- Mercredi 3 novembre 2021
- Audition de Mme Laurence Borie-Bancel, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente du directoire de la Compagnie nationale du Rhône (CNR)
- Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Laurence Borie-Bancel aux fonctions de présidente du directoire de la Compagnie nationale du Rhône (CNR)
- Proposition de loi portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires - Examen des amendements au texte de la commission
- Dépouillement simultané au sein des commissions des affaires économiques des deux assemblées des scrutins sur la proposition de nomination, par le président de la République, de Mme Laurence Borie-Bancel aux fonctions de présidente du directoire de la Compagnie nationale du Rhône (CNR)
- Mission d'information sur « la méthanisation dans le mix énergétique : enjeux et impacts » - Présentation du rapport « Méthanisations : au-delà des controverses, quelles perspectives ? »
- Désignation d'un rapporteur
Mercredi 3 novembre 2021
La réunion est ouverte à 9 h 30.
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
Audition de Mme Laurence Borie-Bancel, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente du directoire de la Compagnie nationale du Rhône (CNR)
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous recevons Mme Laurence Borie-Bancel, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente du directoire de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), sur proposition de son conseil de surveillance, qui s'est réuni le 28 septembre dernier.
En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, cette nomination par décret du Président de la République ne peut intervenir qu'après audition par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cette audition est publique, elle donnera lieu à un vote à bulletin secret.
L'Assemblée nationale procédera à la même audition cet après-midi et nous dépouillerons simultanément les bulletins après la séance des questions d'actualité au Gouvernement. Il ne pourra être procédé à cette nomination si l'addition des votes négatifs dans les deux commissions représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Créée en 1933, la CNR s'est vu confier en 1934 la concession du Rhône. Elle assure trois missions : la production d'électricité, la navigation et l'irrigation agricole. Ses dix-neuf barrages hydroélectriques produisent un quart de l'énergie hydroélectrique française. Elle est une société anonyme d'intérêt général. Sa gouvernance est originale, 33 % de son capital étant détenu par l'État, 17 % par les collectivités et près de 50 % par Engie.
Madame Borie-Bancel, vous êtes diplômée de l'École nationale supérieure des ingénieurs de génie chimique. Vous avez effectué l'essentiel de votre carrière dans le secteur du gaz : d'abord chez Gaz de France, puis chez Engie, fournisseur de gaz naturel, et chez Elengy, exploitant de terminaux méthaniers. Vous étiez jusqu'il y a peu directrice support opérationnel de la business unit Thermique & Fourniture d'énergie au sein d'Engie.
Après ce bref rappel de votre parcours professionnel, je vous propose de nous présenter votre projet pour la CNR, à laquelle notre commission est extrêmement attachée. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion de visiter le barrage de Pierre-Bénite, dans le Rhône, en 2019, avec votre prédécesseure, Élisabeth Ayrault, pour laquelle nous avons une pensée amicale. Je tiens à la remercier publiquement et chaleureusement pour l'excellent travail qu'elle a toujours accompli avec passion au sein de la CNR.
Je vous donne la parole, puis nos collègues vous interrogeront, à commencer par Daniel Gremillet, président du groupe d'études « Énergie » et rapporteur sur votre désignation.
Mme Laurence Borie-Bancel, candidate proposée aux fonctions de présidente du directoire de la Compagnie nationale du Rhône. - Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie d'avoir rappelé les raisons de ma présence devant vous aujourd'hui. Nos textes et procédures législatives donnent à la représentation nationale et au Président de la République le pouvoir de nommer l'homme ou la femme exerçant le mandat de président du directoire de la CNR.
Si les infrastructures dont la CNR est la concessionnaire contribuent au dynamisme de la vallée du Rhône, elles permettent également de répondre aux enjeux énergétiques nationaux. En tant qu'élus, vous oeuvrez à concilier les enjeux de votre territoire avec ceux du territoire France. Vous êtes donc parmi les mieux placés pour comprendre la pertinence du modèle d'entreprise si particulier de la CNR, que vous avez rappelé, madame la présidente. Ses trois missions sont la production d'électricité, la navigation et l'irrigation agricole. Sa relation avec le territoire en fait une entreprise unique. C'est ce que la CNR, sous l'impulsion d'Élisabeth Ayrault, que je salue ici, a souhaité incarner au travers d'une raison d'être : le Rhône pour origine, les territoires pour partenaires, les énergies renouvelables pour l'avenir.
Je suis devant vous aujourd'hui pour vous convaincre que ma personnalité, mon parcours et ma compréhension des enjeux de cette belle entreprise me permettront de la diriger afin qu'elle puisse continuer à assurer des missions capitales pour la vallée du Rhône et pour la Nation.
Dans une première partie, je commencerai par me présenter et par évoquer mon parcours et ce qui me conduit à être devant vous aujourd'hui ; puis, dans une seconde partie, je vous ferai part de mes premiers constats depuis mon arrivée au sein du directoire il y a cinq semaines et donc des défis à relever. Ces éléments vous éclaireront, je l'espère, sur la dynamique que je souhaite impulser à la CNR au cours des vingt prochains mois de mon mandat. Si je m'inscris évidemment dans la stratégie de l'entreprise « CNR 2030 », j'apporterai également un regard neuf, riche de mes expériences passées.
Je suis ingénieur depuis trente ans dans le secteur de l'énergie. J'ai travaillé en France et à l'international, au sein de Gaz de France, qui est devenu Engie. J'ai effectué une première partie de mon parcours dans les infrastructures gazières et je suis par exemple fière d'avoir contribué au premier terminal d'importation de gaz en Inde ou, plus près de chez nous, d'avoir copiloté le développement du terminal méthanier de Fos-Cavaou dans l'emprise du port de Marseille. J'ai réalisé la seconde partie de mon parcours dans l'électricité, d'abord thermique, puis renouvelable. J'ai ainsi été directrice de projet de l'une des premières centrales à gaz installée en Loire-Atlantique, dans l'emprise du port de Nantes-Saint-Nazaire. J'ai ensuite découvert les énergies renouvelables. J'ai notamment été directrice générale adjointe de la Compagnie du Vent, entreprise pionnière dans le développement de l'éolien terrestre et offshore et du photovoltaïque.
Cette expérience de terrain, les responsabilités opérationnelles que j'ai exercées, les aventures humaines que j'ai vécues m'ont équipée pour la troisième partie de mon parcours, au cours de laquelle j'ai assumé des postes de direction d'entités ou d'entreprises. J'ai ainsi été directrice des opérations des centrales à gaz du sud de l'Europe pour Engie, directrice générale chez Elengy et responsable de la filière thermique d'Engie dans le monde.
Si je me présente aussi devant vous aujourd'hui, c'est d'abord parce que j'ai une passion pour le monde industriel. J'ai grandi dans un territoire industriel, au sein d'un département rural, le Lot-et-Garonne. Lorsque j'étais petite, j'étais fascinée par l'usine sidérurgique qui a longtemps été l'entreprise la plus importante de la région. C'est cette fascination qui m'a conduite à choisir de devenir ingénieur et à m'investir dans l'industrie.
Ensuite, étant issue de la campagne, je pense sincèrement que les missions de la CNR dans le secteur de l'agriculture - même si la CNR est clairement une entreprise industrielle, avec ses dix-neuf aménagements qui maillent le Rhône - sont des éléments fondamentaux de sa contribution aux enjeux de transition écologique.
Le monde de l'énergie, comme le secteur du transport ou l'agriculture, a de nombreux défis à relever. Pour cela, il faut d'abord savoir écouter, comprendre, anticiper, s'adapter, se mobiliser. C'est ce qu'on attend d'un dirigeant. Mes expériences passées m'ont équipée pour cela. En outre, il est évident qu'on est plus fort à plusieurs. À cet égard, j'ai toujours favorisé le travail d'équipe et j'ai bien l'intention de continuer.
Par ailleurs, le modèle CNR me fait briller les yeux, comme à beaucoup de Rhodaniens. La CNR est le premier producteur d'énergie 100 % renouvelable en France : 23 % de l'hydroélectricité en France est produite par le seul Rhône.
L'État a confié à la CNR la gestion globale du Rhône. La CNR a ainsi pu faire un aménagement holistique du fleuve, de la frontière de la Suisse jusqu'à la Méditerranée, en associant l'ensemble des parties prenantes concernées. À ma connaissance, un tel modèle de gestion n'est appliqué à aucun autre fleuve dans le monde.
L'actionnariat de la CNR garantit un équilibre entre l'intérêt économique et l'intérêt général. Le modèle de redistribution de la CNR est particulier en ce qu'il permet aux territoires du Rhône, même à ceux qui ne sont pas actionnaires, de bénéficier de la richesse produite par un bien commun, le Rhône. Cela fait de la CNR une entreprise unique, dont le modèle, j'en ai la conviction, est vertueux.
En résumé, j'ai une passion pour l'industrie, trente ans d'expérience de terrain, un goût pour les défis et la conviction de la valeur du modèle CNR : telles sont les raisons pour lesquelles je suis devant vous aujourd'hui.
J'en arrive à la seconde partie de mon exposé sur les enjeux de l'entreprise. J'en évoquerai cinq, qui me semblent essentiels et vers lesquels j'orienterai mes actions et la dynamique de la CNR.
Le premier enjeu, évident, est d'obtenir la prolongation de la concession. La CNR est le concessionnaire historique du fleuve Rhône et les discussions à ce sujet, entamées il y a sept ans, sont aujourd'hui en cours au niveau de l'État. Les élus des territoires sont à nos côtés depuis le début de ce travail. Nous continuons donc à collaborer étroitement avec l'État, mais c'est à l'État concédant que revient la finalisation de ce dossier éminemment structurant pour nous. Cette prolongation est en effet la condition indispensable pour nous permettre de relever l'ensemble des autres défis de l'entreprise, que j'évoquerai dans un instant.
Le deuxième enjeu pour la CNR est d'optimiser les usages du fleuve en tenant compte des enjeux climatiques. Vous le savez peut-être, selon les prévisions scientifiques, le débit du fleuve devrait baisser de 10 % à 40 % à l'horizon 2050. Nous observons déjà des fluctuations infra-annuelles très importantes, qui signifient que les changements climatiques ont déjà des effets. Face à l'évolution sensible de la ressource en eau, des discussions et de nouveaux arbitrages seront nécessaires pour limiter les conflits d'usage. Je souhaite que la CNR prenne toute sa place aux côtés de l'État et de l'ensemble des parties prenantes dans ces discussions et qu'elle formule des propositions concrètes pour continuer à mener ses missions sur le Rhône.
Ainsi, je souhaite que nos actions aux côtés des agriculteurs de la vallée permettent le développement d'un modèle d'agriculture innovant, conciliant performances économiques et respect de l'environnement. C'est le sens de notre engagement dans l'irrigation durable, l'efficacité énergétique et l'accompagnement de la transition agroécologique.
Je crois ensuite indispensable que la CNR accompagne la croissance de la navigation, dont je mesure l'importance à la fois pour le verdissement du transport de marchandises et de passagers et pour l'attractivité économique des territoires. Ce mode de transport est en effet quatre fois moins polluant que le transport routier. Je rappelle que les infrastructures du Rhône sont capables dès aujourd'hui d'absorber quatre fois plus de trafic sans qu'il soit nécessaire d'y injecter un euro de plus.
Enfin, la mission de production d'hydroélectricité est la colonne vertébrale de notre modèle d'entreprise. Les créateurs de la CNR ont imaginé un modèle d'aménagement du territoire dans lequel la production d'hydroélectricité permet de soutenir économiquement ses autres missions, la navigation et l'agriculture. Ce modèle est toujours le même aujourd'hui. Il a d'ailleurs été étendu à la préservation de l'environnement et à d'autres secteurs économiques, comme le tourisme ou la mobilité. Telles sont nos missions d'intérêt général.
Avec la prolongation, nos plans quinquennaux - les plans synchrones - seront dotés de 165 millions d'euros. De plus, nous engagerons 500 millions d'euros de travaux, dont la majorité pour accroître la production hydroélectrique du Rhône, via de nouvelles petites centrales hydrauliques et l'augmentation de la capacité de notre ouvrage de Montélimar. Nous étudierons aussi la possibilité d'un nouvel aménagement en amont de la confluence de l'Ain.
La production d'hydroélectricité doit aussi être adaptée au changement climatique. Nous devons être plus flexibles et capables de turbiner tous les débits que le Rhône veut bien nous donner, une fois les autres usages réalisés.
Le troisième enjeu pour la CNR est l'accélération du développement de ses actifs renouvelables. Pour respecter les accords de Paris et diminuer de 90 % nos émissions de CO2, une électrification rapide de nombreux usages est nécessaire. Les énergies renouvelables, notamment l'éolien et le solaire, joueront un rôle majeur, pour ne pas dire massif, dans ce processus, comme RTE l'a confirmé dans son récent rapport sur le sujet, y compris dans son scénario le plus « nucléarisé ».
Je souhaite que la CNR puisse prendre toute sa part dans le déploiement des énergies renouvelables. Nous accélérerons nos investissements dans le solaire et l'éolien terrestre, dans notre effort d'accompagnement des objectifs nationaux de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Nous développerons des actifs de production sur l'ensemble du territoire français pour porter notre mix eau-vent-soleil à 7 000 mégawatts de puissance installée, contre 4 000 aujourd'hui. Une augmentation de 3 000 mégawatts sur le vent et le soleil représente un sacré défi !
Ce développement indispensable d'actifs renouvelables doit être accepté par les citoyens et les territoires. De ce point de vue, notre modèle d'entreprise et notre expertise en matière de concertation et de conciliation, acquise de longue date, sont précieux. Nos projets éoliens et solaires sont tous construits en collaboration avec les territoires ; nous apportons des solutions, nous ne les imposons pas. En cela, nous suivons la logique de contrat équilibré présente dans la loi « Climat et résilience ». Je souhaite que la CNR soit un partenaire des collectivités dans ce domaine où elles sont en première ligne. Ainsi seulement on assurera l'acceptabilité des énergies renouvelables par nos concitoyens.
Nous devons ensuite - c'est notre quatrième enjeu - être des acteurs de l'innovation, car celle-ci est indispensable à la transition écologique.
Afin d'assurer la stabilité de notre modèle, nous devons continuer à innover, notamment en matière de stockage et de flexibilité : gérer la variabilité de la production électrique est un enjeu clé quand on est un producteur d'énergie exclusivement renouvelable. Nous travaillons ainsi à quatre démonstrateurs dans le domaine de l'hydrogène, mais également à d'autres formes de flexibilité pour notre mix énergétique. À plus long terme, nous développons de nombreux projets d'énergies renouvelables non matures, comme le photovoltaïque linéaire flottant ou bifacial.
Nous innovons également dans notre action en faveur de l'environnement. Ainsi, notre site de Donzère-Mondragon est le seul espace industriel actif à avoir été inscrit sur la liste verte de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). La restauration du fleuve que nous menons est le plus grand programme de ce type à l'échelle mondiale ; nous menons ces actions de façon concertée avec les territoires et les citoyens.
Nous pouvons aussi nous montrer innovants dans nos pratiques d'exploitation et de maintenance d'actifs vieux de cinquante ans en moyenne. J'ai ainsi pu visiter l'intérieur d'une turbine à Donzère-Mondragon ; un échafaudage circulaire, projet inédit, permet de diminuer le temps nécessaire pour la maintenance et de renforcer la sécurité.
Notre dernier enjeu est classique pour toute entreprise : il s'agit d'accroître la performance de la CNR en conciliant l'économie, l'environnement et l'humain. Nous disposons de compétences et de métiers incroyablement divers, du fait des trois missions que nous menons : on compte 180 métiers pour 1 400 salariés. La performance requiert d'avoir un personnel formé pour aujourd'hui et pour demain, mais aussi de maintenir une culture de dialogue social positif et de favoriser la diversité des profils ; en tant que femme du secteur industriel, je suis particulièrement sensible à la parité en la matière et je veillerai à ce que les efforts déjà réalisés s'intensifient, pour que nous soyons une entreprise exemplaire.
Je tiens, en conclusion, à vous redire toute ma motivation pour présider cette magnifique entreprise au modèle industriel et redistributif unique.
M. Daniel Gremillet, président du groupe d'études Énergie. - Notre commission est très attachée à l'hydroélectricité : elle est à l'origine d'une proposition de loi et d'une proposition de résolution sur ce sujet, auxquelles la CNR avait apporté sa contribution et qui ont largement prospéré dans le cadre de la loi « Climat et résilience ».
Je veux d'abord vous interroger sur votre parcours, accompli pour l'essentiel dans le secteur du gaz, notamment au sein du groupe Engie. Ce secteur diffère quelque peu de celui de l'hydroélectricité. En quoi cette expérience peut-elle vous aider dans vos fonctions ? Engie est actionnaire minoritaire de la CNR, avec 49,97 % de son capital. Comment entendez-vous garantir une position équidistante entre tous les actionnaires de la CNR ?
Je veux ensuite vous poser quelques questions sur votre projet. En matière de gouvernance, entendez-vous modifier l'actionnariat de la CNR, ou le conserver tel quel ? Les collectivités territoriales seront-elles toujours parties prenantes ? Comment renforcer les liens qui les unissent à la CNR ?
En matière de stratégie, comptez-vous appliquer ou réviser les objectifs prévus par la stratégie « CNR 2030 » ? Irez-vous au-delà des 500 millions d'euros de travaux prévus dans le cadre de la prolongation de la concession ? Prévoyez-vous de candidater à d'autres concessions hydroélectriques, de restaurer des installations, ou d'en créer de nouvelles ? Irez-vous au-delà des 7 000 mégawatts de capacité installée d'énergies renouvelables ? Quels sont vos projets en matière d'hydrogène, de stockage et de flexibilité ? Quels sont vos objectifs en matière de chiffre d'affaires et d'emploi ? Quid des activités de navigation et d'irrigation agricole ?
Ma dernière série de questions porte, plus largement, sur le secteur de l'hydroélectricité, qui est indispensable à notre transition énergétique, mais connaît des difficultés du fait d'un contentieux européen vieux de plus de dix ans.
Nous avions proposé de relever les objectifs prévus dans le cadre stratégique en faveur de la production d'énergie hydraulique, de simplifier les normes applicables et de renforcer les incitations fiscales existantes. Quel est votre point de vue sur les perspectives de développement de l'hydroélectricité ? Peut-on produire davantage ? Cela se ferait-il plutôt en rénovant des installations existantes ou en en créant de nouvelles ? Comment concilier l'activité hydroélectrique avec les règles de continuité écologique ?
Nous avions aussi appelé le Gouvernement à préserver notre modèle concessif dans les négociations européennes. La Commission européenne a validé la prolongation de la concession de la CNR, mais le contentieux demeure s'agissant de celles d'EDF. Quelle est votre appréciation de cette situation ? Espérez-vous candidater aux concessions actuellement détenues par EDF ? Que pensez-vous de la quasi-régie envisagée dans le projet « Hercule », devenu « Grand EDF », qui exonérerait les concessions d'EDF des règles de remise en concurrence ?
Mme Laurence Borie-Bancel. - Mon parcours, largement effectué dans le domaine gazier, m'a familiarisé avec la production d'électricité à partir de gaz, mais aussi d'énergies renouvelables. Grâce à cette connaissance, je sais ce que requiert le développement d'un projet industriel, du design à la construction, à l'exploitation, à l'optimisation et à la déconstruction. Je connais aussi le marché de l'électricité.
J'ai été élue à l'unanimité par le conseil de surveillance de la CNR, où sont représentés, au côté d'Engie, les collectivités territoriales et la Caisse des dépôts et consignations (CDC), ainsi que le personnel et l'État. Ma boussole, en tant que présidente de la CNR, sera l'intérêt social de cette entreprise.
Concernant la gouvernance de la CNR, mon rôle ne sera pas de m'occuper de l'actionnariat, mais de la vie de l'entreprise. La structure de l'actionnariat est d'ailleurs exemplaire, avec les territoires, la CDC et un actionnaire industriel. C'est un plus pour l'entreprise.
La stratégie « CNR 2030 » est déclinée en plans biennaux ; elle peut donc être infléchie si nécessaire, en fonction du contexte. C'est bien une enveloppe de 500 millions d'euros qui est prévue pour les investissements à réaliser dans le cadre de la prolongation de la concession. Quant à d'éventuelles candidatures à des concessions hydroélectriques, encore faudrait-il qu'il y en ait, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Si une telle possibilité s'ouvrait, nous ne candidaterions pas tous azimuts ; cet élargissement devrait avoir un lien avec notre concession du Rhône.
Quant à nos ambitions en matière d'énergies renouvelables, aller au-delà de 7 000 mégawatts serait difficile. Il faudra déjà accélérer nos efforts pour atteindre cet objectif très ambitieux.
Nous avons différents projets en matière d'hydrogène. Un premier, nommé « Quai des énergies », consiste dans le développement d'une station-service multi-énergies dans l'enceinte du port Édouard-Herriot de Lyon. Les véhicules pourront s'alimenter en gaz vert, en électricité, mais aussi, dès le début de 2022, en hydrogène. Nous avons aussi des projets de production d'hydrogène vert. L'un d'entre eux, également situé dans le port de Lyon, près de la voie navigable, permettra d'alimenter d'éventuels navires pousseurs fonctionnant à l'hydrogène. Un autre, à Pierre-Bénite, vise la production d'hydrogène pour décarboner l'industrie. Enfin, nous sommes partenaires du projet Jupiter 1000, dans le grand port maritime de Marseille : de l'hydrogène sera produit à partir d'électricité verte fournie par nos éoliennes de Fos-sur-Mer, puis injecté dans le réseau de transport de gaz.
Concernant l'emploi, nous avons 1 400 employés, sans compter 90 alternants et les personnes en contrats à durée déterminée (CDD). Des postes seront créés en préparation de la prolongation de la concession.
Pour en venir à l'hydroélectricité, nous travaillons depuis longtemps à la continuité écologique, par la mise en place de passes à poissons ; les six petites centrales que nous allons construire en seront toutes équipées.
Je ne saurais vous parler du projet « Hercule », puisque je ne sais à son sujet que ce que j'ai appris dans la presse.
Oui, on peut produire davantage d'énergie hydroélectrique avec les ouvrages existants. Ainsi, nous avons prévu d'augmenter la capacité de l'ouvrage de Montélimar, à hauteur de 0,15 térawattheure. Quant à la construction d'autres équipements, la loi « Climat et résilience » prévoit justement de dresser l'inventaire des possibilités en la matière. Nous équipons déjà nos installations de petites centrales hydrauliques de façon à profiter des débits réservés.
M. Patrick Chaize. - Merci pour cette présentation précise et complète. Sur la diversification, vous avez évoqué vos intentions. Entre les intentions et le réalisme, il y a un écart. L'avez-vous pris en compte ? Vous insistez sur la concertation, qui est utile, nécessaire, et que nous souhaitons tous. Pouvez-vous nous préciser l'échelle sur laquelle cet écart pourrait se situer ?
Vous avez aussi parlé de la petite hydraulique. Que mettez-vous derrière ce terme ? Disposez-vous d'un recensement des potentiels, notamment dans le département de l'Ain ? Vous avez d'ailleurs évoqué des projets à proximité de la rivière d'Ain. Pouvez-vous nous en dire plus ? Quel est le calendrier de leur mise en oeuvre ? Où en sont-ils ?
Enfin, je termine par une question taquine : considérez-vous votre candidature comme une candidature de continuité ou de rupture ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Il n'y a pas de question taquine, il n'y a que des questions !
Mme Florence Blatrix Contat. - Merci de cette présentation très complète. Je me réjouis de votre volonté de vous inscrire pleinement dans la raison d'être de la CNR : le Rhône pour origine, les territoires pour partenaire - c'est très important pour nous - et les énergies renouvelables pour l'avenir.
Je suis particulièrement intéressée par les différents projets que vous entendez mettre en oeuvre, en particulier, dans la région Auvergne-Rhône-Alpes et dans le département de l'Ain. Le projet de barrage de Saint-Romain-de-Jalionas est particulièrement suivi. Il suscite beaucoup de questions et d'inquiétudes, et les élus souhaiteraient être mieux informés. Pouvez-vous nous faire un point synthétique sur ces projets en cours ? Comment souhaitez-vous associer les élus locaux à la mise en oeuvre de ce projet ?
J'ai été sollicitée par des élus d'une commune sur laquelle est implanté un barrage, et qui compte de nombreux logements vacants appartenant à la CNR qui, naguère, y hébergeait du personnel. Ces logements sont, pour la plupart, inhabités, et les élus le regrettent. J'aimerais donc savoir si vous envisagez d'effectuer sur vos parcs de logements des réhabilitations qui permettraient aux communes d'accueillir de nouveaux habitants sans avoir à consommer du foncier nouveau, ce qui est très important aujourd'hui. La CNR contribuerait ainsi à une vocation sociale, environnementale et d'aménagement du territoire.
M. Bernard Buis. - Vous avez évoqué de nombreux projets le long du Rhône, et particulièrement sur la Drôme. Un des projets qui nous tiennent à coeur, en lien avec les collectivités locales, c'est de travailler sur les délaissés de la CNR. Lorsque des aménagements hydrauliques ont été faits par le passé, beaucoup de terrains, à vocation agricole ou non, ont été acquis par la CNR. Certains nous semblent aujourd'hui vacants. Je pense notamment au parc photovoltaïque d'Érôme. Pouvez-vous le dynamiser, voire l'agrandir ? Seuls cinq hectares ont été utilisés sur les 25 hectares disponibles. L'avancée semble donc un peu timide.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Comment envisagez-vous l'apport de la CNR au développement industriel de nouvelles filières en France ? Vous avez cité plusieurs exemples d'innovation en énergies renouvelables, mais vous n'avez pas beaucoup parlé de l'innovation dans le secteur purement hydraulique. J'ai rencontré des personnes qui travaillent à General Electric (GE) à Belfort, qui m'ont indiqué qu'il serait possible d'installer des turbines d'une bien meilleure efficacité. Comme, de surcroît, nous avons moins d'eau, n'est-ce pas un sujet central ?
M. Daniel
Salmon. - Merci pour votre très intéressante
présentation. Je partage votre enthousiasme sur les énergies
renouvelables, bien entendu. Le
groupe
Écologiste - Solidarité et Territoires
était à l'initiative, il y a quelque temps, d'une proposition de
loi pour maintenir nos barrages hydroélectriques dans le domaine public.
Ce texte visait à maintenir les 420 plus gros barrages,
c'est-à-dire ceux de plus de 4,5 mégawatts, dans le
domaine public, et à éviter la mise en concurrence
des 150 concessions arrivant à terme. Que pensez-vous de cette
mise en concurrence ? Vous paraît-elle pertinente en termes de
souveraineté énergétique industrielle et pour la
réussite de notre transition énergétique ?
Que pensez-vous de la situation actuelle, avec des concessions hydroélectriques réparties entre trois entités ? Avez-vous identifié un certain nombre de problèmes, notamment quand les barrages en amont et en aval d'une même vallée sont gérés par des compagnies différentes ? J'ai visité dernièrement le barrage de Cusset, à Lyon, sur le Rhône, géré par EDF. On m'y a fait part de certaines petites difficultés. Pouvez-vous nous donner votre avis sur cette gestion répartie entre plusieurs entités ?
Mme Viviane Artigalas. - Merci de votre présentation, dans laquelle vous avez déjà répondu à ma question, qui concernait votre relation, venant d'Engie, avec les autres actionnaires de la CNR.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Merci pour votre présentation. Nous avons bien compris que le dialogue et le lien avec les collectivités territoriales étaient importants pour vous, et nous y sommes sensibles. Mais quelle méthode pensez-vous employer pour renforcer et consolider ce partenariat ? Certains territoires mettent en place ce qu'on appelle des chartes fluviales de territoire, qui permettent de soutenir une stratégie plus globale d'aménagement, et peut-être d'aller jusqu'à la question du logement, évoquée à l'instant. En tous cas, ces chartes prennent en compte les singularités de chaque territoire pour amener la CNR à accompagner un développement plus global. Que pensez-vous de cet outil ?
Je ne connais pas bien les infrastructures multimodales. Y en a-t-il sur le Rhône ? Pensez-vous les développer, notamment pour le fret de marchandises lourd ?
Nous prenons note de votre projet de déploiement de 3 000 mégawatts supplémentaires. Quelle sera la part des panneaux photovoltaïques, et notamment des panneaux photovoltaïques sur plan d'eau ?
M. Jean-Claude Tissot. - J'ai visité il y a quelques années le site de Pierre-Bénite, qui n'était encore quasiment qu'un laboratoire de fabrication. Envisagez-vous une industrialisation, même si le mot est peut-être un peu fort, de ce programme ? Vous avez rappelé qu'il fallait gérer les conflits d'usage, et le réchauffement climatique n'est plus une vue de l'esprit : il faut le gérer aussi. J'habite dans le département de la Loire, pas très loin des centrales nucléaires qui sont refroidies par l'eau du Rhône... Quel est votre avis sur l'avenir de ces centrales ?
M. Fabien Gay. - Madame la présidente-candidate, ou candidate-présidente, je ne sais trop comment l'on dit, merci de votre présentation. Pour ma part, je n'ai pas de question sur votre parcours personnel : je ne suis pas là pour le juger, et il est extrêmement brillant. J'aurai deux questions, ni taquines ni personnelles, mais d'ordre politique.
D'abord, vous arrivez dans un paysage énergétique qui se bouleverse, sur le plan industriel. Le premier étage de la fusée fut la vente à Veolia des parts de Suez détenues par Engie. Suit un projet de scission d'Engie, qui fait peser une menace sur 80 000 salariés, sans doute au bénéfice de Bouygues. Après nous avoir expliqué il y a quelques années qu'il fallait qu'Engie se diversifie, on nous explique désormais que, pour faire la scission, il faut qu'il se recentre... Comme le rapporteur, mais peut-être avec un angle différent, je souhaite vous interroger sur la solidité d'Engie, qui est un actionnaire important. Quel est son avenir ? À mon avis, nous allons assister à sa découpe, alors que sa présence est cruciale pour vos projets d'investissements lourds de 500 millions d'euros, que vous avez évoqués dans votre présentation.
Je comprends que vous ne puissiez rien dire sur le projet « Hercule ». Pour être taquin à mon tour, je ne pense pas que vous n'en ayez été informée que dans la presse - en tout cas je l'espère ! Que vous ne vouliez rien en dire, je le comprendrais. Mais s'il est conduit à son terme, quelles seraient les conséquences concrètes pour la CNR ? Pour vous-même, pour la société, pour les salariés ? Quel statut pour ceux-ci ? Cela nous pose question.
M. Laurent Duplomb. - Je voudrais revenir sur les trois objectifs de la CNR. Les deux premiers, la production d'électricité et le développement de la navigation fluviale, ont déjà fait l'objet de nombreuses questions. Mais je n'ai pas entendu grand-chose sur l'irrigation qui est, depuis la création de cette compagnie, l'un de ses trois objectifs. Pour pouvoir voter en mon âme et conscience, j'ai besoin de vous entendre sur votre stratégie concernant l'irrigation, si nos suffrages vous sont favorables.
M. Jean-Marc Boyer. - Dans votre exposé, vous avez beaucoup parlé des enjeux de la transition écologique et énergétique, et notamment de l'éolien. La France représente à peu près 0,8 % des émissions de CO2. À l'heure où l'Allemagne rouvre les centrales à charbon, où la Chine en fait fonctionner un millier, vous avez parlé de concilier environnement et économie. Ne faudrait-il pas ajouter la conciliation avec l'humain ?
Quelle acceptabilité peut avoir aujourd'hui l'éolien ? Il semble remis en cause dans de multiples domaines, économique, patrimonial, sanitaire, en termes d'intégration paysagère, de recyclage d'immobilier.
M. Franck Montaugé. - Comment envisagez-vous de financer vos investissements ? Ceux que vous avez évoqués sont importants. Pouvez-vous nous faire un point sur l'état de la dette de la CNR ? Quels sont vos objectifs de rendement du capital ? Quelle sera votre politique de distribution de dividendes ? L'entreprise est déclarée à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) pour ses activités de lobbying. Celles-ci mobilisent un montant assez important - 600 000 euros, environ. Dans quels domaines ce lobbying s'exerce-t-il ? Dans quels domaines l'orienteriez-vous ?
M. Henri Cabanel. - Vous nous avez exposé cinq priorités. La deuxième est d'optimiser les usages du fleuve, sachant que son débit risque de diminuer d'ici 2050. Le plus faible débit relevé a été de 400 litres par seconde, en 1921. Je souhaite évoquer l'irrigation agricole. J'ai la chance d'habiter dans le beau département de l'Hérault, qui fait partie de ces départements du sud où la sécheresse est très sévère, avec une agriculture qui est irriguée par l'eau du Rhône, à travers BRL, que vous connaissez très bien. Sachant que le débit risque de diminuer, pensez-vous qu'il y a des limites à ne pas dépasser en termes de prélèvement d'eau pour l'irrigation agricole ?
Mme Sophie Primas, présidente. - J'aurai une dernière question : souvent, lorsque nous parlions de navigation sur le Rhône, Élisabeth Ayrault nous signalait les difficultés qu'elle avait avec le port de Marseille pour disposer des installations nécessaires à l'augmentation du trafic sur le Rhône. Elle se plaignait de mauvaises connexions, d'installations pas assez grandes, et peut-être aussi d'un manque de volonté du port de Marseille pour améliorer ces installations. Sur ce point, avez-vous des perspectives plus réjouissantes ?
Mme Laurence Borie-Bancel. - Plusieurs questions concernent l'ouvrage de Saint-Romain-de-Jalionas. Je précise que, dans le cadre de la prolongation de la concession, nous allons étudier la possibilité de construire cet ouvrage. Vous avez aussi évoqué l'association des élus locaux : évidemment, cette étude va déboucher, si tout se passe bien, sur une concertation, un débat public et, in fine, la décision de réaliser l'ouvrage sera prise par l'État. Le processus de développement associera donc toutes les parties prenantes.
Vous m'interrogez aussi sur l'association des territoires. Sur ce point, la CNR est irréprochable, car nous sommes équipés pour cela, avec des représentants et des délégués dans les territoires, qui sont à l'écoute des différents élus et à l'écoute de leurs propositions.
Sur les questions précises qui m'ont été posées, je ne saurais vous apporter de réponses précises immédiatement, mais je les ai notées et je reviendrai vers vous par le biais de Mme la présidente ou de M. le rapporteur. Par exemple, les délaissés constituent en effet des terrains qui pourraient être utilisés pour développer le photovoltaïque. Si cela n'est pas encore fait, je rechercherai pourquoi.
Vous avez évoqué le développement de la petite hydroélectricité. Nous nous intéressons aux petites centrales hydrauliques qui sont sur notre périmètre, dans nos ouvrages et pour turbiner le débit réservé. Je n'ai pas les capacités en tête, sauf pour Saint-Romain-de-Jalionas, où je sais qu'elles sont de 37 mégawatts.
Concernant le développement industriel et l'innovation, j'ai évoqué les 500 millions d'euros d'investissements. Les plans 5Rhône, dont j'ai également parlé, permettront à la CNR de dédier 165 millions d'euros tous les cinq ans au développement des territoires. Au-delà, la CNR fait travailler les industries de la vallée du Rhône et les industries françaises. La majeure partie de nos achats s'effectuent dans notre territoire ou dans le reste de la France.
Nous venons de signer un accord-cadre avec GE pour la maintenance de nos alternateurs. J'ai entendu la question sur les turbines ; je prends le point.
Dans le cadre de nos missions d'intérêt général, nous agissons en faveur du développement fluvial. Je ne connais pas les chartes fluviales qui ont été évoquées, mais je vais creuser la question. Nous sommes opérateurs d'une vingtaine de ports le long du Rhône. Le report modal est effectivement un sujet majeur. C'est la clé du développement fluvial.
Nous prenons évidemment en compte la problématique du refroidissement des centrales nucléaires. Nous avons d'ailleurs des contrats avec EDF pour garantir que le Rhône est capable de continuer à refroidir les centrales nucléaires.
Je ne me prononcerai pas aujourd'hui sur l'actionnaire Engie. Simplement, encore une fois, notre modèle d'actionnariat au sein de la CNR, avec les collectivités territoriales, la CDC et l'État, est équilibré.
J'ai abordé, dans mon propos liminaire, l'agriculture et l'irrigation. La CNR a eu à développer et à entretenir des prises d'eau pour permettre l'irrigation. Dans notre projet de prolongation, nous avons bien prévu de recenser toutes les prises d'eau, afin de savoir quelles sont les quantités d'eau utilisées. Nous accompagnons la modernisation des systèmes d'irrigation et l'amélioration de l'efficacité énergétique des exploitations agricoles. Nous sommes également actifs sur l'agroécologie ; nous avons ainsi un partenariat avec le lycée horticole de Lyon-Dardilly-Ecully pour un projet de recherche en agrivoltaïsme.
Sur l'éolien, la question-clé est celle de l'acceptabilité. Je le répète, nous n'irons jamais développer un actif éolien sans l'accord des collectivités concernées. Et si l'éolien a ses détracteurs, il a ses soutiens, qu'il faut aussi entendre. Dans notre programme de prolongation, nous avons l'ambition de développer 3 000 mégawatts, dont environ un millier liés à la solarisation du Rhône. Nous ferons aussi du photovoltaïque au sol, nous développerons de nouveaux projets éoliens et nous allons augmenter la capacité des parcs actuels, ce qui devrait également représenter quelques centaines de mégawatts.
La CNR finance elle-même ses investissements. Pour une entreprise industrielle, elle est peu endettée.
Il est effectivement primordial que la collaboration entre le port de Marseille et la CNR soit sans faille, afin de pouvoir accélérer le choix du fluvial plutôt qu'un autre mode de transport, à commencer par la route. Nous avons bien l'intention d'avancer sur ce dossier dans les années à venir.
Pour développer des projets d'énergies renouvelables, il faut du foncier disponible et de l'acceptation. J'ai découvert seulement la semaine dernière l'existence des logements qui ont été évoqués tout à l'heure. Je creuserai la question, et je reviendrai vers vous pour vous apporter une réponse.
Si la CNR devait faire du lobbying, ce serait en faveur des énergies renouvelables.
Continuité ou rupture ? J'ai évoqué la stratégie « CNR 2030 » et les plans biennaux. Il s'agit bien de continuité, mais avec mon regard neuf et mon expérience. S'il faut faire des adaptations, nous les ferons.
La CNR est une entreprise vraiment redistributrice, que ce soit via les plans 5Rhône ou via la redevance. C'est la seule entreprise à avoir une redevance calée sur son chiffre d'affaires de production d'électricité. Je n'ai pas la réponse à la question qui m'a été posée sur la distribution des dividendes et la rémunération du capital. Je pourrai revenir vers vous lorsque j'aurai l'information.
Mme Sophie Primas, présidente. - Madame Borie-Bancel, je vous remercie de vous être prêtée à cet exercice rendu obligatoire par la Constitution et d'avoir répondu à l'ensemble des questions qui vous ont été posées.
Je tiens à le préciser, vous avez été élue à l'unanimité membre du directoire de la Compagnie nationale du Rhône, mais vous ne pourrez être nommée à sa direction qu'une fois que les commissions compétentes des deux assemblées se seront prononcées.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Laurence Borie-Bancel aux fonctions de présidente du directoire de la Compagnie nationale du Rhône (CNR)
Mme Sophie Primas, présidente. - L'audition de Mme Laurence Borie-Bancel étant achevée, nous allons maintenant procéder au vote.
Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.
Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.
Il est procédé au vote.
Proposition de loi portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires - Examen des amendements au texte de la commission
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous allons à présent examiner les amendements de séance déposés sur la proposition de loi portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires. Au total, 183 amendements extérieurs ont été déposés sur ce texte. Notre rapporteur Olivier Rietmann nous proposera dans un instant ses avis sur ces amendements. Il soumettra également à la commission 17 amendements « remords » qu'il va déposer dans la perspective de la séance publique avec votre accord.
Avant d'entamer l'examen des amendements, je souhaiterais effectuer un point de méthode en vue de l'organisation de la séance publique. Comme vous le savez, cette proposition de loi est prévue pour être examinée cet après-midi de 16 h 30 à 20 h 30 dans l'ordre du jour réservé au groupe RDPI. Toutefois, compte tenu du nombre d'amendements déposés sur ce texte, il risque d'être difficile d'achever les débats dans les temps. Comme l'a décidé la Conférence des présidents qui s'est tenue hier, une reprise de la séance le soir a été décidée à la demande du Gouvernement de façon exceptionnelle.
Près de 140 amendements ont été déposés sur le seul article 1er, qui concentre l'essentiel des dispositions du texte. Certains amendements tendent à modifier un grand nombre d'alinéas et sont donc incompatibles avec d'autres amendements, de telle sorte qu'à l'heure actuelle, de très longues discussions communes regroupent plusieurs dizaines d'amendements à l'article 1er. Une telle situation, avec des discussions communes de plus de 50 amendements, est de nature à compromettre de manière significative la lisibilité des débats et le bon déroulement de l'examen du texte.
Devant cette situation, et après échange avec la direction de la Séance, il nous a été indiqué qu'il existait une possibilité de scinder ces grandes discussions communes en plusieurs petites discussions communes, ce qui supposerait d'examiner séparément les amendements nos 19 rectifié bis, 177, 59 rectifié et 169. J'ai pris le soin d'appeler les responsables des principaux groupes concernés pour savoir s'il n'y avait pas d'opposition de principe, et il n'y en a pas. De ce fait, mes chers collègues, conformément aux dispositions de l'article 46 bis alinéa 2 du Règlement du Sénat, je me permets de solliciter votre accord sur cette demande exceptionnelle d'examen séparé, la clarté et la lisibilité des débats étant une exigence démocratique que nous partageons toutes et tous.
Il n'y a pas d'opposition ?
Il en est ainsi décidé.
Cette demande d'examen séparé sera donc formulée en séance publique à l'ouverture des débats.
M. Fabien Gay. - Le fait que plusieurs amendements de notre groupe aient, une nouvelle fois, été déclarés irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution me pose question. Outre que je ne vois pas forcément en quoi l'article 40 s'applique s'agissant d'amendements portant sur le foncier, j'observe que ces mêmes amendements ont pu être examinés en séance publique à l'Assemblée nationale.
Vous le savez, je pense qu'il ne faut pas restreindre le débat politique. Je peux comprendre que l'on veuille éviter des discussions à rallonge sur certains textes. Mais quand des amendements déclarés recevables à l'Assemblée nationale sont frappés d'irrecevabilité au Sénat, il y a bien un problème.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Nous ne pouvons plus nous contenter de relever des incohérences. Il faudrait sans doute proposer une méthodologie à nos collègues de la commission des finances. S'ils souhaitent frapper d'irrecevabilité un amendement déclaré recevable à l'Assemblée nationale, il faut au moins que le président ou la présidente de la commission concernée ou les auteurs de l'amendement soient consultés. Alors que nous demandons que le Parlement soit davantage entendu, le Sénat ne doit pas se montrer plus royaliste que le roi.
Madame la présidente, pourriez-vous demander en Conférence des présidents une nouvelle méthodologie sur les amendements déclarés recevables à l'Assemblée nationale ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Je partage totalement les observations de nos deux collègues. La question de l'application de l'article 40 au Sénat a d'ailleurs été abordée hier en Conférence des présidents.
Il me paraît effectivement souhaitable que l'on nous fasse part des arguments motivant une déclaration d'irrecevabilité. Je prends également bonne note de vos observations relatives aux amendements déclarés recevables à l'Assemblée nationale.
Je vous propose de passer à l'examen des amendements de séance sur la proposition de loi.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
Article 1er
Les amendements rédactionnels nos 184, 185, ainsi que l'amendement de précision juridique n° 186 sont adoptés.
M. Olivier Rietmann, rapporteur. - L'amendement n° 187 vise à apporter une clarification relative aux surfaces non exploitables ne pouvant pas être incluses dans la surface agricole utile.
M. Laurent Duplomb. - Il me semble que cette question avait fait débat lors de l'examen en commission. Nous avions évoqué les landes et les zones Natura 2000. Pourriez-vous nous apporter des éclaircissements à cet égard ?
M. Olivier Rietmann, rapporteur. - L'amendement que j'avais déposé en commission se limitait effectivement aux pelouses sèches. Mais nous avons souhaité préciser et reformuler le dispositif. Seraient désormais concernées les parcelles faisant l'objet de protections environnementales spécifiques, par exemple au titre de la biodiversité, mais ne donnant aucun avantage économique à l'exploitant.
L'amendement n° 187 est adopté.
Les amendements rédactionnels nos 188 et 189 sont adoptés, de même que l'amendement de précision juridique n° 190.
Les amendements nos 191, 195, 192, 193, 194, 196, 197, ainsi que l'amendement de précision juridique n° 198 sont adoptés.
Après l'article 1er
L'amendement n° 199 est adopté.
Article 3
L'amendement de coordination n° 200 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Avis favorable sur l'amendement n° 27, qui vise à élargir la possibilité de recueillir l'avis de la commission départementale d'orientation de l'agriculture (CDOA) sur les dossiers de demande d'autorisation instruits par la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) au nom du préfet, et avis défavorable sur l'amendement n° 176.
M. Joël Labbé. - J'aimerais comprendre pourquoi M. le rapporteur est favorable à l'amendement n° 27 et défavorable à mon amendement n° 176 alors que tous deux sont identiques.
M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Ces deux amendements ne sont pas exactement identiques. L'amendement n° 27 prévoit une autosaisine de la CDOA à la majorité de ses membres. Néanmoins, vous avez toujours la possibilité de rectifier votre amendement pour le rendre identique à l'amendement n° 27, mon cher collègue.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 27 et un avis défavorable à l'amendement n° 176.
La commission a également donné les avis suivants sur les autres amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :
Dépouillement simultané au sein des commissions des affaires économiques des deux assemblées des scrutins sur la proposition de nomination, par le président de la République, de Mme Laurence Borie-Bancel aux fonctions de présidente du directoire de la Compagnie nationale du Rhône (CNR)
La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Laurence Borie-Bancel pour exercer les fonctions de présidente du directoire de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), simultanément à celui de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.
Mme Sophie Primas, présidente. - Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale :
Nombre de votants : 37
Bulletins blancs : 1
Bulletins nuls : 0
Suffrages exprimés : 36
Pour : 30
Contre : 6
Mission d'information sur « la méthanisation dans le mix énergétique : enjeux et impacts » - Présentation du rapport « Méthanisations : au-delà des controverses, quelles perspectives ? »
Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme vous le savez, la mission d'information sénatoriale sur la méthanisation a récemment adopté ses conclusions. Nous avons donc le plaisir d'accueillir aujourd'hui son président, Pierre Cuypers, et son rapporteur, Daniel Salmon, pour nous les présenter.
Au terme de six mois de travaux, la mission a formulé une soixantaine de propositions, réunies en 5 axes, pour faire émerger un véritable « modèle français de la méthanisation ».
Adoptées à l'unanimité, ces propositions recherchent un équilibre entre agriculture et énergie, économie et environnement. Ce n'est pas une mince affaire car le sujet est sensible dans nos territoires !
Pour nous éclairer sur ces enjeux, je souhaiterais vous poser trois séries de questions.
Tout d'abord, que pensez-vous du développement actuel de la filière du biogaz ? Ce développement est-il utile à nos transition et souveraineté énergétiques ? À l'inverse, la dynamique des projets emporte-elle des risques dans nos territoires ? Et faut-il relever l'objectif d'au moins 10 % de biogaz d'ici 2030, largement atteint aux dires des professionnels, mais aussi de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ?
Plus encore, comment jugez-vous la politique de soutien à la production de biogaz ? Comment surmonter la baisse de 30 % des tarifs d'achat, qui suscite l'inquiétude des professionnels ? Les dispositifs de soutien législatifs ont-ils tous trouvé une traduction réglementaire ?
Enfin, en quoi consiste ce fameux « modèle français de la méthanisation » que vous appelez de vos voeux ? Quelles en seraient les caractéristiques ? En quoi se distingue-t-il d'autres modèles, en Europe ou dans le monde ?
Je vous passe la parole puis nos collègues vous interrogeront, à commencer par Daniel Gremillet, président du groupe d'études « Énergie ».
M. Pierre Cuypers, président de la mission d'information. - Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je vous remercie vivement de nous avoir conviés à présenter les conclusions de notre mission d'information sur la méthanisation qui, je le rappelle, est issue d'une initiative du groupe écologiste du Sénat. Je dirais même une initiative bienvenue.
Cette mission était composée de 23 membres : nous en étions les président et rapporteur.
Ces travaux se sont déroulés de début mars à fin septembre ; durant cet intervalle, nous avons rencontré 100 interlocuteurs, de tous horizons, à l'occasion de 40 auditions et de 3 déplacements de terrain - en Seine-et-Marne, dans l'Ille-et-Vilaine et à Nancy. Nous avons entendu conjointement les ministres chargés de l'écologie et de l'agriculture.
Au terme de ces travaux, notre mission a adopté, à l'unanimité, le rapport intitulé : Méthanisations : au-delà des controverses, quelles perspectives ?
Sur le fond, l'orientation générale du rapport défend l'idée de la poursuite d'un développement raisonné et équilibré de la méthanisation. Au demeurant, ce développement permettrait de renforcer notre souveraineté énergétique, car la quasi-totalité du gaz que nous consommons est importé, les pays extra-européens représentant les deux tiers de ces importations ! Notre vulnérabilité est bien réelle, ce qui doit nous pousser à réagir !
La crise des prix des énergies que nous traversons a bien mis en lumière le caractère ô combien stratégique du gaz : pour mémoire, les prix de marché du gaz ont été multipliés par 2, entre le printemps 2020 et l'automne 2021 ; de leur côté, les tarifs règlementés de vente du gaz ont augmenté de 12,5 % en octobre, soit la sixième hausse consécutive !
Avec la reprise de l'économie mondiale, notre dépendance aux importations de gaz - notamment russe et algérien - explique cette évolution. Au-delà de l'économie, les conséquences géopolitiques de cette situation pourraient être dramatiques... Nous aurions donc tout intérêt à développer une production locale de gaz : sur ce plan, je constate que le chemin est encore long car la production de biogaz représente 7 térawattheures (TWh), tandis que notre consommation de gaz s'élève à 499 TWh, soit 70 fois plus !
Au-delà de son usage quotidien, le gaz est aussi utilisé dans l'industrie, par exemple pour la production d'engrais : s'il y a rupture d'approvisionnement en gaz cet automne, il y aura rupture d'approvisionnement dans l'agriculture dès le printemps !
Les propositions que nous formulons sur ce sujet sont balancées, alors que le sujet est, tout à la fois, complexe et passionné. Vous verrez que nous avons recherché un équilibre entre énergie et agriculture, économie et environnement, emploi et développement.
Avant de laisser la parole au rapporteur, qui insistera sur les enjeux environnementaux, je souhaiterais, pour ma part, rappeler l'ambition économique qui anime nos quelque 60 propositions.
Nous plaidons pour un effort soutenu, équilibré et progressif en faveur du biogaz, tout en évitant un scenario « tout biogaz à l'allemande » !
Nous pensons que la « loi quinquennale » sur l'énergie, prévue en 2023, constituera le moment d'une réévaluation de l'objectif d'au moins 10 % de biogaz d'ici 2030. Elle sera aussi l'occasion d'intégrer les techniques complémentaires à la méthanisation : la méthanation, la pyrogazéficiation ou le power-to-gas...
Nous croyons enfin nécessaire de consolider la politique de soutien à la filière du biogaz.
Tout d'abord, le cadre légal doit trouver une parfaite traduction règlementaire. Je pense ici aux objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui ne coïncident pas avec ceux fixés par la loi. Je pense aussi aux appels d'offres sur les grandes installations de biogaz injecté ou celles de production de gaz naturel pour véhicules biologique (bio-GNV), qui sont encore attendus...
Plus encore, la baisse des dispositifs de soutien budgétaires - de 30 % pour le tarif d'achat sur le biogaz injecté - doit être compensée par l'institution effective de dispositifs de soutien extrabudgétaires - les garanties d'origine, les certificats de production ou les taux de réfaction.
Enfin, et sans que cela ne coûte aucun denier public, nous devons simplifier la vie des porteurs de projets. Je pense ici au renforcement du pilotage interministériel, car la politique de soutien au biogaz est partagée entre trois ministères, comme chacun le sait : l'agriculture, l'écologie et l'économie ! Je pense aussi à l'amélioration de la gouvernance de la filière, à la promotion d'une « démarche qualité » en son sein, à l'intégration du biogaz dans la planification énergétique - nationale comme locale -, et à la mobilisation des services déconcentrés autour d'un « guichet unique ».
Je voudrais ajouter, madame la présidente, que cette mission était passionnante et intéressante. C'était une belle aventure que nous avons conduite avec l'ensemble des membres de la mission d'information. Je tiens ici à remercier tout particulièrement notre rapporteur Daniel Salmon, avec lequel nous avons construit un véritable travail partagé, au-delà des opinions politiques ou idéologiques, mais dans le seul but de proposer un véritable travail sénatorial ; je crois que nous y sommes parvenus puisqu'il a été validé à l'unanimité !
Je vous remercie et passe la parole au rapporteur Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon, rapporteur de la mission d'information. - Madame la présidente, monsieur le président, mes chers collègues, à mon tour, je vous remercie de nous avoir conviés à présenter les conclusions de notre mission d'information.
En préambule, je souhaiterais rappeler que, si beaucoup de propositions reflètent les convictions environnementales qui m'animent, je me suis attaché à rapporter pour l'ensemble de notre mission d'information, conformément à mon rôle institutionnel de rapporteur.
Avec le président Pierre Cuypers et tous les membres de cette mission, nous avons donc veillé à bâtir un diagnostic partagé et des propositions communes.
Naturellement, chacun est libre de considérer que telle ou telle recommandation mériterait d'être renforcée. Les groupes politiques ont d'ailleurs utilement complété notre rapport. Ce rapport propose des curseurs qui peuvent varier, dans un sens ou dans un autre.
Mais je crois, comme l'a indiqué le président, que nous avons réussi à faire oeuvre utile, avec un travail sérieux, dépassionné, opérationnel. Nous nous étions d'ailleurs engagés à fonder ce travail sur des critères scientifiques et nous avons réussi à avancer dans cette direction.
C'est un exercice inédit et nécessaire car le biogaz est actuellement en plein essor ! Il faut maintenant veiller à ce que nos propositions soient entendues par la filière mais aussi par le Gouvernement !
J'en viens maintenant, dans le détail, à notre rapport, qui poursuit trois objectifs. En premier lieu, nous avons entendu évaluer la politique de soutien au biogaz. Je retiens les points suivants :
- premièrement, l'utilité de la méthanisation sur le plan de la transition énergétique et de la souveraineté économique ;
- deuxièmement, les limites des dispositifs publics de soutien à la filière, qui font aujourd'hui l'objet d'une refonte complète, dont les effets mériteront d'être appréhendés avec recul ;
- troisièmement, la nécessité de garde-fous, qui nous ont prémunis contre des dérives à l'oeuvre en Allemagne ou dans d'autres pays d'Europe du Nord.
Les projets de biogaz connaissent, en France, une croissance exponentielle. Il existe actuellement 1 075 installations de production, dont 214 pour l'injection de biogaz et 861 pour la production d'électricité à partir du biogaz. S'y ajoutent 1 328 projets en « file d'attente », dont 1 164 dans le premier cas et 164 dans le second.
L'effort public déployé est assez élevé. À eux seuls, les tarifs d'achat représentent 9,7 milliards (Mds) d'euros d'ici 2028 pour l'injection de biogaz et 6,5 Mds d'euros pour la production d'électricité à partir du biogaz. S'y ajoutent, le taux de réfaction tarifaire (13 millions d'euros - M € en 2020), les prêts sans garantie de Bpifrance (175 M € au total), les aides de l'Ademe (425 M € en 10 ans) et celles de l'Agence nationale de la recherche (ANR) (22 M € en 10 ans).
Par rapport aux autres pays européens, la France dispose d'un cadre de soutien spécifique. Il s'agit d'un cadre ancien, privilégiant désormais l'injection, mobilisant les tarifs d'achat, reposant sur de petites unités et promouvant les effluents d'élevage, les cultures intermédiaires et les résidus de culture.
Ce cadre de soutien se distingue de celui du Danemark, où le biogaz atteint 20 % de la consommation de gaz, contre 1 % en France.
Il se distingue aussi de celui de l'Allemagne, où le biogaz mobilise 6,9 % de la surface agricole utile (SAU), contre 0,05 % en France.
En second lieu, nous avons souhaité identifier les externalités, positives comme négatives, du biogaz.
Jusqu'à présent, la grande majorité des installations est de taille petite ou moyenne, ce qui favorise leur acceptabilité. Fort heureusement, rares sont les projets de très grande taille, mais ils existent bel et bien, comme nous l'avons constaté dans le Lot, avec une forte conflictualité à la clef.
Parmi les projets de méthanisation « XXL », celui de Corcoué-sur-Logne, en Loire Atlantique, mérite à lui seul une mention particulière pour son caractère démesuré : nous retenons de nos échanges avec le maire de la commune qu'il s'agirait d'un véritable cas d'école de ce qu'il ne faut pas faire !
Nous nous sommes attachés à tirer les enseignements de ces situations, en identifiant les risques induits par la méthanisation : ils sont liés aux accidents industriels, aux pollutions des sols, des eaux et de l'air, à l'impact sur le prix du foncier agricole, au changement des pratiques culturales. Tout est abordé dans le rapport, factuellement et rationnellement ! Nous avons essayé d'éviter tout parti pris et tout faux semblant !
Preuve de la réalité de ces risques, un accident grave est survenu dans le Finistère à Châteaulin, en août 2020. Il a conduit à priver d'eau potable 180 000 personnes, le temps de circonscrire le sinistre. Cet accident est le plus important, à ce jour, et il faut en tirer les conséquences. Nous avons d'ailleurs échangé au sujet de cet accident et de ses conséquences avec la préfecture du Finistère.
En dernier lieu, nous nous sommes évertués à poser les contours d'un « modèle français de la méthanisation ».
Ce modèle pourrait reposer sur cinq grandes orientations :
- premièrement, clarifier les politiques publiques ;
- deuxièmement, structurer la filière de la méthanisation ;
- troisièmement, territorialiser les projets ;
- quatrièmement, améliorer les pratiques ;
- cinquièmement, prévenir les risques.
Je ne reviendrai pas sur les propositions économiques, qui ont déjà été exposées par le président Pierre Cuypers. J'insisterai donc davantage sur celles environnementales.
Tout d'abord, nous plaidons pour territorialiser les installations de méthanisation. À ce titre, il est impératif de renforcer l'information préalable des élus locaux et des populations, en appliquant au biogaz les outils prévus pour les projets d'énergies renouvelables électriques. Il faut aussi mieux associer les autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE), en l'espèce les collectivités territoriales propriétaires des réseaux de gaz naturel. Nous pensons enfin utile de renforcer le contrôle et l'évaluation de la règlementation applicable.
De plus, nous préconisons d'améliorer les pratiques des installations de méthanisation. Cette amélioration nécessite de se pencher sur les intrants. Le plafond de 15 % sur les cultures dédiées doit être conservé et les cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) définies plus finement. Davantage de contrôle de ces cultures est attendu des services de l'État. Il faut aussi déterminer des distances maximales de parcours, pour favoriser un approvisionnement en circuits courts : c'est très important ! Cette amélioration suppose également de renforcer les connaissances sur ces intrants, leur provenance et leur qualité. Nous attendons du Gouvernement qu'il publie le rapport sur les externalités du biogaz prévu par la loi « Énergie-Climat », de l'Ademe qu'elle étende sa base de données à toutes les installations et des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) qu'elles participent à un outil d'observation des prix du foncier agricole.
Enfin, nous entendons mieux prévenir les risques. Une attention doit être portée au régime des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Il faut évaluer sa simplification, engagée en 2018, et compenser l'impact économique de sa dernière évolution, intervenue en 2021. Une culture de la prévention du risque doit être plus largement développée. Je pense ici aux initiatives de formation et de labellisation lancées par les professionnels ou d'information et de concertation existant localement : elles doivent être amplifiées !
Pour conclure mon propos, la mission d'information s'est attachée à définir une « ligne de crête » entre les promoteurs et les critiques de la méthanisation. Au-delà des controverses et des inquiétudes, des compromis sont non seulement possibles, mais aussi souhaitables.
Nous pouvons sortir par le haut de la « crise de confiance » qui tend à se développer dans certains territoires et désamorcer à temps l'engrenage de la conflictualité qui se dessine, ici ou là. Notre pays a besoin d'une méthanisation équilibrée, réfléchie, cohérente avec les territoires, respectueuse de l'environnement et - élément très important ! - utile aux agriculteurs.
Telle est la ligne générale ayant présidé aux travaux de notre mission d'information. Je vous remercie.
M. Daniel Gremillet, président du groupe d'études « Énergie ». - Madame la présidente, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens à saluer la qualité du travail accompli.
Vous le savez, notre commission est très attachée à la production de biogaz.
Tout d'abord, dans le cadre de la loi « Énergie-Climat » de 2019, nous avons fait adopter l'objectif d'au moins 10 % de gaz renouvelable à l'horizon 2030 ainsi que le rapport sur les externalités du biogaz.
En outre, nous avons appliqué au biogaz des souplesses administratives pour la mise en oeuvre des projets, à l'occasion de la loi « ASAP », de 2020 : ce n'était pas gagné d'avance !
Enfin, lors de la loi « Climat et résilience » de 2021, nous avons consolidé les objectifs des gaz innovants, permis aux collectivités de bénéficier des garanties d'origine et veillé au coût pour nos industriels des certificats de production.
C'est donc avec un réel intérêt que j'ai participé à vos travaux, en tant que membre de la mission d'information. Je souhaiterais faire part de trois interrogations au président, au rapporteur et à vous tous. Vous avez insisté sur la différence entre les modèles français et allemand.
En France, les méthaniseurs occupent 0,05 % de la SAU et recourent à hauteur de 5 % aux cultures dédiées - mais tout n'est peut-être pas bien contrôlé... ; en Allemagne, ils mobilisent 6,9 % de la SAU et reposent à hauteur de 75 % sur ces cultures dédiées.
Pensez-vous que la dynamique des projets va naturellement nous conduire vers un modèle allemand, avec une forte utilisation de la SAU ? Si oui, dans quels départements en particulier ? Et quelles seraient vos préconisations pour y remédier ?
Vous avez évoqué l'éventuel impact de la méthanisation sur les prix du foncier agricole.
Il y a quelques jours, le journal Les Echos indiquait qu'en Californie, il serait plus profitable aux agriculteurs de produire du fumier plutôt que du lait, en raison de l'essor des méthaniseurs agricoles promu par les lois de transition énergétique. En France, un reportage similaire a été diffusé à la télévision ce week-end.
Avez-vous vu passer ces informations ? Pensez-vous que la méthanisation puisse avoir un impact, non seulement sur les prix du foncier agricole, mais aussi sur ceux des produits ou co-produits agricoles ? Je pense ici aux pulpes, aux drêches, etc.
Vous avez évoqué les technologies complémentaires à la méthanisation mais pas l'enjeu de la valorisation ou du stockage des émissions de gaz à effet de serre (GES) induites par ces technologies.
Même si les émissions de biogaz sont inférieures à celles du gaz naturel et comparables à celles des autres énergies renouvelables, ces technologies ne peuvent-elles pas être utiles pour améliorer le rendement énergétique de la production de biogaz ? Si oui, est-ce un axe de réflexion identifié par vous ? Je vous remercie.
M. Daniel Salmon, rapporteur de la mission d'information. - Le développement actuel de la filière biogaz est important et interpelle beaucoup dans le monde rural, d'où l'intérêt de notre mission d'information. Nous importons la quasi-totalité du gaz que nous consommons, il y a donc là un enjeu de souveraineté énergétique très important, à condition de s'assurer qu'il s'agit bien d'une énergie renouvelable qui s'inscrive sur le long terme et qui ne vienne pas obérer notre souveraineté alimentaire. L'idéal serait d'avoir un modèle où l'agriculteur tire ses revenus de ses principales productions, comme les céréales ou la viande, la méthanisation venant compléter ces revenus. Nous devons être vigilants car si la méthanisation, par ses tarifs d'achat, apporte une certaine rentabilité, des effets collatéraux pourraient se faire sentir sur l'élevage, avec un risque de diminution du cheptel français. C'est pour cette raison que nous avons demandé dans notre rapport une sorte de « clause de revoyure » en 2023, le temps de disposer de davantage de données.
La méthanisation est actuellement dans une phase de fort développement : à l'horizon 2030, l'objectif est d'atteindre 10 % de production de biogaz. Nous sommes aujourd'hui en capacité de dépasser cet objectif, mais il va falloir être attentif à ne pas déstabiliser des filières agricoles qui ont déjà un certain nombre de difficultés. Évitons les à-coups dans les tarifs d'achat, pour éviter de reproduire la situation du photovoltaïque, ces tarifs représentant tout de même pour le biogaz un total de 16 Mds d'euros d'ici 2028. Essayons d'avoir une filière qui se développe de manière réfléchie et pas de manière exponentielle, sans qu'on en maîtrise complètement les tenants et les aboutissants.
Aujourd'hui, les tarifs d'achat du biogaz vont diminuer. Les politiques de soutien extrabudgétaires vont-elles pouvoir compenser cette baisse ? Nous manquons de visibilité sur ces tarifs.
En ce qui concerne le modèle français de méthanisation, finalement, avoir un « coup de retard » nous a permis d'avoir un « coup d'avance » et de regarder ce qui s'est fait dans les pays d'Europe du Nord, en Allemagne et au Danemark en particulier. On s'est rendu compte qu'un développement à marche forcée de la méthanisation pouvait amener de sérieux problèmes lorsqu'on ne cadrait pas les intrants, c'est-à-dire la matière organique que l'on met dans les méthaniseurs. Ce sont notamment des effluents d'élevage. Le lisier porcin est très peu méthanogène, le fumier bovin est déjà beaucoup plus intéressant. Il y a donc un panel d'intrants qui vont influencer la production. La méthanisation n'est pas tout à fait un mode de traitement suffisant des effluents d'élevage car elle ne traite pas l'azote. Afin de réduire le risque de concurrence avec l'alimentation, humaine et animale, un plafond de 15 % sur les cultures dédiées a été instauré. Nous pensons qu'il faut le conserver à ce niveau-là pour limiter les impacts sur les autres filières.
La France développe beaucoup les cultures intermédiaires à valorisation énergétique (CIVE), cultures qui pendant un certain temps avaient une vocation surtout environnementale pour éviter l'érosion des sols et pour éventuellement capter l'azote. Notre modèle doit aussi s'appuyer sur des unités de méthanisation de petite ou de moyenne taille pour éviter les problématiques de transport qui obèrent les résultats en termes de bilan carbone et veiller à ce que leur gouvernance reste entre les mains des agriculteurs et ne bénéficie pas aux énergéticiens. À Corcoué-sur-Logne, il était envisagé que les intrants traversent près de 70 kilomètres !
Hormis la méthanisation agricole, il existe aussi d'autres formes de méthanisation, telle que celle issue des boues des stations d'épuration - qui a été précurseur et semble plutôt bien fonctionner -, des déchets bio-ménagers ou des installations de stockage de déchets non dangereux (ISDND). Pour autant, les projets devant nous sont essentiellement agricoles.
En ce qui concerne le prix du foncier, des questions se posent mais nous manquons de données. L'enjeu est différent en fonction des régions : la Bretagne, le Grand Est et les Hauts-de-France ont une forte densité de méthaniseurs, au contraire de la Seine-et-Marne. Le problème n'est pas né avec la méthanisation mais la méthanisation peut l'amplifier. C'est pourquoi nous demandons que les chambres d'agriculture et les Safer s'emparent du sujet pour obtenir de vraies données. Je pense que les premiers à avoir développé des méthaniseurs ont certes pris un risque, mais ont aussi bénéficié d'un alignement des planètes, avec des coûts d'investissement moins élevés, une règlementation plus souple et des tarifs d'achat plus intéressants. La problématique du foncier se situe peut-être ici.
S'agissant du risque de voir se développer des « énergéticulteurs », la question est pendante, en Californie comme en Allemagne. Les agriculteurs doivent donc s'y retrouver dans la « chaîne de valeur », avec des revenus suffisants tirés de leurs activités historiques. Une exploitation accrue des effluents d'élevage pose enfin la question de la bientraitance animale.
Quant à l'amélioration du rendement énergétique de la production de biogaz, effectivement, dans le biogaz, il y a du méthane mais aussi beaucoup de CO2, qui repart en général dans l'atmosphère, ce qui est dommage. Dans certains endroits, ce CO2 est collecté pour venir favoriser la croissance des plantes dans les serres. L'idéal serait de pouvoir capter et stocker ce CO2 pour éviter qu'il ne reparte dans l'atmosphère. Aujourd'hui, la méthanisation a un bilan carbone plutôt correct mais celui-ci pourrait se dégrader en cas de mauvaise gestion.
M. Laurent Duplomb. - Je souhaite féliciter nos collègues Pierre Cuypers et Daniel Salmon pour leur travail mené en toute objectivité. Ils ont tenté d'apporter une vision équilibrée dans leur rapport, alors que ce thème aurait pu déborder sur du passionnel et des accusations.
Je voudrais intervenir sur les questions concernant les déclarations et le suivi de ce qui est mis dans les méthaniseurs. Si l'on veut développer une méthanisation de petite taille ou de taille moyenne, il faut aussi qu'on ait la possibilité de ne pas imposer la même réglementation et les mêmes contraintes de sécurité que sur des installations de très grosse taille, au risque de compromettre l'équilibre financier du projet.
Un exemple personnel : six mois après la mise en route de la méthanisation, j'ai été soumis à un contrôle ICPE et obligé de faire une étude sonore de mon moteur alors que la première maison est à plus de cinq cent mètres, donc sans aucune nuisance pour le voisinage. Le coût de cette étude sonore s'élève à 2 500 euros pour un projet de 119 kilowattheures (KWh), soit le même prix que pour un projet de plus grande ampleur. Il faut davantage de proportionnalité.
Sur la question des intrants et de la réglementation, le travail administratif journalier de tenue du registre - entrées, récoltes, stockages, etc. - est colossal. L'administration n'opère certes pas de contrôle direct, mais elle demande que ce soit le producteur, par les mesures ICPE, qui assume la charge du contrôle des registres.
Lorsque vous n'êtes pas en règle, en l'absence de réponse dans un délai de trois mois, l'Apave ou l'organisme certificateur transmet directement au préfet les anomalies majeures constatées, par exemple un défaut de contrôle ICPE. Par définition, cela revient donc à rendre ces contrôles obligatoires. Il est faux de penser qu'aucun contrôle n'est effectué : c'est même tout l'inverse !
Si l'on souhaite développer la petite méthanisation, il ne faut donc pas lui imposer les mêmes règles que pour les très gros méthaniseurs, parce que cela n'est tout simplement pas possible d'un point de vue financier.
M. Christian Redon-Sarrazy. - Merci à nos collègues pour ce travail et cet éclairage sur un sujet qui concerne aujourd'hui tous nos territoires et revêt une importance majeure, tant pour le milieu agricole que pour le milieu énergétique.
Il est beaucoup question des conflits au moment de l'instruction du dossier et de la construction. Je voulais vous demander si vous vous étiez penchés sur l'évaluation des projets existants et le décalage entre ce qui a pu être porté dans le dossier de création et l'usage effectif. On entend parfois que le méthaniseur serait un dispositif qui, une fois lancé, ne pourrait pas être arrêté, est-ce le cas ?
Quand je vois aujourd'hui de la betterave dans des méthaniseurs, alors que les premières betteraves sont à 300 kilomètres, je me pose la question du bilan carbone. On peut aussi s'interroger sur l'absence de sortie de certaines vaches dans les prairies pour alimenter ces méthaniseurs. On peut enfin s'interroger sur le changement de destination d'un certain nombre de surfaces, en particulier pour l'élevage, dans des territoires où l'activité agricole est peu rémunératrice. Certains territoires ont tendance à changer d'identité : on voit apparaître des parcelles de maïs là où il y avait des prairies, afin d'alimenter les méthaniseurs. C'est inquiétant.
Mon autre question porte sur les digestats : avez-vous noté des difficultés ou des conflits dans leur traitement et leur épandage ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - J'approuve l'idée d'avoir des petits méthaniseurs et ce modèle français de méthanisation, tel que vous le présentez. Je vois quand même sur certains territoires les mécaniques de grands méthaniseurs en train de se mettre en route. D'où ma question : ne devrait-on pas fixer un niveau maximum et demander un moratoire sur les gros méthaniseurs ?
Par ailleurs, ne faudrait-il pas instaurer des schémas régionaux ? Je constate que la seule Seine-et-Marne multiplie des énormes projets, sans pilotage par les agriculteurs. Il faudrait un développement des méthaniseurs qui respecte l'équilibre territorial et soit soumis à un débat démocratique.
M. Patrick Chauvet. - À mon tour de féliciter le président et le rapporteur de cette mission sur un sujet complexe. Je suis un fervent défenseur de la petite méthanisation parce qu'elle donne un autre sens à l'objet premier qui est de produire de l'énergie. On ne doit pas faire de fixation sur la production de biogaz, au risque d'écarter les territoires qui n'ont pas de consommation de gaz de proximité. Il faut toujours continuer de regarder l'intérêt de la cogénération et de la production d'électricité, celle-ci pouvant être produite partout.
Vous avez soulevé les risques et les non-sens, comme ceux de la logistique pour les grands méthaniseurs et les transports qu'ils génèrent. Le risque est aussi de changer le métier des agriculteurs et des éleveurs, même si de la difficulté peut parfois naître une opportunité.
Comment fait-on maintenant ? La perspective de perdre l'élevage et des éleveurs est terrible pour nos territoires et emporte des conséquences environnementales, humaines, sociales et économiques. La petite méthanisation peut permettre de pérenniser l'élevage : elle ne génère pas de transport et on reste sur des épandages produits. Cependant, notre collègue Laurent Duplomb a raison : si l'on met les mêmes contraintes, les éleveurs sont dans l'impasse avant de démarrer leur production. Je crois qu'il faut aller jusqu'à conditionner le tarif d'achat au respect d'un modèle plus vertueux, plus économe et qui prenne en compte l'aménagement du territoire.
Quand on parle de rentabilité, on ne sait pas chiffrer ce que peut apporter l'aménagement du territoire. Il faut arrêter de regarder uniquement l'angle financier, il faut prendre l'intrant tel qu'il est sur les exploitations et bâtir un modèle plus fort, débarrassé des contraintes et capable de redonner des perspectives et peut-être même de l'espoir dans certains territoires.
M. Franck Montaugé. - Je remercie nos collègues pour ce travail très intéressant. J'ai constaté sur mon territoire qu'à partir d'une certaine taille de puissance de production, on est dans un métier tout à fait différent que celui d'agriculteur, qui nécessite de véritables connaissances et professionnalisation.
Cela pose la difficulté de l'équilibre entre la partie purement agricole et la partie purement énergétique : avez-vous identifié, dans votre rapport, des pistes concrètes d'amélioration concernant l'acceptabilité sociale des unités de méthanisation qui apparaissent sur le territoire ? Je crois beaucoup à l'absolue nécessité de la mise en oeuvre d'une planification de ces unités de méthanisation sur le territoire et de l'ensemble des moyens de production d'énergies renouvelables.
D'un point de vue opérationnel, cela n'est pas encore le cas, à tout le moins pas dans mon département. Le cadre général qui permet d'aller dans ce sens-là est le schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR) que doit mettre en oeuvre le gestionnaire du réseau, Réseau de transport d'électricité (RTE), après concertation de l'ensemble des parties prenantes à l'échelle régionale. Je crois qu'il faut partir de ce schéma pour parvenir à une planification opérationnelle des moyens de production d'énergie, dont la méthanisation. Cela devrait permettre de contribuer modestement à une meilleure acceptabilité des unités de méthanisation sur le territoire. Sans cette planification structurée, sous l'égide de l'État et avec l'ensemble des acteurs concernés, il sera difficile de monter en puissance sur la méthanisation ou encore sur le photovoltaïque en milieu rural.
M. Jean-Pierre Moga. - Je souhaitais d'abord vous féliciter également pour le travail accompli. J'ai constaté dans mon département qu'il y avait des installations de petits méthaniseurs. Je voudrais revenir sur le problème des nuisances. En Lot-et-Garonne, chaque fois qu'il y a une implantation de méthaniseur ou même un projet, il y a immédiatement des associations de riverains qui se montent. Il s'y exprime surtout la crainte de nuisances olfactives : les habitants redoutent que la valeur du foncier bâti se déprécie. Le refus de ces installations qui nous permettront d'avoir du gaz vert ne peut-il pas conduire à ce que certains projets ne voient pas le jour, ce qui serait regrettable ?
M. Daniel Salmon, rapporteur de la mission d'information. - Beaucoup de questions ont été posées et je voudrais prendre une vision macroscopique du sujet. Pour sortir du fossile, il y a aujourd'hui une certaine « ruée sur la biomasse ». Notre surface agricole utile en France représente 29 M d'hectares, il faut savoir ce que l'on en fait. Il n'est pas possible d'avancer « au doigt mouillé » et il nous manque une vision vraiment stratégique sur le moyen et long terme.
La biomasse doit nourrir les humains et les animaux, mais on doit aussi prendre en compte la fibre pour la production de vêtements qui, demain, ne soient pas des textiles synthétiques à base de pétrole. 10 % des émissions de GES sont liés au textile. L'enjeu porte également sur la conservation de la fertilité des sols, de la faune et de la flore, d'où le réel besoin d'une planification en France pour la méthanisation ; le groupe écologiste avait pour sa part proposé un service public des énergies renouvelables. Quant à la question de l'acceptabilité, on retrouve les mêmes problématiques sur le solaire ou l'éolien.
Notre collègue Laurent Duplomb évoquait la réglementation applicable aux petits méthaniseurs. Il faut quand même prévoir des règles similaires car il y a une même accidentologie. Les règles pour la petite méthanisation doivent toutefois prévoir des bonus pour que le surcoût lié à l'absence d'économies d'échelle soit compensé par des avantages sur les tarifs d'achat.
La question des CIVE est un vrai sujet car certaines deviennent pratiquement des cultures principales, potentiellement plus rentables que les cultures principales.
Pour qu'ils soient acceptés, il faut que les méthaniseurs soient adaptés à chaque territoire : il faut limiter les transports, les odeurs, même si celles-ci proviennent surtout du stockage des intrants qui doivent être couverts. Suite à notre rencontre avec la ministre Barbara Pompili en juin 2020, des arrêtés ont été pris afin d'éloigner les méthaniseurs des habitations, à plus de 100 mètres pour les unités produisant moins de 30 tonnes par jour et à plus de 200 mètres pour les unités plus importantes, afin de limiter leur impact négatif sur les prix du foncier. Tout cela facilite l'acceptabilité des méthaniseurs.
La règlementation ICPE est certainement un peu lâche aujourd'hui, notamment pour les unités produisant moins de 30 tonnes par jour, qui sont simplement soumises à déclaration et peuvent donc sortir du sol du jour au lendemain. L'une de nos préconisations est justement que les élus locaux soient prévenus en amont et puissent organiser des concertations. Il faut associer au maximum pour prévenir la défiance envers les politiques publiques.
Concernant un moratoire sur les gros méthaniseurs : l'acceptabilité n'est pas toujours au rendez-vous, car certains porteurs de projets tordent le bras aux riverains. Je pense ici à un projet à Chavagne, en Ille-et-Vilaine, qui a été soumis à déclaration - puisqu'il était inférieur à 30 tonnes par jour - puis a fait l'objet d'une nouvelle demande quelques mois après - pour atteindre 75 tonnes par jour... La population se sent flouée. Les préfets et services de l'État doivent veiller à éviter ces situations. Pour que notre rapport ne reste pas « lettre morte », ma règlementation doit évoluer pour éviter les « effets de bord ». J'entends qu'il faut une certaine souplesse, mais celle-ci ne doit pas toujours être tolérée sinon il n'y aura pas d'acceptabilité.
Il existe un modèle fantastique, le modèle Nénufar, qui consiste à mettre une bâche flottante sur des fosses à lisier. Pour un agriculteur, cela peut permettre de récupérer le méthane qui peut être ensuite utilisé en circuit court, par exemple pour pasteuriser du lait.
Enfin, nous n'avons pas suffisamment abordé la question du digestat, et l'interrogation des agronomes quant à sa capacité à maintenir le carbone dans le sol. Nous devons augmenter, de 4 pour mille, la teneur en carbone des sols. Les détracteurs de la méthanisation estiment que la production du CH4 - du méthane - consomme du C - du carbone - et conduit in fine à appauvrir les sols. Entre un digestat et un fumier mûr, la différence n'est pas si importante ; toutefois, la paille met beaucoup plus de temps à se dégrader et contribue à la fertilité du sol et à sa capacité de stockage du carbone. Nous manquons de données sur le sujet mais l'Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) travaille dessus.
M. Pierre Cuypers. - Je n'ai qu'un conseil à vous donner, c'est de lire le rapport de cette mission d'information : il fait 200 pages et comporte des tableaux et explications.
La période que nous traversons, s'agissant de notre vie économique et sociale, est très compliquée. Nous avons besoin de toutes les ressources pour notre développement. Ce bouquet d'énergies que nous construisons nous rend très dépendants du reste du monde : il est important que nous puissions être moins vulnérables par rapport à nos approvisionnements. Le biogaz fait partie de la solution, mais le développement de la gazéification et des méthaniseurs ne doit pas se faire n'importe comment. Il nous faut être très prudents et sérieux, car nous partons de zéro. Le but de ce rapport est d'aider à la construction et aux décisions qui seront prises, mais aussi à l'information donnée et à la formation de ceux qui construisent leur projet. Les gouvernements qui se succéderont devront s'atteler à donner de l'élan afin d'empêcher cette vulnérabilité dont nous dépendons tous aujourd'hui. Il ne doit pas y avoir de concurrence entre l'alimentaire et le non-alimentaire, il y a une complémentarité à trouver et elle existe. Elle ne sera pas la même partout : les méthaniseurs sont attachés à des territoires et tous spécifiques les uns par rapport aux autres.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous sommes très sensibles à la souveraineté énergétique de la France et donc à des solutions locales de production d'énergie. L'énergie représente entre 60 et 90 % du déficit de notre balance extérieure, c'est un risque très important. Je souhaite vous remercier pour votre travail et cette restitution.
Désignation d'un rapporteur
Mme Sophie Primas, présidente. - Notre collègue Pierre Louault a déposé en avril dernier une proposition de loi tendant à favoriser l'habitat en zones de revitalisation rurale tout en protégeant l'activité agricole et l'environnement. Ce texte sera inscrit à l'ordre du jour du mercredi 8 décembre prochain, dans l'ordre du jour réservé au groupe UC de 16 h 30 à 20 h 30. Nous examinerons ce texte en commission le mercredi 24 novembre. Le délai limite pour le dépôt des amendements en commission est fixé au vendredi 19 novembre à 12 heures. Pour la séance publique, le délai limite pour le dépôt des amendements sera le jeudi 2 décembre à 12 heures.
Je vous propose la candidature de notre collègue Valérie Létard pour être rapporteure de cette proposition de loi.
Il n'y a pas d'opposition ?
Je vous remercie.
La commission désigne Mme Valérie LÉTARD rapporteure sur la proposition de loi n° 527 (2020-2021), présentée par M. Pierre Louault et plusieurs de ses collègues, tendant à favoriser l'habitat en zones de revitalisation rurale tout en protégeant l'activité agricole et l'environnement.
La réunion est close à 12 h 25.