Mardi 5 octobre 2021
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois et M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Projet de loi en faveur de l'activité professionnelle indépendante - Audition de M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Nous recevons, en commun avec la commission des affaires économiques, la commission des affaires sociales et la délégation aux entreprises, le ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises. Je vous prie d'excuser la présidente Catherine Deroche qui n'a malheureusement pas pu se libérer.
Le texte que vous nous présentez - le projet de loi pour l'entreprenariat individuel - a un caractère novateur, notamment sur la question du patrimoine de l'entrepreneur individuel. Il s'inscrit dans le cadre du plan pour les indépendants que vous avez annoncé.
Monsieur le ministre, après la présidente de la commission des affaires économiques et le président de la délégation sénatoriale aux entreprises, les rapporteurs puis nos collègues vous poseront leurs questions.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - C'est la première fois que nous entendons M. le ministre en présentiel depuis sa prise de fonctions - je m'en réjouis !
La situation économique et sociale des travailleurs indépendants a été fortement affectée depuis un an et demi. Nombre d'entre eux ont dû alterner entre des périodes d'activité et d'interminables périodes de morosité économique. Certaines estimations concluent même à une perte moyenne de leur chiffre d'affaires d'environ 17 %, soit deux fois plus que la baisse d'activité enregistrée en France, qui a atteint 8,3 % du PIB en 2020.
Bien sûr, tous les secteurs d'activité n'ont pas été touchés avec la même intensité, et les travailleurs indépendants dans les domaines du tourisme, de la restauration et de l'événementiel ont été les plus affectés. Je pense également aux salles de sport indépendantes.
Face à cela, l'État, aiguillé par les remontées de terrain émanant entre autres du Parlement, a mis en place rapidement un arsenal de mesures de soutien qui se sont révélées plutôt efficaces. Mais le moment où les entrepreneurs vont devoir rembourser une partie des aides, comme les prêts garantis par l'État (PGE) ou les reports de charges fiscales et sociales, n'est pas encore complètement arrivé. Quels sont les dispositifs prévus pour accompagner les commerçants, artisans et professions libérales qui risquent de devoir affronter prochainement un nombre important de décaissements ? Nous parlons, pour une grande part, de PME et de TPE, dont les trésoreries restent fragiles et la capacité d'endettement amoindrie.
L'article 1er du projet de loi ambitionne de protéger le patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel, qui ne l'était pas jusqu'à présent. Rien ne dit en revanche que ses créanciers cesseront de lui demander des garanties ou cautions personnelles. Dès lors, la portée d'une telle mesure semble moindre. Confirmez-vous l'analyse selon laquelle l'entrepreneur individuel pourra toujours être amené à s'engager sur son patrimoine personnel ?
M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - Le sujet des travailleurs indépendants figure parmi les priorités de notre délégation aux entreprises depuis longtemps. Le 12 novembre 2020, nous avions consacré une table ronde à la situation des indépendants face à la crise. En juillet dernier, dans le cadre des travaux de Martine Berthet, Michel Canévet et Fabien Gay sur les nouveaux modes de travail, la délégation a adopté une série de recommandations relatives aux travailleurs indépendants : certaines d'entre elles, telles que l'assouplissement des conditions d'accès à l'allocation des travailleurs indépendants (ATI) et aux dispositifs d'assurance volontaire contre le risque des accidents du travail et des maladies professionnelles, figurent dans votre plan. Nous nous en réjouissons.
En tant que président de la délégation aux entreprises, je veux vous interroger sur les attentes des indépendants en matière d'équité. Au-delà du plan qui était très attendu, nombreux sont les indépendants qui souhaiteraient que des simulations soient réalisées pour apprécier la pertinence ou non de mesures consistant à renforcer l'équité entre les régimes des indépendants et celui des salariés.
Nous avons ainsi préconisé une série d'études d'impact afin d'examiner, à partir de simulations fines, ce que différents rapports préconisent depuis des années en termes de rapprochement dans les domaines de l'assurance chômage, du régime de sécurité sociale ou de retour sur les prélèvements sociaux. Nous ne pouvons plus avancer à l'aveugle sur ce sujet majeur pour de nombreux indépendants : êtes-vous prêt à faire travailler les administrations concernées sur ces questions qui reviendront nécessairement dans le débat et à transmettre les résultats de cette simulation au Parlement ? Il s'agit de mieux évaluer pour mieux légiférer.
M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. - Je partage le plaisir d'être ici parmi vous pour évoquer un sujet auquel j'attache beaucoup d'importance. J'essayerai de répondre au mieux à l'ensemble de vos interrogations.
Je commencerai par répondre à la question de Mme la présidente Primas sur le contexte économique.
J'ai été nommé ministre le 6 juillet 2020, à un moment où la situation sanitaire était compliquée. Avec Bruno Le Maire, nous nous sommes efforcés de mettre en place des dispositifs généraux comme le fonds de solidarité, l'activité partielle, les PGE et le report de cotisations sociales, tout en prenant en considération les situations par branche professionnelle. Je rappelle que 95 % des entreprises françaises ont moins de 20 salariés : la diversité des situations économiques est considérable.
Nous ne nions pas que les choses ont été difficiles pour les entrepreneurs, y compris pour ceux que nous avons beaucoup aidés alors qu'ils auraient préféré travailler. Néanmoins, on constate que le nombre de faillites a diminué de 30 % par rapport à une année classique. En 2019, il y a eu 50 000 faillites contre 28 000 en 2020. Comme l'avait souhaité le Président de la République, l'accompagnement des entreprises a permis de maintenir le tissu économique et d'engager une reprise dynamique.
Je sais que la situation reste difficile pour certains. Je pense en particulier aux secteurs du tourisme, de l'événementiel, de la restauration. Nous avons rencontré avec le ministre de l'économie il y a quelques jours les acteurs de ces secteurs. Avec Jean-Baptiste Lemoyne, nous travaillons, sur la demande du Président de la République, à un plan de reconquête du tourisme qui devrait déboucher sur des décisions en novembre prochain. En ce qui concerne l'événementiel, nous regardons comment accompagner ce secteur pour lequel la reprise n'est pas immédiate. Pour les restaurants, la situation est très variable : dans de nombreux territoires, les restaurants ont repris une activité normale, mais dans les grandes villes, en particulier à Paris, ceux qui travaillent en relation avec les voyages d'affaires ou les touristes venant d'Asie n'ont pas encore retrouvé leur chiffre d'affaires. C'est la raison pour laquelle, en septembre, nous avons conservé le fonds de solidarité et mis en oeuvre le dispositif « frais fixes », qui consiste à équilibrer les dépenses et les recettes pour éviter trop de pertes. À la fin du mois d'octobre, nous reverrons l'ensemble de ces branches pour trouver des solutions si les difficultés perdurent. Nous restons vigilants et à l'écoute. Il serait quelque peu ridicule d'avoir accompagné pendant dix-sept mois les entreprises et de les laisser tomber aujourd'hui.
Sur les reports de charges, notre décision est très claire et applicable à toutes les entreprises. Les entreprises qui ont bénéficié de reports de charges de l'Urssaf ont jusqu'à trois ans pour étaler la dette. Les Urssaf ont pour mission de proposer cette mesure aux entrepreneurs. Nous pensons qu'une telle durée permet d'envisager les choses avec sérénité.
Sur les PGE, je maintiens ma position. Ce dispositif dépend des décisions de la Commission européenne. Le remboursement des prêts doit intervenir dans un délai de quatre ans - j'espère que la décision sera prise dans les prochaines semaines - afin d'éviter de mettre une pression trop forte sur les entrepreneurs. Le début du remboursement est prévu au mois d'avril 2022 ; le Président de la République a évoqué le 16 septembre dernier la possibilité, au cas par cas, au regard de la situation, de décaler cette date. Nous voulons que les entreprises qui continuent à avoir des difficultés soient soutenues au mieux afin de maintenir notre tissu économique.
Quant à l'équité, elle fait partie des éléments qui ont servi de base à ce plan pour les indépendants. Je suis tout à fait favorable à ce que les administrations vous donnent des informations précises de façon que les évaluations soient connues et qu'il n'y ait pas de doute sur nos intentions.
On note un dynamisme entrepreneurial dans notre pays, y compris pendant la crise. Mais entreprendre, c'est une aventure formidable - je l'ai fait il y a de nombreuses années - ; la crise actuelle a souligné les risques qui pèsent sur les entrepreneurs et les difficultés qu'ils peuvent rencontrer tout au long de leur parcours.
Nous ne pouvons plus collectivement nous satisfaire de cette situation pour des raisons d'équité, mais aussi, et surtout, pour des raisons de valeur. Ces chefs d'entreprise, qui se lèvent tôt et se couchent tard, portent des valeurs qui fondent notre pacte social : le mérite, le travail, la prise de risque et la volonté de transmettre. Sur la demande du Président de la République, nous avons préparé ce plan qui, je le pense très sincèrement, répond aux attentes de près de 3 millions de travailleurs indépendants : artisans, commerçants, professionnels libéraux, PME. Il s'inscrit dans la continuité de nombreuses mesures prises depuis le début du quinquennat en faveur des indépendants : soutien à la création d'entreprise, réforme du régime social des indépendants, compensation de la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) par la baisse des cotisations sociales, création de l'ATI.
J'ai souhaité, pour préparer ce plan, consulter l'ensemble des groupes parlementaires des deux assemblées, afin de recueillir les propositions de ceux qui souhaitaient en faire - beaucoup l'ont fait et je les en remercie. Vous retrouverez sûrement des contributions que vous portez depuis quelques années, comme la facilitation de la transmission d'entreprise ou l'ouverture de l'ATI.
Ce plan, qui comprend une vingtaine de mesures, répond à un triple objectif : protéger face aux accidents de la vie, mieux accompagner les indépendants de la création jusqu'à la transmission de l'entreprise, y compris au moment de la défaillance éventuelle de celle-ci, et simplifier les démarches.
Le projet de loi que j'ai présenté au conseil des ministres le 29 septembre dernier est un des piliers de ce plan pour les indépendants. Celui-ci comporte aussi des mesures fiscales et sociales qui seront portées dans le cadre des projets de loi de finances (PLF) et de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022.
Il vise tout d'abord à la création d'un statut unique protecteur du patrimoine personnel pour l'exercice en nom propre d'une activité professionnelle. Désormais, seuls les éléments utiles à l'activité professionnelle de l'entrepreneur individuel pourront être appréhendés en cas de défaillance. Par cette protection automatique, il sera mis fin aux risques pesant sur le patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel lorsque les difficultés professionnelles surviennent.
Il permet, ensuite, de faciliter le passage d'une entreprise individuelle en société. Le statut de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) sera mis en extinction progressive, ses principaux avantages étant repris dans le nouveau statut d'entrepreneur individuel (EI).
Le texte tend, par ailleurs, à faciliter le rebond des travailleurs indépendants en leur permettant de devenir éligibles à l'ATI lorsqu'ils cessent leur activité devenue économiquement non viable. Un décret viendra compléter la réforme de l'ATI, avec l'assouplissement du critère de revenus de 10 000 euros qui ne sera désormais exigé que sur la meilleure des deux années.
Enfin, nous allons simplifier l'environnement juridique et l'accès des entrepreneurs à l'information grâce à la facilitation de l'accès à la formation professionnelle et à l'adaptation de la procédure disciplinaire des experts-comptables, à la simplification du cadre juridique applicable aux professions libérales réglementées, au renouvellement du cadre pour la négociation collective des chambres de commerce et d'industrie (CCI), et à la rénovation du code de l'artisanat.
L'ensemble de ces mesures, complété par celles qui figurent dans le PLF et le PLFSS, vise à bâtir un plan apportant des solutions ambitieuses et opérationnelles aux préoccupations de longue date des indépendants. Nous avons essayé de prendre en compte la totalité des étapes de la vie d'un entrepreneur.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. - Je le dis sans aucune flagornerie, votre parcours aux côtés des indépendants est une caution, une garantie, qui satisfait la plupart des interlocuteurs que nous avons auditionnés.
Ce texte était attendu. Pour autant, nous avons un certain nombre de questions, notamment sur les articles 9, sur l'ATI, et 10, sur le financement de la formation professionnelle des artisans, dont la commission des affaires sociales souhaite se saisir pour avis.
Lors des auditions menées en 2018 dans le cadre de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel qui avait permis de créer l'ATI, nous vous avions entendu à un autre titre. De nombreux indépendants nous ont fait remarquer qu'ils n'avaient jamais été demandeurs d'une assurance chômage, qu'il fallait bien répondre à une « commande » présidentielle, l'assurance chômage universelle devenue ATI après être passée sous les fourches caudines de différentes instances. Le dispositif a finalement semblé satisfaire tout le monde puisqu'il permettait de répondre à certaines attentes sans être financièrement trop ambitieux. Il a été mis en place en 2019 : l'année 2020 étant celle que nous avons tous connue, il n'a donc que trois ans d'existence. Nonobstant peut-être un autre calendrier que nous avons en tête, pensez-vous qu'il faut vraiment déjà réformer ce dispositif ?
Par ailleurs, la réforme telle qu'elle est proposée dans le projet de loi va-t-elle atteindre la cible escomptée, si tant est qu'il y en ait une ?
Enfin, nous avions évoqué notamment en 2018 la perspective d'un maillage entre un dispositif social et un dispositif privé, qui existe déjà. Je rappelle que les partenaires sociaux ont créé la garantie sociale des chefs et dirigeants d'entreprise (GSC), qui permet d'assurer des indépendants. Ne serait-il pas possible d'avoir un mix entre un dispositif public géré via l'Unédic et un dispositif privé renforcé ?
Sur la partie relative à la formation des artisans, trois questions peuvent se poser.
L'objectif est de simplifier le dispositif, et au vu de sa complexité, on peut imaginer que cette simplification est attendue ! L'idée est de s'adosser à France compétences, dont la situation financière est compliquée, même si le déficit de plus de 4 milliards d'euros peut s'expliquer. Son directeur a évoqué un manque de personnels. France compétences pourra-t-elle absorber ce nouveau flux de fonds en provenance de la formation professionnelle des artisans ?
Si j'ai bien compris, les 0,29 % qui permettaient de financer le Fonds d'assurance formation des chefs d'entreprise artisanale (Fafcea) et les conseils de la formation pour les artisans des chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) vont être affectés à trois dispositifs : le nouveau fonds d'assurance formation (FAF), issu de la fusion du Fafcea et des conseils de la formation des CMA, la contribution à la formation professionnelle (CFP) et le conseil en évolution professionnelle (CEP). Sera-t-il possible de maintenir ou d'augmenter les fonds destinés à la formation des artisans ?
Enfin, une fois la collecte organisée par France compétences, une répartition sera faite entre les trois organismes que j'ai cités non pas par France compétences mais par les Urssaf. Un travail est en cours à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) pour flécher de façon plus fine ces fonds. Ce travail a-t-il abouti ? Parviendra-t-on à un véritable fléchage des fonds versés par les artisans pour avoir des formations à la hauteur des ambitions de ce projet de loi ?
M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - En tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, j'aimerais vous poser une première question sur l'article 1er du projet de loi, qui ambitionne de fusionner en un statut unique le régime de l'entrepreneur individuel et celui de l'EIRL. Ce faisant, votre projet de loi souhaite faire bénéficier les entrepreneurs individuels de la protection du patrimoine personnel qui existe aujourd'hui pour l'EIRL. Il semble que l'EIRL n'a pas su trouver son public en raison de conditions de création qui ont pu paraître trop complexes.
Quels étaient ces obstacles ? Pourquoi n'avez-vous pas jugé utile de simplifier les conditions de création d'une EIRL plutôt que de fusionner les deux statuts, alors même que la protection du patrimoine personnel n'est pas le seul avantage que présente l'EIRL ?
Ma deuxième question porte sur la définition du patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel. Aujourd'hui, dans le régime de l'EIRL, l'entrepreneur effectue une déclaration dans laquelle il liste les biens qu'il affecte à son patrimoine professionnel. Dans votre projet de loi, la définition du patrimoine professionnel est générique : ce sont les « biens, droits et obligations et sûretés dont l'entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à l'activité indépendante ». Autrement dit, ce sera non plus l'entrepreneur mais, en cas de contentieux, le juge qui définira si tel ou tel bien est utile à l'activité indépendante. Ne craignez-vous pas que l'incertitude autour des termes ne conduise finalement à complexifier la situation ?
Enfin, ma troisième question concerne l'article 7, qui prévoit une habilitation à légiférer par ordonnance pour recodifier le code de l'artisanat. J'imagine que les services de l'État travaillent sur ce sujet depuis plusieurs mois, voire des années. À quelles modifications entendez-vous procéder ? Le Parlement ne saurait se dessaisir de ses prérogatives sans quelques éclairages. Pourriez-vous, à ce titre, transmettre au Sénat le projet d'ordonnance que, je n'en doute pas, vous avez déjà esquissé ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Christophe-André Frassa, qui est rapporteur de la commission des lois mais qui ne peut malheureusement pas être présent aujourd'hui, aurait souhaité vous poser deux questions.
La première vient de l'être : elle portait sur la composition du patrimoine professionnel et le critère de l'utilité à l'activité professionnelle pour déterminer exactement le contenu de ce patrimoine - les règles de responsabilité civile qui en découlent étant extrêmement importantes, il convient que cette définition soit parfaitement claire.
La seconde porte sur les demandes d'habilitation à légiférer par ordonnances. Par principe, nous n'y sommes pas favorables. En ce qui concerne plus particulièrement l'exercice en société des professions libérales réglementées, certaines mesures de simplification pourraient être introduites dans ce texte sans difficulté, d'autres nous paraissent plus sensibles et mériter un débat parlementaire : il s'agit de la modification des règles qui touchent à la composition du capital et à la répartition des droits de vote au sein des sociétés d'exercice libéral. Ces règles ont pour objet de garantir l'indépendance des professionnels libéraux.
M. Alain Griset, ministre délégué. - Vous avez abordé des sujets qui ont demandé un travail très important. Pendant un an, avec mes équipes, nous n'avons cessé d'écouter les différentes branches professionnelles pour aboutir au projet de loi, que je vois comme un projet partagé.
Sur l'ATI, je n'ai pas changé d'avis depuis 2018. Les travailleurs indépendants ne se mettent pas à leur compte pour être un jour au chômage ! D'autant qu'ils craignent toujours d'avoir des cotisations supplémentaires à payer. Ils ont accueilli positivement la proposition du Président de la République sans en être à l'origine les demandeurs. L'histoire le démontre, il a fallu forcer la main des travailleurs indépendants pour qu'ils soient couverts en matière de retraite, d'assurance maladie... Si vous les écoutez, ils vous diront qu'il n'est pas nécessaire de cotiser à quoi que ce soit. Mais on se doit tous de permettre à ces travailleurs de bénéficier d'une couverture leur permettant de vivre dans de bonnes conditions.
Néanmoins, les partenaires sociaux, dont je faisais partie en 2019, avaient travaillé à la mise en place de critères pour l'affectation de l'ATI. Effectivement, la réforme date d'il y a trois ans, mais, malgré la crise sanitaire, on constate qu'à peine plus de 1 000 travailleurs indépendants ont demandé à bénéficier de l'ATI. C'est un signe que les critères sont trop restrictifs. Je rappelle qu'il faut avoir au moins deux années de revenu supérieur à 10 000 euros et être en liquidation judiciaire. Nous proposons de n'exiger qu'une seule année à 10 000 euros et de se baser uniquement sur la fermeture de l'entreprise, sans qu'une procédure judiciaire soit nécessaire. L'idée est de leur permettre de rebondir, car si, dans de nombreux pays, l'échec de l'entreprise n'est pas considéré comme un échec à vie, dans le nôtre c'est un boulet qu'on traîne pour la vie. Cette mesure ne sera possible qu'une fois tous les cinq ans afin d'éviter les effets d'aubaine. Je précise que le financement de cette mesure, de l'ordre de 140 millions d'euros, se fait sur le budget de l'Unédic.
En ce qui concerne la formation professionnelle des travailleurs indépendants, pour simplifier il existe trois fonds d'assurance formation - le Fafcea, l'Agefice (Association de gestion du financement de la formation des chefs d'entreprises) et le fonds interprofessionnel de formation des professionnels libéraux (FIP PL) -, auxquels on peut ajouter le fonds d'assurance formation de la profession médicale (FAF PM). Ma réforme ne concerne que les artisans et le Fafcea - je ne touche pas à l'Agefice et au FIP PL. Nous l'avons faite pour une raison simple : la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) a prévu que les chambres de métiers et de l'artisanat seraient obligatoirement régionalisées et qu'elles dispenseraient de la formation. Les présidents des chambres régionales se sont donc automatiquement retrouvés en situation de conflit d'intérêts.
Pour les protéger, nous avons décidé, en accord avec l'assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat, que les conseils de la formation, qui recevaient une dotation de 0,12 % du plafond de la sécurité sociale, allaient disparaître et que cette dotation s'additionnerait aux 0,17 % déjà fléchés au Fafcea, soit 0,29 % au total. France compétences n'est qu'une boîte aux lettres, et ce transfert n'a aucune conséquence financière sur cet organisme. Le montant disponible pour la formation des artisans sera identique, mais le circuit sera plus simple, avec un seul interlocuteur.
Cette proposition de réforme recueille l'accord de l'ensemble des acteurs. Je précise que, dans le PLF, nous doublons le crédit d'impôt qui existait pour les travailleurs indépendants : il sera porté à 820 euros annuels pour compenser le temps qu'ils ont passé en formation et les inciter à se former. Car seulement 16 % d'entre eux se forment chaque année, ce qui est peu au regard des évolutions technologiques.
J'en viens à la GSC, une structure qui n'est pas récente et qui a environ 15 000 adhérents, sur 3 millions. Si elle n'a pas plus convaincu, c'est parce qu'elle est plutôt orientée sur les plus grandes entreprises et que le rapport qualité-prix n'est pas attractif pour les indépendants. Personne n'empêche un indépendant de souscrire à la GSC au-delà de l'ATI. La GSC est une structure privée : les clients ne viennent que si le produit est intéressant.
Monsieur Babary, j'ai participé à la création de l'EIRL. Je travaille sur le sujet de la protection du patrimoine depuis 2004 : à l'époque, le ministre Renaud Dutreil avait mis en place une première protection, celle de la résidence principale, devant notaire. L'EIRL n'a pas toujours été valorisée par les structures d'accompagnement, et sa mise en oeuvre pratique était complexe. J'ai cherché la simplicité : je connais suffisamment les travailleurs indépendants pour savoir que, dès que les choses sont complexes, ce n'est pas pour eux.
Nous avons donc considéré qu'il était préférable de prendre l'EI comme statut de référence, et prévoir une extinction progressive de l'EIRL. L'EI bénéficiera des avantages de l'EIRL, lesquels seront même élargis : l'option pour une imposition à l'impôt sur les sociétés (IS), qui permet l'équité entre ceux qui sont en nom propre et ceux qui sont en société ; et la protection totale du patrimoine de l'entrepreneur individuel de façon automatique, sans formalisme particulier - une grande nouveauté par rapport à l'EIRL.
La question du cautionnement du crédit a été évoquée. Nous avons eu des discussions avec la Fédération française des banques (FFB) et avec le Trésor. Même lorsque les banques demandaient des cautions, quand l'entrepreneur fermait, il n'y avait quasiment plus rien à prendre, à part sa maison. Au bout du compte, la caution était surtout une forme de pression mise sur l'entrepreneur dont l'efficacité était relative.
Par ailleurs, il existe des sociétés de caution mutuelle. J'ambitionne d'avoir des outils de cautionnement mutuel sur le modèle du PGE, qui repose sur une garantie de l'État à hauteur de 90 %. Notre objectif est de permettre aux banques d'avoir des garanties et de les inciter à prêter. Je vais vous dire ma pensée profonde : à titre personnel, j'aurais voulu inscrire dans le dur le fait qu'on ne puisse pas demander de caution, mais mes conseillers m'ont expliqué que ce n'était pas constitutionnel. En revanche, nous avons prévu, pour éviter que l'entrepreneur ne signe sous la pression, un délai de 7 jours de rétractation pour ceux qui voudraient mettre une partie de leurs biens sous caution. C'est le plus loin qu'on ait pu aller au regard du droit. La FFB a bien compris que les banques avaient un rôle extrêmement important à jouer en matière de développement de l'économie par le financement des entrepreneurs, même sans caution ou sans caution mutuelle.
En ce qui concerne les ordonnances, j'aurais préféré que le Parlement soit saisi de l'intégralité des textes. Prenons l'exemple du code de l'artisanat, dans lequel aucun texte n'a été intégré depuis 1952. Beaucoup ont fait marche arrière au regard de la complexité de la tâche. Nous nous y sommes attelés, avec l'objectif d'y intégrer 12 textes. Le travail d'analyse et de codification va encore nous prendre quelques mois. J'ai la chance de défendre devant vous aujourd'hui mon projet de loi alors même que le calendrier parlementaire est resserré, mais j'aurais été incapable de vous présenter un article de loi intégrant toutes ces modifications dans les délais impartis. Je tiens à votre disposition les textes concernés, que nous allons simplement transposer sans modification. Ainsi, les artisans auront à leur disposition l'ensemble des textes dans un seul document. L'objectif est de simplifier et d'actualiser un code qui ne correspond plus à la réalité de la vie des artisans. Si on avait pu le mettre dans le dur de la loi, j'aurais été le plus heureux des ministres.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Nous aimerions recevoir l'engagement que le projet de loi de ratification sera effectivement soumis à notre examen, afin que le Parlement puisse se pencher sur cette affaire.
M. Alain Griset, ministre délégué. - Les professions réglementées représentent quasiment 700 000 entreprises, avec 68 organisations différentes. En aucun cas nous n'avons pour objectif de toucher aux prérogatives des ordres ou des syndicats. Nous souhaitons clarifier les règles et faciliter le financement des structures de ces professions en total accord avec ces dernières. J'ai déjà reçu les vétérinaires, les laboratoires, les avocats, les experts-comptables.
Je prendrai deux exemples.
Premier cas, un vétérinaire qui veut créer une société d'exercice vétérinaire en partenariat avec un associé qui n'est pas vétérinaire. Il ne sait pas s'il relève des professions de santé ou des professions du cadre de vie. Dans le premier cas, son partenaire peut participer au capital à hauteur de 25 % ; dans le second, à 49 %. Après la réforme, des familles des professions auront été définies : ce vétérinaire saura qu'il appartient aux professions du cadre de vie et connaîtra les règles qui lui sont applicables.
Second cas, des architectes exerçant au sein d'une société d'exercice libéral (SEL). Pour investir dans un logiciel BIM (Building information modeling), ils souhaiteraient pouvoir avancer des fonds sans recourir à un prêt bancaire. Or la loi de 1990 plafonne les avances en compte courant d'associé à hauteur de trois fois la participation de chacun au capital : ils ne pourraient donc pas avancer les fonds nécessaires à leur investissement. Après la réforme, les avances en compte d'associé seront déplafonnées : il ne sera pas nécessaire de recourir à un prêt bancaire.
M. Alain Cadec. - Le Gouvernement a élaboré un plan pour 3 millions de personnes exerçant une activité non salariée en France, avec 20 nouvelles mesures dédiées aux travailleurs indépendants, qu'ils exercent en libéral ou qu'ils soient entrepreneurs individuels ou micro-entrepreneurs. Nombreux sont ceux qui attendaient une réforme de fond de leur statut. Le travail indépendant rencontre de nombreuses difficultés, et il est marqué par des disparités de revenus. Les dégâts que peuvent causer les impayés ou, pire, des clients insolvables représentent une des menaces les plus importantes pour cette catégorie socioprofessionnelle. La crise sanitaire les a davantage exposés aux risques économiques liés à leur activité.
D'après vos annonces, le plan pour les indépendants entrera en vigueur en 2022. Ces mesures semblent a priori une avancée attendue par ces professionnels. Toutefois, sont-elles suffisantes en cas de cessation d'activité ? Vous souhaitez créer un statut unique pour l'entrepreneur individuel avec extension de la protection du patrimoine personnel. Le statut de l'EIRL serait dès lors supprimé. Dans le cadre de ce nouveau statut, le patrimoine personnel de l'entrepreneur serait par défaut insaisissable par les créanciers. Néanmoins, qu'en est-il du patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel ?
Par ailleurs, une étude Odoxa de mars 2021 a indiqué que 45 % des indépendants ont déjà rencontré des difficultés en matière de logement, pour louer ou devenir propriétaire. Les indépendants et les salariés ne sont pas traités de la même manière, sans parler des garanties demandées par les bailleurs, telles que des fiches de paie affichant un revenu trois fois supérieur au montant du loyer. Avez-vous prévu dans votre projet une mesure sur l'accès au logement pour les indépendants ?
Mme Martine Berthet. - J'aimerais également revenir sur l'article 1er et sur la protection du patrimoine personnel du travailleur individuel. Vous avez demandé aux banques de ne pas avoir d'exigences excessives vis-à-vis des entrepreneurs individuels en matière de renonciation à la protection de leur patrimoine personnel. Le Gouvernement prévoit-il d'obtenir par une charte un engagement spécifique des banques, comme cela s'était fait en 2011 avec la charte signée entre le secrétaire d'État chargé des PME et la Fédération bancaire française ? Pour l'accès aux PGE, malgré les discussions, de nombreuses entreprises se sont vu opposer des refus de la part des banques.
M. Jean-Marie Janssens. - Le projet de loi en faveur de l'activité professionnelle indépendante a pour objectif de mieux protéger les travailleurs indépendants et de lever les freins qui existent aujourd'hui sur leur activité. Il prévoit plusieurs avancées concrètes qui doivent permettre aux travailleurs indépendants de bénéficier d'un statut unique et protecteur, et de clarifier et de simplifier la législation concernant leur activité.
Ces avancées sont bienvenues à la fin d'une crise sanitaire dont les conséquences économiques vont durer. Il est essentiel de lever les freins existants, notamment sur l'allocation des travailleurs indépendants. Cependant, il convient aussi de mettre en place un maximum de souplesse et de réactivité dans les dispositifs, afin de correspondre le plus fidèlement possible au modèle de l'activité indépendante qui est particulièrement soumise aux aléas économiques.
Ainsi, comme l'a mis en lumière la crise sanitaire, il est fondamental que les indépendants puissent calculer et verser leurs cotisations en fonction de l'état réel de leur activité. Le paiement des cotisations en temps réel est actuellement en expérimentation en Île-de-France et en Occitanie. Un tel dispositif permettrait d'éviter d'attendre un an pour bénéficier d'une régularisation de cotisations et éviterait des pénalités en cas d'erreur d'estimation des revenus.
Avez-vous de premiers retours de cette expérimentation ? Si oui, pensez-vous l'inscrire dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, et donc la généraliser dès l'année prochaine ?
M. Vincent Segouin. - La réforme de fond du statut des indépendants était attendue. Le budget n'est toujours pas à l'équilibre depuis plus de trente ans. L'assurance chômage entraînera-t-elle des cotisations supplémentaires pour l'indépendant ?
Vous avez évoqué un coût de 140 millions d'euros. Comment comptez-vous le financer ? Par la dette encore une fois ?
Le plafonnement des charges sociales sera fait en fonction du revenu de l'indépendant, ce qui entraînera, par rapport au régime actuel, une baisse de la collecte des cotisations sociales, à la fois de retraite et d'assurance maladie. À combien estimez-vous ce montant ? Comment sera-t-il financé ?
M. Alain Griset. - En ce qui concerne la cessation d'activité, le dispositif tel qu'on le prévoit sera bien applicable en 2022, puisque les mesures inscrites dans le PLF et le PLFSS devraient être adoptées par le Parlement au 31 décembre prochain et que le présent projet de loi devrait être présenté à l'Assemblée nationale au début du mois de janvier. L'ensemble des mesures pour les travailleurs indépendants devraient donc, a priori, être applicables après le premier trimestre 2022.
Ce qui est en jeu, c'est le patrimoine professionnel, qui peut être mis en caution. Non, monsieur le sénateur, nous n'avons pas prévu dans le projet de loi - pour l'instant, en tout cas - de dispositif qui permettrait aux indépendants d'accéder plus facilement à un logement, mais je suis ouvert à des mesures de nature à améliorer cette situation, car il est vrai que certains indépendants rencontrent des difficultés.
Madame la sénatrice Berthet, vous avez raison, il a pu arriver que certaines agences bancaires, au niveau local - au niveau national, une convention a été passée avec l'ensemble du réseau bancaire -, refusent un PGE. Ce que je peux vous garantir, c'est que, à chaque fois que nous sommes intervenus, le PGE a été débloqué. C'est toujours valable : si certains d'entre vous connaissent des entrepreneurs qui rencontrent des difficultés pour bénéficier d'un PGE, je suis à leur disposition, puisque les PGE sont accessibles jusqu'au 31 décembre 2021.
En ce qui concerne les banques, nous n'avons pas envisagé de charte pour l'instant. Les discussions que nous avons eues avec les représentants de la FBF reposent sur la responsabilité des banquiers. Nous allons évidemment regarder cela de très près, parce qu'il n'est pas envisageable que ces avancées pour les indépendants se traduisent par des difficultés de trésorerie et de financement.
Monsieur le sénateur Janssens, nous allons introduire dans le PLFSS la mesure qui a fait l'objet d'une expérimentation. Je n'ai pas de retour chiffré sur celle-ci, mais la possibilité de faire varier les cotisations est une mesure extrêmement intéressante, qui répond à une demande déjà ancienne.
Monsieur le sénateur Segouin, sur l'ATI, pour l'instant, nous évaluons à peu près à 140 millions d'euros maximum le coût de la mesure avec la nouvelle formule d'accès. Ce budget est prévu dans le budget de l'Unédic, lequel est alimenté par l'État, à l'heure actuelle, à hauteur de 40 % - par leurs impôts, les indépendants contribuent donc indirectement au financement de l'Unédic. La mesure est donc financée aujourd'hui. Elle ne va pas contribuer à augmenter le surendettement et ne va pas générer de cotisations nouvelles pour les indépendants.
En disant que permettre à l'entreprenariat d'opter pour l'IS va signifier de moindres rentrées pour les organismes de sécurité sociale, vous ne faites que confirmer la différence de traitement qui existait entre ceux qui étaient en société et ceux qui étaient en nom propre. Notre objectif est l'équité de traitement. Ce n'est pas le statut juridique qui doit déterminer le montant de l'impôt et de la cotisation ; c'est la structure de l'entreprise. Qu'elles soient en nom propre ou en société, les entreprises pourront ou non opter pour l'IS.
Mme Sylviane Noël. - Monsieur le ministre, je souhaite vous poser deux questions.
Pourriez-vous tout d'abord nous faire un point sur l'impact de la mise en oeuvre du passe sanitaire sur la fréquentation des commerces soumis à ce dispositif depuis cet été ? Votre collègue Bruno Le Maire a semblé indiquer qu'il n'y avait pas eu d'effet, au contraire de ce que bon nombre d'entre nous avons pu constater sur le terrain.
Par ailleurs, je souhaite attirer votre attention sur un point qui me semble manquer dans votre projet de loi : la situation financière précaire dans laquelle se retrouvent de nombreuses femmes auto-entrepreneuses en état de grossesse. À ce jour, le code de la sécurité sociale prévoit une continuité des droits et prestations en période de maternité. Or, pour les femmes auto-entrepreneuses enceintes, la méthode de calcul des indemnités varie et crée des inégalités flagrantes. En effet, lorsqu'une activité a été lancée récemment, le calcul du revenu d'activité annuel moyen se fait uniquement sur l'année précédant la date d'accouchement. Avec cette méthode, les femmes ayant ouvert leur auto-entreprise en fin d'année sont donc lésées par rapport à celles qui l'ont fait en début d'année, car, ayant peu cotisé, elles ne peuvent obtenir une indemnisation qu'à hauteur de 10 %. Ces difficultés croissantes à accéder à un congé maternité décent se sont accrues dans le contexte économique actuel, lié à la crise sanitaire, ne permettant pas à une partie de ces indépendantes de percevoir une somme équivalant au revenu de solidarité active (RSA), alors qu'elles travaillent. Elles se retrouvent souvent avec une indemnité équivalant à 5,65 euros par jour, au lieu de 56,35 euros par jour, ce qui transforme leur congé maternité en véritable cauchemar. Cette différence de montant trouve son origine dans le calcul du congé maternité, qui fait passer les droits de 100 % à 10 % de l'indemnité journalière, sans demi-mesure.
Dans ces circonstances, le congé maternité, qui doit protéger les femmes, ne joue plus pleinement son rôle, plongeant dans la précarité un public déjà fragilisé, cumulant souvent un petit revenu tiré de l'entreprise individuelle et des droits au chômage. Face à cette situation délicate, il serait peut-être pertinent de déclarer les années de covid comme années blanches pour les auto-entrepreneuses et travailleuses indépendantes, à l'image de ce qui a été fait pour les intermittents du spectacle, de façon à permettre l'ouverture des droits aux prestations maternité, maladie ou affection de longue durée.
Enfin, à plus long terme, il faudrait envisager de créer un congé réellement proportionnel à leurs revenus réels, pour éviter que le montant du congé maternité de ces femmes auto-entrepreneuses ne passe injustement de 100 % à 10 %. Je souhaite savoir si le Gouvernement envisage de remédier à cette précarité dans le futur projet de loi relatif au statut des indépendants.
M. Bernard Buis. - Monsieur le ministre, je souhaite évoquer avec vous la question des conjoints collaborateurs. Je pense notamment aux femmes qui ont travaillé toute leur vie aux côtés de leur mari artisan ou commerçant et qui se sont retrouvées, après un accident de la vie, un décès ou un divorce, sans aucune ressource, avec une maigre retraite.
La loi Pacte a permis de vrais progrès en la matière. Le texte contraint en effet chaque chef d'entreprise à indiquer dans les formulaires de déclaration d'activité si son conjoint exerce ou non une activité régulière dans l'entreprise, afin de limiter les cas de non-déclaration.
Qu'apportera le texte à ces femmes ? Pouvons-nous avoir l'assurance que le taux de cotisation sera le plus bas possible lorsqu'un ou une conjointe obtiendra le statut de collaborateur ?
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Monsieur le ministre, je veux vous interroger sur l'impact de la réforme sur le secteur de la vente directe, qui représente 700 000 emplois, dont une grande partie d'indépendants.
Pour le démarchage à domicile, actuellement, la France interdit de collecter le paiement ou même un simple moyen de paiement pendant sept jours à compter de la conclusion du contrat. Cette spécificité française est quasi obsolète, car 22 pays de l'Union européenne ne pratiquent pas le différé de paiement. Le Gouvernement envisagerait même d'allonger ce délai à quatorze jours, pour l'aligner sur le délai de rétractation des consommateurs dans le cadre d'une transposition de la directive Omnibus. Cette disposition induirait une charge économique supplémentaire pour les entreprises, alors que les processus de recouvrement sont déjà complexes et coûteux. Elle aurait, de plus, un impact important sur les trésoreries, notamment des PME.
Enfin, cette nouvelle disposition pourrait créer de graves distorsions de concurrence entre la vente à domicile et les autres canaux de commercialisation, comme la vente à distance ou la vente en magasin.
Le Gouvernement serait-il prêt à permettre à cette filière la libéralisation de la prise de paiement à la commande, afin d'aligner le régime du contrat conclu hors établissement sur celui du contrat conclu à distance ? Cette disposition permettrait de sécuriser les indépendants dans leur démarche commerciale, de supprimer les coûts de trésorerie et le risque majeur d'impayés.
M. Michel Canévet. - J'ai travaillé avec Martine Berthet et Fabien Gay, pour la délégation sénatoriale aux entreprises, sur les nouveaux modes de travail, et nous sommes particulièrement heureux que vous ayez pu intégrer deux des principales recommandations qui étaient les nôtres, notamment l'assouplissement de l'accès aux cotisations accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) - cela rejoint en partie la question que Sylviane Noël évoquait tout à l'heure - et la question sur l'ATI.
Sur la question de l'accès aux cotisations AT-MP, on observe qu'il existe deux types d'indépendants : les indépendants traditionnels, qui travaillent pour des ordres constitués, et ceux qui travaillent pour les plateformes dans le cadre de l'uberisation de la société. Ces derniers ont souvent des niveaux de rémunération assez faibles. N'avez-vous pas envisagé de trouver un autre mode de financement des cotisations accidents du travail et maladies professionnelles pour ces agents, notamment par la participation des plateformes ?
L'allocation aux travailleurs indépendants est en place depuis 2019. On voit bien qu'elle n'a pas bien fonctionné. Nous espérons que les mesures d'assouplissement que vous proposez permettront d'aller plus loin, mais n'avez-vous pas le sentiment qu'il aurait peut-être fallu se rapprocher un peu plus du régime dont bénéficient les salariés ? Quand un indépendant échoue, il se retrouve souvent sans aucune ressource. Il est indispensable qu'on puisse l'accompagner. Le régime dont bénéficient les salariés est relativement protecteur ; peut-être aurait-il fallu s'en inspirer pour pouvoir monter un nouveau projet. Qu'en pensez-vous ?
M. Alain Griset. - Madame la sénatrice Noël, je le dis ici sans détour, l'accélération très forte de la vaccination et la mise en place du passe sanitaire nous a évité des reconfinements pendant l'été. La conjugaison entre le passe et la vaccination a permis que l'activité économique tourne à peu près à 99 %, comme en attestent les recettes des cartes bancaires et les recettes fiscales. Comme l'a dit Bruno Le Maire, certaines activités ont pu connaître, dans les premiers jours du passe sanitaire, une sorte de ralentissement, mais, au bout de quelques jours et sur une période d'un mois, les choses se sont grosso modo équilibrées. On peut donc dire que, globalement, il n'y a pas eu, sur le plan économique, d'impact du passe sanitaire. Les difficultés en matière de chiffre d'affaires qui peuvent encore exister çà et là, par exemple dans les foires et salons, sont davantage dues au fait qu'il manque des exposants. La praticité de l'utilisation du passe sanitaire aujourd'hui ne pose plus de difficultés de mise en oeuvre. Je suis donc assez satisfait de sa mise en place et je pense qu'aujourd'hui ce sujet est un peu derrière nous. Le passe sanitaire est une contrainte moindre que la situation qui aurait pu résulter de son absence.
Vous abordez des sujets extrêmement importants concernant la maternité et la situation des indépendants par rapport à leurs revenus des années covid. Nous avons décidé de valider, dans le PLFSS, les trimestres de retraite des indépendants qui auront, en 2020 et 2021, connu un bénéfice inférieur au montant qui leur permet de les valider dans les conditions normales. De la même façon, la base que nous allons prendre en compte pour les indemnités journalières est celle des années précédentes, et non les conséquences du revenu diminué. Ces deux mesures d'équité permettront aux indépendants de ne pas être frappés de double peine. Nous allons donc neutraliser les années covid - 2020 et 2021 -, de façon à ne pas pénaliser ceux qui sont encore le plus en difficulté.
Monsieur le sénateur Buis, la reconnaissance des conjoints est un vieux combat ! Je rappelle que la première mesure en faveur des conjoints date de 1982 - à l'époque, c'était André Delelis qui l'avait défendue. Année après année, des pas ont été faits, mais nous n'avions pas adapté le statut des conjoints à l'évolution de la société. Les concubins étaient exclus de la possibilité d'accéder au statut de conjoint collaborateur. Nous incorporons donc les conjoints concubins, qui auront les mêmes droits que les pacsés et les mariés. Nous allons ensuite simplifier les modes de calcul des cotisations : le nombre de formules différentes va passer de 5 à 3. Enfin, voilà quelques mois, le Parlement a limité à cinq ans la durée du statut de conjoint pour les agriculteurs. Nous allons faire de même pour l'ensemble des indépendants.
Madame la sénatrice Estrosi Sassone, il est vrai qu'il y a actuellement des réflexions, à la suite de l'adoption de la directive Omnibus, sur les questions du paiement différé et du délai de rétractation. Actuellement, des négociations sont en cours avec la Fédération de la vente directe et les associations de consommateurs. De quelle manière peut-on éventuellement protéger les plus faibles qui s'engagent parfois sur des crédits et sur les achats pour lesquels ils n'auraient pas eu le temps de réfléchir ? Toute la question est de savoir s'il faut donner un délai de rétractation de sept ou de quatorze jours. Naturellement, nous continuons à travailler avec les différentes organisations, mais je suis preneur de l'ensemble des avis, de façon que l'on puisse protéger sans empêcher le développement de la vente à domicile, qui est un secteur économique extrêmement important.
Monsieur le sénateur Canévet, les évolutions dans le mode d'exercice de l'activité des indépendants sont très importantes. Je pense que nous allons très loin en permettant à celui dont le chiffre d'affaires n'est pas suffisant de décider de bénéficier de l'ATI. Certes, en termes de montant, on n'arrivera pas toujours à ce que perçoivent les salariés, mais nous faisons un pas absolument considérable par rapport à la situation existante : alors que les indépendants n'ont jamais pu accéder à quoi que ce soit, il pourra leur être versé jusqu'à 800 euros durant six mois. Nous allons naturellement analyser l'utilisation qui sera faite de ce dispositif. Quoi qu'il en soit, je pense qu'il s'agit là d'une avancée significative pour résoudre des situations d'extrême difficulté. Il faut cesser de considérer que celui qui prend des risques doit sauter de la falaise sans parachute. Il convient de lui donner la possibilité de rebondir, de se former, puis d'envisager de retrouver une activité. Cette amélioration du dispositif existant, qui n'était pas suffisant, marque un progrès significatif. Je pense que nous sommes allés assez loin - en tout cas, il n'y avait pas de demande d'aller plus loin.
Mme Monique Lubin. - En tant que membre de la commission des affaires sociales, je m'intéresse particulièrement aux articles 9 et 10. Le vocable de « travailleur indépendant » inclut-il tous les travailleurs des plateformes, tous les auto-entrepreneurs, dont on connaît aujourd'hui la précarité du statut et la modestie des revenus ?
Les dispositions relatives aux allocations chômage et à la formation vont-elles les concerner directement ?
Mme Florence Blatrix Contat. - L'article 1er du présent projet de loi vise à simplifier et généraliser la protection du patrimoine de l'entrepreneur individuel, en étendant à toutes les entreprises individuelles la protection antérieurement octroyée par les EIRL, tout en limitant les formalités.
Cependant, le formalisme des EIRL, qui est jugé excessif, avait pour objectif l'information des créanciers et, par là même, leur protection. Le déficit d'informations sur la consistance du droit de gage peut, à mon avis, être source d'insécurité, créant une asymétrie d'information préjudiciable quand on sait que l'activité économique est largement conditionnée par la confiance.
Comment peut-on donc en même temps concilier la nécessaire protection de l'entrepreneur et de son patrimoine et la protection des créanciers, en garantissant une meilleure information de ces derniers sur le patrimoine professionnel de leur débiteur ?
Enfin, sur la possibilité pour le débiteur de renoncer à la scission des patrimoines à la demande d'un créancier, qu'en serait-il de la protection particulière de la résidence principale ?
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Monsieur le ministre, je vous avoue ne pas avoir très bien compris votre réponse et votre position sur la situation de la protection de la résidence principale d'un entrepreneur individuel en cas de mise en jeu de sa caution personnelle.
Imaginons que je sois un entrepreneur individuel et que j'ai un besoin de financement, soit pour des besoins de trésorerie, soit pour acheter un fonds de commerce ou un droit au bail. Sachant que ma résidence principale n'est pas saisissable, la banque va me demander une caution personnelle. Je n'ai qu'une alternative : soit je décide de ne pas me développer, soit je donne en garantie ma résidence principale. Si je dépose mon bilan, si je fais faillite, elle sera donc saisie.
Effectivement, l'idée de la caution mutuelle peut être intéressante. Nous pourrions y réfléchir, mais nous n'en sommes pas encore là aujourd'hui.
Ma résidence principale, qui était normalement insaisissable, va-t-elle être saisie du fait de la mise en place de la caution ? Les banques qui auront amoindri la mise en place des financements pour les entreprises individuelles vont-elles se retrouver en difficulté ?
M. Vincent Segouin. - Tout à l'heure, je vous ai interrogé sur le statut de l'EI, qui passe à l'IS, ce qui engendrera une baisse des cotisations. Vous m'avez répondu qu'il fallait de l'équité, mais ma question était tournée vers le budget général.
Depuis tout à l'heure, je vous entends parler de trimestres validés, de conjoints collaborateurs, de prestations supplémentaires, donc de nouvelles charges pour l'État, avec des cotisations qui diminuent. Vous nous dites que l'Unédic va en assumer une partie. Or l'Unédic a connu, en 2020, un déficit de 17 milliards d'euros. Le déficit de la sécurité sociale s'élève à 44 milliards d'euros, et je ne parle même pas de la dette de l'État... Vous nous vendez des charges supplémentaires pour l'État, qui n'a pas de réserve et a des déficits partout.
Je répète donc ma question : sur quoi va reposer le financement, si ce n'est sur des cotisations supplémentaires ? Est-ce sur de la dette ? Reste-t-on dans la politique du « quoi qu'il en coûte » ?
M. Alain Chatillon. - Voilà douze ans s'est créée une association qui s'appelle « 60 000 rebonds » : 60 000, c'est le nombre annuel moyen de dépôts de bilan des entreprises, essentiellement des TPE et des PME.
La plupart des pays européens interdisent aux banques de prendre une garantie patrimoniale sur le logement principal de la famille, comme en Allemagne ou dans les pays d'Europe du Nord. Ne pouvez-vous pas prendre d'initiative sur ce sujet, qui me paraît extrêmement important ?
M. Alain Griset, ministre délégué. - Madame la sénatrice Lubin, tout d'abord, je veux apporter une petite précision sur un sujet qui peut quelquefois interroger : le régime de la micro-entreprise, qui a été appelée, en 2009, « l'auto-entreprise », est un régime fiscal et social dérogatoire du droit commun. Ce n'est pas un statut juridique. Ceux qui utilisent le régime de la micro-entreprise sont, juridiquement parlant, travailleurs indépendants. À ce titre, ils bénéficient des mesures du plan des indépendants. Beaucoup d'entre eux font la confusion, quelquefois par manque d'information. D'ailleurs, la plupart d'entre eux n'ont jamais opté pour l'EIRL : ils ont quasiment tous choisi l'EI. Cela dit, le crédit impôt formation ne leur est pas accessible, la plupart d'entre eux n'ayant pas cotisé pour leur formation.
Vous savez qu'Élisabeth Borne a prévu une ordonnance pour la mise en place d'outils permettant de mettre en oeuvre des dispositifs protégeant les indépendants travaillant dans les plateformes. Ces travailleurs voteront au début du printemps 2022 pour une représentation de leur exercice. Nous travaillons naturellement sur le sujet, puisque ces modes d'exercice se développent.
Madame la sénatrice Blatrix Contat, en ce qui concerne les questions de prêts et de protection du patrimoine, une étude très précise que nous avons réalisée n'a pas montré de comportements différents de la part des banques envers ceux qui étaient en EIRL et ceux qui étaient en EI. Par extrapolation, nous pensons que la protection du patrimoine généralisée ne devrait pas modifier ce qui s'est passé avec les EIRL.
De plus, je vous confirme que nous allons continuer à travailler avec le réseau bancaire, mais aussi au développement du cautionnement mutuel, auquel je crois beaucoup. Je l'ai beaucoup utilisé dans mon parcours précédent, pour permettre à des entrepreneurs de bénéficier de crédits. Je pense que l'intermédiation est une bonne solution. Dans tous les cas de figure, l'entrepreneur ne peut pas s'autocautionner. Il faudra un passage devant un notaire et que quelqu'un se porte caution pour lui. Nous allons vraiment aller jusqu'au bout sur ce sujet. Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis à votre disposition pour étudier comment l'on peut vous rassurer et rassurer les entrepreneurs sur ce point, tout en menant un travail de partenariat avec les banques. Nous devons être gagnant-gagnant dans cette opération. Je suis déterminé sur ce dossier : les entrepreneurs ne doivent plus avoir d'épée de Damoclès au-dessus de leur tête.
La réponse est la même pour Mme Renaud-Garabedian : nous allons vraiment travailler sur ce sujet, qui a clairement été l'un des plus compliqués pour nous. Je répète que j'essaie d'aller le plus loin possible de ce que me permet le droit, mais l'objectif est aussi de ne pas empêcher les gens de faire ce qu'ils ont envie. Le tout est qu'ils le fassent en connaissance de cause et qu'ils puissent éventuellement revenir en arrière.
Monsieur le sénateur Segouin, la dette n'est pas tout à fait récente, et nous assumons le « quoi qu'il en coûte ». Nous assumons notre choix d'investir, contrairement à ce qui a été fait en 2008 - il n'y avait alors pas eu d'activité partielle. Il y a eu des faillites et nous avons payé pendant des années les conséquences de cette politique.
Aujourd'hui, le « quoi qu'il en coûte » est terminé : aujourd'hui, on fait plutôt dans le sur-mesure. D'ailleurs, les montants mobilisés sont sans commune mesure : à peu près 150 millions d'euros pour le mois de septembre 2021, contre 4 milliards d'euros en novembre 2020.
Par ailleurs, sur le fait que les mesures que je propose pourraient générer des déficits supplémentaires, je répète que les 140 millions de l'Unédic font partie de son budget. La somme consacrée à la formation - 50 millions d'euros - reste tout à fait raisonnable.
Tout entrepreneur que l'on maintient en activité génère de la recette fiscale. J'aimerais que l'on cesse de considérer que l'on va gagner plus en taxant l'entrepreneur qu'en lui permettant de se développer. C'est en maintenant les entrepreneurs individuels en activité, en leur permettant de transmettre leur entreprise, de se développer, en baissant leurs cotisations que l'on augmentera les recettes fiscales, parce qu'il y aura de l'activité et moins de chômage. C'est, au bout du compte, faire le pari d'une croissance raisonnable.
L'objectif actuel du Gouvernement est de diminuer les impôts et, grâce à la croissance, de résoudre le problème du déficit, qu'il faudra diminuer pour l'avenir.
Monsieur Chatillon, je partage votre préoccupation : c'est vraiment mon objectif depuis les années 2000. Dans notre loi, nous essayons d'aller le plus loin possible : ne peuvent être mis en garantie que les biens professionnels utiles à l'entreprise et liés à l'activité, tous les autres biens étant considérés comme personnels et insaisissables. Je souhaite que nous puissions, ensemble, fortifier cette position, pour que les faillites ne puissent pas se traduire, un jour, par des désastres personnels : saisies de maison, divorces... Ce n'est pas ainsi que l'on peut développer l'entreprenariat dans notre pays.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Si j'ai bien compris, la question de notre collègue Vincent Segouin ne concernait pas le stock de dettes actuel, dont nous sommes comptables, puisque le Parlement a été aux côtés du Gouvernement quand il s'est agi de voter un certain nombre de dispositifs du « quoi qu'il en coûte » pour sauvegarder l'économie de notre pays.
Sa question portait sur l'alourdissement des charges qui découlera des dispositifs que vous nous annoncez et que l'on peut, du reste, accompagner, et sur la façon dont le Gouvernement va financer durablement et structurellement ces nouvelles mesures, sans aggraver les déficits.
Bien sûr, nous préférons une entreprise qui va bien et qui paie des cotisations à une entreprise qui ne va pas bien ! Néanmoins, il vaut mieux parfois une entreprise qui s'arrête qu'une entreprise qui continue à perdre de l'argent.
M. Alain Griset. - Madame la présidente, je pense que nous parlons de la même chose. Pour avoir échangé avec vous à plusieurs reprises sur ces sujets, je pense que nous sommes d'accord sur l'objectif. Cet objectif est double : il s'agit à la fois de développer l'activité, l'économie, les entreprises, pour répondre au besoin de services et de proximité, et de diminuer le déficit, ce qui est une nécessité pour les prochaines années. Nous voulons à la fois continuer la baisse des impôts qui a été engagée depuis 2017 et, grâce à l'activité, diminuer les déficits. Cela ne nous semble pas incompatible. La croissance telle qu'elle est pour l'instant nous permet de penser que c'est la bonne direction. De toute façon, je suis certain qu'il n'y aura pas d'équilibre budgétaire sans développement économique.
Les travailleurs indépendants peuvent beaucoup contribuer à ce dernier. Mon objectif est de les protéger, de leur permettre de se développer, notamment en facilitant la transmission d'entreprise.
Au demeurant, les travailleurs indépendants qui sont déficitaires n'ont d'autre choix que de fermer. Notre objectif est de les accompagner pour qu'ils puissent se former, percevoir l'ATI et ne pas être à la rue. Dans le même temps, nous allons essayer de diminuer la pression fiscale sur ceux qui ne ferment pas, pour qu'ils puissent progresser et, au bout du compte, créer de l'activité, donc permettre à l'État de résoudre ses problèmes financiers.
Telle est notre philosophie générale. J'espère que nous pourrons nous retrouver sur celle-ci et vérifier que c'est le bon modèle.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Nul doute que nous aurons l'occasion de continuer cette conversation !
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Au nom de l'ensemble de mes collègues, je vous remercie, monsieur le ministre, de cette audition.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 h 40.
Mercredi 6 octobre 2021
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous examinons la proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables, qui sera examinée en séance publique jeudi 14 octobre.
Cette proposition de loi ayant été inscrite dans le cadre d'un espace réservé d'un groupe d'opposition, nous appliquons le gentlemen's agreement conclu en 2009 entre les présidents de groupe et de commission et validé par la Conférence des présidents : la commission ne peut modifier le texte au stade de son examen en commission, sauf accord du groupe l'ayant inscrit à l'ordre du jour. Elle pourra toutefois le modifier au stade de son examen en séance.
M. Guillaume Gontard, auteur de la proposition de loi. - Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) a déposé cette proposition de loi pour maintenir les barrages dans le domaine public et créer un service public des énergies renouvelables.
L'article 1er porte sur 450 barrages dont la puissance dépasse 4,5 mégawatts. Les concessions de 140 d'entre eux sont arrivées à terme, sans solution. Cela pose problème.
Il est important de maintenir ces barrages dans le domaine public, car la production d'électricité n'est pas leur seule vocation, loin de là : il s'agit aussi de la disponibilité et de la gestion de la ressource en eau, à des fins de biodiversité, d'agriculture, ou du refroidissement des centrales nucléaires. C'est aussi un patrimoine important, qui concerne la sécurité et la sûreté - gestion des inondations - et qu'il faut entretenir.
Avec les directives européennes imposant une ouverture à la concurrence, il existe un vrai risque de « revente à la coupe » des barrages. Ce serait le pire pour la gestion de l'eau et des bassins.
Nous avons actuellement trois opérateurs semi-publics, mais avec des bases privées : EDF, la Société hydro-électrique du Midi (SHEM) et la Compagnie nationale du Rhône (CNR). Il existe déjà des conflits d'usage dans la vallée du Rhône : CNR fait payer EDF pour lui délivrer de l'eau pour ses centrales nucléaires. Cette chaine n'est donc pas optimale.
Il y a urgence : 450 concessions n'ont pas de solution actuellement. Or sans renouvellement et donc sans visibilité, les opérateurs sont incapables d'investir sur le long terme.
Cette situation n'est pas acceptable. Le Gouvernement a répondu par le projet « Hercule », qui a été suspendu depuis. La création d'« EDF Azur » permettait de sortir de l'ouverture à la concurrence, ce qui prouve une inflexion du discours. C'est la seule solution prévue.
C'est aussi un sujet européen, lié aux directives. Une des pistes évoquées est donc de sortir de cette obligation d'ouverture à la concurrence en passant à une quasi-régie, 100 % publique. À l'intérieur de cette quasi-régie, différents établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) peuvent d'ailleurs se trouver.
Le GEST a déposé une proposition de loi « d'appel » pour alerter sur ce sujet urgent et pour connaître les orientations du Gouvernement. Une telle évolution serait-elle entendable par le Gouvernement ? Elle est compatible avec les directives européennes et permettrait de reprendre toutes les concessions et de mettre un coup d'arrêt à la privatisation d'EDF.
Le second article de la proposition de loi, plus général, vise à mettre en place un service public des énergies renouvelables. Nous devons développer notre mix énergétique à partir de l'hydroélectricité - elle représente 12 % de notre mix énergétique et est facilement stockable - de l'éolien, du solaire, et de la méthanisation - notre collègue Daniel Salmon vient de rendre un rapport sur le sujet.
Nous connaissons les difficultés pour mettre en place ces différentes énergies renouvelables. Il est nécessaire de produire localement, et qu'il y ait une reprise en main citoyenne. Mais cela suppose l'organisation d'un service public à l'échelle nationale pour planifier, pour apporter de l'ingénierie et réfléchir au développement de ce mix énergétique.
Le secteur éolien est en proie à une mainmise du secteur privé : nous avons eu ce débat car un opérateur privé pouvait faire ce qu'il voulait, en y mettant le prix auprès des communes, qui avaient l'impression d'être dépossédées de la planification.
Ce service public des énergies renouvelables permettrait d'avoir un regard global sur ce mix énergétique à l'échelle du pays, et d'accompagner et d'encadrer certaines structures, sans empêcher la présence de structures privées ou semi-privées.
Nous avons souhaité esquisser une vision de notre développement énergétique via les énergies renouvelables, notamment l'hydroélectricité. C'est un moyen de production indispensable, notamment pour le nucléaire. Remettons la main sur ces moyens de production et retrouvons un cadre public.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - La proposition de loi poursuit un double objectif.
Son article 1er applique aux concessions hydroélectriques le dispositif de quasi-régie, qui leur permet de déroger à la mise en oeuvre des règles de concurrence. Dans le même temps, il supprime le dispositif des sociétés d'économie mixte hydroélectriques (SEMH).
Son article 2 fixe à l'État l'objectif de créer un « service public des énergies renouvelables », dont le rôle serait de participer à la structuration de la recherche et du développement, planifier et coordonner le déploiement des énergies renouvelables, favoriser l'organisation des filières et la gestion des matériaux, accompagner les porteurs de projets, encourager l'appropriation citoyenne et favoriser l'atteinte des objectifs de développement.
Notre commission est très attentive au devenir des concessions hydroélectriques. Le renouvellement des concessions est l'objet d'un contentieux avec la Commission européenne, qui a transmis deux lettres de mise en demeure à la France, en 2015 et 2019. Sur 400 concessions, 300 sont exploitées par EDF et 100 par ses concurrents. Par ailleurs, 40 sont arrivées à échéance : elles ont été placées sous un régime transitoire, dit des « délais glissants », qui permet de prolonger les concessions aux conditions antérieures, en contrepartie du versement d'une redevance ad hoc proportionnelle aux recettes.
Dans ce contexte, nous avons constitué un groupe de travail sur les réformes du marché de l'électricité, avec mes collègues Daniel Gremillet et Jean-Claude Tissot, qui s'est réuni à quinze reprises l'an passé.
Par ailleurs, nous avons fait adopter une proposition de loi relative à l'hydroélectricité, déposée par notre collègue Daniel Gremillet et notre présidente Sophie Primas et dont j'étais le rapporteur pour notre commission : son contenu a été largement repris dans le cadre du projet de loi « Climat et résilience ».
Ainsi, l'obligation de « maintenir la souveraineté énergétique » a été reconnue dans le domaine de l'hydroélectricité.
De plus, les concessions hydroélectriques ont été intégrées à la « loi quinquennale » sur l'énergie, prévue à compter de 2023, ainsi qu'au rapport annuel sur l'impact environnemental du budget.
Plus concrètement, les maires et les présidents de groupement de communes seront informés en amont de tout projet de réorganisation des concessions porté à la connaissance de l'État. Ils pourront plus systématiquement participer aux comités de suivi de l'exécution des concessions. Ils pourront plus simplement constituer des SEMH.
Enfin, une proposition de résolution a été déposée en complément de la proposition de loi, à l'initiative des mêmes auteurs. Elle demande notamment au Gouvernement de « préserver notre modèle concessif dans les négociations européennes relatives aux concessions hydroélectriques, en défendant les enjeux de souveraineté énergétique, de sûreté hydraulique et d'aménagement du territoire soulevés par elles ».
C'est donc avec un réel intérêt, mais aussi une réelle expertise que notre commission s'est penchée sur cette proposition de loi.
Or, ce texte pose trois lourdes difficultés.
La première est une difficulté de principe. Offrir une solution pérenne aux concessions hydroélectriques nécessiterait de trouver un accord préalable avec la Commission européenne. Cette solution pérenne s'inscrirait plutôt dans un projet global, car le devenir des concessions hydroélectriques, la réorganisation du groupe EDF et la régulation du nucléaire sont des sujets de négociation liés. Adopter le dispositif proposé, unilatéral et parcellaire, car non négocié en amont, n'éteindrait donc en rien le contentieux en cours ; cela serait même le contraire en ajoutant un nouveau motif de litige !
La deuxième est une difficulté de méthode. Dans le cadre de mes travaux, j'ai auditionné l'ensemble des parties prenantes : le groupe EDF, le groupe Engie, les autres hydroélectriciens, les syndicats du groupe EDF, les représentants des professionnels des énergies renouvelables, et le Gouvernement. La quasi-totalité des acteurs interrogés sont opposés au texte : l'article 1er est jugé peu opérant, l'article 2 peu novateur.
La troisième est une difficulté de fond.
L'article 1er sur les concessions hydroélectriques n'est pas opportun juridiquement.
Il n'est pas utile, car la quasi-régie existe déjà à l'article L. 3211-1 du code de la commande publique : inutile de légiférer, il suffit d'appliquer, le cas échéant, la loi.
Pire, l'article abroge deux bases légales : celle qui distingue le régime des concessions de celui des autorisations, créant un flou sur le régime applicable à nos 2 100 installations autorisées et à nos 400 installations concédées ; celle des SEMH qui, même si elles n'ont pas encore été appliquées, constituent une faculté pour nos collectivités territoriales de participer au capital des concessions. La première abrogation est contradictoire avec l'objectif poursuivi, car la mise en oeuvre d'une quasi-régie s'appuierait, sans s'y substituer, sur le régime des concessions. La seconde abrogation est prématurée, car nos élus locaux n'ont pas été consultés sur l'opportunité de supprimer les SEMH locales au profit d'une quasi-régie nationale.
Plus substantiellement, l'article présente plusieurs problèmes.
En premier lieu, le périmètre du dispositif de quasi-régie engloberait l'ensemble des concessions hydroélectriques françaises, celles du groupe EDF comme celles de ses concurrents. C'est bien au-delà du schéma envisagé par le projet « Hercule », devenu « Grand EDF », qui visait à sécuriser les concessions du groupe EDF puisque ce sont elles qui sont l'objet du contentieux européen ! Cela serait totalement inédit : ni la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique ni la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz n'ont jamais entendu placer l'ensemble des concessions sous un timbre public, une part concurrentielle ayant toujours été maintenue !
En second lieu, les modalités juridiques du dispositif de quasi-régie sont imprécises. D'une part, aucune condition de création ou d'organisation n'est indiquée. En l'absence de telles conditions, le Gouvernement n'a pas « la possibilité d'évaluer la compatibilité du dispositif avec le droit applicable ». D'autre part, les différents cas de figure ne sont pas pris en compte, selon que les concessions sont échues ou non, nationales ou transfrontalières, détenues par le groupe EDF ou ses concurrents. En l'absence de telles précisions, le dispositif de quasi-régie s'appliquerait immédiatement à toutes les concessions, rendant caducs les contrats en cours de 360 concessions non échues, soit bien plus que les 40 concessions échues, dont la situation juridique est la plus précaire... Le remède pourrait donc être pire que le mal !
En dernier lieu, les conséquences financières du dispositif de quasi-régie sont omises. Pour le Gouvernement, le coût de sa mise en oeuvre serait « vraisemblablement de plusieurs milliards d'euros ». En effet, la constitution de la quasi-régie nécessiterait des mouvements capitalistiques. Par ailleurs, les concessionnaires des concessions supprimées pourraient prétendre à une indemnisation, compte tenu de la rupture des relations contractuelles et du transfert des biens non amortis. Enfin, les salariés des concessions supprimées devraient impérativement bénéficier de mesures de transfert ou de reclassement, faute de quoi l'impact social de la réorganisation serait dramatique ! Or, la proposition de loi n'intègre aucune modalité économique, ni aucune conséquence financière. Le dispositif serait donc incomplet et resterait, en définitive, au milieu du gué !
L'article 2 sur le service public des énergies renouvelables n'est pas non plus opportun sur le plan juridique.
Il est aussi satisfait par le droit existant. L'article L. 121-1 du code de l'énergie consacre déjà un service public de l'électricité et l'article L. 121-32 du même code un service public du gaz ; ils englobent naturellement les énergies renouvelables. Sur ce sujet, je rappelle que les énergies renouvelables sont promues par des objectifs ambitieux inscrits dans le code de l'énergie, mais aussi la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ; de nombreux dispositifs de soutien, l'obligation d'achat et le complément de rémunération représentant environ 180 milliards d'euros d'ici à 2028 ; une administration étoffée, avec deux directions centrales, une agence dédiée et des services déconcentrés.
De plus, l'article est général. Son champ imprécis laisserait de côté certaines énergies renouvelables - comme l'hydrogène - ou décarbonées - comme le nucléaire. Son niveau national ferait peu de cas des services publics locaux, ce qui est contraire à la politique de décentralisation, mais aussi au principe de subsidiarité. Ses missions larges pourraient achopper sur la liberté de commerce et d'industrie et le droit de la concurrence, qui encadrent les interventions économiques des pouvoirs publics, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État.
Pour autant, « au regard des dispositions générales envisagées », le Gouvernement n'a pas identifié d'incompatibilité juridique ou de surcoût financier.
Compte tenu de ces lourdes difficultés, je suis contraint de proposer à notre commission de rejeter la proposition de loi.
Si, comme tous les sénateurs, je nourris des inquiétudes sur le devenir de nos concessions hydroélectriques, la réponse suggérée par la proposition de loi n'est pas opportune, car elle est peu aboutie. La proposition de loi est peu consensuelle et mal calibrée ; elle pourrait induire des « effets de bord ». Or, l'enjeu est trop important, puisqu'il y va de l'avenir de notre transition et de notre souveraineté énergétiques.
Je sais que notre commission, dans ses fonctions législatives et de contrôle, sera très attentive à offrir une vraie réponse à la hauteur de l'enjeu, le moment venu. Je ne doute pas que les auteurs de la proposition de loi y contribueront pleinement. Dans l'immédiat, gardons-nous de toute législation hâtive.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons compris des propos du président Guillaume Gontard qu'il s'agit surtout d'ouvrir le débat ; nous l'aurons en séance publique.
M. Daniel Gremillet. - Je remercie nos collègues Guillaume Gontard et Patrick Chauvet pour leur travail très important sur ce sujet stratégique.
Nous sommes très reconnaissants à la commission de s'être saisie depuis longtemps du sujet de l'hydroélectricité, qui a fait l'objet de nombreuses réflexions, notamment au sein du groupe de travail avec mes collègues Jean-Claude Tissot et Patrick Chauvet. Nous avons eu la chance d'intégrer dans la loi « Climat et résilience » une part significative des dispositions de la proposition de loi sur l'hydroélectricité, adoptée l'an passé par le Sénat à l'initiative de notre commission.
Les enjeux de l'indépendance énergétique et du prix de l'énergie pour les familles et les entreprises sont cruciaux. L'hydroélectricité fait partie - comme le nucléaire - d'une stratégie répondant à la décarbonation de notre énergie. C'est une énergie pilotable, stockable, et répartie sur le territoire.
Je me réjouis de ces échanges même si la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui pose de nombreux problèmes, quand bien même ils ne semblent pas volontaires. Nous n'allons pas détricoter des engagements territoriaux, notamment dans les SEMH, où les collectivités locales sont très engagées. Nous avons également besoin d'être forts dans la négociation européenne, qui est complexe - nous le voyons dans les positionnements sur le gaz ou vis-à-vis de l'Allemagne... La France n'est pas toujours bien positionnée sur des énergies décarbonées comme le nucléaire, énergie stratégique pour notre économie, les familles et le climat.
Cette proposition de loi nous mettrait en situation de fragilité. Or le travail antérieur réalisé par la commission nous a permis d'afficher une ambition supplémentaire pour l'hydroélectricité. Notre proposition de loi était très attendue dans nos territoires. C'est le moment de nous rassembler, non de nous fragiliser
Je remercie notre rapporteur, dont je partage l'avis.
M. Jean-Marc Boyer. - L'hydroélectricité est une énergie importante.
La Dordogne, qui prend sa source dans le Massif central et va jusqu'à Bordeaux, est une ressource essentielle pour tous les départements traversés, en matière d'apport énergétique et pour la vie économique locale.
Actuellement, l'éolien est très contesté sur l'ensemble du territoire national par les collectivités locales mais aussi des associations d'habitants, contestant son insertion - ou sa « destruction » - paysagère, ou soulignant son impact sur le patrimoine, le recyclage, les pressions faites sur les élus.
J'ai compris qu'il faut désormais l'accord du maire pour qu'un projet puisse se réaliser. Il existe un problème d'acceptabilité. Il faudrait un débat sur la stratégie énergétique et les différentes sources d'énergie pour savoir ce qui est positif et ce qui l'est moins, avant de définir les choix à faire au niveau national.
M. Bernard Buis. - Cette proposition de loi propose l'application d'une quasi-régie à l'ensemble des installations hydrauliques concédées pour éviter « le morcellement de ce patrimoine » hydroélectrique et « tenir compte des enjeux spécifiques liés à la gestion de l'eau ». Oui, les barrages sont des« fleurons industriels » et un « patrimoine national stratégique garant de notre souveraineté énergétique », comme indiqué par l'exposé des motifs de la proposition de loi. Le projet Hercule voulait sanctuariser cette production hydraulique française pour la transférer à une quasi-régie détenue par « EDF Bleu ». Faute de consensus, l'ensemble du projet a été abandonné en juillet dernier. Pour autant, l'option de la quasi-régie est une piste à travailler.
L'Europe ne propose pas la privatisation des barrages, mais la mise en concurrence pour l'exploitation de leurs concessions. Avec une concession, qu'elle soit exploitée par un opérateur privé ou par opérateur public, l'État peut continuer à définir la politique de gestion des barrages hydrauliques.
Dans la Drôme, la CNR gère plusieurs concessions depuis de très nombreuses années en assumant d'importantes obligations de service public, et cela se passe très bien. Cela met en évidence le rôle joué par d'autres opérateurs privés qu'EDF.
Le choix européen d'ouvrir les marchés nationaux d'électricité à la concurrence a bénéficié à EDF et GDF, qui ont racheté de nombreux opérateurs européens comme British Energy au Royaume-Uni ou Edison en Italie.
Au regard des missions de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), il ne semble pas nécessaire de créer une nouvelle structure publique - comme prévu à l'article 2 - dont les compétences sont déjà satisfaites.
Si nous devons prioriser les enjeux sociaux, économiques et écologiques liés à l'hydroélectricité et à la gestion de l'eau, ceux-ci ne doivent pas être figés dans la loi selon un schéma inflexible, sans concertation. Ce serait contreproductif. Nous voterons contre cette proposition de loi.
M. Pierre Louault. - Cette proposition de loi a le mérite de poser le débat, même si une quasi-régie nationale n'est sans doute pas la solution.
Nous rejetons le projet « Hercule » qui apportait une solution. On critique beaucoup, mais sans régler le problème. Il faudra trouver une solution.
Une dimension régionale répond mieux aux attentes de nos concitoyens.
Les éoliennes sont rejetées, presque partout, par les habitants qui ont l'impression que l'État donne beaucoup d'argent à des entreprises privées qui s'occupent peu de la production d'électricité.
Il y a des solutions locales très peu exploitées. Si nous voulons une meilleure acceptabilité de ces nouvelles productions d'électricité, il faudra trouver des réponses plus locales et semi-publiques.
À nous d'avancer sur ces projets, sans faire l'autruche, comme c'est le cas depuis dix ans.
Mme Sophie Primas, présidente. - Pas dans notre commission !
M. Pierre Louault. - Non, mais nous n'avons pas de solution et en sommes toujours au même point.
M. Serge Mérillou. - Nous partageons le premier objectif de maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public, mais le moyen retenu pour y arriver n'est pas le bon. Il présente au moins deux défauts : la disparition des acteurs de l'hydroélectricité, notamment la branche hydroélectricité d'EDF, mais aussi la CNR dans le Rhône et la SHEM dans les Pyrénées, ce qui serait inacceptable ; ensuite le coût de la création d'une quasi-régie, évoqué par le rapporteur. Cela risquerait aussi de couper les élus locaux des barrages sur leur secteur.
La directive européenne sur la concurrence nous enferme dans une nasse. Elle réduit les barrages au seul rôle économique de production d'hydroélectricité. Or il y a aussi des enjeux plus larges de gestion de l'eau, de la biodiversité, de sécurité et de sûreté des installations, d'aménagement du territoire. Mettre les barrages en concurrence touche à notre souveraineté nationale.
Nous voulons un vrai service public intégré d'électricité autour d'EDF, qui fonde notre attachement à l'hydroélectricité. En l'état actuel, nous ne pouvons pas voter cette proposition de loi.
M. Fabien Gay. - Je salue notre collègue Guillaume Gontard et le GEST pour le travail approfondi et ancien réalisé, avec certains syndicats, sur cette proposition de loi. La question qu'elle pose est juste, mais la solution proposée inadaptée.
Le rapporteur a raison : les concessions n'arrivent pas toutes en même temps à échéance. La SHEM arrive à échéance, ce n'est pas le cas de la CNR. Dès lors, le dispositif pourrait engendrer des difficultés pour les salariés. Je crains un risque de casse sociale, même si, évidemment, ni notre collègue ni son groupe ne le souhaite.
En outre, la mise en place d'un service public des énergies renouvelables exclurait les autres activités. Je défends, pour ma part, un groupe intégré incluant la production, le transport et la distribution d'énergie. En somme, il convient de revenir à EDF au lieu de favoriser les acteurs alternatifs qui n'investissent pas dans la production mais réalisent des bénéfices... Pour répondre à notre collègue Bernard Buis, la libéralisation du secteur de l'énergie ne fonctionne pas bien. Nous ne pourrons faire l'économie d'un bilan de cette libéralisation. À la lecture de leurs factures, les consommateurs ne s'y trompent pas... En tout état de cause, il me semble difficile de séparer des modes de production complémentaires : les barrages hydroélectriques ont besoin du nucléaire pour leur fonctionnement et leur sécurité.
Enfin, je déplore que cette proposition de loi aille in fine dans le sens du Gouvernement et de la Commission européenne, dans le cadre du projet « Hercule », devenu « Grand EDF » : la création d'une quasi-régie reviendrait à désintégrer le groupe EDF. Ne sauvons pas les barrages hydroélectriques au détriment du reste ! Cette solution ne permet pas non plus de sortir du marché puisque la quasi-régie peut être gérée en société anonyme. Je sais, hélas, que je suis seul à défendre cette position...
Je ne voterai pas cette proposition de loi.
Mme Sylviane Noël. - Je salue le travail du rapporteur, dont je partage l'analyse. L'hydroélectricité, dans les zones de montagne, est importante au-delà du seul aspect énergétique, notamment pour le soutien à l'étiage, la pêche ou le sport en eau vive.
Cette proposition de loi a le mérite d'ouvrir le débat et d'alerter le Gouvernement sur les risques induits par l'ouverture à la concurrence et le morcellement du marché. L'Allemagne s'est libérée, en la matière, des règles européennes. Cela relève d'une volonté politique.
M. Daniel Salmon. - Les grands barrages hydroélectriques représentent un enjeu stratégique pour la France ; nous le pensons tous. Nous nous trouvons cependant au pied du mur : l'Union européenne nous demande d'ouvrir le secteur à la concurrence depuis des années. La proposition de loi, « d'appel », présente une solution en accord avec la directive européenne, tout en permettant le contrôle des barrages par la puissance publique. Pour répondre à notre collègue Fabien Gay, la quasi-régie est intégralement publique. Souvent, les barrages hydroélectriques fonctionnent en cascade : il ne semble donc pas opportun que des acteurs indépendants se partagent un même cours d'eau.
Effectivement, les installations hydrauliques autorisées, dont la production est inférieure à 4,5 mégawatts, ne devraient pas être concernées par le texte : il y a une « coquille » dans la proposition de loi car il n'aurait pas fallu écraser certains alinéas à l'article 1er. Il faudrait les réintégrer.
L'article 2 porte sur le service public des énergies renouvelables. De fait, il existe des difficultés d'acceptabilité s'agissant de l'éolien, faute d'un pilotage public stratégique au service de l'équilibre territorial. On ne peut pas laisser la main au secteur privé, même avec un encadrement. Il apparaît regrettable qu'EDF, focalisé sur le nucléaire, ne se soit pas emparé des énergies renouvelables : c'est un constant criant ! Nous en débattrons en séance publique.
Mme Martine
Berthet. - Élue d'un département comptant une
dizaine de barrages, je suis souvent interpellée à leur sujet par
les syndicats et les élus locaux. Aussi, je suis sensible à
l'initiative de nos collègues : les barrages sont essentiels
à notre industrie
- aujourd'hui en difficulté du fait de la
hausse des coûts de l'énergie - et à nos emplois.
La proposition de loi a le mérite de mettre à l'ordre du jour le sujet de l'extinction des concessions. Toutefois, elle ne prend pas en considération l'avis des élus locaux, ainsi que le déplorait notre rapporteur. Dans mon département, les élus préfèrent la solution des SEMH, afin de garder la main sur les aménagements autour des barrages. Pour cette raison, je suis totalement en accord avec le rapporteur et le remercie de son travail.
M. Jean-Pierre Moga. - Au nom de notre groupe, je salue le travail de nos collègues Guillaume Gontard et Patrick Chauvet. La situation actuelle n'est effectivement pas satisfaisante ; nous l'avions déjà déploré lors des débats relatifs à la proposition de loi déposée par notre collègue Daniel Gremillet. Sur le sujet, la commission a réalisé un travail approfondi.
Je ne crois pas que les deux articles de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui soient en mesure de régler les difficultés constatées : il s'agit, comme le reconnaît son auteur, d'un texte « d'appel ». Il me semble nécessaire de prendre en compte le sujet de l'énergie et du rôle d'EDF dans sa globalité et de se conformer en la matière à la directive européenne - ou la faire évoluer.
Tous les acteurs auditionnés se sont déclarés opposés à la proposition de loi ; notre groupe suivra le rapporteur et ne la votera pas.
M. Guillaume Gontard. - Nous corrigerons effectivement en séance l'article 1er, afin de ne pas viser les ouvrages de moins de 4,5 MW. Évidemment, madame Martine Berthet, le lien avec les élus locaux est indispensable s'agissant de la gestion des barrages hydroélectriques, notamment pour ce qui concerne les activités touristiques. L'ouverture à la concurrence porte d'ailleurs le risque d'une rupture de ce lien. Sur ce point, la solution de la SEMH peut sembler intéressante, mais, demeurant privée, elle ne règle en rien les difficultés soulevées par l'ouverture à la concurrence.
Notre proposition de loi ne peut seule résoudre ce problème complexe, mais elle permet d'ouvrir le débat et de présenter une solution. Pourrait-elle constituer le fondement d'une négociation avec le Gouvernement ou orienter les discussions avec l'Union européenne ? Une reprise des activités hydroélectriques sur une base 100 % pourrait-elle être d'ores et déjà actée pour servir de base à ces négocations ou discussions ?
Monsieur Fabien Gay, la quasi-régie constitue la seule solution exclusivement publique, même si elle entraîne des interrogations sur la restructuration d'EDF, de la SHEM et de la CNR, dont la situation actuelle n'est guère tenable. Pour EDF, elle n'est de surcroît pas acceptable car elle conduit à une privatisation. Pourquoi le service public que nous proposons ne porte que sur les énergies renouvelables ? Nous estimons que le secteur nucléaire diffère trop de celles-ci au regard de son fonctionnement et de son coût. De fait, le Gouvernement avait envisagé, dans le cadre du projet « Hercule », la privatisation du secteur des énergies renouvelables en raison de sa rentabilité. Vous craignez également une casse sociale, mais la quasi-régie laisse ouvertes plusieurs possibilités. Nous pourrions, par exemple, imaginer de recréer au sein de cette quasi-régie des EPIC avec différents opérateurs. La situation actuelle, avec trois opérateurs, n'apparaît pas satisfaisante en matière de gestion de l'eau et de nettoyage des sédiments, puisque le séquençage induit des coûts supplémentaires. Une reprise en main publique nous semble donc souhaitable.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous défendrons des points de vue différents en séance publique ; ainsi va le débat parlementaire.
Nous entendrons en novembre monsieur Jean-Bernard Lévy pour évoquer l'avenir du groupe EDF mais aussi les enjeux de l'hydraulique et du nucléaire.
Je vous indique par ailleurs, avec regret, que madame Élisabeth Ayrault, présidente du directoire de la CNR, quitte ses fonctions pour raisons personnelles. Nous avions beaucoup apprécié sa présidence et l'avions rencontré au Sénat mais aussi dans le Rhône. En application de l'article 13 de la Constitution, nous serons prochainement amenés à nous prononcer sur sa succession.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Conformément au vade-mecum sur l'application des irrecevabilités en application de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi.
Sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé, les dispositions relatives aux modalités d'organisation et de fonctionnement des concessions hydroélectriques prévues par le code de l'énergie, aux modalités d'application du dispositif de quasi-régie prévu par le code de la commande publique, aux SEMH prévues par le code de l'énergie et aux objectifs et aux modalités d'application du service public des énergies renouvelables.
Ne sont pas considérées comme susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé, les dispositions relatives aux règles de continuité écologique applicables aux installations hydrauliques, aux objectifs généraux de la politique énergétique nationale prévus par le code de l'énergie et aux modalités d'organisation du groupe EDF, au-delà de ses activités hydroélectriques.
Le périmètre de la proposition de loi pour l'application de l'article 45 de la Constitution est adopté.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Je vous remercie et salue une nouvelle fois l'auteur de la proposition de loi. Nous finirons ensemble par faire émerger une solution.
M. Sophie Primas, présidente. - Je mets aux voix cette proposition de loi, avec un avis défavorable de notre rapporteur.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
La réunion est close à 10 h 40.