- Mercredi
8 décembre 2021
- Proposition de loi tendant à favoriser l'habitat en zones de revitalisation rurale tout en protégeant l'activité agricole et l'environnement - Examen des amendements au texte de la commission
- Audition de Mme Anne-Claire Mialot, candidate proposée par le Président de la République, aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU)
- Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Anne-Claire Mialot aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU)
- Désignation de rapporteurs
- Jeudi 9 décembre 2021
Mercredi 8 décembre 2021
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 11 heures.
Proposition de loi tendant à favoriser l'habitat en zones de revitalisation rurale tout en protégeant l'activité agricole et l'environnement - Examen des amendements au texte de la commission
Mme Sophie Primas, présidente. - Avant de commencer cette réunion, permettez-moi d'avoir une pensée pour la famille et les proches de Catherine Fournier. Notre collègue possédait de grandes qualités humaines et était très appréciée dans son département comme de ses collègues. Son professionnalisme était reconnu. Elle avait été notamment rapporteure de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte.
Nous examinons maintenant les amendements de séance sur la proposition de loi tendant à favoriser l'habitat en zones de revitalisation rurale (ZRR) tout en protégeant l'activité agricole et l'environnement.
Comme nous en avons désormais pris l'habitude pour les amendements de séance, un tableau vous a été distribué qui récapitule les avis proposés par notre rapporteure. Je vous propose d'en donner lecture et de ne s'arrêter que sur les amendements pour lesquels vous souhaiteriez obtenir davantage d'explications de la part de notre rapporteure. Nous aurons bien évidemment l'occasion de débattre de chacun d'entre eux lors de la séance publique. Nous commencerons par les amendements « remords » présentés par notre rapporteure.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE LA RAPPORTEURE
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Mon amendement no 38 a pour objet de proposer une rédaction alternative de l'article 1er, améliorée en deux points. Il fait disparaître le ciblage sur les ZRR, par cohérence avec notre position en commission, pour viser l'ensemble de la ruralité. Il complète les grands objectifs existants pour mieux mettre en valeur et pour développer les objectifs spécifiques à la ruralité, dans le prolongement de ce qu'a voté le Sénat à l'initiative de notre commission lors de l'examen de la loi « Climat et résilience ».
L'amendement no38 est adopté.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Mon amendement no 39 vise à permettre au règlement du plan local d'urbanisme (PLU) des communes concernées de fixer les règles de base applicables aux constructions que le texte prévoit d'autoriser, dans certaines circonstances, en continuité des zones urbanisées. L'objectif est de permettre aux maires de s'assurer que l'assouplissement de constructibilité proposé n'ouvrira pas la porte à des constructions démesurées, et de garantir la bonne intégration des constructions dans le paysage et le projet de la commune en termes de hauteur, de surface, d'aspect...
L'amendement no 39 est adopté.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Mon amendement no 40 renvoie au décret le soin de fixer un cadre commun pour définir les « communes peu denses en déprise démographique » et dont le territoire fait l'objet de fortes contraintes urbanistiques - c'est-à-dire les communes qui bénéficieront des assouplissements prévus par le présent article. Comme nous l'avons prévu en commission, ce sont les intercommunalités qui affineront le ciblage, mais il faut une base de travail commune et objectivable.
L'amendement no 40 est adopté.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Mon amendement no 41 vise à proposer une rédaction alternative, pour améliorer la prise en compte des projets de développement rural des petites communes françaises au sein des schémas de cohérence territoriale (SCoT). Je propose de consacrer, au sein du projet d'aménagement stratégique des SCoT, l'objectif de « développement économique et démographique de l'ensemble du territoire, dans les communes urbaines comme rurales ».
En m'inspirant des avancées obtenues par le Sénat dans le cadre de la loi « Climat et résilience », je propose aussi de garantir que les objectifs chiffrés des SCoT, en matière de lutte contre l'artificialisation, mais aussi de consommation d'espace, prennent en compte plusieurs critères, dont les enjeux de ruralité. Cela rendra possible une meilleure « territorialisation » des objectifs des SCoT, une plus grande équité entre communes, et une adaptation plus fine aux réalités rurales.
L'amendement no 41 est adopté.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Comme à l'article 2, mon amendement no 42 renvoie au décret le soin de fixer un cadre commun pour définir les « communes peu denses en déprise démographique » à fort taux de vacance - c'est-à-dire les communes qui bénéficieront de l'extension du dispositif Denormandie dans l'ancien. Là encore, comme nous l'avons prévu en commission, ce sont les intercommunalités qui affineront le ciblage, mais il faut une base de travail commune et objectivable.
L'amendement no 42 est adopté.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Mon amendement no 43 vise à supprimer le gage financier de l'article 4. Un gage financier de portée générale étant prévu à l'article 8, celui-ci n'est pas nécessaire.
L'amendement no 43 est adopté.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Mon amendement no 44 vise à reprendre les recommandations du Conseil d'État dans son récent avis sur la proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises. Il s'agit de garantir la protection des agriculteurs contre les recours abusifs en renforçant la mesure existant actuellement dans le code de la construction et de l'habitation, plutôt que de créer un doublon dans le code civil.
L'amendement no 44 est adopté.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Mon amendement no 45 vise à faire émerger une forme de « doctrine » lisible et cohérente des commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Nous faisons souvent le constat d'une intervention trop tardive des CDPENAF, d'un manque de lisibilité de leurs critères d'examen, voire d'une forte variabilité de leurs avis. Cela contribue à dégrader l'acceptabilité de leurs décisions. Pourtant, elles jouent un rôle crucial pour la préservation des terres agricoles et des forêts françaises.
Je propose donc que, sous deux ans, chaque CDPENAF départementale élabore ses « lignes directrices », qui seront rendues publiques. Elles expliciteront leurs critères d'examen des dossiers et les définitions qu'elles retiennent. Ensuite, un rapport du Gouvernement analysera l'ensemble de ces lignes directrices, pour évaluer si des mises en cohérence sont pertinentes, et si des « bonnes pratiques » peuvent être partagées.
Certaines CDPENAF ont déjà amorcé ce travail : mon amendement vise à le généraliser et à l'approfondir, pour permettre un dialogue plus apaisé entre l'ensemble des acteurs d'un territoire, grâce à plus de transparence.
L'amendement no 45 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
M. Daniel Gremillet. - L'amendement n° 36 vise à faciliter le changement de destination des bâtiments ruraux à usage agricole. Concrètement, il s'agit simplement de pouvoir changer la destination d'une bâtisse agricole délabrée en coeur de village pour la rénover et pouvoir construire des logements. Actuellement, les maires sont piégés. D'un côté, on fixe l'objectif de « zéro artificialisation nette » ; d'un autre côté, des bâtiments agricoles se transforment en friches au coeur des villages et les maires ne peuvent en changer la destination... Il est possible de rénover la partie habitable d'une bâtisse agricole, mais on ne peut toucher aux autres parties. Il importe de faciliter la construction et la revitalisation des centres-bourgs pour rendre les villages attractifs.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Cet amendement est satisfait par la rédaction actuelle du texte, puisque celle-ci englobe les changements de destination des bâtiments agricoles, tout en étant plus large. La précision apportée ne me semble donc pas nécessaire. En outre, les « bâtiments ruraux » n'ont pas de définition au titre du code de l'urbanisme. Retrait sinon avis défavorable.
M. Franck Menonville. - Je comprends la position de notre rapporteure, mais l'enjeu est réel. Les exploitations agricoles se sont progressivement implantées en dehors des villages, pour différentes raisons, et d'anciens espaces agricoles en déprise restent au coeur des villages. Il est important de pouvoir rénover ces friches.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Je partage l'intention de l'auteur de l'amendement, mais si on limite le champ du texte aux bâtiments agricoles, on en réduit la portée. Je rappelle que le texte autorise, dans sa rédaction actuelle, « le changement de destination des constructions existantes aux fins de création de logement et d'hébergement ». Toutes les constructions sont donc visées.
M. Jean-Marc Boyer. - Il faut redonner une capacité de décision aux maires pour pouvoir changer la destination des bâtiments et éviter la constitution de friches en plein coeur des territoires ruraux. L'administration les enserre dans un corset de règles trop strictes.
M. Pierre Cuypers. - Il faudrait ajouter la notion d'usage des bâtiments. C'est une notion clef.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Le texte me semble répondre à vos préoccupations en desserrant l'étau sur les maires. Plus la rédaction est large, plus la portée du texte est grande. En multipliant les « en particulier » ou les « notamment », on ne fait qu'affaiblir la portée de la proposition de loi. Il faut aussi que ce texte prospère et puisse être adopté. Notre rédaction visait à corriger les imperfections initiales et les facteurs de blocage. Nous avons travaillé en ce sens, en lien avec le Gouvernement, pour parvenir à un rééquilibrage profitable aux maires et aux agriculteurs.
Mme Sophie Primas, présidente. - Le texte autorise « le changement de destination des constructions existantes » : la rédaction englobe donc toutes les constructions. L'amendement semble satisfait.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 36 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Daniel Gremillet. - Je ne comprends pas pourquoi mon amendement n° 35 est irrecevable : certes, il implique une petite dépense, mais il entraine aussi de nouvelles recettes liées au changement de destination du bâtiment.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Cet amendement est irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution, car il est sans lien avec les dispositions du texte initial.
L'amendement n° 35 est déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Les amendements identiques nos 1 rectifié ter, 2 rectifié, 3, 6 rectifié et 22 rectifié visent à rendre obligatoires des distances séparatives entre les constructions et les espaces agricoles ou forestiers. J'en demanderai le retrait ou y serai sinon défavorable. La loi Climat donne déjà la possibilité aux maires de prévoir, au cas par cas, des distances séparatives, sans que cela ne soit une obligation.
Je crains que cette mesure, qui est pertinente pour les territoires périurbains dynamiques, où la ville grignote sur l'agriculture, afin d'éviter le mitage, n'ait un effet extrêmement bloquant pour les communes rurales. En effet, la zone tampon devrait être prélevée obligatoirement sur les espaces constructibles. Or le foncier est déjà trop rare dans les zones hyper-rurales. Cet amendement aboutirait donc à réduire les zones constructibles dans les villages ruraux entourés de terres agricoles. Cette disposition risque d'être punitive pour les maires qui auront encore moins de possibilités d'accorder des permis de construire, y compris dans le coeur du village, car il sera, de fait, impossible de construire autour des enclaves agricoles qui sont dans les villages mêmes. Je vous invite donc à considérer attentivement les conséquences d'un tel amendement. Mieux vaut conserver le caractère facultatif de ces zones tampons, en laissant les maires décider au cas par cas.
M. Daniel Laurent. - La commission mixte paritaire sur la loi Climat a retenu la rédaction non contraignante de l'Assemblée nationale, qui donne la faculté aux maires de créer des zones tampons, sans créer d'obligation. Le problème est que l'on demande à la profession agricole de reculer les cultures sans contrepartie. Il ne faudrait pas que cela fasse jurisprudence pour les zones de non-traitement (ZNT), le Gouvernement devant revoir sa copie pour tenir compte des observations du Conseil d'État. Dans les zones viticoles en particulier, la question est sensible. Il faut que les contraintes pèsent sur ceux qui viennent s'implanter dans les zones rurales, qui construisent, agrandissent ou allotissent, faute de quoi ce sont les agriculteurs qui seront perdants.
M. Jean-Marc Boyer. - C'est un sujet important. Les communes rurales ont déjà perdu en moyenne 60 % de leur surface constructible à la faveur des différentes révisions des PLU. Les maires ont les mains liées et ne peuvent envisager de développement de leur commune pour les prochaines années. L'intention des auteurs de ces amendements est louable, mais il faut veiller à ce que cela n'aboutisse pas à réduire encore davantage les surfaces constructibles.
M. Jean-Pierre Moga. - Peut-être pourrions-nous limiter cette disposition aux vignobles et aux vergers, et ne pas l'étendre à la totalité des terres agricoles.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Je comprends les inquiétudes exprimées par Daniel Laurent. Ce texte s'efforce de trouver un équilibre entre les différents enjeux. Il s'agit de ne pas étouffer les maires ruraux et d'éviter de pénaliser les agriculteurs. Je précise que, dans le cadre de la loi Climat, les distances séparatives ne sont pas prises sur les terres agricoles. Il s'agit en revanche d'une faculté à la main des maires : cela donne une vraie souplesse aux collectivités. J'ajoute que l'adoption de ces amendements aurait des effets en cascade sur tous les assouplissements que le texte comporte sur les changements de destination, la continuité du bâti, etc. Le sujet est complexe, attention aux effets punitifs possibles dans certains territoires.
M. Henri Cabanel. - Il est question de distances séparatives. Mais quelles sont-elles ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Elles seraient définies par le PLU ou par un décret.
M. Daniel Laurent. - Les distances ne sont pas prédéfinies. Le Gouvernement va imposer de nouvelles obligations aux viticulteurs et aux agriculteurs dans les ZNT. Je crains que ces obligations ne soient calquées sur le mécanisme proposé.
M. Laurent Somon. - Si je comprends bien, ces amendements concernent les dents creuses dans les communes rurales en déprise démographique ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Pas seulement. Le périmètre visé est plus vaste. C'est pour cela que je vous invite à réfléchir aux conséquences de ces amendements.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous poursuivrons le débat en séance.
La commission demande le retrait des amendements nos 1 rectifié er, 2 rectifié, 3, 6 rectifié et 22 rectifié, et, à défaut, y sera défavorable.
La commission a également donné les avis suivants sur les autres amendements de séance, qui sont retracés dans le tableau ci-après :
Audition de Mme Anne-Claire Mialot, candidate proposée par le Président de la République, aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU)
Mme Sophie Primas, présidente. - Par lettre du 28 octobre dernier et en application de l'article 11 d'un décret du 9 février 2004, le Premier ministre a saisi le président du Sénat du projet de nomination de Mme Anne-Claire Mialot à la direction générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).
En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, cette nomination par décret du Président de la République ne peut intervenir qu'après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée parlementaire. Cette audition donnera lieu à un vote à bulletin secret à l'issue de la réunion. Aucune délégation de vote n'est autorisée. L'Assemblée nationale vient de procéder à l'audition de Mme Mialot ce matin, et nous dépouillerons simultanément les votes à l'issue de cette audition. Il ne pourra être procédé à cette nomination si l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.
L'ANRU a été voulue par MM. Jean-Louis Borloo et Jacques Chirac, qui ont, avec le vote de la loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, lancé une politique ambitieuse et inédite. L'idée était de réhabiliter des centaines de quartiers dans lesquels se sont concentrées les difficultés sociales, économiques et urbaines, à l'image de ce qui avait été réalisé à Valenciennes. Depuis, l'ANRU s'est enlisée, puis a été relancée. Le montant du Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) a été doublé puis, récemment, encore accru pour atteindre 12 milliards d'euros. Pour autant, les défis restent immenses, compte tenu de l'enjeu que représente pour notre pays l'intégration républicaine de ces quartiers.
Madame la préfète, vous êtes diplômée de l'Institut d'études politiques de Paris et de l'Institut national des études territoriales, qui forme les administrateurs de nos collectivités. Après plusieurs années à Cergy-Pontoise, vous avez été conseillère sur les collectivités territoriales à Matignon auprès de Manuel Valls puis de Bernard Cazeneuve, avant d'exercer les fonctions de conseillère sur la cohésion des territoires et le logement auprès d'Emmanuel Macron à l'Élysée au début du quinquennat, c'est-à-dire au moment du rejet du rapport Borloo - pardonnez-moi cette pique ! -, de la réduction de l'aide personnalisée au logement (APL) et de la mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS). Vous êtes, depuis 2019, préfète déléguée pour l'égalité des chances en Seine-Saint-Denis.
Je vous propose, après un bref rappel de votre parcours professionnel, de nous présenter votre projet pour l'ANRU, à laquelle notre commission est très attachée, comme nous le sommes, à l'action de Jean-Louis Borloo, que nous avions auditionné en janvier 2020.
Après votre exposé liminaire, nos collègues vous interrogeront, et d'abord Mme Viviane Artigalas, rapporteure pour avis des crédits de la politique de la ville et rapporteure sur votre nomination.
Mme Anne-Claire Mialot, candidate proposée aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). - Merci pour votre accueil. C'est un honneur pour moi de m'exprimer devant votre commission. C'est un honneur aussi d'avoir été proposée par le Premier ministre et le Président de la République pour diriger l'ANRU, dont le rôle est majeur dans la transformation profonde des quartiers d'habitat social et l'amélioration de la vie quotidienne de leurs habitants.
Pour se rendre compte de l'une de ses réussites, que vous avez évoquée, le premier programme de renouvellement urbain, il suffit de se rendre dans les quartiers, d'échanger avec les habitants, et de voir les transformations engagées. Dans mes différentes fonctions, j'ai eu l'occasion de rencontrer de très nombreux habitants des quartiers pour me rendre compte de ces changements majeurs.
C'est un honneur de présenter ma candidature devant votre commission et de vous présenter les orientations que je propose de donner à l'ANRU. Je suis également impatiente d'échanger avec vous sur la façon dont je rendrai compte régulièrement de mon action à la tête de l'ANRU, si je suis confirmée comme directrice générale. En effet, il me paraît important, dans des fonctions comme celles de direction générale d'une agence comme l'ANRU, de rendre compte régulièrement à la représentation nationale de son action. Si vous m'y invitez, donc, je viendrai avec plaisir rendre compte de l'avancement des travaux - si ma nomination est confirmée aujourd'hui !
Je souhaite reprendre l'ambition des présidents successifs du conseil d'administration et des fondateurs de l'ANRU, et de mes prédécesseurs, MM. Philippe Van de Maele, Pierre Sallenave et Nicolas Grivel. Ceux-ci ont en effet permis à l'ANRU de relever le défi d'un programme national de renouvellement urbain totalisant près de 46,1 milliards d'euros d'investissement, avec un effet levier majeur, pour près de 12 milliards d'euros de contribution de l'ANRU. Ils ont aussi poussé l'ANRU, au-delà des programmes qu'elle porte directement, à réfléchir à des innovations pour apporter son concours et accompagner les élus locaux et les porteurs de projets.
Mon objectif est clair : pour reprendre les termes d'un rapport du sénateur Dallier, remis en juillet 2020, il s'agit de contribuer à poursuivre et réussir la politique de rénovation urbaine avec les élus locaux. De fait, la politique de rénovation urbaine est portée avant tout par les élus locaux, avec la contribution et l'accompagnement de l'ANRU, que je souhaite facilitateur. Elle est portée aussi par les bailleurs sociaux qui, pour beaucoup, sont au coeur de la rénovation urbaine, et par Action logement, qui est à la fois le financeur et le partenaire de la rénovation urbaine pour l'ensemble des quartiers, et bien sûr par l'ensemble des partenaires de l'ANRU. L'objectif est bien d'améliorer la vie quotidienne des habitants des quartiers.
Comme vous m'y avez invitée, madame la présidente, je vais revenir en quelques mots sur mon parcours et mes méthodes de travail. Le fil rouge de mon parcours, ce sont les territoires, la volonté d'améliorer la vie quotidienne de leurs habitants, et l'habitude de travailler avec les élus locaux et les parlementaires. De fait, j'ai commencé ma carrière en travaillant pendant douze ans pour des collectivités territoriales, d'abord dans la Nièvre, mon département de naissance, puis à Cergy-Pontoise, où j'ai été directrice générale des services.
Ce parcours en collectivité territoriale me donne une expérience à fois managériale et opérationnelle réelle : j'ai conduit des projets urbains en tant que directrice de collectivité territoriale, et je maîtrise également la gestion financière, puisque j'ai dirigé une collectivité, avec tous les enjeux que cela représente. J'ai conforté cette expérience dans un autre volet de l'action territoriale qui est la préfecture, puisque j'ai été nommée en décembre 2019 préfète déléguée pour l'égalité des chances auprès du préfet de la Seine-Saint-Denis. Cette expérience préfectorale, dans un territoire particulièrement concerné par la politique de la ville et la rénovation urbaine, m'aidera dans les fonctions de directrice générale de l'ANRU pour lesquelles je vous présente ma candidature aujourd'hui.
En effet, 40 % des habitants de la Seine-Saint-Denis résident dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV). Le département compte 34 projets de renouvellement urbain, dont 24 projets d'intérêt national. Je les connais tous pour avoir travaillé dessus avec les élus locaux, ce qui a été une expérience cruciale pour affiner ma compréhension de la transformation urbaine et des enjeux de la rénovation urbaine - en lien bien sûr avec les problématiques quotidiennes des habitants, car il est très important pour moi d'articuler la rénovation urbaine avec l'ensemble des autres politiques, et notamment la politique de la ville, pour construire une réponse globale aux besoins des habitants.
J'ai complété cette expérience opérationnelle en acquérant une expertise nationale, d'abord à la Cour des comptes, où j'ai fait ma mobilité en sortant de Cergy-Pontoise, et où j'ai été affectée à la cinquième chambre, en charge des politiques sociales et du logement. J'y ai travaillé sur des rapports relatifs au logement social, aux minima sociaux et à l'information sur le logement. J'ai ensuite fait partie du cabinet du Premier ministre, comme conseillère sur les collectivités locales, puis du cabinet du Président de la République, en tant que conseillère sur les territoires et le logement.
Cette expérience du pilotage national et des négociations interministérielles me sera très utile pour être directrice générale de l'ANRU, parce que j'ai eu à connaître des relations avec les parlementaires - nous nous étions d'ailleurs vues lors de la préparation de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN - et avec l'ensemble des administrations de l'État, et que j'y ai acquis une connaissance beaucoup plus large des territoires, au-delà des territoires où j'ai travaillé et servi.
De ce fait, j'ai appris à connaître une multiplicité de territoires en France, et à mieux appréhender les problématiques diverses auxquelles ils sont confrontés. Je pense notamment aux villes moyennes, pour lesquelles je me suis beaucoup investie, mais également aux grandes métropoles, où les enjeux sont aussi importants, dans le Nord comme à Marseille !
Ma méthode a toujours reposé sur le dialogue et la concertation, car je pense qu'on est toujours plus intelligent à plusieurs. C'est d'ailleurs une marque de fabrique de l'ANRU que de promouvoir une dynamique partenariale, au niveau national comme territorial. Il me semble fondamental de continuer à travailler dans la concertation.
Mon objectif est clair : c'est de poursuivre et réussir la politique de rénovation urbaine. Je sais qu'il vous tient aussi à coeur, puisque j'ai relu ce rapport adopté au Sénat en juillet 2020. Nous partageons donc cette ambition, et je souhaite la mettre en oeuvre sur le terrain.
L'ANRU est aujourd'hui à un tournant. Le programme national de rénovation urbaine devrait être payé intégralement en décembre ou janvier. Il faudra alors en faire un bilan. En ce qui concerne le NPNRU, 95 % des projets sont validés en comité d'engagement, il en reste quatorze à valider. Il est temps de passer à l'opérationnel et à la mise en oeuvre : c'est sur ce point que je souhaite m'investir particulièrement.
Le fil directeur de mon action sera celui qui a présidé à la fondation de l'ANRU : faire de la politique de rénovation urbaine un levier de renforcement de la mixité sociale et fonctionnelle au sein des quartiers, mais aussi au sein de l'aire urbaine.
Ce sujet extrêmement important a une place centrale dans le NPNRU. Il s'agit de renforcer la diversification au niveau de la ville pour éviter la concentration dans certains quartiers d'un habitat très social, car la concentration des populations les plus précaires entraîne des difficultés. C'est d'ailleurs l'objectif de la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté, et l'on y réfléchit aussi dans les conférences intercommunales du logement. C'est surtout un sujet qui figure au coeur de la rénovation urbaine. La mixité fonctionnelle, notamment en matière d'emplois et de commerces, est particulièrement importante.
La politique de rénovation urbaine, à mon sens, doit être exemplaire. Nous devons garantir son exemplarité, d'un point de vue social bien sûr, puisque l'insertion et l'emploi sont au coeur de la politique de rénovation urbaine, avec des clauses sociales extrêmement importantes. L'effet de levier de l'investissement public dans la rénovation urbaine doit contribuer aussi à créer de l'emploi et de l'insertion. Mais cette politique doit aussi être exemplaire d'un point de vue environnemental. Elle doit contribuer à répondre aux enjeux de l'adaptation au changement climatique, sur le volet énergétique, sur le volet mobilité, comme sur la question de la renaturation.
Quant au volet sociétal, il présente un enjeu majeur : le vieillissement de la population dans les QPV. Historiquement, ces quartiers étaient jeunes, avec des enjeux importants de gestion des écoles, des crèches, etc. Aujourd'hui, ils sont peuplés de populations vieillissantes. Nous devons donc travailler sur l'autonomie et sur l'adaptation au vieillissement.
Ma volonté, en tous cas, est de poursuivre avec la méthode qui a toujours été la mienne dans les différents postes que j'ai occupés : des visites de terrain et la concertation avec les habitants et avec l'ensemble des parties prenantes, par une interaction extrêmement étroite avec les maires, qui sont les porteurs des projets de rénovation urbaine.
Je souhaite plus particulièrement développer quatre axes.
Le premier axe est d'achever la programmation du NPNRU. Il nous reste quatorze projets à boucler, par exemple à Marseille, Aubervilliers ou dans le Val-de-Marne. Ce sera notre priorité. Si nous tardons trop, les habitants ne verront pas la rénovation concrète avant de très nombreuses années.
Le deuxième axe est l'accélération de la mise en oeuvre opérationnelle du NPNRU en garantissant l'exemplarité de cette politique de rénovation urbaine. C'est un enjeu majeur. Le Parlement a fixé un objectif d'engagement des opérations qui serait porté à la fin de l'année 2026 dans le projet de loi de finances. Nous devons tout mettre en oeuvre pour engager le maximum d'opérations d'ici à cette date. Certes, le sujet est particulièrement compliqué. Nous devons faire attention à un certain nombre de paramètres.
Je pense d'abord au temps de réalisation des projets. Les habitants, qui sont confrontés à un environnement dégradé, ont des attentes et des impatiences légitimes. Compte tenu des délais et des difficultés de mise en oeuvre des projets de rénovation urbaine, il y a une nécessité de concertation et d'association des habitants, ainsi que d'articulation avec la gestion urbaine de proximité, afin que la vie dans ces quartiers ne soit pas un enfer pendant le temps de réalisation.
Je pense ensuite à une difficulté opérationnelle. Quand on démolit, il faut reloger. Or, même s'il y a toujours une articulation entre démolition et réhabilitation, nous ne savons pas toujours si les personnes concernées veulent rester dans le quartier ou s'en aller. Le relogement prend du temps, ce qui rallonge les délais des projets urbains. Mais je crois que la concertation et la mobilisation des bailleurs sociaux et d'Action Logement nous permettront de formuler des propositions de relogement mieux adaptées aux attentes des ménages.
Je pense également à la reconstitution de l'offre, sujet sur lequel nous pouvons avancer dans la bonne coopération entre les élus locaux et les délégations territoriales de l'ANRU. Quand on démolit, il faut reconstruire. La difficulté est d'arriver à identifier du foncier sur le territoire. Au-delà, l'ANRU est évidemment là pour accompagner les collectivités qui en ont besoin, avec des missions d'ingénierie et d'accompagnement. Je souhaite m'y investir particulièrement.
Je pense en outre à l'exemplarité de la rénovation urbaine, qui est essentielle à mes yeux. L'ANRU a beaucoup travaillé sur le développement de programmes innovants pour soutenir des initiatives locales des élus, comme sur l'agriculture urbaine ou les jardins partagés dans les quartiers.
Je pense enfin au développement économique et à l'emploi, sujets extrêmement importants dans la mise en oeuvre opérationnelle du NPNRU. Beaucoup a déjà été essayé, mais nous pouvons, me semble-t-il, collectivement constater que tous les résultats ne sont pas encore là. Il y a peut-être des choses à inventer, par exemple avec la Caisse des dépôts et consignations, qui est particulièrement volontaire à cet égard.
Le troisième axe, et je sais que vous y êtes sensibles, est la question du pilotage et du reporting. La loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique a modifié le cadre de gestion de l'ANRU et incité à développer des systèmes d'information plus poussés, notamment pour améliorer la phase opérationnelle financière du NPNRU. Je m'engage à conforter les dispositifs de pilotage financier, d'audit et de maîtrise des risques et à travailler activement sur la levée de la complexité administrative qui subsiste, s'agissant par exemple du conventionnement.
Il faut également développer les outils de pilotage opérationnel. Il me semble normal que l'ANRU puisse avoir une vision et des outils de pilotage pour savoir où en sont les opérations de renouvellement urbain. Les élus savent ce qui se passe sur leur territoire. Il me paraît important de pouvoir partager ces informations.
Le quatrième axe est de conforter et de développer le partenariat national et territorial de l'ANRU. L'objectif de la loi de 2003 créant l'Agence et le premier programme de renouvellement urbain était de faire de la rénovation urbaine une cause nationale transpartisane et intéressant les acteurs économiques et sociaux représentés par Action Logement. C'est un acquis. Il faut poursuivre dans cette voie et amplifier la concertation et la coopération à l'échelon national.
Action Logement est un partenaire solide dans les comités d'engagement et présent pour renforcer la mixité sociale et fonctionnelle dans les quartiers ; nous pouvons compter sur son action. Je tiens également à saluer l'engagement des bailleurs sociaux et de l'Union sociale pour l'habitat (USH), notamment pour engager des rénovations profondes sur les copropriétés dégradées ; ils sont des acteurs majeurs de la diversification et de la mixité. La Caisse des dépôts et consignations a été très active sur Action Coeur de ville ; je pense que nous pouvons renforcer son intervention sur les quartiers politique de la ville. Et comme beaucoup de copropriétés dégradées sont dans des quartiers NPNRU, il est essentiel d'avoir - c'est déjà le cas, mais je souhaite continuer dans ce sens - une bonne articulation entre l'ANAH et l'ANRU.
La rénovation urbaine ne peut pas transformer à elle seule la vie des habitants des quartiers. Elle doit s'accompagner du déploiement des politiques de droit commun et d'une politique de la ville ambitieuse pour apporter des réponses concrètes aux attentes des habitants des quartiers, sur la sécurité, l'éducation, l'emploi ou l'accès aux services publics. Tout cela nécessite une bonne articulation entre l'ANRU et l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
Mes fonctions de préfète déléguée pour l'égalité des chances en Seine-Saint-Denis m'ont permis de voir quelles synergies l'on pouvait éventuellement créer entre rénovation urbaine, politique de la ville et politiques de droit commun. C'est, me semble-t-il, un axe de développement pour demain extrêmement important.
Vous l'avez compris, ma motivation est entière. Le sujet me tient particulièrement à coeur. Mon objectif est d'agir pour l'amélioration de la vie quotidienne des habitants et de penser les quartiers de demain. Je souhaite que l'ANRU soit un facilitateur et un accompagnateur des projets des maires, des intercommunalités et des bailleurs sociaux.
Si je suis confirmée dans ses fonctions, je serais ravie de revenir rendre compte de mon action devant vous.
Mme Viviane Artigalas, rapporteure. - Vous étiez auprès d'Emmanuel Macron lors de l'élaboration, puis du rejet du rapport Borloo, à l'été 2018. Avec le recul, quel regard portez-vous sur cette décision ?
Le 14 novembre 2020, les maires des quartiers de la politique de la ville lançaient un véritable appel au secours au Président de la République pour demander de ne pas être oubliés par le plan de relance. Ils l'ont fait dans des termes très forts compte tenu de la prévalence de la pandémie dans les quartiers, des problèmes alimentaires, des difficultés scolaires et de la réalité du décrochage de la République. Comment avez-vous vécu cette période en Seine-Saint-Denis ? Quels enseignements en avez-vous tirés ? Comment s'y est déployé le plan de relance ?
M. Grivel, votre prédécesseur, a relancé le NPNRU. La plupart des projets sont désormais validés. Mais vous êtes face à deux défis : l'exécution et le financement, sachant qu'une bosse de dépenses va se présenter d'ici à la fin du prochain quinquennat. Or l'État n'a versé au cours de ce quinquennat que 80 millions d'euros sur les 200 millions d'euros promis. Comment croire qu'il sera au rendez-vous au cours des cinq prochaines années pour acquitter un engagement qui s'élève à un peu plus d'un milliard d'euros ? Comment comptez-vous faire face à ce besoin de financement et aux défis de l'exécution ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Quel regard portez-vous sur la décision de baisser de 5 euros les aides personnalisées au logement à l'été 2017 et sur celle d'en faire porter le poids aux bailleurs sociaux ? Pensez-vous, comme Julien Denormandie l'a reconnu, que ce fut une véritable erreur ?
Les bailleurs sociaux et Action Logement, qui ont été considérablement affaiblis par la réduction de loyer de solidarité (RLS) et l'ensemble des mesures prises depuis 2017, ainsi que plusieurs ponctions sur leurs ressources, sont pourtant aujourd'hui les principaux financeurs de la rénovation urbaine. Les 2 milliards d'euros supplémentaires annoncés par le Premier ministre au mois de janvier sont financés à 70 % par Action Logement, à 18 % par les bailleurs sociaux, à 2 % par des économies sur le PNRU et à 10 % seulement par l'État. Pensez-vous avoir des financeurs suffisamment solides ? Comment envisagez-vous vos relations avec votre principal financeur Action Logement ? Ne pensez-vous pas qu'il devrait participer plus activement à la gouvernance de l'ANRU selon le principe : « Qui paye décide » ?
Dans un rapport remarqué paru l'an passé, Les quartiers pauvres ont un avenir, l'Institut Montaigne, sans nier l'apport de l'ANRU, a estimé qu'il était temps de mettre la priorité non plus sur les bâtiments, mais sur les habitants. Le rapport envisageait la création d'une « ANRU des habitants ». Il prônait la lutte active contre les ghettos, notamment à travers une politique de promotion de l'ascenseur social et de lutte contre la pauvreté, mais aussi en mettant en place un plafond de 40 % de logements les plus sociaux. C'est d'ailleurs ce que le Sénat a proposé dans le cadre du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, même si nous savons que le dispositif voté par la Haute Assemblée risque d'être supprimé par les députés. N'est-ce pas également ce que l'ANRU fait dans les quartiers rénovés ?
M. Michel Bonnus. - En dix ans, un quartier de 8 000 habitants de Toulon a perdu quatorze classes. Le fait que des personnes seules vivent dans des T5 a des répercussions directes sur l'éducation et, bien entendu, sur l'environnement.
J'insiste sur la notion d'« adaptation », qui fait partie intégrante de votre projet. Le relogement est un enjeu majeur pour nous. Je pense à ces personnes qui, payant leur loyer depuis trente ans au moins, ne veulent pas quitter leur logement. Or certaines doivent parfois quitter un T5 pour un T2 en payant le même loyer.
Dans un canton de 48 000 habitants - je rappelle que la ville en compte 175 000 -, nous n'avons aucun restaurant, aucune poissonnerie, et seulement quatre boulangeries et trois points presse. La relance économique est donc un sujet central.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Depuis près de dix ans, l'ANRU consacre une partie de son expertise à l'international dans le cadre d'une coopération au développement et à la structuration des centres urbains dans le monde. Vous participez à ce titre à l'Agence française de développement. Pourriez-vous nous dresser un petit état des lieux de cette coopération ? Comment l'envisagez-vous pour l'avenir ?
La pandémie a montré combien les questions d'accessibilité à la santé et de transition numérique structuraient la vie des Français. Pensez-vous qu'elles pourraient avoir une place dans le travail de l'Agence ?
M. Patrick Chaize. - Quelle serait l'articulation entre l'ANRU et l'ANCT ? Un rapprochement est-il envisagé ?
M. Bernard Buis. - En raison des réserves du secteur du bâtiment, l'entrée en vigueur de la réglementation environnementale 2020 (RE 2020) des bâtiments neufs a été repoussée de six mois ; elle s'appliquera au 1er janvier 2022. Quels seront les coûts supplémentaires liés à cette RE 2020 sur les projets de rénovation urbaine ?
L'ANRU existe depuis vingt ans et les projets de rénovation urbaine sont nombreux... Ce nouveau NPNRU sera-t-il enfin le dernier, pour que les quartiers prioritaires deviennent enfin des quartiers comme les autres ?
Mme Valérie Létard. - Votre propos liminaire était très précis et concret : votre expérience de terrain est grande. Ce moment est stratégique pour le NPNRU, qui doit être mis en musique : les objectifs sont ambitieux, et terminer en temps et en heure sera difficile. Le travail à mener avec les territoires est important. Il est nécessaire de renforcer la coproduction.
Un quartier ANRU se doit d'être équilibré, en offrant une meilleure mixité sociale, une véritable fonction économique et la présence de services publics, tout en étant connecté au centre-ville. Comment et avec quels moyens l'ANRU et l'ANCT pourraient-elles collaborer ? Pour le domaine économique et les services de proximité, il faut des moyens dédiés, car les projets sont particulièrement complexes.
Quel sera le lien avec les contrats de ville ? La ministre chargée de la ville travaille sur la nouvelle orientation de ces contrats et de nouveaux zonages prioritaires. Le ministère et l'ANRU doivent travailler de conserve, pour l'accompagnement des populations, qui est essentiel. Nous devons nous occuper de l'humain. Nous avons besoin d'enveloppes dédiées, souples, au service d'enjeux prioritaires, bien plus que d'appels à projets verticaux qui ne correspondent pas aux demandes du terrain.
M. Franck Montaugé. - Les délais de contractualisation et de réalisation des programmes de l'ANRU sont très longs : cinq ans dans ma circonscription ! Des améliorations sont-elles prévues ?
La réussite des programmes de l'ANRU s'apprécie aussi au plan social. L'ANRU va-t-elle s'engager dans les contrats de ville, qui accompagnent le volet immobilier de l'agence ?
Dans les territoires, les services travaillent en silo. Comment gagner en efficacité, au service des habitants ?
Quelle est votre vision des politiques de peuplement, cruciales pour la réussite des programmes ? En effet, il faut aller plus loin que de simples reconstructions immobilières.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Avec quels moyens l'ANCT et l'ANRU peuvent-elles se rapprocher ? L'ANCT rencontre aussi des problèmes de financement pour répondre à l'ensemble des demandes d'ingénierie dans les territoires ruraux.
M. Denis Bouad. - Quand on habite depuis des décennies dans le même quartier, croyez-vous qu'il soit facile de s'en aller ? Les habitants ont vu leur logement et leur cadre de vie se dégrader, les services publics et commerces partir, mais ils veulent rester. Nous démolissons beaucoup, mais il faudrait aussi reconstruire, pour garder les habitants sur place. Des bâtiments demandent des réhabilitations importantes. L'ANRU ne devrait-elle pas concentrer ses crédits sur ces opérations ?
Telles qu'elles sont conçues, croyez-vous que les politiques de repeuplement encouragent la mixité sociale ? Une erreur grave a été commise, qui fait que les pauvres iront toujours habiter avec les pauvres. Les milliards d'euros de la rénovation urbaine ne pourront être efficaces qu'accompagnés d'une vraie politique de peuplement.
Mme Anne-Claire Mialot. - Vous m'avez interpellée sur le rapport de M. Borloo de 2018, sur la réforme de la réduction du loyer de solidarité (RLS) et la baisse de cinq euros des APL, ainsi que sur les conséquences tirées par le Gouvernement de la crise sanitaire, notamment en matière d'engagement en faveur des QPV dans le plan de relance. En tant que conseillère d'un cabinet ministériel, je ne vais pas commenter les décisions de personnalités politiques responsables devant les citoyens, et pour lesquelles j'ai travaillé. Ma loyauté de fonctionnaire et mon devoir de réserve s'imposent.
Dans les faits, en Seine-Saint-Denis, les crédits en faveur de la politique de la ville, entre 2019 et 2021, sont passés de 25 à 38 millions d'euros par an. Les dispositifs soutenus sont très utiles, comme les Cités éducatives, les Quartiers d'été, les Quartiers solidaires jeunes (QSJ) et les actions de lutte contre la fracture numérique.
Concernant les leçons tirées de la crise sanitaire, cette dernière a été un vrai tsunami. L'équipe préfectorale n'avait pas anticipé une telle situation, je n'aurai pas le temps de vous raconter tout ce que nous avons vécu. Le plan de relance s'est bien focalisé sur les QPV, à hauteur de 60 % en Seine-Saint-Denis, où 40 % de la population vit dans ces quartiers.
Concernant la pérennité des financements, l'effort de 12 milliards pour la NPNRU est très important ; il permettra de valider des projets particulièrement complexes. L'État s'est engagé pour 1 milliard d'euros ; comme directrice générale de l'ANRU, je serai vigilante à cet égard.
Action logement est le partenaire essentiel de l'ANRU. Sa place est centrale dans la nouvelle gouvernance de l'agence, ainsi que dans les comités d'engagement, et sa voix compte dans l'évaluation des projets et dans l'attribution des financements.
La mise en oeuvre du NPNRU est lente, effectivement, mais la transformation urbaine prend du temps. Nous devons accompagner les édiles pour lever les freins et accélérer la réalisation des projets, sans pour autant abandonner la consultation des habitants.
Concernant l'économie et le commerce, nous n'avons pas encore tout essayé. Les quartiers sont souvent trop vides, laissant le terrain à d'autres activités, qui rendent la vie dans ces quartiers très difficile. Il faudrait encourager le portage financier sur les baux commerciaux et accompagner les collectivités pour qu'elles créent des foncières locales au service du développement des commerces. Le fonds de co-investissement de l'ANRU est un levier intéressant, il permet de crédibiliser des investissements en associant des investisseurs privés. Les maisons France services (MSF), et d'autres services encore, seront aussi intégrés aux programmes de rénovation urbaine.
Cette rénovation urbaine doit faire partie intégrante de la réflexion sur les contrats de ville ; ils sont indissociables. La rénovation urbaine, seule, ne peut pas tout. C'est l'articulation entre les différentes politiques publiques qui pourra apporter des réponses concrètes aux habitants.
J'en viens à la coopération avec l'ANCT : je n'ai aucune volonté d'annexion, rassurez-vous. L'ANCT apporte une expertise d'ingénierie financière pour accompagner les projets dans les territoires ruraux. Cependant, accès aux services publics, déserts médicaux, MSF..., voilà des questions qui se posent dans tous les territoires, ruraux ou urbains. Les enjeux sont communs. Des conventions existent avec l'ANCT, il faut les renforcer, pour assurer son action dans les QPV et les petites villes du programme Action coeur de ville.
L'accompagnement des habitants est parfois difficile dans le cadre des politiques de peuplement. La mixité sociale et fonctionnelle doit être pensée à une échelle plus large que celle du quartier, pour éviter de reproduire les mêmes erreurs. Cela est parfois difficile. Par exemple, des populations âgées souhaitent rester sur place, ce qui implique de mettre en oeuvre des résidences autonomie. D'autres souhaitent quitter ces mêmes quartiers. Les maîtrises d'oeuvre urbaines et sociales (MOUS) doivent être bien calibrées, pour apporter des réponses adaptées à chacun.
Mesdames, Messieurs, soyez certains de mon engagement et de ma motivation.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous vous remercions.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible sur le site internet du Sénat.
Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Anne-Claire Mialot aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU)
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons procédé à l'audition de Mme Anne-Claire Mialot, dont la nomination est envisagée par le Président de la République pour exercer les fonctions de directrice générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).
Nous allons à présent procéder au vote, qui se déroulera à bulletins secrets, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de la loi du 23 juillet 2010, il ne peut y avoir de délégation de vote.
Nous procéderons ensuite au dépouillement ; nous sommes en contact avec la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale afin de procéder de manière simultanée.
L'article 13 de la Constitution dispose que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.
La commission procède au vote et au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Anne-Claire Mialot aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), simultanément à celui de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.
Mme Sophie Primas, présidente. - Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale :
Nombre de votants : 29
Bulletins blancs : 0
Bulletins nuls : 0
Suffrages exprimés : 29
Pour : 27
Contre : 2
La commission donne un avis favorable à la nomination de Mme Anne-Claire Mialot aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).
Désignation de rapporteurs
Mme Sophie Primas, présidente. - Il nous revient maintenant de procéder à plusieurs désignations de rapporteurs, dans la perspective des textes que nous aurons à examiner à la rentrée de janvier.
Le Gouvernement vient de déposer sur le bureau de l'Assemblée nationale le projet de loi portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, qui entend dessiner un cadre pour réformer les modalités d'indemnisation des pertes de récolte en agriculture résultant d'aléas climatiques. Le calendrier d'examen au Sénat, qui reste encore à confirmer, serait le suivant : réunion de la commission pour le rapport et le texte le mercredi 26 janvier matin, et examen en séance publique au début du mois de février.
Je vous propose la candidature de M. Laurent Duplomb, qui préside le groupe de travail sur l'assurance récolte.
La commission désigne M. Laurent Duplomb rapporteur sur le projet de loi portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture.
Mme Sophie Primas, présidente. - La proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l'assurance emprunteur a été adoptée par l'Assemblée nationale fin novembre. Elle vise à permettre aux titulaires d'un contrat de crédit immobilier de changer d'assurance emprunteur à tout moment, alors que la réglementation actuelle ne le permet qu'à des moments précis. Elle comporte également des dispositions relatives au droit à l'oubli pour les emprunteurs.
Le calendrier d'examen au Sénat serait le suivant : le délai limite pour le dépôt des amendements de commission est fixé au lundi 17 janvier à 12 heures ; la réunion de la commission pour le rapport et le texte au mercredi 19 janvier matin ; le délai limite pour le dépôt des amendements de séance au lundi 24 janvier à 12 heures ; l'examen en séance publique au mercredi 26 janvier à 16 heures 30 et le soir.
Je vous propose la candidature de M. Daniel Gremillet, qui avait été impliqué pour notre commission dans l'examen de la loi Sapin II et associé aux travaux de M. Martial Bourquin sur le sujet.
La commission désigne M. Daniel Gremillet rapporteur sur la proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l'assurance emprunteur.
Mme Sophie Primas, présidente. - Concernant la proposition de loi présentée par M. Jean-Noël Cardoux et plusieurs de ses collègues, visant à limiter l'engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée, l'objectif du texte, déconnecté de la mission conjointe de contrôle sur la sécurisation de la chasse qui vient d'entamer ses travaux, est de mettre fin à la prolifération des engrillagements délimitant les propriétés, phénomène parfois qualifié de « solognisation ». Nous l'examinerons en commission très prochainement, lors de la première réunion de l'année 2022.
Le calendrier d'examen au Sénat, qui reste encore à confirmer, serait le suivant : le délai limite pour le dépôt des amendements de commission est fixé au lundi 3 janvier à 12 heures ; la réunion de la commission pour le rapport et le texte au mercredi 5 janvier matin ; le délai limite pour le dépôt des amendements de séance au lundi 10 janvier à 12 heures ; l'examen en séance publique au mardi 11 janvier en fin d'après-midi et le soir, avec une suite éventuelle le mercredi 12 janvier au soir.
Je vous propose la candidature de M. Laurent Somon.
La commission désigne M. Laurent Somon rapporteur sur la proposition de loi visant à limiter l'engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée.
Mme Sophie Primas, présidente. - Pour la mission conjointe d'information, avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, sur la lutte contre la déprise commerciale en milieu rural, je vous propose de désigner M. Serge Babary rapporteur. Il sera associé à ces travaux pour les sujets qui concernent les deux commissions.
La commission désigne M. Serge Babary rapporteur de la mission conjointe d'information sur la lutte contre la déprise commerciale en milieu rural.
Le Président de la République devrait proposer sous peu la candidature d'une personnalité pour succéder à Mme Isabelle de Silva à la présidence de l'Autorité de la concurrence. Nous devrions procéder à cette audition en application de l'article 13 de la Constitution dans la première quinzaine de janvier.
Je vous propose la candidature de M. Franck Montaugé comme rapporteur.
La commission désigne M. Franck Montaugé rapporteur sur la proposition de nomination aux fonctions de président de l'Autorité de la concurrence, en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010, relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
La réunion est close à 12 h 45.
Jeudi 9 décembre 2021
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 10 h 30.
Audition de Mme Annick Girardin, ministre de la mer
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Madame la ministre, je vous remercie de votre venue au Sénat pour nous exposer les dernières données du différend qui oppose la France et l'Union européenne (UE), d'une part, au Royaume-Uni et aux îles anglo-normandes, d'autre part, pour l'accès de nos pêcheurs à leurs eaux. J'espère que votre venue sera aussi l'occasion de nous annoncer - qui sait ? - quelques bonnes nouvelles.
L'actualité des jours à venir sera riche : demain, 10 décembre, constituera à la fois la date butoir fixée par la Commission aux autorités britanniques pour l'octroi des licences manquantes et la date limite pour la négociation des totaux admissibles de capture, les fameux TAC, dans les eaux britanniques ; les dimanche 12 et lundi 13 décembre verront se dérouler le traditionnel Conseil des ministres de la pêche de l'UE, qui permettra de fixer les TAC et les quotas par État dans les eaux européennes.
Mais je laisserai notre collègue Alain Cadec, familier des arcanes européens, vous poser des questions au sujet de l'influence française à Bruxelles, au nom de la commission des affaires européennes du Sénat.
Il était important pour le Sénat, chambre des territoires, de se saisir de la question des licences de pêche. La pêche représente certes moins de 1 % du PIB, mais elle joue un rôle absolument déterminant dans l'aménagement du territoire, car un emploi en mer, ce sont en moyenne quatre emplois à terre.
C'est pourquoi nous avons décidé de confier à Alain Cadec, président du groupe d'études « pêche et produits de la mer », un rapport qui sera présenté devant les commissions des affaires économiques et européennes, réunies conjointement, le mercredi 15 décembre prochain. Ce sera, cher Alain, l'occasion de dresser le bilan du cycle qui est en train de s'achever, on l'espère, avec les licences, et de proposer des perspectives plus enthousiasmantes pour la pêche pour les années à venir.
Madame la ministre, je profite de votre présence pour, au nom de tous mes collègues de la commission des affaires économiques, pousser un cri d'alarme sur l'après-juin 2026, correspondant à la fin de la période transitoire d'application de l'Accord de commerce et de coopération, conclu le 24 décembre 2020, entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.
Au-delà de la question des licences, qui devait constituer la partie la plus facile de la négociation, il y a la perspective de renégocier chaque année nos quotas de pêche dans les eaux britanniques et de subir des « mesures techniques » qui sont autant de barrières à l'entrée. Le schéma serait un peu celui qui existe aujourd'hui dans les eaux norvégiennes, à la différence près que nous sommes beaucoup plus dépendants de la Manche que de la mer du Nord.
On peut craindre que les Britanniques marchandent leurs quotas ou que nos équipages passent sous pavillon britannique : dans les deux cas, il s'agirait d'une perte de valeur pour notre filière pêche. Ma question est donc simple : comment voyez-vous les choses se dessiner après 2026 ? Quelles sont les perspectives ?
Je voudrais maintenant vous relater notre rencontre de la semaine dernière, avec la présidente de la Commission européenne. Mme Ursula von der Leyen a évoqué d'elle-même le sujet des licences devant la délégation du Sénat, c'était plutôt de bon augure ! Mais quelle n'a pas été notre surprise d'apprendre que pour la Commission, tout va bien, il n'y a pas de problème. Comme si la centaine de licences restante n'était qu'un « résidu statistique » alors qu'il y a, derrière, des familles ou, comme les Anglais le disent joliment, des « communautés côtières ».
On sait que votre Gouvernement a, à plusieurs reprises, enjoint l'Union européenne à agir. Mais la répartition des rôles entre l'État et l'UE n'a pas forcément toujours été claire. Par exemple, nous avons été alertés, par les acteurs de terrain, du circuit de communication complexe des demandes de licences, transitant par un trop grand nombre d'interlocuteurs avant d'être transmises à Londres via les comités départementaux et régionaux des pêches, la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA) du ministère français et la direction générale de la mer au sein de la Commission européenne.
Cela ne facilite pas la transparence, d'autant que la Commission a assumé avoir procédé, avec la DPMA à un filtrage des demandes jugées « problématiques ». Pouvez-vous nous indiquer le taux de demandes non transmises aux autorités britanniques et anglo-normandes, et les critères qui ont présidé à ce tri ? N'y a-t-il pas eu une forme d'« autocensure », qui a pu être mal perçue par les professionnels ?
Je ne saurais conclure, madame la ministre, sans mentionner trois lettres qui ont mis le feu aux poudres dans le monde de la pêche : PSF, pour « plan de sortie de flotte ». Votre annonce le mois dernier, lors des assises de la pêche et des produits de la mer, n'en était pas vraiment une puisque vous ne faisiez que rappeler une mesure incluse dans le plan d'accompagnement de décembre 2020 destiné à aider les pêcheurs français face au Brexit.
Néanmoins, convenez que le moment de ce rappel n'était peut-être pas le plus opportun, car il a donné le signal d'un renoncement. Surtout, l'ampleur du plan de sortie de flotte, de 40 à 60 millions d'euros, a surpris ! Ce sont 180 bateaux que l'on envisage de mettre hors d'état de produire !
Nous avons le souci constant, au sein de la commission des affaires économiques, de ne pas saborder des activités productrices de richesse, d'autant que la pêche est une activité durable. Pouvez-vous nous détailler le contenu de ce PSF et nous rassurer sur le fait qu'il s'agit bien d'une solution d'ultime recours, prévue pour un nombre marginal de professionnels ?
Êtes-vous, par ailleurs, d'accord avec l'idée que la réserve européenne d'ajustement au Brexit devrait servir à investir et non à détruire la capacité de production ?
M. Alain Cadec, vice-président de la commission des affaires européennes. - Madame la ministre, en l'absence du président Jean-François Rapin, qui accompagne aujourd'hui le président du Sénat en déplacement officiel en Grèce, il me revient de vous souhaiter la bienvenue, au nom de la commission des affaires européennes.
Nous sommes heureux de vous accueillir, pour la deuxième fois cette année, parmi nous. Depuis votre précédente audition du 17 juin dernier, la crise de la pêche consécutive au Brexit n'a cessé de s'envenimer, en raison notamment de la mauvaise foi des autorités britanniques et de la multiplication d'actes hostiles de leur part.
Dernière provocation en date : l'annonce par le Royaume-Uni, la semaine dernière, d'un changement de la réglementation applicable, dès le 1er janvier 2022, en matière de maillage des filets de pêche. Il n'est pas besoin d'être devin pour deviner que cette initiative laisse présager des contrôles tatillons en mer, au détriment de nos équipages !
Dans ce contexte, nous avons le plus grand besoin de faire avec vous un point très précis de la situation. Pour ce faire, en amont de notre échange, nous vous avons fait part de nos principaux sujets de préoccupation : nous serons attentifs aux réponses que vous allez y apporter !
Avant de vous donner la parole, permettez-moi d'insister brièvement sur deux points, à commencer par la situation dans îles anglo-normandes.
Apparemment, Guernesey se serait montrée plus flexible que Jersey, ce que semblerait attester l'octroi de 43 nouvelles licences temporaires. Pouvez-vous, tout d'abord, nous confirmer cette impression et nous en donner les raisons ?
Les accords dits de la baie de Granville, conclus de façon bilatérale entre la France et le Royaume-Uni le 4 juillet 2000, avaient mis fin à une très longue période de conflits sur la délimitation des eaux territoriales et les droits de pêche.
Ces accords reposaient sur deux principes : le bon voisinage, d'une part, et la nécessité d'un régime particulier, d'autre part. Ils avaient globalement donné satisfaction et permis de dégager un consensus, auquel veillait un comité de gestion et de suivi paritaire, associant les professionnels, les scientifiques et les administrations concernées. Çà et là, les Jersiais avaient pu exprimer quelques signes de mécontentement, mais ils n'avaient pas pour autant remis en cause l'économie générale du dispositif, lors de la révision décennale prévue à l'origine.
Simples dépendances de la couronne britannique, les îles anglo-normandes n'ont jamais fait partie de l'Union européenne. Pourtant, Jersey et Guernesey ont délibérément souhaité être intégrées à l'Accord de commerce et de coopération. L'objectif était dépourvu d'ambiguïté : remettre en cause le Traité de pêche de la baie de Granville du 4 juillet 2000.
Madame la ministre, juridiquement, puisque l'Union européenne est compétente en matière de pêche et que le Royaume-Uni est devenu un État tiers, la voie d'un nouveau traité bilatéral entre la France et le Royaume-Uni concernant les îles anglo-normandes est-elle définitivement et totalement fermée ? Pouvons-nous imaginer un régime dérogatoire, à l'instar de ce qu'ont proposé plusieurs présidents de région concernés ?
J'en viens à mon second point, qui est celui de la répartition des rôles entre Paris et Bruxelles dans cette crise, laquelle apparaît comme le symptôme de la perte d'influence française au sein des institutions européennes. La situation apparaît d'ailleurs ubuesque puisque la France se bat contre les Britanniques, alors qu'il s'agit de l'application d'un accord conclu par l'Union européenne !
Nous savons tous que le problème des licences concerne à 60 % ou à 70 % des navires français. Les navires belges et néerlandais sont moins affectés. Pourtant, il revient à l'Union européenne de négocier avec le Royaume-Uni, car la pêche est une compétence exclusive et parce que les États membres ne sont pas eux-mêmes signataires de l'Accord de commerce et de coopération euro-britannique.
La France n'a manifestement pas su mobiliser ses alliés, qui sont pourtant nombreux, à savoir les États membres que l'on désigne par les termes d'« amis de la pêche ». Sur le fond, je ne serais pas étonné que le commissaire européen en charge de la pêche, M. Sinkevièius, ne soit en réalité secrètement satisfait d'une réduction de l'effort de pêche en Europe, à la faveur des restrictions britanniques.
N'ayant pas su peser de tout son poids et en temps utile auprès des institutions européennes, la France s'est donc activée à retardement, avec des menaces de rétorsion, toutes plus offensives les unes que les autres, mais jamais appliquées. La rencontre, lors du G20 à Rome, entre Emmanuel Macron et Boris Johnson n'a, selon moi, rien arrangé...
Pour conclure ce propos introductif, permettez-moi de me faire l'écho des demandes de fermeté unanimement formulées par les pêcheurs français. Ce message de fermeté s'adresse non seulement à la Commission européenne, mais aussi et surtout au Gouvernement : il faut agir et vite !
Madame la ministre, je vous souhaite bon courage pour le futur Conseil « pêche » de l'UE : j'ai eu connaissance des termes de la négociation à venir sur les quotas de pêche pour 2022, les choses ne vont pas être simples.
Quoi qu'il en soit, nous devons défendre nos intérêts nationaux avec au moins autant d'âpreté que le Royaume-Uni s'emploie à défendre les siens. Il y va de la survie même de la pêche française. Madame la ministre, à vous de jouer !
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. - Merci beaucoup pour votre invitation. Le Gouvernement mène des actions depuis maintenant près d'un an pour défendre les intérêts français. Cette audition sur le Brexit et ses conséquences intervient après une mobilisation des pêcheurs en Bretagne, en Normandie et dans les Hauts-de-France. Elle a lieu surtout à la veille de l'échéance du 10 décembre, imposée par la Commission européenne au Royaume-Uni pour obtenir des réponses aux demandes déposées par l'Union européenne.
Les pêcheurs ont été très patients. Certes, plus de 1 000 licences ont été obtenues, mais ils en attendent encore 94, ce qui n'est anecdotique ni pour la France ni pour les hommes et les femmes qui font vivre notre littoral. Vous l'avez rappelé, un emploi en mer fait vivre quatre emplois à terre. Il importe donc de défendre les droits de la France en matière de pêche.
Quelles sont nos demandes ? Depuis que l'Accord de commerce et de coopération du 24 décembre 2020 a été conclu, cela fait onze mois que les pêcheurs attendent. C'est très long. Pourquoi cela prend-il autant de temps ?
J'ai eu l'occasion de faire un premier point en juin dernier devant la commission des affaires européennes du Sénat. Si la situation s'est améliorée depuis, avec la délivrance d'un nouveau paquet de licences, je reste comme vous, madame la présidente, monsieur le vice-président, très critique - le mot est faible - envers notre partenaire britannique.
Fin décembre 2020, quelques jours avant la signature de l'accord, j'obtenais avec le Président de la République le maintien de tous nos droits de pêche, y compris dans la zone des 6-12 milles nautiques alors que les Britanniques voulaient nous en expulser.
C'est sur cette base que j'avais annoncé aux pêcheurs français, le soir de Noël, que nous avions trouvé un compromis raisonnable, car nous ne pouvions pas nous permettre un « no deal ». Pour autant, ce compromis n'était pas totalement satisfaisant, un certain nombre de nos revendications n'ayant pas été prises en compte. La France soutenait en particulier deux demandes.
Premièrement, nous demandions de ne pas « écraser » l'accord historique de Granville, permettant une gestion pacifiée des ressources entre la France et Jersey notamment. Certes, la coopération régionale avec les îles anglo-normandes se passait bien, mais Jersey et Guernesey se sont saisies de cette occasion pour remettre les négociations sur la table.
Deuxième point, le nombre de licences pour les navires français dans les trois zones - ZEE, îles anglo-normandes et 6-12 milles - devait être défini dans l'Accord, ce qui n'a finalement pas été le cas. On m'a alors répondu qu'il ne fallait pas s'inquiéter au motif que l'Union européenne dispose de mesures de rétorsion pour faire pression sur les Britanniques. Au demeurant, je le redis, le « no deal » n'était pas une solution envisageable : les conséquences auraient été catastrophiques pour les pêcheurs bretons, normands et des Hauts-de-France.
L'accord signé ne réglait pas tout puisqu'il laissait une marge d'interprétation sur le volet de la pêche. Nous savions qu'il serait difficile à appliquer. D'expérience, je sais également que la meilleure façon de mettre en oeuvre rapidement un accord est de confier cette tâche à son équipe de négociation. Cela n'a pas été l'option retenue : la Commission européenne a pris le relais, alors que cette mission n'était pas vraiment dans son ADN. Les choses ont donc pris du temps, bien davantage que l'on ne l'aurait voulu. Les mois qui se sont écoulés nous ont malheureusement donné raison.
La mise en oeuvre de l'accord n'est pas satisfaisante. La Commission européenne est pleinement mobilisée, mais la question des licences n'a pas été suffisamment prise en compte avant la fin de l'été 2021, alors même que le commissaire avait annoncé aux pêcheurs que le dossier serait réglé dans un délai d'un mois. L'engagement était fort, mais les difficultés étaient sous-estimées. La Commission a pensé que les choses se feraient facilement puisque l'accord avait déjà été négocié. Elle s'est laissé entraîner par le Royaume-Uni dans une nouvelle négociation, au lieu de mettre simplement l'accord en oeuvre. De son côté, la France n'a jamais cessé, depuis le 1er janvier 2021, de défendre ses pêcheurs !
Les organisations professionnelles (OP) ont aidé nos pêcheurs à monter leurs dossiers, les ont transmis au comité des pêches, puis à la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA) et enfin aux services de la Commission européenne, laquelle fait une analyse de ces dossiers avant de les adresser au Royaume-Uni lequel, au tout début, les faisait « redescendre » à Jersey et Guernesey... Cette procédure complexe, prévue par l'accord, peut paraître complètement folle quand on est à Saint-Malo ou à Granville et qu'on voit Jersey ou Guernesey en face ! Je signale que 79 dossiers n'avaient pas toutes les pièces exigées et n'ont donc pas été transmis.
Le Brexit figure au coeur de mon action depuis mon arrivée au ministère de la mer. Je consacre plus de la moitié de mon temps au seul volet pêche. Même si je connais bien le milieu de la pêche depuis très longtemps, je me suis déplacée pour dialoguer avec les pêcheurs de Saint-Malo, Saint-Quay-Portrieux, Granville, Cherbourg, Port-en-Bessin, Fécamp et Boulogne-sur-Mer notamment. Et j'ai vérifié que le travail mené entre les OP, le comité régional et la DPMA était bien organisé.
J'ai également eu de nombreux échanges téléphoniques avec la Commission européenne pour remettre le dossier des licences sur le « haut de la pile ». Le Premier ministre a envoyé des courriers et le Président de la République a dû se fâcher pour que la question soit examinée au plus haut niveau. Nous sommes allés à Bruxelles rencontrer le vice-président de la Commission chargé de la mise en oeuvre de l'accord et le commissaire à la pêche avec l'ensemble des comités régionaux et le président du comité national des pêches. C'était totalement inédit, mais il fallait que nos interlocuteurs comprennent que, derrière ces licences, il y avait bien des hommes, des femmes et une économie indispensable à la filière, au moment où la crise sanitaire nous rappelle combien il est important d'être moins dépendant des importations.
J'ai rencontré mes « homologues » de Jersey et de Guernesey ainsi que le ministre britannique de l'environnement, George Eustice. Clément Beaune, le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, s'est également beaucoup impliqué. Le Premier ministre et le Président de la République se sont très largement mobilisés.
Pour répondre aux interrogations du sénateur Alain Cadec, je ne crois pas que nous assistions à une perte d'influence de la France. Il faut rappeler à nos interlocuteurs que l'Europe est là pour protéger.
La France se prépare aux conséquences du Brexit depuis très longtemps. En tant que ministre des outre-mer, j'ai assisté pendant plus de deux ans à des réunions pilotées par les Premiers ministres successifs pour anticiper cette échéance. Quand je suis arrivée à la tête du ministère de la mer, j'ai demandé que nous nous mettions immédiatement en mode projet et que l'on réfléchisse à un plan d'accompagnement. Je souhaitais que nous allions le plus loin possible dans la défense de nos droits. Des leviers se trouvaient à notre disposition, mais, dans le même temps, nous devions préparer nos pêcheurs au Brexit, puisque l'Accord du 24 décembre 2020 prévoyait une diminution de 25 % de la ressource pêchée dans les eaux britanniques, à l'horizon 2026. C'était le signal que nous étions prêts à affronter tous les cas de figure.
Je reprendrai rapidement quelques dates clés de ces onze derniers mois.
Le 31 décembre 2020, la France envoie les listes des navires demandant un permis d'accès à Jersey et Guernesey, afin que ceux-ci puissent continuer à pêcher jusqu'à la fin de l'année 2021.
Le 1er janvier 2021, tous les navires pêchant dans la ZEE britannique obtiennent leur licence. En l'espèce, la procédure a été très rapide, le Royaume-Uni ayant intérêt à octroyer vite les licences pour obtenir les siennes.
Le 12 janvier 2021, la Commission communique les critères techniques applicables aux trois zones qui ne sont pas dans la ZEE - les 6-12 milles, Jersey et Guernesey - zones qui concernent quasi exclusivement les pêcheurs français. C'est là que les choses se compliquent.
En février 2021, le Royaume-Uni « se réveille » et décide unilatéralement, sans notification préalable, de prévoir de nouvelles conditions d'éligibilité. Nous avons bien entendu refusé. La DPMA a transmis sa réponse sur la méthodologie qu'il serait, selon nous, normal d'appliquer, en vertu de l'accord. Le Royaume-Uni a poursuivi ses manoeuvres dilatoires.
En avril 2021, sur la demande du Royaume-Uni, la DPMA fournit de nouvelles données pour étayer nos demandes de licences : déclarations de captures, journaux de pêche, déclarations de vente. La géolocalisation pose toujours problème : c'est une exigence du Royaume-Uni bien que l'Union européenne ne l'impose pas aux navires de moins de 12 mètres. Au surplus, cette mesure ne figure pas dans l'Accord. Nous avons alors fait valoir qu'il existe d'autres moyens de prouver la présence des navires.
En juin 2021, apparaît une nouvelle demande du Royaume-Uni concernant cette fois les navires de plus de 12 mètres, lesquels ont déjà perdu plus de six mois de pêche.
En juillet 2021, le Royaume-Uni présente le même type de demande, mais cette fois pour les navires de moins de 12 mètres, concernant Jersey, Guernesey et la zone des 6-12 milles. Le temps tourne et nous n'arrivons toujours pas à nous mettre d'accord sur les pièces justificatives de la présence des pêcheurs en l'absence de géolocalisation, ou sur la question des navires remplaçants, un autre sujet traité très tardivement par la Commission européenne alors que nous avions déjà fait des demandes.
À partir du 17 septembre 2021, des licences sont accordées au coup par coup, par Jersey, pour les 6-12 milles. Cette situation met la pression sur nos pêcheurs, mais nous n'y pouvons pas grand-chose. La mauvaise volonté de nos partenaires est manifeste : il faut pousser le Royaume-Uni à respecter l'accord. C'est la raison pour laquelle la France a demandé aux autres États membres ayant des pêcheurs européens de la soutenir, via une prise de position commune sollicitant une intervention de la Commission européenne. Nous sommes rejoints au-delà des huit pays dits « amis de la pêche », puisque dix États membres s'associent à cette demande de la France. Peut-être aurions-nous pu faire appel à l'ensemble des pays européens, mais il nous semblait qu'à ce stade il revenait aux pays pêcheurs d'être au rendez-vous, ce qui a été le cas.
Vous connaissez la suite : le 28 octobre 2021, les échanges techniques n'aboutissent toujours pas. Nous décidons de présenter des mesures de rétorsion potentielles, applicables à compter du 2 novembre 2021. Le Premier ministre envoie un nouveau courrier à la présidente de la Commission européenne ; de mon côté, j'informe par écrit - une formalité obligatoire - la Commission du souhait de la France de fermer des ports. La Commission doit, elle, informer la Commission des pêcheries de l'Atlantique nord-est (CPANE) - dont je ne suis pas sûre qu'elle ait été parfaitement mise au courant de la situation. La situation se tend. Boris Johnson exprime son souhait de reprendre le dialogue ; la présidente de la Commission manifeste sa volonté de voir les discussions aboutir rapidement. Le Président de la République décide donc de continuer la négociation, tout en demandant à la Commission de fixer une date limite.
Pour résumer, pendant ces onze mois de travail, nous avons défendu en permanence nos marins par la tenue de dizaines d'heures de réunion et la transmission de milliers de données. J'explique la situation de blocage par le refus du Royaume-Uni d'honorer pleinement sa signature et par sa volonté d'en vouloir toujours plus pour se préparer à l'horizon 2026, au terme de la période transitoire prévue. C'est une restriction inadmissible de l'Accord. Nous avons souhaité que la Commission fixe une date limite : c'est donc le 10 décembre 2021, c'est-à-dire demain.
Un point sur les licences : je le redis, les Britanniques ont réussi à entraîner la Commission dans de nouvelles négociations, ce qui n'aurait pas dû arriver. Aujourd'hui, le nombre exact de licences délivrées aux pêcheurs est de 1 004 : 734 licences définitives dans la ZEE, 125 pour Jersey, 40 pour Guernesey - sans compter trois licences dont le dossier est presque complet et qui seront réglées rapidement -, 105 pour les 6-12 milles. Au total, 84 % de nos demandes ont été sécurisées. Le taux de 90 % que j'ai cité précédemment incluait les trois licences qui seront bientôt accordées et quelques autres qui nous ont été promises.
Il faut continuer à se battre. Comme le Président de la République l'a dit, personne ne doit être laissé sur le quai.
Il manque 53 licences pour la zone des 6-12 milles britanniques. Parmi ces licences manquantes, 40 concernent des navires remplaçants, au sujet desquels la Commission européenne n'est toujours pas d'accord avec le Royaume-Uni. En revanche, la France et la Commission européenne sont parfaitement alignées, il n'y a aucun débat là-dessus.
À Jersey, 38 licences provisoires sont classées dans la rubrique orange, les navires pouvant continuer à pêcher, et 12 licences provisoires sont rouges, c'est-à-dire que, depuis le 1er novembre 2021, les navires ne peuvent plus pêcher. L'invention de ces codes couleur est assez extraordinaire...
La coupe est pleine pour les pêcheurs, et il faut comprendre leur colère. Je l'ai répété au commissaire européen chargé de l'environnement, des océans et de la pêche le 26 novembre dernier, il n'est plus possible d'attendre. Le commissaire a d'ailleurs observé de très près les événements qui se sont passés sur le littoral de la Manche.
Quel espoir avons-nous pour la réunion de demain ? Le seul espoir que je vous ai donné concerne les quelques navires pour lesquels l'accord n'est pas finalisé. Concernant les navires remplaçants, nous ne sommes toujours pas d'accord, mais nous continuons à nous battre heure par heure. Les négociations se sont poursuivies hier, et des échanges ont lieu tout au long de cette journée.
Au-delà de l'échéance du 10 décembre 2021, il est clair pour nous que la Commission européenne doit demander la tenue d'une réunion du conseil de partenariat entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Le Premier ministre porte cette demande, que nous ferons immédiatement après le résultat des négociations, même si nous pouvons toujours espérer que le Royaume-Uni et Jersey soient pleins de bonnes intentions et veuillent respecter leur signature et leur engagement. Le conseil de partenariat est notre dernière chance pour gérer ces dossiers litigieux. Si nos demandes n'étaient pas satisfaites, nous demanderions qu'une procédure en contentieux soit ouverte par la Commission européenne. Cette procédure prendrait beaucoup de temps, mais nous n'avons pas le choix : la France n'abandonnera jamais ses droits.
De plus, selon la réponse que nous aurons demain soir, la Commission européenne pourra demander que des mesures de rétorsion européennes soient mises en place.
Le conseil de partenariat réunit des représentants du Royaume-Uni et des pays européens, et pas seulement de la France. Le commissaire est déjà d'accord pour constater l'existence d'une violation de l'accord concernant les licences de pêche - c'est un minimum. Ce constat sera établi pour tous les dossiers transmis au Royaume-Uni n'ayant pas reçu de réponse favorable. Cela nécessite que nous accompagnions totalement ceux de nos professionnels qui se retrouveraient contraints d'aller jusqu'au contentieux.
Le plan d'accompagnement a été négocié avant. On y retrouve des arrêts temporaires d'activité qui courent du 1er janvier 2021 jusqu'au 31 décembre 2021, des indemnités de perte de chiffre d'affaires qui ont couru jusqu'au mois de juillet et que l'on doit à nouveau examiner, ainsi que la question des « sorties de flotte ».
Ce plan doit être ajusté en fonction des résultats du Brexit. Les représentants des professionnels et les élus des territoires demandent fortement que des investissements d'avenir soient financés.
La France a obtenu une enveloppe de 100 millions d'euros pour accompagner les pêcheurs après le Brexit. Aux assises de la pêche et des produits de la mer, j'ai avancé le chiffre de 70 millions d'euros, soit ce qui nous reste après avoir déjà investi 30 millions d'euros dans le financement des arrêts temporaires et les indemnisations des chiffres d'affaires. Il nous reste donc 70 millions d'euros pour mettre en oeuvre les sorties de flotte et les investissements nécessaires.
Je vous rappelle que tous ces outils doivent être notifiés auprès de la Commission européenne avant d'être mis en oeuvre. Afin que la France soit au rendez-vous pour accompagner ses pêcheurs au mois de janvier, il fallait que ces outils soient définis au moins deux mois auparavant, en coproduction avec les professionnels - c'est ma manière de fonctionner. Pour cette raison, j'ai indiqué lors des assises de la pêche et des produits de la mer qu'il était temps que l'on travaille sur ce plan de sortie de flotte, car il faut déterminer quelles sont les conditions pour en bénéficier. Si l'on fixe un seuil à 10 % de perte de chiffre d'affaires, l'accompagnement ne sera pas le même que si ce seuil est fixé à 80 %.
Les choses ne sont toujours pas précisées. Tout le monde s'est énervé, la presse la première. Il y a eu une incompréhension, et j'y ai sûrement eu une part de maladresse. Mais ces outils d'accompagnement ne sont pas prêts, et les comités ont un peu peur d'y travailler. C'est dommage, car il va bien falloir les mettre en oeuvre. Nous avons toujours dit que ces mesures seraient prises sur la base du volontariat. Il faut faire attention, car les sorties de flotte ne concernent pas seulement la baie de Granville : il y a une forte demande depuis quelques mois en Méditerranée, ou dans les Hauts-de-France.
Les pêcheurs sont au courant de ces dossiers. C'est une erreur d'interprétation que de penser qu'il y a un plan massif de sortie de flotte. Il faut revenir à un climat plus apaisé pour que l'on travaille sur ces sujets. Gouverner, c'est prévoir. Ma mission et ma responsabilité, à la demande du Président de la République, consistent à faire en sorte que personne ne reste sans solution.
Nous avons besoin d'élaborer des stratégies à plus long terme : nous lancerons un plan d'action pour une pêche durable pour la décennie à venir, avec le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins, afin de faire évoluer tant notre vision française que celle de la politique commune de pêche (PCP). Ce travail avec les pêcheurs va ressembler au travail accompli dans le cadre du « Fontenoy du maritime » : ce sera une dynamique, qui évoluera avec le temps.
En ce qui concerne la pêche durable, il faut préciser qu'en France, 60 % des espèces sont aujourd'hui exploitées durablement, contre 20 % il y a vingt ans. Les pêcheurs français se sont fortement impliqués et ont suivi les recommandations de la Commission européenne, en mettant également au point leurs propres contraintes afin de gérer leurs stocks de poissons et de produits halieutiques.
Pour répondre à votre question concernant l'après-2026, madame la présidente, l'accès de chaque flotte aux eaux de l'autre partie sera négocié annuellement. C'est un grand changement, qui va nous mettre en tension chaque année.
L'Accord comporte des garanties afin de dissuader le Royaume-Uni de limiter arbitrairement l'accès à ses zones de pêches. Nous devons nous battre pour qu'il soit mis en oeuvre. Les droits de douane sur les produits britanniques de la mer ou sur d'autres marchandises peuvent être ciblés ; il est possible de réduire l'accès de la flotte britannique aux eaux de l'UE, ainsi que de suspendre certaines obligations de l'UE dans d'autres domaines que la pêche en cas de préjudice économique et social important. Dans un cas extrême, chaque partie peut d'ailleurs mettre fin à l'Accord signé, ce que l'on pourrait faire bien avant 2026, si l'on estimait que cet accord devenait déséquilibré.
La semaine prochaine, des rencontres se tiendront à Bruxelles sur la question des totaux admissibles des captures (TAC) et des quotas. Les négociations menées dans ce cadre annuel sont toujours très difficiles, en particulier en ce qui concerne la Méditerranée - je vous rappelle que le plan de gestion pour les pêcheries en Méditerranée prévoit une baisse des captures de 40 % d'ici à 2025, et que, lorsque j'ai pris mes fonctions, il n'y avait pas de plan d'accompagnement de la pêche en Méditerranée. Nous avons mis en place un plan d'accompagnement avec la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture similaire à celui en vigueur pour le Brexit. Le Brexit ne doit pas faire oublier d'autres situations sur nos littoraux, comme celle du golfe de Gascogne.
M. Jean-Pierre Moga. - Madame la ministre, je voudrais vous remercier pour les détails que vous nous avez donnés sur ce sujet préoccupant.
Ma question concerne l'éolien en mer. Cette énergie renouvelable est prometteuse en raison de son potentiel de production. Le futur parc de Dieppe-Le Tréport sera doté d'une puissance de 500 mégawatts. Mais force est de constater que notre pays, malgré ses vastes espaces maritimes, accuse un retard certain dans ce domaine : nous n'avons pas de parc offshore, alors que le Royaume-Uni dispose par exemple d'un parc d'une puissance de 10 gigawatts - il devrait d'ailleurs doubler d'ici 2030.
Le développement de ces parcs pourrait engendrer 15 000 emplois pour la France, car nous pouvons entièrement produire tous les éléments de ces éoliennes. Pouvez-vous nous préciser les ambitions de la France en matière d'éolien en mer, ainsi que les leviers que vous comptez actionner afin de soutenir son développement ?
Mme Annick Girardin, ministre. - Le ministre de la mer est le ministre de la planification en mer. On n'a jamais beaucoup aimé parler de planification dans cet espace de liberté, mais les activités en mer sont de plus en plus nombreuses, qu'elles soient historiques, comme la pêche ou le transport de marchandises et de passagers, ou beaucoup plus récentes, comme le tourisme, l'éolien ou la protection des espaces maritimes. Je regarde le sujet globalement, sous l'angle de la planification.
Je souhaite que l'on définisse des zones sur chaque bassin, et que le débat ait lieu à l'échelle locale, comme cela se passe dans d'autres pays. Quand je suis arrivée en responsabilité, j'ai voulu regarder l'état des projets d'éolien en mer. J'ai alors découvert qu'on ne disposait que d'une seule éolienne expérimentale, même si les choses devaient s'accélérer. Barbara Pompili a annoncé un plan ambitieux qui doit être mis en place en concertation avec les élus des territoires et avec les populations locales. Notre industrie est performante en la matière ; elle est prête.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Ma question est de nature prospective. En vous écoutant, on comprend bien les grandes difficultés rencontrées dans la négociation à l'échelle européenne. On mesure l'ampleur de la baisse des quotas et de nos capacités de pêche dans la mer du Nord, en Méditerranée ou dans le golfe de Gascogne. Comment voyez-vous la pêche française dans dix ans ? Aujourd'hui, elle représente 1 % du PIB ; 65 % du poisson consommé en France est déjà importé.
Mme Annick Girardin, ministre. - Je crois en la pêche française. Pour cette raison, j'ai souhaité lancer un plan d'action pour une pêche durable avec le Comité national des pêches, ce qui interviendra dans les jours qui viennent.
Une vraie prospection repose sur un élément essentiel : la recherche et la connaissance. En Méditerranée, seulement 8 espèces sont suivies scientifiquement, alors que l'on sait qu'un filet ramène jusqu'à 70 espèces. L'état de la ressource apparaît comme le premier sujet : quelles sont les ressources, quels types de quotas faut-il mettre en place ? Il est essentiel de mettre la science au service de la pêche, en favorisant, par exemple, les liens entre l'Ifremer et les pêcheurs.
La France possède une vaste ZEE ; nos ressources sont importantes, et nous avons besoin de mieux les connaître pour savoir où on peut pêcher aujourd'hui, et où on pourra pêcher demain. Cette question concerne également les eaux que nous possédons dans l'océan Indien, le Pacifique, ou l'Atlantique : l'espace potentiel de pêche française est extrêmement large. Il faut mieux connaître nos stocks, pour mieux les gérer et les protéger.
Nous devons également nous poser la question de l'accompagnement du pêcheur et de sa famille. Nous ne sommes pas allés assez loin concernant l'accompagnement, la formation, les cotisations à l'Établissement national des invalides de la marine (ENIM) ou les retraites.
Un programme doit aussi être mené à bien sur les outils de pêche et les bateaux, qui ont en moyenne trente ans, avec un volet sanitaire, un volet sécuritaire ainsi qu'un volet concernant la transition énergétique.
Il faut également travailler sur la mixité à bord des navires, qui n'est actuellement pas possible sur les bâtiments de moins de 14 mètres. Pour que les choses évoluent, il faut persuader l'Union européenne de prendre en compte une augmentation de la taille des bateaux, sans que cela ne provoque une augmentation des capacités de pêche.
Nous avons aussi besoin de nous doter d'un plan en faveur de l'aquaculture durable. Nous y travaillons avec M. Denormandie. Je réfléchis également à des passerelles professionnelles entre les différents métiers de marins, car je ne sais pas si, dans le monde de demain, on pourra travailler toute sa vie dans la même filière. Il me semble donc utile de développer des passerelles entre la marine marchande, la pêche, mais aussi le secteur de la plaisance.
Il convient de veiller à la formation. J'ai créé un poste de coordinateur des lycées maritimes pour améliorer la coordination entre les établissements, mettre en place des actions communes, mieux partager les moyens et développer les investissements, en lien avec les régions.
Voilà le travail à venir avant la fin du quinquennat.
M. Alain Cadec, vice-président de la commission des affaires européennes. - Il faut aller vite !
Mme Annick Girardin, ministre. - Oui, mais il en va de même que pour le « Fontenoy du maritime » : voilà des années que chacun sait ce qu'il faut faire, il suffit juste d'impulser une dynamique suffisamment forte pour mutualiser les idées et lancer un plan d'action, destiné à se poursuivre lors du prochain quinquennat.
M. Alain Cadec, vice-président de la commission des affaires européennes. - Si je comprends bien, vous souhaitez utiliser la réserve d'ajustement du Brexit pour financer le plan de sortie de flotte. Je ne suis pas sûr que la Commission européenne soit d'accord pour utiliser ainsi cette réserve, dans la mesure où elle a été conçue pour aider les entreprises à surmonter les conséquences du Brexit, même si cela peut l'arranger d'une certaine manière...
Les navires de remplacement ne sont pas reconnus par les Britanniques, car ils considèrent que l'antériorité n'existe plus lorsqu'un marin pêcheur change de bateau : normalement les droits de pêche sont renouvelés automatiquement, mais les Britanniques font la sourde oreille. Nous n'avons pas d'autre solution que de chercher à les convaincre.
Vous avez évoqué des procédures de contentieux, mais cela prend énormément de temps ! En revanche, l'Union européenne a prévu la possibilité de prendre des mesures de rétorsion. Pensez-vous que la Commission européenne soit prête à les appliquer ?
Enfin, vous estimez que la France doit être moins dépendante de ses importations et insistez sur la formation des jeunes marins, mais, en même temps, vous proposez un plan de sortie de flotte : n'est-ce pas antinomique ?
Mme Annick Girardin, ministre. - En ce qui concerne les mesures de rétorsion, si toutes les licences ne sont pas délivrées le 10 décembre 2021, la France demandera la réunion du conseil de partenariat pour qu'il examine la situation et constate la mauvaise foi et le refus du Royaume-Uni d'honorer pleinement sa signature. C'est à ce niveau qu'il sera décidé, le cas échéant, d'ouvrir une procédure de contentieux ou de prendre d'éventuelles mesures de rétorsion. La France poussera en ce sens. C'est à la Commission européenne qu'il appartiendra de porter le contentieux, ou de prendre les mesures de rétorsion. Les préjudices, d'ailleurs, sont calculés en fonction des pertes financières pour la France et les pêcheurs, non du nombre de licences. Je ne sais pas ce qu'il se passera demain, mais nous essaierons de convaincre la plupart des pays européens. Le commissaire européen semble favorable à l'idée d'engager un contentieux, car il faut défendre les droits de l'Union européenne jusqu'au bout, par principe. Il est vrai qu'un contentieux ne serait pas une bonne nouvelle pour les pêcheurs, car c'est une procédure longue, et l'issue n'est pas la récupération de la licence mais un dédommagement financier.
Nous avons inclus le plan de sortie de flotte dans le plan d'accompagnement et ce, à la demande des professionnels de certaines régions, même si les besoins varient selon les littoraux. Il est vrai qu'utiliser la réserve d'ajustement au Brexit pour financer des sorties de flotte volontaires n'apparaît peut-être pas toujours pertinent, dans la mesure où le Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture (FEAMPA) peut aussi les financer. Nous aviserons donc au cas par cas. Les demandes se feront sur la base du volontariat.
M. Alain Cadec, vice-président de la commission des affaires européennes. - Je crains des effets d'aubaine. Un pêcheur de 57 ans qui a un bateau vieux de plus de 30 ans aura intérêt à demander une indemnisation au titre d'une sortie de flotte !
Mme Annick Girardin, ministre. - Vous avez raison, nous devrons fixer des critères ; il faudra démontrer l'existence de pertes liées au Brexit - dont il conviendra de définir le niveau. Les réponses favorables ne seront pas automatiques. Chaque dossier fera l'objet d'une analyse, notamment pour apprécier, par exemple, s'il ne peut être proposé des transferts de quotas ou de jours de mer, ou la possibilité de participer à d'autres activités. Il nous reste à finaliser avec les professionnels la procédure d'examen des demandes. Je rappelle qu'un navire a une valeur importante. Les 70 millions disponibles du plan d'accompagnement ne sont pas fléchés vers la sortie de flotte, mais vers différents outils de soutien aux pêcheurs. Il nous manque aujourd'hui 104 licences, tandis que 79 demandes n'ont pas été transmises parce qu'elles ne correspondaient pas à nos critères. J'espère que ce chiffre sera inférieur à l'issue de la journée du 10 décembre 2021. J'ai proposé au Président de la République de nommer un accompagnateur pour suivre ces dossiers, lorsque nous aurons reçu les réponses britanniques.
Le plan de sortie de flotte et le plan d'accompagnement sont complémentaires. On peut comprendre que des marins pêcheurs épuisés souhaitent y recourir. Mais, même si le nombre de bateaux peut diminuer, je ne vois pas pourquoi la pêche serait moins dynamique demain. On peut diversifier les activités des pêcheurs. Nous ferons le bilan à la fin du plan et je pense que le nombre d'emplois sera supérieur.
J'insiste sur l'importance de la formation, car ces métiers n'attirent plus, en dépit de l'action de promotion des métiers du vivant que nous avons menée avec le ministre Julien Denormandie. Les effectifs dans les lycées maritimes baissent. Je suis élue d'un territoire qui est frappé par la surpêche et où le moratoire sur la pêche a été une catastrophe. Je suis donc très vigilante sur ces questions.
Mme Marta de Cidrac. - Le Président de la République annoncera bientôt les priorités de la présidence française de l'Union européenne (PFUE). Comment pensez-vous peser à l'occasion de cette présidence, pour mettre en avant certains sujets ? Les volets maritimes et de la pêche seront-ils une priorité ?
Mme Annick Girardin, ministre. - En ce qui concerne le volet maritime de la PFUE, un colloque sera organisé à La Rochelle sur les aspects sociaux. Nous avons mis en place des aides à l'emploi pour la marine marchande destinées à lutter contre le dumping social.
Je défendrai deux messages lors de la présidence française de l'Union européenne. Tout d'abord, il convient de réviser la politique commune de la pêche (PCP), dont le cadre juridique est défini par un règlement européen de 2013 qui doit être réexaminé à partir de 2022. Ce ne sera pas simple, car la Commission européenne n'a manifestement pas le souhait de rouvrir la discussion sur le sujet.
Il faudra également finaliser la révision du règlement instituant un régime communautaire de contrôle, afin d'assurer le respect des règles de la politique commune de la pêche. Trois sujets devront pour cela être abordés, selon moi. Le premier est le rôle de l'évaluation scientifique : s'il apparaît pertinent de s'appuyer sur les données du Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM), je note que ces données ont souvent deux ou trois ans et que chaque niveau consulté rajoute son avis. Il faudrait que le pouvoir politique puisse se fonder uniquement sur les données scientifiques. Deuxième axe, la lutte contre la pêche illégale, problème crucial dans certaines régions, comme en Guyane : cet objectif doit être réaffirmé ; ce thème sera aussi à l'ordre du jour du One Ocean Summit qui se tiendra à Brest en février 2022. Enfin, dernier axe, le développement de l'aquaculture : je plaide pour l'instauration de quotas de production pour les pays européens. Dans la mesure où l'on réduit d'un côté les quotas de pêche, il serait judicieux de produire davantage grâce à l'aquaculture pour compenser.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Je ne sais pas ce qu'en pense votre collègue Barbara Pompili...
M. Laurent Somon. - Certaines incompréhensions viennent des annonces de fermeté que vous aviez formulées : il était question de revenir sur les accords du Touquet, de limiter l'approvisionnement en énergie de Jersey, d'empêcher la flotte de pêche britannique d'entrer dans les ports français, etc.
Quelles sont les conséquences du Brexit sur la filière du mareyage ? Les contrôles douaniers perturbent le débarquement dans certains ports et obligent à aller plus loin : certains ne pouvant plus débarquer à Granville doivent aller à Saint-Malo.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre stratégie à long terme pour la pêche ? La France possède le deuxième domaine maritime mondial et dispose d'entreprises de transformation développées. Est-il envisageable de renoncer à la pêche ?
La France dit qu'elle défend ses pêcheurs, mais j'ai l'impression qu'elle est à la remorque tandis que Boris Jonhson, lui, agit et obtient satisfaction. Il annonce aussi une révision de la réglementation concernant le maillage des filets. Allons-nous réagir ?
Mme Annick Girardin, ministre. - Le Royaume-Uni a souhaité reprendre sa souveraineté. Nous devrons nous y habituer. Il est possible également que le Royaume-Uni annonce l'installation d'éoliennes dans des zones de pêche. Il n'en demeure pas moins que le Royaume-Uni est notre voisin, et qu'après une phase de tension, il faudra bien que nous retrouvions des relations de bon voisinage.
Nous avions suspendu la mise en oeuvre des mesures de contrôles renforcés, que nous avions annoncées, après l'annonce par le gouvernement britannique de sa volonté de reprendre le dialogue. La pêche relève de la compétence de l'Union européenne. C'est donc à la Commission qu'il convient d'agir en premier lieu. Nous cherchons à impulser son action, même si nous pouvons très bien renforcer certains contrôles, ou les exercer avec plus de zèle... Nous avons aussi été attentifs à ce que des mesures de contrôles renforcés ne pénalisent pas notre filière de mareyage.
Nous sommes tous préoccupés par les annonces britanniques concernant les mesures techniques. Le Royaume-Uni nous a montré qu'il pouvait les instaurer de manière unilatérale, alors que l'accord de Brexit prévoit un préavis « raisonnable » et une concertation. La difficulté consiste à apprécier le caractère « raisonnable » des mesures si nous ne sommes pas informés...
M. Alain Cadec, vice-président de la commission des affaires européennes. - Sophie Primas a évoqué l'après-2026. Je déplore que le secteur subisse alors des négociations annuelles. Il faudrait prévoir un cadre pluriannuel. Les pêcheurs manquent de visibilité.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Ne serait-il pas possible pour la France et les pays touchés par le Brexit, de négocier, en compensation du non-octroi des licences, sous le contrôle des scientifiques et de façon temporaire, l'obtention de quotas de pêches supplémentaires dans les eaux européennes ?
Mme Annick Girardin, ministre. - On peut toujours essayer, mais les négociations seront compliquées... Les quotas sont définis chaque année. Peu de professions, en effet, dépendent d'accords renégociés tous les ans. Or lorsqu'un pêcheur achète un bateau, il s'engage sur des années. Un cadre pluriannuel serait souhaitable, quitte à prévoir des possibilités d'ajustement en cas de problème. La pêche est un secteur sous tension, sans compter les effets de la planification de l'espace maritime et l'irruption de nouvelles activités en mer. Nous devons donc revoir l'ensemble du système, aux niveaux français et européen.
Je suis ouverte à l'idée consistant à étudier la possibilité d'échange de quotas pour aider ceux qui ont été victimes d'aléas. Toutefois, si les pêcheurs européens sont soudés lorsqu'il s'agit de mesures visant des pays extra-européens, la solidarité est plus limitée au sein de l'Union européenne ! Les pêcheurs, il faut le dire, subissent à peu près les mêmes contraintes partout, qu'elles soient directement liées au Brexit ou non. Je ne parle pas non plus de la concurrence de la pêche industrielle pour la pêche artisanale. Il y a des difficultés partout. Enfin, je vois mal comment nous pourrions envoyer de petits bateaux de moins de 12 mètres pêcher dans l'océan Indien...
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Nous vous remercions pour vos réponses.
M. Alain Cadec, vice-président de la commission des affaires européennes. - Je tiens, avant de conclure, à saluer l'excellent travail de la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à midi.