- Mercredi 9 février 2022
- Hommage à Olivier Léonhardt
- Projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale - Examen d'un amendement au texte de la commission mixte paritaire
- Projet de loi ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l'article 13 de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace (deuxième lecture) - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi visant à permettre l'implantation de panneaux photovoltaïques sur des sites dégradés - Examen du rapport et du texte de la commission
- Audition de M. Bernard Roman, président de l'Autorité de régulation des transports
- « L'ouverture du secteur ferroviaire, quel bilan ? » - Audition avec des nouveaux entrants
- Audition de M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation
Mercredi 9 février 2022
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 08 h 30.
Hommage à Olivier Léonhardt
M. Jean-François Longeot, président. - Permettez-moi tout d'abord d'avoir une pensée toute particulière en mémoire de notre collègue Olivier Léonhardt, décédé dans la nuit du 1er au 2 février, à l'âge de 58 ans, des suites d'une longue maladie. Il avait été membre de notre commission d'octobre 2017 à septembre 2020. Je tenais à adresser toutes mes condoléances à sa famille et à ses proches.
Projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale - Examen d'un amendement au texte de la commission mixte paritaire
M. Jean-François Longeot, président. - Nous avons maintenant à examiner un amendement du Gouvernement au texte de la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale. Cet amendement au texte issu de la CMP a déjà été examiné et adopté par l'Assemblée nationale.
M. Daniel Gueret, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 7 du Gouvernement est un amendement de coordination. Il vise à tirer les conséquences du remplacement à compter du 1er mars 2022 des dispositions statutaires de la fonction publique par le code général de la fonction publique annexé à l'ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 7.
Projet de loi ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l'article 13 de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace (deuxième lecture) - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Jean-François Longeot, président. - Nous démarrons cette matinée par l'examen, en deuxième lecture, du projet de loi n° 755 ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l'article 13 de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace. Ce projet de loi vise notamment à ratifier l'ordonnance relative à la mise en place d'une taxe sur le transport routier de marchandises par la Collectivité européenne d'Alsace.
Comme vous le savez, il s'agissait d'un texte très attendu puisque l'Alsace demande l'instauration d'une telle taxe depuis 2005, date de mise en place d'une taxe outre-Rhin.
Après plus de quinze années d'attente, le processus semble désormais s'accélérer. Après de riches débats en première lecture en novembre dernier au Sénat, le projet de loi de ratification a été examiné à l'Assemblée nationale le 26 janvier 2022. Il est inscrit à l'ordre du jour par le Gouvernement le 17 février prochain pour une seconde lecture au Sénat.
Sans dévoiler les propos du rapporteur, je constate qu'un certain nombre d'apports du Sénat ont été conservés. Je tiens d'ailleurs à remercier le rapporteur Jean-Claude Anglars, qui a su faire preuve de ténacité sur un sujet particulièrement épineux. Je salue également nos collègues de la commission des lois, dont la contribution a été précieuse pour l'élaboration du texte de première lecture.
Je rappelle enfin combien l'examen d'un projet de loi de ratification est une étape importante pour le législateur, qui peut se prononcer sur des dispositions la plupart du temps déjà entrées en vigueur résultant d'une ou plusieurs ordonnances et en améliorer significativement le contenu.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - J'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui mon rapport sur le projet de loi de ratification des ordonnances prises sur le fondement de l'article 13 de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace, examiné en deuxième lecture. Comme vous le savez, ce texte était initialement composé de trois articles visant à ratifier trois ordonnances, dont l'une a plus particulièrement fait l'objet d'échanges nourris : celle relative à l'instauration d'une taxe sur le transport de marchandises par la Collectivité européenne d'Alsace.
En première lecture, le Sénat a, en commission puis en séance publique, amélioré le texte suivant trois axes principaux.
D'abord, notre commission avait souhaité renforcer l'efficacité de l'ordonnance relative à la taxe alsacienne pour la rendre plus opérationnelle d'une part et, d'autre part, pour rendre ce dispositif transposable aux collectivités territoriales favorables à la mise en oeuvre d'une taxe similaire, ainsi que le permet désormais l'article 137 de la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021.
Ensuite, pour répondre aux préoccupations des collectivités limitrophes quant aux possibles « effets de bord » de la taxe alsacienne, notre commission avait veillé à favoriser, en amont de la mise en place de la taxe, la concertation entre les collectivités et, en aval, l'évaluation des reports de trafic.
Enfin, notre commission avait enrichi le texte pour anticiper la révision en cours de la directive « Eurovignette » et prévoir que la taxe pourrait, sous réserve de l'entrée en vigueur de la nouvelle version de la directive, prendre en compte les émissions de gaz à effet de serre des véhicules, d'une part, et s'appliquer, sur demande de la Collectivité européenne d'Alsace, aux véhicules utilitaires légers et aux poids lourds de plus de 2,5 tonnes, d'autre part.
En définitive, après son adoption en première lecture par le Sénat, le projet de loi s'était étoffé de 23 nouveaux articles, s'ajoutant aux 3 articles du projet de loi initial. Ces modifications ont fait l'objet d'un travail important de concertation préalable avec les principaux acteurs concernés. Au terme de son examen par l'Assemblée nationale, le texte compte désormais 21 articles, dont seulement 2 nouveaux articles insérés.
Au total, les députés ont en grande partie conforté les travaux du Sénat puisque de nombreux apports ont été conservés. Dix des articles additionnels introduits au Sénat ont été adoptés conformes ou modifiés à la marge. C'est notamment le cas pour la création d'un comité de concertation des collectivités territoriales en matière de taxation des poids lourds (article 1er octodecies), l'aggravation des sanctions en cas de comportements frauduleux (article 1er terdecies), l'intégration des sociétés donneuses d'ordre dans la consultation préalable à la mise en oeuvre de la taxe ou encore l'amélioration du calendrier des délibérations de la Collectivité européenne d'Alsace (article 1er sexdecies).
D'autres articles insérés par le Sénat ont fait l'objet de modifications plus importantes, mais qui ne remettent pas en cause leurs objectifs. C'est le cas notamment de l'article 1er sexies, qui permet à la Collectivité européenne d'Alsace de mettre en place une solution de « ticketing » pour les redevables occasionnels de la taxe, qui a été intégralement réécrit, mais qui poursuit le même objectif.
Par ailleurs, quelques articles ont fait l'objet de rédaction de compromis entre le Sénat et l'Assemblée nationale.
C'est par exemple le cas de l'article 1er septdecies relatif à l'évaluation de la taxe. Outre la remise d'un rapport au Parlement prévu à l'issue de cinq ans de mise en oeuvre, notre commission avait prévu la remise d'un rapport d'étape deux ans après l'instauration de la taxe, afin de bénéficier d'un retour sur l'expérience alsacienne compte tenu des potentielles taxes régionales à venir dans les prochaines années. Si l'Assemblée a, dans un premier temps, supprimé ce rapport d'étape en commission, elle a finalement en contrepartie, en séance publique, réduit le délai de remise du rapport de cinq à trois ans. Je me félicite que nous ayons pu, avec mon homologue de l'Assemblée nationale, trouver cette position d'équilibre. En outre, nous avons précisé que ce rapport devait évaluer les reports de trafic sur le réseau du domaine public des régions, des départements et des communes limitrophes. Cet apport a été conservé à l'Assemblée nationale.
Suivant la même logique, une position d'équilibre a été trouvée entre les deux chambres concernant l'introduction d'une procédure de régularisation sans frais pour les redevables occasionnels. Si l'article 1er octies, inséré par le Sénat sur ce sujet, a été supprimé à l'Assemblée nationale, une telle procédure, certes allégée, a été réintroduite à l'article 1er sexies.
Les députés ont également introduit deux nouvelles dispositions qui permettent encore d'améliorer le caractère opérationnel de l'ordonnance en prévoyant, d'une part, que la procédure de taxation d'office peut être mise en oeuvre quel que soit le mode de constatation de l'irrégularité et, d'autre part, qu'il appartiendra à la Collectivité européenne d'Alsace de déterminer le montant des frais de dossier en cas de mise en oeuvre de la taxation d'office.
Ces points positifs ne doivent toutefois pas occulter plusieurs reculs significatifs dus à six suppressions d'articles introduits au Sénat et à la modification de plusieurs d'entre eux.
À titre d'illustration, l'Assemblée nationale a supprimé les articles adoptés au Sénat afin d'anticiper la révision de la directive Eurovignette, estimant qu'ils portaient atteinte à la lisibilité du droit. Je ne souscris pas à cet argument et je rappelle que l'entrée en vigueur des dispositions en question était conditionnée par la révision de la directive. Elle a également supprimé l'article 1er duodecies, qui permettait à la Collectivité européenne d'Alsace d'installer des dispositifs de contrôle automatisé, au motif que cette dernière n'en avait pas formulé la demande. Or, il ne s'agissait que d'une possibilité offerte à cette dernière, dont elle aurait été libre de se saisir ou non.
Je regrette ces évolutions.
Néanmoins, je vous propose, mes chers collègues, de voter ce texte conforme à celui adopté à l'Assemblée nationale pour trois raisons principales.
D'abord, sur le fond, je constate qu'une majorité des apports du Sénat ont été conservés à l'Assemblée nationale, même si certains d'entre eux ont été supprimés ou modifiés. Ces enrichissements permettent d'améliorer significativement l'état du droit et donc de renforcer le caractère opérationnel d'un dispositif attendu depuis si longtemps par les Alsaciens. L'adoption d'un texte conforme est opportune pour soutenir cette collectivité dans sa démarche.
Certes, dans l'absolu, il serait possible de modifier le texte pour rétablir certains articles, mais j'en viens justement à mon deuxième point : les contraintes du calendrier parlementaire qui ne nous permettent a priori pas d'envisager une troisième lecture compte tenu de l'interruption prochaine des travaux, pas plus que la convocation d'une CMP compte tenu de l'absence d'engagement de la procédure accélérée. Deux options étaient donc envisageables. La première option était de modifier ce texte, mais cela aurait conduit, de fait, à faire échouer la navette parlementaire, et l'ordonnance déjà entrée en vigueur ne pourrait ni être modifiée ni être ratifiée. Très concrètement, si nous n'adoptions pas ce texte conforme, la Collectivité européenne d'Alsace se retrouverait privée de la possibilité de mettre en place une solution de paiement pour les redevables occasionnels. Il en irait de même pour le comité de concertation préalable ou encore le rapport évaluant les potentiels reports de trafic. Cette option est peu opportune, car elle conduirait à ne retenir aucun des apports du Sénat, qui ont pourtant fait l'objet d'un important travail de concertation.
L'autre option, et c'est l'option que je vous propose de suivre aujourd'hui, est d'adopter le texte conforme à celui adopté par l'Assemblée nationale afin de préserver les apports du Sénat et ceux de l'Assemblée nationale qui permettent, comme je l'ai évoqué, de renforcer le caractère opérationnel du dispositif et de créer les conditions du dialogue entre les collectivités territoriales.
Troisième et dernier point, l'adoption d'un texte dans les mêmes termes que celui adopté par l'Assemblée nationale permettra la ratification des trois ordonnances du projet de loi et donc de sécuriser leurs dispositions en leur conférant une valeur législative. La taxe alsacienne est susceptible de faire l'objet de plusieurs contentieux. Une sécurisation de l'ordonnance par sa ratification est donc opportune pour renforcer ce dispositif.
Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose, mes chers collègues, dans un esprit de responsabilité, d'adopter ce texte sans modification.
M. Gérard Lahellec. - J'indique d'emblée que nous ne comptons pas nous opposer aux propositions de notre rapporteur qui a réalisé un excellent travail. Le texte poursuit son parcours législatif. La voix du Sénat a été entendue et un consensus se dessine, dans un sens qui répond aux aspirations de la Collectivité européenne d'Alsace. Toutefois, je le répète, la régionalisation de l'écotaxe ne nous apparaît pas être la bonne solution, et cela vaut pour toutes les régions et non seulement pour la Bretagne dont je viens - même si son exemple et les événements qu'elle a connus il n'y a pas si longtemps devraient nous inciter à la plus grande prudence... Je comprends les aspirations de la Collectivité européenne d'Alsace. Elle recevra des subsides supplémentaires sans être toutefois tenue d'expliquer ce qu'elle en fera. C'est quand même une question : va-t-elle les utiliser pour entretenir et développer le réseau routier ou financer des modes alternatifs ? En même temps, je salue le travail pugnace de notre rapporteur et me félicite de suites qui ont été données à notre débat en séance publique. Cependant, pour des raisons de fond, nous nous abstiendrons.
M. Jean-François Longeot, président. - Je comprends vos réticences à envisager un élargissement aux autres régions. Je tiens toutefois à souligner l'immense travail de concertation réalisé par Philippe Tabarot lors de l'examen de la loi « Climat et résilience ». Il a fallu longuement négocier pour en arriver là. Ce n'était pas simple.
M. Jacques Fernique. - Je veux aussi saluer le travail de notre rapporteur, qui a su défendre les apports du Sénat. Je suis dans une position paradoxale. Notre volonté en Alsace est de ne plus nous trouver en situation de vulnérabilité face au report de trafic routier depuis l'instauration d'une écotaxe en Allemagne. Le contournement ouest de Strasbourg changera peut-être la configuration, mais la problématique du report des camions demeure. Nous ne voulons donc plus perdre de temps. Toutefois, comme parlementaire, il est toujours délicat de travailler dans l'urgence. Nous aurions sans doute pu améliorer encore ce texte, parvenir à un dispositif plus opérationnel en anticipant la révision de la directive Eurovignette. Nous pourrions aussi mieux tenir compte de l'inquiétude légitime de nos voisins lorrains - nous étions d'ailleurs sur le point de trouver une solution. Je ne comprends donc pas pourquoi une troisième lecture est impossible avant la fin de la session. Je suis donc partagé entre l'envie d'aller vite en faisant un vote conforme, car malgré tout le texte nous donne satisfaction sur l'essentiel, et la frustration de renoncer à des améliorations possibles.
M. Olivier Jacquin. - Ce texte se révèle très pointu et technique. Il est très difficile de trouver le bon dispositif juridique. Je salue à cet égard le travail de notre rapporteur. Une partie des apports du Sénat a été maintenue, on peut s'en satisfaire.
On savait dès le début qu'il y aurait une deuxième lecture. Cela modifie notre manière de travailler : si l'urgence est déclarée, on cherche à amender le texte aussitôt lors de son examen, car le plat ne repassera pas. À l'inverse, si plusieurs lectures sont prévues, les parlementaires peuvent adapter leur stratégie. Il est donc pour le moins frustrant d'apprendre que l'on ne pourra plus travailler sur le fond du texte, au motif que l'on manquerait de temps. C'est aussi politiquement grave. Dans cette stratégie en deux lectures, nous avions proposé, en première lecture, avec certains collègues, la mise en place d'un dispositif similaire en Lorraine sur l'A 31. J'ai alors écouté les débats - la première lecture cela sert aussi à ça ! - et entendu l'argument de nos collègues alsaciens qui craignaient qu'une telle mesure ne retarde l'entrée en vigueur de la taxe en Alsace. Dont acte. Nous avons accepté la mise en oeuvre de la taxe en Alsace. Toutefois, je reviens avec des amendements afin de permettre qu'automatiquement, à la lumière du report de trafic qui sera observé en Lorraine, un dispositif similaire sur l'A 31 s'applique en tant que de besoin. Cela n'aurait aucunement gêné nos amis alsaciens. Or là on nous dit qu'il faut parvenir à un vote conforme, il n'y a donc pas de possibilité d'amender, au motif que nous manquerions de temps, parce qu'aucun créneau n'est prévu pour une éventuelle CMP... Mais je n'imagine pas le Président du Sénat renoncer à trouver du temps pour une CMP si l'on enrichissait le texte ! Il ne s'agit pas d'un report de 6 mois, mais de quelques jours ! On pourrait aisément concilier les intérêts alsaciens, lorrains et français. L'argument du temps ne tient pas. Nous pourrions aussi anticiper la révision de la directive européenne pour prévoir la taxation des véhicules utilitaires légers de plus de 2,5 tonnes. Cela donnerait satisfaction à tout le monde.
M. Didier Mandelli. - Je salue le travail de notre rapporteur. Nous avons eu l'occasion de débattre de ce sujet à l'occasion de l'examen du projet de loi « Climat et résilience ». Quant à la perspective d'une CMP, on sait le sort prévisionnel qui serait réservé à nos amendements sur ce texte... Peu importe, en l'occurrence que nous amendions ou votions conforme. Mieux vaut alors adopter la version d'équilibre à laquelle nous sommes parvenus. Rien n'empêchera la région Grand Est d'engager des procédures pour élargir le dispositif sur son territoire. Je suivrai donc la position de notre rapporteur qui est de bon sens.
Mme Christine Herzog. - Élue de Moselle, je rejoins les inquiétudes de M. Jacquin. Le sujet qu'il évoque mérite débat, en effet, mais la question principale, dans ce texte, concerne bien la Collectivité européenne d'Alsace. Il ne serait pas judicieux de reporter à nouveau ce projet. Voilà cinq ans que l'on en discute. Le débat a été suffisant à cet égard. Effectivement, on peut envisager d'étendre la taxe à la Lorraine, mais il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs : cela relève de la région Grand Est et c'est aux élus de ce territoire qu'il appartient d'en discuter.
Mme Laurence Muller-Bronn. - Je salue le travail du rapporteur. Je me félicite de la perspective d'un vote conforme. Nous pourrons enfin lancer une expérimentation en mettant en place une taxe poids lourd afin de répondre à la situation très particulière du fossé rhénan. Voilà 20 ans que l'on parle de ce sujet et que nous subissons les reports de véhicules depuis l'Allemagne ! Si un déport de trafic vers d'autres territoires apparaît, on fera un bilan et rien n'empêchera la région d'agir. Il est temps d'agir. Cette taxation semble raisonnable et pourra servir, le cas échéant, de modèle à d'autres régions.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Vu le calendrier, une CMP n'est pas possible. L'apport du Sénat a été pris en compte. En ce qui concerne les risques de déport de trafic, le comité de concertation mis en place permettra aux collectivités de s'emparer du sujet rapidement si elles le souhaitent. Le Sénat a joué son rôle en écoutant les uns et les autres.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - L'amendement COM-5 vise à rétablir l'article 1er bis A inséré au Sénat afin d'intégrer les véhicules de plus de 2,5 tonnes parmi les véhicules taxables sous réserve de la révision de la directive Eurovignette. Si je n'y suis pas opposé sur le principe, puisque je vous avais proposé un avis de sagesse en séance publique, je vous ai expliqué que je vous propose un vote conforme du projet de loi dans les deux chambres, qui est l'unique option possible pour conserver certains apports du Sénat. Avis défavorable.
M. Olivier Jacquin. - Je comprends le pragmatisme de M. Mandelli qui craint que l'Assemblée nationale en CMP ne démonte les amendements que nous pourrions adopter aujourd'hui. Mais nos amis alsaciens savent qu'ils ont dû fait preuve d'une ténacité admirable pour en arriver là aujourd'hui, en avançant pas à pas. Si le Sénat prévoyait la possibilité de mettre en place automatiquement la même taxe sur l'A 31 en cas de report de trafic, cela constituerait une avancée. Si M. Tabarot a obtenu un vrai compromis en CMP lors de l'examen de la loi « Climat et résilience », c'est bien parce que les échanges avaient été intenses dans les deux chambres auparavant. Enfin, dire que l'on manque de temps n'est pas un argument recevable : il ne faut que quelques jours pour réunir une CMP, rien ne l'empêche.
L'amendement COM-5 n'est pas adopté.
L'article 1er bis A demeure supprimé.
Article 1er ter (Supprimé)
L'article 1er ter demeure supprimé.
Article 1er quater (Supprimé)
L'article 1er quater demeure supprimé.
Articles 1er quinquies, sexies et septies
Les articles 1er quinquies, sexies et septies sont successivement adoptés sans modification.
Article 1er octies (Supprimé)
L'article 1er octies demeure supprimé.
Article 1er decies
L'article 1er decies est adopté sans modification.
Article 1er undecies (Supprimé)
L'article 1er undecies demeure supprimé.
Article 1er duodecies (Supprimé)
L'article 1er duodecies demeure supprimé.
Article 1er terdecies A (nouveau)
L'article 1er terdecies A est adopté sans modification.
Article 1er terdecies B (nouveau)
L'article 1er terdecies B est adopté sans modification.
Article 1er quaterdecies
L'article 1er quaterdecies est adopté sans modification.
Article 1er sexdecies
L'article 1er sexdecies est adopté sans modification.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - L'amendement COM-4 vise à rétablir la rédaction du Sénat pour prévoir la remise d'un rapport d'étape au Parlement dans un délai de deux ans après la mise en oeuvre de la taxe. Sur le fond, je n'y suis évidemment pas opposé puisque ce rapport d'étape a été adopté à mon initiative. Toutefois, au fur et à mesure de nos échanges avec le rapporteur de l'Assemblée nationale, nous sommes parvenus à une position d'équilibre concernant la question du bilan de la taxe. Si l'Assemblée nationale avait initialement supprimé le rapport d'étape adopté au Sénat, elle a, en séance publique, en contrepartie, réduit le délai de remise de rapport du Gouvernement au Parlement de 5 à 3 ans. Cet équilibre me semble acceptable. De plus, une telle modification mettrait à mal la stratégie de vote conforme que je vous propose. Avis défavorable.
L'amendement COM-4 n'est pas adopté.
L'article 1er septdecies est adopté sans modification.
Après l'article 1er septdecies
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Les amendements COM-3, COM-2 et COM-1 rectifié visent à vise à instituer une taxe sur l'A 31 en fonction des conclusions du rapport pour les amendements COM-2 et COM-1 rectifié et du rapport d'étape pour l'amendement COM-3. De même qu'en première lecture, que ce soit en commission ou en séance publique, je vous proposerai un avis défavorable. Outre que l'amendement COM-3 est devenu sans objet dans la mesure où l'amendement COM-4 n'a pas été adopté, je rappelle que la loi « Climat et résilience » prévoit déjà la possibilité pour les régions volontaires de mettre en place cette taxe. Il appartiendra donc à la région Grand Est de s'en saisir une fois que les routes lui auront été transférées, si elle le souhaite. Ensuite, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation, il semble en effet important pour la région, si elle est volontaire, et comme l'a fait la Collectivité européenne d'Alsace, de prendre le temps d'élaborer son dispositif en co-construction avec les services de l'État ; une telle démarche doit s'inscrire dans un calendrier défini, pour en garantir le succès. En outre, ces amendements ne respectent pas l'article 34 de la Constitution : il n'est pas constitutionnel de fixer par décret le régime et les conditions d'application d'une taxe. Un certain nombre de modalités relèvent du domaine de la loi, comme l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement. Enfin, et comme je l'ai déjà indiqué, je vous propose d'adopter un texte conforme à celui de l'Assemblée nationale.
Les amendements COM-3, COM-2 et COM-1 rectifié ne sont pas adoptés.
Article 1er octodecies
L'article 1er octodecies est adopté sans modification.
Article 1er novodecies
L'article 1er novodecies est adopté sans modification.
Article 2 bis (Supprimé)
L'article 2 bis demeure supprimé.
Article 4
L'article 4 est adopté sans modification.
Article 5
L'article 5 est adopté sans modification.
Le projet de loi est adopté sans modification.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Proposition de loi visant à permettre l'implantation de panneaux photovoltaïques sur des sites dégradés - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Jean-François Longeot, président. - Nous passons maintenant à l'examen du rapport de Jean-Claude Anglars sur la proposition de loi visant à permettre l'implantation d'installations photovoltaïques sur des sites dégradés, conformément aux articles 47 ter à 47 quinquies de notre Règlement. C'est une première pour la commission. Ce cadre d'examen - inédit jusqu'à présent - explique que nous accueillions, en réunion plénière, le Gouvernement, que je salue, ainsi que des sénateurs d'autres commissions, auxquels je souhaite la bienvenue. Je vous indique que la procédure de législation en commission (LEC) prévoit que le droit d'amendement s'exerce uniquement en commission, la séance publique étant centrée sur les explications de vote et le vote sur l'ensemble du texte adopté par la commission.
Cette proposition de loi, déposée par notre collègue Didier Mandelli et plusieurs de ses collègues, reprend in extenso l'article 102 de la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021, qui a été censuré par le Conseil constitutionnel comme cavalier législatif. Cet article avait été introduit par Didier Mandelli et d'autres collègues en commission en première lecture, avant de faire l'objet d'une rédaction de compromis lors de la commission mixte paritaire (CMP) du 12 juillet 2021. C'est cette rédaction qui vous est proposée aujourd'hui.
Vous l'aurez compris : ce texte est consensuel politiquement, puisqu'il a déjà été adopté par les deux chambres. J'ajouterais qu'il est équilibré dans sa rédaction, qui a été travaillée en collaboration avec les services du ministère de la transition écologique lors de l'examen de la loi « Climat et résilience ».
Cela m'amène à exposer le contexte d'examen très particulier de cette proposition de loi : il s'agit de donner une chance d'aboutir à ce dispositif, qui est attendu par de nombreuses communes littorales, sur un sujet sur lequel le législateur a, à de nombreuses reprises, tenté d'avancer ces dernières années, en vain. Je citerai par exemple la proposition de loi relative au développement durable des territoires littoraux, dite Vaspart, adoptée par le Sénat en 2018, qui comportait un article prévoyant la possibilité d'implanter des installations photovoltaïques sur des sites dégradés à distance des habitations dans les communes littorales, mais qui n'a pas été reprise par l'Assemblée nationale. Avec la loi « Climat et résilience », nous avons été très près d'aboutir, mais c'était sans compter la censure du Conseil constitutionnel.
Notre objectif est clair : permettre à ce texte d'entrer en vigueur afin d'apporter une solution à de nombreuses communes littorales porteuses de projets photovoltaïques qui se trouvent dans une impasse, faute d'avoir pu faire évoluer la loi « Littoral ».
Madame la ministre, êtes-vous toujours prête à nous soutenir dans notre démarche pour faire aboutir ce dispositif ? Malheureusement, le calendrier parlementaire ne permettra pas un examen à l'Assemblée nationale avant la suspension des travaux parlementaires. J'espère toutefois vivement que le Gouvernement qui sera en exercice à l'été prochain se saisira de la question sans attendre. Comme le rappellera sans doute le rapporteur, ce texte est parfaitement cohérent avec les engagements en faveur de la transition énergétique pris par la France et il importe qu'il puisse enfin porter ses fruits.
M. Didier Mandelli, auteur de la proposition de loi. - Merci d'avoir inscrit cette proposition de loi à l'ordre du jour de notre commission. Oui, avec cette proposition de loi, on touche à la loi « Littoral », à laquelle nous sommes tous attachés. Néanmoins, ce texte est de bon sens. Il est le fruit d'un long cheminement : le sujet a déjà été abordé dans la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte, dans la loi pour l'économie bleue, dans la proposition de loi relative au développement durable des territoires littoraux, et enfin, dernièrement, dans la loi Climat et résilience. J'avoue ma surprise quand j'ai appris que le Conseil constitutionnel avait considéré que cette disposition était un cavalier législatif, que l'on ne pouvait pas considérer qu'il y avait un lien entre l'implantation de panneaux photovoltaïques et le projet de loi Climat... Cette décision est pour moi un mystère ! Un simple tour de France des littoraux montre que cette proposition de loi est justifiée pour bon nombre de sites qui n'ont plus d'usage aujourd'hui et qui pourraient ainsi être mis en valeur : dans le Finistère, en Charente-Maritime, en Vendée, etc. À l'île d'Yeu, un parc photovoltaïque pourrait ainsi être installé sur une ancienne décharge et pourrait produire le tiers des besoins en électricité de l'île, ce qui n'est pas rien. Cette proposition de loi est simple. Elle reprend une disposition que nous avions adoptée lors de la loi Climat et résilience et qui faisait l'objet d'un large consensus. J'espère qu'elle prospérera et permettra de développer les énergies renouvelables sur tout le territoire, tout en valorisant des sites dégradés ou abandonnés.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Il me revient à présent de vous présenter mon rapport sur cette proposition de loi qui, comme cela a été dit, répond à une demande formulée de longue date par les élus du littoral.
La loi « Littoral » de 1986 qui encadre les conditions d'aménagement et d'occupation des sols dans les quelque 1 200 communes littorales que compte notre pays freine le déploiement de l'énergie photovoltaïque dans de nombreux territoires.
En effet, en application du code de l'urbanisme, les « extensions de l'urbanisation » - c'est-à-dire les constructions nouvelles - ne sont autorisées sur le territoire des communes littorales qu'à proximité des « agglomérations et villages existants ».
Si des dérogations à ce principe ont été accordées par le législateur - notamment pour les cultures marines et les activités agricoles et forestières -, aucune dérogation spécifique n'est prévue s'agissant des installations nécessaires à la production d'électricité à partir de l'énergie radiative du soleil à ce jour.
En outre, le juge administratif rappelle régulièrement qu'il considère les installations photovoltaïques comme une « extension de l'urbanisation » qui n'est permise, sur le territoire des communes littorales, qu'en continuité des constructions existantes.
Or, les collectivités littorales sont de plus en plus nombreuses à vouloir porter des projets d'édification de panneaux solaires sur leur territoire à distance des habitations, afin de favoriser leur acceptation sociale. Du fait de la loi « Littoral », elles se trouvent toutefois dans une impasse juridique.
Afin de mieux appréhender ces difficultés, je me suis rendu, il y a quelques jours à peine, à l'île d'Yeu, avec mon collègue Didier Mandelli. Cette commune s'est engagée d'une démarche de transition écologique intéressante : elle possède un vaste parc de véhicules électriques et a lancé une expérimentation d'autoconsommation collective d'énergie photovoltaïque à l'échelle d'un quartier. Depuis près de dix ans, elle appelle de ses voeux un projet de création d'un parc photovoltaïque qui permettrait de fournir environ 30 % de la consommation électrique de la population. Ce projet se heurte toutefois à des freins juridiques, notamment liés à la loi « Littoral ».
Le cas particulier de l'île d'Yeu est emblématique des difficultés rencontrées par de nombreux territoires littoraux.
À l'heure où la France affirme ses ambitions en matière de transition énergétique, nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation. Rappelons qu'en 2015, avec la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte, nous avons inscrit dans notre droit l'objectif de porter à 40 % d'ici à 2030 la part des énergies renouvelables dans notre production d'électricité. Aujourd'hui, les énergies renouvelables constituent environ 20 % de notre mix énergétique : il reste donc beaucoup de chemin à parcourir.
La loi Climat et résilience du 22 août 2021 avait prévu la déclinaison au niveau régional des objectifs de développement des énergies renouvelables définis au niveau national, afin d'ancrer la transition énergétique au niveau local.
Il est donc essentiel de permettre à tous les territoires d'exploiter leur potentiel de production d'énergies renouvelables, y compris s'agissant des territoires littoraux. J'ajouterais que cette exigence est renforcée dans les régions insulaires, qui sont souvent fortement dépendantes des énergies fossiles importées du continent.
Dès 2015, le législateur s'est d'ailleurs inscrit dans cette démarche puisqu'il a introduit une dérogation à la loi « Littoral » pour permettre l'implantation d'éoliennes à distance des villes et villages. Cette dérogation a été limitée aux éoliennes en raison des nuisances associées à ces installations, à la fois sonores et visuelles, qui ne permettent pas une implantation à proximité immédiate des habitations. Si les panneaux solaires génèrent moins de nuisances, leur impact paysager peut malgré tout gêner les riverains. Une évolution de la loi « Littoral » serait donc opportune.
C'est l'objet de l'article unique de cette proposition de loi qui vise à permettre l'implantation des installations photovoltaïques en discontinuité des constructions existantes au sein de communes littorales. Afin de ne pas empiéter sur les sols agricoles, constructibles et, bien sûr, sur les surfaces naturelles, cette dérogation ne s'appliquerait qu'à des friches - c'est-à-dire à des sites qui ne sont plus exploités - dont la liste sera fixée par décret.
Dans un souci de respecter l'impératif de protection de l'environnement qui sous-tend la loi « Littoral », la dérogation est encadrée de manière stricte : d'une part, les projets seront autorisés au cas par cas par l'autorité compétente de l'État, sur la base d'une étude d'incidence démontrant notamment que le projet ne porte pas atteinte à l'environnement ou aux paysages ; et, d'autre part, la commission départementale de la nature, des paysages et des sites sera consultée avant toute autorisation.
Si le recensement des friches concernées n'a pas encore débuté, une vingtaine de sites pourraient bénéficier du dispositif, selon les informations transmises par le ministère de la transition écologique.
J'approuve pleinement ce dispositif, qui constitue, tel qu'il est rédigé, un point d'équilibre satisfaisant entre les objectifs de développement des énergies renouvelables et de protection des milieux littoraux. Surtout, ce texte répond à une demande récurrente et légitime d'élus du littoral, qui sont nombreux à vouloir engager leur commune dans une démarche de transition écologique et à se trouver freinés par un cadre législatif trop rigide.
J'en viens à présent à la question de la stratégie à adopter pour l'examen de ce texte, à laquelle nous avons réfléchi, avec mon collègue Didier Mandelli.
J'ai conscience que l'objet de ce texte est très circonscrit, et que certains acteurs auraient souhaité aller plus loin pour favoriser plus largement le déploiement des activités favorables à la transition écologique en zone littorale.
Je pense toutefois que nous pouvons voir ce texte comme une première étape dont nous devons nous satisfaire, et qui pourra être suivie d'évolutions ultérieures.
Aussi, compte tenu de l'enjeu que revêt cette proposition de loi pour de nombreux territoires en attente de solutions, nous vous proposons, de manière pragmatique et responsable, de préserver l'équilibre de la rédaction qui a été trouvé avec les députés et le Gouvernement dans le cadre de l'examen du texte Climat et résilience. De cette manière, nous mettons toutes les chances de notre côté pour mener ce texte au terme de la navette parlementaire.
Madame la ministre, je m'associe au président Longeot pour vous demander à mon tour l'inscription de ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. J'ai conscience que le calendrier parlementaire est très chargé et rend sans doute difficile un examen par la chambre basse avant la suspension des travaux. Et en tout état de cause, on peut espérer que la prochaine législature nous permette enfin d'aboutir.
Bien sûr, nul ne peut connaître l'issue de l'élection présidentielle prochaine : dans l'hypothèse où la majorité sénatoriale se trouverait confortée au sommet de l'État français en mai prochain, les conditions d'une inscription de la proposition de loi de Didier Mandelli à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale seraient plus faciles à réunir. Mais si votre majorité devait être renouvelée, je souhaiterais avoir l'assurance, madame la ministre, que le Gouvernement fera le nécessaire pour avancer sur ce sujet et soutenir l'évolution de bon sens que nous proposons. Vous l'aurez compris, il s'agit de mettre les actes en cohérence avec les objectifs et de permettre aux régions littorales de contribuer au déploiement des énergies renouvelables dans notre pays.
Il me revient de proposer à la commission le périmètre indicatif à la proposition de loi n° 40 (2021-2022) en application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents. Je vous propose d'inclure dans le périmètre du texte que nous examinons les dispositions relatives à l'adaptation des règles d'urbanisme applicables en zone littorale en vue d'y favoriser le développement des activités économiques.
La commission approuve la proposition du rapporteur.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. - Cette proposition de loi qui vise à permettre l'implantation d'installations photovoltaïques sur des sites dégradés reprend l'article 102 de la loi Climat et résilience, qui a été censuré comme cavalier législatif par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 2021. Il ne m'appartient pas de commenter les décisions du Conseil constitutionnel. Cet article avait été introduit par un amendement de M. Mandelli en commission au Sénat, puis avait été maintenu en CMP dans une rédaction qui convenait au Gouvernement et qui a été reprise dans cette proposition de loi.
Toute dérogation à la loi « Littoral » doit être soigneusement soupesée. La dérogation proposée me semble tout à fait justifiée. La possibilité d'installer des installations photovoltaïques sur des friches dans des communes littorales est utile, et s'accompagne des garde-fous nécessaires. L'installation de sources d'énergie renouvelable constitue un motif d'intérêt général. Si nous voulons atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050, nous devons développer massivement les énergies renouvelables - les énergies fossiles représentent encore 63 % de la consommation d'énergie finale en France. En outre, la rédaction prévoit que les autorisations d'implantations seront accordées à titre exceptionnel, après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. De plus, la dérogation ne sera possible que si le projet s'avère plus avantageux qu'une opération de renaturation. Enfin, ultime protection, le Gouvernement définira par décret la liste des friches dans lesquelles des autorisations pourront être délivrées : on estime qu'une vingtaine de sites sont concernés.
La rédaction est donc équilibrée et le Gouvernement y est favorable. Quant à l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, je me garderai de tout pronostic, mais je ne doute pas que la future majorité, quelle qu'elle soit, aura à coeur d'adopter ce texte rapidement.
M. Jean-François Longeot, président. - Je regrette que le Gouvernement n'ait pas choisi d'engager la procédure accélérée, cela aurait peut-être permis d'envisager une adoption définitive de ce texte avant fin de la session.
M. Joël Bigot. - Je remercie Didier Mandelli pour son initiative. Nous souhaitons tous développer le photovoltaïque et les énergies renouvelables, mais il paraît tout aussi important de garantir l'acceptabilité sociale des projets d'installation de centrales photovoltaïques, d'éoliennes, de méthaniseurs, etc.
Lorsque j'étais maire, j'ai été confronté à la difficulté de construire une centrale solaire sur un site pollué. En tant que vice-président de la commission d'enquête du Sénat sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols qui ont accueilli des activités industrielles ou minières, j'ai plaidé pour trouver des solutions afin de pouvoir redonner une vie à ces sites pollués.
L'implantation de parcs photovoltaïques est interdite dans la bande littorale des 100 mètres ; dans les autres parties des territoires des communes littorales, l'implantation est soumise au principe de continuité avec les zones déjà urbanisées. Les constructions en discontinuité sont donc interdites, y compris sur des surfaces déjà artificialisées. La jurisprudence administrative est constante et interprète de manière restrictive la notion de continuité. Cette proposition de loi permettra des dérogations pour faciliter l'implantation de panneaux photovoltaïques ; c'est conforme à l'objectif de neutralité carbone, mais on peut regretter l'absence d'étude d'impact pour déterminer les sites concernés. L'Agence de la transition écologique (Ademe) identifie une vingtaine de sites. Un décret définira le périmètre. Nous souhaiterions donc connaître les sites déjà identifiés ou qui sont à l'étude. Il convient, en effet, malgré tout, que les dérogations soient limitées.
Nous déposerons deux amendements pour prévoir que les projets devront obtenir l'accord préalable de l'ECPI ou de la commune - il est normal que la démocratie locale puisse s'exprimer sur ce type de projets qui ne sont pas sans impact sur les paysages -, et que le Conservatoire du littoral devra être consulté avant la rédaction du décret définissant la liste des friches éligibles.
Nous sommes favorables, par principe, à l'installation de parcs photovoltaïques dans les sites qui peuvent les recevoir. À l'île d'Yeu, par exemple, ces équipements contribueraient à améliorer le mix énergétique, tout en renforçant l'autonomie énergétique du territoire.
M. Jacques Fernique. - Le groupe écologiste avait soutenu l'amendement qui introduisait ce dispositif dans loi Climat, avant qu'il ne soit censuré de manière déconcertante par le Conseil constitutionnel. Nous confirmons notre soutien aujourd'hui : les dérogations sont encadrées de manière satisfaisante et les garanties - avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, et réalisation d'études d'incidence pour s'assurer que les enjeux de protection de l'environnement sont bien pris en compte - semblent suffisantes.
M. Frédéric Marchand. - Le groupe RDPI soutient cette initiative : cette dérogation constitue une avancée au regard des enjeux de la transition énergétique, mais il faut veiller à ce que cette exception n'ouvre pas la porte à d'autres dérogations qui pourraient porter préjudice à la biodiversité et à nos paysages. Il conviendra donc d'en rester à l'équilibre trouvé dans ce texte.
M. Michel Canévet. - Je remercie le rapporteur d'avoir souligné que d'autres adaptations à la loi « Littoral » étaient à envisager. Chacun est attaché à la protection de notre littoral, mais cette loi, faute de décret depuis son adoption en 1986, est source de certaines incohérences, qu'il nous faut résoudre.
Ainsi, avec la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, nous avons voulu stimuler le développement du numérique. L'application de cette loi ne pose de problème nulle part, sauf dans les communes littorales, dans la mesure où les antennes ne peuvent être installées qu'à côté des maisons. Mais qui accepterait l'installation d'une antenne juste à côté de chez soi ? Ne vaudrait-il pas mieux les installer là où leur couverture du territoire est maximale ?
De même, la notion de hameau et de village est très restrictive dans certains territoires. À l'heure où l'on promeut la sobriété foncière, il serait judicieux de permettre la construction dans certains secteurs, de manière évidemment contrôlée, pour limiter la consommation du foncier.
On peut aussi relever des incohérences au regard de l'ambition de transition énergétique : la commune de Fouesnant, par exemple, abrite une ancienne décharge désaffectée. Celle-ci n'est pas à proximité des habitations. Aucune culture n'y est possible. Le terrain se prête donc parfaitement à l'installation de panneaux photovoltaïques, mais comme ce dernier n'est pas en continuité de la zone urbanisée, cela n'est pas possible. Pourtant, dans la commune riveraine Saint-Évarzec, située à 200 mètres, en zone rétro-littorale, c'est parfaitement possible ! J'ai été maire d'une commune située à 300 mètres de la mer : je pouvais mener des opérations d'urbanisme quand les communes littorales ne pouvaient rien faire. Il est temps de faire prévaloir le bon sens et de ne plus être soumis à l'arbitraire des tribunaux.
M. Daniel Laurent. - Je remercie Didier Mandelli pour son initiative. Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité des lois relatives à la transition énergétique, au développement durable des territoires littoraux, ou Climat et résilience. Le Sénat a adopté à chaque fois cette disposition, sans succès, en dépit des engagements de certains ministres. En 2020, la ministre indiquait, en réponse à une question, que dans les communes littorales, qui subissent une pression foncière accrue tout en étant soumises au risque d'évolution du trait de côte, la réalisation d'ouvrages de production d'énergie solaire en discontinuité du bâti devait être limitée, afin de ne pas accroître davantage le mitage du territoire, et que dans les sites dégradés isolés la priorité devait être donnée à la renaturation des sols. Mais je précise qu'il n'a jamais été question de détricoter la loi « Littoral » ni d'artificialiser des terres agricoles. Dans l'île d'Oléron, des projets de centrale en zone dégradée, qui ont pourtant reçu un avis favorable de la commission départementale de la nature et des paysages, sont bloqués, en dépit de leur intérêt pour l'autonomie énergétique de l'île. La jurisprudence administrative - décisions du tribunal administratif de Montpellier en 2011 ou de la cour administrative d'appel de Bordeaux en 2013 - considère les centrales photovoltaïques comme une forme d'urbanisation. J'espère donc que ce texte prospérera et que les députés le voteront avec bon sens.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE SELON LA PROCÉDURE DE LÉGISLATION EN COMMISSION
M. Michel Canévet. - Le mot « friche » est restrictif. L'objet de l'amendement COM-5 rectifié est d'élargir le dispositif de la présente proposition de loi aux espaces déjà artificialisés, anciennes carrières, ouvrages de prélèvement exploitant une ressource en eau, décharges ou anciennes décharges. Plusieurs projets dans différents territoires en France sont aujourd'hui bloqués. Ainsi à Goulien, sur la presqu'île du Cap Sizun, on a pu installer des éoliennes sur un terrain situé en partie sur l'actuel périmètre de captage, mais pas de panneaux photovoltaïques. Les élus ont du mal à comprendre...
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Je demande le retrait de cet amendement, sinon j'émettrai un avis défavorable, car il est déjà satisfait : le terme de « friche », tel qu'il est défini à l'article L. 111-26 du code de l'urbanisme, permet déjà de couvrir des sites tels que d'anciennes décharges ou carrières, dans la mesure où ces espaces ne font plus l'objet d'une utilisation et qu'ils nécessitent des aménagements en vue d'un réemploi.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Même avis.
L'amendement COM-5 rectifié est retiré.
M. Joël Bigot. - L'amendement COM-3 vise à prévoir l'accord de l'EPCI ou de la commune concernée avant l'implantation du parc photovoltaïque, par parallélisme des formes avec l'implantation d'éoliennes.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Je partage bien sûr l'objectif d'associer la collectivité à la décision relative à l'implantation de panneaux photovoltaïques sur des friches situées sur son territoire. Cependant, l'amendement me semble déjà satisfait : les installations photovoltaïques sont soumises à l'obtention d'une autorisation d'urbanisme. Il revient donc au maire de les autoriser ou non. Avis défavorable.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Même avis pour les mêmes raisons. L'EPCI devra se prononcer sur l'autorisation d'urbanisme. Il ne semble pas nécessaire qu'elle se prononce aussi sur l'octroi de la dérogation en amont.
L'amendement COM-3 n'est pas adopté.
M. Michel Canévet. - Il convient de préciser que des friches situées dans des zones classées « espace naturel » peuvent être concernées. C'est l'objet de l'amendement COM-6 rectifié.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Retrait sinon avis défavorable, car cet amendement est déjà satisfait. La loi n'interdit pas la réalisation d'équipements dans le périmètre d'un site classé ; en effet, l'article L. 341-10 du code de l'environnement prévoit que les sites classés peuvent être modifiés sur autorisation spéciale de l'autorité compétente.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Même avis.
L'amendement COM-6 rectifié n'est pas adopté.
M. Jacques Fernique. - L'amendement COM-2 rectifié prévoit que l'étude d'incidence démontre bien que le projet d'implantation de panneaux photovoltaïques sur les friches n'est pas de nature à porter atteinte à la biodiversité.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Il me semblait que la rédaction actuelle précisant que le projet ne devait pas être de nature à porter atteinte à l'environnement était suffisante. Je demande l'avis du Gouvernement.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Le dispositif prévoit déjà que l'étude d'incidence concerne l'ensemble des atteintes à l'environnement ou aux paysages, ce qui semble inclure la biodiversité. Toutefois l'ajout proposé apporte une précision qui montre que la protection de la biodiversité est un enjeu fondamental. Avis favorable.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Avis favorable.
L'amendement COM- 2 rectifié est adopté.
M. Joël Bigot. - Dans le souci de renforcer l'acceptabilité sociale des projets, l'amendement COM-4 vise à prévoir la consultation préalable du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres sur le décret fixant la liste des friches éligibles au dispositif.
L'amendement COM-4, accepté par le rapporteur et le Gouvernement, est adopté.
L'article unique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Je vous propose de déclarer irrecevable l'amendement COM-1 rectifié bis, qui vise à permettre l'implantation de panneaux photovoltaïques le long des routes, au titre de l'article 45 de la Constitution.
L'amendement COM-1 rectifié bis est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Je vous propose de déclarer irrecevable l'amendement COM-8 rectifié bis en application de l'article 45 de la Constitution compte tenu du périmètre que nous avons approuvé.
Mme Denise Saint-Pé. - C'est dommage ! Au nom de l'égalité entre les territoires, la même dérogation devrait être accordée aux zones de montagne, dans les mêmes conditions.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - J'entends le plaidoyer pour la montagne, mais cet amendement est irrecevable, nous examinons un texte portant sur les zones littorales. Je vous invite à rédiger une proposition de loi ad hoc.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - La situation de la montagne est un peu différente. Le code de l'urbanisme permet déjà d'implanter des panneaux photovoltaïques en discontinuité des zones urbanisées dans les zones relevant de la loi Montagne, sous réserve de la réalisation d'une étude préalable et après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. L'implantation doit être compatible avec le respect des objectifs de protection des terres agricoles, pastorales et forestières.
L'amendement COM-8 rectifié bis est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Intitulé de la proposition de loi
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - L'amendement COM-7 a pour objet de mettre l'intitulé de la proposition de loi en cohérence avec le dispositif de l'article unique, qui vise à permettre l'implantation de panneaux photovoltaïques sur des « friches ».
L'amendement COM-7, accepté par le Gouvernement, est adopté. L'intitulé de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Audition de M. Bernard Roman, président de l'Autorité de régulation des transports
M. Jean-François Longeot, président de la commission. - Nous avons le plaisir d'accueillir M. Bernard Roman, président de l'Autorité de régulation des transports (ART), afin d'évoquer le projet d'actualisation du contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau.
Comme vous le savez, le contrat de performance a pour objectif de mettre en oeuvre la politique de gestion ferroviaire du réseau et la stratégie de développement de l'infrastructure ferroviaire. Il doit notamment déterminer les objectifs de performance, de qualité et de sécurité fixés à SNCF Réseau, identifier des indicateurs de suivi adaptés ou encore définir la trajectoire financière du gestionnaire d'infrastructure.
L'actualisation de ce contrat, prévue tous les trois ans, intervient dans un contexte particulier. D'une part, le système ferroviaire connaît des mutations sans précédent, au premier rang desquelles l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs ou encore la perspective de transferts de petites lignes à certaines régions volontaires. Dans un tel contexte de concurrence, on comprend l'enjeu majeur que représente la signature du nouveau contrat de performance. D'autre part, nous nous sommes dotés dans la loi « Climat et résilience », à l'initiative du Sénat, d'objectifs ambitieux de développement de la part modale du transport ferroviaire, tant pour les voyageurs que pour les marchandises.
En dépit de ces enjeux fondamentaux, le projet de contrat semble, à première vue, décevoir un grand nombre d'acteurs. Usagers, régions et opérateurs ferroviaires ont ainsi publiquement fait part de ses insuffisances.
Sur la forme, d'abord, on ne peut que regretter un retard de près de deux ans. Sur le fond, ensuite, de nombreux acteurs pointent la vision strictement budgétaire de ce document, qui ne permettrait pas l'atteinte de nos objectifs ambitieux pour le ferroviaire. Plusieurs membres de cette commission ont d'ailleurs considéré que ce projet n'était pas à la hauteur des enjeux en matière de fret ferroviaire. Ils ont cosigné la proposition de loi de Philippe Tabarot tendant à améliorer la prise en compte du transport de marchandises dans le cadre des futurs contrats.
Dans le cadre de l'avis qu'elle doit rendre en application du code des transports, l'ART a conduit un travail d'instruction méticuleux sur ce document et en a délibéré hier, le projet de contrat lui étant soumis pour avis.
Monsieur le président, pourriez-vous nous faire part des principales conclusions de cet avis ? Estimez-vous, d'abord, que les orientations du contrat sont en adéquation avec les objectifs de développement du transport ferroviaire ? Les indicateurs de suivi, les prévisions en matière de développement et de modernisation du réseau, mais aussi en matière de tarification sont-ils, d'après vous, satisfaisants ?
Considérez-vous, ensuite, que les recommandations que votre autorité a formulées préalablement à l'élaboration du contrat ont été prises en compte ?
Enfin, je ne résiste pas à la tentation de vous interroger sur les conditions de l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs. Nous connaissons le rôle majeur que joue l'ART pour garantir que cette ouverture se déroule dans les meilleures conditions. D'après vous, ces conditions sont-elles désormais réunies pour permettre une concurrence équitable entre les différents opérateurs?
M. Bernard Roman, président de l'Autorité de régulation des transports. - Je suis toujours très heureux de répondre à l'invitation du Parlement. J'ai moi-même été longtemps parlementaire et me souviens que nous considérions alors les régulateurs avec une certaine perplexité, en doutant parfois de leur légitimité.
Le régulateur des transports a été créé par le Parlement, avec un certain nombre de pouvoirs, qu'il exerce, mais aussi avec un devoir, celui de rendre des comptes non pas au Gouvernement, non pas aux opérateurs, non pas aux régulés, mais au Parlement. C'est donc avec plaisir que je m'exprime aujourd'hui devant votre commission, avec la ferme volonté d'éclairer le débat public.
L'ouverture à la concurrence - je commencerai par là - constitue en effet le cadre dans lequel a été élaboré et sera contractualisé le contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau.
En 2018, l'ART avait publié une étude sur les problématiques que posait alors l'ouverture à la concurrence. Dans le cadre du débat parlementaire sur le nouveau pacte ferroviaire, elle avait été, à l'époque, particulièrement utile.
Quatre ans après, alors que l'ouverture à la concurrence est entrée dans une phase concrète - à la fois en ce qui concerne les services librement organisés puisque Trenitalia est entré sur le marché du TGV Paris-Lyon, mais aussi s'agissant des transports conventionnés avec un lot déjà attribué en région Sud -, nous avons souhaité actualiser cette étude, dont les résultats seront communiqués à la presse mercredi prochain.
En voici les trois enseignements principaux.
Le premier résulte d'un retour d'expérience à l'échelle européenne. Dans l'intégralité des pays qui ont ouvert leur marché ferroviaire à la concurrence - souvent depuis les années 1990, nous sommes les derniers à le faire -, ont été constatées une amélioration de l'offre, une augmentation du nombre d'usagers, une croissance de la part modale du ferroviaire par rapport aux autres modes de transport, une amélioration de la qualité de service et, enfin, une diminution des coûts.
Dans tous ces pays, l'opérateur historique obtient de meilleurs résultats qu'il n'en avait avant l'ouverture du marché. Ainsi, alors qu'en Allemagne, 40 % du marché conventionné est aujourd'hui géré par des entreprises alternatives, la Deutsche Bahn fait circuler plus de passagers et de trains au kilomètre qu'auparavant. L'accroissement de la part modale du ferroviaire a donc profité autant à l'opérateur historique qu'aux autres opérateurs.
Quelques chiffres supplémentaires : la demande a augmenté de 21 % en Allemagne et de 31 % en Suède ; l'offre s'est accrue de 7 % en Allemagne, de 18 % en Italie et de 16 % en Suède quand en France, elle diminuait de 4 % sur les dix dernières années. La France est donc le seul pays où la part modale du ferroviaire n'a pas progressé. Dans le cadre du contrat de performance et eu égard aux conclusions qui ont été tirées de la loi « Climat et résilience », ce constat est essentiel.
Le deuxième enseignement est qu'il existe, en France, un vrai capital pour accueillir les entreprises ferroviaires et ouvrir notre marché. Nous disposons en effet du deuxième réseau ferroviaire européen - 28 000 km de ligne, derrière l'Allemagne et ses plus de 40 000 km - et du deuxième réseau à grande vitesse - 2 600 km derrière l'Espagne et ses 2 800 km. Par ailleurs, notre réseau est l'un des moins « circulés » d'Europe : nous comptons 37 trains par jour et par kilomètre sur notre réseau, alors que la moyenne européenne avoisine les 45. Il convient toutefois de nuancer localement ce chiffre, qui est beaucoup plus élevé, par exemple en Île-de-France que dans d'autres régions.
Enfin, le troisième enseignement que nous tirons de cette étude est qu'il reste encore beaucoup à faire pour faciliter l'ouverture à la concurrence. Les péages ferroviaires sont en France les plus élevés d'Europe et sont plus de deux fois supérieurs à la moyenne européenne.
Le véritable problème tient dans la conclusion de notre étude, que nous avons écrite avant la communication du projet de contrat de performance. Nous écrivions en effet : « le contrat de performance doit être l'occasion de donner un véritable cadre stratégique pour le rail dans notre pays ».
Ce contrat de performance était particulièrement attendu. Le précédent ayant été rendu caduc par la loi pour un nouveau pacte ferroviaire qui a complètement modifié la donne, nous n'en avons plus depuis quatre ans.
Les enjeux du ferroviaire français sont aujourd'hui très bien identifiés : ouverture à la concurrence - nous l'avons vu -, mais aussi bouleversement du paysage des mobilités, prise de conscience environnementale ou encore attentes très fortes en matière de report modal sur le ferroviaire. Sachez que sur les 1 000 milliards de kilomètres parcourus en France en un an, seuls 10 % le sont en train, contre 86 % en véhicule à moteur. Or cette proportion est inchangée depuis dix ans.
Un point positif est tout de même à souligner : en reprenant la dette de SNCF Réseau à hauteur de 35 milliards d'euros, le Gouvernement a fait ce qu'aucun autre Gouvernement n'avait fait depuis des décennies. Il a ainsi considérablement diminué la charge des intérêts financiers de SNCF Réseau. En effet, en 2019, avant la reprise de dette, les frais financiers de SNCF Réseau s'élevaient à près de 1,5 milliard d'euros par an. En 2022, ils seront de 450 millions d'euros seulement.
Formidable ! C'était donc l'occasion rêvée d'assainir la santé financière de SNCF Réseau et de lancer une véritable politique industrielle de modernisation de cette infrastructure publique, qui doit permettre de répondre aux enjeux environnementaux et de transport modal.
Eh bien c'est une occasion manquée.
Tout d'abord, c'est en effet un contrat d'assainissement financier - on demande à SNCF Réseau d'atteindre un cash flow positif en 2024, très bien ! -, mais il est totalement dépourvu d'ambition industrielle. Passé les grandes ambitions génériques introductives du document, le projet de contrat ne se donne en effet aucunement les moyens industriels et financiers nécessaires à l'atteinte de ces objectifs pour les dix prochaines années.
Prenons l'exemple du fret ferroviaire. La partie 1 du contrat reprend l'objectif qu'a fixé la loi « Climat et résilience » : le doublement, à horizon 2030, de la part modale du fret ferroviaire. Or si l'on va au bout du document, on constate que, tant en termes de circulation assurée que de recettes de péage assurées, l'augmentation prévue n'est que de 20 % en 2030 !
Nous pourrions prendre d'autres exemples. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF, a déclaré qu'il voulait doubler la part des voyageurs dans les dix ans qui viennent. C'est un très bel objectif, mais aucune des décisions qui sont prises sur la régénération, l'amélioration ou la modernisation du réseau ne permet d'atteindre cet objectif. Ainsi, les objectifs restent fixés, mais les moyens font défaut. La logique financière a prévalu, sans être assortie d'une logique industrielle volontariste.
Vous allez prochainement auditionner le président-directeur général de SNCF Réseau, qui est partie prenante de ce contrat. N'attendez donc pas de lui qu'il le critique ! Plus qu'à un contrat, ce dernier ressemble d'ailleurs davantage à une feuille de route qui aurait été préparée par SNCF Réseau, sous le contrôle de l'État. Les engagements contractuels des uns et des autres ne sont pas tout à fait les mêmes. Il en résulte des situations industriellement pesantes pour l'avenir du réseau ferroviaire.
J'en viens à la régénération. Pendant toutes les années TGV, 1 milliard d'euros par an a donc été consacré à l'entretien du réseau. Devant le constat d'une détérioration rapide de l'ensemble du réseau, le précédent contrat de performance a porté cet effort à 3 milliards d'euros par an. Ainsi, lorsque je suis devenu président de l'autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), on me disait que 3 milliards d'euros par an pendant dix ans étaient nécessaires pour entretenir un réseau satisfaisant. Six ans plus tard, un audit public a conclu qu'il faudrait mobiliser 3,4 milliards d'euros par an pendant dix ans pour simplement améliorer le réseau là où il doit l'être.
Aujourd'hui, le projet de contrat de performance prévoit d'affecter les 2,8 milliards d'euros d'investissement consacrés annuellement à la régénération au seul réseau structurant, c'est-à-dire aux lignes UIC 2 à 4. Rien n'est prévu sur le reste. Cela signifie que les lignes 5 à 6 - structurantes régionales - et 7 à 9 - desserte fine du territoire - seront à la charge de l'État et des régions dans le cadre des contrats de plan État-régions (CPER).
La fiabilité du rail se mesure - vous le savez - grâce à un indice de consistance du réseau. Cet indice est de 100 lorsque la ligne est neuve, 10 étant le seuil d'alerte absolu. Dès le niveau 40 ou 45, on ralentit. Or le contrat de performance prévoit que l'indice de consistance des lignes 5 à 6, qui se situe aujourd'hui à 55, devrait être de 45 à l'issue de la période. En d'autres termes, on acte le vieillissement et la dégradation des lignes 5 à 6 dans un contrat de performance qui est finalement le contraire d'un contrat de performance !
Nous pouvons illustrer autrement le manque d'ambition de la France en matière de régénération. Vous savez que la directive européenne demande aux États membres, dans le cadre de l'ouverture du marché, de mettre en place un régulateur et de signer des contrats d'une durée de cinq ans minimum avec leur gestionnaire d'infrastructure. En France, il a été décidé d'établir ce contrat sur dix ans, afin de dégager des perspectives à long terme.
Dans ce cadre, la France consacrera donc 200 000 euros par kilomètre de ligne pour l'entretien de ses 28 000 km de réseau, en maintenant un niveau identique aux cinq années précédentes. En guise de comparaison, l'Allemagne a décidé de consacrer 270 000 euros par kilomètre de lignes pour 41 000 km de réseau ! Ainsi, l'Allemagne a augmenté son enveloppe de 50 % entre ses deux contrats, alors que nous en sommes au même niveau, celui du précédent contrat de performance.
S'agissant de la modernisation, nous comptons en France 2 200 postes d'aiguillage, dont certains, vieux d'un siècle, ressemblent à ceux que l'on peut voir dans un célèbre film avec Jean Gabin, qui sont restés dans la mémoire collective, où l'on utilisait des manches et des téléphones. Or il est possible de transformer ces 2 200 postes d'aiguillage en seulement 16 postes. C'est ce qu'a fait le président Lallemand en Belgique dans ses précédentes fonctions et c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles sa nomination a été très appréciée. Pour y parvenir néanmoins, il faut des moyens et ceux qui sont affectés à cette modernisation dans le cadre du contrat de performance ne permettront pas d'atteindre cet objectif avant 2040...
Il en va de même du système de signalisation interopérable européen (ERTMS). L'Allemagne vient de décider de le mettre en oeuvre totalement pour 2030 quand, en France, nous ne l'aurons mis en oeuvre en 2025 que sur le seul tronçon Paris-Lyon.
Les ressources financières constituent une autre impasse. Nous sommes en effet très perplexes sur le montant des péages, qui sont déjà en France les plus élevés d'Europe et dont il est prévu une augmentation de 50 % sur la durée du contrat. En la matière, le système français est particulier : à la différence d'autres pays où c'est l'État qui finance majoritairement le réseau, la France a choisi de faire reposer le coût total de l'infrastructure sur les utilisateurs. Pourtant, la réglementation européenne n'impose qu'une obligation : celle de faire payer le coût d'usage, c'est-à-dire le coût directement imputable à l'utilisateur, qui représente environ en France 20 % du coût du péage à peine.
Je le répète : nous sommes sceptiques et je le dis avec solennité, car aux termes de la loi, ce n'est pas le contrat de performance qui fixe le niveau des péages, mais l'ART. Si ces niveaux ne sont pas soutenables, l'ART ne les validera pas. Et pour que ces niveaux soient soutenables, SNCF Réseau doit entreprendre un véritable travail, afin d'adapter structurellement les péages à la capacité des opérateurs ferroviaires à les payer.
Le coût du péage représente de 15 à 40 % du coût de circulation d'un train. Si l'on ne prend pas en compte cette dimension, nous risquons de décourager les entreprises ferroviaires. En France, on organise depuis longtemps une sorte de malthusianisme ferroviaire : afin de payer moins de péages, l'opérateur historique préfère remplir les trains au maximum et en faire circuler moins, plutôt que d'ajouter des trains qui pourraient rendre de précieux services aux usagers.
Notre objectif - nous l'écrivons dans notre avis et nous le réécrirons au ministre - est de faire en sorte qu'il y ait une restructuration des péages sur le réseau français qui permette, d'une part, de tenir compte du marché aval et, d'autre part, de sortir de ce malthusianisme. Au-delà d'un montant de péage que l'on aurait accepté dans une région donnée, tous les trains supplémentaires qui pourraient être mis au service des citoyens pourraient l'être au seul coût directement imputable, 20 % de péage.
Enfin, ce contrat de performance manque d'indicateurs de performance industriels. Selon la réglementation, un monopole public se doit de fournir l'accès à l'infrastructure dans les meilleures conditions et au meilleur coût. Il ne peut pas y avoir de rente de monopole. Or les indicateurs prévus par le contrat de performance en termes de recherche de « productivité publique » - il ne s'agit pas de distribuer des dividendes, mais bien d'en faire plus au service du transport ferroviaire en France - ne sont pas satisfaisants.
On fixe ainsi à SNCF Réseau l'objectif de réaliser 1,9 milliard d'euros d'économies entre 2017 et 2030, mais il s'agit de valeur absolue ! Si SNCF Réseau ne parvient pas à mettre en oeuvre le programme qu'il s'est fixé, mais souhaite tout de même réaliser ces économies, il en fera simplement moins. Il entretiendra moins de kilomètres de lignes, au détriment du transport ferroviaire.
Le contrat de performance manque donc d'indicateurs permettant de mesurer l'efficience et l'efficacité du gestionnaire d'infrastructure. Si certaines de nos propositions ont été prises en compte, celles que nous avons formulées sur la consistance du réseau en 2030, sur la politique d'entretien, de régénération et de modernisation du réseau qui doit être mise en oeuvre, avec les moyens financiers nécessaires, ne l'ont pas été.
M. Philippe Tabarot. -Vous avez été très clair et très complet, notamment sur la question de la concurrence. Que pensez-vous des déclarations de l'ancien président de SNCF Réseau, Patrick Jeantet, qui regrette que SNCF Réseau soit une filiale du groupe SNCF ? Quel est votre avis sur la capacité du gestionnaire d'infrastructure à répondre, en toute indépendance, aux demandes des nouveaux entrants ?
Nous partageons sur le contrat de performance le même constat que vous et nous sommes malheureusement heureux de l'entendre : très bien sur la dette, très peu sur la régénération et surtout, rien sur la modernisation.
Nous l'avons souvent dit et nous savons, avec le président Nègre, combien cette modernisation est indispensable eu égard à l'excellence de la filière ferroviaire française. Avec nos collègues, nous avons rencontré plusieurs industriels français, qui font des merveilles à l'étranger et qui ne comprennent pas pourquoi ils ne sont pas en mesure d'en faire autant sur notre territoire.
Malgré les objectifs que les sénateurs - et particulièrement les membres de cette commission - ont souhaité inscrire dans la loi « Climat et résilience », force est de constater que le fret ferroviaire a été oublié dans ce projet de contrat de performance.
Enfin, il est regrettable que ce dernier soit aussi peu ambitieux que le précédent.
Pour ma part, je me demande comment éviter cet écueil dans le futur. En dehors des améliorations de court terme, faut-il détailler davantage dans la loi ce qui doit figurer dans le contrat de performance, afin de le rendre plus cohérent avec les objectifs de développement du train ? Faut-il contraindre l'État et SNCF Réseau à définir des indicateurs plus précis ? Comment peut-on, dans un contrat de performance, ne pas trouver d'indicateurs sur la qualité de service qui est offerte aux différents opérateurs, particulièrement en matière de fret ferroviaire ? En d'autres termes, si nos critiques ne sont pas entendues, doit-on recourir davantage au levier législatif ? J'ai déposé une proposition de loi en ce sens, faut-il aller plus loin ?
Enfin, puisque votre mandat à la tête de l'ART s'achève bientôt, permettez-moi, monsieur le président, de vous remercier sincèrement pour votre action durant toutes ces années. C'est un sénateur de droite qui le dit à un ancien député de gauche : sans vous, je n'aurais pas pu mettre en oeuvre l'ouverture à la concurrence dans ma région. Dans l'exercice de votre mission, vous avez été compétent, courageux et indépendant. Être indépendant, c'est ce que l'on demande à une autorité de régulation.
M. Bernard Roman. - Chacun sait que nous avions milité pour que le réseau soit confié à une structure totalement indépendante ; mais le Gouvernement et le Parlement ont fait un choix différent.
Le fait de conserver une holding SNCF était un signal social important. À la place du Gouvernement, j'aurais eu aussi cette problématique à l'esprit. La fin du monopole est une révolution très dure pour les cheminots. Les maintenir tous au sein d'une même entité était socialement très important.
Cela pose cependant des difficultés. Si vous l'interrogez, Luc Lallemand vous dira qu'il se sent indépendant, et c'est vrai qu'au quotidien, il semble pouvoir l'être. Mais sur les grandes politiques d'investissement, les ressources mêmes de SNCF Réseau proviennent des bénéfices de SNCF Voyageurs à hauteur d'un milliard d'euros - certes indirectement, puisqu'elles passent par l'État.
Si j'étais SNCF Voyageurs, en concurrence sur un sillon avec une entreprise X, je dirais à SNCF Réseau : « si tu veux des ressources, il vaut mieux que ce soit moi qui dispose du sillon... »
Le principe même de l'origine de cette ressource va à l'encontre de l'indépendance du gestionnaire d'infrastructure.
En outre, les fonctions mutualisées à la holding comme l'expertise juridique posent des difficultés.
Je pense que l'on vivra avec le rail ce qu'on a vécu avec l'électricité, c'est-à-dire la séparation entre un gestionnaire d'infrastructure et un distributeur. Il faut le temps pour pouvoir y arriver. C'est la fonction de l'ART d'être extrêmement vigilant à cet égard.
Quand Jean-Pierre Farandou est arrivé à la tête de la SNCF, il a nommé des directeurs régionaux pour l'ensemble du champ de la SNCF. Nous lui avons dit qu'il ne fallait, dans les fiches de postes, aucun lien hiérarchique avec les directions de SNCF Réseau. Nous y sommes très attentifs.
Merci à Philippe Tabarot pour ses propos très gentils. C'est une bonne chose qu'un ancien parlementaire préside d'une autorité de régulation, car il mesure le champ de la légitimité et les limites d'un pouvoir important qui lui a été délégué par le Parlement, mais aussi la nécessité de rendre des comptes et de s'en tenir à l'expertise. Grâce à des équipes très compétentes, c'est une mission passionnante au service de l'intérêt public.
Mme Martine Filleul. - Mes questions sont très pratiques et concernent les Hauts-de-France. Les relations conflictuelles qu'entretient SNCF Réseau avec ses partenaires posent des difficultés. Transdev vient de porter plainte contre SNCF Réseau pour manquement à ses obligations. Il y a deux ans, la région elle-même avait fait appel à l'ART, parce qu'elle ne réussissait pas à obtenir les informations nécessaires à la bonne marche du service public.
Le gendarme du ferroviaire peut-il jouer un rôle de médiation ? Ces conflits ne favorisent pas un bon service à l'usager. La situation se dégrade. Dans le sud de mon département du Nord, les usagers sont obligés de prendre le bus pour se déplacer.
La société d'exploitation des chemins de fer espagnols souhaite concurrencer l'Eurostar sur la liaison transmanche. Y a-t-il des critères d'appréciation différents, compte tenu des particularités de cette relation à haute valeur symbolique et diplomatique ?
Enfin, j'ai l'impression que le canal Seine-Nord Europe ne comptera que deux plateformes connectées au fer. Dès lors, je crains qu'il manque son objectif de diminution du trafic routier.
M. Olivier Jacquin. - Je salue, moi aussi, l'action de Bernard Roman. Jeune parlementaire en 2017, j'ai découvert le ferroviaire et son expérience m'a été d'un grand secours.
Je dénonce depuis 2020 le retard dans la signature du contrat de performance, que le Gouvernement nous avait promis dans la loi pour un nouveau pacte ferroviaire. Qu'arrivera-t-il si nous ne l'adoptons pas ? J'ai l'impression que cela ne changerait pas grand-chose...
Je remercie Contexte d'en avoir publié une version alpha en novembre ; nous avons pu constater qu'il n'y avait aucune prise en compte du paradigme post-covid qui impose une nécessaire prise en compte des contraintes environnementales.
Bien sûr, 35 milliards de désendettement, c'est beaucoup. Mais cela ne suffit pas. Nous n'avons pas de modèle économique pour le rail, notamment pour le fret et pour les petites lignes. Le Gouvernement compte sur les régions pour reprendre le réseau secondaire, sans financement.
Pour voter la loi d'orientation des mobilités, (LOM), nous avions les travaux du conseil d'orientation des infrastructures (COI) pour savoir quelles étaient les priorités. Là, nous les ignorons, mises à part des lignes très structurantes au niveau national. J'espère que l'audition de M. Lallemand nous permettra de mieux identifier les priorités de SNCF Réseau.
Il m'a déjà été répondu que SNCF Réseau n'était pas en mesure de dépenser plus, même si on lui octroyait un budget plus important. Pourtant, si l'on s'en tient à nos engagements climatiques, il manque un milliard d'euros. Quelle pourrait être une trajectoire d'augmentation du budget crédible ?
Enfin, quelles suggestions raisonnables pourrions-nous faire pour améliorer ce contrat de performance ?
M. Frédéric Marchand. - Revenons dans les Hauts-de-France. L'ouverture à la concurrence a été annoncée par le président de région en 2020 sur 20 % du réseau, mais cela prend plus de temps que prévu et a été reporté à fin 2024 ou début 2025. Le régulateur est intervenu à différentes reprises. La SNCF doit communiquer des informations à la région qui ne cesse de se plaindre de la volonté délibérée de ralentir le processus. L'ART peut-elle envoyer un signal ?
M. Jean-Michel Houllegatte. - Je m'associe aux hommages de Philippe Tabarot.
Le groupement national des transports combinés tire le signal d'alarme, parlant d'une qualité de service non maîtrisée. Les dépenses de SNCF Réseau ne sont pas en adéquation avec les attentes. Le taux de conformité des sillons est de 70 % seulement : 30 % des trains ne sont pas assurés à l'horaire annoncé. Ce serait à cause des travaux, puisque ces trains circulent la nuit. Sans doute, mais le transport combiné ne veut pas être une variable d'ajustement.
Les indicateurs existent pour le transport de voyageurs : sécurité, trafic, performance clients. Comment pourrait-on introduire dans le contrat de performance des indicateurs de qualité de service pour le fret ? Pour les voyageurs, le taux de retard de plus de six minutes ne doit pas dépasser 4 %. Mais rien n'est précisé pour le fret. Comment peut-on introduire un mécanisme de bonification ou de pénalisation lorsque les objectifs ne sont pas atteints ?
Mme Angèle Préville. - Je me joins au concert d'éloges pour M. Roman, dont l'exposé recoupe nos impressions sur le terrain. Les investissements seraient insuffisants et posent le problème de la masse critique de la SNCF. Sera-t-elle à la hauteur des enjeux ? Elle devrait pourtant s'inscrire dans la stratégie nationale bas carbone. L'attente sociétale est très forte. Tous nos concitoyens devraient pouvoir prendre le train, qui ne représente actuellement que 10 % des déplacements : c'est trop peu !
La France pratique les péages les plus élevés de l'Union européenne : ils sont plus de deux fois supérieurs à la moyenne. Est-ce lié au fait que l'État n'investit pas ?
Les investissements pour le doublement du fret ne sont pas réalisés. Le problème concerne-t-il le matériel ou les infrastructures ?
M. Ronan Dantec. - La question du développement du ferroviaire s'inscrit également dans un cadre européen, avec le New Green Deal et le paquet Fit for 55. Le ferroviaire est une des solutions pour atteindre nos objectifs. Quelles grandes mesures faudrait-il défendre au niveau européen ?
Les industriels du ferroviaire nous disent qu'il faut le faire entrer dans la taxonomie européenne pour avoir accès à des financements à des taux plus réduits. Qu'en pensez-vous ? Quelles priorités faudrait-il porter dans les discussions avec la Commission ?
M. Hervé Gillé. - Les grands enjeux du ferroviaire sont parfois percutés par certains choix politiques. Le Gouvernement a transmis au Conseil d'État une ordonnance relative à la relance des nouvelles LGV Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax. Cette dernière vise surtout les relations avec l'Espagne et le développement du fret ferroviaire avec ce pays pour éviter la thrombose routière de la métropole bordelaise. Mais cela semble illusoire au regard du temps nécessaire pour la construction de la ligne, des investissements et des difficultés techniques pour franchir la frontière.
Cela aura immanquablement un effet sur SNCF Réseau. Comment voyez-vous la relance de ce projet ? Il me semble impliquer un transfert de charges sur les régions. Or ce que les deux régions consacreront à la LGV, elles ne pourront pas le consacrer aux lignes secondaires...
M. Bernard Roman. - Madame Filleul, la situation du réseau dans la région Hauts-de-France est très mauvaise. Un besoin de travaux se fait sentir et le contrat de performance ne semble pas apporter de réponse suffisante. Je ne suis pas très optimiste quant à l'amélioration à court terme de la qualité du réseau, et donc de service, non pas pour les lignes structurantes, mais pour les lignes de desserte régionales, notamment dans le sud de la région. C'est la conséquence du retard d'investissements accumulé pendant 20 ans, qu'il est difficile de rattraper.
La région a eu le mérite d'être en pointe sur l'ouverture à la concurrence : elle a eu à affronter en premier la SNCF pour lui demander de lui fournir toutes les informations afin de pouvoir rédiger ses appels d'offres. La SNCF n'a pas répondu à ces demandes, que ce soit d'une manière volontaire, ou simplement parce qu'elle n'en avait pas les moyens en raison du découpage des lignes proposé. La région a alors saisi l'ART pour parvenir à un règlement du différend, car l'autorité dispose d'un pouvoir de sanction. Nous avons, dans une décision très détaillée, mis en demeure la SNCF de fournir les informations. La SNCF ne l'a pas fait et a déposé deux recours devant la Cour d'appel de Paris. Celui en référé a été rejeté. Celui au fond sera jugé en mars, mais les conclusions de l'avocat général vont dans le sens de notre position. Ce conflit a conduit la région à retarder d'un an l'ouverture à la concurrence, afin de permettre aux concurrents de répondre correctement aux appels d'offres. Bientôt, en mars, une jurisprudence existera. L'action de la région Sud a permis, quant à elle, de clarifier les règles concernant les transferts de personnels : la proposition de la SNCF relative au transfert d'ETP pour les lots ouverts à la concurrence était 35 % supérieure à notre estimation. Le recours a conforté la position de l'ART. Ces conflits permettent de bâtir une jurisprudence qui sera bénéfique à l'avenir.
Nous n'avons aucune compétence sur le canal Seine-Nord Europe, même si je partage à titre personnel votre analyse.
Monsieur Jacquin, en ce qui concerne la programmation des investissements, dans notre proposition d'avis, que j'adresserai à votre président cet après-midi, nous proposons qu'une liste des investissements très précise soit annexée au contrat de performance, avec les financements afférents. On ne peut pas annoncer, en effet, des investissements sans prévoir les financements : c'est contraire à l'esprit d'un contrat, et finalement cela contraint SNCF Réseau à réduire encore ses investissements. SNCF Réseau est incapable de porter ses investissements de 2,8 à 3,8 milliards en un an, mais c'est tout à fait possible si la hausse est progressive sur plusieurs années.
Monsieur Marchand, notre action constitue un signal pour la SNCF. Il faut encore attendre le jugement de la Cour d'appel. Si la SNCF ne fournit pas les éléments demandés, nous saisirons la commission des sanctions de l'ART. Les sanctions peuvent être très lourdes, pouvant aller jusqu'à 3 % du chiffre d'affaires de l'opérateur, 5 % en cas de récidive, voire l'interdiction de circuler sur le réseau. La commission, composée de magistrats, est indépendante du régulateur et jugera en droit.
M. Houllegatte, le transport combiné est l'un des grands perdants du manque de lisibilité et d'indicateurs. Sans un indicateur de bonus-malus, il est difficile de bien le faire fonctionner, car la différence entre le fret et le transport combiné, c'est que ce dernier a des horaires. Lorsqu'on livre un conteneur de primeurs par train, un camion l'attend sur le quai pour aller livrer les magasins dans la foulée. La ponctualité est donc essentielle, et nous avons besoin d'indicateurs très précis sur ce point.
Madame Préville, les péages sont les plus élevés en Europe, car le modèle français fait payer le coût complet de l'infrastructure par les utilisateurs. L'État contribue à hauteur de 2 milliards d'euros par le biais d'une redevance d'accès. Les péages rapportent 6 milliards d'euros, cela représente 90 % des recettes de SNCF Réseau, contre 40 ou 50 % dans d'autres pays. On peut faire payer cher des péages - c'est un choix - à condition qu'ils s'accompagnent d'un service de qualité, qu'ils soient répartis avec justice et qu'ils ne soient pas un frein au développement du rail et du nombre de trains - avec des péages deux fois moins chers, le nombre de trains pourrait être plus élevé.
Monsieur Dantec, tout ce que l'on peut faire dans le cadre du New Green Deal permettra d'avancer. Vous avez évoqué une piste. On pourrait mentionner aussi le train à hydrogène, mais nous n'en sommes qu'aux balbutiements et il ne faut pas attendre le New Green Deal pour avancer.
M. Ronan Dantec. - Ne faut-il pas ouvrir la question de l'accès au financement, notamment de long terme, avec l'Union européenne ?
M. Bernard Roman. - Oui, mais cela relève de l'Agence des participations de l'État ou de Bercy. Nous disons : « Investissez, vous économiserez ! ». Si on réalise les 16 centres de commande centralisés, cela coûtera beaucoup moins cher que de faire fonctionner les 2 200 postes d'aiguillage qui existent à l'heure actuelle.
Monsieur Gillé, je vous rassure, il est impossible que ce soit SNCF Réseau qui finance les LGV Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax. SNCF Réseau doit respecter des règles budgétaires et une règle d'or. Nous y veillons. Il faut éviter de reproduire les erreurs du passé où SNCF Réseau investissait massivement sur les lignes à grande vitesse en négligeant le reste du réseau. Cela nous a conduits à la situation invraisemblable dans laquelle nous sommes. Les parlementaires ont prévu une règle d'or, des ratios financiers précis, notamment de marge opérationnelle sur dette. Pour toutes les nouvelles lignes, SNCF Réseau pourra participer de manière limitée, mais ne pourra pas être le principal financeur. D'ailleurs la LGV Tours-Bordeaux est un partenariat public-privé et SNCF Réseau n'a pas participé au financement, mais je ne dis pas que c'est le modèle rêvé...
M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour la clarté de vos propos et de vos réponses. Je précise que la version provisoire du contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État peut être consultée sur Demeter.
M. Bernard Roman. - L'ART va transmettre au Parlement le projet d'avis dans les meilleurs délais.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
« L'ouverture du secteur ferroviaire, quel bilan ? » - Audition avec des nouveaux entrants
M. Jean-François Longeot, président. - Nous poursuivons cette matinée d'auditions consacrée au transport ferroviaire avec une table ronde réunissant de nouveaux entrants sur le marché du transport ferroviaire de voyageurs, afin d'entendre leur retour d'expérience sur l'ouverture à la concurrence.
Bientôt trois ans après l'entrée en vigueur de la loi pour un nouveau pacte ferroviaire, l'ouverture à la concurrence est devenue une réalité. Elle est possible pour les services conventionnés depuis décembre 2019 et a débuté pour les services non conventionnés en décembre 2020. De nouveaux opérateurs se sont dès lors positionnés pour assurer certaines liaisons TGV, TER ou TET, qui étaient jusqu'alors exclusivement assurées par la SNCF. Je suis heureux d'accueillir trois représentants de ces nouveaux entrants, à savoir Monsieur Roberto Rinaudo, directeur général de Trenitalia France, qui intervient depuis décembre dernier sur la ligne Paris-Lyon ; Monsieur Édouard Hénaut, directeur général France de Transdev, qui s'est vu attribuer, dans le cadre de l'appel d'offres de la région Sud, la ligne TER Marseille-Nice et Madame Alexandra Debaisieux, directrice générale de Railcoop, coopérative ferroviaire, qui a notamment pour ambition d'ouvrir une ligne Bordeaux-Lyon.
Pour l'heure, les opérateurs ferroviaires que vous représentez se sont donc positionnés sur des segments assez différents. Nous souhaiterions entendre, pour chacun d'entre vous, le bilan que vous tirez de ces premiers mois d'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire.
D'abord, cette évolution s'est déroulée dans un contexte particulier, celui de la crise sanitaire, avec des conséquences incertaines à long terme sur les comportements des usagers en matière de mobilité. Cette situation a-t-elle eu des répercussions sur vos choix de répondre ou non à des appels d'offres et, plus globalement, sur votre préparation à entrer sur le marché ?
Ensuite, nous aimerions vous entendre précisément sur la manière dont s'est déroulée pour vous, de façon très concrète, cette ouverture à la concurrence ? Quels points positifs et négatifs avez-vous identifiés tout au long de votre démarche ? Sur le plan juridique, estimez-vous que le cadre défini par la loi pour un nouveau pacte ferroviaire soit pleinement satisfaisant et facile à mettre en oeuvre ? D'un point de vue plus opérationnel, observez-vous en pratique des difficultés ? Estimez-vous que des barrières à l'entrée demeurent pour les nouveaux entrants ? Je pense notamment au sujet de la transmission des données.
Par ailleurs, nous venons d'entendre le président de l'Autorité de régulation des transports (ART) au sujet de l'actualisation du contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État. Ce contrat est par ailleurs critiqué par de nombreux acteurs du monde des transports, qu'il s'agisse des régions, des usagers ou encore d'entreprises ferroviaires. Pourriez-vous nous faire part de vos points de vue respectifs sur ce projet ?
Plus globalement, quel est l'état de vos relations avec le gestionnaire d'infrastructure ? Estimez-vous qu'il joue le jeu de la concurrence et travaille en toute indépendance avec chacun des opérateurs ?
Enfin, pourriez-vous nous donner des éléments sur vos pratiques et politiques commerciales respectives, du moins celle que vous envisagez de conduire ?
Les Français attendent de l'ouverture à la concurrence une certaine baisse des prix, ce qui pourrait d'ailleurs conduire à augmenter le nombre d'usagers du train et donc à faire grossir le marché. Qu'en est-il d'après vous concrètement ?
Mme Alexandra Debaisieux, directrice générale déléguée de Railcoop. - Railcoop est une entreprise coopérative, portée par des citoyens, des collectivités locales et des entreprises pour développer le ferroviaire sur le service librement organisé. Nous ne nous positionnons pas sur les délégations de service public.
Railcoop compte plus de 12 000 sociétaires, dont 25 collectivités. Contrairement aux propos tenus devant cette même commission, les collectivités qui investissent dans Railcoop le font sur leur budget d'investissement et ne nous versent pas de subventions.
Depuis la fin de l'année dernière, nous faisons rouler de premiers trains de fret. Nous allons ainsi opérer sur une première ligne de voyageurs à la fin de cette année sur la transversale Bordeaux-Lyon. D'autres lignes ont été notifiées à l'ART.
Un nouvel entrant comme nous, qui n'est pas adossé à des fonds d'investissement ou à un grand opérateur national ou européen, qui est donc un « pure player » dans le monde ferroviaire, est confronté à quatre principales barrières à l'entrée.
La première concerne l'accès au matériel roulant neuf ou d'occasion. Contrairement à l'aérien par exemple, le marché de la location ou de la revente n'est pas encore mature dans le secteur ferroviaire. Les acteurs capables de proposer du matériel roulant sont peu nombreux. En outre, nous éprouvons des difficultés à accéder aux financements.
Nous avons réussi à passer un contrat avec SNCF Voyageurs pour neuf rames X 72 500 grâce à l'appui de la région Auvergne-Rhône-Alpes, notamment. La difficulté de l'accès au matériel d'occasion ou neuf subsiste néanmoins. Le législateur pourrait se saisir de la possibilité d'ouvrir des mécanismes d'aide à l'investissement pour de nouvelles entreprises ferroviaires comme la nôtre.
Le deuxième obstacle auquel nous sommes confrontés est celui de la maintenance. Les centres de maintenance sont aujourd'hui essentiellement détenus par la SNCF. Ils ont été financés par les régions. Aujourd'hui, on se rend compte qu'il y a des problèmes d'accès, en termes de capacités, à ces technicentres.
La troisième difficulté que nous avons identifiée est celle de l'accès aux compétences. Avec l'ouverture du marché, nous avons besoin de conducteurs, d'opérateurs et de personnes formées au ferroviaire. Or cette ouverture n'a pas été suffisamment préparée sous cet angle. Il y a un enjeu de formation pour accompagner la croissance du marché.
La dernière difficulté porte sur la distribution des billets. Le refus de la SNCF d'ouvrir ses plateformes à de nouveaux opérateurs ferroviaires soulève une question quant à la possibilité d'un accès équitable au marché ferroviaire et à la commercialisation effective de services dans le but de promouvoir le transport ferroviaire et de faciliter la vie des voyageurs.
La question du financement est cruciale. Alors que nous sommes une entreprise de l'économie sociale et solidaire qui cherche à mettre le train au centre de la transition écologique, nous éprouvons des difficultés à mobiliser des investisseurs classiques. Nos financements sont aujourd'hui essentiellement portés par nos sociétaires, sur fonds propres. Aujourd'hui, aucune banque n'est au tour de table, même si nous discutons avec plusieurs d'entre elles. Il manque une capacité pour ces acteurs financiers à soutenir des projets ambitieux comme le nôtre.
M. Édouard Hénaut, directeur général France du groupe Transdev. - Transdev attendait cette réforme depuis longtemps. Notre expérience depuis vingt-cinq ans, en Suède et en Allemagne, nous conforte dans l'idée que la concurrence est positive pour le rail régional.
Transdev est un groupe franco-allemand. Nos actionnaires sont l'entreprise Rethmann et la Caisse des dépôts et consignations. Nous sommes devenus le premier opérateur privé sur les marchés conventionnés en Europe. En trains-kilomètres, nous exploitons l'équivalent de 40 % du réseau TER hors Île-de-France. Notre expertise ferroviaire est donc solide et complète.
Dans ces deux pays, l'ouverture à la concurrence a fait baisser les coûts pour les régions. Ces marges financières ont été réinjectées dans le développement du service public, avec + 25 % de trains-kilomètres en Allemagne entre 1996 et 2016. L'ouverture à la concurrence ne conduit pas à moins de services publics, mais à plus de services pour les usagers.
En France, le coût hors péages s'élève à 3,7 milliards d'euros pour 170 millions de kilomètres. En Allemagne, il atteint 5,5 milliards d'euros pour 635 millions de kilomètres. On peut donc développer l'offre et continuer à proposer un service sur des lignes de desserte fine.
Düsseldorf par exemple, alors que l'opérateur en monopole envisageait la fermeture d'une ligne transportant 500-600 personnes par jour, celle-ci est passée à 23 000 personnes par jour à la suite de son électrification qui s'inscrit également dans la logique de transition énergétique.
Avant la réforme de 2018, le système français se caractérisait par un service onéreux pour les régions. Les coûts de TER ont augmenté d'environ 95 % durant la dernière décennie pour une qualité de service qui n'est pas à la hauteur des attentes. Pourtant, avec un tarif de 25 euros du train-kilomètre, on aurait pu envisager un haut niveau de service de la part de l'opérateur en monopole.
Ce système en monopole a engendré une augmentation des coûts et un moindre intérêt pour l'usager qui n'a pas le choix. L'option rationnelle en région ne consiste plus aujourd'hui à prendre le train, de manière simple et efficace, mais à privilégier l'usage de la voiture.
L'automobile est certes utile dans certains territoires où l'offre de transports publics n'est pas toujours présente. L'objectif est néanmoins d'éviter de favoriser la réutilisation de la voiture en apportant un service de qualité par la régularité, l'offre et la fréquence.
Cette approche est essentielle pour la planète, mais aussi en matière de pouvoir d'achat. Pour mémoire, l'utilisation du transport public coûte normalement entre sept et dix fois moins cher que l'utilisation d'un véhicule qui s'élève de 220 à 250 euros par mois.
On dit souvent que la concurrence avec l'avion ou la route est déloyale. Je pense que le système ferroviaire doit générer sa propre compétitivité. Tel est précisément l'intérêt de l'ouverture à la concurrence. Ne bannissons pas l'avion, ne taxons pas la route trop vite, mais poussons la qualité de service dans le transport ferroviaire.
En désignant Transdev comme attributaire, la région Sud a fait le choix de la qualité. Deux lots étaient soumis à compétition. Notre approche est assez sélective. Nous essayons à chaque fois de saisir les éléments nous permettant d'être au rendez-vous de la pertinence de l'offre, du bon positionnement économique et de la capacité à faire.
Le contrat que nous avons remporté débutera au 1er juillet 2025. Nous sommes en train de construire un nouveau dépôt pour assurer la maintenance et avons commandé à Alstom des trains conçus par Bombardier pour un montant de 250 millions d'euros.
D'autres régions ont ouvert des appels d'offres : le Grand Est, les Hauts-de-France, les Pays de la Loire. La période de la covid n'a pas ralenti les procédures. En revanche les procédures de recours pour avoir davantage d'informations ou de précisions sur le transfert de personnels expliquent en partie le décalage des appels d'offres. Nos équipes sont restées très fortement mobilisées. La Bourgogne-Franche-Comté vient de lancer un appel d'offres sur la totalité de son TER.
Depuis vingt-cinq ans, Transdev croit au rail. Nous le considérons comme l'un des modes les plus vertueux sur le plan écologique. Son incidence sur l'aménagement territorial, sur les problématiques sociales et sociétales, est essentielle. Nous sommes ainsi fiers d'exploiter la ligne Guingamp-Carhaix-Paimpol.
Nous sommes focalisés sur la maîtrise des coûts, notamment dans les centres de maintenance, qui sont l'un des éléments clé de différenciation. L'ouverture à la concurrence ne s'inscrit pas dans une logique de dumping social. Les accords « classifications et rémunérations », finalisés dernièrement par l'Union des transports publics (UTP), sont au contraire particulièrement protecteurs.
À l'image de ce qui s'est passé en Allemagne, nous aurons besoin de former davantage de conducteurs puisque l'offre augmente et leur rémunération est plus élevée après qu'avant la mise en concurrence.
M. Roberto Rinaudo, président-directeur général de Trenitalia France. - Trenitalia France est une filiale à 100 % de Trenitalia, le troisième plus important groupe ferroviaire d'Europe. Notre projet est né sur la base d'un développement continental. La France est l'un des plus importants marchés de l'Union européenne, avec plus de 90 milliards de voyageurs-kilomètres. De plus, les flux entre nos deux pays, qui sont voisins, sont importants.
En outre, le Gouvernement français poursuit une politique de transition écologique qui encourage les modes de transport vertueux comme le train. C'est pourquoi il nous est apparu fondamental de réaliser ce projet de liaison à grande vitesse. Depuis le 18 décembre, nous proposons deux allers-retours Paris-Milan et prochainement une nouvelle offre sur le tronçon Paris-Lyon.
Nous l'avons développé depuis quelques années. La crise de la covid a ralenti une partie des activités mais nous y sommes parvenus.
Nous avons pour objectif d'être complémentaires de l'opérateur historique, la SNCF. Nous sommes convaincus d'être entrés dans une logique de développement du marché ferroviaire, car nous avons vécu une expérience similaire en Italie.
À partir de 2012, un nouvel opérateur est arrivé sur le marché de la grande vitesse. Après trois à quatre ans, sur un axe majeur comme Rome-Milan, nous avons observé une augmentation des volumes de l'ordre de 90 %, une réduction des prix d'environ 30 % et une amélioration significative de la qualité de services.
C'est dans cet esprit que nous avons proposé notre offre commerciale en France, afin d'offrir un service complémentaire différent de l'offre actuelle. Nous sommes convaincus que plus d'offre ferroviaire donne la possibilité de faire grandir le marché ferroviaire.
En ce qui concerne les points positifs, nous avons obtenu de très bonnes appréciations de nos voyageurs depuis le 18 décembre. Ils apprécient le confort, la qualité du service et le très bon rapport qualité-prix de notre offre.
Plus que des points négatifs, j'évoquerais des améliorations possibles afin de favoriser l'ouverture à la concurrence et la croissance du marché ferroviaire. Elles sont à mon sens au nombre de trois.
D'abord, d'un point de vue technique, la principale difficulté tient aux différences entre les caractéristiques techniques des infrastructures des différents pays. L'importance des investissements requis par l'homologation et l'attestation de compatibilité compliquent l'accès aux infrastructures françaises. Nous souhaiterions par exemple que SNCF Réseau accélère le plan d'investissement dans l'ERTMS (European Rail Traffic Management System), afin de moderniser les systèmes de signalisation.
Il existe également une problématique liée au modèle économique. Les différences entre les coûts des péages en France et en Italie sont importantes. Par exemple, sur le tronçon Paris-Lyon, le péage varie de 26 à 39 euros par train-kilomètre, alors qu'en Italie, sur un tronçon similaire comme le Rome-Milan, il s'établit entre 6 et 8 euros par train-kilomètre. Les systèmes sont certes différents, en ce qui concerne notamment la contribution de l'État, mais l'ouverture à la concurrence a surtout permis de réduire les prix et d'augmenter l'offre ferroviaire. Il serait souhaitable que la France suive la même voie, afin d'agrandir le marché et d'encourager les voyageurs à emprunter un mode de transport plus écologique.
S'agissant des compétences, nous payons le fait d'avoir été les premiers à entrer sur le marché ferroviaire français, et plus précisément sur l'open access. Nous avons donc éprouvé plus de difficultés à trouver des compétences spécifiques (conducteurs, agents de bord, spécialistes de la sécurité ferroviaire). La création de centres de formation permettrait de disposer de davantage de ressources humaines, en particulier des jeunes.
Comme le soulignait Alexandra Debaisieux, la disponibilité du matériel pose également une difficulté. Cela étant, le secteur ferroviaire nécessite des investissements considérables et nous avons surmonté ce problème car nous sommes un grand groupe. Évidemment, pour les petites entreprises, la situation est plus compliquée.
S'agissant des rapports avec la SNCF, ils sont pour l'instant positifs. Nous collaborons avec SNCF Réseau et SNCF Voyageurs, sinon nous n'aurions pas pu lancer notre offre. Seuls des problèmes résident encore dans la définition des sillons, à cause des travaux en cours, par exemple sur la ligne Lyon-Modane.
Pour le reste, nous avons accès aux ateliers de maintenance. Je ne peux honnêtement pas formuler de remarques négatives.
M. Philippe Tabarot. - Les trois opérateurs que nous recevons aujourd'hui sont un peu particuliers. Ce sont des précurseurs. Transdev a remporté le premier lot ouvert à la concurrence en France sur le transport conventionné en région Sud. Trenitalia a fait le choix courageux d'aller sur la grande vitesse en open access. Railcoop, enfin, oeuvre à l'équilibre des territoires.
Transdev et Trenitalia ont répondu aux appels d'offres de la région Sud. Pourquoi n'avez-vous retenu que l'un des deux lots ? Est-ce parce que celui-ci permettait de choisir son matériel et de ne pas hériter de celui détenu par la région, mais exploité par la SNCF, avec des carnets de maintenance plus ou moins à jour ?
Ce point est déjà source de contentieux en Hauts-de-France. Ne souhaitez-vous pas travailler avec des matériels précédemment utilisés et maintenus par la SNCF, notamment dans les futurs appels d'offres ?
Autres interrogations, le gestionnaire des infrastructures en France traite-t-il tous les opérateurs de la même manière ? Le train a-t-il de l'avenir dans notre pays ?
M. Olivier Jacquin. - Madame Debaisieux, vous avez évoqué une difficulté d'accès au matériel. Je crois savoir que le Gouvernement réfléchit au lancement d'une ROSCO (rolling stock operating company), une société de location de matériel roulant. Mais le marché européen, en dehors de la grande vitesse, ne semble pas assez normé et pas d'une taille suffisante pour permettre à une ROSCO d'opérer actuellement en Europe, en tout cas sur certains types de trains. Qu'en pensez-vous ?
S'agissant de l'accès aux billets, la SNCF annonce l'ouverture de son site à tous les opérateurs. Qu'en est-il pour Trenitalia sur Paris-Lyon ? Monsieur Rinaudo, pourriez-vous par ailleurs nous apporter des précisions sur le niveau d'investissement réel pour soutenir la concurrence sur la grande vitesse en France ? La somme de 400 millions d'euros avait été évoquée lors des travaux sur le nouveau pacte ferroviaire.
Monsieur Hénaut, vous appelez à une meilleure compétitivité de SNCF Réseau. Monsieur Bernard Roman, président de l'Autorité de régulation des transports, que nous venons d'auditionner, annonce une hausse du prix des sillons. Elle pourrait atteindre 30 % à une échéance de dix ans.
Alors que le secteur ferroviaire est une industrie à rendements croissants, dans laquelle l'offre doit être importante pour baisser les coûts, nous semblons emprunter un chemin inverse.
L'ouverture à la concurrence en France ne risque-t-elle pas de conduire à une augmentation du nombre de trains là où il y en a déjà beaucoup ? Comptez-vous aller sur des secteurs peu attractifs financièrement ?
M. Jean-Michel Houllegatte. - Mes premières questions s'adressent à Railcoop qu'évoquaient aujourd'hui les pages Normandie de Ouest-France et La Vie du Rail du 21 janvier. Votre coopérative envisage l'ouverture d'une dizaine de lignes supplémentaires, notamment des transversales, qui ne passent pas par Paris : Bordeaux-Lyon en décembre, Lille-Brest, Lille-Nantes, Nantes-Dijon, etc.
Vous souligniez la difficulté d'accès au matériel roulant. L'article de La Vie du Rail fait notamment référence à la complexité de l'homologation des équipements étrangers. Confirmez-vous ce point ? Faudrait-il une homologation européenne ? Quelle est l'articulation de Railcoop avec les lignes de TER ?
Vous envisagez d'emprunter des tronçons partiellement électrifiés. Prenons l'exemple de Rouen-Caen jusqu'à Lison. Pour repartir sur Rennes ou bifurquer vers Brest, vous devrez emprunter des lignes non électrifiées. L'utilisation d'autorails sur des lignes électrifiées n'est-elle pas problématique en matière de bilan carbone ?
La SNCF compte recycler ses voitures Corail sous la forme de trains confortables pour une clientèle qui a du temps, disposera du wifi et pourra prendre ses repas à bord. Considérez-vous cette initiative comme une concurrence ?
À la suite du lancement de SNCF Connect, son directeur général adjoint confirmait à La Vie du Rail l'impossibilité d'acheter un Paris-Lyon chez Trenitalia par l'intermédiaire de cette application. Qu'en pensez-vous ?
Mme Angèle Préville. - Le sujet de cette matinée nous préoccupe d'autant plus que le ferroviaire doit contribuer à la transition écologique et que sa part modale stagne malheureusement à 10 %.
Vous êtes plusieurs à avoir mentionné des problèmes de formation aux métiers du rail. De quelle manière pourrions-nous faire en sorte qu'ils se développent ?
Je suis très préoccupée du fait qu'aucune banque ne veuille travailler avec Railcoop. Étant donné que vos sociétaires sont des citoyens et des collectivités et que vous encouragez le développement du transport ferroviaire, que nous appelons de nos voeux, peut-être les projets de loi de finances pourraient-ils faire en sorte que vous ayez droit à une certaine forme d'investissement ?
Par ailleurs, quels services proposerez-vous sur la ligne Bordeaux-Lyon ? Pouvez-vous nous en dire davantage ?
M. Jacques Fernique. - Madame Debaisieux, vous avez évoqué la nécessité de mettre en place des mécanismes d'aide à l'investissement. Qu'est-ce qui serait de notre ressort ? Si j'ai bien compris, vous posiez la question de dispositifs de garantie pour accéder à du matériel roulant neuf.
Comme le montrent les exemples suisse et autrichien, l'un des leviers du développement de la part modale du transport de voyageurs réside dans la simplification des systèmes de mutualisation de la billettique.
Comment faire pour que le contexte de concurrence ne nous jette pas dans la confusion et permette au contraire de renforcer les mécanismes de simplification et d'intégration tarifaire ?
M. Édouard Hénaut. - Monsieur le Sénateur Tabarot, l'appel d'offres de la région Sud comprenait effectivement deux lots. D'abord, nos ressources sont contraintes et il n'était pas possible de toutes les mobiliser sur le même sujet. Cela nous pose d'ailleurs des problèmes en matière de planification, car de plus en plus de régions rejoignent votre démarche.
Nous avons été séduits par le potentiel de la ligne Marseille-Nice avec un doublement de l'offre. La logique de trains neufs était également positive, car cela permettait de travailler sur l'accueil des passagers. Il ne s'agit toutefois pas d'un critère strict, car d'autres régions nous fournissent les trains.
Le critère clé consiste à disposer d'un dépôt de maintenance en propre. De plus, nous pouvons en l'occurrence le bâtir et l'exploiter avec des standards d'intégration dans la ville de Nice.
Le fait que cette ligne accueille plusieurs types de trains nous apportait aussi la garantie que SNCF Réseau allait maintenir un haut niveau de qualité de service pour l'exploitation. Il m'a même été conseillé d'examiner les sillons de la région Sud dans son intégralité.
Le lot sur lequel nous nous sommes positionnés était un peu moins complexe. Nous considérons que ce marché constituait une réussite collective.
Vous avez aussi créé les conditions nous permettant de choisir le volume de personnel à transférer. Il a drastiquement baissé avec les travaux menés par l'ART. Nous préparons l'accueil des volontaires qui rejoindront Transdev.
Nous avons également été sensibles à votre écoute en amont avec une équipe de très haut niveau. Nous vous remercions encore de votre confiance.
M. Roberto Rinaudo. - Pour répondre également à Monsieur le Sénateur Tabarot, je confirme que le choix du premier lot correspondait à la nécessité d'avoir le choix du matériel roulant. L'expérience italienne, notamment pour le réseau régional, montre qu'une amélioration sensible de la qualité de service passe nécessairement par le déploiement d'une flotte nouvelle, technologiquement avancée et qui offre plus de confort. De surcroît, nous connaissions mal le matériel mis à disposition dans le deuxième lot. C'est pourquoi nous nous sommes concentrés sur le premier.
SNCF Réseau est-elle neutre par rapport aux autres opérateurs ? Oui, c'est le cas pour le moment. Il existe des règles précises de priorité des trains. Ces règles sont respectées. Nous discutons parfois certaines décisions.
S'agissant de la vente des billets, je distinguerai deux situations. Pour les services régionaux, il est effectivement nécessaire de disposer d'une plateforme partagée entre tous les opérateurs afin de simplifier le processus d'achat. Tel est déjà le cas en Île-de-France et dans plusieurs grandes villes. Pour la longue distance et l'open access, nous disposons de notre propre système de distribution avec le site, l'application, mais aussi des bornes et deux boutiques à la Gare de Lyon et à Lyon-Part-Dieu. Nous avons également noué des partenariats avec des agences de voyages.
Certes, nous souhaiterions effectivement partager une plateforme de vente. Mais cela dépend du choix commercial de tous les opérateurs, du moins c'est ce que permet la loi. Quant à Trainline, ils ont simplement noué des partenariats avec les opérateurs tels la SNCF, Trenitalia, etc. Pour simplifier la vie des voyageurs, il serait préférable d'avoir une plateforme de vente unique.
S'agissant du montant des investissements, les données sont confidentielles. Le montant dépasse toutefois des centaines de millions d'euros. L'investissement est donc considérable.
Encore une fois, le ferroviaire requiert des investissements très importants, notamment pour la flotte. Il convient également d'investir beaucoup en matière de recrutement. Toute société qui s'engage sur ce marché sait qu'elle devra y consacrer des sommes conséquentes.
S'agissant des hausses des péages, certaines d'entre elles sont alignées sur l'inflation. En 2021, nous avons observé une augmentation de 9 % sur la ligne Paris-Lyon. Mais le niveau de péages est décidé sur la base d'un plan de transport qui est constant. Pour SNCF Réseau, il n'est donc pas possible d'envisager des baisses de péages pour respecter le plan de transport actuel. Aussi, afin de garantir un équilibre économique, le gestionnaire d'infrastructure est obligé de maintenir un certain niveau de péages.
Madame la Sénatrice Préville, vous m'interrogiez sur les métiers du ferroviaire. Aujourd'hui, pour faire rouler des trains à grande vitesse, nous avons parfois recruté des retraités de la SNCF. Presque toutes ces compétences sont au sein du groupe SNCF et il est difficile de trouver de nouvelles ressources pour encourager le développement d'une offre alternative complémentaire.
Il faudrait investir dans la jeunesse en encourageant la création de centres de formation indépendants, ce qui permettrait de proposer plus aisément une offre complémentaire aux voyageurs français.
Quant à la question de Monsieur le Sénateur Jacquin sur notre positionnement sur des lignes délaissées, il faut évaluer les situations au cas par cas. En Italie, avec plus d'offres de trains, nous avons eu la possibilité d'encourager davantage de clients à abandonner la voiture ou l'avion dans l'esprit d'une transition écologique. Dans cette optique, tout investissement peut dès lors être cohérent.
Mme Alexandra Debaisieux. - Vous demandiez, Monsieur le Sénateur Tabarot, si le train a de l'avenir. Chez Railcoop, nous en sommes convaincus. L'engouement suscité par le modèle coopératif le prouve. Fin 2019, nous étions 32 citoyens. Nous comptons à présent 12 000 sociétaires. Il y a un engouement très fort autour du secteur ferroviaire et une attente elle aussi très forte, y compris sur des territoires qui sont insuffisamment desservis. C'est justement le positionnement de Railcoop.
Notre finalité consiste à nous positionner sur des lignes transversales pour lesquelles il n'y a plus ou pas suffisamment de solutions ferroviaires pour permettre des mobilités. Il s'agit d'un vrai enjeu de transition écologique, d'inclusion sociale et d'aménagement du territoire.
S'agissant de la question du financement, le problème ne tient pas précisément au fait que nous n'avons pas le soutien des banques, car le projet avance sereinement. Nous avons ainsi signé le contrat d'acquisition.
Simplement, nous faisons face à une sorte de frilosité du secteur bancaire classique et d'un certain nombre d'investisseurs, car aucun autre acteur ne s'est positionné sur ce marché hormis Trenitalia pour l'open access (je ne prends pas en considération OSLO).
Non seulement Railcoop est une nouvelle entreprise sur un marché qui s'ouvre, mais nous avons en plus adopté une forme coopérative, avec une gouvernance particulière et surtout une redistribution de la valeur produite au service de l'objet social, donc contraire à une logique de rémunération du capital.
Or le secteur est très capitalistique. Ainsi les banques nous manifestent un intérêt réel. Nous discutons longuement avec elles. Mais le problème se pose différemment au moment du passage à l'acte.
Quelles mesures pourraient être adoptées pour changer la donne ? Des garanties pourraient être fournies, non seulement pour l'acquisition de matériel roulant neuf, mais aussi d'occasion.
Si nous avions dû attendre d'acquérir du matériel neuf, nous ne lancerions pas Bordeaux-Lyon cette année, mais pas avant 2026 ou 2027.
Si la puissance publique se positionnait sur ce type d'instruments, ils pourraient être conditionnés à des indicateurs d'impact.
Quand Railcoop rouvre aujourd'hui la ligne Bordeaux-Lyon, les territoires de la Creuse et de l'Allier qui pourraient être desservis par celle-ci expriment une forte attente puisqu'il n'est pas possible d'aller en train de Limoges à Lyon ou de Roanne à Bordeaux.
Pourquoi ne pas envisager des mécanismes qui puissent être conditionnés aux impacts territoriaux, indépendamment bien sûr des impacts environnementaux ?
Une autre solution consisterait à permettre à Railcoop de bénéficier du statut de SIEG (Service d'intérêt économique général). Nous pourrions ainsi accéder à des mécanismes de financement européen qui existent déjà pour le matériel roulant par le biais d'Eurofima qui offre des taux très compétitifs aux opérateurs nationaux.
Or, étant donné que nous sommes sur le service librement organisé, et quand bien même nous pallions l'absence de service public sur ces dessertes, nous ne sommes pas éligibles à ces mécanismes.
S'agissant de l'équité de l'accès, la réutilisation des trains Corail par OSLO soulève effectivement des interrogations. À ma connaissance, ces rames n'avaient pas été mises sur le marché. Si un transfert de propriété est intervenu, il était interne au groupe SNCF.
S'agissant du traitement équitable par le gestionnaire d'infrastructures, nous avons effectivement rencontré quelques difficultés pour obtenir des sillons. Notre service a dû en conséquence être reporté de quelques mois.
Soit nous n'avions pas obtenu de réponses, soit les sillons proposés étaient d'une qualité insuffisante, avec des départs trop tôt, par exemple de Montluçon.
Pour une jeune entreprise comme la nôtre, il n'était pas envisageable d'attendre la dernière minute pour concevoir notre plan de roulement. Nous avons pu engager des discussions assez constructives avec SNCF Réseau, qui a finalement décidé d'ouvrir des postes pour nous. La situation aujourd'hui se stabilise et la relation avec le gestionnaire d'infrastructures passe plutôt bien.
Il a été dit, devant cette commission, que Railcoop n'avait pas bien mené le travail de commande des sillons. Je m'inscris en faux. Nous avions accompli cette tâche environ dix-huit mois avant le lancement du service. La procédure est simplement très chronophage et mobilise beaucoup de ressources. Le processus capacitaire est très lourd.
S'agissant de la question de l'augmentation du coût des sillons, il s'agit pour nous plutôt d'envisager l'investissement en regard du bénéfice attendu.
Cela ne nous pose fondamentalement pas de problème de payer davantage pour une qualité de service supérieure, avec une vitesse de circulation accrue, plus d'ouvertures de postes, etc.
Vous évoquiez également la question de l'électrification partielle de nos itinéraires. Nous avons effectivement notifié beaucoup de lignes à l'ART. Elles ont été définies par nos sociétaires et approuvées par notre conseil d'administration après avoir tenu compte d'une série de critères.
Nous nous sommes notamment intéressés aux dynamiques démographiques, aux connexions avec des véloroutes, à la complémentarité avec le service public, notamment les TER et les TET.
Il nous semblait important de notifier d'ores et déjà ces lignes, même si nous ne les exploiterons pas dans l'immédiat. Tout dépendra de notre trajectoire financière et de notre capacité à accéder à du matériel roulant.
Pour répondre à votre question, l'infrastructure est donc bien électrifiée à certains endroits et pas à d'autres, ce qui nous contraint à utiliser des automoteurs. Tel est le cas sur la ligne Bordeaux-Lyon. Ce n'est pas idéal d'un point de vue environnemental. Cela étant, le transport de voyageurs par le train présente quand même un avantage en termes d'émissions de gaz à effet de serre.
Nous sommes confrontés à des enjeux de décarbonation, d'usage de biocarburants et de remotorisation.
La question reste encore une fois celle de la disponibilité de l'équipement pour les nouveaux opérateurs, notamment de matériel roulant moins carboné.
M. Édouard Hénaut. - Concernant SNCF Réseau, la gouvernance intégrée ne facilite pas la transmission des données. Les régions et les opérateurs, notamment pour les appels d'offres, peinent à obtenir des informations.
Nous nous prononçons en faveur de l'indépendance de SNCF Réseau. Patrick Jeantet s'est récemment exprimé en ce sens. Le gestionnaire d'infrastructure doit disposer des moyens de moderniser et rénover l'infrastructure. L'ART doit également avoir le pouvoir d'équilibrer l'ensemble.
En Allemagne, du fait d'un équivalent de l'ART assez faible, les litiges se règlent devant les tribunaux, d'où une perte de temps considérable. Or nous avons besoin d'accélérer le développement du ferroviaire en raison de la transition énergétique et du besoin de mieux desservir les périphéries et les villes moyennes.
Il est peut-être temps que l'État subventionne les péages du fret et des voyageurs pour réenclencher une spirale vertueuse.
Sur ce point, il convient également de s'inscrire dans une logique de transition énergétique. Les financeurs du transport public examinent la capacité à disposer d'énergies vertes, notamment dans le cadre du Green New Deal.
Certains pourraient refuser in fine de subventionner des lignes exploitées avec du matériel ancien ne répondant plus aux normes.
Je terminerai en rappelant que les racines de Transdev sont dans les territoires. Il ne faut pas non plus s'acharner, me semble-t-il, à faire de l'intégration verticale, à régénérer des lignes avec beaucoup d'investissements. Des logiques de cars express à haut niveau de service et au moindre coût peuvent également entrer en complémentarité du ferroviaire.
M. Jean-François Longeot. - Je vous remercie pour ces échanges qui nous ont fourni un éclairage précieux sur l'ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 35.
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation
M. Jean-François Longeot, président. - C'est avec un grand plaisir que nous recevons le ministre de l'agriculture et de l'alimentation pour échanger sur plusieurs dossiers qui intéressent au plus haut point notre commission. La dernière fois que vous êtes intervenu devant notre commission, c'était le 18 mai dernier, à l'occasion de l'examen du projet de loi « Climat et résilience ».
La semaine dernière, une table ronde a permis à notre commission de faire le point sur le bilan et les perspectives du Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique. Nous avons ainsi exploré les enjeux liés à la raréfaction de la ressource en eau au cours des prochaines décennies et les solutions à envisager pour adapter notre modèle de gestion de l'eau, qui repose sur la concertation de tous les usagers.
En conclusion de cette séquence qui a duré neuf mois, le Premier ministre a notamment annoncé, au sein même de votre ministère, deux enveloppes de 100 millions d'euros chacune : la première pour accompagner les agriculteurs et leur permettre d'acquérir des agroéquipements innovants permettant de réduire la consommation d'eau et la seconde pour adapter les pratiques agricoles afin de consommer moins d'eau, avec des variétés plus résistantes à la sécheresse, favoriser l'émergence d'ouvrages innovants pour stocker l'eau et de nouvelles techniques d'irrigation.
D'autres mesures ont également été annoncées, comme le renforcement du rôle des préfets dans le cadre des projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) et la révision du décret du 23 juin 2021 pour la détermination du volume prélevable hors période d'étiage. Pouvez-vous dans un premier temps dresser un bilan de cet exercice qui a réuni plus de 1 400 acteurs et qui tire les conclusions opérationnelles pour l'agriculture du travail de réflexion amorcé par les deux séquences des Assises de l'eau ? Quel sera le calendrier de mise en oeuvre des évolutions réglementaires - et éventuellement législatives - pour tenir compte des travaux du Varenne de l'eau ? En outre, quelle est la doctrine de votre ministère concernant les retenues d'eau et les nécessaires adaptations de notre système de production agricole au changement climatique, tout en assurant notre indispensable sécurité et souveraineté alimentaire ?
Cette audition nous offre également l'opportunité de vous interroger sur l'avancement des négociations sur le Pacte vert européen, dans le contexte de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Si ces négociations sont principalement menées par Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, que nous avons entendue il y a un mois sur le sujet, je relève que plusieurs dossiers stratégiques concernent les systèmes agricoles.
Je pense notamment au règlement européen relatif à la lutte contre la déforestation importée, qui vise à instaurer un devoir de diligence raisonnable pour les entreprises qui souhaitent mettre certains produits sur le marché de l'Union européenne, l'objectif étant de garantir que seuls des produits sans lien avec la déforestation sont autorisés sur ce marché. Plusieurs propositions sont débattues, notamment concernant l'extension du champ du règlement à d'autres produits de base, tels que l'hévéa, et la prise en compte de l'impact des productions concernées sur d'autres écosystèmes que les forêts, fragiles et riches en biodiversité, telles que les prairies et les zones humides. Peut-être pourrez-vous nous en dire plus sur l'avancée des négociations sur ce règlement, qui nous tient particulièrement à coeur : le Sénat avait largement complété la loi « Climat et résilience » sur son volet relatif à la lutte contre la déforestation importée.
Autre sujet pour l'agriculture dans ce Pacte vert : le règlement relatif aux puits de carbone naturels, qui prévoit l'atteinte en 2036 de la neutralité carbone pour les secteurs concernés par ce texte, ainsi que pour les émissions de l'agriculture hors CO2, liées à l'utilisation d'engrais et à l'élevage. La France est tenue par un devoir de réserve puisqu'elle préside le Conseil de l'Union européenne ; peut-être pouvez-vous toutefois nous donner des indications sur la teneur et l'avancée des débats à ce sujet ?
Je souhaiterais enfin profiter de votre présence pour aborder le sujet de la gestion des risques liés aux ammonitrates dans les ports, sur lequel notre commission s'investit depuis plusieurs semaines. Notre objectif est de publier un rapport en mars prochain, assorti de recommandations pour adapter ou renforcer notre législation, si cela s'avère nécessaire. Compte tenu des enjeux de prévention des risques liés au stockage de ces matières, nos réflexions portent également sur l'aval de la chaîne d'approvisionnement en ammonitrates, c'est-à-dire sur la gestion des risques au sein des coopératives et exploitations agricoles.
Vous venez de soumettre à la consultation publique un projet de décret visant à abaisser le seuil de déclaration des ammonitrates à haut dosage : ce seuil serait fixé à 150 tonnes, tous conditionnements confondus, contre 250 tonnes de vrac ou 500 tonnes de big bags actuellement. Cela a suscité de vives réactions de la part des acteurs de l'agriculture : quel regard portez-vous sur ce projet de décret et sur les inquiétudes qu'il suscite ?
M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. - Nous devons tous avoir en tête une difficulté majeure du monde agricole : nous vivons le présent avec des conceptions d'hier. Nous avons oublié le coeur du débat de nos anciens : l'agriculture est là pour nourrir les peuples. Or c'est ce qu'il y a de plus important. Avec le changement climatique, l'Europe aura demain, plus encore qu'aujourd'hui, un rôle de bassin nourricier. N'oublions pas que le« printemps arabe » est né de la crise du pain en Tunisie. Avec les sécheresses de l'été dernier ou la crise des engrais, nous voyons combien nous ne devrions pas l'oublier. Le Sri Lanka a confondu moyens et finalités, et cela a amené une des crises alimentaires les plus graves qu'ait connue ce pays depuis longtemps.
Nous sommes entrés dans la troisième révolution agricole. La première, ce fut la mécanisation permise notamment par le plan Marshall ; la deuxième ce fut l'agrochimie. Depuis lors, l'ensemble des politiques publiques, toutes majorités confondues, ont été guidées par la réduction des effets de cette deuxième révolution agricole. On a d'abord appelé cela l'agriculture raisonnée, dans laquelle j'ai baigné pendant ma formation d'ingénieur agronome dans les années 2000. Aujourd'hui, on appelle cela l'agroécologie.
Il faut continuer à limiter ces effets ; mais une nouvelle histoire de l'agriculture est en train de se créer : cette troisième révolution agricole est celle du vivant, de la connaissance, du numérique, de la sélection variétale, de la génétique, du biocontrôle, de l'agrorobotique. Lorsqu'on parle de trouver des substituts aux désherbants, il n'est pas vrai que l'on convaincra nos concitoyens de prendre une binette et de désherber à la main. La seule solution est l'agrorobotique.
Il y a 48 heures, j'ai présenté à Colmar à nos partenaires ce formidable site de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) : l'une des plus grandes bibliothèques de sélection variétale. C'est en France qu'on est en train de déterminer les sélections variétales résistantes au mildiou : c'est ainsi qu'on avancera.
Dernière transformation immense : le changement climatique, qui nécessite adaptation et protection. Ne perdons pas de vue la finalité nourricière de l'agriculture et donc la souveraineté alimentaire ; acceptons que les moyens ne puissent plus être ceux du passé pour éviter que ne tombe l'épée de Damoclès du changement climatique.
Le changement climatique pose d'abord une question sur la ressource en l'eau. Avec le Varenne de l'eau, nous avons pris trois engagements. Le premier, c'est l'assurance-récolte et la couverture des risques. Hier soir jusqu'à tard dans la nuit, nous avons eu un débat de très bonne qualité sur le projet de loi afférent. Je suis convaincu que les deux assemblées pourront se mettre d'accord sur ce sujet en commission mixte paritaire (CMP).
Deuxième volet : l'adaptation de nos pratiques culturales ; c'est une responsabilité du monde agricole, d'autant plus que s'il veut justifier d'augmenter ses prélèvements d'eau, il doit démontrer que les pratiques agricoles optimisent cette denrée rare qu'est l'eau. Nous avons investi dans ce domaine avec France relance et France 2030. Rien qu'en 2022, nous investirons 200 millions d'euros.
Juste un exemple : chacun se souvient du terrible épisode de gel. Certains agriculteurs avaient des matériels de protection : tours antigel, aspersion - tout cela doit être déployé partout. Mais ils auraient eu beau être à la disposition de tous, cela n'aurait pas suffi.
Troisième volet : le stockage et la gestion de l'eau. L'annonce du Premier ministre a été très claire. C'est précisément parce que ces sujets sont complexes, qu'il y a des conflits d'usage, qu'il faut les traiter. Nous sommes déterminés à avancer. Mais il faut, pour cela, que les cadres de discussions établis permettent in fine de prendre une décision. Des projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) sont toujours en discussion depuis dix ou quinze ans. Une telle concertation ne peut pas durer aussi longtemps. Il faut donc revoir la circulaire de 2019 pour que le préfet puisse davantage encadrer le temps de discussion.
Les prélèvements d'eau doivent être sécurisés juridiquement. Le décret précité de 2021 était attendu depuis dix ans, car, en l'absence de règle du jeu claire, lorsqu'un préfet autorisait un prélèvement, celui-ci était attaqué neuf fois sur dix devant la justice administrative, avec des résultats parfois aberrants. Il s'avère qu'il faut aller encore plus loin, et c'est ce que nous avons annoncé ; il y aura le temps des consultations et de la validation, notamment si le décret doit être pris en Conseil d'État.
Deuxième élément : oui, il faut des retenues. Nous avons d'ores et déjà investi 13 millions d'euros dans l'optimisation des structures existantes - le curage des réserves est un sujet récurrent. Il faut continuer, créer de nouvelles structures là où c'est nécessaire et le faire avec une vision planificatrice. Nous avons travaillé avec les agences de bassin et les comités de bassin pour identifier, territoire par territoire, les dix projets les plus importants dans les dix à quinze prochaines années - car sur ce sujet, il nous faut travailler sur le temps long.
Il faut avancer sur la valorisation d'eaux qui ne sont pas réutilisées, comme les eaux usées. Cela n'est plus aujourd'hui un problème technique, mais d'acceptabilité et d'équation économique. Autre exemple qui me tient beaucoup à coeur et qui devrait occuper mes successeurs pendant une décennie : le changement climatique va engendrer de très fortes sécheresses l'été et de très fortes pluies en hiver et au début du printemps. Il y aura la même quantité d'eau, mais plus d'évapotranspiration, donc un bilan inférieur à celui d'aujourd'hui. Lorsque les nappes phréatiques sont pleines et que le sol est gorgé d'eau, tout mètre cube supplémentaire part à la mer. Il faut en prendre conscience, ce qui donnera plus de sérénité aux débats sur les conséquences d'un prélèvement sur l'étiage de la rivière. Il faudra trouver un consensus et identifier les solutions techniques ; dans le cas d'espèce, nous avons annoncé des expérimentations.
Vous m'interrogez sur les priorités françaises dans le Pacte vert européen - le Green Deal. Ce dernier est une vision politique, qui n'a pas encore été transcrite dans des textes législatifs. Cette vision doit se traduire avec pragmatisme : « il faut aller vers l'idéal en passant par le réel », comme aurait dit Jaurès.
Selon certains instituts indépendants, dont l'institut de la Commission européenne, son application telle quelle provoquerait une réduction de la production de 13 % et une augmentation des importations de 20 %, et deux tiers des émissions hors CO2 qu'on aurait réduites du fait de la politique agricole commune en Europe seraient importés du fait de l'augmentation des importations : on marche sur la tête !
Oui, le Green Deal est important, mais le rôle du Conseil des ministres de l'Union et du Parlement européen est de l'appliquer en prenant en compte la réalité.
L'une des priorités de la présidence française est d'arriver à la réciprocité des normes au niveau international. Je ne sais pas expliquer à un concitoyen qu'on peut importer des produits dont la production est interdite en Europe. Et je ne crois pas être le seul ! C'est un système qui dure depuis cinquante ans, notamment concernant les protéines, dont les États-Unis nous ont rendus totalement dépendants. Il faut y mettre fin via des clauses miroirs.
Il faut ainsi un règlement sur la déforestation. Vous vous souvenez de la théorie des avantages comparatifs, sur lequel on a tout fondé en matière agricole. Cet avantage peut prévaloir, mais pas s'il est fondé sur des externalités négatives environnementales, donc sur la destruction d'un bien commun, la forêt. Ce règlement interdira demain les produits issus de la déforestation importée.
Deuxième priorité : le carbone. J'ai réuni tous les ministres européens ces derniers jours. L'agriculture doit diminuer ses émissions de CO2, de méthane et de protoxyde d'azote, mais n'oublions pas que le sol agricole est le premier puits de carbone après le plancton marin - avant la forêt. On ne le sait pas suffisamment. Il faut prendre en considération le sol agricole et le sol forestier conjointement.
Nous serons demain à la croisée des chemins : soit l'Europe et les gouvernants disent aux agriculteurs et aux forestiers : nous allons vous imposer de réduire vos émissions grâce à une réglementation. Soit ils leur disent : dès lors que vous mettez en place une pratique culturale correcte, vous gagnerez des crédits carbone que vous pourrez vendre sur un marché.
C'est l'option à laquelle je crois profondément. Cela fait deux ans que nous y travaillons. L'entité France Carbon Agri a créé plus de 700 000 tonnes équivalent carbone de crédits carbone. Avec ma collègue Barbara Pompili, nous avons structuré l'offre en créant des labellisations sur des pratiques culturales sur l'agroforesterie, sur l'élevage, même sur les grandes cultures ; maintenant il nous faut structurer la demande. Pour vous donner un exemple, il y a dix jours, j'ai essayé de susciter l'intérêt vis-à-vis de certaines institutions comme la Caisse des dépôts, Action logement ou le Crédit Agricole ; j'ai annoncé qu'en 2022, le ministère que je pilote compenserait toutes ses émissions par l'achat de crédits carbone agricoles. Si le président Longeot pouvait faire en sorte qu'il en soit de même pour le Sénat, cela serait merveilleux - et cela aurait du sens pour la maison des territoires.
M. Jean-François Longeot, président. - Monsieur le ministre, merci pour cette proposition que nous examinerons de près. Je vais donner la parole aux commissaires, pour qu'ils vous posent une première série de questions.
M. Pascal Martin. - Dans son propos liminaire, le président Longeot a rappelé que notre commission a récemment tenu une table ronde au sujet de la gestion des risques liés à la présence de nitrates d'ammonium dans les ports fluviaux et maritimes. J'ai deux questions à vous poser concernant la gestion des risques liés à ces ammonitrates dans le monde agricole.
Le projet de décret dont le président Longeot a parlé vise à abaisser le seuil de déclaration des ammonitrates à haut dosage à 150 tonnes au lieu de 250 tonnes pour le vrac, et 500 tonnes pour les big bags. Certains acteurs craignent que cette évolution ne conduise des coopératives et des exploitations agricoles à déporter les stocks vers d'autres sites, afin de ne pas dépasser les nouveaux seuils, ce qui pourrait accentuer les risques. Ces inquiétudes sont-elles fondées ?
Monsieur le ministre, avez-vous prévu de prendre d'autres mesures dans les prochains mois, pour réduire les risques liés aux ammonitrates à haut dosage, par exemple en renforçant la formation des agriculteurs à la gestion de ces risques, ou en diffusant un guide national des bonnes pratiques, qui détaillerait et préciserait de manière simple les règles de stockage ?
Mme Martine Filleul. - Je souhaite vous poser deux questions concernant également la prévention des risques liés aux ammonitrates.
La première concerne la dépendance de notre agriculture aux engrais azotés. Les ammonitrates représentent une part significative des émissions de gaz à effet de serre en France. La loi « Climat et résilience » définit une trajectoire de réduction des émissions de protoxyde d'azote du secteur agricole d'ici à 2030, et envisage l'institution d'une redevance sur l'usage des engrais azotés minéraux. D'autres pays comme le Danemark ou les États-Unis sont allés bien plus loin, en instaurant un système de taxation des engrais azotés.
Monsieur le ministre, comment améliorer la sobriété de notre agriculture et tenir, d'ici 2030, les objectifs d'une réduction de 13 % de nos émissions d'ammoniac par rapport à 2005, et d'une baisse de 15 % de nos émissions de protoxyde d'azote par rapport à 2015 ?
Ma deuxième question rejoint par certains aspects celles de Pascal Martin. Selon notre réglementation, le seuil de déclaration des ammonitrates à haut dosage est fixé à 250 tonnes, alors que des seuils inférieurs sont appliqués en Belgique ou en Allemagne. Votre projet de décret nous rapprocherait des seuils de nos voisins européens, ce qui est tout à fait positif au regard des enjeux de sécurité.
Cependant, le rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) révèle que la réglementation applicable à l'usage en vrac des ammonitrates à haut dosage serait bien moins « draconienne », pour reprendre les termes du rapport, en France que dans d'autres pays comme l'Allemagne, l'Australie ou l'Irlande. Pourriez-vous nous fournir des éléments de droit comparé sur ce point, afin de nous éclairer sur les progrès éventuels que nous pourrions réaliser ?
M. Philippe Tabarot. - Le rapport dont a parlé Martine Filleul propose de renforcer la réglementation applicable aux stockages d'ammonitrates à haut dosage afin d'inciter les agriculteurs à privilégier les engrais à moyen dosage.
Or des acteurs du monde agricole nous ont alertés sur les risques qu'une restriction de l'usage des ammonitrates à haut dosage pourrait faire peser sur la souveraineté alimentaire de notre pays, puisque ces produits, à l'inverse des ammonitrates à moyen dosage, sont très majoritairement produits en France. Selon eux, cette restriction aurait pour effet d'augmenter les quantités de matières transportées sur nos routes, et donc les émissions polluantes. Ces inquiétudes vous semblent-elles fondées ?
Notre commission s'interroge notamment sur l'opportunité d'inciter à un usage plus conditionné des ammonitrates haut dosage, plutôt que de limiter purement et simplement leur usage. Votre projet de décret abaisse les seuils de déclaration pour les installations de stockage d'ammonitrates en mettant sur un pied d'égalité le vrac et les matières conditionnées. Ne pensez-vous pas que limiter l'abaissement du seuil de déclaration à 150 tonnes d'ammonitrates à haut dosage en vrac pourrait encourager les agriculteurs et les coopératives agricoles à privilégier les big bags ? Plus globalement, quel regard portez-vous sur l'idée d'interdire ou restreindre plus fortement l'usage des ammonitrates à haut dosage en vrac ?
M. Éric Gold. - Ma question porte sur la gouvernance des projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE). Les conclusions du Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique ont fait réagir un certain nombre d'associations environnementales, qui craignent d'être mises à l'écart des discussions et des programmes d'action des PTGE.
Si la gouvernance doit être améliorée, il ne semble pas forcément souhaitable d'accélérer les concertations. Il est indispensable de prendre le temps de recueillir les données, et de rechercher un accord collectif. L'évolution de notre modèle agricole sous l'effet du changement climatique nécessite de renforcer les PTGE, en favorisant le dialogue et la concertation.
Comment les PTGE déclineront-ils concrètement les conclusions du Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique dans les territoires ? Quelles orientations particulières seront données aux préfets ?
Par ailleurs, alors que l'on dit souvent que l'eau paye l'eau, qui doit payer la création de stockages d'eau ? Est-ce la solidarité nationale, la solidarité locale ou la solidarité des agriculteurs ?
M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. - Pour répondre aux questions posées par Pascal Martin, Martine Filleul et Philippe Tabarot, la gestion des stocks d'ammonitrate ne relève pas des compétences de mon ministère, puisque l'approche n'est pas agricole, mais relève de problématiques de sécurité. Je ne suis pas signataire de ce décret, et je ne peux pas vous donner les éléments de législation comparée que vous demandez.
En revanche, j'ai regardé le sujet de près. J'entends ce que vous avez dit tant sur les conséquences d'une distinction entre les produits en vrac et ceux qui ne sont pas stockés en vrac, que sur le risque de déport signalé par Pascal Martin. La consultation doit avoir lieu, et ces éléments doivent remonter par ce moyen. Aujourd'hui, aucun décret n'est signé, il y a simplement une consultation qui est organisée.
Monsieur le sénateur Martin, même si cela ne relève pas des compétences de mon ministère, renforcer la formation des agriculteurs et établir un guide de bonne pratique semble être à l'évidence une bonne idée. Mais le sujet des ammonitrates n'est pas nouveau : cela fait une soixantaine d'années que les agriculteurs gèrent et utilisent ces produits. Les forces de sécurité, et notamment les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), gèrent les questions de sécurité dans les territoires, et la concertation lancée a précisément pour but de faire remonter ces éléments.
Concernant notre dépendance vis-à-vis des importations de certaines formes d'engrais azotés, il y a trois usages de ces engrais : sur l'une, notre production est indépendante ; l'autre peut être substituée ; et nous ne sommes dépendants que sur la troisième forme.
Ma position est pragmatique. Les engrais sont la nourriture de la plante, et les débats deviennent parfois irrationnels. Sans engrais, il n'y a plus de production. Il y a une corrélation directe entre la quantité d'engrais et la croissance de la plante, même si à un moment un excès d'engrais ne sert plus à rien pour la plante. Il faut bien nourrir la plante au bon moment, mais nous ne pourrons jamais nous passer d'engrais, naturels, organiques ou chimiques. Une plante de culture se nourrit, il faut le rappeler.
Concernant la dépendance vis-à-vis des d'engrais, ces derniers mois, nous nous sommes entièrement mobilisés face à ce qui a été appelé la « crise de l'engrais », très forte cet été et cet automne. Au-delà du prix, qui reste un sujet fondamental, nous avons réussi à éviter une pénurie d'engrais en France et à régler les questions logistiques liées aux fournitures d'engrais, qui plus est dans la période du covid.
Si la situation a été compliquée en France, elle a été très compliquée dans d'autres pays européens ne disposant pas de nos capacités de production, et qui ont dû parfois fermer des sites de production d'engrais en raison de la hausse du prix du gaz. Nous avons eu une bonne récolte de céréales cette année en France, mais dans certains pays européens les récoltes ont été mauvaises du fait de la sécheresse. Si cela a été très compliqué pour certains pays européens, cela a été incroyablement compliqué pour d'autres pays dans le monde.
J'ai tapé du poing sur la table au niveau du Conseil européen et auprès de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) : on ne pourra pas dire, si nous connaissons une crise alimentaire l'année prochaine, que nous n'avons pas été prévenus. Les engrais sont nécessaires à la production. Il faut que tout le monde s'organise face au risque de la pénurie d'engrais.
En France, au-delà de la gestion de la crise conjoncturelle des engrais, de la question du prix et de l'accessibilité des engrais, nous devons utiliser les financements du plan France 2030 pour investir fortement dans nos capacités de production d'engrais permettant de moindres émissions de protoxyde d'azote.
S'il suffisait d'une taxe pour changer l'utilisation des engrais, cela se saurait. La flambée des prix des engrais est d'ailleurs probablement un très bon marqueur de leur importance. Dans les prochains mois, nous chercherons à évaluer les conséquences d'éventuelles taxes. Si une telle taxe avait été instaurée au moment où la loi « Climat et résilience » a été votée, elle aurait en réalité été cinq fois plus lourde pour les agriculteurs !
Je ne crois pas que les taxes fassent changer les pratiques. La loi a d'ailleurs non pas instauré une taxe, mais indiqué le chemin pour savoir s'il était pertinent d'établir une nouvelle taxe, et si le Parlement devait se positionner sur ce sujet.
Je pense que c'est par les pratiques culturales que l'on fait avancer les choses : pour gagner en autonomie, je crois beaucoup à la question des protéines, à celle des rotations de cultures, à l'utilisation d'engrais organiques. Je crois beaucoup plus à cet accompagnement qu'à l'idée qu'il suffirait de mettre en place une taxe sur les engrais azotés pour réduire leur utilisation.
Tout ce que l'on fait concernant les protéines, dans le cadre de la PAC et du plan Protéines, est fabuleux. Il faut qu'on produise davantage de protéines et qu'on plante davantage de haies dans notre pays, ce sont mes deux grandes marottes. Cela serait beaucoup plus efficace que de créer de nouvelles taxes.
Monsieur Gold, il faut avoir de la détermination concernant la création de stockages d'eau. Sur la gouvernance des PTGE, il faut faire en sorte que la concertation ne dure pas quinze ans. Par une circulaire de 2019, le Premier ministre a annoncé un renforcement du poids du préfet, qui peut limiter dans le temps la concertation.
Enfin, concernant le financement local des PTGE, je suis convaincu que l'État peut aider. Le plan de relance y a tout d'abord consacré 30 millions d'euros, et nous venons d'annoncer une deuxième aide de 13 millions d'euros - d'autres aides seront annoncées dans le cadre du plan France 2030. Mais en définitive, un projet territorial est toujours porté par les acteurs du territoire, et non par l'État, qui doit avoir une vision, planifier, faciliter, financer, permettre d'accélérer les réalisations. Mais ce sont les acteurs du territoire, à l'échelle tant des régions que des échelons plus locaux, qui doivent se réunir, discuter, et se mettre d'accord pour initier le projet.
M. Frédéric Marchand. - Monsieur le Ministre, vous avez évoqué dans votre intervention liminaire le sujet de la déforestation importée, qui est étroitement lié à l'importation de protéines. Depuis le début des années 1960, l'accord préférentiel entre l'Europe et les États-Unis avait conduit la France à privilégier la production d'amidon, alors que l'Amérique, les États-Unis, mais également le Brésil, nous procurait des protéines végétales.
Non seulement cet accord a vieilli, mais il a surtout participé à la déforestation de la forêt amazonienne, qui s'accélère depuis l'arrivée au pouvoir du président Bolsonaro. L'année dernière, le « poumon vert » de la planète a perdu une surface équivalente à celle de l'ancienne région Nord-Pas-de-Calais.
Pour mettre fin aux importations de soja sud-américain, qui reviennent à importer de la déforestation, une stratégie est menée au niveau de l'Union européenne, dont vous êtes au nom de la France le fer de lance. Il y a un an, vous aviez annoncé la création d'un plan Protéines et d'une stratégie nationale à 10 ans pour les protéines végétales, doté de 100 millions d'euros. Un an plus tard, pouvez-vous établir un point d'étape, pour que nous sachions si la trajectoire fixée est bien respectée ?
M. Pierre Médevielle. - J'ai l'intime conviction qu'avec tous les organismes de la filière agricole, nous devons être les acteurs de cette troisième révolution agricole, à condition d'abandonner quelques tabous.
La proposition de résolution déposée par le président Longeot et notre collègue Jean-Pierre Moga sur le développement de l'agrivoltaïsme ouvre des perspectives qui ne sont pas révolutionnaires - il y a longtemps que les Espagnols savent élever les moutons sous les panneaux solaires -, mais qui permettent de concilier les deux impératifs de l'économie des terres agricoles et de l'équilibre de notre mix énergétique. Nous devons également prendre en compte les revenus des agriculteurs, qui demeurent fragiles.
Le 21 février prochain, en compagnie des deux sénateurs auteurs de la proposition de résolution, je visiterai un projet de grande culture, qui a rencontré de nombreuses difficultés, en particulier pour être accepté par la direction départementale des territoires (DDT). Le préfet d'Occitanie, Étienne Guyot, m'a dit qu'il serait présent ou que ses services seraient représentés. Cela me semble important, car l'agrivoltaïsme ouvre de nouvelles voies. Le changement climatique rend délicate la maturation des céréales dans le sud de la France, car les épis brûlent avant maturation. Comment peut-on sensibiliser les préfets et les DDT afin qu'ils facilitent davantage la réalisation de projets pilotes, dont nous avons besoin ?
Je ne comprends toujours pas comment la Commission européenne a pu voter le Pacte vert sans attendre les résultats de son bureau d'étude. Faut-il profiter de la présidence française de l'Union européenne pour remédier à cela, et remettre les choses à leur place ?
M. Hervé Gillé. - Je voudrais revenir sur le pilotage par les préfets des PTGE. Vous parliez de limiter dans le temps les concertations qui seraient trop longues, mais sur le terrain, en liaison avec les collectivités territoriales, cette volonté n'est pas toujours très bien vécue.
Par ailleurs, la gouvernance de la construction des barrages de Sivens et de Caussade, dans le Lot-et-Garonne, était pilotée par les services de l'État, en contradiction avec les positions des collectivités territoriales et des élus locaux. Cela s'est mal passé ! Il va falloir trouver une position d'équilibre concernant les PTGE. Nous comprenons l'intérêt de mener une concertation de qualité, mais attention à ne pas provoquer le décrochage des parties prenantes locales.
Concernant l'affirmation du rôle des préfets, la loi dite « 3DS » prévoit également d'élargir le rôle des préfets dans la gouvernance des agences de l'eau. De manière globale, le rôle des préfets est affirmé par rapport à celui des collectivités territoriales. Les conseils d'administration des agences étaient parfois présidés par des préfets, mais parfois par d'autres acteurs.
Quelle est votre vision de la gouvernance de l'eau ? J'imagine que les comités de bassins resteront toujours présidés par des élus, mais il y a toujours un sujet au niveau de cette affirmation préfectorale.
Enfin, quand on voit les orientations du Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique et de la loi « 3DS », on s'interroge sur les contractualisations avec les régions. Le Varenne de l'eau contient des orientations concernant les filières agricoles et professionnelles, mais qu'en est-il de la volonté d'une contractualisation de qualité avec les régions, sur un certain nombre d'objectifs développés par le Varenne de l'eau ?
M. Jean-Michel Houllegatte. - Le dispositif des paiements pour services environnementaux (PSE) constitue un outil technique innovant au service de la transition écologique. Son référentiel couvre, non seulement la protection des sols, la biodiversité et la protection des paysages, mais aussi la préservation de la qualité de l'eau et, parfois, son stockage, ainsi que le stockage du CO2. En fin de compte, les PSE permettent de rétribuer les externalités positives d'une activité principale qui, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, consiste à nourrir les gens.
Mes questions sont simples : quel bilan dressez-vous des PSE et quelles sont leurs perspectives de développement ? À l'inverse, n'avez-vous pas peur avec le dispositif des crédits carbone de détourner les agriculteurs de leur activité principale, ce qui se produit parfois à la marge avec les méthaniseurs pour ce qui concerne la production énergétique, et, ainsi, de les transformer en quelque sorte en traders en crédits carbone ?
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Ma question porte sur la plantation des haies. Aujourd'hui tout le monde se mêle de ce sujet, qu'il s'agisse de l'État, des régions, des départements, des communautés de communes, que ce soit ou non dans les contrats de relance et de transition écologique. Il conviendrait d'organiser un peu tout cela dans le cadre des nouveaux plans de soutien à la plantation de haies, car les dossiers sont de plus en plus complexes à gérer.
Concernant la captation du carbone, entendez-vous vraiment en faire une politique publique, une politique administrée par l'État, ou n'y a-t-il pas là une nouvelle économie, un marché qui se crée comme dans d'autres pays ? En Belgique, pays que je connais particulièrement bien, ce sont essentiellement les entreprises privées qui aident les agriculteurs à trouver des solutions pour capter davantage de carbone.
M. Rémy Pointereau. - Ma première question concerne la balance commerciale de notre pays. Les chiffres sont évocateurs : nous avons perdu deux tiers de notre excédent commercial agricole en une douzaine d'années. Comment les choses vont-elles évoluer selon vous ? On sait que les aléas climatiques entraînent une baisse de la production ; notre production agricole souffre aussi d'un manque de recherche technologique sur les variétés. Comment comptez-vous agir pour relever ce défi ?
La meilleure assurance contre le risque climatique aujourd'hui, c'est évidemment la ressource en eau et l'irrigation. Vous avez parlé de réserves de substitution : il faut toujours beaucoup de temps pour les constituer et les procédures sont souvent très compliquées, sans compter qu'elles mobilisent de nombreux opposants. Au-delà des déclarations d'intention, comment envisagez-vous d'avancer sur ce dossier ?
Ma seconde question concerne la captation carbone. Je vous alerte sur l'existence de nombreuses entreprises étrangères qui sont à la recherche de terres agricoles pour y implanter des plantations et des forêts, notamment dans mon département, et ce pour profiter des crédits carbone. Qu'en pensez-vous ? Ne risquons-nous pas de livrer nos réserves de carbone à des pays tiers européens et de nous priver ainsi d'une activité que nous pourrions exercer nous-mêmes ?
M. Julien Denormandie, ministre. - Monsieur le sénateur Marchand, votre question est fondamentale. Lorsque la PAC a été créée, les Américains ne s'y sont pas opposés, mais, en contrepartie, ils ont demandé aux Européens de rester dépendants de leurs diverses productions de protéines, ce qui est le cas depuis lors. Les accords commerciaux, comme ceux qui ont été signés dans le cadre du cycle de Doha, ou l'Accord sur l'agriculture du cycle d'Uruguay (the Uruguay Round Agreement on Agriculture), ont consacré cette situation au point que, lorsque l'Europe a tenté de changer véritablement de politique et de reconquérir sa souveraineté protéique, comme a réussi à le faire le Président de la République pour la France à travers la mise en place d'un plan Protéines doté de 120 millions d'euros, cela s'est révélé très difficile.
Au niveau européen, la nouvelle politique agricole commune devrait soutenir la production de protéines, mais il faut bien comprendre qu'il a parfois été très compliqué de traduire cette ambition dans les faits, notamment parce que les aides auxquelles on voulait recourir ne convenaient pas. En réalité, c'est la France qui a réussi à faire bouger les lignes.
À l'échelon national, au travers du plan de relance, nous consacrons 120 millions d'euros à cette politique : nous avons d'ores et déjà soutenu 6 200 projets, et 56 projets au titre de la structuration des filières. L'effort est donc très significatif. Au total, plus de 75 millions d'euros seront dédiés aux équipements, plus de 50 millions d'euros à la structuration des filières. Cette action se poursuivra dans le cadre du plan France 2030 : de mémoire, une nouvelle ligne de crédits de 30 millions d'euros a déjà été ouverte pour promouvoir la recherche en protéines. Pour moi, il s'agit d'un marqueur absolument crucial de notre politique.
Monsieur le sénateur Médevielle, vous m'interrogez, d'une part, sur les New Breeding Techniques (NBT) et, d'autre part, sur l'agrivoltaïsme.
À titre personnel, je crois totalement aux NBT. Simplement, comme l'écrivait Rabelais, « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». Autrement dit, il s'agit d'un progrès, mais il faut mettre en place cette technologie de manière convenable, notamment en recourant à la sélection variétale. Si cette sélection accélérée est destinée à créer des plantes résistantes à des maladies liées au changement climatique et permet d'utiliser moins de produits phytosanitaires, je ne comprends pas pourquoi tout le monde ne se dit pas que cette technologie est intéressante. À l'inverse, si c'est pour produire une plante qui résiste aux produits phytosanitaires, cela n'a aucun sens.
En tous les cas, je vous informe que l'Europe a pris une position très proche de celle de la France. Nous attendons encore la nouvelle réglementation sur les NBT, mais je peux vous dire que la vision politique de la Commission européenne est conforme à celle de notre pays.
Je vous rejoins également sur l'agrivoltaïsme. Il faut faire en sorte de clarifier cette notion, ainsi que celle de « terre agricole ». L'agrivoltaïsme est un système qui repose sur la synergie entre production d'électricité photovoltaïque et activité agricole, c'est-à-dire qu'il donne davantage de valeur à cette activité. Il ne s'agit pas, vous l'avez compris, de placer des panneaux à un, deux ou trois mètres au-dessus de deux poules et de trois lapins !
Pour que l'agrivoltaïsme devienne une très belle opportunité, il faut en retenir une définition très claire, faire en sorte qu'elle soit reprise dans le cadre des appels d'offres de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et de ceux de l'Agence de la transition écologique (Ademe), et l'introduire à terme dans le droit de l'urbanisme en vue de sa planification territoriale.
Enfin, sur la nécessaire évaluation de la Commission européenne, je partage les propos qui ont été tenus. Cela étant, il est déjà convenu, puisque l'on a fait adopter une position commune du Parlement et du Conseil, que la Commission devra publier des études et produire une évaluation de sa vision du Pacte vert avant que les textes soient votés.
Monsieur le sénateur Gillé, il faut veiller à ce que tout se passe bien dans le cadre des projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE), faute de quoi nous finirons par nous retrouver dans une impasse. Les PTGE représentent l'aboutissement de tout un processus qui a duré plusieurs décennies et qui a consisté à trouver le cadre de concertation le plus approprié sur ces sujets difficiles.
Il faut que la concertation soit menée à bien, et pour ce faire il faut que les règles soient bien définies. Pour que tout se déroule correctement, il faut offrir la possibilité à une autorité, en l'occurrence le préfet, de circonscrire la phase de concertation dans le temps ; de même, après la phase de concertation, une fois que les décisions ont été prises, il faut les faire appliquer de manière très stricte. On ne peut pas admettre que certains continuent de s'opposer aux choix décidés démocratiquement, et c'est évidemment le rôle du préfet, en tant que dépositaire de l'ordre public, de les faire respecter.
Cela étant, je préfère insister sur le rôle que joue le préfet dans le cadre de la concertation, celui de tout faire pour fixer un cap et faire aboutir la concertation dans des délais raisonnables.
Je partage pleinement vos propos, Monsieur Gillé, sur les projets de gouvernance et la contractualisation de l'État avec les régions. D'ailleurs, lors du Varenne de l'eau, l'État a signé deux premiers contrats avec les régions. Je le redis, un projet ne peut pas aboutir s'il n'est pas porté au niveau local, en l'occurrence, s'agissant de l'eau, par les régions, au vu de leurs compétences en matière économique.
Monsieur Pointereau, vous avez également abordé la question de l'eau. Permettez-moi de dresser un bilan de ce que nous avons fait dans ce domaine : cela faisait dix ans que l'on parlait d'un décret relatif à la gestion quantitative de la ressource en eau et personne n'avait osé le prendre. Personne ! Le Gouvernement, lui, l'a pris en juin 2021 et il va même certainement aller encore plus loin en le révisant à la suite des conclusions du Varenne.
Notre ministère investit déjà 30 millions d'euros dans les infrastructures d'eau à travers le plan France Relance. Pour un certain nombre de projets, l'État est venu se substituer aux collectivités. Je pense à un exemple précis, assez emblématique, d'une collectivité qui, à l'approche des élections, a préféré se retirer pour garder ses financements. Je suis donc très favorable à la contractualisation, mais elle n'est possible et efficace, je le répète, que s'il existe une volonté politique forte au niveau local.
Par ailleurs, l'État n'est pas loin d'avoir engagé plusieurs centaines de millions d'euros dans les matériaux de protection, d'irrigation et d'adaptation au changement climatique.
Enfin, le troisième volet de réflexion du Varenne de l'eau sur les PGTE et l'utilisation de l'eau correspond à une dynamique très forte. Ce ne sont pas des paroles en l'air : il s'agit d'argent qui a déjà été dépensé, de décisions réglementaires qui ont déjà été prises, ou qui ont été annoncées et devraient se concrétiser prochainement.
J'y insiste, le rôle de l'État est de créer un cadre favorable, d'accompagner et d'investir, mais aucun projet ne peut aboutir sans une volonté politique forte localement : il faut donc du courage à tous les étages !
Monsieur le sénateur Houllegatte, je ne pense pas du tout que les crédits carbone vont détourner les agriculteurs de leur vocation. Je vais tenir un raisonnement vraiment très sommaire : pour moi, un agriculteur est un entrepreneur du vivant qui nourrit le peuple. Il doit donc gagner sa vie, et son activité doit être bénéfique, d'abord pour lui et sa vie de famille et, ensuite, pour la Nation et les transitions.
Le système des crédits carbone est tout simple : un agriculteur est rémunéré dès lors que sa pratique culturale permet de stocker du CO2 et est bénéfique pour l'environnement. Cette rémunération lui est versée par le marché, par des investisseurs notamment privés, monsieur le sénateur de Nicolaÿ, et pas seulement via une subvention du ministère de l'agriculture ou de l'environnement, comme c'est le cas par exemple pour les PSE, dans lesquels je crois beaucoup par ailleurs.
Dans ce domaine, je ne défends pas une vision mercantile ; je plaide simplement pour une approche pragmatique.
Cela étant, nous allons devoir relever un véritable défi au niveau européen, car le coût des crédits carbone européens est beaucoup plus élevé que celui des crédits carbone sud-américains, en raison d'une différence de référentiel : 35 euros environ contre 5 à 8 euros. Dans ces conditions, comment convaincre le marché, public ou privé, d'investir en Europe alors que c'est moins cher ailleurs ?
Monsieur Pointereau, vous avez évoqué le déficit de notre balance commerciale ; en fait, l'enjeu est avant tout d'accroître notre compétitivité, car c'est de cela qu'il s'agit, d'abord la compétitivité-coût, mais aussi la compétitivité hors coût, c'est-à-dire la qualité.
M. Joël Bigot. - Vous nous avez dit, monsieur le ministre, que l'agriculture devait être nourricière et que nous avions perdu de vue cet élément fondateur.
L'agriculture évolue, c'est une évidence. Je suis moi-même élu dans un département agricole où l'on trouve beaucoup de polycultures, avec beaucoup d'établissements d'enseignement supérieur spécialisés dans l'horticulture. Vous avez indiqué tout à l'heure qu'il faudrait tendre vers une sélection variétale, notamment des plants. Les agriculteurs ne doivent-ils pas craindre une standardisation de l'offre, qui viendrait quelque peu réduire la diversité de ce l'on peut consommer dans ce pays ?
De votre point de vue, plusieurs sortes d'agriculture peuvent-elles cohabiter, par exemple une agriculture reposant sur un modèle extensif et d'autres types d'agriculture préservant davantage la qualité variétale des plants et, donc, la qualité de la nourriture ?
M. Julien Denormandie, ministre. - Il est vrai qu'il existe différents types d'agriculture ; seulement, à titre personnel, je défends tout autant - c'est d'ailleurs une critique que l'on m'adresse - l'agriculture biologique que l'agriculture de conservation, celle qui capte du carbone, l'agriculture à haute valeur environnementale et l'agriculture conventionnelle, qui privilégie la diversification des productions au travers des rotations.
J'ai le sentiment, pour avoir des échanges réguliers avec un certain nombre d'experts, notamment ceux de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), que la diversité génomique des principaux cépages est aujourd'hui assez faible, autrement dit qu'il existe déjà, de fait, une forme d'uniformisation. C'est d'ailleurs l'immense force de l'Inrae d'entretenir la diversité génomique par la sélection variétale en ne cessant jamais de faire des croisements, en vue notamment de lutter contre telle ou telle maladie.
M. Jean-François Longeot, président. - Nous vous remercions pour cet éclairage, monsieur le ministre, et pour la qualité de ces échanges.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 20.