- Lundi 22 novembre 2021
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Écologie, développement et mobilité durables » et mission « Plan de relance » - Crédits relatifs aux paysages, à l'eau, à la biodiversité et à l'expertise en matière de développement durable et météorologie - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2022 - Missions « Écologie, développement et mobilité durables » et « Plan de relance » - Crédits relatifs à la prévention des risques - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2022 - Missions « Écologie, développement et mobilité durables » et « Plan de relance »- Crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2022 - Missions « Écologie, développement et mobilité durables » et « Plan de relance » - Crédits relatifs aux transports routiers - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2022 - Crédits relatifs à la recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables de la mission « Recherche et enseignement supérieur » et de la mission « Plan de relance » - Examen du rapport pour avis
Lundi 22 novembre 2021
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 17 h 30.
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Écologie, développement et mobilité durables » et mission « Plan de relance » - Crédits relatifs aux paysages, à l'eau, à la biodiversité et à l'expertise en matière de développement durable et météorologie - Examen du rapport pour avis
M. Jean-François Longeot, président. - Nous examinons les rapports budgétaires programmés mercredi. En effet, demain, la première partie du projet de loi de finances pour 2022 pourrait ne pas être adoptée, ce qui mettrait un terme à l'examen du budget par le Sénat. J'ai donc préféré anticiper pour que nos rapporteurs pour avis soient en mesure de nous présenter le travail qu'ils ont réalisé ces dernières semaines.
M. Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux paysages, à l'eau, à la biodiversité et à l'expertise en matière de développement durable et météorologie. - Mon rapport est consacré à l'analyse des crédits des programmes 113 et 159 de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », portant sur la politique des paysages, de l'eau et de la biodiversité pour le programme 113, sur l'expertise, l'information géographique et la météorologie pour le programme 159 et sur les crédits associés au sein de la mission « Plan de relance ».
Au cours des neuf auditions budgétaires, qui m'ont permis d'entendre l'ensemble des opérateurs des deux programmes, j'ai acquis la conviction que les moyens consacrés à la biodiversité ne répondent pas à l'urgence environnementale et que les engagements du Gouvernement sont insuffisamment mis en oeuvre dans ce projet de loi de finances (PLF). Malgré des annonces volontaristes et des stratégies ambitieuses, force est de constater qu'elles ne trouvent pas de traduction budgétaire adéquate et que les arbitrages ont fait prévaloir la logique de Bercy sur celle de la biodiversité. Le « quoi qu'il en coûte » ne s'étend manifestement pas à l'environnement !
Le contexte est pourtant propice à relever des défis qui engagent la soutenabilité de notre société : la France a accueilli en septembre dernier le Congrès mondial de la nature à Marseille, à l'occasion duquel le Gouvernement s'est associé aux constats de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) concernant le déclin continu de la biodiversité. Le Président de la République a profité de cette occasion pour annoncer des mesures fortes en faveur de la biodiversité.
Nous, sénateurs, avons également pris la mesure des enjeux et apporté une réponse forte, en amendant avec responsabilité et ambition la loi « Climat et résilience » promulguée le 22 août dernier. Nous avons donné un coup d'accélérateur à la protection et la résilience de nos écosystèmes, guidés par la pertinente logique du développement durable, qui concilie la protection de l'environnement avec l'économie et le social. Entre autres mesures, nous avons donné une assise législative à la stratégie nationale pour les aires protégées et ses objectifs d'au moins 30 % d'aires protégées et 10 % sous protection forte, et à la non-régression des superficies couvertes entre deux actualisations, en associant les collectivités territoriales et en donnant aux maires de nouveaux moyens de police pour lutter contre l'hyperfréquentation des sites naturels et culturels patrimoniaux.
Notre boussole montrait le bon cap : j'en veux pour preuve l'adoption du Manifeste de Marseille, qui valide notre approche, en recommandant d'associer autant que possible l'échelon infranational aux mesures de protection de l'environnement et à faire confiance aux élus locaux.
Ces engagements portés par les parlementaires et l'exécutif dessinent une trajectoire intéressante, qui semble enfin avoir pris la mesure des menaces sur la biodiversité. Mais l'observation attentive des crédits du programme 113 ne fait pas ressortir ces ambitions. Malgré une hausse de 6,5 % et une dotation qui augmente de 13,3 millions d'euros à périmètre constant, pour un total de 244 millions d'euros, nous sommes toujours bien en deçà des financements nécessaires à la biodiversité, même si l'on peut se réjouir des crédits mobilisés au sein de la mission « Plan de relance », qui consacre 97,7 millions d'euros de crédits de paiement à la biodiversité sur les territoires - restauration écologique, aires protégées et protection du littoral - pour soutenir la production des atlas de la biodiversité communale, construire deux passes à poissons sur le Rhin ou encore réhabiliter certains points d'accueil du public dans les aires protégées.
Un rapport du conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) de juillet 2016 avait mis en avant un manque à financer d'au moins 200 millions d'euros par an en faveur de la biodiversité, et recommandait de porter les crédits du programme 113 à 394 millions d'euros. En se référant au scénario médian et sans procéder à l'actualisation requise par les nouvelles stratégies élaborées depuis lors, le manque à financer pour la biodiversité est de l'ordre de 150 millions d'euros pour 2022 : c'est donc seulement 62 % des besoins de financement qui sont couverts. Le déficit cumulé s'élève à 986 millions depuis 2018. Le compte n'y est manifestement pas.
Ainsi que je le soulignais dans mon récent rapport d'information à la suite du déplacement de la commission au Congrès mondial de la nature, il est temps de passer des promesses aux actes. L'étude économique de l'OCDE « France 2021 », publiée le 18 novembre dernier, pointe la même insuffisance : elle souligne que « la France s'est fixée des objectifs environnementaux ambitieux », mais constate que « l'écart entre les résultats et les principaux objectifs se creuse : malgré tous les efforts entrepris depuis plusieurs années, la France se situe encore en deçà de ses objectifs de meilleure préservation de la biodiversité ».
Concernant le programme 159, la situation est encore plus préoccupante : les subventions pour charges de service public versées aux opérateurs du programme - le Commissariat général au développement durable (CGDD), le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cérema), l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) et Météo France - diminuent de 9,48 millions d'euros, soit une baisse de 2,2 % par rapport à 2021. Ces évolutions contraignent les opérateurs dans leur adaptation aux changements induits par le numérique et les nouvelles attentes en matière de services. L'ouverture des données publiques, non compensée, nuit à leur faculté d'assurer la souveraineté et la fiabilité des données cartographiques et météorologiques, essentielle pour préserver la pertinence de nos modèles d'anticipation et de prise de décision.
Le devenir du Cérema, centre d'expertise publique précieux pour l'accompagnement de l'ingénierie territoriale de l'État et des collectivités territoriales, a ainsi fait l'objet d'une mise en garde sévère dans un rapport conjoint du CGEDD et de l'Inspection générale de l'administration (IGA) : son « pronostic vital est engagé », son « modèle économique est insoutenable », ce qui crée un « risque important de déclassement technique ». Est-ce vraiment ce que nous voulons pour notre expertise publique ?
Météo France est également dans une situation inconfortable, avec une baisse de 20 % de sa subvention depuis dix ans, alors que le nombre d'acteurs météo-sensibles progresse et que 25 à 30 % de notre PIB dépend des conditions météorologiques. Un rapport de contrôle de notre collègue des finances Vincent Capo-Canellas a bien mis en évidence ces tendances, d'autant plus préoccupantes que les bénéfices socio-économiques de la délivrance de services météorologiques sont estimés entre 3,4 à 8 fois son budget. Il est essentiel que cet opérateur puisse développer des modèles de vigilance capables de mieux anticiper les événements dangereux, dont il est à craindre qu'ils ne se multiplient ces prochaines années.
Un autre sujet d'inquiétude ressort nettement des auditions que j'ai menées : les effectifs des opérateurs ne cessent de fondre depuis le début du quinquennat. Depuis 2018, 710 équivalents temps plein (ETP) ont été supprimés, dont une baisse de 12 % des effectifs de Météo France et 11 % pour le Cérema. Seul point positif : le schéma d'emplois sera stable en 2022 pour les opérateurs du programme 113, et les parcs nationaux bénéficieront de la création de 20 ETP, 10 pour accompagner le développement du onzième parc national et 1 pour chacun des autres parcs. Je salue cet effort ponctuel, même s'il intervient après une baisse de 14 ETP depuis 2010 quand, dans le même temps, deux nouveaux parcs ont été créés - Calanques et Forêts - et que les Français ont massivement fréquenté ces espaces au sortir des confinements successifs. Le compte n'y est pas pour concrétiser l'ambitieuse stratégie nationale pour les aires protégées. Sandra Lavorel, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste des écosystèmes terrestres, avait déploré devant notre commission, en octobre dernier, que « les moyens et les effectifs alloués à la gestion des aires protégées sont une tragédie pour la gestion de la biodiversité en France ».
La situation des agences de l'eau est également préoccupante : leurs effectifs ont diminué de 21 % depuis 2010, alors que leurs missions n'ont cessé de se développer, notamment en direction de la biodiversité et des milieux marins depuis la loi de 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Je rappelle que nous sommes toujours loin de l'objectif fixé pour 2027 par la directive-cadre sur l'eau d'un bon état des masses d'eau. On a vu le rôle positif que les agences de l'eau ont joué auprès des collectivités territoriales pendant la crise sanitaire ; ce sont des outils essentiels, qui assurent le soutien de projets à fort effet de levier et l'adaptation de nos territoires au changement climatique.
Le schéma d'emplois du programme 159 continue d'être négatif, avec une baisse de 110 ETP en 2022. Depuis 2012, Météo France a perdu 923 ETP, ce qui obère ses capacités à maintenir une recherche et développement de pointe. Le Cérema a également vu ses effectifs s'amenuiser depuis sa création en 2014, de 3 045 à 2 382 ETP, ce qui correspond à un important effort de rationalisation de l'établissement. Ces tendances mettent à mal l'excellence météorologique et l'expertise scientifique et technique au profit de l'État et des collectivités territoriales. Ces opérateurs, soumis à une forte concurrence, doivent répondre à des demandes toujours plus complexes et exigeantes en ressources. Ils sont arrivés au terme d'un processus de rationalisation et de mutualisation. La poursuite de cette tendance menace désormais leur compétitivité et leur modèle économique, mais également - et c'est plus grave - leur capacité à répondre de manière satisfaisante à leurs missions de service public : poursuivre sur cette voie, c'est courir le danger du déclassement et de la perte de compétences. Les opérateurs n'ont plus de marges de manoeuvre et sont d'ores et déjà contraints de faire des choix dans l'exercice de leurs missions.
Outre des dotations budgétaires inférieures aux besoins et les inquiétantes pertes d'effectifs, plusieurs mécanismes engendrent des effets pervers. J'en citerai trois dont les conséquences sont particulièrement dommageables pour les opérateurs.
Le « plafond mordant » des agences de l'eau, qui prévoit un maximum annuel de recettes fiscales encaissées par les agences au-delà duquel l'excédent est reversé au budget général de l'État, ne sera pas relevé en 2022, ce qui limite les interventions financières des agences, alors que les assises de l'eau et le Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique montrent à quel point la question de l'eau est sensible - le secteur reçoit 250 millions d'euros alors qu'il faudrait dix fois plus d'investissement pour la qualité de l'eau et préserver la ressource. Le constat est clair, il faut maintenant investir.
Le choix de l'ouverture des données publiques, qui engendre d'importants manques à gagner non compensés, bouleverse le modèle économique des opérateurs générant de telles données. Pour Météo France, les conséquences sont évaluées à 1,4 million d'euros de perte directe et à 5 millions d'euros de pertes indirectes de recettes commerciales.
Enfin, le passage au régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (Rifseep) et les mesures de revalorisation salariale décidées nationalement engendrent également un surcoût important pour les opérateurs, estimé à 4 millions d'euros pour l'IGN ou 4,3 millions d'euros pour le Cérema et ce, sans compensation.
Enfin, ce budget compte un trop grand nombre d'angles morts. Les moyens consacrés à la lutte contre les espèces exotiques envahissantes manquent de coordination et la stratégie est inefficace pour faire face à ce fléau estimé à 368 millions d'euros par an, soit plus que le programme 113 dans son ensemble. Vous le savez, les collectivités territoriales sont démunies face à cette problématique et ne savent pas vers qui se tourner quand elles y sont confrontées.
La secrétaire d'État à la biodiversité nous a annoncé qu'elle nous présenterait un nouveau plan d'actions début 2022 ; un guichet unique, auprès d'un opérateur identifié et des effectifs dédiés, pourrait être une piste intéressante. Rien n'est cependant clair à ce stade et je serai attentif aux propositions qui seront faites.
Enfin, plusieurs personnes entendues en audition m'ont indiqué que la baisse continue des effectifs entraînait une moindre présence de l'État dans nos territoires, une police de l'environnement moins efficace et des règlementations moins contrôlées. Je l'ai constaté ce matin dans mon département, où les responsables de l'Office français de la biodiversité (OFB) de Mayenne m'ont fait part du manque d'effectifs, ce qui nuit à la crédibilité de nos stratégies environnementales. La préservation de la biodiversité mérite que l'on y consacre des moyens budgétaires mieux calibrés, des effectifs pérennes et que soient financées les ambitions que la France défend sur la scène internationale.
Pour ces raisons, mes chers collègues, je vous propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs aux paysages, à l'eau et la biodiversité ainsi que ceux qui sont relatifs à l'expertise, l'information géographique et la météorologie. En revanche, je vous propose d'émettre un avis favorable aux crédits consacrés à l'écologie de la mission « Plan de relance ».
M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour la qualité de ce travail.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs aux paysages, à l'eau, à la biodiversité et à l'expertise en matière de développement durable et météorologie de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à l'écologie de la mission « Plan de relance ».
Projet de loi de finances pour 2022 - Missions « Écologie, développement et mobilité durables » et « Plan de relance » - Crédits relatifs à la prévention des risques - Examen du rapport pour avis
M. Pascal Martin, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à la prévention des risques. - Pour la deuxième année, je vous présente mon rapport sur les crédits dédiés à notre politique de prévention des risques naturels, industriels, technologiques et nucléaires, crédits qui concourent également au développement de l'économie circulaire. J'ai procédé à cinq auditions à titre principal.
Le financement de cette politique me tient particulièrement à coeur, car il permet d'agir très concrètement pour réduire à la source ces risques, au bénéfice de nos concitoyens, de nos entreprises, de nos infrastructures.
Comme l'an dernier, ces moyens sont rassemblés dans les programmes 181 et 217 de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », ce dernier programme portant les crédits des personnels dédiés à la politique de prévention des risques, ainsi que dans la mission « Plan de relance ».
Cette année, j'aurais cinq observations principales à partager avec vous et une proposition d'amendement.
Première observation : ce budget pour 2022 est stable et s'inscrit dans la continuité de l'exercice 2021 et du quinquennat.
L'an dernier, plusieurs éléments importants étaient intervenus : budgétisation du fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), reconduction de la réduction d'impôt pour risque sismique, prorogation du crédit d'impôt pour les travaux prescrits par des plans de prévention des risques technologiques (PPRT), définition de la fiscalité applicable au projet du Centre industriel de stockage géologique (Cigéo), notamment.
D'ailleurs, cette année, les députés ont adopté un amendement du Gouvernement visant à prolonger la contribution spéciale exigible auprès des producteurs de déchets et perçue par les groupements d'intérêt public (GIP) constitués localement pour la mise en oeuvre du projet Cigéo jusqu'en 2025, en lien avec le décalage du calendrier d'autorisation de création du projet. Comme vous l'avez sans doute vu, le dossier de demande de déclaration d'utilité publique (DUP) de Cigéo a été déposé en août 2020 par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), il comprend les 17 avis favorables et 7 avis défavorables des collectivités concernées ainsi que les évaluations socio-économiques. L'enquête publique préalable à la DUP a démarré en septembre 2021. L'obtention de la DUP est prévue pour fin 2021 et un décret d'autorisation de création (DAC) sera encore nécessaire avant de lancer véritablement l'exploitation du site, qui ne devrait pas intervenir avant 2025, voire 2027. La phase d'exploitation du site pourra alors débuter, pour s'achever à l'horizon de 2150.
Autre élément pour 2022, le Gouvernement a déposé un amendement, dans le cadre de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2022, au sein des articles non rattachés, pour apporter une garantie financière à la société des Mines de potasse d'Alsace, pour le stockage des déchets solubles et non solubles en couches géologiques profondes présents sur le territoire de la commune de Wittelsheim. Il s'agit du dossier « StocaMine », que certains d'entre vous connaissent bien.
Pour répondre à l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel (CAA) de Nancy, pour lequel il s'est d'ailleurs pourvu en cassation, l'État souhaite apporter une garantie financière à hauteur de 160 millions d'euros jusqu'au 1er janvier 2030, afin de montrer que la société concernée pourra assumer l'ensemble des coûts liés à un stockage à durée illimitée de ces déchets.
D'autres solutions ont été envisagées. C'est un dossier particulièrement complexe, avec des implications très fortes en fonction des solutions retenues.
Ces deux dossiers, Cigéo et StocaMine, pourraient d'ailleurs faire l'objet d'un suivi plus précis de la part de notre commission, notamment avec des déplacements, comme nous l'avons déjà évoqué en Bureau et avec Marta de Cidrac, qui a conduit des travaux sur StocaMine dans le cadre du groupe d'études relatif à l'économie circulaire dont elle assure la présidence.
Pour le programme 181, derrière une baisse de 15 % des autorisations d'engagement (AE), à 1 milliard d'euros pour 2022 par rapport à la loi de finances initiale 2021, et une hausse de 8,5 % des crédits de paiement (CP), à 1 milliard d'euros également, se cache en fait le retour à une situation « normale » pour le programme 181. La ventilation des crédits entre les actions est très proche.
L'an dernier, des fonds importants avaient été inscrits sur la nouvelle action portant le Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit fonds « Barnier », tant pour couvrir des engagements passés que pour faire face aux dégâts très importants de la tempête Alex dans les Alpes-Maritimes.
Cette année, les hausses résultent d'un saupoudrage sur plusieurs actions, dont un renforcement des crédits de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), pour 50,7 millions d'euros, et 30 millions d'euros pour le FPRNM, en lien avec la tempête Alex.
La réduction d'effectifs pour le ministère est moins importante cette année, soit - 1,4 %, mais la réduction totale sur cinq ans aura tout de même été de - 13,5 %, correspondant à environ 5 500 postes supprimés.
Si cette trajectoire était anticipée, je m'inquiète toutefois d'un mouvement parallèle d'érosion progressif de l'expertise dans nos grands opérateurs, ce qui rejoint les observations formulées précédemment par mes collègues rapporteurs pour avis. Ainsi, l'Ademe a massivement recours à des contrats courts pour mener à bien sa mission et elle a perdu 12 % de ses effectifs sous plafond en cinq ans. Si elle parvient à attirer des profils de grande qualité selon son président, Arnaud Leroy, il est difficile de maintenir cette ressource dans la durée.
Certains champs d'action sont ainsi délaissés comme le bruit ou certaines pollutions atmosphériques, quand d'autres sont priorisés, en lien avec les moyens proposés par le Gouvernement, à l'image du fonds « Sols », qui sera mis en place par l'Ademe.
Deuxième remarque, dont je vous avais déjà fait part l'an dernier : le plan de relance est décevant et insuffisant pour la prévention des risques naturels et industriels.
Même si les crédits dévolus à l'économie circulaire sont importants, ils ne font pas oublier ce manque.
D'ailleurs, parmi les éléments qui m'ont été transmis par la direction générale de la prévention des risques (DGPR) s'agissant de la liquidation du plan de relance, il n'est pas fait mention des mesures prises en faveur de la protection et de l'adaptation face au recul du trait de côte.
Pour 2022, environ 15 millions d'euros sont inscrits pour la protection du littoral dans la mission « Plan de relance » et 4 millions d'euros pour le renforcement des barrages. Le Gouvernement demande également 2 millions d'euros pour la construction de 17 abris anticycloniques en Polynésie française et 13,3 millions d'euros pour renforcer la solidité et la résilience de 20 bâtiments en lien avec le plan Séismes aux Antilles.
Les montants demeurent donc encore modestes pour la prévention des risques, alors que des moyens seraient nécessaires pour opérer un changement d'échelle sur plusieurs de nos politiques d'adaptation au changement climatique et de lutte contre les pollutions de toute nature, pour l'environnement et nos concitoyens.
Troisième remarque : l'un des enjeux centraux du programme pour le prochain exercice, à savoir le budget pour 2023, sera la sûreté nucléaire, compte tenu de l'annonce du Président de la République, qui demeure encore floue à ce stade d'ailleurs sur l'ampleur des investissements et des sites concernés, de déployer un nouveau programme nucléaire national, visant la construction d'au moins six réacteurs de nouvelle génération.
Cette annonce aura pour conséquence d'alourdir un programme de travail déjà bien rempli pour l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), notamment par le réexamen périodique des réacteurs de 900 et 1300 mégawatts (MWe) et par la montée en puissance prochaine des exigences de contrôle sur les réacteurs de petite à moyenne puissance - 30 à 400 MWe -, les SMR, qui bénéficieront d'un soutien via le plan France 2030 annoncé récemment et traduit dans le budget par un amendement du Gouvernement.
D'après les travaux préparatoires qui ont été conduits notamment par Bercy, le coût total de la construction et de la mise en service de trois nouvelles paires de réacteurs EPR II représenterait 47,2 milliards d'euros au total.
Il est évident que les ressources mises pour assurer le contrôle de la sûreté nucléaire et l'inspection des sites, à tous les stades pertinents avant et après leur mise en service, devront être ajustées en conséquence.
Ce renforcement devra porter à la fois sur le fonctionnement, pour permettre aux opérateurs de l'expertise et du contrôle de la sûreté nucléaire, en particulier l'ASN, de renforcer leurs connaissances des risques et leur méthodologie, sur les effectifs, qui s'établiront à 444 ETPT en 2022 hors mesures de périmètre, contre 392 en 2017 hors mesures de périmètre, pour assurer une présence sur le terrain à la hauteur des enjeux - en 2022, 2 ETP supplémentaires assureront le fonctionnement de l'ASN, représentant 1 ETPT - et sur son indépendance.
Je resterai attentif à ces points et vous proposerai sans doute des amendements l'an prochain si vous me renouvelez votre confiance pour examiner ce budget.
Une réflexion doit donc être engagée sur les moyens de l'ASN et il faudra également suivre l'avancement de l'affaire qui a éclaté récemment à propos de manquements à la sûreté supposés dans la centrale du Tricastin. Un salarié a déposé plainte contre EDF pour « mise en danger de la vie d'autrui » et « infractions au code pénal, au code de l'environnement et au code du travail et à la réglementation sur les installations nucléaires », évoquant notamment une surpuissance du réacteur 1 en 2017 et une inondation interne en 2018, qui n'auraient pas donné lieu à un signalement dans les formes à l'ASN.
Ma quatrième observation est en lien avec nos travaux sur Lubrizol et concerne les effectifs de l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE).
L'engagement de la ministre est bien respecté : 50 postes d'inspecteurs en ETP, pour un total de 1 427 ETP pour 2022, auront vu le jour en deux ans, même si Élisabeth Borne avait initialement annoncé 50 postes dès 2021... Toutefois, cette information n'est pas simple à vérifier ni totalement précise, compte tenu des marges de manoeuvre laissées aux préfets, à l'échelle des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). En outre, certains postes affichés dans les tableaux des services ne correspondent pas toujours à des postes effectivement occupés et la suppression factuelle des lignes qui se rapportent à ces postes ne correspond donc pas à des suppressions de postes...
La politique de ressources humaines est donc difficilement lisible.
Quoi qu'il en soit, dans les documents budgétaires de 2021, on a constaté une hausse effective de 22 ETP et un transfert de 8 ETP vers le ministère du travail pour le contrôle des mines à ciel ouvert et des carrières, correspondant à 30 postes. Toutefois, la répartition géographique de ces 30 nouveaux postes, trouvés par repyramidage entre catégories C et A en 2021, est très inégale. On compte, par exemple, 0,9 ETP pour la région Normandie, 7,8 pour la région Auvergne-Rhône-Alpes, 3,6 pour la région Occitanie.
Dans les documents budgétaires de 2022, la hausse sera de 14 ETP nouveaux en net et 6 ETP par repyramidage entre catégories C et A.
Au total, ces 20 postes, s'ajoutant aux 30 de l'an dernier, font que l'on arrive à 50.
À l'heure actuelle, un inspecteur intervient sur environ 420 sites par an et le nombre de contrôles a été divisé par deux en quinze ans. Par rapport aux 18 200 visites réalisées en 2018, l'objectif de 27 200 visites annuelles sera atteint en 2023 selon l'administration, ce qui correspond à peu près au calendrier initial de l'annonce de la ministre pour la hausse de 50 % des contrôles.
Enfin, ma cinquième et dernière observation concerne les risques naturels, compte tenu de notre déplacement dans les Alpes-Maritimes, le 25 novembre prochain, qui vise à mesurer les conséquences de la tempête Alex intervenue fin 2020 et à suivre l'avancée des travaux de reconstruction.
Dans le PLF pour 2022, les moyens dédiés aux risques naturels sont confortés pour la seconde année avec le maintien de la budgétisation du FPRNM. Cette budgétisation s'effectue à un niveau important cette année encore, à hauteur de 235 millions d'euros, après 415 millions l'an dernier, mais elle ne peut faire oublier le fait que le fonds a été ponctionné de près plus de 300 millions d'euros sous ce quinquennat.
Je me réjouis que cette ponction ait cessé, d'autant plus que le fonds est de plus en plus mobilisé et que la pression sur le financement de la prévention et du traitement des risques naturels va s'amplifier au cours des prochaines années.
L'amendement que je vais vous proposer a été élaboré en concertation avec notre collègue François Calvet, qui a travaillé sur le programme 174, comportant à titre principal les crédits délégués aux associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA) en France : je vous propose de leur attribuer 2 millions d'euros supplémentaires, afin qu'elles participent au service de prélèvements atmosphériques pour les situations d'urgence, dont le régime a été renforcé à la suite de l'accident de Lubrizol et qui impose des exigences accrues pour certaines installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) sensibles.
L'objectif est de participer, avec ces 2 millions d'euros, au financement des coûts de veille et de fonctionnement du dispositif de prélèvements, car son intervention au cas par cas donnera lieu à un financement de l'exploitation concernée. Je souhaite souligner combien ces associations manquent de crédits pour assumer leurs missions qui sont essentielles.
Tels sont les principaux éléments dont je souhaitais vous faire part pour ce budget 2022.
Après un budget de changements en 2021, le budget pour 2022 s'inscrit dans la stabilité, et le rendez-vous est pris pour 2023 avec des échéances importantes à plusieurs titres.
En conséquence et en cohérence avec l'avis favorable émis l'an dernier, je vous propose un avis favorable sur le vote des crédits du programme 181.
M. Didier Mandelli. - Je souhaiterais rappeler ce qu'est devenu le fonds « Barnier », qui a été supprimé en tant qu'outil autonome par la budgétisation opérée en 2021.
Comme chaque année, le prélèvement opéré sur les contrats d'assurance habitation et automobile correspond à une recette d'environ 230 millions d'euros.
Ces recettes alimentent désormais le budget de l'État alors qu'elles sont censées alimenter directement notre politique de prévention des risques naturels, en contribuant à la prise en charge de dépenses de prévention, de protection et d'indemnisation.
J'ajoute que le fonds n'était pas à un niveau « 0 » ! Entre les crédits délégués aux préfectures mais non engagés ou non consommés et le solde de trésorerie, les ressources du fonds représentaient environ 700 millions d'euros, qui ont également été versées au budget général de l'État.
Je considère donc qu'il y a un décalage énorme entre les besoins mesurés sur le terrain, notamment par rapport au recul du trait de côte - des digues ne sont pas financées et réalisées, par exemple - qui est complément disproportionné.
Je comprends pourquoi le Gouvernement a souhaité budgétiser ce fonds, cela permet plus de flexibilité de gestion !
Je rappelle que ce fonds est alimenté par des
cotisations sur nos assurances
- entreprises, collectivités,
particuliers. La recette est toujours là mais les moyens ne sont pas
affectés en conséquence.
Les ressources du fonds ont été ponctionnées puis plafonnées à plusieurs reprises, nous nous sommes tous battus pour supprimer ce plafond.
C'est donc un tour de passe-passe qui est réalisé par le Gouvernement sur ce fonds et lui permet de récupérer des centaines de millions d'euros sans pour autant les consacrer tous à la politique de prévention des risques.
M. Jean-François Longeot, président. - Notre commission s'exprime en effet régulièrement sur ce sujet...
M. Joël Bigot. - J'abonderai dans le même sens que mon collègue Didier Mandelli : désormais les cotisations des assurés alimentent le budget général, par un tour de passe-passe, au lieu de servir directement le financement de la politique de prévention des risques.
Article 20 (État B)
L'amendement II-79 est adopté.
M. Joël Bigot. - Vous l'avez dit, monsieur Martin, la politique des ressources humaines est difficilement déchiffrable, et si l'on ajoute à cela l'illisibilité du fonds Barnier, ce rapport soulève bien des questions. Le dérèglement climatique va entraîner une hausse des moyens nécessaires pour la prévention des risques et nous devrons y répondre car les crédits correspondants sont condamnés à augmenter, si la France veut être à la hauteur des enjeux.
J'aimerais revenir sur les risques industriels. Vous avez mentionné le site de Lubrizol, pour lequel le Gouvernement avait promis de recruter des inspecteurs des installations classées. Cette promesse semble avoir été tenue mais il faudra aller plus loin car la prévention des risques devra être renforcée pour d'autres sites dans les années à venir.
Je tiens enfin et surtout à évoquer l'Ademe, véritable bras armé de la transition écologique. En effet, à ce jour, si le nombre de salariés est stable, de nombreux contrats restent précaires. Si l'on veut donner à l'expertise publique et gouvernementale toute sa dimension, on ne peut se satisfaire de cette politique qui, au mieux, pourrait conduire à privatiser l'expertise et il ne s'agirait plus alors d'une politique publique d'accompagnement de la transition écologique. Les effectifs sous plafond de l'Ademe, en baisse depuis cinq ans, sont donc très préoccupants et il serait bon d'avoir des certitudes à ce sujet après juin 2022, afin de pouvoir conduire la transition écologique.
En attendant, je propose de voter contre l'adoption de ces crédits.
M. Hervé Gillé. - Dans le cadre de son rapport, Guillaume Chevrollier a remis en perspective la question du « plafond mordant » des agences de l'eau. Sa remarque était judicieuse, notamment en ce qui concerne la montée en puissance des schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE), qui se fait alors que les moyens des agences ne sont pas toujours suffisants pour accompagner les collectivités territoriales.
Je voudrais en venir à une demande d'éclaircissement au sujet de l'intervention de l'État sur les ouvrages de prévention dans le cadre des programmes d'actions de prévention des inondations (PAPI). Jusqu'à maintenant, environ 30 % du coût de ces ouvrages est couvert par l'État ; ces dépenses figurent-elles bien dans le cadre du programme ? Les compétences sont notamment transférées dans le cadre de la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi) mais en ce qui concerne les politiques d'intervention de l'État, je voudrais m'assurer que les moyens d'accompagnement sont toujours présents.
M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Tout d'abord, pour revenir à la remarque de Didier Mandelli sur le fonds Barnier et son fonctionnement, je la partage en partie.
Pour répondre à M. Bigot sur l'Ademe, je souhaiterais rappeler que, lors de son audition, le président Leroy nous a expliqué en toute transparence qu'une partie des contrats à durée déterminée (CDD) prendraient fin le 30 juin 2022 et que, pour l'instant - son budget n'étant voté qu'en décembre - il n'a aucune garantie quant à la reconduction éventuelle de ces contrats. Il nous a confié aussi se satisfaire, dans le contexte général, de la création de neuf postes pour 2022.
Enfin, sur les PAPI, l'action 10 du programme 181 porte sur la prévention des risques naturels et hydrauliques, qui comporte notamment des crédits d'intervention au bénéfice des collectivités. Dans le « bleu » budgétaire et les réponses qui m'ont été transmises par l'administration, on apprend également que le taux de territoires à risque important d'inondation couverts par un PAPI était de 77 % en 2020. Le taux de prévision actualisé est de 81,5 % pour 2021, et de 85 % pour 2022, la cible étant de 89 % pour 2023.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à la prévention des risques de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », sous réserve de l'adoption de son amendement, et un avis favorable à l'adoption des crédits du plan de relance concernés.
Projet de loi de finances pour 2022 - Missions « Écologie, développement et mobilité durables » et « Plan de relance »- Crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes - Examen du rapport pour avis
M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes. - J'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui le rapport sur les crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes prévus par le projet de loi de finances (PLF) pour 2022. Ce rapport est le fruit d'un travail conséquent et d'une quinzaine d'auditions, réalisés dans des délais assez courts.
Le premier objectif était de rester cohérent avec les remarques et amendements que nous avions présentés lors des discussions sur le PLF pour 2021. Le deuxième était d'être cohérent avec la loi « Climat et résilience » d'août dernier, ce texte qui a beaucoup occupé notre commission cette année. Nous avons en effet passé des semaines à y travailler ensemble, et il me paraissait logique de tenter de décliner dans le PLF ce que nous avions voté alors. Enfin, j'ai souhaité prendre la mesure de l'effectivité du plan de relance. S'agissait-il d'une annonce politique du Gouvernement ? D'un plan de soutien à certaines filières ? D'un plan de sauvegarde ? Nous avons essayé à travers ce rapport d'apporter des réponses à ces questions.
Le PLF pour 2021 présentait un caractère exceptionnel compte tenu de la crise sanitaire et économique, et des moyens déployés pour y faire face. Le PLF pour 2022 s'inscrit dans une certaine continuité puisque les effets de la crise se poursuivent, mais s'ajoute aussi le contexte particulier de la campagne présidentielle à venir. En effet, les annonces gouvernementales se sont multipliées ces derniers mois dans le domaine des transports, et il n'est pas toujours facile de distinguer les mesures nouvelles de celles ayant déjà été budgétées. Cette situation accroît l'impression d'un éclatement des moyens, et nuit à la lisibilité du budget. Dans le cadre des auditions conduites avec les acteurs du transport ferroviaire, fluvial et maritime, je me suis donc attaché à éclaircir le contenu de ce PLF dans la mesure du possible, et à vérifier si les crédits du plan de relance avaient bien été déployés.
J'en viens à la présentation des différents volets autour desquels s'articule mon rapport, en commençant par l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). La crise ayant éclaté en 2020 continue à peser de manière significative sur les recettes de l'Afitf, notamment sur le produit de la taxe de solidarité sur les billets d'avion (TSBA), le produit de la taxe d'aménagement du territoire (TAT) et celui des amendes radars. En outre, les sociétés concessionnaires d'autoroutes, contestant une évolution de la TAT, refusent de s'acquitter d'une contribution de 61 millions d'euros pour 2021, ce qui n'arrange rien. Les prévisions de recettes pour 2022 apparaissent toutefois plus réalistes qu'en 2021, et l'Afitf devrait être en mesure de respecter la trajectoire de dépenses prévue par la loi d'orientation des mobilités (LOM), avec des investissements à hauteur de 2,6 milliards d'euros pour 2022. Néanmoins, cette trajectoire reste théorique puisque le Gouvernement a engagé de nouvelles dépenses qui ne sont pas incluses, pour financer le canal Seine-Nord Europe, le tunnel ferroviaire Lyon-Turin ou le récent plan « Marseille en grand ». Les députés ont d'ailleurs adopté un amendement visant à abonder le budget de l'Afitf de 32 millions d'euros, en faveur du développement des transports collectifs de la cité phocéenne. Sans remettre en cause le bien-fondé de ces investissements, une telle manière de faire, consistant à amender le PLF au fur et à mesure des annonces présidentielles et ministérielles, suscite la perplexité quant à la lisibilité et la sincérité de ce budget.
Au-delà de cette problématique, la soutenabilité du financement de l'Afitf continue d'interpeller. D'une part, la situation conduisant chaque année le Gouvernement à compenser les pertes de recettes de l'agence via un collectif budgétaire n'est pas tenable. Cette année encore, le Gouvernement prévoit une compensation à hauteur de 250 millions d'euros en deuxième loi de finances rectificative. D'autre part et à plus long terme, on peut s'interroger sur le devenir de la part du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) affectée à l'agence, qui a vocation à se contracter à mesure du verdissement du parc automobile. Ainsi, comme l'année dernière, j'estime urgent d'engager une réflexion sur l'avenir du financement de cette agence, afin de faire reposer les investissements de long terme, nécessaires à nos infrastructures, sur des ressources crédibles et pérennes.
À cette problématique de financement vient s'ajouter une insuffisance des moyens humains de l'agence. En effet, malgré l'extension du champ de ses missions, notamment pour déployer les crédits du plan de relance qui s'élèvent à 750 millions d'euros en 2022, l'agence n'est dotée que de quatre équivalents temps plein travaillés (ETPT), mis à disposition par le ministère de la transition écologique. Nous considérons, avec Olivier Jacquin, rapporteur des crédits relatifs aux transports terrestres, qu'il est indispensable d'augmenter ces effectifs, pour que les moyens soient à la hauteur des besoins. Certes, l'agence a pour objectif principal d'investir, et j'ai bien conscience que le budget de notre pays n'a pas dans certains secteurs toujours besoin d'agents supplémentaires. Cependant, il s'agit dans ce cas d'investir 3,5 milliards d'euros, avec les responsabilités juridiques et les erreurs potentielles que cela comporte, et il faut des hommes et des femmes pour mener à bien cette mission. En tant que membre du conseil d'administration de l'Afitf, je continuerai à tout faire pour que des moyens supplémentaires soient obtenus, et pour que l'agence puisse ainsi mener à bien vos projets.
J'en viens à présent au transport ferroviaire, qui peine à retrouver son niveau de fréquentation d'avant-crise. En effet, d'après le groupe SNCF, l'impact de la crise sur les trafics se poursuit et au premier semestre 2021, on observe une baisse d'environ 29 % sur les trains à grande vitesse (TGV) et de 30 % sur les Transiliens et transports express régionaux (TER). Cette baisse persistante s'explique notamment par une réduction de 60 % des déplacements professionnels et de 50 % des déplacements pendulaires en 2020, et par une diminution des déplacements de loisirs dans une moindre mesure. Dans ce contexte, et pour faire du train un bien de première nécessité, la commission a adopté, sur ma proposition, la semaine dernière un amendement visant à diminuer le taux de TVA à 5,5 % sur le transport ferroviaire. Malheureusement, la majorité de nos collègues n'a pas souhaité nous suivre en séance publique. Pourtant, cette proposition figurait dans la version du Sénat du texte « Climat et résilience », même si elle n'a pas résisté à une commission mixte paritaire musclée.
Cette situation se traduit par d'importantes pertes de chiffre d'affaires pour le groupe SNCF, pertes qui pourraient atteindre 2,9 milliards d'euros en 2021, dont plus de 450 millions d'euros pour SNCF Réseau.
Le PLF pour 2022 est dans le droit fil de celui de 2021 puisqu'il prévoit globalement une augmentation des crédits consacrés au transport ferroviaire. Ainsi, les crédits prévus par le programme 203, « Infrastructures et services de transports », dédiés aux infrastructures ferroviaires devraient passer de 2,47 à 2,56 milliards d'euros. Les crédits consacrés aux transports collectifs, notamment aux trains d'équilibre du territoire, sont eux aussi en légère augmentation. Il est également prévu de supprimer deux taxes ferroviaires qui pesaient exclusivement sur SNCF Voyageurs et n'étaient plus soutenables, compte tenu de l'ouverture à la concurrence. En outre, le PLF pour 2022 prévoit d'acter la deuxième tranche de reprise de la dette de SNCF Réseau, à hauteur de 10 milliards d'euros. Le soutien au transport combiné est quant à lui en légère diminution, mais 'il est complété par des crédits de la mission « Plan de relance ».
J'en viens justement aux crédits consacrés au transport ferroviaire par le plan de relance, dont une partie a été exécutée en 2021, et dont le déploiement devrait se poursuivre en 2022 et en 2023. Tout d'abord, 4,05 milliards d'euros sont prévus pour SNCF Réseau, dont 1,6 milliard d'euros a été versé au gestionnaire d'infrastructure en 2021, le reste étant prévu pour 2022 et 2023. Cette somme se décompose ainsi : 2,3 milliards d'euros pour les investissements de régénération du réseau ferroviaire, 1,5 milliard d'euros pour les surcoûts liés à la fin de l'utilisation du glyphosate et à la sécurisation des ouvrages d'art et 250 millions d'euros au bénéfice des petites lignes. Par ailleurs, 650 millions d'euros ont été alloués par le plan de relance à des programmes spécifiques et sont ainsi répartis : 250 millions d'euros pour les infrastructures de fret ferroviaire, 300 millions d'euros pour les petites lignes et 100 millions d'euros pour les trains de nuit. Je voudrais m'arrêter un instant sur ces enveloppes, afin de les analyser de plus près.
D'abord, j'ai eu beaucoup de difficultés à obtenir le détail de l'affectation de ces quelque 5 milliards d'euros de crédits. Certains acteurs confirment d'ailleurs cette opacité et le manque de lisibilité du plan de relance, que les documents budgétaires ne permettent pas d'éclaircir quand il s'agit de la répartition précise des crédits, des modalités ou dates prévues de versement.
En ce qui concerne les 2,3 milliards d'euros
destinés au réseau, ils sont indispensables pour maintenir le
niveau de rénovation compte tenu des pertes liées à la
crise sanitaire. Cependant, si le montant des investissements bruts
prévus pour la rénovation devrait approcher 3 milliards
d'euros pour 2022, les besoins sont estimés à
3,5 milliards d'euros par an. Certes, nous prenons moins de retard
que précédemment en matière de
régénération, mais le réseau ferroviaire peine
toujours à sortir de son état de dégradation. Par
ailleurs, les montants ne sont pas à la hauteur des besoins pour
atteindre les objectifs ambitieux fixés par la loi « Climat et
résilience » quant à l'augmentation de la part modale
du transport ferroviaire de voyageurs et de fret. Toutefois, alors même
que la régénération de notre réseau est loin
d'être terminée, et qu'aucun modèle de financement n'a
été esquissé pour sa modernisation
- notamment en
ce qui concerne l'European Rail Traffic Management
System (ERTMS), les commandes centralisées et la
signalisation -, des annonces récentes prévoient de nouveaux
investissements dans des lignes à grande vitesse.
Par ailleurs, s'agissant de la somme de 1,5 milliard d'euros destinée à couvrir les coûts liés à l'arrêt de l'utilisation du glyphosate et à la sécurisation des ouvrages d'art, elle correspond en réalité à des actions déjà prévues, mais non budgétées.
Néanmoins, les nouveaux crédits consacrés aux lignes de desserte fine du territoire sont bienvenus et supérieurs à la trajectoire précédente, même si les montants prévus restent en deçà des besoins annuels identifiés par le rapport Philizot, qui s'élèvent à environ 700 millions d'euros. En effet, les 620 millions d'euros prévus par le plan de relance correspondent à un investissement sur deux ans, soit environ 310 millions d'euros supplémentaires par an en moyenne. Nous sommes loin de couvrir les besoins nécessaires pour éviter les fermetures de lignes sur nos territoires et si l'État signe des conventions avec les régions, les engagements seront difficilement tenus. La commission, sur ma proposition, a adopté la semaine dernière un amendement visant à abonder de 300 millions d'euros les crédits dédiés aux petites lignes, qui sont essentielles à la mobilité dans les territoires les plus reculés.
Le fret ferroviaire connaît quant à lui une dynamique très positive depuis quelques mois, à la suite de la publication de la stratégie nationale pour son développement. De nouvelles aides ont ainsi été mises en place depuis l'an dernier, et seront pérennisées jusqu'en 2024, ce qui représente une excellente nouvelle pour ce secteur, dont le caractère indispensable à la continuité de la vie de la Nation a été mis en lumière par la crise sanitaire. En revanche, des inquiétudes persistent au sujet de la consommation de ces crédits et du choix des sillons bénéficiant d'optimisations de chantier, choix dont on peut s'interroger sur la pertinence d'après l'Association française du rail (AFRA). Comme nous l'avions évoqué l'an dernier, ce plan de relance constitue bien un plan de soutien du ferroviaire, voire un plan de sauvetage à entendre certains acteurs du secteur. Et le suivi de ce plan reste particulièrement difficile. Les mesures prévues par le budget pour 2022 sont certes en hausse, ce qu'il convient de saluer, mais les montants demeurent insuffisants pour tenir nos objectifs et régler la question du financement du système ferroviaire, comme l'a rappelé la Cour des comptes dans un récent rapport. Nous aurons l'occasion d'en reparler lorsque nous évoquerons dans les prochains mois le nouveau contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État, mais la question du financement de SNCF Réseau est d'autant plus inquiétante que le coût des péages ferroviaires en France reste l'un des plus élevés de l'Union européenne.
Dans ce contexte, et dans la perspective de l'arrivée de nouveaux entrants sur le marché, l'existence d'un régulateur fort semble indispensable. L'Autorité de régulation des transports (ART) a jusqu'à présent joué un rôle considérable pour permettre à l'ouverture à la concurrence de se dérouler dans de bonnes conditions. Cependant, malgré l'extension de ses missions, les moyens qui lui sont affectés n'ont pas suffisamment augmenté, et l'ART a beaucoup entamé son fonds de roulement. Étant son propre assureur, l'autorité s'expose à devoir verser des indemnités en cas de litige perdu. Il est donc indispensable de lui permettre d'exercer ses missions dans de bonnes conditions et de ne pas craindre d'aller au contentieux s'il le faut, face à des groupes particulièrement puissants. La force de l'ART doit résider dans sa capacité à mener ses combats en toute indépendance. C'est la raison pour laquelle je souhaiterais que l'on puisse augmenter sa subvention pour charge de service public, et avec Olivier Jacquin, nous vous proposerons d'adopter un amendement en ce sens.
En ce qui concerne le transport fluvial, le PLF pour 2022 s'inscrit dans la continuité de 2021. La subvention pour charge de service public de Voies navigables de France (VNF), qui s'élève à 248 millions d'euros, reste stable. Par ailleurs, le décaissement des crédits du plan de relance prévus pour la régénération du réseau devrait s'accélérer et, sur les 175 millions d'euros prévus, environ 60 millions d'euros ont été dépensés en 2021, ce montant devant atteindre 85 millions d'euros en 2022. Cette trajectoire d'investissement en faveur des infrastructures fluviales, qui représente une évolution positive après des décennies de sous-investissement, est soutenue par le contrat d'objectifs et de performance signé par VNF et l'État au mois d'avril dernier. Celui-ci fixe des orientations stratégiques et prévoit une trajectoire d'investissement globale s'élevant à 3 milliards d'euros pour la prochaine décennie.
Néanmoins, il me semble que pour respecter des objectifs ambitieux, notamment le doublement de la part du fluvial dans le transport de marchandises à horizon 2030, des mesures de soutien direct en faveur de ces acteurs sont nécessaires. En effet, le plafond d'emplois de VNF diminue depuis plusieurs années et la baisse a été particulièrement marquée en 2020 et 2021, avec la perte de 92 et 99 ETP. Cette baisse se poursuivra en 2022, bien qu'à un niveau plus modéré, avec une diminution prévue de 30 ETP. D'autre part, si l'établissement est engagé dans une démarche de modernisation qui devrait permettre des gains de productivité, une contraction trop rapide du schéma d'emplois menacerait l'accomplissement de ses missions essentielles. Je serai donc attentif au séquençage de ces réformes, afin de ne pas affaiblir cet opérateur qui est au coeur de l'ambition fluviale de notre pays.
Je souhaiterais également que les entreprises fluviales fassent l'objet d'un soutien plus affirmé de la part de l'État. Le transport fluvial a fait preuve d'une grande résilience face à la crise sanitaire et il est écologiquement vertueux, émettant selon VNF jusqu'à cinq fois moins de CO2 que le transport routier. Ces deux éléments plaident en faveur d'un renforcement du report modal vers la voie d'eau. Or, la reprise du trafic fluvial semble encore inégale. Au premier semestre 2021, le fret fluvial était en hausse de près de 10 % par rapport à la même période en 2020, et le transport de passagers reprend également, bien que de manière très différenciée selon les secteurs. Afin de renforcer la compétitivité de ces entreprises et d'encourager les investissements en faveur du verdissement de la flotte, j'ai proposé deux amendements que la commission a adoptés : le premier, pour encourager le renouvellement de la flotte au profit de bateaux plus récents, a malheureusement été rejeté en séance publique, le second pour renforcer la situation financière des entreprises fluviales, qui a, quant à lui, été adopté.
Par ailleurs, en ce qui concerne le transport maritime, si les crédits relatifs aux ports du programme 203 sont stables par rapport à 2021, le budget des affaires maritimes du programme 205 connaît une hausse de près de 25 %, passant de 155 à 192 millions d'euros. Cette augmentation traduit en partie les engagements issus du Fontenoy du maritime en faveur de la marine marchande et concerne notamment : l'enseignement maritime, 5 millions d'euros supplémentaires ayant été affectés à l'École nationale supérieure maritime afin de doubler le nombre d'officiers d'ici 2027 ; le soutien à la flotte de commerce, avec 16 millions d'euros prévus pour financer le « net wage », instauré en mai 2021 afin de renforcer la compétitivité des compagnies de ferries effectuant du transport international de passagers ; et la création d'un fonds d'intervention maritime doté de près de 18 millions d'euros, pour soutenir des projets sur les territoires littoraux. Enfin, je tiens à saluer la pérennisation du soutien de l'État à la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM), à hauteur de 10,5 millions d'euros.
La tendance est donc globalement positive, mais des inquiétudes persistent quant à la situation des compagnies de ferries. En effet, étant gérées en délégation de service public, elles ne sont pas éligibles au dispositif de soutien à l'emploi « net wage », et plusieurs d'entre elles rencontrent une concurrence étrangère féroce. Pour l'heure, aucun dispositif n'a été trouvé pour soutenir leur compétitivité.
Enfin, je souhaiterais aborder la question de la transition écologique du secteur maritime et portuaire. Lors de la COP26, la France s'est engagée, dans le cadre de l'Organisation maritime internationale (OMI) et aux côtés de quatorze autres États, à atteindre la neutralité carbone dans le transport maritime d'ici à 2050. Il est donc urgent de mettre en place des outils pour relever ce défi.
S'agissant du verdissement des ports, le plan de relance prévoit 175 millions d'euros pour financer des projets liés à l'électricité à quai, à l'amélioration de la desserte ferroviaire et fluviale, ou à l'amélioration de la performance énergétique. Cette enveloppe est bienvenue, mais j'identifie une insuffisance et un angle mort. D'une part, elle est nettement en deçà des besoins que le rapport de Michel Vaspart avait évalués à 5 milliards d'euros sur dix ans pour le seul développement du report modal. D'autre part, la transition écologique va impliquer un bouleversement du modèle économique de nos ports, qui devront à la fois développer une offre de production et de distribution d'énergies alternatives, et attirer des entreprises innovantes dans le domaine de la transition écologique. Or, la stratégie nationale portuaire (SNP) présentée en janvier 2021 apporte très peu de solutions pour renforcer l'attractivité de nos ports.
S'agissant du verdissement de la flotte maritime, les outils manquent pour aider les armateurs. Le dispositif de suramortissement vert qui permet de bénéficier d'une déduction fiscale à l'acquisition d'un équipement permettant une propulsion décarbonée, en vigueur depuis 2020, n'a jamais trouvé à s'appliquer. Je suis donc favorable à l'article 8 du PLF qui assouplit les critères d'éligibilité de cette mesure, et sur ma proposition, la commission a adopté deux amendements visant à en renforcer le caractère opérationnel, qui ont été adoptés en séance publique.
Au vu de ces observations, des amendements déjà soumis et de celui que je vais vous soumettre, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes.
M. Didier Mandelli. - Je voudrais commencer par féliciter le rapporteur pour son excellent travail. On ne peut que se réjouir des fonds qui vont être consacrés à ces sujets dans les années qui viennent. Cependant, je souhaiterais pointer une carence en termes d'effectifs. En effet, si je synthétise bien, cette question risque de créer des points de blocage avec l'Afitf, VNF et l'ART. Nous accueillons favorablement les actions et fonds supplémentaires portés par la LOM, le plan de relance et les annonces récentes, mais je ne vois pas comment nous pourrons faire face à des capacités d'investissement doublées en réduisant les effectifs. Pour prendre le seul exemple de VNF, il s'agit de mettre en oeuvre des budgets ayant presque quadruplé en cinq ans tout en accusant la perte de quasiment 300 postes en deux ans et demi. Il y a là un sujet de cohérence et d'équilibre, et je souhaiterais que nous puissions demander des explications au Gouvernement.
M. Gérard Lahellec. - Je remercie le rapporteur pour cette présentation exhaustive et intéressante. Je souhaitais pointer quelques éléments qui rendent la lisibilité délicate. Tout d'abord, en matière de contrats de plan, ce qui a trait aux mobilités et aux transports est renvoyé à 2023, ce qui crée un manque pour les territoires, qui attendent que les choses adviennent. De plus, le fait de reporter de quelques années permet de recompter deux fois la même somme, ce qui génère un problème de lisibilité.
Par ailleurs, à l'occasion des débats sur la loi « Climat et résilience » comme sur la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), j'ai constaté que nos ministres ne connaissaient pas si bien le sort fait aux petites lignes ferroviaires et ignoraient les résultats de la mission Philizot. Il ne serait pas aberrant de continuer à rendre de petites lignes éligibles à des contrats de plan, dès l'instant que leur utilité publique serait avérée dans le cadre d'un consensus entre l'État et les collectivités.
Je pointe une autre difficulté : l'État ne sait pas toujours que les régions sont les autorités organisatrices de transport (AOT). Il n'y a eu aucune reconnaissance de compensation à opérer pour mettre nos contrats à l'équilibre dans les territoires ; rien n'a été fait en ce domaine. Or, les budgets de ces collectivités sont en grande souffrance, d'autant qu'elles ont veillé à faire en sorte que les compagnies de transport ne soient pas mises en difficulté.
Enfin, concernant le maritime, je trouve que 18 millions d'euros, c'est peu. Je pense notamment à Brittany Ferries, une compagnie qui bat pavillon français et qui était jusqu'à présent à l'équilibre économique, sans subvention publique - il est important de le souligner. Or, il va sans dire que l'effet conjugué de la crise sanitaire et du Brexit entraîne des conséquences qu'il serait trop long de développer ce soir. Mais je vous laisse les imaginer et vous rappelle que cette compagnie emploie 6 000 salariés.
En définitive, j'admets les avancées pour le ferroviaire ; je note le retard pour tout ce qui a trait à la contractualisation que nous sommes en droit d'attendre et dont nous avons retardé les échéances pour des raisons que nous comprenons, et je souligne de petits manques comme celui que je viens d'évoquer sur le maritime, n'en déplaise au rapport de Michel Vaspart qui ne traite que des grands ports maritimes (GPM). Je viens d'une région qui compte 2 700 kilomètres de côtes et au regard de ce rapport, il n'y aurait pas de ports en Bretagne...
M. Olivier Jacquin. - Je salue tout d'abord la qualité du travail de Philippe Tabarot. Il l'a souligné, nous regrettons la non-adoption de l'amendement relatif à la TVA ferroviaire ; c'était l'occasion d'envoyer un bon signal. Je n'y reviendrai pas, mais je constate que nous ne nous donnons pas les moyens d'engager une véritable politique ferroviaire. Et permettez-moi de la comparer à la politique du transport aérien, même si je ne souhaite pas les mettre en opposition. Je suis conscient du soutien considérable apporté à la SNCF, avec le plan de désendettement, et les 4 ou 5 milliards d'euros alloués l'an dernier, mais ils ne sont pas à la hauteur du problème. J'ai eu l'occasion de visiter le système ferroviaire japonais, qui est excellent, et le système suisse, où il est clair qu'en matière d'infrastructures des investissements sont réalisés sur le long terme.
Je suis inquiet, car si nous prenons des engagements concernant le réchauffement climatique et la décarbonation, au moment de la discussion du budget, nous ne mettons pas en face les crédits correspondants.
Je suis tout à fait d'accord avec l'analyse qui a été faite sur les petites lignes, et je trouve le tour de passe-passe consistant à renvoyer la responsabilité finale aux régions véritablement incroyable.
Quant aux contrats de plan État-région (CPER), j'ai interrogé directement le directeur général des infrastructures, des transports et de la mer au sujet des sommes qui sont diluées par leur prolongement. Sa réponse a été la suivante : « Non, nous allons exécuter totalement les CPER, ils seront satisfaits à 98, 100 %». Verre à moitié vide ou à moitié plein ? Personnellement, j'y vois bien une dilution.
Par ailleurs, nous parlons en permanence de la faiblesse du Parlement. L'an dernier, notre groupe avait présenté un amendement visant à supprimer la contribution de solidarité territoriale (CST) et la taxe sur le résultat des entreprises ferroviaires (TREF), ces deux drôles de taxes d'un autre temps qui visaient à taxer l'activité grande vitesse pour financer les trains d'équilibre du territoire par un compte d'affectation spéciale. La majorité sénatoriale ne s'en est pas saisie. C'est le Président de la République qui a annoncé, pour les quarante ans du TGV, qu'il supprimait les taxes, et un député de la majorité qui a eu l'honneur de le faire ! Nous nous sommes cependant privés d'un débat extrêmement intéressant sur l'avenir de ce compte d'affectation spéciale, sur le financement des trains d'équilibre du territoire et de la SNCF, d'autant que la TREF sera supprimée en 2023.
Nous avions demandé un rapport lors de la LOM - il me semble qu'il s'agissait d'un amendement unanime portant sur les trains d'équilibre des territoires et les trains de nuit. Il n'a pas été rendu, mais une version brute a fuité dans la presse : il y aurait des besoins non satisfaits et solvables de trains d'équilibre du territoire sur cinq grandes transversales en France. Pour cela, des financements sont nécessaires pour acheter de nouvelles rames. Or dans ce budget, il n'y a pas l'ombre du début d'un commencement, sinon une promesse orale du ministre lors du débat à l'Assemblée nationale. Nous devrons, Monsieur le Président, nous saisir de cette question.
J'ai cru aussi comprendre qu'il comptait créer une Rosco - rolling stock leasing company -, à savoir une société de location de matériel ferroviaire au niveau européen sur le moyen terme et lancer des appels d'offres sur d'éventuelles lignes non ouvertes actuellement. Bref, nous sommes très loin des conclusions de notre rapport.
S'agissant de SNCF Réseau, nous sommes satisfaits que les 3 milliards d'euros de remise en état des lignes de régénération soient effectifs et que la crise sanitaire n'ait pas servi d'excuse pour en baisser le montant. Cependant, il existe un vrai souci entre régénération et modernisation, et nous sommes sur une trajectoire insuffisante. Alors quand le Président de la République lance un nouveau programme de lignes à grande vitesse (LGV) non financé, il y a de vraies inquiétudes à avoir sur le syndrome SNCF et LGV.
Enfin, je partage aussi les propos du rapporteur sur VNF et la baisse des effectifs. Mais l'investissement atteint un niveau très significatif, que nous n'avions pas connu depuis très longtemps. Il faut donc le souligner.
M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. - Au sujet de VNF, si le rapport est assez critique sur un certain nombre de points, j'ai tout de même donné un avis favorable, car des financements supplémentaires ont été attribués dans différents domaines. Trop d'ETP ont été supprimés, c'est vrai, mais l'investissement sur le fluvial n'a pas connu d'égale dans notre pays depuis très longtemps.
Sur le ferroviaire, les crédits ne sont pas à la hauteur de nos espérances, mais en deux ans, 35 milliards d'euros de dettes de SNCF Réseau ont été repris.
S'agissant des effectifs, bien sûr, nous avons pointé les diminutions. Pour ce qui concerne l'Afitf, à chaque conseil d'administration, nous passons des vingtaines, des trentaines de conventions avec l'État, des AOM et des concessionnaires, et nous sommes bien conscients que nous devons trouver des moyens supplémentaires pour ne pas mettre l'agence en difficulté, d'autant que nous sommes persuadés que c'est le bon outil pour financer tous ces projets.
L'ART a vu le champ de ses missions s'élargir, avec notamment des compétences supplémentaires importantes en matière de régulation des redevances aéroportuaires. L'ouverture de la concurrence dans les transports publics en Île-de-France va aussi être un dossier important. Nous devons absolument nous prémunir de toute situation dans laquelle l'ART hésiterait à aller au contentieux avec les nouveaux entrants, car, en cas de perte, elle ne serait pas en mesure de payer. Certes, l'État pourrait verser des indemnités en cas de perte d'un litige, mais l'ART a besoin d'être indépendante, non seulement à l'égard des entreprises de transport, mais aussi de l'État.
Concernant les CPER, nous n'arrivons jamais à avoir de réponses claires. Ils ont d'abord été reportés d'un an, puis de deux et maintenant peut-être davantage. De fait, nous allons avoir un taux de consommation bien plus important et si nous continuons comme cela pendant dix ans, nous finirons à 100 %. Mais les contrats de plan sont censés durer cinq ans et non dix.
S'agissant du Conseil d'orientation des infrastructures (COI), notre collègue Christine Herzog effectue un travail remarquable à mes côtés. Le COI organise, en ce moment, le tour de France pour noter les priorités. Le Gouvernement veut relancer la balle vers les territoires et le COI afin qu'ils procèdent à une classification des infrastructures qui sont les plus urgentes et qu'ils travaillent sur les futurs contrats. Mais si la priorité change à la suite d'une visite du Président de la République ou du Premier ministre, nous n'avancerons pas. Nous sommes dans un régime présidentiel par excellence. Que le Président de la République ne nous demande pas alors de travailler sur des aspects techniques en relation avec les élus locaux ! J'ai donc clairement indiqué que le COI réalisera ce travail en collaboration avec les présidents de région, mais qu'il doit être respecté. Car s'il y a une tournée électorale concurrente, ce sera assez difficile.
Le transfert des petites lignes prévu par le projet de loi 3DS en cours d'examen est un cadeau empoisonné. Je connais bien la question. Dans quel état les régions qui vont vouloir récupérer leurs lignes ferroviaires vont-elles les retrouver ? Seront-elles en capacité d'investir autant qu'aujourd'hui ? L'État les a abandonnées pendant des années et, aujourd'hui, il demande aux régions de les reprendre. Et si demain, certaines d'entre elles ferment, ce sera la faute non pas de l'État, qui ne les aura pas entretenues pendant dix ou vingt ans, mais des régions qui ne disposeront pas des financements nécessaires pour les régénérer. Et quand je parle de l'État, je ne vise pas ce gouvernement, mais les gouvernements successifs qui n'ont pas investi suffisamment en matière de transport.
Concernant le nouveau fonds d'intervention maritime doté de 18 millions d'euros, il va monter en puissance et permettre à l'État de cofinancer certaines actions dans de plus petits ports, notamment pour des opérations de dragage, d'aménagement...
Par ailleurs, un plan de sauvetage de Brittany Ferries est prévu, grâce à un accord signé avec CMA CGM, qui va investir 25 millions d'euros. En outre, un accord a été passé avec la Commission européenne pour attribuer à la compagnie une aide complémentaire de 60 millions d'euros. Je suis plus inquiet pour La Méridionale et Corsica Linea qui n'entrent pas dans ce cadre et qui vont se retrouver très rapidement en difficulté.
Concernant la TVA à 5,5 % sur le transport ferroviaire, je l'ai dit, je ne trouve pas cohérent de ne pas la voter aujourd'hui.
S'agissant des projets de lignes à grande vitesse, tous les projets d'infrastructure doivent aujourd'hui conduire à l'amélioration du train du quotidien. Il s'agit d'un engagement pris par le Président de la République, il est dommage qu'il n'ait pas été tenu complètement.
Enfin, en ce qui concerne la suppression de la CST et de la TREF - en 2023 pour cette dernière -, il s'agissait là aussi d'un engagement du Gouvernement au moment des discussions sur la CMP. Veillons à ce que la SNCF puisse, soit investir dans les lignes d'aménagement du territoire, soit baisser sa tarification, puisque la taxe sera supprimée.
M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-78 a pour objet d'augmenter la subvention pour charge de service public de l'ART de 4,6 millions d'euros, pour la porter à un total de 18,6 millions d'euros, afin, en cas de contentieux, qu'elle puisse disposer d'un fonds de roulement qui lui garantisse une indépendance financière.
L'amendement n° II-78 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et de la mission « Plan de relance », sous réserve de l'adoption de son amendement.
Projet de loi de finances pour 2022 - Missions « Écologie, développement et mobilité durables » et « Plan de relance » - Crédits relatifs aux transports routiers - Examen du rapport pour avis
M. Olivier Jacquin, rapporteur pour avis. - Comme l'année précédente, et comme l'ont indiqué mes collègues, ce budget est un budget d'exception. Mes remarques porteront sur la complexité d'un plan de relance, dans une période particulière qui le rend difficilement lisible. S'il se caractérise, sur le fond, par une hausse globale des crédits, il présente plusieurs insuffisances.
Je souhaiterais évoquer avec vous, dans cette présentation, cinq grands axes thématiques : la situation budgétaire de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) - dans le prolongement des propos de Philippe Tabarot -, les transports publics, l'infrastructure routière, le verdissement du parc automobile et de poids lourds et, enfin, le développement du vélo.
Tout d'abord, la trajectoire financière de l'Afitf mérite d'être sécurisée.
Comme vient de l'évoquer notre collègue Philippe Tabarot, il faut d'abord saluer le respect de la trajectoire de dépenses fixée par l'article 2 de la loi d'orientation des mobilités (LOM). Pour autant, cette trajectoire de dépenses est aujourd'hui en quelque sorte dépassée et donc largement théorique puisque le Gouvernement a engagé de nouvelles dépenses après la publication de la LOM - Canal Seine-Nord Europe, Lyon-Turin, plan Marseille.
La partie recettes est sans aucun doute beaucoup plus problématique. Et pour cause : si l'année 2021 est marquée, comme l'année 2020 d'ailleurs, par des pertes de plusieurs recettes en raison du contexte sanitaire - notamment la taxe de solidarité sur les billets d'avion - et le produit des amendes radars, dont l'agence est la dernière bénéficiaire, l'Afitf est également confrontée au refus des sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) de s'acquitter des 61 millions d'euros de contribution volontaire exceptionnelle qui leur reviennent, puisqu'elles contestent une évolution de la taxe d'aménagement du territoire. Cette situation est tout à fait inacceptable.
Non seulement l'Afitf connaît, de manière désormais quasi structurelle, d'importantes difficultés pour se voir transférer les recettes prévues pour financer sa trajectoire de dépenses, ce qui a conduit et conduira encore cette année le Gouvernement à compenser les pertes dans le cadre de lois de finances rectificatives, mais la trajectoire de financement de l'agence est désormais prise en otage par les SCA.
Cette situation n'est pas tenable ni acceptable, et il paraît urgent de réfléchir à un nouveau modèle de financement des infrastructures de transports, qui, en tant qu'investissements de long cours, nécessitent de reposer sur des recettes certaines. C'est pourquoi vous avez adopté, la semaine dernière, sur ma proposition, un amendement de première partie visant à augmenter le plafond de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pouvant être affecté à l'Afitf, afin de réduire l'aléa lié à l'incertitude de percevoir les autres recettes. Il ne s'agit pas de remplacer par de la TICPE les amendes radars ou la « taxe Chirac », qui ont une vraie vertu pédagogique, mais de faire en sorte, dans le cas où ces recettes feraient défaut, que les recettes globales de l'agence soient sécurisées. Malheureusement, l'amendement a été rejeté en séance publique.
Par ailleurs, les missions de l'agence se sont largement étendues, notamment sous l'effet du plan de relance. L'Afitf est chargée du déploiement d'une partie du fonds Vélo sur plusieurs centaines de territoires. Il s'agit d'un travail particulièrement chronophage, avec un grand nombre de petits dossiers. Or l'agence n'est pas structurée à cet effet puisqu'elle n'est dotée que de 4 équivalents temps plein (ETP). C'est pourquoi nous recommandons de doter l'agence d'un nouvel équivalent temps plein.
J'en viens à présent à la situation des transports publics, qui ont été mis à rude épreuve durant la crise sanitaire, qui a causé d'importantes pertes de recettes commerciales et de versement mobilité (VM) pour les autorités organisatrices de la mobilité (AOM).
Les dispositifs mis en place par le Gouvernement et prévus pour 2022 n'ont pas permis, et ne permettront sans doute pas, de compenser l'intégralité de ces pertes en 2020, 2021 et 2022. Les dispositifs de compensation des pertes de VM et d'avances remboursables ont créé une double iniquité : d'une part, entre les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, pour lesquels le montant à compenser a été calculé sur la base d'un panier de recettes, alors que les syndicats mixtes ont pu bénéficier d'une compensation spécifique du VM ; et, d'autre part, entre Île-de-France Mobilités et les autres AOM. Certes, le Gouvernement a annoncé un doublement de l'enveloppe destinée au quatrième appel à projets de transports collectifs en site propre - mais certaines petites AOM ne peuvent pas souscrire à ce type d'appel d'offres - ainsi que 200 millions d'euros pour les métros démarrant en 2022 et 1 milliard d'euros pour les projets d'Aix-Marseille.
Sur ce sujet, je regrette que le Gouvernement n'ait pas vraiment donné de suite, du moins à ce stade, aux recommandations riches et nombreuses du rapport M. Philippe Duron pourtant réalisé à sa demande, sur le modèle économique des transports collectifs.
Jean-Baptiste Djebbari, que j'ai interrogé la semaine dernière, a indiqué qu'il mettrait en oeuvre un observatoire des prix, qui peut être intéressant, mais qui n'est pas la première des propositions de ce rapport.
En outre, je me suis particulièrement intéressé, au cours de mes auditions, à la situation des petites AOM qui ne lèvent pas le versement mobilité, faute d'informations précises sur leur base fiscale puisque, comme vous le savez, la répartition inégale des activités et des emplois limite fortement le rendement du versement mobilité dans certaines zones. C'est pourquoi je vous ai proposé la semaine dernière, en m'inspirant de ce que nous avions adopté unanimement lors de l'examen de la LOM au Sénat, un amendement visant à affecter à ces AOM une fraction de TICPE. Cet amendement a été adopté cet après-midi en séance publique.
Je vous présenterai également un amendement demandant un rapport au Gouvernement détaillant le rendement fiscal potentiel du VM pour chaque AOM, afin de les éclairer dans la mise en oeuvre de leur nouvelle compétence.
Je tiens à le redire, alors que les impôts de production ont été supprimés pour un montant de 10 milliards d'euros, il est dommage que ces questions n'aient pas pu être ajustées. Nous aurions pu imaginer que cela entraîne un effet neutre pour les entreprises en baissant, par exemple, le nombre de salariés à partir duquel le versement mobilité est exigé.
Je souhaitais également évoquer devant vous la question de l'entretien de l'infrastructure routière, qu'il s'agit d'amplifier dans la perspective de futurs transferts.
Les crédits prévus en 2022 pour l'entretien des routes du réseau national non concédé sont en hausse, avec 893 millions d'euros - dont 610 millions d'euros versés par l'Afitf - complétés par 310 millions d'euros au titre du plan de relance sur deux ans. Ce montant respecte la trajectoire fixée par la LOM. Pour autant, et en dépit de l'augmentation des moyens consacrés à l'entretien des routes ces dernières années, la dégradation de l'état des chaussées se poursuit : la part d'entre elles nécessitant un entretien de surface ou de structure est passée de 46,10 à 50 % entre 2019 et 2021.
Cette situation est particulièrement préoccupante, d'autant plus dans la perspective de futurs transferts de voies du réseau non concédé aux régions et aux départements volontaires, qui pourraient avoir lieu sur le fondement de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) en cours d'examen à l'Assemblée nationale. Il est à craindre que l'entretien de ces routes ne soit insuffisant, alors même qu'elles entreront bientôt potentiellement dans le domaine routier de certaines collectivités territoriales. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement visant à abonder cette action de 100 millions d'euros supplémentaires.
J'espère vous délivrer l'an prochain, si je suis toujours rapporteur de ce budget, une information intéressante, que je n'ai pas encore réussi à affiner, relative au montant précis du prix d'entretien des routes au kilomètre sur le réseau routier national non concédé, à comparer au budget d'entretien d'un kilomètre d'autoroute concédé. Vous vous rendrez compte que le service public réalise une véritable prouesse, en faisant beaucoup avec très peu.
Je profite de ce point sur l'infrastructure routière pour vous faire part de mes inquiétudes quant à la préparation de la fin des contrats de concessions autoroutiers, et j'invite le Gouvernement à réfléchir d'ores et déjà aux futurs modes de gestion des autoroutes.
Jean-Baptiste Djebbari, au cours de son audition, a laissé entendre qu'il renvoyait cela au prochain quinquennat. C'est assez gênant, car un rapport sénatorial montre que la rentabilité des concessions autoroutières pourrait augmenter significativement. Il y a une question importante de droit sur le fait de qualifier le bon état de ces autoroutes à la fin des contrats ; une question qui n'est aujourd'hui pas claire. L'ART a évalué le plan de relance autoroutier (PRA) de 2015 : il apparaît totalement déséquilibré, des augmentations de la durée des concessions ont été réalisées, moyennant un investissement effectué sur des devis. L'ART les a comparés par rapport à la réalité, or il y a un delta très important.
Dans un contexte de diminution de l'impôt sur les sociétés pour les sociétés autoroutières, et dans lequel les taxes locales ont baissé, cette réaction de refuser de financer l'Afitf est assez étonnante. Même du point de vue des rapports de forces politiques, on s'interroge sur cette manière d'agir.
Cela étant dit, je souhaitais attirer votre attention sur les importantes répercussions du rapport d'information sur les ponts de notre commission, dont les rapporteurs étaient MM. Michel Dagbert et Patrick Chaize : d'importants moyens ont été déployés dans le plan de relance, notamment pour aider les collectivités à recenser, diagnostiquer et mettre en place des expérimentations sur leurs ponts. Il s'agit d'un dispositif très apprécié par les collectivités, que je vous ai proposé, la semaine dernière, d'abonder de 20 millions d'euros supplémentaires.
Enfin, et comme c'est le cas dans le domaine ferroviaire, le rôle du régulateur est particulièrement important. C'est pourquoi nous vous avons présenté, avec Philippe Tabarot, un amendement visant à augmenter la subvention qui est affectée à l'ART que la commission a adopté.
J'évoquerai maintenant un sujet qui nous intéresse de près et sur lequel nous avons déjà eu l'occasion de travailler, lors de l'examen du projet de loi « Climat et résilience » d'août dernier ou, pour ce qui concerne le fret, dans le cadre de la mission d'information relative au transport de marchandises face aux impératifs environnementaux : il s'agit de la question du verdissement du parc automobile, qu'il s'agisse de véhicules légers ou de poids lourds.
Pour ce qui est des véhicules légers, le Gouvernement a renforcé, dans le cadre du plan de soutien à l'automobile, les dispositifs de bonus à l'achat et de prime à la conversion, qui sont particulièrement importants pour le renouvellement du parc. De plus, un dispositif de micro-crédit a été mis en place en 2021. Pour autant, les modalités de la prime et du bonus feront l'objet de nouvelles évolutions, dont je crains qu'elles ne conduisent à ralentir le rythme de renouvellement.
Ainsi, le montant du bonus sera prochainement réduit de 1 000 euros pour tenir compte « de la généralisation des motorisations à faibles et à très faibles émissions ». Pourtant, il reste encore beaucoup à faire, à l'aune du déploiement de zones à faibles émissions mobilité dans une trentaine d'agglomérations de plus de 150 000 habitants. C'est pourquoi, afin de soutenir les ménages dans le renouvellement de leur véhicule, je vous ai proposé la semaine dernière - et je vous le proposerai à nouveau cette semaine pour des questions de procédure - de renforcer les modalités du prêt à taux zéro pour l'achat d'un véhicule léger peu polluant prévu par la loi « Climat et résilience » en reprenant la rédaction adoptée par le Sénat, afin de rendre le dispositif plus efficace.
Concernant les poids lourds, nous sommes toujours en attente des retours de la task force sur le transport routier de marchandises. L'année dernière, le Gouvernement avait annoncé, dans le cadre du plan France Relance, une enveloppe de 100 millions d'euros afin de distribuer des bonus de 50 000 euros pour l'achat de poids lourds électriques ou à hydrogène. Cette enveloppe n'a été que très peu consommée, puisque seules quatre demandes de bonus ont été réceptionnées pour des poids lourds et sept pour des bus - je parle bien en unités et non en dizaines de milliers.
L'offre de poids lourds électriques ou à hydrogène est, à ce stade, quasi inexistante, ou bien à des conditions inacceptables pour les transporteurs ; cet exemple est symptomatique des effets d'annonce du Gouvernement.
Je propose donc un dispositif crédible, que nous avions voté à l'occasion de l'examen du projet de loi « Climat et résilience » ; il s'agit d'un prêt à taux zéro pour l'achat de poids lourds peu polluants, y compris ceux qui fonctionnent aux biocarburants, dès lors que leur cycle énergétique et carbone s'avère vertueux.
Au-delà du renouvellement de la flotte de véhicules, il est indispensable d'accompagner le déploiement d'infrastructures de recharge de qualité, notamment afin de permettre des recharges rapides des véhicules électriques. Dans cette optique, j'ai proposé, la semaine dernière, de doter la mission « Plan de relance » de 10 millions d'euros supplémentaires.
Lors de son audition, M. Djebbari a évoqué le chiffre de 1 million de bornes ; ce chiffre correspond au total des bornes privées et publiques. Sur les 100 000 bornes publiques annoncées, seulement 50 000 environ sont aujourd'hui effectivement installées. La mise en oeuvre est très complexe, avec des difficultés en termes de déploiement et d'approche qualité. Dans certains endroits, on connaît même des problèmes de renforcement du réseau électrique. Il ne s'agit pas non plus, pour satisfaire l'objectif quantitatif, d'installer des bornes à charge lente dans une station-service de campagne.
Enfin, j'aborderai le nécessaire soutien au développement du vélo pour atteindre nos objectifs de report modal.
Le vélo connaît un essor considérable dans chacun de nos territoires, urbains comme ruraux. Ainsi, d'après l'Afitf, sur les 533 projets retenus dans le cadre du fonds Mobilités active - doté de 350 millions d'euros sur sept ans -, 260 sont en territoires peu denses.
Afin d'amplifier le soutien aux collectivités territoriales pour la mise en place d'infrastructures cyclables et de tenir nos objectifs de développement de part modale du vélo pour atteindre 9 % en 2024 et 12 % en 2030, je vous propose un amendement abondant le fonds dédié au vélo de 150 millions d'euros supplémentaires, de manière à atteindre les 200 millions d'euros en 2022.
M. Djebbari a précisé que l'on n'avait jamais autant fait dans notre pays pour le vélo, ce qui est vrai. Il est toutefois nécessaire d'accompagner cette révolution. La crainte est de voir l'engouement des collectivités freiné par un manque de moyens financiers.
Malgré les nombreuses réserves exprimées, je propose un avis favorable sur ces crédits pour saluer leur augmentation globale.
M. Didier Mandelli. - Avec tous ces opérateurs privés, je ne sais pas comment s'organise le déploiement des bornes électriques. J'ai cru comprendre que, sur un certain réseau, les prix avaient été multipliés par six en deux ans...
M. Olivier Jacquin, rapporteur pour avis. - Vous évoquez les prix de création de bornes ?
M. Didier Mandelli. - Non, les prix liés à la recharge. Cette situation risque de créer de la concurrence. Une régulation des offres est-elle prévue ?
Par ailleurs, demain, nous devons recevoir Mme Pompili pour évoquer les thématiques budgétaires de notre commission. Je m'interroge sur l'opportunité de maintenir cette audition dans la mesure où la première partie du budget ne devrait pas être votée. N'est-ce pas un peu incongru ?
M. Jean-François Longeot, président. - Je souhaitais évoquer le sujet en fin de réunion. En effet, est-il judicieux de maintenir l'audition de Mme Pompili dans la mesure où la deuxième partie du projet de budget pour 2022 pourrait ne pas être examinée par le Sénat ? Doit-on malgré tout la recevoir, sachant que nous aurons d'autres questions à lui poser ? Peut-être pouvons-nous réunir le Bureau de la commission demain matin pour en discuter...
M. Daniel Gueret. - Ne peut-on pas décider maintenant ?
M. Jean-François Longeot, président. - Si vous le souhaitez, cela ne me pose aucun problème.
M. Frédéric Marchand. - Je rejoins la préoccupation de Didier Mandelli. L'audition, demain, de Mme Pompili n'a pas beaucoup de sens ; si j'étais à la place de la ministre, je me délecterais d'ailleurs de cette situation...
M. Jean-François Longeot, président. - Si nous devons la recevoir, ce sera demain matin, avant l'examen ou le non-examen de la deuxième partie.
M. Joël Bigot. - Des sujets autres que le budget méritent, à mon sens, d'être évoqués. Un plan de relance de 30 milliards d'euros a notamment été annoncé. Peut-être pouvons-nous avertir la ministre que nous ne discuterons pas du budget, mais d'autres thématiques.
M. Jean-François Longeot, président. - Je propose d'informer Mme Pompili que nous annulons son audition consacrée au projet de loi de finances pour 2022, mais que nous souhaitons malgré tout profiter de sa présence demain pour évoquer d'autres sujets. Cela vous convient-il ?
M. Didier Mandelli. - Je ne suis pas favorable à cette proposition. Je préférerais que l'on fixe une nouvelle date, dans trois semaines ou un mois, afin d'avoir le temps de préparer des questions.
M. Pascal Martin. - Si nous maintenons l'audition demain, nous risquons un mélange des genres. Il serait préférable de reporter l'audition à une date ultérieure, afin que les sujets abordés soient déconnectés de l'actualité du budget.
M. Jacques Fernique. - Cette audition ne doit pas non plus tarder. J'avais prévu d'interroger la ministre sur le site de StocaMine et le vote en catimini à l'Assemblée nationale notamment ; mais il est vrai que la présence de la ministre, demain, risque de paraître étrange.
M. Jean-François Longeot, président. - Au regard de vos observations, je préviendrai Mme Pompili que son audition de demain est reportée si la discussion budgétaire devait ne pas se poursuivre.
M. Olivier Jacquin, rapporteur pour avis. - Pour répondre à Didier Mandelli sur la problématique des bornes, je sais que l'on s'efforce, tant au niveau du régulateur de l'énergie que de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), de tendre vers une normalisation. J'ai évoqué des problèmes qualitatifs ; il faut discuter avec les personnes utilisant les véhicules électriques de manière nomade afin de bien identifier ces problèmes. Cela mériterait d'être traité dans un prochain rapport.
M. Jacques Fernique. - Concernant le vélo, au-delà de la question des infrastructures, il y a également celle de la réparation. Avec une augmentation de 30 % des déplacements à vélo, la filière a été rapidement débordée. Nous devons intensifier nos efforts en matière de formation professionnelle.
M. Olivier Jacquin, rapporteur pour avis. - De manière à être synthétique, je n'ai parlé dans mon rapport que du fonds dédié au vélo. L'audition de la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB) fut également très instructive en ce qu'elle a mis en évidence des problèmes de structuration de l'ensemble de la filière : des techniciens en liaison avec les collectivités en passant par le taux de TVA fixé pour la réparation des vélos cargos et d'autres choses encore. La révolution en cours doit être accompagnée.
M. Jean-François Longeot, président. - Je propose maintenant au rapporteur de présenter les amendements.
M. Olivier Jacquin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-82 renforce l'efficacité du prêt à taux zéro (PTZ) créé par la loi « Climat et résilience » pour l'acquisition d'un véhicule léger propre. Cet amendement a plusieurs objectifs : avancer la mise en place d'un an pour un démarrage au 1er janvier 2022 ; allonger la durée du dispositif de 2 à 3 ans ; et surtout, étendre le champ des bénéficiaires à l'ensemble des personnes physiques et morales, le dispositif actuellement en vigueur étant réservé aux personnes physiques ou morales domiciliées dans ou à proximité d'une commune ayant mis en place une zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m).
Dans la mesure où ces zones ont vocation à se multiplier dans les prochaines années, il est indispensable d'accompagner davantage les ménages dans le renouvellement de leur véhicule.
L'amendement n° II-82 est adopté.
M. Olivier Jacquin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-83 prévoit de créer un prêt à taux zéro pour l'acquisition de poids lourds peu polluants affectés au transport de marchandises. J'ai évoqué, dans ma présentation, le très faible nombre de dossiers et la nécessité d'accompagner le verdissement des flottes. Nous souhaitons créer un prêt à taux zéro pour les véhicules de plus de 2,6 tonnes utilisant des énergies alternatives au gazole et moins polluantes, à savoir l'électricité, les biocarburants et l'hydrogène. Cette mesure avait déjà été adoptée par le Sénat dans le cadre de l'examen du projet de loi « Climat et résilience », à l'article 31 A. Il s'agit d'une proposition de la mission d'information de Mme Nicole Bonnefoy et de M. Rémy Pointereau.
L'amendement n° II-83 est adopté.
M. Olivier Jacquin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-84 concerne les petites autorités organisatrices de la mobilité (AOM) ayant de faibles ressources en versement mobilité. Nous avons voté, cet après-midi, un amendement en fidélité complète avec le travail de M. Didier Mandelli lors de la loi d'orientation des mobilités.
Il s'agit de dresser un inventaire précis des AOM en difficulté. Nous avons entendu l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) ; le sujet est assez complexe, avec des évaluations compliquées à réaliser, fondées sur un nombre de salariés en évolution constante. Un tel rapport serait donc utile pour accompagner ces collectivités.
L'amendement n° II-84 est adopté.
M. Olivier Jacquin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-80 concerne le plan vélo. Actuellement, l'Afitf déploie 50 millions d'euros par an pendant sept ans, soit 350 millions d'euros au total. La crainte, comme je l'ai expliqué dans ma présentation, est de voir la dynamique freinée, faute de crédits suffisants. L'idée est donc d'abonder ce fonds à hauteur de 150 millions d'euros supplémentaires pour atteindre les objectifs de part modale de 9 % en 2024 et 12 % en 2030.
L'amendement n° II-80 est adopté.
M. Olivier Jacquin, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-81 s'intéresse à la problématique de l'entretien du réseau routier non concédé. La dégradation de l'état des chaussées se poursuit. En conséquence, nous proposons d'augmenter de 100 millions d'euros l'action n° 04, Routes-entretien du programme 203.
L'amendement n° II-81 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs aux transports routiers de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », sous réserve de l'adoption de ses amendements.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et de la mission « Plan de relance », sous réserve de l'adoption de ses amendements.
Projet de loi de finances pour 2022 - Crédits relatifs à la recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables de la mission « Recherche et enseignement supérieur » et de la mission « Plan de relance » - Examen du rapport pour avis
M. Jean-François Longeot, président. - Nous examinons maintenant le rapport pour avis sur les crédits relatifs à la recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables.
M. Frédéric Marchand, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à la recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables. - Je vous présente l'avis budgétaire relatif au programme 190 de la mission « Recherche et enseignement supérieur », qui contribue au financement de la recherche dans les domaines du développement durable, de l'énergie, des risques, des transports, de la construction et de l'aménagement.
Dans un contexte marqué par les conclusions des négociations de la COP 26 à Glasgow, je rappelle que les travaux des opérateurs concernés par le programme 190 constituent un levier essentiel pour la transition écologique.
Notre commission a pris ses responsabilités dans ce domaine, qu'il s'agisse de la loi économie circulaire de 2020, dite « AGEC », de la loi « Climat et résilience » promulguée en août dernier ou encore de la loi sur l'empreinte environnementale du numérique du 15 novembre 2021. Tous ces sujets appellent un développement de la recherche et entraînent donc des besoins de financement importants, ciblés et pérennes.
Par définition, la recherche s'inscrit dans le temps long. C'est pourquoi nous devons être vigilants sur la pérennité des moyens alloués au programme 190, dans une perspective stratégique et pluriannuelle. Je précise que, pour cette année encore, la diminution d'environ 15 % des crédits prévus pour 2022 est principalement le fait d'un transfert du programme 190, vers le programme 362, « Écologie », de la mission « Plan de relance ». Cette baisse n'est donc qu'apparente, et son caractère artificiel met en lumière la complexité des mouvements de crédits induits par le plan de relance.
Je souhaite aborder trois points : les difficultés financières de certains opérateurs, ainsi que le risque de perte d'attractivité et de souveraineté technologique de la recherche française ; l'impérieuse nécessité de maîtriser les coûts et le calendrier de déploiement des projets relatifs à l'énergie nucléaire, tout en accompagnant l'émergence de nouvelles technologies énergétiques ; enfin, j'aimerais insister sur l'articulation des moyens de la recherche en matière de prévention et de gestion des risques.
Concernant l'adéquation des crédits alloués aux enjeux, j'attire votre attention sur certaines fragilités financières qui freinent parfois les opérateurs pour mener à bien leurs activités de recherche.
L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), essentiellement financé par des subventions publiques, présente une situation patrimoniale et financière dégradée, ainsi que l'a souligné la Cour des comptes. Le budget de cet institut a, en effet, baissé de 10 % entre 2013 et 2021.
Le projet de loi de finances pour 2022 marque une légère revalorisation des crédits, afin de compenser la baisse prévisionnelle de la taxe affectée aux installations nucléaires de base, faisant suite à la fermeture de Fessenheim. Un effet pervers découle toutefois de la baisse à long terme des crédits de l'opérateur ; sachant que l'IRSN maintient ses activités d'expertise, la baisse du soutien public touche essentiellement ses activités de recherche et se traduit par la chute de ses capacités d'investissement.
On observe également une baisse des dotations versées au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Cette baisse, encore une fois, ne devrait être qu'apparente, car le CEA bénéficiera par ailleurs d'un soutien dans le cadre du plan de relance.
On peut néanmoins s'interroger sur le manque de lisibilité dans le déploiement de ces crédits et sur le risque que ce financement du CEA ne soit pas pérenne, sachant le caractère temporaire du plan de relance. Il serait donc souhaitable que nous prenions la mesure de ces évolutions, en restant vigilants sur l'accompagnement de la recherche française, dont la compétitivité européenne et internationale est pleinement reconnue.
L'an dernier, j'avais insisté sur l'excellence de notre recherche en matière d'énergie, de développement et de mobilité durables. Cette année encore, à l'occasion des auditions, le nombre de brevets déposés entre les années 2000 et 2019, dans le domaine des technologies bas carbone, est la preuve de la maturité de notre recherche. Comme l'illustre le classement de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), la France compte trois établissements parmi les dix premiers du classement, dont le CEA à la première place et l'IFP Énergies nouvelles en quatrième position, alors que le célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Boston ne pointe, lui, qu'à la treizième place.
Ce positionnement international ne doit pas nous faire oublier le risque de perte d'attractivité et de souveraineté technologique lié à des difficultés récurrentes de pérennisation des emplois et des compétences.
Le phénomène de « fuite des cerveaux » est préoccupant. L'IFP Énergies nouvelles a perdu une centaine de postes du fait du non-renouvellement des départs en 2021. Par ailleurs, les plafonds d'emplois de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) baissent de 2 % par an, soit l'équivalent de plus de 20 % en dix ans.
J'en viens aux enjeux budgétaires des secteurs du développement de l'énergie d'origine nucléaire et des nouvelles technologies de l'énergie. Concernant l'IRSN, les surcoûts et les retards de l'installation expérimentale CABRI sont inquiétants. Ce programme international vise à étudier le comportement du combustible nucléaire lors d'un accident d'injection dans les réacteurs à eau sous pression. La Cour des comptes alerte sur la nécessité d'arbitrer entre la reprise ou l'abandon du programme après 2024. Il est crucial que notre commission suive cette question avec attention dans les prochains mois.
L'avancement du projet ITER mérite également qu'on y prête attention. La production d'un premier plasma, à horizon 2025, apparaît ambitieuse, étant donné le retard induit par la crise sanitaire. De même, après les réorientations décidées en 2019-2020, l'opération de montage du réacteur de recherche Jules Horowitz (RJH) se poursuit.
D'ici à 2023, une opération de gouvernance des risques entend redessiner les contours d'un projet réaliste. Cette opération doit s'accompagner d'une exigence de modération budgétaire. En effet, les actions « Charges nucléaires de long terme des installations du CEA » et « Recherche dans le domaine de l'énergie nucléaire » représentent toujours près de deux tiers des crédits du programme 190.
Concernant l'accompagnement des nouvelles technologies de l'énergie, des moyens importants doivent être alloués pour soutenir leur transfert et leur massification.
Je salue les activités du CEA, qui porte des travaux novateurs, voire disruptifs pour certains - je pense, notamment, aux performances de l'hydrogène ou de la technologie du photovoltaïque à hétérojonction, qui sont actuellement en phase de transfert.
L'IFP Énergies nouvelles, quant à lui, soutien des projets en matière de technologie de captage, de stockage, de transport et de valorisation du CO2, essentiels à la transition. Le projet BioTfueL développe des biocarburants de deuxième génération utilisant les résidus agricoles et forestiers plutôt que des ressources potentiellement alimentaires. Il s'agit de consacrer plus de moyens budgétaires à ces axes de recherche, d'autant qu'ils permettent de répondre aux objectifs européens en matière d'énergie renouvelable et de biocarburants.
La question du soutien de la recherche française en matière de prévention et de gestion des risques, notamment industriels, se pose avec de plus en plus d'acuité. Je note un avant et un après Lubrizol ; depuis l'incendie de l'usine, l'Ineris a consacré près de 1,5 million d'euros à la recherche post-accidentelle, en menant des campagnes expérimentales qui ont fait émerger de nombreuses interrogations sur le plan de la recherche - je pense à la modélisation rapide des panaches de fumée, à la gestion des données sur certains polluants issus de la combustion ou encore à l'identification des valeurs toxicologiques de référence.
À ce sujet, je rappelle les conclusions du rapport de la commission d'enquête sénatoriale après l'incendie de l'usine Lubrizol, selon lesquelles la recherche en matière de prévention et de gestion des accidents industriels doit bénéficier de moyens budgétaires à la hauteur des enjeux.
Nous devons également investir dans la recherche sur les risques environnementaux et climatiques. Le CEA développe déjà des outils permettant de modéliser les répercussions environnementales d'un tsunami, de la pollution des sols et des rivières, ou encore de la dynamique et de la variabilité naturelle du climat, en fonction de la sensibilité des écosystèmes marins et continentaux aux changements climatiques et anthropiques ; il convient d'accentuer l'excellence de cet acteur de pointe.
Enfin, je souhaite insister sur la nécessité de cibler des projets de recherche ayant une portée systémique et territorialisée. Ces deux piliers s'inspirent notamment des orientations scientifiques de l'université Gustave-Eiffel (UGE), dont j'avais salué la création en 2020.
Sur le volet systémique, il me paraît opportun d'accompagner financièrement le décloisonnement des disciplines de recherche, afin d'encourager les synergies entre laboratoires, du domaine des mobilités à l'urbanisme en passant par les réseaux, l'économie circulaire et la logistique urbaine. À l'image de l'inflexion du programme scientifique de l'UGE en 2021, cette démarche comprend la question des villes et territoires justes et équitables, et s'intègre à des projets démonstrateurs, au plus près du terrain.
Le second pilier consiste à soutenir des activités de recherche territorialisées, afin de réaffirmer la pluralité des modèles de villes et de territoires durables, en favorisant l'étude des conditions de « réplicabilité » des solutions et des bonnes pratiques, notamment en fonction du maillage territorial considéré.
Sur ce point, l'UGE étudie les implications de la crise sanitaire sur les mobilités, l'économie circulaire et les dynamiques de métabolisme du territoire, en particulier les enjeux de quantification des flux entrants et sortants de l'économie circulaire.
Pour mieux s'imprégner de ces problématiques, la commission pourrait utilement se déplacer auprès de ces opérateurs qui font vivre la recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables. Cela permettra à la fois de mieux comprendre les enjeux auxquels ils font face, d'orienter nos prises de position en tant que législateur et de répondre aux demandes manifestées dans le cadre des différentes auditions.
Sachant la résilience et la mobilisation des opérateurs concernés, je propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 190.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à la recherche dans le domaine de l'énergie, du développement et de la mobilité durables de la mission « Recherche et enseignement supérieur » et de la mission « Plan de relance ».
M. Jean-François Longeot, président. - En conclusion de cette réunion, je tiens à remercier l'ensemble des rapporteurs pour le travail réalisé. Je souhaite également remercier plus particulièrement Hervé Gillé, qui nous a quittés quelques instants pour aller défendre un amendement, ainsi que Jacques Fernique, qui a représenté la commission vendredi dernier. Il est important que la commission puisse être représentée et que les amendements soient défendus, même si certains seront finalement rejetés.
La réunion est close à 20 h 10.