- Mercredi
1er décembre 2021
- Projet de rapprochement entre les sociétés TF1 et M6 - Audition de M. Olivier Roussat, directeur général du groupe Bouygues
- Proposition de résolution européenne, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur l'inclusion du nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie européenne des investissements durables - Examen du rapport et du texte de la commission
Mercredi 1er décembre 2021
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente, et de M. Laurent Lafon, président de la commission de la de la culture, de l'éducation et de la communication -
La réunion est ouverte à 9 h 40.
Projet de rapprochement entre les sociétés TF1 et M6 - Audition de M. Olivier Roussat, directeur général du groupe Bouygues
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Mes chers collègues, cette réunion commune doit nous permettre d'évoquer une opération industrielle dans le secteur des médias d'une importance tout à fait particulière : le rapprochement entre les groupes TF1 et M6.
Nous avons déjà eu l'occasion d'échanger avec les dirigeants de ces deux groupes dans le cadre des travaux de notre commission.
Nous souhaitions aujourd'hui avoir le point de vue de l'actionnaire du groupe TF1. Je remercie M. Olivier Roussat, directeur général du groupe Bouygues, d'avoir accepté le principe de cette audition.
Voilà 35 ans, le groupe Bouygues décidait d'investir dans les médias en se portant acquéreur de TF1, première chaîne d'Europe, lors de sa privatisation.
Au cours de toutes ces années, TF1 a gardé nombre de ses atouts : la puissance de son information, la qualité de ses fictions et sa capacité à diffuser les grands événements sportifs. La chaîne a aussi connu des évolutions, face à des concurrents classiques, comme M6, face à de nouveaux acteurs comme les chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT) et, plus récemment, face aux plateformes américaines.
Nous pouvons imaginer que le rapprochement envisagé avec M6 constitue une réponse à ces changements intervenus dans le secteur des médias - c'est ainsi que cette fusion est présentée. Pourquoi avez-vous décidé de vous maintenir dans le secteur de la télévision gratuite et quel avenir voyez-vous à ce média, familier de tous les Français, mais qui est en difficulté ?
Concernant plus précisément le projet de rapprochement entre les deux groupes, pouvez-vous nous expliquer quelle forme prendra la nouvelle entité et comment vous envisagez de répondre aux remarques concernant la constitution d'un acteur ultra dominant, en particulier sur le marché publicitaire ?
Quel devrait être, enfin, le calendrier de l'opération, compte tenu de l'intervention des deux régulateurs, l'Autorité de la concurrence et la future Autorité de régulation de la communication audiovisuelle (Arcom) ?
Concernant plus particulièrement les aspects relatifs à la concurrence et au respect du pluralisme, le Sénat a créé une commission d'enquête concernant les différents aspects relatifs à la concentration dans les médias, qui vient de commencer ses travaux. Cette commission aura, bien entendu, à entendre les représentants des deux groupes concernés au regard de son champ d'investigation.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Monsieur le directeur général, je vous remercie d'avoir répondu favorablement à l'invitation de nos deux commissions.
Le projet de fusion entre TF1 et M6 a été officialisé le 17 mai dernier, lorsque le groupe Bertelsmann a sélectionné la candidature de votre groupe parmi plusieurs offres, dont celles de Vivendi, Altice ou encore Mediawan.
Depuis, les prises de parole se multiplient, soit pour promouvoir cette fusion, en ce qu'elle donnerait à l'entité fusionnée une force de frappe plus grande pour rivaliser avec ses concurrents, notamment américains, soit pour la dénoncer, compte tenu de la position dominante dont bénéficierait le groupe sur le marché de la télévision privée gratuite française.
Ce projet déchaîne d'ailleurs tant les passions que plusieurs autorités publiques ont déjà fait entendre leurs préférences en la matière, bien que l'instruction du dossier soit toujours en cours.
Permettez-moi une digression personnelle, qui ne vous est pas directement adressée. Je relève que la présidente de l'Autorité de la concurrence, qui est en charge d'une partie de ce dossier, personnalité qui faisait l'unanimité et dont le mandat arrivait à échéance au cours de cette instruction, n'a pas été reconduite. Je comprends que le Président de la République entend nommer une nouvelle personnalité à la tête de cette institution. Espérons qu'elle puisse toujours instruire, en cette période d'élection, ce dossier et tous les autres en toute indépendance.
Cette indépendance est, en effet, un élément essentiel du droit de la concurrence, dont la vocation est de défendre le bon fonctionnement du marché et le consommateur. Nous aurons l'occasion très prochainement de poser ces questions au candidat pressenti par le Président de la République. Nous espérons l'auditionner avant la fin de l'année.
Revenons à la fusion en question. Un premier débat autour du respect du pluralisme, qui relève du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), intéresse plus particulièrement la commission de la culture, et un débat sur le respect du droit de la concurrence, qui relève de l'Autorité de la concurrence, intéresse notre commission des affaires économiques.
Avant d'entrer dans le détail des préoccupations de concurrence, je souhaiterais rappeler quelques chiffres.
D'après nos informations, la fusion envisagée ferait naître un groupe au chiffre d'affaires de 3,4 milliards d'euros et au résultat opérationnel de 461 millions d'euros. Il regrouperait dix chaînes de télévision et un tiers de l'audience totale.
Surtout, il disposerait de 75 % du marché publicitaire de la télévision française. Ce ratio élevé s'explique notamment par la plus faible proportion de publicités diffusées sur les chaînes publiques comme celles du groupe France Télévisions.
Les préoccupations économiques qui ont émergé dans le débat public sur cette fusion peuvent se résumer à la question suivante : la fusion risque-t-elle d'entraîner une diminution de l'intensité concurrentielle sur les marchés d'activité du groupe fusionné ? Il s'agit du marché de la publicité télévisée, où vous êtes en position de vendeur, et celui des contenus audiovisuels, où vous êtes en position d'acheteur.
S'il ne relève pas de la compétence du Sénat de se prononcer in fine sur cette question juridique, les échanges d'aujourd'hui doivent nous permettre de mieux connaître la position et les arguments de Bouygues sur ces questions légitimes.
Ce débat s'inscrit par ailleurs dans un contexte plus global, où les Gafam et les plateformes de streaming comme Netflix ou Disney +, c'est-à-dire vos concurrents sur certains segments du marché, ont acquis une taille phénoménale. Pour ne citer que quelques chiffres, plus d'un Français sur dix, soit 8 millions au total, sont désormais abonnés à Netflix. Le nombre d'utilisateurs serait plutôt de 20 millions, compte tenu des abonnements partagés. Amazon Prime Video, quant à elle, aurait 4 millions d'abonnés et 7 millions d'utilisateurs mensuels.
Or, c'est précisément le degré de concurrence avec ces entités - Facebook pour la publicité ou Netflix pour l'achat de contenus - qui cristallise le débat autour de cette fusion.
D'un point de vue économique, le noeud que devra démêler l'Autorité de la concurrence est celui de savoir quels sont les marchés pertinents qui seront touchés par cette fusion, et si la concurrence risque d'être réduite sur ces marchés.
Ma première question est donc la suivante : en quoi le marché de la publicité, télévisée et en ligne, est-il homogène et doit-il être considéré comme un bloc ?
Ma deuxième question porte sur les contenus audiovisuels. Certains craignent que la fusion permette au groupe qui en sera issu d'avoir une telle taille qu'il pourra tirer à la baisse les prix d'achat des contenus audiovisuels, c'est-à-dire des émissions, reportages, films et jeux que vous diffusez.
Quels sont vos arguments à l'appui de cette demande d'élargir le marché pertinent ? Si vous êtes en concurrence avec les grandes plateformes pour l'achat, par exemple, du dernier James Bond, il semble que vous le soyez moins pour l'achat des jeux ou des documentaires. Le marché est-il segmenté ?
Enfin, monsieur le directeur général, quelles sont les synergies que vous attendez de cette fusion, et dans quels domaines envisagez-vous de les réaliser ?
Pour finir, je souhaiterais savoir comment vous évaluez la situation de la plateforme Salto, première esquisse d'une réponse aux plateformes américaines de streaming.
M. Olivier Roussat, directeur général du groupe Bouygues. - Les médias connaissent une transformation très importante, historique, de leur business model, et le statu quo n'est pas possible.
Pourquoi cette fusion ? Le groupe Bertelsmann a décidé de céder son activité M6 et de nous rencontrer en décembre 2020. Le renouvellement des licences pour les deux chaînes aura lieu en mai 2023, ce qui implique de réaliser les mouvements de capitaux en amont. En effet, ces derniers ne sont ensuite plus possibles dans les cinq ans suivant le renouvellement, soit entre 2023 et 2028. Les deux groupes sont des groupes familiaux, avec une vision à long terme : nous avons pensé qu'il fallait anticiper.
Outre les acteurs classiques - les services publics d'une part et les groupes privés d'autre part -, le marché européen connaît l'émergence d'un troisième acteur, celui des plateformes, qui sont principalement américaines. Il n'existe pas de plateforme européenne pour le moment.
Le marché publicitaire de la télévision, qui constitue ses ressources, est relativement stable ; il s'élève à 3 milliards d'euros. Au cours de ce second semestre, il connaît un pic, car ce marché suit la croissance du PIB, mais ce pic reste tout à fait conjoncturel. Le marché publicitaire digital, lui, est en croissance constante. Sa courbe a croisé celle du marché publicitaire de la télévision en 2017, mais il est accaparé par les Gafam à 90 %.
Nous pensons que la télévision a un avenir à condition de se réinventer. Nous souhaitons continuer à proposer une offre en clair à l'ensemble des Français, raison pour laquelle nous proposons ce projet.
Concernant l'évolution du marché, jusqu'à il y a cinq ans, les ayants droit vendaient leur contenu à un nombre maximal de pays : pour 50 pays, 50 négociations étaient nécessaires. Netflix, lui, muni de poches beaucoup plus profondes, a acheté des droits mondiaux, complets, qui portent sur toutes les voies de diffusion : vidéo à la demande (VOD), vidéo à la demande avec abonnement (SVOD), diffusion sur les appareils mobiles. Ainsi, les contenus se raréfient. En Europe, aucune plateforme n'achète le lot complet de droits. Comme les plateformes américaines achètent l'ensemble des droits, il est désormais difficile d'en trouver et d'en acheter, d'autant plus que les prix de ces droits ont augmenté à cause de la rareté des contenus.
Si l'audience devant le téléviseur est relativement stable, la question qui nous préoccupe est celle de l'audience devant la télévision linéaire : elle baisse de manière continue. Cette baisse est estimée à 40 % d'ici à 2024, au profit du streaming. Les téléspectateurs souhaitent de nouveaux programmes. La durée d'écoute par individu (DEI), base de calcul pour le prix de vente de la publicité, est en train de baisser, ce qui signifie que, mécaniquement, le prix de la publicité baisse aussi. Dans un premier temps, il est possible de remonter nos prix, mais, dans un deuxième temps, les annonceurs risquent de quitter la télévision pour s'orienter vers le digital. Or, quand les coûts augmentent et que les revenus baissent, il est nécessaire d'évoluer.
De plus - c'est essentiel -, l'attente des spectateurs change. Pour y répondre, nous devons pouvoir simultanément acheter des contenus et constituer une nouvelle offre. Le premier volet de l'opération, assez défensif, est de pouvoir acheter des contenus télévisuels ; le second volet, plus offensif, est de développer l'offre de streaming. C'est pourquoi nous voulons regrouper nos forces. Le modèle d'affaires change très vite, d'où la raison de cette proposition de fusion. Ainsi, nous pourrons constituer une offre française, avec des contenus locaux qui correspondent aux aspirations des Français.
Concernant les échéances, une double autorité examine le calendrier.
Il est nécessaire que les actionnaires soient connus au plus tard en novembre 2022, car le CSA doit analyser l'actionnariat des deux chaînes avant le renouvellement des licences. L'Autorité de la concurrence doit donc nous donner son autorisation au plus tard en octobre 2022. Par exemple, une réponse en janvier 2023 serait trop tardive, et l'opération n'aurait pas lieu.
En dépit du changement de présidence en cours, l'Autorité de la concurrence s'était organisée l'été dernier pour que nous puissions continuer à travailler et obtenir une réponse en 2022. Si le calendrier est respecté - autorisation de l'Autorité de la concurrence en octobre et du CSA en novembre -, nous pourrons réaliser l'opération au début du mois de janvier 2023. Je rappelle que le pacte en vue de cette fusion a été signé en mai 2021.
Je le répète, le statu quo n'est plus possible. Les aspirations des téléspectateurs ont changé, mouvement amplifié par les confinements, et l'observation de la situation américaine permet d'anticiper les évolutions en cours.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Je suis frappé par la concomitance des opérations : renouvellement des autorisations et rachat. Voilà qui suscite quelques interrogations sur la pertinence de cette fusion.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Le groupe Bouygues semble toujours croire à l'avenir de la télévision. Or, TF1, ancienne première chaîne d'Europe, n'a pas su, jusqu'à présent, établir un leadership en Europe dans la TNT ou le numérique, en développant sa propre plateforme SVOD. Le rapprochement avec M6 va-t-il changer la donne ? Le groupe Bouygues pourrait-il décider d'investir pour développer le nouveau TF1 au-delà de nos frontières ou dans le numérique, pour créer un champion européen ?
Ce rapprochement pose nombre de questions en matière de concurrence, notamment au regard du marché publicitaire. Le rapprochement risque de ne pas être autorisé, ou les contreparties risquent d'être exorbitantes. Si la fusion n'avait pas lieu, pourriez-vous décider de vendre TF1 ?
Enfin, ce rapprochement devrait permettre des économies, en évitant les doublons. Quelles seraient les conséquences de cette fusion sur les effectifs ? Envisagez-vous un plan de départ ? Par exemple, êtes-vous prêts à nous donner des garanties sur le maintien des emplois dans les cinq prochaines années ?
M. Olivier Roussat. - En matière de développement du groupe Bouygues en dehors des frontières, la diffusion des contenus restera bien française. Cependant, un secteur reste très intéressant : les fournisseurs de contenus bénéficient d'une période incroyable, car les contenus sont rares, et les plateformes se les disputent. Nous avons déjà constitué un groupe de production de contenus, Newen, que nous sommes en train d'étendre grâce à des acquisitions aux Pays-Bas, au Canada et en Espagne. Le marché est en très forte croissance.
Le marché publicitaire est plus grand que celui de la stricte diffusion télévisuelle. Par exemple, le marché s'étend sur YouTube : les pre-roll, diffusés avant les vidéos, sont souvent identiques à ceux de la télévision.
Pourrions-nous vendre le groupe TF1 ? Nous sommes convaincus que nous devons évoluer pour nous adapter à la demande. Si l'opération ne se faisait pas, pour garantir notre survie économique et notre rentabilité, nous prendrions les mesures adéquates, avec probablement un renforcement du streaming et des contenus. Mais notre plan A est bien la fusion avec M6, pour mieux répondre aux aspirations des téléspectateurs.
Concernant les économies possibles, Bertelsmann et Bouygues sont des groupes patrimoniaux. Nos collaborateurs constituent une ressource à laquelle nous croyons, non une variable d'ajustement. Nous n'avons pas l'intention de réaliser de plan de départs en vue de cette fusion.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - La fusion entre TF1 et M6 est suspendue aux décisions de l'Autorité de la concurrence et du CSA. Beaucoup critiquent la concentration des médias dans les mains de quelques grandes fortunes. Le Sénat s'intéresse à la question dans une commission d'enquête.
Les ressources publicitaires diminuent et la concurrence avec les plateformes et les réseaux est grande. Des fonds importants sont nécessaires pour investir. Parfois, il faut même être prêt à perdre de l'argent. Comment cette fusion peut-elle répondre à ces enjeux ?
M. David Assouline. - Votre constat est que le paysage audiovisuel change radicalement et qu'il faut s'adapter. Cependant, je souhaite interroger vos réponses.
Je vais vanter vos chiffres : pour justifier la fusion, il semblerait que vous vous rapetissiez... Votre part d'audience s'est maintenue depuis 2010 ; TF1 a la plus grande audience d'Europe ; le chiffre d'affaires publicitaire augmente de 20 %, la part de marché publicitaire augmente aussi et votre rentabilité et vos dividendes sont historiquement hauts. Le groupe ne va pas mal ! La question n'est pas soudainement de devoir faire masse pour tenir.
Quel est le sens exact de cette fusion ? S'agit-il d'un enjeu de concurrence avec les plateformes comme Netflix ou Amazon, qui sont gigantesques ? Les comparaisons ne sont pas possibles face à de tels mastodontes, les écarts sont irrattrapables. De plus, cette fusion va créer de nouveaux problèmes, à l'instar de votre potentielle position dominante en matière de marché publicitaire, et des difficultés à venir pour le service public : vous serez en mesure de donner le « la ». Avec cette fusion, pensez-vous vraiment que vous allez changer le rapport de force avec les Gafam ?
M. Olivier Roussat. - Le groupe Bouygues est actionnaire de TF1 depuis 1987. En matière d'indépendance, notre bilan parle en notre faveur.
Monsieur Assouline - peut-être l'ignorez-vous - il y a eu une pandémie l'année dernière en France, qui a eu pour conséquence l'absence de publicité sur les écrans au cours du second semestre. Les résultats de 2021 sont comparés à ceux de 2020 : dans ces conditions, une croissance de 20 %, voilà qui est facile. En comparant avec les années précédentes, le marché de la publicité décline bien. Peut-être considérez-vous que les dirigeants sont totalement incompétents, mais voyez le cours de bourse de TF1 sur les dix dernières années : voilà un chiffre plus pertinent. Enfin, vous dites une chose inexacte : il n'y a pas eu de dividendes versés en 2021 au titre de 2020, précisément parce que les résultats de 2020 n'étaient pas satisfaisants.
Vous avez dit que nous allions donner le « la » pour les contenus. Vous l'ignorez peut-être, mais le groupe France Télévisions a une capacité d'achat de programmes de 1,8 milliard d'euros, contre 880 millions d'euros pour TF1. L'entité combinée TF1/M6 aurait une capacité d'achat de 1,3 milliard d'euros.
La puissance de Netflix, qui investit entre 16 et 17 milliards par an, est beaucoup plus importante. Cependant, nous observons que le public français attend des contenus français. Il y a donc une place à prendre dans l'offre de streaming.
Enfin, vous avez totalement raison sur un point, nous n'avons ni la volonté ni les moyens de concurrencer Netflix, mais nous cherchons à conserver notre position et souhaitons continuer à promouvoir une offre gratuite de qualité. Nous devons donc nous adapter.
M. Didier Casas, secrétaire général du groupe TF1. - La durée d'écoute individuelle (DEI), en chiffres bruts, est en baisse. En 2021, pour les publics de 4 ans et plus, la DEI est de 3 heures et 39 minutes ; pour les 25-49 ans, la DEI est de 2 heures et 49 minutes, en baisse de 22 minutes par rapport à 2019. Les prévisions sont de 1 heure et 40 minutes en 2027 : nous prévoyons une chute continue.
Le groupe TF1 continue de collectionner les bons résultats d'audience, mais il s'agit de parts d'audience, donc de chiffres relatifs, et non absolus. Le temps absolu d'audience, de temps passé devant les téléviseurs, lui, baisse.
M. Olivier Roussat. - Si la DEI baisse, mécaniquement, le revenu baisse, car le temps passé devant la publicité est moindre. Les revenus publicitaires vont décrocher de manière certaine. Nous constatons que la DEI baisse brutalement : voyez comment vos enfants regardent la télévision. Nous devons donc trouver des revenus complémentaires, car disposer de parts d'audience ne garantit pas des revenus suffisants.
M. David Assouline. - Monsieur, je vous confirme que je sais qu'il y a une pandémie. Il faudra que vous appreniez à parler aux parlementaires.
M. Michel Laugier. - Ma question porte sur la déontologie. Le monde des médias vit une véritable révolution, notamment au regard des usages. La crise a accentué ces évolutions. La concurrence des plateformes internationales est une réelle menace, ce qui semble justifier cette fusion, pour proposer de meilleurs programmes, maintenir un bon niveau de recettes publicitaires et garantir la viabilité du modèle économique.
Qu'en sera-t-il de l'information, des rédactions et de l'indépendance des journalistes ?
M. Franck Montaugé. - En quoi votre activité dans les télécommunications vous apporte-t-elle un avantage concurrentiel face aux Gafam ? Je fais allusion aux évolutions technologiques à venir : fibre optique, 5G, wifi ou très haut débit par voie hertzienne. Ces questions techniques auront une importance en matière de facilité d'accès au client.
M. Olivier Roussat. - La question de l'information est essentielle. Les rendez-vous d'information sont nombreux sur TF1 : le « 13 heures », le « 20 heures », LCI. Dans le nouveau groupe, la radio RTL serait comprise. D'autres rendez-vous d'information existent sur M6.
Le domaine est très régulé par le CSA. Nous tenons particulièrement à l'indépendance des rédactions. Notre intérêt est de ne pas avoir de télévision partisane. Par le passé, notre neutralité a plutôt été louée. Enfin, en matière de nombre de cartes de presse, nous resterons infiniment plus petits que les chaînes publiques.
Monsieur Montaugé, pourriez-vous préciser à nouveau, s'il vous plaît, votre question ?
M. Franck Montaugé. - Le groupe Bouygues est à la fois diffuseur audiovisuel et opérateur de télécommunications. Or, les techniques se développent : 5G, fibre optique, le wifi et la fibre hertzienne à très haut débit, grâce aux fréquences récupérées sur la TNT. La question de l'accès au client me semble stratégique. Cette dimension d'opérateur technique en télécommunications peut-elle vous offrir un atout dans la bataille avec les Gafam ?
M. Olivier Roussat. - Notre calendrier est dicté par le renouvellement des licences en mai 2023. Or, le renouvellement des licences concerne les fréquences hertziennes.
Toutefois, en France, grâce aux investissements massifs dans les réseaux d'initiative publique (RIP), la fibre est presque présente partout. En 2026 ou 2027, 33 ou 34 millions de prises fibre optique seront installées. Tous les foyers ou presque seront connectés, permettant des échanges de volumes de données très importants. Opérateurs et diffuseurs s'intéressent à cette diffusion massive et discutent pour les gérer au mieux. La publicité ciblée pourra ainsi se développer, mais des évolutions réglementaires seront nécessaires.
Notre compétence d'opérateur en télécommunications nous permet d'anticiper des usages et des tendances. En revanche, le groupe Bouygues ne croit pas à la convergence entre les activités d'opérateur et de diffuseur. Les métiers sont très différents.
M. Jérémy Bacchi. - Quelle est votre réponse à la question de la présidente Sophie Primas sur la constitution d'un marché commun des droits publicitaires télévisuels et internet ?
Netflix investit 17 milliards d'euros en 2021 pour la production de contenus. Quels sont les types de contenus locaux que vous envisagez ? Quelle est votre vision en la matière ?
Cette fusion doit répondre aux exigences de la législation anti-concentration. Envisagez-vous de vendre des chaînes, si les règles de concurrence vous l'imposent ? TF1 dit être prêt à reculer si les contreparties exigées par l'Autorité de la concurrence sont trop importantes. Quelles sont les lignes rouges ?
Canal + a dit, devant le CSA, envisager de sortir du réseau TNT. N'est-ce qu'un coup de pression ? Partagez-vous l'analyse de ce groupe ?
M. Patrick Chaize. - Le groupe Bouygues est éditeur de contenus et opérateur en télécommunications. Comment prévenir d'éventuelles distorsions de concurrence, en matière de diffusion de contenus, entre Bouygues Telecom et les autres fournisseurs d'accès à internet (FAI) ?
Ma seconde question porte sur votre capacité à résister. Le gâteau va devenir de plus en plus gros, il va faire des envieux. Vous dites vouloir vous associer pour vous protéger : mais cela ne vous expose-t-il pas encore plus, notamment vis-à-vis d'acteurs internationaux ? A priori, rien n'interdit de futurs rachats. Bouygues ne serait pas le premier à céder ses actifs.
M. Olivier Roussat. - La notion de « marché pertinent » ne se réduit pas selon nous à la télévision linéaire, comme je l'ai déjà indiqué.
La loi autorise un maximum de sept chaînes pour un même groupe. Or nous en avons actuellement dix à l'échelle des deux groupes.
Selon la lecture faite par le CSA, il faut donc rendre trois canaux pour garantir le pluralisme. Mais l'Autorité de la concurrence peut aussi exiger que telle ou telle chaîne, en fonction de sa puissance, soit cédée pour réduire l'empreinte du groupe sur le marché publicitaire. C'est la concaténation de ces deux éléments qui sera considérée, au terme d'une boucle entre le CSA et l'Autorité de la concurrence.
S'il y a des acquéreurs, on pourra choisir de vendre ces chaînes, avec l'accord du CSA, qui veille à l'arrivée de nouveaux entrants sur le marché. Sinon, il faudra céder les canaux.
Je reviens sur la question du marché de la production et du rôle joué par Netflix. Dans le monde - à l'exception des États-Unis, dont le marché est presque exclusivement domestique -, la demande de contenus locaux représente environ 30 % de la demande totale de streaming.
Ce n'est pas négligeable et, à l'échelle de la France, avec le savoir-faire des équipes de M6 et de TF1, nous pensons être capables de satisfaire nos clients avec des contenus locaux de qualité et de prendre ainsi position sur l'offre de streaming.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Quand vous parlez de contenus locaux, s'agit-il de contenus en langue française ?
M. Olivier Roussat. - Oui, absolument.
Quant à la sortie de la TNT, elle n'est pas à l'ordre du jour. Si nous nous organisons pour avoir une réponse de l'Autorité de la concurrence en octobre 2022 et du CSA en novembre 2022, c'est précisément pour pouvoir renouveler nos licences. Nous n'envisageons pas de réduire notre empreinte de diffusion. Nous voulons que les téléspectateurs puissent regarder directement TF1 et M6 en actionnant leur télécommande, notamment sur leurs postes secondaires.
M. Didier Casas. - S'agissant des lignes rouges, les autorités de la concurrence peuvent traditionnellement prescrire des remèdes structurels, à savoir essentiellement des cessions d'actifs, ou des remèdes comportementaux, c'est-à-dire des règles que les entreprises devront appliquer après la fusion pour éviter d'adopter des comportements abusifs.
Tout cela sera évidemment discuté avec l'Autorité de la concurrence, mais je rappelle que le processus a commencé cet été, et qu'il se terminera en octobre prochain. Ces discussions n'auront donc pas lieu avant le printemps.
Toutefois, les actionnaires ont d'emblée indiqué que si on leur demandait de céder l'une des deux grandes chaînes du groupe, l'opération perdrait son sens. C'est évidemment une ligne rouge, mais j'imagine que cela ne vous surprend guère...
M. Olivier Roussat. - Il est très important de comprendre le lien qui existe entre la durée d'écoute individuelle et la taille du marché publicitaire. Mécaniquement, la DEI induit la taille du marché, et donc le volume des investissements des annonceurs.
M. Didier Casas. - La crainte d'une distorsion de concurrence au profit de Bouygues Telecom est en effet régulièrement mise en avant par d'autres FAI, dont certains ont été eux-mêmes candidats au rachat de M6. Ceci pouvant aussi expliquer cela...
Les choses sont toutefois assez simples, pour deux raisons au moins.
Premièrement, les conditions financières dans lesquelles les signaux des chaînes sont commercialisés auprès des FAI pour qu'ils puissent ensuite les proposer à leurs clients sont strictement encadrées par le droit. Les conditions générales de vente sont obligatoirement publiées et soumises au principe légal de non-discrimination. Certains FAI ne manquent d'ailleurs jamais une occasion de faire valoir devant le juge la violation de ce principe, sans succès jusqu'à présent...
Deuxièmement, n'oublions jamais que, en l'occurrence, les FAI et les chaînes de télévision sont partenaires. Pour une chaîne de télévision, la capacité d'être distribuée de façon efficace par les FAI représente une source de revenus importante, qui vient en diversification de la publicité. Nous n'avons donc strictement aucun intérêt à mettre en place une politique de discrimination.
M. Olivier Roussat. - Quant à l'hypothèse que des acheteurs étrangers puissent prendre le contrôle de nos chaînes, la loi de 1986 pose certains garde-fous.
M. Didier Casas. - Il s'agit en effet d'un ensemble de règles que la commission de la culture connaît très bien. La volonté du législateur est de protéger les entreprises audiovisuelles régulées contre les mouvements de capitaux trop fréquents.
Mme Monique de Marco. - Le 28 octobre dernier, lors d'une séance de questions au Gouvernement, Mme Bachelot a déclaré, à propos de ce projet de concentration, que nous avions besoin de champions nationaux forts pour pouvoir investir dans la création française et européenne.
Comptez-vous profiter de cette fusion pour augmenter votre part d'investissement dans la production d'oeuvres, qui se situe actuellement entre 10 % et 12 % de votre chiffre d'affaires ?
Mme Patricia Schillinger. - Je souhaiterais que les contenus sportifs soient plus visibles sur les chaînes de télévision, de même que des programmes spécifiques sur le handicap.
M. Julien Bargeton. - Pourriez-vous approfondir vos propos sur les différences de consommation télévisuelles selon les générations ? Les jeunes spectateurs décrochent-ils de façon définitive de la télévision linéaire, ou reviennent-ils plus tard à ce type de consommation ?
M. Alain Chatillon. - Je rappelle que je suis l'auteur, avec Martial Bourquin, d'un rapport sur le rapprochement entre Alstom et Siemens. Mme de Silva, qui était alors présidente de l'Autorité de la concurrence - elle ne l'est plus depuis peu, ce qui me paraît positif -, s'y était opposée. Nous ne pouvons que le regretter.
Nous avons besoin de développer nos entreprises au niveau international, et c'est par des rapprochements que nous y arriverons. Ceux qui ne le comprennent pas ne comprennent pas le monde économique.
M. Yan Chantrel. - Monsieur le directeur, dans votre propos introductif, vous avez justifié le rapprochement entre vos deux groupes par la nécessité de faire concurrence aux Gafam, plus particulièrement à Netflix et Disney+. Il existe déjà un outil pour cela actuellement, la plateforme Salto, mais elle est sous-financée par vos groupes. À l'heure actuelle, cette plateforme n'est pas accessible hors de l'Union européenne.
Pouvez-vous garantir l'implication de vos deux groupes pour permettre de nouveaux investissements à travers cette plateforme ?
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Les événements sportifs sont-ils selon vous des contenus à privilégier ? Des investissements peuvent-ils être attendus du futur groupe en la matière ?
Par ailleurs, les liens avec Bertelsmann iront-ils au-delà d'une simple participation au capital ? Un leader européen en termes de production de contenus pourrait-il se dessiner ?
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. -Les changements en cours à la tête de l'Autorité de la concurrence risquent-ils de vous faire perdre du temps pour l'examen de votre dossier ?
M. Olivier Roussat. - L'intérim de la présidence de l'Autorité est actuellement assuré par Emmanuel Combe. Il a conscience que le calendrier est tendu, mais nous avons continué à travailler selon un bon rythme avec le service qui étudie la demande.
Nous détiendrions en effet de concert avec Bertelsmann le capital de cette nouvelle entité issue de la fusion entre M6 et TF1.
En termes de diffusion audiovisuelle, le groupe Bouygues souhaite rester en France. Nous avons décliné la proposition de Bertelsmann de racheter certains de ses actifs en Belgique.
Les droits achetés pour Salto le sont en effet pour une diffusion sur le seul territoire français. C'est une différence avec Netflix, qui achète des droits pour le monde entier.
Les modalités de consommation des jeunes adultes ont incontestablement changé : ils regardent directement des contenus sur PC, téléphones ou tablettes. Pour autant, l'écran de télévision central du foyer continue de jouer son rôle. Et les jeunes ont tendance à y revenir en grandissant. Les contenus regardés sur cet écran sont toutefois aussi en train d'évoluer, avec un mouvement important vers les plateformes de streaming. On constate une dissociation de plus en plus forte entre le média utilisé et les contenus visionnés.
Les événements sportifs sont évidemment des moments de rassemblement importants. Je note d'ailleurs que les téléspectateurs qui regardent un match important via un FAI sont informés des buts avec un léger décalage par rapport aux utilisateurs de la TNT. Nous souhaitons bien évidemment que la nouvelle société issue de la fusion entre TF1 et M6 continue d'être présente dans le domaine du sport. Nous considérons que la diffusion de ces moments de partage fait partie de nos missions.
TF1 a par ailleurs une position particulière dans le domaine du handisport et la diffusion de sports peu médiatiques comme le handball ou les épreuves féminines. Nous voulons augmenter le plus possible la visibilité des sports au sens large. Enfin, au sein du groupe Bouygues, nous soutenons des athlètes handisport dans la perspective des JO.
M. Didier Casas. - S'agissant des investissements, comme vous le savez, le financement de la création par les groupes audiovisuels obéit à des limites fixées par la réglementation, qui sont définies en pourcentage du chiffre d'affaires.
Nous n'avons pas pour ambition de faire baisser notre chiffre d'affaires dans le cadre de la fusion, bien au contraire. Les sommes investies dans la production devraient donc s'accroître en valeur absolue.
Nous aurons certainement des discussions avec le CSA sur l'intensité des efforts que le groupe devra faire en la matière dans le cadre de la fusion.
Pour illustrer les différences de consommation en fonction de l'âge, je citerai l'étude de Kantar sur la confiance des Français dans les médias, réalisée pour le journal La Croix en 2021 : 46 % des personnes interrogées disent s'informer par la télévision, contre 55 % en 2015, et 34 % par internet - contre 22 % en 2015.
Parmi les moins de 35 ans, 26 % seulement déclarent s'informer par la télévision, contre 66 % par internet. Et un cinquième de ceux qui déclarent s'informer par internet le font par les réseaux sociaux.
Les comptes Twitter des principaux candidats à la présidentielle totalisent plus de 5 millions de followers. Hier, le candidat qui a confirmé sa déclaration de candidature sur TF1 a réuni un peu plus de 6 millions de téléspectateurs. Mais il a annoncé sa candidature sur YouTube...
On voit bien que l'information n'est plus seulement l'apanage de la télévision linéaire. Vous le savez, évidemment, mesdames, messieurs les sénateurs, mais c'est une évolution absolument majeure.
M. Laurent Lafon, président. - Merci, monsieur Roussat d'avoir répondu à notre invitation. Nous suivrons bien entendu attentivement l'évolution de cette opération de rapprochement.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Proposition de résolution européenne, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur l'inclusion du nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie européenne des investissements durables - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous examinons maintenant la proposition de résolution européenne sur l'inclusion du nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie européenne des investissements durables, rédigée par nos collègues Daniel Gremillet, Claude Kern et Pierre Laurent.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Cette initiative transpartisane est partagée par les commissions des affaires économiques et des affaires européennes. Je tiens ici à remercier chaleureusement mes collègues Claude Kern et Pierre Laurent de cette coopération.
La taxonomie verte consiste en une classification des activités économiques selon leur impact environnemental, afin de faciliter le financement des activités les plus vertueuses.
Elle poursuit six objectifs environnementaux : l'atténuation du changement climatique ; l'adaptation au changement climatique ; la transition vers une économie circulaire ; la prévention et la réduction des pollutions ; la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes.
Elle prévoit trois catégories d'activités économiques : pour être qualifiées de durables, ces activités doivent poursuivre au moins l'un des six objectifs environnementaux et ne porter préjudice à aucun autre ; à défaut, ces activités peuvent être qualifiées de transitoires ou d'habilitantes.
Le champ de la taxonomie est large puisque celle-ci s'applique à des acteurs publics - l'Union européenne et ses États membres -, mais aussi à des acteurs privés - les acteurs de marchés et les entreprises de plus de 500 salariés.
À l'évidence, ses conséquences sont importantes.
Tout d'abord, elle vise à renforcer les règles de transparence financière. Les acteurs des marchés et les entreprises de plus de 500 salariés devront rendre compte de leur contribution à l'atteinte des objectifs environnementaux. Leurs produits financiers devront afficher la part des investissements réalisés dans des activités durables, habilitantes ou transitoires. Leurs déclarations de performance non financière devront préciser les parts des dépenses d'investissement ou de fonctionnement associées à des activités durables.
Plus encore, la taxonomie entend réorienter les investissements économiques. En uniformisant les critères de durabilité des produits et des obligations, elle facilitera les comparaisons et accroîtra la transparence. Dans le même temps, elle contribuera à lutter contre l'éco-blanchiment, c'est-à-dire la mise à disposition de produits ou d'obligations indûment présentés comme durables. Ce cadre permettra de supprimer tout obstacle aux levées de fond pour les activités durables.
Enfin, la taxonomie ambitionne de servir de point d'appui aux politiques publiques. Tout d'abord, les États membres devront appliquer ses critères dans les exigences imposées nationalement aux acteurs des marchés ou aux entreprises. Par ailleurs, la taxonomie sera utilisée dans les futures politiques de l'Union européenne, en matière de finance durable et au-delà.
Le processus d'élaboration de la taxonomie, complexe, n'est pas encore achevé.
Certes, un règlement du 18 juin 2020 a bien été adopté pour en fixer le cadre général ; pour autant, ce règlement a prévu que la Commission européenne, après avis d'un groupe d'experts techniques, adopte un acte délégué pour fixer les critères permettant de déterminer si une activité contribue à l'atténuation du changement climatique et si elle cause un préjudice aux autres objectifs environnementaux.
Un premier acte délégué a bien été pris, le 4 juin 2021, mais il est muet sur l'énergie nucléaire.
Un premier rapport, du groupe d'experts techniques (GET), publié en mars 2020, n'avait pas recommandé l'intégration de l'énergie nucléaire à la taxonomie. Il préconisait en effet qu'« un travail technique d'ampleur soit entrepris [sur] le cycle de vie des technologies nucléaires et les impacts environnementaux existants ou potentiels ».
Sur cette base, un second rapport, du Centre commun de recherche (CCR), publié en mars 2021 et soumis à l'avis de deux comités d'experts, a proposé l'intégration de l'énergie nucléaire à la taxonomie. Il concluait ainsi qu'« aucune preuve scientifique [ne vient affirmer] que l'énergie nucléaire est plus dommageable pour la santé humaine ou l'environnement que d'autres technologies de production d'électricité déjà incluses dans la taxonomie ».
Conformément au rapport du CCR, la Commission européenne s'est engagée, en avril et en octobre 2021, à présenter un acte délégué complémentaire couvrant l'énergie nucléaire. Elle a aussi évoqué le gaz naturel comme activité transitoire.
Par ailleurs, plusieurs autorités européennes se sont exprimées.
Le commissaire au commerce a souligné, en marge d'une réunion de l'Eurogroupe, début octobre, l'intérêt de l'énergie nucléaire comme source d'énergie bas carbone.
À l'issue du sommet européen, des 21 et 22 octobre derniers, la présidente de la Commission européenne a, quant à elle, évoqué le besoin de l'énergie nucléaire comme source stable, et du gaz naturel à titre transitoire.
Enfin, le commissaire au marché intérieur a fait part, devant la commission des affaires européennes, le 28 octobre dernier, d'un compromis possible consistant à intégrer l'énergie nucléaire et le gaz naturel comme des activités transitoires.
Pour autant, l'inclusion de l'énergie nucléaire oppose toujours deux groupes d'États membres.
Un premier groupe de dix pays, conduits par la France, la soutient, au regard des faibles émissions de gaz à effet de serre (GES) de cette source d'énergie. Un autre groupe de cinq pays, conduits par l'Allemagne, la refuse, compte tenu des enjeux liés à la sûreté et aux déchets nucléaires.
À ce stade, l'acte délégué complémentaire est en attente : il pourrait être pris très prochainement, dans la mesure où la taxonomie doit entrer en vigueur le 1er janvier 2022.
En réalité, pour juger de l'opportunité d'intégrer toute activité économique à la taxonomie, il faut comparer ses avantages et ses inconvénients factuellement et rationnellement. Dans ses considérants, le règlement du 18 juin 2020 dispose en effet qu'« une activité économique ne devrait pas être considérée comme durable sur le plan environnemental si ses avantages ne l'emportent pas sur les dommages qu'elle cause à l'environnement ».
Or, les avantages de l'énergie nucléaire sont bien supérieurs à ses inconvénients ; plus précisément, il me semble que cinq arguments plaident en faveur de son intégration à la taxonomie.
En premier lieu, l'énergie nucléaire constitue un levier de décarbonation reconnu internationalement. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) l'a intégrée à ses hypothèses d'atténuation et de développement durable, dans un rapport de 2018. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) l'a placée au coeur des efforts d'adaptation, dans un rapport de 2021.
En deuxième lieu, le choix de l'énergie nucléaire dans le mix énergétique relève de la seule compétence des États membres. C'est un point important ! L'article 194 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) reconnaît ce droit, auquel la taxonomie doit s'articuler. De surcroît, si la France a fait le choix de l'énergie nucléaire, elle n'est pas la seule en Europe : en effet, il existe 106 gigawatts (GW) de capacités installées dans treize pays, et 6,5 GW de capacités en construction, dans quatre pays, selon l'AIE.
Plus encore, l'énergie nucléaire présente des bénéfices environnementaux et économiques avérés. Sur le plan environnemental, elle n'émet, en France, que six grammes de CO2 par kilowattheure, selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et douze grammes dans le monde, selon l'AIE. Sur le plan économique, elle est un pilier de notre sécurité d'approvisionnement et de notre compétitivité économique : c'est la troisième filière industrielle française avec 2 600 entreprises, 200 000 emplois et 50 milliards d'euros de recettes, pour le ministère de la transition écologique (MTE).
De surcroît, les risques posés par l'énergie nucléaire, sur le plan de la sûreté des installations ou de la gestion des déchets nucléaires, sont encadrés. Deux directives, de 2009 et 2011, posent un socle européen à ces enjeux fondamentaux. En France, je ne reviendrai pas sur le rôle éminent joué par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et par l'Agence pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Nous le connaissons tous. Je rappellerai simplement qu'un effort de recherche existe en faveur de la « fermeture du cycle du combustible ». La presse évoque d'ailleurs un réel engouement pour de nouveaux réacteurs aux performances environnementales élevées, voire des réacteurs qui, demain, utiliseront ce que l'on qualifie aujourd'hui de déchets.
Enfin, les besoins de financement de l'énergie nucléaire sont élevés. En particulier, de lourds investissements sont à prévoir, en France, pour la construction des EPR - les réacteurs européens à eau pressurisée ou European Pressurized Reactors - ou le développement des SMR - les petits réacteurs modulaires ou Small Modular Reactors -, annoncés par le Président de la République en octobre-novembre. Le MTE a évalué le coût du « Grand carénage » à 45 milliards d'euros et le provisionnement pour démantèlement à 110 milliards d'euros, tandis que le groupe EDF a estimé la construction de trois paires d'EPR à 46 milliards d'euros.
Or si la majeure partie du financement de l'énergie nucléaire est publique, la portion privée sera conditionnée à la taxonomie. Faute d'être intégrée, l'énergie nucléaire pourrait ainsi être pénalisée via les produits financiers, les obligations d'entreprise ou les crédits export. À plus long terme, elle pourrait aussi l'être via les écolabels, voire les obligations vertes ou les aides d'État, selon l'importance que prendra la taxonomie. Nous avons pu confirmer, au cours des auditions que nous avons menées, que les conditions de financement des investissements futurs dans l'énergie nucléaire seront déterminantes quant au prix de l'électricité que nos concitoyens et nos entreprises auront à payer à long terme. C'est un sujet stratégique !
Dans ce contexte, la PPRE est opportune : elle propose d'inclure l'énergie nucléaire à la taxonomie, en veillant à reconnaître la production d'électricité induite comme une activité durable. Elle appelle également à maintenir une parfaite égalité de traitement entre l'hydrogène issu de l'énergie nucléaire et celui qui découle des énergies renouvelables.
Au nom de notre commission, je vous invite donc à l'adopter. L'intégration de l'énergie nucléaire à la taxonomie est justifiée au regard de l'objectif d'atténuation du changement climatique, car les émissions de GES issues de cette source d'énergie sont minimes. En outre, l'impact environnemental de l'énergie nucléaire a fait l'objet d'une analyse approfondie dans le rapport du CCR. Je retiens de cette analyse que les mesures prévues, aux échelles nationale comme européenne, en matière de sûreté des installations et de gestion des déchets permettent de maîtriser cet impact.
À l'heure où la France et d'autres pays européens ont fait part de leur intention d'investir dans l'énergie nucléaire, il est impératif de lui garantir une totale neutralité technologique. À cette fin, la production d'électricité nucléaire ne doit pas être assimilée à une activité transitoire, voire habilitante, comme pourrait l'être le gaz naturel, mais bien à une activité durable, comme toutes les autres sources d'énergie décarbonées. À cette condition, l'énergie nucléaire pourra être pleinement mobilisée au service de l'atteinte de la « neutralité carbone » d'ici à 2050, objectif issu de l'accord de Paris de 2015. C'est fondamental, car la décarbonation de notre économie est tout autant une obligation juridique qu'une exigence morale.
M. Claude Kern. - Je remercie le rapporteur, dont je partage le constat. La Commission européenne doit garantir la souveraineté de ses États membres en matière de bouquet énergétique et soutenir toutes les énergies décarbonées, y compris le nucléaire. Je vous rappelle, par ailleurs, que cette proposition de résolution a été adoptée par la commission des affaires européennes.
Mme Marie Evrard. - Cette PPRE vise à permettre des coûts de financement avantageux pour l'énergie nucléaire. La taxonomie européenne sert à financer des énergies vertueuses et à lutter contre le greenwashing. Pour atteindre nos objectifs, nous soutenons l'ambition du Gouvernement de relancer la création de réacteurs nucléaires. Pour autant, deux fronts s'opposent au sein de l'Union européenne : certains pays - la France, la Bulgarie, la Croatie, la Finlande, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et la République tchèque - soutiennent l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie, d'autres - l'Allemagne, l'Autriche, le Luxembourg, le Danemark, l'Espagne et le Portugal - ont exprimé leur désaccord quant à une telle évolution, dont il leur semble qu'elle affecterait durablement l'intégrité, la crédibilité et donc l'utilité, de cette taxonomie.
M. Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur soutient, quant à lui, cette inclusion. L'Europe devra doubler sa capacité électrique pour répondre aux enjeux économiques dans les trente prochaines années et réduire ses émissions de carbone ; il lui semble impossible d'atteindre un tel objectif sans le nucléaire.
À titre personnel, je soutiens cette PPRE, mais le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) est divisé à son sujet. Nous pourrions trouver un compromis en incluant le nucléaire et le gaz comme activités transitoires dans la taxonomie. Il aurait, en outre, été pertinent d'ajouter que la transition énergétique passe aussi par le déploiement des énergies renouvelables, eu égard au délai nécessaire pour le démarrage des futurs EPR.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Ce dossier me semble particulièrement important. On peut débattre de la nécessité de poursuivre la croissance du nucléaire en France, les Français arbitreront. Sur la question énergétique, l'Allemagne a engagé une stratégie d'affaiblissement de la France. L'École de guerre économique a ainsi produit un rapport sur l'accumulation de décisions visant à affaiblir nos capacités à disposer d'énergie à un prix abordable, dernier secteur dans lequel nous étions plutôt en avance. L'Allemagne n'entend toutefois pas se laisser concurrencer dans ce domaine. Ne soyons pas naïfs : nous devons résister pour rester souverains dans nos choix. L'hypocrisie allemande conduit au démarchage d'entreprises en faveur de leur délocalisation vers l'Allemagne, parce que le prix de l'électricité nucléaire est indexé sur le prix du gaz, alors que les hauts fourneaux au charbon, pourtant extrêmement polluants, ne le sont pas. Nous ne devons pas laisser faire de tels hypocrites !
J'ai été durant des années vice-présidente du Parlement européen et j'ai très souvent entendu des Français dire « on ne peut pas, parce que les Allemands ne veulent pas », mais jamais le contraire. Si l'on continue ainsi, le rapport de force sera négatif. J'entends bien les discours de compromis, mais sans rapport de force, sans que nous tapions sur la table, sans que nous attaquions l'Allemagne sur d'autres secteurs, dans lesquels elle est faible, nous nous contenterions d'être naïfs. La présidence française doit permettre de rééquilibrer cette relation, parce que nous divergeons économiquement. Si nous ne faisons pas preuve de suffisamment de résistance pour cela, nous allons vers de mauvais jours !
M. Franck Montaugé. - Je veux être sûr de bien comprendre, notamment le caractère transitoire de l'inclusion du nucléaire dans cette taxonomie. Dans le cadre de la future programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui déterminera le futur mix électrique, la France va investir dans de nouveaux réacteurs. C'est un projet à long terme. Comment cet effort va-t-il intégrer cette taxonomie dans la durée ? On connaît les enjeux : il s'agit d'accéder à des financements préférentiels dits « verts », mais ce point très important doit être clarifié. Nous n'y voyons pas clair.
M. Daniel Salmon. - Nous ne nourrissons aucun bellicisme envers l'Allemagne, nous considérons que l'Union européenne est une belle construction qu'il faut tenter de maintenir. Six ministres de l'environnement ont déclaré que l'énergie nucléaire était incompatible avec le principe de non-préjudice significatif inscrit dans la taxonomie, et je partage cette vision. Le nucléaire n'est pas une source d'énergie comme une autre. C'est une épée de Damoclès ; le nucléaire est non durable et non renouvelable ; son prix a été jugé abordable parce que le parc nucléaire français a été financé par les contribuables.
Pourtant, dans ce monde instable, le nucléaire nous place dans une position vulnérable en temps de paix et indéfendable en temps de guerre. Il a, en outre, de nombreux défauts, comme en termes d'accidentologie. Des accidents se sont produits dans des pays à haut niveau de culture scientifique ; statistiquement, ils se produiront aussi en France. Personne n'est d'ailleurs capable d'assurer le nucléaire. Il présente également des défauts en termes de coûts, ainsi qu'on le constate avec les nouveaux EPR, qui coûteront 100 ou 110 euros par mégawattheure.
Il n'a donc rien à faire dans cette taxonomie. Nous sommes favorables à une sortie progressive - c'est le seul moyen -, du nucléaire et nous ne soutenons pas cette proposition de résolution.
Mme Valérie Létard. - Je tiens à remercier nos collègues Daniel Gremillet, Claude Kern et Pierre Laurent. Le groupe Union centriste (UC) soutient, quant à lui, cette PPRE.
Je m'associe toutefois aux interrogations de notre collègue Franck Montaugé s'agissant d'une éventuelle l'inscription dans les énergies transitoires : quelles en seront les conséquences ? Une chose est certaine, la présidence de l'Union européenne est un exercice délicat, qui exige de la neutralité, mais qui nous donne la possibilité de choisir les sujets abordés en priorité. C'est donc une opportunité pour la France d'éclairer cette question ; nous devons, certes, être prudents - la question de la sécurité étant essentielle, comme l'a indiqué notre collègue Daniel Salmon -, mais nous pouvons progresser et travailler pour l'avenir. Cette question concerne la consommation individuelle comme celle des entreprises, il est paradoxal que celles-ci trouvent avantage à se délocaliser vers des pays qui utilisent des centrales à charbon. Si nous devons nous assurer de garantir la sécurité du nucléaire, nous le ferons, en y consacrant les moyens nécessaires, mais on ne saurait nier qu'il s'agit d'une source d'énergie très faiblement émettrice de CO2. Nous sommes bons dans ce domaine, nous ne pouvons pas nous laisser dicter nos choix par d'autres États membres. Nous devons travailler en bonne intelligence mais nous faire respecter.
M. Fabien Gay. - Je partage le rapport de notre collègue Daniel Gremillet et l'avis presque général : nous avons, grâce au nucléaire, l'énergie la plus décarbonée et la moins chère qui soit. J'entends notre collègue Daniel Salmon : il est vrai que la question des déchets se pose, ainsi que celles de la sécurité et de la sûreté. C'est pourquoi nous devons mener un grand combat pour que EDF reste une entreprise publique et qu'il soit mis un terme à la sous-traitance. On voit ce qu'il advient de l'EPR de Flamanville : ses surcoûts sont dus au fait que les métiers ont été cassés dans EDF au profit de prestataires extérieurs ; c'est le cas des soudeurs, par exemple. Nous avons cassé le métier dans l'entreprise, puis nous sommes allés en chercher en Europe, puis ailleurs, avant de mobiliser des Français qui avaient été contraints à partir en Inde parce que leur métier avait disparu en France.
La sécurité et la sûreté doivent être des préoccupations, mais aujourd'hui, les usages électriques vont augmenter, quoi qu'il arrive. Si l'on veut remplacer les moteurs thermiques, par exemple, il faudra fournir plus d'électricité. Je suis favorable à un mix électrique avec une part importante de nucléaire et d'énergies renouvelables, mais à mon sens, tout cela doit rester dans le domaine public. Nous avons ainsi beaucoup financé l'éolien, qui relève du marché privé, pour un rendement plutôt médiocre.
Enfin, s'agissant de notre souveraineté énergétique, nous devons lutter au niveau européen, parce que les usagers en France ne paient pas le coût de la production énergétique. Le marché européen de l'électricité pèse dans la facture électrique dans notre pays. Si demain nous n'incluions pas le nucléaire dans les énergies favorisées, nous nous tirerions une deuxième balle dans le pied ! Nous avons, devant nous, un combat à mener.
Par ailleurs, on parle beaucoup en ce moment des Antilles et des territoires ultramarins. Il s'y pose une question essentielle : certains d'entre eux manquent déjà de souveraineté énergétique et électrique ; en Guyane, par exemple, si l'on ne fait rien, la centrale à fioul va fermer en 2023, il restera seulement un barrage, et l'on envisage déjà de pratiquer le délestage toute l'année dans certaines zones. Il ne faut pas abandonner ces territoires !
Je soutiens donc ce projet de résolution transpartisan.
M. Laurent Somon. - Ernst et Young (E&Y) a publié un rapport sur l'attractivité du territoire français pour la réindustrialisation et les investissements étrangers. Nos infrastructures, notre marché et notre situation européenne sont importants, certes, mais le coût de l'énergie aussi. Nous sommes obligés d'accepter du dumping social, mais nous ne devons pas céder sur l'avantage que représente le coût de l'énergie et nous devons nous défendre sur ce point. Pour en revenir à l'intervention de notre collègue Daniel Salmon, certes, l'énergie nucléaire est subventionnée, mais c'est aussi le cas de l'éolien ; il n'y a aucune honte à développer une énergie souveraine.
Nous devons aussi encourager la recherche sur le retraitement des déchets, en particulier des déchets ultimes, pour compléter les propos du rapporteur Daniel Gremillet. La recherche est essentielle et la souveraineté énergétique est la première des souverainetés. Je rejoins notre collègue Marie-Noëlle Lienemann : nos amis allemands ne sont pas tout à fait sur la même ligne que nous, comme dans le domaine de la sécurité militaire.
M. Claude Malhuret. - Le groupe Les Indépendants - République et Territoires soutiendra cette PPRE. Personne ne peut penser atteindre le zéro carbone en 2050 - objectif retenu par l'Union européenne - sans le nucléaire, tout le monde le sait, y compris les plus réticents. J'entends les craintes, en termes de santé ou d'accidentologie, mais je suis étonné qu'on les évoque s'agissant du nucléaire sans comparer avec les autres sources d'énergie, lesquelles sont infiniment plus nocives, et que l'on focalise ainsi sur les fantasmes attachés à la radioactivité.
En ce qui concerne cette dissension entre une dizaine de pays qui soutiennent la position de la France, cinq la position inverse et d'autres qui sont hésitants, plusieurs de nos collègues insistent sur le fait que nous en sommes là à cause d'une erreur stratégique fondamentale commise par les Allemands il y a quelques années.
Il y a, à mon sens, deux sujets sur lesquels l'idéologie verte a donné lieu à d'énormes reculs intellectuels et pratiques. De ce point de vue, la taxonomie verte rejoint la directive Farm to Fork, qui est issue des mêmes réflexions idéologiques systématiquement fausses. Les Verts historiquement n'ont eu qu'un avantage : ils ont attiré les premiers l'attention sur l'importance du développement durable. Toutefois, les réponses qu'ils mettent en avant sont toujours les solutions antagonistes au véritable développement durable, en matière énergétique comme agroalimentaire. En soutenant cette PPRE, nous avançons vers de véritables solutions de développement durable, qui ne sont pas celles que proposent les idéologues de ce courant. Le Sénat devra le dire fortement un jour.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Je voudrais rassurer notre collègue Marie Evrard : il est hors de question de défavoriser les énergies renouvelables, qui sont mentionnées dans la PPRE, nous souhaitons seulement que le nucléaire soit reconnu au même niveau, et nous croyons à la complémentarité.
Je remercie notre collègue Marie-Noëlle Lienemann. En effet, nous constatons la stratégie de compétitivité qui est mise en oeuvre ; la France a un peu perdu dans ce domaine et nous intervenons avant l'acte délégué. C'est incroyable : l'Allemagne a réussi à mettre au même niveau, transitoire, le gaz et le nucléaire. Nous sommes dans une bataille de compétitivité et en effet, le classement comme transitoire ou comme durable dans la taxonomie verte va conditionner les taux et les conditions de financement de ces investissements. Nos auditions ont été très vastes et tout le monde est unanime sur ce point : les conséquences financières de ce sujet sont considérables pour nos citoyens et pour nos entreprises, y compris pour les plus petites d'entre elles. Nous soutenons donc cette reconnaissance au niveau européen.
Notre PPRE distingue bien le durable et le transitoire, qui ne renvoient pas au même niveau de classement. Cela emportera des conséquences et nous soutenons une position européenne en faveur de cette reconnaissance.
Pour répondre à notre collègue Daniel Salmon, nos auditions ont montré que le nucléaire garantissait une sécurité d'approvisionnement pérenne, depuis des pays et des zones dont la stabilité est rassurante. Je fais confiance à l'homme et j'ai de bonnes raisons de vous dire que nous aurons plus rapidement que vous ne le pensez la capacité de réutiliser des déchets, qu'il ne faudra plus alors qualifier ainsi. Nous organiserons des auditions dans le cadre du groupe d'études « Énergie » avec des start-up en pointe sur ce sujet. Par ailleurs, en matière d'approvisionnement, je rappelle que les énergies renouvelables consomment des métaux rares.
Je remercie notre collègue Valérie Létard. Nous avons maintenu une sécurité maximale, il faut continuer, mais aujourd'hui, la France dispose d'un savoir-faire important dans ce domaine.
Je remercie également notre collègue Fabien Gay. En effet, nous devrons prendre en charge la question des outre-mer, c'est un vrai sujet, pour les populations comme pour les activités économiques, qui relève de notre responsabilité. Par ailleurs, nos auditions ont démontré que EDF a bien compris qu'il était nécessaire de former de nouveau des soudeurs. Je veux enfin remercier notre collègue Laurent Somon et le président Claude Malhuret. En effet, ne nous racontons pas d'histoires : la neutralité carbone en 2050 nous oblige ; la France est en avance et les choix historiques et futurs concernant le nucléaire seront un élément déterminant en la matière.
M. Claude Kern. - Qu'on le veuille ou non, le nucléaire sera indispensable, nous devons en être conscients.
Mme Sophie Primas, présidente. - Lundi, avec MM. les présidents Gérard Larcher et Jean-François Rapin, nous avons rencontré le commissaire Thierry Breton et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. La question de la taxonomie verte a été abordée, et il semble que le changement de gouvernance en Allemagne permette une ouverture possible vers un accord dans le cadre d'un acte délégué. Cela reste à confirmer, mais la présidente et le commissaire semblaient un peu rassurés quant à une telle possibilité.
Toutes les coalitions européennes savent que, pour atteindre l'objectif européen Fit for 55, de réduction de 55 % des émissions en 2030, l'énergie nucléaire est indispensable. Cette prise de conscience est plus large qu'elle ne l'était précédemment. Nos deux interlocuteurs nous ont affirmé que cette PPRE leur semblait très importante à ce titre.
Dans le cadre de la compétition amicale avec l'Allemagne, le futur chancelier Olaf Scholz a indiqué ne pas souhaiter être désagréable sur ce sujet envers la France, mais il envisage également de diviser par deux le poids des dispositifs relatifs à l'installation d'entreprises en Allemagne ; nous devons à notre tour simplifier l'installation d'entreprises, car c'est peut-être sur ce point que se feront désormais les écarts.
La commission adopte la proposition de résolution européenne sans modification.
La réunion est close à 12 h 5.