'ores et déjà été adoptés en séance publique.
Je me réjouis enfin du caractère transpartisan de nos initiatives, qui démontre la capacité de notre commission à se saisir de ces sujets de façon constructive.
Nous en venons à la présentation du rapport pour avis de notre collègue Pascal Martin sur les programmes 181 « Prévention des risques » et 217 « Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables »
M. Pascal Martin, rapporteur pour avis de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » sur les programmes 181 « Prévention des risques » et 217 « Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables ». - Pour la troisième année consécutive, j'ai le plaisir de vous présenter mon rapport sur les crédits dédiés à la prévention des risques naturels, technologiques et nucléaires ainsi qu'à l'économie circulaire.
Comme l'an dernier, ces moyens sont rassemblés dans les programmes 181 et 217 de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », ce dernier portant sur les crédits de personnels.
Je vous présenterai d'abord l'évolution générale des crédits et des effectifs, avant de partager avec vous quatre observations thématiques et de vous présenter les quatre amendements que je proposerai à la commission d'adopter, sachant que nous avons déjà présenté la semaine dernière, avec mon collègue rapporteur pour avis François Calvet, un amendement visant à rehausser les moyens du « fonds Chaleur ».
Pour 2023, les crédits du programme 181 représentent environ 1,1 milliard d'euros, soit une augmentation de 7 % en autorisations d'engagement (AE) et de 6,6 % en crédits de paiement (CP). Il s'agit surtout d'absorber la hausse tendancielle des dépenses contraintes et le programme 181 tend à se transformer en « caisse de distribution » pour des opérateurs et des fonds divers. Ainsi les subventions pour charges de service public distribuées à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) représentent les deux tiers des crédits du programme en 2023, avec une augmentation de 5 points par rapport à 2022, ce dont on peut se réjouir pour des opérateurs pour le moins stratégiques.
Je relève en particulier une augmentation de 100 millions d'euros de la subvention versée à l'Ademe pour 2023 afin de financer le renforcement des interventions de cet opérateur, notamment dans le cadre du plan d'investissement France 2030, soit une augmentation de 17 % par rapport à 2022, mais qui n'empêchera pas une baisse de la trésorerie de l'agence en 2023, ainsi qu'un transfert sortant de 1 million d'euros en AE et en CP vers le programme 162 pour la mise en oeuvre du plan de lutte contre les sargasses aux Antilles.
Par ailleurs, le fonds Barnier retrouve son niveau de croisière, à hauteur 205 millions d'euros, en diminution de 30 millions d'euros par rapport à 2022, financement qui correspondait aux conséquences de la tempête Alex.
S'agissant des effectifs financés par le programme 217, on assiste à une stabilisation bienvenue puisqu'aucune baisse n'est prévue pour 2023 sur le pôle ministériel de la transition écologique et de la cohésion des territoires ainsi que du secrétariat d'État à la mer, en dehors de transferts entre ministères et opérateurs, alors que la loi de finances de 2022 prévoyait une baisse de 224 équivalents temps plein (ETP), dans la lignée des années précédentes. En conséquence, le programme connaît une hausse d'environ 100 millions d'euros, qui découle principalement des mesures de revalorisation salariale, dont l'intégration du point d'indice de la fonction publique ajusté de 3,5 %.
Pour les effectifs de l'Ademe, financés par le programme 181, on note une progression de 90 équivalents temps plein travaillé (ETPT) en 2023, dont 65 correspondent aux missions assumées par l'Ademe dans le cadre de France Relance et 25 à un ajustement général des effectifs au périmètre d'intervention de l'agence. Je rappelle que l'Ademe a recruté environ 120 intérimaires, financés sur les frais de gestion du plan de relance au premier trimestre 2021. Afin d'éviter une perte de compétences préjudiciable à son activité, un peu moins de la moitié de ces intérimaires ont été intégrés à l'Ademe via des contrats à durée indéterminée (CDI).
Je rappelle également que les engagements de l'Ademe ont été multipliés par quatre depuis 2019, passant de 1 milliard d'euros environ à plus de 4 milliards d'euros en 2023, et que l'Ademe se voit confier une enveloppe prévisionnelle globale de 9 milliards d'euros comme opérateur de France 2030, pour une durée de cinq ans. Le renforcement des moyens financiers et humains de cet opérateur lui permet de poursuivre encore sa montée en puissance, qui sera également actée dans le cadre de la préparation de son nouveau contrat d'objectifs et de performance (COP) à compter de mars 2023.
Un mot sur l'Ineris. Si l'institut a connu une érosion de 25 % de ses effectifs depuis 2010, l'année 2022 marque un coup d'arrêt avec une stabilisation là encore bienvenue. En revanche, cet institut se retrouve, comme tous les laboratoires de recherche, confronté à une hausse de 100 % des coûts de l'énergie. En conséquence, il devra continuer à développer la part de ses ressources issues du secteur privé et de son activité de prestations aux entreprises, au sein desquelles il devra répercuter la hausse des prix de l'énergie.
Au-delà, comme nous l'avons également relevé en commission la semaine dernière, il convient également de mentionner le « fonds vert » qui prévoit 131 millions d'euros pour l'adaptation des territoires au changement climatique, sans qu'il soit possible de connaître la ventilation de ces crédits, et qui constitue la reprise d'actions inscrites dans le plan de relance.
Par ailleurs, la mission « Plan de relance » comporte 150 millions d'euros destinés à financer des programmes de l'Ademe : « fonds Friche », économie circulaire, tourisme durable et aides aux petites et moyennes entreprises (PME) pour l'écoconception.
La mission France 2030 prévoit enfin six actions qui concernent les missions de l'Ademe, mais relativement peu de crédits de paiement pour 2023. J'en viens à quatre remarques thématiques que je souhaite formuler sur ce projet de budget.
Premièrement, s'agissant des effectifs de l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), il est toujours aussi peu facile d'y voir clair. Fin 2020, 1 557 agents techniques étaient affectés au sein des services déconcentrés sur cette politique. Début 2022, les services de la direction générale de la prévention des risques (DGPR) indiquent qu'il n'y avait plus que 1 529 agents techniques. On assiste donc à une érosion de 28 postes en deux ans. Toutefois, en toute objectivité, cette érosion n'est pas le fait du Gouvernement : l'engagement pris à la suite de l'accident des usines Lubrizol et Normandie Logistique de doter l'inspection de 50 postes en plus a été tenu, car les budgets 2020 à 2022 ont prévu les financements nécessaires pour la masse salariale.
Toutefois, ces postes n'ont pas été pourvus, faute de candidats, et ces vacances s'ajoutent à des vacances de poste structurelles constatées dans de nombreux services déconcentrés. Les conditions de travail et les rémunérations expliquent, pour partie, ce manque d'attractivité.
La promesse relative à la hausse de 50 % des contrôles de sites ICPE entre 2018 et 2022 n'a, en revanche, pas été tenue. En 2021, seules 22 000 inspections ont été réalisées sur un objectif de 27 000, et ce malgré un raccourcissement de la durée des inspections. Je doute que cet objectif soit atteint en 2023, malgré les engagements que le ministre a pris devant nous lors de son audition.
Compte tenu de ces difficultés de recrutement, je ne vous proposerai pas d'amendement. Il ne m'apparaît pas nécessaire, en effet, de continuer à budgéter des postes qui, à ce stade, ne semblent pas pouvoir être pourvus, au regard de la situation des deux années précédentes.
Pour conclure sur la sécurité industrielle, je vous indique que la mission d'inspection relative à la gestion des risques liés aux ammonitrates, qui doit étudier les conséquences économiques d'un éventuel abaissement des seuils de déclaration, d'enregistrement et d'autorisation de la nomenclature ICPE pour ces produits, est en phase d'entretiens et envisage de rendre son rapport au printemps 2023. Nous pourrons donc reprendre nos travaux sur ce sujet à ce moment. Nous avons traité les problématiques de transport avec mes collègues Philippe Tabarot et Martine Filleul, reste à traiter les problématiques de stockage.
Deuxièmement, j'en viens à la sûreté nucléaire et aux moyens de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Vous le savez, nous examinerons prochainement le projet de loi relatif aux modalités de construction de nouveaux réacteurs nucléaires de type EPR 2, à la suite des annonces du Président de la République à Belfort, et vous m'avez fait l'honneur de me désigner rapporteur pour avis sur ce texte.
Ces projets auront pour conséquence d'alourdir très fortement la charge de travail du régulateur, l'ASN, déjà très mobilisée ces derniers temps sur les phénomènes de corrosion sous contrainte et sur le réexamen périodique des réacteurs de 900 mégawatts (MW). D'ailleurs, EDF remettra à l'ASN, d'ici à la fin de cette année, les rapports de conclusions du réexamen de 9 des 32 réacteurs concernés. En 2023, s'ajouteront à cette charge de travail l'instruction du dossier de création de Cigéo, le début du réexamen périodique des réacteurs de 1300 MW et le suivi du développement des Small modular reactors (SMR), les petits réacteurs électronucléaires.
Les effectifs de l'ASN ont été renforcés de façon continue ces dernières années, pour atteindre un plafond d'emplois de 457 équivalents temps plein travaillé (ETPT) en 2023, contre 445 en 2022. Hors transfert, l'ASN a obtenu la création de 6 ETPT pour 2023. Toutefois, ces effectifs ne sont pas encore au niveau où ils devraient se situer.
L'an dernier, je vous avais annoncé que j'envisageais de proposer en 2023 des ajustements à la hausse des effectifs et du budget de l'ASN, qui cherche également à développer des ressources d'expertise pour l'instruction de projets complexes et pour la conduite d'expertises collectives dans son écosystème.
Aussi, je vous proposerai deux amendements.
Le premier vise à augmenter de 3 équivalents temps plein (ETP) le nombre d'emplois à l'ASN. Sur une demande totale de 21 ETP sur la période 2023-2027, l'ASN a obtenu 14 ETP. Je vous propose donc de rattraper dès 2023 cet écart de trajectoire. La somme de 270 000 euros correspond au coût de 3 ETP chargés.
Le second tend à augmenter de 200 000 euros les crédits de fonctionnement de l'ASN pour lui permettre de développer ses capacités d'expertise. Elle avait demandé à bénéficier de 400 000 euros, or il manque 200 000 euros dans le budget 2023. Je vous propose, là aussi, de rattraper cet écart.
Les montants restent modestes, puisque je vous propose en fait d'augmenter de 1 % le budget de l'ASN au total.
Le sujet que je viens d'aborder me permet de faire lien avec les missions de la Commission nationale du débat public (CNDP), objet de ma troisième remarque thématique.
La CNDP est chargée d'organiser un débat public depuis le 27 octobre jusqu'au 27 février prochain, pour le compte d'EDF, sur le programme de construction de deux nouveaux réacteurs EPR 2 à Penly, dans le département de la Seine-Maritime.
Au-delà, l'activité de la CNDP a été multipliée par sept ces cinq dernières années, et la présidente Jouanno nous a indiqué, lors de son audition en octobre dernier, que 2 ou 3 postes supplémentaires seraient nécessaires au sein de l'équipe centrale, sur une équipe de 13 personnes, pour un plafond d'emplois de 11 ETPT.
Je vous proposerai donc un amendement visant à augmenter de 148 000 euros les moyens de la CNDP, ce qui correspond au coût « chargé » de 2 ETP.
Ce serait un beau cadeau pour le vingt-cinquième anniversaire de la création de la Commission !
Je ne reviens pas sur le fonds Chaleur, que nous avons évoqué la semaine dernière avec François Calvet. La commission a adopté un amendement visant à augmenter de 180 millions d'euros les moyens de ce fond, ce qui correspond aux estimations avancées par tous les professionnels.
Quatrièmement, enfin, je dirai un mot sur la prévention du risque inondation, qui est un sujet de préoccupation majeure dans le contexte du dérèglement climatique.
Les évènements que nous avons connus ces dernières années montrent l'importance de ce risque : crues de la Seine durant l'hiver 2017-2018, crues dans l'Aude pendant l'automne 2018, tempête Alex dans les Alpes-Maritimes en automne 2020, etc.
En novembre 2022, la Cour des comptes a rendu un rapport spécifique à l'Île-de-France, dont je partage certaines orientations, mais au sujet duquel je tiens à souligner le manque d'accompagnement financier des collectivités par l'État.
Par ailleurs, si nous avons progressé fortement sur la connaissance des crues par débordement, nous devons encore améliorer notre appréhension des phénomènes de remontées de nappes et de ruissellement, auxquels de nombreux territoires voisins de la Seine sont exposés.
Pour rappel, l'OCDE estime qu'une crue majeure de la Seine comme celle de 1910 pourrait provoquer jusqu'à 30 milliards d'euros de dommages.
Nos grands fleuves - la Loire, le Rhône, la Seine - font l'objet de plans de gestion plutôt hétérogènes à l'heure actuelle.
L'action n° 10 et l'action n° 14 du programme 181 concourent à cet objectif et permettent, notamment, de définir des stratégies territoriales et de soutenir les collectivités les plus exposées dans l'élaboration et la mise en oeuvre des plans de prévention des risques naturels (PPRN), ainsi que des programmes d'actions de prévention des inondations (Papi). Elles permettent aussi d'améliorer la connaissance des risques et des enjeux et de renforcer l'indispensable information du public, qui fait toujours cruellement défaut. Je note qu'en 2021 nous avons dépassé pour la première fois nos objectifs : plus de 15 000 communes sont désormais couvertes par un PPRN opposable et environ 2 100 communes relèvent d'un PPRN prescrit. Ces communes devront donc élaborer leur PPRN prochainement.
Comme je vous l'ai dit précédemment, la répartition des crédits au sein des différentes actions du fonds vert est pour le moins floue, en dehors des éléments que nous avons obtenus par la presse.
Aussi, je vous proposerai un amendement visant à sécuriser le fait qu'au moins 15 millions d'euros seront consacrés à la prévention des inondations en 2023 pour traiter les situations les plus urgentes et présentant des problèmes de sécurité pour nos concitoyens. J'insiste sur le fait que ces financements ne devront pas être distribués sous la forme d'appels à projets, mais bien aller directement vers les collectivités qui en ont le plus besoin, notamment pour répondre aux observations formulées par la Cour des comptes.
Vous l'avez compris, après un budget 2021 qui traduisait des changements importants, les budgets 2022 et 2023 s'inscrivent dans une trajectoire d'augmentation qui vise à accompagner l'augmentation de dépenses contraintes et à permettre à l'administration de faire face à des défis toujours plus nombreux et sensibles pour la prévention des risques et le soutien à l'économie circulaire.
En conséquence, et en cohérence avec les deux avis favorables émis les années précédentes, je vous propose un avis favorable sur les crédits des programmes 181 et 217, sous réserve de l'adoption des quatre amendements que je vous ai présentés.
M. Joël Bigot. Si nous pouvons saluer l'augmentation des crédits du programme 181, nous notons qu'elle s'explique en grande partie par l'augmentation de dotations, qu'il convient de relativiser. Ainsi, les missions de l'Ademe n'ont cessé de croître ces dernières années en lien avec l'adoption de plusieurs lois structurantes : la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV), la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, l'impact du réchauffement climatique. Par ailleurs, les crédits de l'agence étaient en baisse de 2019 à 2021. Aujourd'hui, ils remontent à un niveau qui avoisine les 810 millions d'euros, contre 611 millions d'euros entre 2019 et 2021.
Nous pouvons également regretter la baisse des crédits alloués au fonds Barnier, qui retrouve son niveau de 2021. Les besoins de ce fonds, qui vise à mettre en oeuvre les politiques de prévention des risques naturels majeurs, sont voués à exploser dans les prochaines années. Avec le réchauffement climatique et la montée probable du niveau des fleuves, le « fonds Inondations » sera également important.
Alors que des référents départementaux aux catastrophes naturelles sont maintenant en place, les collectivités vont être de plus en plus mobilisées sur les questions liées à l'érosion côtière ou aux inondations ; la présidente de France Assureurs alerte sur l'explosion du nombre des sinistres causés par les aléas climatiques dans les années qui viennent au regard du coût estimé de 4,3 milliards d'euros pour les sept premiers mois de l'année.
En 2021, je m'étais interrogé sur la budgétisation du fonds Barnier. Il faut savoir que ce fonds est financé par les cotisations des assurés. Comme nous le préconisions dans le cadre de la proposition de loi visant à réformer le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, adoptée par le Sénat en janvier 2020, il est nécessaire que l'intégralité du produit de ces cotisations abonde ce fonds.
Enfin, nous sommes toujours dans l'attente d'une réforme des modalités d'indemnisation du phénomène de sécheresse-réhydratation des sols argileux, pour lequel le Gouvernement s'est engagé à proposer une solution dans le cadre de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS). Il serait bon d'interpeller le ministre sur ce point.
En conclusion, je partage votre avis favorable, monsieur le rapporteur pour avis.
Mme Évelyne Perrot. - J'aimerais revenir sur un point. Vous avez indiqué dans votre rapport que la Seine n'avait pas bénéficié d'une gestion complète à la suite des crues de 1910. Je tiens à dire que mon département a perdu plus de 5 000 hectares de forêt afin de créer des réservoirs d'eau, évitant ainsi la répétition de ces crues. Il s'agissait d'un effort considérable des communes, qui ont perdu chaque année des recettes.
M. Fabien Genet. - Je souhaite appeler l'attention sur un point particulier sur le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM). Les orages de grêle ne sont actuellement pas couverts par le fonds Barnier.
Le département de la Saône-et-Loire a vécu à la fin du mois de juin dernier un orage de grêle violent, qui a occasionné de nombreuses destructions. Or nos concitoyens les plus fragiles se retrouvent en très grande difficulté, faute de couverture assurantielle.
Avec le réchauffement climatique et la multiplication de ces épisodes, les assurances seront-elles au rendez-vous ? Ne faudrait-il pas faire évoluer le partage du risque entre les assurances et le fonds Barnier ?
Permettez-moi d'évoquer le cas, dans le Charolais, d'une ancienne usine Eternit, qui produisait des couvertures en amiante. Toutes les toitures alentour sont en amiante. Au-delà des dangers associés à ce matériau, ces toitures ne résistent pas du tout à la grêle. Or, le désamiantage des toitures avant leur reconstruction fait exploser les coûts, et les contrats d'assurance ne couvrent pas forcément la totalité de ces frais. Qui plus est, il revient aux collectivités d'assumer le traitement de ces déchets, sans toujours savoir comment s'y prendre. Sur des sujets aussi précis, il faudrait réfléchir à des pistes d'évolution du fonds Barnier.
M. Jean-François Longeot, président. - Il est vrai que la problématique liée à la grêle est complexe. Si je prends pour exemple les trois communes de mon département qui ont subi la grêle à 100 %, les raisons provoquant le retard des travaux de réparation sont nombreuses : l'expert et le propriétaire peuvent être d'accord entre eux, mais ils font face à une pénurie de tuiles. Dans d'autres cas, tout est prêt pour démarrer les travaux, mais l'expert ne s'est pas encore rendu sur place, retardant la délivrance de l'accord de l'assurance. Ainsi, certaines maisons du Haut-Doubs n'auront pas de couverture au mois de décembre, dans une région où il neige.
Mme Marie-Claude Varaillas. - Je partage exactement le même constat dans mon département de la Dordogne. Il s'agit d'une situation catastrophique : les serres agricoles sont bâchées, pire encore, mon village entier est encore couvert de bâches.
M. Gilbert Favreau. - Je souhaite poser une question qui concerne la prévention des risques d'inondation. Dans le cadre de la période budgétaire, il faut noter que les sommes dévolues à ce risque se retrouvent, d'une certaine manière, mises en concurrence avec les sommes payées en temps normal par les intercommunalités ou les syndicats de rivière, par exemple, en cas de délégation. La taxe de gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi), une taxe additionnelle à la taxe foncière qui est payée dans une limite maximum de 40 euros par contribuable, doit permettre de réaliser les travaux nécessaires à la prévention des risques d'inondation.
Les deux sources de financement se cumulent-elles ? Il faudra un jour résoudre cette question de la taxe Gemapi.
M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Je partage les propose de Joël Bigot au sujet de l'Ademe : celle-ci supporte en effet une charge de travail très conséquente. Le renforcement des moyens qui a été opéré est encore à évaluer dans les prochaines années.
S'agissant de l'état de catastrophe naturelle, j'ai travaillé sur le dossier avec Nicole Bonnefoy et je partage donc cette vision.
Concernant le fonds Barnier, je rappelle qu'il est désormais budgété et donc alimenté par le budget général de l'État. Néanmoins, les 205 millions d'euros dont nous parlons représentent la totalité du produit des cotisations des assurances, qui est désormais affecté au budget de l'État, et sont consommés chaque année.
Certains acteurs, notamment ministériels, évoquent la possibilité d'augmenter la participation, c'est-à-dire le taux appliqué sur les contrats d'assurance, ce qui pose un problème pour les assurés. Il s'agit d'un sujet éminemment sensible.
Nous aurons l'occasion de reparler de la question du retrait-gonflement des argiles (RGA) lors de la table ronde en commission qui aura lieu dans quinze jours.
Je partage le point de vue de Mme Perrot quant au rapport de la Cour des comptes qui est assez sévère à l'égard des collectivités locales. En effet, l'attaque est injuste, car celles-ci ont déjà fait beaucoup d'efforts ; il revient aussi à l'État d'apporter son aide. C'est ce que je voulais dire quand j'ai indiqué que je partageais « certaines » orientations du rapport.
Monsieur Genet, la question du fonds Barnier est récurrente. Je suis tout à fait conscient que ce fonds ne répond pas à toutes les préoccupations ; nous devrons réexaminer ce sujet prochainement.
Pour répondre à la question de Gilbert Favreau sur la Gemapi, il faut rappeler que toutes les intercommunalités ne l'ont pas encore instaurée. Prenons l'exemple du département de la Seine-Maritime, qui a été sans doute précurseur : avec l'accord du préfet du département et tous les présidents d'intercommunalité et de bassins versants, nous avons choisi de créer deux syndicats départementaux, afin d'aboutir à des instances de gestion ayant un périmètre en accord avec la réalité géographique. Le premier syndicat englobe la zone allant du Tréport au Havre, ce qui signifie que les 140 kilomètres de la côte d'Albâtre sont gérés par un seul interlocuteur. La démarche a été similaire pour le second syndicat qui englobe deux départements, l'Eure et la Seine-Maritime. Ainsi, nous sommes passés d'une vingtaine d'interlocuteurs à seulement deux aujourd'hui.
Par ailleurs, j'estime que le cumul des crédits est nécessaire pour résoudre les problèmes qui sont de l'ordre de plusieurs centaines de millions d'euros - la Gemapi ne suffira pas.
M. Gilbert Favreau. - Il faut préciser que celui qui bénéficie du transfert fixe le montant. La Gemapi porte à l'origine sur la prévention des risques. Or les montants les plus importants couverts par la Gemapi concernent en premier lieu la réparation des dégâts liés au risque d'inondation. Des précisions sont donc encore à apporter.
M. Jean-François Longeot, président. - Venons-en à la discussion des amendements du rapporteur.
M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - L'amendement II-993 vise à augmenter de 148000 euros les crédits de l'action n° 25 « Commission nationale du débat public » du programme 217, somme qui permettrait de créer deux postes au sein de la CNDP, la présidente Chantal Jouanno ayant indiqué son souhait de pouvoir travailler dans de meilleures conditions.
L'amendement II-993 est adopté.
M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - L'amendement II-994 tend à augmenter de 200 000 euros les crédits de l'action n° 09 « Contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection » du programme 181, à destination de l'ASN, pour lui permettre de renforcer son contrôle des projets complexes et de développer ses expertises collectives en lien avec ses partenaires, notamment étrangers, à l'image des séminaires organisés avec son homologue anglais.
L'amendement II-994 est adopté.
M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - L'amendement II-995 vise à augmenter de 270 000 euros les crédits de l'action n° 09« Contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection » du programme 181. Cette ligne complémentaire doit permettre le recrutement de 3 agents supplémentaires au sein de l'ASN, ce qui correspond à un coût unitaire chargé par ETP de 90 000 euros. Étant donné sa charge de travail croissante, il vous est proposé de renforcer les moyens de l'ASN dès l'année 2023.
L'amendement II-995 est adopté.
M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - L'amendement II-996 vise à sécuriser l'attribution de 15 millions d'euros au sujet de la prévention des inondations dans le cadre du « fonds vert ». Le risque d'inondation est le premier risque naturel auquel la France est exposée, compte tenu du nombre de communes concernées et des dommages qu'il peut provoquer. Ces crédits ont vocation à constituer des crédits d'intervention et de transfert aux collectivités.
L'amendement II-996 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Prévention des risques » et « Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », sous réserve de l'adoption de ses amendements.
La réunion est close à 17 h 40.
Mercredi 30 novembre 2022
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Économie circulaire dans le secteur du bâtiment - Audition de M. Jacques Vernier, président de la Commission des filières de responsabilité élargie des producteurs, Mme Yolaine Paufichet, membre du Conseil national de l'ordre des architectes, et M. Franck Perraud, président du conseil des professions de la Fédération française du bâtiment
M. Jean-François Longeot, président. - À l'occasion de cette table ronde sur l'économie circulaire dans le secteur du bâtiment, nous accueillons M. Jacques Vernier, président de la Commission des filières de responsabilité élargie des producteurs, Mme Yolaine Paufichet, membre du Conseil national de l'ordre des architectes et M. Franck Perraud, président du conseil des professions de la Fédération française du bâtiment.
Je salue la présidente du groupe d'études « Économie circulaire », notre collègue Marta de Cidrac, ainsi que l'ensemble des membres de ce groupe d'études, qui nous ont proposé la tenue de cette table ronde pour tirer un bilan de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, promulguée en février 2020, dite loi « Agec ».
À l'origine de 15 % des déchets produits en
France, le secteur du bâtiment est
- après celui des travaux
publics - une des principales sources de déchets dans notre pays. Ce
secteur occupe à ce titre une place stratégique dans notre
politique d'économie circulaire. Depuis la loi de transition
énergétique de 2015, le bâtiment et les travaux publics
font ainsi l'objet de cibles spécifiques : d'une part, ce secteur
est identifié par la loi comme contributeur à l'objectif de
réduction de 5 % des quantités de déchets
d'activités économiques en 2030 par rapport à
2010 ; d'autre part, le législateur de 2015 avait prévu
une valorisation sous forme de matière de 70 % des déchets
du bâtiment et des travaux publics en 2020.
Selon les travaux préparatoires de la loi « Agec », le taux de valorisation matière des déchets du secteur du bâtiment n'atteignait pourtant que 54 % en 2019, soit 16 points de moins que l'objectif qui lui était assigné.
Cette trop faible valorisation matière des déchets du bâtiment est dommageable d'un point de vue environnemental et économique. Ces déchets exercent une double pression foncière : « en aval », car ils contribuent à la saturation des sites de stockage ; « en amont », car l'absence de circularité induit l'ouverture de nouveaux sites d'extraction de matériaux. Il faut également rappeler le bilan carbone associé à certains matériaux neufs : la seule production de ciment génère 7 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2).
Autre élément de contexte qui avait nourri les travaux préparatoires de la loi « Agec » : la multiplication des dépôts sauvages, alimentés notamment par les déchets du bâtiment.
Pour répondre à ces défis, la loi « Agec » a mis en place une filière de responsabilité élargie du producteur (REP) pour les produits et les matériaux de construction du secteur du bâtiment. Le législateur a confié plusieurs missions aux éco-organismes en charge de l'organisation de cette filière REP : le développement du réemploi, de la réutilisation et du recyclage de ces déchets, par l'instauration d'objectifs contraignants inscrits dans le cahier des charges des éco-organismes ; le principe d'une reprise sans frais de ces déchets lorsqu'ils font l'objet d'une collecte séparée ; l'instauration d'un maillage territorial des points de collecte, afin que chaque artisan soit en mesure de trouver à proximité une solution de reprise de ses déchets.
Parmi les autres mesures introduites par la loi « Agec » affectant directement le secteur du bâtiment, je citerai l'amélioration du diagnostic déchets, et notamment son extension aux opérations de démolition ou de réhabilitation significative, ou encore l'amélioration de la traçabilité des déchets du bâtiment dans les devis de construction et de démolition.
Malheureusement, la mise en oeuvre de ces avancées prend du retard. Le délai législatif initial était au 1er janvier 2022, il a été repoussé au 1er janvier 2023. Les pouvoirs publics ont justifié ce retard par la crise sanitaire et la situation actuelle de tension sur l'approvisionnement pour certaines matières premières de construction ; des motifs qui, aussi légitimes soient-ils, ne doivent pas cacher la lenteur initiale des travaux préparatoires. Notre commission est consciente des difficultés inhérentes au lancement de la plus grande filière REP, mais il faut avancer.
Cette table ronde doit donc nous permettre de faire un bilan d'étape de la mise en oeuvre de la loi « Agec » et des difficultés d'application qui persistent. J'espère qu'elle ouvrira également des perspectives : en matière de réemploi et de réutilisation, notamment, nous devons et nous pouvons faire beaucoup mieux, alors que le contexte géopolitique et économique nous pousse à réduire notre dépendance à certaines matières premières.
M. Jacques Vernier, président de la
Commission des filières de responsabilité élargie des
producteurs. - La notion de REP est antérieure à la
loi « Agec » : la première filière a
été l'emballage, il y a une trentaine d'années, puis la
REP s'est progressivement élargie à une douzaine de
filières. La loi « Agec » y a ajouté une
dizaine de filières, dont le bâtiment. La REP oblige le producteur
à prendre en charge les déchets de la construction et de la
démolition, techniquement et financièrement. Cette
responsabilité est importante quantitativement, puisque le volume de
déchets dépasse 40 millions de tonnes pour le seul
bâtiment, hors travaux publics, c'est l'équivalent de l'ensemble
des déchets ménagers ; elle est importante qualitativement
aussi, car si certains déchets se collectent et se recyclent bien
-
les métaux, par exemple, sont recyclés à 90 %, le
bois à 50 % - d'autres se recyclent mal, comme le plastique, le
plâtre, le verre, où les taux descendent sous les 20 %.
Pour mieux collecter ces matériaux qui trop souvent se retrouvent dans des décharges sauvages, l'idée de la REP, c'est de constituer un réseau maillé de points de reprise, pour que tout artisan trouve un point de reprise à moins de 10 kilomètres de chez lui, ce qui représente entre 5 000 et 10 000 points où la reprise des déchets serait gratuite, pour peu que le tri en ait été fait, alors que la reprise est aujourd'hui payante. Ces points de reprise peuvent être des déchetteries publiques ou privées, mais aussi des distributeurs de matériaux de construction, que la loi oblige à jouer ce rôle. Il faut aussi que dans chacun de ces points de reprise, tous les déchets soient accueillis, pour qu'un artisan n'ait pas à se disperser entre plusieurs points.
Dans ce schéma, les producteurs délèguent la REP à des éco-organismes : 4 ont été agréés à ce jour par l'État. Voilà pour la présentation générale, liminaire.
M. Yolaine Paufichet, membre du Conseil national
de l'ordre des architectes. - Le Conseil national de l'ordre des
avocats, au sein duquel je suis élue, vient de publier un plaidoyer
présentant l'architecture comme solution à la ville et à
nos territoires
- un document que je vous invite à
télécharger sur le site du conseil. Nous y présentons
5 axes de propositions face à l'urgence climatique, qui appellent
à un changement de paradigme.
Le meilleur déchet est celui que l'on ne produit pas - et comme architectes, nous devons aider à construire sobre et frugal. Or, la ville existant déjà, le premier déchet à ne pas produire est celui des bâtiments actuels. Il faut donc regarder de près quelle y est la vacance, comment réutiliser les bâtiments vides, retrouver des usages, pour que ces mètres carrés construits ne deviennent pas des déchets. La réflexion doit aussi porter sur la façon d'utiliser les matériaux, privilégier ceux qui sont bio-sourcés parce qu'ils viennent de la terre, qu'ils demandent donc moins de transformation et qu'ils sont renouvelables d'eux-mêmes, comme par exemple la terre, le bois ou le chanvre, qui sont aussi compostables en fin de vie. Nous proposons ainsi une architecture de circuit court, une « architecture des 100 kilomètres ».
Nous réfléchissons aussi à l'architecture du réemploi des matériaux, ce qui suppose de faire le diagnostic de ce qui existe, avec un nouveau circuit de traçabilité, de stockage et de redistribution aux entreprises. Des sites référencent déjà les matériaux, il faut les développer plus largement, nous en sommes à une trop petite échelle.
Il faut également penser les choses dès la conception du bâti, en particulier la « démontabilité » des bâtiments. Un exemple parlant : il est beaucoup plus facile de démonter une menuiserie vissée que collée ou clouée, cela aura une incidence sur le réemploi.
M. Franck Perraud, président du conseil des professions de la Fédération française du bâtiment. - Le secteur du bâtiment représente 50 000 entreprises, dont 35 000 artisans, et 150 milliards de chiffre d'affaires. Nous nous félicitons de la loi « Agec ». La Fédération française du bâtiment travaille sur les déchets depuis au moins 1992. L'importance du sujet s'est considérablement accrue ces dernières années. Les industriels ont fait des progrès spectaculaires, nous ne pensions pas que les habitudes pourraient changer à ce point ; nous parlons désormais d'adaptabilité des bâtiments pour une seconde vie, pour accompagner nos concitoyens tout au long de leur vie. Nous parlons du tri des matériaux, du réemploi et aussi de la lutte contre les dépôts sauvages.
Un gros travail a été fait cette année pour préparer la REP. Nous remercions les pouvoirs publics d'avoir prolongé le délai d'un an. Il y a beaucoup à faire, l'ensemble de la REP représenterait 2,7 milliards d'euros à gérer pour les éco-organismes. Nous nous félicitons qu'une tarification progressive ait été introduite.
Cependant, nous avons écrit à la Première ministre avec l'ensemble de la filière, pour lui faire part de nos inquiétudes. D'abord, la REP va démarrer, mais rien n'a été contractualisé avec les déchetteries, certaines arrêtent de reprendre les déchets du bâtiment, sans organisation apparente : on dit que les choses sont en cours, mais cela veut dire qu'elles ne sont pas encore faites, alors que les déchets sont là. Ensuite, il a été beaucoup dit que la reprise des déchets serait gratuite, mais nous ne connaissons toujours pas précisément les conditions du tri qui doit être éligible à la gratuité de la reprise. Des informations contradictoires circulent, il y a beaucoup d'incertitudes, par exemple sur la recevabilité, ou pas, d'une plaque de plâtre dès lors qu'il reste du papier peint collé dessus, ou encore d'une benne vitrée dont le vitrage sera un peu fissuré...
Nous rencontrons aussi un problème sur le prix, parce que les éco-organismes proposent des éco-contributions avec des montants différents, mais aussi parce que ces montants devraient s'accroître rapidement, alors que les délais peuvent être longs pour les chantiers. Nous demandons donc un report du paiement de la REP et que, pour la suite, les tarifs soient connus bien à l'avance, pour les intégrer dans les devis. Pour certains matériaux, la reprise est déjà gratuite, il faut répartir les charges de l'éco-contribution entre les autres matériaux.
Nous avons un sujet technique, également, sur la définition du producteur. Nous avions compris que la responsabilité était celle des industriels ; cependant, dans certains métiers, par exemple la charpente bois ou métal, l'artisan serait le producteur, dès lors qu'il met le produit sur le marché. Or, la mise en place de la REP représente un travail administratif dont la lourdeur risque de décourager des artisans, qui en seront d'autant moins incités à fabriquer et plus à acheter des produits industriels. Nous demandons donc que la REP intervienne le plus en amont possible, pour éviter ce découragement.
Enfin, nous croyons au réemploi, nous avançons sur le sujet, mais un problème se pose sur l'assurabilité des objets récupérés - ils ne sont pas toujours assurables dans les normes actuelles. Nous comptons sur les industriels pour une éco-conception plus vertueuse, comme on l'a fait pour les produits bio-sourcés - car nous sommes tout à fait d'accord : les meilleurs déchets sont ceux que l'on ne produit pas.
Mme Marta de Cidrac, présidente du groupe d'études « Économie circulaire ». - Quatre éco-organismes - Ecominero, Ecomaison (ex-Ecomobilier), Valdelia et Valobat - ont, enfin, été agrées pour la filière REP bâtiment, qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain. Même si on ne peut que regretter le retard d'un an par rapport à la date initialement fixée par le Parlement, on ne peut que se réjouir de voir l'axe de réforme le plus ambitieux de la loi « Agec » devenir réalité.
Pour accompagner le démarrage de la filière, le Gouvernement a annoncé, lors des assises du BTP du 22 septembre dernier, une période de tolérance jusqu'au 30 avril 2023 pour la mise en conformité des petites entreprises concernées par la REP et une démarche de sensibilisation pédagogique à cette nouvelle obligation. L'accompagnement des acteurs vous semble-t-il suffisant ? Faut-il en faire plus en la matière ?
Je note que l'agrément de plusieurs éco-organismes exauce le voeu exprimé par le rapport Vernier de 2018 d'une plus grande concurrence au sein des filières, voeu que je partage personnellement. Comment envisagez-vous l'articulation entre les différents éco-organismes ? Les conditions sont-elles réunies pour qu'une concurrence saine et efficace améliore les résultats de la filière ?
Connaît-on le coût de la filière REP pour l'année à venir ? C'est important, puisque certains acteurs ont souhaité que le paiement des éco-contributions soit intégralement répercuté sur le client final, ce qui me semble peu avisé en cette période d'inflation. Le principe de la REP est de faire porter la prévention et la gestion des déchets sur l'amont, et non sur l'aval : c'est à ce prix que les pratiques pourront s'améliorer.
Enfin, la question de l'économie circulaire dans le bâtiment ne se résume pas à la mise en place de la filière REP. La loi « Agec » a prévu un autre dispositif très intéressant pour la planification et l'organisation des flux de déchets du bâtiment : le diagnostic déchets. Les auditions dans le cadre du groupe d'études « Économie circulaire » nous ont permis d'identifier des difficultés d'application actuelles ou potentielles.
Nous regrettons le retard pris dans la publication de l'arrêté d'application. Cette situation est d'autant plus dommageable que l'application du diagnostic avait déjà pris du retard avec la publication tardive des décrets, six mois après la date fixée par la loi. Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Enfin, l'absence de sanction en cas de non-application du diagnostic pourrait inciter les acteurs de la chaîne de valeur à ne pas changer leurs pratiques. Une obligation de remise d'attestation de réalisation du diagnostic lors de la demande de permis pour les rénovations et démolitions pourrait constituer un levier incitatif fort : qu'en pensez-vous ?
M. Jacques Vernier. - Les filières REP étant innovantes, il faut les mettre en place de manière progressive, pour qu'elles soient digérables et digérées par les secteurs économiques. Le réseau maillé ne peut pas se faire en un jour : les textes précisent que la moitié du réseau devra être installée pour fin 2024, et l'intégralité pour fin 2026, nous avons donc du temps. La loi prévoit que la filière prendra en charge les coûts de transport entre le chantier et le point de reprise - jusqu'à 80 % des frais seront ainsi pris en charge, mais progressivement : les textes fixent d'abord un seuil de 50 % des frais de transports, avant le passage à 80 %. Les éco-contributions seront donc payées par les producteurs, mais progressivement, et les barèmes établissent une charge de 2 ou 3 centimes par kilogramme de produit. Cette progressivité va se traduire par une montée en charge lente.
Ensuite, il y aura un organisme coordinateur pour organiser le réseau maillé, qui sera commun aux éco-organismes. Il y aura un contrat-type entre les éco-organismes et les collectivités, qui sera lui aussi unique. Cet organisme coordinateur est en cours de mise en place, car les quatre éco-organismes agréés ont deux mois pour le faire à compter de leur agrément.
Qui paie la REP ? Le producteur du matériau, ou de l'objet fini ? Des professionnels du bâtiment, et avec eux la FNB, posent la question : le menuisier est-il le producteur ? Est-ce à lui de payer la REP ? Ces professionnels et la FNB répondent par la négative, mais l'État a tranché dans l'autre sens : le menuisier est bien le producteur. Il s'agit ici de respecter le principe général de la REP : l'important, ce n'est pas seulement le matériau, c'est surtout la façon dont le produit est fabriqué. Il faut tendre vers une meilleure éco-conception, par exemple en rendant l'objet démontable. Dans la filière des meubles, par exemple, l'ébéniste est bien producteur, avec un barème simplifié.
Pourquoi le diagnostic déchets est-il en retard ? Le texte de référence est un peu complexe, cela prend donc du temps.
Est-ce sain d'avoir quatre éco-organismes qui vont se concurrencer ? La concurrence a ses vicissitudes, certes, mais la REP nécessitant de l'innovation, elle a aussi des vertus. On ne parle pas assez de l'aval, du réemploi et du recyclage, il y a donc de la place pour la concurrence et l'innovation. Cela dit, les éco-organismes se sont effectivement lancés dans une course à l'échalote avec des éco-contributions basses pour avoir le plus de clients possible. Cette concurrence sauvage, ce dumping sur les prix n'est pas très correct pour les producteurs, car les tarifs bas pour l'an prochain masquent le fait qu'ils vont fortement augmenter l'année suivante. La FFB a appelé à des tarifs stables, elle a raison.
M. Yolaine Paufichet. - J'ai une proposition : renommer le diagnostic « déchets » en diagnostic « ressources », car le diagnostic suppose qu'on va pouvoir réutiliser le bâti et ses matériaux, qui ne seront donc pas nécessairement des déchets. Je pense aussi que ce diagnostic devrait être obligatoire dès qu'il y a projet de réhabilitation ou de démolition, y compris sous le seuil actuel de 1 000 m2.
Sur le prix, ensuite, l'idée n'était pas que le maître d'ouvrage paie la REP, alors que c'est ce qui va se passer : c'est difficile pour nous, surtout quand le prix des matériaux augmente. Une piste : le propriétaire ne pourrait-il pas payer la REP du bâtiment à démolir ?
M. Franck Perraud. - Le diagnostic déchets a été long à se mettre en place, mais le rythme est maintenant bon, parce qu'il est beaucoup plus demandé désormais.
L'annonce faite par Bruno Le Maire la semaine dernière de reporter d'un trimestre le paiement de l'éco-contribution pour les PME est une bonne chose, mais c'est une sorte de concurrence déloyale et malvenue envers les entreprises plus importantes.
La reprise de nos déchets est aujourd'hui payante, la REP va permettre une reprise gratuite, donc il ne devrait pas y avoir de surcoût pour le maître d'ouvrage.
Nous ne savons toujours pas jusqu'où les entreprises du bâtiment vont être considérées comme émettrices de déchets, s'il leur faudra donc adhérer à un éco-organisme. Ceci pour un prix que nous ne connaissons pas bien, puisque les tarifs annoncés cette année pourraient quadrupler ou quintupler dès l'an prochain...
L'ébéniste serait l'émetteur de déchets sur le marché ? Ce serait méconnaître le fait que, de plus en plus, nous sommes des assembleurs, pas des concepteurs des produits, c'est le cas par exemple pour les fenêtres où c'est le fabricant qui choisit les matériaux et les procédés de montage, nous n'avons pas la main sur ces critères. Cela n'enlève rien au fait que nous soutenons la démarche - il faut concevoir les bâtiments dans le temps - mais nous nous interrogeons sur la cible. Ce qui nous inquiète également, c'est la charge administrative supplémentaire de la REP, qui risque de décourager les artisans à fabriquer eux-mêmes.
M. Stéphane Demilly. - Le réemploi des matériaux est une piste intéressante, surtout quand on mesure l'importance des déchets du bâtiment et leur rôle dans les dépôts sauvages - l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) a publié une étude sur le sujet. La loi a prévu une REP « bâtiment » pour mieux gérer ces déchets. Il a fallu attendre le décret d'application, puis le cahier des charges, qui n'a été disponible qu'en mai dernier. J'ai une première question sur le réseau maillé dont vous parlez : sera-t-il bien réparti sur le territoire, ou bien y'aura-t-il des régions ou des filières moins bien dotées ?
Le réemploi est d'autant plus utile quand les matériaux se raréfient et aussi pour réduire les gaz à effet de serre. Le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) identifie une trentaine de filières de produits ré-employables : quels sont les leviers pour avancer, ou à l'inverse les freins - et faut-il aller plus loin dans la loi pour aider le réemploi ?
M. Didier Mandelli. - Vos propos ne me rassurent guère, car à un mois de l'échéance, il reste encore beaucoup d'incertitudes sur la REP - il aurait été utile que nous entendions aussi les quatre éco-organismes et les services de l'État sur le sujet. En juillet dernier, j'ai demandé à Christophe Béchu que l'éco-contribution soit visible, comme cela se passe par exemple pour l'électroménager, parce que la transparence est la meilleure façon que cette éco-contribution n'augmente pas d'échelon en échelon jusqu'au destinataire final, le consommateur : qu'en pensez-vous ?
Une remarque sur la concurrence entre les éco-organismes : s'il y en a, c'est à cause du cahier des charges - et il faut regarder de ce côté-là si l'on veut en arrêter les effets.
Un exemple, ensuite, de réemploi : le charpentier Briand vient de démonter une ancienne usine Alstom à Nantes, il a pu récupérer plus de 100 tonnes de matériaux pour les utiliser ailleurs, cela montre que c'est possible, et qu'il faut aller plus loin dans ce sens, en priorisant le réemploi. La démarche « qualité environnementale », du reste, existe depuis plus de vingt ans et vise précisément la gestion des déchets dans le bâtiment : en réalité, les outils existent, à chacun de les prendre en charge.
M. Éric Gold. - Si la filière n'est pas structurée, il y a des règles qui encouragent le réemploi, des collectivités territoriales volontaristes s'engagent dans leurs appels d'offres, avec des clauses incitatives : dans quelle proportion ces outils sont-ils utilisés ? Le renchérissement des matériaux accélère-t-il la dynamique ?
Mme Martine Filleul. - Constatez-vous des changements dans les écoles d'architecture ou dans les formations d'apprentis, y prend-on en compte les messages vertueux sur la réhabilitation et la « démontabilité » du bâti ? Je suis, depuis longtemps, frappée par le décalage entre les lois que nous prenons et ce qui a cours dans la formation - et pour ce que j'en sais, les architectes sont encore éduqués au béton plutôt qu'à la réhabilitation, laquelle est une révolution dans le métier d'architecte. Les enseignements vous paraissent-ils avoir changé ?
Vous ne mentionnez pas l'amiante : est-ce un sujet derrière nous ?
M. Jacques Vernier. - L'amiante a fait l'objet d'un débat et elle a été incluse dans la REP. Elle pourrait être accueillie dans les lieux de collecte publics. Une précision sur les termes : le réemploi vise la réutilisation d'objets, tandis que le recyclage vise la réutilisation des matériaux. Pour le réemploi, il faut que l'objet soit suffisamment intègre pour être réutilisé, c'est pourquoi les objectifs sont bien plus modestes que pour le recyclage, ils ne dépassent guère 5 %. Cependant, nous avons désormais des objectifs de réemploi dans toutes les filières, cela n'existait pas avant la loi.
À titre personnel je ne suis pas partisan de la contribution visible, telle qu'elle existe pour les meubles et les déchets électriques. Car la contribution visible peut inciter les producteurs à se contenter de la payer et de la transmettre... jusqu'au client final.
M. Didier Mandelli. - Oui, mais sans augmentation, c'est l'avantage.
M. Jacques Vernier. - Le principe est la responsabilité du producteur, je ne vois pas pourquoi on exigerait qu'il reporte la contribution sur le consommateur, ce serait le déresponsabiliser. Si le producteur transmet la charge, quelle sera l'incitation à l'éco-construction, au changement des comportements ?
M. Didier Mandelli. - Pour ma part, je pense que la charge est toujours reportée sur le consommateur, le producteur répercute le coût ; l'avantage, avec la transparence, c'est que ce coût n'augmente pas à chaque intermédiaire au détriment du consommateur - et je crois que c'est faire un procès d'intention au producteur de considérer qu'une contribution visible le déresponsabiliserait.
M. Yolaine Paufichet. - Pour enseigner en école d'architecture, je peux témoigner des nouvelles manières de voir l'architecture, le travail sur l'existant, la réhabilitation, le réemploi... Nous abordons ces sujets, la répercussion peut ne pas être immédiate, il faut de la pédagogie - un étudiant m'a demandé s'il fallait attendre pour s'y mettre, à quoi je lui ai répondu qu'on n'avancerait pas si chacun attend les autres : il y a des pionniers, il faut les suivre.
Nous abordons bien sûr le sujet de la formation dans notre plaidoyer : il faut sensibiliser dès le secondaire au thème de l'éco-construction. Il y a des métiers nouveaux et il faut que des jeunes s'y engagent. Pour avancer, il faut financer la formation des acteurs, stimuler recherche et développement et renforcer les budgets des écoles d'architecture.
M. Franck Perraud. - Il n'est guère possible pour nous de répondre à la question de la densité adéquate du maillage sur le territoire, par type de déchets, car nous ne savons pas encore comment il va se mettre en place.
Sur le réemploi, ensuite, nous avons un problème avec l'assurabilité, car des objets et des matériaux ne remplissent pas toujours les normes, les performances environnementales et de sécurité qui s'imposent aujourd'hui. Il faut donc démonter et requalifier les éléments, c'est une démarche qu'on doit laisser à la main des entrepreneurs du métier, qui connaissent les règles de l'art, et que la maîtrise d'ouvrage doit prendre en compte quand elle demande du réemploi.
Nous étions favorables à l'affichage visible, pour éviter que l'éco-contribution n'augmente à chaque étape. Cependant, la difficulté est administrative, parce que l'imputabilité de l'émission de déchet peut être très complexe à établir, bien trop pour de petites entreprises et des artisans. Cela dit, les fournisseurs font déjà apparaître cette taxe, de gré à gré.
Sur la formation, il y a au moins deux sujets. Premièrement, la transformation numérique : il faut que les apprentis connaissent les outils numériques, ce qui n'est pas gagné étant donné les équipements des lycées professionnels. Ensuite, la transformation énergétique : sur ce point, l'esprit a changé, car les jeunes sont très sensibles aux défis du changement climatique.
M. Yolaine Paufichet. - Dans la construction, les matériaux neufs viennent avec leur fiche de déclaration environnementale et sanitaire (FDES), mais il n'y en a pas pour les matériaux réemployés. Cela pose un problème pour l'assurabilité, mais aussi pour la santé dans le bâtiment, sachant que des matériaux sont aujourd'hui interdits alors qu'ils étaient couramment employés par le passé et qu'ils peuvent encore être dangereux.
Mme Marta de Cidrac. - Certaines de vos réponses ne sont pas complètes, ce qui montre bien la complexité du sujet. La REP devait être mise en place début 2022, elle a été reportée d'un an. Je pense qu'il est temps qu'on avance, même s'il y a encore des choses à régler. J'entends vos inquiétudes, elles sont normales, il y a des réglages à faire, par exemple sur l'assurabilité et les propriétés techniques des matériaux pour leur réemploi ; je retiens également votre suggestion sémantique : il me semble plus pertinent de parler de diagnostic « ressources » plutôt que de diagnostic « déchet ».
Nous aurons d'autres auditions sur l'économie circulaire, mais il faut surtout continuer à travailler ensemble.
Mme Angèle Préville. - Dans mon rapport d'information sur la pollution plastique, j'ai souligné les difficultés du recyclage par exemple des fenêtres en PVC ou des sols qui ont parfois des perturbateurs endocriniens : comment envisagez-vous en prendre en compte cette dimension du problème ? Que faire des matériaux présents dans l'habitat, dont on découvre qu'ils sont dangereux pour la santé et l'environnement ?
M. Jacques Vernier. - C'est une question fondamentale, pour le réemploi comme pour le recyclage, des matériaux autorisés hier sont interdits aujourd'hui, cela peut compliquer les opérations.
M. Yolaine Paufichet. - Le Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) du Calvados vient d'organiser un colloque « Bâtir pour une santé », sur la place des matériaux biosourcés et géosourcés dans la construction : j'y ai entendu Suzanne Déoux et me permets de vous renvoyer à ses travaux. Le réemploi suppose surtout de bien connaître les matériaux, qui peuvent être réutilisés parfois à certaines conditions - une poutre coffrée, par exemple, n'émane plus de produits dangereux. Il faut en connaître les caractéristiques, c'est aussi notre travail d'architecte.
M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour ces contributions.
La réunion est close à 11 h 00.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.