Mercredi 14 septembre 2022
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Audition de M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF
M. Jean-François Longeot, président. - Avant que ne commence cette audition, je vous rappelle, mes chers collègues, que, désormais, conformément à l'article 23 bis de notre règlement, toutes les réunions se déroulent en présentiel, à compter du 1er octobre prochain.
Monsieur Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF, c'est avec plaisir que nous vous accueillons ce matin. Depuis votre nomination à la tête du groupe, voilà près de trois ans, d'abord en tant que président du directoire de la SNCF, puis en qualité de président-directeur général, nous sommes particulièrement attachés à vous recevoir annuellement pour faire le point sur les nombreux enjeux auquel est confronté le groupe public unifié.
Tout d'abord, et vous n'en serez pas surpris, je souhaiterais vous interroger sur le nouveau contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau, signé en avril dernier. Je dois dire que nous avons été particulièrement mécontents, à la fois sur la forme, puisque nous avons appris sa signature par voie de presse, et sur le fond : nous avions à plusieurs occasions, avec les principaux acteurs du secteur, à commencer par le régulateur, fait part de nos nombreuses réserves sur ce projet. Or, en dépit des différentes consultations et des nombreuses suggestions d'évolution, nous avons été au regret de constater que le document final n'avait quasiment pas évolué par rapport au projet soumis à consultation. Il y a de quoi s'interroger sur l'intérêt porté à ces consultations...
Nous sommes d'autant plus inquiets compte tenu de l'inflation galopante qui est susceptible de réduire encore davantage le niveau, voire le périmètre, de régénération du réseau, que nous avions déjà estimé insuffisant.
Je suis conscient que je m'adresse non pas au président-directeur général de SNCF Réseau, le gestionnaire d'infrastructure qui est partie prenante à ce contrat, mais à celui de la SNCF. C'est pourquoi ma question est la suivante : dans ce contexte, et avec des moyens aussi contraints, vous semble-t-il toujours possible d'atteindre nos objectifs ambitieux de développement du mode ferroviaire ? Pour rappel, la loi Climat et résilience fixe comme objectif de doubler la part modale du fret ferroviaire et d'augmenter de 17 % d'ici à 2030 et de 42 % d'ici à 2050 celle du transport ferroviaire de voyageurs.
Je crois avoir une idée de votre réponse, puisque vous avez récemment estimé le besoin à 100 milliards d'euros sur quinze ans. D'après vous, quels sont les leviers pour parvenir à cet objectif ?
En complément, et plus particulièrement sur le volet « voyageurs », pouvez-vous nous indiquer quelles sont les mesures envisagées par la SNCF en matière de politique commerciale et tarifaire pour encourager l'usage du train plutôt que celui de la voiture ou de l'avion et ainsi réduire les émissions de gaz à effet de serre liées aux transports, qui restent le premier secteur émetteur ?
En l'état actuel des choses, et malgré un été « record », les prix élevés des billets peuvent parfois décourager de choisir le train plutôt qu'un autre mode de transport.
En second lieu, notre commission souhaiterait vous entendre sur le déroulement de l'ouverture à la concurrence du transport conventionné et des services librement organisés. Cette évolution affecte toutes les entités composant le groupe public unifié, notamment SNCF Réseau, qui se doit d'être indépendant, et SNCF Voyageurs, qui est confrontée à l'arrivée de nouveaux entrants, ainsi que la politique salariale du groupe. Aussi, pourriez-vous faire un point d'étape, puisqu'il est trop tôt pour en faire le bilan, sur ces premières années d'ouverture à la concurrence ?
Enfin, je souhaiterais rappeler que l'ouverture à la concurrence n'est pas le seul grand bouleversement à l'oeuvre ces dernières années. À cette mutation se sont ajoutés non seulement l'impact de la crise sanitaire sur le transport ferroviaire, mais aussi d'autres difficultés. Je souhaiterais en évoquer deux devant vous.
Tout d'abord, la période estivale a été marquée par des pics de très forte chaleur qui ont eu des répercussions importantes sur l'état du réseau, donc sur la circulation des trains. On revient ici au premier point que j'évoquais : le contrat de performance. Plus globalement, ces événements posent la question de l'adaptation au changement climatique de notre réseau ferroviaire. Pourriez-vous revenir sur ces épisodes et sur les mesures mises en oeuvre par le groupe pour y faire face, mais aussi pour s'y préparer en amont ?
Ensuite, en lien direct avec la question de l'inflation que je mentionnais à l'instant et dans le contexte actuel de crise de l'énergie, la SNCF, qui est une très grande consommatrice d'électricité, pourrait potentiellement être confrontée à des épisodes de pénurie d'électricité. Comment se prépare-t-elle à faire face à cette situation ?
M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF. - Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'accueillir ce matin. Il est précieux et indispensable de pouvoir échanger au moins une fois par an avec la représentation nationale et avec les représentants des territoires que vous êtes.
Au-delà de SNCF Réseau, de SNCF Voyageurs et de Fret SNCF, qui oeuvrent dans leurs domaines respectifs, je suis, en tant que président de l'ensemble, garant, devant les Français et leurs représentants, du bon fonctionnement du système ferroviaire français aujourd'hui et demain, en intégrant à la fois l'ambition politique que portent les pouvoirs publics pour le réseau ferroviaire français et le facteur coût, qui doit être le plus raisonnable.
L'actualité a été riche au cours de ces trois années passées à la tête de la SNCF. Nous avons vécu plusieurs crises : une crise sociale au moment de la réforme des retraites - je ne ferai pas de parallèle avec ce qui pourrait se passer dans les prochains mois -, une crise sanitaire, le transport ferroviaire ayant été très affecté par les phases successives de confinement et de déconfinement et par la nécessité de protéger la santé de nos voyageurs et de nos personnels, une crise économique naissante consécutive à la guerre en Ukraine - inflation, hausse du prix de l'énergie et des matières premières, difficultés d'approvisionnement en certains matériaux nécessaires notamment pour nos travaux ou notre matériel roulant. De cette nouvelle crise, on ne connaît ni la dynamique, ni l'intensité, ni la durée.
Cette période coïncide avec la mise en oeuvre de la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire créant ce nouvel ensemble constitué de sociétés anonymes et plus d'établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC), ce qui n'est pas complètement neutre au regard des demandes qui nous sont faites, puisque nous sommes désormais des mandataires sociaux, responsables en particulier de notre dette.
Nous nous réjouissons que l'État ait repris 35 milliards d'euros de dette, mais la contrepartie a été un retour à l'équilibre auquel nous sommes en train de parvenir, malgré les difficultés rencontrées.
Cette période a aussi été marquée par la fin du recrutement sous statut, ce qui n'est pas complètement neutre, et par une clarification des règles d'ouverture à la concurrence, à la fois dans les régions et en Île-de-France, avec Île-de-France Mobilités, mais aussi dans les services librement organisés.
Ces transformations importantes ne nous ont pas empêchés de maintenir un dialogue social correct, ce qui est en soi un progrès par rapport à la période précédente. D'ailleurs, à part la grève survenue au moment de la réforme des retraites, qui n'était pas spécifique à la SNCF, aucun mouvement d'ampleur n'a eu lieu depuis presque trois ans. Le dialogue social progresse, même si tout reste fragile.
De la SNCF, on connaît bien l'activité ferroviaire ; on sait moins que le groupe réalise la moitié de son chiffre d'affaires grâce à Geodis, opérateur de fret entièrement public et l'un des grands champions mondiaux de la logistique, et à Keolis, grande entreprise de transport urbain - métro, tramway, bus, car -, qui réalise elle aussi la moitié de son chiffre d'affaires à l'international - citons Doha, Dubaï, Melbourne et Boston.
Le chiffre d'affaires annuel du groupe SNCF est de 40 milliards d'euros, soit l'équivalent de celui d'un groupe qui serait formé par la fusion de Veolia et de Suez ; ce sont 220 000 collaborateurs, dont 150 000 cheminots.
La loi nous fait obligation de parvenir à un équilibre économique global en 2022. Ce sera le cas, sauf catastrophe - nous sommes même en avance.
Quand on devient président d'une entreprise, il faut rapidement fixer un cap. C'est une prise de risque, surtout dans un monde aussi mouvant. Pour ma part, j'ai souhaité orienter mon action autour de quatre axes forts.
Premier axe : que la SNCF se tourne davantage vers les territoires et apprenne à mieux travailler avec les collectivités locales - régions, départements, métropoles, villes.
Deuxième axe : l'environnement. Voilà déjà trois ans, il me paraissait évident que la SNCF devait se positionner comme un acteur majeur de la transition écologique dans notre pays.
Troisième axe : l'humain. J'y tiens d'abord à titre personnel : 150 000 cheminots qu'il faut accompagner dans un contexte d'ouverture à la concurrence, ce qui peut constituer un choc pour eux. Sans compter les problèmes liés aux conditions de travail, de pouvoir d'achat, etc. Il en est de même pour les clients : nous devons veiller à notre politique tarifaire, à la qualité du service rendu, etc.
Quatrième axe : l'innovation. La SNCF est une entreprise innovante, qui croit au progrès technique, aux apports de la technologie pour améliorer les services et penser le ferroviaire de demain.
On pourrait ajouter un dernier point : la question énergétique, qui a fait irruption dans le débat public. On sait désormais que l'énergie est rare et chère, et l'on se demande même si l'on pourra se chauffer suffisamment cet hiver ! Cela change en profondeur les perspectives économiques. En particulier, quelles seront les conséquences sur les comptes de l'entreprise et sur les tarifs appliqués aux usagers ? J'y reviendrai.
En dépit de ces menaces qui pèsent sur nous, nous n'avons pas le choix : il ne faut surtout pas renoncer au monde de demain. Et l'enjeu principal de demain, c'est la transition écologique : que fait-on pour laisser à nos enfants et à nos petits-enfants une planète vivable ? Les dangers sont réels : inondations, sécheresse, fortes chaleurs, incendies, etc. Le réchauffement climatique modifie les conditions de vie sur notre planète. Ne pas agir maintenant, même si les effets de nos actions ne sont pas immédiats, c'est prendre une lourde responsabilité vis-à-vis des générations futures.
En tant qu'entreprise ferroviaire, notre objectif à cet égard est le « fois deux » : deux fois plus de marchandises sur les rails et deux fois plus de voyageurs dans les trains, au détriment de la route, qui assure 85 % des déplacements de voyageurs et à peu près autant du transport de marchandises. Notre ambition, c'est de prendre dix points à la route en plus des dix points que nous avons déjà pris. Pour autant, il faudra s'attaquer au « verdissement » de la route, mais ce n'est pas mon sujet... Pour les voitures, c'est en cours, mais pour les camions, c'est très compliqué.
Comment parvenir à cet objectif du « fois deux » ? À ce jour, le réseau n'est pas en capacité d'absorber une telle hausse du trafic. D'ailleurs, si l'on ne fait rien, il va même dépérir. C'est là un héritage du passé : en résumé, le TGV a absorbé une grande part de la substance économique de la SNCF, qui, par conséquent, n'a pas assez investi sur le réseau ferroviaire classique. Certains, qui le savaient, ont feint de l'ignorer, avant que nous ne soyons rattrapés par la réalité.
Nous sommes ravis de l'existence du contrat de performance, mais, à l'évidence, les 2,8 milliards d'euros qui sont prévus pour une rénovation et une modernisation substantielle du réseau - sur les fonds propres de SNCF Réseau - ne suffiront pas. Sachez que notre réseau est bien plus ancien qu'en Suisse et qu'en Allemagne ! Le contrat de performance ne permettra pas de pallier cette situation. Il faut donc débloquer plus de moyens financiers non seulement pour contenir le vieillissement du réseau, mais encore pour en revenir à un état satisfaisant.
C'est essentiel pour la fiabilité des infrastructures et pour éviter les pannes. Pourquoi a-t-on dû réduire cet été la vitesse des trains circulant vers Pau ? Sur les nouvelles lignes, la tension est de 25 000 volts, contre 1 500 volts sur les lignes plus anciennes, dont les caténaires, qui ont parfois plus de soixante ans, chauffent beaucoup. De fait, si l'on ne réduisait pas la vitesse des trains, elles casseraient. C'est pourquoi nous préférons allonger les temps de parcours plutôt que de risquer un incident qui interromprait totalement le trafic. D'ailleurs, aucune caténaire n'a connu d'incident majeur cet été dans le Sud-Ouest. Cela illustre la vétusté du réseau : avec des caténaires neuves, il ne serait pas nécessaire de réduire la vitesse de circulation des trains.
Par ailleurs, un réseau trop vétuste peut, à la longue, ne pas présenter toutes les garanties en termes de sécurité, même si nous prenons toutes les précautions, quitte à supprimer des trains.
Il y a un autre domaine dans lequel nous prenons du retard par rapport à nos voisins européens : le digital. La Belgique et la Suisse en sont équipées, l'Allemagne et l'Italie sont en passe de s'équiper. Jusqu'à présent, nous étions en première division et disposions de l'un des meilleurs réseaux d'Europe et du monde ; si nous ne faisons pas les sauts technologiques nécessaires, nous risquons de passer en seconde !
Le rêve de tout ingénieur, c'est la maintenance prédictive, qui consiste à placer des capteurs sur le matériel roulant, sur les voies, etc. pour repérer les anomalies et intervenir avant que ne survienne la panne. Le « zéro panne » est donc possible, mais à condition de digitaliser l'ensemble du réseau. Si tel était le cas, la régularité des trains passerait de 92 % - taux actuel - à 95 %, 96 % ou 97 %. Il n'y a pas de mystère : seule la technologie permettra ces progrès. Mon homologue suisse - le réseau de ce pays est très bien équipé - a dit publiquement qu'il était admiratif du niveau de performance du réseau français au regard de son niveau d'équipement !
Nous sommes en train de devenir le mauvais élève de l'Europe. L'Europe du ferroviaire se construit avec un système de signalisation unique, l'ERTMS (European Rail Traffic Management System), pour permettre facilement la circulation des trains d'un pays à l'autre. Faute de moyens, nous prenons beaucoup de retard. La consultation d'une carte m'a récemment beaucoup marqué : l'état d'équipement en ERTMS du réseau européen en 2040. Deux points blancs apparaissent : la Lituanie et la France. Cela signifie que nous sommes en train de devenir le mauvais élève de l'Europe. Imaginez qu'un train arrivant des Pays-Bas ou de Belgique et à destination de l'Espagne ou de l'Italie ne puisse pas traverser la France ! Ce serait quand même dommage, à l'heure où l'on parle de développement du ferroviaire à l'échelle européenne !
J'en viens à la question du service. Pour que les voyageurs et les clients fret viennent au train, il faut leur offrir du service. Cela passe par trois voies.
Premièrement, les réseaux express métropolitains, pour éviter la congestion des villes par les voitures, qui explique d'ailleurs en partie le phénomène des « gilets jaunes », ces gens étant obligés de prendre leur voiture chaque matin pour rejoindre leur travail, affrontant les bouchons et la fatigue, sans parler de l'argent que cela leur coûte, des zones à faibles émissions et des difficultés à se garer. Ils n'ont pas d'autre choix. L'alternative, c'est donc le réseau express métropolitain : si l'on fait circuler environ toutes les quinze minutes un train entre les villes situées dans un rayon de vingt à quarante kilomètres d'une métropole régionale et celle-ci, je suis convaincu que les gens prendront le train pour la rejoindre, quitte à garer leur véhicule sur le parking de la gare de départ. Ils y gagneront en temps et en argent - d'autant que les salariés bénéficient de la participation de leur employeur. C'est une mesure de pouvoir d'achat, c'est une mesure d'aménagement du territoire, c'est une mesure écologique, c'est une mesure énergétique.
Chaque projet coûte environ 1 milliard d'euros, et je suis convaincu que les régions et les métropoles seront intéressées à la chose.
S'agissant du fret, il y a ceux qui y croient, comme moi, et ceux qui n'y croient plus, et je puis les comprendre, tant l'histoire du fret est complexe. Il n'est pas possible que le transport de marchandises soit assuré par la route seule, d'autant qu'il ne faut pas croire aux sirènes du camion à l'hydrogène. Le chemin est encore long.
Transporter par train une tonne de marchandises émet environ dix fois moins de CO2 que la transporter par camion et nécessite six fois moins d'énergie, grâce à l'absence de frottement.
Pourquoi cela va-t-il marcher alors que cela ne marche pas depuis trente ans ? L'année dernière, nous avons repris 3 points de parts de marché pour la première fois depuis trente voire quarante ans. Pourquoi ? Parce que les entreprises veulent satisfaire à leur obligation de réduire leurs émissions Scope 3. Pour « verdir » leurs approvisionnements, elles pensent tout naturellement au train. Le problème, c'est que nous sommes bridés par les infrastructures. Cela implique d'investir au minimum 2 à 3 milliards d'euros sur les triages, les infrastructures d'évitement ou d'accès aux ports. Il est incroyable que, en 2022, les ports du Havre ou de Marseille ne soient pas desservis de manière satisfaisante par voie ferrée. Car ce n'est pas tout d'accueillir les containers ; encore faut-il les évacuer.
Mais cela ne suffit pas encore... En effet, comme on le voit avec le relèvement à 46 tonnes du poids total roulant autorisé (PTRA), le transport routier n'en finit pas de présenter des avantages compétitifs par rapport au train. Il faut donc opérer un rééquilibrage de la situation concurrentielle, soit en appliquant le principe du pollueur-payeur, soit en soutenant le train, soit en associant ces deux actions. Il est nécessaire d'accompagner l'effort d'infrastructure d'un rééquilibrage équitable entre les modes de transport : dans les pays qui l'ont fait, cela marche ! Là encore, faisons du benchmark européen : en Europe, les bons élèves - Autriche, Suisse, Allemagne, Pays-Bas - ont une part de ferroviaire de 25 % à plus de 30 %, quand la nôtre est à 9 %. Tout est donc possible, à condition de faire ce qu'il faut.
Troisième sujet : les lignes à grande vitesse (LGV). Je suis conscient que de tels projets sont coûteux, mais ils sont aussi de formidables accélérateurs de produit intérieur brut (PIB). Dans tous les territoires qui en ont bénéficié - Alsace, Bretagne, Nord -, la dynamique économique a explosé ; c'est une loi générale. Lille, qui était en plein déclin, a été sauvée grâce au train à grande vitesse. L'effet TGV est évident, et c'est pourquoi les territoires le veulent. Il ne faut donc pas renoncer à compléter l'équipement de notre pays en LGV.
J'ai fait un petit calcul : la plus-value foncière de l'agglomération de Marseille s'élève à environ 30 %, ce qui équivaut à la moitié du coût d'investissement de la ligne nouvelle Lyon-Marseille. C'est considérable, même si cela ne bénéficie pas au transport : on n'a pas encore trouvé le système fiscal qui permettrait d'en capter une part, sauf dans la métropole du Grand Paris...
M. Philippe Tabarot. - Vous avez évoqué la stratégie du groupe SNCF en termes de ventes, de rachats et de logistique : c'est un sujet important. Je ne reviendrai ni sur le peu d'appétence des joueurs du Paris-Saint-Germain pour certains transports en commun ni sur la demande pour le moins saugrenue du Gouvernement, qui demande au mode de transport le plus décarboné d'être plus sobre... Dans ce tumulte, je note que le recours au train devient de plus en plus prégnant, ce qui est un signal positif que nous plébiscitons au sein de cette commission. Nous avons d'ailleurs proposé et fait voter la baisse de la TVA à 5,5 % pour le train et le doublement du fret ferroviaire, ainsi que la limitation de la contribution de solidarité territoriale (CST) et de la taxe sur le résultat des entreprises ferroviaires (TREF), deux taxes pesant sur la SNCF qui ont été supprimées par l'Assemblée nationale.
Après un bel été teinté de records de trafic, vous devriez être porté par un vent d'optimisme puissant. Mais cet intermède estival ne saurait occulter les difficultés structurelles qui ne manqueront pas d'obérer la dynamique du train si on ne les affronte pas une fois pour toutes. Les sujets sont nombreux : le coût de l'énergie, qui change la donne ; le poids financier de la perfusion publique des contribuables ; les problèmes de personnel et de recrutement ; le mouvement social annoncé...
Je resterai concentré sur notre fil rouge : la mauvaise surprise que représente le contrat de performance signé entre SNCF Réseau et l'État. Les montants prévus dans ce document stratégique sont clairement en deçà de ce qui serait nécessaire pour moderniser et améliorer notre réseau. Ce contrat multiplie les renoncements, prévoit des investissements de renouvellement insuffisants, fait l'impasse sur la modernisation, sanctuarise la fragilité du réseau. Premiers à dénoncer ces constats, nous avons été rejoints par la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut), l'association française du rail (AFRA), Fret ferroviaire français du futur (4F), Régions de France et le gendarme du rail, l'Autorité de régulation des transports (ART).
Depuis lors, monsieur le président, vous avez réagi de manière puissante, affirmée et courageuse, en évaluant le besoin d'investissement à 100 milliards d'euros supplémentaires sur quinze ans, afin de contribuer à la décarbonation des transports et de doubler la part du train. Au même moment, pour ce qui concerne les infrastructures, l'Allemagne vient d'annoncer un plan de 86 milliards d'euros et l'Italie un plan de 120 milliards d'euros. Pour notre part, dans une logique transpartisane, nous avons déposé un amendement d'appel - un cri d'alarme ! - avant le rendez-vous du projet de loi de finances (PLF), tendant à prévoir l'ajout d'un milliard d'euros dans le projet de loi de finances rectificative (PLFR) 2022. Cette idée fait consensus au-delà des clivages partisans, et même si nous avons précédemment retiré cet amendement, tel ne sera pas le cas lors de la discussion du PLF.
Nous combattons en faveur d'une modernisation du rail, mais pas d'une modernisation au rabais. Nous nous opposons à la version du Gouvernement qui, à travers la bouche de Gabriel Attal, me répondait de manière jupitérienne que tous les moyens avaient été à la hauteur lors du précédent mandat...
Il y a une seule vérité : sans un engagement financier beaucoup plus massif de l'État, le réseau français décrochera irrémédiablement de ses homologues européens. Un sursaut est-il encore possible ? Avez-vous reçu des garanties du Gouvernement que la copie sera revue à la hausse, pour une amélioration nette de la mobilité ferroviaire ? Si rien ne devait bouger, ne pensez-vous pas, à l'instar de l'établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF), que cela reviendrait à acter une véritable mise en danger des usagers ?
M. Olivier Jacquin. - Votre conviction, monsieur le président, ainsi que celle de Philippe Tabarot, est agréable à entendre.
J'ai déposé cet été deux propositions de loi (PPL). La première, en date du 31 août dernier, concerne la baisse de la TVA à 5,5 % pour le train - une mesure que le Sénat a déjà votée lors de l'examen de la loi Climat et Résilience. Si elle était adoptée, vous engagez-vous à répercuter intégralement cette baisse de prix ? Ma seconde PPL est relative au contrat de performance, et son article 1er est complémentaire de la proposition de loi relative au fret ferroviaire déposée par Philippe Tabarot. L'actuel contrat de performance est unanimement considéré comme catastrophique. Selon l'ART, 13 000 kilomètres de réseau structurant pourraient se dégrader durant les dix ans que durera ce contrat de performance effrayant. Que pensez-vous de l'idée d'une véritable loi de programmation pluriannuelle sur le ferroviaire, si l'on ne parvenait pas à prévoir un rattrapage dans le PLF ?
J'avais accueilli avec beaucoup de plaisir votre déclaration courageuse sur la nécessité de prévoir 100 milliards d'euros supplémentaires pour les investissements. Qu'en est-il des engagements européens et gouvernementaux permettant de garantir ce plan ? J'ai entendu le ministre des transports vous répondre sur France Inter, fin juillet, que nous étions déjà sur cette trajectoire... Il n'a d'ailleurs pas l'air d'avoir remporté les arbitrages avec Bercy, et c'est dommage. Je lui poserai de nouveau cette question dans quinze jours.
Comment dépenser cet argent dans le cadre de l'actuel contrat de performance ? Pour vous y aider, l'article 2 de ma PPL vise à supprimer la règle d'or introduite par la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire, qui n'est pas compatible avec la stratégie nationale bas-carbone (SNBC).
À l'époque du rapport Spinetta, juste avant la loi pour un nouveau pacte ferroviaire, Édouard Philippe, alors Premier ministre, se faisait fort d'avoir la tête des cheminots - ces « privilégiés » - et de leur statut. Or Libération a révélé hier que, pour la première fois, vous contractualisiez avec une entreprise privée pour la formation des conducteurs, ce qui pourrait dégrader l'image de l'entreprise. Au-delà, je m'inquiète du manque croissant de ces personnels. Le chiffre de 12 000 conducteurs a circulé cet été ; qu'en est-il ? Combien de trains ont-ils été supprimés ? Comment allez-vous résoudre ce problème dans les régions ?
La SNCF a menti à ma région en supprimant voilà quelques années la liaison directe Nancy-Lyon, sous prétexte de travaux à la gare de Lyon Part-Dieu. Or vous avez profité de l'épidémie de covid pour supprimer l'alternative mise en place par Marne-la-Vallée dans des conditions satisfaisantes, et avec des temps de transport améliorés. Les travaux étant achevés, qu'en est-il du rétablissement de la ligne Nancy-Lyon ? Le rapport que nous avions obtenu sur les trains d'équilibre du territoire (TET) a prouvé qu'il y existait un véritable besoin sur cet axe, entre les sillons lorrain et rhénan.
Qu'en est-il du déploiement du Ouigo à petite vitesse ? Quant aux trains légers et autonomes, permettront-ils de résoudre l'équation des petites lignes françaises ?
Grâce au Sénat, Jean Rottner annoncera prochainement le transfert de l'autoroute A31 à la région Grand Est et la mise en place d'une écotaxe poids lourds qui pourrait être une première nationale. Cet axe particulièrement saturé est doublé de l'autoroute ferroviaire Perpignan-Bettembourg. Des expérimentations ne pourraient-elles pas être lancées pour appuyer la mise en place de cette première écotaxe, l'A31 devenant un « laboratoire national » ?
M. Didier Mandelli. - La SNCF dispose d'un patrimoine foncier très important. Or le projet de loi relatif aux énergies renouvelables qui nous sera présenté prochainement prévoit de faciliter l'implantation d'installations photovoltaïques, entre autre sur des délaissés autoroutiers. Quelle part des terrains de la SNCF pourrait-elle être utilisée à cette fin ? Pensez-vous que des ajustements législatifs permettraient d'intégrer de tels projets dans le texte précité ? En effet, rien n'y figure sur ce point.
M. Jean-Pierre Farandou. - Pour ce qui est de la sobriété, il faut la distinguer du rationnement. La sobriété consiste à faire la même chose avec moins d'énergie, et non pas à faire moins. Le Gouvernement nous a demandé, ainsi qu'à toutes les entreprises, de réduire nos consommations d'énergie de 10 % d'ici à deux ans, et nous avons répondu que nous saurions le faire. Pour ce qui concerne le tertiaire, il convient de renforcer les gestes simples d'économie, et donc l'exemplarité. Il faut également mieux isoler les bâtiments ; deux ans ne seront donc pas de trop.
S'agissant de l'aspect « conduite », nous ne sommes pas dans une logique de suppression de trains, comme l'a confirmé le ministre des transports. Quant à l'idée de réduire la vitesse, elle n'est pas opérante, car elle remettrait en cause toutes les correspondances et ferait baisser l'attractivité du train ainsi que la productivité des moyens. Nous pratiquons d'ores et déjà l'éco-conduite, et pouvons le faire davantage en évitant de freiner et d'accélérer inutilement et en optimisant la capacité du train à rouler tout seul, afin de consommer le moins possible. Cela peut rapporter beaucoup, de 10 à 15 % sur la consommation d'énergie ; il faut donc parvenir à ce que tous les conducteurs soient capables de le faire.
À l'époque où l'énergie n'était pas chère, on pratiquait l'éco-stationnement durant des heures, voire toute la nuit. Désormais, on préférera faire venir des personnels une heure plus tôt pour mettre en route le chauffage et la climatisation des rames.
Ces économies sont accessibles par la simple révision de nos modes d'organisation. En les combinant, nous atteindrons l'objectif de réduction de 10 %.
Il s'agit, par ailleurs, d'obtenir, dès le projet de loi de finances pour 2023, 1 milliard d'euros supplémentaires pour ce qui est des investissements sur le réseau, ne serait-ce que pour rattraper les surcoûts liés à l'inflation. En effet, les travaux coûtent plus cher du fait de l'augmentation de 10 à 15 % des matériaux - béton, acier, etc. -, ainsi que des salaires. Ce sera le moyen de marquer, par un acte fort, la volonté du Gouvernement d'engager dès 2023 le redressement de l'état du réseau. Mais ce point ne s'oppose pas à l'idée d'une véritable loi de programmation courant sur dix ans, ou plus, à laquelle je suis très favorable puisque nous avons besoin de travailler sur le temps long.
Nous avons aussi besoin de cette traduction législative du temps long d'un point du vue industriel, notamment pour pouvoir recruter des ingénieurs et travailler avec les professionnels du bâtiment et des travaux publics (BTP) ou de l'industrie ferroviaire. La loi de programmation est donc nécessaire pour concrétiser l'ambition annoncée et pour organiser l'industrie autour de cet objectif.
Les deux instruments sont utiles : il faut, dès cette année, marquer une inflexion positive autour de la régénération du réseau, puis s'engager, via un travail de coconstruction avec la représentation nationale, sur une loi de programmation pluriannuelle.
S'agissant du benchmark, en effet, les autres grands pays européens « mettent le paquet » sur le ferroviaire. Il serait un peu curieux que notre pays se laisse distancer.
Concernant la TVA, monsieur Jacquin, je préfère que l'argent public aille à l'investissement pour les infrastructures. S'il en reste, alors nous ferons en sorte que l'usager paie moins cher.
Je ne nie pas les problèmes de recrutement, mais il faut les quantifier : il manque 1 % des conducteurs, soit 120 sur 12 000 conducteurs ; ce déficit de personnels existe, même s'il n'est pas massif. On explique principalement ce problème par un manque d'anticipation : pendant la crise du covid, nos écoles étaient fermées et la formation des conducteurs, qui dure un an, a pris du retard. Former un conducteur à distance, c'est compliqué ! Nous rattrapons actuellement ce retard. Si nous avons fait appel à une école privée, solution exceptionnelle et de dernier recours, c'était pour renforcer notre appareil de formation.
Pour ce qui est de la ligne Nancy-Lyon, nous craignons de perdre de l'argent si nous la rétablissons. C'est une rame qui nous fera défaut ; or nous manquons de rames. Nous avons le sentiment que ce train ne serait pas équilibré. Nous sommes obligés, en tant que société anonyme, de faire cette réponse aux territoires, même si elle n'est pas satisfaisante.
J'en viens au contrat de performance, que nous avons mis deux ans à conclure et qui est un appendice de la loi de 2018 sur le nouveau pacte ferroviaire. À cette époque, on n'envisageait pas un développement aussi massif et une croissance aussi forte du ferroviaire. C'était l'acte I ; nous en sommes à l'acte II, qui suppose une révision du contrat de performance. C'est ainsi que l'on peut, selon moi, articuler le passé et l'avenir. Il faut également rappeler que le plan de relance a prévu 4,7 milliards d'euros pour rénover le réseau. L'appréciation doit être globale.
Le Ouigo « train classique » marche bien, car il n'est pas cher et favorise le pouvoir d'achat - les billets sont à 10 ou 15 euros. Des personnes délaissent ainsi la voiture ou le car, et le remplissage est correct. Quant à la SNCF, elle gagne de l'argent car ces matériels - de vieux trains Corail - sont amortis ; reste seulement le coût marginal d'exploitation du train. Cette mesure me semble donc intéressante.
Les trains légers sont importants, dans la mesure où il s'agit d'une réponse ferroviaire pour les territoires diffus. Mais cette réponse doit être adaptée si l'on veut s'en sortir économiquement. Le prototype existe : c'est un engin mi-car, mi-train, qui a des pneus et peut transporter une vingtaine de personnes qu'il va chercher dans des hameaux ; quand il arrive à un passage à niveau, il se met sur les rails. Cette technique est parfaitement adaptée à une desserte combinée routière-ferroviaire des territoires diffus, et pourrait trouver sa place dans une stratégie régionale de transport.
La piste que vous avez évoquée à propos des concessions autoroutières est bonne. Il faut trouver des combinaisons entre le mode autoroutier et le mode ferroviaire pour assurer un revenu pérenne destiné à l'entretien du réseau ferroviaire. Toute expérimentation allant dans ce sens me paraît pertinente.
La SNCF est un acteur majeur de la transition écologique. C'est vrai en termes de mobilité, mais de production d'électricité verte : nous pouvons en produire nous-mêmes et nous y travaillons. Merci de nous alerter sur les compléments à apporter dans le projet de loi relatif aux énergies renouvelables.
À cet égard, les potentiels sont énormes, mais pas toujours facilement accessibles. La SNCF est le second propriétaire foncier de France, avec 100 000 hectares. Les terrains les plus faciles à équiper en panneaux solaires sont les anciennes cours de marchandises, les toits des ateliers, et cela pourrait aller vite à condition que la loi le permette.
En Allemagne, pays vertueux du point de vue écologique, la loi relative aux panneaux solaires prévoit un équipement des espaces disponibles en dix-huit mois. En France, il faudra cinq ou six ans, du fait des procédures d'enquête, de contre-enquête, d'évaluation, etc. Nous voudrions examiner avec le Parlement, et donc les sénateurs, si l'on ne pourrait pas prévoir une dérogation pour les espaces délaissés du ferroviaire. Cela ne devrait pas poser de gros problèmes d'équiper massivement en panneaux solaires ces espaces, qui sont peu visibles. Merci de nous tendre cette perche : si vous en êtes d'accord, nous pourrons travailler avec votre commission afin d'apporter une réponse énergétique aux besoins du pays.
M. Stéphane Demilly. - En tant que sénateur de la Somme et client habituel de la ligne Amiens-Paris, je vous remercie d'avoir employé le mot « client »... Dans ma région, il y a environ 10 % de trains en moins par jour en raison du déficit de conducteurs précédemment évoqué. Ce pourcentage atteint 50 % dans certains territoires. Si 10 % des trains ne partent pas, en moyenne, ne serait-il pas juste que les factures des collectivités soient réduites de 10 % ? Comment expliquer que les régions paient pour des trains qui ne partent pas ? Ce problème de fiabilité risque d'avoir pour conséquence une désaffection d'un certain nombre de clients à l'égard du train, moi le premier : quand j'ai un rendez-vous important au Sénat, je viens en voiture.
Par ailleurs, pour pallier la potentielle pénurie d'énergie cet hiver, la SNCF pourrait purement et simplement supprimer certains trajets pendant quelques mois, et ce prochainement. Les usagers se préparent déjà au pire, alors que la SNCF consomme chaque jour en électricité, m'a-t-on dit, l'équivalent de la production d'un réacteur nucléaire. Doit-on craindre monsieur le président, une réduction de la circulation des trains cet hiver, et si oui, de quelle ampleur ?
Enfin, j'aborderai la lutte contre les incivilités dans les trains. Musique offerte gracieusement par des voyageurs sans scrupules, échanges téléphoniques dont profitent l'ensemble des voyageurs du wagon, crachats ou encore mégots de cigarettes jetés sur le quai sont monnaie courante, bénéficiant d'une sorte d'acceptation tacite, et donc d'impunité. Si je puis aisément comprendre la crainte que peuvent ressentir les contrôleurs à la perspective de réprimer ces comportements, je suis persuadé que les laisser prospérer est la porte ouverte à des dérives bien plus graves. Je vous invite, monsieur le président, à faire le trajet Paris-Amiens à 16 heures 04 pour vérifier mes propos... Comment entendez-vous garantir aux usagers du TER un voyage plus serein, et surtout plus civique ?
M. Bruno Rojouan. - Le département de l'Allier comprend trois villes, de taille moyenne : Vichy, Moulins et Montluçon. On parle souvent des deux premières, desservies par la ligne Paris-Clermont-Ferrand ; on connaît désormais les orientations relatives à cet axe, lesquelles apportent toutes les améliorations que nous attendons. Les perspectives de Moulins et de Vichy sont donc plutôt bonnes à cet égard.
En revanche, Montluçon, première ville du département en nombre d'habitants, est en quelque sorte une gare terminus et sa liaison avec Paris est complètement abandonnée. Or c'est une ville industrielle, qui représente de nombreux emplois. Vous n'imaginez pas les difficultés qu'entraîne cette situation pour les porteurs de projets.
Quand j'étais jeune, le trajet en train de Montluçon à Paris durait trente à quarante minutes de moins qu'aujourd'hui. Depuis lors, cette liaison n'a cessé de se détériorer.
Montluçon mérite une solution spécifique : je vous propose d'expérimenter un train direct matin et soir, en semaine, sur la ligne Paris-Montluçon. Ainsi, l'on pourrait tester le potentiel d'une telle liaison et évaluer sa rentabilité. De plus, le monde économique montluçonnais pourrait constater que la SNCF se préoccupe de cette situation absolument dramatique.
M. Hervé Gillé. - À vouloir courir plusieurs lièvres à la fois, on n'arrive pas à destination... Vous brandissez la somme de 100 milliards d'euros, dont la moitié viendrait de l'État : qui apporterait les 50 milliards d'euros restants ? Surtout, comment financer l'ensemble des enjeux que vous évoquez alors que nous sommes face à un mur budgétaire ? Pensez-vous sérieusement que nous pourrons tout faire dans les années à venir ? N'y a-t-il pas des priorités évidentes pour éviter le décrochage face à l'ensemble des réseaux européens ? Pourriez-vous nous les préciser, qu'il s'agisse des réseaux, des usagers, des transports du quotidien ou des nouvelles LGV ?
Vous mettez en avant la reconquête du fret ferroviaire, dont vous souhaitez doubler la part modale - elle est actuellement de 9 %. Selon vous, il faudrait y consacrer a minima 15 milliards d'euros sur quinze ans : pouvez-vous préciser ce chiffre ? N'est-ce pas, justement, la priorité n° 1, avec les transports du quotidien et l'amélioration du réseau ?
En parallèle, l'offre de service inspire un certain nombre d'inquiétudes. Ainsi, sur la ligne Bordeaux-Paris, le nombre de liaisons quotidiennes est passé de 18,5 à 14. L'offre a certes subi la crise du covid, mais, à ce jour, elle ne semble pas avoir été rétablie. Le sera-t-elle de manière pérenne ? De même, dans les Pyrénées-Atlantiques, la liaison avec Pau s'est fortement dégradée. À certains moments, il a fallu s'y prendre quinze jours à l'avance pour obtenir un billet de train Pau-Paris.
Pour y ouvrir de nouveaux marchés, il semble que vous ayez envoyé en Espagne du matériel qui nous fait aujourd'hui défaut. Pourriez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?
Enfin, la tarification en temps réel en fonction de la demande, ou yield management, entraîne des écarts de prix considérables : incroyable mais vrai, les prix peuvent être plus élevés en seconde classe qu'en première ! Évidemment, ce dispositif peut présenter un intérêt pour les finances de la SNCF, mais il pose des questions de fond. On ne peut qu'approuver le développement de nouvelles liaisons dotées de matériels adaptés et proposées à des tarifs privilégiés ; mais force est d'observer que les considérations de nature économique dégradent la relation avec les usagers.
M. Frédéric Marchand. - Vous évoquez la capacité de la SNCF à travailler avec les collectivités locales. Qu'en est-il des friches ? La SNCF est le deuxième propriétaire foncier de France et ces terrains ont un bel avenir devant eux.
Les collectivités territoriales, qui sont à la recherche de foncier, souhaitent à ce titre nouer un dialogue fécond avec la SNCF. Ces friches font-elles l'objet, de la part de vos services, d'une cartographie précise et d'une stratégie nationale ? Certains délaissés de terrain permettraient de répondre à un certain nombre d'enjeux, comme la transition écologique, le logement ou encore l'alimentation.
M. Jean-Pierre Farandou. - Il faut bien admettre que la desserte Paris-Amiens n'est pas très satisfaisante. Cette situation a des causes intrinsèques : la ligne en question compte parmi les plus denses de France. Les trains peuvent y regrouper 2 000 voyageurs, car un très grand nombre de personnes vivant dans la Somme ou dans l'Oise vient chaque jour travailler à Paris. En outre, la gare du Nord est saturée, si bien que le moindre aléa y provoque un effet boule de neige.
Avec la région, autorité organisatrice de ces trains, nous devons traiter quatre sujets principaux.
Le premier, c'est la nature des dessertes, que nous souhaitons rendre plus régulières grâce au cadencement. La simplification du schéma de desserte permettrait d'en améliorer la robustesse technique.
Le deuxième, c'est le matériel roulant, qui commence à vieillir. Il est composé de locomotives tractées et de voitures qui ont plus de quarante ans. Or le parc relève de la région, comme la politique industrielle de maintenance. Aujourd'hui, on constate un certain nombre d'actes forts et d'investissements, mais les retards pris sur le parc pour telle ou telle raison peinent à être rattrapés, qu'il s'agisse de sa quantité, de sa nature ou de sa fiabilité.
Le troisième, c'est le recrutement des conducteurs, qui relève de nous. Or nous n'avons pas fait les bons choix par le passé. Désormais, nous embauchons à tour de bras pour retrouver le nombre de conducteurs nécessaire, mais en attendant nous sommes face à un problème, car le temps de recrutement et de formation est incompressible. Ce délai avoisine les deux ans.
Le quatrième et dernier, c'est l'aspect financier. La région a pris une initiative unilatérale pour apporter une réponse financière aux difficultés de la SNCF à réaliser ce service. Nous en discutons ; pour notre part, nous trouvons cette réponse un peu excessive. En tout cas, une forme de régulation est à l'oeuvre.
Il y a quelques semaines, j'ai fait l'ouverture de la gare d'Amiens, à 5 heures 30, pour être « à portée de baffe », comme disent certains. Cela n'a pas manqué, car, ce matin-là, un train a été supprimé. Il n'y a rien de tel pour entendre le mécontentement des usagers.
Face à cette situation difficile, la SNCF n'est pas dans le déni. Elle admet ses responsabilités et elle est prête à accepter les critiques. À présent, nous devons être solidaires pour apporter, ensemble, les meilleures solutions aux usagers dans tous les territoires.
Il n'y aura pas de suppression de train au nom du plan de sobriété énergétique : le ministre des transports l'a dit très clairement. Il a ainsi coupé court à la polémique.
J'en viens aux incivilités, qui, comme vous, me préoccupent. À cet égard, les contrôleurs ne disposent que de moyens limités. Il y a quelques années, l'un d'entre eux a été attaqué à coups de barre de fer sur la ligne Paris-Beauvais.
La flambée des incivilités n'est pas propre à la SNCF. C'est un mal qui gangrène notre société. Par exemple, de plus en plus de personnes se déplacent en portant sur elles des couteaux aux lames parfois longues de trente centimètres.
Notre service de la surveillance générale (SUGE) est fort de 3 000 cheminots très bien formés et, tant que je serai président-directeur général, l'on ne touchera pas à cet effectif. Vient ensuite la collaboration avec la police. À ce titre, nous travaillons avec le ministère de l'intérieur et les préfectures. Soyons vigilants : les incivilités pourraient nuire à l'attractivité du ferroviaire.
Certaines régions sont très engagées sur ces sujets. Les régions peuvent aussi nous aider, ne serait-ce qu'en nous accordant des moyens. En particulier, elles peuvent passer commande d'heures de surveillance générale, ce qui nous permet de recruter davantage de personnels, déployés dans les trains comme dans les gares.
Monsieur le sénateur Rojouan, comme le Paris-Limoges, le Bordeaux-Marseille et les trains de nuit, le Paris-Montluçon a l'État pour autorité organisatrice. Constatant que plusieurs dessertes nationales étaient structurellement déficitaires, le président Gallois s'était en son temps tourné vers l'État, déclarant en substance : si nous concluons un contrat de service public, je pourrai assurer ces liaisons ; dans le cas contraire, je serai contraint de réduire la desserte. Dans un premier temps, l'État n'a pas répondu à sa demande : il a donc réduit le nombre de trains. Face au tollé politique provoqué, l'État a fini par accepter la solution proposée. Je suis bien placé pour le savoir, ayant été l'une des chevilles ouvrières du premier contrat des trains d'équilibre du territoire (TET), lequel a été récemment renouvelé.
En tant qu'autorité organisatrice, l'État détermine la desserte. Dès lors, c'est lui qui décide si le Paris-Montluçon sera direct ou non. La SNCF n'a pas de pouvoir d'initiative à cet égard. Il en est de même pour le matériel roulant.
Votre position est légitime, car les habitants de Montluçon ont droit à une desserte de qualité. Pour sa part, la SNCF peut être force de proposition. Peut-être une réunion avec nous vous aiderait-elle à travailler et à préciser les propositions que vous pourriez soumettre au ministère des transports ?
Monsieur le sénateur Gillé, je sais très bien que, si je commence à classer les priorités, je n'obtiendrai rien pour ce qui concerne la fin de la liste. À chacun son travail : mon rôle, c'est de dire ce que je pense être nécessaire au système ferroviaire français. Ensuite, la décision de faire ou de ne pas faire, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, ne m'appartient pas. Elle appartient à la puissance publique.
J'aime tous les enfants du ferroviaire. Certes, Rome ne s'est pas faite en un jour, mais je suis l'homme du ferroviaire et, en conscience, j'estime que le réseau doit être régénéré et modernisé. Je pense qu'il faut une réponse pour les déplacements de la vie quotidienne. Je pense qu'il ne faut pas abandonner le fret et qu'il faut défendre les LGV. Quant au choix des priorités, il ne m'appartient pas : je ne le ferai pas. Chacun doit prendre ses responsabilités.
Monsieur le sénateur Marchand, si surprenant que cela puisse paraître, le cadastre des friches n'existait pas jusqu'à présent. Ce travail est en cours et nous donnera une idée beaucoup plus précise de la nature de notre foncier. Viendra ensuite la question des usages. Le déploiement des panneaux solaires a toute son importance, mais il ne concerne pas tous ces terrains.
Dans les grandes villes, la cession des friches aux collectivités territoriales nous assure des rentrées financières. Cette valorisation, qui n'est pas une ressource mineure, vient financer les infrastructures.
Reste une partie intermédiaire, qui doit faire l'objet de discussions avec les collectivités territoriales. Dès mon arrivée, j'ai demandé à notre direction de l'immobilier de se montrer disponible pour discuter de leurs projets avec elles. C'est d'ores et déjà le cas à Auxerre ou encore à Bayonne.
C'est l'État qui est propriétaire du réseau ferroviaire français, patrimoine de notre pays. La régénération et la modernisation du réseau relèvent donc de l'État, la SNCF contribuant à la marge, notamment via le fonds de concours : grâce à ce mécanisme de solidarité financière, 60 % des bénéfices dégagés par le TGV et par Geodis sont fléchés vers le réseau. Peut-on accentuer cet effort ? Peut-être, si la SNCF se porte bien, mais cela ne suffira pas. Je plaide pour un portage budgétaire plus substantiel et plus long sur la partie régalienne du réseau.
En parallèle, les régions et les métropoles semblent prêtes à accompagner les différents projets individuels, comme les réseaux express métropolitains. Dès lors, l'État n'en financera qu'une partie, dans une logique de cofinancement. À cet égard, on pourrait s'inspirer de la société du Grand Paris (SGP) en créant, dans les grandes métropoles françaises, des taxes sur le foncier de bureau.
Au sujet du fret, on a pu parler de 10 milliards d'euros. Ce dont nous avons absolument besoin, c'est de 3 milliards d'euros. À ce titre au moins, j'exprime une forme de priorité. Je pourrai détailler les enjeux dont il s'agit - triages, décongestion des ports, mise au gabarit de certains tunnels, etc. Ce noyau dur de 3 milliards d'euros est indispensable pour lancer le développement du fret. Viennent ensuite les grands contournements, qui sont nécessaires, mais forcément très coûteux, comme les lignes à grande vitesse.
Enfin, pour certaines LGV, il n'est pas interdit de penser qu'une partie du financement soit d'origine privée, dès lors que la puissance publique exerce son contrôle. En revanche, un financement 100 % privé entraîne des péages d'un montant excessif. On l'observe avec la société Lisea, et ce constat n'est pas complètement étranger à ce que vous dites au sujet du Paris-Bordeaux.
M. Hervé Gillé. - Nous sommes d'accord !
M. Jean-Michel Houllegatte. - Le Gouvernement a annoncé que, d'ici à juillet 2023, le Parlement serait appelé à se prononcer sur la future stratégie française pour le climat, notamment en révisant la loi de programmation en matière d'énergie et de climat. Nous disposerons ainsi d'un véhicule législatif.
Avec ses 15 000 trains par jour, la SNCF représente de 1 à 2 % de la consommation électrique annuelle de la France, pour un montant de 1 milliard d'euros. C'est 10 % de l'électricité industrielle de notre pays, soit 7 térawattheures, à savoir ce que produit une centrale nucléaire de 900 mégawatts.
Comment la SNCF peut-elle réduire sa consommation d'énergie, étant entendu que vous avez exclu la baisse du nombre de trains et celle de la vitesse de circulation ? Vous mettez en avant l'éco-conduite en citant le logiciel Opticonduite, qui aide les cheminots à tirer parti de l'inertie des pentes. Vous évoquez également la possibilité, pour la SNCF, de produire sa propre électricité. À cet égard, l'article 9 du texte de loi que nous aurons à examiner concerne plutôt le domaine public de l'État. Pour les délaissés ferroviaires, il faudra néanmoins vérifier ce qui est compatible avec le code de l'urbanisme et, au-delà des procédures prévues, déterminer s'il est nécessaire de légiférer.
La dernière piste, c'est le renouvellement du matériel. Qu'en est-il des TGV M, plus profilés et donc moins gourmands en énergie ?
Enfin, prévoit-on des augmentations de tarifs ? Pour l'année 2023, vous ne devriez pas avoir trop de difficultés, puisque la SNCF achète 95 % de son électricité deux à trois ans à l'avance, mais qu'en sera-t-il pour les années suivantes ? Le train, allié du climat, sera-t-il l'allié du pouvoir d'achat ?
Mme Nadège Havet. - J'appelle votre attention sur le dispositif Accès Plus.
Prendre les transports fait partie des défis quotidiens d'une personne en situation de handicap. Or, en avril dernier, une usagère en fauteuil roulant a témoigné dans la presse locale qu'elle ne pouvait pas ajouter un enfant à sa commande sur la plateforme Ouigo.
De même, une personne en situation de handicap réservant un trajet est-elle assurée de bénéficier du service Accès Plus dès l'achat de son billet ? Visiblement, elle doit attendre d'obtenir confirmation, 48 ou 72 heures avant le départ, ce qui peut compromettre son déplacement.
Enfin, en tant que Finistérienne, je ne puis manquer d'évoquer l'entretien au cours duquel lequel vous avez déclaré, à la fin du mois de juillet dernier : « Paris-Brest en trois heures trente, ce n'est déjà pas si mal. » Je l'ai encore constaté ce matin : en prenant le train de 5 heures 17 au départ de Brest, on ne peut pas arriver à Paris avant 9 heures. Le temps de trajet est plus proche de quatre heures que de trois heures trente. L'inscription du port de Brest au réseau central du réseau transeuropéen de transport (RTE-T) n'implique-t-elle pas, de toute manière, des travaux de modernisation sur la portion Rennes-Brest ?
Mme Denise Saint-Pé. - Un besoin d'apaisement s'exprime quant au Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO). La partie orientale de mon département, les Pyrénées-Atlantiques, ainsi que le centre des Hautes-Pyrénées sont desservis par une ligne remontant au XIXe siècle. Peut-on espérer, malgré l'échec du contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau, que soient entrepris des travaux d'amélioration de cette ligne, qui dessert plusieurs bassins de vie et bassins industriels ?
Je veux aussi lancer une alerte : certains élus de mon département demandent le rétablissement des trains de nuit, mais les travaux que cela requerrait pourraient se faire au détriment du GPSO, m'a-t-on dit à la SNCF. Ce serait contre-productif, alors qu'il faut améliorer ces lignes anciennes.
M. Guillaume Chevrollier. - Merci d'avoir apporté la garantie que les TGV continueraient de desservir les préfectures. La liaison Laval-Paris est importante pour mon département ; il n'y a plus de convention de desserte, mais les trains sont bien remplis, il est même parfois difficile d'y trouver des places ! Nous attendons donc impatiemment les rames à capacité doublée que vous évoquez. Par ailleurs, les communes rurales et les bourgs-centres dont nous encourageons le développement doivent également disposer d'une bonne desserte TER, avec des horaires adaptés aux exigences du travail aujourd'hui.
La numérisation est nécessaire pour la transition écologique, mais il faut prendre garde à l'empreinte environnementale du numérique ; nous avons adopté une loi sur ce sujet en 2021. Comment conciliez-vous numérisation accrue du groupe et maîtrise de son empreinte environnementale ?
M. Éric Gold. - M. le ministre délégué chargé des transports se rendra demain à Clermont-Ferrand pour une visite très attendue. Je fais le choix de prendre ce train chaque semaine, depuis cinq ans. Je reconnais une amélioration de la régularité de cette ligne, même si le ressenti des usagers, qui subissent encore de nombreux aléas, est différent.
Cependant, quelques points me semblent encore inacceptables. Le 19 juillet dernier, le train a mis vingt heures pour relier Paris à Clermont-Ferrand ; la SNCF a été défaillante dans la gestion de cette crise. Il faudrait adapter les messages d'information des passagers en cas de retard, qui ne sont compréhensibles que par des professionnels ; certains SMS parlent de TGV alors qu'il s'agit de trains Corail vieux de plus de quarante ans ! Les connexions Wifi offertes dans les trains - réelle avancée lors de leur mise en place - sont par ailleurs de plus en plus fragiles.
Au-delà de ces dysfonctionnements, les annonces de régénération des voitures et de déploiement de nouvelles rames ne sont-elles pas obsolètes ? Les délais promis semblent intenables.
M. Joël Bigot. - Un report modal de 10 % du trafic de la route vers le rail permettrait à lui seul de remplir un tiers de notre objectif national de décarbonation des transports. On ne peut donc qu'approuver vos objectifs en la matière, chiffrés à 100 milliards d'euros. D'autres pays l'ont fait, comme l'Allemagne, l'Italie ou les Pays-Bas. L'Espagne conjugue investissements dans le réseau ferroviaire et aides aux voyageurs les plus modestes, visant à renforcer leur pouvoir d'achat tout en évitant l'émission de 360 000 tonnes de CO2.
Pour réussir ce report modal, il faut notamment améliorer le réseau : certains sillons sont saturés. Ainsi, entre Angers et Nantes, on ne saurait augmenter le trafic sans nouvelles infrastructures. Quel soutien apportez-vous aux collectivités territoriales qui ont besoin d'expertise pour transformer les mobilités et encourager le report modal ?
Vous aviez évoqué lors d'une précédente audition la piste des trains à hydrogène. Avez-vous progressé dans cette voie, en collaboration avec les industriels ?
Mme Angèle Préville. - Pour atténuer le changement climatique, l'une des solutions est la promotion du transport ferroviaire de passagers et de fret. Il faudrait un choc d'offre pour nous faire préférer le train. Dans cette perspective, quel regard portez-vous sur l'abonnement ferroviaire à 9 euros par mois offert cet été en Allemagne ? Quels en ont été les impacts ? Songez-vous à une approche similaire ?
En tant que sénatrice du Lot, j'éprouve certaines inquiétudes sur la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT). Pouvez-vous nous rassurer quant aux délais de ses travaux de régénération ? Par ailleurs, beaucoup de trains de cette ligne ne vont pas au-delà de Brive-la-Gaillarde ; mon département se trouve délaissé. Si je vous comprends bien, cela découle de décisions de l'État et non de la SNCF. Le train de nuit Paris-Aurillac devrait être mis en circulation à la fin de 2022 ou en 2023 ; pouvez-vous d'ores et déjà nous donner une date ?
La constante réduction des effectifs en gare pose problème, notamment dans les territoires ruraux et pour les usagers n'ayant pas accès à internet, notamment les personnes âgées, particulièrement nombreuses dans le Lot. Je suis consciente du poids des dépenses de personnel, mais avez-vous des pistes de travail pour répondre à ce problème ?
Par ailleurs, avez-vous déjà une idée de la proportion du parc immobilier de la SNCF qui serait délaissée et pourrait recevoir d'autres usages ? S'agit-il de sols imperméabilisés ? Les accès éventuels sont-ils répertoriés ? L'énergie photovoltaïque qui pourrait y être produite serait-elle destinée à l'autoconsommation par la SNCF ?
J'ai lu que la durée de vie du matériel roulant était deux fois moindre en France qu'en Allemagne. S'agit-il du même matériel ? Sa maintenance pourrait-elle être améliorée ?
Enfin, quel est l'état des relations que vous entretenez avec vos concurrents ? Je pense notamment à la société Railcoop, présente dans mon département.
M. Michel Dagbert. - Nous sommes nombreux à vous interroger et à exposer certaines difficultés rencontrées dans nos territoires : cela témoigne de notre attachement à votre entreprise, passion presque égale à la vôtre ! Nous pointons volontiers du doigt le verre à moitié vide ; cette fois, je le verrais plutôt à moitié plein. Ainsi, j'avais participé, au côté de Mme Borne, alors ministre des transports, à l'inauguration de la ligne de ferroutage Calais-Le Boulou. J'ai également visité les Carrières du Boulonnais, entreprise familiale très active dans les projets du Grand Paris, qui a investi dans un terminal de fret pour acheminer jusqu'à Paris les granulats qu'elle produit par le train. Enfin, avec le président du conseil régional des Hauts-de-France et Luc Lallemand, président-directeur général de SNCF Réseau, lundi dernier, j'ai assisté à la fin des travaux de régénération de l'étoile ferroviaire de Saint-Pol-sur-Ternoise. Les choses bougent ! Certes, le rythme est encore inférieur aux attentes des voyageurs et des clients du fret, mais la volonté d'aller de l'avant est indéniable.
Pouvez-vous évoquer brièvement la reprise par l'État de la dette de SNCF Réseau ? Vous avez manifestement des besoins d'investissement importants, mais les régions et les métropoles à l'attractivité toujours croissante peuvent aider à résoudre certaines difficultés des transports du quotidien.
M. Jean-Pierre Farandou. - La SNCF est effectivement un gros consommateur d'électricité ; heureusement, celle-ci est largement décarbonée dans notre pays. Notre projet de réduction de la consommation d'énergie a donc un potentiel important : 1 térawattheure dès la première phase, soit 15 % de la consommation. Il faut poursuivre les études sur les panneaux solaires longitudinaux à installer le long des voies : le projet étant prometteur, la SNCF pourrait ainsi produire une quantité significative d'électricité verte. Reste notamment à déterminer si cette production sera autoconsommée ou ira dans le réseau électrique.
Quant aux tarifs, heureusement, nous avions acheté à l'avance, à prix convenu, l'électricité que nous consommons actuellement. En dépit de cette couverture importante, cette année, notre facture électrique a presque doublé, augmentant de 300 millions d'euros. L'année prochaine, aux prix actuels, le surcoût serait autour de 1,6 milliard d'euros, dont une moitié environ pour les TGV, l'autre pour les TER et le Transilien. Pour ces derniers, des discussions complexes vont s'ouvrir avec les régions, dont la facture va s'alourdir significativement : plusieurs dizaines de millions d'euros annuels pour chacune d'entre elles. Quant aux TGV, si ce surcoût était répercuté directement, le prix des billets augmenterait de 10 % ; nous ne le ferons pas, tant par sens de l'intérêt général que pour préserver les volumes de ventes. Nous n'avons pas encore décidé de ce que nous allons faire en la matière, entre différents niveaux et modalités possibles d'augmentation ; le Gouvernement suit cela de près. En tout cas, les surcoûts ne seront pas intégralement répercutés sur les clients ; j'en prends l'engagement.
Sur le pouvoir d'achat, je plaide non coupable. On peut toujours mieux faire en matière de tarifs, mais 75 % des 23 millions de billets que nous avons vendus cet été étaient à prix réduit. Nous avons vendu près de 4 millions de cartes Avantage, qui plafonnent le prix des billets en fonction de la longueur du trajet, même les jours de plus forte demande. Ouigo représente aujourd'hui 25 % de l'activité TGV ; la moitié des billets y sont à 25 euros. S'y ajoutent les trains classiques Ouigo, eux aussi à petit prix. Par rapport aux autres pays, on ne peut pas dire que les trains français soient chers. Quant aux tarifications TER, qui ne dépendent pas de nous, toutes les régions jouent le jeu de prix accessibles. Il demeure des anomalies sur lesquelles travailler : ainsi, sur les Ouigo, la carte Avantage ne s'applique pas et le yield management peut produire des effets un peu fous. Je vous invite donc à une appréciation de la politique tarifaire de la SNCF : depuis mon entrée en fonction, j'ai une politique de volume, même si elle n'est pas encore parfaitement perçue par la collectivité.
Le GPSO est un projet global : il s'agit non seulement de construire une ligne nouvelle Bordeaux-Toulouse, avec une antenne vers Dax, mais aussi de rénover le réseau ferroviaire classique en aval, dans tout le sud-ouest. J'entends votre alerte sur ce point.
Quant à la ligne Paris-Clermont-Ferrand, je n'anticiperai pas sur les annonces que fera le ministre demain, mais je vous remercie d'avoir noté l'amélioration de la régularité. Tout n'est pas encore parfait : on fait avec les voitures, les locomotives et les voies qu'on a. Vous avez raison de nous interpeller sur les annonces aux voyageurs : elles doivent être améliorées. Le 19 juillet, ce n'est pas le train qui a mis vingt heures à arriver, puisqu'il a été annulé ; ce sont les passagers, qui ont été ramenés à Paris et ont été acheminés le lendemain. De telles mésaventures ne sont pas spécifiques à cette ligne ; elles surviennent aussi, trop souvent, sur les liaisons TGV. Dans de telles situations, il faut soigner l'information et la prise en charge. On n'est pas parfait, mais on ne renonce pas à s'améliorer !
Concernant le transport des personnes handicapées, je n'ai pas de réponse précise à votre question, mais nous vous l'apporterons. Nous devons être irréprochables en la matière.
Notre plan de sobriété nous oblige à prendre en considération l'empreinte environnementale du numérique ; les courriers électroniques avec des pièces jointes, notamment des images, consomment énormément d'énergie. Nous allons avoir une approche volontariste sur ce point.
Je veux un choc d'offre. En revanche, mon opinion de l'offre allemande de cet été - neuf euros pour une utilisation illimitée des trains régionaux, à l'échelle nationale, pendant un mois - est mitigée. L'effet d'attraction est indéniable, mais c'est une mesure de pouvoir d'achat plus que de report modal. Sans amélioration de l'offre, les gens resteront dans leur voiture quand ils n'ont pas de meilleure solution. Une telle offre conduit plutôt à un afflux massif sur certains jours et certains trajets, dépassant la capacité de l'opérateur : dans de telles situations, personne n'est content.
La durée de vie moyenne du matériel roulant est la même en France qu'en Allemagne : quarante ans. Après vingt ans, on procède à des opérations dites « de mi-vie » pour donner plus de confort et de sécurité aux rames. On n'a pas à rougir de la maintenance française.
Quant à Railcoop, nous ne leur voulons pas de mal, nous les aidons même parfois à résoudre des problèmes, mais c'est objectivement compliqué pour eux. Ils apprennent la complexité du transport ferroviaire ; c'est un apprentissage long.
Nous ne laissons pas tomber le Lot. Les lignes Paris-Clermont-Ferrand et POLT sont deux programmes similaires, tout comme le matériel roulant qui y est employé. Quant aux arrêts, il faut défendre vos territoires auprès de l'autorité organisatrice. Le train de nuit Paris-Aurillac doit entrer en service à la fin de cette année ; c'est un engagement du Premier ministre Jean Castex, que nous tiendrons.
La distribution de billets dans les territoires ruraux est un vaste sujet. Les gens souhaitent qu'il y ait du personnel dans les gares tout le temps, c'est bien légitime. Mais dans les plus petites gares, les guichetiers vendent très peu de billets - sept ou huit par jour en moyenne - et ils s'ennuient ! L'utilité d'un agent ainsi employé, par rapport à son coût pour les régions, donc les contribuables, est discutable. Dans les gares un peu plus importantes, celles de petites villes, une idée intéressante consiste à mutualiser l'ensemble des services offerts dans la gare, y compris la vente de billets ; des expérimentations sont en cours. Ainsi, on peut refaire de la gare un lieu centralisé. Par ailleurs, pour la vente de billets, il y a toujours le téléphone : on peut toujours appeler le 3235, même la veille pour le lendemain. C'est accessible pour les personnes âgées qui ont du mal à se servir d'internet.
Merci de votre attachement à la SNCF, monsieur Dagbert : il nous oblige et nous soutient. La reprise par l'État de la dette de SNCF Réseau est une partie forte de la loi du 27 juin 2018. On se souvient que cette dette provenait surtout de la construction des lignes à grande vitesse. En quarante ans, la SNCF a dépensé 100 milliards d'euros pour le TGV ! Cette reprise, qui réduit par ailleurs nos frais financiers d'un milliard d'euros par an, n'est pas neutre ; notre actionnaire nous l'a offerte en contrepartie d'une trajectoire rigoureuse de retour à l'équilibre, par davantage de rigueur et de productivité. On est sur ce chemin !
J'ai parlé à plusieurs présidents de conseils régionaux et de métropoles du développement de réseaux express. Ils sont prêts à venir. Si l'État prenait une initiative en la matière, en finançant la moitié de tel ou tel projet, par exemple, bien des collectivités s'engageraient pour le complément et on aurait une chance d'y parvenir. Tout n'est pas apporté par l'État dans les fameux 100 milliards d'euros que j'évoquais.
Enfin, je crois au train à l'hydrogène. Encore 20 % de nos trains fret et voyageurs fonctionnent au diesel. Nous avons l'ambition d'en sortir complètement d'ici à 2050. L'étape actuelle, financée par les régions avec la SNCF comme conseillère technique, consiste à développer les solutions existantes : trains hybrides diesels-électriques, trains au colza sur la liaison Paris-Granville, trains électriques à batterie... L'étape suivante, ce sont les trains à hydrogène. Ils existent déjà ! Le problème est moins le développement de moteurs performants que la production massive d'un hydrogène qui soit vert, relativement bon marché et disponible partout sur le territoire. C'est ainsi que l'on atteindra l'objectif de zéro émission nette. Nous sommes confiants, parce que l'État joue le jeu, en investissant dans cette filière, et que la France dispose de quatre grands énergéticiens prêts à s'engager dans cette voie : Air Liquide, leader mondial en la matière, EDF, TotalEnergies et Engie. Si, dans quinze ans, vers la fin de vie du matériel diesel régional actuel, on peut passer à l'hydrogène, cela nous évitera de devoir électrifier les lignes.
M. Jean-François Longeot, président. - Monsieur Farandou, au cours de ces deux heures d'échanges, vous nous avez offert des réponses claires, franches et précises. Nous partageons votre attachement au transport ferroviaire et à la SNCF. Dans les débats que nous aurons prochainement, nous essaierons de faire évoluer l'accompagnement que nous pouvons apporter à la SNCF, indispensable pour le développement de nos territoires et la réduction des émissions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Désignation d'un rapporteur sur le projet de loi relatif à l'accélération des énergies renouvelables (sous réserve de son dépôt)
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous devons procéder à la désignation d'un rapporteur sur le projet de loi relatif à l'accélération de la transition énergétique, que nous examinerons le mois prochain, sous réserve de sa présentation en Conseil des ministres.
Un avant-projet de loi et une pré-étude d'impact ont déjà été diffusés par le Gouvernement. Le texte définitif et son étude d'impact ne seront publiés qu'après l'avis du Conseil d'État et sa présentation en Conseil des ministres vraisemblablement le 21 septembre prochain. Son contenu devrait a minima être modifié sur la forme, mais pourrait également l'être sur le fond.
Ce projet de loi s'inscrit dans un contexte énergétique particulièrement difficile, marqué à court terme par le risque pesant sur la sécurité d'approvisionnement du pays et, à moyen et à long termes, par un déploiement trop poussif des énergies renouvelables pour couvrir nos besoins énergétiques et atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. L'avant-projet de loi prévoit des dispositions pour l'essentiel techniques, visant à simplifier le cadre juridique et administratif des projets d'énergie renouvelable. Un volet réglementaire a déjà été lancé cet été, en complément des dispositions prévues par l'avant-projet de loi.
Le texte qui a été transmis par le Gouvernement au Conseil d'État comporte 20 articles répartis en IV titres : des mesures d'urgence temporaires pour accélérer les projets d'énergie renouvelable et les projets industriels nécessaires à la transition écologique, aux articles 1er à 8 ; des mesures spécifiques à l'accélération du photovoltaïque, aux articles 9 à 12 ; des mesures spécifiques à l'accélération de l'éolien en mer, aux articles 13 à 17 ; enfin, des mesures transversales de financement des énergies renouvelables et de partage de la valeur, aux articles 18 à 20.
Le texte sera examiné au fond par notre commission. La commission des affaires économiques devrait se saisir pour avis de certains articles et m'a déjà adressé plusieurs demandes de délégation au fond. Le périmètre d'une éventuelle délégation au fond devra être approuvé par notre commission ultérieurement, après la présentation du texte définitif en Conseil des ministres et son dépôt sur le bureau du Sénat.
Sous toutes réserves, le texte pourrait être examiné en commission le 26 octobre prochain et en séance publique dès le 2 novembre.
En vue de cet examen, j'ai reçu la candidature de Didier Mandelli pour exercer les fonctions de rapporteur sur ce texte.
La commission désigne M. Didier Mandelli rapporteur sur le projet de loi relatif à l'accélération de la transition énergétique, sous réserve de son dépôt.
La réunion est close à 11 h 10.