- Mercredi 13 juillet 2022
- Audition de Mme Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat
- Projet de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
- Proposition de nomination de M. Jean Castex par le Président de la République aux fonctions de président de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution - Désignation, en application de l'article 19 bis du Règlement, d'un rapporteur
Mercredi 13 juillet 2022
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de Mme Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat
M. Jean-François Longeot, président. - Nous accueillons ce matin la présidente du Haut Conseil pour le climat (HCC), Corinne Le Quéré, que nous avions déjà eu l'occasion d'entendre en février 2020, ainsi qu'en janvier 2021.
Nous vous remercions, madame la présidente, d'avoir répondu favorablement à notre invitation, quelques jours seulement après la publication de votre rapport public annuel pour 2022, intitulé « Dépasser les constats, mettre en oeuvre les solutions », qui sera au coeur de notre réunion de ce jour.
Le message que vous formulez est clair : la réponse de notre pays au réchauffement climatique progresse, mais elle reste largement insuffisante.
Ce constat vaut tout d'abord pour la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. Côté « plus », vous notez qu'en 2021 des progrès ont été réalisés et de nouvelles mesures prises, par le biais notamment de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Côté « moins », vous rappelez que l'atteinte des objectifs que nous nous sommes fixés pour la décennie à venir impliquera un doublement du rythme annuel de réduction des émissions. Il existe ainsi un risque majeur que nous manquions la cible. Ce constat, nous l'avions fait également à l'occasion de l'examen de la loi « Climat et résilience »...
Concernant le volet relatif à l'adaptation, vous constatez le défaut d'objectifs stratégiques ainsi que le manque de moyens et de suivi. Je résumerai la situation en disant que le plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) n'a malheureusement pas encore acquis la portée pratique et politique de son équivalent en matière d'atténuation, à savoir la stratégie nationale bas-carbone (SNBC).
Enfin, vous identifiez des progrès en matière de gouvernance climatique, tant au niveau national, le pilotage de la transition étant confié à la Première ministre, qu'au niveau territorial, avec la montée en puissance des documents de planification régionaux et intercommunaux. Mais cette gouvernance reste insuffisante pour « embarquer » les citoyens, les entreprises et les pouvoirs publics et leur donner de la visibilité.
Au-delà de ces constats transversaux, vous analysez les évolutions et formulez des propositions pour chacun des secteurs émetteurs. Nous espérons que cette audition permettra d'aborder ces observations et recommandations spécifiques.
Avant de vous laisser la parole pour présenter ce rapport, je tiens à vous féliciter, madame la présidente, pour la grande qualité de vos travaux. Notre pays a la chance de disposer, avec le HCC, d'une « vigie climatique » mobilisée au service des citoyens et de leurs institutions, en particulier du Parlement. C'est la confiance que nous avons à votre égard, ainsi que ce pari de l'expertise, qui nous avaient poussés à vous solliciter pour évaluer l'empreinte environnementale de la 5G - je rappelle qu'il s'agissait du premier avis rendu par votre instance sur saisine d'une des chambres du Parlement.
Je note que, dans le même temps, au début de l'année 2021, dans le cadre des travaux préparatoires sur le projet de loi « Climat et résilience », le Gouvernement avait décidé de confier à un cabinet de conseil privé, le Boston Consulting Group, et non au HCC, la charge d'analyser la compatibilité des réformes engagées depuis le début du quinquennat avec l'accord de Paris et la SNBC. C'est un choix que nous avions évidemment déploré !
C'est aussi parce que nous croyons au Haut Conseil pour le climat que nous avons plaidé, à l'occasion de l'examen des deux derniers projets de loi de finances et à l'initiative de notre rapporteur pour avis François Calvet, pour accroître les moyens qui sont mis à votre disposition. Nous avons été en partie entendus, mais on reste très loin des moyens dont dispose, par exemple, votre homologue britannique.
Peut-être pourrez-vous donc, dans votre propos liminaire, rappeler précisément les moyens dont vous disposez. Peut-être pourrez-vous également partager auprès de nous la vision que vous vous faites de l'avenir de l'institution que vous présidez, en particulier de son positionnement futur dans la planification écologique voulue par le Gouvernement.
Je conclurai mon propos en vous posant une question directe, madame la présidente : le rôle du HCC - éclairer la décision publique et évaluer les politiques publiques en fournissant une expertise neutre - ne requiert-il pas de renforcer son autonomie à l'égard du Gouvernement, notamment du futur secrétariat général à la planification écologique, par exemple en transformant le HCC en une autorité administrative indépendante ?
Mme Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat. - Merci beaucoup, mesdames, messieurs les sénateurs, du soutien que vous avez apporté au HCC ces dernières années.
Je commencerai par résumer notre rapport annuel avant de répondre à vos questions sur les moyens et la vision qui sont les nôtres.
Comme vous l'avez indiqué, notre rapport conclut que des progrès ont été accomplis, mais le risque est majeur que nous échouions à atteindre nos objectifs - je pense en particulier à l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixé pour 2030. Un sursaut de l'action climatique en France est donc absolument nécessaire.
L'influence humaine sur le réchauffement climatique, via les émissions de gaz à effet de serre, est un fait scientifiquement établi, avec d'énormes impacts comme nous allons encore le constater dans les jours qui viennent. Principal facteur causant l'intensification des extrêmes chaleurs et des pluies extrêmes, il contribue à l'augmentation des sécheresses et provoque l'élévation du niveau de la mer, donc le retrait des côtes. Le réchauffement climatique global a été de 1,1 degré Celsius au cours de la dernière décennie, ce qui représente une quantité de chaleur phénoménale au niveau planétaire. Ce réchauffement atteindra 1,5 degré à court terme, à l'horizon 2030, d'après tous les scénarios d'émissions pris en compte par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).
Limiter le réchauffement bien en dessous des 2 degrés et au plus proche possible de 1,5 degré nécessite une réponse globale, immédiate et une baisse majeure des émissions. En France, le réchauffement atteint en moyenne 1,7 degré depuis 1900 ; les conséquences matérielles et financières de cette évolution sont d'ores et déjà importantes et pénalisent les infrastructures, la production agricole, les écosystèmes et la santé humaine.
La France doit à la fois réduire ses émissions de gaz à effet de serre, pour limiter le réchauffement, et s'adapter aux impacts qui vont s'intensifier, étant entendu que le réchauffement ne se stabilisera que lorsque la neutralité carbone aura été atteinte au niveau planétaire.
Un mot sur les tendances récentes qui caractérisent la réponse de la France : on note, en 2021, une augmentation des émissions par rapport à l'année 2020, où elles avaient lourdement chuté pendant la crise du covid-19. Les émissions restent ainsi inférieures en 2021 à leur niveau de 2019, la tendance étant à la baisse continue depuis environ 2005. La diminution atteint même 23 % en comparant le niveau de 2021 par rapport à celui de 1990. Le rythme de réduction des émissions en 2019-2021, c'est-à-dire -1,9 % chaque année, est proche de celui qui fut observé au cours de la décennie 2010-2019, -1,7 %.
Pour la première fois, cette année, nous soulignons que tous les grands secteurs émetteurs connaissent une baisse de leurs émissions. Cette diminution est structurelle et bien établie dans les trois secteurs du bâtiment, de l'industrie et de l'énergie, bien que son rythme ait ralenti depuis 2015 dans les deux derniers de ces trois secteurs.
La baisse est beaucoup plus récente, et reste à confirmer, dans le secteur des transports, qui reste le premier secteur émetteur en France, ainsi que dans l'agriculture. L'absorption de CO2 par les puits de carbone forestiers, qui compensent une petite partie des émissions, s'est en revanche fortement dégradée entre 2013 et 2019, avant de connaître une légère amélioration en 2020.
Au total, notre constat est celui d'une baisse continue des émissions qui commence à se propager dans l'ensemble des secteurs.
Les normes européennes sur le climat adoptées en juillet 2021 et le paquet en cours de discussion, dit Fit for 55, devraient induire pour la France un rehaussement de l'objectif de réduction des émissions à - 50 % en 2030 par rapport à 1990 pour les émissions brutes, contre - 40 % actuellement. En tenant compte des puits de carbone, cet objectif pour la France serait de -54 %. Nous en sommes à -23 % par rapport à 1990 et, par conséquent, l'atteinte de nos objectifs suppose un doublement du rythme annuel de réduction des émissions en France, qui devra passer de 8 - son niveau actuel moyen - à 16 mégatonnes d'équivalent CO2 au cours des huit années qui nous séparent de 2030.
Dans un contexte international, l'objectif de la France - atteindre la neutralité carbone en 2050 - a été adopté par un nombre croissant de pays, certains repoussant toutefois l'échéance de quelques années par rapport à 2050. La COP 26 de Glasgow, en novembre dernier, a permis de renforcer l'ambition climatique internationale en s'appuyant sur l'accord de Paris, qui est désormais complètement opérationnel. Mais les engagements fermes des États portent pour l'essentiel au-delà de l'horizon 2030. La même difficulté se rencontre partout : l'objectif de long terme est bien fixé mais les mesures mises en place à court terme, dont l'importance est pourtant décisive, ne sont pas à la hauteur. L'engagement global dont j'ai fait état ne permettra donc pas de limiter le réchauffement à 1,5 degré.
De plus, diverses crises fragilisent l'action multilatérale en faveur du climat, alors que les objectifs de soutien aux pays en voie de développement ne sont pas atteints, ce qui suscite des tensions importantes. La guerre en Ukraine a également révélé la vulnérabilité de la France et de l'Europe aux importations d'énergies fossiles et d'engrais minéraux. Au-delà des mesures immédiates de gestion de la crise, la réponse de la France doit privilégier les actions qui contribuent à améliorer sa résilience aux chocs externes et à accélérer la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. Si elles devaient être maintenues sur le long terme, les mesures d'urgence prises en réponse à la hausse des prix de l'énergie auraient des conséquences structurelles défavorables sur notre trajectoire d'émissions.
Par ailleurs, le Haut Conseil pour le climat a analysé en détail les politiques et mesures mises en oeuvre dans le cadre des vingt-cinq orientations sectorielles de la SNBC, feuille de route que la France s'est donnée. Nous constatons que des mesures ont bien été prises et que les choses avancent. Cependant, sur ces vingt-cinq orientations, six seulement bénéficient de mesures qui sont au niveau requis pour respecter les budgets carbone sectoriels indicatifs. Dans la plupart des secteurs - dix-neuf sur vingt-cinq -, le risque est grand que l'on échoue à atteindre ces budgets carbone ; dans quatre de ces secteurs, les mesures prises sont même en déphasage avec la SNBC.
Conformément à l'une des recommandations du HCC, la gouvernance a été renforcée et la Première ministre est désormais responsable de l'action climatique et nous nous en félicitons. L'adoption d'outils de planification climatique régionaux et locaux s'accélère également, mais les efforts accomplis restent insuffisamment coordonnés : les acteurs peinent à prendre en compte l'aménagement du territoire et les calendriers ne sont pas assez synchronisés. Quant aux investisseurs privés, ils souffrent d'un manque de visibilité dû à l'absence de programmation de long terme des financements publics en faveur du climat.
La France est en cours de révision de sa stratégie nationale bas-carbone dans le cadre de la stratégie française sur l'énergie et le climat (SFEC), qui doit devenir, en la matière, l'outil de pilotage opérationnel.
Comme l'a fait observer le Président Longeot, nos politiques d'adaptation manquent d'objectifs stratégiques, de moyens et de suivi. En l'état, la France n'est pas prête à faire face aux évolutions climatiques qui, elles, avancent à un rythme très soutenu. Nous disposons d'instruments de prévention des risques efficaces, mais l'aménagement et l'urbanisme sont insuffisamment mobilisés. J'ajoute que l'équité, la soutenabilité et le sentiment de justice sont essentiels pour que les actions climatiques soient socialement acceptables.
La SFEC est l'occasion de faire évoluer le plan national d'adaptation au changement climatique vers une véritable stratégie nationale avec une vision globale déclinée opérationnellement et régionalement.
Pour répondre à ces multiples enjeux et faire face aux impacts croissants du réchauffement climatique, une même vision de la transition écologique doit être partagée par l'ensemble des acteurs publics et privés.
Nous formulons, dans ce rapport annuel, quatre recommandations d'ensemble.
Il faut, premièrement, décliner la planification de manière opérationnelle au niveau de la Première ministre et dans chaque ministère, à l'échelle des territoires, en lien avec la SFEC, en intégrant un volet relatif à l'adaptation, et doter l'organisation correspondante de moyens humains ainsi que de pouvoirs d'injonction adaptés à ses missions.
Ensuite, il est indispensable de renforcer sans délai le niveau des objectifs et les mesures prises au niveau national, sans attendre l'adoption de dispositions au niveau européen, en donnant priorité aux mesures qui encouragent la sobriété des infrastructures et des usages, afin de minimiser les effets rebond et les coûts supportés par les ménages.
Troisième grande recommandation : accompagner la transformation vers une économie bas-carbone et résiliente aux chocs externes en tenant compte des enjeux de transition juste. Il faut ici mettre en place des dispositifs permettant de réduire les inégalités et la vulnérabilité des ménages les plus modestes aux coûts de la transition, mais aussi de soutenir le redéploiement des métiers et des compétences pour maximiser les bénéfices pour l'emploi.
Quatrième recommandation d'ensemble : remobiliser la diplomatie climatique française à la lumière des nouveaux enjeux géopolitiques, afin d'assurer le succès de l'effort global pour atteindre la neutralité carbone et l'adaptation au changement climatique - car seule l'action globale permettra de stabiliser le climat.
Ces recommandations sont accompagnées d'un grand nombre de préconisations spécifiques.
S'agissant de la prochaine étape : nous avons remis notre rapport annuel à la fin du mois de juin dernier et le Gouvernement, désormais, doit y répondre dans les six mois. Il s'est engagé, dans la loi « Énergie climat » de 2019, à le faire dans les six mois suivant sa publication. Cette réponse, que le Parlement et le Conseil économique, social et environnemental (CESE) pourront examiner attentivement, doit inclure une explication pour tout objectif non atteint. Le Parlement pourra ensuite se saisir du sujet s'il le souhaite. C'est ce cycle de rapports annuels et de réponses du Gouvernement qui doit engendrer un cercle vertueux.
Pour prolonger vos observations, je suis moi aussi convaincue que le Haut Conseil pour le climat, installé en novembre 2018, a su montrer son utilité : sa voix claire, neutre et indépendante, permet à chacun de mieux comprendre les enjeux climatiques et la cohérence des mesures à mettre en oeuvre. Nous avons publié quatre rapports annuels et plus de dix rapports ou avis thématiques. Notre équipe comprend sept personnes dirigées par Saïd Rahmani, directeur exécutif, et douze conseillers, experts en changement climatique, transition énergétique, agriculture, sciences sociales, etc.
Un peu comme la Cour des comptes, nous jouons un rôle d'évaluation technique externe et, le cas échéant, de rappel au Gouvernement de la nécessaire cohérence entre les mesures prises et les objectifs qu'il s'est fixé. On recense dans le monde plus de vingt Hauts Conseils pour le climat ou équivalents, regroupés dans un réseau international. L'exemple le plus frappant est celui du Royaume-Uni, où le Climate Change Committee dispose d'une équipe de plus de trente permanents - j'y siège d'ailleurs depuis sept ans - et ce pays a réduit ses émissions de 45 % depuis 1990. L'exemple danois est lui aussi éloquent. En tout état de cause, il s'agit toujours d'une évaluation indépendante très utile pour identifier les blocages et faire savoir à l'ensemble de la société à quel niveau se situent les mesures requises.
Pour remplir sa mission, le Haut Conseil pour le climat a besoin d'analyses détaillées et techniques des politiques publiques. Met-on l'accent là où il faut ? Agit-on efficacement ? Les mesures mises en place aujourd'hui nous permettront-elles demain d'atteindre la neutralité carbone ? Comment rendre notre dynamique de réduction des émissions acceptable et juste ? Telles sont les questions auxquelles nous tâchons de répondre.
Je précise enfin s'agissant des moyens humains que nous n'avons toujours pas atteint notre masse critique qui se situe, compte tenu de nos prérogatives, entre quinze et dix-huit postes : c'est d'ailleurs le chiffre qui figure dans votre rapport sénatorial publié il y a deux ans.
M. Cyril Pellevat. - Je souhaite évoquer un sujet d'actualité, en Haute-Savoie notamment, à savoir la sécheresse : les épisodes se multiplient et se banalisent au niveau national depuis plusieurs années. Il arrive que les déficits pluviométriques atteignent 75 % ; certains agriculteurs, ne pouvant plus jouir du droit de se servir en eau dans les zones naturelles, ont été contraints de se brancher sur les réseaux d'eau potable.
Les retenues collinaires ont été construites selon une démarche préventive, mais elles sont parfois sujettes à discorde. Certains considèrent qu'elles bloquent la transition vers une agriculture responsable, résiliente, économe en eau, voire qu'elles représentent un non-sens écologique. Quelles sont vos analyses à ce sujet ? Quelles sont vos recommandations pour permettre à nos agriculteurs de lutter contre les épisodes de sécheresse ?
M. Guillaume Chevrollier. - Merci, madame la présidente, pour la présentation de ce rapport important. Comme vous l'indiquez, il faut partager les diagnostics avant de mettre en oeuvre des solutions concrètes. Vous avez fait état d'une réduction de 23 % des émissions jusqu'à présent et de l'objectif fixé pour 2030 à -55 %. Quelle importance globale accordez-vous à la rénovation thermique des bâtiments et quelle est l'appréciation du HCC sur l'efficacité - à mon sens limitée - des dispositifs existants tels que le diagnostic de performance énergétique, le bilan d'émission de gaz à effet de serre ou MaPrimeRénov' sous conditions de ressources ?
Vous alertez par ailleurs sur le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles en reprenant, d'ailleurs, les conclusions de la mission sénatoriale de 2019 : la procédure de reconnaissance manque de transparence, indiquez-vous, engendrant incompréhension et sentiment d'injustice chez les sinistrés et les élus locaux. Nonobstant la loi du 28 décembre 2021, ce sentiment demeure. Il y a quelques semaines, dans mon département, des orages extrêmement violents ont causé des dommages considérables. Pensez-vous que le problème soit encore d'ordre législatif ou qu'il relève plutôt d'un manque de formation et de communication ?
Mme Angèle Préville. - Merci de votre exposé, madame la présidente ; vos conseils sont très attendus par le Sénat.
Parmi les domaines d'action sectoriels de la stratégie nationale bas-carbone, vous avez souligné que six seulement se situent au niveau requis, quatre d'entre eux étant « en déphasage ». Je rejoins la question de mon collègue pour vous demander si la rénovation thermique des bâtiments fait partie de ces quatre domaines ? Qu'en est-il de l'éradication des passoires thermiques ?
Pour ce qui est de l'atteinte de l'objectif de zéro artificialisation nette, vous mentionnez les zones de stationnement et de stockage du secteur de la logistique. Ne faut-il pas mieux analyser et réguler ces zones d'artificialisation ?
Que proposez-vous pour améliorer le soutien aux mobilités douces - je pense au vélo - dans les territoires ruraux, en particulier là où les moyens alternatifs de transports sont insuffisants ?
Un mot, enfin, sur l'évaluation des documents régionaux et locaux dont vous avez regretté le manque de coordination. Leur élaboration repose trop sur la bonne volonté des uns et des autres : faut-il être plus incitatif, voire contraignant ?
Mme Corinne Le Quéré. - Tout d'abord, l'amplification des phénomènes de sécheresse se rattache au réchauffement climatique qui intensifie le cycle de l'eau, ce qui signifie que les zones les plus sèches s'assèchent davantage. On constate aussi une augmentation des précipitations intenses, qui engendrent des risques d'inondation, en particulier dans le sud-est de la France.
Le besoin en eau des terres agricoles en période de sécheresse est un des sujets les plus importants abordés dans notre rapport. Il faut y répondre par une planification et une adaptation à long terme car, pour l'instant, on est dans l'adaptation réactive, c'est-à-dire que l'on attend qu'il y ait une sécheresse locale pour faire des prélèvements, sur l'eau potable par exemple, avec beaucoup de difficultés de gestion.
Le Haut Conseil pour le climat, n'est pas suffisamment outillé pour répondre aux questions très précises que vous soulevez au plan local. Notre capacité d'évaluation est plus large, et nous soulignons, à l'heure actuelle, le manque de planification d'ensemble. Pour apporter des réponses plus détaillées, il faut identifier les impacts spécifiques au niveau local car le réchauffement climatique a, en France, des impacts extrêmement différents, qui nécessitent une approche fine et territorialisée.
Dans certains cas, les solutions d'adaptation peuvent être assez légères et recourir aux dispositifs existants ou à des modifications de dates de plantation, par exemple. Dans certains cas on doit également envisager des réponses plus transformationnelles, qui modifieraient l'utilisation des sols. Notre rapport appelle à la fixation de priorités régionales et à une stratégie d'anticipation des impacts du réchauffement climatique, que l'on commence à connaître de manière assez détaillée.
Je rappelle ensuite, s'agissant de la rénovation thermique des bâtiments, que ce secteur est responsable de 17 % des émissions de gaz à effet de serre en France, surtout en raison du chauffage. Beaucoup d'actions doivent être menées dans ce domaine. Il faut d'abord rendre les bâtiments plus efficaces, pour utiliser moins d'énergie et réduire les coûts ; les avantages sont ici considérables car le déploiement des énergies renouvelables devient alors moins nécessaire. Ensuite, on doit favoriser l'approvisionnement en chauffage bas-carbone, qui peut se faire par des pompes à chaleur électriques ou des réseaux de chaleur, qui ont besoin d'être développés et approvisionnés en énergie bas-carbone. Il existe donc toute une série de mesures à mettre en place.
On a constaté la multiplication des travaux de rénovation, et beaucoup de progrès, avec par exemple MaPrimeRénov'. Toutefois, dans notre rapport, nous avons été assez sévères, de façon générale, sur les mesures mises en place dans le secteur du bâtiment. En effet, elles soutiennent beaucoup plus les opérations individuelles que les rénovations profondes. On se concentre sur les mesures les plus faciles à mettre en oeuvre, comme le changement des fenêtres et, au final, le grand nombre d'actes de rénovation a engendré très peu d'efficacité d'ensemble. Nous recommandons donc, pour le bâtiment, d'adopter des feuilles de route, étape par étape, un peu comme cela se pratique avec un architecte, lors de la phase de construction. Le moins cher et le plus efficace est de tout rénover en une seule fois, mais je reconnais que ce n'est pas toujours possible car le coût calculé au départ est souvent très élevé.
J'en viens au dispositif de gestion des catastrophes naturelles et à la problématique des assurances qui ont besoin d'intégrer dans leurs calculs les impacts du réchauffement climatique de façon plus systématique. Dans notre rapport, nous avons signalé la fragilité des bâtiments imputable au gonflement des argiles en cas de précipitations intenses suivies de périodes de sécheresse. Beaucoup de maisons sont touchées en France par ce phénomène et nous avons besoin d'arbitrages sur la distribution des risques entre le secteur privé et le secteur public. Le système d'indemnisation doit être revu et clarifié pour prendre en compte cet impact du réchauffement climatique.
L'objectif de zéro artificialisation nette est une politique du Gouvernement qui soutient la capacité de la France à entretenir des puits de carbone vigoureux. Ces puits de carbone sont essentiels pour atteindre la neutralité carbone, afin de contrebalancer les émissions qui ne peuvent pas être réduites à zéro, dans l'agriculture ou l'aviation par exemple. Bien qu'ils jouent un rôle essentiel, les puits de carbone ont beaucoup diminué, ces dernières années. Il faut donc accorder aux forêts et aux sols suffisamment d'espace, les entretenir, effectuer des plantations, le tout conformément à une vision d'ensemble. Dans ce contexte, l'objectif de zéro artificialisation nette doit inclure l'ensemble des pratiques d'artificialisation, y compris, comme vous l'avez indiqué, dans la logistique.
S'agissant des « mobilités douces », je rappelle que le transport est le secteur le plus émetteur en France, avec 30 % des émissions de gaz à effet de serre et la voiture individuelle en est la première source. On a cependant constaté en 2021 une accélération des immatriculations de voitures neuves électriques : c'est une option bas-carbone importante pour les personnes n'ayant pas accès aux mobilités partagées, en veillant à ne pas surdimensionner les véhicules par rapport aux besoins. Nous devons continuer à soutenir l'électrification du parc automobile, avec une attention particulière sur le déploiement des infrastructures de recharge et sur leur qualité. On a aussi besoin de soutenir beaucoup plus largement les mobilités douces : les transports en commun, la marche à pied et le vélo. Notre rapport note que des stratégies d'ensemble commencent à se développer en France, mais de façon très inégale, alors qu'elles devraient être systématisées. Elles doivent être davantage incluses dans les documents de planification régionale.
Si davantage de documents de planification locale ont été adoptés en 2021, ils sont insuffisamment articulés avec la planification nationale. C'est un sujet dont le secrétariat général de la planification écologique (SGPE) doit s'emparer et qui doit imprégner l'élaboration de la stratégie française pour l'énergie et le climat (SFEC). En effet, il faut combler le décalage entre les documents régionaux, encore basés sur l'ancien objectif de réduction de 80 % en 2050, et les documents nationaux qui ciblent la neutralité carbone en 2050, alors que l'on s'apprête à renforcer l'objectif de réduction des émissions pour 2030.
M. Saïd Rahmani, directeur exécutif du Haut Conseil pour le climat. - En matière de catastrophes naturelles, notre rapport souligne l'avancée que constitue la réforme de décembre 2021 qui porte le délai d'information à 24 mois au lieu de 18 mois. La fragilité que nous avons pointée relève du manque d'information sur les risques, en particulier d'inondation et de retrait-gonflement des argiles (RGA) ; ce dernier, en forte progression, représente l'un des impacts les plus coûteux du réchauffement climatique.
M. Stéphane Demilly. - L'objectif de zéro artificialisation nette des sols d'ici à 2050 incite les collectivités territoriales à réduire leur consommation d'espace lors de l'élaboration ou de la révision de leurs documents d'urbanisme. Par exemple, en baie de Somme, cela laisse une surface utilisable de 100 hectares sur les trente prochaines années, en incluant les projets commencés depuis août 2021.
Le mode de calcul de la consommation foncière devrait prendre en considération les terrains dont la perméabilité est assurée. Le point de départ devrait également être la date de publication des décrets d'application de la loi « Climat et résilience », afin de ne pas remettre en cause des projets sur lesquels les collectivités territoriales travaillent depuis de très nombreuses années et qui sont attendus par nos concitoyens.
La surface importante mobilisée par des projets d'envergure nationale ou européenne, comme le canal Seine-Nord Europe, devrait être exclue du calcul, afin de ne pas pénaliser lourdement ou de bloquer tous les projets de nos intercommunalités. Si de telles exclusions ne sont pas mises en place, tout développement sera freiné, voire impossible pour certains territoires.
Comment avancer intelligemment et collégialement vers ce louable objectif de lutte contre l'artificialisation, tout en faisant preuve de discernement pour favoriser l'acceptation locale ?
M. Hervé Gillé. - 1 500 hectares viennent de partir en fumée en Gironde en 24 heures et 6 500 personnes ont été déplacées à l'occasion d'un incendie majeur. Cela remet en perspective notre réflexion dans un contexte caniculaire.
Nous devons travailler sur l'acceptabilité et sur les trajectoires des modèles économiques qui seraient soutenables. Comme on le constate sur le terrain, Il est difficile d'aborder concrètement la mise en oeuvre des solutions, en raison de la crainte majeure d'une non-acceptabilité sociale et économique de leurs conséquences. Comme en témoigne notre toute récente audition des experts du GIEC, nous manquons de modélisations qui prendraient en compte l'ensemble de ces facteurs. Le rapport du HCC, de très grande qualité, ne me semble pas non plus aller suffisamment loin sur ce point.
Pour conclure sur ces outils d'aide à la décision politique, qui montreraient les champs du possible sur le plan économique et social, on s'aperçoit, notamment dans notre pays, que les conditionnalités sont très faibles. En d'autres termes, les collectivités territoriales n'ont pas d'objectifs clairement assignés et de nombreuses politiques publiques manquent ainsi de repères. Quel est votre sentiment sur ces sujets ?
M. Bruno Belin. - Semaine après semaine, la situation s'aggrave : incendies, fontes de glaciers, et manque d'eau sont une évidence. Madame la présidente, dans vos propos liminaires, vous avez évoqué 2030, voire 2050. Nous sommes dans l'urgence et 2030 semble être dans une éternité tant il y a à faire.
Le sujet de la mobilité est, en France, très discriminant, car en milieu rural il n'y a aujourd'hui pas vraiment d'autre solution que la mobilité par véhicule à moteur. Les clivages se manifestent : les agriculteurs sont montrés du doigt parce qu'ils doivent se déplacer et les ruraux sont également des consommateurs de terres.
Face à ces difficultés, Hervé Gillé a parlé d'objectifs à fixer et j'irai même jusqu'à la nécessité de prescriptions d'urgence. A ce titre, Madame la présidente, quelles priorités inscririez-vous dans le calendrier législatif ?
Vous avez opportunément évoqué le logement et c'est, là encore, un sujet discriminant. A mon sens, les primes ne vont pas forcément là où elles sont le plus nécessaires, car elles visent ceux qui ont les moyens de réaliser des travaux ou de défiscaliser. Or, à 2 000 euros du mètre carré pour une rénovation complète, selon les chiffres de la Fédération française du bâtiment, beaucoup de ménages non imposables à revenus modestes n'ont pas les moyens d'entrer dans les dispositifs existants. Quelles sont, à votre avis, les prescriptions d'urgence en matière de politiques publiques du logement ?
M. Joël Bigot. - Les rapports du Haut Conseil pour le climat font autorité. J'aimerais que le Gouvernement y apporte des réponses publiques.
Lors de la dernière réunion du Conseil national de la transition écologique, l'un des grands axes d'amélioration identifiés était la formation des élus locaux et la définition d'une trajectoire claire. Cela recoupe votre recommandation d'un pilotage opérationnel à l'échelle des territoires. Espérons que le décret du 7 juillet 2022 qui confie le secrétariat général à la planification écologique à la Première ministre produira quelques effets.
Selon les territoires, les impacts du changement climatique diffèrent. Recommandez-vous de s'appuyer sur la trajectoire d'adaptation au changement climatique des territoires (TACCT) mise en place par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ? À ce jour, 200 collectivités y ont souscrit, mais leurs ressources humaines sont insuffisantes et il faut donc renforcer l'accompagnement des collectivités territoriales, avec des crédits publics.
Vous intéressez-vous à l'activité de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) qui a été mise en place pour aider les collectivités à construire leurs projets. Or, selon le journal Libération un certain nombre de collectivités recourent à des cabinets de conseil privés : quelles sont vos observations à ce sujet ?
Mme Corinne Le Quéré. - Tout d'abord, l'application concrète et intelligente de l'objectif de zéro artificialisation nette des sols est un aspect central de la transition vers la neutralité carbone. Il faut doubler le rythme de la baisse des émissions au niveau national, en tenant compte des spécificités régionales. Sans pouvoir répondre en détail à vos interrogations qui portent sur des projets et des territoires spécifiques, je rappelle que, dans notre rapport, nous soulignons la nécessité de préparer la société à une transition juste. C'est sans doute au niveau du SGPE qu'il faut instaurer une gouvernance et une articulation entre les niveaux décisionnel national, régional et local, en tenant compte des enjeux territoriaux spécifiques. On ne peut pas appliquer une décision nationale de façon uniforme sur le territoire car cela ne sera ni efficace ni accepté.
On constate cependant qu'à l'heure actuelle, le niveau des actions est trop faible et il faut donc les renforcer tant à l'échelon national que local. Si l'objectif de zéro artificialisation nette est trop pénalisant pour une localité spécifique, il faut trouver des compensations ailleurs. Ce n'est pas au HCC de procéder aux arbitrages nécessaires, mais au Gouvernement, dans le dialogue avec l'échelon local.
Je poursuis sur le thème de l'acceptabilité de certaines mesures climatiques qui est effectivement une difficulté bien réelle.
Nous recommandons de donner la priorité aux mesures de sobriété structurelle des infrastructures et des usages. Quand on évoque la sobriété, on pense spontanément aux ménages à qui on demande de baisser leur thermostat, sans pour autant dimensionner ce type de mesure au niveau national. Or il faut comprendre la sobriété dans son aspect structurel, en baissant, par exemple, les consignes de température de certains édifices en hiver : on aura alors un impact tangible sur les émissions. On déplore aussi beaucoup de gaspillages : des bâtiments éclairés sans être utilisés ou des pièces chauffées même vides, des véhicules surdimensionnés par rapport à l'utilisation qui en est faite, des choix de menus scolaires entraînant des pertes importantes, etc. Pour combattre ces excès, l'interdiction des publicités pour les énergies fossiles, prévue par la loi « Climat et résilience » d'août 2022, pourrait être élargie aux usages très énergivores et peu efficaces en introduisant des labels de sobriété.
Il s'agit d'éviter d'être constamment bombardés par la tentation de satisfaire des besoins artificiels très peu efficaces en énergie et, au contraire, de favoriser les comportements vertueux.
Nous recommandons aussi à l'État d'être exemplaire dans ce domaine car il envoie des signaux très puissants et influence toute la population à travers les écoles ou les établissements de santé, par exemple. Il pourrait ainsi promouvoir des usages énergétiques plus sobres, afin de contrecarrer le réchauffement climatique et réduire les coûts de consommation, ce qui permet aussi de réduire notre dépendance aux énergies fossiles et aux importations.
Par ailleurs, le changement climatique est, comme vous l'avez parfaitement souligné, très clivant, car certaines catégories de la population se sentent attaquées par les mesures restrictives alors qu'elles n'ont pas la possibilité de réduire leur dépendance. Pour certains, la voiture électrique est la seule alternative disponible, ce qui amène à réaffirmer l'importance du soutien aux infrastructures de recharge.
Des mesures peuvent aussi être mises en place en zone urbaine pour réduire la consommation, en réduisant le nombre ou la distance des déplacements ou en les rendant plus sobres.
Les agriculteurs ont pu avoir le sentiment qu'on les rendait responsables du changement climatique : on a vu des manifestations dans d'autres pays sur ce thème. Or ils sont les premiers touchés par les impacts du réchauffement, en particulier en France. L'adaptation et l'atténuation en milieu agricole passent par l'augmentation du stockage de carbone dans les sols et des pratiques comme l'utilisation de fertilisants organiques.
Au niveau national et international, le rôle de la réglementation est, comme vous l'avez également indiqué, très important. Il est surtout essentiel que les règles soient cohérentes avec, à la fois, des accompagnements, des subventions, des objectifs et une réglementation donnant aux ménages et aux entreprises une visibilité sur la trajectoire de réduction carbone. La loi « Climat et résilience » fixe des objectifs pour les passoires thermiques, les rénovations, la vente de véhicules thermiques, mais les calendriers et les jalons prévus ne sont pas assez forts pour entraîner une accélération suffisante.
Pour le secteur du logement, le principal obstacle est le manque de visibilité sur les financements à long terme. Beaucoup de soutiens étaient associés au « plan de relance Covid » qui a financé le secteur, mais les acteurs doutent de la pérennité de ces mesures. Cela freine les investissements, le renforcement de la filière et la formation des employés de ce secteur qui représente beaucoup d'emplois car il y a 36 millions de logements en France et la quasi-totalité d'entre eux devra être rénovée pour réduire les émissions.
Le rapport du Haut Conseil pour le climat recommande la formation des élus locaux. En effet, les décideurs doivent rehausser leurs ambitions en matière de réponse au changement climatique, mais il faut aussi veiller à la cohérence globale en évitant que les décisions prises ici ou là n'aillent à l'encontre de la trajectoire globale de réduction. L'Ademe a mis en place des programmes de soutien et de formation à la réponse au changement climatique.
Notre rapport note aussi que les moyens humains des institutions qui soutiennent la réponse au réchauffement climatique ont eu tendance à diminuer au cours des dernières années. Il faut inverser la tendance et donner à ces institutions les moyens d'appuyer, d'articuler, de comprendre et de développer des mesures efficaces.
M. Saïd Rahmani. - Le rapport du Haut Conseil pour le climat évoque le rôle des opérateurs publics de l'État, et en particulier le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), qui regroupe en réseau scientifique et technique les directions départementales des territoires (DDT).
M. Jacques Fernique. - Merci pour votre rapport utile et éclairant. Je voudrais insister sur le premier secteur émetteur qui est celui des transports. Votre rapport met en évidence un début de baisse de ses émissions : est-ce purement conjoncturel, lié à la crise du covid-19, ou le début d'une décroissance structurelle ?
Vous soulignez aussi que les stratégies de décarbonation peinent à devenir opérationnelles, notamment pour le verdissement des flottes de camions, qui continueront à représenter, quoi qu'on fasse, au minimum deux tiers à trois quarts du fret.
De plus, les efforts en faveur du transport ferroviaire ne sont pas à la hauteur : il manque 1 milliard d'euros par an au gestionnaire de réseau. Ce réseau ferroviaire étant conçu pour un climat tempéré, le réchauffement impose une régénération qui nécessitera des fonds supplémentaires.
Enfin, dans la perspective de la fin de la vente de véhicules thermiques neufs à l'horizon 2035, le déploiement des bornes de recharge n'est pas à la hauteur, pas plus que la stratégie de reconversion et de formation.
Vous avez mentionné quatre secteurs où les mesures prises sont en décalage avec la stratégie nationale. Les transports en font partie en raison de freins puissants à la décarbonation. Nous le voyons, par exemple, avec la difficile acceptation des zones de faibles émissions (ZFE) au niveau local. La tendance européenne est d'inclure le transport routier dans le périmètre des secteurs soumis aux plafonnements et aux échanges de quotas dans les marchés carbone, y compris pour les particuliers. Simultanément, le fonds social climat sera inférieur à ce qui était attendu.
Comment faire bouger les lignes de la transition avec des conséquences positives pour l'emploi et la cohésion sociale ?
Mme Marta de Cidrac. - En 2020, le Haut Conseil pour le climat a rendu un avis appelant le Gouvernement à renforcer la compatibilité du plan de relance avec l'objectif de neutralité climatique pour les transports. Vous avez estimé que ce plan respectait la trajectoire de la loi d'orientation des mobilités, mais que les crédits budgétaires sont trop ponctuels. Ainsi, les gains d'émissions liés à la prime de conversion se réduisent parallèlement à la baisse de cette prime.
Le constat est encore plus inquiétant pour le logement : les rénovations « mono-geste » ont bondi, mais pas les rénovations globales, et l'effet sur les émissions de gaz à effet de serre semble très limité.
Vous évoquez aussi la logique du plan de relance, qui a multiplié les appels à projets et les effets d'aubaine, au détriment d'une démarche d'équilibre des territoires et de planification écologique.
Quelles sont vos recommandations pour des aides publiques réellement vertueuses pour le climat, au-delà d'un renforcement des contreparties climatiques aux aides publiques ?
Comment assurer un financement pérenne de la transition écologique, alors que le plan de relance s'éteindra à la fin 2022 ?
M. Jean-Claude Anglars. - Je vous remercie d'avoir recommandé une application territorialement différenciée des mesures. Une application linéaire condamnerait la France rurale.
Vous estimez qu'en matière d'urbanisme la France n'est pas assez performante. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
M. Didier Mandelli. - Soutenir nos littoraux, qui concentrent une part importante de la population et sont exposés à des risques climatiques très importants, implique de résoudre une équation particulière.
Comment, avec la loi littoral, les plans de prévention des risques littoraux, les plans de prévention des inondations, le zéro artificialisation nette, répondre aux souhaits des populations qui y vivent et celles qui, de plus en plus, aspirent à y venir - je pense ici aux professionnels du tourisme ?
Je réaffirme ici que le fonds catastrophes naturelles et le fonds de prévention des risques naturels majeurs sont notoirement insuffisants. Que pensez-vous de la mise en place éventuelle d'un fonds ou de structures permettant de répondre aux problématiques de relocalisation, sujet sur lequel le Cerema a commencé à travailler ? Les collectivités locales n'ont pas les moyens d'y faire face et je mentionne ici le cas extrême de la capitale de l'Indonésie, Djakarta, qui sera entièrement délocalisée, avec ses onze millions d'habitants...
Mme Corinne Le Quéré. - De façon générale, le Haut Conseil pour le climat souligne l'importance de la pluriannualité et de la programmation des financements qui seront nécessaires, à hauteur de dizaines de milliards d'euros par an et co-financés pour moitié par l'État et par le secteur privé. C'est un peu le modèle mis en place pour sortir de la crise Covid.
Ces investissements mis en place par le Gouvernement feront évoluer les filières de la mobilité et de l'énergie. Ainsi, l'ensemble de la filière automobile thermique doit basculer vers l'électrique pour favoriser l'emploi et faire baisser les prix grâce à des économies d'échelle, dans le cadre d'une vision d'ensemble de l'économie bas-carbone de demain. Des financements ont été partiellement mis en place pour le développement des fiouls bas-carbone pour les poids lourds ; si l'hydrogène bas-carbone fait l'objet d'un soutien important dans le plan France 2030, le développement de cette filière prendra beaucoup de temps. La priorité immédiate doit donc aller à l'électrification du parc.
Après 2030, nous pourrons nous appuyer sur les nouvelles réglementations et directives européennes, en particulier la réglementation sur les véhicules neufs. Celle-ci portera non seulement sur la part de l'électrique, mais aussi sur le dimensionnement et le poids des véhicules thermiques, qui sont aujourd'hui beaucoup trop lourds. La fin de la vente des véhicules thermiques neufs va également, bien entendu, orienter les décisions des acteurs.
L'organisation des mobilités douces, du fret et du transport ferroviaire dépend fondamentalement de financements à long terme ; c'est pourquoi j'ai insisté sur la pluriannualité des soutiens, en particulier sur le rail.
Cependant, au-delà des questions financières, on a également besoin d'évaluation des mesures et instruments mis en place. Le Haut Conseil pour le climat n'a pas, à l'heure actuelle, les moyens de se consacrer au suivi des mesures spécifiques mais il y a là une piste intéressante à développer. C'est aussi une des missions de la Cour des comptes, avec laquelle nous devons élaborer une analyse conjointe des mesures de la loi « Climat et résilience ». Je fais cependant observer que l'évaluation extérieure ne peut pas se substituer à une évaluation par le Gouvernement lui-même des mesures phares qu'il a mis en place.
J'en viens à la planification urbaine qui doit systématiquement tenir compte des futurs besoins de mobilité, de la mise en oeuvre de la réduction de l'artificialisation des sols, tout en veillant à l'amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments. Nous voyons émerger localement certaines demandes et certaines évolutions, mais cela doit devenir une démarche systématique.
En matière d'adaptation à la submersion marine et à l'érosion du trait de côte, nous ne pouvons pas encore proposer de solutions très précises, mais notre rapport souligne la nécessité de planifier les impacts régionaux et d'élever au rang de priorité les solutions à mettre en oeuvre, y compris les délocalisations qui doivent être envisagées dans les cas extrêmes.
M. Ronan Dantec. - Une partie des questions qui vous sont posées sont en réalité des questions que nous nous posons à nous-mêmes. MaPrimeRénov' ne marche pas : les premiers résultats pour 2022 montrent que 40 % des demandes portent sur des poêles à granulés... Il y a extrêmement peu de rénovation profonde et les classes moyennes qui ont les moyens d'investir ne le font pas. Il conviendra donc de modifier très profondément ce dispositif dans le projet de loi sur le pouvoir d'achat. Nous faisons aussi du « stop and go » pour les TPE-PME, pour lesquelles les aides à la rénovation ont été supprimées après deux ans. Nous devons profiter des prochains véhicules législatifs pour promouvoir des évolutions en profondeur.
Même si nous sommes en retard sur l'adaptation, reconnaissons que des réseaux de collectivités et de professionnels se constituent pour réfléchir à la prochaine loi d'orientation. Il faudra prendre en compte les résultats de cette réflexion avant la discussion de cette loi.
Je voudrais également soulever une question assez sensible : le Haut Conseil pour le climat est-il légitime, selon vous, pour indiquer aux collectivités à quelles températures il faudra s'adapter à un horizon de dix, vingt ou cinquante ans ? Les collectivités sont, sur ce point, dans l'expectative ; pouvez-vous vous saisir de cette interrogation ?
Un mot, enfin, sur la situation internationale. La fermeture prévisible de l'accès au gaz russe amène à des modifications en profondeur. Comment la négociation multilatérale se déroulera-t-elle ? Le Haut Conseil pour le climat peut-il émettre un avis sur les meilleures solutions à adopter en urgence pour l'Europe et la France ? Faut-il conserver, pour un temps, les centrales à charbon en attendant de ramener, demain, les Russes à la table des négociations ? Cette solution est peut-être, en fin de compte, préférable écologiquement, à l'investissement dans des terminaux à gaz de schiste dont les émissions à travers le temps seront bien plus pénalisantes. Avez-vous une idée pour éclairer la décision et les meilleurs choix à faire ?
M. Jean Bacci. - Dans le cadre d'une mission d'information sur la prévention des feux extrêmes, nous avons commencé une série d'auditions. L'association AtmoSud nous a ainsi expliqué que la combustion d'un hectare de forêt méditerranéenne dégage 46 tonnes en équivalent CO2, soit autant qu'un véhicule fortement émetteur faisant six fois le tour de la Terre. France Bois Forêt a également indiqué que la forêt capte en moyenne 18 % des émissions de gaz à effet de serre, mais selon le GIEC, ce chiffre se limite à 4 % et, par conséquent, l'incidence des feux de forêt leur parait négligeable. En revanche, d'après le GIEC, utiliser un véhicule thermique sur trois cents mètres représente la fonte d'un kilo de glace ; en suivant ce raisonnement, un hectare de forêt qui brûle, ce sont donc 830 tonnes de glace fondue... J'en déduis que les feux de forêt ont une assez forte incidence sur le climat.
Le GIEC estime par ailleurs que l'addition du carbone dégagé au moment de l'incendie et de celui qui ne sera pas stocké par la forêt ainsi perdue serait, à un horizon de cent à cent vingt ans, largement compensée par la régénération de cette forêt. Mais il faut aussi tenir compte du fait qu'en Méditerranée le feu repasse par les mêmes couloirs tous les quinze à vingt ans, ce qui empêche toute régénération.
Quoi qu'il en soit, pendant les dix premières années après l'incendie, il y aura très peu de stockage et de capture de carbone. Au total, en comptant le CO2 relâché et non capté, l'impact d'un hectare brûlé est, d'ici à 2030, de 350 tonnes en équivalent CO2.
Faisons le lien avec ce qui s'est passé en France l'année dernière : 10 000 hectares ont brûlé, soit 3,5 millions de tonnes en équivalent CO2. Sur l'ensemble du pourtour méditerranéen, nous en étions à plus de 220 000 hectares incendiés avec, à mon sens, un effet important sur le climat.
Comment interprétez-vous ces données et ces calculs ?
M. Jean-Michel Houllegatte. - La lutte contre le réchauffement nous impose d'agir dans tous les secteurs d'activité - BTP, transports, énergie, industrie, agriculture, etc. - et à tous les échelons, y compris territorial.
Vous pointez d'ailleurs le besoin d'une ingénierie locale et la nécessité de maintenir les effectifs des opérateurs concernés. Or, dans votre rapport, vous indiquez que, depuis 2014, 3 000 emplois ont été supprimés parmi les opérateurs de l'État. Vous évoquez aussi un manque de cohérence stratégique entre l'État et les échelons territoriaux. Quels outils mettre en place pour rétablir une certaine cohérence dans l'action publique au niveau local ?
Mme Corinne Le Quéré. - Je rejoins votre propos sur l'intégration des politiques d'adaptation dans la stratégie française énergie-climat : c'est une démarche positive qui va nous permettre d'aller plus loin et d'être plus cohérents. Des groupes de travail ont été mis en place pour cela.
S'agissant des évaluations de températures qui seraient utiles pour éclairer les décideurs locaux, dans notre rapport, nous estimons que la France a effectivement besoin de déterminer à quel niveau elle doit s'adapter. Alors que la trajectoire de neutralité carbone fixe un objectif à 2050 afin de limiter le réchauffement climatique au plus près possible de 1,5 degré, la plupart des mesures pour atteindre cet objectif sont repoussées au-delà de 2030. De ce fait, il est pratiquement certain que nous atteindrons très vite 1,5 degré d'augmentation, d'ici une décennie. Dans ces conditions, quel niveau allons-nous atteindre dans les faits ? Il serait désastreux d'atteindre 3 ou 4 degrés de hausse des températures, mais il faut, en tout état de cause, calibrer nos politiques d'adaptation par rapport à cette évolution, tout en évitant de surestimer les risques et les dépenses. Le Haut Conseil pour le climat a une expertise en la matière qui pourrait être mobilisée, mais nous devrons dégager des ressources pour cela.
En revanche, réfléchir aux réponses à apporter à la crise en Ukraine et à la situation internationale va au-delà de notre mandat, parce que cela inclut des questions de sécurité énergétique. Il me semble que nous sommes allés le plus loin possible dans notre rapport, tout en respectant notre mandat. Pour autant, nous avons un rôle à jouer en matière de conseil du Gouvernement dans les instances internationales. Par ailleurs, il est important de bien distinguer les mesures liées à l'urgence - bouclier tarifaire, réouverture éventuelle de centrales à charbon, etc. - et celles qui peuvent avoir une implication structurelle ou de long terme, comme le recours accru au gaz naturel liquéfié qui émet beaucoup plus de gaz à effet de serre que son équivalent fossile. Néanmoins, dans une approche climatique, même les mesures de court terme doivent être évitées autant que possible : il faut donc cibler le bouclier tarifaire sur les ménages qui en ont le plus besoin et le limiter dans le temps dans la mesure où il envoie un signal prix qui va à l'inverse des exigences de la transition bas-carbone. Il faut, bien entendu, dans le même temps, encourager la sobriété des usages.
La question des feux de forêt est, comme vous l'avez constaté, assez complexe. Le réchauffement climatique favorise les conditions de leur développement, mais il est vrai que certains incendies font partie du processus naturel de régénération des forêts et qu'ils ont peu d'effets, dans des conditions normales, sur le climat en raison des phénomènes de régénération des boisements. Pour autant, l'augmentation des facteurs qui favorisent les incendies fragilise les forêts, qui sont, je le rappelle, des puits de carbone importants. Nous devons donc renforcer la résilience des forêts pour une meilleure régénération et un accroissement de leur rôle en tant que puits de carbone ; cela passe notamment par leur adaptation au climat de demain. Nous devons par exemple adapter les espèces et revoir les pratiques de gestion forestière.
Enfin, le développement de la stratégie française climat-énergie est une opportunité pour améliorer la cohérence de la stratégie nationale avec les échelons locaux. La loi « Climat et résilience » de 2021 prévoit que le Haut Conseil pour le climat remette un rapport sur les territoires tous les trois ans et nous devrons naturellement évoquer l'articulation, nécessaire, entre la stratégie nationale et celle des territoires.
M. Gérard Lahellec. - L'ensemble de vos interventions appelle des réflexions très profondes et je me contenterai de quelques observations.
Tout d'abord, il est vrai que les transports sont le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre, mais j'estime que cela provient davantage d'un déficit d'intervention des pouvoirs publics que d'un excès. Si les politiques publiques étaient plus développées, l'intérêt public serait mieux défendu.
Il en va de même pour l'agriculture, malheureusement souvent décriée et mise à l'index alors que les sols sont un puits de carbone essentiel.
Je signale qu'en Bretagne, cette année, les agriculteurs ont fauché dès avril de l'herbe pour faire du foin, ce qui montre combien ce secteur est en grande souffrance. Je crois que nous devons avoir une approche positive, constructive, et pas punitive ni coercitive. Dans notre région, l'eau douce est une ressource rare : nous avons des eaux de surface et de l'eau salée autour mais peu de réserves. L'eau est donc une question centrale, avec d'importantes polémiques sur le développement ou non des bassins collinaires.
Cela me conduit à soulever une interrogation sur la gestion des zones humides. Celles-ci permettent de retenir l'eau car elles agissent comme des éponges. Il y a là certainement une réponse aux difficultés que je viens de mentionner et il me semble que nous n'avons pas encore su définir une stratégie claire de gestion de ces zones qu'il faut préserver. Progresser dans cette démarche permettrait, à mon sens, d'apaiser le débat et d'agir dans l'intérêt de tous. Qu'en pensez-vous ?
Mme Évelyne Perrot. - Je voudrais simplement compléter cette question. J'habite également dans une zone humide où se trouvent des réservoirs importants en amont de la Seine : ils permettent d'alimenter Paris en eau et de retenir l'eau en hiver pour prévenir les inondations. Cette année, nous manquons d'eau : les réservoirs ne sont pas remplis et on demande de très importants efforts aux usagers ruraux, en particulier aux agriculteurs, pour faire face à ce problème. Or j'ai l'impression qu'il y a un certain gaspillage dans les zones urbaines et que les habitants n'y sont pas sensibilisés à la question de la ressource en eau.
Mme Denise Saint-Pé. - Dans votre rapport, vous préconisez la levée rapide du bouclier tarifaire, car il irait à l'encontre de l'atteinte des objectifs climatiques s'il venait à être maintenu trop longtemps. Vous relevez trois principaux effets négatifs de cette mesure : elle n'est ni progressive ni différenciée ; elle n'envoie pas le bon signal prix pour la transition écologique, tout en pesant sur les finances publiques et, enfin, elle pourrait freiner les investissements bas-carbone, en supprimant les incitations à la décarbonation.
Pourtant, force est de constater que ce bouclier tarifaire a permis de limiter la hausse générale des prix à 4 % et de faire de la France l'un des pays ayant l'inflation la plus faible en Europe. Il a également permis de protéger les ménages français face à une hausse trop importante des tarifs ; sans lui, le tarif réglementé de l'électricité aurait augmenté de 35,4 % TTC d'une année sur l'autre.
Quelles alternatives proposeriez-vous, si nous devions lever le bouclier tarifaire ? Vous avez évoqué la mise en place d'aides plus ciblées, notamment pour les ménages les plus précaires, mais pouvez-vous détailler vos propositions ?
M. Philippe Tabarot. - Je voudrais évoquer la question des véhicules électriques en faisant référence à l'actualité toute récente de ce sujet.
D'une part, l'Union européenne est en train de décider la fin des véhicules thermiques pour 2035. D'autre part, dans son discours de politique générale, la Première ministre a annoncé que les Français pourront disposer d'un véhicule électrique en leasing pour moins de 100 euros par mois.
Que pensez-vous de notre retard en matière de disponibilité des bornes de recharge ? Comment appréhender, dans ce contexte, la hausse des prix des véhicules électriques ? Par ailleurs, la production de batteries électriques fait appel à des ressources en minerais - lithium, cobalt, graphite, etc. -, ce qui n'est pas neutre d'un point de vue écologique. Cette production est-elle compatible avec nos objectifs climatiques ? Enfin, quid de la production française d'électricité nécessaire pour faire face au développement des voitures électriques, en particulier dans le contexte de crise que nous connaissons ?
Mme Nicole Bonnefoy. - Je partage votre remarque selon laquelle les outils existent en matière d'aménagement du territoire et d'urbanisme, mais qu'ils sont insuffisamment mobilisés. Plus généralement, même si nous devons continuer d'aménager le territoire, je crois que nous devrions maintenant parler de « ménagement » du territoire au regard des impacts sur le climat : beaucoup de bêtises ont été faites par le passé et maintenant nous devons d'abord « ménager avant d'aménager »...
Je vous rejoins également sur la nécessité d'encourager la sobriété, même si chacun d'entre nous, en particulier les élus locaux, peut mesurer les difficultés de cette tâche - sobriété étant presque un gros mot pour certains ! Nous devons donc sensibiliser, éduquer et former mais je me demande si, compte tenu de l'urgence climatique, la contrainte ne deviendra pas nécessaire à un moment donné.
Le Sénat a beaucoup travaillé sur la question de la prévention et l'indemnisation des risques climatiques ou industriels. Nous avions constaté qu'un euro investi dans la prévention permettait d'éviter sept euros en indemnisation. Pourtant, notre pays n'a pas vraiment de politique de prévention, ni de culture du risque d'ailleurs. Ce constat est connu, mais rien ne change. Or les aléas deviennent de plus en plus prégnants.
Le Sénat a également beaucoup travaillé sur l'impact du transport de marchandises sur l'environnement. Or celui-ci s'accroît, avec, en particulier, les nuisances du transport routier, et nous restons incapables de développer suffisamment le fret ferroviaire. Là aussi, il y a consensus, pourtant, nous ne réussissons pas à corriger ce problème, alors qu'il y a urgence. Je fais observer que le développement du transport de marchandises s'explique notamment par celui de l'e-commerce et nous devons donc sensibiliser les citoyens sur l'impact de l'e-commerce sur l'environnement.
Mme Corinne Le Quéré. - Aujourd'hui, l'ensemble de la société - acteurs publics et privés, associations, ménages, etc. - doit savoir comment chacun va contribuer à la transition vers la neutralité carbone. Tout le monde doit être dans la boucle, si vous me permettez cette expression, et connaître le calendrier des évolutions. Jusqu'à présent, on s'en remettait largement au Gouvernement, mais maintenant tout le monde doit s'impliquer. Pour cela, nous avons évidemment besoin d'une approche juste - et perçue comme telle - ainsi que positive. Les agriculteurs ont un rôle important à jouer, parce que ce secteur est aussi un puits de carbone ; il faut adapter les pratiques agricoles pour privilégier les plus vertueuses.
Au-delà de leur rôle pour l'approvisionnement en eau, les zones humides stockent beaucoup de carbone et il faut reconnaître leur valeur ainsi que leur fragilité face aux évolutions climatiques. En tout cas, les débats relatifs aux oppositions entre urbains et ruraux dépassent le mandat du Haut Conseil.
Le bouclier tarifaire a été très important pour répondre à l'urgence de la pénurie d'énergie, mais il aura certainement des impacts négatifs sur la réponse de la France au réchauffement climatique s'il est maintenu sur le long terme. C'est pourquoi nous recommandons de le modifier, quand cela sera possible, pour mieux cibler les ménages en difficulté et contrecarrer le signal prix qu'il envoie. Aujourd'hui, le bouclier tarifaire réduit l'incitation à investir dans la décarbonation.
La réduction structurelle de la demande en énergie passe par exemple par la rénovation des bâtiments, en particulier pour les passoires thermiques. Aujourd'hui, les Français dépensent beaucoup d'argent pour se chauffer en hiver et passer du gaz à l'électricité nous permettra d'être moins dépendants des aléas des marchés internationaux. Les investissements dans les transports en commun constituent aussi, sur le long terme, une alternative : si des ménages peuvent basculer de la voiture individuelle aux transports en commun, c'est positif. Je rappelle également l'importance de la lutte contre le gaspillage alimentaire.
Comme cela a été dit, notre rapport aborde la question des véhicules 100 % électriques : les subventions restent aujourd'hui nécessaires pour les acquérir car leur prix est élevé.
En ce qui concerne les batteries, nous devons faire attention au poids des véhicules. Dans la dernière décennie, la tendance a favorisé des voitures de plus en plus grosses et souvent surdimensionnées par rapport aux besoins réels des utilisateurs. Nous devons maintenant encourager, par exemple par des campagnes de publicité, l'achat de voitures plus petites qui réduisent les volumes de besoins en batteries. Par ailleurs, il faut dès maintenant prévoir les modalités de recyclage des batteries en fin de vie.
En tout cas, le développement de ces véhicules aura un impact sur la production d'électricité, mais nous devons de toute façon, pour répondre au réchauffement climatique, électrifier les processus industriels comme les modalités de mobilité ou de chauffage. Le réseau électrique doit être adapté pour cela et nous devons planifier rapidement cette évolution. La France est en retard sur ses objectifs en termes d'énergies renouvelables. Nous devons là aussi accélérer tout en planifiant sur le long terme. La France a choisi de s'appuyer sur l'énergie nucléaire qui est une énergie bas-carbone contribuant à maintenir les émissions de gaz à effet de serre à un niveau faible par rapport aux autres pays européens. Mais le parc actuel a besoin d'investissements conséquents pour accroître sa fiabilité et sa disponibilité. Les nouveaux réacteurs qui sont prévus ne seront disponibles que dans plusieurs années ; la France ne peut donc pas se dispenser de développer les énergies renouvelables.
En ce qui concerne l'aménagement du territoire, nous avons également besoin de programmation, notamment en termes d'investissements dans les transports ou dans les réseaux de chaleur.
J'évoquais tout à l'heure la nécessité de disposer d'un cadre pour les politiques d'adaptation, et je précise que la question peut se poser de deux manières. Quel est le niveau moyen de réchauffement auquel la France doit s'adapter ? À quel niveau de risque la France doit-elle s'adapter ? En fait, il faut distinguer le risque global de ne pas réussir à limiter le réchauffement à 2 degrés et les risques climatiques - précipitations extrêmes, retrait du trait de côte, impacts sur l'agriculture, etc. -, qui perdureront même si nous réussissons à limiter la hausse des températures à 2 degrés.
Au sujet du fret ferroviaire, les choses ont évolué, mais dans le mauvais sens... Ce n'est pas le cas en Allemagne et il est donc possible de faire mieux.
En ce qui concerne le développement de l'e-commerce, on a remarqué, après la crise du covid-19, que le rebond du transport de marchandises en véhicules légers a été très rapide, en tout cas plus rapide que celui des autres modes de transport. De manière générale, si la digitalisation permet de soutenir l'optimisation des usages et des offres pour les consommateurs, il faut en encadrer l'efficacité énergétique.
M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie pour vos interventions. La lecture de votre rapport doit nous amener, comme son intitulé l'indique, à dépasser les constats, que nous connaissons tous désormais. Il est maintenant temps d'agir !
Ce compte rendu a fait l'objet d'une captation vidéo disponible sur le site du Sénat.
Projet de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
M. Jean-François Longeot, président. - Le projet de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, qui sera examiné au fond par la commission des affaires sociales, a été présenté en Conseil des ministres et déposé le 7 juillet dernier à l'Assemblée nationale, date à laquelle le Gouvernement a engagé la procédure accélérée. L'examen du texte a commencé en commission à l'Assemblée nationale ce lundi.
Sur les vingt articles du projet de loi, trois entrent directement dans le champ de compétence de notre commission. Ils concernent trois sujets différents.
L'article 14 vise la construction d'un nouveau terminal méthanier flottant au large du Havre et comporte des dispositions prévoyant des dérogations aux procédures du droit de l'environnement, du droit du patrimoine et d'information et de participation du public.
L'article 16 prévoit d'inscrire une obligation de compensation carbone pour les exploitants de centrales à charbon françaises, dans l'éventualité d'une remise en service d'une de ces centrales, compte tenu de la faible disponibilité du parc nucléaire et des risques pour l'approvisionnement en gaz.
L'article 20 prévoit d'ouvrir la possibilité, pour les cocontractants de contrats de transport routier de marchandises, de réviser les prix initialement convenus pour prendre en compte la variation du coût de l'ensemble des énergies de propulsion entre la date de commande et la date de réalisation de l'opération de transport, et ce afin de tenir compte de l'évolution des motorisations des flottes de poids lourds.
Je remercie la présidente de la commission des affaires sociales, Catherine Deroche, pour la confiance qu'elle a ainsi manifestée dans l'expertise et les compétences de notre commission. Le calendrier d'examen de cette réforme s'annonce serré, puisque le texte devrait être transmis au Sénat en fin de semaine prochaine et examiné par notre commission le lundi 25 juillet en début d'après-midi, avec un risque de débordement sur le mois d'août, qui dépendra notamment de la date de transmission du texte au Sénat. Je déplore les conditions, notamment de délais, dans lesquelles nous devons examiner ce texte - elles sont, hélas, devenues habituelles.
J'ai reçu la candidature de M. Bruno Belin. Je vous propose de le désigner en qualité de rapporteur pour avis.
La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi n° 19 (A.N., XVIe lég.) portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, sous réserve de sa transmission, et désigne M. Bruno Belin rapporteur pour avis.
Proposition de nomination de M. Jean Castex par le Président de la République aux fonctions de président de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution - Désignation, en application de l'article 19 bis du Règlement, d'un rapporteur
M. Jean-François Longeot, président. - Je vous propose enfin de procéder à la désignation d'un rapporteur sur la proposition de nomination de M. Jean Castex au poste de président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), que nous entendrons le mercredi 27 juillet prochain en application de la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Les conclusions du groupe de travail sur la modernisation des méthodes de travail du Sénat, mené par notre collègue Pascale Gruny, ont conduit à l'adoption d'une résolution modifiant le Règlement de notre assemblée, dont l'objectif est notamment de renforcer les pouvoirs de contrôle du Sénat, en particulier les modalités de nomination intervenant sur le fondement de l'article 13 de la Constitution. Dans ce cadre, l'article 19 bis du Règlement du Sénat prévoit désormais que, en amont de l'audition d'un candidat à des fonctions relevant de cet article 13, la commission désigne un rapporteur chargé de la préparer. Depuis l'entrée en vigueur de cette disposition le 1er octobre 2021, il s'agit de la première opportunité pour notre commission de mettre en pratique cette évolution.
J'ai reçu la candidature de M. Didier Mandelli.
La commission désigne M. Didier Mandelli rapporteur sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean Castex aux fonctions de président de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, en application de l'article 13 de la Constitution.
La réunion est close à 11 h 45.