Mercredi 29 juin 2022
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
France compétences - Examen du rapport d’information
Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous entendons Frédérique Puissat, Corinne Féret et Martin Lévrier, qui nous présentent leur rapport d’information sur France compétences et font du même coup un bilan de l’application d’une loi emblématique du quinquennat, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. – La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a profondément réformé la formation professionnelle et l’apprentissage, en laissant davantage de liberté aux individus et de responsabilité aux entreprises. Au cœur du nouveau système se trouve France compétences, établissement public de l’État chargé depuis 2019 de réguler, de financer et d’évaluer les principaux dispositifs, dont l’apprentissage et le compte personnel de formation.
Après trois années de mise en œuvre, le nouveau système a enclenché une dynamique considérable en faveur de la formation professionnelle et de l’alternance. Toutefois, les besoins de financement induits par cette croissance n’ont pas été anticipés, ce qui appelle des ajustements budgétaires et stratégiques. Il n’est aujourd’hui plus question de bouleverser le cadre fixé en 2018, mais de trouver des leviers de régulation, afin d’assurer le juste financement de dispositifs qui pourraient être recentrés sur les objectifs d’employabilité et d’insertion professionnelle.
M. Martin Lévrier, rapporteur. – Concernant l’apprentissage, la réforme a connu un indéniable succès quantitatif : le nombre de contrats d’apprentissage signés chaque année est passé de 321 000 en 2018 à 732 000 en 2021. Près de 1 500 centres de formation d’apprentis (CFA) ont ainsi été créés depuis la réforme.
Cette dynamique s’est appuyée sur une libéralisation de l’apprentissage. Financé par les opérateurs de compétences aux niveaux de prise en charge fixés par les branches professionnelles, l’apprentissage peut s’appuyer sur des CFA qui s’implantent librement sur le territoire, sous réserve d’être certifiés, et bénéficier d’aides de l’État largement amplifiées depuis la crise sanitaire.
Si cette progression est observée dans toutes les régions et pour tous les niveaux de formation, elle a surtout bénéficié à l’enseignement supérieur : 62 % des contrats signés en 2021 concernaient une formation post-baccalauréat, alors qu’ils ne représentaient que 38 % des contrats d’apprentissage en 2018. Il faut se féliciter de cette dynamique, mais nous considérons que les formations en apprentissage de niveaux inférieurs au baccalauréat pourraient être davantage soutenues, ces niveaux de qualification étant associés à de plus importantes difficultés d’insertion professionnelle.
Le compte personnel de formation (CPF) a également connu une forte croissance à la suite de sa rénovation par la loi du 5 septembre 2018. Le nombre de formations financées a quasiment doublé chaque année : de 517 000 en 2019 à 984 000 en 2020 et plus de 2 millions en 2021.
Le recours au CPF a été stimulé par sa désintermédiation au moyen de l’application « Mon compte formation », par l’alimentation des comptes en euros plutôt qu’en heures et par la simplification de l’éligibilité des formations.
Toutefois, ce recours porte de moins en moins sur les formations les plus qualifiantes et les plus adaptées aux besoins de compétences des entreprises. Ainsi, les formations les plus demandées en 2020 étaient les langues vivantes, la préparation au permis de conduire et les actions de formation destinées aux créateurs et repreneurs d’entreprise - lesquelles ont souvent un faible lien avec l’entrepreneuriat. Une petite minorité de formations vise à l’obtention d’une certification inscrite au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP).
Le conseil en évolution professionnelle (CEP) connaît pour sa part une évolution conforme aux attentes, même s’il reste relativement peu connu : plus de 140 000 actifs occupés ont mobilisé le dispositif en 2021 contre 100 937 en 2020.
D’autres dispositifs relevant d’enveloppes fermées sont trop peu dotés, à l’image du projet de transition professionnelle (PTP) qui a succédé au congé individuel de formation : moins de 20 000 dossiers de PTP ont été pris en charge en 2021 dans le cadre d’une enveloppe totale de 553 millions d’euros.
De même, alors que les entreprises de 50 à 299 salariés ont été exclues du bénéfice des fonds mutualisés, les montants alloués au plan de développement des compétences des entreprises de moins de 50 salariés - 540 millions d’euros en 2022 - ne sont pas à la hauteur des enjeux d’adaptation des compétences à venir.
Par conséquent, les dispositifs de formation professionnelle font désormais la part belle à l’initiative des individus, au détriment des besoins des entreprises.
Mme Corinne Féret, rapporteure. – La réforme a placé au centre de ces dispositifs une structure de régulation et de financement unique. France compétences, créé par la loi du 5 septembre 2018, réunit dans un même établissement public les missions précédemment dévolues à quatre structures : le Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (Cnefop), le Comité paritaire interprofessionnel national pour l’emploi et la formation (Copanef), le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), ainsi que la Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP).
France compétences a notamment pour mission d’assurer la répartition et le versement des fonds issus des contributions des employeurs au financement de la formation professionnelle et de l’apprentissage.
En matière de régulation et de contrôle, il revient notamment à l’établissement d’organiser le CEP des actifs occupés, d’établir le RNCP et le répertoire spécifique, et d’émettre des recommandations sur le niveau de prise en charge des formations en alternance.
France compétences a également un rôle d’observation et d’évaluation, notamment en matière de transparence des coûts et de qualité des actions de formation.
Les attributions de France compétences n’en font pas le pilote du système, qui reste complexe et émietté. Elles permettent cependant à l’établissement d’être en relation technique et financière avec les principaux acteurs de la formation professionnelle et de l’alternance : l’État, qui en assure la tutelle et bénéficie d’un concours financier pour le financement de la formation des demandeurs d’emploi ; la Caisse des dépôts et consignations, gestionnaire du CPF ; les onze opérateurs de compétences (OPCO), qui, dans leur champ économique respectif composé de plusieurs branches professionnelles, assurent le financement des contrats d’apprentissage et de professionnalisation, apportent un concours au développement des compétences des entreprises de moins de 50 salariés, ainsi qu’un appui technique aux branches professionnelles.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. – Placé au centre des nouveaux circuits financiers mis en place par la loi du 5 septembre 2018, France compétences prend en particulier en charge deux postes de dépenses ouverts dans une logique de guichet. Il s’agit, d’une part, des dotations versées aux OPCO pour répondre à leurs besoins de financement des contrats d’apprentissage et des contrats de professionnalisation ; et, d’autre part, de la dotation versée à la Caisse des dépôts et consignations pour assurer le financement du CPF.
La large ouverture de ces dispositifs, qui ne s’est pas accompagnée de nouveaux moyens de financement, a créé des besoins non couverts par les ressources de France compétences. Ces dernières proviennent essentiellement du produit de la contribution unique à la formation professionnelle et à l’alternance (Cufpa), ainsi que de la contribution supplémentaire à l’apprentissage (CSA) et de la contribution dédiée au financement du CPF pour les titulaires d’un CDD, qui sont désormais toutes collectées par les Urssaf et les caisses de la mutualité sociale agricole (MSA). La montée en puissance, au-delà des anticipations, de l’apprentissage et du recours au CPF n’a fait que creuser un déséquilibre structurel, présent depuis la réforme et centralisé au niveau de France compétences.
Le déficit de France compétences pourrait ainsi avoisiner 5,9 milliards d’euros en 2022, après avoir atteint 4,6 milliards d’euros en 2020 et 3,2 milliards d’euros en 2021.
Or France compétences ne dispose que de leviers de régulation très limités pour juguler les dépenses, notamment celui des recommandations aux branches en vue de la détermination des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage et celui du renouvellement de l’enregistrement des certifications professionnelles.
Les dotations exceptionnelles de l’État votées en lois de finances, à hauteur de 2,7 milliards d’euros en 2021, au demeurant insuffisantes, ne constituent pas une solution pérenne. De même, le recours croissant à l’emprunt bancaire, qui fait peser sur l’établissement une charge d’intérêts de près de 5 millions d’euros en 2022, n’est pas soutenable. Ces mesures ponctuelles devront donc rapidement céder le pas à des décisions structurelles.
M. Martin Lévrier, rapporteur. – En matière de gouvernance du système de formation professionnelle et d’apprentissage, la place de France compétences fait l’objet de malentendus.
Le conseil d’administration de l’établissement, conçu comme une instance de gouvernance quadripartite, réunit des représentants de l’État, des organisations syndicales et patronales représentatives au niveau national et interprofessionnel et des régions, ainsi que des personnalités qualifiées. Toutefois, cet organe est actuellement moins une instance de décision qu’un espace d’information et d’échanges, les décisions politiques étant prises en amont par l’État, ce qui est source de frustrations.
En tant que parties prenantes à la gouvernance et au financement de la formation professionnelle et de l’apprentissage, les partenaires sociaux et les conseils régionaux demandent légitimement à être davantage associés à la réflexion et aux décisions stratégiques.
Plutôt que de créer une nouvelle structure qui se superposerait à France compétences, nous préconisons d’associer de manière plus systématique les principaux acteurs de la formation professionnelle, dont les partenaires sociaux, à la définition des objectifs et des orientations stratégiques pour les atteindre, sous la forme de réunions avec le ministre du travail. Autrement dit, nous préférons mettre en place un « chevau-léger » plutôt qu’une « grosse cavalerie ». Ces réunions pourraient aboutir, à partir de diagnostics partagés, à la définition d’une trajectoire pluriannuelle de retour à l’équilibre financier du système. L’assemblée générale de France compétences, qui est plus large que le conseil d’administration et qui est actuellement peu mobilisée, pourrait voir son rôle renforcé en matière de discussion des orientations qui seraient ainsi définies.
Le conseil d’administration a mis en place des commissions spécialisées qui produisent, selon les organisations qui y sont représentées, des travaux intéressants qui ne peuvent pas suffisamment être exploités par les administrateurs. Il conviendrait de renforcer leurs moyens et de remonter plus systématiquement leurs travaux aux administrateurs en amont des délibérations.
Afin de responsabiliser les principaux acteurs, y compris l’État, il serait souhaitable que le conseil d’administration soit effectivement associé à la régulation financière du système. Or, le cadre réglementaire actuel ne le permet pas.
Tout d’abord, les administrateurs de France compétences doivent composer avec le fléchage réglementaire de certaines dépenses. En particulier, le montant de la dotation pour le financement de la formation des demandeurs d’emploi, affectée au plan d’investissement dans les compétences (PIC), a été fixé par décret pour les années 2019 à 2022.
En outre, France compétences n’a pas de marge de manœuvre sur les postes de dépenses qui relèvent d’une logique de guichet, comme les dotations pour l’apprentissage et le CPF.
Le cadre réglementaire actuel prévoit que le conseil d’administration de France compétences affecte le produit des contributions qui sont reversées à l’établissement aux différents dispositifs qu’il finance dans les limites de fourchettes prédéterminées, exprimées sous forme de pourcentage des ressources. Ce système a rapidement montré ses limites, si bien que les fourchettes initiales ont été élargies dès décembre 2020. Surtout, cet exercice restera vain tant que les recettes de France compétences seront insuffisantes pour financer les dépenses : en 2022, les seules dépenses liées à l’alternance pourraient représenter plus de 100 % des recettes.
Il ne paraît donc pas pertinent de maintenir la référence à des fourchettes. En revanche, le conseil d’administration devrait être en capacité de délibérer et de se prononcer par un vote sur un budget global.
Mme Corinne Féret, rapporteure. – Par ailleurs, il serait légitime que les branches professionnelles soient associées au pilotage du système. La réforme de 2018 a conféré aux branches un rôle important en matière de fixation des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage comme en matière de certification professionnelle. Toutefois, celles-ci ne participent pas en tant que telles à la gouvernance de France compétences, puisque les partenaires sociaux sont représentés au conseil d’administration au niveau interprofessionnel.
Les relations entre France compétences et les branches apparaissent limitées et à sens unique. En pratique, l’opérateur s’adresse souvent aux OPCO lorsqu’un dialogue avec les branches est nécessaire.
Il paraît possible de mieux prendre en compte les particularités des branches professionnelles. Les principales branches pourraient ainsi être entendues une fois par an par la commission Recommandations de France compétences sur les orientations stratégiques de leur politique de formation. Il serait également opportun d’instituer un dialogue plus régulier et plus ouvert entre les services de l’établissement et les branches concernant la procédure de révision des coûts-contrats.
En matière de gouvernance territoriale, la réforme semble avoir complexifié la situation.
La réforme de 2018 revient pour une large part à un dessaisissement des régions. En matière d’apprentissage, celles-ci ont vu la majeure partie de leurs compétences transférées aux branches professionnelles et aux OPCO. Concernant la formation professionnelle, la loi confie toujours à la région une compétence d’organisation et de financement, qui s’apparente néanmoins à un rôle d’animation sans véritables prérogatives.
Les comités régionaux de l’emploi, de l’orientation et de la formation professionnelles (Crefop) restent les instances quadripartites de coordination locale. Ils fonctionnent de manière très variable selon les régions. En outre, il n’existe pas à ce jour de relation structurée entre les Crefop et France compétences, qui ne joue pas le rôle d’animation anciennement dévolu au Cnefop.
Les territoires et, plus spécifiquement, les bassins d’emploi sont néanmoins des échelons pertinents de définition des politiques en matière de formation professionnelle. Dans cette perspective, les Crefop devraient pouvoir disposer des études prospectives et des données, émanant notamment des branches, qui leur permettraient de produire une réflexion stratégique. Les priorités ainsi fixées par les Crefop pourraient servir de base à des expérimentations régionales menées avec le soutien de France compétences.
Les OPCO ont succédé aux organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) avec des compétences nouvelles. Ils ont également dû continuer d’assurer jusqu’en 2021, à titre transitoire, la collecte des contributions des employeurs à la formation professionnelle et à l’apprentissage. Ils ont ainsi été soumis, au cours de leurs premières années de fonctionnement, à des défis humains et organisationnels.
Bien qu’ils soient des opérateurs nationaux, les OPCO doivent pouvoir garantir des services de proximité aux entreprises et à leurs salariés. Leur présence dans les territoires est toutefois inégale. Nous considérons, au regard de l’exemple probant de l’OPCO des entreprises de proximité, que l’implantation locale des OPCO pourrait être développée à travers une présence opérationnelle, ainsi qu’une présence d’élus sous forme de commissions paritaires régionales.
Nos auditions ont fait apparaître que les OPCO tendent à se substituer aux branches comme interlocuteurs des pouvoirs publics, tandis que leur offre de services aux entreprises n’a pas encore trouvé le bon positionnement. Nous proposons que les OPCO soient recentrés sur leur mission première d’accompagnement des entreprises, ce qui pourrait passer par une modification de leur accord constitutif.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. – Pour retrouver des marges de manœuvre afin de prolonger la logique de la réforme, il convient d’abord d’adapter le financement mutualisé de la formation professionnelle aux besoins du marché du travail.
Sans remettre en cause la liberté des actifs d’accéder à la formation professionnelle de leur propre initiative à l’aide du CPF, il paraît possible de mieux maîtriser son pilotage et de le recentrer sur les enjeux d’employabilité et de parcours professionnels.
Afin de responsabiliser les bénéficiaires et d’élever l’intérêt des formations prises en charge, nous proposons d’instaurer un reste à charge pour l’utilisateur du CPF, même modique, en cas de formation ne débouchant pas sur une certification inscrite au RNCP. Seraient ainsi concernées certaines des formations les plus demandées dans le cadre du CPF, telles que la préparation au permis de conduire ou les formations en langues étrangères.
Le reste à charge que nous proposons d’instaurer pour les utilisateurs du CPF pourrait cependant être supprimé, d’une part, en cas de co-financement par l’employeur, afin de promouvoir la co-construction des parcours de formation ; d’autre part, en cas de validation du projet de formation dans le cadre d’un CEP, afin d’améliorer l’accompagnement des utilisateurs.
Afin de développer les pratiques d’abondement du CPF par l’employeur, qui restent marginales, la négociation collective apparaît comme un levier pertinent. Nous préconisons donc d’encourager la conclusion d’accords collectifs prévoyant des mesures d’abondement en inscrivant ce thème de négociation au titre des dispositions d’ordre public dans le code du travail et en étendant cette négociation obligatoire à toutes les entreprises de 50 salariés et plus.
Il convient par ailleurs de renforcer la lutte contre la fraude au CPF et le démarchage abusif, même si leur impact financier reste à ce jour limité : environ 15 000 comptes ont été atteints au total, d’après la Caisse des dépôts et consignations.
Le mode de financement de la formation des demandeurs d’emploi mérite également d’être réévalué. Les fonds mutualisés de la formation professionnelle y contribuent pour une large part, à travers France compétences, dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences (PIC). Cette contribution est rattachée au budget de l’État par le biais d’un fonds de concours. Son montant a été fixé à 1,632 milliard d’euros pour 2021 et 1,684 milliard d’euros pour 2022.
La légitimité de ces versements est contestée : le pilotage du plan étant maîtrisé par l’État, en s’inscrivant pour partie dans le cadre des pactes régionaux d’investissement dans les compétences (PRIC), les entreprises ont le sentiment d’être « payeurs aveugles » sur ce volet où elles ne voient pas de retour sur investissement. Dans un référé d’avril 2021, la Cour des comptes avait relevé le « fort éparpillement » des actions financées par le PIC. Parmi celles-ci figure par exemple la Garantie jeunes, remplacée depuis le 1er mars dernier par le contrat d’engagement jeune.
Les partenaires sociaux appellent ainsi à distinguer, au sein du PIC, ce qui relève de dispositifs apportant des réponses concrètes aux besoins de compétences des entreprises, que peuvent financer les contributions des employeurs, et les priorités d’ordre national relevant de la responsabilité financière de l’État.
Cette clarification devrait conduire à plafonner la dotation de France compétences au PIC à un montant fixé par accord entre les partenaires sociaux. En outre, il nous semblerait cohérent que cette dotation diminue concomitamment à l’amélioration de la situation du marché du travail. La contribution de France compétences au PIC pourrait évoluer, de manière contra-cyclique, en fonction de l’évolution du taux de chômage.
En sens contraire, il serait souhaitable, et plus transparent, d’améliorer le recours des demandeurs d’emploi au CPF, qui est lui aussi alimenté par la contribution formation des employeurs.
Nous soulignons également l’importance de prendre en compte, le moment venu, les observations du comité scientifique chargé de l’évaluation du PIC.
M. Martin Lévrier, rapporteur. – Il convient en outre de mieux réguler l’apprentissage, sans freiner son développement.
Tout d’abord, la détermination des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage – le « coût-contrat » – pourrait être davantage encadrée.
La réforme de 2018 a confié aux branches professionnelles le soin de déterminer les niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage, sous la supervision de France compétences, qui doit assurer la convergence de ces niveaux et contribuer à l’équilibre financier du système. Les opérateurs de compétences financent ensuite les CFA selon les niveaux de prise en charge définis pour chaque formation en apprentissage.
Afin d’assurer la convergence des coûts, France compétences émet des recommandations aux branches professionnelles lorsque celles-ci proposent des niveaux de prise en charge trop divergents. Si les branches ne prennent pas en compte ces recommandations, le niveau de prise en charge concerné est déterminé par décret.
Le premier exercice de détermination des niveaux de prise en charge a été lancé en 2019. France compétences a constaté que 70 % des valeurs fixées par les branches étaient convergentes. Ses recommandations, émises sur les valeurs non convergentes, ont été suivies à 98 % par les branches professionnelles.
Un nouvel exercice de détermination des coûts-contrats a été engagé à la fin de 2021, en prenant en compte l’observation des charges moyennes des CFA qui ont pu être collectées grâce à la remontée de leurs comptes analytiques au titre de l’année 2020. Ces données comptables ont révélé un écart d’environ 20 % entre le coût moyen observé et la moyenne des niveaux de prise en charge.
France compétences a donc invité les branches à ajuster leurs niveaux de prise en charge pour qu’ils soient plus proches des coûts réels des CFA, sur la base des données collectées. Cet exercice a nécessité un délai plus important qu’envisagé, car France compétences a considéré que ces coûts observés n’avaient pas été suffisamment pris en compte par les branches dans leurs premières propositions de niveaux de prise en charge.
Après ces deux exercices de détermination des coûts-contrats, nous considérons que les leviers de régulation de l’apprentissage doivent être renforcés pour assurer sa soutenabilité. En particulier, les recommandations de France compétences doivent pouvoir mieux prendre en compte l’observation des coûts.
Nous proposons donc qu’une concertation soit menée entre France compétences et les branches, afin d’engager un mouvement général de diminution des niveaux de prise en charge, pour les rapprocher des coûts réels des CFA.
Il conviendra d’élaborer une démarche qui préserve la viabilité des CFA et la dynamique en faveur de l’apprentissage, tout en assurant le juste financement et la soutenabilité du système. Dans ce cadre, il faut accorder davantage de temps aux branches pour faire évoluer ces coûts-contrats, et il convient de mieux les accompagner dans cet exercice.
Le maintien d’une formation en apprentissage de qualité dans un contexte de forte croissance des effectifs passe par le renforcement du soutien aux investissements des CFA. Les représentants des CFA que nous avons entendus estiment le besoin de financement en investissement à 700 millions d’euros pour 2022.
Il existe, pour soutenir ces dépenses d’investissement, des enveloppes budgétaires à la main des conseils régionaux. France compétences finance ainsi deux enveloppes : l’une pour le fonctionnement, à hauteur de 138 millions d’euros, l’autre pour l’investissement, à hauteur de 180 millions d’euros. Les conseils régionaux disposent ensuite de ces enveloppes pour soutenir les CFA. Alors que l’enveloppe consacrée au soutien du fonctionnement était sous-consommée, le Gouvernement a autorisé par décret la fongibilité des enveloppes, ce qui permet de donner plus de latitude aux régions pour soutenir les investissements des CFA.
Nous proposons d’aller plus loin en prévoyant que les montants alloués par l’État varient en fonction de l’évolution des effectifs d’apprentis, car les dotations fixées en 2018 ne semblent plus adaptées à la croissance de l’apprentissage.
Les besoins spécifiques pourraient en outre être mieux identifiés dans le cadre de la prise en charge des contrats d’apprentissage. À cet égard, nous considérons qu’une étude doit être menée par France compétences pour évaluer les besoins spécifiques des apprentis et des CFA dans les territoires d’outre-mer, afin de s’assurer de la bonne adaptation des dispositifs et de proposer, le cas échéant, les ajustements nécessaires.
Par ailleurs, nous regrettons que la part de personnes handicapées parmi les nouveaux entrants en apprentissage stagne depuis 2015, malgré les dispositifs de soutien existants. Celles-ci pourraient bénéficier d’un soutien renforcé grâce à l’enveloppe régionale d’aide au fonctionnement des CFA.
Ensuite, en complément de la régulation des coûts, il est possible d’agir sur les ressources destinées au financement de l’apprentissage.
La taxe d’apprentissage a été intégrée à la contribution unique pour la formation professionnelle et l’apprentissage (Cufpa) depuis la réforme de 2018. Elle est fixée à 0,68 % de la masse salariale. Sa part principale (0,59 %) finance l’apprentissage et son solde (0,09 %) des formations initiales technologiques et professionnelles hors apprentissage.
Cette taxe connaît toutefois de nombreuses exemptions et exonérations. Certains secteurs d’activité ou catégories d’employeurs ne sont pas redevables de la taxe d’apprentissage : associations, fondations, coopératives agricoles, mutuelles, organismes HLM, secteur de l’enseignement, etc. En outre, les entreprises d’Alsace et de Moselle sont assujetties à des taux réduits.
Ces exemptions sont le fruit d’une sédimentation de mesures de soutien sectorielles dont la pertinence n’apparaît plus forcément justifiée. En effet, tous les employeurs de droit privé peuvent recruter des apprentis et bénéficier à ce titre des aides de l’État s’ils y sont éligibles. On pourrait donc envisager, au nom d’un principe d’équité, que tous les employeurs privés participent au développement de l’apprentissage, qui favorise l’insertion des jeunes sur le marché du travail. Ce principe a été défendu par les partenaires sociaux dans leur accord-cadre du 14 octobre 2021 sur l’adaptation de la réforme.
Nous proposons donc qu’une concertation soit engagée avec les employeurs aujourd’hui dispensés de taxe d’apprentissage pour que, à terme, et selon une application progressive, tous les employeurs de droit privé susceptibles d’accueillir des apprentis soient redevables de cette taxe.
Cette extension devra être précédée d’une évaluation de ses impacts sur les acteurs économiques et les territoires concernés, en veillant à ne pas mettre en péril certains secteurs d’activité. Les exonérations aujourd’hui prévues pour les petites entreprises pourraient ainsi être maintenues, afin de ne pas les fragiliser.
Enfin, nous identifions un dernier levier à actionner en matière d’apprentissage : la modulation du coût-contrat pour les formations qui bénéficient d’autres sources de financement public. La loi a prévu la possibilité d’une telle modulation, mais le Gouvernement ne l’a, à ce stade, pas utilisée.
L’objectif de cette modulation serait d’atténuer le niveau de prise en charge versé à des organismes de formation publics compte tenu des financements ou avantages matériels dont ils peuvent bénéficier par ailleurs et qui leur permettent de réduire leur coût par apprenti. C’est en particulier le cas des lycées ou établissements d’enseignement supérieur publics accueillant un public mixte d’étudiants et d’apprentis.
Il serait donc opportun d’évaluer précisément les coûts et les sources de financement des organismes bénéficiant à la fois de la prise en charge au contrat et d’autres financements publics, afin d’engager, sur cette base, une modulation du coût-contrat pour éviter une différence de traitement selon les CFA.
Mme Corinne Féret, rapporteure. – France compétences dispose par ailleurs d’un levier de régulation des formations en tant que gestionnaire des répertoires des diplômes et titres à finalité professionnelle.
En effet, les diplômes et les titres délivrés au nom de l’État sont enregistrés de droit dans les répertoires, qu’il s’agisse du répertoire national de la certification professionnelle (RNCP) ou du répertoire spécifique (RS).
L’enregistrement dans ces répertoires des autres certifications professionnelles, qui émanent d’organismes privés ou des branches, est soumis à l’avis conforme de France compétences. À défaut d’enregistrement de leurs certifications, les organismes de formation ne peuvent bénéficier des fonds mutualisés, notamment ceux du CPF. France compétences détient ainsi une prérogative déterminante pour réguler les certifications et contrôler la qualité de la formation professionnelle.
L’établissement s’est engagé dans cette mission dès 2019 et a réalisé un travail de qualité, qui a été salué par les acteurs de la formation. Face au nombre de demandes d’enregistrement, ses délais de traitement se sont toutefois allongés considérablement. Ils se sont établis à six mois en 2021 et au début de l’année 2022, mais France compétences s’est donné pour objectif de ramener ce délai à cinq mois pour la fin 2022, puis entre trois et quatre mois en 2023. Nous considérons que France compétences doit atteindre, à compter de 2023, un délai moyen de traitement des demandes de trois mois et qu’il ne devrait pas dépasser un délai de six mois pour y répondre, compte tenu des attentes des acteurs et de l’importance de cette mission pour la qualité des formations.
Enfin, nous avons examiné les moyens et les missions de France compétences en tant qu’établissement public, pour s’assurer qu’il pouvait exercer ses activités dans de bonnes conditions.
L’établissement a dû, dès sa création, structurer son organisation interne, afin de se mettre en état d’assurer les missions qui lui ont été confiées par la loi. France compétences disposait alors d’un plafond d’emplois de 70 équivalents temps plein (ETP), mais ce niveau ne tenait pas compte des missions supplémentaires qui lui avaient été confiées et qui n’étaient pas assurées par les instances qui l’ont précédé. L’établissement a donc dû assurer ses missions avec de fortes contraintes d’effectifs associées à des difficultés de recrutement. Ces difficultés sont progressivement levées grâce à l’augmentation du plafond d’emplois accordés à France compétences, qui a été fixé à 86 ETP par la loi de finances pour 2022. Cette augmentation est bienvenue pour que France compétences puisse assurer ses missions dans de bonnes conditions et renforcer ses capacités de régulation.
Pour financer ses dépenses de fonctionnement et d’investissement, France compétences bénéficie du produit d’une fraction des contributions des entreprises pour la formation professionnelle et l’apprentissage. Alors qu’il est un établissement public administratif sous tutelle de l’État, France compétences ne bénéficie pas de crédits du budget de l’État, ce qui est atypique. Ainsi que le recommande la Cour des comptes dans son rapport sur France compétences, paru la semaine dernière, nous considérons que les dépenses de fonctionnement et d’investissement de l’établissement devraient être financées par une subvention pour charge de service public issue du budget de l’État.
Après presque quatre ans d’existence, une revue des missions de l’établissement pourrait également être engagée. Nous invitons donc le ministère du travail, en concertation avec France compétences, à identifier les missions pour lesquelles l’établissement n’est pas l’opérateur le plus efficient ou adapté, afin que celui-ci puisse se concentrer sur ses principales missions de financement et de régulation.
France compétences est notamment chargé de la gestion du système d’information des associations « Transition Pro », alors que l’établissement n’a pas de lien juridique avec ces associations et qu’il est le régulateur des projets de transition professionnelle mis en œuvre par ces associations. Cette mission pourrait donc lui être retirée.
Nous avons également examiné le rôle de la médiatrice de France compétences, qui est chargée d’instruire les réclamations individuelles des usagers du conseil en évolution professionnelle (CEP) et des projets de transition professionnelle (PTP).
Les demandes adressées à la médiatrice sont en progression, mais celle-ci n’est pas encore assez visible pour les usagers. Plus largement, les différents médiateurs intervenant dans le champ de la formation professionnelle et de l’apprentissage souffrent aussi de ce manque de visibilité. Nous proposons donc la mise en place d’un registre public des médiateurs compétents en matière de formation professionnelle et d’apprentissage.
En outre, pour certains dispositifs, l’offre de médiation est inexistante. Le médiateur de France compétences n’est par exemple pas compétent pour traiter des projets de reconversion professionnelle des salariés démissionnaires, dispositif pourtant très proche des PTP qui figurent déjà dans son périmètre. Le médiateur de France compétences pourrait donc élargir son champ d’action à ce dispositif.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. – En conclusion, le système mis en place par la réforme de 2018 a ouvert la voie à un développement quantitatif remarquable de l’apprentissage et à une démocratisation de la formation professionnelle, mais il doit désormais être piloté et financé.
À cette fin, les décisions structurelles qui doivent être prises relèvent de deux ordres.
D’une part, il est nécessaire d’assurer un meilleur pilotage stratégique de cette politique en faveur du développement des compétences professionnelles des actifs. Des choix structurels de financement s’imposent également, et devront être faits par le Gouvernement en concertation avec les partenaires sociaux.
D’autre part, le rôle et les moyens de France compétences doivent être confortés, pour lui permettre d’assurer effectivement sa mission de régulateur.
La préservation de la dynamique lancée par cette réforme nécessite que l’ensemble des acteurs se mobilisent pour assurer la soutenabilité et la performance du système.
Mme Catherine Deroche, présidente. – Merci pour ce rapport très complet sur un sujet particulièrement technique.
M. Philippe Mouiller. – Ce rapport était attendu par les acteurs de l’apprentissage. Il apporte des réponses aux questions que nous avions posées au moment de l’examen de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, et qui portaient sur les missions, l’organisation et le financement de France compétences.
Une partie importante de ce rapport est consacrée aux difficultés de financement de l’établissement, le déficit s’élevant à 5,9 milliards d’euros en 2022. Comment envisagez-vous l’avenir ? En effet, si la réussite de l’apprentissage est à saluer, son financement est en complet décalage avec les besoins.
Le rapport propose des pistes de financement complémentaires, qui consisteraient notamment à élargir le champ des employeurs assujettis à la taxe d’apprentissage. Toutefois, faut-il aussi modifier les taux de la Cufpa, de la CSA ou du financement complémentaire du CPF pour les CDD ? Autrement dit, sera-t-il nécessaire de créer des charges supplémentaires pour les entreprises ? L’économie générale du système est en jeu. Certaines structures ne risquent-elles pas d’avoir à s’acquitter de charges très lourdes ?
Un autre volet porte sur l’orientation du montant des coûts-contrats. Est-elle judicieuse ? En effet, un certain nombre de CFA qui étaient inquiets de la réforme se portent en réalité mieux que jamais.
Quant au conseil d’administration de France compétences, il avait donné lieu à d’abondantes discussions lors de l’examen de la loi tant en ce qui concerne sa composition que son orientation et ses missions. L’inquiétude portait sur le fait que le Gouvernement finisse par travailler sans associer l’établissement. Or, votre rapport préconise noir sur blanc que le ministre organise des réunions, ce qui revient à constater que le dialogue entre le Gouvernement et les OPCO opère de manière directe, sans intermédiaires. Quelle place pour les partenaires sociaux et les régions ?
Une autre question porte sur le financement des OPCO. Où en est-on ?
Enfin, concernant le handicap, l’enjeu est-il celui du financement ou bien celui de l’adaptation des structures de formation à l’accueil des personnes handicapées ? La réforme prévoyait la mise en place de référents handicap dans les CFA ; ces référents existent sur le papier, mais qu’en est-il en réalité ?
M. Olivier Henno. – Merci aux rapporteurs pour la qualité de leur travail, qui fera date.
Lors de l’examen de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, un certain nombre d’objectifs avaient été fixés, en particulier celui de ne pas éloigner de la décision les partenaires sociaux et les conseils régionaux. Le Gouvernement avait tenté de nous rassurer sur ce point, mais la promesse n’a pas été tenue.
En matière de financement et de régulation du système, les résultats ne sont pas là.
La gouvernance, rassemblée autour de France compétences, devait donner lieu à une décision claire et limpide. On craignait là une forme de recentralisation, et nous n’avions pas tort.
Par conséquent, compte tenu de l’absence de résultats, considérez-vous qu’il faudrait régler et adapter la loi telle qu’elle est ou bien que nous devrions remettre l’ouvrage sur le métier et légiférer à nouveau sur la formation professionnelle, même si on l’a déjà beaucoup fait ?
Mme Michelle Meunier. – Vous dites qu’il faut une décision structurelle pour améliorer la gouvernance de France compétences. En outre, M. Lévrier a précisé que les décisions se prenaient en amont du conseil d’administration de l’établissement, en mentionnant la possibilité d’un élargissement du rôle de l’assemblée générale. Le rapport comporte-t-il des recommandations précisant cette possibilité ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. – Le rapport a été le fruit d’un consensus entre les rapporteurs. Chacun d’entre nous se montrera certainement plus libre dans les réponses qu’il fera maintenant.
Monsieur Mouiller, le rapport était d’autant plus attendu que le système est en péril – il faut avoir le courage de le dire. Les dettes s’accumulent, et les déficits accumulés depuis le 1er janvier 2019, date à laquelle l’instance a été créée, sont importants. En outre, la crise liée à l’épidémie de covid-19 a eu pour effet de diminuer les recettes de l’établissement. Le récent rapport de la Cour des comptes sur France compétences a eu un certain retentissement.
Comment donc juguler le déficit de 5,9 milliards d’euros ? Pour l’heure, le seul outil dont dispose le directeur général de France compétences est le recours à l’emprunt, à hauteur de 5 milliards d’euros. Pourtant, dès 2020, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances (IGF) avaient tiré la sonnette d’alarme.
Concernant les économies que l’on pourrait réaliser, il convient de rappeler l’existence de charges qui s’imposent à France compétences, en particulier le PIC. Les partenaires sociaux considèrent que, sur les 9,6 milliards d’euros de recettes affectées à France compétences, 1,6 milliard d’euros relève du « hold-up », car il est capté par l’État pour financer des actions qui échappent à la politique des employeurs finançant l’établissement. La révision des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage ne sera donc pas suffisante pour atteindre l’équilibre.
Quant au conseil d’administration de France compétences, faut-il donner plus ou moins de voix aux partenaires sociaux ? Compte tenu de l’ampleur du déficit et de l’insuffisance des ressources, réviser la pondération des voix ne suffirait pas. Cela est d’autant plus vrai que France compétences est une instance de régulation et non une instance stratégique. Par conséquent, nous avons considéré que l’unique possibilité de développer une stratégie sur la formation est de se positionner au-dessus de France compétences, au niveau du ministre, de façon que les décisions prises en concertation avec les partenaires sociaux contribuent à réguler le fonctionnement de l’établissement tout en lui garantissant un équilibre financier. Le débat sur ces orientations se ferait dans le cadre de l’assemblée générale, plus large que celui du conseil d’administration de France compétences.
Monsieur Henno, vous nous demandez si les partenaires sociaux et les conseils régionaux sont encore dans la boucle : non, ils ne le sont plus. Je ne crois pas non plus qu’il puisse y avoir une instance qui soit en mesure de réguler les financements. Quant à la gouvernance, je considère qu’elle n’est pas limpide. En effet, lors de son audition, le directeur général de France compétences nous a clairement laissé entendre que le président de France compétences ne s’en laisserait certainement pas conter par un fonctionnaire d’État.
Or, parmi toutes les personnes que nous avons entendues, il n’y avait aucun élu - à une exception près –, et le président de France compétences ne s’est jamais manifesté. Ceci donne l’impression que l’instance est complètement gérée par des fonctionnaires. Les résultats ne sont donc pas au rendez-vous en ce qui concerne la gouvernance.
Enfin, le nombre d’apprentis en situation de handicap augmente, et nous en sommes tous satisfaits. Toutefois, par rapport à l’évolution globale du nombre de contrats d’apprentissage, la tendance est à la baisse. Sans doute faut-il réactiver le dispositif du référent handicap. L’enjeu est important, tout comme celui de l’apprentissage dans les outre-mer.
M. Martin Lévrier, rapporteur. – Les objectifs fixés lors de l’examen de la loi ont-ils été atteints ? Il s’agissait de former plus d’apprentis et de développer la formation continue. Or l’apprentissage s’est envolé, puisque l’on est passé de 300 000 à 700 000 contrats et que plus de 2 millions de personnes se forment désormais par le biais du CPF. L’objectif de la loi est donc parfaitement atteint. En revanche, les moyens manquent, puisque le déficit frôle les 6 milliards d’euros. Il est temps que l’État prenne ses responsabilités et que la solution soit recherchée ailleurs que dans un recours à l’emprunt.
Le coût-contrat a son importance, car il existe effectivement une distorsion entre ce qui a été envisagé de manière théorique et la réalité, la différence pouvant atteindre 20 %. Si l’on choisit de baisser les coûts, il faudra diminuer les redevances, ce qui conduira à une économie d’échelle, certainement insuffisante, mais qu’il convient d’analyser, car il ne faudrait pas que l’apprentissage devienne un lieu de bénéfices exorbitants pour les CFA.
Pour ce qui est de la recentralisation, mon approche est différente de celle de mes collègues. En politique, la recentralisation vise à redonner la main à l’État ; or la réforme visait à privilégier les branches pour la création des CFA, des certifications professionnelles, etc. Certes, les régions ont perdu en responsabilité, mais cela au profit des branches et pas de l’État. D’où l’envol de l’apprentissage, avec un doublement du nombre de centres de formation.
Il est vrai que les partenaires sociaux, en particulier les employeurs, ont déploré un manque de visibilité sur le PIC. Toutefois, quand une entreprise forme un salarié, le bénéfice n’est pas uniquement pour elle-même et il n’y a rien de choquant à ce que ce salarié la quitte après sa formation. Le PIC sert aussi à former des demandeurs d’emploi, de sorte que son manque de visibilité n’a rien de choquant. L’essentiel est que les formations conduisent les personnes à l’emploi.
Dans les économies induites et non chiffrées, il faut prendre en compte le fait que les jeunes en apprentissage ne sont pas inscrits dans d’autres formations, comme l’université, qui ont un coût réel pour l’État. Comment intégrer ces économies réalisées par d’autres ministères ?
Enfin, sur le handicap, une réponse facile consisterait à dire que l’envolée de l’apprentissage concerne surtout un public post-baccalauréat, qui compte peu d’étudiants en situation de handicap. Ce n’est pas complètement faux, mais je rappelle que le nombre des jeunes en apprentissage au niveau du baccalauréat a doublé, sans que la proportion des personnes en situation de handicap augmente. Le sujet de leur accès à l’apprentissage mérite donc d’être creusé.
Mme Corinne Féret, rapporteure. – Nous avons cherché à privilégier une approche consensuelle, sans pour autant rogner sur nos convictions concernant cette réforme.
Le titre que nous avons retenu pour ce rapport d’information reflète l’équilibre que nous recherchions : « France compétences face à une crise de croissance ». Le nombre d’apprentis a considérablement progressé, ce dont nous pouvons nous réjouir, mais l’établissement est confronté à des difficultés financières, d’organisation et de fonctionnement, y compris dans ses relations avec le ministère, les OPCO et les entreprises. Nous voulions montrer que nous nous interrogions sur le bien-fondé de cette loi et l’évolution de son application.
La part d’apprentis en situation de handicap stagne à 1,1 % ou 1,2 %, malgré l’obligation d’un référent handicap dans les CFA. C’est bien trop peu. Un progrès s’impose.
Sur le CPF, nous avons souligné la nécessité de renforcer la lutte contre la fraude et le démarchage abusif. Le phénomène est inacceptable. Notre rapport est complexe mais se veut extrêmement concret, et nous avons détaillé les moyens de lutter contre ces deux fléaux. Une proposition de loi a été déposée à l’Assemblée nationale à ce sujet. Nous préconisons de légiférer pour limiter ce démarchage abusif, qui peut conduire des demandeurs d’emploi à se précipiter vers le CPF sans être correctement informés.
Enfin, nous avons fait un point dans le rapport sur la situation dans les outre-mer. L’une de nos propositions vise à mener une étude spécifique sur le coût de l’apprentissage dans ces territoires, en tenant compte des particularités locales.
Mme Catherine Deroche, présidente. – Je soumets au vote l’ensemble des recommandations des rapporteurs, ainsi que le titre du rapport.
Les recommandations des rapporteurs et le titre du rapport sont adoptés.
La commission des affaires sociales autorise la publication du rapport d’information.
Lutte contre l’obésité - Rapport d’information
Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous en venons à l’examen du rapport d’information sur la lutte contre l’obésité, qui nous est présenté par Mmes Chantal Deseyne, Brigitte Devésa et Michelle Meunier.
Mme Chantal Deseyne, rapporteur. – À chaque chose malheur est bon : l’épidémie de covid-19 aura au moins eu le mérite de rappeler l’importance du surpoids et de l’obésité, qui figurent parmi les premières comorbidités associées au virus.
Du fait que le phénomène nous touche relativement moins que d’autres et qu’il semble se stabiliser, nous pourrions être tentés de nous en accommoder. Or l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’a pas tort de renouveler ses alertes, car les conséquences sanitaires, sociales et économiques de la surcharge pondérale se payent cher, et pendant longtemps. À ce propos, et s’il faut vraiment les chiffrer, rappelons que le ministère de l’économie, en 2012, avait estimé à 20 milliards d’euros le coût social du surpoids, comparable à celui du tabac ou de l’alcool.
Le dernier rapport spécifiquement consacré à la question par le Sénat datant de 2005, nous avons souhaité faire un nouvel état des lieux du problème. Depuis janvier dernier, nous nous sommes donc attelées à réunir des éléments permettant de dresser un constat de la situation aussi complet que possible, de produire une analyse de ses causes et de dégager des solutions. Notre travail appelle trois observations préalables.
Tout d’abord, nous avons choisi d’aborder ce sujet, très vaste, sous l’angle prioritaire de l’alimentation, donc de la prévention du surpoids et de l’obésité par la politique nutritionnelle. Nous n’avons pas abordé avec le même souci de précision tous les aspects du problème : ainsi, la prise en charge sanitaire, l’activité physique ou la lutte contre les discriminations mériteraient sans doute des développements spécifiques.
Ensuite, le phénomène étant mondial, nous avons voulu examiner de plus près un certain nombre d’expériences étrangères. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité attirer votre attention sur le dernier rapport de l’OMS relatif à l’obésité en Europe. Nous avons en outre examiné les dispositifs britanniques de fiscalité progressive sur les boissons sucrées ou d’encadrement réglementaire des quantités achetées ou du positionnement des produits dans les magasins.
Nous avons enfin regardé avec intérêt l’exemple chilien, en auditionnant M. Guido Girardi, médecin, ancien président du Sénat chilien et auteur de la proposition de loi d’opposition devenue depuis 2016 le dispositif modèle en Amérique du Sud. Parlementaire d’un pays où un tiers des enfants sont en surpoids avant d’entrer à l’école primaire, M. Girardi a dû mener ce qui s’apparente à un véritable bras de fer contre l’industrie agroalimentaire au Chili.
Enfin, nous avons retiré de nos auditions une conviction transversale : l’autonomie des individus dans le changement de leurs comportements alimentaires est limitée ; la lutte contre le surpoids et l’obésité implique par conséquent moins de responsabiliser nos concitoyens que de réunir pour eux les conditions d’un environnement plus sain.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. – L’Organisation mondiale de la santé a repéré le danger en mentionnant dès 1997 une « épidémie d’obésité ». L’institution évoquait alors la « première épidémie non infectieuse de l’histoire de l’humanité […], reflet des problèmes sociaux, économiques et culturels majeurs auxquels sont actuellement confrontés les pays en développement et les pays nouvellement industrialisés ».
Le terme d’« épidémie » pour qualifier la dynamique de l’obésité n’est pas galvaudé. En 2016, près de 2 milliards d’adultes, soit 39 % de la population mondiale, étaient en surpoids et, sur ce total, plus de 650 millions étaient obèses, soit 13 % de la population mondiale. Les prévalences sont néanmoins très diverses en fonction des régions du globe : 40 % de la population des États-Unis sont obèses, mais seulement 4,2 % des Japonais sont touchés.
Si l’on adopte un point de vue comparatif, la position française en Europe et dans le monde est plutôt rassurante en matière de surcharge pondérale. Elle ne saurait néanmoins être un motif de fierté nationale, car le phénomène, bien qu’assez mal mesuré, reste préoccupant : un adulte sur deux est en surpoids, et 17 % des adultes sont obèses, ce qui est à peu près stable sur la brève période, mais en augmentation depuis vingt ans.
Ces chiffres globaux dissimulent une certaine hétérogénéité dans la distribution sociale de la maladie : l’obésité est systématiquement plus fréquente en bas de l’échelle sociale. Et ces inégalités s’accroissent en France depuis les années 1990 : selon l’enquête Obépi-Roche de 2020, en vingt-trois ans, le taux d’obésité s’est en effet accru de quatre points chez les cadres, mais de plus de neuf points chez les ouvriers et de dix points chez les employés. Les enfants d’ouvriers sont quatre fois plus touchés par l’obésité que les enfants de cadres.
En outre, le phénomène n’est pas homogène géographiquement : le taux national d’obésité est de 17 %, mais il atteint 22 % dans les Hauts-de-France, 20 % dans le Grand Est et 14,4 % en Pays de la Loire. Il est surtout très élevé dans certains territoires d’outre-mer : 31 % dans les Antilles, et 47 % à Mayotte.
Enfin, nos travaux interviennent alors que la pandémie de covid-19 a laissé des traces. Une étude réalisée par Santé publique France dans le Val-de-Marne en avril 2021 souligne le rôle délétère des mesures prises pour freiner l’épidémie. La part des enfants obèses a presque doublé entre la période de 2018 à 2019 et celle de 2020 à 2021, pour atteindre 4,6 % des élèves. Ce constat est partagé en Europe, ainsi que nous l’ont dit les représentants du bureau Europe de l’OMS.
Pis encore, selon l’organisation, pas un seul État de la région ne serait en voie d’atteindre l’objectif de diminuer l’augmentation de cette prévalence d’ici à 2025.
Quoi qu’il en soit, la mesure du phénomène en France reste beaucoup trop imprécise. Notre rapport formule donc une première recommandation consistant à financer des suivis de cohortes réguliers.
Les auditions de notre mission d’information nous ont permis d’établir l’extraordinaire complexité de notre objet d’étude, qui tient à son caractère multifactoriel.
Le premier élément d’explication se résume dans l’idée d’un déséquilibre de la balance énergétique, c’est-à-dire un apport excessif de calories au regard d’une dépense calorique insuffisante. D’après les études INCA, nous consommons chaque jour 2 200 kilocalories, soit un tiers de plus qu’en 1970, d’une alimentation probablement trop grasse – de 80 % plus grasse qu’en 1970 – et, surtout, trop sucrée. Par parenthèse, l’histoire de la place croissante du sucre dans nos régimes alimentaires est déjà bien exploitée par les historiens et les anthropologues, qui y voient une conséquence de la révolution industrielle et de la nécessité de recharger la force de travail toujours plus efficacement.
Ce déséquilibre est ainsi, en quelque sorte, déterminé par un environnement que l’on peut qualifier d’obésogène. Le temps destiné à la préparation des repas ayant été réduit de 25 % en un quart de siècle, l’industrie n’a cessé d’enrichir l’offre alimentaire pour répondre à la demande d’une alimentation à moindre coût et à moindre perte de temps. On estime par exemple que 46 % des calories ingérées par les enfants proviennent d’aliments ultra-transformés, c’est-à-dire dont la matrice alimentaire a été affectée par des procédés industriels ou qui contiennent des substances d’origine industrielle.
Or les produits ultra-transformés sont en moyenne plus denses énergétiquement – c’est ce que l’on attend d’eux – et contiennent des additifs nocifs ; ils agissent sur la biodisponibilité des nutriments, la mastication, la satiété, la réaction hormonale, ou encore la vitesse de prise alimentaire. Modifiant notre manière de nous alimenter, ils sont en outre fortement soupçonnés d’entraîner des risques plus élevés de surpoids et d’obésité, ainsi que d’autres pathologies chroniques.
Notre rapport examine encore d’autres causes, tels les pesticides et les perturbateurs endocriniens, et plaide pour un soutien plus franc à la recherche sur ces dimensions.
Sur l’autre plateau de la balance énergétique repose l’insuffisance de la dépense calorique, par le double effet d’un défaut d’activité physique et d’une sédentarité excessive. Mesurée généralement d’après le temps passé quotidiennement devant un écran, cette dernière a considérablement augmenté et, chez les enfants, concerne là encore davantage les enfants d’ouvriers que les enfants de cadres. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) estime que seuls 5 % des adultes ont une activité physique suffisante pour être protectrice.
Nous ne devons enfin pas négliger d’autres facteurs individuels, tels que les déterminants génétiques – certains chercheurs estimant l’héritabilité de l’obésité à 70 % –, le rôle du microbiote, ainsi que les facteurs psychologiques traumatiques, au premier rang desquels les violences sexuelles. Ces dernières pourraient porter les victimes à la prise de poids, selon différentes hypothèses, soit par souci de protection, soit à la suite d’un état dissociatif à l’instar de celui provoquant des conduites addictives, ou bien encore par le jeu de mécanismes neurobiologiques déterminant le métabolisme.
La complexité de l’objet se répercute sur l’action des pouvoirs publics : d’abord, parce que le caractère multifactoriel du phénomène invite plutôt à une action globale sur les déterminants environnementaux du surpoids plutôt que sur la responsabilisation des individus ; ensuite, parce que lire l’état du consensus scientifique à travers le brouillard des conflits d’intérêts entretenus par l’industrie agroalimentaire reste une tâche difficile.
Malgré tout, la France a structuré assez rapidement une action contre le surpoids et l’obésité qui repose essentiellement sur le programme national nutrition santé (PNNS), lancé en 2001 pour cinq ans, puis reconduit trois fois. Le quatrième PNNS, lancé pour la période 2019-2024, prévoit 55 mesures pour, notamment, « diminuer de 15 % l’obésité et stabiliser le surpoids chez les adultes » et « diminuer de 20 % le surpoids et l’obésité chez les enfants et les adolescents ».
Les évaluateurs des premiers plans ont déploré le foisonnement des mesures, la mauvaise articulation avec les autres politiques publiques, la difficile déclinaison sur le terrain des actions menées et, surtout, la difficulté à mesurer les résultats obtenus d’actions qui consistent à diminuer d’un facteur précis la consommation de tel ou tel nutriment. Compte tenu de la complexité énoncée, nous pouvons douter que la mise en œuvre du dernier plan s’écarte franchement de ces constats. Surtout, il nous a semblé que les politiques menées minoraient la dimension sociétale de la maladie et qu’il fallait au contraire engager des mesures systémiques ambitieuses.
Il faudra certainement faire mieux pour améliorer la prise en charge de la maladie. Le covid l’a suffisamment rappelé : l’obésité est une maladie grave, à laquelle sont associées de nombreuses pathologies et qui réduit singulièrement l’espérance de vie. Or les médecins généralistes sont encore insuffisamment formés, la réforme des études de santé n’a guère renforcé la place de la nutrition et les structures de repérage existantes ne sont pas assez soutenues par les pouvoirs publics. Surtout, nous proposons de renforcer la prise en charge par l’assurance maladie des soins des personnes en situation d’obésité, par exemple en en faisant une affection de longue durée.
Enfin, l’intervention des industriels dans l’orientation des politiques publiques est l’une des questions épineuses que nous soulevons dans notre rapport. Sans avoir encore de recommandations à formuler pour prévenir les conflits d’intérêts dans le domaine de la nutrition, il conviendra de garder à l’esprit la grande habileté du secteur agro-alimentaire pour organiser à son profit le débat public par le financement de recherches choisies, la création de fondations ou, plus simplement, un lobbying intense.
Mme Chantal Deseyne, rapporteur. – Notre fil conducteur a donc été celui du rééquilibrage des efforts : nous pensons que ceux qui sont demandés aux individus sont excessifs et que la lutte contre le surpoids et l’obésité passe d’abord par la promotion de préférences favorables à la santé, sans culpabiliser les individus.
Le Nutri-score est devenu l’emblème des politiques nutritionnelles en France. Sa mise en place n’a été possible qu’au terme d’une bataille de six ans ayant opposé les concepteurs du dispositif à l’industrie agroalimentaire. Sa généralisation obligatoire à l’échelle européenne est l’une des mesures prioritaires du dernier PNNS. Il est donc devenu très difficile d’en faire la moindre critique sans risquer de prêter le flanc à l’accusation de défaitisme, d’hostilité à la science ou de capitulation devant les intérêts industriels.
Il y a pourtant beaucoup à dire. D’abord, il est vrai que le Nutri-score est un outil simple, qui a prouvé son efficacité en conditions expérimentales par rapport à d’autres dispositifs d’étiquetage, bien connu des utilisateurs et adopté de plus en plus largement par les industriels, sur la base du volontariat, et dans un nombre croissant de pays. Son objectif est double : encourager les consommateurs à faire des choix plus sains et inciter les industriels de l’agroalimentaire à reformuler leurs produits. Les résultats sur ces deux aspects sont encore imprécisément mesurés. On sait, en revanche, que les fabricants de produits bien notés sont les plus enclins, en régime facultatif, à apposer le Nutri-score sur leurs emballages…
Cela étant, que faut-il en attendre ? Sans doute pas de miracle : le Nutri-score agit comme un nudge, c’est-à-dire un dispositif de guidage des comportements, qui ne touche guère aux préférences. Il ne modifiera donc probablement pas le panier des personnes qui achètent, par réconfort, des produits mal notés, ou qui arbitrent sur les prix, c’est-à-dire les plus pauvres et les plus touchés par le surpoids.
Ce dispositif se heurte surtout à une critique de fond : le Nutri-score étant fondé sur l’analyse des nutriments, il fait peu de cas du caractère naturel, peu transformé, bio ou de la provenance des produits, bref de l’insertion de l’aliment dans un usage. Les scientifiques critiques du « nutritionnisme », c’est-à-dire de la réduction de la science de l’alimentation aux aspects quantitatifs des nutriments contenus dans les aliments, y voient un outil superflu en ce qu’il permet de présenter comme sains des produits qui ne méritent leur score « A » qu’à la faveur de procédés industriels peu appétissants, qui leur ont ajouté ceci ou retiré cela.
Dernière critique qui nous semble recevable : au fond, ne vaut-il pas mieux éduquer les plus jeunes à s’alimenter correctement et à refaire du repas une activité sociale, plutôt qu’à décrypter des étiquettes ?
Pour autant, le Nutri-score n’est pas sans vertu et mérite de figurer dans l’arsenal de lutte contre les mauvaises habitudes. De plus, il peut être remédié à la critique de fond : comme l’a admis le Pr Serge Hercberg, concepteur du dispositif, il suffirait, pour la bonne information des consommateurs, de compléter l’algorithme et d’entourer d’un bandeau noir le Nutri-score des produits ultra-transformés, ce que nous proposons également, à l’instar du dispositif retenu au Chili, qui a préféré miser sur la stigmatisation des mauvais produits plutôt que sur la distribution de bons et de mauvais points, en imposant un logo noir de bonne taille sur les produits trop riches.
Nous pensons qu’il faut éduquer les enfants à l’alimentation dès le plus jeune âge. Un tel rôle doit être aussi celui de l’école obligatoire, afin de mieux connaître les aliments et de pouvoir reconnaître ceux qui ont été ultra-transformés. Songez, chers collègues, qu’en 2013, quelque 87 % des 910 enfants interrogés en région PACA par un réseau de 2 500 médecins ignoraient ce qu’est une betterave, un tiers ce que sont les poireaux, artichauts et courgettes, et que seuls 28 % d’entre eux avaient une idée de la composition des pâtes. Je rappelle que le repas français et ses rituels ont été classés au patrimoine immatériel de l’Unesco voilà douze ans…
Nous songeons également à un enseignement pratique obligatoire, qui inclurait une initiation à la cuisine. Qu’on l’appelle « atelier culinaire », « enseignement ménager » ou « économie domestique », peu importe, du moment qu’il enseigne sur le plan pratique la fonction alimentaire, presque aussi sociale que biologique. Ceux qui voient d’un mauvais œil le retour d’une classe ayant autrefois servi à cantonner les filles dans la sphère privée seraient peut-être surpris d’apprendre que certains pays, comme la Finlande, l’ont rétabli avec l’objectif de promouvoir l’égalité des rôles dès le plus jeune âge. C’est en outre un vecteur de créativité et de lutte contre les inégalités de santé.
Éduquer au goût imposera également de protéger les enfants des séductions de l’industrie agroalimentaire. Le modèle en la matière est également chilien : là-bas, le marketing destiné aux enfants est largement interdit, ce qui inclut, par exemple, la publicité à la télévision et l’association à un produit alimentaire d’une vaste gamme de dispositifs de captation de l’attention.
Vous connaissez sans doute, chers collègues, le grand tigre sportif qui sert de mascotte à cette variété répandue de céréales du petit-déjeuner, ou avez déjà peiné, vous aussi, à assembler le jouet qui garnit les œufs en chocolat d’une célèbre marque italienne... Il n’est pas question d’interdire de manger des céréales ou des œufs en chocolat, mais de limiter le conditionnement psychologique qui, en dernière instance, nuit à la santé des très jeunes consommateurs. Les petits Chiliens ne s’en portent que mieux : n’attendons pas d’atteindre leur niveau d’obésité infantile pour nous y résoudre. Les propositions d’encadrement ont déjà été faites par le Haut Conseil de la santé publique, en complément de la loi Gattolin sur la publicité à la télévision : il reste à nous en saisir.
Nous nous sommes également penchées sur les dispositifs de soutien aux ménages modestes. Créé en 2012, le « programme Malin » vise à favoriser l’accès des enfants en bas âge, issus de familles en situation de fragilité socio-économique, à une alimentation équilibrée et de qualité, grâce à des conseils, recettes et astuces au quotidien, mais aussi grâce à des bons de réduction pour des produits choisis par des pédiatres. De tels dispositifs doivent être généralisés, notamment par l’expérimentation de la distribution de chèques alimentaires ciblés sur les ménages les plus précaires, afin de les aider à acheter des produits frais et sains. C’est un sujet d’actualité dont les aspects pratiques sont encore en discussion, mais qui mériterait d’être considéré aussi sous le rapport de la lutte contre le surpoids et l’obésité.
Enfin, après les dispositifs destinés aux enfants et aux consommateurs, nous avons examiné les dispositifs de prévention généralistes destinés à tous les citoyens, tels que les recommandations nutritionnelles. Aujourd’hui assez bien connues, ces dernières sont perçues différemment selon les milieux sociaux et les latitudes. Le fait qu’elles soient actualisées et précisées ne contribue pas à améliorer leur appropriation par la population. Elles gagneraient à être mieux adaptées localement, pour être plus efficaces.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. – Nos premières recommandations ont porté sur la demande alimentaire, avec, comme fil conducteur, la volonté de munir les citoyens et les consommateurs d’outils de défense appropriés pour faire des choix éclairés. Toutefois, cette approche ne saurait suffire si nous ne tentons pas d’agir sur l’environnement en transformant l’offre alimentaire de manière plus déterminée.
Les premières politiques nutrition-santé négligeaient l’offre alimentaire. Il faut attendre le second volet du PNNS pour que des mesures visent à rendre les produits alimentaires moins riches en sucres ajoutés, en matières grasses et en sel. La voie retenue a été celle d’une incitation des industriels à s’engager. Deux instruments ont été utilisés à cette fin : les chartes d’engagement volontaire formalisent les efforts d’une entreprise, tandis que les accords collectifs doivent entraîner tout un secteur vers une reformulation des produits.
Douze ans après son amorce, notre rapport dresse un bilan très mitigé de la méthode choisie. Après une vague de contractualisation entre les entreprises et les pouvoirs publics, le mouvement s’est essoufflé. Les résultats obtenus en termes de reformulation des produits alimentaires ont été limités par le manque d’ambition des objectifs originels et par un nombre trop faible d’entreprises concernées pour représenter des parts de marché significatives. En outre, l’évaluation des accords collectifs, pourtant confiée à l’Observatoire de la qualité de l’alimentation, a été quasiment inexistante.
Les nouveaux PNNS et le programme national de l’alimentation (PNA) ambitionnent de mettre en place une nouvelle génération d’accords collectifs avec une approche plus volontariste. Un premier accord a été signé sur la réduction du sel dans le secteur de la boulangerie après trois ans de négociations. Nous nous en réjouissons, mais que de temps perdu !
Nous demeurons sceptiques quant à la capacité des industriels à jouer le jeu de la recomposition nutritionnelle de leurs produits. L’autorégulation de l’offre alimentaire nous paraît être une chimère. Il convient de mener des politiques publiques plus contraignantes pour les industriels.
Plutôt que des encouragements à l’autorégulation, nous recommandons de fixer par voie législative et réglementaire des teneurs maximales en acides gras saturés et en sucres ajoutés pour obliger aux reformulations. Cette définition pourra se fonder sur l’expertise de l’Anses, qui a produit des recommandations de consommations maximales et des scénarios intégrant les différentes options de seuils nutritionnels.
Ensuite, notre rapport formule des recommandations sur l’environnement marketing qui biaise la rationalité des consommateurs, même sensibilisés, par des stratégies commerciales agressives. Nous estimons que la France pourrait s’inspirer de l’exemple anglais en la matière. Le plan du gouvernement de Boris Johnson prévoit de restreindre fortement les promotions alimentaires et les stratégies marketing mises en œuvre par la grande distribution pour inciter les consommateurs à acheter des produits trop gras ou trop sucrés.
Sur leur exemple, nous proposons d’interdire la vente de produits malsains aux abords des caisses de paiement, qui incitent aux achats impulsifs, et d’interdire les promotions commerciales comme « un paquet acheté, un paquet gratuit » sur les produits trop gras et trop sucrés – je pense aux confiseries industrielles, aux chips ou aux sodas. Un rapport montre que ces offres de réduction sont à l’origine en Angleterre d’une hausse de 6 % de la consommation de sucres par des produits trop sucrés. Ces offres commerciales devraient au contraire être réorientées vers les produits de bonne qualité nutritionnelle.
Nous avons également évalué le recours à l’outil fiscal pour transformer l’offre alimentaire, dans le sillage des travaux menés par la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) de notre commission en 2014. Dans leur rapport sur la fiscalité comportementale, la présidente Catherine Deroche et notre ancien collègue Yves Daudigny dressaient des constats et formulaient des propositions qui conservent toute leur pertinence. Nous déplorons que certaines des recommandations, pourtant prioritaires, soient toujours inappliquées aujourd’hui. Je pense notamment au régime de la TVA, qui offre des avantages fiscaux à des produits malsains : les boissons trop sucrées bénéficient d’un taux réduit à 5,5 %, alors même qu’elles sont frappées d’une taxe nutritionnelle depuis 2012. Cette incohérence perdure depuis trop longtemps.
D’autres innovations fiscales pourraient voir le jour. Si la responsabilité de l’ultra-transformation, pointée lors de nos auditions, se confirme par les travaux de recherche que nous appelons de nos vœux, il conviendra d’envisager une taxe sur les aliments ultra-transformés qui soit progressive selon les marqueurs présents de l’ultra-transformation.
Cette taxe aurait deux bénéfices et serait soumise à une condition. Les économistes que nous avons entendus nous ont expliqué que les aliments ultra-transformés bénéficient d’un avantage prix, acquis grâce à l’innovation, en comparaison des aliments peu transformés. Cette taxe permettrait de rééquilibrer les prix en faveur des aliments bruts. Par ailleurs, son caractère progressif inciterait les industriels à une reformulation des produits en réduisant les marqueurs de l’ultra-transformation. Dans un contexte inflationniste, cette taxe ne pourrait être mise en place que comme corollaire à un chèque en faveur des aliments bruts, comme nous proposons de l’expérimenter.
Notre rapport appelle enfin à une transformation locale de l’environnement obésogène. Les collectivités territoriales ont un rôle majeur dans la prévention nutritionnelle de l’obésité. Je pense tout d’abord aux projets alimentaires territoriaux, à travers lesquels les collectivités peuvent organiser un approvisionnement local de produits bruts dans la restauration scolaire. Toutefois, il ressort de nos travaux que ne sont plus exceptionnels les cas de lycéens, voire de collégiens, déjeunant régulièrement à l’extérieur dans des fast-foods, au lieu du restaurant scolaire. Les efforts menés à l’intérieur des établissements risquent de se trouver neutralisés par la baisse de la fréquentation scolaire si une réflexion n’est pas menée pour réguler l’offre de fast-foods à proximité des écoles.
De même, l’aménagement urbain doit prendre toute sa part pour inciter les populations à l’activité physique et sportive. L’aménagement de pistes cyclables, mais également d’espaces réservés et sécurisés pour les piétons – trottoirs larges, éclairage public... – est primordial.
Nous nous penchons spécifiquement sur la situation en outre mer, où l’offre alimentaire est particulièrement dégradée. La loi Lurel de 2013 a mis sur le devant de la scène l’enjeu des teneurs en sucre des produits transformés sur les marchés ultra-marins. Elle garantit que les produits vendus en outre-mer ne soient pas plus sucrés que les produits similaires vendus dans l’Hexagone.
Aux produits disponibles s’ajoutent des préférences locales plus marquées pour certains produits sucrés. Ainsi, les consommations journalières moyennes de boissons sucrées en Martinique et en Guadeloupe sont près de trois fois supérieures à celles de la France hexagonale.
À elle seule, la loi Lurel ne garantit pas aux territoires ultra-marins une offre de produits sucrés n’accroissant pas les inégalités de santé entre les populations ultra-marines et hexagonales. La DGCCRF, qui a évalué la législation sur les boissons sucrées sans constater d’inapplication de la loi, a souligné plusieurs difficultés. D’une part, la loi se fonde sur une comparaison entre les produits commercialisés en outre-mer et ceux mis en vente dans l’Hexagone. Or un bon nombre de produits spécifiques aux outre-mer ne trouvent pas d’équivalent dans l’Hexagone. D’autre part, la notion de sucres ajoutés n’est pas nécessairement la plus pertinente pour limiter le taux de sucre global des boissons sucrées, qui contiennent souvent des jus de fruits naturellement fort sucrés.
Comme nous l’avons déjà indiqué, la fixation par voie législative et réglementaire de seuils maximaux de teneur en sucre et en matières grasses, sans possibilité de les substituer par des additifs, serait beaucoup plus efficace et appropriée.
Mes chers collègues, notre rapport n’est pas des plus optimistes, ni sur les constats de la maladie ni sur le bilan des politiques menées jusqu’à présent – qui ont tout de même le mérite d’exister. Il sera, nous l’espérons, une alerte prise au sérieux par les citoyens, les pouvoirs publics, les professionnels de santé et les industriels de l’agroalimentaire. Les cris d’alarme se multiplient sur l’obésité : nous devons changer radicalement notre méthode.
Mme Corinne Imbert. – Alain Milon, qui a dû quitter notre réunion, m’a demandé de rappeler qu’il avait travaillé, en 2005, avec Sylvie Desmarescaux, ancienne sénatrice du Nord, à la mise en place d’un plan nutrition-santé qui avait permis à des collectivités locales de financer des postes de nutritionnistes dans les cantines centrales. Ce dispositif avait permis d’obtenir de très bons résultats. Ces postes ont aujourd’hui disparu. Vous avez évoqué le rôle des collectivités dans le choix et l’achat des produits, mais l’élaboration des menus est tout aussi essentielle.
L’obésité est une maladie chronique face à laquelle il ne faut pas baisser les bras. Comme vous le rappelez, d’autres maladies en découlent : hypertension artérielle, diabète, apnée du sommeil, maladie du foie gras... Nous avons rencontré hier, avec Catherine Deroche, des chercheurs du centre de recherche des cordeliers travaillant sur la stéatose hépatique ou maladie du fois gras. Ils ont souligné que la « malbouffe » était l’une des premières causes de l’apparition de cette pathologie gravissime. Il faut éduquer nos concitoyens au bien manger et au bien bouger.
L’allaitement maternel est parfois présenté comme un facteur de prévention du surpoids et de l’obésité. Vos travaux confirment-ils cette affirmation ?
M. Martin Lévrier. – Que pensez-vous d’une taxe dont le taux varierait en fonction du Nutri-score ?
Par ailleurs, vous avez évoqué le marketing et la publicité de certaines marques de produits, mais pas de certaines chaînes de restauration, qui ont également recours aux jouets pour attirer les enfants. Est-il envisageable de réguler ces publicités ?
M. Philippe Mouiller. – Vos préconisations sont percutantes et constituent assurément des pistes intéressantes pour améliorer le système. Toutefois, je m’interroge, et ce de manière générale, sur l’efficacité des taxes et des contraintes : d’une part, je ne pense pas que le produit de la taxe permettrait de changer grand-chose au problème ; d’autre part, en termes de marketing, les entreprises sont de grands spécialistes pour contourner les sujets.
Par contre, les enjeux d’éducation sont fondamentaux : c’est là que tout se joue et qu’il faut engager des moyens. Peut-être faut-il mener un dialogue avec le Gouvernement pour traduire concrètement vos préconisations et aller encore plus loin.
M. Bernard Jomier. – La question de l’épidémie de surpoids et d’obésité, qui ne concerne pas que la France, est d’une grande complexité.
Quelle est votre analyse des causes des perturbations endocriniennes ? Le sujet est aujourd’hui bien documenté, même s’il est toujours compliqué de pondérer précisément la place de chaque facteur dans l’obésité.
En ce qui concerne le Nutri-score, on attribue souvent trop d’honneur ou trop d’indignité à un dispositif qui n’est qu’un outil parmi d’autres. La polémique entourant le Nutri-score est entretenue par des industriels qui n’en veulent pas. Plus fondamentalement, il s’agit de déterminer la place de l’information dans la nutrition. Il ne faut pas prendre les consommateurs pour des idiots : ce n’est pas parce que le roquefort est moins bien classé qu’un autre fromage que nos concitoyens ne vont plus en manger.
Certes, le Nutri-score ne dit rien du caractère bio des produits ou de leur transformation, mais telle n’est pas sa vocation. On peut trouver des aliments issus de l’agriculture biologique mais très gras ou produits à l’autre bout de la planète : aucun outil ne reflète la diversité et la complexité de la problématique que nous évoquons. Je souhaitais donc savoir si vous partagiez cette analyse et si finalement vous pensiez que le Nutri-score est un bon outil.
Vous avez eu raison de souligner à plusieurs reprises l’importance de responsabiliser les industriels de l’alimentation transformée. L’approche comportementale individuelle ne peut, à elle seule, constituer une réponse à l’épidémie d’obésité. Nous vivons dans une société du trop-plein où l’on trouve partout de quoi manger. Il suffit d’ailleurs que les pots de moutarde viennent à manquer pour traumatiser tout le monde ! Comment peut-on réguler une telle société sans s’appuyer sur les industriels ? Pensez-vous profiter de la prochaine séquence budgétaire pour faire des propositions concrètes ?
Mme Frédérique Puissat. – Une question brève pour ma part sur un dossier que nous avons suivi ces dernières années. Vous êtes-vous penchées sur la question du transport bariatrique ?
M. Alain Duffourg. – Merci aux rapporteures pour ce travail très intéressant et très dense. Comme vous l’avez indiqué, un tiers des enfants sont obèses dans certains pays en développement mais les pays industrialisés souffrent aussi désormais de ce phénomène. Quelle réponse faut-il apporter ? Alors que la France est plutôt exemplaire s’agissant des campagnes de promotion d’une alimentation saine, je ne pensais pas qu’autant de nos enfants puissent ne pas connaître les fruits et légumes que vous avez cités.
Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il y a un manque d’encadrement législatif des industriels. Il faudrait mener un travail pour les contraindre à respecter certaines normes à commencer par le Nutri-score.
Enfin, je partage votre avis ; les collectivités locales peuvent mener une action tout à fait intéressante. Dans les cantines du Gers, nous nous efforçons de faire consommer aux enfants des produits locaux et bio.
Mme Catherine Deroche, présidente. – Les chercheurs du centre de recherche des cordeliers nous ont montré hier une carte des parties du monde les plus touchées par l’obésité : on y retrouvait bien évidemment le continent américain, mais aussi toute l’Europe et toute l’Asie. En Chine ou au Vietnam, on constate aujourd’hui énormément d’obésité infantile en raison d’habitudes de vie comparables à celles des Américains.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. – Notre rapport met en exergue un vrai danger en termes de santé publique. Nous sommes tous conscients de l’importance de cet enjeu.
Aujourd’hui, rien ne semble en mesure d’inverser la dynamique du surpoids et de l’obésité. Il va falloir redoubler d’efforts et infléchir la logique à l’œuvre davantage par l’éducation qu’en culpabilisant les individus, même si les parents sont toujours les premiers éducateurs. Il faudra aussi rendre l’environnement urbain moins propice au développement de l’obésité.
Pour répondre à Madame Imbert, l’allaitement maternel est bien soutenu par l’OMS, qui cite de nombreuses études soulignant la corrélation entre durée de l’allaitement et surpoids ultérieur. L’encouragement à l’allaitement est l’une des mesures du PNNS dont la mise en œuvre pourrait être accélérée, même s’il s’agit d’un choix éminemment personnel.
Nous partageons les interrogations de Monsieur Mouiller sur le recours à l’outil fiscal. C’est la raison pour laquelle nous ne formulons pas de proposition sur la taxe touchant les boissons sucrées, qui fait actuellement l’objet d’une évaluation. Il convient d’attendre ces éléments pour ne pas faire de recommandations à la légère. En ce qui concerne la fiscalité sur les produits ultra-transformés, notre proposition est conditionnée à des recherches supplémentaires sur la responsabilité de ces aliments dans l’épidémie d’obésité. Enfin, pour ce qui est de notre préconisation sur la TVA, il s’agit simplement de mettre fin à un régime incohérent que la commission avait déjà eu l’occasion de souligner.
Monsieur Duffourg, tout le sens de notre rapport est de compléter l’approche incitative par des mesures obligatoires. Le Nutri-score a le mérite d’exister en dépit des critiques que nous avons soulignées. Rendre cet étiquetage obligatoire relève du droit de l’Union européenne et la France soutient cette mesure. Il faudra en tout cas monter d’un cran pour obliger les industriels à jouer le jeu sur beaucoup d’autres aspects.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. – Sur la question de Monsieur Jomier de savoir si, en définitive, le Nutri-score est un bon outil, notre conviction est que, face à l’aspect multifactoriel et multidimensionnel de la maladie, il ne peut y avoir une seule réponse. Nous n’avons pas écarté le Nutri-score car il commence à entrer dans les habitudes d’achat d’une certaine catégorie de consommateurs bien avertis. Les enfants s’y intéressent aussi, grâce aux enseignements qu’ils peuvent suivre à l’école. Ce dispositif peut sans doute être amélioré, notamment pour ce qui est du dosage et des fréquences de consommation. Le Nutri-score d’un paquet de gâteaux peut être satisfaisant, mais rien n’indique qu’il faut éviter d’en manger cinq à la suite... Encore une fois, il n’est qu’un outil parmi d’autres, et ne pourra pas accomplir de miracle à lui-seul.
En ce qui concerne les perturbateurs endocriniens, certains spécialistes ont souligné qu’ils agissaient parfois sur l’effet de satiété, ce qui pouvait pousser au grignotage.
Vous avez raison Madame Imbert d’insister sur les nombreuses pathologies associées à l’obésité. On en dénombre près d’une vingtaine.
Il me semble également essentiel de déstigmatiser la personne obèse en cessant de la culpabiliser. Elle doit bien évidemment repenser ses habitudes alimentaires, mais il faut surtout agir sur l’environnement au sens large – politiques commerciales, publicité...
Il faut également améliorer la prise en charge de cette maladie, dont on ne reconnaît toujours pas le caractère de longue durée, ce qui pose problème pour le remboursement de certains soins ou de certains conseils en nutrition et évince, de facto, une grande partie de la population.
Monsieur Duffourg, tout concourt à l’amélioration de la situation, y compris l’aménagement du territoire. Les collectivités peuvent agir non seulement sur les équipements – pistes cyclables... –, mais aussi sur la conception des bâtiments : ne faudrait-il pas placer l’escalier avant l’ascenseur dans les halls, par exemple ?
Mme Chantal Deseyne, rapporteur. – Nous reconnaissons tous que l’obésité est une maladie. Il ne s’agit pas de stigmatiser les personnes qui en sont atteintes. Il me semble toutefois qu’il est possible de considérer le surpoids et l’obésité comme une forme d’addiction et en particulier au sucre. L’histoire nous enseigne que la consommation de sucre est concomitante de l’essor industriel anglais, les ouvriers y trouvant une manière efficace de se rassasier, voire de se doper. Sans prise de conscience ni réelle détermination pour changer les comportements alimentaires, aucun dispositif ne pourra fonctionner.
Je rejoins les propos de Monsieur Mouiller sur les doutes légitimes que l’on peut avoir sur l’efficacité des taxes. Nous rappelons dans le rapport qu’elles touchent les plus précaires, sans pour autant modifier forcément leurs habitudes de consommation. Les fabricants ou distributeurs de sodas, par exemple, peuvent aussi choisir d’imputer le surcoût à leurs marges pour conserver leur part de marché.
Par ailleurs, dans les milieux précaires, qui ne sont pas autant sensibilisés aux questions de nutrition, pouvoir offrir à ses enfants un soda ou une viennoiserie constitue aussi une forme de satisfaction.
Notre rapport retient donc une approche équilibrée sur les questions de fiscalité. Taxer les industries agroalimentaires pour les inciter à reformuler les recettes de leurs produits ultra-transformés me semblerait par exemple très pertinent. Le produit de cette fiscalité pourrait servir à financer d’autres dispositifs, comme les chèques alimentation, et diriger ainsi les consommateurs vers des produits sains.
Madame Puissat, le transport bariatrique ne fait pas du tout l’objet de notre rapport. Mme la présidente me dit que les choses n’ont en revanche pas bougé sur ce sujet...
Au-delà de la vingtaine de maladies chroniques induites par le surpoids et l’obésité, cette pathologie entraîne aussi des retards de dépistage de cancer, notamment chez la femme, qui souffre de l’image dévalorisante de son corps... Il faut aussi tenir compte de nombreux aspects psychologiques.
Mme Catherine Deroche, présidente. – Bravo pour le travail très complet que vous avez mené. Je vais maintenant demander à la commission de se prononcer sur l’ensemble des recommandations et d’autoriser la publication de ce rapport d’information, dont je précise le titre : « Surpoids et obésité, l’autre pandémie ».
La commission approuve les recommandations et autorise la publication du rapport.
La réunion est close à 11 h 40.