Mercredi 28 septembre 2022
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Compétitivité de la Ferme France – Examen du rapport d’information
Mme Sophie Primas, présidente. – La conférence des présidents a décidé, lors de sa réunion du 30 juin dernier, que, sous réserve de l’évolution du contexte sanitaire, les dispositions de l’article 23 bis du règlement incitant à l’assiduité aux réunions de commissions seraient de nouveau applicables à compter du 1er octobre prochain.
Elle a également décidé le retour, à compter du 1er septembre 2022, au seul présentiel pour les réunions plénières des commissions, des délégations et des instances qui en dépendent, ainsi que pour les groupes interparlementaires d’amitié. Il pourra néanmoins être recouru à la téléconférence pour les réunions des rapporteurs, l’audition de certaines personnalités éloignées de Paris ou encore, de manière exceptionnelle, comme solution de substitution à certains déplacements.
Nous examinons aujourd’hui les conclusions de nos trois rapporteurs sur la mission d’information Compétitivité de la Ferme France. Nous allons parler concrètement de cinq produits consommés tous les jours par les Français : le blé, la pomme, la tomate, le lait de vache et le poulet. Nos rapporteurs ont en effet souhaité étudier ces exemples, en les décortiquant pour mieux comprendre le décrochage de l’agriculture française et interroger particulièrement les enjeux de compétitivité. Leur démarche a consisté à partir du quotidien de nos agriculteurs et industries agroalimentaires, mais aussi des pratiques de consommation des Français. Il en résulte un rapport d’enquête décapant qui, j’en suis sûre, animera nos débats.
Je félicite vivement nos rapporteurs : leur travail de terrain s’appuie sur plusieurs déplacements visant notamment à s’inspirer des bonnes pratiques de nos voisins et sur une concertation avec les professionnels. Les trois sénateurs, issus de bords politiques différents, n’ont cessé de rechercher le consensus au nom de l’intérêt général. C’est, pour moi, une bonne illustration de la méthode sénatoriale.
M. Laurent Duplomb, rapporteur. – Le temps nous est compté et nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. Il y a trois ans, dans le cadre du groupe d’étude Agriculture et alimentation que je préside, nous présentions un rapport d’information intitulé La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore ? L’alerte générale lancée par le Sénat en 2019 a été entendue et la souveraineté alimentaire est à la mode. Toutefois, le Gouvernement n’a pas encore pris la mesure de ce qui est en cours.
À l’heure où le commerce international de produits agroalimentaires n’a jamais été aussi dynamique, la France est l’un des seuls grands pays agricoles dont les parts de marché reculent : nous étions le deuxième exportateur mondial en 2000, nous ne sommes plus que le sixième. Nos parts de marché à l’international sont passées de 11 % en 1990 à moins de 5 % en 2021. Et encore, nous devons cette place principalement au secteur viticole, non pas en raison d’une hausse des volumes, mais d’une hausse des prix.
En parallèle, nos importations alimentaires explosent. De fournisseur, la France devient cliente, notamment de ses voisins européens. Son excédent commercial est fragile. Au total, il est passé de 12 milliards d’euros en 2011 à 8 milliards d’euros en 2021. Hors vins, nous sommes en déficit. Dans le même temps, la production stagne alors que la demande est forte : les rendements s’érodent, les productions sont de moins en moins nombreuses et la surface agricole utile recule.
Cette dépendance est très inquiétante, alors que les effets de la crise covid-19 ont rappelé l’importance de notre souveraineté et que l’arme agricole redevient géostratégique. Elle ne fait malheureusement que s’aggraver.
De ces mois d’enquête, nous tirons un constat simple : toutes les filières étudiées décrochent, car elles ne sont plus compétitives. Selon les professionnels, les chercheurs et les organismes de réflexion rencontrés, 70 % des pertes de marché de ces dernières années s’expliquent uniquement par un manque de compétitivité.
Quels sont les boulets aux pieds de nos agriculteurs ? Quatre facteurs ont été identifiés : le premier est la hausse des charges des producteurs, en raison des coûts de main-d’œuvre, de surtranspositions trop nombreuses et d’une fiscalité trop lourde ; le deuxième est une productivité en berne, due au manque d’investissement – principalement dans l’agroalimentaire, où sévit une guerre des prix dévastatrice et où la productivité a même reculé de façon continue de 1995 à 2015 – et à un effet taille d’exploitation, la Ferme France ayant choisi un modèle familial éloigné des pratiques de ses concurrents directs en Europe ; le troisième facteur est la faible défense par l’État dans les accords de libre-échange ; enfin, le quatrième facteur est le climat politico-médiatique, qui fustige un modèle agricole pourtant le plus vertueux du monde.
Depuis 2017, le Gouvernement entend résoudre le problème de compétitivité par la stratégie du « tout montée en gamme ». C’était le sens du discours de Rungis de 2018, dans lequel le Président de la République assumait promouvoir une montée en gamme pour tous, quitte à abandonner des productions non compétitives.
Cela s’est traduit par une hausse des charges, par le recentrage de la production sur le marché intérieur et par une politique en faveur des accords de libre-échange, le Gouvernement considérant que la montée en gamme pour tous préserverait les filières agricoles françaises qui gagneraient même des accords à l’export, quitte à perdre définitivement le cœur de gamme, où l’agriculture française n’avait plus vocation à figurer.
Cette politique n’a rien changé et le déclin de notre agriculture se poursuit. On me dira que, depuis 2020, une prise de conscience a eu lieu sur la souveraineté. Pourtant, la même politique continue d’être appliquée, à bas bruit. J’en veux pour preuve la circulaire publiée la semaine dernière par la Première ministre, qui fixe trois priorités au ministre de l’agriculture : souveraineté alimentaire, renouvellement des générations en agriculture et accès à une alimentation de qualité. La compétitivité ne figure pas parmi ces objectifs. On parle d’alimentation de qualité comme si le cœur de gamme produit en France, dont l’agriculture est la plus durable du monde, était d’une qualité insuffisante.
Par ce rapport, nous entendons démontrer, exemples et chiffres à l’appui, que par cette politique de montée en gamme à marche forcée, l’État fait fausse route. Au bout du compte, l’État fait courir deux risques à la France agricole : d’abord celui d’une déconnexion totale avec les attentes des consommateurs, touchés par une crise du pouvoir d’achat qui s’aggrave de jour en jour. Or qui dit montée en gamme dit hausse des prix des denrées françaises. Est-il dès lors tenable d’accélérer cette montée en gamme ? Le risque majeur serait de réserver la consommation de produits français à ceux qui peuvent se le permettre, tout en condamnant les plus modestes à ne s’alimenter qu’avec des produits importés. La situation de surproduction que connaissent les producteurs bio depuis deux ans le démontre : le pouvoir d’achat des consommateurs est limité. De nombreux producteurs ont d’ailleurs choisi la déconversion, faute de débouchés pourtant promis par l’État.
Le deuxième risque est une crise majeure de souveraineté alimentaire, car la montée en gamme favorise les importations et réduit le potentiel productif en volume, en sapant les rendements et en se spécialisant sur des niches.
Notre rapport entend conjurer ces deux risques. Notre volonté est de nous assurer que l’agriculture française suive sa vocation, la seule qui compte : nourrir les Français.
M. Pierre Louault, rapporteur. – Dans le domaine végétal, nous avons étudié les cas du blé, de la pomme et de la tomate. Ces filières en sont à trois stades différents d’une même tendance au manque de compétitivité.
La France est le quatrième exportateur mondial de blé. Elle produit 35 millions de tonnes par an, dont 15 millions à 20 millions sont exportées, pour un excédent commercial de plus de 6,5 milliards d’euros. Jusqu’ici, les handicaps français, en premier lieu la taille des exploitations – quatorze fois plus grandes en Australie, neuf fois en Russie ou en Ukraine, cinq fois aux États-Unis ou au Canada – étaient compensés par la grande diffusion des céréales sur le territoire, un coût du foncier maîtrisé, de solides performances techniques, les aides de la politique agricole commune (PAC) ou encore un système logistique avantageux bénéficiant d’une forte diffusion des silos à grains.
Or la France céréalière est en train de perdre ces atouts. Sans compter les surtranspositions, les charges explosent : le coût des intrants a par exemple augmenté de 50 % depuis la fin des années 1990, alors que les quantités vendues ont chuté de 50 %. La France investit moins dans la recherche que ses concurrents, d’où, sans doute, la stagnation des rendements. Les aides PAC sont moins orientées vers les filières céréalières et, surtout, les avantages logistiques disparaissent : nos ports sont en crise, nous sommes trop dépendants du routier à l’heure où les prix du pétrole explosent et les silos français, très vieillissants et peu adaptés au changement climatique, nécessiteraient des investissements colossaux.
Les professionnels craignent que l’absence de croissance ne soit le début d’une décroissance. C’est le cas de la meunerie, qui a voulu, à la fin des années 1990, préserver son marché intérieur plus rémunérateur en montant en gamme, quitte à réduire les exportations. Les exportations de farine ont alors baissé massivement, passant de 2 millions de tonnes en 1995 à moins de 160 000 tonnes aujourd’hui, mais, en parallèle, la production a diminué de 20 % et les importations ont augmenté, notamment depuis l’Allemagne sur des farines MDD ou distribuées en hard discount ou dans les industries agroalimentaires. En matière de biscuits et pâtisseries de conservation, nous accusons un déficit de près de 500 millions d’euros, soit un doublement en vingt ans.
Le deuxième secteur ayant suscité notre intérêt est celui de la pomme française. Cette filière d’excellence tournée historiquement vers l’export, a connu trois ruptures ces dernières années : une division par deux de sa production depuis 1990, tombée à 1,3 million de tonnes de pommes de table et 200 000 tonnes de pommes à cidre, sous l’effet conjugué d’une baisse des rendements et d’un recul des facteurs de production ; une division par deux de ses volumes exportés – de 700 000 tonnes en 2013 à 340 000 tonnes en 2021 – dans un marché mondial pourtant en croissance ; une augmentation des volumes importés, surtout dans l’industrie agroalimentaire de transformation, où une pomme utilisée en entreprise sur trois est importée.
De l’aveu de tous, la filière pomme connaît depuis des années une crise de compétitivité. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le prix moyen de la pomme française est de 1,18 dollar au kilogramme, soit un coût supérieur de 15 centimes à celui des pommes italiennes et de 66 centimes à celui des pommes polonaises. La marque France ne compense pas ce surcoût.
À la source de ce déficit de compétitivité, on trouve un coût de la main-d’œuvre trop élevé par rapport à nos concurrents et qu’une bonne productivité ne parvient pas à compenser. Les professionnels ont également cité des surtranspositions trop nombreuses en matière de règles pratiques agricoles, d’attribution d’aides ou au niveau des intrants. Songeons que les agriculteurs polonais peuvent utiliser 454 substances quand les Français ne peuvent en utiliser que 309.
Pour sortir de l’ornière, l’État a encouragé les producteurs à monter en gamme, posant deux difficultés. D’une part, des problèmes d’écoulement en raison d’un marché saturé : 38 % des pommes bio sont ainsi aujourd’hui redirigées vers le marché conventionnel, à la seule charge du producteur. D’autre part, une fragilisation de l’aval industriel, habitué à valoriser des pommes ne pouvant se retrouver sur les étals des marchés. Or, avec des producteurs tirant leur valorisation d’une limitation de ces « écarts de tri », les industriels sont confrontés à des risques de pénurie et à des coûts d’approvisionnement justifiant un recours accru aux importations. C’est tout un équilibre de filière qui est menacé. Là encore, la montée en gamme s’est traduite par un recul des exportations, de la production, et par une valorisation des importations sur le marché cœur de gamme – essentiellement celui des produits transformés à base de pommes comme les compotes.
Enfin, la situation de la tomate est plus préoccupante encore. Depuis l’accord euro-méditerranéen de 1996 de l’Union européenne avec le Maroc dit « tomates contre blé », la filière est en crise : la production française de tomates fraîches se situe depuis 1990 sur un plateau à 600 000 tonnes dans un marché en explosion, tandis que la tomate d’industrie connaît un recul massif, de 370 000 tonnes en 1999 à peine 150 000 tonnes actuellement.
Cette situation a conduit à une progressive dépendance aux importations de tomates fraîches. La France est aujourd’hui le troisième importateur mondial de tomates, à hauteur de 300 000 tonnes si l’on exclut les réexportations. 36 % des tomates fraîches consommées sont importées. Concernant la tomate transformée, le taux de dépendance atteint 85 %.
Là encore, les écarts de compétitivité expliquent cette dépendance. Les professionnels notent un coût horaire de la main-d’œuvre française supérieur à celui de tous ses voisins européens et même dix-sept fois supérieur à celui du Maroc, une hausse du coût des intrants et des coûts de l’énergie et, encore et toujours, des surtranspositions, par exemple en matière de politique de l’eau, où chaque projet est d’une étonnante complexité.
Le bio offre un autre exemple de surtransposition. Les professionnels ont interdiction de commercialiser leur production en label bio, même si elle l’est effectivement, entre le 21 décembre et le 20 avril, alors que l’essentiel de la création de valeur se fait entre mars et avril. Cette décision franco-française laisse aux tomates espagnoles bio un monopole temporaire à la meilleure période.
Là encore, le comblement de ce déficit de compétitivité devait passer par une montée en gamme. Mais c’est une course perdue d’avance. C’est ce que nous avons appelé l’effet « tomate cerise ». Pour tenter de contrer la concurrence marocaine, les producteurs français, encouragés par les pouvoirs publics, se sont tournés vers la production de tomates cerises, quitte à réduire la production de tomates rondes, leur cœur de gamme. Dans le même temps, les importations marocaines de tomates cerises sont passées de 300 tonnes en 1995 à 70 000 tonnes. Les Français ont donc perdu sur les deux tableaux. Ils ciblent désormais le segment des tomates anciennes, entraînant, pour la première fois de l’histoire récente de la filière, une baisse de production en raison de la baisse du rendement. Surtout, ils se positionnent sur un segment relativement cher au kilogramme en grande surface, incitant les consommateurs les plus modestes à n’acquérir que des tomates rondes importées.
M. Laurent Duplomb, rapporteur. – Il faut bien comprendre que l’accord franco-marocain de 1996 s’est traduit par une perte de nos capacités de production pour la quasi-totalité de nos tomates, désormais concurrencées par les tomates marocaines, mais aussi par la chute de nos exportations de blé à destination du Maroc.
M. Serge Mérillou, rappporteur. – Du côté de l’élevage, nous avons analysé les filières lait et poulet. Si tout semble les opposer, elles sont en réalité, elles aussi, confrontées à des difficultés communes de compétitivité.
Le modèle de la filière lait de vache – modèle familial employant directement 68 000 salariés, reposant sur 54 000 petites exploitations disséminées sur le territoire et offrant une grande diversité de productions, de grande consommation ou industrielles – peut être qualifié de « miraculeux ». Nos 3,4 millions de vaches laitières produisent environ 24 milliards de litres de lait chaque année, faisant de notre pays le deuxième producteur européen, derrière l’Allemagne. La production est tournée d’une part vers un marché intérieur très demandeur et d’autre part vers l’exportation à hauteur de 42 %. FranceAgriMer estime même que la France, dont l’excédent commercial était de 3,5 milliards d’euros en 2021, est le pays le plus compétitif du monde à l’export.
Le problème vient du fait que selon nous, la France doit sa compétitivité au seul fait que les éleveurs acceptent de compenser leurs handicaps concurrentiels par une baisse de revenu. De 2007 à 2017, le revenu des producteurs de lait a légèrement baissé, en opposition frontale à la dynamique observée chez nos voisins. Cet état de fait, bien connu dans nos campagnes, pose la question du renouvellement générationnel. Le nombre de chefs d’exploitations est en chute libre : il a été divisé par cinq en quarante ans, quand le cheptel a perdu 400 000 têtes en seulement quinze ans et devrait en perdre encore autant d’ici à 2030. Il en résulte une érosion de notre potentiel productif très importante et très inquiétante quant à notre souveraineté.
Par ailleurs, alors que, entre 2015 et 2021, la production européenne augmentait de 6 %, la production française déclinait de 2 %, faisant de la France le seul pays européen à ne pas avoir su tirer parti de la fin des quotas. Hormis la Bretagne et la Normandie, qui augmentent légèrement leurs volumes, toutes les autres régions françaises ont vu leur production décliner. Tout se passe comme si l’absence de politique de compétitivité conduisait les producteurs à être contraints de réduire leur revenu pour maintenir leurs parts de marché sur tous les segments.
J’en viens maintenant au poulet. Alors que le poulet devenait la viande la plus consommée au monde, la production française n’a augmenté que très légèrement, sans accompagner le doublement de la demande interne. En conséquence, le volume des importations a explosé et, chiffre à retenir, 50 % de notre consommation de poulet est aujourd’hui issue de l’importation. Parallèlement, les exportations françaises ont été divisées par deux depuis 1998, d’où un déficit commercial de 665 millions d’euros en 2021.
La production française se distingue par une forte présence du poulet label, qui plafonne à 20 % de la consommation. Cette spécialisation dans des poulets entiers au poids plus faible que la moyenne a certes trouvé son public, mais elle détourne les producteurs du marché le plus en croissance, celui du poulet à la découpe. Sur ce marché, notamment là où le critère prix est essentiel, en restauration hors foyer ou dans les plats transformés, la France a décroché.
Cette défaite du made in France sur le marché de masse s’explique essentiellement par un manque de politique de compétitivité. Au terme du processus de production, le poulet français est plus cher que celui de ses concurrents, tout en étant 20 % plus petit. Cela s’explique par des coûts de main-d’œuvre plus élevés au stade de l’abattage et par des charges fixes plus élevées en raison d’élevages plus petits : la capacité moyenne en France est plus de deux fois inférieure à la moyenne européenne ou à celle de la Belgique, quatre fois inférieure à celle de l’Allemagne, cinq fois inférieure à la moyenne hollandaise et britannique et vingt fois inférieure à celle de l’Ukraine.
De ces cinq histoires, nous retenons un message : l’absence de politique de compétitivité en matière agricole est une erreur stratégique. Ne nous méprenons pas : nous ne remettons nullement en cause les stratégies ciblées de montée en gamme qui sont rémunératrices. De même, nous n’incriminons aucune filière, aucun acteur agricole ni aucun mode de production : la France agricole est riche d’une diversité qui doit être conservée, car elle est source d’enrichissements mutuels. Nous remettons toutefois en cause le choix de l’État : la montée en gamme pensée comme une solution globale applicable à tous les problèmes de compétitivité de notre agriculture n’est pas une bonne stratégie. Je pense surtout aux risques qu’elle fait peser sur les familles les plus modestes, condamnées à terme à ne consommer que des produits importés plus accessibles, pendant que d’autres pourront se permettre de manger français.
La solution unique du « tout montée en gamme » aboutit à trois effets néfastes. Le premier est l’effet « emmental » qu’a connu la filière lait, quand l’absence de politique de compétitivité affaiblit le revenu des agriculteurs et mite toute la filière, aboutissant à la décapitalisation du cheptel et au non-remplacement des départs à la retraite. Pour tenter d’y échapper, l’État a misé sur une montée en gamme centrée sur le marché intérieur, avec pour conséquence – l’exemple des filières farine et pommes l’a montré – un renversement de situation : les exportations chutent, tandis que sur le marché cœur de gamme, les importations explosent. À la fin, les producteurs ont perdu sur les deux tableaux. C’est ce que nous avons appelé l’effet « tarte Tatin », ou quand l’État raisonne à l’envers.
D’effet « emmental » en effet « tarte Tatin », les producteurs tombent, au terme du processus de montée en gamme intégrale, dans l’effet « repas du dimanche », quand les productions françaises sont, compte tenu de leur prix, réservées à une consommation occasionnelle et que les importations sont privilégiées pour la consommation de tous les jours, comme on le voit dans le cas du poulet et de la tomate.
Particulièrement en ces temps de crise du pouvoir d’achat, mener une politique de compétitivité est un impératif. Il reste néanmoins possible de monter en gamme et de mieux segmenter les filières, tout en accompagnant les agriculteurs.
M. Laurent Duplomb, rapporteur. – Au terme de cette enquête, nous considérons que la priorité doit aller à un « choc de compétitivité » autour de cinq axes.
Premier axe, nous appelons le ministre à mettre en place un grand plan « Compétitivité 2028 » en matière agricole. Nous prônons la nomination d’un « haut commissaire » à la compétitivité dont les attributions seraient claires et le pouvoir suffisant pour garantir le suivi du plan, notamment en matière de surtranspositions.
Deuxième axe, il est essentiel de maîtriser des charges de production afin de regagner de la compétitivité-prix. Cela se déclinerait en cinq priorités.
La première serait de faire de l’administration un partenaire et non un frein à la compétitivité. Il s’agirait de donner corps, par des mécanismes juridiques innovants, au principe « Stop aux surtranspositions ». Le Conseil d’État serait chargé d’identifier les surtranspositions dans ses avis consultatifs et, à la demande du haut-commissaire, le Gouvernement aurait pour mission d’en communiquer le chiffrage. Le Parlement et les professionnels seraient ainsi clairement informés et décideraient en toute connaissance de cause. Pour certaines surtranspositions non législatives notamment, le haut-commissaire pourrait alerter, voire enjoindre le Gouvernement à corriger le tir. Nous proposons également de garantir une prise en compte des effets de bord liés à l’absence d’alternatives dans le cadre, par exemple, de l’interdiction d’une substance active, par le biais d’une analyse « bénéfices-risques environnementaux et sanitaires » en matière agricole. Les missions de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) seraient modifiées afin de ne plus seulement mesurer le risque, mais aussi le bénéfice.
La deuxième priorité en matière de compétitivité-prix vise à réduire le coût de la main-d’œuvre sans détériorer l’attractivité salariale de la filière. Nous proposons de réduire les charges sociales sur les travaux saisonniers agricoles, en pérennisant le dispositif dit « TO-DE », en l’étendant à certains secteurs, par exemple à la collecte en zone de montagne et en sortant les entreprises agroalimentaires saisonnières de l’application du bonus-malus sur les contrats courts. Nous recommandons en outre d’activer tous les leviers pour résoudre les problèmes d’embauche du secteur, en tournant davantage l’enseignement agricole vers les métiers de l’agroalimentaire, en réformant la politique d’accueil des travailleurs saisonniers étrangers, en renforçant le fléchage des Français en recherche d’emploi vers les métiers de l’agriculture et de l’agroalimentaire par l’incitation et, dans le cadre de la réforme du conditionnement du versement du revenu de solidarité active proposée par le Gouvernement, en considérant ces emplois comme des métiers d’intérêt général et, enfin, en dopant les investissements en mécanisation par un suramortissement ou un crédit d’impôt.
La troisième priorité est de préférer l’usage de la carotte plutôt que du bâton pour accélérer les transitions environnementales, en faisant notamment le bilan des mesures pénalisantes prises ces dernières années et, le cas échéant, en corriger les effets de bord.
La quatrième priorité revient à ne pas saper, par excès de zèle, nos atouts en termes de compétitivité-prix dans les prochains dossiers législatifs. Cela passe par la préservation de notre compétitivité sur le foncier dans la loi d’orientation agricole ou, à plus court terme, par la mise en œuvre rapide d’un plan de résilience de l’agriculture et de l’agroalimentaire face à la crise énergétique.
La cinquième priorité en matière de maîtrise des charges serait de faire du levier fiscal un atout, en préservant l’avantage fiscal sur le gazole non routier agricole et en baissant les taxes de production.
M. Pierre Louault, rapporteur. – Troisième axe, il faut faire de la Ferme France un leader en matière d’innovation environnementale. Nous proposons ainsi d’augmenter les crédits des plans d’investissement portant sur l’innovation agricole, de prolonger le volet « troisième révolution agricole » du plan France 2030, de promouvoir la recherche sur les new breeding techniques et de réformer la recherche agricole pour la mettre au service des besoins techniques des agriculteurs. Sur ce point, nous proposons d’augmenter les moyens dédiés à la recherche technique, en redéfinissant les missions de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) ou, à défaut, en réorientant certains de ses crédits vers la recherche de solutions techniques utiles aux agriculteurs. Il est également indispensable de préserver les budgets des instituts techniques payés par les agriculteurs au travers du compte d’affectation spéciale développement agricole et rural (Casdar) et de renforcer la coopération entre l’Inrae et ces instituts.
Nous pourrions par ailleurs doper l’investissement agricole par un crédit d’impôt ou un suramortissement fiscal adapté. Aussi, nous proposons de reprendre une idée figurant dans la proposition de loi de notre ancien collègue Jean-Claude Lenoir, à savoir la création d’un livret Agri, sur le modèle du livret développement durable et solidaire ou du livret A, afin de faciliter l’emprunt du secteur agricole et agroalimentaire dans un contexte de remontée des taux.
Pour être compétitif, il faut être plus résilient. C’est pourquoi nous appelons le Gouvernement à appliquer pleinement et entièrement la loi sur l’assurance récolte, tout en s’engageant dans une réforme internationale de la moyenne olympique. Il faut, en parallèle, favoriser un investissement massif dans les moyens techniques de lutte contre les aléas, par exemple en mettant le paquet sur le développement du stockage de l’eau, en levant les freins actuels, financiers ou contentieux.
Quatrième axe, il faut reconquérir les marchés perdus et conquérir les marchés d’avenir. Cela passe d’abord par un changement de paradigme : quitter les visions décroissantes au niveau européen et demander à amender la stratégie européenne « de la Ferme à la fourchette », en tenant compte de la dégradation du contexte international et européen et des nécessités de maintien d’une autonomie alimentaire compatible avec nos objectifs environnementaux. C’est ce que proposait le rapport de notre commission sur la souveraineté de la France.
M. Serge Mérillou, rapporteur. – La reconquête des marchés perdus passe également par la révision globale de la politique d’accompagnement à l’exportation de la France dans les domaines agricole et agroalimentaire.
En s’inspirant par exemple du modèle italien, il nous semble essentiel de retravailler l’idée de « marque France » et de s’appuyer davantage sur l’image de la gastronomie française. Quand vous mangez une pizza aux États-Unis, elle est cuisinée avec de la mozzarella italienne. En revanche, quand vous voulez y manger du pain, il n’est pas pétri avec de la farine française. C’est sur ce point que nous devons progresser.
Nous fixons comme objectif la reconquête de l’assiette des Français, en approfondissant la transparence en matière d’affichage de l’origine des denrées composant les produits ou en augmentant les contrôles sur les affichages trompeurs et sur la traçabilité des produits importés. Nous proposons d’intensifier la priorité donnée aux approvisionnements en produits locaux et nationaux dans la restauration collective, en poussant une réforme européenne du droit de la commande publique, pour que les choses soient enfin claires.
Cinquième axe de nos recommandations, il faut protéger l’agriculture française de la concurrence déloyale, car nous aurons beau être plus compétitifs, nous devons aussi et surtout nous défendre. Cela remet complètement en cause l’engrenage politique voulu par le Gouvernement consistant à multiplier les accords de libre-échange bilatéraux où, à chaque fois, l’agriculture est la variable d’ajustement. Après le Ceta, même pas ratifié par le Parlement, le Mercosur, qui n’est bien sûr pas enterré, et désormais l’accord avec l’Océanie, nos filières refusent qu’on exige d’elles des efforts de montée en gamme quand on favorise l’entrée en masse de produits ne respectant pas nos normes. C’est pourquoi nous proposons la promotion de clauses miroirs dans tous les accords. Des clauses juridiques non contrôlées ne servent toutefois à rien : nous devons démultiplier les contrôles des denrées alimentaires importées. Enfin, nous prônons une actualisation des outils déjà en vigueur de protection aux importations, comme les valeurs forfaitaires à l’importation, notamment pour la tomate.
M. Jean-Marc Boyer. – Ce rapport est très éclairant. Vous avez dit à deux reprises que l’agriculture française était la plus vertueuse au monde. Or on entend souvent divers organismes ou associations se fonder sur des éléments scientifiques pour tenter de démontrer le contraire. Quels sont les éléments factuels et objectifs qui justifient votre affirmation ?
M. Franck Menonville. – Ce rapport confirme le constat partagé de l’érosion de notre compétitivité. Quelles sont vos préconisations pour remédier aux véritables impasses techniques et technologiques dans lesquelles se trouvent certaines filières ?
Par ailleurs, vous avez évoqué les accords internationaux de libre-échange. Peut-être pourrions-nous inscrire dans le rapport l’obligation, avant leur ratification, de ratification par le Parlement et y entrevoir la capacité du Parlement à exercer un contrôle et une évaluation de ces accords dans le temps.
M. Franck Montaugé. – Ce travail à la fois suggestif et alarmant pose en réalité des questions structurelles.
J’aimerais connaître la part que représente la main-d’œuvre dans les prix de marché. Comment la compétitivité est-elle calculée ? Avez-vous pu décomposer la valeur ajoutée ? Qu’en est-il, en outre, du coût des surtranspositions ?
Sur la question du positionnement en bas de gamme et moyen de gamme, le rapport ne préconise pas de développer des politiques d’aide alimentaire spécifiques en direction des populations qui, effectivement, n’ont d’autre choix que de s’orienter, faute de moyens, vers des produits d’importation. Aux États-Unis, par exemple, l’aide alimentaire est un vecteur extrêmement puissant pour l’agriculture américaine, dont je ne partage pas par ailleurs le modèle. Il y a là une piste à creuser que nous pourrions proposer au Gouvernement. L’aide alimentaire en France est très réduite ; elle n’est pas à la hauteur des enjeux.
En réalité, je crois comprendre que nous sommes confrontés à un choix de modèle agricole avec, d’un côté, des exploitations familiales et, de l’autre, une agriculture sociétaire faite d’investisseurs, de financiers et finalement d’exécutants. Peut-être un modèle intermédiaire, le modèle coopératif bien compris, nous permettrait-il de préserver ce qui peut l’être. Voyez-vous le problème en ces termes ?
Enfin, vous avez rappelé la nécessité d’apporter des réponses en matière d’utilisation des ressources en eau. Sur cette question, on néglige toujours le curage et la restitution des capacités initiales de stockage de notre appareil hydraulique.
Concernant les assurances, je considère que la moyenne olympique est une affaire relevant de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Que vient faire le gouvernement français sur ce sujet ? J’entends dire que les Espagnols s’affranchissent de cette règle. Si cela devait être vrai, cela poserait question.
Pour terminer, je me réjouis que vous proposiez un nouveau haut commissaire. Je ne doute pas que son action sera très efficace.
Mme Sophie Primas, présidente. – J’y vois une légère ironie !
M. Henri Cabanel. – Vous mettez en cause la surtransposition. En caricaturant, devrions-nous autoriser certains produits phytosanitaires au prétexte qu’ils ne sont pas interdits dans d’autres pays européens ? Votre rapport n’évoque pas assez, à mon sens, la problématique de la santé alimentaire.
Vous évoquez par ailleurs le coût de la main-d’œuvre. Il est certes inférieur au Maroc, mais comparons ce qui est comparable ! Voulons-nous que les salariés français vivent comme les salariés marocains ? On parle de « charges », mais cela inclut, pour rappel, l’assurance maladie, la retraite, etc. Il s’agit pour la France d’un atout énorme que d’autres n’ont pas.
Vous opposez ensuite les exploitations familiales aux grandes exploitations d’autres pays. Faut-il pour autant revenir à l’agriculture intensive ?
Si je partage un certain nombre des recommandations du rapport, je rejoins l’interrogation de M. Montaugé : quel modèle agricole souhaitons-nous pour demain ? Au vu du contexte géopolitique et du changement climatique à l’œuvre, les choses vont évoluer selon moi à l’échelle planétaire. Les modèles d’agricultures compétitives vantés aujourd’hui seront-ils les modèles de demain ?
En matière d’emploi, vos recommandations visant à revaloriser les métiers au travers des lycées agricoles ne me semblent pas de nature à attirer de nouveaux salariés. Le nœud du problème se situe au niveau du revenu agricole et de notre capacité à installer des jeunes.
Concernant l’assurance, je suis très heureux qu’on ait pu mettre en place ce système d’indemnisation, mais je doute qu’il permette d’atteindre une agriculture résiliente. Nous devons nous pencher effectivement sur la question de la moyenne olympique.
Sur la question de l’eau, il faudra en effet permettre à l’agriculture de recueillir l’eau qui tombe en abondance et qui, pour les trois quarts, va à la mer. Nous sommes, dans nos régions, habitués aux épisodes cévenols : il peut ne pas pleuvoir du tout pendant tout un été et tomber 300 millimètres en deux heures. Or sur ces 300 millimètres, le sol ne profite que de 20 millimètres environ. Il y a là une réflexion à mener, de même que sur la structuration des sols, si nous voulons lutter contre la sécheresse. En la matière, nous manquons encore de solutions.
Bien que « décoiffant », ce rapport a le mérite d’ouvrir le débat.
M. Joël Labbé. – Je voudrais tout d’abord saluer le travail de fond réalisé par les rapporteurs. Ceux-ci, d’une manière assumée, défendent un modèle agricole, sur lequel vous connaissez mon point de vue. On se doit de reconnaître qu’il existe et assure une part importante de l’alimentation. Mais s’il est une agriculture durable et vertueuse, tout le monde l’admet, c’est l’agriculture biologique. Il y aurait tout de même une analyse à mener sur ce sujet, au moment où un jeune sur deux aspire à devenir un exploitant agricole « bio », où 19 % des agriculteurs travaillent dans ce secteur pour 10 % des surfaces agricoles françaises. Or l’agriculture biologique souffre d’un manque d’aides, ce qui explique d’ailleurs le coût des produits qui en sont issus. Hier, j’ai assisté à Rennes à un colloque sur un sujet essentiel, la protection des eaux via les périmètres de captage ; sur ces périmètres, au moins, on doit pratiquer une agriculture durable et vertueuse.
N’opposons pas les systèmes ! Prenons-les tous en compte ! Donnons les moyens au secteur émergent de l’agriculture biologique : il n’y a pas de raison d’aider les uns plus que les autres !
M. Patrick Chauvet. – Ce rapport est, certes, décoiffant, mais il est factuel et décrit parfaitement la réalité actuelle de l’agriculture française. À ce sujet, je voudrais faire un parallèle avec le secteur de l’énergie : nous pourrions reproduire la même erreur stratégique que nous avons faite dans ce secteur !
La France, avec sa diversité de produits, est un merveilleux pays pour l’alimentation. Mais la question alimentaire dépasse de loin notre pays et, au regard des perspectives démographiques mondiales, deviendra de plus en plus prégnante dans les années à venir, le réchauffement climatique et le faible potentiel agronomique de certains pays risquant d’entraîner des flux migratoires importants.
Parmi les sujets à creuser se trouve la question de la simplification. Un travail complémentaire me semble pouvoir être réalisé concernant les démarches d’accompagnement des agriculteurs. Prenons l’exemple d’un jeune accueilli dans un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) dans le secteur laitier. L’entreprise de collecte laitière lui propose de produire 300 000 litres de lait pour essayer de maintenir le cap. Cette proposition lui fait dépasser l’effectif de 150 vaches laitières de 12 vaches, ce qui engendre un nouveau processus administratif de déclaration et de contrôle. Deux fois sur trois, lorsqu’un jeune dans ce cas envisage la possibilité d’arrêter la production laitière, on se rend compte qu’il y gagne. Il faut mettre un terme à cette « compliquite » !
M. Bernard Buis. – Ce rapport est effectivement décoiffant. Le secteur agricole est en déclin, subissant une forte perte d’emplois depuis 1975. Néanmoins, j’ai tendance à voir le verre à moitié plein : le déclin très fort que nous connaissons depuis les années 2000 semble enrayé et la situation française se redresse.
Les rapporteurs ont écarté un peu rapidement le « bio », qui peut, selon moi, faire partie des réponses. La France est le leader européen de production biologique, devant l’Espagne. Aujourd’hui, il faut jouer cette carte, comme le recommande la Cour des comptes dans un rapport de juin 2022. Cela manque dans le présent rapport, qui m’apparaît plutôt à charge.
M. Olivier Rietmann. – Je ne trouve ce rapport ni choquant ni décapant. Il met en exergue la réalité, à savoir que notre agriculture se trouve dans une situation catastrophique. Le seul modèle agricole qui vaille est celui qui permet, tout en produisant les produits les plus sains possible, d’alimenter l’ensemble de la population, d’offrir aux agriculteurs les moyens de vivre de leur activité et d’exporter les productions. Ce qui se passe, c’est que nous avons oublié la notion de business, de commerce, de vente – certes, un produit doit être sain, mais il doit aussi intéresser les clients et être abordable –, et nous avons été les seuls à le faire. Pendant ce temps, nos voisins ont continué à évoluer, sans jamais omettre ces notions. Nous nous retrouvons de ce fait avec une agriculture particulièrement vertueuse, pourvoyeuse de produits-modèles, certes, mais inaccessibles à toute une partie de notre population et n’intéressant pas les autres pays. La question n’est donc pas d’opposer deux modèles, ce qui nous ferait courir à la catastrophe ; il s’agit de provoquer un choc réel, de changer nos priorités. Sans cela, la chute sera rapide et vertigineuse. Je caricature, mais nous en sommes là ; il n’y a qu’à voir l’état de notre cheptel bovin !
La situation est critique. Notre agriculture ne remplit plus ses fonctions, ne nourrissant ni la population ni les agriculteurs. Ce rapport propose des mesures de bon sens. Encore faut-il de la volonté politique !
M. Jean-Jacques Michau. – Je souhaiterais juste une précision sur vos préconisations en matière de type d’exploitations agricoles. En début de présentation du rapport, vous avez indiqué que la petite taille des exploitations était un frein ; plus loin, vous avez loué l’intérêt des exploitations familiales. Qu’en est-il précisément ?
M. Daniel Gremillet. – Je félicite nos trois rapporteurs. La photographie qu’ils nous offrent est un peu différente de ce que l’on avait imaginé. La similitude est complète entre le dossier énergétique et celui-ci. Si je fais ce parallèle, c’est pour souligner qu’il faudra du temps pour corriger le tir !
Dans l’échec de la stratégie de montée en gamme, il faut aussi mentionner les conséquences en matière d’impact carbone. Si celui-ci est limité pour une production saisonnière, il peut être très élevé pour une production collectée tous les deux jours, comme le lait. En scindant les collectes, entre lait « bio », lait sous label et autre lait, c’est plus de camions mis sur les routes !
Territoires et agriculture sont mariés. Il faut redonner à notre administration française un rôle de « bâtisseur des territoires ». D’ailleurs, il est incroyable de parler de malbouffe en France ! Pas un produit mis à disposition des consommateurs n’enfreint les règles sanitaires de notre pays ! Il ne faut pas faire de confusion entre qualité et conditions de production...
Je suis très inquiet sur l’avenir de l’élevage. On ne mesure pas les conséquences des décapitalisations, notamment en lien avec les territoires.
Par ailleurs, avez-vous pu établir comment l’Allemagne avait pu aussi rapidement nous détrôner sur un certain nombre de marchés ? Mon constat en tant qu’élu, c’est que la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), en donnant une partie des financements aux collectivités régionales, a abouti à des politiques d’accompagnement très différentes d’une région à une autre. Mais surtout, dans le cadre de la politique de modernisation de l’agriculture, quand les länder allemands étaient au taux maximal autorisé par Bruxelles, soit 40 % des investissements, nous étions, nous, limités à 90 000 euros !
Merci, encore une fois, pour cette photographie, dont l’intensité risque de s’accroître avec la situation inflationniste que nous connaissons. J’insiste sur le fait que l’agriculture française doit être capable de nourrir notre population les jours de fête, mais aussi au quotidien et dans le respect de la diversité de cette population !
Mme Martine Berthet. – Ce rapport, très intéressant, met en avant plusieurs de nos faiblesses, faiblesses que nous avons nous-mêmes créées à force de vouloir laver « plus blanc que blanc ». Sur un sujet qui me préoccupe, la perte en cheptel, accentuée, cette année, par la sécheresse, le rapport mentionne, dans sa recommandation n° 14, la problématique du stockage d’eau. Que faudrait-il faire en plus ?
S’agissant du « bio », on constate, au-delà des prix de ces produits, que le consommateur préfère aussi acheter local. Il a ainsi une vision précise des conséquences de son acte : limitation du transport, impact sur les paysages ou l’emploi local, etc.
Mme Anne-Catherine Loisier. – Je mesure toute l’importance du travail de nos rapporteurs. Il suffit d’avoir pris part à quelques comices agricoles cet été pour savoir que la situation est catastrophique et que les éleveurs sont dans une détresse immense. Les seuls qui s’en sortent à peu près sont ceux qui ont mis en place une méthanisation et l’ont intégrée complètement dans leur système d’exploitation. Le facteur énergétique est donc essentiel pour la pérennité des exploitations.
S’agissant des perspectives d’avenir, je m’inquiète de l’évolution des fameuses clauses miroirs, tout autant que de la taxation aux frontières. J’ai récemment entendu que les États-Unis seraient en mesure d’éviter le projet européen d’imposition de droits de douane, en raison de la similitude de leur objectif climatique avec l’Union européenne. Avez-vous exploré ces questions ? Qu’en pensez-vous ?
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. – Les Italiens font une promotion très poussée de leurs produits à l’étranger. Ils ont notamment créé le made in Italy. N’est-ce pas toute la politique de positionnement de nos produits agricoles à l’étranger qu’il faudrait repenser et revoir ?
M. Daniel Salmon. – Merci aux rapporteurs pour ce travail, qui présente un certain état des lieux de la production agricole française et de la compétitivité de ce secteur. Il me semble que cette notion de compétitivité est abordée avec une focale trop réduite et que d’autres sujets doivent être pris en compte, comme la durabilité des modèles, le réchauffement climatique, l’érosion de la biodiversité, la santé publique ou l’épuisement des ressources. Si nous en sommes là, aujourd’hui, c’est du fait des modèles qui ont été développés pendant des années !
Le cinquième axe me semble pertinent, puisque nous faisons face aujourd’hui à une concurrence déloyale, permise par des traités de libre-échange qui nous ont mis à nu devant des pays ne se préoccupant absolument pas de l’écosystème terrestre. Par conséquent, il va falloir protéger notre agriculture, mais également se poser la question du juste prix des denrées alimentaires, dont la part dans le budget des ménages n’a cessé de baisser. On parle des gens qui ne peuvent pas se payer du « bio » ; parlons de la paupérisation de la population ! La question est bien de savoir pourquoi la population dans son ensemble ne peut pas se payer une alimentation de qualité, étant précisé qu’il y a tout de même des liens scientifiquement prouvés entre certains problèmes de santé publique et la malbouffe.
Quel modèle durable souhaitons-nous ? Voulons-nous une agriculture familiale et paysanne, ou autre chose ? Pouvons-nous lever un certain nombre de barrières pour revenir à une sorte d’âge d’or où l’on pouvait s’affranchir de certaines préoccupations environnementales ? Cela me semble problématique !
M. Claude Malhuret. – Je voudrais à mon tour remercier les auteurs de ce rapport, même s’ils risquent de me faire passer une mauvaise journée avec leurs conclusions préoccupantes. S’agissant du troisième axe 3, nous retrouvons les difficultés, affectant aussi d’autres domaines en France, pour passer de la recherche à l’innovation et de l’innovation à la production. Vous évoquez notamment le sujet des new breeding techniques, les NBT. Est-ce un sujet anecdotique ou une véritable révolution ? Vous semblez craindre une interdiction de principe dans ce domaine. Pouvez-vous faire un point sur l’avancée du débat au niveau européen ? Allons-nous une fois de plus être les dindons de la farce, en constatant que le reste du monde utilise ces innovations inventées en Europe, tandis que nous les aurons interdites ?
M. Sebastien Pla. – Je remercie à mon tour les rapporteurs de l’important travail réalisé. Je regrette simplement que tous les secteurs agricoles n’aient pas été abordés. Je pense notamment à celui de la viticulture, qui m’intéresse tout particulièrement. Malgré ses 15 milliards d’euros d’excédents sur la balance commerciale, celui-ci subit de plein fouet certaines crises et perd des marchés. Il n’est pas dans une situation plus simple que les autres secteurs agricoles et demande à être protégé.
Un choix a été fait dans le rapport : celui de promouvoir un modèle plutôt que l’autre, l’agriculture intensive plutôt que la biologique. Les deux doivent cohabiter, les deux doivent faire l’objet d’un travail fin et poussé. Elles cohabitent dans le secteur viticole et c’est la raison pour laquelle celui-ci fonctionne.
S’agissant enfin de la gestion de la ressource en eau, il ne faudrait pas que, demain, on ait un choix cornélien à faire entre une agriculture vivrière et une agriculture de loisirs. L’eau va manquer. Il va falloir faire des choix !
Ce rapport présente une photographie : c’est très bien ! Mais celle-ci est peu reluisante et les solutions mises sur la table ne sont pas à la hauteur.
M. Laurent Duplomb, rapporteur. – Les questions qui nous ont été soumises sont importantes et couvrent un champ très vaste. Je vous propose de développer six points pour tenter d’y répondre, mes collègues rapporteurs apporteront les compléments nécessaires.
Premier point, nous sommes empêtrés dans nos paradoxes et nos certitudes. Notre rapport ne met pas plus en avant un modèle qu’un autre. Il est factuel. Nous avons tenté de démontrer que nous sommes à la croisée des chemins, si nous voulons garantir une certaine durabilité à notre production agricole. Nous avons empilé tant d’éléments, parfois contradictoires, que le système ne tient plus. Nous n’en sommes plus aujourd’hui à nous interroger sur la qualité de l’alimentation. La réalité est que nous ne produisons plus et importons des produits ne répondant pas au niveau de qualité que nous imposons à notre agriculture.
Deuxième point, nous n’avions pas le temps et les moyens de traiter toutes les productions agricoles dans ce rapport. Nous nous sommes donc concentrés sur cinq productions, directement liées à la consommation quotidienne des Français. Qui ne consomme pas de pomme, de tomate, de poulet, de produit laitier ou de pain ?
Troisième point, le volume de nos exportations de pommes a été divisé par deux en dix ans, passant de 700 000 tonnes à 340 000 tonnes. Parallèlement, le volume d’importation a doublé, de 100 000 tonnes à 200 000 tonnes. Quelle en est la cause ? Le coût de la pomme est constitué à 60 % de coûts de main-d’œuvre. Les pommes italiennes se vendent 15 centimes de moins que les pommes françaises à l’export, notamment parce que les Italiens sont restés sur un système où ils font appel à toute la famille pour la récolte. Mais c’est la Pologne, avec un différentiel encore plus grand, qui s’est emparée de nos parts de marché. Nous nous concentrons donc sur le marché intérieur, ce qui nous ramène à la problématique de la montée en gamme. Nous nous ajoutons des contraintes supplémentaires : quand 450 molécules sont autorisées en Europe, il n’y en a que 300 qui le sont en France et, quand nos voisins polonais disposeront de solutions alternatives après l’interdiction du spirotétramate pour lutter contre le puceron cendré, nos producteurs de pommes ne pourront que bâcher les arbres, ce qui nécessitera l’emploi d’une main-d’œuvre dont le coût est plus élevé qu’ailleurs.
L’exemple de la pomme est parlant : nos enfants n’ont jamais mangé autant de compote et, comme, avec la montée en gamme, nous n’avons plus d’écart de tri et de pommes moches, nous fabriquons nos compotes avec des pommes polonaises ! Il en va de même pour les tomates : pratiquement toutes celles que nous retrouvons dans nos pizzas sont importées de Chine en bidon de 200 litres de coulis !
Quatrième point, avant ce rapport, je ne m’étais jamais rendu compte avec autant de force de la simplicité de notre problème. Installé comme agriculteur depuis 1995, j’ai bénéficié du progrès mécanique et technique jusqu’en 2005, ce qui a sérieusement amélioré mes conditions physiques de travail. Mais, depuis cette période, la pénibilité physique du travail de l’agriculteur a été remplacée par une pénibilité morale et psychologique, et ce sont les exploitations familiales qui subissent simultanément toutes les complications. L’éleveur laitier est payé 5 euros de l’heure et ses efforts permettent à la filière laitière française de rester la plus compétitive au monde : il faut arrêter de lui faire exploser le cerveau, de l’empêcher, en plus, de dormir la nuit pour des questions de cheptel dépassé de 12 vaches ! Savez-vous, mes chers collègues, qu’avec la prochaine réforme de la PAC, un agriculteur sera tenu d’aller lui-même photographier avec son téléphone portable tel endroit précis qu’on lui aura indiqué de sa parcelle pour justifier de ce qu’il y a planté et de ses techniques culturales ? Qui peut accepter cela ? Le patron d’une grosse exploitation agricole pourra toujours demander à l’un de ses employés d’aller prendre la fameuse photo, mais quid des exploitations familiales ? En restera-t-il encore avec de telles contraintes ?
Cinquième point, nous créons trop d’aberrations. Le coût d’investissement pour un silo de stockage de céréales passe de 400 ou 450 euros à la tonne à 1 000 euros si l’on souhaite ne pas employer d’insectide. Dans ce cas, il faut également climatiser le grain, ce qui multiplie par six les coûts de fonctionnement. En outre, de par les contraintes que nous nous imposons en surtransposant les réglementations, nous nous retrouvons avec du blé dont la valeur nutritive est inférieure à la norme mondiale, rendant nos productions inexportables.
Sixième point, nous ne nous faisons pas assez les ambassadeurs de la qualité de nos productions. Nous sommes si empêtrés dans nos paradoxes que nous finissons par tenir un discours tuant nos propres avantages. Se pose-t-on la question de la qualité de l’eau lorsqu’il est question du rejet d’antibiotiques dans le milieu environnemental ? Non ! Car, en examinant le bénéfice-risque, nous estimons qu’il faut privilégier les soins apportés aux patients.
Avec de telles contraintes, avec de tels messages négatifs, ne nous étonnons pas de manger de plus en plus de produits importés ! Si, un jour, comme ce fut le cas pour les masques, nous ne trouvons plus aucun produit dans nos étals, je ne pense pas que nous pourrons nous regarder dans une glace et nous dire que, tout ce que nous avons fait, nous l’avons bien fait !
M. Serge Mérillou, rapporteur. – Ce rapport m’a ouvert les yeux sur une injustice sociale : près de 80 % de nos concitoyens sont contraints de se replier sur une alimentation importée, faute d’accès à une alimentation saine, de qualité et de production française. L’agriculture française est ainsi confrontée à un enjeu essentiel : comment produire une alimentation saine en rémunérant correctement ses producteurs ? Je ne suis pas sûr que le rapport réponde à la question.
Personne ne trouve à redire à cette première injustice sociale. On se résigne à faire ses courses chez Lidl ou dans des supermarchés où l’on trouve à tour de bras des denrées alimentaires produites à l’étranger, la plupart du temps sans respecter quelque norme que ce soit. À cet égard, la proposition de Franck Montaugé me semble intéressante. Comment des familles qui gagnent 1 200 euros ou 1 400 euros par mois peuvent-elles accéder à une alimentation de qualité ? Nous devons y réfléchir.
Par ailleurs, personne n’est choqué, quand on fait venir des tomates de Chine ou des pommes de Pologne, par l’empreinte carbone des importations. Cela m’interpelle, d’autant que l’emploi en France s’en trouve pénalisé.
Concernant la question de l’eau, il n’y aura pas de production agricole si nous sommes dans l’incapacité d’arroser les plantes. Le rendement, mais aussi la qualité du produit en dépendent. Dans notre pays tempéré, des quantités d’eau très importantes tombent du ciel et nous éprouvons de grandes difficultés à les stocker, parce que nous sommes enfermés dans un dogme. À côté de cela, nous acceptons d’acheter des fraises de Huelva, qui sont produites avec de l’eau, dans des conditions écologiques et sociales catastrophiques. Or cela ne choque personne. Nous devons réfléchir au stockage de l’eau en hiver. Faute de quoi, nous devrons accepter de renoncer à un certain nombre de productions dans notre pays.
M. Pierre Louault, rapporteur. – Laurent Duplomb a parfaitement décrit le processus qui nous emmène à la catastrophe. La « malbouffe » est un problème non pas d’origine des aliments, mais uniquement d’éducation alimentaire. On ne sait plus faire la cuisine ; on ne mange plus de légumes ; on mange trop gras.
Nous sommes en train de détruire l’agriculture la plus performante. Prenons l’exemple de l’élevage en zone de montagne ou en zone défavorisée. Parce que les vaches ruminent et produisent du carbone, on donne la priorité aux élevages industriels d’Europe du Nord, qui produisent à partir de céréales tout en émettant également du carbone, mais sans aucune contrepartie. Pourtant, les zones défavorisées absorbent plus de carbone qu’elles n’en produisent. Nous sommes en train de détruire ce système.
Autre exemple : celui de la pomme. On a rajouté cette année des surréglementations pour protéger les pollinisateurs. Une de mes connaissances, producteur bio, s’est fait « attraper » par la police de l’environnement : il était parti traiter sa parcelle le matin de bonne heure comme on le préconise, mais le vent s’est levé avant qu’il n’ait pu vider sa citerne. Menacé d’une amende de 50 000 euros, il m’a confié ne plus savoir que faire.
Un autre producteur a dû jeter 30 % de ses fruits après avoir rencontré des problèmes de ressources en eau. « Si je ne prends pas ma ressource, m’a-t-il dit, j’arrête. J’ai cent ruches en permanence dans mon verger et on me dit que je fais crever les abeilles ».
Les agriculteurs ont du bon sens. Ils savent les jours où le traitement des cultures est possible. On a tellement légiféré que même eux sont condamnés à mourir. Le législateur et les lobbies n’y connaissent rien. Nous sommes en train d’assécher volontairement les rivières et de détruire tous les barrages. Dans mon département pourtant, toutes les zones humides sont liées à des barrages ou des étangs créés par les moines ! Nous marchons sur la tête. Nous avons l’exemple de l’Allemagne et de son gaz et nous reproduisons la même erreur avec notre agriculture.
Je ne pourrai pas répondre à toutes les questions. Notre rapport n’est pas complet. Nous nous sommes volontairement limités à cinq produits pour traiter le sujet en profondeur, mais le problème se pose pour tous les modèles agricoles. On nous dit qu’il ne faut plus exporter. Que va-t-on faire dès lors de l’Afrique ? La donner à Poutine et aux autres pour qu’ils se nourrissent ? Nous avons perdu, déjà, cette capacité à nourrir ceux qui souffrent de la famine. Qu’il y ait un problème de surpopulation dans le monde, nous sommes d’accord, mais on ne peut inventer tout et son contraire.
Mme Sophie Primas, présidente. – Ce débat passionne, car il touche à ce qui fait l’essence de notre pays et de notre territoire. Il touche aussi au quotidien des Français, auxquels nous sommes tous attachés, et à la notion même de vie qu’apporte la nourriture. Il y a peu de secteurs d’activité qui, comme l’agriculture et l’énergie – Sully aurait dit les deux mamelles de la souveraineté –, soient autant au fondement de notre société et de notre identité nationale.
Au vu des six mois de travail de nos rapporteurs et administrateurs, je dirai à ceux qui pensent que le prisme était trop réduit qu’ils font erreur. Nous avons choisi des produits emblématiques de la consommation du quotidien pour trouver des recommandations applicables à l’ensemble des filières agricoles.
Peut-être ne l’avons-nous pas suffisamment dit dans notre présentation liminaire : ce rapport n’est pas à charge. Il dit simplement que la politique du « tout haut de gamme » qui a été menée depuis plusieurs années par les gouvernements successifs n’est pas la seule solution. L’agriculture a bien entendu pour vocation de monter en gamme et de répondre à ce marché. Le rapport dit simplement que nous nous sommes trop focalisés collectivement sur cette solution, oubliant l’essentiel du marché en volume.
Contrairement à ce que j’ai pu entendre, ce rapport n’appelle pas non plus la fin du bio et de l’exigence environnementale. Il ne remet pas en cause notre modèle de ferme et d’agriculture basé sur de nombreuses petites exploitations.
Avec certains collègues, nous nous sommes rendus cet été aux États-Unis. Nous avons vu les conditions de production maraîchère en Californie. Ce n’est pas le modèle que nous souhaitons ! Le modèle français, avec son agriculture familiale, ses cheptels et ses exploitations de petite taille, est loin d’être le pire. C’est précisément pour le protéger que nous voulons travailler sur la compétitivité. L’observation des rapporteurs selon laquelle la main-d’œuvre coûte moins cher au Maroc ne signifie pas non plus que nous voulons importer ce système dans notre pays. Nous désirons, aussi, protéger le statut des agriculteurs et des salariés agricoles en France.
Il s’agit donc, pour nous, de travailler sur la compétitivité dans le but de protéger l’agriculture française. « Compétitivité » n’est pas un gros mot : c’est ce qui sauvera le modèle français tel que nous souhaitons le voir perdurer.
Je remercie à nouveau les rapporteurs et soumets leur rapport à votre vote.
Les recommandations sont adoptées.
La commission adopte le rapport d’information et en autorise la publication.
La réunion est close à 11 h 45.