Mercredi 27 octobre 2021
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 10 heures.
Échanges de vues sur les positions française et européenne dans le cadre de la COP 26
M. Jean-François Longeot, président. - Après nos auditions des experts français du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), et de M. Stéphane Crouzat, ambassadeur de la France chargé des négociations sur le changement climatique, nous achevons aujourd'hui notre cycle de réunions de commission consacré à la 26e Conférence des parties des Nations unies pour le climat (COP 26), qui se tiendra à Glasgow en novembre prochain.
Je rappelle qu'une délégation de notre commission se rendra sur les lieux de la COP avec un double objectif : d'une part, représenter le Parlement français à Glasgow, et d'autre part, assurer un suivi des négociations par la rencontre avec les acteurs clés de la diplomatie climatique.
Je rappelle également que le Sénat examinera le 2 novembre prochain une proposition de résolution au titre de l'article 34-1 de la Constitution consacrée à ces négociations, dont l'objet est d'affirmer la nécessité d'un accord ambitieux lors de la COP 26 de Glasgow afin de garantir l'application effective de l'Accord de Paris.
Ces deux rendez-vous nous donnent ce matin l'occasion d'un échange de vues sur les positions française et européenne dans le cadre de la COP 26. Je donnerai tout d'abord la parole à Ronan Dantec, président du groupe de travail « Enjeux internationaux - Climat - Environnement - Développement », qui mène, depuis plusieurs mois, des auditions préparatoires à la COP 26, à l'appui desquelles la proposition de résolution a été préparée.
Après l'intervention du président de notre groupe de travail, je donnerai la parole à l'ensemble des membres de la commission qui souhaitent exprimer leurs observations. J'inviterai Joël Bigot et Frédéric Marchand, qui m'en ont fait la demande, à nous rendre compte des problématiques évoquées au sein de l'Union interparlementaire (UIP) dans le cadre de la pré-COP 26 qui s'est tenue à Rome, au début de ce mois.
M. Ronan Dantec. - Le groupe de travail « Enjeux internationaux - Climat - Environnement - Développement » que je préside mène depuis plusieurs mois des auditions préparatoires à la COP 26 : nous avons notamment entendu l'ambassadeur Unesco du Royaume-Uni - qui nous a rappelé l'importance de l'axe franco-britannique dans les négociations à venir - l'ambassadeur Environnement de la France, puis l'ambassadeur Climat de la France dans le cadre de la commission, ou encore l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Ces auditions nous ont permis de mieux appréhender les lignes de force d'une négociation qui est essentielle pour notre avenir commun. J'aimerais vous en présenter les principaux enseignements.
Tout d'abord, j'aimerais aborder le mécanisme volontaire de l'Accord de Paris par lequel les États s'engagent à travers des contributions déterminées au niveau national (CDN), actualisées tous les cinq ans. Cette actualisation des CDN doit traduire un relèvement de l'ambition de l'État partie. Au soir de l'Accord de Paris, en 2015, la somme des CDN aboutissait à une augmentation de la température moyenne de plus de 3 °C à la fin du siècle par rapport au début de l'ère industrielle. Nous étions donc loin des objectifs d'une élévation maximale des températures de 2 °C et, idéalement, de 1,5 °C, inscrits dans l'accord. Aujourd'hui, les Nations unies estiment que la deuxième salve de contributions nationales qui précèdent la COP 26 conduirait à une hausse des températures d'environ 2,7 °C d'ici la fin du siècle. Si on veut être optimiste, on constate donc que le mécanisme de l'Accord de Paris fonctionne : la somme des nouvelles CDN traduit bien un relèvement de l'ambition des États parties, même si nous ne sommes pas encore sur la trajectoire des 2 °C, et encore moins sur celle de 1,5 °C. Nous ne sommes donc pas sur la bonne trajectoire, mais nous nous y rapprochons. On voit d'ailleurs que les pires scénarios sont considérés comme de moins en moins probables par le GIEC.
Malgré tout, on observe aujourd'hui une forte augmentation des émissions de gaz à effet de serre, après la baisse sensible consécutive au début de la pandémie de Covid-19.
Cela est particulièrement vrai en Asie, qui occupe une part de plus en plus importante dans les émissions mondiales. La Chine représente 25 % des émissions, dont 10 % liées aux seules exportations. Les émissions chinoises sont donc aujourd'hui majoritairement domestiques : les classes moyennes chinoises émettent ainsi plus de gaz à effet de serre que les classes moyennes européennes. L'augmentation sensible des émissions en Asie s'explique aussi par un recours au charbon, la Chine venant par exemple d'autoriser l'extraction de 220 millions tonnes.
Dans les pays occidentaux, les émissions baissent structurellement, bien que lentement. Quant aux pays africains et du Moyen-Orient, on observe aujourd'hui une stabilisation des émissions, qui avaient tendance à augmenter structurellement avant le début de la crise sanitaire.
Plusieurs pays n'ont toujours pas soumis leur CDN, notamment l'Inde - émetteur de plus en plus important - et la Chine - qui a malgré tout annoncé viser la neutralité carbone d'ici 2060 et un pic de ses émissions d'ici 2030. Certains pays, qu'on n'attendait pas particulièrement, viennent de formuler des engagements. L'Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis visent la neutralité carbone respectivement d'ici 2060 et 2050. La Turquie vient de ratifier l'Accord de Paris ; c'était un des derniers grands pays à ne pas l'avoir encore fait.
J'aimerais aborder un deuxième point d'attention : l'application de l'article 6 de l'Accord de Paris, relatif aux mécanismes de marché, qui n'a pas fait l'objet d'accord lors des COP précédentes, notamment à la COP 25 de Madrid. Cet article 6 porte, d'une part, sur les règles de coopération volontaire bilatérale, qui doit permettre à un État de transférer ses efforts d'atténuation au niveau international, et, d'autre part, sur le mécanisme de développement durable, marché international des compensations carbone qui doit prendre la suite du mécanisme pour le développement propre issu du protocole de Kyoto.
Le transfert des efforts d'atténuation d'un État à un autre implique un système fiable de comptabilisation, afin notamment d'éviter un double comptage des résultats d'atténuation. Les États parties ne sont pas parvenus à se mettre d'accord sur ce sujet lors de la COP 25 de Madrid.
Quant à la mise en oeuvre du mécanisme de développement durable, devant prendre la suite du mécanisme pour le développement propre issu du protocole de Kyoto, elle bute actuellement sur la problématique de « l'air chaud ». Des pays de l'ancien bloc soviétique, comme la Russie, disposent d'importants crédits carbone, en raison de la réduction des émissions de gaz à effet de serre consécutive à la crise industrielle associée à la chute de l'URSS. Si les Russes intègrent ces crédits excédentaires dans le mécanisme de développement durable prévu par l'Accord de Paris, on risque d'observer une déstabilisation du mécanisme et une baisse du prix du carbone qui y est fixé.
La montée en puissance des mécanismes de taxation aux frontières sur l'intensité carbone des importations et des exportations constitue un autre grand enjeu des négociations actuelles, dans le contexte de la lutte commerciale entre la Chine, l'Europe et les États-Unis.
Troisième sujet d'intérêt : l'article 13 de l'Accord de Paris qui prévoit l'établissement d'un cadre de transparence, permettant de s'assurer du respect par chaque État des engagements souscrits auprès des Nations unies. Certains États ne sont pas très enthousiastes à ce qu'on aille étudier dans le détail leurs émissions.
J'en viens à un autre sujet de négociation : celui de la promesse formulée par les pays du Nord, lors de la COP 15 de Copenhague en 2009, de porter à 100 milliards de dollars par an d'ici 2020 le soutien financier aux pays du Sud en matière climatique. Malgré le retard sur l'échéance de 2020, il semblerait que nous sommes aujourd'hui en bonne voie : le président britannique de la COP 26, Alok Sharma, a annoncé que les 100 milliards de dollars par an promis par les pays développés devraient être atteints en 2023. Le président Biden s'est notamment engagé à un doublement de l'aide américaine, pour atteindre environ 11 milliards par an.
Enfin, un dernier enjeu de la COP à venir portera sur la manière de faire dialoguer les trois conventions nées lors du sommet de Rio en 1992 : la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la Convention sur la diversité biologique et la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification. Depuis leur origine, ces conventions ont fonctionné en silo, alors que les sujets qu'elles traitent sont intimement liés. Depuis deux ans, à l'initiative notamment de la France, des réflexions sont menées pour renforcer les synergies entre ces trois conventions. Les fonds issus de la compensation carbone, reposant notamment sur le stockage de carbone par les forêts, contribuent par exemple à la préservation de la forêt tropicale et de la biodiversité.
En conclusion, l'approche de cette COP s'accompagne d'inquiétudes, justifiées au regard du niveau inédit d'émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Je note que les grands accords internationaux se font dans un monde où la régulation internationale fonctionne. Par exemple, dans les années 1990, les avancées permises entre Rio et à Kyoto s'expliquent, d'une part, par l'arrivée au pouvoir des démocrates aux États-Unis, et, d'autre part, par l'effondrement du bloc soviétique associé à un effacement géopolitique de la Chine. Dans ce contexte, le leadership occidental s'est donc affirmé en matière climatique. De même, l'Accord de Paris résulte d'un alignement des planètes, facilité par la présence des démocrates américains au pouvoir. Si les démocrates contrôlent à nouveau le pouvoir aux États-Unis, le niveau d'affrontement entre les Américains et la Chine n'a jamais été aussi fort. Réussira-t-on dans ce contexte à aboutir à un accord cadre sur le climat dans un monde qui se tend ? Nous ne savons pas dans quelle mesure la situation internationale dégradée va affecter les négociations climatiques. Toutefois, le pire n'est pas certain : les Chinois ont également intérêt à éviter la catastrophe climatique.
M. Joël Bigot. - Merci pour cette présentation du cadre dans lequel se déroulent les négociations climatiques.
L'Union interparlementaire (UIP), dont je fais partie, s'est réunie les 7 et 8 octobre à Rome, à l'occasion de la pré-COP 26. Certains acteurs, comme l'Inde ou la Chine, demeurent discrets. Les États-Unis, de retour dans l'Accord de Paris, avaient quant à eux envoyé Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des Représentants. C'est un signal assez fort de la volonté des Américains de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique.
Les représentants des parlements nationaux ont proposé des amendements à une déclaration finale, adoptée par consensus, adressée à leur exécutif. Cette déclaration invite de manière unanime la communauté internationale à respecter l'Accord de Paris et ses objectifs d'augmentation maximale des températures de 2 °C et, idéalement de 1,5 °C, et d'atteinte de la neutralité carbone à horizon 2050. Les parlementaires de certains États - notamment les pays pétroliers que sont l'Iran, l'Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis ou encore le Nigéria - ont fait savoir qu'ils auraient besoin de davantage de temps pour atteindre ces objectifs.
L'UIP a également évoqué la problématique des émissions transnationales, issues des transports aérien et maritime. Elle a invité l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à oeuvrer pour un commerce vert, qui favorise les énergies renouvelables. L'UIP a demandé la mise en place d'un mécanisme de calcul des émissions transnationales, afin de répartir la responsabilité de ces émissions.
Nous avons été frappés par les prises de position des parlementaires africains, qui ont mis en avant la responsabilité des pays riches dans la situation actuelle, estimant que « ceux qui ont abimé doivent maintenant réparer ». Je rappelle que 80 % des émissions de gaz à effet de serre proviennent des pays du G20, avec 18 à 20 % pour les seuls pays de l'Union européenne.
En marge de cette réunion, nous avons participé à un échange avec de jeunes citoyens italiens. Les parlements nationaux font face à un enjeu commun, celui de s'assurer que les populations s'approprient les problématiques climatiques.
Je note que la proposition française de mentionner l'économie circulaire dans la déclaration finale de l'UIP a été intégrée. Cette résolution a été adoptée par consensus, en dépit des divergences exprimées sur le calendrier, certains pays ayant fait savoir qu'ils auraient besoin de davantage de temps pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris. On observe donc une volonté partagée, au point même que les représentants chinois, présents en visioconférence, ont fait savoir qu'ils visaient l'atteinte de la neutralité carbone d'ici 2060.
Nous avons également rencontré d'autres délégations, qui ont souhaité s'entretenir avec nous sur certaines problématiques, à l'instar des feux de forêt.
M. Frédéric Marchand. - Nous avons en effet rencontré nos homologues des pays de l'arc méditerranéen pour évoquer la question des feux de forêt. Plus de 100 000 hectares ont brûlé en moins de deux semaines en Grèce cet été. Le 8 août dernier, la NASA avait relevé 187 114 incendies, record du nombre de feux quotidiens jamais relevés à travers le monde.
Les moyens mobilisés sous l'égide de l'Union européenne ont permis de mener une véritable bataille contre le feu lors de ces incendies grecs.
L'objectif de cette rencontre était de faire le constat des mécanismes nationaux et européens existants pour lutter contre ces feux et d'envisager des réponses communes concernant la prévention et la gestion de ces incendies qui vont malheureusement s'accroître avec le réchauffement climatique.
À ce sujet, nous souhaitons aboutir à une déclaration commune.
La mise en place d'une mission d'information au sein de notre commission sur les feux de forêt nous permettrait de jouer un rôle dans ce travail collectif.
M. Jean-François Longeot. - Merci pour ce compte rendu. Il me semble en effet pertinent qu'une mission d'information sur les feux de forêt soit mise en place dans les prochaines semaines.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Comme l'a dit Ronan Dantec, à ce stade, le compte n'y est pas : le dernier rapport des Nations unies estime que la somme des nouvelles CDN conduirait à une hausse des températures d'environ 2,7 °C d'ici la fin du siècle. N'y a-t-il pas un risque à ce que la communauté internationale se contente d'effets d'annonce ? Je pense notamment aux récents engagements de l'Australie qui a annoncé viser la neutralité carbone d'ici 2050, sans pour autant se donner de cibles intermédiaires, pourtant essentielles au respect des objectifs de l'Accord de Paris. L'Australie assure dans le même temps ne rien vouloir changer, notamment concernant ses politiques extractives de charbon, de minerai et de gaz. La Chine s'engage également à long terme sur la neutralité carbone d'ici 2060. Doit-on se satisfaire de ces engagements éloignés dans le temps ? N'y a-t-il pas là un jeu de dupes ?
M. Stéphane Demilly. - Les 197 pays présents à la COP 26 devront assurer la mise en oeuvre effective de l'Accord de Paris. Toutefois, l'échec de la COP 25 a rendu sceptique beaucoup d'observateurs.
Au 31 juillet, seuls 110 pays sur 197 ont déposé une nouvelle contribution déterminée au niveau national (CDN) pour se conformer à leurs engagements. La Chine ou l'Inde, à l'origine de 36 % des émissions mondiales, n'ont pas soumis la leur. Nous avons donc l'impression que nous sommes partis pour un aller simple en direction du désastre.
Avec le recul, le terme « contraignant » est-il judicieux pour qualifier l'Accord de Paris, un grand nombre de ses articles n'étant pas réellement impératifs et l'essentiel du texte s'appuyant sur des contributions volontaires de la part des États signataires ? D'autant plus que l'article 6, relatif aux mécanismes de marché, pourrait constituer une forme de subterfuge permettant à certains de se racheter une virginité en matière environnementale.
Par ailleurs, le président Biden a annoncé le retour des États-Unis dans l'Accord de Paris. Où en sommes-nous concrètement un an après son élection ?
M. Ronan Dantec. - Concernant les engagements des États, il faut se rappeler de la COP 15 de Copenhague de 2009, où plusieurs acteurs, en particulier la Chine, ont affirmé leur refus d'un accord contraignant. La force de l'Accord de Paris a été de contourner cet obstacle ; nous n'aurions jamais abouti à Paris si nous avions voulu obtenir un accord contraignant. Les seuls éléments contraignants de l'Accord de Paris sont en réalité la soumission par chaque État à une CDN tous les cinq ans et à une obligation de transcrire cette CDN dans un dispositif national d'application.
Concernant le retour des États-Unis dans l'Accord de Paris, les signaux donnés ont, pour l'instant, été essentiellement financiers, avec le doublement des fonds climat annoncés par Joe Biden et le plan de relance actuellement en discussion au Congrès prévoyant un investissement massif dans les infrastructures moins carbonées.
La régulation climatique va désormais être économique. Les émissions européennes baissent, notamment car le prix du carbone européen s'est largement accru sur le marché carbone ETS, en étant passé de quelques euros à 60 euros la tonne de CO2 aujourd'hui. Or, l'Europe ne peut pas avoir un tel système qui renchérit ses propres exportations, sans exiger que ses partenaires fassent également des efforts. La régulation économique est donc au coeur de la régulation climatique internationale ; elle constitue à cet égard une forme de contrainte. Les Chinois ont mis en place un marché carbone pour leur propre système électrique ; il a vocation à devenir le plus grand marché carbone au monde.
La baisse des émissions dans les pays occidentaux - en Europe, aux États-Unis et au Canada - nous invite à un certain optimisme. Sur les 1 000 milliards de dépenses énergétiques annuelles, les investissements dans les énergies renouvelables ont dépassé pour la première fois les investissements dans les énergies fossiles en 2020. Il y a donc des évolutions macroéconomiques significatives.
Quant aux Australiens, il me semble qu'ils ont annoncé vouloir atteindre la neutralité carbone, mais sans renoncer aux énergies fossiles. Cela signifie probablement qu'ils souhaitent recourir à des dispositifs de compensation carbone. On sait toutefois que les crédits carbone issus de la compensation seront par définition limités à l'échelle mondiale.
Nous ne sommes pas à l'abri que les engagements des États ne soient pas tenus. Je pense malgré tout que le système de l'Accord de Paris est probablement le pire des systèmes, à l'exclusion des autres...
En résumé, les scénarios les plus pessimistes du GIEC semblent s'éloigner, ce qui démontre une dynamique de ralentissement des émissions, qui devra toutefois être renforcée pour éviter la catastrophe climatique.
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Glasgow va être le premier test de l'Accord de Paris. Or, au 31 juillet, seuls 110 pays sur 197 ont déposé un nouvelle CDN, même si ce chiffre a depuis augmenté et devrait continuer à progresser d'ici le début de la COP.
Je ne comprends pas en quoi le mécanisme de l'article 6 va contribuer à réduire les émissions globales de gaz à effet de serre.
Si les intentions, aussi louables qu'elles soient, ne sont pas accompagnées de sanctions, je doute de la capacité de l'Accord de Paris à résoudre les problèmes.
L'article 13, qui doit permettre de comparer les efforts entre États par l'établissement d'un cadre de transparence, est important : si on n'arrive pas à déterminer le contenu des CDN et à les comparer, ces engagements s'apparenteront à des déclarations de bonnes intentions. Un des enjeux de Glasgow est donc de donner une traduction à cet article 13, notamment en établissant des indicateurs communs. Pendant qu'on tente d'établir ces indicateurs communs, le réchauffement climatique s'aggrave.
Mme Angèle Préville. - Nous devons nous préoccuper du volet « pertes et préjudices » car ceux qui ont abimé doivent réparer. Si nous ne résolvons pas cette question, les pays qui subissent le plus les conséquences du réchauffement climatique nous le reprocheront à juste titre.
Je m'interroge par ailleurs sur la logique de marché qui prévaut dans l'Accord de Paris. Je ne pense pas tout à fait qu'on puisse s'en sortir avec une régulation économique. L'article 6 porte sur la coopération bilatérale volontaire par l'échange de crédits carbone ; pourquoi ne pas développer une vraie coopération bilatérale entre pays développés et en développement, pour permettre à ces derniers de se développer dans le respect de nos objectifs climatiques ?
Enfin, je me pose la question de l'efficacité des fonds versés chaque année par les pays du Nord vers les pays du Sud. En évalue-t-on l'efficacité ? On sait que l'argent peut être mal dépensé, voire détourné.
M. Hervé Gillé. - J'ai le sentiment qu'il y a un manque de prospectives sur un certain nombre de sujets. Par exemple, a-t-on réellement une évaluation de l'impact de l'épidémie de Covid-19 au regard des enjeux de la COP 26 ?
Par ailleurs, la question de la déclinaison opérationnelle de nos engagements climatiques se pose. En particulier, comment les États impliquent-ils les citoyens dans la mise en oeuvre de nos engagements internationaux ? Les CDN correspondent à des plans nationaux qui sont déclinés à l'échelle des territoires dans des plans climat-air-énergie territorial (PCAET). Or, seulement 20 % des PCAET sont aujourd'hui aboutis en France. De plus, ces plans ne prévoient aucune obligation ou conditionnalité. Les seules obligations existantes aujourd'hui en matière de planification territoriale se trouvent dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) en matière de consommation foncière. Cela veut dire qu'il n'y a pas de déclinaison territoriale de nos engagements climatiques, puisqu'il n'y a pas d'obligations ou de conditionnalité. La ministre de la transition écologique s'oppose ainsi à intégrer des formes de conditionnalité dans la contractualisation entre l'État et les collectivités territoriales, par exemple s'agissant des contrats de relance et de transition écologique (CRTE).
La technicité et la complexité des négociations internationales créent de l'incompréhension chez le citoyen, qui ressent de l'impuissance, laquelle peut mener au populisme. Il faut donc donner de la visibilité aux citoyens, en déclinant concrètement nos engagements internationaux.
M. Ronan Dantec. - La question climatique, du fait de sa transversalité, implique une connaissance encyclopédique du monde : elle a des conséquences sur l'ensemble des gestes quotidiens, de nos choix énergétiques, alimentaires, de loisirs... Elle influence également la géopolitique. Comme le rappelle Al Gore, la crise syrienne prend sa source dans des sécheresses à répétition, qui ont causé un exode rural très important et une déstabilisation de la société urbaine syrienne. Le lien entre le climat et les autres crises que traverse notre planète est donc réel. Rappelons d'ailleurs que de nombreuses crises géopolitiques du XXe siècle sont liées au pétrole et donc, indirectement, au climat.
Il y a une vraie difficulté à s'accorder sur un système de régulation climatique international entre des pays en désaccord en matière de systèmes politiques, religieux ou économiques. En dépit de ces divergences, il y a une obligation de résultats en matière climatique ; c'est un défi inédit dans l'histoire de l'humanité.
Malgré la complexité de la question climatique, qui est inévitable, il est possible de parler simplement de climat à nos concitoyens. Le premier message simple à adresser est de rappeler que l'Union européenne arrive à tenir une trajectoire proche de la stabilisation du climat sous les 2 °C. Si nous mettons toute la puissance économique européenne en direction de la transition, nous arriverons à tenir l'objectif. L'objectif de baisse de 55 % des émissions désormais porté par l'Union européenne est crédible et montre que le monde peut y arriver. Cela ne signifie pas que nous y sommes déjà ; nous l'avons vu lors des récents débats sur la loi « Climat et résilience », la France n'est pas sur la bonne trajectoire par rapport à ses objectifs climatiques.
Disposons-nous d'un autre levier de régulation climatique que l'échange commercial international dans le cadre mondialisé dans lequel nous évoluons aujourd'hui ? À titre personnel, je n'en vois pas vraiment. L'interpénétration entre les grandes économies est le seul vrai levier de stabilisation du climat. La seule contrainte est économique ; si les Chinois ne respectent pas leurs engagements climatiques, nous n'allons pas leur faire la guerre. Je rappelle que plusieurs pays, dont la Chine et les États du Golfe, refusent catégoriquement un accord totalement contraignant, assorti de sanctions.
La seule bonne nouvelle des vingt dernières années est la dynamique des énergies renouvelables. Le charbon devient une énergie trop chère par rapport à l'éolien ou au photovoltaïque.
L'article 6 de l'Accord de Paris va organiser les flux financiers permettant la mutation à marche forcée d'un certain nombre d'économies, notamment dans les pays du Sud. Le rapport Stern de 2006 estimait qu'un investissement de 1 % du PIB mondial par an permettait d'assurer la transition écologique des modèles économiques. C'est un peu la logique sous-jacente à l'article 6.
L'article 13 relatif à la transparence continuera de bloquer les négociations tant que nous n'aurons pas avancé sur l'article 6. Certains pays ne voudront pas trop de transparence, mais je pense que nous arriverons à un accord sur l'article 13. L'enjeu central de la négociation est donc l'article 6.
Les fonds climat sont-ils efficaces ? Je pense que nous avons beaucoup progressé en la matière. Une grande partie de cet argent passe par les banques de développement. L'Agence française de développement (AFD) ou le Fonds vert pour le climat, qui gère une partie de l'enveloppe des 100 milliards, ne décaissent pas les fonds sans savoir où va l'argent qui est plutôt utilisé à bon escient. La question est plutôt de savoir si nous avons aujourd'hui assez de financements : je pense que ce n'est pas le cas.
Lee White, ministre gabonais de l'environnement et président du groupe Afrique à la COP, me rappelait que le Gabon dispose d'une rente pétrolière de 12 milliards d'euros par an. Le Gabon est prêt à renoncer à cette rente, mais avec des contreparties financières. Or, le Gabon a réussi à préserver ses forêts, qui contribuent à stocker 100 millions de tonnes de CO2. À ce jour, personne ne paie le Gabon pour la valorisation de ce stock carbone. Avec une tonne de CO2 valorisée à 100 euros, le Gabon pourrait ainsi percevoir, sur le fondement de l'article 6 de l'Accord de Paris, 10 milliards d'euros. Si on réduit de moitié les émissions mondiales, en passant de 25 à 50 milliards de tonnes de CO2 émises chaque année, et qu'on applique un prélèvement de 40 euros sur la tonne de CO2, on aboutirait à 1 000 milliards d'euros de financement pour le climat, soit un niveau proche des 1 % de PIB de financement recommandés par la rapport Stern en 2006.
Enfin, concernant la déclinaison territoriale climatique en France, en 2015, lors des débats sur la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), le Sénat avait rendu obligatoire la réalisation des PCAET pour les intercommunalités et l'inscription dans ces plans d'un objectif climatique cohérent avec les engagements internationaux de la France. L'État n'a pourtant jamais accompagné ce dispositif. Au même moment, en 2015, l'État a créé les territoires à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV). Dans les semaines qui ont suivi l'adoption de la LTECV, l'État a donc mis les moyens dans l'accompagnement des TEPCV, et non dans les PCAET. Un nouveau dispositif a été mobilisé en 2018, les contrats de transition écologique (CTE), remplacés en 2020 par les contrats de relance et de transition écologique (CRTE). Cela fait donc quatre dispositifs en cinq ans, si bien que personne ne s'y retrouve vraiment. J'estime, pour ma part, que le PCAET est le meilleur dispositif, car il assure la mise en cohérence de l'ensemble des politiques publiques du territoire. Selon les chiffres de l'Ademe, presque tous les territoires ont engagé un PCAET ; il me semble par ailleurs que nous sommes au-delà des 20 % de PCAET finalement adoptés.
Je pense que nous aurions pu maintenir, dans le cadre de la commission mixte paritaire sur la loi « Climat et résilience », le dispositif que nous avions voté à l'unanimité en commission : la dotation climat pour les intercommunalités ayant adopté un PCAET. Cela aurait constitué une incitation à développer cette planification territoriale. C'est un dispositif que nous devrions réinscrire dans le prochain projet de loi de finances. J'ajoute que le CRTE peut être complémentaire, car il peut permettre la contractualisation avec l'État sur le fondement de ce qui est inscrit dans le PCAET.
M. Jean-François Longeot. - Je vous remercie pour cet échange de vues riche, qui traduit l'intérêt de notre commission pour les négociations en cours à la veille de la tenue de la COP 26.
Question diverse - Travaux aménagement du territoire
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, la commission a consacré de nombreuses réunions à l'aménagement du territoire depuis mars dernier. Je suis certain que vous serez tous d'accord sur la nécessité de poursuivre les travaux qui ont été engagés ces derniers mois.
Certains thèmes n'ont, à ce jour, pas encore été traités et méritent d'être abordés. On peut identifier par exemple la question de l'accessibilité des services et des équipements en zones rurales qui a d'ailleurs été évoquée par le Bureau de la commission, ou bien les enjeux économiques, sociaux et environnementaux de la périurbanisation ou encore la réflexion sur le renforcement de la mobilité dans les territoires ruraux.
Vous vous souvenez sans doute que, pour donner plus de visibilité à nos travaux, nous avions désigné des référents plus particulièrement investis pour suivre le cycle d'auditions sur l'aménagement du territoire (Mme Patricia Demas, M. Bruno Rojouan, Mmes Christine Herzog et Martine Filleul), je propose à la commission de désigner un cinquième référent en la personne de M. Bruno Belin. Chaque référent va pouvoir en effet, dans la continuité des auditions plénières, travailler une ou deux thématiques ciblées pour entrer plus concrètement dans les réalités de nos territoires, dans un format que nous devrons définir prochainement.
Il n'y a pas d'opposition ? Il en est ainsi décidé.
La réunion est close à 11 h 15.
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 17 heures.
Suites de l'accident de Lubrizol - Audition de Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique
M. Jean-François Longeot, président. - Madame la ministre, mes chers collègues, nous reprenons les travaux de notre commission consacrés au bilan de l'accident majeur des usines Lubrizol et Normandie Logistique intervenu à Rouen le 26 septembre 2019.
Madame la ministre, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Notre commission a initié une séquence de travail consacrée au suivi et à l'évaluation de notre politique de prévention des risques naturels, industriels et nucléaires.
Nous examinions la semaine dernière la proposition de loi de l'ancien député Stéphane Baudu, visant à réformer le régime des catastrophes naturelles. Une délégation de notre commission se rendra d'ailleurs prochainement dans le département des Alpes-Maritimes, plus spécifiquement dans la vallée de la Roya, afin de mesurer les conséquences de la tempête Alex et suivre les travaux de reconstruction.
Dans quelques semaines, nous aurons une ou plusieurs auditions consacrées à la gestion des risques liés à la présence d'engrais à base de nitrate d'ammonium dans nos ports maritimes et fluviaux, en lien avec l'accident intervenu à Beyrouth en août 2020 et le rapport inter-inspections rendu récemment à votre demande.
S'agissant de l'accident des usines Lubrizol et Normandie Logistique, le Parlement s'est mobilisé, à côté des procédures judiciaires diligentées et des enquêtes et inspections administratives, pour contribuer à faire toute la lumière sur cet accident et en tirer des enseignements pour notre politique de prévention des risques industriels.
Le Sénat, à l'unanimité, avait voté le 10 octobre 2019 la création d'une commission d'enquête chargée d'évaluer l'intervention des services de l'État dans la gestion des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l'incendie de l'usine de Lubrizol à Rouen. Cette commission d'enquête, présidée par notre collègue Hervé Maurey, que je remercie de sa présence, a rendu son rapport le 2 juin 2020. Ses deux rapporteures étaient Christine Bonfanti-Dossat et Nicole Bonnefoy, que j'excuse.
J'ai souhaité, en lien avec nos collègues concernés, que nous puissions exercer un droit de suite sur le rapport de cette commission d'enquête.
Votre audition s'inscrit donc dans ce cadre et vise à nous permettre d'évaluer si notre politique de prévention des risques industriels s'est renforcée depuis cet événement.
Nous nous concentrerons à titre principal sur les volets gestion de crise, prévention des risques, information du public et indemnisation, afin de laisser le soin aux commissions permanentes compétentes d'effectuer le travail de suivi dans les domaines qui relèvent de leurs compétences.
Je rappelle enfin que plusieurs procédures judiciaires sont encore en cours et qu'il ne nous appartient pas de revenir sur les causes de l'accident. Le 29 septembre dernier, nous avons reçu les représentants des associations de victimes de l'accident de Lubrizol, qui se sont exprimés dans le cadre d'une table ronde assez animée, ainsi que les représentants d'Atmo et d'Amaris.
Face à cet événement traumatisant pour les habitants de la métropole de Rouen et des territoires voisins, de nombreuses initiatives ont été prises. Une enquête administrative a été déclenchée dès le 26 septembre 2019. Deux missions inter-inspections ont rendu leur rapport destiné à analyser l'événement et en tirer les conséquences pour notre politique de prévention des risques en février et mai 2020. Une troisième mission sur la culture du risque, coordonnée par Frédéric Courant, a remis ses conclusions en juin 2021.
Ces rapports, comme celui de notre commission d'enquête, ne sont donc pas restés lettre morte puisque des mesures réglementaires ont été prises par votre Gouvernement, d'abord à la rentrée 2020 avec la publication de deux décrets et de cinq arrêtés visant à renforcer la maîtrise des risques industriels, en particulier pour les sites Seveso et les entrepôts identifiés dans la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Ensuite, trois nouveaux arrêtés ont été pris à la rentrée 2021, apportant des modifications aux mesures prises un an plus tôt. Vous avez par ailleurs présenté un plan d'action sur la culture du risque le 18 octobre dernier.
Donc nous ne dirons pas que rien n'a été fait ! Il y a eu un passage de la parole aux actes, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.
Il nous reste maintenant à déterminer si les actes produiront les effets visés et si cela suffit à répondre aux observations et aux propositions que nous avons faites au Gouvernement dans le cadre de la commission d'enquête.
Avant de vous laisser la parole, je souhaiterais vous poser quelques questions d'ordre général.
Tout d'abord, vous avez été nommée ministre de la transition écologique à l'été 2020, après l'accident qui a été géré par votre prédécesseure Élisabeth Borne, en lien avec les ministres compétents à cette date. Comment avez-vous abordé le dossier Lubrizol et la gestion des conséquences de cet accident majeur ?
Ensuite, en lien avec les mesures réglementaires que j'évoquais à l'instant, quels sont, selon vous, les principaux enseignements de cet accident ? Pouvez-vous nous expliquer en quoi ces nouvelles mesures permettraient d'éviter, le cas échéant, qu'un tel accident ne se produise à nouveau ?
Enfin, en lien avec les mesures que nous avons récemment votées dans le cadre de la loi Climat et résilience sur les atteintes générales au milieu physique, estimez-vous que le principe constitutionnel « pollueur-payeur » a trouvé à s'appliquer dans ce dossier ? L'enquête judiciaire n'étant pas terminée, je ne demande aucune réponse définitive, mais je souhaite connaître votre avis sur ce sujet.
De même, pensez-vous que les nouvelles dispositions législatives votées dans la loi Climat trouveront bien à s'appliquer dans ce type d'événement et nous permettront à l'avenir d'agir mieux et plus vite pour faire respecter le principe pollueur-payeur ?
Avant que vous n'interveniez, Madame la ministre, je vais brièvement donner la parole à Hervé Maurey, qui a présidé la commission d'enquête sénatoriale. Je vous propose de procéder ensuite, comme il en est d'usage, à une ou plusieurs séquences de questions-réponses.
À l'issue de votre intervention, je donnerai la parole à Pascal Martin, notre référent sur les sujets « risques » et rapporteur pour avis des crédits dédiés à la prévention des risques, puis à Jean-Michel Houllegatte, qui remplace Nicole Bonnefoy.
M. Hervé Maurey. - Je voudrais tout d'abord remercier le président Longeot de son invitation et surtout de l'initiative qu'il a prise, car il très important que les travaux qui sont menés par des commissions d'enquête connaissent un suivi pour s'assurer que les recommandations qui sont formulées ne restent pas lettre morte.
Depuis la remise de notre rapport, en juin 2020, un certain nombre d'annonces ont été faites. Des décrets et des arrêtés ont encore été publiés le mois dernier. Le Gouvernement n'est donc pas resté inerte.
Pour autant, il est important que l'on mesure bien ce qui a été réellement mis en oeuvre, ce qui a changé et ce qui changerait si, par malheur, une catastrophe de ce type venait à nouveau à se produire.
Je rappelle que notre rapport était construit autour d'une quarantaine de propositions, regroupées en six axes : culture du risque, prévention, gestion de crise, nécessité de mieux associer les élus à l'action de l'État, indemnisation et enfin suivi sanitaire des populations au nom du respect du principe de précaution.
S'agissant de la culture du risque, de manière quelque peu étonnante, le Gouvernement, plutôt que de reprendre un certain nombre de nos propositions, a mis en place une mission qui a rendu ses conclusions en juin. Certaines sont d'ailleurs proches des nôtres. Vous avez annoncé la semaine dernière un plan en la matière. Il serait souhaitable que vous puissiez nous expliquer en quoi ce plan est important et quels moyens seront mis en oeuvre pour qu'il puisse devenir réalité, notamment dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022.
S'agissant de la prévention des risques, les inspections ont-elles vraiment augmenté avec seulement vingt inspecteurs supplémentaires ? L'objectif d'une hausse de 50 % des contrôles d'ici 2022 est-il encore réaliste ?
S'agissant du stockage des produits et de la transparence sur ce stock, problème révélé par cette catastrophe, des textes ont été publiés. Certaines dispositions ne s'appliqueront pas avant 2026, voire 2027. N'est-ce pas un peu tard ? Qu'en est-il de cette phase de transition ?
Vous avez mis en place un bureau d'enquête et d'analyses sur les risques industriels (BEA-RI) en décembre 2020. On attend toujours à ce sujet un certain nombre de textes réglementaires. Pouvez-vous nous éclairer sur l'action de ce BEA au cours de l'exercice 2021 et sur ses moyens et matériels ?
S'agissant de la gestion de crise, le Gouvernement avait annoncé qu'il reprenait une proposition chère au Sénat depuis une décennie concernant le remplacement des sirènes par le Cell broadcast. Une expérimentation devait être menée à Rouen en juin. Celle-ci n'a toujours pas été réalisée. Pour quelles raisons ? Quand aura-t-elle lieu ?
En revanche, je n'ai trouvé aucune disposition dans les mesures qui ont été prises pour renforcer l'association, l'implication et le rôle des élus locaux en cas de crise ou en matière de prévention ou de risques.
S'agissant des indemnisations, selon les associations, celles-ci n'ont concerné que les agriculteurs et, selon elles, de manière insatisfaisante.
Enfin, même si cela ne relève ni de cette commission ni de votre ministère, la question du suivi sanitaire constitue un gros point noir. Le fait que le Gouvernement ait refusé de mettre en place des registres de morbidité crée une inquiétude et donne un sentiment d'opacité. Même si cela ne s'avérerait pas nécessaire, au vu des éléments techniques qui ont été apportés par Santé Publique France, ce n'est pas pour autant qu'il ne faut rien faire, car ceci peut rassurer les différents acteurs.
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. - Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, il y a un peu plus de deux ans, l'incendie de Lubrizol et de Normandie Logistique, près de Rouen, a eu pour beaucoup d'entre nous l'effet d'une onde de choc. Cet événement est venu nous rappeler que, malgré le renforcement régulier des normes de sécurité, malgré l'amélioration des processus industriels, les catastrophes sont toujours possibles. Je crois malheureusement, même si on met en place tout ce qu'il faut, qu'on ne pourra jamais atteindre le « risque zéro ».
Après le temps de l'urgence et de la gestion de crise, le moment est venu de tirer toutes les leçons de cet événement. Nous l'avions fait après le drame de l'explosion de l'usine AZF, en 2001, en mettant en place des outils de prévention exigeants qui nous ont permis d'éviter d'autres événements aussi dramatiques.
Nous devons de même tirer toutes les leçons de l'accident qui a eu lieu il y a deux ans. Nous le devons aux habitants qui ont vécu cette crise, aux salariés des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) et à nos concitoyens, où qu'ils vivent.
Un pays avance en améliorant ses règles, ses outils et ses normes lorsque c'est nécessaire, et en faisant évoluer les réflexes de chacun pour que nous soyons mieux préparés collectivement.
À la suite de cet accident, un plan d'action particulièrement riche avait été présenté par ma prédécesseure, Élisabeth Borne. Nous l'avons depuis encore renforcé.
Vous me demandiez, monsieur le président, comment j'avais abordé ce sujet lors de mon arrivée. En fait, les travaux étaient en cours. Je les ai suivis et j'ai veillé à ce que tout soit mis en oeuvre. J'ai mis quelques autres sujets en chantier, notamment autour de la culture du risque.
Le plan d'action coïncide largement avec les 42 recommandations formulées par la commission d'enquête sénatoriale. Je me réjouis de pouvoir vous indiquer d'ores et déjà que 37 d'entre elles sont soldées ou en cours de mise en oeuvre.
Notre priorité est de tout faire pour que des incendies de cette ampleur ne surviennent plus. L'incendie de Lubrizol nous a conduits à durcir drastiquement la réglementation applicable aux sites industriels pour prévenir au mieux ce type de catastrophe industrielle.
Vous le savez, à Rouen, c'est une nappe enflammée qui a propagé l'incendie entre plusieurs stockages d'un même site. C'est pourquoi nous avons renforcé la réglementation applicable aux sites accueillant des liquides inflammables et des liquides combustibles. Très concrètement, les réserves d'eau et d'émulseurs, ces substances utiles pour éteindre les incendies, seront augmentées, de même que les distances de sécurité qui séparent les stockages.
Des investissements doivent être réalisés pour rationaliser le stockage de produits inflammables, augmenter les capacités de rétention des liquides et renforcer les capacités d'extension. Le calendrier mène à 2026, car il s'agit d'investissements qui doivent être pensés et préparés correctement à l'échelle du site entier. Cela prend un peu de temps. On limite ainsi à la fois les risques de naissance d'un incendie et de propagation à des sites voisins par un effet domino.
Tirer toutes les leçons de l'incendie de Lubrizol, c'est aussi mettre des moyens d'accompagnement et de vérification sur le terrain. Ces nouvelles réglementations seront mises en oeuvre par les industriels, sous le contrôle de l'inspection des installations classées, dont j'ai renforcé les effectifs en leur octroyant 50 inspecteurs supplémentaires en deux ans afin de dégager du temps pour les inspections sur le terrain.
Ainsi, depuis l'incendie de Lubrizol, les inspecteurs de l'environnement ont entrepris de contrôler systématiquement les sites qui sont présents dans un rayon de 100 mètres autour des sites Seveso, afin d'éviter la propagation de l'incendie entre sites industriels voisins.
Plus généralement, j'ai renforcé l'activité des inspecteurs sur le terrain en augmentant fortement le nombre de contrôle.
Ce travail d'anticipation et de renforcement drastique de nos normes est nécessaire pour limiter les risques d'incendie industriel de grande ampleur.
La deuxième priorité, c'est l'amélioration de la réaction des salariés de ces sites industriels face à un accident de ce type.
La préparation des personnes qui se trouvent sur ces sites est l'un des meilleurs moyens pour limiter les conséquences d'un accident industriel. Nous avons donc imposé aux sites industriels un ensemble de mesures de préparation à la crise. Plusieurs ont d'ores et déjà été mises en place. Désormais, des essais et des exercices réguliers sont obligatoires pour tous les sites Seveso, tous les ans pour des sites Seveso seuil haut et tous les trois ans pour les Seveso seuil bas.
Nous imposons également à tous les sites stockant des matières combustibles d'évaluer et de modéliser les produits qui se formeraient en cas d'incendie, pour être capable de réagir au plus vite en cas d'accident.
Nous exigeons également que les exploitants disposent en permanence d'un suivi des matières stockées sur le site et accessible rapidement pour l'administration et les intervenants en cas de sinistre.
La troisième priorité réside dans le renforcement de la transparence, tant s'agissant des inspections régulières que du suivi des accidents.
À la suite d'accidents comme celui de Lubrizol, nos concitoyens ont exigé plus de transparence, et ils ont eu raison. Notre ambition est que toutes les Françaises et tous les Français puissent avoir accès à toute l'information sur les risques industriels. À partir du 1er janvier 2022, la transparence sera donc la règle pour les inspections d'installations classées. Les résultats seront publiés de façon systématique, sur le site Géorisques, géré par mon ministère. Ceci demande quelques adaptations techniques, mais la date de mise en oeuvre se rapproche à grands pas.
Dans le même esprit, nous avons rendu public au printemps une liste de six exploitants que nous avons placés sous vigilance renforcée. Ces six exploitants ont remis un plan d'action qui est public, et qui fera l'objet d'un suivi régulier de mes services pour tirer les conclusions des retours d'expérience sur des installations qui avaient déjà fait l'objet de remarques mais qui n'avaient pas mis en place de plan d'action. Il ne s'agit pas de verser dans le name and shame, c'est-à-dire de nommer et de pointer du doigt, mais de faire en sorte que ces exploitants comprennent que tout le monde les regarde. Nous signalerons ceux qui mettent en place un plan d'action digne de ce nom. Il faut aussi faire remarquer les choses lorsqu'elles s'améliorent.
Enfin, nous avons voulu assurer la plus totale transparence en cas d'accident. J'ai tenu à créer une structure disposant de moyens d'enquête dédiés. Le BEA-risques industriels a déjà ouvert dix-sept enquêtes approfondies sur des accidents industriels en France.
Ce bureau d'enquête aura prochainement une existence légale et une indépendance assurée grâce à l'habilitation à légiférer par ordonnance contenue dans la loi Climat et résilience.
Enfin, notre dernière priorité est de renforcer l'information du public sur les risques industriels. Malgré toutes les réglementations, toute la prévention, tous les exercices de crise, nous ne pourrons jamais atteindre le risque zéro. C'est le cas pour les risques industriels mais encore plus pour les risques naturels ou sanitaires.
C'est pourquoi il est essentiel d'améliorer l'information de nos concitoyens et leur capacité à réagir en cas de crise. C'est ce qu'on appelle la culture du risque, sur laquelle vous aviez travaillé et sur laquelle j'ai souhaité recueillir la vision d'une équipe menée par Fredéric Courant, composée de nombreux sociologues, afin de comprendre les réactions de nos concitoyens. On le voit, la culture du risque est très répandue dans certains pays, comme le Japon, souvent cité parce qu'il est emblématique. En France, on a encore une difficulté pour faire face à ce risque, le réflexe étant soit d'être paralysé par la peur, soit de mettre les choses de côté pour continuer à vivre normalement.
On l'a vu lors de l'incendie de Lubrizol, certains étaient surpris de découvrir un site industriel à proximité d'une ville, bien que le lien entre la ville et l'industrie soit profondément ancré dans notre histoire.
De même, un trop lourd bilan humain est encore constaté à chaque catastrophe, naturelle ou industrielle, alors qu'il pourrait être évité par des gestes simples. En cas d'inondations, certaines personnes meurent dans leur sous-sol pour avoir tenté de déplacer leur voiture !
Cette mission confiée à Frédéric Courant avait pour but d'examiner les moyens de sensibiliser la population pour mieux faire face aux accidents industriels mais aussi aux catastrophes naturelles. J'ai choisi Frédéric Courant parce qu'il a réussi, à travers son émission C'est pas sorcier, animée avec Jamy Gourmaud, à trouver les mots pour rendre compréhensibles des enjeux parfois complexes. Il est parvenu à faire passer des messages, et je crois que nous, responsables politiques, avons besoin d'être aidés par des personnes comme lui qui en ont l'habitude.
Plusieurs mesures de ce rapport figurent dans le plan d'action « Tous résilients face aux risques », que j'ai présenté il y a quelques jours. Nous allons tout d'abord construire un partenariat de long terme avec une association nationale spécialisée dans la prévention des catastrophes, qui aura la responsabilité de porter le déploiement de cette culture du risque. Son rôle sera notamment de créer des supports pédagogiques en les partageant avec les collectivités, les élus et en les diffusant dans les médias.
Nous suivrons les résultats de cette action en évaluant chaque année par un sondage la culture du risque des Français. Nous organiserons une journée annuelle de la résilience face aux risques dès l'automne, l'année prochaine. Elle aura lieu le 13 octobre, journée internationale de la prévention des risques de l'ONU.
Pendant ces journées, l'État, les collectivités territoriales, les associations, les professionnels qui le souhaitent organiseront de grandes actions de sensibilisation sur tout le territoire. Ce sera l'occasion d'organiser des portes ouvertes, des exercices grandeur nature et des parcours de sensibilisation. Les écoles pourront, à cette occasion, tester leurs plans particuliers de mise en sûreté, de même que les entreprises.
Enfin, nous continuerons d'améliorer l'information de chaque citoyen sur les risques auxquels il est exposé. C'est pourquoi nous allons promouvoir encore davantage le site Géorisques. Ce site permet déjà aux futurs locataires ou acheteurs d'obtenir automatiquement l'information sur les risques auxquels un bien immobilier est soumis. Nous ferons en sorte que ce site soit référencé dans les annonces immobilières.
En somme, avec toutes ces actions, notre objectif est de faire naître et essaimer une vraie culture du risque, qui manque encore dans notre pays. L'idée est qu'une personne, par géolocalisation ou consultation, puisse aller voir près de chez elle ce qui peut se passer. Le site Vigicrues est également un site d'information très intéressant. Cela permettra d'adopter des réactions rapides.
Voilà en résumé les nombreux chantiers auxquels mon ministère a oeuvré depuis l'accident de Lubrizol, dans l'objectif d'améliorer la sécurité de nos sites industriels et notre préparation collective au risque.
Cet accident industriel qui nous a frappés sur le site de Lubrizol il y a deux ans restera une page noire dans notre histoire mais nous sommes en train d'écrire les pages suivantes en mettant en place tous les outils pour qu'un tel événement ne se reproduise plus et, le cas échéant, que nous soyons mieux armés pour y faire face. C'est ainsi que nous progresserons, en augmentant encore et toujours nos exigences et en actionnant tous les leviers qui nous permettront d'avancer, afin de s'assurer que l'histoire de demain ne répète pas celle d'hier.
Je suis à votre disposition pour vous répondre plus précisément sur un certain nombre d'aspects que j'ai évoqués. Je vous remercie pour cette occasion que nous avons aujourd'hui d'échanger.
M. Pascal Martin. - Madame la ministre, merci d'avoir précisé certains points qui, à mes yeux, vont dans le bon sens. La prévention des risques, de toute nature, est une politique publique essentielle car elle permet d'aborder et de concilier de nombreux enjeux, économiques, environnementaux et sociaux.
Lors de l'examen de la loi « Climat et résilience », dont j'ai été l'un des trois rapporteurs, le Gouvernement a proposé la création d'un bureau d'enquête accidents (BEA) pour les risques industriels. Nous avons réécrit ensemble ces dispositions, qui figurent désormais à l'article 288 de cette loi.
Contrairement à ce que vous avez indiqué, Madame la ministre, la loi « Climat et résilience » ne comporte plus d'habilitation à légiférer par ordonnance sur ce sujet pour le Gouvernement car nous avons inscrit les dispositions concernées « en dur » dans la loi, avec l'aide de vos services d'ailleurs comme je viens de l'indiquer.
L'idée de créer ce BEA-RI avait d'ailleurs été soutenue par la commission d'enquête du Sénat et préférée par rapport à l'option consistant à créer une autorité administrative indépendante (AAI). C'est donc un élément positif.
Vous avez pris une instruction en date du 22 janvier 2021 pour préciser le fonctionnement de ce nouveau service et j'ai plusieurs questions à ce sujet. Quels sont les effectifs de ce bureau ? D'abord, j'avais relevé qu'un transfert de trois équivalents temps plein (ETP) avait eu lieu en 2020. Qu'en est-il pour 2021 et 2022 ? Le « bleu » budgétaire de la mission Écologie ne donne que très peu d'informations sur ses effectifs et ses moyens de fonctionnement...
Concernant l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), le Gouvernement a indiqué que le nombre d'inspections annuelles augmentera de 50 % d'ici la fin de l'année 2022, soit 25 000 contrôles effectifs - contre environ 18 000 actuellement - et que 50 postes d'inspecteurs seront créés. La ministre Elisabeth Borne avait d'abord annoncé que ces 50 postes seraient créés en une fois, puis nous avons finalement constaté que ces créations de postes s'étaleraient sur deux ans, lors de l'examen du précédent budget. Pouvez-vous aujourd'hui nous confirmer ces annonces et confirmer le fait qu'elles sont réalistes ? On se souvient en effet que le nombre de visites d'inspection a baissé de 40 % entre 2006 et 2018.
Lors de l'examen du budget 2021, seuls 30 postes sur les 50 étaient prévus. Il m'a été indiqué que les 20 postes supplémentaires étaient bien inscrits au budget 2022, avec les crédits correspondants mais, là encore, il n'y a aucune mention des effectifs ni aucune référence à l'annonce d'Élisabeth Borne dans le bleu budgétaire. Pouvez-vous nous confirmer que ces 20 postes supplémentaires seront bien créés pour 2022, conformément à l'engagement du Gouvernement ?
Concernant les plans de prévention des risques technologiques (PPRT), il n'en reste à l'heure actuelle que quatre en attente d'approbation sur les 389 qui ont été prescrits.
Sur les 16 000 logements concernés par des prescriptions en matière de travaux de protection face aux risques technologiques, seuls 1 426 ont vu leurs travaux réalisés, soit 9 % des logements soumis à travaux et 35 % des logements déjà diagnostiqués pour des travaux. Comment accélérer ce mouvement ? Beaucoup de personnes habitent près de ces établissements.
L'an dernier, le Sénat a voté la prolongation du crédit d'impôt dédié. Les mécanismes conventionnels instaurés entre l'État, l'Agence nationale de l'habitat et le bailleur Procivis permettent de traiter la question de l'avance des travaux. J'aimerais que nous puissions faire un point sur ce sujet. Que faut-il faire de plus ?
Enfin, vous avez évoqué des propositions qui vont dans le bon sens en matière de culture du risque. La commission d'enquête du Sénat avait recommandé la tenue d'exercices de sécurité civile plus fréquents et la mise en place de campagnes d'information grand public pour renforcer notre culture de la sécurité industrielle. Vous avez évoqué le plan « Tous résilients face aux risques » présenté il y a quelques semaines, mais je n'ai pas vu de propositions spécifiques sur les exercices, même si vous venez de rappeler la tenue des exercices réguliers tous les ans pour les seuils hauts et tous les trois ans pour les seuils bas. Comment comptez-vous développer des exercices permettant d'associer plus largement la population ?
S'agissant du système d'alerte des populations en cas d'accident, le Gouvernement s'était engagé à déployer un système de Cell Broadcast permettant de recevoir des notifications associées à des envois ciblés de SMS d'ici 2022. D'après les informations en ma possession, ce sera plutôt dans le courant 2022 mais une première phase de tests aura lieu à Rouen d'ici la fin de l'année 2021. Or nous sommes presque début novembre.
Un cadrage juridique serait encore nécessaire pour fixer les modalités d'échanges des informations entre l'État et les opérateurs, ainsi que les conditions de prise en charge des coûts induits par ce système pour les parties prenantes, à la fois sur le volet investissement et sur le volet exploitation. Le coût total du déploiement pour les finances publiques serait de 50 millions d'euros. Ma question est donc simple : quand ce nouveau système, dont nous parlons depuis des années et que le Sénat appelle à déployer également depuis des années, sera-t-il opérationnel ?
Enfin, je voudrais saluer l'initiative d'organiser chaque année, dès l'année prochaine, une journée dédiée, le 13 octobre, à la résilience face aux risques naturels et industriels. Une des clés de la nécessaire acculturation consiste à faire comprendre aux populations qui vivent proches d'établissements à risques qu'il existe de bons réflexes à acquérir. Cela manque cruellement aujourd'hui et tout ce qui pourra être fait pour sensibiliser les populations sera bienvenu.
Mme Barbara Pompili, ministre. - Des points importants ont été éclaircis sur le fonctionnement du BEA-RI pendant les débats sur la loi « Climat et résilience » et vous y avez contribué, notamment concernant la conduite des enquêtes qui lui seront confiées. Le BEA ne pourra recevoir d'instructions de personne, pas même en termes de communication de ses résultats. C'est très important pour garantir son indépendance et la confiance dans les résultats de ses travaux.
Un lien étroit avec les parquets dans le cadre de l'enquête judiciaire permettra de partager les preuves matérielles pour comprendre rapidement les causes techniques d'un accident et, le cas échéant, renforcer la réglementation nationale en matière de prévention des risques industriels.
En ce qui concerne ses moyens, le BEA dispose aujourd'hui de cinq personnes, ce qui correspond aux besoins exprimés. Dix-sept enquêtes ont été réalisées et huit sont achevées. Le rapport est bien évidemment publié sur le site internet du BEA.
En ce qui concerne les ICPE et le nombre d'inspecteurs, nous étions tombés en 2018 à 18 000 inspections, chiffre historiquement bas. En 2019, puis en 2020, le chiffre s'est situé entre 19 000 et 20 000 à cause du confinement.
En 2021, nous allons dépasser les 23 000 inspections. Les premières actions pour donner la priorité au terrain portent leurs fruits. Pour 2022 et 2023, nous avons fixé des objectifs régionalisés aux préfets. Notre ambition est de dépasser 25 000 puis 27 000 inspections, soit 50 % de plus.
De la même manière, nous tenons nos engagements sur les objectifs annoncés.
S'agissant des PPRT, 385 ont été élaborés à ce jour. Quatre, plus complexes, sont en cours de finalisation. L'approbation de ces quatre derniers PPRT constitue un objectif prioritaire pour les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal).
Il nous faut nous féliciter que, grâce à la mise à jour des études de danger (ED), nécessaires à l'élaboration des PPRT, de très grands progrès aient été réalisés en matière de réduction du risque à la source. 607 biens, logement et activités fortement exposés font l'objet de mesures foncières - expropriations ou délaissements.
Le taux d'avancement des mesures foncières prescrites s'élève à 28 %, la date limite n'étant pas encore atteinte. Cela représente un engagement d'environ 400 millions d'euros, dont 140 millions d'euros pour la seule participation de l'État.
Par ailleurs, environ 16 000 logements sont concernés par des prescriptions de travaux. 12 000 logements font déjà l'objet d'un accompagnement. Plus de 2 100 logements ont fait l'objet de travaux de protection. Ce dernier chiffre, vous l'avez souligné, est assez faible. Il représente 13 % des logements concernés. On est à plus de 50 % par rapport à l'an dernier, mais ces missions prennent du temps et portent leurs fruits surtout lorsqu'elles sont bien comprises et acceptées par la population.
En ce qui concerne les réponses aux recommandations du rapport de la commission d'enquête pour favoriser la mise en oeuvre effective des travaux sur les logements, une convention a été signée entre Procivis et la direction générale de la prévention des risques (DGPR) en juin 2020 afin de permettre aux riverains d'obtenir une avance sur le crédit d'impôt sous forme de prêts à taux zéro. En 2020, 155 foyers ont bénéficié de ce dispositif, pour un montant moyen d'environ 7 500 euros par foyer.
La loi « Climat et résilience » permet désormais le financement par les exploitants et les collectivités des travaux sur les logements concernés et appartenant à des sociétés civiles immobilières. En loi de finances initiale 2021, le crédit d'impôt en faveur des ménages qui réalisent des travaux liés à la mise en oeuvre des PPRT a été prorogé jusqu'au 31 décembre 2023 pour les PPRT approuvés avant le 1er janvier 2016.
Lorsque plusieurs sites Seveso seuil haut sont voisins, on peut mettre en place un PPRT unique afin de pouvoir identifier les superpositions d'aléas.
En ce qui concerne la réalisation de travaux de réduction de vulnérabilité, il avait été considéré que les moyens financiers des collectivités et entreprises, contrairement aux particuliers, ne nécessitaient pas de dispositif de soutien.
Les activités économiques en zone de mesures foncières peuvent, depuis l'ordonnance du 22 octobre 2015, disposer de mesures alternatives. Ce dispositif permet aux biens qui ne sont pas des logements de bénéficier d'un financement pour des mesures de protection, dès lors qu'elles apportent une amélioration substantielle à la protection des populations exposées et que leur coût est inférieur aux mesures foncières qu'elles permettent d'éviter. Lorsque c'est techniquement faisable et que le bilan économique est favorable, il est donc possible de protéger des personnes sur place plutôt que de délocaliser leurs activités.
À ce jour, ce dispositif a été très peu mis en place, puisqu'une seule mesure alternative a été prescrite. Peu d'entreprises en ont formulé la demande.
Je pense comme vous qu'il est important que la culture du risque soit rythmée par une journée dédiée.
Quant aux exercices, ils sont d'ores et déjà renforcés. La feuille de route est plus générale, destinée à poser un diagnostic partagé, à instaurer un label national, à élaborer la boîte à outils adaptée à chaque public. Nous tenons beaucoup à ce que les collectivités soient parties prenantes de ces boîtes à outils, parce qu'elles sont les premiers recours lorsqu'il se passe quelque chose. Nous y sommes donc très attentifs.
De la même manière, pour ce qui concerne les risques industriels, le fait que des acquéreurs de biens soient informés très en amont des risques pesant sur le bien qu'ils achètent me paraît très important.
Bien évidemment, d'autres mesures sont prévues suite à cette mission.
Pour ce qui est du Cell Broadcast, les dates que vous avez données sont justes. On se base sur des expériences qui ont eu lieu ailleurs et qui fonctionnent bien. L'idée est qu'il puisse y avoir une alerte sur un téléphone par le biais de la géolocalisation à partir du moment où le téléphone se situe dans un endroit où il existe un risque, même si le téléphone est éteint ou en mode avion. C'est déjà utilisé aux États-Unis, au Canada, au Japon, aux Pays-Bas, en Italie, en Espagne, en Finlande, etc. Nous avons mis en place un calendrier avec une expérimentation, mais le déploiement général est prévu à l'été 2022.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Madame la Ministre, je tiens d'abord, à titre personnel, à saluer l'élaboration du plan d'action « Tous résilients face aux risques », que vous avez annoncé le 18 octobre dernier.
Je me substitue à Nicole Bonnefoy pour vous poser un certain nombre de questions qui concernent le principe d'indemnisation et le principe pollueur-payeur. Nicole Bonnefoy, consciente que l'enquête judiciaire n'est pas encore arrivée à son terme, se pose la question de savoir si vous considérez que le principe de pollueur-payeur a trouvé à s'appliquer en l'espèce. Des sanctions administratives ont-elles été prononcées contre Lubrizol par vos services déconcentrés depuis l'accident de 2019 ? Et pouvez-vous nous indiquer le montant des sanctions prononcées ?
Par ailleurs, quel est le montant total des indemnisations distribuées par Lubrizol dans le cadre des deux fonds que l'entreprise a mis en place ? Quel est le nombre d'entreprises, d'agriculteurs et de particuliers qui ont bénéficié de ce fonds ? Avez-vous des informations à ce sujet ? Nous avons du mal à y accéder pour ce qui nous concerne.
Seriez-vous en outre favorable à faire évoluer le régime d'indemnisation des catastrophes technologiques actuellement inscrit à l'article L. 128-1 du code des assurances, dont la partie réglementaire prévoit qu'un événement doit rendre inhabitable plus de 500 logements pour que ledit régime puisse être déclenché ?
J'ai également deux ou trois questions sur la culture de la sécurité industrielle. Avez-vous identifié la structure pérenne sur laquelle l'État compte s'appuyer pour la développer ? Vous avez également souligné l'implication des collectivités locales et territoriales dans le plan d'action. Avez-vous une estimation des coûts que cela pourrait représenter pour nos collectivités territoriales ? Celles-ci sont incitées à diffuser des kits, à organiser des ateliers etc. mais je me pose la question du soutien de l'État sur un sujet face auquel les élus se sentent souvent démunis.
En ce qui concerne les moyens, la presse régionale s'est fait l'écho d'une inquiétude des syndicats, notamment à la Dreal Normandie, qui évoquent la suppression de 22 postes d'inspecteurs. Cela a été démenti par la préfecture de région, mais vous allez pouvoir nous apporter un éclaircissement à ce sujet. La région Normandie concentre 103 sites classés, dont 54 à seuil haut. Une suppression de 22 postes d'inspecteurs est-elle véritablement prévue à la Dreal Normandie ?
Enfin, des évolutions législatives sont-elles nécessaires pour que les commissions de suivi de site (CSS) soient les plus opérationnelles possible ? Quel serait le calendrier législatif pour permettre à ces CSS d'exercer pleinement les compétences qui leur seraient dévolues ? Le Gouvernement envisage-t-il de déposer un texte avant la fin de la législature et sinon comment faire aboutir ces évolutions qui me semblent positives ?
Mme Barbara Pompili, ministre. - Concernant le principe pollueur-payeur, pour remettre les choses à leur place, aucune mise en demeure ne pesait sur la société avant l'accident.
Après l'accident, l'administration a prescrit, dans deux arrêtés, l'établissement d'un programme de surveillance environnementale et la prise en charge des frais de toutes les analyses, même celles déjà engagées par l'administration.
Lubrizol a pris en charge toutes les dépenses d'analyses imposées par l'administration, n'a pas contesté le remboursement de toutes les analyses effectuées en direct par l'administration et a également mis en place deux fonds d'indemnisation, l'un pour les agriculteurs, l'autre pour les entreprises et les collectivités.
La loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), postérieure à l'accident, a clarifié les responsabilités de chacun. Les dépenses correspondant à l'exécution des analyses, expertises ou contrôles nécessaires pour l'application du présent titre, y compris les dépenses que l'État a engagées ou fait engager dans le cadre de la gestion ou du suivi des impacts et conséquences d'une situation accidentelle, sont à la charge de l'exploitant.
L'article 280 de la loi « Climat et résilience » a introduit dans le code de l'environnement un délit général d'atteinte au milieu physique - eau, sol, air. Il s'agit de l'article L. 231-1. Le délit d'écocide a été consacré lorsque les mêmes faits sont commis de manière intentionnelle.
En ce qui concerne les indemnisations, plus de 550 dossiers ont été ouverts auprès du fonds d'indemnisation généraliste concernant les activités économiques. En ce qui concerne les exploitations agricoles, un grand nombre a été concerné par le dispositif. Plus de 1 100 dossiers d'indemnisations ont été ouverts. Ils sont en cours de traitement par Lubrizol. Les premiers remboursements ont démarré en novembre 2019.
La rédaction actuelle du code des assurances ne s'oppose pas à un remboursement amiable aux victimes d'un accident, par l'assureur ou le responsable du sinistre, du montant de la franchise prévue dans le contrat d'assurance.
Votre rapport avait recommandé l'action de groupe environnemental, qui permet d'obtenir la réparation des préjudices corporels ou matériels. Elle doit être menée par une association agréée dont l'objet statutaire comporte la défense des victimes de dommages ou la défense des intérêts économiques de leurs membres, ou par une association agréée de protection de l'environnement.
Une réflexion globale est en cours s'agissant du périmètre de cette action de groupe. La transposition de la directive européenne sur les actions représentatives en cours de négociation pourrait être l'occasion de faire le bilan des différentes actions de groupe et d'apprécier si des évolutions doivent être envisagées à la lumière des retours d'expérience.
Un dégrèvement de la taxe sur le foncier non bâti (TFPNB), à hauteur de 80 % de l'impôt 2019, a été accordé aux agriculteurs sur l'ensemble des parcelles des communes concernées par les arrêtés de restriction pris début octobre 2019. C'est un geste fiscal et non une indemnisation. Il s'agit d'un accompagnement dans une situation économique difficile, alors que l'indemnisation consiste en la réparation du préjudice. Il faut vraiment faire toute la nuance, c'est important. Toutes les indemnisations restent à la charge du pollueur.
S'agissant de la structure pérenne destinée à développer la culture du risque, un appel d'offres est en cours. Elle sera désignée à l'issue de cette procédure.
S'agissant des coûts, on ne demande finalement pas grand-chose aux collectivités territoriales. On va les associer et, par le biais de cette structure pérenne, leur fournir des documents qui vont leur servir de supports. Il existe des possibilités pour les collectivités d'organiser des manifestations, mais c'est à chaque collectivité de décider de ce qu'elle veut faire. Ce qu'il faut, c'est qu'elles aient des supports, notamment techniques. Toutes les collectivités n'ont pas forcément des services leur permettant de le faire. C'est un point sur lequel nous allons porter une attention particulière.
Quant à la suppression de 22 postes d'inspecteurs, j'en ai entendu parler. J'ai bien vérifié avec la Dreal Normandie : dans l'ensemble, on est sur une augmentation du nombre de postes mais une notification a permis de pérenniser un poste en unité départementale dans l'équipe risque Rouen-Dieppe, sur des thématiques en lien direct avec le retour d'expérience de Lubrizol.
La Dreal Normandie a en fait supprimé des fiches de postes non publiées inscrites à l'organigramme mais qui étaient en large surnombre par rapport à leur dotation budgétaire. L'origine du surnombre vient du fait que l'organigramme n'avait pas pleinement intégré la fusion des régions et la rationalisation qu'elle a permise. Cette réduction vise à s'assurer que les postes prioritaires des inspecteurs ICPE seront effectivement pourvus et à adapter son organisation à la dotation en postes, en évitant de faire croire aux agents que tous les postes de l'organigramme vont être un jour pourvus.
Concernant les commissions de suivi de site (CSS) et l'évolution de la législation, je ne sais pas trop où on en est. Je pourrai vous apporter une réponse plus précise lorsque j'aurai des éléments.
M. Didier Mandelli. - Madame la ministre, mes collègues l'on rappelé, deux décrets et cinq arrêtés ont été publiés au Journal officiel en septembre 2020 pour renforcer les obligations applicables aux sites Seveso et la prévention des incendies dans le stockage de liquides inflammables et combustibles, ainsi que dans les entrepôts.
En complément, trois arrêtés ont été pris à la rentrée 2021.
France Chimie a indiqué que le coût de ces mesures représenterait entre 1 et 3 milliards d'euros pour les industriels : votre ministère a-t-il réalisé une étude d'impact sur le plan financier ? Confirmez-vous ce chiffrage approximatif ?
Par ailleurs, le décret n° 2020-1169 du 24 septembre a conduit à étendre le champ du régime de l'enregistrement à plusieurs rubriques du régime ICPE, dont certaines relevaient auparavant de l'autorisation. Nous sommes toujours soucieux de la simplification mais : cette mesure n'est-elle pas contradictoire avec votre volonté - que nous partageons - de renforcer la prévention des risques industriels ? On souhaite d'un côté la simplification et, de l'autre, on allège des procédures qui garantissaient une certaine sécurité. Comment trouver l'équilibre ?
Enfin, on a assisté à une certaine progression du nombre d'accidents sur les sites Seveso depuis quelques années, passant de 15 % des 827 accidents et incidents recensés en 2016 à 25 % sur un total de 1 112 accidents en 2018. L'année 2020 a été plus favorable, avec moins d'accidents mais, globalement, le niveau est supérieur à celui constaté en 2013.
Quel regard portez-vous sur cette hausse de l'accidentologie industrielle ? L'augmentation des accidents est-elle due à une augmentation globale du nombre d'ICPE, à un vieillissement du parc industriel, voire les deux, ou à d'autres facteurs, comme l'absence de contrôle ou de procédure ?
Mme Barbara Pompili, ministre. - En ce qui concerne les coûts, beaucoup d'incertitudes demeurent. Trois milliards d'euros constituent une fourchette haute.
Le décret du 26 septembre que vous mentionnez concernant le régime d'enregistrement porte sur des entrepôts en zone urbanisée. L'important réside d'abord dans les prescriptions applicables et celles-ci ont été largement durcies. Toutes les entreprises ont intérêt à se lancer dans un certain nombre de prescriptions. C'est la pérennité de leur outil industriel qui est en jeu. Attendons de voir ce que donnent les différentes études qui vont être réalisées pour en savoir un peu plus.
Des simplifications réglementaires ont eu lieu dans un contexte post Lubrizol. On est là dans une démarche de simplification du cadre applicable aux ICPE qui est menée depuis une dizaine d'années par le Gouvernement, qui vise à rendre plus efficaces un certain nombre de procédures.
C'est l'écologiste qui vous parle : ce ne sont pas les procédures les plus complexes et les plus longues qui sont les plus payantes. Il faut donc étudier les choses au cas par cas et essayer d'être le plus pragmatique possible.
La loi « ASAP » que j'évoquais tout à l'heure a poursuivi la simplification en garantissant une plus grande lisibilité et une plus grande transparence pour permettre une large participation du public, ainsi que le même niveau de protection pour les enjeux environnementaux, qu'il s'agisse d'espèces protégées, de paysages ou d'impacts sur les milieux aquatiques.
Il n'a jamais été question de simplifier les règles de sécurité applicables aux installations industrielles. Au contraire, je me suis engagée à tirer tous les enseignements de l'incendie de Lubrizol. Le plan d'action qui a été conçu prévoyait de nombreuses mesures de renforcement des prescriptions applicables en matière de prévention des incendies pour les entrepôts de matières combustibles et les stockages, des mesures visant à mieux anticiper les conséquences des incendies en tenant compte des matières stockées et en identifiant les substances susceptibles d'être émises.
Les principaux textes qui instaurent ces obligations sont applicables au stockage de liquides inflammables soumis à autorisation, aux entrepôts et aux installations Seveso. Les textes applicables aux installations stockant des liquides inflammables soumises à enregistrement et déclaration sont parus le 22 septembre dernier.
Les gains d'efficacité attendus par les mesures de simplification de procédure vont permettre de libérer les ressources des administrations pour consacrer plus de temps aux contrôles sur le terrain, notamment pour vérifier la bonne mise en oeuvre de ces nouvelles régulations. Il est important de mettre les moyens là où ils sont nécessaires.
En ce qui concerne l'évolution du nombre d'accidents, à périmètre comparable, les accidents dans les sites Seveso sont stables. Le nombre d'accidents baisse dans les autres ICPE. La directive « Seveso » fixe des critères de qualification d'un accident majeur en fonction des conséquences qui sont observées. Au regard de ces critères, le nombre d'accidents majeurs recensés en France reste stable. Depuis 2017, on compte trois à six accidents par an.
C'est bien entendu toujours trop. À titre d'exemple, la France connaît jusqu'à deux fois moins d'accidents par site Seveso que l'Allemagne. D'après les dernières statistiques publiées par le Bureau d'analyse des risques et pollutions industrielles (BARPI), une baisse significative des accidents a été constatée en 2020. Je parle là des accidents majeurs et non majeurs.
Au fil des années, l'inspection des ICPE a sensibilisé les exploitants afin de remonter l'ensemble des incidents et accidents, même mineurs. C'est peut-être cela qui entraîne la hausse dont vous parlez. Cette volonté d'enregistrer l'ensemble des événements induit un effet statistique sur les événements recensés dans la base de données. Les événements enregistrés dans la base « Aria » sont en effet constitués de l'ensemble des situations dégradées, des incidents, des accidents et des accidents majeurs.
Il n'en reste pas moins que nous observons une augmentation de l'accidentologie dans certains secteurs, notamment celui des déchets et de la pétrochimie. Grâce à ce retour d'expérience, des actions de contrôle ciblées sont menées par l'administration pour renforcer les contrôles de sécurité d'exploitation dans ces secteurs. La réglementation peut aussi être ajustée en conséquence, ce qui a été le cas en 2021. J'ai eu l'occasion d'en parler à un certain nombre d'entre vous récemment à propos des méthaniseurs.
Mme Angèle Préville. - Madame la ministre, je souhaiterais revenir sur le fait qu'il n'ait été mis en place aucun registre de suivi des maladies émergentes - cancers, malformations ou autres -, même si les informations ont pour l'instant été rassurantes en matière de santé. Si on ne le fait pas, on ne verra rien émerger et, si cela se produit, il sera ensuite très difficile à nos concitoyens de faire reconnaître ces maladies. Une gestion responsable devrait conduire à mettre cela en place automatiquement.
En outre, le BEA-RI s'occupera-t-il de la prévention ? S'assurera-t-il que les quantités sont répertoriées dans tous les sites de stockage de produits chimiques ? J'avais déposé un amendement dans le cadre de la loi « Climat et résilience » pour mettre en place une autorité de sûreté chimique qui assurerait un suivi très précis des quantités de produits chimiques stockées voire, en cas d'incendie, des produits de combustion, ce qui a manqué lors de l'accident de Lubrizol.
Enfin, une association de citoyens a mis en place un institut écocitoyen d'expertise indépendante. Qu'en pensez-vous ?
Mme Barbara Pompili, ministre. - En ce qui concerne l'évaluation des impacts sanitaires, cela relève aussi du ministre de la santé.
Rapidement, après l'incendie, Santé publique France a été saisie par la direction générale de la santé (DGS) pour proposer une stratégie d'évaluation de l'impact sanitaire de l'événement. L'agence a alors proposé et mis en oeuvre plusieurs études, dont une étude de santé déclarée en population. Cette étude, appelée « Une étude à l'écoute de votre santé », a permis de recueillir des informations sur le ressenti de la population quant à l'impact physique et psychologique de l'incendie.
Les résultats de cette étude ont été publiés le 5 juillet dernier. Ils montrent qu'au cours de l'incendie, 60 % des habitants de la zone étudiée ont ressenti au moins un symptôme ou un problème de santé qu'ils attribuent à l'accident - symptômes psychologiques, ORL, oculaires, respiratoires, ou encore troubles du sommeil.
Un an après, on observe que la population perçoit une altération globale de la santé essentiellement en matière psychologique. En revanche, les effets physiques ne sont quant à eux plus significatifs un an après.
Une deuxième étude a été mise en place portant sur un suivi pendant plusieurs années d'indicateurs de santé à partir du système national des données de santé (SNDS). Cette surveillance renforcée a été organisée afin de détecter des événements de santé dont la survenue à distance de l'accident pourrait être reliée aux conséquences de l'incendie. Cela permet de suivre, dans le temps, l'état de santé des personnes qui résidaient dans la zone impactée au moment de l'accident, même si elles déménagent.
Cette surveillance permet également de repérer tout signal d'évolution de tendance par rapport à la population générale et ainsi de déclencher, le cas échéant, des investigations ciblées. Les premiers résultats qui concerneront les effets à court et moyen termes de l'accident sont prévus à partir du premier trimestre 2022. Il s'agit plus d'un calendrier resserré, notamment rendu possible par la mise à contribution des données du SNDS, que de la mise en place d'un registre spécifique. Nous avons préféré utiliser cette voie au vu des éléments d'analyse qui ont été présentés.
Enfin, nous avons défini une cohorte de populations composée de l'ensemble des personnes intervenues au cours de l'incendie pour les soumettre à un programme de biosurveillance. Je pense notamment aux pompiers. La surveillance de l'état de santé de ces personnes est assurée par les services de santé au travail, qui ont notamment organisé la réalisation de bilans biologiques.
En plus de cette surveillance sanitaire, Santé publique France a proposé un suivi complémentaire de l'état de santé des intervenants. Un groupe d'alerte de santé au travail a été mis en place. Au regard des résultats réalisés par la médecine du travail, il a été proposé d'inscrire les conditions d'exposition à l'incendie dans les dossiers médicaux de ces personnes et de mettre en place une surveillance épidémiologique à partir du SNDS. Ce suivi, sur plusieurs années, des populations exposées s'apparente à une cohorte.
S'agissant de la biosurveillance, Santé publique France a analysé la pertinence et la faisabilité de mettre en place une étude de biosurveillance pour la population générale et a conclu à la non-pertinence de conduire une telle étude, l'analyse des données environnementales, en l'état actuel des connaissances, n'ayant pas permis de conclure à l'observation d'une contamination par l'incendie différenciable d'une pollution industrielle historique. Aucun élément objectif n'apparaît en faveur d'une surexposition des populations riveraines aux substances qui ont été identifiées.
Néanmoins, afin de prendre en compte le retour d'expérience de Lubrizol, les rapports d'enquête recommandent d'anticiper cette question en cas de survenue d'un nouvel accident. La DGS et la direction générale du travail (DGT) ont saisi Santé publique France pour que l'agence propose les modalités d'évaluation des expositions des intervenants et de la population générale à court, moyen et long termes suite à un accident technologique incluant l'évaluation de la pertinence et de la faisabilité de réaliser des mesures biologiques dans la phase d'urgence à plus long terme.
Quant au BEA-RI, il est destiné à intervenir par la suite. Il émet évidemment des recommandations suite aux conclusions des enquêtes.
Dans le cas du nucléaire, on a besoin d'une autorité de sûreté indépendante parce qu'il existe une position particulière de l'État dans la gouvernance des principaux exploitants. EDF, Orano, le CEA sont des organismes où l'État a une place prépondérante. C'est pourquoi nous avions besoin d'une autorité indépendante garantissant que les questions de sûreté seraient examinées sans subir le poids de l'État. Tout le monde est plutôt satisfait de la manière dont fonctionne l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui fait un très bon travail, que je salue.
Ici, on n'est pas du tout dans le même cas, les sites Seveso étant principalement des entreprises privées. Séparer le contrôle des sites Seveso du contrôle des sites non Seveso ne va pas de soi. Ce serait une séparation artificielle, d'autant qu'il existe des sites non Seveso qui présentent aujourd'hui des risques importants et qui font l'objet d'un suivi par les mêmes équipes. La séparation de l'inspection des ICPE en deux blocs ne permettrait plus de conserver les pôles d'expertise régionaux qui offrent un haut niveau de compétences. Je ne vois pas ce que cela pourrait apporter de plus par rapport à ce qui existe aujourd'hui.
Je pense qu'il faut conserver la fluidité qui existe, notamment grâce à la présence de l'inspection des ICPE au sein des Dreal et des services en charge de la biodiversité, qui contribuent à l'autorisation environnementale unique. On complexifierait les choses sans les améliorer. Voilà pourquoi nous ne sommes pas allés dans ce sens.
Quant aux produits de combustion, la réglementation a été mise en place à la suite des événements de Lubrizol, ainsi que je l'ai déjà détaillé.
Enfin, concernant l'institut écocitoyen indépendant que vous évoquez, dès lors qu'il existe une grande transparence sur les sites, je ne vois aucun inconvénient à ce que des organisations citoyennes puissent examiner les informations mises à leur disposition, au contraire. C'est un fonctionnement démocratique normal.
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Madame la ministre, on ne peut que se féliciter de ce que vous venez de dire. J'approuve également l'idée d'une journée de la résilience, bien que le terme mérite d'être précisé. C'est une excellente initiative.
J'aimerais par ailleurs savoir par quel canal remonte les informations sur les exercices. Qui est chargé d'en faire la synthèse ? Certes, nous vivons une crise sanitaire mais peut-on savoir combien d'exercices ont eu lieu en 2020 sur notre territoire ? Combien ont associé des populations ? Quelles ont été les difficultés rencontrées ?
Après les élections municipales, a-t-on sensibilisé les nouvelles équipes aux risques qui exposent leurs territoires ? Avez-vous des éléments à nous communiquer à ce sujet ?
Enfin, la commune de Solaize, dans le couloir de la chimie, comporte des sites Seveso et une gare de triage qui relève d'une réglementation internationale. La réglementation Seveso offre un certain nombre d'aides aux habitants, ce qui n'est pas le cas pour ce qui concerne la réglementation de la gare de triage. Pour nos concitoyens, c'est incompréhensible. Dans de tels cas exceptionnels, peut-il y avoir une réflexion pour être crédible sur le terrain vis-à-vis des populations que l'on représente ?
Mme Barbara Pompili, ministre. - Je vous confirme que les conclusions de la commission d'enquête ont été précieuses. En tant qu'ancienne députée, j'ai toujours à coeur de veiller à ce que les travaux des parlementaires, notamment dans le cadre des commissions d'enquête, donnent lieu à des suites, parce qu'il s'agit d'un travail de qualité. Quand les propositions sont bonnes, autant les utiliser ! Vous pouvez être certains que j'étudierai toujours avec grand intérêt les travaux du Parlement. C'est une question d'intérêt général.
Je ne connais pas le nombre d'exercices réalisés en 2020 mais je peux vous en communiquer le chiffre. C'est le préfet qui organise les exercices et en tire les retours d'expérience. C'est un sujet géré au niveau local, et c'est d'ailleurs très bien ainsi.
S'agissant de la commune de Solaize, les gares de triage ne sont pas dans le champ de la directive Seveso. La loi sur les PPRT n'est par ailleurs pas étendue à ces installations, mais nous allons préparer un document suite à la mission de Frédéric Courant, notamment pour donner un peu plus d'informations aux collectivités sur les risques auxquels elles sont exposées, les moyens d'y faire face et sur le fait d'y associer la population.
Il n'y a pas grand-chose à changer en termes de réglementation mais ce sont des documents très longs, très techniques, complexes à lire. Frédéric Courant souhaite remettre aux collectivités une version grand public pour qu'elles puissent s'en saisir. Quand on a une responsabilité d'élus ou quand on est citoyen, on n'a pas besoin de connaître le détail du fonctionnement de telle ou telle réglementation mais de savoir ce qu'on doit faire quand il arrive quelque chose. S'il se passe quelque chose dans la gare de triage, la réaction doit être la même que s'il arrive un problème sur un site Seveso. Il faut qu'on puisse rassurer les élus. C'est la façon la plus simple de faire vivre la culture du risque dans notre pays et de donner à nos élus des outils pour y arriver.
Les exercices sont très importants et c'est une bonne chose que le préfet en organise régulièrement mais, face à l'urgence, je pense que des indications simples sont la meilleure procédure à suivre.
Mme Marta de Cidrac. - Madame la Ministre, le rapport de la commission d'enquête préconise notamment de diversifier la composition des structures de concertation sur les risques au niveau local. Des instructions ont-elles été données pour que les élus autour des sites Seveso y soient pleinement associés ?
Par ailleurs, la commune de Saint-Germain-en-Laye abrite le Syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne (Siaap), site Seveso que vous connaissez. Les élus de tels sites ne sont pas associés au conseil d'administration ni au conseil de surveillance, pas plus qu'à aucune autre instance. Je plaide pour que cela évolue. Comptez-vous aller en ce sens ?
Mme Barbara Pompili, ministre. - Tous les éléments qu'on peut mettre à la disposition des collectivités permettent de mieux les outiller pour faire face au risque. Je l'ai dit à la suite de la mission de Frédéric Courant.
Quant à la présence des élus dans les conseils d'administration d'entreprises Seveso, il faudrait voir comment faire évoluer la réglementation, mais il s'agit d'entreprises privées. Cela me paraît juridiquement compliqué : on porte là atteinte à un certain nombre de droits et principes.
Mme Marta de Cidrac. - Aujourd'hui, les élus de Paris et de la Seine-Saint-Denis sont associés à la gouvernance du Siaap, contrairement aux élus des Yvelines ou du Val d'Oise.
Pascal Martin connaît très bien le dossier. Ceci mériterait d'évoluer. C'est une demande récurrente des élus des Yvelines et du Val d'Oise, qui est limitrophe. Je voulais vous soumettre cette question, en espérant que les Yvelinois seront un jour entendus.
Mme Barbara Pompili, ministre. - Il s'agit ici d'un syndicat et non d'une entreprise privée, dont la structure est prévue par des textes. Je vous confesse mes limites sur le sujet mais cela ne me paraît pas si évident.
Mme Marta de Cidrac. - Il y a là une certaine iniquité vis-à-vis des territoires et de leurs élus.
M. Philippe Tabarot. - Madame la ministre, le rôle du maire est consacré par la loi dans le cadre des plans communaux de sauvegarde (PCS) mais la réalité diffère un peu. Les maires et les communes sont en réalité quelquefois dessaisis de leur rôle opérationnel lors de catastrophes de toutes sortes. Ils agissent souvent à vue, avec courage et lucidité.
Notre commission se rendra dans quelques semaines dans les Alpes-Maritimes, qui sont régulièrement touchées par des catastrophes naturelles. Triste hasard du calendrier, un an après la tempête Alex, face à une alerte orange et rouge signifiée début octobre, les PCS se sont activés. Le préfet a pris, comme l'année dernière, une sage décision en fermant toutes les écoles du département pour éviter les flux de circulation à l'heure de la sortie des écoles.
Un problème de forme est toutefois apparu : c'est par une alerte du quotidien régional que les parents connectés ont appris cette nouvelle, en même temps que les communes. Même les inspecteurs d'académie du secteur n'étaient pas au courant. Les communes, comme à leur habitude, n'ont pas ménagé leurs efforts mais les standards des écoles et des mairies ont été pris d'assaut par cette nouvelle au même moment. Peut-être faut-il trouver une meilleure procédure, avec des mesures à mettre en place entre le préfet et les maires pour gérer, en amont, une possible catastrophe.
Enfin, s'agissant de Lubrizol, vous avez lancé tous azimuts un nombre de prélèvements air-terre-eau conséquents. Pourtant, malgré ces multiplications et des communications récurrentes de la préfecture, les associations que nous avons reçues ne semblent pas convaincues de la transparence des données. Comment expliquez-vous cette défiance persistante ? La transparence est-elle vraiment totale ?
Mme Barbara Pompili, ministre. - Le département des Alpes-Maritimes a, il est vrai, largement expérimenté la question des risques naturels...
La commission d'enquête a émis des recommandations relatives au plan particulier d'intervention (PPI) et aux PCS. Ce sont de bonnes recommandations. Vous parliez de coordination entre les différents niveaux. L'idée d'élaborer des PCS au niveau intercommunal me paraît une première réponse à votre question : cela permet de renforcer l'articulation entre le PPI et le PCS. Cela permettrait aussi une meilleure coordination entre les actions de l'État et les collectivités territoriales en matière opérationnelle et de renforcer l'appropriation des risques industriels, technologiques et naturels par les élus.
Dans la même optique, une bonne pratique consiste à associer systématiquement les élus aux exercices menés en application des PPI et à les tenir informés des retours d'expérience de ces entraînements. Cette bonne pratique doit être développée partout et poursuivie : quand c'est mis en place, cela permet une meilleure réactivité.
Les préfets ont pour objectif de renforcer l'aide technique apportée aux communes par les services de l'État pour accompagner l'élaboration des PCS et des documents d'information communale sur les risques majeurs (DICRIM), y compris pour les collectivités qui s'engagent dans cette démarche de façon volontaire.
Quant à la transparence, on a démontré qu'on la souhaite la plus importante possible. Ce n'est pas qu'une philosophie : plus de transparence entraîne plus de confiance, permet de rassurer les populations sur certains points et de dégonfler des bulles d'inquiétude.
On a réalisé une analyse de l'état des milieux, avec un protocole spécifique de mesure des contaminants dans les sols et les végétaux. Plus d'un millier de prélèvements ont été effectués. Au total, depuis l'accident, l'État a imposé plus de 6 500 prélèvements. 368 000 données ont été analysées et intégralement rendues publiques. C'est la première fois qu'un protocole aussi ambitieux est mis en oeuvre.
Les résultats relatifs à 112 communes de Seine-Maritime et 104 communes des Hauts-de-France ont été rendus publics dès 2020.
Les résultats pour la Seine maritime sont plutôt rassurants. Aucune anomalie particulière, mis à part quelques traces de plomb et de benzopyrène, polluants que l'on retrouvait déjà dans certains sols de la région, en lien avec des pollutions historiques, dont la présence, a priori, ne peut pas être imputée à l'incendie.
Une étude de suivi de la qualité de l'air par bio-indicateurs a été réalisée et rendue publique durant l'été 2021. Il s'agissait de prélèvements de lichens dans le cadre de deux campagnes menées fin 2019 et fin 2020. Le marquage des lichens en hydrocarbures est cohérent avec le passage du nuage. Un retour au niveau antérieur a été enregistré dans les délais attendus. Cette campagne a permis de conforter la signature chimique de l'incendie et la pertinence des autres suivis environnementaux.
D'un point de vue sanitaire, en complément de ce que j'ai déjà dit, une évaluation quantitative des risques sanitaires (EQRS) a été réalisée par les exploitants à la demande de l'administration. Elle a permis, sur la base de différents scénarios d'exposition, de modélisation et de données de campagnes d'analyses, d'évaluer les risques potentiels pour la population liés à l'exposition de court, moyen et long termes. Elle n'a mis en évidence de dépassement de la valeur cible qu'au plus proche de l'incendie.
Il s'agit d'un scénario d'inhalation de ce qui est passé dans l'air à ce moment-là. Ce sont des effets réversibles, de type irritation ponctuelle pour les personnes les plus fragiles, sachant que les accès à ces zones ont été limités très rapidement le jour de l'incendie.
Une expertise de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) est en cours. Son rapport sera présenté par le préfet.
Nous avons mis tous les éléments sur la table et avons publié les résultats.
Cet incendie a fait des victimes qui n'ont pas forcément subi de troubles physiques mais qui peuvent supporter des effets psychologiques très importants. C'est peut-être aussi pour cela que certaines personnes qui vivent dans ces territoires disent avoir besoin de plus d'éléments, pour trouver une réponse au mal-être et aux symptômes qu'ils ressentent. Nous ne pouvons leur fournir que les éléments dont nous disposons, que nous avons déjà mis sur la table.
M. Gilbert Favreau. - Madame la Ministre, tout le monde ici a perçu le désarroi des associations de victimes que la commission a reçues. Il y a chez elles un sentiment d'injustice et de non aboutissement d'une procédure qui est longue.
Lubrizol est-il toujours dans une logique de défausse et essaie-t-il de faire porter le chapeau par un autre, comme cela a été évoqué ? Si c'est le cas, il faut que Lubrizol prouve le fait de ce tiers. Apparemment, ce n'est pas le cas. Lubrizol apparaît donc comme responsable. Il peut y avoir un problème avec l'assureur de Lubrizol, mais cela paraît acquis : Lubrizol reste le responsable majeur du sinistre.
Pour ce qui est des dommages, certains sont décelables mais il y a tous les autres. Les victimes doivent savoir que si la preuve n'est pas apportée que les dommages sont imputables à cet incendie, elles auront beaucoup de mal à être indemnisées. C'est un petit peu le problème de ce dossier. Le rôle de l'État est de le leur expliquer, pour que personne ne puisse s'imaginer que l'État ne s'occupe pas d'eux comme il le devrait.
Mme Barbara Pompili, ministre. - On a pu mettre très vite en place des mesures d'indemnisation de type pollueur-payeur. Cela a été fait très vite et Lubrizol a d'ailleurs payé sans barguigner.
Pour le reste, je me mets à la place des victimes et je comprends très bien ce besoin de faire toute la lumière sur ce qui s'est passé et de savoir qui est responsable de quoi. C'est très important pour en tirer des conséquences. C'est le rôle de la justice. On est là en plein dans le champ de l'enquête judiciaire sur la cause précise de l'incendie.
Il est très difficile de savoir qui est responsable entre Lubrizol et Normandie Logistique. Lubrizol semble essayer de se défausser sur Normandie Logistique. De toute façon, en tant qu'exploitant ICPE, il est responsable aux yeux de la loi.
Je ne peux en dire beaucoup plus à ce stade, l'enquête étant en cours. Nous suivrons comme vous ce qui en est déduit.
M. Didier Mandelli. - Je suis élu d'un département qui a connu une catastrophe naturelle, Xynthia, qui a causé 35 morts pour le seul département de la Vendée, il y a 11 ans. Le traumatisme est toujours très présent.
J'étais secrétaire général de l'association des maires à l'époque. Nous avons eu un afflux considérable de dons de communes de toute la France pour aider les sinistrés mais aussi les communes dont les biens ou les ouvrages, pour certains, n'étaient ni assurés ni assurables. Je pense à la voirie, au mobilier urbain, etc.
On a collecté tellement de fonds qu'on a pris la décision de recruter une chargée de mission, en lien avec les services de l'État, le département et le service départemental d'incendie et de secours (SDIS), pendant trois ans. Elle a réalisé 100 % des PCS. À peine 8 à 10 % avaient été faits.
Des communes, qui n'étaient pas littorales pour la plupart, ont pris conscience de la situation suite à la catastrophe. Philippe Tabarot a raison : il faut une prise de conscience et un pilote qui permette d'accompagner tous ces sujets sur le plan administratif.
Mme Barbara Pompili, ministre. - C'est une expérience intéressante qui démontre qu'il faut malheureusement souvent un fait générateur pour se mobiliser. Il faut essayer de prendre un peu de hauteur et réagir avant.
Ce que vous dites est important : on n'y arrive pas seul. C'est pourquoi j'évoquais les PCS intercommunaux, qui figuraient dans le rapport de la commission d'enquête sénatoriale. Il est beaucoup plus simple d'y arriver en commun et en faire bénéficier le plus grand nombre, y compris ceux qui n'ont pas forcément la connaissance du sujet ou qui ne sont pas sur le littoral.
Le préfet est également là pour aider les élus qui en ont le plus besoin à passer ce cap. Merci pour ce retour d'expérience, qui est révélateur du fait que, lorsqu'on s'unit, on y arrive mieux.
Mme Évelyne Perrot. - Madame la ministre, une population traumatisée par une catastrophe le demeure longtemps.
Dans mon secteur, celui du Grand Est, Tchernobyl est toujours présent dans les esprits et le manque de confiance vis-à-vis de l'État est toujours là. Beaucoup de personnes ont encore des problèmes de thyroïde. Il est difficile ensuite de retrouver une démarche citoyenne vis-à-vis des catastrophes.
Mme Barbara Pompili, ministre. - Je partage votre avis, madame la sénatrice. Nous avons un héritage et nous devons faire avec.
Le mieux est de toujours croire en l'intelligence collective, de donner des outils, et d'associer le plus de monde possible, de mettre en place des commissions locales d'information, de donner accès aux informations, de favoriser - pourquoi pas ? - le développement de comités d'expertise citoyens avec qui on partage des informations, afin de restaurer cette confiance. Ce n'est pas simple.
M. Jean-François Longeot, président. - Madame la ministre, vos réponses nous apportent un meilleur éclairage sur la gestion de cette onde de choc. Vous l'avez dit, même si on prend toutes les précautions en amont, le risque zéro n'existe pas. Nous pouvons nous réjouir que 37 des 40 recommandations de la commission d'enquête du Sénat aient été entendues et aient donné lieu à des mesures de la part du Gouvernement, comme vous l'avez rappelé.
Nous resterons bien entendu vigilants, car nous devrons vérifier que l'on passe bien de la parole aux actes et que la responsabilité pollueur-payeur est bien reconnue.
La séance est close à 18 heures 50.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.