- Mardi 23 novembre 2021
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Économie » - Crédits relatifs au commerce et à l'artisanat - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Économie » - Crédits relatifs au numérique, aux télécommunications et aux postes - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Économie » - Crédits relatifs à l'industrie - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Recherche et enseignement supérieur » - Examen du rapport d'information
- Projet de loi de finances pour 2022 - Audition de M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation
- Mercredi 24 novembre 2021
- Proposition de loi tendant à favoriser l'habitat en zones de revitalisation rurale tout en protégeant l'activité agricole et l'environnement - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Écologie, développement et mobilité durables » - crédits « Énergie » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2022 - Publication des avis budgétaires sous forme de rapports d'information
- Mission conjointe sur la sécurisation de la chasse - Désignation des membres
- Désignation d'un rapporteur
- Projet de loi de finances pour 2022 - Audition de Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique
Mardi 23 novembre 2021
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Économie » - Crédits relatifs au commerce et à l'artisanat - Examen du rapport pour avis
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - La présidente Sophie Primas m'a chargée de vous présenter ses excuses et de conduire notre réunion, au cours de laquelle nous examinerons trois avis budgétaires. Nous commencerons par l'examen des crédits relatifs au commerce et à l'artisanat retracés par la mission « Économie ».
M. Serge Babary, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs au commerce et à l'artisanat. - Comme je vous l'annonçais l'an dernier, la mission « Économie » ne contient quasiment plus aucun crédit directement affecté au commerce et à l'artisanat en tant que tels. Il s'agit d'un choix regrettable du Gouvernement, qui a supprimé il y a quelques années l'action dédiée à ces secteurs au sein de la mission, pour la fondre dans l'action concernant l'industrie et les services, avant de supprimer le fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac).
Désormais, le commerce et l'artisanat ne sont plus concernés que par des crédits très épars, logés dans différents programmes de différentes missions, ce qui complexifie encore le suivi de la politique gouvernementale, et traduit l'absence de vision claire quant à la politique à conduire.
J'ai choisi d'axer mon analyse sur les performances de l'initiative « France Num », dont les crédits sont rattachés à la mission « Économie » et que le Gouvernement place au coeur de sa politique de numérisation des petites et moyennes entreprises (PME), ainsi que sur le soutien aux métiers d'art et le suivi des foncières de redynamisation commerciale.
Tout d'abord, en ce qui concerne France Num, la politique conduite me semble insuffisante, et l'étude de sa trajectoire budgétaire manifeste le caractère exceptionnel du surcroît de crédit dont elle a bénéficié en 2021.
Je voudrais également rappeler que France Num est à l'origine une plateforme qui met en relation commerçants et artisans souhaitant avoir accès à la numérisation avec des professionnels du numérique capables de les aider. La crise sanitaire ayant permis au Gouvernement de comprendre combien il était urgent d'accélérer la transition numérique des très petites entreprises (TPE) - ce sur quoi le Sénat ne cessait d'alerter -, France Num a été dotée de nouveaux crédits significatifs tout au long de l'année 2020, puis dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2021. L'objectif de ces nouveaux crédits était de financer environ 30 000 diagnostics de numérisation qui devaient être conduits par le réseau consulaire, ainsi que des formations au numérique mises en oeuvre par des organismes tiers, et enfin une partie du chèque numérique de 500 euros, versé aux TPE en ayant fait la demande.
Après un an, quels sont les résultats de cette politique ? Dans son rôle de mise en relation, la plateforme France Num reste trop peu connue des commerçants et artisans, notamment en raison d'une communication encore trop axée sur des supports qui ne sont fréquentés que par les acteurs déjà familiers du sujet. Des efforts ont été entrepris cette année, des épisodes télévisés ayant été diffusés sur BFM Business et RMC Story, et il faut les saluer, d'autant qu'ils répondent à nos recommandations de l'an dernier. Pour autant, France Num continue de bénéficier d'une très faible notoriété, ce qui ne changera pas tant que la majeure partie de sa communication grand public continuera de reposer sur des canaux aussi confidentiels.
Dès lors, il n'est pas très surprenant que la mise en relation entre TPE-PME d'un côté et professionnels du numérique de l'autre ne remporte qu'un succès très limité. Ainsi, le formulaire « contacter le conseiller » n'a reçu que 4 000 vues uniques entre le 1er janvier et le 30 octobre 2021, pour 3 500 professionnels inscrits sur la plateforme. Il faudrait donc que France Num lance une vaste campagne de communication sur les principales chaînes de télévision et de radio à des heures de grande écoute, ainsi que dans la presse quotidienne régionale.
En outre, malgré notre mise en garde de l'an dernier, la qualité des professionnels présents sur la plateforme n'est pas contrôlée, ce qui ne participe pas à créer un climat de confiance favorable pour les commerçants et artisans qui font, en se lançant, un véritable investissement en temps et argent.
Les formations-actions ont quant à elles manqué leur cible, en raison notamment d'un site internet dysfonctionnel et d'un très faible maillage territorial des formations. Pourtant, 30 opérateurs ont été sélectionnés pour dispenser ces formations, avec l'ambition de toucher plus de 70 000 entreprises, France Num finançant chaque formation à hauteur de 300 euros.
J'ai voulu tester ce catalogue de formations, comme un chef d'entreprise le ferait s'il souhaitait engager la transition numérique de son entreprise. Le résultat est édifiant et inquiétant. En effet, j'ai indiqué sur la plateforme mon souhait de développer mon activité via une formation en présentiel, et France Num ne m'a proposé que cinq formations, toutes situées en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA). En outre, aucun des liens prévus pour s'inscrire à ces formations ne fonctionnait. J'ai ensuite demandé à bénéficier d'une formation pour trouver de nouveaux clients, en acceptant qu'elle se fasse en ligne, et j'ai obtenu dix propositions, dont neuf en Auvergne-Rhône-Alpes et une en PACA. Lorsque j'ai demandé à faire la même formation en présentiel, seules deux m'ont été proposées, qui avaient lieu en PACA. Ainsi, malgré les fonds engagés dans ces formations-actions, le résultat n'est pas à la hauteur.
Quant aux diagnostics numériques, ils ont en réalité été conduits par le réseau consulaire, France Num n'ayant servi qu'à verser les fonds aux chambres.
Une note positive toutefois, puisque la distribution des chèques numériques a été saluée par les professionnels, et ce sont 112 000 TPE qui en ont bénéficié, pour financer des équipements numériques comme des logiciels, des ordinateurs ou des achats de sites internet. Malheureusement, en dépit de la simplicité du dispositif qui est appréciée par les premiers concernés, rien n'est prévu en la matière pour 2022.
J'en viens à présent aux métiers d'art, dont la promotion et l'accompagnement restent surtout le fait de l'Institut national des métiers d'art (INMA), association reconnue d'utilité publique qui emploie environ vingt personnes. Cet institut gère notamment le label « Entreprise du patrimoine vivant » (EPV), le dispositif « Maîtres d'art-Élèves », ainsi que des opérations de valorisation visant à donner une plus grande visibilité à ces professions qui participent du rayonnement du pays mais aussi de l'innovation, et de la transmission d'un savoir-faire rare et précieux.
L'action de l'INMA est financée à la fois par ses ressources propres, issues par exemple des études qu'elle conduit ou des frais d'adhésion qu'elle génère, par le mécénat, et par deux subventions, l'une du ministère de la culture, qui s'élevait à 630 000 euros en 2021, et l'autre du ministère de l'économie, dont le montant était de 900 000 euros en 2021. Pour 2022, son montant est fixé à 1,1 million d'euros dans le projet annuel de performance de la mission « Économie », et je me félicite de cette augmentation.
Cependant, elle ne permettra pas de compenser la baisse parallèle des ressources propres de l'Institut suite à la crise, et son budget devrait donc diminuer dans les années à venir. Or, il lui est demandé dans le même temps d'instruire un nombre croissant de dossiers pour le label EPV. En outre, certaines conventions de mécénat pourraient s'éteindre à compter de 2022. Si leur reconduction semble vraisemblable, il importe toutefois que l'hypothèse inverse soit dûment anticipée, afin de ne pas pénaliser le financement de certains dispositifs, comme le programme Maîtres d'art-Élèves. Il semble donc nécessaire d'améliorer le soutien financier de l'État à cet institut qui promeut une importante richesse immatérielle, celle de notre patrimoine.
Enfin, permettez-moi de m'éloigner quelque peu des crédits de la mission « Économie » pour dresser un premier bilan de la mise en place des foncières de redynamisation commerciale, créées l'an dernier. L'objectif de ces foncières, dont le capital est financé par la Banque des territoires et dont le déficit opérationnel est pris en charge par un fonds dédié, est d'acquérir, de rénover et de louer à bas prix 6 000 commerces d'ici 2025.
Cependant, les 53 foncières existant à ce jour portent des plans d'affaires correspondant à la rénovation d'environ 1 000 locaux, dont 105 ont été livrés à ce jour, ce qui interroge sur le réalisme de l'objectif initial de 6 000 commerces. En effet, compte tenu du rythme observé, il faudrait 300 foncières pour y parvenir. De même, la subvention de 13 millions d'euros issue du fonds de compensation a servi à traiter 165 locaux, ce qui semble attester d'un sous-dimensionnement du fonds de 60 millions d'euros. En continuant de suivre le rythme actuel, seuls 780 commerces pourront être traités avant épuisement de l'enveloppe.
Je note à cet égard une divergence entre ce que nous a dit le ministre en audition et ce qu'indique la Banque des territoires. En effet, alors que le premier a expliqué qu'il n'était pas question d'abonder à nouveau ce fonds, la Banque a affirmé : « l'abondement de la seconde tranche de financement du fonds en 2022, au-delà des 60 millions d'euros budgétés en 2021, constitue un enjeu fort de poursuite de la dynamique enclenchée ».
Mes chers collègues, le vote sur les missions budgétaires étant réservé pour le moment, je me contenterai de vous indiquer que si nous avions à nous prononcer sur la mission « Économie » dans les jours à venir, je vous proposerais de rejeter les crédits.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Je souhaiterais poser une question sur les foncières immobilières, qui sont essentielles pour un certain nombre de territoires. Comment sont-elles réparties géographiquement ? Sont-elles notamment développées dans des territoires faisant l'objet d'opérations de revitalisation ? Ces éléments permettraient de nous assurer de leur bon déploiement dans les zones où l'on en a véritablement besoin.
M. Serge Babary, rapporteur. - Malheureusement je n'ai pas eu accès à ces éléments, mais nous pourrons tenter de les obtenir. J'ajoute qu'en moyenne chaque commerce rénové coûte 78 000 euros, sans doute beaucoup plus que prévu.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie, monsieur le rapporteur. Nous passons à présent à l'examen des crédits relatifs au numérique, aux télécommunications et aux postes.
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Économie » - Crédits relatifs au numérique, aux télécommunications et aux postes - Examen du rapport pour avis
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs au numérique, aux télécommunications et aux postes. - Dans le cadre de la mission « Économie », des changements significatifs concernant les crédits dédiés au numérique, aux télécommunications et aux postes sont intervenus depuis l'année dernière, plusieurs de ces changements s'inscrivant dans la continuité de travaux récemment menés par notre commission.
J'ai souhaité cette année me concentrer sur trois points : la compensation des déficits des missions de service public de La Poste, le suivi de la mise en oeuvre du plan France Très haut débit, et l'évaluation de la première année de déploiement de la 5G dans nos territoires.
Sur le premier point, je souhaiterais commencer par saluer la qualité des travaux menés par mes collègues Patrick Chaize, Pierre Louault et Rémi Cardon dans le cadre de leur rapport d'information et de leur proposition de loi relative à l'encadrement des services publics de La Poste. Si ces travaux ne datent que de quelques mois, les recherches et auditions que j'ai menées en tant que rapporteure m'ont néanmoins permis d'effectuer une première « actualisation » utile, et d'identifier des éléments de satisfaction, des points sur lesquels nous avons été entendus par le Gouvernement, mais aussi quelques points d'alerte.
En ce qui concerne le service universel postal, première mission de service public de La Poste, qui permet d'assurer sur l'ensemble du territoire la distribution du courrier et des colis six jours sur sept, le déficit pour l'année 2020 est estimé à 1,1 milliard d'euros, la crise sanitaire ayant fortement accéléré la tendance structurelle à la baisse des échanges de courrier.
Afin d'éviter une réduction de la mission de service public qui se traduirait par une accélération de la fermeture des bureaux de poste, des baisses d'effectifs et un moindre passage du facteur à chaque boîte aux lettres lors des tournées de distribution, notre commission avait alerté sur la nécessité de compenser cette mission dès 2022. Dans la continuité de nos travaux et conformément aux engagements pris par le Premier ministre au mois de juillet dernier, une dotation budgétaire exceptionnelle de 500 millions d'euros est prévue par ce PLF, qui pourra éventuellement être complétée par une dotation optionnelle de 20 millions d'euros, en fonction des résultats de qualité de service de La Poste.
Au regard des enjeux financiers considérés, notre commission avait interpellé le Gouvernement et l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) sur la nécessité pour le régulateur d'évaluer chaque année le coût net de cette mission de service public, afin que la dotation de l'État puisse être déterminée sur la base d'une évaluation objective et indépendante. Dans cette perspective, l'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement qui confie à l'Arcep cette mission, reprenant ainsi l'une des principales dispositions de la proposition de loi du Sénat relative à l'encadrement des services publics de La Poste, que nous avons été plus de 120 à cosigner.
Si nous pouvons nous satisfaire de ces avancées, je souhaite toutefois partager avec vous quelques points d'alerte. D'une part, l'Arcep ne s'est toujours pas saisie de cette nouvelle mission d'évaluation et, au regard des délais nécessaires de préparation, il est indispensable qu'une méthodologie de calcul soit éprouvée et opérationnelle en vue du PLF pour 2023. D'autre part, il semble qu'aucune méthodologie précise n'ait été définie pour décider de l'octroi de la dotation optionnelle de 20 millions d'euros. Je me permets également de rappeler que nous attendons depuis plus d'un an qu'un nouvel arrêté ministériel relatif aux objectifs de qualité du service universel postal soit pris, alors que les attentes de nos concitoyens sont de plus en plus fortes sur le sujet.
Par ailleurs, sur la mission de contribution à l'aménagement du territoire, lors de l'examen du PLF pour 2021, notre amendement de 66 millions d'euros visant à compenser la baisse des impôts de production avait été définitivement adopté. Cette année, une dotation exceptionnelle de 74 millions d'euros est directement prévue dans le PLF pour compenser l'impact de cette baisse pour l'année 2022, ce qui est satisfaisant.
En ce qui concerne la mission de transport et de distribution de la presse, le Gouvernement a enfin décidé de mettre en oeuvre la réforme recommandée par M. Emmanuel Giannesini, et négociée avec La Poste et les éditeurs de presse. D'un point de vue budgétaire, cela se traduit par un transfert de 62 millions d'euros de crédits vers le programme 180, relatif à la presse et aux médias, alors que la baisse de crédits enregistrée dans le programme 134 est de 71 millions d'euros. Il nous faudra veiller, avec nos collègues de la commission de la culture, à ce que la mise en oeuvre de cette réforme ne masque pas une baisse injustifiée de la compensation de cette mission de service public.
J'en viens à présent au suivi du plan France Très haut débit, qui est entré dans sa phase de mise en oeuvre, après une hausse budgétaire significative en 2020, due aux 240 millions d'euros issus du plan de relance et à une rallonge de 30 millions d'euros que j'avais obtenue, en lien avec la commission des finances, dans le cadre de la loi de finances rectificative. On ne compte pas cette année d'autorisation d'engagement supplémentaire, et il nous faudra suivre avec attention les décaissements des crédits de paiement, qui augmenteront dans les années à venir pour financer les réseaux d'initiative publique (RIP) portés par les collectivités territoriales. Aujourd'hui, les efforts doivent se concentrer sur le déploiement de ces RIP dans les zones moins denses, dont 60 % des locaux, soit 10,3 millions de locaux, doivent encore être raccordés à la fibre optique. Je rappelle que l'ensemble du territoire devra en être équipé d'ici la fin de l'année 2025.
C'est également dans ces zones que les raccordements complexes sont les plus nombreux. Si un budget spécifique de 150 millions d'euros est prévu dans ce PLF, des annonces du Gouvernement sur le sujet sont attendues prochainement et nous devrons y être attentifs car la qualité de service doit être assurée jusqu'au dernier mètre.
L'Arcep, comme la Fédération française des télécoms (FFT), sont confiants quant à l'atteinte des objectifs fixés, le déploiement de la fibre optique sur notre territoire s'étant fortement accéléré, avec plus de 4 millions d'abonnements et plus de 6 millions de lignes déployées par les opérateurs en un an. À ce titre, l'année 2021 est historique. Elle marque en effet un croisement des courbes, le nombre d'abonnés à la fibre optique ayant dépassé celui des abonnés utilisateurs du réseau cuivre, dont l'opérateur historique est Orange. Il est néanmoins indispensable d'assurer une transition jusqu'au dernier abonné, l'extinction progressive du réseau cuivre étant prévue d'ici 2030, et la fermeture commerciale rapide de 13 millions d'adresses étant programmée dès l'année prochaine.
Certes, l'opérateur Orange a pris des engagements supplémentaires, l'Arcep a fixé des objectifs de qualité de service, et le Gouvernement a fait des annonces sur le sujet, mais la stratégie doit encore être largement précisée. À cet égard, j'attire votre attention sur la lenteur du déploiement territorial du plan cuivre annoncé en mai dernier par le Gouvernement, très peu de préfectures départementales ayant mis en place les « comités cuivre » prévus pour permettre d'accompagner la transition.
Enfin, je souhaiterais porter à l'attention de notre commission les difficultés rencontrées par les opérateurs télécoms alternatifs pour accéder aux réseaux et infrastructures, notamment à ceux des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Les bons résultats du déploiement de la fibre optique par les opérateurs traditionnels ne doivent pas empêcher les opérateurs alternatifs de jouer un rôle pour accélérer la numérisation des entreprises et la connectivité des collectivités territoriales, deux sujets sur lesquels les marges d'amélioration demeurent importantes. Je suis donc favorable à davantage de transparence en ce qui concerne les difficultés d'accès rencontrées par ces opérateurs et les tarifs pratiqués à leur égard, ainsi qu'à l'organisation, par le Gouvernement et l'Arcep, d'un dialogue structuré sur le sujet.
Enfin, j'ai souhaité m'intéresser au déploiement de la 5G dans notre pays, un an après l'octroi des licences d'utilisation des fréquences les plus hautes aux quatre opérateurs d'envergure nationale. Le déploiement commercial de l'offre 5G est rapide et satisfaisant. Selon les dernières estimations de l'Observatoire du déploiement 5G mis en place par l'Arcep, près de 17 000 sites 5G étaient ouverts commercialement au 30 juin 2021, dont près de 5 000 en bande 3,4-3,8 GHz.
Je me permets toutefois d'attirer votre attention sur la nécessité de concilier une exigence de rapidité du déploiement pour rattraper notre retard au niveau européen, avec une exigence de maîtrise technique de ce déploiement. À cet égard, l'audition de l'Agence nationale des fréquences (ANFR) s'est avérée particulièrement instructive, en particulier sur les risques de brouillage de fréquences, renforcés par le déploiement de la 5G.
Par ailleurs, concernant la répartition territoriale de ce déploiement, ce sont surtout les grands centres urbains qui en bénéficient, ce qui n'est pas une grande surprise. Cela s'explique à la fois par un impératif technique de décongestion des sites 4G, mais également par un souci d'amortissement et de rentabilisation des investissements réalisés par les opérateurs. Afin d'éviter que le déploiement de la 5G ne renforce les inégalités de connectivité dans nos territoires, il est prévu que 25 % des 8 000 sites devant être déployés d'ici 2024, et des 10 500 sites qui doivent l'être d'ici 2025, se situent dans des zones peu denses ou industrielles. L'Arcep, en tant que régulateur, est chargée de faire respecter cette obligation et nous avons, en tant que sénateurs, un rôle à jouer pour informer l'Autorité des difficultés de déploiement rencontrées sur le terrain, par les entreprises, et dans les zones peu denses.
M. Patrick Chaize. - Je voudrais d'abord remercier la rapporteure pour cet exposé précis et complet. Au sujet de La Poste, qui compte quatre missions de service public, nous avons appris il y a quelques jours que l'Arcep avait modifié sa méthodologie de calcul du coût net du maillage territorial. Or, ce changement de méthodologie risque de perturber de façon considérable les équilibres financiers puisque l'on passerait d'un déficit de 230 millions d'euros à un déficit de 330 millions d'euros pour la mission de contribution à l'aménagement du territoire, traduisant ainsi le glissement comptable de 100 millions d'euros depuis la mission de service universel postal, ce qui démontre bien que les quatre missions ne sont pas indépendantes et qu'il faut appréhender les compensations de façon globale. Néanmoins, chaque mission a ses particularités, ses méthodes de contrôle et d'accompagnement. Cela pose un problème de gouvernance et d'organisation, et il serait sans doute intéressant d'insister sur ce point dans le cadre du PLF.
En ce qui concerne le très haut débit, j'observe une attitude relevant du déclaratif et de la timidité. Je regrette le manque de lisibilité, et l'absence d'un engagement politique clair, qui nous permettrait d'envisager l'avenir de façon sereine. La fibre optique doit être déployée d'ici la fin 2025 sur l'ensemble du territoire, et nous continuons d'y croire, même si beaucoup d'élus sont dubitatifs. Par ailleurs, le cuivre doit disparaître avant 2030, et il nous faut préparer des outils d'accompagnement, notamment des outils financiers. Je pense au fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT), qui existe depuis plus de dix ans et n'a toujours pas reçu un centime. Ce fonds a intérêt à faire en sorte qu'il y ait une péréquation nationale des tarifs d'accès aux réseaux de communication électronique. Dans ce cas aussi, je regrette que cette année encore, nous n'ayons pas d'information sur le sujet.
Enfin, derrière la 5G se cache un ensemble de technologies qui sont toutes intéressantes prises individuellement, mais qui ne sont pas facilement lisibles. J'ai notamment une inquiétude en ce qui concerne l'avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) sur l'utilisation des fréquences de 26 GHz. En effet, cet avis sur la dernière fréquence de la 5G, qui devrait permettre de développer les objets connectés, n'a toujours pas été rendu, ce qui n'est pas rassurant et n'offre pas un gage de transparence. Il nous faudrait insister pour obtenir cet avis, qui donnerait plus de sérénité au déploiement de cette technologie.
M. Franck Montaugé. - Je voudrais aussi réagir à la question de la 5G, dont le véritable enjeu concerne plus les entreprises que les particuliers. Je rappelle à ce sujet que ces technologies ne seront pas encore toutes déployées avant l'année prochaine, et qu'il faudra donc attendre avant de se faire une idée claire de leur impact sur la compétitivité et la transformation des entreprises. Par ailleurs, il serait intéressant pour notre commission de se pencher sur la bataille qui oppose Gafam et opérateurs de télécommunication, en particulier français, sur le territoire national, notamment sur la question du positionnement par rapport aux futurs data centers qui accompagneront le développement de la 5G, mais aussi sur celle de la récupération du réseau hertzien actuel. Il serait intéressant d'entendre des experts sur ces sujets, afin de nous faire une idée du paysage actuel et de son évolution à venir. Il s'agit là d'un enjeu de souveraineté nationale.
Je voudrais également revenir sur l'initiative « Territoires d'industrie ». En effet, je ne comprends toujours pas la motivation de la nature géographique du critère essentiel permettant de participer à cette démarche, qui exclut ainsi certaines entreprises de la possibilité de bénéficier des aides et de l'accompagnement de l'État. Cela me semble aberrant et contribue à instaurer une inégalité entre des entreprises qui n'ont pas besoin d'affronter cette concurrence en plus des difficultés liées à la conjoncture.
Enfin, sur la question de l'équipement en data centers du territoire, l'État joue un rôle important, ce que la commission d'enquête sur la souveraineté numérique avait bien souligné. Il faudra veiller à ce que ces centres soient opérés par des acteurs nationaux.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis. - Sur la compensation des missions de service public de La Poste, les éléments de calculs sont flous, l'Arcep ne nous a pas précisé le changement de méthodologie pour la mission de contribution à l'aménagement du territoire, et nous n'avons qu'une idée générale de l'avancement de la dotation optionnelle de 20 millions d'euros. Dans mon rapport budgétaire, je demande que le Gouvernement et l'Arcep soient bien plus précis et calent les choses pour le prochain PLF.
Nous avons interrogé l'Arcep sur l'extinction du réseau cuivre, elle s'est dite prête à sanctionner tout manquement avéré, je vous incite à surveiller ce qu'il en est et à saisir l'Arcep si besoin est. Il faut également voir avec le préfet comment fonctionnent les comités « cuivre », car il semble que la plupart ne sont pas mis en place, il faut être vigilants.
J'entends l'alarme lancée par Franck Montaugé, il faut travailler sur le sujet. Je crois aussi que le dispositif visé ne concerne pas seulement les territoires non industriels, mais aussi les territoires qualifiés de « peu denses », attention aux lectures trop restrictives - je l'ai vu sur mon territoire, où j'ai dû intervenir pour faire retenir les dossiers de territoires peu denses.
Enfin, pour l'équipement des data center, j'observe que certains de ces centres sont installés et que des collectivités territoriales peinent à s'y associer, il faut mieux informer et sensibiliser sur les outils disponibles.
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Économie » - Crédits relatifs à l'industrie - Examen du rapport pour avis
M. Franck Montaugé, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à l'industrie. - Nous avions connu l'année dernière un budget d'exception pour l'industrie. Plus de cinq milliards d'euros avaient été dédiés, pour l'année 2021, au soutien d'urgence, puis à la relance de l'industrie française. Nous avions défendu et porté, collectivement, une certaine ambition en matière de réindustrialisation, de décarbonation et de modernisation.
Les crédits d'urgence et de relance ont globalement rempli leur rôle. Les niveaux d'activité industrielle ont retrouvé un niveau proche de l'avant-crise, la trésorerie des entreprises a été relativement préservée grâce aux prêts garantis par l'État (PGE), et l'impact sur l'emploi a été limité avec une perte de 2 % de l'emploi industriel total sur la période alors que l'activité avait pu chuter jusqu'à 40 %.
Je veux tirer un bref bilan de ces crédits de soutien à l'industrie que nous avons votés l'année dernière. Vous savez combien je suis attaché à ce que nous, parlementaires, effectuions ce travail de suivi et d'évaluation.
Une grande partie des enveloppes de relance industrielle prévues pour 2021 a été consommée au cours de l'année. Certains dispositifs comme les aides à l'investissement dans la chaleur bas carbone des entreprises industrielles, le fonds de modernisation automobile ou aéronautique, ou encore l'investissement dans la numérisation, ont même vu la demande excéder largement les capacités de financement et les montants prévus plutôt pour 2022 ont déjà été débloqués pour 2021.
J'apporterai deux nuances à ce constat.
Premièrement, la seule vitesse de consommation n'est pas un bon indicateur de qualité de la relance. Le comité d'évaluation de la relance estime par exemple que les objectifs de moyen-terme affichés, comme la transformation de l'industrie et la décarbonation, sont passés au second plan. Des projets sans lien avec ces objectifs, voire même en dehors du secteur industriel, ont été financés. Autre exemple : les enveloppes territoriales et nationales ont été instruites sans coordination nationale des critères d'examen, conduisant à des incohérences. La territorialisation promise est encore inaboutie. Enfin, certains dispositifs à destination spécifique des PME n'ont pas eu le succès escompté, comme le guichet pour les petits projets de décarbonation : il faut intensifier les efforts pour susciter l'intérêt des chefs d'entreprises, aider les petites entreprises à monter leurs dossiers, sous peine qu'elles ne soient les laissées pour compte de la reprise.
Deuxièmement, s'il est plutôt de bon augure que les entreprises se soient saisi des dispositifs de relance, attention au « trou d'air » pour 2022. L'épuisement des enveloppes de relance bouleverse quelque peu le calendrier annoncé. Or, l'industrie n'est pas encore tirée d'affaire et la reprise n'est que partielle. Prenons garde à ce qu'un arrêt trop brutal du soutien public ne cause une rechute. Le budget pour 2022 ne comporte pourtant presque aucun ré-abondement sur ces actions qui ont fonctionné : ne faudrait-il pas en tirer les conséquences pour compléter les budgets « ordinaires » ?
Et troisièmement, au regard de la manière si rapide avec laquelle certaines entreprises se sont saisies des dispositifs d'aides que je qualifierai de structurels, je pose la question : auraient-elles été aidées de la même manière sans la crise sanitaire alors que, covid ou pas, la transformation s'impose à elles pour garantir leur compétitivité dans la « transition - compétition » qui est engagée ?
Malgré la reprise relative, l'industrie française reste dans une situation difficile. Elle fait face à quatre grands défis, en sus de la transformation numérique.
Premièrement, deux des secteurs prépondérants de notre industrie sont encore en berne : l'automobile et l'aéronautique. Pour l'aéronautique, la demande reste réduite et le futur est incertain. Pour l'automobile, en sus de l'impérieuse et très complexe obligation de transformation de la chaîne de valeur liée au moteur électrique, une crise d'offre a pris le relais de la pandémie, notamment en raison des pénuries d'intrants essentiels (comme les semi-conducteurs) qui empêchent de retrouver un rythme de croisière. En un an et demi, le prix des matières premières industrielles a augmenté de 36 %, chiffre inédit dans l'histoire récente : 40 % des entreprises françaises connaissent aujourd'hui des difficultés d'offre. Cela renforce nos interrogations sur notre dépendance aux importations et la vulnérabilité de nos capacités de production. Le cumul des difficultés de ces deux filières risque aussi de peser durablement sur notre balance commerciale.
Deuxièmement, la flambée des prix de l'énergie est un sujet de premier ordre, tant pour les ménages que pour les entreprises. Le prix du carbone a été multiplié par deux en un an et demi, et celui de l'électricité par quatre... Cette explosion bouleverse les modèles d'approvisionnement, pèse lourd sur les coûts des entreprises (notamment électro-intensives), voire pour certaines leur fait envisager un arrêt de la production.
Je le dis en ayant en tête les chocs de 1973 et 1979 : prenons garde que cette hausse des coûts de production ne se répercute pas sur le reste de l'économie (c'est-à-dire les secteurs aval), mais aussi sur le pouvoir d'achat des ménages. J'attends de voir l'efficacité du Gouvernement, là-dessus aussi.
Troisièmement, la filière industrielle connait toujours d'importantes difficultés de recrutement : 80 000 postes seraient aujourd'hui à pourvoir, et 44 % des entreprises déclarent peiner à trouver des employés. Bien que les embauches aient fortement repris, la situation reste tendue et pourrait contraindre encore la reprise.
Enfin, il est possible que dans certains cas, les mesures d'urgence et de relance n'aient fait que décaler les difficultés des entreprises. Dans ces cas, on pourrait observer au cours de l'année 2022, avec l'arrêt progressif des soutiens publics, une dégradation des conditions financières des entreprises industrielles, des faillites jusqu'ici évitées, voire certaines fermetures de site comme cela a déjà commencé...
Face à ces défis, quelle réponse apporte le Gouvernement avec ce projet de loi de finances ?
Ce que l'on nous propose est un retour à l'ordinaire, comme si la reprise était acquise.
Les crédits de la mission « Économie » renouent avec la baisse, si l'on exclut les montants dédiés au groupe La Poste et ceux à destination du compte d'affectation spéciale « participations financières de l'État ».
Pas de moyens adaptés, en effectifs supplémentaires notamment, pour les administrations centrales et les équipes déconcentrées, donc pas d'anticipation de la restructuration des filières, des éventuelles faillites et de l'accompagnement des entreprises au moment du débranchement des aides. Pourtant, les opérateurs du budget de l'État (notamment Bpifrance, les réseaux des commissaires aux restructurations et prévention des difficultés ou le comité interministériel aux restructurations industrielles) sont déjà surchargés.
Pas de budget supplémentaire non plus pour mettre en oeuvre les contrats de filière, alors qu'ils joueront un rôle clef dans la transformation de l'industrie.
Pas d'abondement ni de pérennisation des actions du plan de relance qui ont fait leurs preuves et répondent, même hors crise, à de vraies défaillances de marché.
Pas de crédits nouveaux non plus pour financer les actions menées au niveau territorial. De surcroît, comme je l'avais souligné l'année dernière, je ne souscris pas à la logique de zonage géographique de « Territoires d'industrie ». Pourquoi deux entreprises identiques, actives dans la même branche, n'auraient pas le droit aux mêmes aides selon qu'elles sont situées dans telle intercommunalité ou dans telle autre ? Je ne suis pas convaincu par les arguments du Gouvernement sur ce point.
Je ne vois aucune politique cohérente et concrète en matière de formation des personnels, alors que la mutation sectorielle de l'industrie entraîne des destructions d'emplois et des créations dans d'autres filières. La réforme de l'assurance chômage n'aura aucun effet sur ce point. Il faut miser gros sur le volet compétences nouvelles et formation. Il est fondamental pour l'économie, sa dimension sociale et tout autant environnementale. C'est la condition pour l'attractivité de notre industrie, la transmission des savoir-faire et la base de compétences nécessaire à la réindustrialisation.
À la place de ces actions nécessaires - mais certes moins attrayantes du point de vue de la communication - le Gouvernement nous présente un énième grand plan. Depuis 2017, c'est donc le quatrième : Programme d'investissement d'avenir (PIA) 3 puis 4, France Relance, et maintenant France 2030, pour un montant total de crédits budgétaires de plus de 100 milliards d'euros, en grande partie débudgétisés. On n'attend même plus que l'un soit épuisé, ou même évalué, pour lancer le suivant. Ces divers plans sont ensuite librement re-ventilés, réorientés, redéployés, au gré des opportunités budgétaires et du calendrier politique du moment. La Cour des comptes ne cesse d'en souligner les défaillances, mais l'on continue : pourquoi se priver en 2022 d'un nouveau chèque en blanc de 34 milliards d'euros, amené par amendement à l'Assemblée nationale sans étude d'impact ? Je note que huit des dix actions indicatives de France 2030 sont déjà traitées dans le PIA 4, annoncé il y a moins d'un an et qui n'est pas encore déployé... Ces choix traduisent au mieux un manque d'anticipation préoccupant, qui conduit à présenter chaque année de nouveaux plans plus gros encore, pour financer toujours les mêmes secteurs ; au pire, un mépris du principe de sincérité budgétaire, qui permet au Gouvernement de se constituer une réserve de dépenses en période pré-électorale. Notons d'ailleurs qu'une révision de ce plan France 2030 est prévue dès juin prochain...
Je ne retrouve pas l'ambition qui devrait être portée par notre pays en matière industrielle. L'assouplissement des règles d'aides d'État et le montant colossal de la relance ne doivent pas faire tourner les têtes : avant tout, il faut une vision stratégique pour la réindustrialisation - loin des seules « relocalisations vitrines », avec un effort global de compétitivité - et entamer de manière proactive la transformation des filières. L'innovation est un levier prépondérant, mais n'oublions pas l'accompagnement de terrain et les dispositifs d'aides à l'investissement.
Je souhaiterais enfin aborder la compensation carbone. Je l'ai dit, la flambée des coûts de l'énergie remet en question le modèle d'approvisionnement énergétique de notre industrie. Elle peut même désinciter certains à investir dans l'électrification de certaines branches, ce qui est pourtant vecteur de décarbonation.
L'Assemblée nationale a adopté un amendement pour un versement anticipé, chaque année, d'une partie de la compensation carbone aux industries électro-intensives. C'est une bonne chose, qui soulagera cette année les entreprises des filières concernées, mais ce n'est qu'une rustine d'urgence.
Là aussi, il faut voir plus loin : peser sur les discussions au niveau européen, pour que la France dispose d'un retour sur investissement de sa production nucléaire et plus largement de son mix énergétique, et pour garantir une compétitivité durable, au sens du développement durable, de notre industrie. Il faut aussi accélérer la mise en place du mécanisme d'inclusion carbone aux frontières, pour casser la spirale de la désindustrialisation couplée à la dégradation de notre empreinte carbone globale. Surtout, il faut amplifier l'investissement dans le verdissement - je préfère d'ailleurs parler de durabilité - de l'industrie française.
Pourtant, le comité d'évaluation du plan de relance estime insuffisant l'impact environnemental des mesures de relance ; et le budget pour 2022 ne reprend pas les recommandations du rapport récent du conseil général de l'économie (CGE) sur la décarbonation de l'industrie, c'est regrettable.
En conclusion, j'estime que ce budget pour 2022 est un budget de retour à l'ordinaire qui manque d'ambition en matière de transformation stratégique durable de l'industrie française.
Le Gouvernement a-t-il tiré tous les enseignements de la mise en oeuvre du plan de relance, plutôt positive, et des évènements récents, comme celui des prix de l'énergie et du carbone ou celui des intrants stratégiques importés qui viennent perturber considérablement la donne nationale et internationale ?
Notre commission se ralliera à cette idée que, dans les années à venir, la politique industrielle française doit être au coeur du projet national refondateur que constitue la transition du modèle énergétique, environnemental et social de la France. Pas grand-chose dans ce budget 2022 pour s'en convaincre. Et surtout pas la politique des grandes annonces actuelles qui renoue ou poursuit celles des décennies passées dont nous ne savons que trop ce qu'il en est advenu.
Vous me permettrez donc de vous dire ma circonspection et mon inquiétude après l'examen attentif de ce budget 2022.
M. Michel Bonnus. - La semaine dernière en audition, le ministre Bruno Le Maire nous a dit qu'il souhaitait un effort sur les salaires, tout en nous demandant de ne pas nous projeter à trois mois, tant le contexte était incertain. Je trouve que c'est contradictoire et un peu court, de parler des salaires alors qu'on ne sait pas ce qui va se passer dans quelques semaines, et alors même qu'on se souvient ce qui s'est passé ces dernières années dans notre pays sur le plan social - je tenais à le dire, parce que cette attitude a quelque chose de frustrant, voire dangereux.
Mme Valérie Létard. - Face à la transition majeure que nous vivons, qui est numérique, technologique et climatique, soit nous gérons les choses au coup par coup, au gré des accidents - et l'élue du territoire d'implantation d'Ascoval que je suis, sait ce qu'il en est -, soit on définit une stratégie pour anticiper, plutôt que subir. Les outils nouveaux ne manquent pas, avec le fonds friches en particulier, mais si de l'autre côté le Gouvernement enlève leurs moyens aux intercommunalités, en particulier via la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), il réduit leur rôle de cofinancement, qui est indispensable, ce qui revient à empêcher d'une main ce qu'on propose de l'autre.
Ensuite, le Gouvernement trouve une solution d'urgence pour les entreprises électro-intensives, mais le problème demeure. Aussi faut-il élargir la recherche de solution : peut-on renégocier avec l'Europe, pour permettre un accès à l'énergie à un prix raisonnable pour les industries électro-intensives, afin qu'elles puissent conserver leur compétitivité ?
Enfin, s'agissant de la taxe carbone, qui est un levier déterminant pour agir : que compte faire le Gouvernement pour qu'on anticipe, plutôt qu'on ne subisse les évolutions ?
Mme Florence Blatrix Contat. - Je partage cette analyse des défis et des enjeux pour notre industrie, et je crois également que nous avons besoin d'une ambition forte en matière industrielle. La question du numérique a été évoquée, elle est décisive et nous devons accompagner nos entreprises industrielles dans la transition numérique, pour ne pas renoncer à notre souveraineté.
Notre commerce extérieur est en berne, notre déficit s'est accru lourdement ces dernières années. Business France, qui promeut l'attractivité de la France, atteint ses objectifs et doit redéfinir prochainement sa convention pluriannuelle d'objectifs et de moyens : peut-être est-ce l'occasion de réfléchir aux façons dont nous pourrions améliorer la présentation et la vente de nos produits à l'étranger.
Quant à la protection des consommateurs, la DGCCRF voit ses moyens réduits, les associations de consommateurs nous disent que leurs moyens se réduisent également, cela tombe mal quand les prix augmentent : le Gouvernement doit revoir sa copie dans ce secteur.
M. Daniel Gremillet. - . Des pays prennent des décisions qui vont contre la COP26, la Chine par exemple a bloqué les prix de l'énergie pour retrouver sa compétitivité, c'est que la bataille économique fait rage. Et il y a l'effet domino : que va-t-il se passer pour les entreprises qui n'ont pas été choisies dans le plan de relance, alors qu'elles sont sur les mêmes marchés ? Le prix de l'énergie va avoir des conséquences sur la vie en général, sur les consommateurs, il faut mesurer ce qui arrive, nous devons avoir cette lucidité.
Mme Martine Berthet. - Une entreprise historique de mon territoire m'a alertée sur le fait qu'elle a vu son coût de l'énergie tripler, sans capacité de négocier. J'aimerais signaler aussi un autre problème, qui a trait à la réglementation sur les taux de poussières résiduelles dans les locaux industriels : un décret du Premier ministre est en préparation, il était prévu que les industriels auraient deux ans pour s'adapter aux nouvelles règles, il semble que le délai soit ramené à une année seulement, ce que les industriels disent insuffisant : est-ce le cas ? Cette réglementation est utile, puisqu'elle protège la santé des salariés, mais il ne faut pas que les conditions d'application alourdissent encore les conditions faites à nos industries - d'autant que cette nouvelle norme n'est pas imposée à l'échelle européenne.
Mme Sylviane Noël. - Je veux souligner les difficultés de l'aéronautique et de l'automobile, ces deux secteurs doivent pouvoir bénéficier du mécanisme d'activité partielle de longue durée, au-delà des deux ans que nous venons de passer, car leur main d'oeuvre est difficile à fidéliser et la période est particulièrement sensible.
M. Franck Montaugé, rapporteur pour avis. - Merci pour toutes ces remarques et pour vos questions - je ne peux que vous recommander la lecture de mon rapport, où vous trouverez les réponses aux questions que vous me posez... L'effet domino crée un risque réel, c'est aussi pourquoi j'appelle à la définition d'une véritable stratégie en matière industrielle.
Pour terminer, je précise que si je n'ai pas assisté à l'audition mercredi dernier du ministre de l'économie, c'est pour un problème de santé ; je tenais à ce que vous le sachiez, par respect pour chacune et chacun d'entre vous et en considération de la conception qui est la mienne de notre devoir à l'égard des travaux du Sénat et de notre commission.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je rappelle que nous avons réservé notre vote à la fin de l'examen de toutes les missions.
La réunion est close à 10 h 40.
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 17 heures.
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Recherche et enseignement supérieur » - Examen du rapport d'information
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, comme vous le savez, la première partie du projet de loi de finances ayant été rejetée, nous n'étudierons pas la seconde partie du texte en séance publique. Dans l'attente de cette décision, nous avions choisi de repousser le vote sur les avis budgétaires déjà présentés en commission. Les avis budgétaires en tant que tels n'ayant plus d'objet, car portant sur des missions du budget examinées en seconde partie, ils auront vocation, sur la forme, à être transformés en rapports d'information portant sur les missions du budget pour 2022. Ces rapports seront ainsi l'occasion d'une réflexion sur les politiques menées dans les secteurs relevant de notre champ de compétences.
Sur la méthode, je vous propose de maintenir les auditions des ministres prévues cet après-midi et demain, à savoir celles de M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, et de Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Ces auditions, détachées de l'aspect purement budgétaire, permettront d'établir un bilan du quinquennat dans les secteurs respectifs des ministres. Les sujets d'interrogation ne manquent pas.
Outre la mission « Recherche et enseignement supérieur », il nous restera à examiner demain matin les rapports sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ». À la fin de l'examen de ces dernières missions, je vous proposerai d'autoriser la publication de l'ensemble de ces rapports d'information.
M. Jean-Pierre Moga, rapporteur pour avis sur la mission « Recherche et enseignement supérieur ». - Mes chers collègues, en quelques minutes, mon rapport pour avis s'est transformé en rapport d'information. Nous examinons aujourd'hui les crédits de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » (Mires) dans le cadre du périmètre suivi par la commission des affaires économiques.
Ce périmètre représente 16 milliards d'euros de crédits de paiement pour 2022, sur les 29 milliards d'euros de la Mires, dont le budget est globalement en hausse de 760 millions d'euros par rapport à 2021.
Si l'ambition du budget dédié à la recherche n'est pas à la hauteur de ce que notre commission avait souhaité lors de l'examen de la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur (LPR), il s'agit d'une hausse significative et bienvenue, attendue depuis longtemps par les opérateurs publics de recherche.
Pour cette première année de mise en oeuvre des engagements pris dans le cadre de la LPR, dont les effets sont amplifiés par les mesures prises dans le cadre du plan de relance, des programmes d'investissements d'avenir (PIA) et de France 2030, votre rapporteur établit un premier constat : je n'ai quasiment auditionné que des « personnes heureuses » ! Voilà qui est assez rare pour être souligné.
D'un point de vue budgétaire, la trajectoire définie par la LPR est globalement respectée. Cette trajectoire se traduit notamment par une hausse significative des moyens d'intervention de l'Agence nationale pour la recherche (ANR), dont le budget augmente de 131 millions d'euros pour atteindre 884 millions d'euros de crédits de paiement pour 2022, auxquels il faut ajouter 889 millions d'euros du PIA et 142 millions d'euros du plan de relance.
Les opérateurs publics de recherche qui bénéficient des mesures de la LPR partagent leur satisfaction. Ils augmentent leurs effectifs à la faveur de la hausse des plafonds d'emplois, lancent des campagnes de recrutement, mettent en place des chaires de professeurs juniors et bénéficient de la hausse des subventions accordées à leurs laboratoires de recherche.
Toutefois, ces bonnes nouvelles ne doivent pas nous faire oublier la principale fragilité de cette situation : la LPR est budgétairement non contraignante pour l'exécutif.
En effet, la trajectoire définie jusqu'en 2030 s'étend sur trois quinquennats et pourrait être remise en cause dès l'année prochaine. Notre commission avait, à cet égard, proposé une trajectoire alternative jusqu'en 2027.
Par ailleurs, les contrats d'objectifs et de performance (COP) signés entre l'État et les opérateurs de recherche ne comprennent ni dispositions ni engagements liés aux moyens alloués à ces opérateurs.
Nous devons donc rester prudents et attentifs à l'évolution de la trajectoire budgétaire, ainsi qu'à la mise en oeuvre opérationnelle des engagements pris. Sur ce point, les documents budgétaires ne renseignent pas sur les moyens précis pour mettre en oeuvre les objectifs opérationnels de la LPR, ce qui complique notre travail de contrôle en tant que parlementaires.
La dynamique favorable permise par les débuts de la mise en oeuvre de la LPR ne profite pas à l'ensemble des opérateurs et instituts de recherche, mais seulement à ceux qui relèvent du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (Mesri). Il ne s'agit donc pas d'une loi permettant de dynamiser l'ensemble de l'écosystème de recherche de notre pays. Or, notre effort de recherche national est supporté aux deux tiers par la recherche privée ; c'est pourquoi il me semble indispensable de s'engager en faveur des dépenses fiscales de recherche et développement (R&D) de nos entreprises.
Sur ce point, la suppression du doublement de l'assiette du crédit d'impôt recherche (CIR), votée l'année dernière et effective à compter de l'année prochaine, suscite encore des questions, tout comme le nouveau crédit d'impôt proposé par le Gouvernement pour compenser partiellement cette évolution. Selon les informations transmises par le ministère, cette suppression pourrait se traduire par une baisse de 160 millions d'euros pour les entreprises bénéficiaires, ainsi que par un impact significatif sur certains opérateurs de recherche dont les ressources dépendent en partie des partenariats industriels. Le commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) anticipe, par exemple, une perte de 50 millions d'euros.
Afin de compenser cette évolution du CIR, imposée par une nécessaire conformité au régime européen des aides d'État, l'Assemblée nationale a voté un amendement du Gouvernement qui prévoit la création d'un nouveau crédit d'impôt, pour les dépenses de R&D supportées par une entreprise et réalisées par un organisme de recherche et de diffusion des connaissances (ORDC) avec lequel elle a une collaboration effective.
Sur le principe, c'est une bonne chose que de vouloir compenser l'évolution d'un dispositif qui contribue au rapprochement de la recherche publique et de la recherche privée. Toutefois, les paramètres du nouveau crédit d'impôt proposé ne sont pas satisfaisants : les dépenses engagées sont plafonnées à 2 millions d'euros, ce qui est insuffisant au regard des investissements requis.
Je suis également convaincu que les investissements dans la recherche pourraient être bien plus importants si les normes comptables et prudentielles relatives à la trésorerie des opérateurs de recherche étaient modifiées : des centaines de millions d'euros supplémentaires pourraient être investis dans des projets de recherche, ce qui est loin d'être négligeable.
J'avais interpellé la ministre sur ce point, l'année dernière. Un an après, je n'ai toujours pas obtenu de réponse satisfaisante. Cette année, j'ai transmis une question écrite au Gouvernement pour obtenir une réponse plus précise.
Enfin, ce qui est encore plus insatisfaisant que l'année dernière, c'est la dispersion toujours plus grande et l'émiettement toujours plus poussé des crédits dédiés à la recherche, ce qui rend le budget de moins en moins lisible. Les parlementaires ont ainsi de moins en moins de marges de manoeuvre.
Ainsi, pour les années à venir, et au-delà des crédits relevant strictement de la Mires, il est estimé que le plan de relance abondera le budget de la recherche d'au moins 740 millions d'euros, le PIA d'au moins 1,6 milliard d'euros et France 2030 d'au moins 490 millions d'euros.
Cette situation marque une tendance accélérée au remplacement de crédits pérennes dédiés à la recherche par des crédits temporaires dans des plans industriels et économiques successifs, remettant en cause notre capacité à investir dans la durée pour garantir notre souveraineté économique. Comment concevoir que des projets structurels de recherche soient financés par des rallonges budgétaires de court terme, à l'avenir incertain ?
Prenons l'exemple de la recherche spatiale, dont le budget tend à s'émietter de plus en plus depuis deux ans. Je partage les réserves émises par notre collègue M. Jean-François Rapin, rapporteur pour la commission des finances, sur la sincérité du budget alloué à la recherche spatiale tel que présenté cette année.
En effet, si ce budget est globalement en hausse, cette hausse est artificiellement alimentée par un transfert de gestion de 150 millions d'euros dont les crédits sont issus d'un autre programme budgétaire géré par le ministère des armées.
De plus, pour la deuxième année consécutive, les 150 millions d'euros dédiés à la recherche duale sont pris en charge par le plan de relance, sans garantie pour le Centre national d'études spatiales (CNES) que ces crédits soient reconduits à l'issue de ce plan, qui prévoit également 200 millions d'euros supplémentaires pour soutenir l'innovation en matière spatiale, ainsi qu'une aide de 165 millions d'euros pour financer la fin du développement d'Ariane 6, dont nous espérons tous le lancement au second semestre 2022.
Si je comprends pourquoi cette aide spécifique, destinée à pallier des difficultés conjoncturelles, relève du plan de relance, je comprends moins pourquoi des crédits importants dédiés à l'innovation spatiale ne relèvent pas d'un programme ou d'une action budgétaire plus pérenne.
Au regard du regain d'intérêt mondial pour les activités spatiales, de la concurrence internationale de plus en plus marquée dans ce secteur, de la nécessité d'accompagner nos industries de pointe et d'investir davantage pour favoriser un écosystème innovant de start-up capables de tirer profit de l'exploitation des données spatiales, le financement de la recherche spatiale a plus que jamais besoin d'être stabilisé.
Or, ce qui est vrai pour la recherche spatiale l'est aussi pour de nombreux autres secteurs d'avenir en matière industrielle, dont l'émiettement du financement fragilise le développement économique dans la durée. C'est, par exemple, le cas des plans Batteries et Nano, dont je critique chaque année la dispersion du financement.
Malgré des avancées indéniables, nous nous dirigeons de plus en plus vers une politique de financement de la recherche et de l'innovation en accordéon, faite de coups de frein et de coups d'accélérateur. Ce n'est pas la meilleure manière de conduire une politique. Nos opérateurs ont besoin de se projeter sur le moyen et le long terme.
M. Christian Redon-Sarrazy. - Les constats sont identiques d'année en année. Les crédits du programme 190, « Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables », baissent de 1,5 % et les financements du programme 191, « Recherche duale (civile et militaire) », ne sont pas pérennisés car transférés vers le plan de relance. Le secteur spatial voit ses crédits s'éroder, alors qu'il fut un fer de lance de notre innovation technologique. Voilà qui est inquiétant en matière de perspectives industrielles.
M. Franck Montaugé. - La réforme de l'enseignement secondaire a des conséquences dommageables sur certaines matières, comme les mathématiques. Le niveau des élèves français semble se dégrader, alors que nous étions en pointe dans ce domaine. Plus le temps passera, plus les conséquences seront grandes.
M. Christian Redon-Sarrazy. - Un rapport récent sur les réformes du baccalauréat montre que les mathématiques, les sciences et technologies et les sciences humaines et sociales sont les matières qui perdent des heures d'enseignement, matières qui sont au coeur de la recherche et de l'innovation.
Mme Sophie Primas, présidente. - En effet, nous dressons le même constat.
M. Jean-Pierre Moga, rapporteur pour avis. - Le problème est préoccupant. Les mathématiques devraient être sanctuarisées.
Certains programmes connaissent des baisses, mais le saupoudrage budgétaire lié au plan de relance rend leur lecture difficile. Des financements pérennes sont désormais intégrés au plan de relance lui-même. Même si les montants sont parfois supérieurs, des domaines comme le spatial exigent une vision sur le long terme. Nos chercheurs doivent travailler dans la sérénité pour être efficaces.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je partage vos réserves sur le domaine spatial. Nous nous intéresserons à la question, de même qu'au sujet de la concurrence avec nos collègues allemands et italiens.
M. Jean-Pierre Moga, rapporteur pour avis. - C'est vraiment très inquiétant. Philippe Baptiste, le directeur général du CNES, nous disait qu'il espérait des avancées sur ce point. Le lancement d'Ariane 6 dès 2022 pourrait recréer une dynamique, mais rien n'est encore certain, car, pour le moment, les tests moteurs ne sont pas complètement concluants.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous livre deux informations. Premièrement, le Sénat organisera le 17 septembre 2022 la Conférence européenne interparlementaire sur l'espace (EISC), initiative acceptée par le président Larcher. Deuxièmement, notre collègue Alain Cadec mène actuellement une mission flash sur la situation des pêcheurs français à l'issue du Brexit : le rapport s'intéressera aux difficultés rencontrées par les pêcheurs dans la Manche, dans les eaux britanniques, mais également dans le golfe de Gascogne, et il devrait être adopté mi-décembre en commun avec la commission des affaires européennes.
M. Jean-Pierre Moga, rapporteur pour avis. - Malgré ce contexte budgétaire particulier, je suis convaincu que notre travail d'audition des grands responsables des instituts de recherche est très utile ; ainsi, ils ont pu nous faire part de leurs projets. À nous de transmettre leur message.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
Projet de loi de finances pour 2022 - Audition de M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation
Mme Dominique Estrosi Sassone, vice-présidente. - Monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord excuser la présidente qui assiste en ce moment même à la conférence des présidents. Nous recevons aujourd'hui le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, que je remercie de sa présence, pour aborder avec lui les nombreux sujets agricoles du moment.
Avant de vous prêter au jeu des traditionnelles questions d'actualité de nos commissaires, je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous nous dressiez le bilan de la politique agricole du quinquennat qui s'achève. Quels ont été les grandes avancées et les succès ? Et, bien sûr, quels ont été vos remords et vos regrets ? Quelles ont été les erreurs commises et quels sont les sujets sur lesquels il faut encore avancer ? Je suis sûre qu'ainsi cette audition nous permettra de prendre un peu de recul sur notre politique agricole et alimentaire.
Après ce temps de réflexion, vous n'échapperez pas, bien entendu, à la salve de questions sur une actualité agricole toujours aussi riche. Nos rapporteurs, qui ont décortiqué le budget que vous proposez et que le Sénat n'a pas voulu voter, comme vous le savez, vous interrogeront sur les inquiétudes que cela a fait naître et vous proposeront certaines pistes de travail.
Le Sénat a voulu manifester sa grande perplexité à l'égard des modalités de financement du budget présenté par le Gouvernement, qui n'est pas avare en promesses. Lancer sa campagne avec l'argent des Français n'est, selon nous, pas une méthode tant il handicape les marges de manoeuvre pour les générations futures. Dans un environnement économique plus que jamais incertain, fait d'inflation, de guerres commerciales et d'incertitudes sur la croissance, vous nous demandiez de voter un budget « catalogue » n'ayant qu'un objectif de court terme : nous l'avons donc refusé.
Je ne doute pas que vous souhaiterez tout de même nous présenter rapidement le budget de votre ministère pour 2022, d'autant que vous avez obtenu une augmentation substantielle des crédits budgétaires. En effet, depuis janvier 2021, vous avez obtenu plus de 4 milliards d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement (AE) pour le monde agricole, soit plus que le budget annuel via les lois de finances rectificatives (LFR), le plan de relance, le plan France 2030 et le quatrième programme d'investissement d'avenir (PIA 4) pour une troisième révolution agricole. Sans vous en retirer le mérite, monsieur le ministre, je constate, non sans surprise, que c'est le cas de beaucoup d'autres ministères. Ce fut, permettez-moi l'expression, Noël avant l'heure.
Avant cela, j'aurais, monsieur le ministre, trois questions à vous poser pour lancer le débat général.
La première concerne le projet de loi sur l'assurance récolte dont nous serons saisis au mois de janvier. Comme vous le savez, nous avons pu prendre connaissance de l'avant-projet par voie de presse. Sans présager d'éventuelles évolutions d'ici à son examen en conseil des ministres le 1er décembre prochain, profitons de cette audition pour en discuter et entrer dans la mécanique de la réforme à la suite de votre exposé détaillé.
La deuxième question est liée puisqu'elle porte sur le Varenne de l'eau. Les deuxième et troisième thématiques portent sur l'eau et sur la résilience de notre agriculture. Ce sont des sujets essentiels pour relever le défi du changement climatique. Cela passe par l'irrigation, la France étant à la traîne par rapport aux autres pays européens ; cela passe par des innovations culturales, des pratiques nouvelles, des technologies de rupture ; cela passe aussi par la génétique. Or ces questions ne sont pas anodines dans un climat où des délits d'intrusion dans des exploitations se multiplient contre toute innovation permettant, justement, de renforcer la résilience de notre agriculture au changement climatique.
Je pense bien sûr à l'éventrement d'une bassine d'eau à Mauzé-sur-le-Mignon. Je pense également au fauchage de semences de tournesols issues de variétés rendues tolérantes aux herbicides (VRTH) de la société RAGT dans l'Aveyron, après le fauchage d'autres semences à Ambeyrac quelques semaines auparavant. Nous aurons beau jeu de promouvoir des solutions concrètes pour l'innovation ; si elles sont détruites systématiquement par des casseurs, nous ne progresserons pas.
L'agriculture de demain, celle qui résistera au changement climatique et participera à une meilleure préservation de l'environnement, repose sur plus d'innovation et de progrès, et non sur un retour à l'agriculture d'hier. Que les prétendus défenseurs exclusifs d'une agroécologie détruisent les pistes les plus prometteuses pour la préservation de notre agriculture et de notre écologie n'est pas le moindre des paradoxes. En tout état de cause, ces actes ne peuvent rester sans réponse. Et c'est sans parler des intrusions dans les établissements d'élevage créant un climat anxiogène au travail de nos éleveurs.
Le Gouvernement en a-t-il assez fait pour lutter contre ces atteintes aux exploitants agricoles ? Qu'entend-il faire sur le sujet des retenues d'eau ? Comment sortir du contentieux européen dans lequel nous sommes englués sur la mutagenèse ? Quelle sera votre position lors de la présidence française de l'Union européenne sur ces sujets ?
La troisième question concerne ce qui me semble être la grande impensée du quinquennat, à savoir la compétitivité agricole. Nos parts de marché continuent d'être chahutées à l'export et, en France, nous perdons des volumes dans l'assiette des Français au profit de produits importés. Bien sûr, toutes les filières ne sont pas concernées, la France étant encore un grand pays agricole. Mais traiter le sujet trop tard, c'est cautionner un déclin que nous refusons tous. Je crois que l'illusion du début du quinquennat du « tout haut de gamme » est derrière nous. Toutefois, aujourd'hui, comment faire pour redresser la compétitivité de certaines filières agricoles ?
M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. - Je vous remercie, madame la présidente. Au vu des circonstances, j'ai l'honneur, non pas de vous présenter les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », mais d'échanger avec vous sur un certain nombre des questions.
Vous m'interrogez sur la vision de la politique agricole du Gouvernement en évoquant de nombreux sujets. Je ferai mon possible pour répondre à toutes vos questions.
Notre vision politique agricole est d'abord tournée vers la souveraineté. Je le dis depuis mon arrivée au ministère, la souveraineté est impérieuse, parce qu'il n'y a pas de pays fort sans agriculture forte, il n'y a pas de souveraineté sans souveraineté alimentaire. Nous pouvons le constater à travers l'histoire, mais aussi depuis le début de la crise sanitaire, car nous l'avons peut-être oublié mais certains pays, y compris européens, ont manqué de denrées dans leurs supermarchés. Ce qui n'a jamais été le cas en France, justement parce que nous disposons d'une souveraineté agroalimentaire. Cependant, nous savons qu'elle est questionnée, notamment en raison du changement climatique, et nous avons pu le voir avec des périodes dramatiques, telles que le gel d'avril dernier qui a impacté bon nombre de nos territoires et qui a conduit le Gouvernement à y répondre avec force, à hauteur de 1 milliard d'euros. Et je crois pouvoir affirmer que les mesures se déploient rapidement.
Ce changement climatique impose de mettre en oeuvre des actions très fortes concernant la protection et l'adaptation de nos pratiques culturales pour faire face aux effets directs - gel, sécheresse, canicule, grêle - et indirects, tels que la crise sanitaire et la crise des scolytes.
Nous avons, concernant cette souveraineté climatique, lancé l'offensive avec le Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique, sur lequel je reviendrai pour répondre aux questions précises que vous m'avez posées, madame la présidente.
Le deuxième volet de cette souveraineté, c'est de lutter contre cet état de fait que nous observons année après année, à savoir les importations. Est-il normal que l'Allemagne, aujourd'hui, exporte plus que nous ? Nous importons de plus en plus de fruits et légumes, des lentilles du Canada - alors que nous avons nos lentilles vertes du Puy auxquelles nous sommes si attachés - et des poulets brésiliens et ukrainiens, y compris dans des territoires d'élevage.
Lutter contre ces importations nécessite des démarches fortes que nous menons au niveau européen. Actuellement, mon combat est l'instauration de clauses miroirs sur les antibiotiques de croissance, de clauses miroirs liées à la déforestation importée, de clauses miroirs liées à la traçabilité des origines de nos produits.
Lutter contre ces importations, c'est aussi investir dans la relocalisation d'un certain nombre de nos productions. L'un des angles forts de notre politique concerne les protéines que nous produisons, un véritable système organisé depuis plus de 50 ans. Souvenez-vous, en 1957 quand le Traité de Rome prévoit une politique agricole commune (PAC), les Américains nous disent que nous resterons dépendants de leurs protéines.
Nous avons enfin pris le taureau par les cornes en investissant massivement, aussi bien dans les outils de la PAC qu'au niveau national, avec le plan protéines doté de plus de 120 millions d'euros.
Le troisième élément est la souveraineté démographique. Le juge de paix sera notre capacité à renouveler nos générations rapidement, d'ici cinq à sept ans. Il convient donc d'investir massivement dans le renouvellement des générations et dans l'éducation et l'enseignement agricole auquel je suis très attaché. Je tiens à le souligner et à saluer les travaux de la mission d'information sénatoriale animée par Jean-Marc Boyer et Nathalie Delattre : oui, l'enseignement agricole est une pépite qui restera dans le giron du ministère de l'agriculture et de l'alimentation.
La souveraineté démographique comporte, par ailleurs, bon nombre de sujets, tels que la capacité d'installation. Nous avons dernièrement évoqué la proposition de loi portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires. Nous savons qu'il nous faudra aller plus loin sur la question du foncier, mais nous devrons le faire avec méthode. Nous savons que se pose la question de l'accompagnement des jeunes agriculteurs avec les outils de la PAC.
Notre deuxième vision, parce qu'elle est la mère des batailles, c'est celle de la rémunération. Vous m'interrogez sur mes remords et mes regrets, madame la présidente, et pour reprendre les paroles d'un célèbre chanteur français, « il vaut mieux vivre avec des remords qu'avec des regrets ». Nous avons eu des remords concernant la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim), alors pour éviter qu'ils ne perdurent, nous avons voté Egalim 2.
La mère des batailles est sans aucun doute la rémunération. D'abord, parce que nous n'arriverons jamais à encourager de jeunes agriculteurs à s'installer si nous ne pouvons pas leur assurer de meilleurs revenus. Ensuite, du point de vue de la justice sociale, il n'est pas acceptable qu'ils travaillent en dessous de leurs coûts de production. Enfin, la meilleure manière de leur demander d'aborder cette transition - que ce soit dans l'agroécologie ou au profit du bien-être animal - ne consiste pas à la leur imposer par une loi - ce serait un non-sens -, mais à les accompagner car les transitions se décrètent avant tout par l'investissement. Or l'investissement n'est possible que s'ils perçoivent une rémunération. En effet, aucun banquier, public ou privé, n'acceptera d'investir s'ils n'ont pas de revenus.
Nous nous battons donc avec beaucoup de force, en faveur de cette rémunération. Alors, certes, nous devons mieux réguler et certains disent que la loi Egalim 2 est complexe. À ceux-là, je répondrai que non, elle n'est pas complexe, simplement elle prévoit des nouvelles règles et elle régule.
Le troisième élément de notre vision politique est le sujet de la considération. Il est important de redonner de la considération au monde agricole. Cette considération nécessite d'être offensifs sur l'ensemble des sujets. Et je souhaite vous rappeler que je ne parle jamais d'agribashing, qui dessert la cause. Je parle de manière offensive de ces entrepreneurs du vivant qui nourrissent le peuple.
Le secteur agricole est l'un des plus compliqués, car les agriculteurs sont des entrepreneurs du vivant. Et parallèlement, il y a des temporalités : la temporalité des réseaux sociaux, la temporalité de l'injonction, qu'elle soit politique ou dogmatique... Et si nous ne remettons pas de la science, de la raison, dans tous ces débats, nous perdons toute considération et toute capacité d'avancer. C'est la raison pour laquelle, nous devons remettre la science au centre de tout.
Il me semble aussi que nous devons écrire un nouveau chapitre de notre histoire agricole - qui est déjà en cours. Une histoire qui a été marquée d'abord par la révolution du machinisme, après la Seconde Guerre mondiale, puis par la révolution de l'agrochimie, dans la seconde partie du XXe siècle. Depuis lors, la seule vision collégialement admise et dans laquelle nous nous complaisons depuis des décennies est celle de l'agroécologie.
Or l'immense inconvénient de cette vision, c'est que l'agriculture doit répondre aujourd'hui à trois objectifs : produire - et la crise des engrais que nous vivons actuellement montre à quel point nous sommes peut-être à l'aube d'un problème majeur à l'échelle internationale -, protéger l'environnement et améliorer la nutrition.
Or si votre vision politique n'est qu'une transition parmi toutes, vous faites l'impasse sur les autres objectifs, que sont la nutrition et la production. Pour moi, ce nouveau chapitre de l'histoire agricole, c'est cette troisième révolution agricole, que vous avez mentionnée, madame la présidente, et qui est tournée vers le numérique, l'agro-robotique, la génétique, le biocontrôle et qui permet de concilier les trois objectifs sans en amenuiser un par rapport aux autres. Telle est la politique que nous portons qui consiste, non pas à ouvrir le tiroir-caisse, mais à investir dans quelque chose de structurant pour notre agriculture et notre souveraineté.
Le budget que je n'ai pas eu l'honneur de vous présenter est en augmentation, à plus de 120 millions d'euros sur le périmètre du ministère.
Je répondrai maintenant aux trois questions que vous m'avez posées, madame la présidente.
Le projet de loi sur la réforme assurantielle - l'assurance récolte - fait écho au premier des trois blocs de la vision que j'évoquais, à savoir l'impérieuse nécessité de pouvoir se prémunir et regagner en souveraineté face au changement climatique. Un sujet qui relève aussi de la souveraineté démographique, car je suis incapable d'expliquer à un jeune pourquoi il devrait investir plusieurs centaines de milliers d'euros pour reprendre une exploitation alors que, potentiellement, il aura à subir des épisodes de grêle, de sécheresse, de gel sans être couvert.
La refonte totale du système assurantiel est un sujet incroyablement technique, mais une fois menée à terme, elle sera probablement la réforme la plus structurante depuis la PAC.
Je présenterai le projet de loi en conseil des ministres le 1er décembre ; il sera discuté à l'Assemblée nationale le 16 janvier et au Sénat dans la foulée. Je compte beaucoup sur la sagesse de votre haute assemblée, mais aussi sur celle de l'Assemblée nationale, pour trouver un accord en commission mixte paritaire (CMP) et permettre une entrée en vigueur de la loi avant la fin de la mandature.
Il faut vraiment avoir en tête que ce projet de loi de l'assurance récolte constituera les fondations de la maison. Nous passerons des deux systèmes actuels à un seul, proche du modèle espagnol, conforme à celui présenté dans le rapport de votre collègue député, Frédéric Descrozaille - nous aurons, bien évidemment consulté les assureurs et la profession agricole.
Une fois ces fondations établies par la loi, il ne sera plus possible de revenir en arrière. Mais nous aurons huit mois pour définir la taille des pièces de la maison et la couleur des papiers peints, à savoir déterminer les seuils, culture par culture, pour les différents systèmes assurantiels prévus par ce projet de loi. L'entrée en fonctionnement est prévue au 1er janvier 2023.
S'agissant du Varenne de l'eau, le deuxième groupe de travail, qui avance bien, concerne l'appropriation par les filières des outils de protection et d'adaptation du changement climatique. Des filières sont plus en avance que d'autres. La filière vitivinicole, par exemple, nous a déjà remis son plan d'adaptation et de protection. Ces filières bénéficieront d'un accompagnement via le plan de relance et de France 2030.
Le troisième groupe de travail porte sur la vision de la gestion hydraulique. Je condamne avec la plus grande fermeté les dégradations qui ont eu lieu récemment dans les Deux-Sèvres et en Charente-Maritime. J'apporte mon soutien aux gendarmes blessés et aux agriculteurs victimes de ces actes.
La gestion de l'eau relève de la souveraineté, nous devons donc avancer avec méthode. Une question compliquée depuis que l'homme est sédentaire. Je fais partie de ceux qui considèrent que les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) doivent aller beaucoup plus vite ; une concertation ne peut pas durer dix ans.
Par ailleurs, il convient d'avoir une vision très pragmatique, avec des projets à l'échelle des différents bassins versants et je suis persuadé que nous pouvons créer des consensus sur un certain nombre de sujets. J'attache beaucoup d'importance à l'un d'eux, celui des pluies diluviennes hivernales, les experts du changement climatique s'accordant à dire que les étés seront de plus de plus marqués par des sécheresses, et les hivers et les débuts du printemps par des pluies diluviennes. Or quand le sol est gorgé d'eau et que la nappe phréatique est saturée, tout mètre cube d'eau supplémentaire finit dans la rivière, le fleuve ou la mer.
Une fois ce consensus scientifique trouvé - qui demandera beaucoup de courage politique, notamment au niveau local - comment créer un consensus technique pour récupérer les eaux diluviennes ?
S'agissant des NBT (New Breeding Technologies), j'y crois beaucoup. Fidèle à la célèbre phrase de Rabelais : « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme », je crois profondément que le progrès, c'est de croire en cette science, et notamment dans la sélection variétale. Cette sélection variétale accélérée que sont les NBT est extrêmement bénéfique. Évidemment, il faut le faire avec conscience, c'est-à-dire que les NBT doivent être utilisés pour obtenir des plantes résistantes aux risques sanitaires ou climatiques et non aux herbicides.
Conformément à la position de la France, la Commission européenne nous a présenté un projet de revue de positionnement des NBT dans son cadre juridique lié aux organismes génétiquement modifiés (OGM). Nous devons avancer sur ce sujet.
Enfin, concernant la compétitivité, sujet qui revient pour toutes les questions liées à la souveraineté, j'ai évoqué la loi Egalim 2 et les clauses miroirs. Reste la question des charges, qui est chère aux yeux de cette assemblée, non seulement financières, mais aussi en termes de normes qui, in fine, est un enjeu important. Mon opinion est claire à ce sujet : nous devons porter au maximum tous ces sujets au niveau européen, puisque nous sommes dans un marché commun.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». - Monsieur le ministre, vous avez abordé un grand nombre de sujets. Je m'arrêterai d'abord sur celui des clauses miroirs, qui me séduit, même si le chemin sera long. D'ailleurs Clément Beaune a déclaré que nous ne pourrons pas faire aboutir le sujet sous la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Et il est vrai que plusieurs éléments confirment ces propos.
D'abord, l'ingérence en matière de souveraineté alimentaire auprès d'autres pays ne sera pas facile à faire. Ensuite, hormis le sujet de l'absence de résidus, nous ne pouvons pas mettre de clause particulière sur les normes de production. Et sur cette question des limites de résidus, nous devrions d'abord balayer devant notre porte, car vous parlez, monsieur le ministre, des lentilles vertes du Puy, mais je vais vous donner un exemple de mesure que nous pouvons prendre immédiatement.
Concernant les lentilles canadiennes, qui sont défanées au glyphosate, c'est-à-dire arrêtées dans leur culture pour les récolter plus rapidement, la limite maximale de résidus a été multipliée par 100 entre 2008 et 2012, pour passer à une autorisation d'exporter en France des lentilles canadiennes contenant 10 milligrammes de résidus par kilogramme.
Or, en France, l'utilisation du glyphosate pour défaner des lentilles est interdite et le Codex Alimentarius a fixé une limite générale à 5 milligrammes. De sorte que nous laissons entrer des lentilles canadiennes qui comportent deux fois plus de résidus que la norme établie par le Codex Alimentarius. Sachez en outre qu'il est interdit de vendre sur le territoire canadien des lentilles comportant plus de 4 milligrammes de résidus.
Par ailleurs, si nous voulons imposer des clauses miroirs, nous devons être en mesure de réaliser des contrôles. Nous mettons des prescriptions aujourd'hui sur 1 498 substances ; savez-vous combien nous n'en contrôlons plus au sein des laboratoires officiels de l'État ? Neuf cents ! Nous pouvons donc instaurer toutes les clauses miroirs que nous voulons, si nous n'avons pas la possibilité d'exercer un contrôle, nous ne pourrons pas arrêter les produits.
Il existe aussi un risque de défiance à l'égard des partenaires commerciaux, car qui dit clause miroir, dit difficulté pour certains d'exporter. Et donc un risque de rétorsion à l'égard de nos marchés.
Les clauses miroirs ne seront donc pas simples à mettre en place et je suis d'accord avec vous, la souveraineté alimentaire est extrêmement importante, ce qui devrait nous inciter à être plus compétitifs chez nous. En effet, pour ne pas avoir à importer, la meilleure solution est de produire les produits dont nous avons besoin.
Cela étant dit, j'interviendrai plus particulièrement sur le sujet de la crise actuelle des engrais azotés. Nous avons mis en place un plan Eco'Azot dans la dernière loi « Climat et résilience » pour échapper à une hallucination particulière de notre technocratie qui voulait instaurer une taxe sur l'utilisation de l'azote par les agriculteurs. Aujourd'hui nous assistons à une flambée du prix de l'azote. Je rappellerai trois chiffres : les cours de l'ammonitrate ont doublé depuis quelques mois, les cours de la solution azotée ont été multipliés par 2,5 et le prix de l'urée a triplé !
La rareté faisant le prix, celui-ci augmente sans cesse et des agriculteurs sont dans l'incapacité de trouver les volumes nécessaires d'engrais pour le printemps prochain, ce qui va entraîner des conditions particulières : une récolte moins importante et de moins bonne qualité.
Je vous rappelle que nous exportons le blé le meilleur du monde, à 13 % de protéines, qui permet de fabriquer un pain très nutritif. Or si nous n'avons pas d'azote demain, nos exportations risquent d'être combattues car nous perdrons notre avantage compétitif.
Nous vous proposons, monsieur le ministre, d'enfin adopter ce plan Eco'Azot que vous devrez prendre en suivant trois axes pour bien répondre à la crise actuelle et réduire à terme nos émissions. D'abord, à court terme, pour peser sur les prix, nous devons suspendre les droits de douane à l'importation au niveau européen : cela doit être une priorité de la présidence française de l'Union européenne à venir - techniquement, cela peut se faire rapidement, il faut agir vite avant qu'il ne soit trop tard.
Ensuite, à moyen terme, les actions doivent se tourner vers les nouvelles technologies et ne pas les entraver. Je pense aux inhibiteurs d'uréase dont le renouvellement pose des difficultés aujourd'hui car ils nécessitent une nouvelle acceptation avant juillet 2022 et que tout est fait aujourd'hui pour essayer de limiter les autorisations. Nous devons nous engager dans des actions résolument tournées vers la baisse des émissions de protoxyde d'azote et d'ammoniac pour tendre vers une optimisation des usages sans perte de rendement. Je pense à la sélection variétale, à l'agriculture de précision, aux inhibiteurs d'uréase ou de nitrification.
Ces nouvelles technologies pourraient permettre de diminuer de façon importante ces émissions et d'avoir une certaine forme de souveraineté en termes de pollution.
Favoriser l'irrigation et la fertilisation, c'est favoriser la production sur une même parcelle d'un rendement plus élevé et donc, par définition, de moins impacter l'environnement et l'utilisation d'azote.
Enfin, il faut mettre en place un appui financier et technique du ministère. Il est important de mesurer à la sortie de l'hiver la quantité d'azote qui reste dans le sol, de façon à positionner l'apport au plus près des besoins de la plante pour éviter l'évaporation de l'azote et pour utiliser au mieux la quantité d'azote pour favoriser le rendement.
Bien sûr, il nous faut aussi avoir des outils de pilotage, des outils d'épandage de précision, des appuis dans la formation, par exemple, pour mieux expliquer le fractionnement de la fertilisation, ce qui permet de minimiser les pertes en maximisant l'absorption.
Ce plan Eco'Azot voulu par le législateur, aidant les agriculteurs dans leur utilisation d'engrais tout en les aidant à passer la crise actuelle, est une opportunité majeure pour le Gouvernement. Quand comptez-vous le mettre en oeuvre et selon quelles modalités, de façon à répondre à une vraie problématique d'actualité qui est l'augmentation du prix de l'azote ?
Mme Françoise Férat, rapporteure pour avis de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». - Chaque année, je fais le constat que l'on parle beaucoup de changement climatique au regard de la multiplication des sécheresses, des gels et des pluies estivales qui sapent la qualité des récoltes. Mais l'on parle beaucoup moins de la recrudescence des maladies animales et végétales.
Les agriculteurs des filières végétales sont confrontés à un paradoxe incroyable : face à ces maladies nouvelles ou à la résurgence de maladies que l'on croyait éradiquées, les agriculteurs déplorent le manque de solutions à disposition. La recherche a parfois du retard mais, parfois, elle obtient des résultats et le temps et le coût de l'homologation de nouvelles solutions font perdre un temps colossal aux exploitants. Comment faire pour se lancer dans les transitions si on renforce les interdictions sans accélérer d'un autre côté les solutions alternatives ? Je pense bien sûr au sujet du biocontrôle. Que comptez-vous faire sur ce sujet ?
Du côté des filières animales, je me préoccupe de la prolifération de maladies à des intervalles de plus en plus réguliers. Je pense bien entendu à l'influenza aviaire. Je pense également à la tuberculose bovine, dont on parle peu, mais dont le nombre de cas augmente chaque année et qui mettra, un jour, en péril notre statut indemne à l'exportation. Je pense à la brucellose, qui a récemment abouti à des rappels de reblochons. Et c'est sans parler de la peste porcine africaine qui se rapproche progressivement à l'est.
Alors il ne faut pas s'y tromper : il n'y a pas de risque zéro à travailler de la matière vivante. Toutefois, quelles peuvent être les actions à mener pour limiter les effets de ces épidémies sur les éleveurs ? Comment améliorer le préventif et le curatif ?
Après ces inquiétudes, j'en viens à mes trois questions courtes.
La première concerne le dispositif TO-DE, l'allègement de charges pour les travailleurs occasionnels et demandeurs d'emploi. Sa fin est programmée en 2023. Notre présidente évoquait la compétitivité des exploitations : en voici un outil essentiel pour la compétitivité des filières les plus concurrencées par les produits importés, c'est-à-dire celles où les coûts de main d'oeuvre sont les plus importants. Or le Gouvernement ne veut pas de sa pérennisation. Le Sénat l'a, quant à lui, gravé dans le marbre une fois de plus dans le PLFSS. Quelle est votre opinion sur ce point ? Quel est votre engagement ?
La seconde traite des déserts vétérinaires. Vous savez que le Sénat est très mobilisé sur le sujet. Je porte ce sujet à chaque budget et mon collègue Laurent Duplomb a fait adopter un dispositif innovant dans la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (dite DDADUE), en 2020, pour aider les jeunes vétérinaires à s'installer. Mais ne créons pas des dispositifs pour en détruire d'autres qui fonctionnent ! Les stages tutorés dans les écoles vétérinaires sont un outil extraordinaire : l'État finance des tuteurs qui accueillent, en stage dans les zones rurales, auprès d'animaux de rente, des jeunes vétérinaires qui, après avoir fait ce stage, s'installent à 85 % en zone rurale. Le succès est tel que le nombre de dossiers a été multiplié par deux pour l'année prochaine. Or la sous-ligne budgétaire reste stable : mécaniquement, les dotations aux tuteurs vont être divisées par deux. Je crois qu'il s'agit là plus d'une omission que d'une volonté. Je voudrais m'assurer auprès de vous que ce budget sera bien doublé pour l'année prochaine afin de sauvegarder son bénéfice contre la désertification vétérinaire.
Enfin, je me devais d'évoquer le plan contre le suicide des agriculteurs que vous avez présenté ce matin. Avec Henri Cabanel, nous avions rédigé un rapport sur cette question, et je me réjouis que vous ayez repris la majorité de nos 63 préconisations. Pourriez-vous nous présenter rapidement vos grandes pistes pour mieux prévenir la détresse de certains de nos agriculteurs ?
M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». - Je voudrais vous faire part de mon étonnement sur le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (Casdar) et sur le sort réservé aux communes forestières.
Sur le Casdar, je rappelle que ses dépenses financent la recherche appliquée agricole par le biais des instituts techniques et, en parallèle, son développement sur le terrain à l'aide de conseils techniques. Historiquement, ne l'oublions jamais, le compte d'affectation spéciale est une invention agricole : les agriculteurs ont, dès les années 1960, accepté de se voir prélever une partie de leur chiffre d'affaires par la voie d'une taxe pour financer la recherche et l'innovation par mutualisation.
Cela a deux vertus : d'une part, ce sont les agriculteurs qui financent leur recherche, et non le contribuable ; d'autre part, toutes les filières bénéficient de la recherche car, sans cet outil, les plus petites filières ne pourraient pas profiter des programmes innovants dédiés faute de moyens suffisants.
Or depuis quelques années, budget après budget, le Casdar est perçu par Bercy non plus comme un outil pour l'innovation des agriculteurs, mais comme un outil pour la rénovation du ministère de l'agriculture. Autrement dit, chaque année, des manipulations ont lieu pour ponctionner une partie de la taxe au détriment des agriculteurs grâce à une baisse du plafond. Entre 2014 et 2021, près de 24 millions d'euros de taxes payées par les agriculteurs ont ainsi atterri dans les caisses de Bercy.
Et le plafond, diminué de 10 millions d'euros l'année dernière pour des problématiques de perspectives, posera évidemment les mêmes problèmes année après année : rien que cette année, comme nous l'avions pressenti, l'exécution est largement supérieure puisque 140 millions d'euros sont attendus cette année, soit 14 millions d'euros de plus que de la prévision. L'État n'en redistribue que 10 millions en loi de finances rectificative (PLFR) : on voit bien qu'il s'agit, encore et toujours, de réaliser des économies de bout de chandelle sur le dos des agriculteurs. Au total, tout cet argent, c'est de la recherche en moins, monsieur le ministre ! Nous vous proposons donc de relever le plafond et, à tout le moins, de ne jamais le fixer à un niveau inférieur à l'exécution de l'année précédente. C'est du bon sens et de la bonne gestion ! Surtout, nous enjoignons le Gouvernement à restituer l'argent ponctionné aux agriculteurs en finançant les organismes nationaux à vocation agricole et rurale (Onvar), les instituts techniques, les chambres, les appels à projets. Car l'agriculture de demain se prépare aujourd'hui.
J'en viens à ma seconde question sur les communes forestières. Vous venez d'annoncer, et il faut s'en féliciter, tant la mobilisation de la fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR) et des sénateurs concernés a été forte, que la contribution des communes forestières à l'ONF n'augmenterait finalement pas entre 2023 et 2025, contrairement à ce qui avait été annoncé. En contrepartie, l'État demande aux communes un effort accru dans la contractualisation des ventes de bois pour mieux approvisionner nos filières locales. Quelle forme prendra cet effort accru ? Comment peut-on s'assurer qu'il s'agira d'une contractualisation gagnant-gagnant et que les communes ne seront pas lésées ?
L'autre face du problème, c'est le financement manquant pour l'ONF. Les communes sont confrontées à un véritable effet ciseaux : moins d'agents de l'ONF sur le terrain, donc moins de services rendus et plus de coûts à venir pour rétablir la viabilité de l'ONF et adapter nos forêts au changement climatique. Cette solution n'est pas tenable : l'ONF devrait envoyer davantage de personnes sur le terrain à mon sens.
J'ajoute que nombre de communes forestières ont été gravement touchées par la chute des ventes liées aux scolytes et que ces communes, dont les recettes ont été très affectées, sont aujourd'hui en difficulté financière. Or l'État ne propose une compensation que pour 30 communes, à hauteur d'1 million d'euros sur les 26 millions de manque à gagner. Sans compter que ces recettes seront durablement amoindries, le temps de la forêt étant, comme chacun sait, très long. J'estime que la réponse n'est pas à la hauteur, alors que nous sommes face à un aléa climatique pour lequel le rôle d'assureur de l'État se justifie pleinement. Êtes-vous prêt à réexaminer les dossiers de ces communes pour, au cas par cas, trouver des solutions adéquates à chacune d'entre elles ?
M. Vincent Segouin, rapporteur spécial de la commission des finances des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». - Le Sénat n'a pas adopté la première partie du projet de loi de finances, mais la commission des finances était favorable à l'adoption des crédits de l'agriculture car ceux-ci augmentent.
Nous avons toutefois plusieurs remarques. Les crédits consacrés au renforcement de la compétitivité et aux aides à l'installation des jeunes agriculteurs, questions d'actualité, baissent. Les jeunes sont dissuadés de s'installer en raison du poids des normes et des surtranspositions. Je ne suis pas sûr que la question de la surtransposition ait été réglée.
J'en viens aux aléas climatiques. Vous avez évoqué le volet assurantiel, mais il y a aussi la question de la prévention. La ministre de l'écologie a-t-elle la même position que vous sur les bassines par exemple ? Les provisions pour aléas restent au même niveau que l'an passé. Pourtant les mesures adoptées dans les différents PLFR s'élèvent à 850 millions d'euros. Les aléas climatiques se développent, mais le budget reste modeste. Il faut développer les assurances et les mesures de prévention.
Enfin, un moratoire sur l'interdiction des néonicotinoïdes pour la betterave a été instauré jusqu'en 2023. Qu'en sera-t-il après ? Nos filières ont besoin de visibilité.
M. Julien Denormandie, ministre. - Monsieur Duplomb, sur les clauses miroirs et la réciprocité, nous devons mener différents combats à court terme et à moyen terme.
Le premier sujet est celui des antibiotiques de croissance : le Parlement européen a adopté le principe des clauses miroirs en 2018, mais la Commission européenne n'a toujours pas pris les actes délégués. Nous oeuvrons donc pour que de telles clauses soient édictées au niveau européen.
Nous aurons, lors de présidence française, à réviser la directive « Sud » sur l'utilisation durable des pesticides : notre objectif est de réviser les limites maximales de résidus (LMR) de pesticides sur les produits importés. Au sein du Conseil des ministres, je pousserai pour introduire dans cette directive la question des LMR, mais cette directive ne pourra pas être adoptée pendant la présidence française, car elle sera ensuite examinée par le Parlement européen. Il faut aussi évoquer cette question au niveau de l'OMC ainsi que celle des conditions tarifaires dans les accords de libre-échange : la « boîte verte » permet d'interdire l'importation de produits qui ont un effet sur l'environnement ou la santé en Europe, mais pas ceux qui ont des effets dans les pays de production. C'est un non-sens, car il existe un continuum en la matière. Cette logique est ancienne et résulte de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, le GATT. Nous devons mener ce combat idéologique pour parvenir à faire bouger les lignes au sein de l'OMC.
Je partage vos remarques sur la crise des engrais. J'ai d'ailleurs alerté l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) à ce sujet qui constitue, me semble-t-il, une source de préoccupations au niveau international. N'oublions pas que le Printemps arabe était lié aux émeutes de la faim dues à la « crise du pain ». On doit distinguer trois enjeux au niveau national : tout d'abord celui de la disponibilité des produits car plusieurs sites industriels ont arrêté leur production, et nous travaillons à ce sujet avec les filières ; celui de la logistique, notamment pour gérer les stocks et les approvisionnements ; et enfin, celui du prix : j'ai ainsi porté au niveau européen la question de la suspension des droits de douane ad valorem.
Nous avons aussi inclus dans France 2030, avant même le pic de la crise des engrais, un volet d'investissement pour développer les filières d'engrais, y compris ceux permettant de réduire les émissions de protoxyde d'azote, ou les nouvelles technologies, comme les NBT. Mon objectif est d'identifier avec la filière les secteurs-clefs d'investissement à cibler dans France 2030.
Madame Férat, je vous remercie pour vos propos. Je me félicite du travail mené avec M. Cabanel et vous, qui a abouti au plan d'action pour lutter contre le mal-être des agriculteurs, un plan ambitieux qui augmente de 40 % les crédits consacrés à l'accompagnement des agriculteurs en détresse et qui s'inspire de vos propositions ainsi que de celles du député Olivier Damaisin. Le plan comporte trois axes : l'« aller vers » - c'est l'objet des sentinelles ou des réseaux d'accompagnement ; la remise de l'humain au coeur des décisions - les agriculteurs se plaignent de recevoir des courriers pour quelques euros d'arriérés, regrettent le manque de confidentialité en matière de redressement judiciaire, dont la mention figure sur les enveloppes, et réclament une gestion locale de la lutte contre les cas de détresse agricole ; et enfin une hausse des moyens consacrés aux mesures d'accompagnement, qui est inscrite dans le PLFSS ou le projet de loi de finances.
J'en viens aux maladies animales et végétales ; les problématiques sont très diverses. Je crois beaucoup au développement du biocontrôle, qui figure selon moi parmi les piliers de la 3e révolution agricole, au même titre que le numérique, la robotique ou la génétique. Beaucoup d'investissements sont prévus pour le biocontrôle dans France 2030. Une partie des annonces a déjà été faite dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA) 4. Sur l'homologation, nous augmentons aussi les moyens de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'Anses.
L'influenza aviaire, maladie transmise par les oiseaux migrateurs, relève d'une autre problématique. La solution passe par des politiques de prévention au niveau local. Il s'agit de décisions difficiles à prendre ; j'ai ainsi dû faire abattre 3,5 millions de volailles l'an passé : en agissant à un stade précoce, on a limité le nombre d'abattages, alors que le virus était hautement pathogène. Cette année, notre stratégie vise à privilégier les mesures de protection pour retarder tant qu'on le peut l'arrivée du virus. Celui-ci est déjà répandu en Belgique, en Italie ou aux Pays-Bas. Nous avons déjà enregistré trois cas en France dans des basses-cours ou au sein de la faune sauvage, mais pas dans des élevages. À terme, il faut s'interroger sur la vaccination, même si cela soulève bien des questions, au regard notamment des exportations, dans la mesure où un animal peut être vacciné, mais porteur du virus. Cela complique les décisions au niveau international.
En ce qui concerne la tuberculose bovine, la question de l'accompagnement est centrale. On connaît les drames humains qui peuvent être générés.
La brucellose est très probablement importée par les bouquetins. Il faut donc gérer les troupeaux de bouquetins et opérer les prélèvements appropriés. Le Conseil d'État a d'ailleurs été saisi.
Enfin, pour protéger nos élevages contre la peste porcine africaine, nous développons les investissements de biosécurité dans les élevages, dans le cadre de France relance, en métropole comme dans les outre-mer, car la maladie a plusieurs foyers en Chine, en Allemagne, en Amérique du Sud, etc. Je note qu'il faut parfois enfermer les animaux pour les protéger contre les menaces sanitaires.
Nous avons décidé l'année dernière de pérenniser le dispositif TO-DE pendant deux ans ; nous devrons donc reprendre le dossier l'an prochain. Je rappelle qu'il s'agit d'un dispositif provisoire, mais cela n'interdit pas de le prolonger le cas échéant.
Sur les déserts vétérinaires, nous avons fait des annonces voilà trois semaines, dans le prolongement de la loi DDADUE, pour permettre aux collectivités de financer les installations de vétérinaires. Je suis un grand partisan des stages tutorés. Leur développement ne doit pas être limité par des enjeux d'ordre financier. Il ne faut pas lésiner sur les moyens. Si les montants inscrits dans le projet de loi de finances ne suffisent pas, nous ferons en sorte de les compléter en gestion. Ces stages sont une réussite puisque 85 % des jeunes vétérinaires qui ont fait un tel stage s'installent ensuite en zone rurale, quand bien même ils pouvaient se destiner, en commençant leurs études, à se spécialiser sur les animaux de compagnie. La loi DDADUE donne la possibilité aux collectivités de financer l'installation de vétérinaires : nous devrions songer à solliciter les régions pour venir abonder encore plus le financement de ces stages tutorés.
En ce qui concerne le Casdar, son plafond restera inchangé en 2022 à 126 millions d'euros. Il faut se souvenir aussi que nous avons prélevé 10 millions sur la trésorerie du Casdar dans le PLFR pour atteindre les 136 millions. Les comptes d'affectation spéciale ne sont plus en odeur de sainteté. Le monde agricole comme le ministère y sont très attachés, et je souligne que même la mission d'inspection menée par l'IGF et le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAER) a vanté les mérites du Casdar. C'est suffisamment rare pour être relevé. Nous maintenons donc ce compte d'affectation spéciale, alors que d'autres sont supprimés.
S'agissant des communes forestières, nous avons annoncé que nous avions renoncé à instaurer une contribution financière supplémentaire additionnelle pour 14 000 communes propriétaires de forêts. Cette contribution supplémentaire devait rapporter 7,5 millions d'euros en 2023, puis 10 millions d'euros par an en 2024 et 2025. Notre objectif est de parvenir à construire une filière. Les défis sont d'ordre structurel. La forêt avance, mais le bois recule. Ce constat, que l'on faisait déjà il y a 20 ans, reste malheureusement d'actualité. Pour créer une filière, il faut rassembler et investir. Je travaille avec l'interprofession du bois et de la forêt ainsi qu'avec tous les acteurs. Nous avançons. En cumulant le plan de relance et France 2030, nous investissons 800 millions dans la forêt cette année, contre 200 millions l'an dernier : c'est la preuve de notre détermination.
Nous voulons aussi développer la contractualisation. C'est indispensable si l'on veut « faire filière », et cela permet aussi de mieux lutter contre les pénuries. Cela suppose de mettre en place de nouveaux modes de gestion. L'ONF doit donner l'exemple : 55 % des forêts domaniales seront ainsi contractualisées fin 2022, sans attendre 2025. Le taux de contractualisation pour les communes forestières s'établit autour de 20 %. N'oublions pas que cette contractualisation a un coût pour la commune en raison des conséquences pour le calcul de la dotation globale de fonctionnement (DGF). C'est pourquoi nous avons renoncé à l'idée d'une contribution supplémentaire.
Monsieur Segouin, j'ai un regret sachant que la commission des finances proposait d'émettre un avis favorable à ce budget... Je rejoins vos propos concernant l'installation des jeunes agriculteurs. Les crédits destinés à les soutenir sont stables dans le projet de loi de finances, mais les crédits augmentent grâce à la politique agricole commune. Conséquence de la loi DDADUE, les régions seront compétentes, car il s'agit de mesures non surfaciques. J'ai veillé à sanctuariser le budget et même à l'augmenter.
En ce qui concerne les bassines, le ministère, comme tout le Gouvernement, condamne les dégradations. Bérangère Abba, avec qui j'anime le Varenne agricole de l'eau et du changement climatique, comme Gérald Darmanin se sont, par exemple, exprimés. La justice a été saisie.
Enfin, sur l'assurance récolte, on gère traditionnellement les aléas climatiques en LFR. On augmente le budget dans la future PAC, qui passe de 150 à 185 millions d'euros. Avec l'assurance récolte, le Président de la République cherche à passer la contribution totale - du budget, de la PAC et du secteur - de 300 millions à 600 millions grâce à la solidarité nationale pour le projet de loi de finances 2023, lorsque la réforme de l'assurance récolte entrera en vigueur.
M. Franck Montaugé. - Où en est-on du plan stratégique national (PSN) concernant la PAC ? Quel sera son contenu ? Quelles sont les positions de la France ?
Vous avez accepté d'introduire dans le livre préliminaire du code rural et de la pêche maritime la notion d'externalité positive de l'agriculture. Prévoyez-vous d'inclure une valorisation de ces externalités dans le PSN ?
Lors des états généraux de l'alimentation, une démarche articulée autour de plans de filières avait été engagée. Où en est-on ? Cette démarche a-t-elle été déclinée d'un point de vue opérationnel dans les territoires ?
M. Daniel Laurent. - Ma première question portera sur les redéploiements de crédits en faveur de l'investissement dans les agroéquipements contribuant à la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires. Les demandes sont nombreuses et il serait bon qu'elles soient traitées avec équité.
À la suite d'une décision du Conseil d'État, de nouvelles dispositions sur les zones de non-traitement (ZNT) sont attendues, ainsi qu'une réforme du label « Haute valeur environnementale » (HVE). Pourriez-vous nous apporter des précisions à cet égard ?
La profession agricole réclame des espaces de transitions végétalisés entre zones agricoles et zones artificialisées. Je regrette que nos propositions n'aient pas été adoptées lors de l'examen de la loi « Climat et résilience ».
La filière viticole est inquiète à la perspective envisagée, au niveau européen, de réformer la notion de consommation excessive d'alcool, de remettre en cause la possibilité d'un étiquetage dématérialisé et d'augmenter les taxes. Nous espérons ne pas être mis devant le fait accompli.
Enfin, ma dernière question concernait le saccage des réserves d'eau. Nous espérons que la justice se prononcera.
Mme Sylviane Noël. - La mise en place du Nutri-score pour les appellations d'origine protégées (AOP) laitières a des conséquences néfastes pour la filière, car elle entraîne l'interdiction de la publicité pour les produits « D » et « E », l'interdiction de la commercialisation de ces produits dans les circuits de restauration collective, alors qu'une taxation sur les produits qualifiés de gras est à l'étude. Or, la majeure partie des produits laitiers sont classés ainsi. Ils apparaissent alors comme des produits nocifs pour la santé. Cette réglementation est un non-sens. On met à mal notre culture fondée sur un savoir-faire ancestral, on met en cause des produits de qualité, fabriqués dans la transparence, selon des procédés garantis et contrôlés. Il serait plus opportun de réserver ce Nutri-score à des produits transformés, pour lesquels le Nutri-score a été conçu.
Enfin, s'agissant de la prédation du loup, à la suite de notre saisine cosignée par une quarantaine de parlementaires, vous avez initié plusieurs démarches en accord avec votre collègue du ministère de l'environnement, avec les élus et le monde agricole, pour faire évoluer les modes de comptage - je tiens à vous en remercier. Dans l'attente, j'ai un message à vous faire passer : pourriez-vous inviter les représentants des défenseurs du loup à plus de modération dans leurs déclarations à la presse, car ils donnent l'impression d'être hermétiques à toute évolution...
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons eu une réunion avec les ministères de l'agriculture et du développement durable. Le plan national « loup » doit être mis en place en 2023. Nous souhaitons en connaître le calendrier car nous avons appris fortuitement que des groupes de travail avaient été constitués, sans qu'on en sache rien : nous demandons à être associés au plus tôt.
M. Patrick Chaize. - Merci pour vos propos passionnés, monsieur le ministre. Je veux attirer votre attention, une fois encore, sur l'exportation de grumes de chênes en Chine : selon les chiffres que la fédération nationale du bois (FNB) vient de publier, les volumes exportés en octobre dernier seraient trois fois supérieurs à ceux d'octobre 2020 et cinq fois à ceux d'octobre 2019. Que pensez-vous pouvoir faire pour stopper cette hémorragie ?
Mme Martine Berthet. - Je m'associe aux remerciements pour la réunion qui a associé les parlementaires et les deux ministères de l'agriculture et de l'écologie, c'est le signe positif qu'entre ministères, vous vous parlez enfin. Je veux également souligner combien le Nutri-score pénalise les producteurs de fromage en AOP et IGP de Savoie. Les éleveurs de ce département sont du reste également pénalisés sur l'indemnisation des bovins victimes de la prédation des loups : l'indemnisation est calculée sur la base d'un prix moyen national, qui est bien inférieur à la valorisation des bovins et du lait en montagne : est-il possible d'adapter l'indemnisation aux valeurs des bêtes dans leur territoire d'élevage ?
M. Joël Labbé. - Merci pour cette présentation. Le Casdar finance les Onvar, qui alertent depuis la rentrée sur leurs besoins financiers, lesquels passeraient de 7 à 12 millions d'euros, ce qui tient à ce que leur nombre passerait de 18 à 25 : est-ce bien le cas ? Vous dites que le Casdar va bénéficier de 10 millions supplémentaires, mais seuls 2,7 millions d'euros sont fléchés sur le développement - quelle sera donc la part fléchée sur les Onvar ?
M. Daniel Salmon. - Le plan national en faveur des insectes pollinisateurs et de la pollinisation - dit plan « polinisateurs » -, que le Gouvernement vient tout juste de rendre public, comprend des avancées, par exemple la prise en compte des fongicides et des herbicides, en plus des insecticides, ainsi qu'un encadrement des horaires pendant lesquels les produits peuvent être libérés, de 2 heures avant le coucher du soleil, à 3 heures après son lever. Cependant, les apiculteurs demandaient d'attendre le coucher du soleil et de prendre en compte la température. Une fois encore, nous sommes au milieu du gué, des dérogations prévues manquent de précision, des pollinisateurs ne sont pas pris en compte, comme les papillons de nuit, dont la population s'effondre ces dernières années. Il faut savoir qu'entre 1989 et 2016, les trois quarts de la biomasse d'insectes volants ont disparu. Quelle souveraineté pourra-t-on espérer si nous n'avons plus sur notre sol de pollinisateurs, pourtant indispensables à notre chaîne alimentaire ?
M. Daniel Gremillet. - Je m'interroge sur la mise en oeuvre de la loi visant à améliorer la rémunération des agriculteurs, dite « Egalim 2 », à la suite de la crise sanitaire. Ensuite, nous n'avons pas beaucoup parlé d'élevage, où nous déplorons chaque année davantage le manque de vocations chez les jeunes agriculteurs - est-ce que vous vous en arrangez, au motif que l'élevage n'est pas bon pour nos chiffres de méthanisation, ou bien prenez-vous des mesures pour inverser la tendance ?
Autre question, sur le bio : comment fait-on, dans les régions où nous avons dépassé les capacités d'absorption par le marché, quand nous avons atteint le maximum de production et de transformation ?
Je salue votre travail sur l'assurance. Peu de professions se sont organisées, historiquement, pour un régime assurantiel interne ; les paysans l'avaient fait, il s'agit maintenant de conserver l'équilibre qu'ils avaient su trouver : en aurez-vous les moyens ? L'année 2022 sera charnière : comment voyez-vous les choses ?
Sur la forêt, il faut continuer à aider les propriétaires privés à boiser et à entretenir leur forêt, parce qu'aujourd'hui, il y a plus d'arbres qui disparaissent que d'arbres nouveaux ; la forêt se cultive dans la durée.
Enfin, que comptez-vous faire face aux dégâts causés par les scolytes ? Il y a un demi-siècle, on savait traiter le problème, mais il semble qu'on ait reculé en méthode. Seriez-vous prêt à lancer une expérimentation de prophylaxie sanitaire sur la forêt, comme on l'a fait sur de la production animale ?
Mme Patricia Schillinger. - Avec Anne-Catherine Loisier, nous participons aux Assises de la forêt, et je peux d'ores et déjà vous dire que nous aurons des propositions à vous faire prochainement. Nous sommes régulièrement interrogés sur les 200 millions d'euros que le plan de relance prévoit pour la forêt : où vont aller ces crédits ? Et comment l'Europe, qui semble avoir réalisé l'importance de la forêt, compte-t-elle intervenir ?
M. Pierre Louault. - Je m'inquiète de la réglementation européenne consécutive au Green Deal : la France y est certes favorable, mais quelles sont les conséquences des premiers chiffres que la Commission européenne a bien voulu communiquer, annonçant un recul de la production de 15 %, mais aussi des revenus des agriculteurs, dans la même proportion ? Allez-vous faire comprendre à nos partenaires que ce n'est pas raisonnable, et que la PAC doit aussi assurer les revenus des agriculteurs ? Le second pilier, ensuite, va être géré par la région, c'est une source d'inquiétude pour les agriculteurs car ce niveau régional s'ajoute aux équipes départementales qui règlent déjà les questions relatives aux surfaces : que leur répondez-vous ?
Mme Anne-Catherine Loisier. - Merci de votre engagement pour la forêt, vous avez pesé pour que la contribution imposée aux communes forestières soit mise de côté, c'est une très bonne chose. Il est indispensable d'aligner nos dispositifs pour mettre toutes les chances du côté de l'exploitation forestière. Il faut aussi voir la règle de minimis, qui impacte les communes forestières dès lors qu'elles n'ont pas toujours la capacité d'obtenir de l'aide directe, leur demande n'étant pas assez importante alors qu'elle leur est indispensable, ce qui freine directement leurs efforts. Peut-on faire évoluer les règles de minimis, pour l'application du plan de relance, ou bien comment s'en accommoder ? Comment voyez-vous les choses concernant la politique européenne en matière de forêts ?
Nous constatons également que les communes forestières ne veulent plus de la contractualisation, parce qu'elles y perdent trop en DGF, vous allez leur proposer un nouveau mécanisme dont on dit qu'il est tellement resserré qu'il ne pourra pas concerner la plupart des communes prêtes à s'engager pour valoriser la ressource forestière : qu'en est-il précisément ?
M. Christian Redon-Sarrazy. - Quelle place revient, dans les plans stratégiques, aux zones intermédiaires de polyculture et d'élevage ? Dans ces zones, les craintes sont vives sur les retombées de la nouvelle politique agricole qui ne sera plus commune mais concurrentielle, puisque chaque État la définira à sa guise. Que pensez-vous, ensuite, du projet de créer une nouvelle école vétérinaire en Nouvelle-Aquitaine ?
Mme Florence Blatrix Contat. - J'ai été alertée du problème que rencontrent des syndicats des eaux avec des traces de S-métolachlore, qu'il faudrait en conséquence interdire au-delà des seuls périmètres de captage prioritaires ; comment, dès lors, aider les agriculteurs à s'en passer, dès lors que les alternatives sont bien plus onéreuses ?
M. Laurent Somon. - Chacun comprend la notion de souveraineté alimentaire, mais il faut la relier aussi à celle de souveraineté budgétaire, donc à nos capacités d'exporter, ainsi que de se passer d'importations. Or, nous importons désormais du porc, du poulet, et bientôt du lait, ceci à force de ne pas encourager notre élevage - on le voit aussi avec les vétérinaires, un métier qui attire d'autant moins que l'élevage recule. Quelle est votre politique d'élevage ? Et quelle est la place de l'énergie dans la production agricole, quelle agro-énergie, quelle politique de méthanisation préconisez-vous ?
M. Julien Denormandie, ministre. - Merci pour ces questions nombreuses et précises, je vais tâcher d'être concis.
Le plan stratégique national prend en compte les externalités positives, monsieur Montaugé, ceci à plusieurs niveaux dans le premier pilier - et d'abord comme éléments de conditionnalité dans le cadre des bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE). Quelles seront les conditions d'accès au plein régime ? Je suis un fervent défenseur du bio, mais aussi de l'agriculture de conservation, de l'agriculture qui capte du carbone ; je crois qu'il faut considérer l'ensemble et bien voir que le premier pilier est celui des conditionnalités. En revanche, l'investissement entre dans le second pilier et il y a eu le débat sur le fait de savoir s'il fallait mettre tous les moyens sur la conversion - nous avons mis l'accent sur la conversion dans ce projet de loi de finances, c'est le sens du crédit d'impôt bio, qui est pérennisé et qui passe de 3 500 à 4 500 euros. Le crédit d'impôt me semble d'ailleurs la meilleure politique de soutien, parce qu'elle embrasse tous les secteurs, bien mieux que les aides territorialisées. Les externalités positives, ce sont aussi les services pour paiement environnementaux dans le cadre du budget des agences de l'eau et non de la PAC, c'est un sujet sur lequel il serait très important de continuer à travailler ensemble.
Les plans de filières avancent, certains plus vite que d'autres, mais je suis étonné de vous entendre dire qu'on ne parle pas d'élevage, je passe beaucoup de temps sur les plans concernant l'élevage, mes services sont très actifs, les défis sont très importants - et justement, je suis convaincu que la réponse passe par les plans de filière, nous nous y activons et le plan de relance prendra cette voie, mais vous savez comme moi que la route est longue...
Sur les agro-équipements, monsieur Laurent, nous arrivons, avec les rallonges, à un montant de 250 millions d'euros, et nous avons constaté que les équipements de conversion prennent 85 % : c'est intéressant, mais je veux aller plus loin en investissant sur la troisième révolution agricole, qui passe par l'usage d'autres matériaux.
Sur les indemnités, la décision que vous critiquez n'est pas le fait du Gouvernement, mais du Conseil d'État. C'est une décision de justice que nous devons respecter, nous travaillons à nous y adapter.
Le nombre de HVE a été multiplié par vingt en trois ans, la dynamique est là, mais nous avons un sujet sur le critère retenu pour ce que l'on appelle la voie « B », celle où on examine le pourcentage de phytosanitaire dans le chiffre d'affaires. Nous sommes en cours de revue et il faudra en avoir terminé avant l'entrée en vigueur de la nouvelle PAC.
Enfin, sur l'alcool, vous connaissez la position du Gouvernement, elle n'a pas changé.
Madame Noël, le Gouvernement n'a nulle intention de rendre le Nutri-score obligatoire, sauf s'il l'était à l'échelle européenne. Nous constatons que des marques alimentaires le mettent en place et il faut regarder de près ce qui se passe, nous devons en particulier revoir la méthodologie du Nutri-score à l'échelon européen parce qu'elle se fonde sur des volumes qui ne correspondent guère à nos pratiques alimentaires. Nous en sommes d'accord en particulier avec les Espagnols et les Italiens, qui sont proches de nous. L'enjeu est très important.
Sur le loup, notre approche doit partir de la réalité en écartant les fantasmes, nous devons avoir le même diagnostic et c'est pourquoi le Président de la République a demandé que l'on commence par la méthode du comptage des loups, c'est très important - et nous avançons aussi sur la gestion des chiens.
Sur l'exportation des grumes de chênes, monsieur Chaize, la meilleure solution passe par la filière, avec une contractualisation, et par le label européen. L'interprofession France Bois Forêt s'est mobilisée, avec son nouveau président, Jean-Michel Servant, nous sommes face à l'arrivée de traders qui font monter les coûts - nous devons trouver un moyen qu'ils ne participent pas à ces échanges, le mieux me paraît la contractualisation, mais il y a aussi d'autres outils.
L'indemnisation des bovins victimes de loups, madame Berthet, doit effectivement tenir compte de la valeur effective des animaux, car un animal est bien le fruit d'un long travail des éleveurs et sa disparition fait aussi disparaître un certain capital, il faut en tenir compte.
Sur la labellisation des Onvar, monsieur Labbé, la programmation est en cours, je ne peux donc pas vous répondre précisément, mais les données seront bientôt disponibles.
Je crois, monsieur Salmon, qu'il faut trouver un équilibre sur les pollinisateurs ; vos propos ne manquent pas de passer pour excessifs parmi des agriculteurs et ce qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est que les producteurs de colza sont les premiers à avoir besoin des abeilles, de même que celles-ci ont besoin de colza comme matière nourricière - alors qu'en cinq ans, malgré tous nos efforts pour soutenir la production, la surface totale de colza est passée de 1,5 à 1 million d'hectares... Nous sommes vite montrés du doigt, dans un sens ou dans l'autre, il faut trouver un équilibre et on peut difficilement dire aux cultivateurs de colza qu'ils ne pourront travailler que la nuit, ou bien on les décourage plus encore.
Sur la mise en oeuvre de la loi Egalim 2, monsieur Grémillet, je crois qu'il faut d'abord laisser le temps à chacun de prendre les marques de la nouvelle régulation, et il faut aussi être intransigeant dans les contrôles : nous allons multiplier par quatre les contrôles, pour signaler tous les comportements anormaux, nous avons d'ailleurs créé une adresse spécifique - signalements@agriculture.gouv.fr.
Sur l'élevage, il y a une segmentation en fonction des types élevages, il y a de grands enjeux comme la décapitalisation du cheptel laitier, il y a des sujets de marché sur les allaitantes, sur l'engraissement - je dis au passage que le jeune bovin est un excellente viande à manger dans les écoles, les collèges, les lycées et au Sénat. Or, en général, dans les cantines, trop de viande est importée. Cependant, nous attendons un décret qui est au Conseil d'État, pour imposer l'information sur l'origine des viandes dans toute la restauration collective, cela va faire bouger les lignes. L'État doit être exemplaire, je fais le point régulièrement avec les ministres lors des conseils des ministres. Je rappelle à cet égard que, dans Egalim 2, c'est 100 % de viandes de qualité pour la restauration collective de l'État.
Nous avons encore bien d'autres sujets sur l'élevage, je pense à l'autonomie protéique, et vous savez à quel point nous nous engageons en la matière. Pour la volaille, nous avons une question de prix, il y a aussi des transitions dans la filière avec l'arrêt du broyage des poussins et la transition vers l'ovosexage. Sur la filière porcine nous sommes face à des coûts d'intrants qui montent alors que le marché diminue, les éleveurs doivent composer avec l'arrêt de la castration à vif des porcelets ; nous devons tenir compte aussi d'éléments internationaux, par exemple des contraintes venues de Chine qu'il nous faut prendre en compte pour ne pas se faire déréférencer, comme cela est arrivé aux Espagnols, c'est une menace importante.
Sur le bio, nous devons tirer la leçon des excédents constatés avec le lait bio, la volonté politique ne peut pas guider le marché, c'est le consommateur qui le fait. Il nous faut accompagner, investir mais pas dicter le produit, jamais une loi ne va imposer la consommation au consommateur.
Sur l'assurance, oui, le passage de 300 à 600 millions d'euros tient à la solidarité nationale pour l'essentiel, c'est le moteur ici, plutôt que l'échelon européen. Nous en avions besoin, car nous étions arrivés au bout de ce que l'on pouvait en se cantonnant aux seuls agriculteurs.
Sur la prophylaxie sanitaire, je ne peux pas vous répondre tout de suite, mais je regarderai plus avant.
L'assurance récolte, qui s'appliquera encore l'an prochain, est à bout de course ; la réforme est nécessaire, mais cela prend du temps - les Espagnols ont mis douze ans à la faire...
Les Assises de la forêt, madame Schillinger, sont effectivement un moment important, merci de vous y être impliquée avec madame Loisier. Le plan de relance prévoit une enveloppe de 200 millions d'euros ; nous allons soutenir l'ONF mais aussi l'aval avec, en particulier, le fonds « bois » qui va aider à financer le repeuplement forestier. Nous avons aussi 600 millions d'euros à déployer, c'est un montant qui permet d'investir pour la ressource forestière.
Sur le Green Deal, vous connaissez ma position : il faut coupler la production, l'environnement et la nutrition, sans oublier que le premier rôle de l'agriculture est nourricier, nous avons une vision politique qu'il faut traduire dans des textes, nous avons la possibilité de le faire dans les mois et les années qui viennent. La gestion passe aux régions, nous nous sommes mis d'accord avec elles pour le transfert des fonctionnaires concernés, c'est très important parce que nous devons donner de la visibilité à ces femmes et ces hommes. Vous soulignez qu'il y aura désormais deux niveaux décisionnaires, l'un départemental, l'autre régional : c'est la loi qui l'a voulu, mon rôle est de l'appliquer de la meilleure façon.
Madame Loisier, merci pour vos propos et, d'une manière générale, pour votre action au service des communes forestières. Sur la règle de minimis, nous attendons la réponse des instances européennes. Ma position est claire sur ce que gagnerait à être une politique européenne de la forêt : j'ai une approche multifonctionnelle de la forêt car une forêt, ça se cultive et ça se protège, nous avons eu des échanges assez vifs avec la Commission européenne sur ce point, les débats sont en cours.
Sur les scolytes, nous avons prorogé le plan en la matière jusqu'au printemps prochain, nous devons continuer dans ce sens.
Sur les élevages en zone intermédiaire, monsieur Redon-Sarrazy, nos politiques, depuis des décennies, ont été un échec, l'élevage a disparu de ces zones. Vous savez combien je me bats pour qu'il n'arrive pas la même chose en montagne, avec cet arrêt progressif de l'élevage, et je veux même redéployer l'élevage dans les zones intermédiaires ; c'est aussi pour cela que je me bats sur les critères. C'est encore la raison pour laquelle, avec d'autres ministres de l'agriculture, nous voulons que chaque PSN soit présenté au conseil des ministres de l'agriculture, car je ne veux pas que la PAC effective se décide dans un bureau de la Commission européenne, dans la négociation entre un fonctionnaire européen et le représentant d'un État.
Je veux signaler au passage deux victoires françaises dans la négociation : j'ai introduit le droit à l'erreur dans la PAC, et la nouvelle PAC est aussi sociale, nous avons introduit le fait que les États respectent le socle du droit européen. Mais ces avancées ne prennent sens que si les PSN reviennent au conseil des ministres.
Sur la démographie des vétérinaires, je suis favorable à ce qu'on renforce encore l'accueil des apprenants dans les écoles vétérinaires, mais aussi à ce qu'on mette en place une nouvelle école, que certains critiquent comme école privée, mais il s'agit d'une école sous contrat et dont les capitaux sont issus des chambres consulaires, comme cela existe dans les filières agroalimentaires - les capitaux ne viennent évidemment pas de tel ou tel laboratoire, c'est interdit par la loi et je m'y opposerai en tout état de cause.
Madame Blatrix-Contat, je n'ai pas la réponse sur le S-métolachlore : je vais regarder et vous informerai dès que possible.
Monsieur Somon, mes fonctions antérieures attestent du fait que je suis un fervent défenseur du commerce extérieur. C'est pourquoi je suis parvenu, avec Franck Riester, à doubler les financements « exports » du volet agricole. Une puissance agricole est une puissance qui exporte.
Sur la méthanisation, dont je suis aussi un fervent défenseur, j'insiste sur le fait qu'aucun projet de méthanisation collectif ne peut se faire sans l'appui des chambres d'agriculture. Car le risque, c'est la compétition entre productions agricoles - on dit par exemple que la grande décapitalisation du cheptel laitier allemand est liée au développement de la méthanisation en Allemagne. Du reste, un méthaniseur ne doit pas utiliser plus de 15 % de la surface agricole, mais il peut le faire sur l'intégralité des champs cultivés, donc je crois que le sens de l'histoire, c'est de bien placer la méthanisation à son niveau, celui de la gestion agricole - il y aurait un amendement à écrire, qui imposerait à tout projet de méthanisation collectif un avis conforme du milieu agricole local, par exemple via la chambre d'agriculture.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 50.
Mercredi 24 novembre 2021
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Proposition de loi tendant à favoriser l'habitat en zones de revitalisation rurale tout en protégeant l'activité agricole et l'environnement - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous passons à l'examen de la proposition de loi de notre collègue Pierre Louault qui tend à favoriser l'habitat en zones de revitalisation rurale (ZRR) tout en protégeant l'activité agricole et l'environnement. Je vous rappelle avant l'examen de cette proposition de loi qu'afin de préserver les droits spécifiques des groupes d'opposition et minoritaires dans le cadre de leurs espaces réservés, un « gentlemen's agreement » a été conclu en 2009 entre les présidents de groupe et de commission et validé par la Conférence des présidents. Le principe de cet accord est de préserver la nature du texte déposé et inscrit à l'ordre du jour afin que le débat ait lieu dans les termes souhaités par le groupe d'opposition ou minoritaire en séance publique.
À cet égard, et comme d'habitude, sauf accord du groupe auteur de la demande d'inscription à l'ordre du jour de la séance publique, la commission ne peut modifier le texte de la proposition de loi. Notre rapporteure a également les mains liées et ne pourra présenter que des amendements ayant reçu l'accord de l'auteur de la proposition de loi. Cela me semble ici le cas puisque je constate que tous les amendements du rapporteur ont fait l'objet d'un dépôt d'amendements identiques de la part de l'auteur. En revanche, la commission retrouvera sa pleine liberté en vue de la séance publique, qui se tiendra le mercredi 8 décembre après-midi.
Je laisse maintenant la parole à M. Pierre Louault pour qu'il nous présente le contenu de sa proposition de loi, puis à notre rapporteure Mme Valérie Létard.
M. Pierre Louault, auteur de la proposition de loi. - Cette proposition de loi vise à répondre aux difficultés que rencontrent de nombreux maires de petites communes rurales pour obtenir des permis de construire ou faciliter le changement d'affectation des bâtiments. Il devient aussi de plus en plus compliqué pour les agriculteurs d'habiter sur leur exploitation. Tel est l'objet de cette proposition de loi qui, sous l'impulsion de Valérie Létard, devrait évoluer, pour concerner les zones rurales en déprise, et non plus les ZRR.
Mme Valérie Létard, rapporteure. -Je souhaite tout d'abord remercier notre collègue Pierre Louault, pour avoir mis à l'agenda de notre groupe et du Sénat ce texte important visant à favoriser l'habitat en zones de revitalisation rurale, qui aborde un sujet que nous avons tous rencontré dans nos circonscriptions ou dans les murs de ce palais : les interactions entre droit de l'urbanisme et développement rural. Il nous donne l'opportunité d'en débattre librement, sans les contraintes qui accompagnent souvent un projet de loi, et de faire la démonstration de la qualité de l'initiative sénatoriale. Je souhaite aussi remercier notre présidente de m'avoir confié ce rapport, mission que j'ai prise à coeur dans cette période budgétaire par ailleurs chargée.
Ce texte naît, je crois, à la fois d'un constat et d'un sentiment, dont les maires des territoires ruraux se font souvent l'écho. Le constat est celui de la rigidité des règles d'urbanisme, souvent basées sur des principes ou des interdictions fortes, difficiles à adapter aux circonstances locales. Le sentiment est celui d'un délaissement, voire d'un « sacrifice » des zones rurales, en mal de développement économique et démographique, au profit des zones urbaines et des métropoles dynamiques. On ferait des espaces ruraux, à dominante agricole, des terres sanctuarisées, qui ne pourraient s'adapter aux évolutions de l'activité économique, de l'agriculture ou de la demande de logement.
Comme souvent, il faut apporter une dose de nuance. Le droit de l'urbanisme a beaucoup évolué au cours des dernières années : nous avons, par exemple, voté dans la loi pour l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi « ELAN », des assouplissements en matière de constructibilité en zone agricole au profit des exploitations. Par ailleurs, je ne souhaite aucunement que notre travail soit perçu comme une stigmatisation des zones rurales, qui sont, par bien des aspects, des territoires en réinvention, centraux pour notre conscience nationale, et qui bénéficient depuis quelques années d'un regain d'attractivité qu'ils méritent.
Toutefois, il est vrai que le droit de l'urbanisme, souvent pensé avant tout pour les zones urbaines, tendues ou en forte croissance, tend à imposer aux communes rurales des verrous démesurés par rapport à leur situation réelle. On peut comprendre qu'il soit nécessaire de limiter l'étalement urbain en Île-de-France, dans les zones périurbaines ou littorales, mais est-il bien nécessaire d'interdire toute construction dans une commune de 150 habitants de zone hyper-rurale ?
Je donnerai quelques exemples de ces règles souvent problématiques pour les communes rurales.
Le droit distingue les zones déjà urbanisées, où les possibilités de construction nouvelle ou d'adaptation sont très larges, et les zones vierges d'urbanisation, très protégées. Les communes dont le territoire est à dominante agricole ou naturelle ont donc généralement un potentiel de développement urbain moindre, quel que soit leur projet.
Les cibles de réduction de la consommation d'espace des documents d'urbanisme sont calquées sur la dynamique démographique : autrement dit, plus une ville est attractive, plus elle peut construire. Pour les zones en déprise démographique, cela peut être vécu comme un « gel » du périmètre urbain, et une condamnation.
Nous le savons, les petites communes ont souvent une impression de perte de maîtrise lorsqu'elles rejoignent un plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi). Bien que cela soit souvent un sujet de gouvernance locale, cela participe néanmoins d'un sentiment de relégation.
Enfin, dernier exemple, la plupart des dispositifs fiscaux de soutien au logement ou à la construction sont ciblés sur les zones tendues ou urbanisées, et ne permettent pas aux communes rurales de mobiliser les investissements nécessaires à la modernisation de l'habitat.
Plus généralement, il est vrai que la politique de revitalisation des zones rurales s'est jusqu'ici principalement appuyée sur les zones de revitalisation rurale (ZRR), c'est-à-dire sur des exonérations fiscales visant à faciliter les installations d'entreprises. Le levier des règles de l'urbanisme, qui contribue pourtant à l'attractivité d'un territoire et à la qualité de son offre de logement, a été négligé. Certes, il existe des programmes comme Coeur de ville ou les opérations de revitalisation de territoire (ORT) - ce dernier étant d'ailleurs issu du Sénat -, mais un premier retour d'expérience montre qu'ils dépendent trop souvent du bon vouloir de l'État, et ciblent surtout les villes moyennes et les centres-bourgs.
Comme l'auteur de ce texte, j'estime donc qu'il existe un véritable « gisement » d'améliorations possibles en matière d'urbanisme et de logement, pour déployer une meilleure politique de revitalisation des zones rurales.
Il nous faut absolument mener cette réflexion, pour mobiliser l'ensemble des outils à notre disposition, car le constat est sans appel.
Les zones rurales sont en moyenne plus concernées par la déprise agricole, la désindustrialisation, le vieillissement de la population et la précarité que le reste du territoire, selon l'Insee.
Elles connaissent une forte dégradation de l'habitat, faute d'occupants et surtout de moyens. Dans la « diagonale du vide », 100 000 logements deviennent vacants chaque année. Contrairement à ce qu'avance l'administration, que j'ai interrogée à ce sujet, la vacance n'est pas tant causée par une faible demande, que surtout par l'inadéquation du parc de logements à la demande : trop vieux, trop petits, trop sombres, pas assez raccordés, trop peu isolés... En zone rurale, on compte aussi 140 000 corps de ferme à l'abandon. Cette vacance persiste et s'accumule, car le coût de la rénovation est prohibitif, jusqu'à 2 000 euros du mètre carré, et les normes, notamment énergétiques, se durcissent.
De surcroît, la construction neuve est souvent impossible en raison des règles d'urbanisme que j'ai déjà citées. Nombre de maires de communes en déprise démographique indiquent devoir renoncer à accueillir de nouvelles familles, faute de pouvoir délivrer des permis de construire.
Ces chiffres montrent l'ampleur de l'enjeu. Il faut prendre la revitalisation des territoires ruraux à bras-le-corps, sous peine d'entretenir le sentiment de relégation et de « périphérisation » de nos concitoyens.
Je ne détaillerai pas les mesures proposées par la proposition de loi, que vous connaissez. Elle allie des mesures de portée générale - comme la prise en compte de la revitalisation rurale dans les grands objectifs du code de l'urbanisme, la protection des agriculteurs face aux recours du voisinage, ou encore la création d'un « droit au logement » pour les agriculteurs à proximité de leur exploitation - et des mesures spécifiques aux ZRR. Parmi celles-ci, l'article 2 de la PPL est particulièrement important : il prévoit des règles d'urbanisme applicables uniquement en ZRR, qui permettent une plus grande constructibilité et élargissent les possibilités de changement de destination dans ces communes. Une extension du dispositif « Pinel » aux ZRR est aussi prévue, ainsi qu'une meilleure représentation de ces territoires au sein des commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF).
Quelle est donc ma position sur ce texte ? De manière générale, il me semble que notre collègue Pierre Louault a visé ici un objectif d'équilibre : les communes rurales doivent être en mesure de renouveler leur parc de logements et disposer d'un potentiel minimal de développement ; mais il faut concilier cette mutation avec les impératifs de l'économie agricole locale, et avec les enjeux environnementaux de la lutte contre l'artificialisation, que nous avons soutenus dans la loi « Climat et résilience », et que je ne souhaite d'ailleurs pas remettre en cause.
Je soutiens donc pleinement sa démarche, qui me semble répondre à des demandes exprimées de longue date par les élus des territoires ruraux et que nous avons tous entendues.
En revanche, les nombreuses auditions que nous avons menées ont démontré qu'il est nécessaire de rassurer sur les objectifs de ce texte et sur ses équilibres. On touche en effet au coeur du quotidien de beaucoup de Français - je pense à nos agriculteurs, aux familles qui cherchent à s'installer -, mais aussi à des sujets de gouvernance locale.
À ce titre, j'ai travaillé avec mon collègue Pierre Louault pour proposer quelques ajustements, en amont de la séance publique, qui s'inscrivent pleinement dans son intention et ne dénaturent aucunement le texte, mais gomment, peut-être, certaines aspérités, apportent des garde-fous ou recentrent les dispositifs.
Les quatre amendements que nous vous proposons suivent quatre axes.
Tout d'abord, resserrer le critère des ZRR pour mieux cibler le coeur de la ruralité française. Nos auditions ont mis en évidence que le ciblage sur les ZRR n'était peut-être pas le bon critère pour ouvrir droit à des assouplissements. En effet, près de la moitié des communes françaises sont aujourd'hui en ZRR : il nous est apparu que ce champ d'application était trop large. En outre, ce classement étant mouvant - et devant, à ce stade, disparaître en 2022 -, il est difficile à concilier avec le temps long de l'urbanisme et des documents locaux. Nous avons aussi voulu éviter de susciter des déséquilibres au sein de la gouvernance locale.
Nous proposons donc un critère alternatif : celui de communes peu denses en déprise démographique, dont le territoire serait principalement constitué de zones non constructibles. Cela nous permet, en s'appuyant sur des critères objectifs, de viser le coeur de la ruralité française, les communes en mal de revitalisation qui ont souffert d'un urbanisme trop restrictif. Nous savons que la ruralité est très diverse : les communes rurales du littoral, bien plus dynamiques, avec des prix du foncier élevés, ne sont pas dans la même situation que les petites communes de l'hyper-ruralité en déprise. Pour tenir compte de ce changement de ciblage, nous proposons de modifier le titre de la proposition de loi, qui visera l'ensemble des « zones rurales ».
Le deuxième axe consiste à soutenir l'effort de réhabilitation et de modernisation du parc de logement. Le texte initial prévoit d'étendre le bénéfice de la réduction d'impôt Pinel aux communes de ZRR. J'en soutiens la logique, car il faut intensifier les incitations fiscales au développement rural. Toutefois, il nous est apparu au fil des auditions que le « Pinel », qui vise aujourd'hui principalement la construction de logement collectif neuf, n'était pas l'outil le plus adapté aux zones rurales. L'enjeu y est bien davantage la réhabilitation du parc bâti ancien et l'amélioration de l'équilibre financier de ces opérations.
En conséquence, nous proposons de remplacer l'extension du « Pinel » par une extension plus ciblée du « Denormandie dans l'ancien », dispositif spécifique à la réhabilitation de bâti ancien à des fins locatives. Ce dispositif, plébiscité par l'ensemble des acteurs, est aujourd'hui limité aux ORT et à Coeur de ville, c'est-à-dire plutôt à des villes moyennes, et doit s'éteindre en 2022.
Nous proposons de le prolonger jusqu'en 2025, et surtout de l'ouvrir aux petites communes peu denses en déprise démographique à fort taux de vacance. Je l'ai dit, il faut prendre à bras le corps cet effort de reconstruction de nos centres anciens : ce sera la clef de leur revitalisation. Aujourd'hui, l'action de l'État a un goût de trop peu... Ne faudrait-il pas même créer une agence dédiée à la ruralité, sur le modèle de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) ? L'Agence nationale de la cohésion des territoires s'occupe essentiellement des centres-bourgs.
Troisième axe, insuffler une dose de territorialisation à la politique de revitalisation rurale. Je l'ai dit, nous souhaitons remplacer, pour cette PPL, le critère de ZRR par un autre ciblage, notamment sur les communes peu denses en déprise démographique.
Pourquoi ne pas s'inspirer du dispositif du « Pinel Breton », actuellement en cours d'expérimentation et très prometteur ? Pourquoi ne propose-t-on pas aux territoires eux-mêmes d'affiner ce ciblage ? Ce sont eux, après tout, qui connaissent le mieux les besoins réels. Nous souhaitons donc que la liste des communes qui pourront bénéficier des dérogations et dispositifs proposés soit établie par le préfet de département sur proposition des intercommunalités, en respectant des grandes lignes communes, plutôt que par décret d'une administration centrale... Cela nous semble aller dans le sens d'un meilleur dialogue territorial et d'une plus grande pertinence.
Enfin, dernier axe, garantir l'efficacité et l'acceptabilité des nouveaux outils, en assurant un bon encadrement. Nous avons voulu répondre à certaines des observations soulevées lors des auditions, en précisant et en encadrant parfois les mesures proposées. Par exemple, nous proposons de recentrer les assouplissements en matière de constructibilité et de changements de destination sur l'objectif de création de logements ou d'hébergement. Nous encadrons aussi la possibilité de construire en continuité de l'urbanisation, pour éviter les effets de « ricochet ».
Il nous a semblé préférable de retirer la dispense de compatibilité des documents locaux d'urbanisme aux schémas de cohérence territoriale (SCoT) et aux schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), au profit d'une meilleure prise en compte des spécificités communales. Cela permettra de maintenir la cohérence des projets territoriaux, au vu notamment des mesures que nous avons votées dans la loi « Climat et résilience ». Enfin, nous avons encadré le « droit au logement » des agriculteurs sur leur exploitation, pour éviter tout changement de destination abusif peu de temps après la construction et pour préserver la vocation agricole des terres. Les demandes d'autorisation seront aussi soumises à l'avis de la CDPENAF.
Voilà mes chers collègues, les quelques évolutions que je vous propose, en accord avec notre collègue et auteur Pierre Louault, au stade de la commission. Il s'agit de maintenir l'intégrité et la cohérence du texte, qui me semble réellement apporter des réponses adaptées à des inquiétudes soulevées de longue date par les élus des territoires ruraux, tout en améliorant certains points pour le rendre encore plus efficace et pertinent.
Mme Viviane Artigalas. - Je remercie M. Louault pour le dépôt de cette proposition de loi. L'habitat en zone rurale représente un vrai sujet et nous partageons son constat. Je remercie aussi notre rapporteure pour son travail et ses propositions que nous soutenons, notamment sur deux points qui nous semblaient problématiques.
Sur le périmètre de la proposition de loi, tout d'abord. Une réflexion, en effet, devrait être engagée très prochainement pour repenser les dispositifs zonés. Nous sommes donc favorables à ce que la proposition de loi vise les communes rurales peu denses en déprise démographique, plutôt que les ZRR. Je m'interroge dès lors sur la pertinence de maintenir dans les articles 1er, 3 et 7 la référence aux ZRR : est-ce que cela ne fragilise pas le texte ?
Comme la rapporteure, nous considérons que le dispositif « Denormandie dans l'ancien » est plus adapté que le « Pinel » aux spécificités des territoires ruraux. Les mesures permettant des constructions nouvelles dans les zones non-urbanisées ou principalement agricoles, naturelles et forestières ne risquent-elles pas de favoriser le mitage et l'habitat diffus ? Je rappelle que des mesures existent déjà dans la loi « ELAN » ou dans le code de l'urbanisme. Pourquoi, en outre, supprimer l'avis conforme de la CDPENAF ?
Enfin, je m'interroge sur l'article 6. En effet, le Conseil d'État s'est déjà prononcé sur cette question à propos d'une proposition de loi qui visait à ce que les nuisances sonores ou olfactives relevant du patrimoine sensoriel des campagnes ne soient pas considérées comme des troubles anormaux de voisinage. Il concluait qu'il ne paraissait pas nécessaire de modifier les équilibres existants, d'autant que l'exclusion générale et absolue prévue par le texte risquait de heurter le principe du droit d'agir en responsabilité et, plus généralement, du droit au recours effectif, en privant les victimes d'un trouble anormal de toute possibilité de le faire cesser. De plus, la jurisprudence prend habituellement en compte, dans les litiges impliquant les animaux de basse-cour, le caractère rural d'une commune. Enfin, l'article L. 112-16 du code de la construction de l'habitation prévoit que les dommages causés aux occupants d'un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou aéronautiques, n'entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent aux bâtiments exposés à ces nuisances a été demandé postérieurement à l'existence des activités les occasionnant. L'état actuel du droit permet donc d'assurer une protection équilibrée des intérêts en présence. Est-il donc pertinent de priver les personnes de tout recours ? Il me semble aussi que cette question relève plutôt de la compétence de notre commission des lois.
M. Laurent Duplomb. - Je souhaite aussi remercier M. Louault pour cette proposition de loi. Je pense malgré tout qu'il convient d'éviter d'ouvrir la boîte de Pandore sur les ZRR. L'Assemblée nationale est en train de se saisir de ce dossier. Ma crainte est que leur périmètre ne soit réduit à l'avenir.
Nous avons beaucoup de remontées au niveau local à propos des CDPENAF. Les règles liées à la discontinuité du bâti ne résultent pas tant de la loi, notamment de la loi « Montagne », que de la jurisprudence et de l'interprétation des juges. L'administration avance de nombreux prétextes pour refuser les dossiers lors des CDPENAF. On ne peut plus continuer ainsi et les maires se plaignent : dès qu'un chemin existe ou qu'il existe dix ou vingt mètres entre deux maisons, cela constitue un prétexte suffisant pour faire annuler un permis de construire au nom de la continuité du bâti ! Il faut supprimer l'avis de la CDPENAF et privilégier les besoins de nos communes. Autrement, il risque de ne plus pouvoir être possible de construire dans les zones rurales, alors que les grandes villes s'étendent de manière tentaculaire. Il vaudrait mieux que la répartition des constructions soit plus équilibrée sur tout le territoire ! On vote des lois pour aménager le territoire et donner un nouvel élan aux communes rurales - d'autant plus que depuis le déclenchement de la crise sanitaire beaucoup de gens veulent venir habiter à la campagne -, mais les textes sont interprétés par les CDPENAF de telle manière que l'on bloque toutes les constructions. C'est aberrant : les gens s'entassent sur certaines parties du territoire, tandis que d'autres endroits se vident. Le recours au PLUi constitue une échappatoire pour les maires. Beaucoup acceptent de perdre la compétence urbanisme pour éviter de passer en CDPENAF. Toutefois, cela aboutit à dessaisir encore un peu plus les maires.
En ce qui concerne les bâtiments agricoles, il faut rétablir la règle de réciprocité. Aucun bâtiment agricole ne peut être implanté à moins de 50 ou 100 mètres, selon les cas, de toute construction à usage d'habitation, et inversement. Un agriculteur qui investit pour s'installer en dehors du village ne doit pas voir son exploitation être rattrapée par de nouvelles constructions les années suivantes. En tout cas, il faut être logique et ne pas demander aux agriculteurs qui construisent à côté de leurs bâtiments de respecter des règles que l'on n'impose pas aux particuliers. Les CDPENAF se permettent souvent, en l'occurrence, de juger les pensées et non les faits : elles peuvent interdire à un agriculteur de construire au motif présumé qu'il ne voudrait pas utiliser le bâtiment pour son exploitation, mais il ne s'agit que d'une supputation. Il faut supprimer ce pouvoir d'appréciation discrétionnaire de l'administration ; celle-ci obéit souvent à des lobbies peu soucieux du développement agricole. Je ne suis pas favorable aux agences administratives, qui multiplient les contraintes et les injonctions, à l'image de l'agence de l'eau Loire-Bretagne. Je préférerais qu'elles soient composées de personnes élues.
M. Bernard Buis. - Ce texte vise à redynamiser nos campagnes, à leur redonner une nouvelle impulsion. Cela passe évidemment par l'urbanisme communal. Revitalisation ne rime pas forcément avec sanctuarisation. Si nous partageons le constat de l'auteur de la proposition de loi, nous nous interrogeons sur l'opportunité de viser les zones de revitalisation rurale, qui concernent 40 % de nos communes. Nous sommes favorables à la libération des territoires, à leur réarmement et à l'affirmation du droit à la différenciation. Mais jusqu'où faut-il aller, et comment ? Ne risque-t-on pas de remettre en cause la cohésion de nos territoires et ses principes d'équilibre ? La proposition de notre rapporteure consistant à cibler les zones d'hyper-ruralité semble aller dans le bon sens, encore faudra-t-il bien les définir.
Ce texte s'adresse tout particulièrement aux communes, près de 10 000, qui ne possèdent pas de documents d'urbanisme et qui sont soumises au règlement national d'urbanisme. Dans la Drôme, un grand nombre de communes rurales ou montagnardes sont concernées, tandis que les zones urbanisées disposent pour la plupart d'un PLU. C'est sur ce sujet, il me semble, qu'il convient de travailler. Alors que la loi « Climat et résilience » consacre un de ses titres à la lutte contre l'artificialisation des sols, un des grands facteurs de perte de la biodiversité, nous ne pouvons pas soutenir l'article visant à élargir le dispositif « Pinel » au milieu rural. Je soutiens la position notre rapporteure qui propose de privilégier le dispositif « Denormandie ».
L'article 2 nous semble satisfait. En effet, la CDPENAF est déjà consultée sur les SCoT et les PLU : en l'absence de SCoT, il ne nous semble pas opportun d'ajouter une procédure supplémentaire qui alourdirait le processus d'adoption.
Enfin, l'article 6, qui vise à inscrire dans le droit la notion de « troubles inhérents à l'exercice de l'activité agricole causés à une personne occupant un logement dans le voisinage de l'exploitation », semble également satisfait par le droit existant, notamment par l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitat.
Pour les raisons indiquées, nous réservons notre vote.
M. Franck Menonville. - Je partage l'esprit de cette proposition de loi. On note depuis deux ans une inversion des flux de populations, qui ont lieu désormais depuis les métropoles vers les espaces ruraux. Nous devons pouvoir accueillir dans de bonnes conditions ces nouvelles populations. Certaines communes ne peuvent construire pour héberger les enfants de leurs propres habitants. Dans la lutte contre l'étalement urbain, on est passé d'un extrême à l'autre. Je soutiens aussi les amendements de notre rapporteure, notamment celui sur l'extension du dispositif « Denormandie », car la rénovation du bâti ancien et l'amélioration de l'habitat dans les coeurs de village constituent un vrai défi.
M. Pierre Louault. - Je remercie notre rapporteure qui a conservé l'esprit de ma proposition de loi, tout en l'améliorant. Le texte ainsi amendé me semble répondre à la plupart des préoccupations exprimées.
M. Daniel Gremillet. - Je voudrais évoquer la question des friches agricoles : beaucoup de bâtisses agricoles inutilisées et délabrées gardent leur statut agricole en dépit de leur abandon, mais elles occupent de l'espace. On pourrait les rebâtir, cela permettrait de récupérer du foncier pour bâtir et faciliter les aménagements dans nombre de villages. Pour survivre, les villages ont besoin de pouvoir construire et de renouveler leur bâti.
M. Daniel Salmon. - Nous partageons un certain nombre d'objectifs de cette proposition de loi. Elle privilégie les réhabilitations ou les changements d'affectation avant d'envisager des constructions neuves. Ces évolutions vont dans le bon sens. Nous soutenons aussi le recours au « Denormandie » plutôt qu'au « Pinel ». Il serait intéressant de s'interroger sur les friches et les bâtiments agricoles abandonnés : voilà un gisement potentiel de foncier pour de nouvelles constructions, si ces terrains étaient déjà artificialisés.
M. Henri Cabanel. - Notre ancien collègue Alain Bertrand parlait souvent de l'hyper-ruralité. Il serait satisfait de cette proposition de loi. Certains territoires connaissent des revitalisations « à moitié » : ils accueillent des résidences secondaires qui ne permettent pas vraiment de faire revivre le territoire. Je ne partage pas le réquisitoire de M. Duplomb sur les CDPENAF, où siègent les représentants du monde agricole et des acteurs locaux - les chambres de l'agriculture, les syndicats agricoles, les propriétaires forestiers, etc. Les représentants de l'État ne font que la présider. Elles sont un lieu de discussion. Il ne paraît pas opportun de se passer de leur avis.
M. Laurent Somon. - Il est en effet pertinent d'étendre le périmètre visé par la proposition de loi aux communes rurales, sans se limiter aux ZRR, dispositif qui devrait être modifié à l'avenir. Si je ne partage pas totalement les critiques de M. Duplomb sur les CDPENAF, il convient toutefois de constater que l'absence d'une définition légale des parties actuellement urbanisées (PAU) ne permet pas de définir avec certitude le périmètre susceptible d'être urbanisé. De même, la définition des dents creuses est soumise à interprétation et varie fortement selon les départements. On autorise parfois l'implantation d'éoliennes, qui consomment plusieurs milliers de mètres carrés, tout en interdisant de construire un bâtiment de 500 mètres carrés !
M. Laurent Duplomb. - Absolument !
M. Laurent Somon. - Construire n'implique pas nécessairement l'artificialisation ni l'imperméabilisation complète des sols. Il peut s'agir de jardins et les atteintes à la biodiversité peuvent être compensées. Il faut donc bien apprécier au cas par cas la surface réelle consommée au détriment des terres agricoles, qui d'ailleurs, souvent dans ces cas-là, ne sont plus vraiment agricoles : il s'agit de parcelles biscornues n'offrant aucune possibilité de culture et qui ne sont plus éligibles aux subventions de la politique agricole commune. Enfin, je soutiens les propositions sur les friches agricoles et sur le recours au dispositif « Denormandie ».
Mme Valérie Létard, rapporteure. - J'ai cherché à garantir l'applicabilité de cette proposition de loi ambitieuse, en veillant à sa cohérence avec le droit existant, notamment avec la loi « Climat et résilience ». L'objectif « zéro artificialisation nette » ne rime pas avec « zéro construction ». S'il est nécessaire de protéger nos espaces naturels ou agricoles, nos règles ne doivent pas être désincarnées et déconnectées des réalités du terrain. Tout est question de bon sens et de nuances. Il faut savoir rendre à la nature certains espaces dégradés, mais aussi construire lorsque cela est nécessaire.
En ce qui concerne la constructibilité en zone agricole, mes amendements visent à introduire des garde-fous, qui sont similaires à ceux déjà existants : avis de la CDPENAF, compatibilité avec le caractère agricole de la zone, possibilité laissée au maire de réglementer les dimensions et l'aspect des constructions, etc. Il n'y a donc pas d'affaiblissement du droit à craindre de ce point de vue.
Le texte initial était redondant, car il prévoyait un avis conforme de la CDPENAF sur les documents d'urbanisme, qui existe déjà aujourd'hui. En revanche, il l'assouplissait sur les projets individuels. Je propose de conserver le droit existant et d'éviter les doublons. Il faut veiller à ne pas engorger la CDPENAF.
Monsieur Duplomb, nous avons souhaité maintenir l'équilibre existant en ce qui concerne la CDPENAF et ne pas modifier sa composition. Les agriculteurs sont attachés au maintien de l'avis de la CDPENAF. Je réfléchis en outre à un amendement en séance publique pour tenter d'objectiver les critères et essayer d'uniformiser les décisions des CDPENAF sur tout le territoire en fixant un cadre commun, une doctrine, pour éviter les décisions à géométrie variable.
En ce qui concerne les troubles de voisinage, il existe effectivement un article dans le code de la construction et de l'habitation, qui est très similaire à la proposition de M. Louault. Là encore, nous analyserons la cohérence entre les deux dispositifs d'ici la séance.
Les mesures contenues dans la proposition de loi permettront de mieux traiter la question des friches agricoles. Il sera possible de réhabiliter plus facilement le bâti ancien pour lui donner une nouvelle vie et accueillir de nouvelles familles, ainsi que de procéder à un changement de destination d'un bâtiment. Ce qui manque, ce sont des moyens en matière d'ingénierie pour revitaliser toute une zone. Le dispositif « Denormandie » vise seulement l'habitat.
Enfin, je propose de modifier le périmètre de la proposition de loi, en passant des ZRR, qui sont susceptibles de disparaître, aux zones en déprise.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
L'article 1er est adopté sans modification.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'amendement COM-7 vise à remplacer le ciblage sur les ZRR par un ciblage plus fin, sur les communes peu denses, en déprise démographique et dont le territoire est en grande partie inconstructible. Il améliore également l'insertion des assouplissements proposés au sein de l'architecture actuelle du code de l'urbanisme. Enfin, il propose quelques encadrements à ces assouplissements, afin de les recentrer sur l'objectif d'amélioration de l'habitat et d'apporter quelques garde-fous pour éviter les effets de bord. L'amendement COM-3 rectifié est identique.
Mme Viviane Artigalas. - Vous modifiez le deuxième alinéa de l'article L. 111-4 pour ajouter les terrains sur lesquels sont sis ces bâtiments. Ne faudrait-il pas prendre en considération la taille du terrain : si le terrain est très vaste, il existe un risque de mitage. Enfin, par cohérence avec le changement d'intitulé du texte, ne faudrait-il pas supprimer toutes les références aux ZRR ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Cet amendement doit se lire en articulation avec l'article 5 sur le droit au logement des exploitants.
Les amendements COM- 7 et COM-3 rectifié sont adoptés.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 3
L'article 3 est adopté sans modification.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Mon amendement COM-8 vise à recentrer sur la réhabilitation de l'habitat ancien le soutien fiscal proposé au bénéfice des zones rurales : plutôt qu'une extension de la totalité du dispositif « Pinel », qui cible surtout le logement collectif neuf, il prévoit une extension du « Denormandie dans l'ancien », plus adapté aux enjeux de réhabilitation. Cette extension est à la fois temporelle - jusqu'en 2025 -, et géographique. L'amendement COM-4 rectifié est identique.
Les amendements COM- 8 et COM-4 rectifié sont adoptés.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Mon amendement COM-9 vise à sécuriser le droit au logement des agriculteurs à proximité de leur exploitation. Il lie le bénéfice de ce droit aux besoins de l'exploitation même, plutôt qu'à la personne de l'exploitant. Cela permet une meilleure adaptation dans le temps. Il permet aussi au maire d'édicter des prescriptions quant aux caractéristiques du projet, pour éviter par exemple les constructions de taille ou de hauteur démesurées, ou d'aspect peu compatible avec les zones à dominante agricole. Il prévoit aussi un avis de la CDPENAF. Enfin, il interdit tout changement de destination des logements agricoles ainsi bâtis, pendant une durée de dix ans, afin d'éviter les détournements et les effets d'aubaine. L'amendement COM-5 rectifié est identique.
Les amendements COM-9 et COM-5 rectifié sont adoptés.
L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 6
L'article 6 est adopté sans modification.
Article 7
L'article 7 est adopté sans modification.
Article 8
L'article 8 est adopté sans modification.
Intitulé de la proposition de loi
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Mon dernier amendement COM-10 modifie le titre de la proposition de loi, pour tenir compte des évolutions du ciblage que nous avons proposées : les mesures ne visant plus uniquement les ZRR, il faut donc le répercuter sur l'intitulé du texte. Nous nous assurerons aussi avant la séance que d'autres mesures de coordination ne sont pas nécessaires. L'amendement COM-6 rectifié est identique.
Les amendements COM-10 et COM-6 rectifié sont adoptés.
L'intitulé de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Sophie Primas, présidente. - Permettez-moi de vous indiquer le périmètre retenu au titre de l'article 45 de la Constitution.
En application du vadémécum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il me revient de faire adopter le périmètre indicatif de la proposition de loi tendant à favoriser l'habitat en zones de revitalisation rurale tout en protégeant l'activité agricole et l'environnement.
Nous considérons que sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé les dispositions relatives à la prise en compte des enjeux propres aux zones rurales dans les grands principes du droit de l'urbanisme ; aux règles d'urbanisme applicables dans les communes rurales ainsi que dans les zones à dominante agricole, forestière ou naturelle, en matière de constructibilité, d'agrandissement, d'adaptation et de changement de destination ; à la manière dont le contenu des documents d'urbanisme est adapté ou évolue pour tenir compte de ces règles d'urbanisme spécifiques ou des spécificités des zones rurales, à l'exclusion de toute modification des procédures d'évolution actuellement prévues par le code de l'urbanisme ; à la manière dont la hiérarchie des normes d'urbanisme est appliquée aux documents de planification locaux des communes rurales ; au champ d'application de la réduction d'impôt dite « Pinel », prévue à l'article 199 novovicies du code général des impôts, dans ses différents volets et en ce qu'il concerne les communes rurales ; aux conditions dans lesquelles un logement peut être construit au sein ou à proximité d'une exploitation agricole ; aux conditions dans lesquelles il peut être fait droit à un recours en indemnisation contre un exploitant agricole sur le fondement de troubles de voisinage ; à la portée de l'avis de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers en ce qu'il est recueilli sur les documents d'urbanisme locaux des communes rurales et sur les autorisations d'urbanisme délivrées sur le territoire de ces dernières ; à la manière dont la composition de la CDPENAF permet la représentation d'élus issus de zones rurales.
Ne sont pas considérées comme susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé, les dispositions relatives à la gouvernance des collectivités et des intercommunalités rurales ; à la densité et la qualité des services publics au sein des territoires ruraux ; aux conditions encadrant l'exercice de l'activité agricole ou à la définition du statut d'exploitant agricole.
Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » - Examen du rapport pour avis
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Certes nous discutons d'un budget que nous avons globalement rejeté, mais il nous a semblé important non pas tant de vous présenter la mécanique budgétaire que de vous faire part de ce que nous avons obtenu du ministre par notre travail tout au long de ces dernières semaines et de vous exposer les alertes qui demeurent sans réponse.
D'abord sur le budget à proprement parler, il est en très légère baisse en crédits de paiements compte tenu de la fin du dispositif exceptionnel d'exonérations de cotisations pour les viticulteurs en raison de la Covid-19. L'arrêt de ce dispositif, prévu pour 2021, engendre un recul de 77 millions d'euros alors que le budget ne baisse que de 32 millions d'euros.
Autrement dit, hors mesures exceptionnelles, nous avons un budget en augmentation, comme c'était le cas partout, me direz-vous.
Les évolutions positives de ce budget sont au nombre de cinq.
La première concerne une subvention exceptionnelle pour purger la dette de l'ONF de 20 millions d'euros. En réalité il s'agit d'un apurement de 60 millions d'euros, sur 3 ans.
La deuxième est une hausse des dépenses de personnel et des dépenses informatiques du ministère, ce qui est une tendance structurelle dont il faut s'inquiéter, tant elle substitue au budget des agriculteurs un budget du ministère de l'agriculture. Il est vrai que depuis plusieurs années nous assistons à une augmentation sans cesse des frais informatiques, qui peuvent paraître relativement importants.
La troisième est une hausse circonstancielle des crédits des mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) et de l'aide à l'agriculture biologique.
La quatrième est une hausse des crédits de l'aide à la relance des exploitations agricoles (AREA) sur laquelle reviendra Françoise Férat.
Enfin, la cinquième est une hausse des moyens de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) en raison de la loi de programmation de la recherche qui lui a transféré les missions d'analyses socioéconomiques du Haut Conseil des biotechnologies, ce dont il faut se féliciter, tant le fonctionnement qui se voulait rationnel de cette autorité était altéré par le boycott de certaines associations environnementales.
Mais n'analyser que le budget de cette mission reviendrait à ne regarder les crédits alloués à l'agriculture que par le petit bout de la lorgnette. Car depuis janvier 2021, le Gouvernement a annoncé près de 4 milliards d'euros supplémentaires pour l'agriculture en autorisations d'engagement, reprenant à son compte la quasi-intégralité des propositions sénatoriales en matière agricole, que cela soit celles de notre cellule Covid qui proposait un plan de relance pour aider les filières fragiles en raison des confinements et des investissements massifs pour l'innovation et la robotique : tout cela a été mis en place. Nous disions également que la réserve de précaution n'était pas suffisante pour assurer justement la lutte contre les aléas : chaque année, les lois de finances rectificatives ont fait exploser le budget pour faire face aux sécheresses, tempêtes et au gel. En bref, le Sénat est devenu l'auteur des idées qui approvisionnent un Gouvernement qui n'en a pas, ce dernier se contentant de les mettre en oeuvre avec de l'argent qui n'existe pas. Mais, pour me répéter, comme c'était le cas partout, me direz-vous.
J'en veux pour preuve le catalogue suivant : 350 millions en première loi de finances rectificative, 800 millions dans la seconde loi de finances rectificative, 2 milliards d'euros pour France 2030 et 880 millions d'euros pour le PIA 4 porteur du projet intitulé « 3e révolution agricole ». Autrement dit, le budget a plus que doublé cette année. Mais, pour me répéter, comme c'était le cas partout, me direz-vous.
J'ajoute que j'ai quelques inquiétudes sur le budget de l'année prochaine. La mise en oeuvre de la nouvelle maquette de la PAC induit un besoin de financement de plus de 100 millions d'euros pour la France pour les indemnités compensatoires de handicaps naturels. La réalité est que le taux de cofinancement apporté par la France augmente de 10 %, puisque l'Europe a diminué son taux de cofinancement de 10 %. La réforme de l'assurance récolte, qui nous sera soumise en janvier, dépend d'une enveloppe annoncée de 600 millions d'euros. Ces financements devront bien être pris quelque part si le conte de fées de l'argent magique prend fin. Ces questions nécessitant un retour à la normale poseront sans aucun doute des problèmes l'année prochaine, mais, pour me répéter une dernière fois, comme cela sera le cas partout, me direz-vous.
Avec mes collègues rapporteurs, nous avons voulu proposer des pistes de travail au ministre pour améliorer ce budget. Elles sont au nombre de 5 : le plan Eco'Azot dans un contexte d'explosion des coûts pour les agriculteurs ; la pérennisation du dispositif d'exonérations de cotisations pour les travailleurs occasionnels et les demandeurs d'emploi en agriculture, dit « TO-DE », qui a été écartée à l'Assemblée nationale ; la désertification vétérinaire avec l'augmentation des stages tutorés ; la problématique du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (CASDAR) avec des cotisations payées par les agriculteurs nettement supérieures au plafond fixé en loi de finances de126 millions ; et le sujet du traitement des communes forestières.
La première concerne le plan Eco'Azot.
Je l'ai dit hier : nous sommes face à une situation dangereuse sur le sujet des engrais. Je me souviens encore des discours il y a quelques mois qui nous expliquaient qu'il fallait taxer l'utilisation d'engrais pour réduire les usages. Cela se serait traduit par une hausse des coûts sans réduction des usages. Nous n'en sommes plus là, car les agriculteurs voient leurs charges exploser et ils ont de plus en plus de difficulté à trouver des engrais sur les marchés.
Les cours de l'ammonitrate ont doublé depuis quelques mois, les cours de la solution azotée ont été multipliés par 2,5 et le prix de l'urée a triplé. Avec de tels prix, ce n'est plus tenable pour les comptes d'exploitation des agriculteurs. D'ailleurs, le prix n'est plus la règle, puisque certains agriculteurs n'arrivent plus à trouver de solutions azotées.
D'autant que la rareté faisant le prix, les fournisseurs rationnent les volumes offerts faute de productions ou pour attendre des prix encore plus élevés. En résumé, nous sommes en pénurie ! Le taux de couverture en solution azotée est de 45 % en octobre contre 70 % les autres années.
Nous aggravons en outre la situation par des barrières tarifaires à l'importation d'azote en Europe alors que nous dépendons entre 80 et 90 % de l'importation. C'est incompréhensible.
À mon sens, si la situation devait durer et que nous ne faisions rien, nous serions exposés à plusieurs effets.
À court terme, une baisse de la qualité de nos céréales à l'export, donc à de moindres revenus voire à la perte de parts de marché chez certains clients et, bien entendu, une baisse de nos rendements.
À moyen terme, nous risquerions de créer des déséquilibres inter-filières en raison d'une révision des assolements. En effet, lorsqu'un agriculteur doit semer au printemps, mais qu'il ne peut pas se fournir en azote, il va semer quelque chose qui a moins besoin d'azote.
À long terme, nous ne produirons plus suffisamment pour nourrir un monde confronté à un choc démographique.
La situation de l'azote étant dramatique, nous appelons le ministère à mettre en place un plan. Et c'est justement ce que le Parlement lui a donné l'ordre de faire dans la loi « Climat et résilience » par le biais du plan Eco'Azot. Nous nous étonnons d'ailleurs qu'aucune mesure n'ait été prévue dans ce budget à cet égard. Nous le déplorons et, dans une logique constructive, nous estimons nécessaire de lancer enfin ce plan, que le Sénat avait fait adopter plutôt qu'une taxe sur les engrais qui n'avait aucun fondement.
La situation de marché le rend nécessaire et urgent !
À mon sens, il doit se décliner en trois axes.
À court terme, l'urgence est de baisser les prix, car la situation n'est pas tenable pour les comptes d'exploitation. La mesure la plus rapide que nous avons travaillée avec les filières serait de suspendre les barrières tarifaires à l'importation au niveau européen. C'est une mesure qui relève de la Commission et du Conseil et qui peut être prise rapidement. Cela doit être une priorité de la présidence française de l'Union européenne à venir. Je rappelle que nous nous taxons volontairement sur des approvisionnements dont nous sommes dépendants.
À moyen terme, la priorité est de développer des innovations majeures et de rupture pour rompre notre dépendance, travailler sur de nouvelles pratiques et répondre à la baisse des émissions de protoxyde d'azote et d'ammoniac pour tendre vers une optimisation des usages sans perte de rendement. Il faut impérativement travailler le sujet juridique des inhibiteurs d'uréase ou de nitrification, qui réduisent considérablement les émissions et de diminuer les doses. Or l'abrogation d'un règlement européen rend obligatoire la réautorisation de milliers de dossiers d'ici juillet 2022, ce qui est proprement impossible puisqu'à ce stade, l'arrêté qui fixe la procédure d'envoi du dossier n'a toujours pas été publié. Des solutions, il en existe : la sélection variétale ; l'agriculture de précision ; les engrais organiques qui nous permettraient de reconquérir de la souveraineté mais sont bloqués par des barrières réglementaires. Mais il faut mettre en oeuvre des mesures concrètes pour en faciliter le déploiement. Le dirigeant d'InVivo nous confiait qu'il avait par exemple des difficultés à faire homologuer des systèmes réellement innovants en la matière. C'est un vrai axe de travail.
Enfin, il faut mettre en place un appui financier et technique pour des outils de pilotage, des outils d'épandage de précision, des appuis dans la formation également par exemple pour mieux expliquer le fractionnement de la fertilisation, ce qui permet de minimiser les pertes en maximisant l'absorption.
Ce plan, c'est une réponse concrète pour un vrai défi de notre agriculture, alliant besoins agronomiques et réponses écologiques, tout en reconquérant notre souveraineté. Il faut le porter à mon sens de manière transpartisane.
Mme Françoise Férat, rapporteure pour avis. - Mon collègue M. Laurent Duplomb parlait de cinq propositions. Il me revient d'en présenter deux : celle sur le TO-DE et celle sur les déserts vétérinaires.
Mais auparavant, je souhaitais revenir sur un sujet qui me tient très à coeur, pour y avoir passé une bonne partie de mon année avec Henri Cabanel : le sujet de la détresse des agriculteurs.
Le ministre a présenté un plan de prévention hier matin qui reprend, dans son immense majorité, le travail de notre commission. Je crois qu'il faut s'en féliciter et rappeler sans cesse que notre travail sur le terrain, auprès des agriculteurs, des familles endeuillées, des professionnels dans l'accompagnement a permis de déclencher une dynamique.
Parmi les mesures annoncées, figure, pour en revenir aux aspects budgétaires, la réforme de l'audit de l'exploitation et de l'aide à la relance des exploitations agricoles (AREA) : leur budget sera doublé et le ministre s'est engagé à réformer les obstacles qui empêchaient leur souscription aujourd'hui par les exploitants. Il faut également souligner l'adoption au Sénat et à l'Assemblée, à notre initiative, de deux dispositifs : le crédit d'impôt pour le remplacement a été augmenté, afin d'octroyer un vrai droit au répit aux exploitants, ainsi qu'un capital décès de 3 500 euros pour les familles endeuillées. Ce capital n'existait pas contrairement aux autres régimes, et c'était une injustice pour les agriculteurs : c'est désormais une chose réparée !
Le travail se poursuit, avec M. Cabanel bien sûr et vous tous, car la cause en vaut la peine.
J'en viens aux deux recommandations qu'il me revient de présenter.
La première concerne le TO-DE, les allègements de charges pour les travailleurs occasionnels et les demandeurs d'emploi. Le Sénat se bat chaque année pour obtenir sa pérennisation. Je devrais dire : « enfin sa pérennisation ». Car le ministère des finances continue de s'attacher à sa réforme avortée de 2018 voulant le supprimer en raison de notre opposition. Il me paraît tout à fait incompréhensible que le ministère de l'économie et de la relance, qui nous parle à tout moment de l'année de compétitivité économique, soit le premier à vouloir supprimer ces exonérations permettant aux filières justement les plus concurrencées par les produits importés, c'est-à-dire celles où les coûts de main-d'oeuvre sont les plus importants, d'exister. Comment voulez-vous lutter contre une pomme polonaise dont le coût de revient est de 0,99 euro quand le coût en France est de 2 euros, la seule différence s'expliquant par les coûts de main-d'oeuvre ? Le Sénat l'a pérennisé une fois de plus dans le PLFSS. Mais le Gouvernement refuse toujours de bouger. L'année prochaine, si rien n'est fait, le dispositif disparaîtra. Je serai, tout au long de l'année, mobilisée pour le préserver : nous devrons envisager une action en cours d'exercice.
La seconde traite des déserts vétérinaires. C'est un sujet essentiel pour l'aménagement de nos territoires et le Sénat est mobilisé 24 heures sur 24 sur ce sujet. Il serait terrible de commettre les mêmes erreurs que sur les déserts médicaux. Car la disparition de vétérinaires dans une zone rurale est un des éléments annonciateurs de la fin de l'élevage dans cette zone. Ce sujet est stratégique.
Laurent Duplomb a fait adopter un dispositif innovant dans la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (Ddadue), promulguée le 2 décembre 2020, en permettant aux collectivités locales, dans les zones tendues, de proposer des aides aux jeunes vétérinaires pour les inciter à s'installer en zones rurales. Le ministère a fait le travail et a constaté que les zones tendues existaient... dans toutes les régions ! Nous avons demandé un bilan du dispositif en cours d'année pour l'améliorer : il est sans doute trop restrictif au regard de l'ampleur du phénomène et nous avons appelé le ministre à effectuer une modification à la marge du dispositif dans le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite « 3DS », à l'Assemblée nationale pour que le zonage ne soit pas trop restrictif.
Toutefois, en analysant le budget, nous avons constaté que le ministère sapait un autre dispositif essentiel en parallèle, à savoir les stages tutorés.
Pour promouvoir l'installation, il faut aussi agir dès l'école vétérinaire. Justement, dans ces écoles, des stages sont mis en place lors de la cinquième année avec des tuteurs engagés dans les zones rurales auprès d'animaux de rente pour expliquer le sens de leur métier. L'État, par le programme 206, alloue une enveloppe pour encourager les écoles vétérinaires et les tuteurs à se lancer dans l'aventure.
C'est un succès colossal : 85 % des jeunes ayant suivi ce stage se sont finalement installés en zone rurale !
Et le succès est tel que le nombre de dossiers d'étudiants candidats à ce dispositif a doublé cette année. Mais le ministère n'a pas doublé l'enveloppe. Mécaniquement, nous avons été alertés que la dotation par étudiant serait donc divisée par deux, désincitant fortement les tuteurs et les écoles à recourir à ce dispositif qui fonctionne.
Nous en avons alerté le ministre qui a pris l'engagement de doubler cette enveloppe en gestion. Nous resterons vigilants, car c'est un point vraiment essentiel.
M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis. - Enfin, nos travaux nous ont menés à élaborer deux autres propositions de bon sens.
La première concerne le CASDAR. Vous connaissez mon attachement à ce dispositif. Mais je crois que pour bien comprendre le scandale, n'ayons pas peur des mots, qui est à l'oeuvre sur ce sujet, il faut se rappeler de l'histoire agricole de notre pays.
Car le CASDAR est le successeur du Fonds national de développement agricole, géré par l'Association nationale pour le développement agricole (ANDA) de 1966 jusqu'en 2002. Ce fonds a été imaginé dès les années 1960 par les agriculteurs pour contribuer au financement de l'agriculture de demain. Les agriculteurs se voulaient les contributeurs de l'innovation agricole, pour ne pas transférer cette charge aux contribuables en se taxant eux-mêmes sur leur chiffre d'affaires.
Si les modalités pratiques ont évolué avec la LOLF, l'esprit du dispositif demeure toujours le même.
Depuis les années 1960, le CASDAR a été un outil essentiel de financement de la recherche et l'innovation par les agriculteurs, pour les agriculteurs, tout en permettant de réaliser une péréquation essentielle entre les filières, les plus petites filières bénéficiant de financements voués à la recherche qu'elles ne pourraient obtenir si elles ne faisaient contribuer que leurs adhérents.
Des milliers de projets de recherche ont pu voir le jour grâce au CASDAR et au travail des instituts techniques.
Mais, depuis des années, des centaines de projets de recherche n'ont pas pu être lancés faute de financement suffisant du CASDAR, non faute de millions d'euros fournis par les agriculteurs, mais parce que l'État se remplit les poches grâce à cet argent des agriculteurs destiné à financer leur recherche.
En raison d'un plafond fixé à un niveau inférieur à celui du rendement effectif de la taxe, budget après budget, le CASDAR est ponctionné par Bercy. Et les ouvertures en loi de finances rectificative pour corriger le tir, comme cette année, poursuivent ces ponctions : cette année, le rendement de la taxe est de 140 millions d'euros, alors que le plafond était à 126 millions d'euros, soit une ponction de l'État sur le dos des agriculteurs de 14 millions d'euros. La loi de finances rectificative n'a prévu d'en retourner aux agriculteurs que 10 millions en ponctionnant d'ailleurs la trésorerie du fonds. Autrement dit, Bercy a encore gagné a minima 4 millions d'euros.
Au total, entre 2014 et 2021, près de 24 millions d'euros de taxes payées par les agriculteurs ont ainsi atterri dans les poches de Bercy. Et avec le plafond fixé cette année à 126 millions d'euros, la somme manquante pourrait dépasser largement les 30 millions d'euros l'année prochaine.
Ce montant, je veux le dire clairement, l'État doit le restituer aux agriculteurs.
Car cet argent n'est pas qu'une somme virtuelle : ce sont concrètement des projets de recherche qui sont reportés ! En 2020, après avoir écarté les projets les moins urgents, les instituts techniques ont dénombré 47 projets prioritaires n'ayant pas pu être financés par des appels à projets faute de financements suffisants.
On ne peut promouvoir l'agriculture de demain à coups de plans de relance et saper les financements des instituts techniques qui sont les premiers financeurs de la recherche agricole.
C'est pourquoi nous demandons :
- un relèvement structurel du plafond du CASDAR pour que l'intégralité des contributions des agriculteurs soit chaque année redistribuée aux agriculteurs - au minimum, le plafond ne devrait pas être inférieur aux rendements de l'année précédente ;
- une rétribution des 26 millions d'euros ponctionnés dans le passé par l'État au profit de la recherche agricole.
J'en viens enfin à la cinquième et dernière proposition, sur les communes forestières. En première lecture, il sautait aux yeux qu'elles étaient les grandes perdantes de la politique forestière du Gouvernement.
D'un côté, l'Office national des forêts (ONF) réduit ses services rendus par ses schémas d'emplois et il augmente les contributions financières des communes forestières pour réduire sa dette. D'un autre côté, les communes les plus forestières sont très dépendantes des recettes issues des ventes de bois, qui ont chuté, car les bois scolytés se vendent moins bien. Cela les a placées dans une situation financière délicate. Au total, on estime que 26 millions d'euros de pertes ont été constatées, mais l'État ne compense qu'une trentaine de communes, à hauteur seulement de 1 million d'euros. En attendant, ce sont certaines communes qui trinquent. On a eu beau avoir une déclaration du Président de la République aux maires la semaine dernière, on voit bien là le décalage entre le discours et les actes !
Le Gouvernement a annoncé revenir, de justesse, sur l'augmentation des contributions des communes forestières, de quasiment 30 millions d'euros sur trois ans, initialement prévue par le nouveau contrat d'objectifs et de performance de l'ONF : il faut s'en féliciter. Mais le manque à gagner pour l'ONF devra être traité.
Surtout, l'effet ciseau structurel ne s'inversera pas. L'ONF rendra de moins en moins de services aux communes, avec moins d'agents sur le terrain, alors que les communes ont déjà à souffrir du changement climatique.
Nous proposons d'inverser la logique dans le cadre de la réforme de l'ONF et de fixer une priorité : que l'ONF redéploie des agents sur le terrain en se fixant l'objectif ambitieux de deux agents sur trois dans nos forêts, contre seulement la moitié aujourd'hui, pour mieux accompagner l'adaptation des massifs au changement climatique.
M. Franck Menonville. - Je voudrais rebondir sur le dernier point de Jean-Claude Tissot et notamment sur l'ONF. Je crois que l'on peut se satisfaire du recul du ministre concernant la contribution supplémentaire qu'il prévoyait d'appeler sur trois ans. Je partage néanmoins les opinions de Jean-Claude Tissot, notamment sur le redéploiement sur le terrain. On observe au niveau de l'ONF un problème principalement de dispersion des moyens. L'ONF se diversifie, en accompagnant des politiques diverses, notamment dans le domaine de la biodiversité et de l'environnement, alors même que les tensions relatives au changement climatique et à la nécessaire transformation et l'accompagnement des techniques sylvicoles de notre forêt imposent que l'ONF soit entièrement mobilisé sur son coeur de métier et ses missions régaliennes.
M. Joël Labbé. - On constate des efforts budgétaires dans le domaine de la relocalisation de l'alimentation, parce qu'il s'agit d'un axe extrêmement important pour assurer notre souveraineté alimentaire. Néanmoins, nous considérons ces efforts encore insuffisants.
Les 50 millions d'euros sur 2 ans pour atteindre les objectifs Egalim en restauration collective ne suffiront pas. Le financement des projets alimentaires territoriaux est augmenté, mais il n'est pas à la hauteur des besoins, des demandes et des nécessités. Le financement de l'agriculture biologique a certes bénéficié de l'augmentation nette du crédit d'impôt biologique, mais celle-ci ne couvrira pas les pertes de financement au niveau de la PAC. L'Institut technique de l'agriculture biologique (ITAB) est sous-doté par rapport aux besoins. Les organismes nationaux à vocation agricole et rurale (Onvar), comme les centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural (Civam), Terres de lien, et la fédération nationale des coopérations d'utilisation du matériel agricole (FNCUMA) jouent un rôle essentiel, mais sont également insuffisamment soutenus. Derrière se situe la question du niveau de financement du CASDAR.
Le plan France 2030, qui annonce une nouvelle agriculture numérique, robotique et génétique risque d'aller vers un soutien à une agriculture hyper connectée. Il y a un autre modèle qui est en attente de véritables moyens pour assurer une agriculture de proximité qui n'est pas dans le gigantisme et qui permettra de nourrir les populations des territoires.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je ne voudrais pas que l'on croie qu'il suffit de redéployer les moyens de l'ONF pour répondre aux besoins. Le plan qui vise à supprimer 500 postes d'ici 2025 doit être encore contesté, parce que, globalement, il n'y a pas qu'un problème de redéploiements, mais aussi un problème de création de postes.
J'ajoute un élément plus anecdotique : l'uniforme de l'ONF va être changé. Il va devenir orange et il n'y aura plus de gallon faisant référence à l'autorité publique. Or je trouve important que les gardes de l'ONF conservent un gallon garantissant l'autorité publique.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je pense qu'il s'agit d'un élément que l'on peut partager sur de nombreux bancs.
Mme Anne-Catherine Loisier. - D'abord, je voulais saluer l'approche de nos collègues qui se sont arrêtés sur un certain nombre de points stratégiques, sur lesquels nous sommes quotidiennement sollicités sur nos territoires.
Sur la forêt, je partage les préconisations de nos collègues. J'ai néanmoins deux interrogations complémentaires.
Dans ce projet de loi de finances, il est proposé d'apporter un million d'euros au profit d'une trentaine de communes forestières touchées par les scolytes, ce qui n'est pas à la hauteur des besoins. Rien que dans mon département de la Côte-d'Or, 50 communes ont une capacité d'autofinancement négative et sont donc dans l'incapacité d'investir. Il s'agit de communes forestières, celles-là mêmes dont on attend demain qu'elles répondent aux enjeux de la réglementation environnementale des bâtiments neufs (RE2020). Ainsi, on fait peser des demandes sociétales et environnementales sur ces communes, alors qu'elles ne sont pas en capacité de s'emparer du plan de relance. Il y avait eu un amendement sénatorial dans le précédent projet de loi de finances rectificative de 10 millions d'euros pour aider les communes à financer les travaux préparatoires au reboisement. Il faudra s'assurer que cette enveloppe est bien mobilisée en ce sens.
Concernant le redéploiement, il ne résoudra pas, de toute évidence, tous les problèmes de l'ONF. Il y a un déficit récurrent qui est lié notamment au financement des retraites depuis 10 ans, à hauteur de 50 millions d'euros par an. Un nouvel audit doit être fait, à l'aune des enjeux qui pèsent aujourd'hui sur la forêt. Il y en a un, par exemple, qu'on va évoquer dans cette commission, qui est celui de la chasse. On ne peut pas demander aux forestiers d'être davantage présents en matière de surveillance sanitaire et de chasse et de diminuer chaque année les effectifs sur le terrain, où l'on manque aujourd'hui d'agents. On ne peut pas demander aux forestiers de faire plus de gestion durable et en même temps de commercialiser plus de bois pour répondre aux enjeux sociétaux.
Je remercie nos collègues pour ces préconisations, que je partage.
M. Daniel Gremillet. - Je partage les préconisations des trois rapporteurs. Je refais néanmoins, comme tous les ans, la même remarque sur le CASDAR. Le CASDAR, ne l'oublions pas, c'est 100 % de l'argent des paysans. Il s'agit de la seule profession à être traitée de manière aussi inéquitable dans notre pays : ce sont des paysans qui mettent de l'argent de leur propre poche pour leur propre assistance au développement et pourtant, on les empêche de le dépenser. L'État ne met pas de moyens, car c'est nous qui payons, mais il y a en plus cette distorsion aujourd'hui.
Le deuxième point sur lequel je voulais insister vient en partie d'être abordé par Anne-Catherine Loisier. J'insiste à nouveau sur la situation des communes forestières évoquée par Jean-Claude Tissot. Le traitement réservé aujourd'hui aux communes forestières ne résout pas ce qui est vécu dans les territoires. Cela n'est pas traité de manière raisonnable, ce qui est un peu irrespectueux.
M. Henri Cabanel. - Je veux partager la satisfaction de la prise en compte par le ministre du travail effectué par la commission des affaires économiques sur le sujet de la détresse des agriculteurs.
Pour autant, si les crédits, notamment sur l'AREA, ont été augmentés, il faudra tout de même rester très vigilant sur la simplification des dossiers à déposer. Car aujourd'hui les enveloppes n'étaient pas consommées en raison de la complexité des dossiers ! Le travail continue et nous resterons très attentifs à l'évolution. Je souhaiterais que l'on puisse faire une évaluation dans le temps pour savoir si les mesures qui vont se mettre en place auront des conséquences positives, comme nous le souhaitons.
Je voudrais aussi revenir sur la problématique qui a été soulevée par rapport aux TO-DE, qui se pose surtout par rapport à notre volonté de pérenniser ce dernier. Je ne sais pas comment on pourra faire si cela s'arrête.
Aussi, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, j'avais porté un amendement, qui avait été adopté au Sénat, puis supprimé à l'Assemblée nationale, sur les cotisations sociales des agriculteurs payées dès l'année N. Ce point me semble également important par rapport à une demande des agriculteurs, notamment pour pallier le problème des aléas climatiques. Ceci est d'autant plus important que nous avons voté une loi sur les travailleurs indépendants, commerçants, artisans, qui va dans ce sens. Il existe donc un véritable problème d'iniquité entre, d'un côté, les travailleurs indépendants, commerçants et artisans et, de l'autre, les travailleurs indépendants au niveau agricole.
Mme Anne-Catherine Loisier. - De la même manière que le CASDAR est amputé pour l'agriculture, le produit de la taxe sur les défrichements, payée par les forestiers, est chaque année amputée de moitié pour abonder le budget général de l'État.
M. Franck Montaugé. - Je voudrais revenir sur un point évoqué hier par le ministre, qui est celui du devenir des zones de polyculture élevage, également appelées « zones intermédiaires ». J'ai bien entendu ce qu'a dit le ministre, mais je reste dubitatif sur la façon dont certains plans de filières, notamment concernant l'élevage, sont traduits concrètement dans les territoires, et notamment dans ces zones, anciennement de polyculture élevage. Ces dernières doivent le rester, parce qu'on ne peut guère y faire autre chose que de l'élevage avec un peu de cultures liées. Je ne vois pas dans ce budget d'actions concrètes et précises en la matière. Il s'agit pourtant d'une question très préoccupante pour beaucoup de nos territoires français et l'avenir doit se préparer sur ce point. J'ai noté avec satisfaction que le ministre entendait prendre en compte ce déclin de l'élevage national français. Toutefois, je ne vois pas de traces concrètes, notamment dans ce budget, de la traduction de cette intention politique.
Mme Sophie Primas, présidente. - Avec un brin de malice, je finirai ces interventions en disant qu'il ne faut pas s'inquiéter de la hausse des fertilisants et de l'azote puisque, grâce à la loi Egalim 2, tout remontera dans le coût de revient.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Concernant la méthode d'analyse par zooms stratégiques retenue depuis quatre ans, dont se félicite Anne-Catherine Loisier, c'est ce qui nous permet de dire que notre travail est repris comme étant une idée gouvernementale ou du ministre de l'agriculture pour la mettre en place.
Pour revenir à la question de Joël Labbé, l'augmentation des aides bio est à comparer avec l'ensemble des autres aides que l'agriculteur bio touche comme les autres agriculteurs, dont l'aide bio, qui s'ajoute à celles-ci.
Concernant les Onvar, Monsieur Labbé a raison. Il s'agit d'un sujet sur lequel nous nous sommes penchés. Parmi les 126 millions d'euros du CASDAR, il avait été tracé que 7,7 millions d'euros étaient réservés aux 18 Onvar. Personne n'est capable de me répondre à la question de savoir si cette somme sera maintenue. Il semblerait que oui. Ce montant est le résultat d'une décision politique des chambres d'agriculture d'en attribuer plus que ce qu'un calcul théorique déterminait au départ dans la répartition des 126 millions d'euros du CASDAR. La demande des Onvar est désormais de 10 millions d'euros. Je ne sais pas s'ils les obtiendront, mais il s'agit d'une volonté que nous avons portée et que nous avons écrite dans le rapport.
Je ne suis toutefois pas tout à fait d'accord avec vous sur le point suivant : ce n'est pas parce que l'on est connecté que l'on est gigantesque. Il s'agit d'un raccourci, car on peut très bien être sur une exploitation de taille familiale moyenne comme la mienne, avoir un robot de traite et être connecté. Au contraire, je pense que c'est même tout le contraire : plus on est connecté et plus on a la possibilité de réduire le travail manuel. C'est uniquement de cette manière que l'on conservera une agriculture de taille familiale. Moins on robotisera, moins on disposera de la possibilité de déléguer le travail pénible à une machine et plus on demandera à ce que les fermes deviennent gigantesques, parce que ce sera le moyen d'avoir un maximum de personnels pour répartir ce travail.
On est aujourd'hui sur un sujet, où, à chaque fois que l'on donne des injonctions aux agriculteurs, c'est toujours du travail en plus. L'arrêté pollinisateurs récemment publié l'illustre très bien : on peut bien sûr toujours dire qu'il faut travailler après le coucher du soleil, mais quand dormons-nous ? Il faut être conscient de ces réalités.
Concernant l'ONF, c'est 8 735 emplois. Plus de la moitié de ces emplois ne sont pas dans la forêt. 365 agents sont au siège et 4 000 dans les structures intermédiaires. Sur le terrain, il n'y a que 2 000 ouvriers forestiers, les bûcherons, et 2 500 techniciens forestiers, les ex-gardes forestiers. Je pense qu'il faut changer le ratio : il faudrait que les deux tiers des agents de l'ONF soient dans les forêts et non pas la moitié, comme aujourd'hui.
Pour répondre à M. Montaugé, il faut qu'on se saisisse de la problématique des zones intermédiaires et des zones de polyculture élevage. La problématique de la zone de polyculture élevage est qu'elle ne se limite pas aux zones intermédiaires : je suis un agriculteur en polyculture élevage, mais je suis aidé par l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), ce qui fait une différence colossale entre ma zone et la zone intermédiaire, qui n'est aujourd'hui quasiment plus aidée. Il faut, par conséquent, qu'on ait des éléments nous permettant de proposer des mesures, en espérant que le gouvernement se saisisse du sujet.
Mme Sophie Primas, présidente. - Il s'agit d'une demande ancienne de Franck Montaugé.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Concernant les communes forestières, je suis tout à fait d'accord avec le propos d'Anne-Catherine Loisier. J'entends cette problématique partout : comme on ne dispose pas des agents de l'ONF sur le terrain, ils ne marquent pas les bois et on ne mobilise donc pas les volumes. Pour les communes forestières, c'est la double peine : d'un côté, elles ont des contributions supplémentaires à payer et, de l'autre, elles ne peuvent pas mobiliser du bois pour avoir des recettes supplémentaires. Je trouve inadmissible que la taxe défrichement ne revienne pas à la forêt puisqu'elle avait été conçue pour cela et qu'elle devrait servir à mobiliser des bois et à avancer dans l'innovation. En matière d'innovation, un enjeu est par exemple l'utilisation des bois de feuillus pour pouvoir faire des accessoires et du lamellé-collé, alors qu'on ne le fait aujourd'hui encore qu'avec du résineux.
Sur la question du CASDAR, je suis entièrement d'accord avec Daniel Gremillet pour dire que les cotisations étant à 100 % payées par les paysans, elles devraient revenir à 100 % à l'agriculture. Puisque nous sommes aujourd'hui à 126 millions d'euros pour des cotisations à hauteur de 140 millions d'euros, nous essayons toutes les années, depuis 2 ou 3 ans, d'affecter l'écart, soit près de 40 millions d'euros sur plusieurs années, à une nouvelle politique. L'objectif est ainsi de souligner que cette somme devrait, au lieu de s'éclipser dans la dette abyssale, être, au contraire, tracée pour aider les évolutions nécessaires de l'agriculture.
Concernant le suicide, les aides annoncées vont dans le sens de l'amélioration. Je reste néanmoins persuadé que nous n'avons pas traité les racines du mal. Le ministre a dans son propos évoqué hier un point qui peut constituer un premier élément de réponse : la suppression de la phrase « mise en demeure » dans les lettres de la MSA. On devrait attribuer cette phrase « mise en demeure » à toutes les injonctions que l'on demande à l'agriculture, parce que l'agriculteur est soumis sans arrêt à une multitude de mises en demeure. Je ne connais pas une autre profession qui fait face à cela.
Le Conseil d'État a par ailleurs cette semaine lui-même mis en demeure le Gouvernement pour la mise en demeure des agriculteurs sur les zones Natura 2000, en y interdisant l'utilisation des produits phytosanitaires ou en les réglementant de façon extrêmement importante. Alors qu'on nous a toujours expliqué que les zones Natura 2000 ne devaient pas constituer des contraintes économiques, on y vient aujourd'hui. Comment vouloir entraîner les agriculteurs dans une transition écologique lorsque tout ce qu'ils finissent par accepter se retourne contre eux comme étant des contraintes supplémentaires et des mises en demeure ? Il ne faut, par conséquent, pas s'étonner si des agriculteurs se suicident, parce qu'à force d'avoir une multitude de mises en demeure, ils se mettent, au bout d'un certain temps, eux-mêmes en demeure en supprimant leur vie. C'est ça la réalité de ce que l'on vit.
Je suis entièrement d'accord avec Henri Cabanel sur le TO-DE. Il est regrettable que le gouvernement refuse la pérennisation, parce que l'impact de cette mesure sur les finances publiques ne change rien à la dette abyssale que nous sommes en train de créer tous les jours.
Sur le PLFSS, Henri Cabanel a aussi raison : l'Assemblée nationale a supprimé la possibilité de l'option de l'année N, ce qui est, à mon avis, une mauvaise décision. En effet, je ne vois pas quels arguments pourraient justifier la suppression de la mesure. Nous ne demandons pas l'absence de cotisations, mais uniquement d'avoir des options, afin de gérer au mieux l'assiette sur laquelle repose cette cotisation au vu des évolutions régulières, année après année, des recettes de l'exploitation. Ces dernières peuvent être soumises à des aléas et par conséquent être amoindries.
Concernant le propos de Franck Montaugé, je pense qu'il faut se saisir rapidement des plans de filière. Diminuer les cheptels bovins, comme annoncé par les départements - avec 45 000 vaches en moins dans la Manche -, c'est décapitaliser le cheptel français, c'est limiter le niveau de production et, par définition, c'est ouvrir encore un peu plus grandes les portes des importations. En définitive, ce seront des problèmes environnementaux ou de paysages colossaux.
Sur le cheptel français, le risque est relativement simple : le jour où l'on aura diminué de façon drastique le cheptel français, ce qui fera que l'on ne pèse plus suffisamment sur le marché parce que l'on devient de moins en moins important, alors le marché se détournera. Cela ne signifie pas qu'il ne trouvera pas les possibilités de contribuer à l'alimentation des Français, mais il se détournera. Ainsi, là où l'on pouvait peser sur des projets de filières, parce qu'il y avait une taille suffisante pour avoir un projet, ça ne sera plus le cas. Nous commençons à le voir dans de nombreuses productions. La lentille verte du Puy, concurrencée par une lentille canadienne pleine de glyphosate, l'illustre. Alors que 4 500 tonnes de lentilles vertes du Puy étaient produites il y a 10 ans, ce ne sont plus que 800 tonnes cette année. Par conséquent, tous ceux qui voudront manger une AOP de ce type de lentilles ne le pourront plus : si nous poursuivons cette trajectoire durant les deux prochaines années, la lentille verte du Puy disparaîtra complètement de la production française.
Enfin, concernant le coût de revient et les charges, Madame la Présidente, vous connaissez notre avis sur la loi Egalim 2 et le ruissellement attendu. Ce dernier n'est pas encore arrivé et nous espérons encore le voir se réaliser.
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Écologie, développement et mobilité durables » - crédits « Énergie » - Examen du rapport pour avis
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Rejeté hier par le Sénat, le projet de loi de finances (PLF) pour 2022 intervient dans un contexte très particulier pour le secteur de l'énergie : sur le plan économique, on assiste à une augmentation exponentielle des prix ; sur le plan politique, on observe une accélération illisible des annonces.
Ce contexte suscite de vives inquiétudes chez les consommateurs d'énergie, particuliers comme professionnels. Il nous rappelle combien, à l'approche de l'hiver, l'accès à l'énergie est fondamental.
Les crédits « Énergie » de la mission « Écologie » s'élèvent à 12,5 milliards d'euros pour 2022.
Ils sont complétés par le « Plan de relance », rattaché à la mission « Relance » : sur 110 milliards d'euros prévus sur deux ans, un dixième sont alloués à la transition énergétique.
Ils sont aussi complétés par le « Plan France 2030 », rattaché à la mission « Investissements d'avenir » : la transition énergétique concentre un tiers des 30 milliards d'euros annoncés d'ici 2030.
Toutefois, il faut relativiser cet apparent effort budgétaire :
- la hausse de 42 % du programme 174 « Énergie, climat, après-mines » est due à un redéploiement de crédits, non à leur revalorisation ;
- la baisse de 8 % du programme 345 « Service public de l'énergie » s'explique par la hausse des prix des énergies, non par des économies ;
- avec 360 millions d'euros, le compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (CAS FACÉ) est stable ;
- enfin, le compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » (CAS TE), et ses 6 milliards d'euros, a été supprimé le 1er janvier 2021.
La flambée des prix des énergies est sans précédent. Du printemps 2020 à l'automne 2021, les prix de gros des énergies ont été multipliés par 2 pour le gaz naturel, 3 pour le pétrole et 9 pour l'électricité. Il en a résulté une hausse des tarifs réglementés de vente, de 12 % pour le gaz, en octobre dernier, et de 4 % pour l'électricité, en février prochain.
Or, cette flambée était prévisible : dès juin 2020, la commission des affaires économiques, dans son plan de relance, avait alerté sur « un effet inflationniste en sortie de crise, les prix étant susceptibles de «flamber» », plaidant pour « revaloriser substantiellement le montant du chèque énergie ».
Nous avions même proposé, puis défendu en séance publique, en juillet et novembre 2020, un amendement budgétaire en ce sens !
Cette flambée pèse sur le pouvoir d'achat des ménages. Selon le Médiateur national de l'énergie (MNE), 95 % des ménages constatent une hausse, 60 % restreignent leur chauffage et 25 % diffèrent leurs paiements. Elle augmente le risque de précarité énergétique. Pour l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), déjà 3,5 millions de ménages sont touchés.
Cette flambée pèse sur les coûts de production des entreprises. Le Gouvernement m'a indiqué constater cette année une augmentation de 34 % de la facture d'énergie pour le secteur de l'industrie, le pire étant à venir en 2022. Cette hausse est particulièrement notable pour les 400 entreprises énergo-intensives, qui consomment la moitié de l'énergie de ce secteur. Pour elles, ce surcoût serait d'1 milliard d'euros, selon les professionnels !
À terme, cette flambée désorganise le marché de l'énergie. Les litiges se multiplient déjà entre consommateurs et fournisseurs, l'activité du MNE ayant crû de 15 % en douze mois ! Certains fournisseurs font défaut, à l'image de E. Leclerc Énergies et de ses 140 000 abonnés !
Or les fournisseurs de secours et de recours pour le gaz, qui auraient dû être désignés en application de la loi « Énergie-Climat » de 2019, ne sont pas encore opérationnels. Il en va de même de certains correspondants solidarité-précarité, liant fournisseurs et élus locaux, selon un décret de 2008.
C'est une anomalie : je souhaite que le Gouvernement la corrige ! Je rappelle que la désignation d'un fournisseur de secours pour l'électricité a été réalisée il y a quelques semaines seulement, le président-directeur général (PDG) d'EDF nous l'ayant annoncé à l'occasion de son audition... Face à cette flambée, le « bouclier tarifaire » proposé par le Gouvernement est tardif et limité.
L'attribution de 100 euros via le « chèque énergie » ou l'« indemnité inflation » est dérisoire, les prix à la pompe dépassant 1,5 euros par litre. Ces 100 euros, c'est l'équivalent d'un plein !
Les tarifs règlementés de vente, sur lesquels se focalisent les blocages ou compensations de prix, ne concernent que 7,5 % de la consommation nationale de gaz et 28 % de celle d'électricité. L'essentiel des consommateurs sont donc soumis aux fluctuations du marché !
Les entreprises énergo-intensives ne bénéficient que d'une avance de 150 millions d'euros, une aide 6 fois inférieure aux besoins !
Enfin, les baisses de taxes sur la consommation d'énergie sont facultatives, activables par décret, et transitoires, limitées à un an. Pire, la baisse de la fiscalité sur le gaz ne concerne que les ménages, au contraire de celle sur l'électricité qui vise aussi les entreprises.
Aussi, j'appelle le Gouvernement à consolider les aides aux ménages et aux entreprises. Il doit également être attentif à la situation des autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE), c'est-à-dire les collectivités territoriales propriétaires des réseaux de distribution d'électricité ou de gaz, car leurs groupements d'achat s'en trouvent déstabilisés.
Je pense aussi crucial d'évaluer le coût et l'application du « bouclier tarifaire » : mises bout à bout, les dépenses - éclatées entre le projet de loi de finances pour 2022 et le projet de loi de finances rectificative - seraient de plus de 10 milliards d'euros, selon le Gouvernement ! Nous attendons plus de visibilité et d'efficacité dans la dépense publique !
Plus largement, les crédits « Énergie » sont insatisfaisants pour réussir la décarbonation de notre économie.
Premier domaine : la transition énergétique
Cette année, le CAS TE a été clos, alors qu'il permettait de flécher les recettes de la fiscalité énergétique vers les projets d'énergies renouvelables, concourant ainsi au consentement à l'impôt !
Compte tenu de la flambée des prix, les charges de service public de l'énergie, qui sont au fondement des dispositifs de soutien public aux énergies renouvelables, devraient fortement diminuer en 2022.
En effet, plus le prix de l'électricité est élevé, plus le niveau de ces charges est faible ; selon la Commission de régulation de l'énergie (CRE), on constate déjà une économie d'1 milliard d'euros pour l'année 2021 !
Les dépenses de soutien aux énergies renouvelables, désormais intégrées au budget général, connaissent des évolutions contrastées : + 31 % pour le biogaz, + 567 % pour les effacements, + 9 % pour les dispositifs sociaux mais - 9 % pour les énergies renouvelables électriques et - 5 % pour la cogénération.
Je retiens de mon audition de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) que les 350 millions d'euros alloués au Fonds chaleur ne permettent pas de financer les projets identifiés pour 2022 !
De plus, le fonds de revitalisation des territoires touchés par les fermetures de centrales - en l'espèce les 4 centrales à charbon et celle nucléaire de Fessenheim - ne bénéficient d'aucune autorisation budgétaire en 2022 !
Je souhaite que le Gouvernement revalorise ces deux fonds.
Deuxième domaine : la rénovation énergétique. Cette année, le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) a été supprimé au profit de MaPrimeRénov', dont je salue l'ouverture aux propriétaires-bailleurs et aux copropriétés !
Cette situation n'est pas satisfaisante : les crédits alloués à la prime en 2022 sont inférieurs de 13 % à ceux du CITE en 2018 ! Les bénéficiaires de la prime en 2021 sont inférieurs de 79 % à ceux du CITE en 2018 !
Surtout, MaPrimeRénov' connaît des difficultés de gestion par l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) : 290 000 primes ont ainsi été versées en 2021, contre un objectif de 500 000 ! Pire, seules 136 primes ont été versées aux propriétaires-bailleurs et 69 aux copropriétés !
Troisième domaine : la mobilité propre. Là aussi, le constat est mitigé : le montant de la prime à la conversion et du bonus automobile est en baisse de 17 % par rapport à 2021.
Cela s'explique par l'instabilité normative de ces dispositifs, la prime à la conversion et le bonus automobile devant être resserrés au 1er juillet prochain.
Cela nuit à leur déploiement : seuls 185 000 primes à la conversion et 100 000 bonus ont été attribués en 2020, contre des objectifs de 250 000 et 110 000.
Dernier point sur les crédits « Énergie » : les opérateurs. Mes auditions m'ont convaincu que l'État leur confie toujours plus de missions, avec parfois moins de moyens. Ainsi, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) n'est pas en mesure de réaliser ses opérations sur 2 sites industriels, le MNE de régler les litiges dans un délai de 90 jours et l'Ademe de suivre les projets du plan de relance.
Il faut relever la subvention du premier et les effectifs des autres.
Autre particularité de ce projet de loi de finances, les crédits « Énergie » extérieurs à la mission sont 2 fois plus élevés !
Je ne peux que me réjouir que la décarbonation, dont l'énergie nucléaire, soit devenue une priorité budgétaire. Nous avions appelé à faire de la neutralité carbone l'aiguillon du plan de relance, dans nos travaux sur la crise de la Covid-19, dès juin 2020. Nous avions aussi appelé à garantir la prédominance de l'énergie nucléaire, dès notre résolution, de mai 2021.
Pour autant, il y a beaucoup à dire sur ces financements hors mission.
Premier point : le plan de relance. Les dépenses en faveur de la transition énergétique atteignent 13,5 milliards d'euros en deux ans, dont 3 milliards cette année.
Cependant, des difficultés sont notables. La maquette budgétaire est partagée entre les missions « Relance » et « Écologie », les responsables de programmes et les indicateurs de performance étant différents ! Plusieurs « angles morts » sont à déplorer : seuls 200 millions d'euros, soit 0,18 % des crédits, sont alloués à l'énergie nucléaire, tandis que les énergies renouvelables - à commencer par l'hydroélectricité, les biocarburants ou le biogaz - ne bénéficient d'aucun soutien. Enfin, il faut offrir davantage de visibilité, car les crédits s'achèvent dès 2022 alors que les investissements nécessaires à la transition énergétique - à commencer par les chantiers de rénovation énergétique - supposent du temps long.
J'attends donc du Gouvernement que le plan de relance intègre mieux les énergies nucléaires comme renouvelables.
Deuxième point : le plan d'investissement. Les dépenses en faveur de la transition énergétique représentent 12 milliards d'euros d'ici 2030, dont 8 milliards pour l'énergie.
Toutefois, ici aussi, des difficultés sont palpables. Présenté par un amendement gouvernemental, le plan n'a fait l'objet d'aucune étude d'impact. Le montant d'1 milliard réservé à l'énergie nucléaire est limité au regard des annonces faites par le Président de la République et le montant de 500 millions d'euros attribué aux Small Modular Reactors (SMR) est inférieur à ceux consentis aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Il est dommage que ce plan ne soit pas pleinement mobilisé au profit du nouveau nucléaire, en prenant aussi en compte les European Pressurized Reactors (EPR), les réacteurs de 4e génération ou l'effort de recherche en faveur de la « fermeture du cycle du combustible ». De plus, le soutien à l'hydrogène doit bénéficier à celui issu de l'énergie nucléaire, l'aide aux transports propres doit intégrer les biocarburants et l'appui aux technologies de rupture doit comprendre le biogaz. Aucun soutien n'est prévu pour les chantiers de rénovation énergétique, ce qui est curieux vu les enjeux !
Il est donc crucial que le Gouvernement fasse du plan d'investissement le levier du nouveau nucléaire : c'est mon voeu !
Dernier point sur les financements « hors mission » : le CAS FACÉ.
Si ce compte a été abondé de 50 millions d'euros dans le cadre du plan de relance, ce montant est trop faible pour aider les collectivités rurales : en moyenne, seul 1 projet a été retenu sur 6 présentés, selon la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR).
J'appelle le Gouvernement à transformer le FACÉ en un véritable outil territorial au service de la transition énergétique.
Si les crédits « Énergie » sont donc peu concluants, il en est de même de la fiscalité énergétique.
Alors que le Gouvernement s'était engagé à un « gel » en 2018, le budget, tel que déposé, prévoit une hausse de 2 milliards d'euros des taxes intérieures sur la consommation d'énergie : cette hausse est de 4 % pour l'électricité et le gaz, 5 % pour le pétrole et 12,5 % pour le charbon.
Aussi, la baisse des taxes intérieures sur la consommation d'électricité ou de gaz, annoncée dans le cadre du « bouclier tarifaire », va voir ses effets partiellement contrebalancés par cette hausse initiale...
Dans le même temps, les dépenses fiscales diminuent de 4 milliards d'euros, en baisse de 13 % en 2 ans, avec l'extinction d'incitations fiscales utiles : la diminution pour les transporteurs routiers, l'exonération pour le biogaz injecté, la diminution pour les carburants « sous conditions d'emploi ».
Alors que la France est le 1er pays européen en termes de fiscalité énergétique, avec 47 milliards d'euros, je constate que le Gouvernement n'a pas choisi de baisser massivement cette fiscalité, comme en Espagne ou en Allemagne.
Au total, il me semble que la flambée des prix des énergies, non anticipée par le Gouvernement, rend les crédits « Énergie » déjà obsolètes.
Au-delà de ces critiques, je souhaite sincèrement que le Gouvernement donne une traduction budgétaire forte aux annonces récentes en direction de l'énergie et de l'hydrogène nucléaires.
Notre commission y veillera dans ses prochains travaux de contrôle.
Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial pour la commission des finances. - L'évolution très fluctuante des charges de service public de l'énergie nous a beaucoup interpellés à la commission des finances. Cette évolution est liée à celle des prix des énergies sur les marchés de gros.
Alors que l'État avait apporté des crédits en 2019 et 2020 - puisque la baisse des prix avait entraîné une hausse des charges de service public -, on observe des mouvements dans l'autre sens, en 2021 et 2022. Ces mouvements sont très significatifs car, si l'on en croit la dernière délibération de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) du mois d'octobre, les charges prévisionnelles pour 2022 pourraient être réduites de 2,7 milliards d'euros.
À ce jour, le Gouvernement a uniquement fait une reprise de charges à hauteur de 405 millions d'euros. Une partie viendra compenser les surcoûts de 2019 et de 2020. Toutefois, dans la mesure où l'on a également une baisse qui pourrait être de l'ordre de 1,5 milliard d'euros sur les charges de 2021, il faut tout de même s'attendre à des mouvements de régularisation très forts en 2023 sur le programme 345.
Autre point soulevé à la commission des finances, qui n'a pas été abordé par le rapporteur : la révision des contrats photovoltaïques, qui a été introduite par la loi de finances pour 2021.
J'ai conduit une mission d'information sur ce thème, qui avait déjà mis en avant le fait que le Gouvernement était très en retard sur le calendrier initialement prévu. Les textes d'application réglementaire ont été pris à la fin du mois d'octobre et dans les premiers jours du mois de novembre.
Les tarifs révisés s'appliqueront donc à compter du 1er décembre 2021. À ce moment, la clause de sauvegarde va également entrer en vigueur ; elle permet à chaque producteur qui verrait son tarif révisé de demander un recalcul sur la base de ses coûts réels, et non pas des coûts moyens, qui ont servi à la construction du modèle.
À la commission des finances, nous estimons que les économies qui ont été envisagées par le Gouvernement seront bien inférieures aux économies réelles, du fait notamment de cette clause de sauvegarde. On constate - et c'est finalement presque souhaitable, vu le retard pris pour la mise en oeuvre de cette disposition - que rien ne figure sur ce point dans le PLF pour 2022.
Enfin un dernier point de vigilance concerne la filière biogaz. L'année dernière, lors de mon rapport devant la commission des finances, j'avais émis des craintes sur la création d'une bulle, à l'image de ce qui a existé sur le photovoltaïque.
Le Gouvernement a pris un nouvel arrêté tarifaire à la fin de l'année 2021. La seule chose que l'on peut dire, c'est que cet arrêté est intervenu tardivement malgré plusieurs alertes du régulateur. Les charges de service public du biogaz ont été multipliées par 7 entre le PLF 2021 et le PLF 2022. Pour autant, seul un quart des projets - qui relèvent encore de l'ancien dispositif tarifaire - sont en service aujourd'hui, tandis que les autres sont dans la file d'attente de raccordement et d'injection.
Pour conclure, je rejoindrai les propos du rapporteur sur le manque de visibilité sur la filière énergie. En effet, on voit que si nous avons un hiver froid et sans vent, nous allons avoir une augmentation encore plus forte des prix de l'électricité, parce que notre tarif marginal est ajusté au marché du gaz et que le gaz devient une denrée rare et chère. J'ai eu le regret de constater qu'effectivement les crédits engagés vers les nouvelles filières que sont l'hydrogène et le nucléaire sont très faibles. L'année dernière, 600 millions d'euros avaient été ouverts sur les crédits plan de relance pour la filière hydrogène et plus de 580 millions ont été annulés en loi de finances rectificative au mois de juillet. On observe donc qu'il y a eu beaucoup d'effets d'annonce. Les crédits accordés aujourd'hui au nucléaire s'élèvent à 1 milliard d'euros, contre 7 milliards d'euros pour les charges de service public.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Sur le sujet biogaz, le récent rapport d'information sur la méthanisation, de nos collègues Daniel Salmon et Pierre Cuypers, a effectivement soulevé la question du risque d'une bulle.
Projet de loi de finances pour 2022 - Publication des avis budgétaires sous forme de rapports d'information
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, à la suite du rejet de la première partie du projet de loi de finances pour 2022, les avis budgétaires portant sur les missions de la seconde partie du PLF sont devenus sans objet et ne seront pas discutés en séance publique.
Notre commission avait décidé de réserver son vote et de surseoir à se prononcer lors de la présentation des rapports pour avis successifs. Afin de tirer les conséquences de ce choix, il nous revient désormais d'autoriser formellement la publication sous forme de rapports d'information les différents tomes correspondant aux missions budgétaires relevant de notre commission.
Il n'y a pas d'opposition ?
Je vous remercie.
La commission des affaires économiques autorise la publication de ces rapports d'information.
Mission conjointe sur la sécurisation de la chasse - Désignation des membres
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, la Conférence des présidents qui s'est réunie hier soir ayant acté le renvoi en commission de la pétition sur la chasse ayant franchi le seuil des 100 000 signatures, il nous revient de désigner les membres cette mission conjointe, qui portera sur la question de la sécurisation de la chasse et associera des sénateurs de la commission des affaires économiques et de la commission des lois.
Cette mission conjointe comportera 19 membres dans le respect de l'équilibre proportionnel des groupes politiques, la répartition de la composition entre les deux commissions étant libre. Voici les représentants désignés par les groupes pour la commission des affaires économiques : Mme Sophie Primas, Mme Martine Berthet, M. Patrick Chaize, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Laurent Somon, M. Sebastien Pla, M. Serge Mérillou, Mme Anne-Catherine Loisier, M. Pierre Louault, M. Bernard Buis, M. Franck Menonville et M. Daniel Salmon.
Il en est ainsi décidé.
Désignation d'un rapporteur
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, la commission des affaires européennes examinera tout à l'heure, à 13 h 30, le rapport d'information, la proposition de résolution européenne et l'avis politique de MM. Claude Kern, Daniel Gremillet et Pierre Laurent sur l'inclusion du nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie européenne des investissements durables.
À la suite de son adoption, cette proposition de résolution européenne sera renvoyée au fond à notre commission, qui l'examinera dès mercredi prochain, le 1er décembre. Le délai limite pour le dépôt des amendements sur ce texte sera lui fixé au lundi 29 novembre à 12 heures.
Je vous propose la candidature de notre collègue M. Daniel Gremillet pour être rapporteur sur cette PPRE.
Il n'y a pas d'opposition ?
Je vous remercie.
M. Daniel Gremillet est désigné rapporteur sur la proposition de résolution européenne n° 214 (2021-2022) sur l'inclusion du nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie européenne des investissements durables.
La réunion est close à 11 h 50.
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Projet de loi de finances pour 2022 - Audition de Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, pour échanger sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et, plus généralement, sur la très riche actualité de notre politique énergétique nationale.
Rejeté hier par le Sénat, le projet de loi de finances (PLF) pour 2022 intervient dans un contexte très particulier pour le secteur de l'énergie, avec un vif débat sur l'évolution des prix à court terme, mais aussi du mix, à plus long terme.
Notre commission se réjouit que la politique énergétique du Gouvernement ait gagné ces derniers jours en rationalité, avec les annonces du Premier ministre sur le « bouclier tarifaire », et celles du Président de la République sur le « retour en grâce » de l'énergie et de l'hydrogène nucléaires. Pour autant, notre commission déplore le caractère tardif et limité de ces annonces.
Il est regrettable que le Gouvernement ait attendu le début de l'hiver pour agir contre la flambée des prix des énergies. Dès juin 2020, notre commission, dans son plan de relance, avait alerté sur « un effet inflationniste en sortie de crise, les prix étant susceptibles de «flamber» ». Nous avions même proposé, puis défendu par un amendement budgétaire, en juillet et novembre 2020, une revalorisation du chèque énergie.
En réponse à cette alerte, l'ancienne ministre de l'énergie avait indiqué : « les factures d'énergie ne vont pas augmenter » !
Or la situation s'est, depuis lors, considérablement dégradée. Les litiges se multiplient entre consommateurs et producteurs : confronté à une hausse de son activité de 15 % en douze mois, le Médiateur national de l'énergie (MNE) n'est plus en mesure de respecter les délais réglementaires.
Certains fournisseurs font défaut, à l'image de E. Leclerc énergies, alors que les fournisseurs de secours et de recours pour le secteur du gaz, prévus par la loi « Énergie-Climat », ne sont pas encore opérationnels.
Madame la ministre, comptez-vous renforcer le « bouclier tarifaire » pour faire face à cette flambée des prix ? Allez-vous relever les effectifs du MNE ? Quand les fournisseurs de secours et de recours seront-ils opérationnels ?
Il est tout aussi regrettable que le Gouvernement ait attendu six mois avant la fin du quinquennat pour revaloriser l'énergie nucléaire. Nous l'avions proposé, dès la loi « Énergie-Climat » de 2019, dans la résolution que nous avons adoptée en mars 2021, et dans la loi « Climat et résilience » en août dernier. Si notre commission avait accepté la loi « Énergie-Climat », c'est notamment parce qu'elle permettait de reporter de dix ans les arrêts de réacteurs existants : c'était un premier pas utile à la revalorisation de la filière !
Or, quelques semaines après l'adoption de ce texte, le Gouvernement avait annoncé l'abandon du démonstrateur Astrid, qui portait en lui la promesse du réemploi des déchets nucléaires comme combustibles.
C'est tout à fait contradictoire car on ne peut pas relancer l'énergie nucléaire sans investir dans la gestion des déchets. Ce n'est d'ailleurs pas responsable sur le plan environnemental - auquel nous portons tous une grande attention !
J'observe que Réseau de transport d'électricité (RTE), dans son scénario à 50 % d'énergie nucléaire, plaide pour renforcer l'effort de recherche et développement (R&D) en direction de la « fermeture du cycle du combustible ».
Madame la ministre, allez-vous revenir sur l'abandon du démonstrateur Astrid ? Un tel effort de R&D sera-t-il repris pour améliorer le recyclage des combustibles, la gestion des déchets, mais aussi la sûreté des installations ?
Notre commission avait aussi proposé, dans sa résolution de mars 2021, de « préserver la prédominance du nucléaire au sein de notre mix ».
En réponse, le ministre chargé des transports a affirmé : « Nous avons fait le choix de ramener progressivement la part du nucléaire de 70 % à 50 % du mix électrique d'ici à 2035 ».
Là encore, la position du Gouvernement est contradictoire car on ne peut pas revaloriser l'énergie nucléaire sans consolider sa place dans notre mix. Ce n'est, à l'évidence, pas logique sur le plan énergétique.
Je rappelle que le président-directeur général (PDG) d'EDF a indiqué à notre commission, il y a quelques jours, qu'il faut s'attendre, d'ici à 2050, à une augmentation annuelle de 2 % de l'électricité, et non de 1 % comme envisagé par RTE : autrement dit, le scénario à 50 % d'énergie nucléaire de RTE pourrait ne pas suffire.
Madame la ministre, quelle est votre position sur ce sujet ? Va-t-on revenir sur l'objectif de réduction de la production d'énergie nucléaire à 50 % d'ici à 2035, inscrit à l'article L.100-4 du code de l'énergie ?
Enfin, alors que la loi « Climat et résilience » était muette sur l'énergie nucléaire, notre commission a introduit l'unique article la concernant, fixant des conditions strictes aux prochains arrêts de réacteurs existants. Ce ne fut pas simple, puisque vous vous étiez vous-même fortement opposée à cet article en séance publique ; je crois me souvenir qu'il fut qualifié de « ni fait ni à faire »...
À nouveau, nous évoluons en pleine contradiction : on ne peut pas annoncer de nouveaux réacteurs en fermant ceux qui existent. Dès lors que ces réacteurs sont fonctionnels au regard des règles de sûreté, ce n'est pas rationnel sur un plan budgétaire. C'est même franchement un non-sens !
Je relève que RTE, dans son scénario à 50 % d'énergie nucléaire, estime nécessaires non seulement la construction de 14 réacteurs pressurisés européens (EPR) et de 4 gigawatts de small modular reactor (SMR), mais aussi la prolongation des réacteurs existants au-delà de soixante ans.
Madame la ministre, allez-vous revenir sur les arrêts de réacteurs annoncés ? Combien d'EPR ou de SMR allez-vous développer ? Selon quel calendrier, pour quel coût et avec quel financement ?
J'espère que notre audition sera l'occasion de clarifier les intentions du Gouvernement sur tous ces sujets cruciaux, car ils conditionnent la relance de notre économie, sa pérennité, sa souveraineté, mais aussi sa décarbonation.
En matière d'énergie, a fortiori nucléaire, le « en même temps » n'est tout simplement pas possible, car toute ambiguïté dans les choix de production finit toujours par se payer, l'hiver venu, sur la facture des consommateurs.
La matière est trop engageante pour être laissée à l'improvisation, puisque les investissements nécessaires se chiffrent en dizaines d'années et en milliards d'euros.
Je vous laisse répondre à ces questions, puis nos collègues vous interrogeront, à commencer par Daniel Gremillet, rapporteur sur les crédits « Énergie ».
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. - Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le Sénat a décidé hier de rejeter l'article d'équilibre du PLF pour 2022. Par conséquent, mon budget ne sera pas examiné en séance publique - j'en prends acte.
Cette audition me permet toutefois de vous présenter les grandes lignes du PLF pour 2022 qui concernent mon ministère. Je m'attarderai en particulier sur notre budget en matière d'énergie, car c'est un moteur essentiel de la transition écologique et énergétique que mon Gouvernement porte. Avec ce budget, nous faisons le choix de nous projeter résolument dans l'avenir avec, à l'horizon, le projet de faire émerger une société en capacité de répondre aux grands défis de notre temps : l'écologie, bien sûr, mais aussi l'indépendance énergétique, industrielle et technologique, pour être pleinement maîtres de nos choix en matière d'énergie, d'écologie et au-delà.
Je tiens d'abord à souligner que ce projet de loi de finances est historique en matière d'environnement. Cette année, le budget de mon ministère s'élève à près de 49,9 milliards d'euros ; c'est un niveau jamais atteint auparavant.
Je suis fière que ce Gouvernement ait mis des moyens à la hauteur de nos ambitions pour la transition écologique dans tous les domaines, qu'il s'agisse de la protection de la biodiversité, qui aura bénéficié d'une augmentation de 107 millions d'euros depuis 2018 - soit + 80 % -, de la politique de prévention des risques et de santé environnementale, qui franchit cette année le cap historique de 1 milliard d'euros avec une hausse de 82 millions d'euros, ou encore du coup de frein mis aux baisses d'effectifs de mon ministère, limitée à 0,6 % pour 2022, soit 350 emplois en moins, contre 1 200 en 2021. En bref, ce budget 2022 mise résolument sur l'écologie.
Par ailleurs, il s'ajoute aux 30 milliards d'euros du Plan de relance qui sont consacrés à la transition écologique. Et l'ensemble de cet effort sera renforcé par le plan d'investissement « France 2030 », annoncé par le Président de la République le 12 octobre dernier, dont près de la moitié, soit 15 milliards d'euros, est également consacrée à l'écologie.
Enfin, vous le savez, ce projet de loi de finances poursuit le changement de paradigme opéré avec le « budget vert », qui nous permet de mesurer l'impact des recettes et des dépenses sur l'environnement.
Ce nouveau prisme de l'action publique sera utile pour mettre en oeuvre les transformations profondes qui nous attendent afin d'être au rendez-vous européen de la baisse d'au moins 55 % de nos émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici à 2030, et d'atteindre in fine la « neutralité carbone » en 2050.
Je veux aujourd'hui vous détailler les grandes lignes de mon budget en matière de transition énergétique, la première des transformations que nous devons enclencher.
Pour nous mettre sur la trajectoire de la « neutralité carbone », nous disposons de trois piliers, d'importance égale ; le premier pilier de notre action vise la sobriété énergétique.
Notre objectif est fixé par la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) : il s'agit de baisser de 40 % notre consommation d'énergie d'ici à 2050. Nous encourageons ainsi les travaux de rénovation thermique, avec le dispositif MaPrimeRénov', qui a reçu plus de 700 000 demandes cette année. Cette politique fonctionne et a trouvé son public. Elle doit encore être améliorée pour que tout le monde puisse y avoir accès, et je crois que ce que nous avons fait dans la loi « Climat et résilience » avec le dispositif « Mon Accompagnateur Rénov' » permettra d'améliorer son fonctionnement et l'efficacité des rénovations qui seront ainsi engagées.
C'est pourquoi le budget qui vous est présenté intègre 2 milliards d'euros pour MaPrimeRénov', à savoir trois fois le montant prévu avant la crise sanitaire.
Par ailleurs, en complément des crédits du PLF pour 2022, le Gouvernement encourage, dans le cadre de « France Relance », des projets de sobriété énergétique dans l'industrie et de réduction des émissions de CO2, à hauteur de 1,2 milliard d'euros en 2021 et 2022.
Enfin, le Gouvernement oeuvre pour la modernisation du parc automobile. Le bonus écologique et la prime à la conversion, qui devraient totaliser plus de 2 milliards d'euros sur 2021 et 2022, incitent ainsi les Français à acquérir des véhicules moins polluants.
Une dynamique s'est déjà amorcée, puisque, en octobre 2021, plus de 13 % des voitures immatriculées étaient des véhicules électriques, et près de 10 % des véhicules hybrides rechargeables.
Face à ce succès, le bonus pour les véhicules électriques et la prime à la conversion seront maintenus à leur niveau actuel au 1er janvier prochain.
Aux côtés de la réduction de notre consommation d'énergie, le deuxième pilier de notre politique énergétique repose sur un développement soutenu des énergies renouvelables. Pourquoi ? Parce que, en tant que ministre chargée de l'énergie et de la transition écologique, mon premier objectif est de baisser nos émissions de GES en vue de la « neutralité carbone » en 2050 et au regard des objectifs du « Paquet climat européen ».
Mon second objectif est d'assurer la sécurité d'approvisionnement de nos concitoyens en énergie, notamment en électricité, pour subvenir à leurs besoins : c'est une évidence.
Pour baisser nos émissions, nous devons d'abord baisser notre consommation d'énergie qui émet des GES, c'est-à-dire d'énergies fossiles. C'est la raison pour laquelle nous avons d'abord besoin de sobriété énergétique : plus nous faisons d'économies d'énergie, moins nous en avons besoin. Ensuite, nous devons passer de l'utilisation des énergies fossiles à l'utilisation de l'électricité, celle-ci étant beaucoup moins carbonée que dans d'autres pays. C'est le sens de la promotion des véhicules électriques, plutôt que thermiques, ou du chauffage électrique, plutôt qu'au gaz. C'est aussi le sens de notre travail sur le gaz vert, pour favoriser cette transition.
Tout cela va entraîner une forte augmentation de la demande en électricité. Cette demande a été modélisée par RTE dans son dernier rapport, dont je vous recommande la lecture. Nous allons donc devoir développer la production d'électricité décarbonée, à savoir le nucléaire et les énergies renouvelables.
Le nucléaire ne pouvant pas être utilisé comme nouvelle source d'énergie dans l'immédiat - il faut quinze ans pour construire une centrale et la faire fonctionner -, nous avons décidé d'investir massivement dans les énergies renouvelables.
Ce choix est conforme aux objectifs ambitieux qui ont été fixés par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Nous devons passer à 40 % d'électricité produite par les énergies renouvelables en 2030. Aujourd'hui, celles-ci représentent 25 % de notre électricité, contre 21 % encore en 2018.
Pour accélérer le développement indispensable des énergies renouvelables - de toutes les énergies renouvelables -, nous avons besoin d'investir : ce budget prévoit que 6,1 milliards d'euros leur seront consacrés en 2022.
Par ailleurs, pour l'année qui vient, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) verra sa subvention croître de 50 millions d'euros, ce qui lui permettra de poursuivre ses actions non seulement en matière de chaleur renouvelable, mais aussi d'économie circulaire, d'aides à la dépollution des sites pollués et à la réhabilitation des friches.
Parce qu'il s'agit d'une de nos priorités, le budget consacré au service public de l'énergie a augmenté, au total, d'un quart depuis le début du quinquennat ; il a doublé depuis 2012.
Enfin, le dernier pilier de notre politique énergétique, c'est le nucléaire. S'il est aujourd'hui largement majoritaire dans notre mix électrique, sa part a vocation à diminuer à mesure que les énergies renouvelables se développent, mais il restera un élément essentiel de notre mix électrique. Le Président de la République a annoncé que nous allions construire de nouveaux réacteurs nucléaires. L'objectif est de permettre, à partir de 2035, la poursuite de l'électrification des usages et le remplacement d'une partie des réacteurs existants qui arriveront en fin de vie.
Madame la présidente, nous souhaitons maintenir l'objectif de 50 % de nucléaire en 2035 pour des raisons assez simples. D'abord, nous avons un besoin d'investir dans les énergies renouvelables, faute de quoi nous aurons très rapidement des problèmes. Ensuite, nos réacteurs, qui ont tous été construits dans un laps de temps très court, sont vieillissants et devront être arrêtés quasiment en même temps ; nous devons donc les remplacer.
Comme l'ont très bien rappelé les récents rapports de RTE et de la Cour des comptes, nous allons être confrontés à un « effet falaise » si nous attendons la fin de vie de tous les réacteurs. Cela signifie que, si l'on ne programme pas les arrêts de réacteurs en les lissant, nous allons devoir tout arrêter en même temps et en gérer les conséquences, en termes de capacités de remplacement, de démantèlement des sites ou de besoins en personnels... Tout cela demande un minimum d'anticipation. Nous estimons donc plus prudent de prévoir un lissage de ces arrêts, plutôt que d'y procéder simultanément.
Par ailleurs, pour prolonger un réacteur au-delà de cinquante, puis de soixante ans, nous avons besoin de la validation de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Nous devons donc disposer de marges de sécurité, en anticipant un éventuel refus de l'ASN de prolonger tel ou tel réacteur.
L'ASN nous a d'ailleurs alertés sur le fait que le troisième scénario nucléaire de RTE, le scenario « N03 », comportait beaucoup d'incertitudes, notamment sur la possibilité de poursuivre au-delà de soixante ans un certain nombre de réacteurs. Cela pourrait être possible en théorie, sous réserve d'un examen réacteur par réacteur, pour un certain nombre de réacteurs mais pas pour tous, loin de là ! Nous devons donc être prudents et ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier.
Le plan « France Relance » prévoit des investissements pour la sûreté nucléaire, les compétences des personnels ou la gestion des déchets. Le cycle des déchets est également intégré au plan « France 2030 ».
S'agissant du démonstrateur Astrid, l'objectif était d'aller encore plus loin dans le traitement et le recyclage du combustible nucléaire usé, afin de réduire notre consommation en uranium naturel. Ce projet avait été lancé en 2010 ; depuis lors, plusieurs éléments sont intervenus. Dans le cadre de la PPE, le Gouvernement, en lien avec la filière nucléaire, a acté que le besoin d'un démonstrateur industriel de ce type s'était éloigné de plusieurs décennies, sans pour autant être supprimé, parce que les ressources en uranium naturel sont aujourd'hui abondantes et disponibles à un prix qui devrait être stable jusqu'à la seconde partie du XXIe siècle, et parce que la recherche conduite depuis plus de vingt ans sur les déchets radioactifs montre que les réacteurs de 4e génération ne conduisent pas à supprimer le besoin d'une solution de stockage de ces déchets. En clair, on ne ferme pas le cycle du combustible avec Astrid !
C'est pour ces raisons, mais aussi pour son coût de plusieurs milliards d'euros, que le démonstrateur Astrid a été suspendu en 2019. Pour autant, nous continuons à maintenir la stratégie de traitement et de recyclage à trois échelles de temps. Vous avez raison d'insister sur la gestion des déchets nucléaires, qui est l'un des problèmes du nucléaire.
Nous poursuivons, à court terme, l'usage du combustible MOX, avec une extension aux réacteurs de 1 300 mégawatts (MW), qui sont plus récents, à moyen terme, le multirecyclage en réacteur des générations actuelles et, à long terme, le multirecyclage en réacteur de 4e génération.
Au-delà de la production énergétique, nous mobiliserons également 4 milliards d'euros pour construire les transports du futur, notamment les véhicules électriques, et pour produire, nous l'espérons, le premier avion bas carbone. Nous disposons d'une stratégie en faveur de l'hydrogène. L'objectif est d'opérer une transformation profonde et au long cours vers une France décarbonée et résiliente, à même de relever les défis de la transition écologique.
Enfin, je veux évoquer les mesures de soutien que le Gouvernement met en place pour accompagner nos concitoyens face à la hausse des prix de l'énergie. Pour soutenir nos concitoyens face à l'explosion des prix du gaz, le Gouvernement a décidé d'offrir un chèque énergie de 100 euros à près de 6 millions de ménages modestes. Par ailleurs, pour protéger l'ensemble des ménages, nous avons bloqué les tarifs réglementés du gaz à leur niveau du 1er octobre 2021 et nous allons plafonner à 4 % l'augmentation des prix de l'électricité en baissant notamment, de manière provisoire, la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE). L'ensemble de ce « bouclier tarifaire » protégera efficacement nos concitoyens face à l'augmentation de leurs dépenses de chauffage cet hiver.
De même, face à la hausse récente des prix du carburant, le Gouvernement prévoit d'instaurer une indemnité inflation de 100 euros. Cette indemnité concernera toute personne gagnant moins de 2 000 euros nets par mois, soit 38 millions de Français. Je sais que le Sénat a fait le choix de retirer cette mesure, lors de son examen du projet de loi de finances rectificative (PLFR) la semaine dernière. Le dispositif que le Sénat propose à la place est, certes, moins coûteux, mais pour la raison simple qu'il concernera un nombre beaucoup plus restreint de Français. Ce dispositif laisse par exemple de côté les retraités et les travailleurs indépendants. Or l'objectif de mon Gouvernement - c'est aussi ma responsabilité de ministre chargée de l'énergie - est de protéger tous les Français face à ces hausses de prix, en ne laissant personne sans solution. Cette mesure a donc heureusement été réintégrée lors de la nouvelle lecture du PLFR à l'Assemblée nationale.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous le voyez, l'écologie et la transition énergétique sont au premier rang de ce budget pour l'année 2022.
De grands défis se trouvent devant nous pour transformer notre mix, faire évoluer les pratiques, notamment industrielles, et réduire efficacement notre empreinte carbone. Mais, aujourd'hui, le Gouvernement prend ses responsabilités en mobilisant des moyens à la hauteur de notre ambition pour l'avenir, un avenir plus durable, plus résilient et plus juste.
M. Daniel Gremillet, rapporteur sur les crédits « Énergie ». - Madame la ministre, je commencerai par le « bouclier tarifaire », qui est largement insuffisant face à la flambée des prix des énergies.
D'une part, l'attribution de 100 euros aux ménages via le chèque énergie ou l'indemnité inflation est l'équivalent d'un plein, pas une solution pour passer l'hiver !
D'autre part, alors que le Gouvernement reconnaît lui-même une hausse de 34 % des coûts de l'énergie pour les industriels, seule une avance de 150 millions d'euros est consentie aux énergo-intensifs, soit six fois moins que ce qui est nécessaire pour les sauver...
Enfin, les baisses de taxes intérieures sur la consommation de gaz (TICGN) ou d'électricité (TICFE) sont facultatives - activables par décret - et transitoires - inférieures à un an.
Allez-vous faire davantage pour les ménages et les entreprises ? Pourquoi ne pas prévoir une baisse de la fiscalité sur le gaz aussi importante que celle sur l'électricité ? Pourquoi ne pas s'engager vers une baisse massive de la fiscalité énergétique, comme l'ont fait l'Espagne ou l'Allemagne ? Je rappelle qu'avec 47 milliards d'euros en 2018, selon la Cour des comptes, la France est le champion européen en la matière.
Les plans de relance et d'investissement paraissent limités compte tenu de nos besoins de décarbonation. Le plan de relance est muet sur les énergies renouvelables et se termine cette année. Pourquoi ne pas y intégrer l'hydroélectricité, les biocarburants et le biogaz ? Quels crédits s'y substitueront l'an prochain ? Tous les acteurs, à commencer par ceux de la rénovation énergétique, ont besoin de visibilité. Et comment mieux mobiliser, dans le cadre du plan de relance, le compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (FACÉ) ? Seul un projet sur six est retenu, aux dires des élus locaux ! Concernant le plan d'investissement, seuls 3 % des crédits vont à l'énergie nucléaire. Ne peut-on pas allouer aux SMR un montant équivalent à celui qui est prévu aux États-Unis ou au Royaume-Uni ? Ne peut-on pas transformer le plan d'investissement en un véritable levier du nouveau nucléaire ? Cela supposerait de promouvoir, aux côtés des SMR, les EPR, les réacteurs de 4e génération ou la « fermeture du cycle du combustible ».
Par ailleurs, pouvez-vous nous indiquer si les montants annoncés en faveur de l'hydrogène, des transports propres et des énergies renouvelables bénéficieront bien, respectivement, à l'hydrogène nucléaire, aux biocarburants et au biogaz ? Et pourquoi exclure la rénovation énergétique du plan d'investissement ?
Lors des auditions préparatoires à mon avis budgétaire, j'ai relevé plusieurs difficultés liées aux crédits « Énergie » de la mission « Écologie ».
MaPrimeRénov' rencontre des difficultés. Seules 55 000 primes ont été versées en 2020 et 295 000 en 2021, contre des objectifs de 200 000 et 500 000. Pis, seules 136 primes ont été versées aux propriétaires-bailleurs et 69 aux copropriétés. Enfin, 3 000 « bugs informatiques » ont été recensés. Pourquoi un si faible taux d'exécution pour les propriétaires-bailleurs et les copropriétés ? Ces « bugs informatiques » sont-ils résolus ?
La prime à la conversion et le bonus automobile sont également perfectibles. Seuls 185 000 primes et 100 000 bonus ont été versés en 2020, contre des objectifs de 250 000 et 110 000. De surcroît, seules 95 000 primes ont été versées cette année, soit moins que l'an passé. De nouvelles conditions restrictives doivent entrer en vigueur. Comment faire progresser la prime et le bonus ? Entendez-vous revenir sur le resserrement prévu ?
Le chèque énergie présente lui aussi des problèmes. Même en tenant compte de la revalorisation exceptionnelle annoncée cette année, son montant est inférieur aux anciens tarifs sociaux. Il en va de même du nombre de bénéficiaires. Plusieurs difficultés techniques n'ont pas été réglées : 30 000 personnes en situation d'intermédiation locative ne peuvent pas l'utiliser, les droits liés sont peu opérants en l'absence d'un système de télétransmission des données et le courrier d'accompagnement est très complexe. Le Gouvernement entend-il pérenniser la hausse exceptionnelle prévue cette année ? Compte-t-il régler ces difficultés techniques qui entravent la généralisation du dispositif ?
Autre point de préoccupation budgétaire : la situation de certains opérateurs de l'État.
Je ne reviendrai pas sur le MNE, évoqué à juste titre par notre présidente. En revanche, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) considère sa subvention comme insuffisante pour conduire ses opérations sur deux sites industriels et l'Ademe estime le niveau du fonds chaleur et de ses effectifs inadapté pour mettre en place les plans de relance et d'investissement. Qu'en pense le Gouvernement ?
Pour conclure, je souhaite évoquer notre politique énergétique nationale.
Hier, RTE a placé à nouveau la France en situation de « vigilance particulière » sur le plan de la sécurité d'approvisionnement pour début 2022 : pourquoi ne prévoir aucun crédit sur ce point dans le PLF pour 2022 ?
Aujourd'hui, notre commission et celle des affaires européennes ont dévoilé une proposition de résolution pour inclure l'énergie et l'hydrogène nucléaires à la « taxonomie verte ». Il nous semble en effet essentiel que la production d'énergie nucléaire soit assimilée à une activité durable, car ses émissions de GES ne dépassent pas 6 grammes par kilowattheure (kWh), selon l'Ademe.
Quelle est la position du Gouvernement ? À vous écouter, nous avons bien compris que les conditions de financement du nouveau nucléaire allaient déterminer le prix payé par les consommateurs, particuliers et professionnels.
Par ailleurs, toutes les réformes annoncées sont suspendues depuis juillet : la réorganisation d'EDF, la réforme de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (Arenh), le contentieux sur les concessions hydroélectriques. Quand seront-elles reprises et quels en seront les contours ?
Pouvez-vous nous assurer que la réforme d'EDF ne sera pas présentée dans le cadre de la future « loi quinquennale » sur l'énergie, comme l'a suggéré la secrétaire d'État Bérangère Abba, il y a quelques semaines devant le Sénat ?
En préparation de cette « loi quinquennale », notre commission a prévu que le Gouvernement remette au Parlement trois rapports, respectivement sur l'extension du bilan carbone à tous les projets d'énergies renouvelables, sur l'augmentation des capacités installées de production d'hydroélectricité et sur la valorisation des externalités positives du biogaz. Ces rapports n'ont pas encore été remis : quand le seront-ils ?
M. Jean-Claude Tissot. - Madame la ministre, je vous poserai deux questions.
La première concerne le devenir du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), qui continue de subir une purge budgétaire et une baisse continue de ses effectifs. En effet, le budget pour 2022 prévoit une suppression de 40 équivalents temps plein (ETP), nouvelle baisse qui s'inscrit dans la spirale de suppression de 584 ETP depuis la création de cet établissement.
Pourtant, un rapport que vous avez commandé auprès du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et de l'Inspection générale de l'administration (IGA) vous a alertée, en juillet dernier, sur la condition essentielle que représentait le maintien à leur niveau actuel des emplois et de la subvention pour charges de service public.
L'urgence climatique et la multiplication des aléas climatiques et des risques industriels nécessiteraient pourtant la mise en place d'une véritable politique de prévention des risques aux côtés des collectivités territoriales, avec des moyens humains adaptés et renforcés.
Ainsi, madame la ministre, quelles sont vos intentions concrètes pour le Cerema ? Ne pensez-vous pas qu'il est temps de réinvestir dans cet opérateur important pour lutter contre les effets du réchauffement climatique ?
Ma seconde question est relative au courrier que je vous ai adressé au début du mois de novembre sur la nécessaire réforme du code minier. Depuis que je suis sénateur, j'ai interrogé tous les ministres de l'environnement qui se sont succédé à ce sujet.
Nous avions déjà échangé sur cette question lors d'une audition relative au projet de loi « Climat et résilience », en mai dernier, et vous m'aviez indiqué vouloir mettre dans le dur de la loi des dispositions pour encadrer l'après-mines. Malheureusement, les problématiques de l'après-mines ont uniquement été abordées par des ordonnances. Cette absence de concertation sur un sujet aussi important pour de nombreux territoires est inquiétante. L'obsolescence du code minier mène à des problématiques très concrètes. Dans mon département de la Loire, à Saint-Priest-la-Prugne, la gestion de l'après-mines d'un site d'exploitation d'uranium est particulièrement difficile, car il n'existe pas de cadre législatif et réglementaire précis pour les anciens sites d'extraction d'uranium.
Madame la ministre, comptez-vous réellement entreprendre cette réforme du code minier ? Dans le cadre de vos pouvoirs réglementaires, pourriez-vous transmettre aux autorités compétentes une définition précise des normes à appliquer pour la gestion de l'après-mines des anciens sites d'extraction d'uranium ?
Mme Barbara Pompili, ministre. - Monsieur le rapporteur, la politique que nous menons sur la question des tarifs du gaz et de l'électricité comporte plusieurs étapes. La première est de répondre à l'urgence. C'est ce que nous avons fait avec le « bouclier tarifaire » et le chèque énergie. Nous n'avons pas laissé de côté les industriels, puisque nous avons reçu, avec la secrétaire d'État Agnès Pannier-Runacher, les représentants des industries énergo-intensives pour déterminer comment nous pouvions les aider en cette période compliquée.
Par ailleurs, nous prenons des mesures à moyen et long terme. Nous savons qu'il n'est pas bon de dépendre des fluctuations du marché de l'énergie et nous voulons en sortir, d'abord en aidant nos concitoyens à isoler leur logement pour baisser leur facture énergétique, ensuite en travaillant sur des mesures structurelles pour préparer la transition écologique.
Par ailleurs, le sujet est européen. Comme vous le savez, les prix de l'électricité sont aujourd'hui indexés sur les prix du gaz. Or, en France, nous sommes protégés par les tarifs réglementés et l'Arenh, ce qui n'est pas le cas de l'Espagne, que vous avez citée. C'est la raison pour laquelle ce pays a dû procéder à de fortes baisses de taxes, dont le niveau initial était par ailleurs très élevé.
Je travaille avec le ministre Bruno Le Maire pour revoir, au niveau européen, le market design des prix de l'énergie en Europe, en essayant de garder ce qui est positif, puisque le marché de l'énergie au niveau européen nous protège ; nous avons des interactions qui nous permettent de bien fonctionner. Nous allons plutôt tenter de réorienter les prix de détail sur le mix plus ou moins carboné des pays, pour que ceux qui font des efforts sur leur mix puissent être payés de retour. Les discussions sont longues mais nous pouvons aboutir.
Nous devons en outre nous débarrasser de cette idée préconçue selon laquelle notre pays serait celui qui taxe le plus l'énergie. C'est faux : nous nous situons aujourd'hui dans la moyenne européenne.
En ce qui concerne le chèque énergie, le problème d'intermédiation locative est a priori réglé depuis cette année. Parmi les 5,8 millions de bénéficiaires du chèque énergie, 80 % d'entre eux l'utilisent. Il fait partie des aides sociales les plus utilisées. Par ailleurs, il peut servir à payer d'autres factures. Tout le monde peut utiliser ce chèque ; ce n'est vraiment pas un problème. Si vous avez connaissance de quelques points de difficultés, monsieur le rapporteur, n'hésitez pas à me contacter ; nous trouverons des solutions.
L'indemnité inflation de 100 euros a été pensée pour combler la hausse des prix. Il serait impossible, du point de vue des finances publiques, de payer tous les pleins de nos concitoyens.
La TICGN est de 8 euros par mégawattheure. Ce n'est donc pas le levier que nous voulons utiliser.
Nous utilisons la TICFE de manière très encadrée, c'est-à-dire jusqu'à ce que les prix redeviennent normaux. Le but n'est pas de nous engager dans une politique de baisse des taxes sur des énergies, notamment sur le gaz, dont nous ne voulons plus. Notre fiscalité doit encourager ce qui est positif et décourager ce qui est négatif. Il ne faut pas faire d'allègement de taxes sur du gaz : cela n'aurait aucun sens.
S'agissant des financements des SMR, 500 millions d'euros sont prévus dans le plan de relance. Cela me semble être une base intéressante.
Concernant l'hydrogène, l'objectif du Gouvernement est de défendre une politique de l'hydrogène très structurée. Nous voulons accroître notre souveraineté et donc fabriquer nous-mêmes notre hydrogène décarboné, ce qui passe par une industrialisation et une fabrication d'électrolyseurs et par une alimentation des territoires, en travaillant sur un écosystème, notamment en lien avec la mobilité lourde et les industries utilisatrices d'hydrogène.
Par ailleurs, s'il n'y a pas de rénovation énergétique dans le plan d'investissement, c'est tout simplement parce qu'elle figure dans le budget ; 2 milliards d'euros sont alloués à MaPrimeRénov'.
De la même manière, s'il n'y a peu d'énergies renouvelables dans le plan de relance, c'est aussi parce qu'elles figurent dans le budget.
La « vigilance particulière » exercée par RTE s'explique par le fait que nous subissons encore les conséquences de la crise sanitaire sur la maintenance du parc nucléaire, mais, a priori, le risque est relativement faible au regard des conditions climatiques attendues en décembre. Évidemment, nous réévaluerons tout cela à l'approche du mois de janvier.
Avec les efforts effectués par EDF pour optimiser la disponibilité du parc, le développement des autres moyens de production, les flexibilités, notamment les effacements, la situation nous apparaît légèrement meilleure qu'à l'hiver dernier. Nous allons cependant rester attentifs à la sécurité d'approvisionnement électrique. Nous suivons également l'évolution de la disponibilité du parc électrique, en particulier du parc nucléaire. Enfin, l'évolution du calendrier de communication de RTE sur le passage de l'hiver permettra aussi de disposer d'éléments plus précis, plus fiables d'ici à la fin de l'année. Nous restons donc sur le pont et n'avons pas d'inquiétude particulière ; nous avons la situation en main.
La réforme d'EDF est nécessaire. Elle doit être envisagée dans une discussion plus globale avec la Commission européenne sur la réforme de l'Arenh - qui s'arrêtera en 2025 et qui a permis, même s'il n'est pas parfait, d'amortir la hausse des prix pour un certain nombre de consommateurs -, sur la réforme des concessions hydroélectriques et sur les orientations du mix électrique. Cette réforme doit être pensée, au sein d'un travail collectif, en lien avec une réflexion sur les investissements nécessaires pour un nouveau mix électrique. Séparer les deux sujets me paraît un peu artificiel. Si nous étions prêts à réformer notre système électrique en même temps que la loi de programmation sur l'énergie pour 2023, j'en serais ravie ! Cela signifierait que nous aurions réussi à trouver un accord avec la Commission européenne, à repenser collectivement des formes d'organisation, à trouver une solution sur l'Arenh. Alors, une seule loi suffirait. Il y a cependant beaucoup d'incertitudes.
Concernant le financement du mix, l'échéance de 2022 me semble très ambitieuse. Nous avons devant nous les élections présidentielle et législatives. Le Parlement va retravailler seulement à partir de l'été prochain, et un minimum de concertation est nécessaire.
Mme Sophie Primas, présidente. - Le Président de la République va devenir président du Conseil de l'Union européenne : c'est une occasion incroyable.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Tout à fait !
Mme Barbara Pompili, ministre. - Vous savez comment fonctionne l'Union européenne. La présidence du Conseil de l'Union joue avant tout un rôle de facilitateur et elle doit trouver des compromis. J'espère que nous réussirons à les trouver en trois mois. Par ailleurs, cette présidence française se poursuivra avec un nouveau Gouvernement.
Mme Sophie Primas, présidente. - Et oui, il aurait fallu accepter d'attendre !
Mme Barbara Pompili, ministre. - C'est la situation dans laquelle nous nous trouvons.
La question du financement du mix est absolument essentielle, et nous devons être très pragmatiques sur le sujet. Il s'agit d'investissement au très long cours. Les prix doivent tout comprendre : les investissements, les démantèlements éventuels, les adaptations nécessaires en matière de réseau ou de stockage et les déchets. Il serait irresponsable que je vous donne dès maintenant des réponses précises sur les coûts de chaque type de mix électrique - en termes d'investissement ou de fonctionnement. Pour autant, ce travail est en train d'être fait. Les scénarios de RTE sont intéressants, car ils fournissent des projections. Nous devons essayer de les affiner. Nous devons cependant accepter une part d'incertitude, tout en la limitant au maximum, afin de faire des choix éclairés. Je vous invite à lire le rapport Les choix de production électrique : anticiper et maîtriser les risques technologiques, techniques et financiers de la Cour des comptes, qui demande de débattre, avant tout, de manière factuelle et pragmatique.
Monsieur le Sénateur Jean-Claude Tissot, j'ai reçu des représentants du Cerema, qui est effectivement un établissement phare de la transition écologique. Nous avons besoin d'eux pour aider les collectivités territoriales dans la mise en oeuvre de leurs projets. Je les ai assurés de mon total soutien. Nous avons réussi à limiter la baisse du nombre d'ETP, laquelle est passée de 100 ETP en moins à 40 ETP en moins cette année. C'est le plus important allégement que j'ai pu obtenir, car chacun prend peu à peu conscience de l'importance du Cerema. L'allégement est plus important que ce qui était prévu dans le programme Cerem'Avenir, programme d'évolution de la structure. Son personnel aura par ailleurs un nouveau statut dans le cadre du projet de loi « 3DS ». Quant à l'Ademe, elle gagne 9 ETP cette année, contre des baisses annuelles entre 15 et 20 ETP auparavant, et fait l'objet d'investissements dans le cadre du 4e programme d'investissements d'avenir.
Pour la réforme du code minier, je vous propose, monsieur le sénateur, d'organiser une réunion avec mon cabinet sur la question.
M. Jean-Claude Tissot. - J'espère qu'elle aura lieu avant 2022.
Mme Barbara Pompili, ministre. - La réforme du code minier est attendue depuis longtemps, raison pour laquelle nous avons souhaité l'inscrire dans la loi « Climat et résilience ». Certaines dispositions sont inscrites dans le dur de cette loi - vous savez le temps qu'a demandé son examen - et d'autres, plus techniques, par ordonnances. Étant donné les temps de préparation des ordonnances, nous devons nous rencontrer rapidement.
M. Daniel Laurent. - Le Réseau agricole des îles atlantiques (RAIA) a instauré un groupe de travail pour simplifier et faciliter l'accès au foncier et aux infrastructures dans les îles. Nous souhaitons encourager la pérennité d'une agriculture insulaire, que vient mettre à mal l'interprétation de plus en plus rigide de la loi Littoral : sans infrastructures ni élevage ni maraîchage. Comment lever les freins au renouvellement et à la construction de ces infrastructures, essentielles pour nos territoires insulaires et pour la relocalisation de notre production alimentaire ?
La crise sanitaire a eu un impact inédit sur l'immobilier dans les zones littorales, en particulier sur le littoral atlantique. Les ménages les plus modestes ont de grandes difficultés à se loger près de leur lieu de travail, à cause d'un manque de foncier évident et de grandes contraintes urbanistiques et environnementales. Qu'en pensez-vous ?
Dans la loi « Climat et résilience », une disposition permettant l'installation de centrales solaires au sol dans les sites dégradés a été censurée comme cavalier législatif ; or elle constituait une grande avancée pour la transition énergétique des collectivités. Quelle est votre position à ce sujet ? C'est la cinquième fois que je pose cette question à un ministre de l'environnement...
Le partage de l'eau est une source de tension. Dans mon département, une réserve d'eau, outil de travail d'agriculteurs, a été détruite. Des associations écologistes manifestent contre la création de ces réserves, qui relèvent du bon sens. Que prévoyez-vous ?
M. Daniel Salmon. - L'offensive pour le nucléaire est tous azimuts. Nous devons agir sans attendre. Le prototype de l'EPR avale les milliards - avec une multiplication par six de son coût - mais pas un seul mégawattheure n'a été produit. Quant au SMR, c'est un nouveau totem avec une hypothétique production d'énergie en 2035 voire 2040 : une sorte de « quoi qu'il en coûte » énergétique. En matière de nucléaire, la rationalité parfois semble disparaître.
Le Sénat a publié un rapport sur la méthanisation : nos préconisations ont notamment pour but de renforcer les bonnes pratiques, d'améliorer les connaissances et de planifier les usages prochains de la biomasse. Comment allez-vous vous saisir de ces recommandations et comment pourrions-nous travailler ensemble sur le sujet ?
Lors des débats sur MaPrimRénov', nous avions défendu les mesures en faveur des rénovations globales. Or les dossiers ne sont que des points particuliers, comme les changements de chaudières. À ce rythme, nous y serons encore dans des décennies. Comment le Gouvernement compte-t-il encourager les rénovations ambitieuses ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - La rénovation des bâtiments et des copropriétés pose problème. Les rénovations énergétiques des copropriétés sont très peu nombreuses. Des difficultés viennent des processus de décision, que ne remettra pas en cause le Conseil constitutionnel, au nom du sacro-saint droit à la propriété. Je plaide depuis des années pour un contrat global, à l'instar des organismes de foncier solidaire (OFS) : un tiers réaliserait les travaux pour le compte de la copropriété sur vingt ans, et ferait ensuite payer une redevance aux propriétaires. Les OFS ont déjà cette possibilité. Cependant, personne ne veut lancer cette expérimentation. Beaucoup de copropriétaires ne peuvent financer ces investissements, car leurs revenus sont trop modestes ou parce qu'ils sont trop âgés pour obtenir des prêts. Le rapport de la mission d'Olivier Sichel évoque très peu les copropriétés. Madame la ministre, voulez-vous lancer ces expérimentations ?
Les habitations à loyer modéré (HLM) font beaucoup de rénovations énergétiques - sans MaPrimRénov', d'ailleurs -, mais l'âge des bâtiments fait que d'autres travaux, par exemple de plomberie ou d'insonorisation, seraient nécessaires. Or la TVA à 5,5 % sur la rénovation énergétique ne concerne que des travaux très précis ; le panel était beaucoup plus large auparavant, ce qui bride la rénovation énergétique des HLM. Un amendement avait été déposé en faveur de cette extension du taux réduit. Madame la ministre, il faut sérieusement envisager une modification du taux pour l'ensemble des travaux dans les HLM.
Concernant les électro-intensifs, le problème d'Ascoval va se reproduire. L'école de guerre économique a publié un rapport qui montre comment l'Allemagne utilise la politique énergétique dans un rapport de force économique et industriel avec la France. Croyez-en ma longue expérience : les taxes environnementales aux frontières sont annoncées depuis les années 90 ! Si nous attendons l'unanimité, nous mourrons. Demandons un moratoire pour le secteur des électro-intensifs, afin d'appliquer un certain nombre de règles européennes et d'éviter une concurrence déloyale avec l'Allemagne. Quant à nous, ne devons-nous pas faire des efforts fiscaux pour conserver nos entreprises sur le territoire ?
Mme Martine Berthet. - Les électro-intensifs sont vraiment en souffrance. Il faut trouver des solutions.
Madame la ministre, le 23 juillet dernier, je vous ai posé une question, qui est restée sans réponse. Le syndicat du Pays de Maurienne a pour mission la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi). Des délais supplémentaires sont nécessaires pour les dépôts des demandes d'autorisation environnementale des systèmes d'endiguement. France Digues et les syndicats veulent des réponses. Sinon, ces syndicats ne pourront pas remplir leur mission de protection des personnes et des biens au regard du risque d'inondation.
Nous devons décarboner les transports. Or, au lieu d'encourager le train, nous supprimons les sillons de TGV et les trains de nuit ne sont toujours pas prévus pour amener les touristes dans les Alpes.
Enfin, je profite de cette intervention pour vous dire que la protection à tout prix du loup est un contresens pour la biodiversité. Le mouflon a complètement disparu dans la Maurienne, et ce sera bientôt le cas dans la Tarentaise.
M. Franck Montaugé. - Concernant la taxonomie, pourquoi une négociation est-elle en cours, dans certains pays européens, entre le nucléaire et le gaz, alors que le niveau d'émission de CO2 du nucléaire, même s'il fait l'objet de débats, est très inférieur à 100 grammes par kilowattheure ?
La réussite de la PPE passe par les territoires. Je constate que, dans le Gers, toutes les énergies renouvelables suscitent des problèmes ; en matière de solaire, de méthanisation ou d'éolien, beaucoup de projets sont bloqués. L'État local a un rôle très important à jouer avec les parties prenantes. Le préfet de département doit assurer la coordination entre les projets et assurer une planification cohérente, dans le cadre des schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR) et des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet). De plus, des crédits sont nécessaires pour que les projets soient bien suivis, à hauteur de nos objectifs en matière environnementale.
M. Rémi Cardon. - Nous ne sommes pas à la hauteur des enjeux environnementaux. L'État a été condamné par le Conseil d'État pour inaction climatique et la COP26 dresse le constat d'échec de l'accord de Paris. Les postes diminuent au sein de votre ministère et de vos opérateurs. Dans le PLF pour 2022, la diminution est certes moins importante, mais les 374 ETP en moins impactent fortement Météo-France, le Cerema et l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), alors que l'urgence climatique nécessite une politique de prévention des risques ambitieuse. Expliquez-moi ce double discours !
Mme Patricia Schillinger. - L'ancien article 38 du projet de loi « Climat et résilience », devenu article 147 de la loi, prévoit une obligation de mesures de compensation pour réduire les émissions du secteur aérien. Il peut concerner plusieurs types de projets, en augmentant les puits de carbone naturels - boisement de forêts, restauration de haies, restauration de mangroves dans les écosystèmes tropicaux - ou industriels - récupération du CO2 en sortie d'usine. Un fonds d'amorçage bas carbone est désormais en place, pour les structures qui s'engagent dans les trois prochaines années à financer des projets labellisés. Comment ce fonds pourrait-il développer des projets bas carbone ambitieux avec les collectivités territoriales et les entreprises ?
M. Laurent Somon. - L'Institut Montaigne révèle que l'incorporation des biocarburants dans les automobiles hybrides réduirait de 15 % les émissions de GES. Allez-vous soutenir davantage les producteurs français de bioéthanol, qui sont les premiers producteurs européens ? Je rappelle que le plafond prévu par le droit européen s'agissant des biocarburants n'est pas atteint.
Mme Barbara Pompili, ministre. - Monsieur le sénateur Daniel Laurent, la loi « Littoral » est un sujet compliqué. Heureusement qu'elle existe ! Elle a évité le pire en matière d'artificialisation des sols, et elle oeuvre pour une plus grande résilience de nos espaces littoraux. Si l'on y touche, que ce soit d'un doigt tremblant. Les îles posent problème, certes. Nous cherchons des solutions au cas par cas. À ma connaissance, la plupart des problèmes peuvent être résolus sans modifier la loi. Les agents de mon ministère sont à la disposition des élus et des porteurs de projet pour trouver des solutions.
Quant à la question de l'urbanisme, elle touche au sujet de l'artificialisation des sols. Je veux revenir, à ce titre, sur la loi « Climat et résilience ». En effet, beaucoup de choses ont été dites sur le zéro artificialisation nette (ZAN), qui suscite des inquiétudes. La loi part d'un constat sur lequel tout le monde s'accorde : le rythme d'artificialisation des sols est trop élevé. Elle prévoit non pas de mettre fin à l'artificialisation, mais de diminuer son rythme de progression, afin qu'il soit deux fois moins élevé dans dix ans. La mesure prévue par la loi doit inciter chaque porteur de projet, chaque élu, à se demander si son projet nécessite une artificialisation. Il faut revenir sur nos habitudes, notamment sur celle qui consistait à considérer la réhabilitation des friches comme trop chère. Nous avons d'ailleurs donné des outils aux élus à cet effet, comme le fonds pour le recyclage des friches. S'interroger et chercher des solutions alternatives doit devenir un réflexe, car nous avons besoin de nos terres agricoles, de nos espaces forestiers et de nos prairies.
De la même manière, sur les projets d'urbanisme, nous travaillons avec des architectes pour explorer de nouveaux modèles qui pourraient être intéressants et agréables à vivre. Nous devons nous poser des questions, pour l'habitat individuel comme pour le collectif.
En ce qui concerne la question des centrales solaires au sol sur les sites dégradés, j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir sans avoir à modifier la loi, notamment à travers les guichets et les différentes aides données en faveur de l'installation du photovoltaïque dans des lieux qui ne menacent pas les terres agricoles, comme les friches ou les toits. Je ne savais pas que la disposition prévue dans le cadre de la loi « Climat et résilience » avait été censurée par le Conseil constitutionnel. Nous essaierons de trouver un autre moyen.
Mme Sophie Primas, présidente. - Une proposition de loi ?
Mme Barbara Pompili, ministre. - Il y a bien d'autres moyens, madame la présidente, quand on est un peu inventif... Mais je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour aider à la mise en place de photovoltaïque au sol sur des friches.
M. Daniel Laurent. - Cela permettrait de développer les énergies renouvelables dans des sites qui ne pénalisent personne !
Mme Barbara Pompili, ministre. - Je suis d'accord avec vous.
M. Daniel Laurent. - Vous êtes tout de même la troisième ministre de la transition écologique à qui j'en parle. On me dit toujours que j'ai raison, et il ne se passe rien !
Mme Barbara Pompili, ministre. - Tout d'abord, à la différence de nos prédécesseurs, nous avons fait voter cette disposition, ce qui prouve notre bonne volonté. Par ailleurs, je suis en lien régulier avec les industriels de la filière, qui se disent très satisfaits des décisions prises, notamment en ce qui concerne les mesures liées aux tarifs et aux guichets. Ils savent que nous essayons de promouvoir un développement intelligent, permettant de protéger les terres agricoles autant que possible.
Sur le partage de l'eau, je rejoins évidemment mon collègue ministre de l'agriculture : on ne peut en aucun cas cautionner les violences. Le partage de l'eau est source de tensions et, avec le réchauffement climatique, les problèmes seront de plus en plus nombreux. Pour résoudre ces difficultés, il faut se réunir autour de la table, discuter et trouver des solutions. C'est mieux que de pratiquer violences et intimidations. En outre, dans un certain nombre de territoires, des outils permettant de prendre collectivement des décisions existent déjà. Mais cette question n'est pas simple et chacun doit réfléchir, notamment aux manières de réduire sa consommation. En effet, de nouvelles questions vont se poser, comme celle de l'hydrogène, qui demande beaucoup d'eau. Il faudra donc à la fois partager les usages et faire des efforts pour réduire ses besoins. Comment économiser l'eau dans l'industrie ? Dans l'agriculture ? Dans notre consommation quotidienne ? Tout le monde doit faire cet effort pour limiter ses besoins au maximum, et nous trouverons des solutions. Mais la première étape doit être accomplie par chacun.
Pour répondre à monsieur le sénateur Daniel Salmon sur les SMR, il me semble sain, si nous souhaitons développer le nucléaire et garder notre place dans la compétition économique, de ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier. Il nous faut donc réfléchir à plusieurs types de réacteurs différents.
Par ailleurs, nous avançons sur la méthanisation, et je salue le rapport sénatorial sur le sujet, qui dresse un bon état des lieux des besoins et dont nous sommes en train de nous inspirer.
Pour répondre à madame la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, je commencerai par dire que je suis favorable aux expérimentations. Quand on a des idées, il faut essayer. Je vais donc regarder de plus près ce que vous proposez mais, sur le principe, je suis plutôt d'accord.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je vous enverrai un courrier détaillé sur le projet.
Mme Barbara Pompili, ministre. - Par ailleurs, MaPrimRenov' fonctionne bien sur certains aspects, moins sur d'autres, et il est vrai que les rénovations globales sont encore trop peu nombreuses. Mais il fallait bien commencer, et développer un outil qui soit pratique. Au reste, nous sommes en train de mettre en place le dispositif « Mon Accompagnateur Rénov' », pour orienter les particuliers vers des rénovations plus efficaces. Le sujet des copropriétés reste effectivement compliqué, mais nous avons déjà avancé. Nous essayons de lever les obstacles les uns après les autres ; je pense que nous y arriverons, car le mécanisme est en train de se simplifier.
En ce qui concerne le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), je commencerai par rappeler que le monde est en train de changer sur ces questions, et j'aurai une rectification à faire : il s'agit non pas d'une taxe, mais bien d'un mécanisme qui ne réclame donc pas l'unanimité pour être adopté. Cela fait une grande différence et nous donne des raisons d'espérer.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - J'espère que vous gagnerez cette bataille !
Mme Barbara Pompili, ministre. - Nous allons la mener, mais le simple fait que le MACF soit aujourd'hui pris en compte dans la programmation de la Commission européenne est inédit. Le combat est mené par de nombreux acteurs depuis très longtemps, et, enfin, un aboutissement semble possible. Ce sera l'une des priorités majeures de la présidence française de l'Union européenne qui commencera en janvier.
Madame la sénatrice Martine Berthet, en ce qui concerne le courrier de juillet sur l'endiguement, sachez que nous mettons un point d'honneur à répondre à tous les courriers des sénateurs et des députés, et que je suis désolée que le vôtre n'ait pas fait l'objet d'une réponse. Comptez sur moi pour y remédier.
D'une manière générale, sur les questions d'endiguement, un guide va être fourni aux collectivités pour les aider à faire des choix et à utiliser les outils mis à leur disposition. En effet, les situations sont très différentes d'un territoire à l'autre et une solution qui s'avère bonne dans un lieu ne l'est pas nécessairement ailleurs. J'en ai parlé aussi avec des maires de grandes villes, comme Le Havre. La question est complexe. Il s'agit encore d'un sujet sur lequel État et collectivités doivent travailler main dans la main pour trouver le meilleur équilibre entre préservation des populations et nécessité de répondre aux besoins de logements et de service public.
S'agissant du train, je veux vous renvoyer aux nombreux investissements que nous déployons, notamment dans le cadre du plan de relance. Pendant des décennies, le train a souffert du sous-investissement, notamment les trains du quotidien, le fret et les trains de nuit. Nous avons relancé les trains de nuit, ce dont tout le monde paraît satisfait, et nous investissons lourdement dans le fret. Enfin, je me renseignerai sur la question des sillons TGV, car je n'ai pas la réponse.
Si l'on considère les causes de l'appauvrissement de la biodiversité, le loup ne joue pas un rôle majeur. Ces espèces disparaissent à cause des espaces perdus, du manque de nourriture, de l'occupation de l'espace par l'homme. La question du loup n'est pas évidente, et ceux qui ont des réponses toutes faites ont bien de la chance. Pour ma part, je n'en ai pas, mais nous tentons d'accompagner au mieux les éleveurs, ceux qui pratiquent cette agriculture et ce pastoralisme dont nous avons besoin et que nous défendons, tout en préservant une espèce qui a autant le droit de vivre qu'une autre. Néanmoins, nous avançons et avons réuni de nombreux retours d'expérience sur les mesures de protection. Certaines fonctionnent bien, et, pour celles qui ne fonctionnent pas, il faut assumer d'y mettre fin.
Pour répondre à monsieur le sénateur Franck Montaugé sur la taxonomie, il s'agit d'une négociation politique. La taxonomie verte concerne les énergies renouvelables et les activités faiblement émettrices de GES. Je vous rappelle que nous sommes dans le cadre du Fit for 55, ce qui signifie que nous devons globalement baisser nos émissions de GES de 55 %. Certains pays européens sont encore lourdement utilisateurs de charbon dans leur mix électrique. Si nous voulons qu'ils baissent leurs émissions, ils doivent sortir du charbon au plus vite. Certes, il faut les soutenir dans leurs politiques d'économie d'énergie et de développement des énergies renouvelables mais, pour obtenir des résultats rapides, ne serait-ce pas une bonne idée de les aider à utiliser de façon transitoire le gaz à la place du charbon ? L'intégration du gaz dans la taxonomie est donc une question qui se pose, même s'il faudrait évidemment l'encadrer très strictement pour que l'on ne se mette pas à construire plein de centrales à gaz qui seraient utilisées ad vitam aeternam.
De la même manière, le nucléaire est une
énergie qui a ses qualités et ses défauts
- vous
savez que je n'en suis pas la première fan -, mais qui
possède un avantage objectif : son impact carbone est très
faible. Or la priorité climatique est de baisser nos émissions de
GES le plus vite possible. Et, objectivement, la présence du
nucléaire dans notre mix nous donne un avantage par rapport à
d'autres pays. Il ne serait donc pas anormal de considérer aussi
l'entrée du nucléaire dans la taxonomie. Aujourd'hui, celle-ci
intègre un certain nombre d'énergies, mais le nucléaire
comme le gaz doivent encore faire l'objet d'un acte
délégué, qui est en cours de discussion. La position de la
France est très claire et consiste à demander que le
nucléaire soit inscrit dans la taxonomie. Par ailleurs, des demandes
similaires ont été émises pour le gaz. Je vous ai
donné mon point de vue, qui se veut pragmatique pour essayer de
répondre aux priorités. Néanmoins, il ne faut pas oublier
la question de l'encadrement, pour ne pas se laisser entraîner dans des
dérives.
M. Franck Montaugé. - Pourquoi la France refuserait-elle l'entrée du gaz si cela permettait d'obtenir celle du nucléaire en contrepartie ?
Mme Barbara Pompili, ministre. - Certains pays sont farouchement opposés à l'introduction du nucléaire ou du gaz dans la taxonomie. Beaucoup de discussions sont en cours. Au demeurant, je vous rappelle que le gouvernement allemand, qui est un partenaire majeur, n'est pas encore entré en fonctions.
Sur la question du local, je suis persuadée que la planification est nécessaire, et pas seulement pour l'énergie. C'est le cas de la réindustrialisation, pour laquelle il faut identifier les secteurs qui seront impactés négativement et travailler territoire par territoire pour essayer de réorienter les compétences. Tout cela ne peut se faire sans planification. Sur les énergies, des outils existent et nous mettons en place un réseau de conseillers dédiés à l'éolien et au photovoltaïque, pour accompagner les collectivités qui montent des projets. Dans le cadre de cette première phase, 26 ETP seront financés. Parallèlement, la loi « Climat et résilience » a créé les comités régionaux de l'énergie, qui ont pour objectif de développer cette concertation nécessaire et d'étudier comment implanter les différentes énergies renouvelables sur les territoires. Ils seront aidés par les cartographies réalisées sur l'éolien. Il est nécessaire que les territoires se projettent dans l'avenir ; tout le monde doit le faire.
M. Franck Montaugé. - Ils ne demandent que cela, mais ils ont besoin d'être aidés.
Mme Barbara Pompili, ministre. - Je ne demande que cela moi aussi. Je vois bien les oppositions des uns et des autres aux éoliennes terrestres, aux éoliennes en mer, au photovoltaïque ou à la méthanisation, mais nous devons être responsables. Quand on s'oppose, on doit proposer des alternatives. Mon rôle, et c'était ma deuxième priorité, est d'assurer la sécurité d'approvisionnement de mes concitoyens. Comment fournir assez d'électricité pour charger les portables, nous éclairer, faire fonctionner les industries et chauffer les Français ? Aujourd'hui, qu'il s'agisse de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), de RTE ou de la Cour des comptes, tout le monde convient de la nécessité d'un développement massif des énergies renouvelables. Essayons de le faire bien et à partir des territoires, l'État donnant les grands objectifs.
M. Yves Bouloux. - Pouvez-vous répondre sur le nucléaire et la fermeture de la centrale de Fessenheim ?
Mme Barbara Pompili, ministre. - Cette fermeture était prévue.
M. Yves Bouloux. - La fermeture était prévue, mais la centrale marchait très bien !
Mme Barbara Pompili, ministre. - Fessenheim était la plus vieille centrale de France - elle n'aurait pas pu fonctionner très longtemps - et je vous rappelle qu'un EPR devait la remplacer. Quand nous avons su que ce ne serait pas le cas, il était trop tard. Une centrale nucléaire se pilote comme un paquebot ; vous ne pouvez pas vous contenter d'appuyer sur un bouton. Il faut du temps et des visites décennales. Or cette visite décennale n'avait pas été faite. Le travail qui aurait permis à Fessenheim de continuer n'avait pas été réalisé, puisque la centrale devait s'arrêter et être remplacée par l'EPR. Il est absurde de penser - je sais que ce n'est pas votre cas - que l'on pourrait rallumer Fessenheim facilement !
Essayons d'avoir une vision réaliste et pragmatique. Sortons des dogmes ! Ceux qui prétendent que l'on pourra résoudre tous les problèmes avec le nucléaire se trompent. RTE le dit très clairement et, dans ses six scénarios, ne place jamais la part du nucléaire au-dessus de 50 %. Quoi qu'il advienne, le reste sera du renouvelable. De plus, dans tous les scénarios, on observe deux constantes : la baisse de la consommation d'électricité grâce à la sobriété et l'efficacité, et l'augmentation massive des énergies renouvelables. Trois scénarios prévoient la construction de centrales, mais trois ne le font pas. Dans tous ces scénarios, le nucléaire est donc une option, mais les énergies renouvelables ne le sont pas.
Au sujet des déclarations de la COP26 sur la COP21, ce que vous dites est faux, monsieur le sénateur Rémy Cardon. Au moment de la COP21, la température estimée pour 2100 marquait une augmentation de 4°C et, avant la COP26, on estimait cette hausse à 2,7°C. Certes, l'objectif de + 1,5°C est très loin d'être atteint, mais la situation accuse un très léger mieux. Le travail effectué consiste toujours à se rapprocher au plus près de cet objectif. Par ailleurs, des annonces fortes ont été faites à l'issue de la COP26, notamment sur les émissions de méthane, sur la déforestation ou les investissements dans les fossiles. Et, ce qui m'intéresse à présent, c'est leur suivi et leur mise en oeuvre. En outre, la COP26 a permis une avancée majeure : nous nous sommes enfin mis d'accord sur les outils de mise en oeuvre de l'Accord de Paris, qui étaient en discussion depuis six ans. Certes, cette réussite n'est pas très sexy, mais elle est essentielle. Tout le monde s'entend enfin sur les méthodes de calcul, qui ne serviront plus de prétexte pour ne pas respecter les engagements pris. Il s'agit d'une étape importante. Quant à la COP26, elle n'est ni plus ni moins qu'une étape nécessaire.
J'en viens à la question de la baisse des effectifs. Celle-ci ralentit et nous passons d'une baisse de 1 200 ETP par an à une baisse de 350. Les diminutions qui demeurent sont liées à des baisses prévues ou contractualisées sur plusieurs années ou à des gains issus de réformes. Par ailleurs, en ce qui concerne l'eau et la biodiversité, nous observons qu'aucune suppression n'a lieu et que des postes sont créés, ce qui est historique. Pour les écoles et l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), aucune suppression n'est à déplorer au niveau départemental, car il faut laisser des agents sur les territoires. Enfin, je note que l'Ademe gagne 9 ETP, les Parcs nationaux de France et l'Office français de la biodiversité (OFB) 40, et l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) 25. Ces chiffres ne sont certes pas formidables, mais ils témoignent d'un adoucissement de la courbe. Je continuerai à me battre en ce sens, pour que nous puissions soutenir nos agents. Ils doivent en effet mener à bien des politiques très importantes et attendues, et jouent un rôle de go between sur les territoires.
Madame la sénatrice Patricia Schillinger, le fonds d'amorçage du label « bas carbone » a été lancé ce mois-ci. Nous avons déjà obtenu des manifestations d'engagement, l'objectif étant d'abord d'identifier des financeurs potentiels de projets, mais aussi de les accompagner en leur signalant les projets et en leur donnant des informations détaillées et, enfin, de faciliter leurs relations avec les porteurs de projet. Il s'agit donc de faciliter à la fois le financement des projets et leur émergence. Nous travaillons, par ailleurs, à créer d'autres méthodes génériques dans les domaines de l'agriculture, des forêts, de la protection des prairies et de la mangrove, de la gestion des déchets, des transports et du BTP, en lien avec les acteurs. Il s'agira là aussi de susciter des mises en relation entre acteurs, d'agir au niveau du terrain, notamment sur l'instruction de projets qui sera déléguée au niveau des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal).
Enfin, nous allons ajuster l'encadrement des projets avec les organismes scientifiques - OFB, Institut national de la recherche agronomique (INRA) et Office national des forêts (ONF) - quant à leur impact sur la biodiversité et l'eau. Nous allons aussi créer un statut d'agrégateur qui pourra rassembler les projets à financer et proposer des lots de projets à des acteurs souhaitant développer des programmes de compensation importants. Grâce à ce système, les projets seront plus nombreux, plus facilement financés, plus efficaces, voire moins chers, et agiront pour la protection de l'environnement.
Enfin, monsieur le sénateur Laurent Somon, nous devons avancer sur les biocarburants de 2e et 3e générations. Le bioéthanol appartient à la 1ère, puisqu'il est issu de l'agriculture. Il existe un plafond d'utilisation de ces biocarburants de 1ère génération, car nous avons besoin des terres agricoles. Il faut en partager l'utilisation. Il s'agit d'éviter, pour des raisons financières, que notre agriculture nourricière se transforme en agriculture énergétique. Voilà pourquoi nous travaillons beaucoup au développement des biocarburants de 2e et 3e générations, pour lesquels investissement et recherche sont déployés.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci beaucoup de ces réponses et du temps que vous nous avez consacré, madame la ministre.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 25