Mardi 11 octobre 2022
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 17 h 30.
Projet de loi de finances pour 2023 - Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des armées
M. Christian Cambon, président. - Monsieur le ministre, après une première audition en juillet dernier, nous entrons maintenant dans le vif du sujet, avec l'examen du projet de loi de finances pour 2023, jalon particulièrement important, tant pour l'exécutif que le Parlement.
Monsieur le ministre, vous êtes accompagné par les principaux responsables du ministère et des armées : je vous adresse à tous une cordiale bienvenue. Les chefs d'état-major qui vous entourent seront auditionnés dans les semaines à venir.
Ce budget est le premier depuis le début de la guerre en Ukraine, tournant majeur dont il faut tirer tous les enseignements en termes géopolitiques et militaires pour notre continent et pour notre pays.
La remontée en puissance des armées françaises a été entreprise dès 2015, pour répondre à une menace venue du sud qui reste pleinement d'actualité ; l'instabilité du continent africain l'atteste. Cependant, la réactivation de la menace venue de l'est, que nous avions probablement sous-estimée, pose des questions inédites, qui appellent des réponses nouvelles et des moyens supplémentaires.
Ce budget constitue par ailleurs une étape importante dans la mise en oeuvre de la loi de programmation militaire (LPM) pour 2019-2025. La marche de 3 milliards d'euros supplémentaires est franchie, pour un budget de près de 44 milliards d'euros. Nous vous en donnons volontiers acte, monsieur le ministre, compte tenu des multiples tensions sur le budget de l'État. J'en donne acte aussi au Président de la République, qui a souhaité préserver l'esprit et le contenu de cette LPM, qui avait été acceptée, au Sénat, par 326 voix sur 348.
Toutefois, que signifie une augmentation budgétaire de 7 % lorsque l'inflation est estimée à 6,5 % pour 2022, et à plus de 4 % en 2023 ? C'est le principal point d'achoppement de ce budget. La technique budgétaire fournit des réponses à court terme, puisque des reports de charges sur les années suivantes sont toujours possibles. Votre prédécesseur avait souhaité atténuer ces reports. Le risque est réel d'affronter, dans les années à venir, le retour de la « bosse » budgétaire, pénalisante pour la réalisation des investissements indispensables.
Enfin, ce budget est un budget de transition vers la prochaine LPM : nous espérons des précisions à ce sujet, sinon sur le fond, du moins sur le calendrier et la méthode. Le Sénat, qui est un pôle de stabilité dans la vie politique actuelle, souhaite être associé à ce travail. Nos travaux sur le PLF pour 2023 auront nécessairement un impact sur la prochaine LPM. Un travail de fond est nécessaire, car cette nouvelle loi de programmation sera fondamentale ; c'est l'avenir de la France comme puissance européenne et comme puissance mondiale qui se joue. Il y va de la sécurité des Français.
J'espère, monsieur le ministre, que vous nous parlerez « cartes sur table », pour nous exposer aussi bien vos objectifs que les difficultés rencontrées.
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je souhaite avant tout rendre compte au Sénat d'une décision du Président de la République prise hier soir. Au regard de la violence des combats en Ukraine, le Président de la République a décidé de rehausser notre posture défensive, en déployant une compagnie renforcée de blindés de combat d'infanterie et un escadron de chars Leclerc en Roumanie, pour renforcer le flanc oriental de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan). Nous devons rester solidaires avec nos alliés. Des Rafale seront aussi déployés en Lituanie, ainsi qu'une compagnie d'infanterie légère en Estonie, fin octobre ou début novembre.
Le Sénat souhaite être associé à l'élaboration de la prochaine LPM. Nous souhaitons la construire différemment de la précédente. Le suspense n'est pas grand, les crédits n'ont pas vocation à diminuer, chacun le sait. Certains livres blancs avaient vocation à masquer des réductions budgétaires. Notre revue stratégique, qui a pointé de nombreux dangers, s'est malheureusement révélée pertinente. Face à notre devoir de réactivité, nous souhaitons construire cette nouvelle LPM avant même son dépôt en Conseil des ministres, dans une plus grande « intimité » avec les deux chambres et parfois de manière séparée, pour préserver l'identité du regard des deux assemblées ; les premiers groupes de travail pourront se réunir très rapidement, avec tous les personnels du ministère, par exemple sur le thème des réserves, sur le plan Famille, sur nos alliances, sur les questions capacitaires, ou encore sur l'innovation.
La revue nationale stratégique a fait l'objet d'un travail interministériel, piloté par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Avec la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, nous pourrons vous présenter les thèmes de cette revue nationale. Nous sommes à votre disposition.
Créer plus d'intimité avec le Parlement demande d'être créatif, mais aussi de rendre compte. Les crédits augmentent, mais cela pose la question de l'acceptation sociale d'une telle augmentation. Nous ne pouvons éluder ce débat. Au ministère des armées, l'ordonnateur principal compte autour de lui des ordonnateurs délégués, qui parfois engagent des blocs de dépenses de plusieurs milliards d'euros. Il nous faut donc rendre compte de manière très démocratique et fine de l'utilisation de ces crédits, selon une nouvelle méthodologie de contrôle, ce qui explique le format de cette audition.
Cette année, la parole est tenue pour la courbe des recettes : nous passons de 32,3 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) en 2017 à 43,9 milliards d'euros en 2023, soit une augmentation de 36 %. L'augmentation est du même ordre en autorisations d'engagement (AE) : 40,8 milliards d'euros en 2017 et 52,8 milliards d'euros en 2023. Nous ne constatons pas de décalage entre CP et AE, la parole est donc bien tenue.
La première marche de 3 milliards d'euros nous permet de nous positionner dans le concert des nations, même si les comparaisons restent difficiles entre pays de l'Otan. Notre pays dispose de l'arme nucléaire, de territoires d'outre-mer où il doit exercer sa souveraineté et d'une armée d'emploi. Les crédits augmentent dans tous les domaines - heureusement, nous n'avons pas attendu l'Ukraine, ce qui nous distingue.
J'en viens aux grands blocs de dépenses depuis 2018. La modernisation des équipements représente la principale augmentation : elle consomme 41 % des ressources supplémentaires, principalement pour la dissuasion. En 2023, les CP pour les équipements majeurs s'établissent à 8,5 milliards d'euros, soit une augmentation de 5,6 % par rapport à 2022. Les 14,2 milliards d'euros en AE nous permettent de passer commande de 400 véhicules blindés légers Serval, d'une capacité exploratoire pour les fonds marins, de 42 Rafale ou encore de 19 stations navales de communication satellitaire.
Le budget de la dissuasion s'élève à 5,6 milliards d'euros en CP pour 2023, soit une augmentation de 318 millions d'euros, notamment pour moderniser la simulation et rendre intègres et parfaitement sécurisées nos transmissions spécifiques.
Ce budget pour 2023 constitue un pivot vers la nouvelle LPM et tient compte du retour d'expérience du conflit en Ukraine. Le capacitaire avait beaucoup absorbé les crédits nouveaux depuis 2017. En 2023, la répartition sera un peu différente.
Je commence par les ressources humaines. Il n'y a pas d'armée sans soldats, sans leurs familles et sans réservistes : nous proposons 1 500 créations de postes en une année seulement, principalement pour le renseignement et la cybersécurité, contre 500 par an auparavant ; la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) suit son cours ; nous intégrons l'augmentation du point d'indice de la fonction publique, qui représente 357 millions d'euros supplémentaires en 2023 ; enfin 180 millions d'euros sont dévolus au plan Famille, sachant que nous voulons coproduire, avec le Sénat, le plan Famille 2, selon une nouvelle méthode, qui associe mieux les collectivités territoriales ; en la matière, l'expertise du Sénat sera précieuse.
La question des munitions et du maintien en condition opérationnelle (MCO) est aussi très importante : sur proposition du chef d'état-major des armées, 5 milliards d'euros supplémentaires sont consacrés au MCO, dont 57 % pour la maintenance de nos capacités aéronautiques. Le budget pour les munitions s'élève à 2 milliards d'euros, soit 500 millions de plus qu'en 2022 ; cela représente une augmentation de 60 % par rapport à 2019. Nous commandons, entre autres, 200 missiles de moyenne portée, 100 missiles Samp/T, 100 missiles air-air Mica ou des bombes air-sol. Voilà du concret, avec un effort majeur de 1,7 milliard d'euros pour les équipements individuels.
En ce qui concerne les infrastructures, une inertie existe entre les milliards votés à Paris et la réalité sur le terrain. Nous en sommes conscients. L'effort est de 2 milliards d'euros en CP, c'est-à-dire en travaux réalisés pour l'année 2023, sachant qu'il faut bien distinguer les infrastructures purement militaires, destinées aux armements, des infrastructures civiles d'hébergement.
Je souligne deux points d'attention, le spatial et le cyber, notamment dans la perspective de la prochaine LPM ; ces deux domaines doivent répondre aux exigences d'innovation et aux problématiques de compétition.
En matière spatiale, nativement duale, nous prévoyons 702 millions d'euros en CP : 10 hubs Syracuse 4 sont programmés, 37 stations tactiques satellitaires ou encore la livraison d'un satellite Syracuse 4.
En matière cyber, les efforts en ressources humaines sont importants. Les enjeux portent aussi bien sur notre territoire que sur notre présence à l'étranger, où la guerre informationnelle nous rappelle aux réalités de la guerre hybride.
L'année 2023 est une année de tuilage pour notre base industrielle et technologique de défense (BITD) et pour nos opérations extérieures, avec un nouvel agenda de présence en Afrique. Les missions de l'Otan montrent qu'il faudra faire preuve de qualités d'adaptation.
L'économie de guerre exige des équipements rapidement disponibles. Au moment où l'armée change, il faut embarquer la BITD avec nous, pour répondre aux exigences de réactivité comme de modernité. Comme les gaullistes ont su le faire dans les années 1950, il nous faut mener une réflexion stratégique d'ampleur, sur notre industrie de défense, sur notre coopération avec nos alliés, sur l'évolution de nos « forces morales », pour reprendre l'expression du Président de la République dans son discours de Brienne, ce qui implique d'envisager les évolutions du service national universel (SNU) et de la réserve et de repenser notre devoir de mémoire.
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Monsieur le ministre, vous nous avez parlé de sincérité : je vous donne volontiers acte du fait que votre budget 2023 respecte la trajectoire de la LPM.
Je souhaite insister sur un certain nombre de points de vigilance : en matière d'inflation, le report de charges est une dette à l'intérieur de la dette, ne l'oublions pas ; les nouveaux équipements sont plus sophistiqués, le MCO coûte donc plus cher ; la mise en oeuvre du système de combat aérien du futur (Scaf) tarde, et nous devons régler ce problème avant d'envisager le remplacement du porte-avions Charles de Gaulle ; enfin, en matière de munitions, les délais de production sont parfois problématiques.
Nous sommes nombreux à avoir regretté de ne pas avoir été associés à la révision de la LPM en 2021. Je prends donc acte de votre volonté d'associer le Parlement à l'écriture de cette nouvelle loi de programmation.
M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis pour le programme 146 « Équipement des forces ». - Monsieur le ministre, face aux événements en Ukraine, les autres pays européens ont décidé d'investir massivement, notamment l'Allemagne et le Royaume-Uni, ou encore la Pologne pour 40 milliards d'euros. Nous risquons de voir un nouveau centre de gravité européen émerger. La France doit-elle craindre un déclassement ?
Le Sénat a pour seul objectif de servir la France et ses armées. Le vote de la précédente LPM témoigne de notre loyauté.
D'autres pays étrangers investissent massivement : Israël, la Corée du Sud, ou encore d'autres pays européens. Il n'est pas acceptable que nous distribuions des fonds européens à des pays qui achètent du matériel non européen - voyez l'Allemagne, qui s'oriente vers le programme Poséidon, le F-35 ou encore une défense antimissile israélienne. Comment pouvons-nous considérer l'Allemagne comme un partenaire quand ses investissements militaires sont principalement américains ?
Vos interventions sur ce budget, monsieur le ministre, évoquent des « blocs » - dissuasion nucléaire, ressources humaines, missiles - mais conserverons-nous un modèle d'armée complet ? Quid du système principal de combat terrestre, dit MGCS, quid du Panther KF51, quid de l'acquisition massive de chars coréens par les Polonais, qui rendraient caduque ledit MGCS ? Outre les listes d'équipement, quelle est votre vision à long terme, notamment vis-à-vis du Scaf et de projets comme le planeur hypersonique ou l'avion spatial ?
Les 2 milliards d'euros pour les munitions vont-ils bénéficier à la France ? L'économie de guerre ne semble pas beaucoup bénéficier à nos industries. À quand les effets ?
Trois options sont sur la table : une LPM au fil de l'eau avec un étiage budgétaire de Bercy, l'option défendue par l'état-major des armées et votre vision... Mais quelle est-elle ?
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis pour le programme 146 « Équipement des forces ». - Monsieur le ministre, pour cette LPM nous manquons de vision, nous manquons de cadrage. Nous ne sommes pas certains de faire les bons choix dès cette année ; or une LPM est l'opposé même du court terme.
L'article 4 dispose que les surcoûts nets des opérations extérieures et des missions intérieures doivent être financés par un mécanisme interministériel. Au regard de la réorganisation de la mission Barkhane et de la mission Aigle, quel est le surcoût net, et quel serait le montant ponctionné sur le programme 146 ? L'article 5 prévoit des compensations à l'augmentation du prix des carburants. Où sont les crédits ? S'ajoutent les 350 millions d'euros pour la revalorisation du point d'indice. Comment sont-ils financés ? Le Président de la République a annoncé la création d'un fonds spécial de 100 millions d'euros supplémentaires pour l'Ukraine, mais avec quels financements ? Nous aimerions mieux connaître les arbitrages au sein des 3 milliards d'euros d'augmentation.
Le format Rafale à l'horizon 2025 souffre d'un décalage d'un an entre la commande et la livraison des appareils. Le nombre d'appareils disponibles a une incidence sur le nombre d'heures de vol des pilotes, qui est passé de 180 à 150 heures par an. Envisagez-vous d'acquérir des appareils étrangers pour combler cette sous-capacité ?
M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis pour le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». - Il est difficile de faire fi de l'actualité immédiate, mais ne négligeons pas la prospective, l'innovation et le renseignement.
Je voudrais soulever deux points d'attention relatifs aux études amont et au financement de la BITD.
Les crédits consacrés aux études amont augmenteront de 1,5 % en CP, pour atteindre le milliard d'euros prévu par la LPM en cours. En revanche, les AE connaîtront une légère baisse de l'ordre de 0,2 %. Pourriez-vous nous préciser les raisons de cette diminution, qui impactera négativement le domaine de l'information et du renseignement classique, hors espace ? Dans l'aéronautique, lors de votre déplacement à Berlin en septembre dernier, vous avez dit : « [Le Scaf] est attendu autant par Berlin que par Paris et ce projet se fera, on ne peut pas être plus direct ». Où en sont les discussions, au niveau politique, entre la France et l'Allemagne et, au niveau industriel, entre Airbus et Dassault ? Quel est le calendrier ?
S'agissant du financement de la BITD, le 13 juillet dernier, le Président de la République a rappelé sa vigilance face aux conséquences des projets de taxonomie européenne sur l'investissement dans les innovations de défense. Certaines dispositions de la proposition de directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité pourraient s'avérer problématiques si elles devaient être appliquées à l'industrie de défense. L'intégration de l'aval de la chaîne de valeur pourrait poser problème s'agissant de matériels de guerre et de leur exportation, tout comme la vérification du respect de certaines obligations par une autorité indépendante, ce qui soulève des questions en matière de sécurité et de confidentialité. Comment éviter des contraintes trop lourdes, voire des sanctions à l'encontre des entreprises de la BITD ?
J'en viens au projet de vente de la pépite électronique Exxelia à un potentiel acquéreur étranger. Comment vos services suivent-ils cette vente ?
Enfin, après l'abandon du projet « Provinces de France » de votre prédécesseur et à la lumière de la guerre en Ukraine, la relance d'une filière de munitions de petit calibre est-elle d'actualité ?
M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis pour le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». - Monsieur le ministre, la guerre en Ukraine se durcit. Ainsi, nous revenons à la question fondamentale du rôle de la France au sein de l'Otan et de son rang, au regard des moyens dont elle dispose.
Le programme 144 s'intitule « Environnement et prospective de la politique de défense ». Il est au coeur de la réflexion qui doit collectivement nous conduire à identifier les enseignements du conflit en Ukraine, pour les traduire en priorités pour l'innovation de défense. Notre industrie de défense connaît des angles morts : drones armés, munitions rôdeuses et défense aérienne du territoire. Il faut agir face à la guerre en Ukraine, mais aussi anticiper les menaces futures.
Est-il crédible qu'en seulement deux mois, et dans l'urgence, une nouvelle LPM soit déjà budgétée dans une fourchette comprise entre 435 milliards d'euros pour 7 ans, demande des états-majors, et 375 milliards d'euros, selon Bercy ? N'est-il pas surprenant de discuter d'une échelle de coûts préalablement à l'évaluation des besoins ? La proposition de Bercy me semble ubuesque. La situation est préoccupante, nos démocraties pourraient être mises en danger et nos libertés fondamentales remises en cause. Dans ce contexte, j'ai plus confiance dans la rigueur militaire de nos chefs d'état-major que dans la rigueur budgétaire de Bercy.
J'en viens à nos moyens de renseignement. La loi de programmation 2019-2025 prévoyait 1 500 nouveaux emplois pour renforcer les domaines de la cyberdéfense et du renseignement. De fait, les crédits de fonctionnement et d'équipement pour 2023 continuent de progresser. En revanche, les moyens humains du renseignement extérieur vont stagner, à hauteur d'un peu plus de 5 700 équivalents temps plein travaillé (ETPT), alors que la Chine emploie 100 000 cybercombattants et que la Russie ou la Corée du Nord se livrent au piratage et au rançonnage informatique, à la désinformation de masse, notamment en Afrique. Sommes-nous au bon niveau par rapport à nos agresseurs, mais aussi par rapport à nos alliés britanniques et allemands, dans ce domaine essentiel du renseignement extérieur ?
M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis pour le programme 178 « Préparation et emploi des forces ». - Vous avez annoncé que presque 5 milliards d'euros iraient, dans ce budget, au maintien en condition opérationnelle du matériel, soit 500 millions d'euros supplémentaires. Or notre commission avait identifié, avant votre entrée en fonctions, un déficit de 1,2 milliard d'euros sur les premières annuités de la période de programmation. C'était aussi avant la vente de Rafales, qui a décalé l'arrivée de nouveaux équipements et renchéri l'entretien d'aéronefs vieillissant. Dès lors, ces 500 millions seront-ils suffisants et répondent-ils au besoin de nos armées ? Comment préparer la haute intensité dans de telles conditions ?
Quant aux Opex, le Président de la République a annoncé en début d'année notre retrait de l'opération Barkhane au Mali. C'est chose faite depuis le 15 août. Barkhane nous coûtait environ 700 millions d'euros par an. Qu'en sera-t-il dans notre nouveau format d'engagement au Niger et au Tchad ? Comment cela se combinera-t-il avec la mission de réassurance de l'Otan que vous avez évoquée ?
Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis pour le programme 178 « Préparation et emploi des forces ». - Vous connaissez mon inquiétude récurrente quant à l'évolution des effectifs du service de santé des armées (SSA), qui accusait un déficit pour les médecins de premier recours de 136 postes en 2021.
Cette année, pour la première fois depuis sept ans, seul l'effectif moyen réalisé nous a été communiqué et non le plafond ministériel des emplois autorisés, ce qui nous empêche de calculer le déficit en médecins. Je compte sur vous pour communiquer ce plafond, ainsi que le taux de projection des équipes médicales, qui atteignait 125 % en 2021, et celui des équipes chirurgicales, qui dépassait 200 %.
Les personnels du Centre de transfusion sanguine des armées (CTSA) et de l'Institut de recherche biomédicale des armées ont été injustement exclus du bénéfice du Ségur de la santé, notamment du complément de traitement indiciaire, en raison d'une rédaction trop restrictive des décrets d'application. Il est impératif de remédier à cette situation dans les meilleurs délais.
Quelles mesures d'urgence est-il prévu de prendre dans la prochaine LPM pour le SSA, mais aussi pour le commissariat central et tous les services de soutien de nos armées, notamment le service de l'énergie opérationnelle ?
Comment celui-ci a-t-il fonctionné en 2021, avec un coût du baril supérieur de 77 % aux hypothèses de la loi de finances et un décrochage sévère de la parité dollar-euro ? Si la hausse des prix du carburant opérationnel est durable, l'article 5 de la LPM prévoit que « des crédits supplémentaires seront ouverts en construction budgétaire, pour couvrir les volumes nécessaires à la préparation et à l'activité opérationnelle des forces ». Comment cette disposition est-elle appliquée dans le cadre du PLF pour 2023 et quel est le montant des crédits supplémentaires ouverts ?
M. Joël Guerriau, rapporteur pour avis pour le programme 212 « Soutien de la politique de la défense ». - Dans son discours aux armées prononcé en juillet dernier, le Président de la République a annoncé un objectif de doublement de la réserve opérationnelle de premier niveau, objectif dont vous avez récemment souligné publiquement l'importance ; estimant que nos réservistes ne sont « pas toujours suffisamment bien utilisés », vous avez appelé de vos voeux une réflexion profonde sur l'organisation de la réserve.
Alors que la Cour des comptes a récemment recommandé le transfert aux forces de sécurité intérieure de l'opération Sentinelle, dont les militaires sont pour beaucoup issus de la réserve opérationnelle de l'armée de terre, quels sont à l'heure actuelle vos axes de réflexion sur l'évolution de la doctrine d'emploi des réservistes militaires ? Estimez-vous que les réservistes doivent-être dédiés à des tâches spécifiques, notamment sur le territoire national, ou pensez-vous qu'ils devraient pouvoir être intégrés à l'ensemble des missions assurées par nos forces armées ?
Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis pour le programme 212 « Soutien de la politique de la défense ». - L'exercice budgétaire 2023 correspondra au troisième et dernier volet de mise en oeuvre de la NPRM déployée à partir de 2021.
Si cette réforme a permis d'améliorer la lisibilité des primes et indemnités perçues par les militaires, en réduisant leur nombre de plus de 170 à 8, elle n'a pas conduit à une revalorisation globale de la rémunération de nos soldats, marins et aviateurs.
Malgré des sujétions plus lourdes que dans la société civile, le Haut Comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) documente depuis plusieurs années un décrochage entre le niveau de vie des militaires et celui des fonctionnaires civils et des employés du secteur privé. Alors que l'inflation atteint aujourd'hui 6 % en glissement annuel, il devient essentiel de préserver le pouvoir d'achat des militaires.
Pensez-vous que leur niveau actuel de rémunération suffit pour assurer l'attractivité de nos armées ? Quelles sont vos pistes de réflexion dans ce domaine pour la prochaine LPM ?
Dans le cadre de la préparation de celle-ci, comptez-vous faire évoluer le plan Famille, et en quel sens ?
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. - L'inflation est un défi qui s'impose à nous. Il ne faut pas se raconter d'histoires : sur la marche de 3 milliards d'euros dont nous disposons, on estime que l'inflation, à son rythme actuel, mange 1 milliard. Ce problème ne concerne évidemment pas que le ministère des armées. Quelles solutions sont sur la table ? Heureusement, nos crédits augmentent, mais cela ne suffit pas.
La question des carburants est cruciale. Je veux à ce propos préciser le fonctionnement de l'article 5 de la LPM sur les besoins en carburant des armées. Cela se fait en gestion et ne peut être prévu. Chaque année, on consomme d'abord les AE et les CP ouverts, peu importe le prix du carburant et l'activité opérationnelle. Si l'ensemble des crédits sont consommés, on déclenche l'article 5 : le Gouvernement demande alors au Parlement des crédits supplémentaires en loi de finances rectificative. Cette année, 50 millions d'euros supplémentaires nous ont ainsi été octroyés. Je souhaite qu'une telle disposition figure toujours dans la prochaine LPM.
Quant aux reports de charges, c'est un peu « La Cigale et la Fourmi ». On peut se permettre de proposer 1 milliard d'euros de reports de charges parce que Florence Parly n'en avait pas abusé auparavant, mais avait fait l'effort de les réduire. Une fois la bise venue, on peut les réaugmenter grâce à ces efforts. Je défends notre proposition, car elle permet de garder l'effet de nos 3 milliards d'euros, en dépit de l'inflation. Il faudra, en fonction du rythme de celle-ci, vous rendre compte de notre situation au cours de l'année 2023.
Concernant le Scaf et la construction de la prochaine LPM, j'ai entendu les remontrances que m'a faites le Sénat au début de l'été. J'ai exposé ma méthode de co-construction avec le Parlement de ce texte. Monsieur Perrin, je n'ai pas peur du Sénat ; c'est bien pourquoi j'y étais candidat, et candidat heureux, l'an dernier ! J'aime la démocratie représentative et le Parlement. Ce sujet est grave et sérieux ; de nombreuses contraintes s'imposent à nous. Il est sain de partager réflexions et décisions, surtout quand elles ont des effets sur plusieurs décennies.
Les comparaisons avec d'autres pays sont délicates, entre notre modèle de dissuasion nucléaire et l'étendue de notre outre-mer. Contrairement à certains, nous n'avons pas encore annoncé d'augmentations de crédits d'ici à 2030, puisque la LPM en cours demeure applicable. Là aussi, c'est à la fin du bal qu'on paie les musiciens ! Cela dit, on peut débattre du lien entre niveau de la dépense et efficacité du modèle d'armée. Ce n'est pas toujours lié, même si la dépense aide en matière technologique : le courage des combattants et la doctrine d'emploi des forces importent tout autant. Certains pays ont des casernes bien équipées dont les militaires ne sortent jamais... Je défends notre modèle d'armée ; il est attractif pour nos jeunes, car c'est une armée d'emploi ; nos généraux en parleront mieux que moi.
Concernant ce modèle d'armée complet, on doit en loi de finances découper notre vision en missions et en programmes ; pour une vision globale, il faudra attendre la nouvelle LPM. Celle que vous avez votée comporte des annexes détaillant nos cibles capacitaires. En loi de finances, on tente d'atteindre ces objectifs. Lors de la prochaine LPM, on déterminera quelle armée nous voulons en 2030. Il faudra arrêter ce que l'on veut faire seul à tout prix et ce pour quoi il vaut mieux travailler au sein de nos alliances. Nous tenons à notre modèle complet : nos voisins britanniques ont décidé de suspendre certaines fonctionnalités de leur armée, faisant le pari qu'ils pourraient les réactiver en cas de besoin, mais ils peinent aujourd'hui à les régénérer. Notre vision stratégique, issue des propositions de notre chef d'état-major des armées, maintient et durcit la cohérence de notre modèle, face à la double menace du terrorisme militarisé en Afrique et de l'agression russe en Ukraine, à laquelle s'ajoutent des menaces hybrides et celles qui pèsent sur notre outre-mer.
Les munitions sont pour la France, à l'exception de ce que le Président de la République pourrait donner à nos amis ukrainiens, comme nous l'avons déjà fait. Elles sont fabriquées en France. Quant au bon fonctionnement de l'économie de guerre, cela dépend des entreprises : certaines d'entre elles ont bien compris le message. Ainsi, il fallait au moins 24 mois à Nexter pour fabriquer un canon Caesar ; il pourrait désormais être fabriqué en 12 mois seulement. Notre industrie est capable d'une telle résilience ! Il faut un travail en profondeur pour donner de la visibilité et revenir sur certaines dépendances. Il nous faudra accompagner notre industrie de défense et être fermes en tant qu'État client.
Madame Conway-Mouret, la question du coût des Opex est clé. Désormais, une provision de 1,2 milliard d'euros est garantie chaque année. Si leur coût dépasse ce montant, il faut trouver une solution, d'abord par la solidarité interministérielle. C'est la loi et c'est un bon principe. Comme pour les carburants, on ne doit pas freiner notre capacité à défendre ainsi notre pays. Enfin, des lois de finances rectificatives peuvent nous donner, pendant l'exercice budgétaire, la capacité de modifier les choses.
Sur les coûts précis en 2022, je ne peux pas encore répondre à votre question. Ces crédits seront importants, pour deux raisons : le redéploiement du Mali au Niger a été une grande réussite logistique, mais a nécessité des moyens, tout comme notre présence au Niger ; les missions de réassurance sur le flanc est de l'Otan, de la Roumanie aux pays baltes, missions rendues nécessaires par l'invasion russe de l'Ukraine, que l'on ne pouvait prévoir lors du vote des crédits l'an dernier, requièrent aussi des moyens importants, entre 600 et 700 millions d'euros aujourd'hui. Tout cela coûte cher, il faut l'assumer devant nos concitoyens.
Quant au fonds spécial pour l'Ukraine, nous vous le proposerons, soit par voie d'amendement au projet de loi de finances, ou en projet de loi de finances rectificative. Le calendrier de la guerre ne correspond pas à notre calendrier budgétaire... Je signerai ce jeudi la convention portant création de ce fonds, doté de 100 millions d'euros, avec le ministre ukrainien de la défense ; les deux premières commandes, de 5 millions d'euros chacune, sont déjà engagées.
Les Rafale d'occasion cédés à la Grèce ont déjà été commandés, ils seront livrés avant la fin de cette LPM. Quant à ceux que nous cédons à la Croatie, au nombre de douze, ils seront commandés en 2023 et également livrés avant la prochaine LPM. Je le redis : je ne souhaite plus que l'armée de l'air et de l'espace constitue le tampon de nos différents exports : il faut garantir l'intégrité de nos moyens !
Monsieur Allizard, rassurez-vous : si les autorisations d'engagement pour le renseignement diminuent légèrement, cela correspond seulement aux dépenses engagées pour le nouveau siège de la DGSE, pour lequel les AE avaient déjà été ouvertes en 2022. Cette diminution n'a donc pas d'effet sur la politique de renseignement en tant que telle.
Quant au Scaf, j'ai bien déclaré que notre attente est « que cela se fera ». Oui, il y aura un avion du futur, un successeur au Rafale, qui aura vocation à participer à la dissuasion nucléaire et à nos politiques d'export. Oui, il y a une vision française, fondée sur des coopérations synallagmatiques : les deux parties doivent y trouver leur compte. J'ai rappelé à l'Allemagne et à l'Espagne que le Scaf doit se faire, car nous avons besoin d'un tel avion, mais aussi d'un système de cloud collaboratif, ainsi que de drones autour de cet avion. Nous devons tous exprimer ce besoin dans nos prises de position publiques.
M. Christian Cambon, président. - Y a-t-il un plan B ?
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. - La France n'a pas à rougir de son savoir-faire. Je crois à l'utilité de cet avion pour la dissuasion nucléaire comme pour nos exports. De tels programmes sont toujours longs et compliqués, mais je ne partage pas l'avis de certaines formations politiques peu représentées au Sénat qui dénoncent ce programme a priori. En revanche, nous devons nous engager franchement dans une telle coopération et dire clairement ce qu'on veut. Cela vaut aussi pour le char.
Concernant les PME et la relocalisation, pour une filière de munitions de petit calibre, c'est le covid plus encore que l'Ukraine qui nous en a rappelé la nécessité pour notre souveraineté ; cela fait partie de la feuille de route du DGA. Il ne faut plus de fragilités dans les stocks, les sous-traitances, ou les outils de production. Il n'est plus aberrant d'évoquer les risques de sabotage. La galaxie de l'économie de guerre est globale et le combat ne se gagnera pas en un soir. Notre modèle industriel est imbriqué avec notre modèle d'armée ; après-guerre, communistes et gaullistes ont su coopérer pour construire cette souveraineté française.
Monsieur Vaugrenard, je vous rassure : les chiffres sortis dans la presse sont faux. On ne part pas de la courbe, mais des effets militaires réels. Jadis, on partait de la courbe parce qu'elle diminuait. Désormais, la LPM se traduit par des augmentations de crédit. Le vrai sujet, c'est quel modèle d'armée on veut avoir ; il faut en déduire la courbe. Je ne pourrais pas proposer au Sénat de coconstruire la nouvelle LPM si une cible chiffrée était déjà arrêtée ! Du moins, je peux vous dire qu'on ne va pas se mettre à diminuer des moyens qu'on vient d'augmenter. La pente de croissance actuelle, ce n'est pas déjà si mal.
Quant à Exxelia, monsieur Allizard, ils ont des activités qui nous intéressent directement du point de vue stratégique. La disposition dite « Montebourg » permet à l'État de s'immiscer dans une transaction s'il estime qu'elle peut nuire à notre souveraineté. Les équipes du DGA et mon cabinet procèdent actuellement à des tours de table pour défendre nos intérêts ; je ne peux pas vous en dire plus aujourd'hui, mais j'ai bon espoir de pouvoir être plus précis avant la fin de l'année.
Le déménagement de la DGSE n'est pas qu'un changement de bâtiment, monsieur Vaugrenard ; il s'accompagne aussi d'une réorganisation profonde de ce service, dont l'identité militaire est clé. La réforme voulue par Bernard Émié permet de s'adapter aux nouvelles menaces et à leurs géographies. Il faudra, pour la prochaine LPM, s'interroger sur les moyens nouveaux à donner à la DGSE, notamment dans le domaine cyber, pour que nos agents puissent craquer les codes quantiques de demain.
Quant aux comparaisons avec les Britanniques et les Allemands en matière de renseignement, une réponse détaillée pourrait ne pas être très diplomatique ni adaptée à une audition ouverte... Disons simplement que nous n'avons pas à rougir de ce que nous faisons !
Concernant le montant des crédits alloués au MCO, monsieur Cigolotti, il est toujours bienvenu qu'ils augmentent ; il reviendra au chef d'état-major des armées de déterminer s'ils sont suffisants. Nos armées ont mené un travail délicat, en se concentrant sur les urgences. Les crédits que nous vous demandons pour 2023 iront directement sur le terrain, qu'il s'agisse d'aéronautique ou de munitions. Cela s'accompagne aussi des renforts prévus dans la LPM pour les équipes qui suivent les munitions.
Madame Gréaume, merci pour votre fidélité au SSA. Je vous communiquerai les chiffres que vous me demandez au plus vite. À mes yeux, le SSA est crucial. On ne peut pas avoir un engagement durci et cohérent si ce service de soutien vital ne suit pas. Or ce service a été abîmé et sollicité à l'excès, y compris par moi-même en tant que ministre des outre-mer... Nos soldats prennent des risques parce qu'ils savent qu'ils recevront les meilleurs soins : dans le contrat opérationnel, le SSA n'est pas un à-côté. Dès lors, dans le cadre de la nouvelle LPM, il nous faudra une copie complètement nouvelle pour ce service, avec un bond spectaculaire sur la réserve, de manière à nous adapter au niveau d'intensité auquel nous sommes confrontés : il pourrait y avoir à la fois une pandémie, un attentat de masse et un besoin opérationnel en Opex... En 2023, le SSA se verra attribuer 289 millions d'euros, contre 282 millions cette année, augmentation déjà significative.
Monsieur Guerriau, le groupe de travail que nous allons constituer avec vous sur la nouvelle LPM s'intéressera à la réserve. On ne peut pas parler de haute intensité sans un modèle beaucoup plus cohérent pour nos réserves. Doubler la réserve, c'est aussi faire en sorte que les réservistes ne la quittent pas. Cela dépend de beaucoup de choses, d'une unité à l'autre, d'un groupement de gendarmerie à l'autre ! Il faut s'interroger sur la doctrine politique de la réserve. Y voit-on un devoir pour les signataires d'un engagement à servir dans la réserve (ESR), ou un droit pour chaque citoyen de participer à la défense du pays ? Si c'est un droit, les limites d'âge et les conditions physiques doivent être revues en profondeur. Aujourd'hui, nous refusons des personnes atteintes d'obésité qui veulent servir dans les services cyber, parce que telles sont les règles ! Les états-majors travaillent aussi à une logique territorialisée de la réserve, pour remédier aux « déserts militaires » que sont devenus certains départements.
Madame Carlotti, la NPRM repose sur une approche plus indemnitaire qu'indiciaire. Vous avez raison d'insister sur le pouvoir d'achat des militaires, mais il nous faut être très pédagogues : la NPRM procède à une rationalisation, à une simplification et à une hausse du régime indemnitaire, à hauteur de 500 millions d'euros. La question indiciaire demeure, mais je ne suis pas sûr qu'elle soit partout centrale pour l'attractivité des armées. Elle l'est sans doute davantage dans les métiers nouveaux, notamment cyber, où les enjeux de fidélisation sont très clairs.
Quant au nouveau plan Famille, j'ai déjà quelques idées, notamment sur la manière dont on peut associer les collectivités territoriales à cet enjeu. Un travail peut être mené sur les rentrées scolaires, le ministère des armées étant celui qui connaît le plus de mutations. On peut encore fluidifier les choses en la matière. Il faut aussi travailler sur l'hébergement, où des bailleurs civils peuvent être mis à contribution.
M. Olivier Cadic. - La Chine cherche à utiliser sa domination technologique à des fins de surveillance. Le chef de l'agence britannique de renseignement appelle les pays occidentaux à agir en urgence pour contrer cette menace. On recense ici cette année 9 attaques d'espionnage venant de hackers sinophones. Les nouveaux moyens humains annoncés pour la guerre hybride seront-ils suffisants ?
L'arme laser, cruciale pour la lutte anti-drones, est une mission prioritaire pour nos armées, mais la France a pris du retard. La société Cilas, acteur indispensable en la matière, connaît une situation financière catastrophique, doublée d'une grave dépendance technologique envers les États-Unis. Seul un développement de son partenariat avec Lumibird, leader européen pour les lasers, est susceptible de retourner cette situation. Allez-vous prendre rapidement les mesures qui s'imposent ?
Mme Isabelle Raimond-Pavero. - La guerre en Ukraine a accentué l'intensité des stratégies hybrides de manipulation de l'information mises en oeuvre, notamment dans l'espace méditerranéen, par des puissances hostiles à la présence européenne dans les Balkans et en Afrique du Nord. Quelles mesures envisagez-vous pour accélérer le déploiement de moyens de lutte contre la désinformation et éviter de perdre la bataille des récits en Méditerranée ?
M. François Patriat. - Vous avez évoqué la mission de réassurance menée par la France sur le flanc oriental de l'Otan et notamment en Roumanie. Face aux bombardements du territoire ukrainien, le président Zelensky multiplie les demandes de matériel militaire et de formation de soldats. À l'heure où notre liberté n'est plus acquise, notre soutien militaire à l'Ukraine est plus que jamais nécessaire. Quel est le nouvel agenda d'accompagnement militaire de l'Ukraine prévu pour les semaines à venir ?
Mme Nicole Duranton. - En mars 2021, l'UE a mis en place la Facilité européenne pour la paix, nouvel instrument financier pour ses actions extérieures ayant des implications militaires, d'une valeur de 5 milliards d'euros pour la période 2021-2027. Ce fonds a servi dans le contexte de la guerre en Ukraine. À quelle hauteur la France y participe-t-elle ? Le montant de ce fonds et notre participation devront-ils être rehaussés au vu de la situation ?
M. Guillaume Gontard. - Votre prédécesseure a engagé un processus indispensable de verdissement de nos armées et de leurs bâtiments, tant pour leur coût énergétique que pour le confort des militaires et de leurs familles. Pourtant, l'effort mené reste assez lent : le remplacement de 1 600 chaudières s'étale jusqu'en 2031, 150 seulement seront remplacées en 2023. Cet effort n'est pas plus rapide que celui qui est demandé aux Français, alors que la défense pourrait être exemplaire. Pour les transports aussi, principal poste de consommation énergétique, les efforts restent légers : seuls 25 % des véhicules administratifs seront à faibles émissions en 2023. Quelles réflexions menez-vous pour la réduction de consommation énergétique, en matière de logistique, de déplacements, ou de développement de nouveaux équipements ?
M. André Guiol. - En mai dernier, la Cour des comptes a formulé plusieurs recommandations sur la LPM et s'est montrée inquiète des conséquences d'une éventuelle dégradation des finances publiques sur la poursuite de nos efforts de défense. Elle préconise d'exploiter davantage les synergies et les opportunités européennes, notamment en matière d'armement. Si les avantages financiers sont évidents, il s'agit aussi de conforter l'autonomie stratégique européenne. Quelles leçons peut-on tirer de l'expérience du Scaf ? Quelles perspectives tracez-vous en matière de coopération européenne ?
M. Alain Cazabonne. - Vous avez demandé si les dépenses assurent l'efficacité d'une armée. Si l'on additionne les budgets militaires des États européens, on arrive à 560 milliards, ce qui ferait de l'Union la deuxième puissance après les États-Unis. Pourtant, son potentiel reste bien inférieur. Des études ont-elles été menées sur cette question ?
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. - Monsieur Cazabonne, plus il y a d'argent, plus les capacités d'action augmentent, mais la notion d'efficacité est au coeur de nos réflexions, tant sur la dissuasion que sur les forces spéciales. L'efficacité, c'est le savoir-faire de nos unités, la qualité des états-majors et des académies militaires, la capacité à viser juste, ou encore la BITD. Ce sera donc un mot-clé de la prochaine LPM, pour que les crédits ouverts servent à quelque chose.
Monsieur Cadic, sur Cilas, le délégué général pour l'armement est à la manoeuvre et pourra vous répondre. Le CEMA a élaboré une doctrine sur la lutte informationnelle globale.
Monsieur Patriat, le soutien militaire à l'Ukraine a connu plusieurs phases ; on entre aujourd'hui dans un quatrième chapitre avec ce fonds, qui permettra d'éviter les prélèvements sur les stocks de nos armées et entraînera notre BITD à la résilience et à la réactivité d'une puissance en guerre. Le Président de la République nous a demandé d'instruire de nouvelles propositions ; j'aurai un échange discret ce jeudi avec mon homologue ukrainien. Le soutien de la France s'inscrit dans la durée.
Madame Duranton, la part de la France dans la Facilité européenne pour la paix s'élève à 450 millions d'euros, soit environ 18 % de son budget. Remarquons que certains pays contribuent à la défense européenne, mais sont ensuite remboursés par un fonds mutualiste dont la France est un gros contributeur. La pérennisation de ce fonds, qui a permis de déclencher très vite des cessions, sera au menu des discussions européennes dans les temps à venir.
Monsieur Gontard, voici un chiffre : les armées ont déjà diminué leurs émissions de gaz à effet de serre de presque 20 % ces dernières années ; l'objectif est de diminuer encore de 10 % notre consommation énergétique dans les deux ans qui viennent. Les passoires thermiques restent trop nombreuses parmi nos bâtiments !
M. Thierry Burkhard, chef d'état-major des armées. - Concernant le champ informationnel, les armées ont bien identifié comme critère de succès la capacité à combiner des actions dans les champs cinétiques et immatériels. C'est l'un des retours d'expérience les plus évidents de la guerre en Ukraine : l'importance de la guerre de l'information, pour laquelle les Ukrainiens font montre d'un certain savoir-faire, même si les Russes y restent très présents. Nous avons évidemment une doctrine en matière de lutte informatique d'influence ; des unités sont chargées de la mettre en oeuvre, des actions sont conduites - je pense à l'affaire de Gossi, au Mali.
M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l'armement. - Cilas fabrique, entre autres, des armes laser. Lumibird est aussi un fournisseur mondial de diodes laser, notamment pour le domaine spatial. Le service des affaires industrielles et de l'intelligence économique (SIIE) de la direction générale pour l'armement (DGA) prend garde à ce que les actifs critiques pour la BITD - outre la douzaine de fournisseurs majeurs, elle compte 4 000 PME - soient préservés.
Le projet de reprise de Cilas est prêt. Nous attendons l'avis de la direction générale de la concurrence de la Commission européenne qui sera rendu le 14 octobre. Nous espérons un avis positif, qui permettra la reprise par Safran et MBDA, alors que les actionnaires actuels sont ArianeGroup, à 63 %, et Lumibird, à 37 %. Lumibird garderait ses parts et nous ferons en sorte de préserver le développement de la filière laser en France.
En matière d'autonomie stratégique européenne, l'on parle beaucoup du Scaf et du MGCS. Aucune aventure industrielle ambitieuse ne s'est faite sans difficulté. Il faut nuancer certains propos. Le Scaf ne met pas en péril ni n'anime à lui tout seul l'ensemble de la coopération européenne. Par exemple, dans le domaine des matériaux et processeurs, il est absolument nécessaire de coopérer.
Outre les mécanismes existants, le Fonds européen de défense (FED), doté de 8 milliards d'euros pour 2021-2027, est une première : il est dédié au financement des activités de R&D pour le monde de la défense, ce qui semblait inimaginable il y a peu. Ce FED va concourir à la relance de l'économie européenne.
L'enjeu majeur pour la France est de trouver un équilibre entre retour sur investissement pour l'industrie, consolidation de la défense européenne et préservation des prérogatives nationales clefs, notamment sur la définition des besoins et sur la gestion des projets.
M. Christian Cambon. - À condition que ce fonds européen finance bien des entreprises européennes...
M. Emmanuel Chiva. - ... ce à quoi nous veillons.
M. Christophe Mauriet, secrétaire général pour l'administration (SGA). - En matière d'économies d'énergie, les enceintes militaires feront l'objet de plus nombreux contrats de performance énergétique (CPE), dont les effets sont puissants pour réduire les consommations.
Le ministère a pris de nombreuses initiatives, qu'il va encore amplifier. Pour les bâtiments, nous mettons l'accent sur de petits travaux avant la saison de chauffe, pour optimiser les consommations ; nous remplaçons systématiquement les ampoules classiques par des LED. Nous encourageons l'emploi des énergies renouvelables, en plus des groupes électrogènes, dans les emprises ou en opérations. Ces actions sont tous azimuts.
Pour les usages, le ministère est relativement précurseur, en encourageant, par exemple, des comportements vertueux en matière d'éclairage. Nous faisons preuve de cohérence et de discipline, conformément à nos valeurs.
M. Emmanuel Chiva. - Dans la conception des nouveaux systèmes d'armes, cet impératif de sobriété énergétique est pris en compte pour évaluer les projets. Les économies d'énergie sont un avantage opérationnel certain. Nativement, nous prenions déjà en compte cette question, y compris dans les cycles de développement et de production, et encore plus aujourd'hui.
M. Christian Cambon, président. - Monsieur le ministre, les sujets abordés sont multiples. Il faudra dialoguer cartes sur table avec le Parlement, a fortiori avec le Sénat. Nous sommes disponibles pour construire les voies du consensus. Menaces et défis à relever sont assez bien identifiés : inflation, épaisseur de nos armées - la triste affaire de l'Ukraine nous rappelle à nos responsabilités. Nos armées doivent pouvoir répondre à tous les défis, grâce à une vision lucide des points à améliorer.
En matière de coopérations capacitaires, je rappelle que le Bundestag joue un rôle essentiel. Le Scaf et le MGCS étaient de bonnes idées ; encore faut-il que nos industriels puissent se mettre d'accord, et il faut que, politiquement, nos parlements y voient plus clair. Les déclarations du chef d'état-major allemand, qui parlait cet été de « projets fumeux », méritent des éclaircissements. Nous devons nous parler franchement, et les plans B existent. Nous restons lucides, ouverts au dialogue, dans la plus grande franchise.
Je renouvelle à nos forces armées notre soutien. Leurs besoins en matériel et en matière de conditions de vie et de sécurité restent au coeur de nos préoccupations. Que ce moment budgétaire concrétise cette attention que le Parlement leur porte. Nous espérons une grande qualité dans nos discussions budgétaires et une forte participation des sénateurs et des députés à ce travail essentiel à notre sécurité.
Question diverse - Modification de la composition du bureau de la commission
M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, je vous informe que le groupe socialiste, écologiste et républicain a désigné Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Rachid Temal en qualité de vice-présidents de notre commission, en remplacement de MM. Gilbert Roger et Jean-Marc Todeschini.
Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Rachid Temal sont désignés vice-présidents de la commission.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 25.
Mercredi 12 octobre 2022
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Projet de loi de finances pour 2023 - Audition de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
M. Christian Cambon, président. - Madame la ministre, nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui pour une audition budgétaire sur les moyens de votre ministère pour 2023.
Nous allons bien entendu parler chiffres et pourcentages, mais notre échange sera aussi l'occasion d'évoquer votre vision de l'état du monde, qui ne se porte pas très bien en ce moment, et les principales positions prises par la France.
Les autorisations d'engagement de votre ministère progressent de 16 %, et les crédits de paiement de 9 %. Les moyens de l'aide publique au développement (APD) augmentent de 13 %, et ceux de l'action extérieure de l'État de 5 %. Nous saluons ces efforts, même si ce dernier chiffre nous semble encore insuffisant au regard du niveau atteint par l'inflation.
Les crédits de paiement du coeur de l'APD, à savoir les dons-projets, augmentent de 9 %, mais l'on note surtout une hausse de 146 % des crédits de « gestion et sortie de crise », qui passent à 730 millions d'euros, ce qui en dit long du reste sur l'état du monde. Quelle sera l'affectation de ces crédits de gestion de crise ? Cette hausse ne reflète-t-elle pas, malheureusement, une sorte de retour en arrière vers l'aide humanitaire, au détriment de l'aide au développement, qui correspond aussi à une forte dégradation de l'état de nombreux pays, notamment au Sahel ?
Par ailleurs, nous aimerions avoir quelques nouvelles de la commission d'évaluation de l'APD, dont la création était prévue par la loi du 4 août 2021. Plus d'un an après, nous attendons toujours son installation.
Pour les moyens du réseau diplomatique, nous nous réjouissons vivement de l'augmentation des effectifs de 106 équivalents temps plein travaillés (ETP) en 2023. Notre commission souligne depuis des années que nous avons été imprudents de fragiliser par tant d'attritions répétées notre réseau. Je renouvelle notre reconnaissance aux personnels, dont l'engagement sans faille a permis de faire face aux défis du coronavirus, mais Il est vraiment nécessaire de redonner des moyens humains au Quai d'Orsay dans ces temps de compétition internationale exacerbée. Des pays voisins comme l'Allemagne, le Royaume-Uni ou la Turquie intensifient fortement leur présence diplomatique. Nous ne devons pas laisser l'écart se creuser.
Nous attendons aussi beaucoup de vos explications sur l'application de la réforme de l'encadrement de la haute fonction publique au Quai d'Orsay. Les États généraux de la diplomatie doivent être l'occasion de revenir sur les conséquences de cette réforme. Je rappelle que notre commission a adopté des recommandations constructives dans ce domaine, à l'issue d'un important travail mené par nos rapporteurs Jean-Pierre Grand et André Vallini. Il me semble, madame la ministre, que vous auriez tout à gagner à prendre en compte certaines de leurs propositions. La qualité de notre personnel diplomatique est reconnue dans le monde entier ; nous devons préserver cet outil fort précieux.
Autre sujet de préoccupation de notre commission : la sécurité de nos concitoyens et de nos implantations à l'étranger. Nous avons tous en tête les images de l'attaque de notre ambassade à Ouagadougou. Vous nous direz si vos moyens sont à la hauteur des enjeux d'un monde où l'affrontement n'est plus un risque, mais trop souvent une réalité, et qui rend plus que jamais nécessaire la protection de nos emprises et des diplomates professionnels.
Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. - Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs des sénateurs, je suis très heureuse de vous retrouver aujourd'hui dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2023.
Le 2 septembre dernier, lors de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, j'avais réaffirmé qu'accroître notre ambition diplomatique, en cohérence avec le renforcement de l'ensemble des fonctions régaliennes de l'État, impliquait aussi d'augmenter les moyens du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, dans le prolongement de ce qui avait été amorcé lors des deux derniers exercices.
Le projet de budget que nous soumettons aujourd'hui à l'examen de votre commission renforce cette tendance, avec une hausse des moyens du ministère qui bénéficie tant à la mission « Action extérieure de l'État » qu'à la mission « Aide publique au développement ». Le budget prévoit aussi une hausse de nos moyens humains inédite depuis trente ans, une évolution qui prend tout son sens à la lumière de l'environnement international dans lequel nous vivons.
Vous le savez, nos intérêts sont partout contestés, qu'ils soient politiques ou économiques. Nos ressortissants et nos emprises sont menacés, et des actions hostiles se déploient également dans les champs numérique et informationnel. Nous devons y faire face avec d'autant plus de détermination que ces actions s'inscrivent, comme le Président de la République l'a rappelé devant le corps diplomatique, dans un monde en voie de fracturation, plus brutal, dans lequel il est essentiel que la diplomatie intervienne plus activement.
Cette tendance ne date pas d'hier, évidemment, mais elle a pris une ampleur nouvelle et inédite lorsque la Russie a fait, voilà sept mois, le choix de ramener la guerre sur le continent européen en agressant militairement l'Ukraine. La Russie a porté atteinte aux principes fondamentaux de la Charte des Nations-unies, qui seuls peuvent garantir la paix entre les nations, la portée de cette guerre dépasse largement le continent européen. Nous nous efforçons de le faire comprendre partout à travers le monde. Dans ce contexte, des mécanismes comme ceux de la Cour pénale internationale sur le plan multilatéral ou de la Facilité européenne de paix sur le plan européen ont aujourd'hui plus d'importance que jamais.
Du fait de cette agression, des situations de tension se transforment en situations de crise, énergétiques ou alimentaires notamment. Les divisions sont exacerbées, au risque d'une fragmentation durable de la scène internationale entre le Nord et le Sud, l'Est et l'Ouest, dont on peut se demander bien évidemment si ce n'est pas l'un des objectifs de la Russie.
Cette fragmentation intervient paradoxalement au moment où nous avons plus que jamais besoin de bâtir des coopérations pour apporter des solutions durables aux enjeux globaux qui se sont multipliés ces dernières années, en même temps qu'ils gagnaient en complexité et en technicité. Climat, environnement, biodiversité, océans, alimentation, santé : autant de domaines où la France a pris la tête des efforts mondiaux pour protéger les biens communs, ce qui suppose des compétences ainsi que des moyens financiers et humains.
Les moyens supplémentaires que je m'apprête à vous présenter ont vocation à répondre à ces enjeux. Ils nous permettront de déployer une diplomatie combative, agile et innovante, une diplomatie de résultats au service de nos compatriotes. Il est essentiel pour cela de maintenir un outil diplomatique universel, capable de se déployer partout dans le monde et d'agir dans la totalité ou presque des organisations régionales et internationales.
La France, je le rappelle, dispose du troisième réseau diplomatique mondial, fort de 163 ambassades, 16 représentations permanentes et 90 consulats généraux. Cette universalité de notre réseau nous permet d'être présents partout et de parler à tout le monde, ce qui constitue un atout majeur pour bâtir les coalitions d'action dont nous avons besoin pour agir dans les organisations internationales et peser sur un certain nombre de situations.
Vous l'avez rappelé, monsieur le président, c'est aussi un outil universel puissant au service de nos ressortissants, qui s'est illustré notamment durant la pandémie de covid-19.
Pour répondre à ce contexte international inédit, le projet de budget du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) est ambitieux.
Comme vous le savez, la mission « Action extérieure de l'État » comprend les programmes 105, « Action de la France en Europe et dans le monde », 151, « Français à l'étranger et affaires consulaires » et 185, « Diplomatie culturelle et d'influence ».
Quant à la mission « Aide publique au développement », elle se compose du programme 110, « Aide économique et financière au développement », porté par le ministère de l'économie et des finances, et du programme 209, « Solidarité à l'égard des pays en développement », qui relève du Quai d'Orsay. C'est le MEAE qui est responsable du pilotage de la mission dans son ensemble.
La trajectoire à la hausse de notre budget se confirme et s'amplifie. En 2023, les crédits de paiement devraient atteindre 6,65 milliards d'euros pour l'ensemble des missions, en augmentation de 543 millions d'euros, soit 9 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022.
Les crédits de la mission « Action extérieure de l'État » atteindront 3,218 milliards d'euros, en hausse de 160 millions d'euros, et ceux de la mission « Aide publique au développement » relevant du MEAE 3,436 milliards d'euros, en hausse de 383,1 millions d'euros. La mission APD devient donc prépondérante dans le budget du ministère.
J'ajoute que les crédits cumulés des programmes 209 et 110 atteindront au total 5,77 milliards d'euros, ce qui correspond à 17 % d'augmentation par rapport à 2022 et à un doublement par rapport à 2017. C'est un effort considérable consenti par notre pays, sous l'impulsion notamment de la représentation nationale, que je tiens à remercier.
Par ailleurs, nos effectifs vont croître pour la première fois depuis 1993, avec 106 ETP supplémentaires si l'on intègre les transferts opérés par la Délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (Diese).
Nos effectifs avaient considérablement diminué au fil des ans, accusant une baisse de 30 % sur les deux dernières décennies et de 17 % depuis 2006, sans modification substantielle du périmètre, à l'exception des experts techniques internationaux (ETI).
Le budget 2023 marque donc une rupture avec une tendance qui n'était plus soutenable - Jean-Yves Le Drian avait parlé d'hémorragie - à l'heure où nos principaux partenaires voyaient croître leurs moyens. Le plafond d'emplois du ministère est ainsi porté dans le PLF 2023 à 13 634 ETP, ce qui représente une augmentation substantielle pour un ministère comme le nôtre.
Afin de financer à la fois la hausse de notre plafond d'emplois et la poursuite des réformes en cours au sein du ministère, notre masse salariale connaîtra une hausse raisonnable de 6 % par rapport à la LFI 2022.
Ces moyens nouveaux nous permettront d'accélérer notre réforme des ressources humaines, au bénéfice de toutes les catégories d'agents, titulaires, contractuels et agents de droit local.
S'agissant des rémunérations, nous avons veillé à ce que les mesures bénéficient également à tout le monde. Après le plan RH 2022, qui a permis notamment une augmentation des rémunérations des titulaires et des contractuels en administration centrale, nous poursuivrons en 2023 la mise en oeuvre du plan de convergence des rémunérations entre titulaires et contractuels, en y consacrant 6,4 millions d'euros. Nous consacrerons également 1,6 million d'euros à la revalorisation des volontaires internationaux, ces jeunes collègues qui font un travail très utile, et même souvent remarquable au sein de nos ambassades. Enfin, 3 millions d'euros seront dévolus à l'harmonisation des conditions salariales des recrutés locaux.
Mon ministère poursuivra enfin la mise en oeuvre de la réforme de la haute fonction publique, en faisant évoluer son organisation et son fonctionnement pour jouer pleinement, si nous le pouvons, le rôle de chef de file interministériel de l'action extérieure de l'État que le Président de la République et la Première ministre ont rappelé à l'occasion de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs. C'est une condition de l'efficacité de l'État dans son action internationale.
J'ai annoncé lundi le lancement des États généraux de la diplomatie, dont le Président de la République avait bien voulu accepter l'idée dans son discours. Ils débuteront à compter de la semaine prochaine. Jérôme Bonnafont, représentant permanent de la France auprès des Nations unies à Genève, qui avait déjà accompli un travail très apprécié sur l'adaptation des ressources humaines du ministère aux nouveaux enjeux, sera le rapporteur général de cette mission.
Nous voulons tracer les contours de la diplomatie professionnelle de demain. J'insiste sur l'importance de la professionnalisation et de l'expérience acquise au fil des années, mais nous voulons essayer de répondre le plus efficacement possible aux enjeux d'aujourd'hui et de demain, si besoin en faisant évoluer nos méthodes de travail.
L'aide humanitaire constitue l'une des grandes priorités de ce projet de budget. Notre capacité à répondre aux crises humanitaires, aggravées par la guerre en Ukraine, est aujourd'hui un enjeu majeur. Ce projet de budget en prend pleinement la mesure. Notre aide humanitaire programmée atteint ainsi 642 millions d'euros - 200 millions d'euros mis en oeuvre à travers le Fonds d'urgence et de stabilisation, en augmentation de 30 millions d'euros-, 160 millions d'euros dédiés à l'aide alimentaire programmée, en augmentation de près de 42 millions d'euros, et 200 millions d'euros dédiés aux contributions humanitaires volontaires aux Nations-unies, en augmentation de 19,5 millions d'euros. S'y ajoute l'initiative Food & Agriculture Resilience Mission (Farm), qui sera financée par la France à hauteur de 75 millions d'euros afin de répondre à l'aggravation de l'insécurité alimentaire mondiale provoquée par les conséquences de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Pour plus de réactivité, cette programmation à la hausse se double d'une augmentation substantielle de la provision pour crise majeure, qui sera plus que décuplée, passant de 23 millions d'euros à 270 millions dans le PLF 2023. Ce saut quantitatif et qualitatif doit nous permettre de répondre plus efficacement et plus rapidement à des situations d'urgence dans le domaine humanitaire.
Au total, 912 millions d'euros pourront donc potentiellement être consacrés à l'aide humanitaire en 2023 par mon ministère.
L'autre grande priorité, c'est la sécurité, dans un contexte de persistance, et souvent d'aggravation des difficultés en Afrique, mais aussi en Europe. Les moyens nouveaux du programme 105 seront notamment orientés vers la sécurisation de nos emprises, avec une enveloppe de 5 millions d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement et de 3 millions d'euros en crédits de paiement. Nous renforcerons notamment la sécurité des postes diplomatiques d'Islamabad, de Bagdad et d'Addis-Abeba.
Quant à Ouagadougou, monsieur le président, l'une des premières décisions que j'ai prises en prenant mon poste fut l'envoi de quelques unités de gendarmes supplémentaires pour renforcer la sécurité de notre ambassade.
Le numérique constitue une autre priorité. Nous menons depuis quelques années une politique d'investissements soutenus, mais nous devons encore améliorer l'efficacité de nos outils et pallier quelques inégalités de déploiement qui demeurent selon les pays. Nous devons aussi renforcer la cybersécurité de notre réseau, le deuxième le plus attaqué de France après celui de la Présidence de la République. Les moyens de la direction du numérique du ministère s'établiront à 52,2 millions d'euros, en augmentation de 4,4 millions d'euros.
La communication stratégique sera également prioritaire. Nous sommes confrontés à des manipulations de l'information et à de la propagande, souvent d'origine russe, qui vise par exemple à attiser des discours antifrançais sur les réseaux sociaux, notamment en Afrique et dans quelques pays européens. Nous avons pu le constater lors du coup d'État au Burkina Faso. Afin de mieux lutter contre ces pratiques, nous augmenterons de 2,5 millions d'euros les moyens de la direction de la communication et de la presse, sachant que d'autres entités sont aussi chargées de cette mission au sein de l'État.
Notre dernière priorité sera l'éducation en français et à la française. Nous disposons de 566 établissements, implantés dans 138 pays à travers le monde, qui scolarisent 390 000 élèves. Nous poursuivrons le plan de développement à l'horizon 2030 et renforcerons les moyens de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) à hauteur de 30 millions d'euros.
Ces priorités thématiques s'accompagneront d'une préoccupation constante : aider et protéger les Français à l'étranger. Le Quai d'Orsay, c'est aussi le service public des Français à l'étranger. En 2023, notre action consulaire, à travers le programme 151, sera dotée de 141,1 millions d'euros hors dépenses de personnel. La baisse apparente des crédits de paiement par rapport à 2022 s'explique par l'absence de report cette année du coût d'organisation des élections présidentielles et législatives, qui s'est élevé à 13,5 millions d'euros, somme inutile en 2023. Aucun autre pays au monde n'offre pareil service consulaire à ses concitoyens.
Les bourses scolaires destinées aux enfants français de nos établissements scolaires retrouveront leur niveau de 2021, avec un budget de 105,8 millions d'euros, qui englobe aussi dorénavant des bourses spécifiques pour les enfants en situation de handicap.
Afin de répondre aux besoins accrus de la communauté française à l'étranger, dans un contexte souvent plus difficile, des crédits supplémentaires seront également alloués au titre de l'aide sociale : 16,2 millions d'euros en 2023, soit un million d'augmentation par rapport à 2022. L'allocation SOS covid, dotée de 12 millions d'euros en 2021 et de 4,3 millions d'euros en 2022, sera remplacée, pour ceux de nos compatriotes qui en auraient besoin, par une aide sociale classique. Ils pourront aussi compter sur le soutien des organismes locaux d'entraide et de solidarité, que nous aiderons à hauteur de 1,4 million d'euros en 2023, et sur celui des associations porteuses de projets bénéficiant aux Français de l'étranger - le dispositif Stafe (soutien au tissu associatif des Français à l'étranger) sera doté de 2 millions d'euros en 2023.
Toutes ces aides seront distribuées en lien avec les élus consulaires, qui constituent un précieux relais des besoins de nos compatriotes.
Être aux côtés des Français de l'étranger, c'est aussi faciliter leurs démarches. La modernisation de l'action consulaire se poursuit : je pense à la numérisation du registre de l'état civil, à l'amélioration continue du dispositif de vote par internet et à l'extension de l'expérimentation du service France Consulaire, déployé dans 13 pays pour le moment. Nous développerons également une expérimentation visant à favoriser le renouvellement des passeports sans comparution.
Le projet de loi de finances pour 2023 consacre donc une hausse modeste de nos effectifs, une augmentation sensible de nos moyens budgétaires, la poursuite du renforcement de l'aide publique au développement et du service public offert à nos concitoyens établis - ou de passage - à l'étranger. Ce budget reflète les fortes attentes envers notre diplomatie et témoigne de la confiance accordée à notre appareil diplomatique. Il rend hommage au sens de l'intérêt général de nos diplomates.
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis du programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde ». - Je souhaite tout d'abord saluer tous les personnels du ministère, qui incarnent le service public, et dont le dévouement est exemplaire.
Depuis 2007, le ministère a perdu 3 000 postes. Je me réjouis de la création de 106 postes l'an prochain pour répondre aux besoins prioritaires de notre diplomatie : le renforcement de notre présence dans la zone indopacifique, notre capacité d'analyse politique dans certains pays, l'amélioration de notre cybersécurité ou encore la sécurisation de nos emprises. Les ressources humaines sont la richesse de votre ministère. Les nouveaux recrutements soulageront les postes pour lesquels la charge de travail était devenue trop pesante, particulièrement pour les secrétaires généraux d'ambassade. Le PLF prévoit-il les mesures nécessaires pour faire face à l'inflation et accompagner l'évolution induite des contrats de droits locaux ?
Dès 2015, notre commission recommandait deux axes essentiels en matière de politique immobilière. Premièrement, l'établissement d'un schéma stratégique pluriannuel pour l'ensemble du patrimoine immobilier du ministère -il a été présenté au mois de novembre 2021- ; deuxièmement, l'inscription des crédits nécessaires à l'entretien de ce patrimoine en loi de finances initiale. Pour l'année 2023, je crois pouvoir délivrer un satisfecit, au nom de notre commission. Le programme 105 est enfin doté de crédits à la hauteur des besoins du ministère, soit 90 millions d'euros pour les autorisations d'engagement et 80 millions d'euros pour les crédits de paiement.
J'assure de notre soutien sans faille les personnels ayant subi les attaques de notre ambassade au Burkina Faso. L'enjeu de sécurité ne peut être ignoré, et les travaux doivent être réalisés. La sécurisation de nos emprises à l'étranger devait être financée par 29 ventes permettant de rembourser l'avance du compte d'affectation spéciale (CAS), d'un montant de 100 millions d'euros. Est-ce bien raisonnable ? Pouvez-vous nous assurer que les personnels ne rencontreront plus de problèmes de logement ou qu'ils ne seront pas contraints de recourir à la location, ce qui dilapiderait en dix ans le produit d'une cession ?
André Gattolin, qui ne peut pas être présent, me charge de vous féliciter pour l'effort réalisé cette année encore en matière de contributions volontaires : en 2023, la France prévoit une somme de 58,3 millions d'euros sur le programme 105. Pouvez-vous nous en donner le détail ? Le décrochage de la parité euro-dollar et l'envolée de l'inflation ont-ils été pris en compte dans la fixation de ce montant ? Êtes-vous en mesure de nous présenter les retombées de cette politique volontariste ? La France est-elle parvenue à peser sur les orientations et les décisions de certains des fonds qu'elle abonde ainsi de façon volontaire ?
M. Ronan Le Gleut, rapporteur pour avis du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence ». - Le projet de loi de finances prévoit une augmentation de la subvention versée à l'AEFE à hauteur de 30 millions d'euros en 2023. Celle-ci vise - entre autres - à financer la moitié des surcoûts liés à la réforme des statuts des personnels détachés. L'autre moitié de ce surcoût, estimée à 7 millions d'euros, sera-t-elle financée sur la trésorerie de l'Agence, déjà mise à contribution à hauteur de 20 millions d'euros l'an dernier pour le financement des aides à la scolarité et de l'aide en faveur du Liban ? Pouvez-vous également nous indiquer l'état d'avancement des discussions concernant la hausse de la cotisation retraite des fonctionnaires détachés à l'étranger prévue par un décret du 26 avril 2022 et abrogée par un autre décret dès le 2 juin ?
Lors de son discours du 20 mars 2018 sur l'ambition pour la langue française et le plurilinguisme, le Président de la République a fixé l'objectif de doubler les effectifs de l'enseignement français à l'étranger, ce qui reviendrait à accueillir 700 000 élèves à l'horizon 2030. Or, au rythme actuel de croissance des effectifs - une augmentation de plus de 2 % a été constatée en 2021 -, le doublement n'interviendrait qu'à l'horizon 2050. Madame la ministre, pensez-vous sincèrement être en mesure d'atteindre ce but dans les délais fixés par le Président de la République ?
Ma dernière question dépasse le champ du programme 185 stricto sensu et porte sur l'accès des lycéens français de l'étranger aux formations de l'enseignement supérieur en France. Selon un article du journal Le Monde de septembre 2021, ceux-ci sont souvent évincés par Parcoursup. Les statistiques mentionnées dans cet article sont révélatrices : le 27 mai 2021, seuls 20 % des 25 000 lycéens français à l'étranger avaient reçu une proposition d'admission, contre 54 % des autres lycéens. Le 16 juillet 2021, au moment de la fin de la phase principale d'admission, 48 % des lycéens français à l'étranger avaient reçu une réponse positive, contre 89 % des lycéens français scolarisés sur le territoire national. Pourriez-vous nous indiquer si des actions ont été prises par votre ministère, en lien avec les ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur, pour remédier à cette situation ?
M. André Vallini, rapporteur pour avis du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence ». - Je souhaite en préambule évoquer le processus visant à encadrer l'usage d'armes explosives à large rayon d'impact en zones peuplées. La signature définitive du protocole aura lieu le 18 novembre prochain à Dublin. Pendant longtemps, la France n'était pas très allante sur ce sujet. Or la position française a évolué depuis quelques semaines : je tenais à vous en donner acte.
En décembre dernier, votre prédécesseur, Jean-Yves Le Drian, a présenté une feuille de route de l'influence de la diplomatie française, dont les résultats devaient figurer dans un tableau de bord. Ce dernier a-t-il été créé ? Dans l'affirmative, quels enseignements peut-on en tirer ? Dans le cas contraire, pourriez-vous nous en expliquer les raisons ?
De même que le doublement des effectifs d'élèves des établissements français à l'étranger d'ici à 2030 nous semble difficilement atteignable, nous nous interrogeons sur l'objectif d'accueillir 500 000 étudiants étrangers à l'horizon 2027. Pour mémoire, la France comptait 365 000 étudiants étrangers durant l'année universitaire 2020-2021. Pourriez-vous nous indiquer si cet objectif est toujours d'actualité et préciser le nombre d'étudiants étrangers attendus en 2023 ?
Quel bilan tirez-vous du plan « Bienvenue en France », lancé en 2019 et destiné à attirer davantage d'étudiants étrangers dans notre pays ? Un fonds d'amorçage de 10 millions d'euros a été instauré lors de son lancement afin de soutenir les initiatives des établissements. Or il n'est pas prévu que celui-ci soit pérennisé. Certains établissements ont-ils été contraints d'abandonner les actions engagées ou d'autres ont-ils été dissuadés d'intégrer ce dispositif, faute de financements ?
La compétence en matière de tourisme a été rattachée à votre ministère en 2012. À titre personnel, j'ai toujours considéré que cette décision était saugrenue. Depuis le mois de juin, elle relève du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Sur le plan budgétaire, cela se traduit notamment par un transfert des crédits consacrés à Atout France du programme 185 vers le programme 134, pour un montant de 29 millions d'euros. Pourriez-vous, d'une part, nous préciser les raisons ayant conduit à opérer un tel transfert et, d'autre part, nous indiquer quel sera le rôle de votre ministère en matière de promotion du tourisme et les moyens prévus à cet effet dans le projet de loi de finances ?
M. Bruno Sido, rapporteur pour avis du programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires ». - Depuis le mois d'octobre 2021, certains de nos compatriotes résidant à l'étranger ont accès au service France Consulaire, qui leur permet d'obtenir des informations d'ordre général ou d'engager une démarche administrative sur internet ou par téléphone.
Alors que ce service est désormais accessible dans treize pays européens, le déploiement de cette plateforme dématérialisée ne doit pas servir de prétexte pour abandonner les points d'accueil physiques dans nos ambassades et consulats. Il est essentiel que la possibilité d'être accueilli physiquement soit maintenue, en particulier pour nos compatriotes les plus fragiles.
Nous saluons les services rendus par cette nouvelle solution dématérialisée. Toutefois, pouvez-vous nous confirmer que le déploiement de ce service externalisé n'aura pas pour conséquence une réduction du personnel dans nos services consulaires ? Ces derniers doivent rester les interlocuteurs privilégiés de nos compatriotes à l'étranger, dont ils connaissent la situation et les besoins.
M. Guillaume Gontard, rapporteur pour avis du programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires ». - Le 31 août dernier, votre ministère a supprimé le dispositif du secours occasionnel de solidarité. Le fonds SOS covid avait permis de financer une aide sociale pour environ 10 000 Français de l'étranger depuis 2020.
Alors qu'en France les campagnes successives de vaccination se sont traduites par un recul de l'épidémie - qui reste à confirmer -, la crise sanitaire continue à se faire ressentir dans de nombreuses régions du monde. Sur le continent africain, le taux de vaccination reste par exemple inférieur à 30 % de la population.
À l'heure où nous assistons à une reprise historique de l'inflation dans le monde, le financement des aides sociales à destination des Français de l'étranger décroît.
La suppression du fonds SOS covid représente une réduction annuelle de plus de 10 millions d'euros d'aides sociales par rapport à 2021. Envisagez-vous la création de nouveaux dispositifs afin de répondre à la fragilisation de nos compatriotes exposés aux crises économiques et sanitaires dans de nombreux pays du monde ?
M. Hugues Saury, rapporteur pour avis de la mission « Aide publique au développement ». - Je me réjouis de la hausse continue des crédits en faveur de l'aide publique au développement depuis 2017. Pourtant, le contexte national exige de faire des économies : l'effort n'en est que plus louable.
Le Burkina Faso a connu un deuxième coup d'État en moins d'un an, suivant ainsi le même chemin que son voisin malien. Or la direction régionale Grand Sahel de l'Agence française de développement (AFD) se trouve précisément à Ouagadougou. Peut-elle continuer à travailler ? Par ailleurs, la France venait d'annoncer, le 26 septembre, une aide budgétaire de 15 millions d'euros au Burkina Faso : qu'en sera-t-il désormais ?
En application de la loi du 4 août 2021, le Gouvernement a remis un rapport sur la comptabilisation de l'aide publique au développement. Selon les critères de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les frais d'écolage, qui représente une partie significative de notre aide publique au développement, ne devraient être comptabilisés que si « la présence des étudiants résulte de la mise en oeuvre d'une politique de coopération au développement par le pays hôte ». Les autorités responsables des programmes d'aide publique au développement doivent être impliquées dans la spécification des secteurs et des niveaux d'éducation concernés : je pense au nombre et à la sélection des catégories d'étudiants invités ou à l'adaptation des frais de scolarité aux besoins des étudiants. Existe-t-il une telle coordination entre votre ministère et celui de l'enseignement supérieur ?
M. Rachid Temal, rapporteur pour avis de la mission « Aide publique au développement ». - Ma première question porte sur la taxe sur les transactions financières. Ce sujet avait fait l'objet de longues discussions avec votre prédécesseur. Un délai de huit mois a été nécessaire pour avoir accès au rapport, pourtant prévu par la loi. Celui-ci ne contient aucune piste sérieuse à ce sujet. Comptez-vous faire évoluer la part de la taxe sur les transactions financières abondant l'aide publique au développement ?
Ma deuxième question porte sur la gouvernance de la politique française de solidarité internationale. Les deux premières instances de pilotage sont en principe le Conseil du développement et le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid). L'ensemble des acteurs de la politique de solidarité internationale que nous auditionnons citent toujours le Cicid comme la source principale des orientations qu'ils appliquent. La loi du 4 août 2021 précise que celui-ci doit se réunir annuellement. Or la dernière réunion date de 2018 : quand sera-t-il de nouveau convoqué ?
J'en viens à ma troisième question. La programmation financière prévue par la loi de 2021 doit être révisée avant la fin de l'année 2022 pour les années 2023 à 2025. Une discussion portant sur cette clause de revoyure sera-t-elle organisée ? Pourrons-nous prochainement examiner le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD pour la même période ?
Mme Catherine Colonna, ministre. - Le décret d'application relatif à la création de la Commission d'évaluation de l'aide publique au développement a été publié le 6 mai 2022. Mon ministère et la direction générale du Trésor travaillent avec la Cour des comptes afin que ses travaux puissent débuter l'année prochaine. Un préfigurateur sera nommé par la Cour des comptes et une liste de personnalités a été établie. Il reviendra aux membres du Parlement de nommer les deux membres du Sénat et de l'Assemblée nationale. Nous approchons du terme des travaux préparatoires avant la mise en place effective de la commission.
Monsieur Grand, le projet de loi de finances inclut une provision pour inflation de 24 millions d'euros - sur l'ensemble des programmes - pour les agents titulaires et contractuels, dont une somme de 3 millions d'euros pour les agents de droit local.
En 2017 et 2018, les ressources du CAS n'ont pas été sollicitées intégralement en vue de la remise à niveau des ambassades : durant ces deux années, les investissements ont été réalisés à partir du programme 105. En 2019 et 2020, un droit d'accès aux crédits du CAS a été ouvert pour un montant 67 millions d'euros, dont 64 millions d'euros pour la sécurité diplomatique du ministère et 3 millions d'euros pour celle des agences de l'AEFE. Ce plan de sécurisation s'est poursuivi.
Par ailleurs, le ministère s'est engagé depuis 2021 dans une rebudgétisation des crédits d'investissement liés à la sécurité sur le programme 105 : les crédits sont passés de 13 millions d'euros en 2020 à 21 millions d'euros dans le PLF pour 2023. Une partie des 106 ETP supplémentaires ira à l'accroissement des effectifs de la sécurité de quelques postes diplomatiques.
Une programmation détaillée des contributions volontaires ne sera disponible qu'au début de l'année prochaine. Les secteurs à privilégier ont été identifiés : le renforcement des outils de maintien de la paix, le soutien à des organisations actives dans le champ de la sécurité internationale et le renforcement de l'attractivité du territoire français pour les organisations internationales. Le décrochage de la parité euro-dollar et l'envolée de l'inflation ont été pris en compte.
Monsieur Le Gleut, deux années de pandémie ont affecté le rythme de progression du nombre d'élèves scolarisés dans les établissements français à l'étranger. Néanmoins, nous recensons 10 000 élèves supplémentaires et 17 nouveaux établissements en 2022, soit 71 établissements créés depuis l'instauration du plan en 2018. Nous espérons pouvoir rattraper notre retard et respecter l'objectif.
Les élèves du réseau de l'AEFE ont vocation à rejoindre l'enseignement supérieur français. C'est également le cas pour les élèves français qui ne sont pas scolarisés dans le réseau AEFE. Parcoursup est le point d'entrée pour l'ensemble des élèves, indépendamment des difficultés techniques que nous devons résoudre. Il convient également de valoriser les établissements de l'AEFE auprès des établissements du supérieur qui souvent les méconnaissent et ne donnent pas la priorité à ces candidatures.
La trésorerie de l'AEFE a été abondée de nouveaux de crédits en 2020. Les 50 millions d'euros prévus dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020 au titre des bourses scolaires n'ont pas été totalement consommés. Sur les 30 millions d'euros restants, 20 millions d'euros ont été consommés en 2022. Le solde, 10 millions d'euros, permettra d'absorber le coût lié à l'évolution du statut de résident pour 7 millions d'euros. Nous restons très vigilants quant à la trésorerie de l'AEFE et ne souhaitons pas mettre cet opérateur en danger.
Le tableau de bord de la feuille de route de l'influence a fait l'objet d'une première ébauche début 2020. Des projets ont été déployés dès 2022, comme la promotion de la langue française et le développement de l'enseignement du français à l'étranger, celle de l'influence culturelle et intellectuelle, avec notamment un accent sur l'exportation des industries culturelles et créatives et le développement des projet de résidences d'artistes, le premier d'entre eux, en visibilité, étant la Villa Albertine, qui permettait d'attirer des donateurs ou bien encore le renforcement de la politique d'attractivité universitaire et scientifique ainsi que la transformation du réseau diplomatique.
Vous vous interrogez sur l'objectif de 500 000 étudiants étrangers en 2027, inscrit dans la stratégie Bienvenue en France. Or notre pays accueille déjà 400 000 étudiants internationaux. Pour atteindre l'objectif fixé à l'horizon de 2027, nous mettons en oeuvre une série de mesures comme l'amélioration de la chaîne d'accueil, dont le renforcement de la formation en français, langue étrangère et celui des filières d'enseignement en anglais, la mise en place de frais d'inscription différenciés pour les étudiants arrivant d'États extraeuropéens, l'augmentation du montant des bourses en 2023, après la baisse enregistrée en 2021, ou bien encore l'amélioration de la communication sur l'offre de formation.
Le plan Bienvenue en France, lancé en 2019, a pour ambition d'être un facteur d'attractivité et de diversifier la mobilité étudiante. Des efforts importants ont été fournis depuis 2021 comme la mise en place de la plateforme Études en France et l'augmentation du nombre d'établissements labellisés Bienvenue en France - on en compte 138 à ce jour. Ces efforts seront poursuivis en 2023 notamment en matière de communication et de simplification. Une augmentation de 20 % des candidatures a été constatée dès la première campagne, de 13 % l'année suivante et de 17 % cette année. Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche a mis en place un financement fléché de 10 millions d'euros pour soutenir le développement de la stratégie Bienvenue en France, sous la forme d'un fonds d'amorçage aux établissements.
En ce qui concerne le transfert de la compétence tourisme, je ne commenterai pas les décrets d'attribution qui s'imposent à nous. La partie du plan de reconquête et de transformation du tourisme qui porte sur l'attractivité reste confiée à notre ministère. Elle bénéficie d'un montant de près de 6 millions d'euros sur les 12,5 millions d'euros que représenteraient l'action tourisme.
Le service France Consulaire n'aura pas à subir de baisse d'effectifs liée à la numérisation. Celle-ci garantira, au contraire, une meilleure disponibilité de nos agents au ùservice des usagers.
Nous maintiendrons notre capacité d'aide sociale pour nos compatriotes à l'étranger, et nous multiplierons les volets sur lesquels nous pourrons intervenir.
Quant à l'aide publique au développement et à la taxe sur les transactions financières, notre raisonnement prend en considération les crédits disponibles, et non leur origine. Le plafonnement à 700 millions d'euros des crédits issus des deux taxes ne pose pas de problème.
La Première ministre a donné son accord pour que le Cicid se réunisse dans les semaines à venir et le Président de la République a aussi prévu de réunir un comité de développement à son niveau.
Pour ce qui est de la trajectoire financière de l'APD, nous avons atteint l'objectif fixé par la loi de programmation pour 2022, soit 5 % du PIB, ce qui est inédit. Compte tenu de la reprise économique en 2022 et de l'augmentation importante du PIB, l'aide au développement a considérablement augmenté en volume.
Au Burkina Faso, l'aide budgétaire fait partie des instruments ponctuels d'appui à un État en difficulté. Aucune décision n'a encore été prise, à la suite du nouveau coup d'État, quant au maintien de cette aide. Les droits d'écolage sont comptabilisés dans l'APD et valorisés selon la règle du comité de développement de l'OCDE.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - En tant que rapporteur sur le budget de l'audiovisuel public extérieur, qui ne fait partie ni de la mission « Action extérieure de l'État » ni de la mission « Aide publique au développement », je me réjouis de l'augmentation du budget de France Médias Monde, qui passe à 284,7 millions d'euros. Toutefois, les taxes sur les salaires et la fin de la déductibilité de la TVA liée à la suppression de la redevance audiovisuelle ont pour conséquence que l'on en reste en réalité au statu quo.
Nous sommes pourtant au coeur d'une guerre informationnelle qui nécessiterait un renforcement budgétaire pour garantir une information libre et indépendante. Les autres États ont des moyens très supérieurs aux nôtres. Ainsi, la BBC émet en 45 langues étrangères, contre 20 pour nous. Au Mali et en Russie, la chaîne France 24 subit un blocage extérieur, de sorte qu'il nous faut adopter des stratégies de contournement qui ont un certain coût.
Les instituts et les alliances françaises doivent être des vecteurs de promotion de notre audiovisuel public. Nos réseaux sont remarquables, mais le personnel craint une fragilisation du système, liée à la suppression de la redevance. Des fermetures ont déjà eu lieu.
Nous devons renforcer le système en le pérennisant.
M. Pascal Allizard. - La coalition politique au Pakistan a changé. Cet État manifeste désormais une volonté de se rapprocher de l'Occident, notamment de la France. Il a pris des positions intéressantes sur le conflit en Ukraine. Le grand voisin indien a davantage de difficultés à choisir son camp. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
M. Olivier Cadic. - M. Le Drian avait mis un terme à la réduction des moyens du Quai d'Orsay ; la création de 106 ETP est une première depuis 1993. Vous semblez vouloir relever les défis liés à la lutte informationnelle et à la propagande hostile, avec une augmentation de 2,5 millions d'euros des moyens de la direction de la communication et de la presse. Quels sont les autres services du Quai d'Orsay affectés à cette lutte informationnelle ?
Aider les Français de l'étranger, c'est également créer de nouveaux services, comme l'expérimentation du renouvellement des passeports sans comparution, prévue l'an prochain au Canada et au Portugal. J'en suis ravi ; les Britanniques le font depuis longtemps.
En revanche, la mise en place de la plateforme téléphonique centralisée de France Consulaire a été repoussée, alors qu'on nous avait promis l'an dernier qu'elle serait étendue à toute l'Union européenne à la fin de 2022, et au monde entier en 2023. Vous semblez nous dire que ce ne sera pas le cas. Comment expliquer ce nouveau report ? Pouvons-nous envisager une loi de programmation consulaire qui nous permettrait d'appréhender l'évolution du réseau dans le temps ?
Enfin, nous souhaiterions que notre présence soit plus affirmée en Amérique latine. La France est le troisième investisseur au Brésil. Alors que le niveau de notre balance extérieure inquiète, pourquoi ne pas nous saisir des nombreuses opportunités offertes par ce voisin avec lequel nous partageons la plus grande frontière terrestre ?
Mme Michelle Gréaume. - La taxe sur les transactions financières française a pour objet de faire participer le secteur financier au redressement des finances publiques de la France. Or, compte tenu du compromis de la Commission européenne et du faible taux de la taxe et de l'assiette, 99 % des transactions risquent d'échapper à cette taxe. Vous laissez entendre qu'il n'est pas besoin d'activer ce levier pour augmenter les crédits. Où récupérerez-vous les recettes nécessaires pour répondre à l'urgence sociale, environnementale et énergétique ? Pourquoi ne pas rehausser le taux de la taxe de 0,3 % à 0,7 % ?
M. Jacques Le Nay. - Notre aide publique au développement se concentre sur l'Afrique. La dégradation de nos relations avec les pays de ce continent a-t-elle des conséquences sur la réalisation des projets financiers ? Devons-nous concevoir notre aide publique comme un levier d'influence à part entière ?
Lors des crises internationales, les demandes de visa pour la France se multiplient auprès des consulats. Pourrait-on renforcer temporairement les équipes consulaires pour mieux y répondre ?
Mme Isabelle Raimond-Pavero. - La Russie a renforcé ses liens diplomatiques avec la Turquie. Sur le plan militaire, la coopération turque s'est traduite par l'acquisition en 2019 d'un système de défense antiaérien russe, malgré l'opposition américaine. Sur le plan civil, les deux pays ont également accru leur coopération en matière énergétique, avec l'inauguration en 2020 du gazoduc TurkStream et la construction de la première centrale nucléaire turque, à Akkuyu, par l'énergéticien russe Rosatom.
Vous avez mentionné le principe d'une diplomatie innovante. Quels seraient ses moyens ?
Mme Hélène Conway-Mouret. - La semaine dernière, nous avons débattu brièvement, en séance publique, au sujet de la politique des visas. Nous sommes en train d'abîmer durablement nos relations bilatérales avec les pays du continent africain. Notre diplomatie doit être non seulement vivante, mais aussi humaine et agile, de manière à ce que nous puissions apporter des solutions en cas de crise. Nombreux sont les déçus de notre politique des visas. Cela nourrit un sentiment antifrançais.
Des créations de postes et des crédits supplémentaires sont prévus pour le réseau consulaire. Les forces d'appoint destinées à accélérer le traitement des demandes de visa ne suffiront pas, d'autant que le nouveau personnel, fraîchement arrivé de Paris, risque de faire des erreurs, faute de bien connaître la situation des demandeurs. Pouvez-vous préciser les modalités de déploiement des nouveaux agents et le calendrier des rendez-vous consulaires ?
Lors de la 37e session de l'Assemblée des Français de l'étranger, nous avons évoqué leur volonté d'être associés aux États généraux de la diplomatie. Y êtes-vous favorable et que pensez-vous de l'idée que les parlementaires y participent également ?
M. Pierre Laurent. - Depuis dix-huit jours, cinquante prisonniers palestiniens sont en grève de la faim, dont l'avocat franco-palestinien Salah Hamouri, détenu depuis le 7 mars 2022, sans jugement, ni procès, ni incrimination. Quelle initiative nouvelle comptez-vous prendre pour éviter le pire ?
Je me félicite comme mon collègue André Vallini de ce qu'un nouvel accord international contre l'utilisation des armes explosives en zones peuplées voie le jour. La France sera-t-elle représentée au plus haut niveau lors de sa signature à Dublin, le 18 novembre prochain ? Nous serons plusieurs parlementaires sur place. Comptez-vous être présente ?
M. Yannick Vaugrenard. - Les femmes iraniennes subissent une répression terrible. La Grande-Bretagne, le Canada et les États-Unis ont commencé à prendre des mesures de rétorsion à l'encontre des responsables iraniens, comme le gel d'avoirs ou l'interdiction de séjour sur leur territoire. Les ministres des affaires étrangères des 27 pays de l'Union européenne se réuniront le 17 octobre prochain. Prévoira-t-on une réaction européenne globale ?
M. Christian Cambon, président. - J'attire votre attention sur la dégradation de nos relations avec le Maroc. La politique des visas imposée dans les conditions que nous savons n'est pas favorable. Quelles évolutions pouvons-nous escompter ? Les relations se sont améliorées avec l'Algérie, pays voisin.
Enfin, deux pays souffrent particulièrement du conflit en Ukraine, la Biélorussie et la Moldavie. La Biélorussie est entraînée dans la guerre de manière incertaine du fait de son chef d'État. La semaine dernière, le président du Sénat a reçu Mme Svetlana Tikhanovskaïa, qui a réussi le tour de force de réunir les oppositions et dont le mari est prisonnier dans les geôles de M. Loukachenko. Peut-on envisager que l'opposition au régime biélorusse soit accueillie comme observateur au Conseil de l'Europe, de manière à faire entendre sa voix ?
Quant à la Moldavie, c'est un pays très exposé qui connaît d'importantes difficultés, notamment pour la fourniture de gaz, qui devait être assurée à 100 % par la Russie. Quelles mesures le Gouvernement français compte-t-il prendre pour aider cet État ?
Mme Hélène Conway-Mouret. - Nous avons entendu lors d'une audition Mme Fawzia Koofi, députée afghane qui vit en exil. D'autres ont fui comme elle, en Iran ou au Pakistan, et certaines sont sans nouvelles de leur demande de visa. Elles craignent d'être renvoyées en Afghanistan, où leur sort serait terrible. Que comptez-vous faire ?
Mme Catherine Colonna, ministre. - Madame Garriaud-Maylam, la question de l'audiovisuel public extérieur ne relève pas directement de la compétence de mon ministère. Certes, il faut que l'information soit libre et indépendante - le Président de la République l'a rappelé lors de l'ouverture de la conférence des ambassadrices et ambassadeurs. L'audiovisuel public extérieur est aussi un instrument de rayonnement de la langue française.
Dans le plan de résilience démocratique que j'ai annoncé à l'été dernier, nous renforcerons notre soutien aux médias locaux indépendants, dans les pays où cela est nécessaire. Nos instituts sont également à l'oeuvre.
Quant aux crédits, la question ne dépend pas de nous, mais il me semble que le montant de l'enveloppe compte plus que son origine.
Monsieur Allizard, nos relations avec le Pakistan tendent à se normaliser, grâce à l'arrivée d'un nouveau gouvernement pakistanais. La France souhaite des relations apaisées avec cet État. Le Président de la République s'est entretenu en marge de l'Assemblée générale des Nations-unies avec le nouveau Premier ministre pakistanais. Nous serons exigeants dans le dialogue qui s'instaurera, notamment sur les questions des droits de l'homme, de la liberté d'expression et de la lutte contre toute forme de radicalisme.
Nous sommes aux côtés du Pakistan, qui a subi de graves inondations. Nous participons à l'aide humanitaire et avons envoyé du matériel.
Cette amélioration de nos relations n'emporte aucune conséquence négative sur notre partenariat stratégique avec l'Inde, qui n'a cessé de s'approfondir. Au cours de mon dernier déplacement en Inde, nous avons pu noter une évolution positive dans les relations avec cet État, notamment à l'occasion des prises de position publiques exprimées par l'Inde, à Samarcande ou au Conseil de sécurité des Nations-unies, sur la situation en Ukraine.
Monsieur Cadic, nous avons l'intention de faire le meilleur usage de nos moyens supplémentaires, qui ne sont pas non plus illimités. Nous avons décidé d'affecter entre dix et vingt personnes au nouveau dispositif de veille, qui permettra aussi de renforcer notre capacité d'action sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, d'autres directions du Quai d'Orsay, notamment la direction politique et les directions géographiques, sont appelées à apporter leurs compétences à la lutte contre la désinformation.
Le déploiement du nouveau service consulaire se poursuit au rythme des moyens. L'Union européenne est presque intégralement couverte à ce jour, et nous nous réjouissons d'ores et déjà du taux de satisfaction de près de 90 % enregistré parmi nos compatriotes utilisateurs, qui sont volontiers exigeants.
La France doit en effet s'investir davantage en Amérique latine, pour nos entreprises, mais aussi pour accroître son influence. J'ai plusieurs projets à cet égard, pour moi-même, mon ministère et mes secrétaires d'État.
Les questions concernant la taxe sur les transactions financières me semblent devoir relever davantage de mes collègues des finances et du budget.
En matière de politique des visas, vous avez rappelé la décision prise en conseil de défense fin 2021 en faveur d'une politique de visas plus stricte à l'égard des pays qui ne coopéraient pas suffisamment sur le volet retour de leurs ressortissants en situation irrégulière. Je rappelle que la politique des visas est placée sous la responsabilité conjointe du MEAE et du ministère de l'intérieur.
J'ai cru comprendre que les conversations avaient bien avancé avec la Tunisie.
Elles semblent avoir bien avancé également avec l'Algérie, même si nous attendons encore les réponses des autorités algériennes aux questions soulevées par le Président de la République lors de son entretien avec son homologue à la fin du mois d'août, notamment sur l'allègement de l'obligation de réalisation d'un test PCR, qui est un moyen assez fréquent pour les pays de se soustraire aux obligations de retour. Nous attendons les réponses du nouveau ministre algérien de l'intérieur.
Nous sommes également en discussion avec le Maroc dans le même but d'obtenir un retour plus fluide des personnes en situation irrégulière.
Mme Conway-Mouret, le nombre de visas émis est reparti à la hausse, tout en restant inférieur au nombre de titres délivrés en 2019. On constate en effet des retards, mais ils sont localisés dans certains pays. Nous allons créer un centre de soutien pour aider les consulats concernés par ces difficultés, et nous allons bien entendu lutter contre les officines qui accaparent les rendez-vous au moyen de robots informatiques.
Nous continuons à délivrer des visas au titre de l'asile aux Afghanes et aux Afghans depuis Islamabad ou Téhéran. Dans la capitale iranienne, la situation, volatile, perturbe le bon fonctionnement du service des visas.
Les États généraux de la diplomatie associeront des personnalités extérieures et des élus, et j'espère que certains sénateurs répondront présents. J'ai fait le choix d'une consultation large et transparente.
Monsieur Laurent, notre mobilisation est totale pour que les droits de Salah Hamouri soient pleinement respectés. Le Président de la République souhaite que sa libération intervienne le plus tôt possible. Nos consuls à Tel-Aviv et à Jérusalem lui ont rendu visite à cinq reprises. Sa famille a été elle aussi reçue plusieurs fois. Nous demandons également que son épouse et ses enfants puissent le voir régulièrement.
Nous n'avons pas encore défini le niveau de participation pour la signature du protocole encadrant l'usage d'armes explosives à large rayon d'impact en zones peuplées, qui aura lieu le 18 novembre à Dublin. Je vous en rendrai compte dès qu'une décision aura été prise.
Une réunion des ministres des affaires étrangères se réunira prochainement en vue d'adopter des sanctions contre les responsables de la répression en Iran. Contrairement à ce que soutient ce pays, nous ne pratiquons aucune ingérence : nous nous bornons à rappeler que l'Iran est signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 : à ce titre, il doit respecter ses obligations.
Je suis consciente des troubles pouvant naître de la politique des visas. Le ministre de l'intérieur échange avec ses homologues européens en vue de revenir au dispositif en vigueur avant 2021.
Nous avons appelé la Biélorussie à ne pas soutenir davantage l'agression russe contre l'Ukraine. Dans le cas contraire, de nouvelles sanctions seraient instaurées. Nous soutenons l'opposition biélorusse ; j'ai moi-même reçu Svetlana Tikhanovskaïa, qui souhaite que l'opposition démocratique biélorusse puisse être reçue comme observateur au Conseil de l'Europe. Je soutiendrai cette demande.
La Moldavie bénéficie du service France Consulaire. Ce pays mérite toute l'attention de la France. La candidature de la Moldavie à la Communauté politique européenne (CPE) sera examinée lors d'une prochaine réunion de cette instance. Une conférence de soutien sera organisée au mois de novembre afin d'aider la Moldavie à faire face à son voisin russe.
M. Cédric Perrin. - Un ancien militaire français, Philippe François, est actuellement emprisonné à Madagascar dans des conditions terribles. L'ancien ambassadeur Jean-Christophe Rufin a pris la présidence de son comité de soutien. Le Quai d'Orsay est pour le moment resté discret à ce sujet.
Mme Catherine Colonna, ministre. - Monsieur le sénateur, soyez assuré de notre entière mobilisation pour venir en aide à notre compatriote. Les interventions du Quai d'Orsay sont plus contraintes que celles des anciens ambassadeurs.
M. Christian Cambon, président. - Je me réjouis de la hausse du budget de votre ministère. Je vous remercie pour la qualité de nos échanges. La commission des affaires étrangères du Sénat agira à vos côtés.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 30.