- Mercredi 3 août 2022
- Audition de Mme Emmanuelle Wargon, candidate proposée, par le Président de la République, aux fonctions de présidente du collège de la Commission de régulation de l'énergie (CRE)
- Vote et dépouillement sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Emmanuelle Wargon aux fonctions de présidente du collège de la Commission de régulation de l'énergie
- Proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le programme de l'Union pour une connectivité sécurisée pour la période 2023-2027 - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de nomination de Mme Valérie Metrich-Hecquet, candidat proposé par le Président de la République, aux fonctions de directrice générale de l'Office national des forêts, en application de l'article 13 de la Constitution - Désignation d'un rapporteur
- Mission de contrôle relative à la prévention et à la lutte contre l'intensification et l'extension du risque d'incendie - Examen du rapport d'information
Mercredi 3 août 2022
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 00.
Audition de Mme Emmanuelle Wargon, candidate proposée, par le Président de la République, aux fonctions de présidente du collège de la Commission de régulation de l'énergie (CRE)
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Emmanuelle Wargon, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente du collège de la Commission de régulation de l'énergie (CRE).
Cette nomination ne peut intervenir qu'après audition devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cette audition est publique et ouverte à la presse et retransmise sur le site du Sénat. Elle sera suivie d'un vote, qui se déroulera à bulletin secret. Je rappelle que les délégations de vote ne sont pas autorisées et que le dépouillement doit être effectué simultanément à l'Assemblée nationale. L'Assemblée nationale devant entendre Mme Wargon après le Sénat, nous dépouillerons les bulletins d'ici à la mi-journée.
En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs exprimés dans les deux commissions représentait, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés
Avant de passer la parole à notre collègue Patrick Chauvet, rapporteur sur cette nomination, puis à notre collègue Daniel Gremillet, président du groupe d'études « Énergie », je souhaiterais rappeler le très grand intérêt que notre commission porte à la régulation des marchés de l'énergie.
Lundi encore, lors de la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, nous avons abouti à de belles avancées en la matière. Nous avons conforté la régulation de l'énergie nucléaire, en plafonnant l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) à 120 térawattheures (TWh). Nous avons favorisé l'essor des énergies renouvelables (EnR), en simplifiant les procédures pour le biogaz, et consolidé la protection des consommateurs, en renforçant l'information et en encadrant les coupures.
Jamais peut-être une nomination à une autorité administrative indépendante (AAI) comme la CRE n'aura été réalisée dans un contexte aussi sensible pour notre pays et pour l'Europe, étant donné l'extrême complexité et les incertitudes liées à la situation géopolitique et à la situation climatique. L'énergie, c'est la vie, et nous nous trouvons actuellement, en raison de choix passés, dans une situation critique, laquelle exige l'action d'une autorité de régulation pertinente sur ces questions.
Je tiens à souligner la très grande attention que nous attachons à la vision de la CRE, dont le rôle - éclairer l'exécutif - est extrêmement important dans cette période critique. Nous serons donc très attentifs au cap que vous proposez pour la CRE, à votre perception des marchés de l'énergie et à la façon dont vous entendez exercer votre rôle, en relation, bien sûr, avec l'exécutif, mais aussi avec le Parlement.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Vous êtes conseillère maître à la Cour des comptes et avez fait une partie de votre carrière au sein de ministères ou d'établissements sociaux. Vous avez également exercé les fonctions ministérielles que nous connaissons tous, en tant que secrétaire d'État à la transition écologique, de 2018 à 2020, puis en tant que ministre déléguée au logement, de 2020 à 2022.
Ma première interrogation porte donc sur votre parcours : qu'est-ce qui vous motive à vous investir dans un secteur - celui de l'énergie - différent de ceux dans lesquels vous avez évolué auparavant ? Par ailleurs, comment entendez-vous garantir l'indépendance de la CRE, qui est, je le rappelle, une AAI, compte tenu de vos anciennes fonctions ministérielles ? Devrez-vous vous déporter sur les sujets que vous auriez eu à connaître dans ces anciennes fonctions ? Je pense, par exemple, à la rénovation énergétique, proche des missions de la CRE.
Créée par la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, la CRE a pour principale mission de concourir au bon fonctionnement des marchés de l'électricité et du gaz naturel, au bénéfice des consommateurs finals et en cohérence avec les objectifs de la politique énergétique.
Ma deuxième interrogation concerne ainsi les missions de la CRE. Dans le contexte de crise énergétique, le rôle des autorités de régulation va s'amplifier. Le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », complété par le plan REPowerEU, fixe des exigences en matière d'EnR, d'hydrogène, d'électromobilité, de réseau et de stockage. Les plans de résilience et d'investissement prévoient des montants importants en direction de l'énergie nucléaire, de l'hydrogène ou de l'électromobilité. Ce cadre a des répercussions sur les missions de la CRE, ou tout du moins sur leurs conditions d'exercice. Comment la CRE appréhende-t-elle ces exigences ? Est-elle en capacité d'y répondre, sur les plans budgétaire et humain ?
Ma troisième interrogation concerne la crise énergétique et les moyens mis en oeuvre pour y faire face. Quelle appréciation portez-vous sur le « bouclier tarifaire » et comment remédier aux éventuelles lacunes de ce dernier ? Partagez-vous le principe du relèvement de 20 TWh de l'Arenh, qui conduit à un transfert de 10 milliards d'euros de recettes du groupe EDF vers les consommateurs ? Comment mieux protéger les consommateurs qui ne bénéficient pas des tarifs réglementés de vente de l'électricité (TRVE) ? À combien s'élève le rattrapage en 2023 du blocage tarifaire sur les consommateurs ? Enfin, comment anticipez-vous la fin des tarifs réglementés de vente de gaz (TRVG), prévue pour juillet 2023 ?
Ma dernière interrogation a trait à l'avenir du secteur de l'énergie, en pleine effervescence. À l'échelle européenne, quelle est votre position sur la réforme du marché de l'électricité ? Êtes-vous favorable à la suppression du principe du coût marginal, qui lie dans les faits le prix de l'électricité à celui du gaz ? À l'échelle nationale, quelle appréciation portez-vous sur la relance de l'énergie nucléaire ? Pour le nucléaire existant, quel mécanisme de régulation devrait remplacer l'Arenh ? Enfin, que pouvons-nous envisager pour le nouveau nucléaire : une garantie de prix, comme au Royaume-Uni ? Un consortium d'électro-intensifs, comme en Finlande ? Un financement étatique, comme en République tchèque ?
M. Daniel Gremillet, président du groupe d'études "Énergie". - Je ne compléterai que marginalement les questions de notre présidente et de notre rapporteur.
Le premier point que je souhaiterais aborder concerne l'essor des EnR. Le ministère de la transition énergétique a annoncé un plan modifiant les dispositifs de soutien budgétaires ; ce plan prévoit la suspension de la baisse des tarifs sur le photovoltaïque, le relèvement des coûts pris en compte dans les appels d'offres, l'extension du délai ou du périmètre de certains appels d'offres ou encore l'autorisation de vente par certains lauréats de l'énergie sur les marchés. Quel est votre avis sur ces annonces ? Plus largement, pensez-vous qu'il faille consolider les dispositifs de soutien budgétaires pour amplifier les projets, ou au contraire en modérer le coût, qui s'élevait déjà à plus de 5 milliards d'euros l'an passé ? Faut-il préférer des dispositifs de soutien extrabudgétaires, tels que les rabais tarifaires, les garanties d'origine, ou les contrats de gré à gré ?
Par ailleurs, le stockage, indispensable pour remédier à l'intermittence des énergies renouvelables, est-il assez soutenu ? Quid de l'autoconsommation, porteuse d'externalités positives pour les consommateurs, mais négatives pour les réseaux : doit-elle être encouragée ?
Le deuxième point a trait à la sécurité d'approvisionnement. La CRE a récemment publié un rapport sur les anticipations des acteurs du marché de l'électricité, indiquant que ces derniers prévoient une atteinte du plafond du prix sur les enchères de 200 heures par trimestre, ce qui refléterait « la crainte des marchés quant au risque d'un déséquilibre offre/demande ». Pouvez-vous préciser cette analyse ?
Par ailleurs, risque-t-on une rupture sur le plan de l'approvisionnement, en gaz, en raison de la guerre en Ukraine, ou en électricité, compte tenu du phénomène de corrosion sous contrainte ? Les dispositifs de stockage, d'interruptibilité ou d'effacement sont-ils suffisants ? Comment, enfin, favoriser l'effort de sobriété énergétique ? Identifiez-vous des gisements, tant chez les professionnels que chez les particuliers ?
Mon dernier point porte sur l'évolution de notre mix énergétique, sur laquelle le législateur aura à se prononcer, à l'occasion de la loi quinquennale sur l'énergie de 2023. Notre commission a résolument plaidé pour faire du scénario « N03 » de Réseau de transport d'électricité (RTE) un minimum à atteindre, appelant à construire rapidement non pas six, mais quatorze EPR (European Pressurized Reactors, réacteurs pressurisés européens). Quel est votre point de vue sur le mix énergétique idéal ?
Mme Emmanuelle Wargon, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente du collège de la Commission de régulation de l'énergie. - Je suis très heureuse et honorée de présenter devant vous ma candidature à la tête de la CRE - institution tellement importante dans cette période - conformément, vous l'avez rappelé, Mme la présidente, à la procédure de l'article 13 de la Constitution.
Je commencerai par me présenter, puis j'évoquerai à la fois les grands enjeux énergétiques et la manière dont la CRE peut y répondre ainsi que les priorités qui pourraient être la sienne si ma candidature est retenue.
Nous avons travaillé ensemble à de nombreuses reprises durant mes mandats ministériels, mais ma carrière est pour l'essentiel administrative : je suis conseillère maître à la Cour des comptes et j'ai passé vingt ans dans différentes fonctions administratives, au sein d'administrations centrales et d'établissements publics. J'ai été secrétaire générale des ministères sociaux, puis déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle, à la tête d'environ 200 agents. J'ai par ailleurs exercé au sein de l'Agence du médicament, où j'ai passé quatre ans, une agence indépendante, qui prend ses décisions par elle-même, indépendamment de la volonté du Gouvernement.
J'ai ensuite ouvert une page politique, qui se refermera aujourd'hui si cette nomination aboutit, m'ayant conduite à être secrétaire d'État chargée de l'écologie, puis ministre déléguée au logement. Nous avons alors eu l'occasion de beaucoup travailler ensemble et nous sommes parvenus à des accords ou consensus - je pense, par exemple, à la création de l'Office français de la biodiversité (OFB), puis aux lois dites « 3DS » et « Climat-Résilience ».
L'énergie a en réalité été au coeur de nombreux dossiers que j'ai traités lors de ces expériences ministérielles, ce qui m'amène aujourd'hui à cette candidature à la CRE. J'ai en effet pris conscience de l'importance absolument stratégique des questions énergétiques pour notre pays. J'ai, par exemple, piloté des groupes de travail pour lever les freins réglementaires au développement des EnR, notamment sur les réseaux de chaleur, mais aussi sur l'éolien et sur le solaire. Au titre de mes fonctions de ministre déléguée au logement, j'ai beaucoup travaillé sur la rénovation énergétique des bâtiments, avec MaPrimeRénov' et en soutenant les collectivités territoriales. J'ai donc pu toucher du doigt, si je puis dire, l'enjeu essentiel que constitue l'énergie, et j'estime que la chance d'être à la tête de ce régulateur est une très belle façon de servir le pays.
Je regroupe les enjeux énergétiques en trois axes.
Le premier se rapporte à la sécurité d'approvisionnement et à la souveraineté énergétique. Nous étions déjà tous convaincus de l'importance de ce sujet avant la crise de l'énergie liée à la guerre en Ukraine, mais nous voyons maintenant concrètement à quel point il est crucial pour le pays.
Le deuxième axe concerne la protection des consommateurs et la compétitivité de nos entreprises. La CRE joue un rôle important pour ce qui concerne la régulation des marchés, au bénéfice non seulement des ménages, mais aussi des industriels électro-intensifs et plus largement de toutes nos entreprises.
L'énergie, vivement touchée par l'inflation, représente une partie importante des charges qui pèsent sur les ménages et sur les entreprises, pour lesquelles la compétitivité est indispensable. Les tarifs réglementés et l'Arenh, mesures de régulation classiques, mais aussi les mesures exceptionnelles telles que les « boucliers tarifaires » nous permettent de protéger en partie le pouvoir d'achat de nos compatriotes.
Le troisième et peut-être le principal enjeu est l'accélération de la transition écologique, en faveur de laquelle nos objectifs sont extrêmement ambitieux, qu'ils soient nationaux ou communautaires, et vont nous amener à un double mouvement : la baisse de notre consommation d'énergie, fixée pour l'instant à 40 % d'ici à 2050, et une part croissante d'électricité dans notre mix énergétique pour aller vers une énergie décarbonée. Les différents scénarii, dont celui que vous avez cité, conduisent à une augmentation en valeur absolue de la production énergétique.
Pour atteindre ces objectifs, nous devons travailler sur la sobriété et l'efficacité, ainsi que sur le développement des EnR, en nous appuyant sur le nucléaire.
L'efficacité, c'est parvenir au même résultat avec moins de source et de consommation d'énergie. La sobriété, c'est changer nos usages pour consommer moins d'énergie, en trouvant des solutions alternatives. Il s'agit d'un objectif de politiques publiques indispensable.
Nous devons ensuite soutenir le développement des EnR. Nous avons encore de la marge pour atteindre une production suffisante ; d'où les nombreux travaux en ce sens, dont les textes que vous venez d'adopter.
Je tiens vraiment à préciser ma position sur le nucléaire, qui est un point très important de la discussion : je suis favorable à l'électricité nucléaire, clairement, que ce soit le maintien des réacteurs existants ou le développement du nouveau nucléaire. Permettre à notre opérateur national de soutenir le nucléaire existant et le nouveau nucléaire constitue l'un des éléments majeurs du design de marché.
En tant que secrétaire d'État, j'ai été amenée à accompagner les territoires, à la fois pour la fermeture des centrales à charbon, et pour la fermeture de la centrale de Fessenheim. Sur ce dernier point, je souhaite clarifier les choses : à ce moment-là - début 2019 -, la décision de fermer la centrale avait été prise longtemps auparavant, reconfirmée, et, en accord avec l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le groupe EDF n'avait pas lancé les opérations de maintenance lourde et de visites décennales initialement prévues par le calendrier.
Dans ce contexte, la gestion du dossier consistait à accompagner le groupe EDF sur les plans technique et économique, mais surtout le territoire confronté à cette décision, notamment sur le développement d'un technocentre et d'industries alternatives.
L'hypothèse sur laquelle reposait la décision de fermer la centrale de Fessenheim tenait au fait que la consommation future d'électricité serait stable, voire en légère décroissance ; elle s'est révélée fausse. Le monde a changé et nous devons prendre des décisions en conséquence. Ma position personnelle, je le redis pour être très claire, est donc, de maintenir les réacteurs existants, dans les conditions définies par l'ASN, et développer le nouveau nucléaire, qui est indispensable, quel que soient les scenario retenus.
Ces questions-là sont en premier lieu du ressort du législateur, et non de la CRE. La discussion du projet de loi sur la programmation pluriannuelle de l'énergie, qui aura lieu avant le 1er juillet 2023, sera l'occasion pour le législateur de définir la politique énergétique du pays.
La mission de la CRE - les textes publiés par cette dernière le montrent bien - est de réguler les marchés et de protéger le consommateur, dans le cadre déterminé par les orientations de la politique énergétique du pays. C'est donc dans ce cadre qu'aura lieu l'action du régulateur.
Vous m'avez posé la question de l'indépendance ; c'est une question très importante. J'ai eu une longue carrière administrative au sein d'institutions, comme la Cour des comptes et l'Agence du médicament, je l'ai dit, qui ont pour vocation l'indépendance. J'ai ensuite tourné une page en m'engageant politiquement et en étant élue conseillère régionale en Île-de-France ; si ma nomination est validée, cet engagement prendra fin, je démissionnerai de mon mandat.
Je souhaite désormais mettre mes compétences et mon énergie au service de ce régulateur, en toute liberté. Avant moi, d'autres figures politiques ont été amenées à exercer les fonctions de présidents d'AAI et l'ont fait en toute indépendance : je pense à Jean-Pierre Jouyet à la tête de l'Autorité des marchés financiers (AMF), à Jacques Toubon en tant que Défenseur des droits ou encore à Dominique Versini en tant que Défenseure des enfants.
Je vous le dis donc solennellement : si j'étais nommée, je reprendrais ma liberté de magistrate, sur la base de ma carrière et de mes convictions sur le modèle énergétique pour servir mon pays de manière différente.
Je tiens à saluer les trois présidents successifs de la CRE, Jean Syrota, Philippe de Ladoucette et Jean-François Carenco, qui, depuis sa création en 2000, en ont fait une institution respectée, comme en témoignent les plus de 80 missions nouvelles qui lui ont été confiées. Si elle est tant respectée, c'est grâce à la force et à la qualité des travaux de sa présidence, des quatre autres membres constituant son collège, et de ses quelque 160 agents.
Sur la question des moyens, la CRE a pour l'instant répondu de façon satisfaisante aux missions qui lui sont confiées, mais la multiplication de ses missions et le renforcement de son rôle nécessiteront naturellement un soutien financier, en termes de budget et d'effectifs, pour lui permettre de jouer pleinement son rôle.
Pour ce qui est des priorités de l'institution elle-même, la première a trait à la régulation, extrêmement importante, des réseaux. Nous avons la chance de compter sur des réseaux de transport et de distribution de gaz et d'électricité de bonne qualité. Le développement des EnR et du nouveau nucléaire nous confrontent toutefois à un défi : le raccordement de toutes ces sources d'énergie. Cette trajectoire d'investissements considérables doit être accompagnée au travers du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe), même si une première étape a été franchie l'année dernière avec le passage au Turpe 6. Les investissements sont devant nous : ils restent considérables.
Ces réseaux sont également un enjeu de solidarité nationale et de péréquation, car l'accès à l'énergie doit être garanti à chacun sur l'ensemble du territoire, en matière de prix, de qualité de service et de dialogue entre collectivités concédantes et collectivités organisatrices de la distribution de l'électricité ; j'y serai très attentive.
Les réseaux doivent enfin faciliter toutes les flexibilités - stockage, interconnexions - pour nous assurer de passer les prochains hivers dans des conditions satisfaisantes.
La deuxième mission prioritaire de la CRE est d'assurer la régulation et la surveillance des marchés, de détail et de gros. Pour cela, une importante réforme du mode de fixation des prix et des marchés est nécessaire, à l'échelle européenne comme française. Toutefois, la CRE joue déjà ce rôle en surveillant les fournisseurs alternatifs. Il me paraît essentiel, à droit constant, de vérifier que l'Arenh tel qu'il a été réparti profite bien au client final et non pas aux fournisseurs alternatifs. Cela signifie renforcer encore les contrôles, d'autant que les mécanismes de régulation qui fonctionnaient par temps calme ne fonctionnent plus dans un marché où le prix de l'électricité atteint, comme c'est le cas en ce moment, 800 euros le mégawattheure (MWh), et le prix du gaz entre 150 et 200 euros le MWh, selon les projections trimestrielles.
Certaines évolutions peuvent être directement négociées auprès du collège des régulateurs et de l'Agence européenne de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER), notamment la fixation d'un plafond du prix spot de l'électricité. Nous avons connu, le 4 avril dernier, un épisode exceptionnel lorsque le prix plafond de l'électricité a atteint 3 000 euros en France pendant deux heures, engendrant automatiquement un décalage vers le haut du prix plafond européen, qui est passé à 4 000 euros. Ce mode de fixation automatique doit changer, car il est inflationniste ; je m'y emploierai, si ma candidature est retenue, en négociant avec les régulateurs européens. On peut aussi imaginer fixer un prix plafond du gaz, qui n'existe pas aujourd'hui, afin de sécuriser les marchés.
Par ailleurs, il est nécessaire de trouver de nouveaux mécanismes pour décorréler les prix de gros des prix de détail : il n'est plus acceptable que, en France, le prix final de l'électricité pour le client dépende à ce point du prix du gaz sur le marché européen. Les énergies décarbonées, renouvelables et nucléaires, qui sont une base pour nous et dont les prix n'augmentent pas aussi vite que les prix du gaz, doivent être intégrées dans notre prix de marché national.
En ce qui concerne l'Arenh, ce mécanisme arrive à sa limite. S'il a fonctionné au moment de sa création, il ne permet plus de garantir des prix justes aux consommateurs, car les tensions sur le marché sont trop fortes. Vous avez relevé, à l'occasion de l'examen du texte sur le pouvoir de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, le tarif de l'Arenh, qui passera de 42 euros à 49,5 euros à compter du 1er janvier 2023. C'était indispensable, de même que le volume de 120 TWh me paraît un maximum dans cette période de tension sur la fourniture d'électricité nucléaire liée aux problèmes de corrosion sous contraintes rencontrés par le groupe EDF.
Il faudra négocier avec la Commission européenne pour trouver un nouveau mécanisme pour protéger le consommateur après l'Arenh - qui de toute façon s'arrêtera en 2025 - en faisant aussi évoluer le mode de fixation des tarifs réglementés de vente de l'électricité (TRVE). Ces derniers sont en effet, par leur mode de calcul par empilement, extrêmement sensibles à l'Arenh, dont chaque écrêtement influe sur la fixation des tarifs réglementés. Au bout du compte, nous avons été capables, en créant des « boucliers tarifaires » sur le gaz et l'électricité, excédant les mécanismes classiques, de protéger les consommateurs. La question se posera de nouveau au législateur et à l'exécutif en 2023.
Le seul élément sur la table, aujourd'hui, c'est la communication récente de la CRE proposant une augmentation des TRVE de 3,9 % au 1er août - proposition évidemment non retenue par l'exécutif et le législateur puisque le bouclier a été posé pour la totalité de l'année 2022. Pour 2023, il reviendra à la CRE, sur la base de simulations, de faire des propositions à l'automne.
La troisième priorité est bien sûr le développement des énergies renouvelables. La CRE opère les appels d'offres en ce sens, auxquels doit se conjuguer le développement des opérations de gré à gré qui ne sont plus soutenues par des subventions publiques. Les charges de contribution au service public de l'électricité (CSPE) sont néanmoins en train de baisser très fortement puisque, après avoir été très élevée ces dernières années, la CSPE est désormais en voie de devenir négative, compte tenu des prix de marché de l'électricité et donc des prix auxquels l'énergie renouvelable peut être vendue.
Je suis favorable à toutes les mesures de simplification et de souplesse, y compris sur les prix de vente, qui ont été adoptées récemment.
L'ensemble de ces sujets revêtent une importance particulière en Corse et dans nos Outre-mer. La CRE tient un rôle important pour accompagner la définition des PPE dans les zones non interconnectées (ZNI), et pour soutenir le développement des EnR et l'autonomie énergétique dans ces territoires, qui sont confrontés à des situations encore plus difficiles qu'en France continentale. Je suis très attachée à ce que la solidarité nationale s'exprime entre tous nos territoires, y compris ultramarins.
Vous avez également cité le sujet de l'hydrogène bas-carbone dont nous devons soutenir le développement à la fois en solution de stockage et pour les usages de nos industriels, qu'il soit produit à partir d'EnR ou à partir d'énergie nucléaire.
En guise de conclusion, j'insisterai sur deux points. D'abord, la CRE doit jouer un rôle européen très important en vue d'obtenir les flexibilités nécessaires auprès de l'ACER, en travaillant en bonne intelligence avec ses collègues au sein du collège des régulateurs et, bien sûr, avec la Commission européenne.
Ensuite, si je suis présidente de la CRE, je serai à la disposition autant du législateur que de l'exécutif, pour travailler en proximité.
Les capacités d'analyse et de simulation de la CRE doivent être mises au service du législateur, à l'Assemblée nationale comme au Sénat ; elles l'ont déjà été au cours des années précédentes par de nombreuses auditions et rencontres. Je le dis à M. le président du groupe d'études « Énergie », mais aussi à vous, madame la présidente de la commission et à tous les sénateurs intéressés : je me tiendrai, avec les équipes de la CRE, à votre disposition pour travailler sur les différentes hypothèses et éclairer vos choix pour poser les bases de la nouvelle politique énergétique du pays.
Enfin, concernant la question de la fin des TRVG, cette règle est posée, et la CRE doit accompagner, par l'information, le choix éclairé des consommateurs. Vous avez renforcé cet aspect dans les textes en discussion actuellement, j'y suis également très attachée.
M. Jean-Claude Tissot. - Je vais vous interroger sur deux points : le marché européen de l'énergie et les relations entre le Gouvernement et la CRE.
Le 26 octobre 2021 lors d'un conseil extraordinaire des ministres européens de l'énergie, vous avez déclaré à propos du marché européen de l'électricité : « Nous avons aussi besoin de revoir ces mécanismes de fonctionnement, cela nécessite une analyse approfondie parce que, pour l'instant, le prix final facturé aux consommateurs d'électricité est extrêmement dépendant du prix marginal des énergies fossiles. » Je partage votre constat, mais souhaiterais obtenir quelques éléments de précision. Comment la CRE peut-elle participer à cette indispensable réorganisation du marché européen de l'énergie ? Comment imaginez-vous cette réorganisation ? Ne serait-il pas nécessaire de prendre du recul sur les logiques uniquement financières et spéculatives qui nuisent au bon fonctionnement de l'approvisionnement à des tarifs raisonnables et à l'indispensable transition énergétique ?
Ma seconde interrogation est plus politique : alors que votre prédécesseur, Jean-François Carenco, est devenu ministre du Gouvernement dont vous êtes vous-même une ex-ministre, la CRE n'est-elle pas devenue une sorte d'antichambre de la majorité présidentielle ?
M. Jean-Pierre Moga. - J'ai récemment travaillé sur deux rapports, le premier portant sur la sécurité d'approvisionnement de notre pays et le second sur la relance du nucléaire. La logique que nous avons retenue dans ces travaux est la logique additive prônée par RTE, consistant à marcher sur deux jambes : le nucléaire, d'une part - sujet sur lequel vous avez déjà répondu à mes inquiétudes quant à votre position personnelle et le rôle de la CRE - et les EnR, d'autre part.
J'ai porté avec le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, Jean-François Longeot, une proposition de résolution tendant au développement de l'agrivoltaïsme en France. Nous y préconisons notamment que l'agrivoltaïsme sorte des appels d'offres « solaire innovant » lancés en 2016 pour être intégré dans une famille dédiée de la CRE afin d'accélérer le développement des projets.
Au-delà des seuls appels d'offres de la CRE, comment comptez-vous accompagner le déploiement des EnR dans notre pays, et plus particulièrement ceux qui sont liés à l'agrivoltaïsme ?
Mme Micheline Jacques. - Vous avez en partie répondu à ma question, qui, étant la seule commissaire ultramarine, porte sur l'ensemble des territoires d'Outre-mer. Votre prédécesseur Jean-François Carenco a veillé à préserver la péréquation tarifaire tout en accompagnant l'élaboration des PPE des collectivités d'outre-mer. Dans le contexte de renchérissement lié au coût des énergies fossiles, quels principes présideront à votre action dans les ZNI ?
À Saint-Barthélemy, par exemple, l'opérateur historique est contraint de renouveler les moteurs vieillissants en les remplaçant par des moteurs moins polluants, mais à combustion fossile. Les retards et difficultés de mise en oeuvre de la transition énergétique pourraient-ils être des facteurs de remise en cause de cette péréquation ?
M. Daniel Salmon. - Dans sa délibération du 13 juillet 2022, la CRE indique que les recettes prévisionnelles liées aux énergies renouvelables électriques s'élèvent à 8,6 milliards d'euros au titre de l'année 2022-2023. Parmi ces recettes, plus de 7 milliards sont liés à l'éolien terrestre qui représente donc une contribution très intéressante aux finances publiques. C'est pourquoi la CRE demande d'accélérer le développement des EnR. Quel sera le rôle de la CRE quant à cette accélération ?
Par ailleurs, pouvez-vous préciser votre position sur le scénario « 100 % renouvelable » de RTE, dont la faisabilité est bien indiquée ?
M. Bernard Buis. - Dans un rapport sur l'organisation des marchés de l'électricité publié en juin 2022, la Cour des comptes recommande, pour faire face à la volatilité des prix, de redéfinir la méthode de calcul de la composante des TRVE liée à l'écrêtement de l'Arenh - sujet nous ayant bien occupés sur le projet de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat. Comment entendez-vous mettre en oeuvre cette recommandation ?
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » ne devrait-il pas accorder une plus grande attention à la neutralité technologique ? En effet, les EnR sont clairement favorisées au détriment de l'énergie nucléaire ou du gaz bas-carbone, qui approvisionnent largement les logements en France. Ne faudrait-il pas mieux tenir compte du mix énergétique de chaque État membre, qui relève de sa compétence souveraine ?
Par ailleurs, ce paquet ayant été élaboré avant la guerre en Ukraine, ne pourrait-il pas être mieux proportionné pour faire face au contexte actuel, sans pour autant renoncer à l'objectif de baisse de 55 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici à 2030 ?
M. Franck Montaugé. - Vous avez évoqué la nécessité de revoir les TRVE : sur quels principes souhaitez-vous les restructurer ? Avez-vous en tête de les asseoir sur les coûts complets du système électrique à long terme, étant entendu qu'ils sont actuellement structurés sur la base du coût marginal du dernier moyen de production appelé ?
Quelle réforme du design de marché européen en matière d'électricité porterez-vous en qualité de présidente de la CRE ? Quelles sont vos orientations sur ce sujet très technique ?
Par ailleurs, il est possible que les infrastructures de transport de gaz existantes se retrouvent à l'avenir à transporter moins de gaz que ça n'a été le cas jusqu'alors ; comment, selon cette hypothèse, prendrez-vous en compte ce qu'on appelle les coûts échoués ? Des milliards d'euros sont en jeu.
Enfin, quelle est votre analyse du rôle et des postures de l'ACER et quels liens comptez-vous tisser entre les réseaux européens des gestionnaires de réseaux de transport - European Network of Transmission System Operators (ENTSO) - d'électricité (ENSO-E) et de gaz (ENTSOG) ?
Mme Martine Berthet. - Notre souveraineté industrielle et la nécessité, pour les industriels, de décarboner leur production demandent une adaptation des réseaux, voire des créations de façon réactive pour un approvisionnement en biogaz et/ou en hydrogène bas-carbone. Que prévoyez-vous pour cette mise en oeuvre ?
S'agissant de l'effacement par les particuliers, y aura-t-il un retour des contrats type « EJP » - effacement des jours de pointe ? Comment rétablir la confiance des ménages ? Est-il envisagé de revenir à une base plus juste ?
Mme Amel Gacquerre. - Ma question porte sur le volet sobriété énergétique, notamment l'autoconsommation, individuelle et collective, qui permet de produire son électricité et de la consommer au bon moment. Avec la baisse des coûts de production des installations à partir de ressources renouvelables et la hausse du prix de l'électricité, cette pratique se développe fortement et doit être amenée à se développer davantage.
RTE estime que, aujourd'hui, 150 000 Français ont recours à l'autoconsommation solaire. Selon une étude de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), 60 % des Français seraient intéressés.
Dans le contexte de crise énergétique que nous connaissons, l'autoconsommation représente une énergie locale particulièrement intéressante : elle apporte une réponse à notre nécessaire indépendance énergétique et à l'augmentation du prix de l'électricité, tout en réduisant l'empreinte écologique. Quel est votre point de vue sur ce mode de consommation, et comment comptez-vous intensifier cette production locale ?
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - À la fin de l'année 2021, 12 réacteurs nucléaires sur 56 étaient à l'arrêt, alors qu'il s'agit vraisemblablement du moment où nous en avons le plus besoin.
Quel est le rôle de la CRE sur ce sujet ? Comment réduire l'incertitude sur la capacité du groupe EDF à remettre en service des centrales avant cet hiver ?
M. Alain Cadec. - Vous avez parlé d'indépendance. Allez-vous mettre un terme à vos responsabilités de présidente du conseil national de Territoires de progrès, qui, à ma connaissance, est composante de la majorité présidentielle ? À défaut, cela pourrait évidemment poser des problèmes de conflit d'intérêts...
Mme Patricia Schillinger. - Dans un contexte de tensions énergétiques et de dérèglement climatique, nous devons poursuivre la diversification de notre mix énergétique. Nucléaire et EnR se complètent.
Je m'intéresse plus particulièrement à l'éolien en mer. Pourriez-vous nous dresser un bilan des premiers projets français ?
M. Laurent Somon. - Nous nous réjouissons de votre mue sur le rôle de l'énergie nucléaire.
Nous sommes tous convaincus de la nécessité d'un mix énergétique, mais comment voyez-vous les choses compte tenu de la faiblesse de certaines infrastructures de transport de l'électricité ? Quelle est votre vision territoriale du développement des EnR ? Quel langage allez-vous tenir aux territoires sur la méthanisation, l'éolien, l'agrivoltaïsme, ainsi que l'hydroélectricité ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - La CRE oeuvre aussi au bénéfice des consommateurs : parmi les missions qui lui sont assignées, elle doit veiller à ce qu'ils obtiennent le meilleur service et paient le juste prix.
Comment allez-vous mettre l'accent sur l'accès à l'information, qui est primordial ? Quid du fonctionnement du Comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS), instance importante pour régler un certain nombre de litiges ?
Mme Anne-Catherine Loisier. - Dans le contexte actuel, pourrait-on envisager une diminution de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE), qui représente près de 20 % de la facture électricité ?
Mme Sylviane Noël. - Je souhaite connaître votre opinion sur l'ouverture à la concurrence des barrages hydroélectriques, pour laquelle les instances européennes nous mettent une certaine pression depuis plusieurs années...
M. Serge Mérillou. - Vous avez largement évoqué les pistes à court terme pour les différentes énergies, mais je ne vous ai pas entendue sur les perspectives de plus long terme. Or, sur l'énergie, on se projette à dix, vingt, voire trente ans.
Je ne suis pas certain que l'Arenh ait rempli l'objectif que l'on en attendait, à savoir permettre à des opérateurs alternatifs de développer des solutions de production. Aujourd'hui, il est une machine à enrichir des opérateurs alternatifs, et je ne suis pas sûr qu'il ait protégé les consommateurs.
Quelle est votre position à l'égard de Commission européenne sur le dossier de l'énergie hydraulique, à laquelle je suis, comme beaucoup, particulièrement attaché ?
Mme Sophie Primas, présidente. - La CRE réalise aujourd'hui des hypothèses sur le besoin en énergie, mais on a l'impression que l'électrification de nos usages, l'industrie 4.0, la volonté de ne pas émettre de GES et de particules vont dans le sens d'une accélération croissante, au-delà de ses prévisions. Quel regard portez-vous sur le besoin en énergie dans notre pays ?
Quel mode de production de l'hydrogène vert envisagez-vous ? Quels investissements pensez-vous nécessaires, pour produire, mais aussi pour stocker et transporter ? Il y a là un enjeu majeur, au moment où, par ailleurs, l'Europe consacre beaucoup d'argent à la recherche et développement (R&D) en matière de production d'hydrogène.
Au-delà de votre profession de foi pour le nucléaire, quel projet industriel envisagez-vous pour la France ? Quels sont les investissements nécessaires ? Comment voyez-vous le rôle du groupe EDF ? Faut-il avoir d'autres partenaires ? Que pensez-vous des enjeux du groupe Orano, celui des déchets, de l'approvisionnement en combustible ?
Enfin, comment voyez-vous la place des collectivités territoriales dans le développement des EnR ? Nous savons que l'acceptabilité sociale, démocratique est un enjeu majeur pour notre pays. Les élus locaux sont-ils une source de soucis et de freins, ou, au contraire, d'opportunités ? La réponse est suggérée dans ma question...
Mme Emmanuelle Wargon. - Merci beaucoup de toutes ces questions.
M. le sénateur Franck Tissot, vous m'avez interrogée sur ma vision du marché européen de l'énergie. Je pense que nous sommes au moment où nous devons faire évoluer la vision européenne de ce qu'est un marché qui fonctionne bien à l'échelle européenne. Il faut conserver ce qui fonctionne, à savoir le fait de pouvoir être, selon les cas, exportateur ou importateur. Vous le savez, en électricité, la France est exportatrice nette de manière générale. Elle l'a encore été dans la dernière période, mais elle est de plus en plus souvent importatrice - elle l'a été 80 jours l'année dernière, me semble-t-il. Nous avons donc aussi besoin d'un marché dans lequel l'électricité circule, au sens propre du terme, pour être en capacité d'assurer la sécurité d'approvisionnement.
Néanmoins, le mode de fixation du prix tel qu'il existe aujourd'hui - le coût marginal du dernier lieu de production appelé -, dans sa manière de se répercuter - du marché de gros au marché de détail -, expose énormément les consommateurs, qu'ils soient individuels ou industriels, à la volatilité des prix. Comment la CRE peut-elle participer à une réforme du lien entre le prix de gros et le prix de détail ? Essentiellement par son rôle d'expertise, d'analyse et d'influence. De fait, il y a des négociations entre ministres de l'énergie, il y a des textes... Il est absolument exact que le mix énergétique est un élément de la souveraineté nationale : ce sont des décisions nationales, même s'il existe une influence communautaire. La CRE joue aussi un rôle extrêmement important via les simulations : en fonction des scenarii envisagés, elle peut simuler l'impact sur les tarifs et sur les prix de détail, donc éclairer la décision.
Est-ce une antichambre de la majorité présidentielle ? Je souhaite vraiment dire que non ! Je crois que mon prédécesseur a montré son indépendance d'esprit et sa liberté d'analyse dans ses prises de position, y compris récemment. Vous savez qu'il plaidait pour un Arenh à 150 TWh. Ce n'est pas mon cas. Je le dis extrêmement clairement : je ne pense pas que l'Arenh doive être fixé au-delà de 120 TWh. C'est un vrai maximum. Je répète que je souhaite moi aussi exercer ces fonctions en toute indépendance.
M. le sénateur Alain Cadec, bien sûr, je démissionnerai de la présidence du conseil national de Territoires de progrès. C'est tout à fait normal : ce n'est pas compatible avec la présidence d'une AAI. Cela m'amènera donc à tourner la page de la politique et à ouvrir une page nouvelle, au service de mon pays.
M. le sénateur Jean-Pierre Moga, oui, je pense vraiment qu'il faut que nous marchions sur deux jambes, le nucléaire et les EnR. Je crois vraiment que c'est de cette manière que se pose désormais l'équation énergétique du pays, la « troisième jambe » étant la baisse de la consommation, à travers, à la fois, la sobriété et l'efficacité énergétiques. Ce sont vraiment les piliers de notre politique. Effectivement, pour les EnR, en particulier pour l'agrivoltaïsme, il faut peut-être trouver des mécanismes un peu plus spécifiques que les appels d'offres classiques.
Mme la présidente, je crois moi aussi que la réponse était dans votre question... Les collectivités territoriales sont indispensables sur tous les sujets. Ce sont des acteurs extrêmement importants de la transition énergétique et de la transition écologique. Je suis fière d'avoir, en tant que secrétaire d'État, signé une centaine de contrats de transition écologique avec des territoires, en général à l'échelle de l'intercommunalité, pour les accompagner dans leur développement à la fois écologique et économique, sur la base de leurs propres projets. Il faut vraiment partir des projets des territoires.
L'arrivée d'EnR, le développement de solutions de stockage sont des sujets qu'il faut bâtir tout de suite avec les représentants des territoires. Sur tous les sujets de réseaux et de distribution, les élus sont la clé. La CRE a un rôle important dans le travail sur les schémas de raccordement régionaux et locaux de la méthanisation, par exemple pour l'injection du biogaz. Cela fait partie des sujets sur lesquels un accord local pour définir la meilleure organisation territoriale pour ce raccordement est nécessaire. Vous pouvez compter sur moi pour nouer un dialogue approfondi avec les collectivités territoriales.
Mme la sénatrice Micheline Jacques, vous avez raison, la péréquation tarifaire est l'expression de notre solidarité nationale à l'égard des territoires ultramarins, mais aussi de la Corse et des autres ZNI. J'y suis très attachée, même si les coûts de production sont importants dans nos Outre-mer, du fait de contraintes plus fortes et parce que les infrastructures ont besoin d'être transformées - elles ne peuvent l'être que progressivement.
Une loi a fixé un objectif ambitieux de développement des EnR et d'atteinte de l'autonomie énergétique en outre-mer en 2030. Cet objectif sera difficile à atteindre. Je pense qu'il faut accompagner la trajectoire. C'est territoire par territoire et PPE par PPE qu'il faut définir cette trajectoire, avec les collectivités territoriales. Ensuite, la solidarité nationale finance, à travers la CSPE. J'y suis extrêmement attachée.
M. le sénateur Daniel Salmon, vous m'avez interrogée sur la recette de CSPE, qui est effectivement très importante actuellement. Les choses se sont inversées : alors qu'elle a été une charge pour le budget de l'État, elle devient une recette compte tenu du prix actuel de l'énergie.
Mme la sénatrice Anne-Catherine Loisier, la CSPE est désormais déconnectée de la facture du consommateur. La facture du consommateur, c'est la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE), laquelle a été abaissée à 1 euro le mégawattheure dans le cadre du bouclier tarifaire pour 2022. Comment positionner la TICFE ? La question se posera dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023. C'est une décision de puissance publique, qui relève du budget de l'État.
Il faut continuer à développer les EnR, à la fois l'éolien terrestre et l'éolien en mer, madame la sénatrice Patricia Schillinger.
La CRE a un rôle important : à travers les appels d'offres, à travers le pilotage des guichets, dans sa capacité à accompagner les contrats de gré à gré, que l'on appelle les PPA - les Power Purchase Agreements. Cet outil utile peut se développer et sécuriser des approvisionnements à long terme.
Le scénario « 100 % renouvelable » de RTE est sur la table, mais avec un certain nombre de réserves. Pour ma part, je pense que nous avons besoin d'EnR et de nucléaire. Je suis donc plutôt favorable au scénario qui propose un mix entre les EnR et le nucléaire, mais ce sujet sera soumis au législateur lors du projet de loi sur la PPE. Ce scénario existe, mais il est extrêmement exigeant, notamment sur les conditions de stockage. À cet égard, la question de l'hydrogène est absolument vitale pour le pays.
M. le sénateur Bernard Buis, deux des préconisations du rapport de la Cour des comptes sur l'organisation des marchés de l'électricité, auxquelles je suis favorable, concernent directement la CRE : rendre public le mode de calcul des coûts complets de l'énergie nucléaire ; faire évoluer le mode de calcul de la répartition de l'Arenh, donc de l'impact sur les TRVE, pour prendre une période de référence plus longue. Cela présente l'avantage de limiter un peu la volatilité, donc la transmission des prix de marché de gros aux consommateurs à travers les TRVE. La CRE s'y emploiera si ma candidature est retenue.
Mme le sénateur Dominique Estrosi Sassone, vous m'avez interrogée sur l'impact du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » et sur la nécessité de tenir compte du mix énergétique des pays. C'est effectivement très important. Le Conseil européen se fixe des objectifs extrêmement ambitieux, mais c'est à chaque pays de définir sa trajectoire à partir de son histoire et de ses moyens de production. Nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur un parc nucléaire, sur un parc d'hydroélectricité et sur des EnR en développement. Il faut faire attention à cette neutralité à l'échelle européenne. Nous avons remporté une belle victoire avec l'intégration de l'énergie nucléaire dans la « taxonomie verte européenne », ce qui était extrêmement important pour l'avenir de notre filière, de nos industries et de notre souveraineté énergétique. C'est en ce sens qu'il faut travailler.
Vous avez évoqué la nécessité d'une plus grande proportionnalité au contexte de crise. Il est vrai que, d'un côté, la crise nous pousse à accélérer, à sortir du gaz quand c'est possible, à aller vers la sobriété et vers tous les mécanismes de flexibilité, qui peuvent être utilisés encore davantage : effacement, interruptibilité, capacité. D'un autre côté, nous devons être pragmatiques, et je crois que c'est ce que nous faisons avec le terminal flottant méthanier au large du Havre, qui nous permet de sécuriser nos approvisionnements. Nous devons être en capacité de maîtriser notre destin énergétique.
M. le sénateur Franck Montaugé, l'expertise a commencé sur l'après-Arenh, mais elle n'est pas encore complètement consolidée - le sujet arrivera en 2025. Il me semble que nous devons concilier deux objectifs : permettre à EDF de financer les investissements nécessaires dans le nucléaire actuel, donc lui permettre de couvrir, dans de bonnes conditions de marché, les coûts complets du nucléaire ; assurer la concurrence sur le marché français et permettre aux consommateurs de bénéficier de l'investissement qui a été réalisé dans notre système énergétique lorsqu'ils décident de choisir un fournisseur alternatif.
Je reconnais tout à fait que l'Arenh n'a pas atteint l'un des objectifs qui lui avaient été fixés à l'époque, à savoir favoriser le développement par les fournisseurs alternatifs de moyens de production. Cela ne s'est pas produit.
À très court terme, la première chose à faire pour la CRE est vraiment de renforcer la surveillance sur la transmission intégrale aux consommateurs de l'Arenh dont bénéficient actuellement les fournisseurs alternatifs. Ce ne doit pas être une rente pour les fournisseurs alternatifs : le consommateur final doit s'y retrouver dans le prix de vente.
Pour la suite, il faut repartir de la couverture des coûts complets, en trouvant un mécanisme qui permette de faire bénéficier tous les consommateurs du système énergétique. Cela relève probablement plutôt du prix régulé que de l'Arenh, qui est asymétrique - c'est l'une de ses grandes difficultés - : quand le prix de l'énergie est élevé, le groupe EDF est obligé de vendre ; quand il est bas, le groupe EDF vend non pas au prix de l'Arenh, mais au prix de marché.
M. Franck Montaugé. - On en reviendrait à un tarif régulé pour tout le monde ?
Mme Emmanuelle Wargon. - Je parle de la manière dont on régule le prix de cession du nucléaire par EDF. Cela implique non pas forcément des TRVE au détail pour tous les consommateurs - il faut permettre au consommateur de continuer à choisir son fournisseur d'électricité - , mais un mécanisme de vente de l'électricité sur les marchés qui lui permette de couvrir ses coûts, contrairement à ce qui se passe aujourd'hui avec l'Arenh.
M. Franck Montaugé. - Pourriez-vous expliciter davantage ?
Mme Emmanuelle Wargon. - L'Arenh, c'est un prix de vente du groupe EDF aux autres fournisseurs. À 42 euros le MWh, ce prix est trop bas. Par ailleurs, il devrait être calculé de façon à permettre une véritable couverture des coûts complets du système énergétique. Si l'on garde un mode de fixation du prix de vente de l'électricité historique du groupe EDF aux autres fournisseurs, il faut veiller à ce que, dans la réforme des TRVE au consommateur, qui est le second morceau de la réforme, cette vente régulée se fasse au bénéfice de ce dernier. Cela ne signifie pas qu'il faille remettre tous les Français sous TRVE, le marché de l'électricité ayant été ouvert, mais il faut trouver le mode de fixation des TRVE qui intègre le prix régulé du groupe EDF. Les TRVE couvrent à peu près deux tiers du marché, mais le tiers restant est, pour une bonne partie, fixé en référence aux TRVE. Par conséquent, le TRVE a, d'une certaine manière, un impact direct sur les contrats qui sont juridiquement au TRVE, et un impact indirect sur tous les prix de marché.
J'essaie de vous apporter une réponse en deux temps : comment le groupe EDF vend son électricité sur le marché de gros, et comment cela est intégré par le marché de détail. Dans les deux cas, il faut que les coûts du groupe EDF soient couverts pour lui permettre de continuer à maintenir la qualité de sa production existante aux coûts complets et que l'on trouve les mécanismes qui permettent au consommateur final, soit via le TRVE, soit via le jeu normal du marché, de bénéficier de l'électricité à des prix régulés.
Le TRVE est donc central dans la fixation des prix sur le marché, de façon directe ou indirecte. Je suis absolument convaincue qu'il faut maintenir des TRVE.
Le transport de gaz est une question très importante. Je pense que nous n'avons pas encore une très bonne visibilité sur les volumes potentiels de transport de gaz, notamment avec la montée en charge du biométhane et du biogaz, mais aussi avec l'hydrogène. Ces infrastructures pourraient aussi servir à transporter de l'hydrogène ? L'expertise collective est en cours, mais il est clair que les coûts échoués, s'il devait y en avoir - il n'y en a pas pour l'instant -, devront être dans l'équation tarifaire globale de financement des réseaux sous une forme de solidarité ou sous une autre, parce qu'il n'est pas possible de laisser les gestionnaires de réseaux faire face seuls à des coûts qui sont simplement liés à la transition énergétique.
Enfin, je pense qu'il est très important que nous soyons très présents à l'ACER - Jean-François Carenco y allait régulièrement, et l'un des commissaires s'y rend lui aussi fréquemment. Cependant, nous ne devons pas nous reposer seulement sur elle et nous devons travailler avec le Conseil des régulateurs européens de l'énergie (CEER) et avec les organismes de coopération des réseaux que vous avez cités. L'ACER a une vision très libérale de la régulation des marchés. Il est important d'y défendre une vision de plus long terme de protection du consommateur, mais aussi de la souveraineté.
Mme le sénateur Martine Berthet, sur la question de la souveraineté industrielle et de l'adaptation des réseaux, il faut peut-être des investissements spécifiques dans les très grands bassins industriels pour être en capacité de faire évoluer les réseaux de raccordement d'EnR et d'hydrogène. On pourrait imaginer de travailler spécifiquement avec ces grands bassins industriels pour voir comment les réseaux peuvent les soutenir dans leur développement industriel ou leur réindustrialisation.
S'agissant de l'effacement, je pense qu'il y a toute une réflexion à avoir sur l'évolution des contrats. C'est d'abord une réflexion que doivent mener les fournisseurs, mais la CRE peut, sur ce plan, jouer un rôle important. On a effectivement des contrats qui ne sont plus du tout intéressants pour les particuliers, alors même que ces contrats pourraient à la fois leur bénéficier et bénéficier à la sécurité d'approvisionnement et à la flexibilité. Il faut revoir les tarifs et probablement proposer des incitations aux fournisseurs qui sont en capacité de proposer des offres qui allient ces deux objectifs.
Mme la sénatrice Amel Gacquerre, je suis favorable à l'autoconsommation. C'est à la fois une attente des Français et un élément de flexibilité, de sobriété et de sécurité d'approvisionnement qui peut nous aider dans cette période. Toute la question - elle est délicate - est de trouver le juste point d'équilibre entre le développement de l'autoconsommation et la solidarité nationale sur le financement des réseaux, qui profitent à tous. Si l'on commence à démembrer morceau par morceau, un problème de solidarité, de pérennité et de péréquation sur les réseaux se posera. Cependant, au fond, je pense que nous pouvons aller plus loin sur le soutien à l'autoconsommation, qui, je pense, peut être un élément important, y compris d'acceptabilité des EnR.
Mme le sénateur Évelyne Renaud-Garabedian, la CRE n'a de rôle direct ni sur l'arrêt ni sur la reprise d'activité des réacteurs nucléaires, qui sont sous la responsabilité de l'opérateur EDF et sous le contrôle de l'ASN. C'est plutôt sur le modèle économique - assurer le financement des coûts complets du nucléaire actuel et trouver le modèle de financement du nouveau nucléaire - que la CRE peut jouer un rôle. Aller au-delà reviendrait à lui conférer un rôle industriel d'opérateur qui n'est pas de son ressort.
M. le sénateur Alain Cadec, je crois avoir répondu à votre question sur Territoires de progrès.
Mme la sénatrice Patricia Schillinger, effectivement, l'éolien en mer est un élément extrêmement important de notre développement des EnR, de notre sécurité d'approvisionnement et de notre mix énergétique. Le premier parc éolien en mer produit enfin. Il a été raccordé, il est maintenant connecté. De nombreux projets sont en cours. Je pense que la CRE a un rôle important d'accompagnement, y compris des réseaux. Une partie des enjeux est liée à notre capacité à construire les éoliennes elles-mêmes sur le plan industriel. Une autre partie est liée à notre capacité à raccorder ces éoliennes dans de bonnes conditions. La CRE continuera à apporter son soutien, notamment via ses appels d'offres.
M. le sénateur Laurent Somon, je pense avoir en partie répondu sur la vision territoriale. Nous ne parviendrons pas à développer les EnR si nous ne le faisons pas en accord avec les territoires, dans une vision de planification territoriale - elle est extrêmement importante - qui donne de la visibilité et de la capacité à se projeter, parce que l'on voit bien que le développement au coup par coup pose de vrais problèmes. Nous devons aller plus loin.
Je suis favorable à une renégociation avec Bruxelles qui nous permette de garder la maîtrise de nos concessions hydroélectriques. L'une des hypothèses qui sont sur la table est de l'organiser sous forme de quasi-régie ; cela me semble une solution juridique relativement sûre. L'hydroélectricité fait partie de notre sécurité d'approvisionnement. Elle fait partie de notre compétitivité économique et de notre souveraineté énergétique. La France a, depuis longtemps, essayé de mener cette négociation avec la Commission européenne. Je pense qu'elle sera menée à la suite de la nationalisation du groupe EDF, s'agissant du modèle à lui donner dans le futur pour lui permettre à la fois de développer le nouveau nucléaire et de maintenir nos concessions hydroélectriques dans des conditions dans lesquelles nous sommes certains d'assurer cette souveraineté.
M. le sénateur Jean-Baptiste Lemoyne, vous avez tout à fait raison pour ce qui concerne l'information du consommateur : qualité de l'information, qualité de service, capacité à choisir des offres de manière éclairée, autant d'éléments cruciaux. La CRE y travaille, notamment avec le Médiateur national de l'énergie (MNE), avec lequel les liens pourraient d'ailleurs être ressérés. Le CoRDis est une institution essentielle pour traiter les litiges ; il fonctionne bien et doit être soutenu.
M. le sénateur Serge Mérillou, en ce qui concerne les pistes à long terme, une vision à l'horizon de 2050 se dégage progressivement ; cette vision sera soumise au Parlement avant la fin de cette année. Un double mouvement est en marche : une baisse de la consommation d'énergie - nous devons absolument l'accompagner en étant plus efficaces et plus sobres, comme j'ai essayé de le faire, en tant que ministre, pour la rénovation énergétique des bâtiments - et une évolution du mix énergétique vers moins d'énergies fossiles - cela suppose une production accrue d'électricité. Selon les scenarii de RTE, alors que nous consommons aujourd'hui environ 450 TWh par an, cette consommation s'élèverait à l'avenir à 650, voire 750 ou 800 TWh, en fonction de la réindustrialisation du pays, qui fait aussi partie de nos objectifs stratégiques. Baisse de la consommation, changement des usages, montée en puissance d'une aide à l'électricité décarbonée, tels sont les axes à suivre pour atteindre la neutralité carbone à l'horizon de 2050.
L'Arenh n'a pas atteint son objectif initial de développement des solutions de production alternatives. Il revient à la CRE de vérifier qu'il ne constitue pas pour les fournisseurs un facteur d'enrichissement. La CRE surveille donc le marché ; les contrôles de la fixation des prix des fournisseurs alternatifs bénéficiant de l'Arenh devront probablement être renforcés.
Mme la présidente, les hypothèses de besoins de production sont établies par RTE, non par la CRE. L'hypothèse sur laquelle je fonde mes réflexions est celle d'une baisse de la consommation d'énergie à moyen terme et d'une augmentation en valeur relative et en valeur absolue de la part d'électricité dans le mix énergétique. La chaleur renouvelable est tout aussi importante, tout comme le remplacement progressif du gaz par le biométhane.
L'hydrogène est un sujet central. Une négociation est en cours sur le paquet gazier. Nous devons absolument faire en sorte que la filière hydrogène, qu'elle soit fondée sur les énergies renouvelables ou sur l'énergie nucléaire, soit accompagnée. Je sais que ce point vous tient à coeur ; il est essentiel aux yeux de l'Union européenne, qui regarde attentivement le critère de neutralité carbone des technologies. Nous avons un travail important devant nous sur les investissements et les réseaux.
Au-delà du soutien à court terme, le nucléaire doit faire l'objet d'un projet industriel ambitieux. Nous devons soutenir notre grand opérateur national ; sa nationalisation permettra de définir les contours de ce soutien. Nous devons aussi continuer à travailler sur la fin du cycle du combustible. J'ai, au cours de mes précédentes fonctions, accompagné le projet Cigéo, essentiel en la matière.
Mme Sophie Primas, présidente. - Que pensez-vous de la réforme d'EDF ? Les premiers éléments dont nous disposons, par exemple dans le projet de loi de finances rectificative (PLFR) adopté hier, indiquent qu'il ne s'agit pas d'une recapitalisation, mais d'une prise de participation. Quelle est votre vision de la réorganisation de cet opérateur public ? Quels seront son poids, son rôle et sa stratégie, demain, dans un écosystème à la fois public et privé ?
Mme Emmanuelle Wargon. - C'est une chance que de disposer d'un grand opérateur national pour atteindre nos objectifs, à savoir la souveraineté énergétique de notre pays, la sécurité d'approvisionnement, la protection des consommateurs et la transition écologique.
Je suis favorable à ce que l'État soit actionnaire à 100 % d'EDF, ce qui revient à une forme de nationalisation. Se posera ensuite la question des moyens, pour qu'EDF puisse suivre sa trajectoire de long terme : moyens pour le soutien du nucléaire actuel et le Grand Carénage, moyens pour l'investissement dans le nouveau nucléaire et moyens pour le maintien et le développement des concessions hydroélectriques. EDF reste actionnaire majoritaire des réseaux RTE et Enedis, qui sont vitaux pour le pays. EDF est un acteur incontournable du marché, nous devons le soutenir comme un fleuron national.
La CRE est attachée à la libre concurrence sur les marchés, toujours au bénéfice du consommateur final, qu'il s'agisse des industries, des particuliers ou des collectivités territoriales. La concurrence doit pouvoir s'exercer, entre autres parce qu'elle est source d'innovation - tel était l'objectif premier de cette ouverture à la concurrence. Il s'agit de renforcer la capacité de la concurrence à proposer une innovation positive, au service des industriels et des consommateurs. Ainsi, EDF n'est pas en position de monopole sur la totalité de la chaîne de production et de vente au détail d'électricité. Néanmoins, nous devons assumer le fait que nous disposons d'un opérateur national de référence, qui nous permettra d'atteindre nos objectifs.
Quant aux détails de la réforme, elle suivra probablement les orientations que je viens d'exposer.
M. Pierre Cuypers. - Le gouvernement dont vous faisiez partie a décidé de passer au tout électrique, notamment dans les transports, dès 2030. Étant donné la fragilité de notre production et de nos approvisionnements électriques, est-ce raisonnable ?
M. Jean-Jacques Michau. - L'ouverture à la concurrence n'a pas abouti aux résultats escomptés. Quel type de concurrence pourrait y parvenir ?
Mme Emmanuelle Wargon. - Pour atteindre la neutralité carbone, nous devons absolument réduire progressivement l'usage des énergies fossiles, qui sont encore majoritaires : moins de pétrole, moins de fioul et moins de charbon. C'est dans cette perspective que se pose la question de la voiture et des transports. Face aux crises à venir, je suis convaincue que la diversification est la clef de la résilience : électrification des voitures, développement de l'hydrogène pour les transports collectifs, mobilités douces et alternatives, biocarburants, autant de pistes qu'il faut accompagner pour décarboner nos transports. La crise actuelle nous apprend que notre système existant est sous tension et nous appelle à la plus grande vigilance.
Le rôle de la CRE est de surveiller les marchés, de gros comme de détail, pour vérifier que la concurrence préserve bien l'intérêt des consommateurs finals. La CRE surveille donc l'évolution des prix de gros, pour prévenir toute manipulation du marché, et la fixation des tarifs et des prix de vente au détail. La CRE doit aussi engager des discussions avec les fournisseurs, pour envisager dans quelle mesure les offres présentent une valeur ajoutée intéressante pour le consommateur par rapport aux offres de référence. La CRE joue donc un rôle de gendarme, mais aussi d'émulation et de dialogue serré avec les fournisseurs ; elle est forte de l'expérience passée, qui a montré que la simple ouverture ne fait pas forcément émerger les innovations escomptées.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote et dépouillement sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Emmanuelle Wargon aux fonctions de présidente du collège de la Commission de régulation de l'énergie
Mme Sophie Primas. - L'audition de Mme Emmanuelle Wargon étant achevée, nous allons maintenant procéder au vote.
Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.
Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.
La commission procède au vote, puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Emmanuelle Wargon aux fonctions de présidente du collège de la Commission de régulation de l'énergie, simultanément à celui de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.
Mme Sophie Primas. - Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale :
Nombre de votants : 34
Bulletins blancs : 1
Bulletins nuls : 0
Suffrages exprimés : 33
Pour : 13
Contre : 20
Proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le programme de l'Union pour une connectivité sécurisée pour la période 2023-2027 - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous en venons à notre deuxième sujet de ce matin, à savoir l'examen du rapport relatif à la proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le programme de l'Union pour une connectivité sécurisée pour la période 2023-2027. La constellation européenne de connectivité sécurisée est très importante pour notre vie quotidienne. Nos rencontres avec les acteurs du secteur spatial, comme Stéphane Israël, ont révélé de réelles inquiétudes sur nos capacités à mener à bien ce projet.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Cette proposition de résolution européenne relative à la constellation européenne de connectivité sécurisée a été déposée avec Jean-François Rapin et André Gattolin. Elle a été adoptée par la commission des affaires européennes le 21 juillet dernier.
Ce projet, ardemment défendu par le commissaire européen Thierry Breton, a pris forme depuis la présentation par la Commission européenne, en février dernier, d'une proposition de règlement européen visant à mettre sur orbite cette constellation de satellites, dans un triple objectif : premièrement, fournir un accès à internet à haut débit pour tous les Européens, afin de résorber les « zones blanches » ; deuxièmement, assurer la redondance des systèmes de communications terrestres pour mieux assurer la continuité et la résilience des télécommunications européennes, dont les infrastructures sont de plus en plus menacées - la guerre en Ukraine et la mise à disposition par SpaceX des services de connectivité de la constellation Starlink nous l'ont rappelé de façon tragique ; troisièmement, offrir à l'Union européenne des services européens, autonomes et sécurisés de télécommunications, afin de ne pas dépendre de manière critique d'infrastructures et de services spatiaux de pays tiers ou d'entités contrôlées par des pays tiers.
Je souhaiterais insister sur cinq points.
Si l'Union européenne souhaite se positionner sur le segment des constellations spatiales de connectivité, et s'affirmer dans la durée comme une puissance spatiale de premier plan, il y a urgence.
Seul le fonctionnement de quatre à cinq constellations de connectivité est aujourd'hui possible, l'orbite basse étant déjà partiellement saturée et le spectre des fréquences de radiocommunications constituant une ressource limitée et déjà utilisée.
Les nouvelles générations de constellations se développent rapidement et sont déjà partiellement opérationnelles : environ 2 700 satellites en orbite pour Starlink de SpaceX et près de 200 pour OneWeb, dont la montée en puissance se confirme, avec l'annonce récente de fusion-acquisition avec l'opérateur français de satellites Eutelsat. Autrement dit, c'est le moment ou jamais pour l'Union européenne de déployer sa propre constellation souveraine de connectivité.
Pour déployer cette constellation, la Commission européenne propose un modèle inédit de partenariat public-privé, dont le coût total est estimé à 6 milliards d'euros pour la période 2023-2027, dont 1,6 milliard d'euros seraient financés par l'Union européenne et 2 milliards d'euros par le secteur privé, le reste devant être assuré par les États membres, l'Agence spatiale européenne (ESA) et éventuellement par des États tiers participant au programme.
Si le montant exact du projet n'est pas connu, l'architecture de la constellation et le nombre de satellites nécessaires à la fourniture des services gouvernementaux essentiels n'étant pas encore définis, le montant annoncé semble plutôt faible. À titre de comparaison, le coût annoncé du déploiement de la constellation Kuiper d'Amazon est estimé entre 10 et 15 milliards d'euros.
Par ailleurs, ce montant constitue seulement un coût d'amorçage. S'ajoutent des coûts opérationnels et des coûts de maintenance - la durée de vie d'un satellite est d'environ huit ans, ce qui demande de renouveler régulièrement la flotte.
La capacité du secteur privé à investir de façon régulière dans ce projet sera donc déterminante, afin d'assurer la pérennité du modèle financier de cette constellation.
Au regard du coût estimé du déploiement et compte tenu de la vitesse à laquelle la Commission européenne souhaite mettre en oeuvre ce projet, il me semble important d'insister sur les bénéfices que pourrait apporter une telle constellation ; certains semblent les sous-estimer, en se satisfaisant par exemple de la fibre optique.
Le développement en orbite basse offre des avantages en termes de réduction des temps de latence et d'amélioration de la vitesse de connexion : cela est particulièrement important pour les usages gouvernementaux, notamment militaires, mais aussi pour les usages commerciaux, comme la chirurgie à distance, les véhicules autonomes, le guidage de précision des bateaux, les jeux en ligne ou encore le développement des objets connectés et des technologies quantiques - à ce titre, nous avons convenu, dans le cadre du groupe d'études sur le numérique, d'approfondir les enjeux liés au développement des technologies quantiques et post-quantiques.
Les avantages escomptés sont surtout importants pour les particuliers. L'objectif est de fournir à la population européenne des services satellitaires de connectivité complémentaires de ceux offerts par les réseaux terrestres de télécommunications.
Si la France est aujourd'hui le pays de l'Union européenne le plus avancé dans le déploiement de la fibre optique, cette vitesse de déploiement n'est pas toujours gage de qualité, et le raccordement d'entreprises et de particuliers dans les zones montagneuses et peu denses demeure incertain. Ce sont principalement dans ces zones que se situent les 4 000 abonnés de Starlink en France.
En outre, c'est insulter l'avenir que de penser que nous pourrions nous passer d'une constellation de satellites, à l'heure où les grandes puissances se pressent. Par exemple, alors que nous prônons plus de souveraineté numérique et que nous découvrons de nouvelles vulnérabilités liées notamment aux catastrophes naturelles, nous enterrons de moins en moins la fibre : qu'adviendrait-il si une partie du réseau aérien était rendue inopérante par des tempêtes ou des incendies ?
Nous devons donc, en particulier au Sénat, soutenir le déploiement d'une telle constellation, qui devrait permettre de répondre à des besoins grandissants de connectivité et aux carences vécues par une partie de la population européenne, notamment dans les TOM, et par nos entreprises, dans un objectif transversal de résorption des zones blanches sur nos territoires, de renforcement de la connectivité et d'une plus grande résilience de nos systèmes de télécommunications.
Toutefois, nous n'ignorons pas les conséquences de ce déploiement en matière d'encombrement de l'espace et, à terme, de prolifération des débris spatiaux.
Sur ce point, il me semble important d'oeuvrer pour un alignement des calendriers, la Commission européenne ayant récemment proposé l'élaboration de règles communes en matière de gestion du trafic spatial, dans un double objectif de limitation de la pollution spatiale et de promotion d'une concurrence équitable entre les différents opérateurs concernés.
Cette nouvelle réglementation doit être pleinement en vigueur au moment du déploiement de la constellation, afin de promouvoir, au niveau européen, un usage plus durable et plus responsable de l'espace, dans la continuité des efforts réalisés par la France lors de l'adoption de la loi sur les opérations spatiales en 2008.
Enfin, nous devons promouvoir une approche stricte de la préférence européenne.
Autrement dit, les satellites de la constellation européenne devront être déployés par des lanceurs européens depuis des bases de lancement situées sur le territoire de l'Union européenne. Il s'agit d'un enjeu primordial de soutien à nos industries et de souveraineté, pour disposer, dans la durée, d'un accès autonome à l'espace.
Affirmer la préférence européenne en matière d'infrastructures spatiales est également un moyen de soutenir le développement et l'innovation de l'industrie spatiale française et européenne, qu'il s'agisse d'acteurs historiquement établis ou des start-up du New Space.
En effet, il serait dommage que le déploiement d'infrastructures spatiales gouvernementales, financées par des fonds publics, bénéficie avant tout aux lanceurs américains et aux acteurs économiques extra-européens : c'est un enjeu de souveraineté, mais également de retour sur investissement de l'argent public, car les retombées économiques d'un tel projet devraient avant tout bénéficier aux entreprises et aux territoires de l'Union européenne.
Tous les efforts déployés permettant d'affirmer une préférence européenne en matière spatiale devraient aussi s'accompagner d'engagements et de contreparties supplémentaires de la part des entreprises spatiales européennes, afin qu'elles puissent assurer la cadence et la fluidité des lancements européens.
Mes chers collègues, tel est le résultat de nos travaux menés avec la commission des affaires européennes, qui a adopté à l'unanimité cette proposition de résolution européenne le 21 juillet dernier.
Mme Sophie Primas, présidente. - Notre commission a beaucoup travaillé sur les questions de souveraineté : vos travaux rejoignent parfaitement nos préoccupations.
M. Franck Montaugé. - Je suis très inquiet de la manière dont nous gérons l'espace. C'est la jungle. La loi du plus fort règne et une régulation manque.
Dans quel cadre de service public, sur le fondement de quel principe d'équité, de péréquation et de coût, accessible pour tous, pourrait se développer une telle constellation européenne ? Quelle est la planification prévue à l'échelle européenne ? Quel sera le rôle de la puissance publique nationale dans ce cadre européen ? Je le rappelle : nous devons préserver nos intérêts.
M. Patrick Chaize. - Je m'associe aux interrogations de M. Montaugé, notamment en ce qui concerne les déchets spatiaux, source de nombreuses difficultés futures. Cette constellation relève d'un besoin stratégique plus que d'une question de couverture. Les oubliés de la fibre constituent seulement 1 % de la population, ratio faible qui ne justifie pas les lourds investissements de la constellation. Les technologies quantiques sont cruciales : les développements d'usage exigent des capacités de transmission de données très importantes. Quel est le calendrier prévu pour mettre en place cette constellation ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Le domaine spatial évolue très rapidement, nous vivons une véritable course d'accès aux constellations, mais les règles manquent. Depuis 2008, la France est pionnière, et les Américains ou les porteurs de la constellation OneWeb ne semblent pas très pressés de nous voir définir des règles communes de gestion du trafic spatial. Nous aborderons plus spécifiquement cette question dès le mois de septembre prochain, au cours de la conférence européenne interparlementaire sur l'espace (EISC), avec une table-ronde dédiée à la question des débris spatiaux.
En ce qui concerne le cadrage du projet, l'objet de cette proposition de résolution européenne était de faire entendre la voix du parlement français. Très peu de parlements d'autres États européens se sont saisis du sujet.
Le déploiement de la constellation, prévu dès 2024 par la Commission européenne, repose sur un partenariat public-privé. Ce partenariat est nécessaire, car aucun État membre ne dispose isolément des ressources budgétaires nécessaires pour financer un tel projet, mais il faut l'encadrer.
Nous avons par exemple insisté sur la nécessité de proposer des services et des abonnements à des tarifs abordables. Par exemple, les contrats proposés par Starlink en France coûtent environ 100 euros par mois. Ces tarifs diminueront probablement dans le temps, mais cela reste une offre intéressante pour des entreprises privées qui ont besoin d'une connexion à Internet à très haut débit.
Pour conclure, la France et le Parlement français doivent se faire entendre sur ces sujets stratégiques.
Mme Sophie Primas, présidente. - Tout comme les industriels français.
M. Franck Montaugé. - Quel est le débit ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Le débit est d'environ 1 gigabit par seconde.
Nous visons un premier déploiement en 2024. Seules quatre ou cinq constellations sont viables. L'Europe, pour ne pas se faire doubler, doit agir rapidement, car des projets émergent en Chine ou en Inde. Il nous faut prendre la quatrième place, après Kuiper, Starlink et OneWeb, pour assurer la faisabilité du projet.
De plus, le planning de lancement de nos lanceurs européens est déjà très chargé. Parfois, nous nous interrogeons sur notre capacité à lancer les satellites européens dans les temps, c'est pourquoi l'affirmation de la préférence européenne doit s'accompagner de contreparties de la part des opérateurs européens.
Mme Martine Berthet. - Le lancement est-il prévu sur l'orbite basse ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Tout à fait, car les temps de latence y sont beaucoup plus courts.
M. Daniel Salmon. - Quel est le bilan carbone de ces constellations ? J'ai vu, une nuit, passer un train de satellites de SpaceX : la pollution lumineuse est réelle. Des travaux sont en cours pour créer des satellites moins lumineux. Nous devons éviter de polluer ce dernier espace préservé qu'est la voûte céleste. J'espère que notre constellation européenne sera exemplaire. La course frénétique du progrès doit toujours être questionnée.
Mme Sophie Primas, présidente. - Le 15 septembre au soir et le 16 septembre toute la journée, nous recevrons des délégations de plusieurs parlementaires européens qui s'intéressent à l'espace, dans le cadre de la Conférence européenne interparlementaire sur l'espace (EISC), que nous présidons cette année. Vous êtes cordialement invités.
Trois thèmes seront traités : l'autonomie stratégique européenne pour garantir un accès durable à l'espace, les start-up et le New Space et enfin la lutte contre la pollution spatiale. Nous pourrons alors examiner les actions liées au traitement des déchets ou à la pollution lumineuse.
La proposition de résolution européenne est adoptée, à l'unanimité, sans modification.
Proposition de nomination de Mme Valérie Metrich-Hecquet, candidat proposé par le Président de la République, aux fonctions de directrice générale de l'Office national des forêts, en application de l'article 13 de la Constitution - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne Mme Anne-Catherine Loisier rapporteure sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Valérie Metrich-Hecquet aux fonctions de directrice générale de l'Office national des forêts (ONF), en application de l'article 13 de la Constitution.
- Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques -
La réunion est ouverte à 11 h 00.
Mission de contrôle relative à la prévention et à la lutte contre l'intensification et l'extension du risque d'incendie - Examen du rapport d'information
M. Didier Mandelli, vice-président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Madame la présidente, mes chers collègues, nous sommes réunis pour la présentation du rapport de la mission de contrôle relative à la prévention et à la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie. La mise en place de cette mission a été arrêtée par notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable le 16 février dernier. Nous avions alors acté la nécessité d'y associer la commission des affaires économiques, compétente au titre de la forêt.
Je salue d'emblée les quatre rapporteurs, M. Jean Bacci, Mme Anne-Catherine Loisier, M. Pascal Martin et M. Olivier Rietmann, pour le travail d'ampleur réalisé dans des délais resserrés. Depuis le début du mois de juin, vous avez en effet conduit près de 30 auditions ; vous vous êtes également déplacés le 11 juillet dernier dans la plaine des Maures, un an après l'incendie dévastateur qui avait touché le massif ; vous avez enfin mené des consultations à la suite des feux hors normes ayant ravagé le mois dernier la forêt girondine. Le résultat de ce travail est à la hauteur de cet investissement : un rapport riche de 70 recommandations, regroupées en 8 axes.
Voici quelques éléments de contexte qui ont alimenté votre réflexion.
Premier constat : depuis les années 1990 et jusqu'à la fin des années 2010, la France a globalement réussi à maîtriser le risque incendie sur son territoire. Le nombre de surfaces de forêt brûlées a ainsi été divisé par cinq en quarante ans. Ce recul est largement imputable à l'efficacité de notre stratégie de défense des forêts contre les incendies, en particulier à la doctrine d'attaque rapide des feux naissants. Cette doctrine s'appuie sur un équilibre entre prévention, pour empêcher les départs de feu, et lutte immédiate, massive et proactive, pour limiter la propagation des feux, avec un objectif d'intervention dans les dix premières minutes sur des foyers encore maîtrisables.
Ce recul significatif des surfaces brûlées est d'autant plus remarquable que notre pays a, dans le même temps, connu une hausse des facteurs de risque : à la dégradation des conditions météorologiques se sont ajoutés une augmentation du combustible en forêt et un phénomène de déprise agricole.
Malheureusement, la France doit se préparer à une évolution défavorable du risque dans les années et décennies à venir.
Quatre tendances se dessinent d'ores et déjà, comme nous pouvons, hélas, le voir en cet été 2022.
Première tendance : une intensification du risque. En région méditerranéenne française, les surfaces brûlées pourraient ainsi augmenter de 80 % d'ici à 2050. Avec une hausse de la fréquence des feux, les espaces boisés pourraient peu à peu laisser place à des maquis, en région méditerranéenne notamment.
Deuxième tendance : une extension géographique. En 2050, près de 50 % des landes et forêts métropolitaines pourraient être concernées par un niveau élevé de risque, contre un tiers en 2010. En juillet 2022, plus de 1 700 hectares de lande ont ainsi brûlé dans les monts d'Arrée, dans le Finistère.
Troisième tendance : une extension temporelle. La période à risque fort sera trois fois plus longue, les feux hivernaux devraient se multiplier. Rappelons-nous du message fort du président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), M. Grégory Allione, entendu par nos deux commissions en juin dernier : « aujourd'hui, la saison des feux, c'est toute l'année ».
Quatrième et dernière tendance : le développement d'incendies de végétation ou de terres agricoles.
L'extension géographique et temporelle, l'intensification du risque incendie, le développement d'incendies de végétation ou de terres agricoles s'expliquent structurellement par l'évolution attendue des conditions météorologiques dans le contexte du réchauffement climatique. L'augmentation moyenne du niveau des températures contribue, en effet, à une sécheresse croissante de la biomasse, qui facilite les départs de feux et leur propagation. À cet égard, il est évident que l'atteinte de nos objectifs climatiques et le respect de l'accord de Paris constitueront le levier de prévention incendie le plus transversal et structurant à la disposition des pouvoirs publics.
Des facteurs supplémentaires contribuent ou pourraient contribuer à cette évolution défavorable : la dégradation de l'état sanitaire des forêts, l'impact potentiel d'une sylviculture trop intensive ou, à l'inverse, la « libre évolution » des forêts, car l'adaptation des forêts au changement climatique nécessitera l'intervention active de l'homme.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Mes chers collègues, permettez-moi de féliciter à mon tour nos rapporteurs pour ce travail dense, en bonne intelligence entre les deux commissions, qui a été entrepris bien avant les épisodes spectaculaires du mois de juillet dernier, et qui démontre une nouvelle fois les facultés d'anticipation du Sénat. Ce rapport est très attendu, par les collectivités territoriales, les Français et les services d'incendie et de secours.
Après l'introduction de M. Mandelli et avant de céder la parole aux rapporteurs, il me revient de montrer quelles pourraient être les conséquences socio-économiques et environnementales de la multiplication de feux extrêmes, si rien n'est fait. Si nous n'améliorons pas notre résilience, les conséquences seront lourdes pour la biodiversité, pour la qualité de l'eau et de l'air et pour les émissions de gaz à effet de serre (GES).
Les coûts socio-économiques ont, eux, été relativement limités en France jusqu'à présent. L'« ordre d'opérations » des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) conduit, en effet, à s'assurer d'abord de la sécurité des personnes, puis de la sécurité des biens et, enfin, de l'environnement. C'est pourquoi les habitations, les zones urbaines et les infrastructures productives et de transport sont, en général, préservées.
Mais le dépassement de nos forces de lutte par des feux hors normes fait craindre des dommages socio-économiques grandissants. À La Teste-de-Buch, des infrastructures touristiques emblématiques ont été détruites. Pis, les feux font, d'ores et déjà, en France, des blessés et des morts, et je ne parle pas de ce qui se passe au Portugal, en Grèce, en Australie ou aux États-Unis ni de l'impact psychologique profond pour les populations...
C'est la raison pour laquelle il fallait que la commission des affaires économiques soit impliquée, à parts égales avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, sur cette question des feux extrêmes. Je remercie donc son président ainsi que M. Mandelli, vice-président.
Pour rappel, les rapporteurs ont renoncé à utiliser la notion de « mégafeux », qui ne fait pas l'objet d'un consensus scientifique et qui est très variable d'une région à l'autre. Ils lui ont préféré les notions de « feux extrêmes » ou « feux hors normes », qui renvoient à une approche statistique du phénomène. En effet, un feu de 500 hectares en Côte-d'Or ou en Haute-Saône peut être considéré comme extrême, mais le curseur serait plutôt de 5 000 hectares dans le Sud et en Occitanie, et plus élevé encore aux États-Unis.
Face à ces feux extrêmes, je ne crois pas trahir la pensée des rapporteurs en disant que leur principale crainte est la multiplication de situations qui nécessitent un tri des interventions. Les feux simultanés de La Teste-de-Buch et de Landiras se sont déclarés à 1 heure et 24 minutes d'intervalle, loin de la base aérienne de la sécurité civile de Nîmes. Il a fallu, en outre, traiter le flux habituel du secours d'urgence aux personnes et, pour couronner le tout, des moyens ont dû être détournés en cours d'opération pour une attaque massive sur un feu naissant plus au sud, dans les Landes.
Par conséquent, nous observons déjà une recrudescence des feux et des surfaces brûlées. Les feux de Gonfaron en 2021, de La Teste-de-Buch et de Landiras ont fait leur entrée dans le classement des feux les plus importants des quarante dernières années.
Le « bouclier » de la lutte a jusqu'alors permis le succès de la France face aux incendies. Il faut désormais, dans le même temps, s'assurer que le « glaive » de l'aléa feu de forêt ne s'abattra pas plus durement sur ce bouclier. La prévention par un ensemble de politiques publiques transversales est indispensable pour réduire le danger.
Une proposition de loi pourra être déposée à la rentrée et nos rapporteurs se déplaceront en septembre en Gironde, pour un retour d'expérience sur les incendies de juillet 2022.
M. Pascal Martin, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Mes chers collègues, nos 70 recommandations sont regroupées en 8 axes suivant un ordre chronologique, allant de la stratégie d'anticipation au reboisement post-incendie, en passant par la sensibilisation et la lutte. Je remercie les autres rapporteurs pour notre excellente collaboration.
Notre objectif est de traduire dans une proposition de loi certaines de ces recommandations à caractère législatif, avant la fin de l'année 2022.
Commençons par le premier axe, consacré à l'anticipation.
Il nous a tout d'abord paru essentiel de renforcer l'effort de coordination interministérielle dans la conduite et la mise en oeuvre de la politique publique de « guerre contre le feu » : nous estimons que le travail actuellement mené est trop cloisonné entre les ministères concernés - intérieur, agriculture, transition écologique. Cette approche en silo freine les indispensables évolutions. Notre approche est, elle, globale et transversale. Nous préconisons l'élaboration d'une stratégie nationale et interministérielle de défense des forêts et des surfaces non boisées contre les incendies. Cette transversalité doit primer tant au niveau central qu'au niveau territorial.
Le succès de cette stratégie, vecteur d'une indispensable prise de conscience nationale, dépendra grandement des moyens alloués, dont l'augmentation semble inévitable et urgente, compte tenu de l'intensification et de l'extension géographique et temporelle du risque, de l'ampleur des coûts évités par les politiques de prévention et de lutte et de la multiplication du nombre d'événements en cet été 2022.
Nous sommes néanmoins convaincus de la nécessité d'un accroissement tout particulier des moyens consacrés à la prévention, que nous devrons impérativement doubler. Je pense à l'aménagement du territoire et de la forêt, à la valorisation de cette dernière, à la gestion durable par le développement d'une sylviculture adaptée au risque, à la mobilisation du monde agricole, à la sensibilisation et à la mise en place d'une véritable culture de la prévention. C'est bien sur ce volet préventif, « parent pauvre » de notre politique publique, que notre pays dispose aujourd'hui des plus grandes marges d'amélioration.
Le succès de cette stratégie nationale et interministérielle reposera également sur une amélioration des connaissances et des données relatives aux feux de forêt et de végétation. Nous formulons plusieurs propositions à cet égard, notamment celle de mieux évaluer la « valeur du sauvé », soit la valeur de ce qui peut être sauvé en cas de sinistre, autrement dit les coûts évités par les politiques de lutte et de prévention.
Enfin, face à l'extension géographique du risque incendie, la mise en oeuvre territoriale de la stratégie nationale de défense contre les incendies devra nécessairement être adaptée, de manière mesurée et progressive : les dispositifs aujourd'hui appliqués dans les zones exposées de longue date, comme les zones méditerranéennes ou l'Aquitaine, ne pourront pas être reproduits à l'identique dans les zones plus septentrionales, moins ou pas exposées à ce jour. Nous proposons ainsi d'encourager l'élaboration d'un plan de protection des forêts contre les incendies (PPFCI), aujourd'hui obligatoire sur les seuls territoires réputés particulièrement exposés au risque d'incendie. Cette pierre angulaire de la politique de prévention au niveau local devrait être mise en place dans les territoires aujourd'hui non couverts par ces plans. Nous proposons également de revenir sur les 500 suppressions de postes de l'Office national des forêts (ONF) prévues d'ici à 2025, notamment afin de redéployer des personnels sur la défense des forêts contre les incendies (DFCI) hors de la zone méditerranéenne, aujourd'hui la plus à risque.
Je conclurai sur ce volet en évoquant les échanges que nous avons eus entre rapporteurs concernant l'opportunité de créer un ministère dédié à la sécurité civile, pour assurer un meilleur portage politique de cette politique, aujourd'hui diluée au sein du ministère de l'intérieur. La Grèce, par exemple, à la suite des dramatiques feux qu'elle a connus en 2021, a décidé de créer un ministère de la protection civile et de la gestion de crise. C'est une proposition à laquelle nous sommes favorables, mais il ne nous a toutefois pas semblé opportun d'en faire une recommandation de notre rapport, cette piste dépassant très largement le cadre de la mission qui nous était confiée.
M. Jean Bacci, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - « Aménager le territoire », deuxième axe de recommandations, consiste à mieux réguler les interfaces entre la forêt et les zones urbaines pour réduire les départs de feux et la vulnérabilité des personnes et des biens. Le débroussaillement permet non seulement de diminuer l'intensité et de limiter la propagation du feu, mais aussi de renforcer la défendabilité des constructions. Un débroussaillement effectué conformément aux règles protège, en effet, l'habitation et permet donc le confinement des habitants, évitant ainsi la fuite des particuliers devant le feu. Ces OLD sont malheureusement trop peu appliquées, avec un taux de réalisation souvent inférieur à 30 %.
Nous sommes convaincus qu'une solution unique ne suffira pas à résorber ce déficit de réalisation des OLD : c'est pourquoi nous proposons une palette large de leviers, allant de la sensibilisation à la sanction, en passant par l'incitation.
Nos propositions ont l'ambition de conjuguer plusieurs registres d'intervention : premièrement, les mesures incitatives soutiennent l'idée de développer une pédagogie des OLD, grâce à une bonne information des personnes intéressées, une mise à disposition de conseils personnalisés et des contrôles plus réguliers. Nous devons ainsi établir une stratégie collective concertée à l'échelle des massifs. Nous pourrions également prévoir une exonération fiscale, sous forme de crédit d'impôts pour la réalisation des OLD, ou l'utilisation de chèques emploi service. Nous devons aussi valoriser systématiquement les bois issus des travaux de débroussaillement, en bois énergie ou en paillage, ce qui suppose une réalisation coordonnée des OLD dans un même territoire. Ces mesures doivent s'inscrire dans un cadre facilité de réalisation. L'arrêté préfectoral de définition des OLD doit permettre d'adapter les modalités de mise en oeuvre du débroussaillement en fonction de la nature du risque et de la réalité des territoires, comme le permet déjà l'article L. 131-10 du code forestier. Nous proposons également d'intégrer le périmètre des OLD dans les documents d'urbanisme, pour rendre plus visibles et explicites les périmètres concernés et pour mieux informer les particuliers de l'existence de l'OLD lors de la délivrance des permis de construire.
Nous formulons également quelques propositions plus contraignantes : conditionner la mutation d'une propriété à la réalisation des OLD, rendre la franchise obligatoire dans les contrats d'assurance habitation en cas de non-respect des OLD, solliciter auprès des assurés une attestation de conformité délivrée par les entrepreneurs de travaux forestiers certifiés, ou encore renforcer les sanctions pénales pour non-respect des OLD.
La maîtrise de l'urbanisation constitue un second levier essentiel pour mieux réguler les interfaces habitat-forêt et limiter le mitage. Nous formulons, là aussi, plusieurs recommandations : intégrer dans les documents d'urbanisme des recommandations en matière de mesures de construction, pour que les bâtiments résistent mieux aux incendies de forêt, dans les territoires particulièrement exposés ; étendre plus largement la réalisation des plans de prévention des risques incendie de forêt (Pprif) dans les territoires particulièrement exposés à ce risque, par la simplification des modalités d'élaboration, de modification et de révision de ces plans ; systématiser l'envoi de « cartes d'aléas », adressées par le préfet aux collectivités territoriales, dans les territoires à risque, afin de permettre aux élus locaux d'intégrer les informations relatives au risque incendie dans les documents d'urbanisme ; lutter plus résolument contre l'installation d'habitats légers dans les zones à risque, en s'appuyant sur les documents d'urbanisme existants, sur une doctrine plus stricte des commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) ou sur une application stricte du refus d'autorisation de défrichement pour l'installation d'habitats dans ces zones particulièrement exposées à l'aléa.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure de la commission des affaires économiques. - J'aborde maintenant notre troisième axe de recommandations. Lors de nos premières auditions, il est apparu très vite que la gestion des forêts et des espaces naturels était le moyen le plus efficace en matière de prévention des incendies et de protection des forêts. Or la forêt privée, majoritaire, qui représente 75 % des surfaces boisées françaises, est morcelée, insuffisamment gérée et plus vulnérable face au risque incendie. En Gironde, 93 % des forêts incendiées à Landiras et La Teste-de-Buch étaient privées.
Nous préconisons donc de nous pencher, région par région, sur les caractéristiques de ces massifs forestiers, d'analyser la pertinence des documents de gestion durable et des dispositifs de certification, au regard de la défense des forêts contre l'incendie (DFCI).
L'une de nos propositions phares consiste à abaisser le seuil d'obligation d'élaboration d'un plan simple de gestion à 20 hectares, contre 25 actuellement. Ce sont ainsi 500 000 hectares et plus de 20 000 propriétaires supplémentaires qui disposeront d'un document attestant de la gestion durable et multifonctionnelle, à long terme. L'intérêt est de disposer d'une cartographie précise de la forêt, des peuplements, de leur âge, des accès pouvant être utilisés comme pistes DFCI, des points d'eau, et de programmer l'adaptation des essences au changement climatique.
Au regard de l'abaissement du seuil des plans simples de gestion, les effectifs du Centre national de la propriété forestière (CNPF), qui accompagne les propriétaires privés et instruit ce document, devront être accrus d'au minimum 10 équivalents temps plein (ETP). Ce réajustement est absolument nécessaire pour permettre la prise en charge et le suivi des documents de gestion durable afférents à ces 500 000 hectares supplémentaires.
Cette montée en puissance des documents de gestion durable devra s'accompagner d'une mise à jour sur le contenu et les priorités du plan simple de gestion, désormais davantage orienté DFCI.
De même, la généralisation de la télédéclaration, déjà engagée, devra s'accélérer pour permettre un traitement et des mises à jour plus rapides.
L'adaptation des forêts au changement climatique passe aussi par la pérennisation du dispositif d'encouragement fiscal à l'investissement en forêt (DEFI), dont la disparition est programmée au 31 décembre 2022. Son taux et son plafond pourraient être élargis en conditionnant toujours l'éligibilité à un document de gestion durable - soit un plan simple de gestion, soit, pour les plus petites parcelles, un code des bonnes pratiques sylvicoles.
Ces dispositifs ne porteront leurs fruits que s'ils s'appuient sur un accroissement des moyens humains d'animation du CNPF, avec notamment un développement des bilans à mi-parcours des documents de gestion durable - tous les huit à dix ans.
Sur le modèle des experts de l'agence DFCI de l'ONF, un réseau d'experts DFCI pourrait être mis en place, de façon souple et adaptative, pour conseiller les propriétaires forestiers en matière de prévention du risque incendie, avec le recrutement d'un correspondant au sein de chaque centre régional de la propriété forestière (CRPF) et une animation nationale pour consolider les retours d'expérience dans le but de constituer une « culture commune du feu » dans la forêt privée.
Enfin, nous proposons que les maires des communes disposant d'un plan de protection des forêts contre l'incendie (PPFCI), d'un plan intercommunal de débroussaillement et d'aménagement forestier (PIDAF) ou de tout document cartographié relatif à la protection des forêts contre l'incendie - puissent disposer d'un droit de préemption DFCI, les parcelles forestières ainsi acquises étant soumises de fait au régime forestier afin d'en assurer une gestion durable et pérenne. Mais je laisse M. Rietmann développer ce point.
M. Olivier Rietmann, rapporteur de la commission des affaires économiques. - J'évoquerai d'abord notre quatrième axe de recommandations, l'appréhension locale du problème, à l'échelle des massifs, par l'aménagement et la valorisation de la forêt, avec trois points principaux.
Le premier point est celui de l'aménagement des forêts via la nécessaire déclinaison à l'échelle des massifs des plans de protection des forêts contre l'incendie (PPFCI). Les massifs forestiers sont vraiment l'échelle pertinente pour favoriser l'appropriation par les élus locaux des PPFCI et pour rechercher des financements, en particulier via le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader).
Dans le cadre de ces PPFCI de massif, un droit de préemption pourrait être établi, au profit des communes, sur les parcelles non dotées d'un document de gestion durable et qui sont identifiées comme stratégiques dans la DFCI. Les maires rencontrés sont dynamiques et volontaires pour gérer lesdites parcelles en les soumettant au régime forestier, dans un souci de diminuer le risque d'incendie.
Le deuxième point est celui des synergies entre desserte forestière et pistes DFCI, qui devraient être recherchées plus systématiquement. Un cahier des charges SDIS-CRPF pourrait être établi et les SDIS pourraient rendre un avis sur les schémas de desserte forestière collectifs. De même, une cartographie des synergies actuelles et potentielles au niveau régional serait utile pour comparer ces deux réseaux.
Enfin, le dernier point, particulièrement sensible, est celui de la conciliation de la DFCI avec la protection de la biodiversité. Nous avons longuement échangé avec nos collègues de la commission du développement durable, pour aboutir à une solution que je crois équilibrée. Nous ne pouvions pas passer à côté de cette question ayant suscité de vives polémiques l'an dernier après le feu de Gonfaron, qui a parcouru la moitié de la réserve naturelle de la plaine des Maures, et, plus récemment, après le feu qui a détruit la forêt usagère de la Teste-de-Buch, un statut protecteur qui a été le prétexte à de la « non-gestion ». Dans un cas comme dans l'autre, on ne peut pas dire de façon certaine que des refus d'aménagements de DFCI aient été responsables de l'ampleur des dégâts. Cela n'empêche pas de regretter les signaux contradictoires envoyés par les sanctions et les recours judiciaires contre des actions de prévention destinées à protéger la forêt... et la biodiversité qu'elle renferme !
Nous proposons donc une plus grande gradation des sanctions, en ciblant les délits représentant le plus d'enjeux, via une instruction générale aux parquets pour une meilleure conciliation entre DFCI et biodiversité dans le prononcé des sanctions en matière d'atteintes à la biodiversité. Lors de sa révision, la stratégie nationale de contrôle de l'Office français de la biodiversité (OFB) pourrait aussi intégrer davantage la prise en compte de la prévention du risque incendie.
Il en va de même pour les plans de gestion des aires protégées, qui sont le meilleur outil pour éviter les conflits le plus en amont possible. La solution passera d'abord par une association de l'ensemble des parties prenantes, afin d'anticiper les oppositions et de trouver des solutions territoriales et pragmatiques.
Si toutefois aucune de ces démarches de conciliation n'avait pu aboutir, une instruction technique que nous préconisons d'adresser aux préfets doit rappeler clairement que, compte tenu de l'impact encore plus grand que des incendies pourraient avoir sur la biodiversité, la DFCI doit être priorisée dans les zones particulièrement exposées au risque incendie. Mieux vaut parfois déranger un peu la biodiversité pour protéger la forêt, car, soyons clairs, en cas de grand incendie, il n'y aura plus de biodiversité...
J'en viens à notre cinquième axe de recommandations, la mobilisation de l'agriculture dans la protection des forêts et des espaces naturels contre les incendies, levier qui me tient particulièrement à coeur.
Certaines activités agricoles et pastorales jouent un rôle reconnu dans la protection des forêts contre l'incendie. Un rapport d'il y a plus de vingt ans demandait une « ligne Maginot » de la gestion des espaces forestiers et naturels, mais force est de constater que depuis lors, le sylvopastoralisme n'a pas été suffisamment soutenu par les fonds européens. Des contrats d'entretien pluriannuel devraient systématiquement être recherchés pour favoriser la continuité dans le temps et la cohérence de ces opérations gagnant-gagnant de « pâturage préventif ».
C'est aussi le cas de la viticulture, en particulier en agriculture conventionnelle - car sinon, l'herbe laissée entre les rangs peut servir de « mèche » et propager l'incendie -, qui devrait pouvoir bénéficier plus facilement du second pilier de la politique agricole commune (PAC) quand elle joue le rôle de pare-feu naturel.
Plus globalement, l'indemnité de défrichement devrait pouvoir être minorée plus facilement quand elle a vocation à permettre la valorisation agricole ou pastorale d'une parcelle, dès lors que cela contribue à réduire le risque incendie.
Mais au-delà de ce rôle traditionnel de pare-feu, nous proposons de réfléchir à une approche intégrée de la DFCI, en l'étendant aux surfaces de végétation et aux surfaces agricoles. En effet, bien que nous manquions de données à ce sujet, environ un tiers des surfaces brûlées correspondent à des espaces non boisés : friches, landes ou terres agricoles. Des coupures de végétation pourraient ainsi utilement être réalisées dans les zones à risque, à l'interface entre terres agricoles et forêts, afin de protéger autant les forêts que les parcelles.
Cette approche intégrée des incendies de forêt et de végétation passe d'abord par le renforcement de la sensibilisation des acteurs agricoles pour limiter les feux de chaume ou de récolte, dont ils sont les premières victimes, à l'image de ce qu'a développé de façon proactive le SDIS de la Haute-Saône, avec des bonnes pratiques telles que : veiller au bon entretien des machines utilisées, moissonneuses, presses ou autres débroussailleuses, mais aussi s'équiper d'extincteurs ou compartimenter les parcelles lors des moissons.
En cas de niveau de risque « très sévère », nous proposons enfin, en concertation bien sûr avec les organisations de producteurs, de donner la possibilité au préfet de prescrire la réalisation des travaux agricoles la nuit - je pense en particulier aux moissons. Dans bien des cas, c'est déjà fait ; mais, quand le risque est très sévère, il faudrait pouvoir le généraliser. En cas de pertes de revenus liées à une détérioration de la récolte ou à une augmentation de charges, une compensation devra évidemment être prévue à destination des agriculteurs.
M. Jean Bacci, rapporteur. - À la différence de l'Amérique du Nord, où quatre feux sur dix sont d'origine naturelle, le facteur anthropique est prépondérant en France dans le déclenchement des incendies : neuf feux sur dix sont d'origine humaine, et sept sur dix sont attribuables à l'imprudence humaine. À la lecture de ces chiffres, on comprend bien l'importance de la sensibilisation, qui constitue notre sixième axe de recommandations.
Nous appelons ainsi à renforcer très largement les moyens alloués à la communication, à la hauteur des moyens mobilisés pour d'autres causes nationales, par exemple la sécurité routière. Au-delà des messages de sensibilisation sur les pratiques et les comportements à risque, il convient de sensibiliser à plus grande échelle sur l'intérêt des mesures de prévention, qui souffrent à ce jour d'un déficit de visibilité par rapport aux actions de lutte, souvent plus médiatisées. À cette fin, de la même manière que le préfet participe à l'ouverture de la saison des feux avant l'été, il pourrait être intéressant de procéder à une communication sur la « saison de la prévention », en montrant concrètement en quoi consiste un débroussaillement dans les normes.
L'accroissement des moyens alloués à la communication doit aller de pair avec une meilleure coordination des campagnes menées. Portée par de nombreux acteurs, la sensibilisation des populations souffre encore d'une trop grande hétérogénéité dans les messages relayés auprès des populations, sur la forme comme sur le fond.
De plus, les pics de fréquentation estivaux dans les massifs du sud de la France apportent leur lot de comportements imprudents, l'ensemble des touristes n'étant pas « acculturés au feu ». Nous recommandons de mobiliser le budget des collectivités territoriales pour recruter, former et équiper des jeunes du service national universel (SNU), afin de prévenir et sensibiliser les usagers en forêt lors des périodes à risque.
La sensibilisation passera, enfin, par un renforcement et une clarification des sanctions relatives à la prévention du risque d'incendie. Nous proposons de consacrer au niveau législatif l'interdiction de fumer dans un bois ou une forêt classée à « risque d'incendie » ou particulièrement exposée à ce risque durant certaines périodes.
M. Pascal Martin, rapporteur. - J'en viens aux réponses opérationnelles. Quand les politiques de prévention ont échoué, c'est aux moyens de lutte contre l'incendie d'intervenir. La lutte constitue donc logiquement le septième axe de recommandations de notre rapport.
En premier lieu, nous préconisons d'accroître sensiblement ces moyens de lutte pour faire face à l'intensification et à l'extension du risque incendie. Cette observation vaut tout d'abord pour les moyens aériens de la sécurité civile, actuellement insuffisants pour faire face à l'évolution de l'aléa. Le vieillissement de nos Canadair entraîne de plus longues immobilisations et d'importants surcoûts de maintenance. Cette flotte devra donc nécessairement être renouvelée et renforcée, principalement par un financement direct de l'État et, plus à la marge, dans le cadre du dispositif européen « RescEU ». En 2026, la France devrait récupérer deux Canadair par ce biais. Ces nouveaux Canadair devraient pouvoir être utilisés de nuit - comme les avions militaires. La France devra, en outre, se doter d'un plus grand nombre d'hélicoptères, en particulier d'hélicoptères bombardiers d'eau, plus adaptés que les Canadair pour intervenir sur des incendies à distance des zones côtières.
Par ailleurs, il faudra étudier l'opportunité de créer une seconde base aérienne de la sécurité civile - en plus de celle de Nîmes - pour plus de rapidité dans la mobilisation des moyens de lutte, à l'aune du retour d'expérience des incendies de Gironde, et en s'appuyant sur les projections d'évolution à moyen et long terme du risque.
Au-delà des moyens nationaux, un soutien de l'État s'avère nécessaire par un renforcement des moyens capacitaires des SDIS. Nous attendons de l'État une augmentation significative dans un cadre pluriannuel de la dotation de soutien à l'investissement des SDIS. L'État doit favoriser la mutualisation des secours, dans une démarche de solidarité nationale.
En outre, renforcer nos capacités opérationnelles de lutte contre le feu n'aura de sens que si des moyens humains sont disponibles pour les piloter. Pour armer des véhicules, il faut des femmes et des hommes. Une augmentation des effectifs de sapeurs-pompiers volontaires - qui sont actuellement 197 000 - apparaît donc indispensable pour répondre à l'évolution de l'aléa. Pour atteindre d'ici cinq ans la cible de 250 000 sapeurs-pompiers volontaires, effectifs dont bénéficiait notre pays dans les années 1990, la France devra recruter plus de 50 000 nouveaux « soldats du feu », soit 10 000 par an. Avec plus de 6 000 centres sur le territoire, cela revient à recruter deux sapeurs-pompiers par an et par centre de secours.
Comme l'avait déjà proposé le Sénat dans le cadre des débats sur la « loi Matras », nous proposons donc d'instaurer une réduction de cotisations patronales pour les entreprises et administrations en contrepartie de la disponibilité de leurs employés et agents exerçant en tant que sapeurs-pompiers volontaires. Cette proposition a malheureusement été supprimée en commission mixte paritaire et ne figure plus à l'article 45 de la loi.
La mise en place du cell broadcast, pour alerter et informer les populations par téléphone mobile, doit enfin être gérée à l'échelle non pas centrale, mais territoriale, notamment par le préfet, directeur des opérations de secours, pour plus de réactivité et d'efficacité sur le terrain.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Dernier axe de notre rapport, particulièrement attendu : le reboisement des parcelles brûlées, quand malheureusement ni la prévention ni la lutte n'ont permis d'éviter un sinistre, est une étape cruciale. Il s'agit de reconstituer une parcelle boisée, un patrimoine forestier, une biodiversité, en les rendant plus résilients à l'avenir. Pour ce faire, il faut une aide de l'État, fondée sur l'écoconditionnalité, et une réflexion sur le choix des essences à planter, en conciliant l'adaptation de la station forestière et la résistance aux incendies.
En complément du levier assurantiel, que nous appelons à renforcer par des mesures ciblées, un financement de l'État est indispensable même dans les cas où, comme dans le Sud, on laisse faire la régénération naturelle : pour autant, celle-ci doit être complétée par des plantations permettant de diversifier les essences et de rendre la parcelle plus résiliente aux incendies. Le site devra être sécurisé, et il faudra réaliser des travaux de nettoyage des parcelles et, parfois, une évacuation des bois, ce qui est coûteux pour les collectivités et les particuliers.
En Gironde, sur environ 20 000 hectares de forêts en partie productives, nous estimons le besoin de financement à environ 50 millions d'euros, à raison de 2 000 à 4 000 euros par hectare et un cofinancement public de 60 à 80 %, soit la moitié du premier volet renouvellement forestier du plan de relance, pour la seule forêt privée autour de Landiras et La Teste-de-Buch. C'est dire l'importance des besoins ! Cette aide de l'État, incluse dans le plan France 2030, devra s'accompagner d'engagements sur de nouvelles pratiques plus adaptées aux risques émergents, notamment en matière de pare-feux, qui devront a minima être respectés, si ce n'est agrandis lorsque l'évolution du risque le justifie.
Un autre enjeu important réside dans le choix des essences plantées ou replantées à la suite d'un incendie. Nous devrons être vigilants sur l'adaptation de ces parcelles et sur leur capacité de résistance en cas d'incendie. Le pin maritime reste l'essence la plus appropriée pour les sols et le climat landais, mais face au risque incendie il ne peut plus être implanté en monoculture sur d'importantes surfaces. La résistance de la forêt aux incendies passe par le mélange des essences, qui crée de la discontinuité, et par de la desserte, des pare-feux... Mais l'adaptation de ces nouvelles essences n'est pas une solution garantie. Il faut en permanence que les forestiers observent et adaptent en conséquence leurs pratiques, accompagnés et conseillés par les SDIS et par les élus locaux.
M. Joël Labbé. - Merci pour ce travail complet mené à huit mains.
Le pastoralisme a été mis en avant par Olivier Rietmann, indiquant qu'un rapport d'il y a vingt ans alertait déjà sur le risque de déprise. La situation s'est aggravée depuis pour le pastoralisme et le pâturage extensif, faute d'exploitants et d'éleveurs, et de moyens pour conserver ces activités ayant un intérêt collectif. Il faut conserver l'existant et regagner sur la friche. Les moyens pourraient être des paiements pour services environnementaux. Évitons d'avoir à redire, dans vingt ans, que cela avait déjà été décrit dans un rapport...
Mme Patricia Demas. - Félicitations pour ce travail intéressant.
La grande majorité des feux est d'origine humaine. Les maires des communes rurales, pour lutter contre les feux, exercent leurs pouvoirs de police pour limiter les activités et les comportements inappropriés. Encore faut-il qu'elles aient les moyens de mettre en oeuvre ce pouvoir de police municipale, qui se limite au territoire communal ; et l'arrêté doit être suffisamment identifiable et ne pas changer d'une commune limitrophe à une autre. Il en va de même pour les arrêtés préfectoraux, qui peuvent différer selon les départements, alors que leurs caractéristiques et les comportementaux à risque sont les mêmes.
Quelles mesures ou quelles incitations proposez-vous pour améliorer la lisibilité des arrêtés municipaux et préfectoraux qui luttent pour prévenir les comportements à risque sur leurs territoires ? Comment assurer une meilleure lisibilité et une meilleure coordination des pouvoirs publics ?
M. Patrick Chaize. - Quelles nouvelles techniques de gestion de l'eau pourraient-elles être développées ? Comment mieux anticiper ? Car, pour éteindre un incendie, après une seconde, il faut un verre d'eau ; après une minute, un seau d'eau ; après dix minutes, une tonne d'eau.
Comment surveiller par caméra numérique pour anticiper et pouvoir mener des actions rapides sur le terrain afin d'éviter la propagation du feu ?
M. Hervé Gillé. - Sénateur de la Gironde, j'ai suivi avec beaucoup d'attention les préconisations de ce rapport. Nous avons organisé une table ronde avec les deux maires de Landiras et de La Teste-de-Buch, le représentant des maires de Gironde et le responsable du SDIS du département pour dresser un premier bilan des événements actuels.
Je voudrais approfondir plusieurs sujets.
Nous avons connu un cocktail explosif, conjonction d'une sécheresse particulièrement intense et de températures élevées ayant accéléré la propagation des incendies. La prédiction météorologique n'a pas été très performante, affectant par là même les préconisations préfectorales d'urgence, qui étaient décalées. Le système de référence est à revoir.
Vous envisagiez l'inscription dans certains documents d'urbanisme des préconisations d'habitat : il faut aller plus loin et les intégrer dans les schémas de cohérence territoriale (SCoT). Les SCoT doivent prévoir les conditions nécessaires pour accueillir les populations correctement. Ils doivent être prescriptifs au niveau des plans locaux d'urbanisme (PLU) et des PLU intercommunaux (PLUi).
Par ailleurs, la gestion de crise est fondamentale. Lors de cet événement, elle a globalement répondu aux attentes, mais il reste des interrogations sur une meilleure articulation entre les services préfectoraux, et les collectivités territoriales, notamment les départements. La gestion logistique est importante : 3 000 hommes et femmes ont été mobilisés en Gironde. Il n'y a pas de cellule de crise mutualisant suffisamment en amont. Il faut revoir les procédures.
Il faut aussi revoir le schéma de réserves d'eau, en matière de sécurité et d'aménagement : après ces feux de quinze jours, nous sommes arrivés à une situation limite sur les réserves d'eau mobilisées.
Enfin, à Landiras, le premier Canadair n'est intervenu que douze heures après le départ du feu. Ce n'était pas le cas à la Teste-de-Buch. Les Canadair ont été mobilisés pour éviter que le massif landais ne soit directement attaqué, ce qui a permis que les feux landais naissants soient rapidement maîtrisés ; mais le retard a été un problème majeur à Landiras. Il faut renforcer aussi les moyens.
M. Daniel Gremillet. - Pour favoriser la gestion forestière, remettons au goût du jour la fiscalisation des petites propriétés forestières - notre commission avait réalisé une étude sur le sujet -, moyen efficace de rappeler aux propriétaires qu'ils possèdent des petites parcelles. Nous sommes capables de le faire pour le foncier agricole, pourquoi pas pour le foncier forestier ? Cela dit, Bercy bloque pour le moment...
Responsable du dossier forêt pour la région Grand Est, j'ai été stupéfait de découvrir que, malgré les aides publiques qui servent à la réalisation des dessertes forestières, les SDIS n'ont pas connaissance de ces dessertes. Personne ne connaît les nouveaux chemins, alors que, souvent, ils sont capables de supporter des véhicules avec un poids considérable ! Allons plus vite pour partager ces connaissances et cette accessibilité.
Oui, il faut rééquilibrer droits de préemption et de préférence. Actuellement, il existe un droit de préférence pour les propriétaires forestiers, il faut un droit de préemption pour les communes.
Sur le rôle que vous envisagez de confier à l'OFB en matière de DFCI, je m'interroge. Est-il le mieux placé pour cela ?
Vous avez proposé de créer une seconde base de canadairs. Voyons-le aussi sous l'angle communautaire. Avec les risques actuels sur l'ensemble de la France, deux bases ne suffiront pas. Dans l'Est, nous pourrions par exemple avoir une approche commune avec la Forêt-Noire....
Enfin, comme vous l'avez bien dit, le moins cher, pour gérer les broussailles, reste de faire pâturer des animaux. Avec un débroussailleur, le risque persiste, puisque les herbes broyées sèchent et fonctionnent comme des allumettes qui risquent de craquer à tout moment. Je suis très inquiet de la fragilité de notre élevage sur l'ensemble du territoire, et on voit les risques complémentaires que cette fragilité peut entraîner.
M. Bruno Belin. - Merci et bravo. Le sujet de votre rapport est de plus en plus souvent d'actualité, y compris hors saison.
Oui, il faut des moyens. Vous évoquez le recrutement de deux bénévoles par centre de secours. Avez-vous des pistes pour en trouver, dans un contexte de crise de recrutement du secteur ?
Demain, tous les SDIS ayant un certain pourcentage de massifs forestiers devront-ils s'équiper ? Je pense notamment aux Vosges, à la Bretagne... Quel cahier des charges auront-ils ? Ne faut-il pas une liste de matériels précis ? Le cas échéant, pour quel coût et avec quelles sources de financement ?
M. Bernard Buis. - Les conditions météorologiques sont le principal facteur à l'origine des feux de forêt. Cette année de sécheresse exceptionnelle, qui s'accentue depuis juin, est dramatique : 45 000 hectares sont partis en fumée depuis le début de l'année. En 1976, année record des plus grands incendies, 88 000 hectares ont brûlé. Espérons que ce record ne sera pas battu cette année. En Gironde, déjà en 1949, un mégafeu avait détruit à lui seul 50 000 hectares. À court terme, pour lutter contre ces incendies, certains préconisent un retour du brûlage ou du feu dirigé pour prévenir en amont les incendies, et brûler, en hiver, feuilles, branches et résidus susceptibles, en été, d'alimenter les feux. Prônez-vous cette technique ?
M. Pascal Martin, rapporteur. - Monsieur Chaize, l'Entente Valabre, établissement public qui regroupe une grande partie des départements de l'arc méditerranéen - région Sud, ex-Languedoc-Roussillon, Drôme et Ardèche, collectivité unique de Corse - mais aussi La Réunion, possède un centre scientifique spécialisé notamment dans la gestion de l'eau.
Le président de la FNSPF, Grégory Allione, également directeur du SDIS des Bouches-du-Rhône, a demandé à ses équipes de réfléchir aux moyens d'éteindre les incendies avec beaucoup moins d'eau, mais aussi en utilisant plutôt de l'eau brute que de l'eau potable.
Sur l'anticipation, mieux vaut parler de « prévention » - faire en sorte qu'un sinistre ne se déclare pas - que de « prévision » - qui, lorsque la prévention a échoué, vaut à préparer l'intervention.
Pour éviter l'engagement de moyens humains dans des circonstances compliquées, on peut substituer des drones, des capteurs de chaleur, des robots. Ces moyens existent déjà et sont utilisés par certains SDIS.
Monsieur Gillé, le directeur des opérations de secours est le maire lorsque le feu est limité au territoire de la commune et le préfet lorsqu'il le dépasse. L'articulation entre les deux est difficile. En Gironde, comme cela a été rappelé, la simultanéité de deux feux a posé problème. Le préfet, le département et les maires ont été confrontés à des difficultés hors normes.
Les communes soumises à un plan de prévention des risques naturels (PPRN) et à un plan particulier d'intervention (PPI) sont obligées de mettre en place un plan communal de sauvegarde (PCS) ; celui-ci est recommandé pour les autres communes. Il peut être intercommunal, et concerne les risques sanitaires, naturels, technologiques... La loi Matras a prévu de désigner un référent pour porter, dans chaque commune ou intercommunalité, l'élaboration et le suivi du PCS. Elle a aussi prévu de tester le PCS tous les cinq ans avec la population. Avant, cela restait théorique ; désormais, il faut tester l'alerte, l'évacuation, l'hébergement provisoire... Mais cela ne règle pas les problèmes logistiques : lorsque plusieurs centaines ou milliers de pompiers arrivent sur un territoire, il faut qu'ils puissent se reposer, manger et boire. Toutes ces questions échappent au maire : c'est au préfet, voire aux conseils départementaux, de s'en charger.
Des feux dits « tactiques » sont déjà utilisés par des sapeurs-pompiers qui en ont la maîtrise : cela permet, à terme, d'économiser de l'eau.
Bruno Belin évoquait les pompiers volontaires. Le maillage territorial des 6 100 centres d'incendie et de secours est assuré par des gardes de pompiers volontaires. Or, on connaît une crise du volontariat. Il y avait 250 000 sapeurs pompiers volontaires dans les années 1990 ; nous en avons perdu plus de 50 000. Il faut les fidéliser. L'engagement de ces pompiers volontaires est avant tout citoyen, et non financier : la vacation horaire est rémunérée 7 euros... Lors de la future réflexion sur les régimes de retraites, on pourrait envisager des bonifications de trimestres.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Il est difficile, pour les maires, de faire respecter les arrêtés préfectoraux de limitation de l'emploi du feu : nos concitoyens, accoutumés à ces arrêtés, les respectent de moins en moins. Les maires veulent être davantage associés au pilotage avec les services préfectoraux et les SDIS. C'est indispensable. Laissons les acteurs de terrain déterminer certaines modalités réglementaires. Mais ils doivent pour cela disposer de la cartographie des aléas, des zonages, afin d'être mieux informés et mis en capacité d'assumer leurs responsabilités.
Nous proposons de cartographier les massifs et d'identifier les dessertes, les points d'eau, et d'en aménager éventuellement les accès, afin qu'ils soient mobilisables en cas d'incendie, et pas seulement dans les régions où il y a des PPFCI, En Côte-d'Or, le SDIS travaille à une adaptation du schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (Sdacr) qui intègre les massifs vulnérables aux incendies et commence à répertorier les dessertes et à travailler davantage avec les forestiers pour connaître les massifs, les points d'eau et les centres de première intervention (CPI).
Pascal Martin proposait de revenir sur une disposition de la loi Matras proposée par le Sénat mais remise en cause par la commission mixte paritaire. Les sapeurs-pompiers font remarquer que de nombreux volontaires seraient potentiellement mobilisables pendant leurs heures de travail, souvent l'après-midi, quand les casernes de pompiers sont plus vides. Il faut accompagner les employeurs privés pour qu'ils puissent participer à cet effort : il y a là une grosse réserve de sapeurs-pompiers volontaires.
M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Messieurs Labbé et Gremillet, concernant l'élevage, ce n'est pas pour rien que nous avons évoqué ce rapport de 1999 évoquant une « ligne Maginot » de la gestion des espaces forestiers et naturels. Le commissaire européen à la gestion des crises nous a fait part de la volonté communautaire de participer, y compris financièrement, à la réimplantation forte du pastoralisme et de l'élevage dans la lutte contre les incendies, là où c'est possible et souhaitable. Certes, le pastoralisme peut aussi avoir quelques inconvénients sur la biodiversité, en raison du piétinement ou de la volonté de conserver certaines espèces. Mais il faut pousser ce dossier et l'accompagner financièrement avec les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) et les fonds européens.
Évidemment, il est urgent de transmettre aux SDIS les cartes de desserte forestière. Ils doivent participer aux débats relatifs à l'implantation et aux caractéristiques de cette desserte.
J'ai été clair sur le droit de préemption DFCI des communes, qui fait partie des pistes intéressantes à développer.
Nous avons proposé non pas de renforcer le rôle de contrôle de l'OFB par la lutte contre les incendies, mais que celui-ci prenne en compte le sujet dans sa stratégie : nous proposons que la stratégie de l'OFB ne se limite plus, dans les secteurs sensibles aux incendies de forêt, à du contrôle et à la préservation de la biodiversité, mais qu'elle intègre, dans ses contrôles sur le terrain, la lutte contre les incendies.
J'appuie les propos de Pascal Martin, fondés sur les auditions des sapeurs-pompiers et des visites de terrain : si actuellement la politique de lutte contre les incendies en France est reconnue très largement pour son efficacité, c'est grâce à la prévention et à cette lutte, fondées sur les sapeurs-pompiers volontaires, professionnels et sur les colonnes de renfort. Les départements du nord de la France ont pu envoyer ces colonnes car, jusqu'à présent, ils étaient peu concernés par les incendies. Or, désormais, les zones concernées et les saisons s'étendent : ces départements pourront de moins en moins mettre à disposition ces colonnes de renfort. L'État doit donc engager des moyens financiers aux côtés des départements et des communes.
M. Jean Bacci, rapporteur. - Le département des Bouches-du-Rhône réfléchit à l'utilisation de moins d'eau pour la lutte contre les incendies. L'anticipation et la surveillance sont particulièrement importantes. Dans le Var, nous expérimentons, avec Orange, la possibilité de surveiller les massifs avec les réseaux satellites.
Oui, il faut joindre tous les documents d'urbanisme dans les SCoT. Mais ceux-ci sont pilotés par les élus : il convient de les sensibiliser à la nécessité de travailler sur le risque incendie. Nous réalisons des formations avec l'association départementale des communes forestières du Var pour les sensibiliser aux risques et à leurs obligations, ainsi que pour les aider à mettre en place leur propre plan communal de sauvegarde.
La France aurait la flotte aérienne de lutte contre les incendies la plus importante, mais encore faut-il qu'elle soit opérationnelle. Un tiers des avions sont cloués au sol pour maintenance. L'État a commandé quatre Canadair, et nous devrions en recevoir deux de plus de l'Union européenne. C'est très bien, mais quand les recevra-t-on ? Les lignes de fabrication sont fermées et doivent être rouvertes. Ces avions ne seront pas livrés avant 2027 ou 2028. Airbus, cette année, a expérimenté en Espagne un avion porteur d'eau comme les Dash. En attendant, des avions militaires sont utilisés...
Mme Anne Chain-Larché. - J'adhère aux propos qui ont été tenus. Comme cela avait déjà été dit il y a plusieurs années : notre forêt brûle et nous regardons ailleurs. Réveillons-nous !
Je constate trois aberrations.
Sur les parcelles brûlées de chêne-liège dans le Var, replanter avec des cèdres du Liban ou des pins maritimes n'est pas approprié face au risque d'incendie.
L'ONF n'entretient plus ses chemins, lesquels permettaient aux pompiers d'entrer dans les massifs. Désormais, non seulement les avions sont en nombre insuffisant, mais les chemins au sol sont inutilisables. L'ONF devrait faire preuve de plus d'ambition dans les forêts domaniales.
Enfin, je ferai remarquer qu'il n'y a plus de cendriers dans les voitures : les fumeurs au volant jettent donc leurs cigarettes par la fenêtre... Or les incendies sont, pour la plupart, dus à des négligences humaines.
M. Pierre Cuypers. - Très bien !
Mme Anne Chain-Larché. - C'est du bon sens...
Mme Angèle Préville. - Merci pour le travail exhaustif réalisé.
En tant que professeur, je salue la recommandation n° 56 pour sensibiliser les plus jeunes dans les établissements scolaires, en faisant témoigner des intervenants extérieurs. Moi qui ai eu des élèves jeunes sapeurs-pompiers, je propose qu'un jour par an soit consacré à la prévention des incendies. Cela permettrait que les élèves connaissent le métier, afin de leur donner envie de s'engager. Cela pourrait être couplé avec l'enseignement de plusieurs matières.
Une filière de responsabilité élargie du producteur (REP) mégots est une très bonne idée, car ces derniers sont à l'origine de nombreux incendies. Cette REP, que vous proposez de flécher vers des actions de communication d'envergure, pourrait aussi être affectée à des moyens de surveillance.
M. Serge Mérillou. - Merci pour ce travail.
Que va-t-il se passer après les incendies ? C'est à ce moment que commence la prévention au niveau des infrastructures forestières, et que l'on peut créer des pistes forestières, des points d'eau, puisqu'aucun obstacle physique ne s'y oppose plus.
Pour la restructuration foncière, au-delà des droits de préemption, il existe aussi des échanges amiables entre propriétaires pour regrouper des parcelles, afin qu'ils s'y intéressent et les entretiennent. Des outils existent pour des opérations groupées d'aménagement foncier (OGAF), comme la prise en charge des frais de notaires.
L'aide aux propriétaires forestiers permet de reconstituer des boisements les plus adaptés possible à leur station forestière et d'éviter des plantations entières de résineux, même si l'on ne peut pas les remplacer partout, notamment en forêt landaise. Nous aurons besoin de l'ONF, des CRPF et des services forestiers des chambres d'agriculture.
Mme Nadège Havet. - Je remercie les rapporteurs pour leurs travaux.
Le Finistère n'a pas été épargné par les incendies cet été. Comme partout en France, le risque incendie reste élevé.
Lors des incendies des monts d'Arrée, comme sur d'autres territoires, nous avons pu constater que le monde agricole représentait une force de frappe importante et réactive pour soutenir les services d'incendie et de secours, pour véhiculer des tonnes à eau, pour procéder à des arrosages préventifs.
Mais, dans la pratique, il y a parfois des incompréhensions entre agriculteurs et SDIS sur les théâtres d'intervention, leurs objectifs étant un peu différents : les premiers veulent intervenir vite pour éteindre l'incendie, les seconds sont présents avant tout pour protéger les personnes. Ne faudrait-il pas élaborer des conventions et des protocoles permettant de faciliter leur coopération et leur coordination ?
M. Daniel Salmon. - Merci pour cet excellent travail.
Les feux extrêmes suscitent énormément d'angoisse dans la population, car ils visibilisent le changement climatique. Il faut que nous apportions un maximum de réponses.
Vos axes de travail sont essentiels, mais il en est un que nous n'avons pas abordé, parce qu'il porte sur le moyen et le long termes : la lutte contre le réchauffement climatique. Elle doit être immédiate et massive. De fait, les feux de forêt sont provoqués par le stress hydrique. Des arbres se transforment en véritables torches en cas de températures extrêmes.
Je me réjouis que l'on n'ait pas succombé à la facilité en accusant les écologistes de provoquer un certain nombre de feux du fait des embroussaillements - ces polémiques ont pu exister ailleurs.
Concernant les boisements monospécifiques, les boisements de résineux, la réflexion est difficile, puisqu'il faut prévoir le climat à cinquante ans. Je pense qu'il ne faut pas mettre tous les oeufs dans le même panier. Les recherches qui sont menées actuellement concluent plutôt à la nécessité d'une diversification maximale de nos boisements pour avoir toutes les chances d'avoir, demain, une forêt résiliente.
M. Guillaume Chevrollier. - Merci aux rapporteurs pour leur travail sur cette question essentielle.
Vous avez cité un certain nombre d'opérateurs : les SDIS, l'ONF, l'OFB... Vous avez parlé des propriétaires forestiers privés, mais je ne crois pas avoir entendu citer Fransylva, qui est la Fédération des syndicats de forestiers privés de France. C'est pourtant un organisme essentiel, dont le maillage est fin et qui fait beaucoup dans les territoires pour sensibiliser et accompagner les propriétaires. Je pense qu'il doit avoir une place primordiale dans la prévention des feux.
Quel est votre avis sur son rôle dans la diffusion d'une culture du risque et dans la gestion durable et résiliente de nos forêts ?
M. Franck Montaugé. - Merci aux rapporteurs.
Ce sujet relève de la défense de notre patrimoine environnemental national. Avez-vous réfléchi à la possibilité d'utiliser, dans un cadre adapté, l'observation satellitaire militaire, dont les outils offrent une précision extraordinaire ? Cela permettrait de mettre en évidence des départs de feux très rapidement et d'être sur place avant que la situation dégénère.
Mme Sylviane Noël. - Merci aux rapporteurs pour leurs propositions pertinentes.
Aux propositions formulées pour le soutien à l'agropastoralisme, auxquelles je souscris pleinement, je veux ajouter la lutte contre la prédation, notamment celle du loup, qui, dans certains départements de montagne, constitue une pression telle que de nombreux secteurs ne sont désormais plus pâturés. Je crains que nous n'allions, dans les années à venir, au-devant de grandes difficultés si nous ne parvenons pas à trouver une gestion plus équilibrée, dans nos alpages, de certaines espèces qui mettent à mal notre agriculture de montagne.
C'est bien de prévenir les risques d'incendie. C'est bien aussi de s'assurer que, dans les prochaines années, nous aurons suffisamment de « soldats du feu » pour assurer notre protection. Aujourd'hui, dans notre pays, plus de 5 000 pompiers volontaires et 200 professionnels sont suspendus depuis plusieurs mois. Leur réintégration rapide me semble une impérieuse nécessité pour répondre à nos besoins futurs.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Mes chers collègues, je dois participer au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination de Mme Emmanuelle Wargon à la présidence du collègue de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), son audition étant terminée à l'Assemblée nationale.
Je vous souhaite une bonne fin de réunion et remercie une nouvelle fois les rapporteurs du travail qu'ils ont réalisé.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Merci pour la richesse de votre rapport et des pistes que vous dessinez.
Je souscris à la création d'un ministère pour la prévention et la lutte contre les incendies.
Ne pensez-vous pas qu'il serait pertinent de légiférer pour permettre à nos communes de réquisitionner des voies d'accès privées définies comme présentant un risque incendie par le PPRif dans le cadre d'une procédure plus adaptée, plus rapide et plus simple que les procédures d'expropriation ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Pour ce qui concerne la présence en forêt, nous proposons de redéployer, dans l'ensemble des forêts publiques, un certain nombre d'agents de surveillance au sein de l'ONF, dont les effectifs ont été limités ces dernières années, et de créer un dispositif identique, piloté par le CNPF, pour les forêts privées.
Nous avons auditionné tous les acteurs de la forêt : Fransylva, mais aussi les coopératives, les exploitants, les gestionnaires. Je pense que tous ces acteurs vont être mobilisés au quotidien pour sensibiliser et diffuser de bonnes pratiques.
Nos propositions concernent essentiellement l'organisme public de gestion, le CNPF, qui contrôle, instruit, ainsi que les services préfectoraux, dans le cadre des schémas régionaux de gestion sylvicole. Derrière ces structures tutélaires fourmillent tous les acteurs de terrain, petites mains qui vont mettre en oeuvre ces dispositifs.
S'agissant de la nécessité de l'aménagement des massifs, notre rapport souligne combien le soutien à toutes les stratégies locales de développement forestier - les chartes forestières de territoire, les plans de développement de massif - mais aussi par exemple les OGAF, permettront de diffuser la culture du risque. Nous préconisons, pour les aides publiques, la mise en place d'une écoconditionnalité : peuplements adaptés non seulement à la station forestière, mais aussi à la résilience aux incendies, bonnes pratiques en matière de desserte, de cartographie... Tout cela doit s'articuler pour une meilleure résilience de l'ensemble de nos massifs.
M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Notre collègue a évoqué des désaccords entre agriculteurs et pompiers. Il y en a peut-être eu dans un secteur particulier du Finistère à un moment donné, mais c'est probablement un cas isolé. Dans toutes les auditions que nous avons pu organiser, nous n'avons pas eu de remontées en ce sens. Au contraire, on nous a plutôt fait état d'une bonne entente et d'un appui très important des agriculteurs, notamment dans le transport de l'eau, auprès des pompiers des SDIS, par exemple en Gironde.
Personnellement, je plaide également pour la création d'un ministère de la sécurité civile. C'est absolument nécessaire pour une bonne gestion de crise et la lutte contre les feux extrêmes.
M. Jean Bacci, rapporteur. - Je suis tout à fait d'accord : il faut faire le maximum de sensibilisation. Il faut sensibiliser nos jeunes et les populations au risque incendie.
Il est nécessaire de communiquer pour faire comprendre à tout le monde qu'aujourd'hui, comme les représentants du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa) nous l'ont dit clairement, la forêt a besoin de l'intervention humaine : pour la défendre, il faut enlever de la biomasse. Ainsi, elle brûlera moins facilement, et les sujets qui resteront en place souffriront moins de stress hydrique.
Les représentants du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) nous ont dit que rouler 300 mètres en voiture, c'est faire fondre un kilo de glace des glaciers. De son côté, AtmoSud nous explique qu'un hectare de forêt méditerranéenne qui brûle correspond, en termes d'émissions de gaz à effet de serre, à un véhicule fortement émetteur qui ferait 6,5 fois le tour de la Terre... Je vous laisse faire la conjonction entre ces deux informations !
Il peut être compliqué de travailler avec les satellites des armées. En revanche, nous sommes en train d'essayer de travailler avec Orange, comme je vous l'indiquais tout à l'heure.
Pour terminer, nous avons besoin de nous acculturer au feu et de prendre conscience que, dès lors qu'il a rempli correctement ses obligations légales de débroussaillement, un habitant qui vit à proximité de la forêt ne risque rien dans sa maison. Toutefois, il faut être actif pour protéger sa maison : ne pas laisser le tuyau d'arrosage dehors quand le feu approche, doter sa piscine d'une pompe thermique, etc.
Satisfaire aux OLD permet aussi de libérer un camion de pompiers pour contenir le feu ailleurs, dès lors que l'habitation n'a plus besoin d'être protégée.
M. Pascal Martin, rapporteur. - Les OLD ont été au coeur de nos échanges tout au long de ces trois mois. Elles sont, aujourd'hui, mal expliquées aux personnes concernées. La culture du risque et la pédagogie manquent.
J'insiste sur ce que vient de dire Jean Bacci. Les OLD, c'est tout bénéfice pour les propriétaires : cela leur permet de se sauver en restant chez eux et de sauver leur bien, et cela évite que des sapeurs-pompiers ne soient bloqués près de maisons, alors qu'ils pourraient être utiles ailleurs.
Il existe des conventions entre SDIS et agriculteurs, mais elles ne peuvent s'organiser qu'à l'échelle de chaque SDIS. De même, je connais des communes qui passent des conventions avec des agriculteurs pour le déneigement. Très souvent, les relations entre agriculteurs et services départementaux sont bonnes. On ne peut pas définir une politique générale ; il faut vraiment faire du cas par cas.
Légiférer sur les questions de réquisition est toujours extrêmement sensible. Nous ne l'avons pas prévu explicitement, mais nous notons la proposition. Nous regarderons, dans nos travaux à venir, notamment lors de l'élaboration de la proposition de loi, ce qui pourrait être fait dans ce domaine.
M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Le « coût du sauvé » est très important. Les Bouches-du-Rhône ont investi, ces dernières années, 200 millions d'euros dans la lutte contre les incendies, mais cela a permis de sauver l'équivalent de 5 milliards d'euros d'équipements, de forêts et d'espaces naturels. La proportion est très importante.
M. Didier Mandelli, vice-président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - La remarque est judicieuse, et l'exemple édifiant.
Je vous propose, mes chers collègues, de passer au vote sur les recommandations des rapporteurs et d'autoriser la publication du rapport d'information.
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et la commission des affaires économiques adoptent, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorisent la publication.
M. Didier Mandelli, vice-président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Encore bravo et merci pour ce travail. Bonnes vacances à tous !
La réunion est close à 12 h 45.