- Mercredi 5 octobre 2022
- Proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale afin de lutter contre « les déserts médicaux » - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à faire évoluer la formation de sage-femme - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi visant à accompagner la mise en place de comités sociaux et économiques à La Poste - Examen du rapport et du texte de la commission
- Rapport annuel de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale - Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes
Mercredi 5 octobre 2022
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale afin de lutter contre « les déserts médicaux » - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Catherine Deroche, présidente. - Tout d'abord, je veux accueillir au sein de notre commission notre nouveau collègue M. Jean-Marie Janssens qui remplace Mme Daphné Ract-Madoux.
Nous commençons nos travaux par l'examen de la proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale afin de lutter contre « les déserts médicaux ».
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - La proposition de loi que nous examinons ce matin a été déposée par le président Bruno Retailleau, avec une double intention à laquelle je souscris pleinement. Le texte vise à améliorer la formation en médecine générale, en allongeant le troisième cycle d'une année et en le rendant plus professionnalisant. Mais il s'agit également de trouver un moyen d'action nouveau pour s'attaquer à la problématique des « déserts médicaux » que nous connaissons bien, selon l'expression largement usitée. J'y reviendrai.
La proposition de loi comporte un article unique, qui prolonge la durée du troisième cycle des études de médecine générale à quatre ans et affecte la quatrième année à la réalisation de stages en ambulatoire en autonomie supervisée. Cette mesure était évoquée depuis longtemps.
La durée du troisième cycle de médecine générale, qui reste fixée à trois ans, fait exception. Plus courte que celles des 43 autres spécialités, elle isole la médecine générale, l'empêche de bénéficier de certaines avancées de la réforme de 2017 et ne permet pas d'assurer la professionnalisation complète des étudiants. Ainsi, les étudiants en médecine générale sont les seuls à ne pas bénéficier d'une troisième phase d'internat, dite « de consolidation », visant à consolider les connaissances et compétences acquises jusque-là. Ils ne bénéficient pas non plus du statut de docteur junior, associé à cette dernière phase et permettant aux étudiants de réaliser, pendant une année entière, des stages en autonomie progressive et supervisée, tout en bénéficiant d'une meilleure rémunération. Cette durée s'avère également plus courte que celle qui est retenue dans de nombreux autres pays européens : les médecins généralistes suivent, par exemple, un troisième cycle de quatre ans en Irlande ou en Pologne ; de cinq ans au Danemark, en Suède ou en Norvège.
Les enseignants et les médecins que nous avons auditionnés sont majoritairement très favorables à cette mesure, et nous ont parfois indiqué y travailler depuis plusieurs années. Ils ont insisté sur l'opportunité d'enrichir la maquette de formation, dans l'objectif de mieux préparer les étudiants à l'installation et de leur permettre plus facilement, s'ils le souhaitent, d'approfondir des compétences spécifiques, communes à plusieurs spécialités, au cours de formations spécialisées transversales. Ils ont, surtout, insisté sur l'opportunité de développer les stages en ambulatoire, aujourd'hui trop peu présents de manière obligatoire dans le cursus.
En améliorant la professionnalisation des internes de médecine générale, la proposition de loi vise également à favoriser leur installation rapide. Si le troisième cycle est rallongé à quatre ans, les étudiants ne pourront plus, comme aujourd'hui, soutenir leur thèse jusqu'à trois ans après la fin de leur internat et retarder d'autant leur installation. Comme dans les autres spécialités, ils seront contraints de la soutenir à l'issue de la troisième année, l'accès à la quatrième étant conditionné à la soutenance. Surtout, la réalisation d'une année entière de stages en ambulatoire et en autonomie supervisée, sous le statut de docteur junior, permettra d'améliorer largement la professionnalisation des étudiants et de mieux les préparer à l'exercice en ville. En elle-même, la mesure devrait donc être favorable à l'amélioration de l'offre de soins.
Toutefois, la proposition de loi ne s'arrête pas là. Afin de répondre plus directement aux problèmes d'accès aux soins dans de très nombreux territoires, elle prévoit que les stages en ambulatoire de quatrième année seront prioritairement réalisés dans les zones sous-denses identifiées par les agences régionales de santé (ARS). Cette mesure a concentré, ces dernières semaines, les inquiétudes des organisations représentatives des internes, qui ont souligné qu'elles ne souhaitaient pas que la formation soit instrumentalisée pour régler les difficultés d'accès aux soins de certains territoires. Je tiens donc à le dire d'emblée, la mesure n'entend pas sacrifier la qualité de l'encadrement des étudiants. Au contraire, et comme c'est déjà le cas aujourd'hui, les stages seront supervisés par des maîtres de stage formés et agréés par l'université, et devront permettre un véritable accompagnement de l'étudiant.
Afin de tenir compte de ces inquiétudes, et parce que l'expression « désert médical » ne me paraît pas décrire fidèlement la réalité contrastée des zones sous-denses, je vous propose d'adopter un amendement modifiant l'intitulé de la proposition de loi pour mieux mettre en valeur son objectif principal : l'amélioration de la formation des internes en médecine générale.
Toutefois, je crois également qu'il n'est pas possible d'ignorer entièrement les besoins de nos territoires en matière d'offre de soins dans l'affectation des internes en stage. Au contraire, les affectations doivent être cohérentes avec les besoins de santé des territoires chaque fois que cela est possible sans perte sur la qualité d'accompagnement. C'est pourquoi, afin d'assurer la pleine efficacité de cette mesure, les efforts devront être poursuivis pour augmenter encore le nombre de maîtres de stages universitaires et s'assurer que ceux-ci maillent suffisamment le territoire. Il s'agit d'un enjeu central, et bien identifié puisque leur nombre a déjà augmenté considérablement ces dernières années et de nombreuses collectivités territoriales cherchent déjà à favoriser l'agrément de maîtres de stage sur leur territoire. C'est à la condition de concilier ces deux impératifs - amélioration de la formation des étudiants en médecine générale et amélioration du service rendu à la population dans les territoires - que la réforme pourra être un succès. Cette proposition de loi constitue un pas pour apporter une meilleure réponse aux attentes de soins. Elle a plusieurs mérites, dont celui de démystifier l'installation avec une meilleure connaissance d'un cabinet, mais également de démystifier la notion de zone sous-dense : il y a une vie dans ces territoires.
Un autre motif d'inquiétude réside dans la situation matérielle des étudiants affectés dans des territoires éloignés de leur domicile. Les collectivités territoriales font déjà beaucoup d'efforts dans ce domaine. Sur ce point comme sur d'autres, je constate que le Gouvernement a souhaité ouvrir une concertation dans le cadre d'une mission interministérielle, qui devra rendre ses conclusions dans les prochains mois. Les docteurs juniors, quand bien même ils exercent en autonomie progressive des actes de prévention, de diagnostic et de soin, sont aujourd'hui rémunérés forfaitairement et, il faut le dire, assez faiblement au regard du travail qu'ils accomplissent souvent. Je souhaite que des solutions puissent être trouvées pour rétribuer justement les étudiants qui suivront cette année supplémentaire et leur permettre de la réaliser dans de bonnes conditions.
Enfin, les personnes auditionnées nous ont toutes confirmé que l'allongement du troisième cycle et la mise en place de la quatrième année ne devraient pas s'appliquer aux étudiants actuels du troisième cycle de médecine générale, pour ne pas nuire à la cohérence de leur formation et ne pas précipiter la mise à jour du référentiel de formation, dont le contenu devra faire l'objet de concertations. Je vous propose donc d'adopter un amendement prévoyant que le dispositif de la proposition de loi ne s'appliquera pas aux étudiants qui, à la date de la publication de la loi, auront déjà débuté le troisième cycle des études de médecine.
Je voudrais maintenant m'attarder sur le contexte d'intervention de cette proposition de loi. Le Gouvernement a repris l'essentiel de son dispositif pour l'inclure au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 qu'il a déposé, la semaine dernière, à l'Assemblée nationale, alors même que la proposition de loi était d'ores et déjà déposée au Sénat depuis janvier.
En effet, la mesure s'inspire, d'abord, d'un dispositif adopté en 2019 à notre initiative, qui prévoyait que les étudiants de médecine générale réalisent, lors de leur troisième année d'internat, un stage d'un semestre en pratique ambulatoire en autonomie supervisée, en priorité dans les zones sous-denses. Cette disposition n'a jamais été appliquée par le Gouvernement, qui n'a pas pris les décrets d'application nécessaires. La mesure proposée s'inspire aussi d'une recommandation du rapport de la commission d'enquête relative à la situation de l'hôpital et au système de santé en France, qui recommandait de « développer les stages de médecine générale en milieu ambulatoire et renforcer la formation en médecine générale par une quatrième année d'internat [...], en priorité en zone sous-dotée [...] ».
En revanche, je crois aussi que la proposition de loi constitue le véhicule le plus sûr pour adopter de cette mesure. Non pas seulement parce qu'elle est antérieure au projet de loi du Gouvernement et qu'elle est issue de nos travaux, mais aussi parce que l'article 23 du PLFSS, qui porte cette mesure, soulève des questions de recevabilité. En effet, l'absence d'incidence financière de la mesure sur les régimes obligatoires de base est mise en évidence par l'étude d'impact transmise par le Gouvernement.
C'est pourquoi je vous demande d'adopter ce matin la proposition de loi ainsi amendée, qui permettra d'améliorer à la fois la formation des étudiants de médecine générale et l'accès aux soins dans nos territoires.
Enfin, pour clore cette intervention, il me revient, en tant que rapporteure, de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère qu'il comprend des dispositions relatives au contenu et à la durée de formation des médecins généralistes.
En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte dont nous avons à débattre des amendements relatifs à la formation des autres professions médicales et paramédicales ; au régime fiscal ou social, aux règles d'installation ou de conventionnement des professionnels de santé ; aux compétences des professionnels de santé. De tels amendements seraient donc déclarés irrecevables par notre commission en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Daniel Chasseing. - Notre rapporteure a bien expliqué les enjeux. Malgré les initiatives des maires, les aides publiques restent insuffisantes pour attirer les médecins dans les zones sous-denses et rurales. L'État est pourtant le garant de l'aménagement du territoire : or sans médecin, il n'y a pas de pharmacie, ni de kinésithérapeutes, ni d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), etc. De même, les familles hésitent à s'installer dans ces zones dans ces conditions.
Cette proposition de loi s'inspire d'un dispositif voté en 2019 à l'initiative de notre commission. Il avait alors été négocié avec les internes pour ramener d'un an à six mois la durée du stage de pratique ambulatoire en autonomie supervisée dans les zones sous-denses. J'avais aussi déposé une proposition de loi allant dans le même sens, dont l'examen à l'ordre du jour a été retiré à la faveur de ce texte.
Les étudiants sont attachés au paiement à l'acte dès la quatrième année, car ils ont besoin d'être rémunérés pour financer leurs études. Ce texte va dans ce sens. Ils auraient aussi souhaité conserver le dispositif existant en allongeant la durée du stage de seulement six mois, ce qui aurait porté la durée passée sous le statut de docteur junior à un an. Nous pourrions sans doute les suivre dans cette voie. Certains s'inquiètent que l'encadrement ne soit pas suffisant, mais ces craintes ne sont pas fondées : les étudiants qui ont passé leur thèse après trois ans d'internat peuvent s'installer sans encadrement. Je voterai cette proposition de loi.
Mme Émilienne Poumirol. - Cette proposition de loi arrive au moment où le Gouvernement veut la court-circuiter en inscrivant dans le PLFSS une mesure similaire, mais dépourvue de toute précision. Il a constitué un groupe de travail sur le sujet après avoir déposé son projet de loi, mais les étudiants protestent, car ils ne connaissent pas le contenu de la mesure.
Ce texte a deux défauts, car il vise deux objectifs. Est-ce en effet le rôle du Sénat de se prononcer sur le contenu de la formation des étudiants en médecine ? Il vise aussi à régler le problème des déserts médicaux, un problème très complexe. La rédaction reste imprécise sur le statut des étudiants, qui auraient, selon les doyens de faculté, le statut de docteur junior. Mais une rémunération de 2 500 euros pour une personne à bac+10, c'est peu !
De plus, dispose-t-on d'assez de maîtres de stage universitaires pour assurer la formation pendant une année de plus à 4 000 étudiants ? Les étudiants ne sont pas opposés à la création d'une quatrième année, encore faut-il qu'elle s'accompagne d'un contenu pédagogique réel, ce qui implique de disposer de maîtres de stage bien formés en nombre suffisant.
Nous nous opposerons à cette proposition de loi dans sa rédaction actuelle ; notre position pourrait évoluer si des précisions étaient apportées sur la rémunération des internes et le contenu de la formation.
M. Philippe Mouiller. - Il était judicieux de renommer ce texte, car l'enjeu est avant tout l'amélioration de la formation des internes, même si le texte vise aussi à répondre à la question des déserts médicaux par ce biais.
La réussite de cette proposition de loi dépendra de la capacité à trouver des maîtres de stage ainsi que des modalités d'organisation qui seront retenues. Les étudiants sont favorables à ce texte, avec deux préoccupations néanmoins, relatives à la rémunération, d'une part, et aux conditions d'encadrement par les maîtres de stage, d'autre part.
Le Gouvernement a introduit dans le PLFSS un article sur ce sujet, alors même que l'on sait très bien que le Conseil constitutionnel le censurera s'il était adopté, dans la mesure où il s'agit d'un cavalier législatif. Ceux qui choisiraient de ne pas voter ce texte au motif qu'un dispositif similaire figure dans le PLFSS doivent donc savoir que cette mesure sera in fine retoquée ! Si l'on est favorable à l'esprit du texte, il convient de le voter, sinon le dispositif ne verra pas le jour. J'appelle donc chacun à la cohérence !
Ce texte a le mérite de poser de nouveau la question de la formation, de l'accompagnement et des conditions d'installation des médecins. Je le voterai.
Mme Laurence Cohen. - Je rassure M. Mouiller : nous sommes cohérents, nous voterons contre ce texte et contre le PLFSS !
Nous sommes tous confrontés à la question des déserts médicaux, sujet sensible aussi bien dans les zones rurales que dans les grandes zones urbaines, comme en Île-de-France. J'ai été atterrée par les réponses de la ministre hier dans l'hémicycle lors du débat sur les urgences hospitalières et les soins non programmés : elle ne cessait d'invoquer les 41 mesures de la mission flash menée par François Braun comme un mantra... La réalité est que l'on manque cruellement de médecins généralistes, puisque 6 millions de Français n'ont pas de médecin traitant. Je crains que cette proposition de loi non seulement ne résolve pas les difficultés, mais aussi les aggrave.
Je remercie notre rapporteure pour sa pédagogie et son travail. Je m'étonne toutefois qu'il n'y ait pas eu de réflexion sur le contenu des formations en amont. Les internes sont inquiets, car ils craignent d'être envoyés dans des zones sous-dotées, sans aucun accompagnement puisque l'on manque justement de médecins seniors dans ces territoires pour les encadrer. L'année supplémentaire de formation prévue risque d'être une année blanche en termes de formation dans ce contexte.
De plus en plus, les jeunes médecins aspirent à travailler en salariat, dans des structures collectives, pour ne pas avoir des horaires intenables. Or, il n'y a aucune réflexion sur ce sujet, non plus que sur la permanence des soins. Il n'y a pas eu d'anticipation. Le Gouvernement nous balade avec la suppression du numerus clausus : le nombre de médecins supplémentaires formés est très faible, tout simplement parce qu'on ne donne pas aux universités les moyens de former plus de professionnels.
Mieux vaudrait ainsi s'intéresser à ces sujets fondamentaux, plutôt que de s'abaisser à engager un débat de cour maternelle pour revendiquer la paternité de ce texte, qui ne réglera d'ailleurs rien, et d'accuser le Gouvernement de vouloir le récupérer.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Comment une quatrième année d'internat permettra-t-elle de réduire les déserts médicaux ? Ce texte est muet sur le statut de ces médecins juniors, sur leur salaire. Il est question d'une rémunération à l'acte, mais comment cela va-t-il se passer concrètement avec les maîtres de stage ? Combien d'actes ces derniers les autoriseront-ils à réaliser ? Les internes sont vent debout contre ce texte.
Nous sommes régulièrement sollicités par des maires qui ont besoin d'aide pour les aider à trouver des médecins pour venir s'installer dans les centres de santé qu'ils ont construits et qui sont vides. Dans le Pas-de-Calais, le délai d'attente pour obtenir un rendez-vous en ophtalmologie est d'un an. À Paris, ces délais sont bien moindres. Six millions de Français n'ont plus de médecin traitant. C'est à ces inégalités que nous devons nous attaquer.
Un autre problème concerne le nombre des maîtres de stage et le nombre de places ouvertes en médecine dans les universités. À cet égard, une année d'études en plus ne réglera rien. Il y a quelques années, la formation durait sept ans et nous n'étions pas plus mal soignés !
Mme Catherine Deroche, présidente. - C'est vrai, mais je pense que si l'on proposait de revenir à l'ancien système les étudiants seraient aussi vent debout.
M. Olivier Henno. - Ne nous étonnons pas que le Gouvernement reprenne le texte de cette proposition de loi dans le PLFSS.
Même s'il ne faut pas trop en attendre, elle permet d'avancer sur deux points. Premièrement, elle vise à harmoniser notre système avec ceux qui sont en vigueur en Europe en ce qui concerne les spécialistes et les docteurs juniors. Il ne me semble pas anormal que le troisième cycle dure quatre ans ; si l'on en croit les étudiants, ce sont plutôt les études qui précèdent qui sont un peu longues. Deuxièmement, elle répond au défi des déserts médicaux. En filigrane, ce texte pose la question de la liberté d'installation des médecins, un tabou qui ne tiendra plus longtemps si certains territoires, comme dans la région de Maubeuge, sont privés de médecins. Mais les étudiants en médecine originaires de Maubeuge rêvent souvent de s'installer dans le Midi...
Il faut aussi s'attaquer à la question de la rémunération, écouter et rassurer les étudiants. Le cursus qui précède le troisième cycle est sans doute un peu long et certains ont l'impression de perdre leur temps. Enfin, il est incompréhensible que la France, septième puissance mondiale, ne soit pas capable d'augmenter - pour des raisons de locaux, de nombre de formateurs, etc. - le nombre de médecins qu'elle forme, alors que la Roumanie le fait sans problème. Il est temps d'identifier les blocages, car cette situation est devenue intolérable.
M. Jean-Luc Fichet. - Un jour ou l'autre, il faudra poser la question de la liberté d'installation des médecins. Cessons de tourner autour du pot ! Avec l'instauration de la quatrième année d'internat, l'objectif est de répondre à la problématique des déserts médicaux en envoyant des étudiants dans des endroits où ils ne veulent pas aller, mais le texte ne résout rien, car il prévoit que les stages sont effectués « en priorité » dans ces territoires : cela signifie donc que si les internes ne veulent pas y aller, ils n'iront pas ! Finalement rien ne changera.
Les internes se plaignent de la manière dont ils sont traités à l'hôpital. Nous devons nous pencher sur cette question. Il n'en demeure pas moins qu'ils ont bénéficié d'études financées essentiellement par des crédits publics. Or ils sont libres de s'installer où ils le souhaitent. Aujourd'hui, 15 % des jeunes diplômés s'installent immédiatement, tout en exerçant souvent aussi une spécialité, comme l'épilation laser ou le traitement de la chute des cheveux, qui est plus lucrative. Dix ans après la fin de leurs études, seuls 45 % des diplômés sont installés comme médecins généralistes - c'est peu. J'ajoute enfin que, si le texte est adopté, les collectivités seront sollicitées pour aider les stagiaires de quatrième année à s'installer pendant un an, en leur fournissant des locaux, du matériel, qu'elles n'ont pas forcément. Finalement on tourne autour du pot, sans régler le problème : les zones sous-denses continueront à l'être, car le nombre de médecins généralistes n'augmentera pas avant dix ans. Quant aux centres médicaux pluridisciplinaires, ils ne fonctionneront que là où ils disposeront de médecins, donc pas dans les déserts médicaux ! L'effort pour libérer du temps médical ne résout pas la question de l'éloignement des médecins : certains doivent faire une heure de route pour en trouver un, quand celui-ci peut les recevoir... Le problème est que l'on manque de médecins. L'instauration d'une quatrième année n'y changera rien.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Ce texte suscite bien des passions. Nous sommes souvent interpellés par les élus locaux et nos concitoyens qui ne trouvent pas de médecins. Plusieurs outils sont envisageables pour améliorer l'accès aux soins, mais entre 10 % et 12 % de la population n'ont pas de médecin traitant. Ce problème se pose partout dans le monde. Ainsi, seuls 30 % des Suédois ont un médecin traitant. Le vieillissement de la population complique encore la donne.
Peut-être devrions-nous harmoniser les études de médecine au niveau européen. On accueille de nombreux étudiants étrangers, et inversement beaucoup de Français partent à l'étranger pour faire leurs études, alors que le numerus clausus a été supprimé. Simplement, on manque de place dans les universités et on n'a pas formé assez de professeurs de médecine. En Suède, la formation pour devenir médecin généraliste dure sept ans. En France, la médecine générale a longtemps été mal valorisée. Il est à craindre qu'allonger le cursus d'un an n'aboutisse à rendre moins attractive à nouveau cette voie ; de plus, les étudiants engagés dans cette année supplémentaire ne pourront pas s'installer comme médecins immédiatement. C'est autant de médecins en moins pour le pays. Quant au paiement à l'acte, il risque de constituer une rupture d'égalité avec les internes en spécialité.
La régulation n'est pas une solution. Celle-ci est utile pour gérer un excès d'offre, mais ne peut rien contre la pénurie de médecins. Il faut plutôt parvenir à convaincre les jeunes de s'installer dans les zones sous-denses. Dans les territoires où une dynamique positive s'est installée avec les professionnels, on arrive à repousser les murs et à accueillir des jeunes. Je suis très sceptique sur ce texte. Je m'abstiendrai.
Mme Véronique Guillotin. - Certes, redonner de l'intérêt à la médecine générale est une bonne idée. Le point positif du texte est que les internes devront passer leur thèse en troisième année et qu'ils pourront donc potentiellement s'installer rapidement après leur fin d'études. Toutefois, ce texte me gêne.
On comprend qu'il vise à remédier au problème de la désertification médicale. Or la création d'une quatrième année n'apporte aucune réponse à cet égard. Soyons réalistes, on manque de médecins. Il convient de multiplier les efforts pour les attirer, de créer des maisons de santé pluriprofessionnelles, de faire en sorte que les étudiants soient bien accueillis dans les zones sous-denses, bien formés avec des maîtres de stage, etc. C'est ainsi que les jeunes souhaiteront s'installer dans ces zones. Mais la solution viendra avec le temps, lorsque l'on formera plus de médecins. Je m'abstiendrai.
M. Martin Lévrier. - Je salue le travail de notre rapporteure. Comme Laurence Cohen l'a dit, il est inutile de nous écharper sur la paternité du texte. Je souscris aux propos d'Olivier Henno, même si je suis en désaccord avec lui sur la coercition. Celle-ci ne peut pas fonctionner lorsque l'on manque de médecins. Ce problème ne se pose pas qu'en France, il est mondial. Si l'on développe la coercition, les médecins partiront à l'étranger. Comme cette proposition de loi va dans le sens du PLFSS, je la voterai, de même que je voterai le PLFSS.
M. René-Paul Savary. - Évitons de parler de « déserts médicaux » : cette expression dévalorise ces territoires aux yeux des étudiants. Il s'agit de zones insuffisamment dotées en médecins généralistes, c'est tout.
Instaurer une quatrième année en troisième cycle alors que l'on manque de médecins ne semble pas être une très bonne idée a priori. Mais je suis plutôt favorable à réduire de six à cinq ans la durée des deux premiers cycles des études de médecine. Il ne semble pas utile de faire durer les études de médecine pendant dix ans, c'est beaucoup !
Le numerus clausus n'a pas disparu, il a été remplacé par un numerus apertus. Il conviendrait de le doubler.
Mme Victoire Jasmin. - En vous écoutant, je suis de plus en plus inquiète pour nos territoires d'outre-mer, où la situation est déjà critique. On y manque cruellement de médecins et les évacuations sanitaires se multiplient, y compris pour des problèmes bénins.
L'université des Antilles accueille déjà un premier cycle de formation médicale. Le second cycle est en train d'être installé. Les étudiants de troisième cycle vont en métropole et ne retournent pas toujours aux Antilles. La question des maîtres de stage reste posée. Les médecins semblent sceptiques sur ce texte. Il faut tenir compte de la diversité des territoires. Ceux qui ont les moyens peuvent prendre l'avion pour venir se faire soigner en métropole, d'autres ne le peuvent pas.
Mme Florence Lassarade. - Merci de cet effort considérable pour essayer d'améliorer les choses. Je voterai cette proposition de loi, mais il faut aller plus loin. C'est parce qu'il y a des spécialistes sur un territoire qu'un généraliste aura envie de s'installer. Le généraliste est la plaque tournante pour orienter ses patients. Voyons les choses plus globalement. Nous devons nous interroger sur la formation des spécialistes en cabinet. J'ai été très frustrée de ne pas pouvoir transmettre : en hôpital et en hôpital périphérique, on ne nous envoyait pas d'internes, ni même d'externes, malgré du potentiel : d'anciens chefs de clinique sont formés à la pédagogie.
Nous voulons des médecins généralistes partout, mais ils sont souvent maltraités par les patients, exigeants à cause du manque de médecins, et qui exercent une forme de pression. Le généraliste qui reçoit fait de son mieux ! Il faut être bienveillants avec les médecins, et former les spécialistes au plus près de leur cabinet, en ville, et non seulement des spécialistes hospitaliers.
Mme Annie Delmont-Koropoulis. - Avec René-Paul Savary et Frédérique Gerbaud, je prépare un amendement pour réduire à cinq ans les deux premiers cycles, afin que les quatre années d'internat trouvent leur place dans le cursus, sans allonger les études médicales.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Merci de vos nombreuses interventions sur ce sujet motivant, qui le mérite. Vous ne pouvez pas dire que cette proposition de loi ne sert à rien ! J'espère qu'elle sera votée et que nous irons jusqu'au bout. C'est un premier pas. Une promotion rassemble environ 3 500 internes en médecine générale. En moyenne, par département, cela revient à envoyer 36 internes en quatrième année, en autonomie supervisée et en ambulatoire. Cela irriguerait l'ensemble du territoire national, hormis les zones non prioritaires, souvent des villes. En 2010, l'Association des maires de France (AMF) avait organisé une réunion « Déserts médicaux : urbains et ruraux, tous concernés ». On ne peut pas rester à constater qu'il y a un problème d'accès aux soins, que 6 millions de Français sont sans médecin traitant, et ne rien faire. C'est une responsabilité collective. Chacun doit faire un effort : les internes, et à titre personnel, car cela n'a pas été évoqué en audition, je suis favorable à la réduction de la durée du 1er et du 2e cycle si elle est possible ; les facultés, qui devront réorganiser le cursus ; et les médecins installés, auxquels on demande d'être des maîtres de stage universitaires. Nous avons quatre ans pour former 36 maîtres de stage. Ce n'est pas impossible ! Cela soulagera les médecins, même si ces internes ne seront pas des remplaçants. C'est un partage gagnant-gagnant. Le salariat ne règle pas tout, comme on peut le voir en Suède. C'est une proposition d'exercice.
Nous avons eu des échanges apaisés avec les étudiants en médecine. J'étais désappointée lorsqu'ils m'ont dit souhaiter une troisième année d'internat de médecine générale en autonomie supervisée : c'est ce que le Sénat avait voté en 2019, alors que leurs prédécesseurs étaient vent debout contre... Quel temps perdu ! On aurait pu avoir une application au 1er novembre 2021, tandis que cette proposition de loi ne s'appliquera qu'en 2026 ! Nous avons perdu cinq ans. Oui, il y a parfois des postures. Le syndicat est sous pression des internes, mais si chacun avance dans le bon sens, on peut améliorer le système de soins.
Avec le temps travaillé choisi, il faut former plus de médecins. Désormais, les médecins veulent une certaine qualité de vie, choisir leur temps de travail. C'est un sujet sociétal global. En face, il y a des patients qui ont besoin de soins. Il faut s'adapter. Saisissons cette proposition de loi. Cela ne fait pas une année blanche.
Actuellement, lorsqu'un étudiant de médecine termine sa troisième année d'internat de médecine générale, il n'a plus que sa thèse à soutenir. Premier avantage de cette quatrième année, il aura soutenu sa thèse, et le doyen ne sera plus obligé d'accorder une dérogation pour soutenir sa thèse au bout de quatre ou cinq ans. Actuellement, il réalise des remplacements lorsqu'il le souhaite. Arrivez-vous à trouver un médecin entre Noël et le jour de l'An ? Avec la proposition de loi, une promotion entière recevrait des patients trois à quatre jours par semaine. C'est une véritable amélioration de la prise en charge, répondant aux attentes des patients et des élus. Je ne souhaite plus parler de désert médical, car sinon la France est un désert médical à 85 % ! Et c'est très péjoratif, alors que les élus locaux agissent pour rendre leurs territoires plus attractifs.
Monsieur Chasseing, allonger de six mois seulement est une façon, pour les responsables actuels des internes, de ne pas désavouer leurs prédécesseurs, en coupant la poire en deux. Ce n'est pas raisonnable de faire une demi-année universitaire. L'allongement d'un an leur permet d'être docteur junior, avec inscription au tableau de l'ordre, et donc une reconnaissance de leur titre et de leurs compétences. Même s'il s'agit d'une professionnalisation, ils détiennent déjà des connaissances remarquables et un savoir-faire.
Madame Poumirol, le statut de docteur junior est applicable. Dans l'exposé des motifs, M. Bruno Retailleau propose une rémunération à l'acte. Lors de nos auditions, l'Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG) estimait qu'il y avait une inéquité par rapport aux docteurs junior en spécialité payés forfaitairement, même quand ils exercent en cabinet de ville. Il faut plus de médecins maîtres de stage en spécialité, car si demain les docteurs juniors en spécialité sont rémunérés à l'acte, il y aura de nouveau des futurs médecins capables de prendre des consultations de spécialistes actuellement sous tension. Nous espérons un tel déblocage et une attirance pour les spécialités en ville.
Madame Cohen, la proposition de loi a un objet, mais il faudra faire perdurer la réflexion, notamment sur la formation. En 2019, le Gouvernement ne voulait pas toucher à la maquette, et nous apportait comme réponse les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), pensant régler ainsi l'accès aux soins. Certes, elles permettent de bonnes conditions de travail et de la concertation, sans tout régler : sans médecin, on ne peut prendre en charge des patients !
Les collectivités territoriales réalisent des efforts en négociant avec les facultés de médecine afin que la formation pour être maître de stage universitaire se passe dans les départements, et non plus forcément à la faculté, au plus près des cabinets médicaux. En Charente-Maritime, en une seule formation, nous avons augmenté de 15 % le nombre de médecins maîtres de stage, nous en avons formé 15 ! Donc le chiffre de 36 par département en quatre ans est réaliste.
Concernant le statut de docteur junior, je compte sur le Gouvernement pour encourager la rémunération à l'acte. Il faut reconnaître la compétence de ces médecins.
Madame Apourceau-Poly, nous allons irriguer les territoires avec des internes en dernière année, où ils découvriront l'attractivité du métier.
Madame Doineau, en moyenne, la France a des études de médecine plus courtes et plus spécialisées que les autres pays européens. Les enseignants et les praticiens pensent que ce changement améliorerait l'attractivité de la spécialité en la rapprochant des autres. Reste à revoir la maquette.
Nous aurons 12 000 maîtres de stage universitaires en médecine générale à la fin de l'année - sur un total de 12 941 maîtres de stage -, soit une augmentation de 10 % en trois ans. Actuellement, tout le monde est prêt à faire un effort, car on se désespère un peu de la situation...
M. Alain Milon. - Les doyens des facultés de médecine de Marseille et de Nice se plaignent qu'on ne leur envoie pas plus d'internes en médecine générale. On supprime le numerus clausus, sans augmenter l'envoi d'internes dans ces petites facultés. Ceux-ci vont prioritairement dans les grosses facultés : Paris, Lille, Bordeaux, Lyon....
Mme Catherine Deroche, présidente. - C'est une question à poser au ministre.
J'ai cosigné cette proposition de loi. Je travaille depuis deux ans avec un membre du conseil de l'ordre sur cette quatrième année. Sincèrement, c'est du gagnant-gagnant. Il n'y a pas de sens à présenter cela comme une lutte contre les déserts médicaux, puisque la quasi-totalité du territoire est sous tension. Oui, il faut peut-être revoir la maquette du cursus et réduire les années antérieures. Nous devons y réfléchir, mais c'est un travail d'une autre ampleur.
Une quatrième année de professionnalisation avec des médecins presque de plein exercice, avec des maîtres de stage, sur tout le territoire, et organiser cela département par département, c'est positif. Il faut y réfléchir avec les territoires. On pourrait imaginer une commission de répartition, qui inclurait l'ARS, les unions régionales des professionnels de santé (URPS), le conseil de l'ordre, les doyens, mais surtout les élus locaux, pour les répartir sur le territoire. Dans les Pays-de-la-Loire, nous avons fait attention à ce que ce ne soient pas que des urbains qui fassent des études de médecine. En général, les étudiants en médecine viennent de catégories socioprofessionnelles aisées et de milieux urbains. Ils ont peu vécu à la campagne et ne connaissent pas ces territoires, donc ne veulent pas y aller. Toutefois, une fois qu'ils s'y rendent, beaucoup restent sur place. Tout le monde veut vivre à la campagne après le confinement !
Mme Cathy Apourceau-Poly. - C'est terminé !
Mme Catherine Deroche, présidente. - Les présidents des syndicats d'étudiants sont très favorables à améliorer les conditions d'accueil, au statut de docteur junior, à la rémunération à l'acte. Mais ils changent tous les ans... Je leur ai dit que s'ils ne faisaient pas d'effort, ils subiraient un effet boomerang plus important.
Les médecins sont en souffrance. On a voulu en faire des spécialistes en trois ans, en s'arrêtant au milieu du gué. La quatrième année est une bonne chose, au contact de professionnels. Ils apprendront aussi la gestion. Je plaide pour cette proposition de loi.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - L'amendement COM-1 rectifié bis vise à affecter les stagiaires de quatrième année de médecine générale, en priorité, au sein du ressort territorial du centre hospitalier universitaire dont ils relèvent. Je comprends l'intention des auteurs, mais, s'il est bien nécessaire d'éviter que les internes locaux ne délaissent un territoire, l'amendement présente toutefois plusieurs difficultés. D'abord, le nombre de maîtres de stage n'est pas toujours proportionné, localement, à la population des internes : il peut être utile que des internes exercent dans d'autres régions. Même si je suis favorable à une commission qui valide les terrains de stage, il faut aussi une certaine liberté de choix.
Surtout, qu'en sera-t-il de la Corse, de la Guyane et de Mayotte, qui ne comptent pas de centre hospitalier universitaire (CHU) - même s'ils sont rattachés à un CHU ? Un tel amendement risquerait de priver ces territoires de l'envoi d'internes de quatrième année, et ce, alors que la Guyane et Mayotte ont, et de loin, la démographie médicale la plus faible en médecins généralistes !
Enfin, je m'interroge sur la seconde « priorité » qui figurerait dans le dispositif. Comment concilierait-on les deux priorités prévues par la loi, celle consistant à affecter les internes en zone sous-dense, et celle consistant à les affecter localement ? Avis défavorable.
Mme Frédérique Gerbaud. - Même si je comprends vos objections, il faudrait définir un cadre et fixer une règle si cette proposition de loi est adoptée. Quels seraient les critères de déploiement de cette quatrième année dans les territoires sous-denses ? La région Centre-Val de Loire comprend six départements, mais un seul CHU, à Tours, contre trois dans la région Nouvelle-Aquitaine. Il n'y a plus de médecin dans l'Indre, mais un véritable renoncement aux soins. Comment obtiendrons-nous une répartition équitable sur nos territoires, et éviter qu'un médecin formé à Tours ne vienne s'installer dans une autre zone sous-dense à vingt kilomètres de notre département ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Cela relève du domaine réglementaire. Ces lieux d'exercice de la professionnalisation doivent être déterminés par une commission regroupant les différents acteurs. Il faut éventuellement ouvrir un peu plus de places d'internes. Les étudiants du sud de l'Indre ont tendance à aller davantage au CHU de Limoges.
Mme Frédérique Gerbaud. - Beaucoup plus d'étudiants de l'Indre vont à Limoges plutôt qu'à Tours. Nous avons obtenu du doyen de Limoges qu'en troisième cycle les étudiants puissent, par dérogation, réaliser leur stage dans l'Indre, s'ils en sont originaires. Je comptais rectifier mon amendement pour étendre le dispositif et permettre aux étudiants de s'installer dans leur département d'origine. Le dispositif réglementaire doit être bien appliqué, on ne peut revenir au point zéro.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Cet amendement montre la faiblesse du dispositif. Il n'y a pas seulement des manques dans les territoires ruraux, mais aussi en ville, et il n'y a pas moins de besoins à l'hôpital qu'en ville. Il manque aussi des internes à l'hôpital. C'est pourquoi je suis réticente à voter cette proposition de loi.
Mme Annie Delmont-Koropoulis. - Il y a une part de coercition. Il faut rester dans le périmètre de la faculté d'origine, sinon ce n'est plus de la formation.
Mme Catherine Deroche, présidente. - C'est réalisé en lien avec l'université.
M. Daniel Chasseing. - Je voterai cet amendement. Il est logique que les étudiants réalisent leur stage dans des départements envoyant des malades vers le CHU. Quelqu'un ayant fait ses études à Limoges, mais originaire de Nice pourrait retourner à Nice, mais il est normal qu'il fasse son stage dans les départements dépendant du CHU de Limoges.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Ce serait une quatrième année organisée avec la faculté dans laquelle ils font leur troisième année. Pourquoi l'université les enverrait-elle très loin ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Il existe déjà des dispositions relevant de décrets sur l'affectation des stagiaires. Ce sont les doyens qui accordent la dérogation.
Mme Frédérique Gerbaud. - J'apporterai des précisions par voie d'amendement.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - J'examinerai ce point.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Si l'étudiant fait son stage dans le département où se trouve le CHU, qu'en sera-t-il des départements où il n'y a pas de CHU ?
Mme Frédérique Gerbaud. - Il y a un CHU par région.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Trois régions n'ont pas de CHU.
Mme Frédérique Gerbaud. - C'est pour irriguer les départements de la région.
Mme Émilienne Poumirol. - Lundi, j'ai comparé deux cartes : celle indiquant les déserts médicaux se superpose avec celle des villes universitaires : il y a moins de médecins là où il n'y a pas de ville universitaire. Si les stagiaires vont uniquement près des villes universitaires, nos territoires seront toujours sous-dotés. Il est nécessaire qu'ils puissent exercer partout. Le directeur de l'hôpital de Castelnaudary a poussé un cri d'alarme : ils ont besoin d'accueillir des stagiaires. Ne pensons pas qu'aux CHU, mais aussi aux groupements hospitaliers de territoire (GHT).
M. Alain Milon. - L'amendement est intéressant, mais il faut le retravailler, et demander au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche d'accorder des postes d'internes en médecine générale non en fonction de la taille de la faculté, mais de la population autour de la faculté. Il y a 20 internes en médecine générale à Nice, pour un million d'habitants. C'est largement insuffisant ! Oui, il y a la Côte d'Azur avec Nice et Antibes, mais dans l'arrière-pays, il n'y a pas de médecins !
Il en est de même à Marseille : on accorde 80 postes d'internes pour 1,5 million d'habitants à Marseille, 5 millions pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA). Il est difficile de régler cela par amendement.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je partage ce point de vue. Il y a une forte corrélation entre l'origine des étudiants et leur implantation ensuite. Le ministère lui-même développe la possibilité de favoriser l'inscription en faculté de candidats venant de secteurs en souffrance sur le plan médical pour favoriser ces territoires.
Mme Frédérique Gerbaud. - Je retire mon amendement et le redéposerai en séance publique.
L'amendement COM-1 rectifié bis est retiré.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - L'amendement COM-2 concerne les conditions d'application du dispositif. Afin de préserver la cohérence de leur formation, il prévoit que l'allongement du troisième cycle de médecine générale ne s'applique pas aux étudiants ayant déjà, à la date de publication de la loi, débuté leur troisième cycle.
Si la proposition de loi est définitivement adoptée, les mesures s'appliqueraient en novembre 2023 et auraient un effet sur le terrain en novembre 2026.
L'amendement COM-2 est adopté.
L'article unique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Intitulé de la proposition de loi
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - L'amendement COM-3 intitulerait ainsi la proposition de loi : « Proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation des internes en médecine générale », afin d'éviter le terme de désert médical. Il y a de la vie dans les territoires, qui ont besoin de médecins pour répondre aux besoins.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nos débats se poursuivront dans quinze jours en séance publique.
L'amendement COM-3 est adopté.
L'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
TABLEAU DES SORTS
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à faire évoluer la formation de sage-femme - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous examinons maintenant la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à faire évoluer la formation de sage-femme.
Mme Raymonde Poncet Monge, rapporteure. - La proposition de loi que nous examinons ce matin, cosignée par 136 députés et votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale en novembre dernier, est attendue avec impatience par les sages-femmes. Afin de permettre son entrée en vigueur rapide, j'aurais souhaité que le texte transmis soit adopté sans modification. Mais des difficultés relatives à ses délais d'application, unanimement relevés, me conduisent à vous proposer de l'amender. Je souhaite toutefois que cette proposition de loi, lorsqu'elle sera adoptée par le Sénat, puisse être rapidement inscrite - ainsi amendée - par le Gouvernement à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale afin qu'elle soit définitivement adoptée. Nous avons obtenu un engagement oral. Les mesures qu'elle porte en faveur de la reconnaissance de la profession sont, à la fois, nécessaires et urgentes. Les nombreux mouvements de grève depuis le début de l'année dernière en sont la manifestation.
Les sages-femmes ont la conviction, depuis trop longtemps, de ne pas être suffisamment légitimées, et ce malgré le caractère médical de leur activité et l'étendue de leurs responsabilités. Plusieurs fois, la question a été posée par des sages-femmes auditionnées : « Pourquoi si peu de considération, depuis si longtemps ? ». Et la question se prolongeait : « Est-ce parce que nous sommes des femmes, [...] qui prenons en soin des femmes ? »
Les 24 000 sages-femmes exerçant actuellement dans notre pays sont, à plus de 97 %, des femmes. Leur champ de compétences est le plus étendu d'Europe et n'a cessé de s'étendre ces dernières années. Au-delà de l'accouchement en salle de naissance, les sages-femmes contribuent à la santé des femmes tout au long de leur vie. Leurs compétences se sont considérablement élargies et comprennent désormais la surveillance gynécologique, le suivi prénatal puis postnatal, le suivi du nouveau-né. Ces dernières années, la loi les a autorisées à prescrire ou poser des dispositifs contraceptifs, à pratiquer l'interruption volontaire de grossesse (IVG) médicamenteuse puis à expérimenter l'IVG chirurgicale. Les sages-femmes contribuent également au développement de l'accouchement physiologique, pour les femmes qui le désirent, à travers l'expérimentation des maisons de naissance.
Malgré ces avancées majeures, contribuant à asseoir leur rôle, la profession vit un profond mal-être. Leurs conditions de travail à l'hôpital se dégradent : le taux d'encadrement y est toujours fixé par des décrets de périnatalité de 1998 qu'il est urgent de réviser. Leurs conditions de rémunération et leur statut ne correspondent pas, selon les organisations représentatives de la profession, aux responsabilités exercées. Leur formation ne s'est pas adaptée aux évolutions importantes qu'a connues la profession, et demeure établie sur un modèle hospitalier et régional correspondant à celui des formations paramédicales. Or, la profession de sage-femme est intrinsèquement liée à la santé des femmes, et donc, à la santé publique. Se pose également la question de son attractivité. Et ce, dans un contexte où le rapport de surveillance de la santé périnatale en France de Santé publique France datant de septembre 2022, juge que « l'évolution de la santé périnatale ces dix dernières années témoigne d'une situation préoccupante de façon globale en France », et le rapport de rappeler que « l'état de santé de la petite enfance et de l'enfance conditionne la santé à l'âge adulte ».
Même si cette proposition de loi ne résoudra pas l'ensemble de ces difficultés, elle pose des jalons absolument nécessaires. Lors des auditions, des sages-femmes ont parlé de « nouvel élan » permis par cette proposition de loi. En effet, il s'agit d'une étape fondamentale.
L'article 1er de la proposition de loi vise à achever le processus d'intégration universitaire des formations de sages-femmes, initié il y a plus de 13 ans par la loi « Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) », qui autorisait l'intégration des écoles à l'université, sous réserve de l'accord du conseil régional. Ce processus est aujourd'hui à l'arrêt. D'après le ministère, 14 seulement des 35 écoles de sages-femmes sont intégrées à l'université. La majorité d'entre elles demeurent adossées à un centre hospitalier. Ce modèle, correspondant à celui des formations paramédicales, ne favorise pas le développement de la recherche en maïeutique ni le rapprochement des différentes professions médicales dès l'université, si nécessaire à l'exercice coordonné.
Le texte substitue à la faculté d'intégration une obligation, assortie d'un délai : l'intégration des écoles à l'université devra être achevée au 1er septembre 2027. Ce délai semble nécessaire pour lever les nombreux freins qui ont stoppé le processus. La loi fixe également les modalités de cette intégration : les écoles de sages-femmes seront intégrées, préférentiellement, aux unités de formation et de recherche (UFR) en santé mixtes réunissant, notamment, les autres professions médicales. Lorsque cela n'est pas possible, elles seront intégrées aux UFR de médecine. Dans ce dernier cas, les organisations souhaitent que cette intégration ait lieu dans le cadre d'un département de maïeutique. Cette intégration préférentielle aux UFR en santé mixtes est soutenue par la profession ; les auditions ont mis en lumière deux exigences : l'autonomie - financière, pédagogique et de gouvernance - et l'interdépendance.
L'article 1er bis de la proposition de loi crée un statut de sages-femmes agréées maîtres de stage des universités, à l'instar de celui des médecins généralistes, permettant de mieux encadrer les stages étudiants en ambulatoire. Les conditions d'agrément des sages-femmes maîtres de stage sont renvoyées à un décret en Conseil d'État, mais devront comprendre une formation préalable, auprès de l'université ou d'un organisme habilité.
Les sages-femmes que nous avons entendues soulignent l'intérêt de ce dispositif pour améliorer la formation et la valorisation des maîtres de stage. Toutefois, elles relèvent qu'il ne répond que partiellement au besoin exprimé par les étudiantes : alors que l'hôpital est fréquemment jugé être le terrain de stage le plus difficile, il n'est pas nommément visé par ce dispositif. L'Association nationale des étudiants sages-femmes, que j'ai auditionnée, demande à ce que soit également mis en place un statut de référent de stage à l'hôpital, supposant lui aussi une formation préalable.
L'article 2 de la proposition de loi vise à réformer la formation des sages-femmes en créant un troisième cycle d'études de maïeutique et en prévoyant la révision de l'ensemble des référentiels de formation. Les étudiantes obtiendraient désormais, à l'issue de leurs études, après soutenance d'une thèse d'exercice, un diplôme d'État de docteur en maïeutique, remplaçant l'actuel diplôme d'État. Cette mesure, qui aligne la formation des sages-femmes sur celles des pharmaciens et des dentistes, est soutenue par l'ensemble des sages-femmes que nous avons auditionnées. Elle doit permettre, selon elles, de diminuer l'intensité actuellement excessive des études, d'enrichir leur contenu en tenant compte des nouvelles compétences confiées à la profession, de diversifier les lieux de stage pour mieux préparer les étudiantes aux différents modes d'exercice et d'ouvrir sur la recherche en maïeutique très faiblement développée en France, contrairement à d'autres pays.
La proposition de loi transmise prévoit toutefois que la création du troisième cycle comme la révision des référentiels de formation interviendront dès la rentrée universitaire 2023, et s'appliqueront à l'ensemble des étudiantes qui débuteront le deuxième cycle à compter de cette date. Ces modalités d'application ont suscité des inquiétudes parmi toutes les personnes auditionnées. Elles conduisent, d'abord, à imposer la réforme aux étudiantes actuellement en deuxième et troisième années de premier cycle, qui se sont engagées dans les études de maïeutique sans savoir que celles-ci seraient allongées et surtout qui n'auront pas bénéficié de la nouvelle maquette pédagogique du 1er cycle. Elles précipitent, par ailleurs, la révision des référentiels de formation alors que celle-ci requiert un important travail de concertation et de réingénierie du cursus. Elle rend plus difficile, enfin, la gestion de l'année blanche, sans sortie de sage-femme diplômée, induite par l'allongement des études : en audition, le ministère a confirmé ne pas avoir prévu que cette année blanche se produise dès 2025 et craindre ses effets sur la démographie des sages-femmes si celle-ci intervient aussi tôt alors qu'un délai à 2028 permet de planifier des actions anticipatrices.
En conséquence, et afin de tenir compte de ces inquiétudes, un amendement aux articles 1er et 2 prévoit de reporter cette réforme à la rentrée universitaire 2024, et de ne l'appliquer qu'aux étudiantes entrant, à compter de cette date, en deuxième année de premier cycle des études de maïeutique. Ce report préservera la cohérence du cursus de l'ensemble des étudiantes et assurera que seules les étudiantes ayant choisi cette filière en pleine connaissance de la durée d'études seront concernées par le nouveau troisième cycle.
L'article 3 vise à faciliter, pour les sages-femmes enseignantes-chercheuses, la conciliation de leurs activités d'enseignement et de recherche avec le maintien d'une activité clinique, en ambulatoire comme à l'hôpital. Les modalités d'application de l'article, ainsi que les conditions de recrutement et d'exercice des sages-femmes bénéficiant de ce statut, sont renvoyées à un décret en Conseil d'État.
Actuellement, les sages-femmes concernées ne disposent d'aucun statut spécifique leur permettant de cumuler ces trois activités. Elles doivent recourir aux dispositifs de droit commun de la fonction publique permettant l'exercice d'une activité dite accessoire, et notamment de soins, sous réserve d'obtenir l'accord de leur autorité hiérarchique. À l'hôpital, elles sont le plus souvent contraintes de ne réaliser que des vacations. Certains enseignants demandent de continuer leur activité clinique.
Cet article devrait ainsi faciliter le cumul des activités d'enseignement et de recherche avec une activité clinique.
Si l'intérêt de ces dispositions a été reconnu par l'ensemble des sages-femmes auditionnées, plusieurs ont souligné qu'elles devraient donner lieu à la création d'un véritable statut de bi-appartenance permettant d'améliorer véritablement l'attractivité des carrières universitaires en maïeutique.
L'article 4, enfin, vise à reclasser les sages-femmes dans deux nomenclatures statistiques de l'Insee, au sein desquelles elles apparaissent aujourd'hui isolées des autres professions médicales. D'une part, dans la nomenclature des activités françaises (NAF), au sein de laquelle elles sont jusque-là classées avec les infirmiers, les activités des sages-femmes seraient reclassées aux côtés de celles des médecins et des dentistes. D'autre part, dans la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS), au sein de laquelle elles figurent jusque-là parmi les professions intermédiaires, les sages-femmes seraient reclassées dans les cadres et professions intellectuelles supérieures, aux côtés des autres professions médicales.
La portée juridique de cet article apparaît incertaine. L'Insee a notamment signalé, lors de l'audition, que la nomenclature NAF était fondée sur une nomenclature d'activités européenne NACE à laquelle il ne lui est pas possible de déroger dans les conditions prévues par la proposition de loi. Toutefois, rien ne s'oppose à séparer les activités des sages-femmes de celles des infirmiers en deux sous-classes distinctes, nonobstant le peu d'effectifs concerné. Afin d'adresser un signal de reconnaissance à la profession et en cohérence avec le vote de l'Assemblée, je vous propose d'adopter en l'état ces dispositions.
En conclusion, si la proposition de loi que nous examinons ne traite pas de l'ensemble des difficultés soulignées par les sages-femmes, elle marque de l'avis de tous une étape fondamentale et porte des avancées ambitieuses susceptibles d'améliorer durablement l'attractivité de la profession.
L'intégration universitaire, la création d'un diplôme d'État de docteur en maïeutique permettent d'asseoir la reconnaissance des sages-femmes comme profession médicale. La création d'un troisième cycle et la mise en place d'un statut de sage-femme agréée maître de stage amélioreront nettement les conditions de formation des étudiantes. La révision des référentiels de formation permettra d'adapter les études de sages-femmes aux évolutions importantes qu'a connues la profession durant ces dernières années.
Cette proposition de loi répond d'ailleurs à la huitième proposition du Livre blanc des sages-femmes publié cette année, au titre évocateur : « Réformer les études de sages-femmes pour répondre aux attentes des étudiants et aux besoins de santé publique. »
En tant que rapporteure, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère qu'il comprend des dispositions relatives à la formation des sages-femmes ainsi qu'au statut des enseignants-chercheurs en maïeutique. En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte dont nous avons à débattre, des amendements relatifs aux compétences des sages-femmes, aux règles d'organisation de la profession et à la formation des autres professions médicales. De tels amendements seraient donc déclarés irrecevables par notre commission en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Je remercie Mme Raymonde Poncet Monge, dont c'est le premier rapport.
M. Alain Milon. - C'est un texte intéressant. Je regrette simplement que nous ne l'ayons pas examiné plus tôt. Puisque nous avons autorisé les sages-femmes à procéder à des interventions chirurgicales, il est logique de renforcer leur formation.
M. Philippe Mouiller. - Ce texte est une avancée ; il faut effectivement plus de formation pour les sages-femmes. Mais après cette première étape, le débat sur la reconnaissance de leur travail ne devra pas s'arrêter là. Je voterai ce texte avec vos amendements.
Mme Laurence Cohen. - Le texte est consensuel et il est très attendu par les sages-femmes. C'est une étape importante, même si elle ne règle pas tout. Nous sommes allés à Mayotte pour le compte de notre commission ; c'est un autre monde ! Nous avons été frappés lors de nos échanges avec les sages-femmes de ce département, qui ont des responsabilités énormes. Quand on leur a décrit l'encadrement par les médecins tel qu'il se pratique ici, elles se sont poliment amusées. Cela devrait nous faire réfléchir.
Mme Victoire Jasmin. - Lorsque j'étais cadre de santé, j'ai beaucoup travaillé avec les cadres sages-femmes. Il faudra aussi se pencher sur l'évolution de leur statut. Il faudra également mettre en cohérence les évolutions proposées dans ce texte avec le fonctionnement des services hospitaliers.
Dans les dispensaires, il y a des sages-femmes qui assurent le suivi des femmes enceintes et tiennent des permanences. Cela répond à un besoin sur certains territoires. Un article récent du Monde rapporte qu'il y a eu beaucoup d'interruptions volontaires de grossesse pendant la crise sanitaire, en particulier en Guadeloupe. Ces sages-femmes jouent un rôle important, mais méconnu. Il faudra davantage valoriser et faire connaître leur activité.
Vous avez parlé d'organismes agréés : quels sont-ils ?
Je suis très favorable à ce texte.
Mme Raymonde Poncet Monge, rapporteure. - Je confirme que ce texte est d'initiative parlementaire. La profession l'attend avec une telle impatience, exprimée pendant les auditions, que j'aurais souhaité qu'il soit voté conforme. À cet égard, je ne comprends pas pourquoi les problèmes de délais n'avaient pas été identifiés l'année dernière par le Gouvernement. Le conseiller de la ministre m'a toutefois assuré que la proposition de loi serait inscrite au plus tôt à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale. C'est pour cela que j'ai parlé de « reprise » par le Gouvernement.
Cette proposition de loi était beaucoup plus ambitieuse initialement, puis le texte a été centré sur ce qui devait être déverrouillé au plus vite, tout en ouvrant la voie à d'autres avancées ultérieures. La bi-appartenance ne figure donc pas dans ce texte, qui constitue une première étape nécessaire à l'ouverture de débats sur l'extension du statut hospitalo-universitaire.
Le rapport sur la périnatalité révèle que certains indicateurs se dégradent et que d'autres ne progressent plus, alors qu'ils sont très problématiques. Les sages-femmes qui maillent le territoire pourront certainement améliorer les choses.
Je ne l'ai pas dit, mais l'année blanche serait 2028. Les promotions seraient augmentées sensiblement d'ici là pour éviter un trou dans les effectifs. Beaucoup de sages-femmes demandent le statut de praticien hospitalier. Même l'inspection générale des affaires sociales recommande un statut spécifique.
Il y a eu beaucoup d'inquiétude autour des organismes agréés. De nombreuses organisations ont réclamé que seules les universités puissent agréer des maîtres de stage. La direction générale de l'offre de soins (DGOS) m'a toutefois fait remarquer que le texte reprenait mot pour mot celui qui régit les maîtres de stage pour les généralistes. Dans 98 % des cas, pour les élèves sages-femmes, les maîtres de stage sont à l'université. Pour les autres cas, les organismes doivent être agréés par décret. Il ne semble pas possible d'être plus exigeant pour les sages-femmes que pour les généralistes, et il faut surtout éviter de créer des blocages, d'autant que les maîtres de stage sont en nombre insuffisant.
M. Alain Milon. - L'ouverture aux sages-femmes du statut de praticien hospitalier me contrarierait beaucoup. Il faudrait alors faire évoluer le statut des médecins pour le différencier, mais aussi revoir le financement des hôpitaux.
Mme Raymonde Poncet Monge, rapporteure. - Effectivement, il n'y a pas de consensus sur ce point, qui, rappelons-le, n'est pas abordé par ce texte. Les organisations que nous avons reçues en audition ne sont pas unanimes sur cette question. Mais pour les quelques sages-femmes enseignantes universitaires - il n'y a qu'une professeure d'université et quelques dizaines de maîtres de conférences - qui ont voulu continuer leur activité clinique, cela a été le parcours du combattant, car elles devaient obtenir une autorisation des deux employeurs.
Ce texte a été compris comme une affirmation que ces deux activités n'étaient pas incompatibles, que leur cumul était presque un droit, et que si leur employeur refusait à l'avenir, il ne pourrait le faire qu'en opposant des nécessités de service.
Ce texte ouvrira ce débat et le rendra plus intelligible. Moi-même, je n'ai pas de position définitive.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Raymonde Poncet Monge, rapporteure. - L'amendement COM-1 rectifié de Mme Muller-Bronn reporte l'application du troisième cycle aux promotions qui entreront en deuxième année à la rentrée 2024, comme l'amendement COM-5 que j'ai moi-même déposé. Je formule un avis défavorable sur le premier pour des raisons purement rédactionnelles et vous propose d'adopter le second.
L'amendement COM-1 rectifié n'est pas adopté.
L'amendement COM-5 est adopté.
Mme Raymonde Poncet Monge, rapporteure. - L'amendement COM-2 rectifié avance la date butoir fixée par la loi pour l'intégration universitaire des écoles de sages-femmes à la rentrée universitaire 2024. Afin de laisser aux acteurs locaux le temps d'organiser l'intégration, et de lever les derniers blocages, il est toutefois préférable de maintenir la date du 1er septembre 2027 prévue par la proposition de loi.
Une école grenobloise qui avait opté pour un statut universitaire est récemment revenue en arrière, notamment à cause de problèmes financiers. Cinq ans ne sont pas de trop pour lever l'ensemble des freins - c'est aussi l'avis de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Avis défavorable.
L'amendement COM-2 rectifié n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 1erbis (nouveau)
L'article 1erbis est adopté.
Mme Raymonde Poncet Monge, rapporteure. - L'amendement COM-3 rectifié vise le même report de l'entrée en vigueur du texte que l'amendement COM-6 que je vous propose : le troisième cycle s'appliquerait aux promotions qui entreront en deuxième année de maïeutique à compter de la rentrée 2024, de même que la révision des référentiels de formation. L'expression « pour les étudiants entrant en études de santé en 2023 » ne permet toutefois pas de viser précisément la promotion concernée : certains étudiants intègrent les études de maïeutique après plusieurs années d'études préalables, par exemple en licence Accès santé (L.AS) ou en études paramédicales. Pour des raisons rédactionnelles, je vous invite donc à préférer mon amendement COM-6.
Ce report est important : les professeurs disent qu'ils ne seraient pas prêts avant 2024.
L'amendement COM-3 rectifié n'est pas adopté.
L'amendement COM-6 est adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Raymonde Poncet Monge, rapporteure. - Il serait souhaitable de créer un véritable statut de bi-appartenance à la fonction publique hospitalière et à la fonction publique d'État universitaire, mais cela nécessite de poser la question du statut des sages-femmes à l'hôpital, qui n'est pas encore tranchée. L'amendement COM-4 rectifié exclurait en outre les activités exercées en libéral.
À l'inverse, la proposition de loi permet déjà de faciliter le cumul, pour les sages-femmes enseignantes-chercheuses, de leurs activités d'enseignement et de recherche avec une activité clinique, qu'elle soit hospitalière ou libérale - un cumul aujourd'hui soumis à autorisation de leur autorité hiérarchique. Conservons la rédaction actuelle.
L'amendement COM-4 rectifié n'est pas adopté.
L'article 3 est adopté sans modification.
Article 4
L'article 4 est adopté sans modification.
Article 5 (supprimé)
L'article 5 demeure supprimé.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Bravo pour cette unanimité !
Nous faisons un pari : que l'allongement des études rende le métier plus attractif, que les conséquences en termes de rémunération en soient effectivement tirées et que les futures sages-femmes ne privilégient pas davantage l'exercice libéral au détriment de leur présence indispensable en salle de naissance. Lorsque nous avons visité l'hôpital Delafontaine de Saint-Denis, nous avons vu que les sages-femmes faisaient cruellement défaut.
TABLEAU DES SORTS
Proposition de loi créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Permettez-moi d'abord d'évoquer le contexte tragique dans lequel cette proposition de loi a été écrite. En dépit de la mobilisation des pouvoirs publics dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, les violences commises au sein du couple ne diminuent pas. Les chiffres du ministère de l'intérieur rendent compte d'une augmentation des cas : en 2021, 122 femmes ont été tuées par un conjoint ou un ancien conjoint, soit une hausse de 20 % par rapport à 2020. La violence au sein du couple est particulièrement prégnante dans nos territoires d'outre-mer : une étude de l'Institut national d'études démographiques (Ined) de 2018 révèle que près d'une femme interrogée sur cinq se déclare en situation de violences conjugales en Martinique et en Guadeloupe. En France hexagonale, une enquête statistique du ministère estime à 295 000 le nombre annuel de victimes de violences conjugales entre 2011 et 2018, dont 72 % de femmes. La semaine dernière encore, tandis que je menais les auditions préparatoires à ce rapport, nous avons appris qu'une femme avait été tuée par son conjoint dans mon département de l'Essonne.
Pour répondre à cet enjeu, le texte que nous examinons a pour but d'aider les victimes à quitter définitivement leur partenaire violent et à se protéger ainsi de lui. Les données issues des appels au numéro 3919 Violences Femmes Info montrent que 59 % des victimes souhaitent quitter le domicile conjugal, tandis que 18 % des victimes indiquent avoir effectué plusieurs départs du domicile. Il est donc très difficile à la femme de réussir à couper définitivement les ponts avec son tortionnaire.
Parmi toutes les raisons qui empêchent les victimes de se protéger, la précarité économique ou les incertitudes financières se retrouvent en bonne place. Cette situation de vulnérabilité provient bien souvent de la violence ou de l'emprise économique dont le conjoint violent fait preuve. Les associations aidant les femmes victimes de violences conjugales, que j'ai entendues en audition, m'ont exposé les nombreux moyens employés par les auteurs des violences pour placer leur victime dans une dépendance économique : chantage financier, confiscation des ressources financières ou des moyens de paiement, comportements visant à acculer la victime à des surendettements personnels...
Le texte que nous examinons répond donc à cet enjeu : donner les moyens financiers aux victimes pour qu'elles puissent s'extirper d'un environnement violent et ne plus y revenir. La proposition de loi choisit d'accorder une aide d'urgence débloquée en deux jours, versée par la caisse d'allocations familiales pendant trois mois.
Une proposition de loi similaire, déposée par Mme Gréaume, adaptait le régime existant du revenu de solidarité active pour permettre aux caisses d'allocations familiales (CAF) de verser des avances sur droits supposés au revenu de solidarité active (RSA), financées par le département. La proposition de loi de Mme Létard prévoit un dispositif sui generis sous la forme d'un prêt. Ce texte s'appuie sur le retour d'expérience d'une initiative menée dans le Valenciennois par le département du Nord, la CAF, le parquet et les autres acteurs, notamment associatifs. La CAF du Nord comme le département m'ont indiqué avoir envisagé puis écarté l'idée d'une avance sur droits supposés pour retenir celle d'une aide se rapprochant des prêts d'honneur que les conseils d'administration des CAF peuvent librement consentir au titre de leur politique d'action sociale.
L'article 1er de la proposition de loi prévoit donc un dispositif d'avances d'urgence octroyées par les CAF et financées par la branche famille. Ce prêt, à taux zéro, serait versé en trois mensualités dont la première devra être payée en deux jours ouvrés. Le montant du prêt sera fixé par décret. Il reviendra au pouvoir réglementaire de prévoir, et j'insiste sur cette nécessité, des montants majorés lorsque la victime quitte le domicile avec ses enfants. Le texte reste en effet silencieux sur ce point ; pourtant, les enfants sont directement des victimes des violences conjugales et les avancées récentes en matière de droit pénal l'ont expressément reconnu. Dans la majeure partie des cas, les femmes ne quittent pas le domicile en abandonnant leurs enfants et le dispositif proposé devra répondre à cet enjeu.
S'agissant du délai de deux jours, les retours de l'expérimentation menée dans le Nord font état d'une durée trop courte pour débloquer les sommes et les verser. Cependant, les associations comme le département du Nord m'ont indiqué qu'au-delà de soixante-douze heures sans solution, les victimes retournent le plus souvent chez leur conjoint violent. Je vous proposerai donc de porter de deux à trois jours le délai d'instruction de la demande.
Se pose ensuite la question des conditions permettant aux victimes de violences conjugales de faire valoir leur droit. Le texte n'évoque le dépôt de plainte ou l'ordonnance de protection délivrée par un juge qu'à titre illustratif. Un fait générateur trop souple risque toutefois de gêner la mise en oeuvre de la loi. Je vous proposerai donc par amendement de retenir des conditions d'octroi plus précises et clairement établies. À l'instar du texte de Mme Gréaume, mon amendement vous proposera de conditionner la délivrance de l'avance à une ordonnance de protection ou à un dépôt de plainte attestant de violences conjugales. Cependant, nous savons bien que beaucoup de femmes n'osent pas pousser la porte de la gendarmerie ou de la police et dénoncer les faits qu'elles subissent. De même, seules 5 800 ordonnances de protection ont été délivrées en 2021. C'est pourquoi, afin de ne pas trop restreindre l'accès à ce prêt d'urgence, l'amendement retient également les violences attestées par un signalement adressé au procureur de la République comme critère d'octroi. Certains hôpitaux ont contractualisé avec le parquet afin de faciliter, avec l'accord de la personne, les signalements des victimes prises en charge médicalement. L'avance d'urgence pourra ainsi s'appliquer à cette situation.
L'article 1er prévoit également que les allocataires de l'avance bénéficient des droits accessoires à la prestation du RSA. À côté du dispositif financier, la victime doit pouvoir être aidée, comme c'est déjà souvent le cas, par les associations ou les travailleurs sociaux des collectivités locales. Je vous proposerai par amendement de bien préciser que ces droits accessoires comprennent également un accompagnement social et professionnel adapté à leur situation, à l'instar de celui délivré aux bénéficiaires du RSA.
L'article 1er prévoit enfin les modalités de remboursement du prêt. Je vous proposerai de bien préciser par amendement ces règles qui seraient très proches des modalités déjà existantes pour les prêts consentis par les CAF. La dette pourra ainsi être remboursée en une ou plusieurs échéances si le bénéficiaire le souhaite. Sinon, elle sera récupérée par retenues sur les prestations sociales par ailleurs versées par les CAF. Ces dernières pourront décider de remises ou de réductions de créances. Les auditions nous l'ont confirmé, cette possibilité n'est pas hypothétique, et il faudra que les conseils d'administration des caisses fassent preuve de discernement pour ne pas ajouter une dette à des situations de précarité ou de surendettement.
La proposition de loi prévoit également un mécanisme original de subrogation des CAF dans les droits des victimes de se constituer partie civile pour demander, en leur nom, la réparation du préjudice subi. La récupération de la créance pourra alors se faire sur les dommages et intérêts prononcés, ce qui permettra de faire payer l'auteur des violences en lieu et place de la victime.
L'article 2 de la proposition de loi dispose que la victime déposant plainte pour des faits de violences conjugales devra être informée par l'officier ou l'agent de police judiciaire de la possibilité de demander l'avance. Plus encore, le gendarme ou policier plaintier devra enregistrer la demande de la victime et la transmettre à la CAF compétente ainsi qu'au conseil départemental, chef de file de l'action sociale. Toutefois, lorsqu'un travailleur social sera présent dans le commissariat ou la gendarmerie, cette mission lui sera naturellement assignée.
Je me suis beaucoup interrogée sur le bien-fondé de ce dispositif : ce ne sont pas des compétences naturelles pour les policiers et gendarmes. Je vous proposerai pourtant de préserver cette possibilité. Nous savons tous qu'une simple information aux victimes sur leurs droits ne sera pas suffisante - quand elle ne sera pas simplement inappliquée. Les victimes, souvent dans des états traumatiques, ne seront pas si nombreuses à aller d'elles-mêmes vers la CAF. Le texte propose donc un mécanisme nécessaire de liaison entre services de l'État et services sociaux et devra être mis en oeuvre sur le terrain par des aménagements et des coordinations.
Le troisième et dernier article de la proposition de loi gage financièrement le dispositif.
La proposition de loi que nous examinons est une opportunité de combler les déficits des dispositifs d'aide aux victimes de violences conjugales. C'est pourquoi je vous propose d'adopter la proposition de loi de Valérie Létard modifiée par les amendements qui vous sont soumis. L'expérimentation en cours dans le Nord et les autres initiatives locales - comme celle qui est menée par la CAF du Var et le barreau de Toulon visant à accélérer l'examen des droits à prestations légales des victimes de violences conjugales - apporteront peut-être des voies d'amélioration et lèveront sans doute les réserves institutionnelles que j'ai pu entendre en audition.
Bien sûr, cette aide monétaire légale devra aussi s'inscrire dans les environnements locaux formés par les acteurs de l'action sociale. Des conventions signées entre parties prenantes, comme celles qui fleurissent déjà sur le territoire, favoriseront l'identification, puis l'orientation des victimes vers le bon interlocuteur et éviteront les dispositifs redondants.
Je dois enfin vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Il comprendrait les dispositions relatives aux dispositifs d'aide et d'action sociale et d'information en faveur des victimes de violences conjugales, mais exclurait des amendements relatifs à la répression pénale des auteurs de violences conjugales, à l'office du juge lors de la délivrance d'ordonnance de protection, à l'exercice de l'autorité parentale en cas de violences intrafamiliales, au droit commun des prestations familiales légales et aux aides d'action sociale délivrées par les caisses d'allocations familiales et au droit commun du revenu de solidarité active et des autres prestations sociales.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Il est prévu à l'article 2 que l'officier de police judiciaire qui reçoit une plainte pour violences conjugales informe la victime qu'elle peut bénéficier d'une aide d'urgence. C'est essentiel, mais comment nous assurer que ce sera bien fait ? Ne faudrait-il pas pour cela un travail spécifique dans les gendarmeries et les commissariats, comme celui qui a été mené pour l'accueil des enfants ?
Mme Colette Mélot. - La victime de violences conjugales a souvent les mêmes sources de revenus que son bourreau, ce qui l'empêche de quitter le domicile, ou la conduit à revenir quelques jours après être partie.
Pourquoi se limiter aux violences conjugales ? Il peut y avoir de violences au sein du couple même sans partage du domicile.
Le prêt doit être débloqué rapidement, c'est certain ; mais comment sera-t-il remboursé ? Nous ne le savons pas. Que se passe-t-il si la personne qui a obtenu un prêt n'est finalement pas reconnue comme victime ? Et si le titulaire du compte bancaire sur lequel la CAF verse ses aides est le conjoint violent ? Risquerait-on de verser une avance au coupable ? Quid en cas de fraude ? Un couple de fraudeurs pourrait déposer une plainte, puis la retirer...
Comme je l'ai rappelé dans mon rapport sur le harcèlement, il ne faut pas sous-estimer la responsabilité collective dans les problèmes de violences. Il est ainsi indispensable d'accompagner les auteurs et les témoins passifs, pour éviter qu'ils ne reproduisent ces comportements.
M. Olivier Henno. - La proposition de loi de Valérie Létard porte sur un sujet grave. Il est rassurant que le Sénat l'aborde avec sérénité, à l'abri du tourbillon de l'actualité.
C'est aujourd'hui le cinquième anniversaire de #MeToo. Notre vote revêt dès lors une dimension symbolique. C'est aussi la condition d'homme qui est interrogée, il faut le dire avec humilité.
Nous ne pouvons pas régler tous les problèmes d'un seul coup de baguette magique. Nous sommes tous concernés : cela peut toucher une amie, une voisine, une fille, une soeur. Tout ce qui aide les victimes à se libérer de l'emprise va dans le bon sens. Celle-ci est construite sur des aspects concrets, tels que le logement et l'argent. Les victimes sont parfois dépendantes de leur bourreau. Cette proposition de loi est, de ce point de vue, une avancée concrète.
Mme Laurence Cohen. - #MeToo date en effet de cinq ans, comme en témoigne le numéro spécial de L'Humanité d'aujourd'hui, si l'on me permet cette petite publicité... (Sourires)
Cette proposition de loi s'inspire d'une expérimentation menée dans le Nord et a suivi une première proposition de loi d'une autre sénatrice de ce département, Michelle Gréaume - rendons à César, ou plutôt à Cléopâtre, ce qui lui revient !
Je reste dubitative sur ce sujet. La lutte contre les violences faites aux femmes a été consacrée grande cause nationale. Les témoignages affluent. Souvent, du fait de l'emprise, il faut un temps très long aux victimes pour mettre des mots sur cette violence. Même si cette expérimentation apporte un plus - cela nous pousse à voter ce texte -, nous sommes loin du compte, au regard de ce fléau qui touche tous les milieux sociaux et n'épargne personne. On sous-estime les dégâts qu'il inflige et le fait qu'il aboutit à des dizaines de féminicides.
Écoutons la parole des associations féministes lorsqu'elles nous disent que, pour les éradiquer ces violences, il faut un milliard d'euros.
Mme Laurence Rossignol. - Nous voterons cette proposition de loi. Elle montre que la société avance, notamment dans la compréhension des difficultés psychiques, mais aussi matérielles rencontrées par les femmes victimes de violences lorsqu'elles veulent les fuir.
Ce texte prend en compte une réalité : une femme peut partir sans un sou en poche, soit qu'elle n'ait pas de compte bancaire autre que le compte commun, soit que les comptes aient été vidés par le conjoint violent.
Des logements d'urgence sont mis à disposition, mais pas suffisamment, comme en témoigne un rapport de la délégation aux droits des femmes.
Il y a un décalage entre l'ampleur des violences, le fait qu'on en ait fait une grande cause nationale, et cette avancée progressive, proposition de loi après proposition de loi. Si celle-ci utilise les crédits de la CAF, c'est qu'il n'y en avait pas ailleurs.
Mme Mélot parle des cas particuliers...
Mme Colette Mélot. - Il faut bien y penser...
Mme Laurence Rossignol. - Il faut surtout penser à aider les femmes.
Ce qui m'inquiète, moi, ce sont les femmes qui ne sont pas allocataires de la CAF. Comment faire en sorte qu'elles ne soient pas exclues ?
Mme Mélanie Vogel. - Nous aussi, même si nous mesurons le long chemin qui restera à parcourir après l'adoption de ce texte, nous le voterons.
Que prévoyez-vous pour les allocataires qui ont un compte bancaire commun avec l'auteur des violences ?
La question financière peut constituer un obstacle pour des personnes non-allocataires de la CAF ; pourront-elles avoir recours au dispositif ?
Sachant que 90 % des plaintes pour violences sont classées sans suite, que se passe-t-il pour le paiement des frais d'avocats ? Notre système judiciaire n'est malheureusement pas équipé pour répondre convenablement aux violences...
M. Daniel Chasseing. - Je félicite aussi Mme Guidez. Dans nos départements, nous constatons une augmentation des violences, malgré nos efforts pour inciter les victimes à porter plainte. Cette proposition de loi aidera les victimes à partir, alors qu'elles sont souvent dépendantes de l'auteur des violences à travers le logement et le salaire.
Il s'agit donc d'un complément utile à ce que font les associations, qui manquent de moyens. C'est également une bonne idée d'y associer les départements pour qu'ils apportent un accompagnement social et professionnel. Toutefois, certains bénéficiaires du RSA reçoivent leurs aides par la Mutualité sociale agricole (MSA) à travers son réseau de caisses. La MSA est-elle mobilisée ?
M. Alain Duffourg. - Je voterai cette proposition de loi qui porte sur un thème à la mode,...
Mme Laurence Rossignol. - Comme les suicides, en leur temps, à France Télécom ?
M. Alain Duffourg. - ... que certains instrumentalisent politiquement.
C'est un problème très important, mais il y a aussi des violences dans d'autres domaines - je pense aux faits liés au trafic de drogue.
Dans les affaires de violences conjugales, des dommages et intérêts peuvent être prononcés, une provision pouvant même être obtenue en référé. Mais je ne suis pas contre l'idée de verser des avances d'urgence.
Concernant les frais de justice, rassurons notre collègue : l'aide juridictionnelle fonctionne dans ce cas et les victimes peuvent en bénéficier.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Je ne sais pas si ce thème est à la mode, mais ce que je sais, c'est que les violences conjugales n'ont pas de parti.
L'information des victimes dans les commissariats et gendarmeries demande effectivement que le ministère de l'intérieur mène un travail dans ce sens, et mobilise les travailleurs sociaux présents en gendarmeries et commissariats. Il y a eu une avancée dans la prise en charge des violences conjugales ; je le constate notamment dans les gendarmeries de l'Essonne : chacune compte une personne particulièrement chargée de ces sujets.
Madame Mélot, toutes les violences de couple sont couvertes, y compris en l'absence de cohabitation. Une plainte diffamatoire étant une infraction réprimée par le code pénal, cela devrait dissuader les fraudeurs éventuels. Le remboursement du prêt a lieu selon les mêmes modalités, qu'il y ait ou non des suites judiciaires à la plainte. Le temps judiciaire étant plus long, il n'aurait pas été possible de conditionner l'aide aux plaintes aboutissant à une condamnation pénale.
Madame Cohen, je suis tout à fait d'accord avec vous ; les deux propositions de loi ont un objectif similaire, mais leur dispositif diffère.
Madame Rossignol, toutes les victimes sont concernées, y compris celles qui ne seraient pas déjà allocataires de la CAF - la CAF du Nord n'a en revanche indiqué que le traitement sera un peu plus long pour les non-allocataires compte tenu des démarches d'enregistrement.
Monsieur Chasseing, la proposition de loi prévoit une application uniquement par le réseau des CAF. Il faudra l'étendre à l'avenir au réseau de la MSA, mais un amendement dans ce sens serait susceptible d'être irrecevable financièrement.
Madame Vogel, il existe plusieurs possibilités, que j'ai découvertes à cette occasion, dans le cas où la victime ne disposerait pas d'un compte à son nom : on peut désormais ouvrir un compte bancaire dans un délai très court; la CAF du Nord utilise le compte pré-enregistré d'une association qui reversera les fonds ; on peut enfin utiliser les mandats postaux ou les cartes prépayées sans banque.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - L'article 1er du texte ne comporte qu'une liste illustrative de critères permettant d'obtenir un prêt d'urgence. Cette absence de précision peut compromettre la mise en oeuvre du dispositif.
Mon amendement COM-2 vise donc à inscrire dans le texte des critères clairement définis. L'avance serait ainsi octroyée dans trois situations : si une ordonnance de protection a été délivrée par le juge ; si la victime a déposé une plainte ; ou si un signalement a été adressé au procureur, notamment par un professionnel de santé. En effet, certains hôpitaux, comme ceux de Lille ou de Valenciennes, ont déjà contractualisé avec le parquet pour faciliter le signalement des victimes, avec le consentement de celles-ci.
Ces critères permettront de prendre en compte la diversité des situations, donc de ne pas trop restreindre l'octroi de l'avance.
L'amendement COM-2 est adopté.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - L'amendement COM-1 rectifié permet aux victimes de violences conjugales bénéficiaires de l'avance d'urgence d'élire domicile auprès d'un centre communal ou intercommunal d'action sociale ou d'un autre organisme agréé. Aujourd'hui, ces victimes peuvent déjà bénéficier de cette faculté si elles sont sans résidence stable, mais cette condition ne peut s'appliquer à toutes les situations que l'on envisage au travers de cette proposition de loi, par exemple lorsque la victime n'a pas encore décidé de quitter son conjoint. La disposition proposée me semble utile. Avis favorable.
L'amendement COM-1 rectifié est adopté.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Mon amendement COM-3 vise à porter de deux à trois jours ouvrés le délai d'instruction de la demande d'avance d'urgence.
Les premiers enseignements de l'expérimentation menée par la CAF du Nord montrent qu'un délai de deux jours est trop court pour débloquer les sommes du prêt. Toutefois, au-delà de trois jours dans l'incertitude, la victime risque de retourner vivre au domicile conjugal.
L'amendement COM-3 est adopté, de même que l'amendement rédactionnel COM-4.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Mon amendement COM-5 vise à clarifier les droits et aides accessoires au RSA accordés aux bénéficiaires de l'avance.
L'amendement COM-5 est adopté.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Mon amendement COM-6 tend à clarifier les modalités de récupération du prêt.
L'amendement COM-6 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 2
L'amendement rédactionnel COM-7 est adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 3
L'article 3 est adopté sans modification.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
TABLEAU DES SORTS
Proposition de loi visant à accompagner la mise en place de comités sociaux et économiques à La Poste - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous passons à l'examen de la proposition de loi visant à accompagner la mise en place de comités sociaux et économiques à La Poste, de notre collègue Mme Denise Saint-Pé.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. - La proposition de loi déposée par notre collègue Denise Saint-Pé a pour objectif de créer les conditions nécessaires à la mise en place de comités sociaux et économiques (CSE) à La Poste.
En effet, cette entreprise hors normes par sa taille, ses missions de service public et son implantation territoriale reste aussi, pour des raisons historiques, un cas particulier en matière de dialogue social.
La loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom a profondément réformé l'administration des postes et télécommunications en créant deux entreprises publiques distinctes : La Poste et France Télécom. Le 1er mars 2010, La Poste est devenue une société anonyme à capitaux publics ayant le caractère d'un service public national.
Le personnel de La Poste se caractérise par une pluralité de statuts, fruit de l'évolution de l'entreprise : d'une part, des fonctionnaires régis par des statuts particuliers, qui représentent près d'un tiers des effectifs, ainsi que des agents contractuels de droit public ; d'autre part, des salariés de droit privé, représentant les deux tiers des quelque 170 000 collaborateurs de La Poste SA.
Pour assurer la représentation individuelle et collective de son personnel, La Poste est dotée d'instances représentatives spécifiques et adaptées aux particularités de l'entreprise.
Sur le modèle de la fonction publique, des comités techniques (CT) national et locaux exercent des attributions en matière d'organisation et de fonctionnement des services, de règles statutaires et d'égalité professionnelle. La Poste dispose également de 637 comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui contribuent à la santé et à la sécurité du personnel. Ces instances n'ont désormais plus d'équivalent dans le secteur privé ni dans le secteur public. Depuis l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective, les entreprises ont regroupé leurs instances, dont les CHSCT, au sein du comité social et économique. Dans la fonction publique, la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a substitué les comités sociaux aux comités techniques.
La représentation individuelle des salariés et agents contractuels de La Poste est par ailleurs assurée au sein de commissions consultatives paritaires (CCP), tandis que des commissions administratives paritaires (CAP) sont compétentes pour connaître des questions d'ordre individuel concernant les fonctionnaires. Enfin, la gestion des activités sociales et culturelles au sein de l'entreprise est assurée par un conseil d'orientation et de gestion des activités sociales (Cogas).
Pour l'exercice du droit syndical, La Poste applique les règles de la fonction publique à l'ensemble de son personnel. La loi du 2 juin 1990 exclut en effet l'application à La Poste des règles du dialogue social qui prévalent dans les entreprises privées, dont les règles relatives aux délégués syndicaux. Ainsi, la validité des accords collectifs conclus à La Poste est subordonnée à leur signature par un ou plusieurs syndicats ayant recueilli au total au moins 30 % des suffrages exprimés aux élections des comités techniques, et à l'absence d'opposition d'organisations syndicales parties prenantes à la négociation représentant une majorité des suffrages exprimés.
La loi du 6 août 2019 précitée a prévu que les dispositions du code du travail relatives aux CHSCT, abrogées en 2017, continueraient de s'appliquer à La Poste jusqu'au prochain renouvellement de ces instances. Or aucune disposition ne prévoit le cadre qui s'appliquera à l'issue des mandats actuels au sein des instances de La Poste. Une intervention législative est donc nécessaire pour fixer le futur cadre du dialogue social dans cette entreprise. La présente proposition de loi prévoit ainsi l'application du droit commun des relations collectives de travail, sous réserve de son adaptation aux spécificités de l'entreprise.
Les mandats des représentants du personnel aux CHSCT s'achevant le 31 janvier 2023, la proposition de loi prévoit de rendre les dispositions relatives au CSE applicables à La Poste au terme d'une période transitoire de négociation et de mise en place des nouvelles instances. À cette fin, l'article 1er du texte prévoit de prolonger les mandats en cours des membres des CT et des CHSCT jusqu'à la proclamation des résultats aux élections aux CSE à La Poste et, au plus tard, jusqu'au 31 juillet 2024.
À compter de ces mêmes échéances, l'article 2 rend applicables à l'ensemble du personnel de La Poste les dispositions du code du travail relatives au droit syndical, à la négociation collective et aux institutions représentatives du personnel, sous réserve d'adaptations justifiées par la situation particulière des fonctionnaires. Cette disposition aura pour effet de fonder la représentativité syndicale sur les résultats des élections aux CSE, avec un seuil de 10 % des suffrages exprimés, et de conférer le monopole de la négociation aux délégués syndicaux. S'appliquera également la règle de l'accord majoritaire : pour être valide, un accord devra être signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 50 % - contre 30 % actuellement - des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives lors des dernières élections professionnelles.
La transformation du paysage des instances représentatives du personnel verra disparaître les CT, les CHSCT et le Cogas au profit d'un CSE central et de CSE d'établissement, dont le nombre reste à déterminer par accord collectif.
Je le rappelle, les CSE ont été créés en 2017 pour regrouper les délégués du personnel (DP), les comités d'entreprise (CE) et les CHSCT. Mis en place dans les entreprises d'au moins 11 salariés, ils sont composés de l'employeur et d'une délégation du personnel dont les membres sont élus par les salariés pour une durée maximale de quatre ans.
Dans les entreprises d'au moins 50 salariés, le CSE assure l'expression collective des salariés sur la gestion et l'évolution économiques et financières de l'entreprise, l'organisation du travail, la formation professionnelle et les techniques de production. Il dispose de prérogatives spécifiques en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail et, dans les entreprises et établissements d'au moins 300 salariés, une commission dédiée, la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT), doit être instaurée en son sein. Enfin, le CSE assure la gestion des activités sociales et culturelles dans l'entreprise.
L'article 2 prévoit également l'institution d'un organisme représentant les fonctionnaires de La Poste, dit « conseil des questions statutaires », ayant vocation à être consulté sur les projets de loi et de règlement relatifs à leurs statuts. En outre, les CAP et les CCP seraient conservées. Pour préparer l'instauration des CSE et l'organisation des élections professionnelles, La Poste devra s'appuyer sur des règles issues du code du travail.
L'article 3 institue à cette fin un régime transitoire autorisant l'entreprise à négocier des accords pour l'organisation des élections et la détermination du fonctionnement et des attributions des futurs CSE avec les organisations syndicales disposant de sièges dans les comités techniques. Il prévoit, par dérogation au droit syndical actuellement applicable à La Poste, des conditions de validité des accords alignées sur celles qui prévalent en droit du travail, afin d'assurer l'applicabilité des accords après la constitution des CSE.
La mise en place de CSE à La Poste constitue un chantier de grande ampleur, complexifié par la coexistence d'une pluralité de statuts, qui s'accompagne d'un changement culturel majeur avec le passage au droit syndical applicable aux entreprises privées. Il importe que les partenaires sociaux soient en mesure de négocier la mise en place d'un cadre de dialogue social ambitieux, prenant notamment en compte le défi de la proximité et les besoins différenciés selon les territoires, en particulier dans les outre-mer. Dans cette perspective, un accord de méthode a été conclu en septembre 2022 afin de définir les modalités et les thèmes de la négociation dans la perspective de la mise en place des nouvelles instances.
Dès lors, après avoir entendu les dirigeants et l'ensemble des organisations syndicales représentatives de La Poste, je considère qu'il n'y a pas lieu de précipiter le calendrier de la réforme et qu'il convient de laisser du temps à la négociation. Je vous proposerai donc, en accord avec l'auteur de la proposition de loi, de reporter du 31 juillet au 31 octobre 2024 la date limite de prolongation des mandats actuels et de mise en place des CSE.
Je vous proposerai également d'adopter une série d'amendements de portée technique visant à assurer la bonne articulation du droit du travail avec les dispositions spécifiques à l'entreprise.
Sous réserve de l'adoption de ces amendements, je vous invite à adopter cette proposition de loi.
Pour finir, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que ce périmètre inclut exclusivement des dispositions relatives aux relations collectives de travail à La Poste. En revanche, ne me semblent pas présenter de lien, même indirect, avec le texte déposé, et seraient donc considérés comme irrecevables, des amendements relatifs au service public postal, aux activités et aux missions de La Poste, ainsi qu'au droit du travail et au droit de la fonction publique, en dehors du droit régissant les relations collectives de travail à La Poste.
Mme Denise Saint-Pé, auteur de la proposition de loi. - Je vous remercie, Madame la Présidente, de m'avoir invitée à assister à la réunion de votre commission.
La rapporteure a été très complète dans sa présentation, je serai donc brève. Je veux simplement expliquer les motifs qui m'ont conduite à déposer ce texte.
Celui-ci vise à accompagner la mise en place des CSE à La Poste. Le statut de cette entreprise a beaucoup évolué depuis la loi du 2 juillet 1990, sous l'impulsion du droit européen. Elle est ainsi devenue une société anonyme à capitaux intégralement publics investie de missions de service public. Elle emploie donc des agents de droit privé et de droit public, d'où le régime hybride de représentation du personnel qui a été construit au fur et à mesure de l'adoption des lois l'ayant transformée. La Poste a été exclue du champ d'application du code du travail, qui prévoit la présence, dans les entreprises de plus de 11 salariés, de comités sociaux et économiques, mais elle ne relève pas non plus des dispositions du code général de la fonction publique relatives aux comités sociaux d'administration, instituées par loi du 6 août 2019.
Néanmoins, il faut prendre en compte les évolutions du droit des relations sociales pour procéder à une mise à jour des institutions représentatives du personnel de La Poste, qui relèvent toujours de la loi de 1990. À cet effet, une nouvelle loi est indispensable. D'où ce texte, qui prévoit d'appliquer à l'ensemble du personnel de La Poste, de droit privé ou de droit public, les dispositions du code du travail relatives au CSE.
En tant qu'auteur de la proposition de loi, je suis d'accord avec les modifications proposées par la rapporteure ; le premier amendement vise à apaiser les tensions en reportant de fin juillet à fin octobre 2024 la fin du mandat des représentants actuels.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. - J'ajoute que nous avons auditionné les dirigeants et les organisations syndicales de La Poste. Nous avons entendu l'inquiétude qui s'y est exprimée et qui portait principalement sur les conditions de la négociation. C'est pourquoi il nous semble opportun de repousser la date de fin de mandat des élus actuels.
Le législateur pose un cadre juridique ; à charge maintenant pour la direction et les organisations syndicales de l'entreprise de poursuivre le dialogue social.
- Présidence de Mme Chantal Deseyne, vice-président -
Mme Victoire Jasmin. - J'ai participé à l'audition des syndicats et j'ai rarement constaté une telle unanimité parmi des syndicats, pourtant de tendances très diverses, pour affirmer qu'un tel système serait préjudiciable à la représentation de l'ensemble du personnel, surtout en outre-mer. Je suis très inquiète pour le dialogue social et je souhaite que soit prise en compte la spécificité des outre-mer. Avoir un seul représentant pour l'ensemble des outre-mer, c'est aberrant ! Nous, élus d'outre-mer, connaissons les temps de déplacement et les coûts que cela représente !
En outre, cela ne permettra pas d'avoir une écoute de proximité, ce qui est primordial. Avoir un seul représentant pour l'outre-mer, c'est méconnaître la réalité de ces territoires. Pour ma part, et je pèse mes mots, je trouve cette approche scandaleuse ; cela représente un véritable recul pour nos territoires. Les outre-mer ne constituent pas un seul bloc, ils sont répartis sur l'ensemble des océans. Or le coût financier et l'empreinte carbone du transport aérien sont très élevés. Je compte sur le bon sens du Sénat pour que les outre-mer ne soient pas les victimes d'un contexte qui justifie, peut-être, une réforme.
Mme Corinne Féret. - Il faut insister sur deux choses.
D'abord, La Poste n'est pas une entreprise comme les autres. Elle compte quelque 210 000 salariés, répartis sur de nombreux sites, en métropole ou outre-mer, et représentant une forte diversité de métiers, du conseiller financier à La Banque postale au facteur.
Avec cette proposition de loi, La Poste sera la dernière entreprise à appliquer l'ordonnance de 2017. Or, depuis l'adoption de celle-ci, nous avons eu des retours d'expérience sur la mise en place du CSE dans les entreprises, qui sont presque toutes critiques à ce sujet. Les objectifs annoncés ne sont pas atteints. On constate une diminution du nombre de représentants du personnel sur le terrain, donc une perte de proximité entre les salariés et leurs représentants. Cette proposition de loi ne nous satisfait donc pas.
Ensuite, elle est censée « accompagner » la mise en place du CSE à La Poste, mais, dans cette entreprise, les discussions sont déjà engagées dans cette voie depuis plusieurs semaines, et à marche forcée par-dessus le marché ! La direction de La Poste a donc contacté les organisations syndicales sans même connaître le contenu de cette proposition de loi. Il serait tout de même préférable d'attendre que le législateur se soit prononcé définitivement avant d'entamer les discussions.
Les organisations syndicales de La Poste étaient toutes présentes à l'audition de la semaine dernière et elles étaient unanimes pour dénoncer la façon dont les choses se préparent. D'abord, de très nombreux salariés - plusieurs milliers - relèvent encore de la fonction publique et, avec ce texte, ils seront représentés au travers d'un CSE unique, aux côtés de collègues salariés de droit privé. Ces agents s'inquiètent donc de leur juste représentation au sein de cette instance. En outre, le Cogas sera intégré au sein du CSE, ce qui entraînera la disparition de nombreuses associations agissant sur tout le territoire pour le bénéfice des agents et salariés de l'entreprise.
Nous déposerons donc des amendements, notamment pour reporter la fin des mandats des élus actuels au 31 décembre 2024, afin de donner plus de temps à la discussion et de préserver la qualité du dialogue social. Tout comme les organisations syndicales, nous souhaitons éviter que La Poste vive une situation comparable à celle de France Télécom.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Cela a été dit, la direction de La Poste a déjà commencé d'appliquer les modifications envisagées ; il y a d'ailleurs eu un recours syndical à ce sujet. Cette proposition de loi constitue donc un rattrapage de ce qui a déjà commencé. Le fait d'avancer sur ce point avant même l'adoption de la loi ne témoigne pas d'une position d'écoute très attentive de la part de la direction. Du reste, les 7 organisations syndicales sont vent debout contre cette méthode et ces délais.
Par ailleurs, je signale qu'avec cette réforme, La Poste sera la seule entreprise à avoir un CSE sans être passée par l'étape du CE et du CHSCT. Or le bilan de la mise en oeuvre de l'ordonnance de 2017 est très négatif.
En outre, les 637 CHSCT de La Poste répondent à un besoin de proximité et ce nombre passera, avec ce texte, à moins de 200 instances, avec une unique CSSCT centrale. Or, je le rappelle, La Poste perd des milliers d'emplois par an et est en restructuration permanente, comme France Télécom. Dans un tel contexte, les CHSCT sont nécessaires, car ils permettent d'analyser ces modifications permanentes des conditions de travail. Je crains que cette entreprise ne vive une situation similaire à celle de France Télécom.
Même les syndicats qui ont signé les accords de méthode ont dénoncé la façon dont les choses se sont passées : un temps mort à la suite de cette signature, suivi d'une accélération brutale. Dans cette affaire, la direction de La Poste est insincère et déloyale. Par conséquent, il faut, à tout le moins, reporter la fin des mandats au 31 décembre 2024.
Enfin, l'instauration du CSE entraîne une baisse des moyens et présente un bilan catastrophique sur la santé et la sécurité au travail. Pendant la crise du covid, les CHSCT ont bien manqué...
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Nous nous retrouvons dans les propos tenus. Les syndicats dénoncent unanimement l'instauration à marche forcée du CSE à La Poste. Cette entreprise compte, sans compter les sous-traitants, plus de 200 000 salariés, qui relèvent du public ou du privé, qui sont répartis sur de nombreux sites et exercent des métiers variés.
Il y a donc danger, même pour les salariés relevant d'un statut public. Le CSE, cela signifie moins de dialogue social et moins d'élus - le Gouvernement reconnaît lui-même la baisse de 33 % du nombre d'heures de délégation pour les élus - et cela signifie également un moindre budget, une baisse de l'accompagnement des salariés, notamment en matière de santé et de bien-être au travail.
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste développera son point de vue sur la question en séance publique et votera contre cette proposition de loi.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. - Les points de vue exprimés ce matin avaient déjà été développés en audition. Néanmoins, je n'ai pas la même compréhension que vous, mes chers collègues, de la réaction des syndicats. Ces derniers ont signé, je le rappelle, à plus de 54 % l'accord de méthode. Ainsi, à part chez le syndicat SUD-PTT (Solidaires, unitaires, démocratiques-Postes, télégraphes et télécommunications), nous avons senti chez les organisations syndicales une tendance favorable - la Confédération générale du travail (CGT) l'a elle-même indiqué - à la mise en place du CSE.
Madame Jasmin, la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et, je le disais, la CGT sont favorables à l'instauration du CSE, mais, en effet, pour les outre-mer, il faut que La Poste prévoie une organisation de proximité adaptée, qui relèvera de la négociation entre l'entreprise et les syndicats.
Madame Féret, la Banque postale est une filiale du groupe La Poste et est donc déjà, comme toutes les filiales du groupe, dotée de CSE. Seule La Poste SA est concernée par la réforme.
La Poste a proposé la mise en place de délégués de proximité et le reste relèvera de la négociation.
Par ailleurs, salariés et fonctionnaires sont déjà représentés ensemble au sein des CT - il n'y a donc pas de changement sur ce point. Les fonctionnaires seront spécifiquement représentés au sein d'un conseil des questions statutaires.
Madame Poncet Monge, le dialogue social a aussi été réformé dans la fonction publique, avec la fusion des CT et des CHSCT dans les comités sociaux. La Poste est dans une situation qui n'existe nulle part ailleurs.
J'en viens à la question de la date de fin des mandats des élus actuels. Je propose de repousser cette échéance du 31 juillet au 31 octobre 2024. Vous proposerez d'aller jusqu'au 31 décembre 2024. Le Sénat se prononcera, mais, pour ma part, je maintiendrai ma position. L'essentiel relève désormais de la négociation entre la direction de La Poste et les organisations syndicales.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. - Mon amendement COM-1 vise, ainsi que je l'ai expliqué, à reporter au 31 octobre 2024 la date limite de fin des mandats des actuels représentants du personnel aux CT et CHSCT.
L'amendement COM-1 est adopté.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. - La loi du 2 juillet 1990 prévoit l'application du droit du travail relatif aux CHSCT jusqu'au prochain renouvellement des instances ; la proposition de loi entend mettre un terme à cette application à la fin des mandats des actuels représentants, qui seront prolongés jusqu'à l'élection des prochains CSE. En conséquence, l'échéance du prochain renouvellement des instances devient sans objet, ce que mon amendement COM-3 tend à supprimer.
L'amendement COM-3 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 2
L'amendement de coordination COM-9 est adopté, de même que l'amendement rédactionnel COM-4.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. - Mon amendement COM-5 supprime la précision selon laquelle les salariés de La Poste bénéficient du régime des salariés protégés prévu par le code du travail, celui-ci étant déjà applicable aux salariés de l'entreprise.
Il maintient en revanche la disposition selon laquelle ce régime de protection sera applicable aux salariés élus au sein d'une instance propre à La Poste, puisqu'une telle instance n'est pas prévue dans le code du travail.
L'amendement COM-5 est adopté.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. - Mon amendement COM-6 précise que les agents publics de La Poste ne bénéficieront pas du congé pour formation syndicale prévu par le code général de la fonction publique, puisqu'ils auront droit au dispositif analogue prévu par le droit du travail : le congé de formation économique, sociale, environnementale et syndicale.
L'amendement COM-6 est adopté.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. - Mon amendement COM-7 précise les modalités de désignation des représentants des fonctionnaires au conseil des questions statutaires.
L'amendement COM-7 est adopté, de même que les amendements de coordination COM-8 et COM-2.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. - Il n'est pas nécessaire que les dispositions transitoires qui permettront de mettre en place les CSE à La Poste soient applicables dès la publication de la loi. En effet, de telles dispositions d'entrée en vigueur sont réservées aux cas d'urgence, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Les mesures du texte seront donc applicables le lendemain de la publication de la loi, comme le prévoit l'article 1er du code civil. Dans ce contexte, mon amendement COM-10 vise à supprimer cette mention.
L'amendement COM-10 est adopté.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
TABLEAU DES SORTS
La réunion est close à 12 h 40.
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Rapport annuel de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale - Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous entendons cet après-midi M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, et Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour et dont c'est la première audition en cette qualité devant notre commission, pour la présentation du rapport annuel sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss).
Ils sont accompagnés de Stéphane Seiller, rapporteur général, Thibault Perrin, rapporteur général adjoint du Ralfss, Guillaume de La Batut, chargé de mission, et Roma Beaufret, chargée de mission auprès du Premier président.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo en vue de sa retransmission en direct sur le site du Sénat. Elle sera consultable en vidéo à la demande.
Chaque année, à pareille époque, la présentation du rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, qui constitue l'une des traductions de la mission d'assistance de la Cour au Parlement prévue par l'article 47-2 de la Constitution, ouvre pour notre commission les travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale de l'année à venir (PLFSS).
En application de la loi organique du 14 mars 2022, cet exercice est désormais postérieur à la présentation du PLFSS en conseil des ministres et en modifie quelque peu la nature. En application de ce même texte, nous aurons d'ailleurs à examiner une loi d'approbation des comptes sociaux à l'été, qui nous conduira à avancer le regard rétrospectif porté sur l'exercice clos et à solliciter une nouvelle fois la Cour à l'automne, pour un regard plus prospectif.
Je note que, cette année, les insertions au rapport sont nombreuses à pouvoir être reliées à un article du texte, comme celui sur les négociations conventionnelles. J'y vois matière à inspiration pour le Sénat...
M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. - C'est avec grand plaisir que je retrouve votre commission pour cet exercice annuel important.
J'ai à mes côtés Véronique Hamayon, nouvelle présidente de la sixième chambre, et Stéphane Seiller, conseiller maître, qui est le rapporteur général de ce rapport. Je salue également la présence dans la salle du rapporteur général adjoint, Thibault Perrin. Je souhaite aussi mentionner le rôle majeur de Denis Morin, président, jusqu'à récemment, de la sixième chambre, dans la conception de ce rapport important. Je souhaite les remercier chaleureusement de leur implication, de même que la vingtaine d'autres rapporteurs qui ont contribué à ce travail lourd, approfondi et, je crois, utile.
Le rapport que je vais vous présenter est établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission constitutionnelle d'assistance de la Cour au Parlement et au Gouvernement. Il accompagne le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023. Le calendrier doit en effet changer, vous l'avez rappelé, madame la présidente ; nous vous présentons donc un rapport tout en étant déjà en train d'élaborer le prochain...
J'ai présenté ce travail très attendu des citoyens comme des parlementaires à la presse hier et à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale ce matin. Éclairer les parlementaires avant le vote d'un texte financier majeur pour notre pays est, avec l'information des citoyens, une des vocations de la Cour. J'y tiens énormément, non seulement parce que je conserve ma sensibilité d'ancien parlementaire, mais aussi parce que c'est ainsi que je conçois mon rôle et mon devoir de Premier président de la Cour.
La parution de ce rapport intervient dans un contexte particulier, que vous connaissez : les tensions économiques, influant sur l'inflation et sur la croissance, la nécessité d'adapter notre société aux conséquences du dérèglement climatique et la lutte contre la pandémie de covid-19, qui a continué de peser sur les dépenses de l'assurance maladie en 2021 et 2022. Tout cela laisse une empreinte durable sur la dette et sur les déficits publics.
Comme chacun le sait, les transferts sociaux jouent dans notre pays un rôle essentiel. Ils viennent de le prouver en amortissant efficacement les conséquences de la crise sanitaire. La protection sociale est un pilier de la République. Néanmoins, pour être efficace demain comme elle l'a été hier, elle doit être solide ; elle ne peut s'installer durablement dans l'accumulation non maîtrisée de déficits. La dette d'aujourd'hui est un poids pour les générations futures ; notre devoir est de les en préserver et de conserver notre capacité à investir dans des politiques publiques intelligentes.
Le rapport qui vous est présenté montre qu'il n'est pas possible de différer plus longtemps l'engagement des réformes dont la sécurité sociale a besoin. C'est un travail de longue haleine, qui devra être conduit avec courage et constance dans les années qui viennent, en suivant une trajectoire de redressement, explicite et solide. J'évoquerai dans quelques instants les éléments de prévision figurant en annexe au PLFSS pour 2023.
La Cour est consciente des difficultés que présente le redressement des comptes de la sécurité sociale. Par ses travaux, elle identifie des marges d'efficience, dans les domaines de l'assurance maladie ou de la retraite. Le rapport qu'elle consacre à l'application des lois de financement de la sécurité sociale présente un ensemble d'évolutions nécessaires. Je note d'ailleurs avec intérêt que, cette année, le PLFSS comporte de nombreuses propositions qui prennent acte de nos propres avis.
Au travers de ce rapport, la Cour dresse le bilan tiré de l'application de quelques réformes récentes, dans une démarche d'évaluation. Elle souligne aussi la nécessité d'améliorer la qualité de l'action publique et des services rendus aux assurés sociaux, tout en contribuant à l'effort de maîtrise des dépenses.
Au préalable, je souhaite présenter la situation financière actuelle de la sécurité sociale et ses perspectives pour les prochaines années, au regard des dernières données communiquées par la commission des comptes de la sécurité sociale et de la trajectoire financière quadriennale présentée par le Gouvernement en annexe du PLFSS pour 2023.
Commençons par 2021. Le déficit de la sécurité sociale de l'année dernière - 24,3 milliards d'euros - garde un niveau très élevé, d'autant que la Cour a signifié, par son refus d'approuver les comptes de 2021 de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) et des Urssaf, que 5 milliards d'euros de recettes de prélèvements sociaux ont été indûment rattachés à l'exercice 2021. Ainsi, si ces recettes avaient été rattachées à l'exercice 2020, comme la Cour le demandait, le déficit tous régimes 2021 aurait été de 29,3 et non de 24,3 milliards d'euros, comme affiché.
En 2022, je note la persistance d'un déficit structurel, c'est-à-dire hors dépenses liées à la crise sanitaire, équivalent à celui de 2021, aux alentours de 6 milliards d'euros. Ce niveau de déficit structurel est préoccupant. À nouveau, la Cour souligne la nécessité d'un programme pluriannuel de réformes dans les domaines de l'assurance maladie et des retraites, qui permette à la sécurité sociale de revenir à un équilibre financier pérenne.
Or une telle orientation n'apparaît pas clairement dans le PLFSS pour 2023. Ce texte prévoit certes une réduction du déficit de la sécurité sociale, qui passerait de près de 18 milliards d'euros en 2022 à moins de 7 milliards d'euros en 2023, mais cette évolution repose sur une hypothèse optimiste : la division par 10 des dépenses exceptionnelles d'assurance maladie dues à la crise sanitaire. Dans son avis sur le PLFSS pour 2023, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a considéré que cette estimation, qui repose notamment sur une division par 20 des dépenses de tests par rapport à 2021, risquait de se révéler excessivement optimiste. Quand on enregistre des provisions, il faut tenir compte des risques, non des espoirs...
La croissance des dépenses d'assurance maladie hors crise sanitaire serait, d'après le PLFSS, inférieure à la hausse des prix, ce qui suppose d'importants effets d'ajustements des professionnels et des établissements de santé. C'est un objectif très volontariste, dont les exercices passés nous ont montré qu'il est très difficile à atteindre. Le déficit pourrait donc atteindre un niveau plus élevé que celui qui est prévu, indépendamment même des incertitudes qui entourent l'environnement macroéconomique.
À cela s'ajoute le fait que le montant de 123 milliards d'euros de déficits sociaux que la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) a été autorisée à reprendre sera atteint en 2023. Pour continuer d'absorber des déficits sociaux, à structure de recettes inchangée, il faudra donc prolonger la durée de vie de cet organisme au-delà du terme prévu de 2033. Nous ne devons pas nous voiler la face : il existe un risque réel de croissance continue de l'endettement social, au détriment des générations futures. Fin 2022, cet endettement atteindra 160 milliards d'euros.
Pour 2024 et 2025, les annexes au PLFSS prévoient un déficit de la sécurité sociale repartant à la hausse, avant de se tasser quelque peu par la suite. En 2026, il s'élèverait à près de 12 milliards d'euros. Encore faut-il souligner que ce niveau de déficit supposerait une stabilisation en termes réels des dépenses de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). Les efforts correspondants d'économies restent à définir et à mettre en oeuvre. Le déficit de la branche vieillesse et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) atteindrait quant à lui près de 14 milliards d'euros, contre moins de 2 milliards d'euros en 2021, en raison de la dégradation de la situation financière des régimes de retraite de base des salariés du secteur privé et des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers.
La dégradation du déficit prévisionnel de la sécurité sociale est d'autant plus préoccupante qu'elle repose sur des prévisions de croissance économique considérées comme optimistes par le HCFP, dans son avis sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. Cela me conduit à dire que la trajectoire prévue de retour à l'équilibre puis de désendettement semble peu crédible ; il est prioritaire de la revoir et de documenter précisément les mesures de redressement nécessaires.
Par ailleurs, le rapport souligne combien la multiplicité et les fréquentes modifications des sources de financement et des flux financiers affectent la compréhension des soldes des branches et du FSV. La Cour propose donc que les sources de financement des différentes branches soient clarifiées, simplifiées et stabilisées. Ce n'est pas un sujet théorique ; il s'agit, au contraire, des modalités pratiques du redressement de la sécurité sociale dans la durée. Si les exigences de clarté, de rigueur et de stabilité ne sont pas prises en compte, le respect des trajectoires prévues pour les différentes branches ne pourra être garanti.
Enfin, de 2010 à 2021, les dépenses de soins de ville ont augmenté trois fois plus vite que l'inflation. La Cour considère donc que les professionnels libéraux de santé doivent contribuer davantage aux priorités nationales de santé tout en respectant les objectifs de dépenses liés à la trajectoire pluriannuelle du risque maladie. Cette orientation devrait être au centre des prochaines négociations entre l'assurance maladie et les syndicats des professions libérales de santé.
Voilà pour le diagnostic financier.
J'en viens à mon deuxième point : l'étude de trois réformes récentes destinée à évaluer si les objectifs avaient été atteints.
La première porte sur la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje). Nous nous sommes intéressés aux deux principaux dispositifs versés sous condition de ressources : la prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE), créée en 2014, qui indemnise les périodes de cessation d'activité durant les trois premières années de l'enfant, et le complément de libre choix du mode de garde (CMG), créé dix ans plus tôt, en 2004, qui aide les familles à financer la garde des enfants de moins de 6 ans par des tiers, tous deux réaménagés au milieu de la dernière décennie.
Nous constatons que ces aides sous condition de ressource ont échoué à atteindre leurs objectifs. La PreParE gagnerait à être recentrée sur les arrêts d'activité des parents durant la seule première année de l'enfant et accompagnée d'une indemnisation plus élevée. Les barèmes du CMG sont quant à eux défavorables aux familles les moins aisées, qui ne sont pas réellement libres du choix du mode de garde de leurs enfants. Les barèmes devraient être réaménagés pour permettre aux familles les plus modestes de recourir davantage à l'ensemble des modes de garde possibles.
J'ai noté que le PLFSS prévoit une mesure qui modifie le CMG dans le sens que nous recommandons, sans toutefois toucher à la PreParE. Nous pensons aussi qu'il serait opportun de faire évoluer les deux dispositifs de manière cohérente et concomitante, pour en garantir une meilleure efficacité tout en évitant un coût supplémentaire estimé à 600 millions d'euros pour la branche famille.
La deuxième réforme examinée est celle de l'automatisation du calcul des aides personnalisées au logement (APL). Calculer automatiquement les prestations à partir des données les plus récentes, dites « contemporaines », relatives aux revenus perçus par les bénéficiaires est une bonne idée, mais l'expérience des APL montre les effets délétères des erreurs informatiques lorsqu'elles touchent les revenus des plus précaires. Nous invitons l'administration à anticiper ces risques techniques dans le cadre des expérimentations prévues du principe de « solidarité à la source », souhaité par le Président de la République.
La priorité, pour le versement des prestations financées par la solidarité nationale, reste le paiement exact, à qui de droit, et en temps et en heure. En outre, l'automatisation du versement oblige à conduire le chantier de simplification des bases de calcul des prestations sociales.
Le dernier exemple porte sur le transfert au régime général de la gestion de la sécurité sociale des travailleurs indépendants, du fait de la suppression du régime social des indépendants (RSI). Cette opération est, pour nous, globalement réussie. L'administration doit maintenant s'attacher à pousser les réformes au-delà des sujets d'organisation de la gestion pour traiter les problèmes de fond qui subsistent en matière de protection sociale de ces catégories professionnelles importantes pour l'économie de notre pays. Il s'agit notamment de l'équité du prélèvement social à la charge des travailleurs indépendants par rapport à celui des salariés, de l'équité de ce prélèvement entre les différentes catégories d'indépendants et de la complétude de la protection sociale de ces derniers.
J'en arrive à mon troisième et dernier point : l'amélioration de la qualité et la maîtrise de la dépense dans le champ de la protection sociale. Cela nous semble indispensable ; on ne peut pas réduire les déficits et la dette sans maîtriser la dépense, sans agir sur son volume et sa composition : il faut savoir prioriser, déterminer les dépenses qu'il faut augmenter - j'ai moi-même proposé à votre commission une augmentation significative, de l'ordre de 1,3 à 1,9 milliard d'euros, des dépenses pour les Ehpad, par exemple -, mais également celles qu'il faut réduire, sans dégrader la qualité des prestations. À notre sens, cela nécessite une approche méthodique, ferme, domaine par domaine, si l'on veut que chaque euro d'impôt ou de cotisation soit utilement dépensé dans l'intérêt de nos concitoyens. Nous avons examiné quatre domaines, qui font apparaître de très nettes marges d'amélioration.
Les deux premiers concernent le champ de la santé et de l'assurance maladie, dont j'ai déjà souligné qu'il doit constituer un terrain de réforme prioritaire.
Nous savons tous combien la situation de l'hôpital public appelle des efforts particuliers. Les agents attendent les mesures, notamment d'organisation, de gestion et de répartition plus juste des moyens. De meilleures conditions de travail sont nécessaires pour que leur engagement, qui peut être, on l'a constaté, sans limites, puisse s'exprimer librement. On peut faire des économies, mais il y a aussi des investissements à faire.
Notre conviction est qu'une autre clé se trouve du côté de la médecine libérale, dont les activités interagissent avec le secteur hospitalier. Nous avons choisi pour illustrer cela deux activités distinctes : la radiologie et la radiothérapie. Ces activités présentent des caractéristiques similaires : une répartition territoriale insatisfaisante, des procédures d'évaluation et de prise en charge de l'innovation limitées, des actions insuffisantes d'amélioration de la pertinence des actes, une connaissance sommaire des activités réalisées et de leur coût, et une inadéquation de la tarification des activités, avec un impact sur la rémunération des professionnels, qui entraîne une perte d'attractivité préoccupante pour l'hôpital. Des réponses doivent être apportées rapidement à ces problèmes.
Un autre exemple concerne un aspect majeur pour la qualité de la prise en charge ou de l'accompagnement de nos concitoyens âgés ou handicapés : il s'agit des conditions de travail du personnel du secteur médico-social. Nous les avons analysées de manière inédite à travers le prisme des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP).
La fréquence des accidents et des maladies auxquels sont exposés les salariés de certaines catégories d'établissements, notamment des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), est trois fois supérieure à celle qui est constatée dans l'ensemble de l'économie. Nous avons montré que l'amélioration progressive du taux d'encadrement, c'est-à-dire le nombre des salariés disponibles pour prendre en charge et accompagner les personnes, permettrait non seulement d'améliorer la qualité des services rendus à ces personnes, mais encore de réduire fortement le nombre des accidents et des maladies professionnelles. En d'autres termes, nous avons détecté le cercle vicieux de l'économie aveugle, qui enclenche des dépenses supplémentaires. En outre, des dépenses vertueuses peuvent entraîner des économies fortes : mieux vaut dépenser au bon endroit pour renforcer le taux d'encadrement et minimiser les conséquences des absences.
Je me permets d'ajouter, en vue des débats sur le PLFSS pour 2023, que la Cour est au service de votre commission pour renforcer la transparence et la régulation financière des Ehpad. Vous le savez, son indépendance fait la force de ses analyses et de ses recommandations. Lors de la présentation de l'enquête de la Cour des comptes sur la médicalisation des Ehpad, réalisée à la demande de votre commission, j'ai regretté publiquement les limites actuelles de la compétence des juridictions financières en la matière. L'amélioration du contrôle passe aussi par l'extension des compétences des autorités constitutionnelles de contrôle.
Aujourd'hui, l'utilisation des recettes d'hébergement échappe au contrôle de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC). Je forme le voeu devant vous que le législateur fasse évoluer notre champ de compétence dès le PLFSS pour 2023. Il y va de l'information du citoyen et de notre possibilité de contrôler, au sein de l'établissement et du groupe, les produits d'hébergement et les postes de charge qu'ils financent ; je pense notamment à l'immobilier et aux achats. Après les scandales que nous avons connus, il est indispensable de renforcer les contrôles sur les Ehpad et la Cour est - j'ai la faiblesse de le penser - loin d'être la plus mal placée pour ce faire. Je suis à votre disposition pour discuter d'un projet d'amendement si vous le souhaitez. Les scandales que nous avons connus montrent que ce secteur a besoin d'être mieux contrôlé, au service du Parlement et des citoyens. La Cour est volontaire pour accompagner cette évolution, qui dépend d'une disposition législative, avec l'accord du Gouvernement et de l'Assemblée nationale.
Le dernier exemple d'amélioration de la qualité et de l'efficience concerne un aspect mal connu de notre système de retraite : il s'agit des droits familiaux attribués aux parents au titre de leurs enfants. Ces droits représentent près de 20 milliards d'euros de dépenses annuelles. Ils ont été institués il y a cinquante ans ou plus, à une époque où les familles étaient plus nombreuses et où les mères travaillaient considérablement moins. Ces dispositifs complexes accordent des trimestres mais sans compenser suffisamment les pertes de salaires subies par les mères. Nous recommandons une remise à plat de ce système pour corriger cette injustice, sans dépenses nouvelles.
Pour conclure, je veux revenir sur le message principal du rapport : il est impératif de mettre fin à l'accroissement continu de la dette sociale, en remettant rapidement la sécurité sociale sur un chemin effectif d'équilibre financier. Pour cela, il convient de ne pas s'en tenir aux perspectives aléatoires de croissance de l'activité économique dont dépendent les recettes sociales, mais d'entreprendre les réformes nécessaires de notre protection sociale qu'il s'agisse des retraites - ce sujet n'est pas au coeur de notre rapport - mais aussi de l'organisation de notre système de santé, en en rendant ainsi les dépenses plus efficientes. Dans ce domaine, comme dans d'autres, c'est maintenant la qualité de la dépense qui est impérative, non pas l'austérité aveugle mais la dépense bien calibrée, au bon endroit.
Ces réformes sont nécessaires pour garantir la pérennité de notre système de retraite et l'accès de tous à des soins de qualité sans réduire les niveaux de prise en charge par l'assurance maladie. C'est ce qu'attendent nos citoyens.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie par avance de votre appui futur sur le texte qui nous attend, notamment pour le secteur médico-social et les personnes âgées. Après notre audition sur la médicalisation des Ehpad, Michelle Meunier et Bernard Bonne ont produit un rapport d'information en réaction à l'affaire Orpea, pour résumer de façon sans doute trop rapide.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Monsieur le Premier président, le PLFSS pour 2023 me semble, comme à vous, peu réaliste. Vos observations sur l'inexactitude des comptes de 2021 sont éclairantes et relativisent la forte amélioration des comptes de la sécurité sociale de l'année dernière.
La trajectoire financière 2023-2026 vous semble-t-elle crédible, en particulier au regard de l'évolution des recettes et des dépenses de la branche maladie, qui paraissent très optimistes ?
Une réforme des retraites bien calibrée permettrait-elle à la sécurité sociale de revenir à un équilibre financier global, voire d'envisager une extinction de la Cades en 2033 ?
M. Pierre Moscovici. - Sur la crédibilité de la trajectoire financière de la branche maladie, j'ai abordé le sujet mais je puis détailler. Le PLFSS prévoit une diminution forte du déficit de la sécurité sociale - 7 milliards d'euros, contre 18 milliards d'euros en 2022 - en se fondant sur une croissance économique très optimiste : 1 % en France et 3 % dans le monde, là où les instituts prévoient, respectivement, 0,6 % et moins de 2 %. Indépendamment de cette incertitude, le risque que le déficit soit sensiblement plus important est très élevé. Par exemple, les dépenses de test de covid doivent, pour garantir cette amélioration, être divisées par 20 par rapport à 2021 ; nous le souhaitons tous, mais c'est très volontariste. Par ailleurs, le PLFSS prévoit une croissance des dépenses structurelles, hors covid, inférieure à l'inflation, ce qui suppose des dépenses d'ajustement significatives de la part des professionnels de santé. Cela est loin d'être acquis, au vu des comportements observés.
Les perspectives 2023-2026 figurant dans le PLFSS sont très incertaines et peu étayées à ce stade, puisqu'on ne détaille ni les moyens de redresser la branche maladie ni ceux permettant de contenir la dégradation du déficit de la branche vieillesse. En outre, même si cela se produisait, les perspectives présentées dans le PLFSS font état d'un déficit global de la sécurité sociale durablement dégradé, avec près de 12 milliards d'euros en 2026.
L'absence durable de redressement est en soi très préoccupante. La sécurité sociale ne peut pas rester durablement déficitaire sans faire peser sur les générations futures le financement des prestations qui sont versées aujourd'hui. Je rappelle en outre l'exigence constitutionnelle d'équilibre financier de la sécurité sociale, dont le respect est contrôlé par le Conseil constitutionnel.
Vous m'interrogez sur l'impact qu'aurait une réforme des retraites sur la situation financière de la sécurité sociale, en vous demandant si une réforme suffirait à résorber le déficit de la sécurité sociale. D'abord, l'étendue de la réforme des retraites envisagée par le gouvernement n'est pas connue dans le détail. Ensuite, en toute hypothèse, cette réforme ne produirait ses effets que progressivement ; même la fixation de l'âge de départ à la retraite à 65 ans ne permettra pas d'éviter l'accroissement de la dette sociale dans les quatre années qui viennent ni de faire l'économie d'un nouveau transfert de dette à la Cades, dont la durée de vie devra être prolongée, par voie organique, au cours des années à venir. Par ailleurs, il n'est pas certain que la réforme envisagée soit suffisante pour ramener durablement la branche retraite à l'équilibre financier.
Quoi qu'il en soit, cela laisse entières les questions d'efficience et de qualité des dépenses d'assurance maladie, car on ne peut pas considérer que cette réforme constitue une « carte magique », permettant de tout régler, en renflouant les caisses de l'État et de la sécurité sociale sans mener les autres réformes. Non, il faut bien aller vers plus d'efficience et de qualité des dépenses. C'est pour cette raison que nous en appelons à un traitement réformiste, secteur par secteur.
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche maladie. - Vous évoquez le rôle insuffisant du Parlement dans l'encadrement des négociations conventionnelles. Comment renforcer notre implication dans le pilotage financier de l'assurance maladie, qui passe souvent par la voie réglementaire ?
Le projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027 prévoit une mise en réserve de 0,3 % de l'Ondam. Cette mise en réserve vous semble-t-elle crédible et pertinente et comment la rendre effective pour les sous-Ondam ?
Dans le chapitre sur la radiothérapie, vous plaidez pour une procédure d'autorisation temporaire des techniques et pratiques innovantes, conditionnée à un suivi des situations cliniques. Quel mode de financement conviendrait-il à un tel fonctionnement ?
Vous indiquez que les dépenses de médecine de ville hors médicament ont progressé trois fois plus vite que l'inflation ; quel lien faites-vous avec le raccourcissement des séjours à l'hôpital ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour la branche vieillesse. - La réforme de retraites doit viser non à combler le trou de la sécurité sociale mais à garantir un niveau de prestations dans les années qui viennent. Les effets d'une réforme sont toujours longs à se matérialiser, c'est pourquoi il faut prendre les mesures le plus tôt possible.
Vous évoquez l'hypothèse de l'harmonisation des majorations de pension entre régimes. Avez-vous pu en estimer le coût ?
En ce qui concerne les APL, on observe un taux d'erreur de 2 % dans le calcul de ces aides par rapport à la déclaration sociale nominative (DSN). Dans ce contexte, le versement à la source des prestations sociales voulu par le Gouvernement pourra-t-il s'appliquer prochainement ou la fiabilisation du processus prendra-t-elle beaucoup de temps ?
Nous ne sommes pas favorables au transfert de l'ensemble des recouvrements aux Urssaf, y compris des cotisations de retraite des professions libérales et de la Mutualité sociale agricole (MSA). Ces régimes sont intégrés : ils sont chargés du recouvrement et de la prestation. Un tel mouvement ne conduirait-il pas à fragiliser un système qui fonctionne ?
M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. - Ce rapport est excellent, j'en partage nombre des constats. Je suis notamment d'accord avec vous pour dire que la réforme de la branche maladie est au moins aussi urgente que celle des retraites.
Sur la branche famille, je déplore comme vous la confusion des aides publiques entre les crédits d'impôt et la prestation de la Paje, confusion qui rend difficile l'estimation de l'incidence de ces dispositifs sur le coût des modes de garde. Ces dispositifs coûtent cher, les parents n'y voient pas clair et, en outre, ils sont mal calibrés. Le barème du CMG et les restes à charge qui en découlent pour les familles font que les foyers les plus modestes ont plus d'avantages financiers à choisir le mode collectif et les familles les plus aisées ont plutôt intérêt à choisir les assistantes maternelles. Le PLFSS prévoit une réforme du calcul du CMG « emploi direct » mais peut-on encore, par petites touches, modifier ces prestations, pour aboutir à quelque chose de plus efficace, de plus juste, de plus lisible, de plus incitatif ? Votre rapport évoque même la question de la régulation des salaires des assistantes maternelles.
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour la branche AT-MP. - La branche AT-MP est, de façon pérenne, en excédent. L'écart entre les recettes et les dépenses se creuse d'ailleurs, passant de 2 milliards d'euros en 2022 à 3,3 milliards d'euros en 2026. Ces excédents ne sont-ils pas de nature à engager la branche vers des dépenses nouvelles en faveur de la prévention des AT-MP ou vers une baisse des cotisations ?
Le Ralfss propose de regrouper dans une seule branche l'ensemble des prestations en espèces de l'assurance maladie au titre du risque arrêt de travail, qu'il s'agisse des maladies ordinaires, des accidents du travail ou des maladies professionnelles. Cela permettrait en effet de mettre fin au transfert annuel, fixé à 1,2 milliard d'euros pour 2023, de la branche AT-MP vers la branche maladie, au titre de la sous-déclaration, selon un calcul très opaque. En quoi un tel regroupement serait-il plus cohérent et plus efficace ? Serait-il plus efficace d'étendre le principe de la modulation en fonction de la sinistralité aux cotisations finançant les indemnités journalières pour maladie ? Les cotisations sociales seraient-elles suffisantes pour financer cette branche élargie ?
Par ailleurs, un chapitre de votre rapport est consacré à la maîtrise des risques professionnels dans les établissements et services pour les personnes âgées ou handicapées, dans lesquels la sinistralité est en effet élevée. La Cour se prononce en faveur d'incitations financières individualisées selon la sinistralité de chaque structure, car, actuellement, le taux de cotisation AT-MP est fixé de manière globale. Avez-vous connaissance de précédents changements de régime de cette nature dans d'autres secteurs et quels enseignements a-t-on pu en tirer ? Comment procéder à un tel changement sans mettre en péril les structures ni augmenter le reste à charge des usagers ? L'efficacité de cette tarification ne serait-elle pas compromise par l'impossibilité de l'appliquer au secteur public ?
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour la branche autonomie. - Vous avez décrit une situation inquiétante des comptes de la sécurité sociale et nous pensons, nous aussi, que les projections sont peu crédibles. Les dépenses liées à l'autonomie sont-elles intégrées dans le déficit de 12 milliards d'euros prévus en 2026 ? Comment, au-delà de la CSG, financer l'évolution de la branche autonomie, au regard du vieillissement de la population ?
Vous avez évoqué le taux d'accident du travail trois fois plus important dans le secteur médico-social par rapport à la moyenne nationale. Cette situation a-t-elle un impact direct sur l'attractivité du métier ? Quelles pistes la Cour propose-t-elle, en particulier pour les services à domicile, afin de pouvoir répondre aux enjeux et aux ambitions du Gouvernement ?
Sur le contrôle des Ehpad, nous avons noté la volonté commune d'exercer un contrôle plus strict. Les propositions adoptées l'été dernier et celle du PLFSS auront-elles suffisamment de poids pour contrôler les flux financiers des groupes de gestion d'Ehpad ? Au-delà de l'extension du contrôle à la section d'hébergement, nous pensons que le débat plus général sur la fongibilité des sections doit être mené.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Les soins inutiles redondants sont estimés entre 20 % 30 % des dépenses d'assurance maladie. Le Gouvernement envisage de réduire les dépenses de radiologie et de biologie, mais cela semble insuffisant au regard des enjeux. Or 20 % d'une dépense de 230 milliards d'euros, c'est 46 milliards d'euros. Les efforts sont à faire de ce côté-là, pour améliorer l'équilibre de l'assurance maladie.
Autre sujet à traiter : la fraude sociale. Sur le fondement de vos recommandations, le Gouvernement avait conçu une feuille de route, mais les choses avancent encore trop lentement au sein de l'assurance maladie. Ne faut-il pas donner un coup d'accélérateur dans ce domaine ?
Le débat va s'engager sur l'âge de départ à la retraite. L'économiste Jean-Hervé Lorenzi affirme qu'il faut travailler plus et encourager le travail des seniors. C'est donc vers cela qu'il faut s'engager. Je n'ai rien vu dans votre rapport sur ce point.
M. Alain Milon. - Je partage vos constats, monsieur le Premier président, mais je demande encore à être convaincu par certaines de vos propositions.
Je m'interroge sur la durabilité du système actuel. Le système peut-il encore tenir longtemps eu égard à ses déficits constants, de plus en plus dangereux, d'autant que la Cades prend en charge la dette en empruntant à un taux d'intérêt de plus en plus élevé ? Par ailleurs, l'assurance maladie et les organismes complémentaires d'assurance maladie (OCAM) sont amenés à étudier les mêmes dossiers successivement, ce qui suppose que des frais de gestion sont engagés deux fois. Est-il normal que chaque dossier soit étudié deux fois, alors que l'on pourrait imaginer qu'il le soit une fois pour toutes ? En outre, si les recettes de l'assurance maladie fluctuent en permanence, les OCAM ont, en ce qui les concerne, la capacité d'augmenter régulièrement leurs cotisations, sans d'ailleurs que quiconque y trouve à redire... Quelle est la solution ? Devons-nous continuer à faire coexister l'assurance maladie et les OCAM ou faut-il faire en sorte que chaque organisme ait un domaine de compétence précis, avec des recettes et des dépenses transparentes ?
Mme Michelle Meunier. - Vous indiquez, monsieur le Premier président, que les arrêts de travail sont, dans le secteur de l'autonomie, trois fois supérieurs à la moyenne nationale et vous suggérez le regroupement de l'offre. Or Bernard Bonne et moi avons montré, dans notre rapport d'information, que ce mouvement pouvait également être source d'opacité et rendre les contrôles plus difficiles. Nous proposions d'étendre les compétences de la Cour et des CRTC au contrôle de la section d'hébergement des Ehpad, qui, dans les établissements privés à but lucratif, ne sont pas contrôlés du tout. Qu'en pensez-vous ?
Par ailleurs, vous recommandez de viser un ratio d'un professionnel pour un résident, en estimant que cela peut engendrer une économie de presque 33 %. Cela corrobore les recommandations de plusieurs commissaires des affaires sociales, qui permettraient d'améliorer la qualité tant de l'accueil des résidents que du travail des professionnels.
M. Pierre Moscovici. - Madame Imbert, je vous assure que je partage votre préoccupation à l'endroit de l'évolution des dépenses de soins de ville. Je répète que, sur les dix dernières années, ces dépenses ont évolué trois fois plus vite que l'inflation - hors dépenses de médicaments et dépenses de biologie, qui, elles, ont été strictement encadrées, du moins jusqu'à la crise sanitaire.
Nous serons d'accord sur le fait que chaque euro que la collectivité consacre à la santé de la population doit être dépensé à bon escient. Ce que l'on appelle les soins de ville représente plus de la moitié des dépenses de l'Ondam et les honoraires des professions libérales de santé représentent près de 40 % des dépenses de soins de ville. Il faut donc se pencher sur la façon dont ces dépenses évoluent, d'un point de vue tant quantitatif que qualitatif. Votre question porte sur l'encadrement quantitatif, mais vous conviendrez que l'enjeu est aussi qualitatif : comment mieux dépenser.
Sur le plan qualitatif, j'observe que l'annexe B au PLFSS fixe la trajectoire des dépenses d'assurance maladie globalement, sans distinguer la ville ou l'hôpital, ce qui n'est pas la solution. J'observe aussi que le projet de loi de programmation des finances publiques fixe la trajectoire des soins de ville, mais cette enveloppe est plus large que celle des dépenses fixées par les conventions signées par l'assurance maladie. C'est pourquoi nous proposons, dans le Ralfss, que les objectifs pluriannuels de dépenses par convention soient rendus publics à l'issue des négociations et qu'un suivi régulier du coût détaillé et complet de chaque convention soit mis en place pour permettre notamment au Parlement d'en assurer le contrôle.
Nous proposons également que les dispositifs juridiques qui existent soient effectivement mis en oeuvre. Lorsque les dépassements sont prévisibles, les mesures de revalorisation tarifaires doivent être reportées jusqu'à un an, comme la loi le prévoit.
Vous m'avez aussi interrogé sur la radiothérapie et le financement des actes innovants. Je crois qu'il faut les financer par des dotations d'investissement ad hoc qui soient contrôlables.
J'ai déjà en partie répondu sur les dépenses de médecine de ville. Il est clair qu'il y a un lien entre le développement de la politique ambulatoire et l'accélération des dépenses de soins de ville, mais pas dans les proportions observées. En tout état de cause, les dépenses des cliniques privées augmentent rapidement. Il faut donc envisager une régulation pour les soins de ville et pour les soins en établissement.
Monsieur Savary, s'agissant de l'extension des majorations de pension pour enfants aux retraités des professions libérales et du coût de cette mesure, je souhaite d'abord souligner que les règles d'attribution de ces majorations sont différentes selon les régimes qui les versent. Pour les retraités qui ont relevé de plusieurs régimes durant leur carrière, cela entraîne des différences de situation peu compréhensibles, source d'un sentiment d'iniquité - peut-être justifié, du reste. Nous pensons qu'il est nécessaire, d'abord, d'aligner ces majorations de pension sur la base d'un même taux de 10 % ; ensuite, de supprimer les surmajorations existantes dans les régimes spéciaux, dont celui de la fonction publique ; enfin, de plafonner le montant total perçu par retraité de ces différentes caisses selon le principe déjà appliqué par l'Agirc-Arrco. C'est dans ce nouveau cadre qu'il serait possible d'envisager l'extension de ces majorations aux caisses de retraite des professions libérales. De la sorte, notre système gagnerait en simplicité et en efficacité, tout en permettant la maîtrise des dépenses.
M. René-Paul Savary, rapporteur pour la branche vieillesse. - Avez-vous estimé le coût qu'engendrerait cette extension aux professions libérales ?
M. Pierre Moscovici. - Nous ne disposons pas d'estimation précise, mais nous reviendrons vers vous dès que nous l'aurons.
Sur les conséquences qui doivent être tirées du versement à la source de prestations sociales voulu par le Président de la République, je veux d'abord souligner l'intérêt de la réforme des APL.
En premier lieu, elle a permis de rapprocher le montant des prestations versées de celui des ressources des foyers, puisque le versement des APL est désormais calculé sur les ressources du trimestre précédant le versement, et non sur les bases fiscales de l'année n-2, comme c'était le cas jusqu'en 2020.
En second lieu, cette réforme a fait faire des économies pour la branche famille, à hauteur de 1,1 milliard d'euros en 2021. Cependant, 200 000 familles ont subi des ruptures de versement. D'innombrables erreurs ont été commises. Les caisses d'allocations familiales ont dû recruter plus de 2 000 agents pour corriger manuellement certains des versements. Ces dysfonctionnements montrent qu'un calcul intégralement automatique réalisé à partir des données de salaires de la DSN et des prestations sociales ne peut s'envisager sans que toutes les précautions aient été prises au préalable, ce qui, à l'évidence, n'a pas été le cas pour la réforme des APL.
Il faut tirer les enseignements de cette réforme. À cet égard, la voie de l'expérimentation retenue par le Gouvernement pour ajuster le versement du RSA et de la prime d'activité aux dernières ressources connues est une approche qui me semble plutôt raisonnable. Cela devrait sans doute inspirer les réformes futures dans le champ des prestations sociales.
Quant au transfert aux Urssaf de la gestion du recouvrement des cotisations versées par les professionnels libéraux à leur caisse de retraite, nous pensons que l'exemple réussi de la transformation du RSI est une source d'inspiration pour la gestion de la sécurité sociale des autres indépendants libéraux ou exploitants agricoles. Cela s'est accompagné du maintien d'une gouvernance spécifique qui permet aux artisans et aux commerçants de continuer à gérer les équilibres financiers de leur régime complémentaire et de verser des aides et secours à leurs ressortissants dans le besoin, selon leurs propres règles.
Notre enquête montre qu'il n'y a pas de difficulté particulière. D'ailleurs, la gestion des cotisations et des droits à la retraite des micro-entrepreneurs libéraux est d'ores et déjà confiée aux Urssaf et aux caisses de retraite du régime général. Les représentants des professions sont attachés au système historique qu'ils ont créé. C'est bien normal, mais il faut savoir aussi prendre en compte les gains d'efficience attendus d'une gestion plus rationnelle. Par ailleurs, ce qui compte pour l'assuré de base, c'est la simplicité et l'efficacité. Il préfère n'avoir qu'un interlocuteur, que ce soit pour le paiement des cotisations ou pour le suivi des prestations. Bien évidemment, des réformes qui regroupent ou suppriment des systèmes historiques doivent être préparées, expliquées, exécutées avec prudence et méthode, mais, quand elles sont réalisées, elles emportent la satisfaction des assurés ; nous l'avons constaté pour les anciens assurés du RSI.
Monsieur Henno, je partage largement vos considérations générales sur les retraites, même si la Cour ne revient pas dans le détail sur la réforme des retraites dans ce rapport. Cependant, elle s'est déjà prononcée sur le sujet : nous sommes de ceux qui estiment qu'il y a bien un problème de soutenabilité à long terme de notre système de retraite et qu'il faut le réformer pour assurer son financement durable.
Il y a des tas de façons de le faire, mais elles reviennent toutes à une alternative : soit les actifs partent plus tard en retraite, soit on baisse les pensions. Il me paraît tout de même largement préférable, dans le contexte actuel d'allongement de la durée de vie et de la dégradation du rapport actifs-inactifs, de procéder par la première voie plutôt que par la seconde.
En tout état de cause, on ne peut pas attendre d'une réforme des retraites qu'elle soit une sorte de couteau suisse. Elle ne peut pas viser dix objectifs. Elle ne peut pas à la fois participer au redressement des finances publiques, augmenter la croissance et l'emploi, réduire les déficits et, en même temps, nous dispenser de toute autre réforme, d'autant que ses effets sont forcément très progressifs dans le temps. Il ne faut pas bercer quiconque d'illusions : la réforme des retraites doit se faire, dans l'équation que nous avons rappelée - nous entourer d'expertise, procéder à des concertations et prévoir une application suffisamment étalée dans le temps pour permettre une bonne acceptation des mesures prises par la société. Dans ce contexte, la question des dépenses maladie doit elle aussi être traitée. Je ne crois vraiment pas que tout se réduise à la réforme des retraites...
Vous m'avez interrogé, en votre qualité de rapporteur, sur la question de la garde des enfants. Je partage votre avis : l'accueil des enfants est l'un des enjeux centraux de la politique familiale. Il faut y apporter une très grande attention compte tenu de son impact pour les familles et pour les finances publiques. Je rappelle que près de 15 milliards d'euros sont dépensés chaque année au titre des politiques publiques d'accueil du jeune enfant. Nous voyons que des progrès sont faits, ne serait-ce que du point de vue de la simplification et de la facilitation pour les familles. Simplifier devrait toujours être la priorité pour nos citoyens. Ainsi, nous recommandons que le crédit d'impôt pour garde d'enfant bénéficie directement aux familles, en même temps que le CMG. Dans sa réponse, le directeur de l'Acoss nous a confirmé que ce service sera ouvert dans moins de deux ans.
Vous m'interrogez ensuite sur la disposition du PLFSS qui prévoit des mécanismes pour atténuer les effets de seuil des barèmes du CMG. Cette disposition va clairement dans le bon sens : il est souhaitable d'éviter une forme de ségrégation sociale de l'accueil des jeunes enfants.
Je fais cependant deux observations complémentaires. Premièrement, je note que la disposition du PLFSS va plus loin que ce que nous proposions pour les familles monoparentales, en allongeant jusqu'aux 12 ans de l'enfant, au lieu de 6, le bénéfice du CMG et en majorant la prestation pour ces familles. S'il y a une logique forte à cibler les familles monoparentales, cette évolution est, pour le coup, assez large. Deuxièmement, l'ensemble des dispositions prévues par le PLFSS sont coûteuses, avec 600 millions d'euros en année pleine en 2026. Nous regrettons, à cet égard, que les évolutions nécessaires ne soient pas accompagnées d'une réforme concomitante du régime de la PreParE, versée en cas de congé parental, réforme que nous recommandions pour rendre les dispositifs plus cohérents et pour atténuer les coûts.
Enfin, vous m'interrogez sur l'opportunité de réguler davantage le salaire des assistantes maternelles. Je note que le versement du CMG est déjà conditionné au fait que ce salaire soit inférieur à 5 Smic horaires par jour et par enfant, ce qui constitue une première limitation significative, mais, dans le système actuel, le montant du CMG est de plus en plus plafonné de façon différenciée selon les revenus des parents et selon le nombre de leurs enfants. Dans le nouveau système envisagé, l'assistante maternelle pourrait être tentée de se rapprocher davantage du plafond de 5 Smic. Aussi, nous avons préconisé un système de régulation plus ajusté, sans pour autant prendre position sur ses modalités détaillées, qui relèveront de textes réglementaires de l'administration.
Madame Gruny, je répondrai à vos deux premières questions en quatre points.
Premièrement, le projet du Gouvernement montre effectivement une poursuite de la croissance des excédents de la branche AT-MP, qui passerait de 1,3 milliard en 2021 à 3,3 milliards en 2026.
Deuxièmement, il existe des liens financiers entre les branches maladie et AT-MP. Nous savons que certaines dépenses de la première relèvent, en réalité, de la seconde. Cela représentait, en 2021, entre 1,2 et 2,1 milliards d'euros. Un transfert financier compense en partie cette charge indue pour la branche maladie ; il sera porté à 1,2 milliard d'euros en 2023 dans le PLFSS.
Troisièmement, la durée moyenne des arrêts de travail pour AT-MP est très dépendante du secteur d'activité des salariés, ce qui est compréhensible, mais la durée moyenne des arrêts maladie l'est aussi, ce qui est plus surprenant. Il est donc logique d'envisager, comme nous le recommandons, une approche de la gestion du risque commune aux arrêts de travail pour maladie et pour AT-MP.
Quatrièmement, l'évolution des indemnités journalières est extrêmement préoccupante, puisque, hors covid, en dix ans, entre 2012 et 2021, les dépenses liées aux arrêts de travail sont passées de 8,8 à 13 milliards d'euros, soit près de 50 % d'augmentation, contre seulement 30 % pour l'Ondam total. Autant dire que la gestion du risque n'a pas été efficace dans le domaine des arrêts de travail. La priorité serait de prévenir les arrêts longs, qui tirent les dépenses vers le haut, et qui sont les plus pénalisants pour les salariés : ils les éloignent du travail, réduisent leurs chances de reprendre une activité professionnelle et pèsent sur la retraite. Cela s'appelle la prévention de la désinsertion professionnelle.
Voilà l'ensemble des raisons qui ont poussé la Cour à proposer de rassembler dans une même branche de gestion les prestations maladie et AT-MP, proposition qui figure d'ailleurs dans un rapport sur les arrêts de travail établi en 2019 par trois experts à la demande du Premier ministre.
Vous m'interrogez sur notre recommandation de soumettre les établissements médico-sociaux à un taux de cotisation du risque AT-MP qui tienne compte du risque réel de chaque gestionnaire d'établissement. Il faut rappeler que les salariés du secteur médico-social ont trois fois plus de risques d'être victimes d'un accident du travail et d'une maladie professionnelle que les salariés de l'ensemble des secteurs économiques. C'est 30 % de plus que dans les entreprises du BTP (bâtiments et travaux publics), secteur pourtant connu pour sa pénibilité et sa dangerosité. Il faut faire évoluer le système avec progressivité et prudence, pour éviter d'éventuels surcoûts à la charge des résidents. Nous avons, à ce titre, préconisé des investissements.
Monsieur Mouiller, vous vous interrogez également sur le caractère hors norme, révélé par notre enquête, du risque d'arrêt de travail auquel sont exposés les salariés des établissements médico-sociaux. Trois fois plus, c'est considérable et c'est vraiment catastrophique. Cette situation est au coeur du défaut d'attractivité du secteur - ce n'est pas qu'un enjeu de niveau de salaire. Elle doit appeler des mesures vigoureuses sur deux plans : la prévention, qui doit mobiliser les employeurs et les administrations, dont, bien sûr les agences régionales de santé (ARS) ; le recrutement de personnels supplémentaires dans les Ehpad. Il est sans doute inhabituel que la Cour appelle à des recrutements supplémentaires, mais, ce faisant, elle est dans son rôle : lorsqu'elle appelle sans relâche à chercher les marges d'efficience de la dépense publique, c'est aussi pour contribuer au financement des dépenses supplémentaires là où elles sont nécessaires.
Vous avez évoqué le sujet du virage domiciliaire : nos concitoyens souhaitent vieillir chez eux le plus longtemps possible. En janvier dernier, nous avons remis à votre commission une communication sur les services de soins à domicile qui montre l'utilité et la pertinence de ces derniers, mais il faut aussi prendre en compte les risques particuliers auxquels sont exposés les salariés qui interviennent au domicile des personnes âgées ou handicapées, risques liés aux transports, à l'état du domicile de la personne - sur lequel l'employeur n'a pas la capacité d'agir -, au fait que le salarié intervient seul. Il faut agir sur tous ces plans.
Vos deux dernières questions constituent pour moi un point de grande attention. Le contrôle des Ehpad, notamment privés lucratifs, est un enjeu de premier plan, d'abord pour la qualité et la sécurité de nos citoyens âgés, mais aussi pour le bon usage des fonds publics. Nous avons expertisé le projet d'article 32 du PLFSS sur le renforcement du pouvoir des ARS et des conseils départementaux. Cela rejoint les analyses du rapport que nous vous avons soumis. Celui que vous avez rédigé, madame Meunier, avec M. Bonne, est d'excellente qualité et très inspirant en la matière. Ces dispositions sont indispensables.
Je me borne à deux remarques. Premièrement, il faut s'assurer que la rédaction proposée couvre bien tous les montages possibles par lesquels des établissements et services du secteur médico-social sont contrôlés par des personnes tierces, et l'expérience montre que le diable est dans les détails. Par exemple, est-on certain que la rédaction couvre bien le cas où une superposition de structures associatives et privées commerciales dispose du contrôle direct ou indirect ? Deuxièmement, je répète qu'il faut compléter le code des juridictions financières pour garantir à la Cour et aux chambres régionales la possibilité de contrôler la totalité des ressources des établissements gestionnaires et des groupes auxquels ils appartiennent. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, notamment pour tout ce qui résulte des tarifs d'hébergement ou les suppléments pratiqués à l'endroit des usagers.
Les scandales qui ont éclaté montrent à quel point ce secteur doit davantage être contrôlé. À mon sens, l'institution que je préside et les chambres régionales des comptes sont, à l'évidence, les mieux placées et les plus légitimes pour le faire, d'où le travail que je vous propose d'effectuer ensemble pour parvenir à améliorer la législation. Je suis persuadé que nous pouvons parvenir, sur ce point, à un consensus entre le Gouvernement et les deux assemblées. Ce sera un progrès.
Monsieur Vanlerenberghe, en matière de pertinence des soins, plusieurs outils sont à la disposition de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) ou des pouvoirs publics, mais ils sont sous-utilisés : la rémunération au forfait des médecins ; la régulation prix-volume, qui fonctionne plutôt bien pour la biologie médicale ; la prévention, qui est le parent pauvre de la politique de santé ; la maîtrise médicalisée, c'est-à-dire le juste soin dispensé à bon escient au plus juste coût. Il y a là des sources d'économies considérables.
Pour ce qui concerne la fraude, la Cour va revenir dès le Ralfss 2023, qui sera produit en juin prochain, sur le suivi des recommandations sur la fraude aux prestations sociales qu'elle a formulées dans le rapport que vous lui aviez demandé lorsque vous étiez rapporteur général de la commission.
Oui, le travail des seniors est un sujet central. J'ai lu comme vous l'excellente interview que Jean-Hervé Lorenzi a donnée ce matin dans un quotidien bien informé. Le taux d'emploi des seniors est encore en net décalage par rapport à celui des autres pays. C'est un enjeu tout à fait essentiel, même si l'on en parle peu dans la réflexion sur la réforme des retraites. Il est assez complexe pour les entreprises. Agir sur ce dernier ne sera pas une solution magique, mais cela ne doit pas pour autant être esquivé.
M. Milon m'a posé des questions fondamentales sur la durabilité de la protection sociale. Je vais lui faire une réponse de conviction : cette durabilité est possible, à une condition, qui est d'éviter la spirale de la dette, à rebours des pratiques actuelles. La question de la dette est vitale et souvent mal posée. On ne s'interroge que sur le niveau de la dette. Celui-ci est très élevé : il est supérieur à la moyenne de la zone euro et plus élevé que dans la plupart de nos pays compétiteurs. Cependant, il n'y a pas de problème de soutenabilité de notre dette, qui est finançable, la France ayant plutôt une bonne signature et étant accrochée à l'Allemagne.
Le problème de la dette est que, plus elle grossit, plus se renforce le service de la dette, et moins nous aurons la capacité à déployer des dépenses utiles. Je dis à ceux qui rêvent d'une augmentation constante de la dette que cela n'a pas de sens ! La dépense publique doit s'arrêter à un moment donné, parce que trop de dette tue la dépense publique utile. On ne pourra pas investir dans la transition écologique, la transition numérique, l'innovation, la recherche, l'éducation, la justice sociale et la protection sociale si notre dette est trop élevée. Sommes-nous au point de rupture ? Je l'ignore. En tout cas, je pense qu'il faut être au point d'inflexion, raison pour laquelle nous insistons sur le manque de crédibilité des textes qui vous sont soumis.
Nous partageons votre avis sur le caractère inefficient du système partagé entre assurance maladie et complémentaire. Des évolutions évidentes sont nécessaires. Nous avons proposé plusieurs scénarios dans un rapport que nous avons transmis récemment à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.
Madame Meunier, j'ai rendu hommage à votre rapport, que je trouve très utile et tout à fait complémentaire et convergent avec les travaux de la Cour sur le sujet.
À mon sens, il faut une double extension des compétences des juridictions financières : une extension horizontale, pour pouvoir élargir notre pouvoir de contrôle à la section hébergement ; une extension verticale, pour pouvoir contrôler l'ensemble des flux financiers entre les établissements gestionnaires et leur maison mère.
Il faut aussi que nous puissions mener des contrôles plus inopinés qu'aujourd'hui afin de mettre au jour certaines situations. Nous y tenons. Nous avons vraiment envie de nous investir davantage dans ce secteur. En outre, nous pensons que c'est attendu : il y a là une cause nationale fondamentale. Nous sommes à votre disposition pour vous communiquer un projet d'amendement en ce sens et pour travailler ensemble sur une amélioration de sa rédaction, si cela vous paraît nécessaire.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci beaucoup, monsieur le Premier président. Nous aurons l'occasion de nous revoir prochainement, puisque nous attendons un rapport sur Santé publique France d'ici à la fin de l'année.
M. Pierre Moscovici. - Ce rapport est délibéré aujourd'hui.
La réunion est close à 17 h 50.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat