- Mardi 30 mars 2021
- Mercredi 31 mars 2021
- Avenir du groupe La Poste - Présentation du rapport d'information
- Audition de M. Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance
- Proposition de loi tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique - Examen du rapport et du texte de la commission
Mardi 30 mars 2021
- Présidence conjointe de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, de MM. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Audition de M. Thierry Breton, Commissaire européen au marché intérieur
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Je partage avec les présidents Laurent Lafon et Jean-François Rapin le plaisir d'accueillir Monsieur Thierry Breton. Nous vous avions entendu, Monsieur le commissaire, il y a bientôt un an, alors que la coordination européenne face à la crise économique liée à la covid-19 en était encore à ses premiers pas. Depuis, un plan de relance d'une ampleur inédite, 750 milliards d'euros, financé par un emprunt mutuel, a été adopté, après plus de six mois de négociations difficiles entre États membres. Le tribunal constitutionnel allemand a suspendu vendredi le processus de ratification et par conséquent retardé son adoption définitive. Vous nous direz votre lecture de ce qui n'est pas tout à fait un veto, mais au moins un sérieux caillou dans la chaussure européenne.
En tant que commissaire chargé de la politique industrielle, du marché intérieur, du numérique, de la défense et de l'espace, vous êtes sans aucun doute l'un des mieux placés pour mesurer l'urgence de l'autonomie stratégique, dont la dimension économique - et surtout industrielle - est plus évidente que jamais.
Ma première question porte sur la mise en oeuvre de la stratégie industrielle « verte, numérique et compétitive » présentée il y a un an. Où en est la réflexion sur l'articulation de cette stratégie avec les politiques commerciales et de concurrence ? Les mentalités vous semblent-elles avoir évolué avec la crise : la stratégie industrielle fait-elle désormais consensus ? Je souhaiterais aussi que vous nous présentiez vos actions concrètes dans les 14 secteurs stratégiques identifiés, au coeur de la crise, comme priorités pour l'Union.
Par ailleurs, vous rappeliez récemment que « nous sommes le continent qui a produit le plus de vaccins », et pourtant, force est de constater que la stratégie de vaccination connaît quelques retards. Peut-on mettre ces retards sur le compte d'une certaine « naïveté européenne » ? La cheffe économiste du FMI partageait en fin de semaine dernière, sur Twitter, un graphique édifiant : les États-Unis et le Royaume-Uni, jadis fers de lance de la mondialisation, n'ont pas exporté les vaccins produits sur leur sol, quand l'Union européenne exportait 42 % de sa production, à l'instar de la Chine ou de l'Inde. L'émergence d'une stratégie plus offensive de l'UE, vis-à-vis du Royaume-Uni ou des autres, est-elle à l'ordre du jour ?
Enfin, je souhaiterais vous interroger sur votre action en matière de numérique. La Commission européenne entend flécher 20 % du plan de relance, soit 150 milliards d'euros, vers l'économie numérique. Quels sont les principaux objectifs fixés d'ici 2030 et les secteurs prioritaires identifiés qui bénéficieront de ces investissements supplémentaires ?
Je ne saurais conclure sans vous interroger sur votre initiative pour constituer une constellation européenne de satellites capables de fournir un accès Internet haut débit au sein de l'UE. Quelles sont les premières orientations retenues par le consortium chargé de réaliser une étude de faisabilité ? Le cas échéant, l'industrie spatiale française sera-t-elle cheffe de file de ce nouveau défi industriel, au regard de son expertise en la matière ?
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Je tiens tout d'abord à remercier sincèrement pour leur invitation Mme la Présidente Sophie Primas et M. le Président Jean-François Rapin. Monsieur le commissaire, comme vous le voyez, l'affluence à cette audition traduit non seulement l'estime que nous vous portons, mais également l'étendue et la richesse des thématiques que vous avez à traiter !
La commission de la culture se trouve presque sur chaque dossier confrontée à l'épineuse question de la révolution du numérique, un sujet que vous connaissez fort bien, dans le cadre de vos fonctions actuelles, mais également des précédentes.
En la matière, l'Europe est très certainement le seul échelon pertinent pour peser face à des grands acteurs du numérique, les fameux « Gafam », qui profitent de leur supériorité technologique, mais également d'une position de quasi-monopole, pour imposer leur vision des échanges.
C'est le sujet de ma première question : comme vous le savez, le Sénat, grâce à notre collègue David Assouline, a été à l'origine de la première transposition en Europe de la directive sur les droits voisins des agences de presse et des éditeurs de presse. Un an et demi après son adoption définitive, les médias ont toujours les plus grandes difficultés à faire valoir leurs droits face à Google et Facebook. Pensez-vous qu'une initiative complémentaire, par exemple dans le cadre de la discussion des futures directives Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA), soit nécessaire ?
Le Sénat a examiné, le 22 octobre dernier, une proposition de loi, que j'ai portée, visant à imposer une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinées au grand public.
Je sais que vous êtes particulièrement sensible à cette question de la cybersécurité, qui prend une importance grandissante dans un contexte géopolitique instable avec des acteurs « semi-étatiques » en mesure de mener des opérations de piratage à grande échelle. Que pensez-vous de cette démarche visant à responsabiliser les plateformes tout en attirant l'attention des usagers sur ce point ?
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - C'est avec grand plaisir que nos trois commissions vous auditionnent aujourd'hui. Il y a un an, mon prédécesseur Jean Bizet vous accueillait dans un contexte inédit puisque la France vivait son premier confinement pour freiner la pandémie de Covid-19. Il était déjà évident que cette pandémie mettait à mal le marché intérieur, révélait nos dépendances industrielles et accélérait la numérisation de nos économies et de nos sociétés.
Vous nous aviez alors annoncé votre plan de bataille pour y répondre, tout en soulignant que les crises de cette ampleur sont des accélérateurs de tendances. Force est de reconnaître que vous avez depuis réalisé un travail important, mais il reste encore du pain sur la planche sur les trois volets de votre plan.
Le fonctionnement du marché intérieur d'abord : c'est toujours un défi important, à l'heure où la nouvelle flambée de la pandémie motive à nouveau des fermetures de frontières. Après avoir facilité la circulation des marchandises, l'Union européenne s'attelle maintenant à favoriser la circulation des personnes via le certificat vert. Ce passeport sanitaire doit permettre à un citoyen qui voudrait passer d'un État membre à un autre de prouver qu'il n'est pas contagieux. C'est un défi technologique majeur de rendre ce certificat interopérable : comment pouvez-vous assurer qu'il sera en service d'ici l'été ? Pour les travailleurs transfrontaliers qui doivent pouvoir circuler chaque jour, une autre solution doit être trouvée : qu'envisagez-vous ? Nous sommes par ailleurs soucieux des distorsions internes au sein du marché intérieur qui découlent de l'aménagement de crise apporté aux règles européennes en matière d'aides d'État : ce sont bien entendu les États les mieux dotés budgétairement qui en ont profité, au risque de creuser encore l'écart. Comment assurer une concurrence loyale entre les États membres dans ce contexte ?
Deuxième enjeu : nos dépendances industrielles. Vous vous employez à optimiser notre approvisionnement en vaccins et les capacités européennes de production : de quels leviers disposez-vous à cet effet ? Votre promesse d'immunité collective au 14 juillet peut-elle être tenue ? Au-delà, se pose la question de notre autonomie stratégique. Ma collègue Sophie Primas en a parlé. Le concept fait toujours débat entre les Vingt-Sept, mais les faits sont là. Nos dépendances stratégiques sont avérées : terres rares, batteries électriques, microprocesseurs... mais aussi ports, lanceurs et autres infrastructures logistiques d'importance stratégique. Nous avons le sentiment d'une prise de conscience nouvelle. À ce titre, le récent papier publié par les Pays-Bas et l'Espagne prouve leur ralliement à cette ambition, même si ces pays restent inquiets du protectionnisme déguisé qu'elle cacherait. Ils vont jusqu'à proposer d'étendre le vote à la majorité qualifiée dans certains domaines stratégiques pour avancer : est-ce indispensable à vos yeux ? Vous comptiez aussi recourir aux Projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC), qui dérogent doublement aux règles européennes de concurrence : cette opportunité sera-t-elle exploitée pour l'ordinateur quantique, les supercalculateurs, ou les constellations spatiales ?
Troisième défi : le numérique. Vous avez mis sur la table un bouquet de textes structurants pour l'économie de la donnée, les marchés organisés autour des plateformes et les services rendus en ligne. Ces textes témoignent d'une détermination nouvelle de la Commission qui vous doit beaucoup : ce virage qui s'amorce dans le champ numérique restera-t-il sectoriel ou peut-on espérer une révision plus générale des règles européennes de concurrence ? Mieux, la stratégie industrielle révisée, que la Commission annonce pour le mois prochain, sera-t-elle articulée avec une révision de la politique de concurrence et avec celle de la politique commerciale ?
M. Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur. - Merci pour votre invitation, je constate avec plaisir et avec envie que vous savez pratiquer la distanciation sociale tout en étant ensemble, c'est encourageant lorsque nous nous efforçons de revenir à une vie plus normale grâce à la vaccination, dont j'espère qu'elle sera accessible à tous les Européens dès la mi-juillet.
Mon propos liminaire portera sur les trois grands thèmes que j'entends dans vos questions : l'organisation de notre espace numérique, la stratégie industrielle sous tous ces aspects, la responsabilité nouvelle qui m'a été confiée pour que notre continent soit en mesure de fournir le nombre de vaccins nécessaires pour nous, Européens, et pour une bonne partie de la planète.
Sur l'espace numérique, sujet essentiel, je me suis beaucoup impliqué, car nous avons estimé primordial de proposer une nouvelle organisation et une réglementation de ces plateformes, qui jouent un rôle structurant dans notre vie quotidienne. Effectivement, la crise sanitaire s'est confirmée être un accélérateur de tendance, nous l'avons vu avec l'usage de plus en plus important des plateformes numériques. Il faut s'organiser afin que les règles de la vie physique soient transposées dans l'espace virtuel, c'est-à-dire que ce qui est autorisé et interdit dans l'espace physique le soit pareillement dans l'espace numérique ; c'est simple à dire, mais complexe à mettre en oeuvre et c'est l'objet du DSA qui est à l'étude chez nos co-législateurs. Le DMA organise de son côté la vie économique de ces grandes plateformes sur le marché intérieur dont j'ai la charge, pour que la concurrence telle que nous l'entendons s'exerce dans de meilleures conditions, qu'il y ait moins de goulets d'étranglement et que tous les acteurs économiques puissent s'épanouir ; la crise sanitaire nous a montré combien il était important de développer les outils numériques pour toucher les clients des grandes mais aussi des petites entreprises. Le DSA donne des responsabilités très claires aux plateformes et prévoit des contrôles pour vérifier qu'elles mettent bien en oeuvre leurs obligations, ce qui suppose des moyens humains - c'est à cette condition que les législateurs que vous êtes auront la certitude que les règles établies seront effectivement appliquées avec célérité dans l'espace numérique, qu'il s'agisse de lutte contre le terrorisme ou la pédopornographie, les produits contrefaits ou encore de lutte contre les fake news. L'application effective de ces règles redonnera confiance dans l'espace numérique et responsabilisera les plateformes afin qu'elles réagissent rapidement, ceci dans l'intégralité de l'Union puisque la loi y sera partout la même. L'espace informationnel sera ainsi géré avec plus de rigueur ; il y aura ce que les Anglo-saxons appellent des gatekeepers, des contrôleurs d'accès qui répondront à des critères précis tels que le chiffre d'affaires, le nombre de clients connectés, ou encore, et c'est nouveau, la valorisation. Nous pourrons ainsi mieux contrôler ce que font ces grandes plateformes, y compris en matière d'acquisitions.
La nécessité que nous avons d'investir massivement dans les infrastructures numériques fait le lien avec la stratégie industrielle européenne, un point décisif lui aussi. Nous avons besoin d'investissements massifs dans les processeurs, le cloud, la 5G sécurisée, la connectivité par un réseau satellitaire qui nous donne une redondance en cas de défaillance des infrastructures terrestres. Nous passons en revue notre stratégie industrielle après un an de crise sanitaire qui a accéléré certaines tendances que nous avions identifiées ; nous la confortons autour des trois axes que sont la stratégie verte et le Pacte vert pour l'Europe, qui s'engage à zéro carbone en 2050 avec une étape importante en 2030, la stratégie numérique, avec la décennie numérique de l'Europe, qui a des objectifs très ambitieux pour 2030, enfin, avec tout ce qui concerne la résilience, dans l'objectif de renforcer notre autonomie stratégique - nous avons initié de nombreux travaux sur nos forces et nos vulnérabilités et de voir nos dépendances, en particulier pour savoir comment renforcer notre autonomie dans l'accès aux matériaux critiques et rares, par exemple le lithium pour les batteries.
La crise sanitaire nous rappelle combien il est nécessaire de maîtriser nos dépendances. Nous examinons cet impératif dans le cadre de quatorze écosystèmes, chacun ayant sa dynamique propre : l'automobile, les transports, la distribution, la défense, l'espace, etc. À chaque fois, les données, les dépendances, les priorités ne sont pas les mêmes ; pour chacun de ces écosystèmes, nous avons analysé les dépendances critiques, avec le jeu des règles du commerce et de la concurrence ; nous en sommes à la finalisation de ces analyses.
Les vaccins, enfin, sont un sujet essentiel pour notre autonomie de santé critique. En ce domaine, beaucoup a été dit, vécu, dans l'angoisse légitime de nos concitoyens européens, sentiment qui traduit des attentes en particulier des jeunes, qu'il faut savoir écouter de même que l'impatience de retrouver une vie normale. Derrière le contexte, il y a la réalité, les faits qui établissent où nous en sommes, et le devoir que nous avons de mieux coordonner notre action pour parvenir à l'immunité collective. Cette réalité est trop méconnue : l'Europe est le premier producteur mondial de vaccins puisqu'elle en a produit 180 millions de doses, un peu plus que les États-Unis ; nous avons 53 usines actives qui montent en puissance de manière très significative, ce qui nous place là encore au premier rang mondial. Vous connaissez mon goût pour le terrain, j'ai visité bien de ces usines, j'y ai rencontré des équipes très impliquées, qui résolvent des problèmes très complexes et très concrets en particulier de chaînes d'approvisionnement ; les usines fonctionnent en continu, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, leurs personnels sont en première ligne : il faut les en remercier, car c'est aussi à travers leur travail que nous allons nous en sortir. Alors qu'il faut habituellement quatre à cinq ans entre la première formule d'un vaccin et son flaconnage disponible, deux ans si elles sont déjà certifiées et que les équipes ont les savoir-faire, les usines y sont parvenues cette fois en quelques mois, c'est inédit et cela relève d'une sorte d'économie de guerre.
Notre capacité de production devrait atteindre de 2 à 3 milliards de doses en fin d'année, ce qui nous mettra au premier rang mondial et cela me paraît nécessaire pour lutter contre la pandémie à l'échelle planétaire. Car l'Europe a ici une vision différente de celle des États-Unis, même si nous avons des contacts permanents : alors qu'outre-Atlantique, un décret présidentiel a interdit l'exportation de tout vaccin tant que les Américains n'auraient pas atteint l'immunité collective, nous avons décidé d'exporter 40 % de ceux que nous produisons, en particulier dans des pays voisins et amis, qui dépendent entièrement de l'Europe pour leur approvisionnement - je pense au Royaume-Uni, au Canada, au Mexique, à Israël et, de plus en plus, grâce à COVAX, les pays africains.
Notre approvisionnement en vaccins est en forte hausse. Nous avons commandé 360 millions de doses pour la fin juin, qui seront toutes produites en Europe : 200 millions de doses à Pfizer-BioNTech, un vaccin qui, soit dit en passant, a été développé en Europe et financé par des fonds européens, 70 millions de doses à AstraZeneca, toutes produites dans deux usines européennes, 35 millions de doses à Moderna, 55 millions de doses à Johnson&Johnson, et 10 millions de doses à CureVac dont on attend l'approbation fin mai-début juin. Au total, donc, nous attendons 360 millions de doses pour la fin juin, 420 millions de doses à la mi-juillet, ce qui permettrait d'atteindre l'objectif de 70 % d'immunité collective. Nous avons une vision précise, sachant qu'il faut entre 70 et 90 jours entre l'agrément et la mise en flaconnage proprement dite.
Cela dit, pour qu'il y ait immunité collective, une fois ces vaccins produits, il faut que les États membres augmentent très significativement leur capacité de vacciner. L'accélération de la livraison est très nette : sur les 12 millions de doses livrées par exemple à la France depuis janvier, 3 millions, donc le quart, l'ont été la semaine dernière. Les cadences augmentent : nous avons produit et livré en Europe 14 millions de doses en janvier, 28 millions en février, 60 millions en mars, nous devrions être à 80 à 100 millions de doses prochainement, pour monter à 150 millions de doses mensuelles à partir de septembre.
Mon rôle n'est pas d'être optimiste ou pessimiste, mais d'être le plus clair, le plus précis, le plus transparent possible. Ce matin, j'étais, comme tous les mardis, avec les parlementaires européens, pour leur communiquer les derniers chiffres : je suis là pour donner la plus grande transparence aux élus.
M. Cyril Pellevat. - La Commission a récemment rendu publique sa « boussole numérique ». Celle-ci apporte des solutions pour remédier au retard de l'Union européenne, mais certains points restent encore à approfondir. Une hausse des investissements est prévue dans plusieurs technologies clés - les microprocesseurs, les supercalculateurs ou encore les intelligences artificielles -, mais ces investissements ne mettent pas assez l'accent sur l'ensemble des chaînes de valeurs, scientifiques comme industrielles.
Prenons l'exemple du calcul à haute performance. Plusieurs projets ont été mis en place pour implanter des supercalculateurs en Europe. Toutefois, la majorité des appels d'offres sont remportés par des entreprises étrangères, faute de compétitivité suffisante des entreprises européennes.
Le même problème est observé pour l'intelligence artificielle. Les investissements actuels ne permettent pas d'atteindre un niveau d'excellence comparable à ceux des pays leader dans ce domaine. Le Sénat avait proposé, dès 2019, de faire de l'intelligence artificielle un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC), afin de pouvoir déroger à certaines règles relatives à la concurrence. La législation européenne, en effet, empêche l'émergence d'une véritable politique industrielle du numérique et ne permet pas de rattraper le retard de l'Union. Il n'a pas été donné suite à cette proposition, alors que l'intelligence artificielle correspond aux critères nécessaires à la mise en oeuvre d'un PIIEC.
Pourriez-vous nous indiquer la stratégie de l'Union européenne pour arriver à s'imposer sur l'ensemble des chaînes de valeurs de nouvelles technologies ? Pourriez-vous également nous informer de la position de la Commission sur l'opportunité de faire de l'intelligence artificielle un PIIEC ? Y est-elle favorable ? Et, si tel n'est pas le cas, pour quelles raisons ?
Mme Sylvie Robert. - Le 8 septembre dernier, un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a posé le principe selon lequel les États membres ne peuvent exclure du droit à une rémunération équitable les artistes interprètes ou exécutants qui sont ressortissants d'États tiers à l'Espace économique européen ; ces fameux « irrépartissables » ne peuvent donc plus être utilisés par les États comme des aides à la création.
En France, ce sont entre 20 et 25 millions d'euros d'aide en moins pour les créateurs dans un contexte particulièrement difficile. Comment entendez-vous sécuriser le dispositif de rémunération équitable à l'échelle européenne et favoriser ainsi la création musicale ? Et que pensez-vous faire, d'un point de vue diplomatique, afin d'obtenir la réciprocité avec les États tiers - et singulièrement, bien sûr, les États-Unis ?
Mme Valérie Létard. - L'épidémie de covid et la crise économique qu'elle a entraînée ont propulsé sur le devant de la scène européenne la notion d'autonomie stratégique. Il semblerait que la Commission, auparavant réticente à évoquer les enjeux de souveraineté défendus notamment par la France, ait pris la pleine mesure de cet enjeu.
En mars 2020, vous présentez une stratégie industrielle européenne orientée sur 14 écosystèmes industriels prioritaires. Dans notre rapport de juin dernier, élaboré avec mes collègues M. Alain Chatillon et M. Martial Bourquin, nous appelions à une relance industrielle stratégique ciblée sur les actions à plus fort impact.
Comment, au niveau européen, avez-vous orienté les montants du plan de relance vers les 14 écosystèmes identifiés, pour lesquels vous chiffriez le besoin d'investissements entre 1 500 et 2 000 milliards d'euros ?
Pouvez-vous nous préciser les types d'actions que vous menez en la matière ? Vous concentrez-vous sur la relocalisation d'activités productives sur le territoire européen pour réduire les dépendances ? Privilégiez-vous l'intensification de l'innovation sur certaines technologies de rupture ? Comment encouragez-vous la modernisation et la numérisation de l'outil productif ? Pourriez-vous également nous indiquer les efforts spécifiques menés à l'égard des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) pour qu'elles ne soient pas les laissées pour compte de cette relance ?
Enfin, l'un des trois piliers de la stratégie industrielle 2020 était le verdissement de l'industrie européenne. Quel bilan tirez-vous de votre action ? La nouvelle stratégie industrielle 2021 augmentera-t-elle les incitations à opérer la transition environnementale ? Pouvez-vous nous présenter les avancées concernant la mise en oeuvre du mécanisme d'inclusion carbone aux frontières ?
M. André Gattolin. - Je souhaite également évoquer la question de l'autonomie stratégique de l'Union. Si cette question pouvait paraître presque iconoclaste il y a encore trois ans au niveau de l'Union européenne, nous pouvons observer, avec la crise de la covid, les tentatives de prédation visant certains de nos fleurons technologiques et la nécessité de doter l'Union d'un embryon de politique de défense, afin que les cartes commencent à être rebattues.
La Commission semble aujourd'hui s'accorder sur certains secteurs pour lesquels il devient urgent de remédier à nos dépendances : la santé, l'espace, le numérique, l'énergie et les matières premières. L'inscription d'autres domaines fait encore débat ; je pense, notamment, à la question de la cybersécurité - à laquelle, je le sais, vous êtes attaché. Le développement très rapide en Chine et aux États-Unis de l'intelligence artificielle et de l'informatique quantique appelle à la fois des investissements massifs, afin que notre continent ne soit pas relégué, la mise en place de nouvelles régulations et des choix technologiques préservant au mieux la protection de nos données personnelles, ainsi que celles de nos entreprises et de nos institutions. L'essor de l'informatique quantique constitue, en effet, un défi sans précédent pour la cryptographie.
Pourriez-vous nous indiquer l'état de la réflexion à ce sujet ? Et quels sont les chantiers engagés par la Commission en matière de soutien à l'informatique quantique, notamment en matière de sécurité post-quantique ?
Mme Véronique Guillotin. - Ma question porte sur la régulation du marché numérique. Depuis quelques années, notre pays se dote progressivement d'une législation sur la régulation des contenus en ligne. L'année dernière, nous avons adopté la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet, et nous examinerons sous peu, dans le projet de loi confortant le respect des principes de la République, des dispositions relatives à la lutte contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne. La circulation de l'information, y compris la désinformation, n'ayant pas de frontières ni de limites, en particulier grâce ou à cause des réseaux sociaux, nous attendons avec impatience la concrétisation du projet de Bruxelles sur la question de la régulation du numérique : le Digital Services Act.
Au sein de cet ensemble, on devrait retrouver un volet sur la régulation des réseaux sociaux, notamment pour tout ce qui touche à la violence. Avec le drame de Conflans-Sainte-Honorine, la France, bien sûr, est en première ligne pour défendre une action rapide dans ce domaine.
Quel est l'état d'esprit ailleurs en Europe ? Quelles sont les attentes des autres pays membres à l'égard de cette régulation qui peut à certains égards poser des questions concernant la liberté d'expression ? Et comment notre législation nationale va-t-elle s'articuler avec les propositions de la Commission ?
Par ailleurs, il serait question de nommer une autorité dans chaque pays pour réguler ce que vous appelez « l'espace informationnel ». À quelle structure pensez-vous ? Une structure ad hoc ou une institution déjà existante comme, par exemple, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ?
M. Thierry Breton. - Monsieur Pellevat, la « boussole numérique », les chaînes de valeurs, les supercalculateurs, l'intelligence artificielle soulèvent des questions évidemment très importantes et qui m'ont très rapidement occupé. Je souhaite, avant tout, vous réconforter un peu. J'entends que nous serions en retard dans certains domaines, mais, concernant les supercalculateurs, nous avons mis en place un dispositif doté de 8 milliards d'euros - EuroHPC - qui permet de positionner l'Europe sur ce sujet. Les entreprises françaises, notamment, sont en situation de leadership en Europe dans ce secteur.
L'intelligence artificielle, ce sont d'abord des données. Pourquoi ai-je poussé pour avoir une vraie politique des données, qui a donné naissance au Data Act, puis au DSA, puis encore au Digital Markets Act ? Parce que je sais que, si l'on a des données, on les maîtrise et, ensuite, on peut travailler sur des machines apprenantes, avec des algorithmes, pour développer des applications d'intelligence artificielle.
Mais il convient de faire les choses dans l'ordre. Nous sommes le continent qui va produire le plus grand nombre de données industrielles au monde. La planète produit actuellement 40 000 milliards de milliards de données personnelles et industrielles. Tous les 18 mois, ce chiffre double - essentiellement avec l'arrivée des données industrielles, et surtout en Europe, premier continent industriel.
Nous avons été en retard sur la première vague des données personnelles parce que le marché américain, comme le marché chinois, était plus profond et unifié que le nôtre. Concernant la vague des données industrielles, qui va être quatre fois plus importante, il s'agit de nous mettre en position pour gagner la bataille.
Ce sera possible grâce au développement massif des réseaux 5G qui permettent à la fois le traitement, la connexion et une réaction en temps réel localement, « on the edge » comme on dit, et au déploiement d'une stratégie de cloud industriel ; celui-ci n'existe pas encore, aucun fournisseur de cloud - y compris aux États-Unis - n'est encore capable d'avoir cette spécificité, avec des temps de latence plus importants et des obligations de cybersécurité plus strictes. Et c'est pour cela que nous avons lancé une alliance, un PIIEC, sur ce sujet.
Derrière la puissance de calcul, il faut des processeurs. Dans ce domaine, il faut que l'Europe regagne du terrain après en avoir perdu. Dans le cadre de la « boussole numérique », nous avons prévu de doubler nos parts de marché dans les dix ans à venir. L'idée est de disposer de processeurs autonomes, maîtrisés, utiles pour les supercalculateurs et pour le edge computing supportant les applications en périphérie.
Cette chaîne de valeurs, encore à développer, aura des implications sur le numérique, mais aussi sur la politique industrielle. Il s'agit donc d'une stratégie à la fois transverse et sectorielle sur les trois sujets : les supercalculateurs, les données et l'intelligence artificielle - auxquels j'ajoute le sujet des processeurs.
Madame Robert, le secteur créatif est durement frappé par la crise de la covid. Nous faisons en sorte que l'ensemble des États membres puissent accompagner ce secteur durant cette période difficile. Nous avons mis en place des instruments de soutien, comme par exemple le programme SURE, qui permet à l'Union européenne de se substituer aux États n'ayant pas les instruments nécessaires pour continuer à financer et soutenir ce secteur. Nous sommes actuellement en train de voir si le programme SURE peut suffire, s'il faut le poursuivre, voire l'augmenter.
Par ailleurs, le combat que je mène avec mes équipes pour atteindre le plus rapidement possible une capacité vaccinale permettant l'immunité collective s'inscrit dans la perspective - dès cet été, je l'espère - d'un retour des spectacles, notamment vivants, selon des modalités sanitaires qui seront arrêtées par chacun des États membres. Le tourisme est également un secteur très important et il ne faut pas rater la saison touristique.
J'ai présenté, en novembre dernier, un plan d'action pour les médias et l'audiovisuel. Une bonne nouvelle également à partager avec vous : le programme Europe créative a été renforcé.
Madame Létard, vous avez raison, on parle maintenant plus volontiers d'autonomie stratégique. Peut-être que, avec certains de mes collègues commissaires, nous y sommes un peu pour quelque chose... Je ne perds pas une occasion d'en rappeler l'importance.
Avec mon collègue Paolo Gentiloni, il y a un an, nous avons signé une tribune qui, visiblement, n'a pas été oubliée, dans laquelle nous indiquions qu'il faudrait 1 500 ou 1 600 milliards d'euros pour que l'Europe puisse répondre à tous ces défis. Nous avons déjà mis en place un plan de 750 milliards d'euros, auquel s'ajoutent 540 milliards d'euros liés à d'autres mécanismes comme le Mécanisme européen de stabilité (MES). Nous verrons s'il convient de poursuivre en ce sens ; le Président de la République a commencé à évoquer le sujet. Mais il faut d'abord s'assurer que les 750 milliards d'euros abondent le plus rapidement possible les secteurs qui en ont besoin.
Le soutien des États membres aux secteurs industriels ne doit souffrir aucun retard. Les plans de relance vont abonder directement les États, y compris ceux qui - comme nous les y avions incités - ont déjà engagé des actions auprès des secteurs les plus touchés.
Nous travaillons de la façon suivante : les États nous présentent des plans ; nous avons insisté sur le fait que, dans ces plans, 37 % du montant soient consacrés à la politique verte, 20 % à la politique numérique et le reste à la résilience. Nous regardons ensuite, plan par plan, si les enveloppes sont respectées et distribuées en fonction des écosystèmes. En raisonnant par écosystème, nous veillons ainsi à ce que toutes les PME soient associées. Nous avons, je crois, une gestion assez fine, de manière à pouvoir accompagner l'ensemble des écosystèmes et leurs acteurs avec cette triple stratégie : verte, numérique et résiliente.
Monsieur Gattolin, vous m'interrogez sur la cybersécurité et le quantique, deux sujets absolument essentiels, au coeur de nos réflexions. Concernant la cybersécurité, nous avons présenté une stratégie au niveau du continent européen. Cela me permet de rappeler que nous favorisons beaucoup de projets transeuropéens ; nous parlions tout à l'heure de la constellation de satellites ; on peut également évoquer la dizaine de Security Operations Centers (SOC) - à savoir des centres de cybersécurité - qui couvrent l'ensemble du continent européen et le protègent, comme une sorte de bulle cyber.
Sur le sujet du quantique, comme vous le savez, nous sommes associés au programme Quantum Manifesto. Le sujet me tient particulièrement à coeur, notamment avec le développement des calculateurs, pour lequel nous avons beaucoup de compétences en Europe.
Plutôt que des ordinateurs purement quantiques dont on ignore la date à laquelle ils seront opérationnels - dans 10 ou 15 ans peut-être -, on peut envisager, à plus court terme, la création du premier accélérateur quantique - à savoir une carte que l'on pourrait plugger sur les supercalculateurs et qui donnerait une puissance de calcul considérable, nous permettant d'atteindre le post-quantique évoqué par M. Gattolin.
La protection de notre réseau Internet fonctionne aujourd'hui grâce à la factorisation des polynômes, le fameux algorithme RSA. Un calculateur quantique pourrait « casser » cette protection et rendre vulnérable notre système ; c'est la raison pour laquelle je « pousse » le projet de constellation satellitaire. En effet, cette constellation en orbite basse permettrait : une couverture intégrale du continent européen ; une duplication des infrastructures informationnelles, si jamais les réseaux terrestres venaient à être vulnérabilisés, notamment par des cyberattaques ; une capacité de cryptologie quantique, notamment pour les communications gouvernementales ou intergouvernementales par satellites.
Madame Guillotin, le DSA et le DMA marquent un changement historique de la réglementation de notre espace informationnel. On peut désormais avoir des réglementations sectorielles, par exemple pour tout ce qui concerne les incitations à la violence, les contenus haineux, les actes terroristes, la pédopornographie. Tous ces actes sectoriels sont liés à des dynamiques et des législations différentes. Nous serons en mesure d'apporter aux législateurs des réponses adaptées et en temps réel.
Un point important : ce combat est mené à 27 ; aucun État ne peut être autonome dans l'espace informationnel. Nous proposons un règlement. J'incite les pays travaillant à une loi nationale à collaborer en bonne intelligence avec nous, puisque, in fine, le règlement s'appliquera à tous.
Madame Guillotin, vous avez soulevé un point concernant les structures susceptibles, au niveau des États membres, de jouer ce rôle de relais. Nous laissons à chaque État membre le choix de désigner l'autorité indépendante compétente. Vous avez évoqué le CSA ; cela peut être, en effet, un candidat tout à fait valable. D'autres ont également proposé l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep) ou encore la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Ce choix, en tout cas, incombe aux États membres. Nous ferons en sorte que toutes ces structures soient organisées en réseau, au sein d'un conseil opérationnel, et fonctionnent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Cela permettra, si une infraction est identifiée sur telle plateforme dans tel pays, de lancer une sorte de mandat européen digital.
J'ajoute que, si une plateforme non européenne souhaite opérer en Europe, elle aura l'obligation d'avoir un représentant légal dans au moins un pays. Et le régime s'appliquera de la même façon quel que soit le pays.
Mme Colette Mélot. - Monsieur le commissaire, je souhaite saluer votre engagement constant depuis votre prise de fonction. L'Europe a besoin de voix fortes en ce moment, et vous incarnez bien cela.
Vous avez déjà évoqué la santé, les vaccins et les usines qui montent en puissance. Ces usines poursuivent-elles la fabrication d'autres vaccins qui restent nécessaires, comme celui contre la grippe ?
Les attentes sont nombreuses sur la question du numérique, notamment avec le DSA. Engagée depuis longtemps sur les questions d'éducation, je n'ai pu que constater l'évolution du harcèlement scolaire et, plus particulièrement, du cyber-harcèlement. Encore récemment, nous avons connu en France des situations tragiques, et les plateformes ne se sont pas montrées à la hauteur. La lutte contre le harcèlement scolaire est essentielle pour la jeunesse européenne.
Vous avez expliqué, en fin d'année dernière, que tout ce qui était interdit dans l'espace physique serait aussi interdit dans l'espace online. Quels problèmes constatez-vous à ce sujet dans les discussions sur le DSA ? Et comment y remédier ?
Enfin, notre stratégie industrielle dans le numérique doit mieux s'exprimer. Quelles sont les avancées législatives nécessaires identifiées afin de permettre l'émergence de nos propres plateformes, de nos propres outils numériques européens ?
M. Jacques Fernique. - Je souhaite vous interroger sur l'enjeu de la transition verte pour la stratégie industrielle de l'Union. Cette transition vers la neutralité carbone d'ici 2050 nécessite de la résolution, un cadre réglementaire adapté, des investissements massifs. Elle implique de cesser les subventions européennes aux « projets fossiles », de décarboner les processus industriels, de développer l'hydrogène 100 % renouvelable et de s'engager résolument dans l'économie circulaire ; autant d'axes de cette stratégie industrielle pour lesquels il faudra de robustes dispositifs d'accompagnement, notamment pour nos PME.
Afin que ces solutions soient viables économiquement, elles devront être « protégées » par un juste prix du carbone. Un débat récent au Parlement européen sur le futur ajustement carbone aux frontières a montré que deux lignes s'affrontaient. Les plus conservateurs au Parlement viennent d'emporter - de très peu - un vote sur le maintien des droits à polluer octroyés gratuitement aux industries hautement polluantes. Ce traitement spécial, conçu pour être temporaire, ne peut pas se perpétuer avec l'instauration du mécanisme d'ajustement carbone et, en outre, ne serait pas conforme au droit de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Monsieur le commissaire, quelle est votre résolution sur ce sujet ?
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Je souhaite vous interroger sur le passeport sanitaire européen, appelé également « certificat vert numérique », avec des questions très pratiques. Aujourd'hui, le test PCR est gratuit en France ; demain, il pourrait devenir payant avec la généralisation de la vaccination ou, en tout cas, assorti d'un reste à charge.
On sait également que ce test PCR coûte cher dans un certain nombre de pays européens ; je pense, par exemple, à l'Allemagne - entre 50 et 150 euros - et à l'Espagne - entre 130 et 250 euros. Comment conserver des échanges internationaux fluides, notamment dans le cas des activités professionnelles, avec des coûts très différents et l'obligation, en l'absence de certificat vert pour l'instant, de fournir des tests PCR négatifs ?
Se pose également la question du formulaire papier. Son édition dépendrait du choix de l'État membre. Si tel est le prix à payer pour retrouver une saison touristique, comment être sûr qu'une version papier permettra, notamment à des personnes âgées ou à des personnes n'utilisant pas de smartphones, de pouvoir se déplacer librement, et que les États ne retiendront pas seulement les versions numériques ?
Sept Français sur dix sont aujourd'hui très défavorables à l'instauration d'un passeport vaccinal européen, en raison de l'atteinte aux libertés individuelles. Sachant la très lente capacité vaccinale en France, comment faire en sorte de ne pas pénaliser les Français non prioritaires pour les vaccins - je pense, en particulier, aux jeunes qui aspirent à voyager mais ne sont pas dans les publics prioritaires ?
M. Franck Montaugé. - La 5G pourrait être la clé de la troisième révolution industrielle. Ce qui est sûr, en revanche, c'est qu'elle donne déjà lieu à des affrontements entre la Chine - champion, pour le moment, de cette technologie - et les États-Unis - qui sont distancés. Entre ces deux géants, on trouve les autres continents à conquérir, dont l'Europe et son marché prometteur, avec ses industries, ses villes, son énergie, ses transports, sa santé encore à transformer par la 5G.
Certains analystes disent que cette technologie offre la possibilité aux opérateurs de télécoms européens de gagner la bataille mondiale des ondes contre Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (Gafam), Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi (BATX) ou Huawei. Monsieur le commissaire, quelle est la stratégie industrielle de la Commission pour faire des opérateurs de télécoms européens des acteurs de premier plan ? Comment faire accéder Nokia et Ericsson aux premiers rangs mondiaux des fournisseurs de technologie 5G ?
Dans le projet de méta-cloud Gaia-X, fruit d'une coopération franco-allemande, on retrouve de plus en plus de partenaires américains - Amazon Web Services (AWS), Microsoft, Google, Intel, l'officine de renseignements Palantir -, voire chinois - Ali Baba et Huawei. Que faut-il comprendre ? Quelle est la stratégie de l'Europe sur ces sujets ?
Mme Catherine Morin-Desailly. - Merci pour votre impulsion en faveur de la nouvelle stratégie numérique. Comme vous l'avez dit, il est temps d'en finir avec la naïveté et la complaisance : le bilan de l'Europe en matière de transformation numérique et de politique industrielle est plutôt particulièrement faible : incapacité à créer un écosystème numérique de niveau international - le Programme-cadre de recherche et de développement (PCRD) et Horizon 2020 ont surtout profité à des acteurs historiques sans aider à faire émerger des licornes européennes -, absence de Small Business Act à l'européenne permettant de financer indirectement nos PME, des règles de concurrence contreproductives, etc. Au-delà des pistes défensives - fiscales, dispositions anti-trust, etc. -, quelles seront les pistes offensives pour aider l'écosystème européen ? À l'heure de l'internet des objets, ne doit-on pas orienter nos marchés vers des PME innovantes vers des secteurs stratégiques, comme la santé connectée, l'énergie, la maîtrise de l'environnement, ou les transports ?
Au-delà de Gaïa-X, quels sont les projets pour se doter de capacités suffisantes de stockage et de traitement des données sur le territoire européen, afin d'éviter les interventions extraterritoriales et les ingérences dans les données des Européens, qui sont devenues un actif stratégique majeur ? Le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA) constituent des avancées, certes, mais le véritable sujet n'est-il pas plutôt le modèle économique toxique des Gafam que même des géants comme Apple contestent désormais, et non seulement Shoshana Zuboff. Tim Cook dénonce ainsi le profilage des individus qu'il estime incompatible avec la démocratie et explique que le RGPD devrait s'appliquer partout ! Les Américains eux-mêmes parlent de démantèlement des Gafam, comme vous d'ailleurs. N'est-il donc pas temps, comme nous avons su le faire avec le RGPD, de bâtir une troisième voie, entre le « business above all » des Américains et le modèle autoritaire chinois ?
M. Thierry Breton. - Madame Mélot, effectivement, nous devons continuer évidemment à produire les autres vaccins. Nous devons aussi anticiper, le cas échéant, une nouvelle politique vaccinale à l'automne au cas où l'apparition de nouveaux variants rendrait nécessaire l'injection d'une troisième dose à nos concitoyens. C'est pour cela que nous voulons porter à trois milliards de doses notre capacité de production vaccinale, tout en maintenant notre capacité sur les autres pathologies. La création de l'incubateur HERA va dans ce sens afin d'intervenir en amont, pour disposer et maintenir sur le moyen et long terme une plateforme de production capable de répondre rapidement à l'évolution de la situation pandémique.
Le DSA suscite un large consensus, y compris parmi les plateformes, que nous avons beaucoup associées à notre démarche et qui se rendent compte qu'elles n'ont plus guère le choix. Je suis donc optimiste sur notre capacité à faire aboutir cette législation. Nous créons un nouveau système de responsabilité. Harcèlement scolaire, discours haineux, etc., les plateformes ont compris qu'elles n'étaient plus de simples intermédiaires. C'est un moment historique dans le basculement de cette responsabilité. Le DSA crée des obligations de moyens et de résultats pour les plateformes, avec des audits annuels et des sanctions éventuelles, allant jusqu'à l'interdiction d'opérer sur le territoire européen.
Monsieur Fernique, la transition verte est un élément clef de la stratégie industrielle : nous voulons une approche différenciée selon les écosystèmes, afin de mieux identifier les barrières. Cette vision sectorielle, proche du terrain, nous permet d'associer tous les acteurs, notamment les PME pour les doter des moyens nécessaires pour réaliser cette transition. Nous devons aussi veiller à garantir le level playing field, c'est-à-dire la possibilité pour nos entreprises de lutter à armes égales avec leurs concurrentes dans la mondialisation. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, que je défends activement, est un instrument de justice qui vise à nous permettre de mieux réguler, tout en dotant l'Union européenne de nouvelles ressources pour accompagner ceux qui auront à effectuer cette transition.
Madame Estrosi-Sassone, nous ne créons pas un « passeport », car ce mot rime avec obligation, mais plutôt un certificat vaccinal, qui sera fondé sur le volontariat. Rien ne sera obligatoire. Il appartiendra à chacun de déterminer si un tel document peut lui être, ou non, utile. Il sera disponible sous format papier ou numérique et contiendra des informations simples, afin de savoir si la personne a été vaccinée, si elle possède des anticorps, ou si elle a réalisé un test PCR. Il faut aussi que ceux qui ne disposeront pas de ce certificat ou refuseront d'en être porteurs, puissent, pour retrouver une vie sociale normale, sans restrictions de mouvements, et ne serait-ce que pour se protéger ou pour protéger les autres, réaliser des tests rapides, à moindre coût. Il appartiendra évidemment aux autorités locales de décider si un tel certificat ou de tels tests sont nécessaires pour prendre des transports, aller au spectacle, etc. Tout cela contribuera à ce que nous retrouvions une vie normale lorsque nous aurons atteint l'immunité collective, dont nous sommes proches.
Ceux qui croient qu'il suffit d'homologuer d'autres vaccins pour atteindre plus vite l'immunité collective se trompent : il faut aussi s'assurer que ces vaccins peuvent être produits en masse. Or, entre le moment où on l'agrée un vaccin et le moment où il peut être distribué massivement, il s'écoule un délai de douze à quatorze mois, car il faut adapter les lignes de production. Les Russes ont ainsi les plus grandes difficultés à produire en masse le Spoutnik V. Notre but est de parvenir à l'immunité collective le plus rapidement possible, puis de laisser aux États membres le soin de fixer les règles les moins attentatoires à notre liberté pour retrouver une vie sociale normale.
Monsieur Montaugé, il est faux de dire que la Chine est leader sur la 5G, car ce sont les deux entreprises européennes que vous avez citées qui possèdent le plus de brevets et de contrats de déploiement de réseaux 5G. Les États-Unis sont en retard, et nous leur fournissons l'intégralité de leurs réseaux 5G. L'enjeu est que nous restions en tête. C'est l'objet des alliances que nous lançons comme l'Alliance européenne sur les données industrielles et le cloud. Gaia-X est un projet franco-allemand et réunit différents partenaires. Aucun des acteurs que vous avez cités n'est membre de l'alliance sur le cloud industriel que la Commission a lancé et qui se situe au-dessus du partenariat Gaia-X, car notre but est l'autonomie stratégique. Nous voulons créer un projet industriel d'intérêt européen commun pour financer la recherche qui sera nécessaire et répondre aux exigences de souveraineté.
Madame Morin-Desailly, vous avez raison, on ne crée pas assez d'entreprises innovantes en Europe, mais je peux témoigner que l'on peut créer en Europe des leaders mondiaux en matière de paiement, de supercalculateurs, etc. L'Europe n'est pas toujours à la traîne ! Cela dépend des entrepreneurs, du soutien des pouvoirs publics, et de notre capacité à créer un écosystème adapté. Nous avons ainsi décidé qu'un lanceur spatial serait chaque année réservé à des start-up désirant tester gratuitement des applications dans l'espace. Vous avez fait référence à L'Âge du capitalisme de surveillance de Shoshana Zuboff, qui décrit l'économie de surveillance. Sans aller jusqu'à Harvard, M. Tirole, à Toulouse, qui a reçu le prix Nobel d'économie, a aussi décrit la réalité de ce marché biface, qui repose, de façon plus ou moins consciente, sur l'utilisation des données des utilisateurs en échange de services. Finalement, on est parvenu à une économie que vous qualifiez de toxique. Il est temps que cela cesse. C'est le but du DMA qui permettra de lutter contre les situations de monopoles : beaucoup de PME sont obligées, pour vendre leurs produits, de passer par ces plateformes qui n'hésitent pas à utiliser leurs données et celles de leurs clients pour proposer ensuite des services concurrents. Cela sera désormais interdit. Il faut revenir aux principes de l'économie de marché, fondée sur la juste concurrence et la liberté d'entreprendre.
M. Pascal Allizard. - Vous avez évoqué la nouvelle stratégie industrielle de l'Europe. L'Europe a-t-elle les moyens d'assurer la sécurité de son réseau satellitaire ?
La Chine contrôle 85 % des terres rares : comment desserrer la contrainte ? Est-il possible de mettre en exploitation de nouveaux gisements ? Il faut du temps entre la découverte et l'exploitation, et celle-ci n'est pas très écologique. Ou bien faut-il parier sur des substituts ? Mais là encore les délais sont longs entre la recherche et l'industrialisation.
Mme Laurence Harribey. - La crise a montré le défaut d'articulation entre la recherche fondamentale et l'industrie. L'Europe ne dispose pas d'une structure comparable à la Biomedical Advanced Research and Development Authority (Barda) américaine. Un règlement européen est en préparation sur cette question. Pourriez-vous nous en dire plus ?
En quoi le travail effectué depuis février sur la chaîne de valeur peut-il permettre d'apporter des éléments de réponse ?
On entend souvent que les vaccins devraient être un bien commun, mais la propriété industrielle est aussi un moteur de l'innovation. Vous avez évoqué un partage volontaire de licences. Selon quelles modalités concrètes ?
M. Jean-Marie Janssens. - L'industrie aéronautique française et européenne traverse la crise la plus longue de son histoire, frappant aussi bien les compagnies aériennes que les sous-traitants, avec des conséquences sociales et financières considérables. Ainsi l'usine Daher fermera-t-elle bientôt à Saint-Julien-de-Chédon ; plus de 300 salariés et tout un bassin d'emplois seront touchés. Il est essentiel que l'État et l'Europe soutiennent cette filière face à ses concurrents chinois ou américains. Les pistes sont nombreuses : gestion des mutations industrielles, accélération de la transition énergétique, consolidation des rapports entre fournisseurs et grands groupes, etc. Airbus avait été un symbole de la construction européenne. Pouvez-vous nous donner votre vision de l'avenir de l'aéronautique français et européen ? Quels sont les leviers d'action ?
M. Jean-Raymond Hugonet. - Nous ne pouvons que nous féliciter du Green Deal, à articuler avec la politique industrielle. Nous en déduisons que l'Union européenne fera des industries bas-carbone sa priorité. Dès lors, il apparaît impensable que le futur de l'industrie nucléaire en Europe, première des technologies bas-carbone sur laquelle l'Europe a eu un leadership historique, s'écrive en russe, en chinois ou en américain, qu'il s'agisse de son financement ou des technologies employées... Il en va de la souveraineté européenne et de notre autonomie stratégique. Le nucléaire sera-t-il bien inclus dans la taxonomie européenne en cours de définition, afin de garantir une égalité de traitement entre toutes les technologies bas-carbone ? Dans la mesure où le parc nucléaire européen, et en particulier français, constitue la colonne vertébrale qui garantit la sûreté européenne du système électrique et l'outil le plus efficace pour atteindre la neutralité carbone en Europe, défendez-vous la notion de service d'intérêt économique général pour le nucléaire européen, au nom de sa valeur assurantielle et climatique, comme vous avez porté le Fonds européen de défense en 2016 ?
M. Jean-Marc Boyer. - En France, à ce jour, 7,7 millions de personnes ont reçu une première injection de vaccin, soit 11,5 % de la population ; au Royaume-Uni, 30 millions de personnes ont reçu une injection, soit 60 % de la population adulte. La France est le 49e pays au monde en nombre de doses injectées ramené à la population, selon les statistiques de l'université d'Oxford. Pour parvenir à l'immunité collective le 14 juillet, il faudrait en moyenne vacciner 3 millions de personnes par semaine. Est-il raisonnablement possible de rattraper ce retard ? Pensez-vous que l'Europe a été à la hauteur en matière de vaccination ? Israël et les États-Unis ont commandé des vaccins six mois auparavant, en y mettant le prix. Le processus de vaccination a-t-il été bien anticipé ? La Grande-Bretagne, en plein Brexit, a commandé, dès juin 2020, des quantités importantes de vaccins, pour la plupart, d'ailleurs, fabriqués en France, alors que la France et l'Europe ont attendu novembre 2020.
M. Cédric Vial. - Ma question portera sur le soutien au secteur des médias et de l'audiovisuel dans l'Union européenne. Ce secteur, déjà fragilisé par rapport à ses concurrents mondiaux par la fragmentation du marché, a été encore affaibli par la crise sanitaire qui a provoqué une baisse des recettes publicitaires, l'effondrement des cinémas - les pertes ont été estimées à 100 000 euros par écran et par mois pendant le confinement -, la mise en veille de la production cinématographique, etc. Pour les médias d'information, les recettes liées à la publicité ont chuté de 30 à 80 %. Cette situation, à un moment où les plateformes en ligne de pays tiers gagnent des parts de marché, risque de compromettre notre autonomie stratégique. Parallèlement, la désinformation en ligne progresse au niveau mondial, et l'autorégulation des géants du net est préoccupante pour la liberté d'expression. Les secteurs des médias et de l'audiovisuel sont essentiels pour la démocratie, la diversité culturelle et l'autonomie numérique de l'Europe. La Commission européenne a adopté, il y a quelques mois, un plan d'action visant à soutenir ce secteur et sa transformation. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce plan ?
M. Thierry Breton. - Monsieur Allizard, la sécurité satellitaire est un sujet important pour notre sécurité stratégique. Toute mon action est articulée autour de notre sécurité stratégique, un sujet un peu nouveau pour l'Union européenne. Mais dans le monde d'aujourd'hui, fondé sur des rapports de force, des tensions entre la Chine et les États-Unis qui iront s'exacerbant, nous devons désormais agir sans naïveté et affirmer notre autonomie. Nous devons mieux maîtriser nos dépendances et notre sécurité. Notre projet satellitaire va dans ce sens.
Nous avons mené une analyse de nos écosystèmes pour identifier nos dépendances et diversifier nos sources. Nous avons fait une cartographie de nos ressources, qui sera annexée à la revue de notre politique industrielle, qu'il s'agisse des composants, des matériaux stratégiques, ou de nos ressources minières, même si nous avons des contraintes environnementales plus fortes que dans d'autres parties du globe. Il est possible d'accroître plus rapidement que vous ne l'indiquez nos capacités d'extraction. Par exemple, pour fabriquer des batteries, essentielles pour notre stratégie de verdissement - comme l'est le nucléaire, d'ailleurs -, il faut du lithium ; or, nous sommes dépendants d'autres pays, mais nous avons la capacité d'assurer notre indépendance, y compris en ce qui concerne l'extraction sur le continent européen.
Madame Harribey, la propriété intellectuelle est un enjeu essentiel pour la compétitivité, en effet, et le gage du bon fonctionnement de la recherche et de l'innovation. On aime beaucoup en France se comparer avec les autres pays pour voir ce qui n'a pas marché, mais il est curieux, sinon tendancieux, de se comparer à des pays qui dépendent totalement de nous pour leur politique vaccinale... En revanche, il est incontestable que les États-Unis ont joué un rôle important dans cette crise grâce à la Barda, mise en place en 2006, après les attaques terroristes, avec un contrôle parlementaire très faible - une telle institution serait inenvisageable en Europe -, richement dotée et très libre dans ses interventions. Les Américains ont pu ainsi investir massivement très vite plus d'1,8 milliard de dollars par an, alors qu'en Europe la politique de santé relève des États membres et que nous ne possédons pas une telle structure. Très vite, dès juin, nous avons travaillé à la création d'une autorité comparable pour pouvoir réagir aux urgences sanitaires, l'HERA. La Barda a pu financer à la fois des vaccins développés aux États-Unis, mais aussi en-dehors des États-Unis. Je rappelle toutefois que plus de la moitié des vaccins utilisés contre la covid ont été développés grâce à des fonds européens : c'est le cas des vaccins de BioNTech, CureVac, Oxford, Janssen, etc.
Accorder des licences gratuites n'accélérerait pas la vaccination : nous disposons déjà d'un certain nombre de vaccins qui fonctionnent. L'enjeu est désormais de les produire de manière industrielle. Or il faut dix à douze mois au minimum pour convertir ou installer des chaînes de production. Ce n'est donc pas en allant en Inde que l'on ira plus vite, les délais seront les mêmes et nous ne disposerons pas des vaccins avant 2022, date à laquelle nous aurons déjà produit plus de 2 milliards de doses, et où l'on aidera tous les autres pays à vacciner, aussi bien ceux qui ont besoin de la seconde dose, comme le Royaume-Uni, qui dépend entièrement de l'Europe à cet égard, que les pays africains, par exemple. Nous pourrons sans doute revenir sur la question de la propriété intellectuelle après la crise, mais dans l'immédiat il convient de ne pas déstabiliser le marché.
Monsieur Janssens, l'aéronautique traverse une crise profonde. Je suis en contact permanent avec tous les acteurs. Des commandes ont été annulées. Voir tous ces avions immobilisés sur les tarmacs ne peut que nous fendre le coeur ! Nous devons dès maintenant réfléchir à l'avion du futur. Nous accompagnons la filière en ce sens, pour garder les compétences, tout en préparant l'industrie aéronautique de demain, qui sera différente. Ce sujet mérite une audition à lui tout seul et je suis prêt à venir en reparler devant votre commission si vous le souhaitez.
Monsieur Hugonet, je n'ai pas peur de le dire, je suis à la Commission un fervent défenseur du nucléaire. Je sais ce que cette technologie a apporté à la France et à l'Europe. Je parle d'ailleurs d'une énergie décarbonée de transition à bas coût. La taxonomie est un sujet capital et c'est la raison pour laquelle la Commission n'a pas encore présenté d'acte délégué. Nous sommes en discussion sur ce sujet. Mais je suis très vigilant à cet égard.
Monsieur Boyer, j'entends les critiques sur la vaccination. L'Europe aurait certainement pu faire mieux, notamment si elle avait disposé d'un équivalent de la Barda. Mais je rappelle que l'Union européenne a été la première à commander le vaccin AstraZeneca, développé à Oxford, non le Royaume-Uni. Chaque biotech s'est associée à un industriel, car aucune n'avait de capacité de production : BioNTech avec Pfizer, Moderna avec Lonza, Janssen avec Johnson&Johnson, etc. Oxford voulait s'associer avec l'américain Merck mais le Gouvernement britannique s'y est opposé, et Oxford a fini par s'associer avec AstraZeneca, entreprise partiellement britannique, mais qui n'avait malheureusement pas de compétence en matière de fabrication vaccinale. Nous avons commandé 120 millions de doses à AstraZeneca, qui nous en a livré 30 millions. Si le contrat avait été respecté, nous serions dans la même situation vaccinale que le Royaume-Uni... Depuis, nous avons augmenté nos commandes auprès de nos autres fournisseurs et nous aurons la capacité de fournir 360 millions de doses à la fin du mois de juin, 420 millions à la mi-juillet.
Il faut reconnaître que la culture vaccinale est très forte outre-Manche : lorsque AstraZeneca a cherché des volontaires pour tester son vaccin, 400 000 personnes se sont immédiatement manifestées au Royaume-Uni, tandis que chez nous on entendait surtout les anti-vaccins... Il n'en demeure pas moins que la pandémie a été très virulente au Royaume-Uni, avec une gestion qui n'a peut-être pas été aussi rigoureuse que sur le continent, du moins au début, ce qui se traduit par plus de 136 000 victimes outre-Manche. La Grande-Bretagne s'est appuyée sur les vaccins produits dans l'Union européenne, car elle n'a pas les moyens de les produire. Donc tout cela n'a rien à voir avec le Brexit. Des deux côtés de la Manche, on a commandé un nombre de doses suffisant. Il y a simplement eu un petit incident avec une société anglaise, qui n'a pas fourni ce qu'elle aurait dû fournir, comme l'ont fait les sociétés européennes. Israël a eu une politique vaccinale très dynamique, même si je rappelle que sa population est inférieure à celle de l'Île-de-France. Ce pays a commandé 7 ou 8 millions de doses à Pfizer, qui étaient fabriquées en Europe - je le rappelle, les États-Unis ne fournissent aucune dose au monde -, en échange de la transmission des données anonymisées de sa population, ce qui ne serait pas possible en Europe, étant donné notre sensibilité sur ce sujet. Au total, l'Europe a produit 180 millions de doses pour 450 millions d'habitants, les États-Unis 180 millions de doses. Cela n'est pas suffisant pour régler le problème. Nous avons tiré les leçons : si un nouveau vaccin devait être homologué, je demanderais une inspection de la chaîne de production pour vérifier que l'industriel peut produire dans les délais les doses promises.
Enfin, Monsieur Vial, je partage votre analyse. Les médias constituent un secteur fondamental pour la démocratie ; il figure parmi nos priorités. J'ai proposé un plan d'action pour les médias qui consiste en un soutien aux fonds propres, car le secteur est sous-capitalisé, un accompagnement à la transformation numérique, et une réflexion sur le numérique, en particulier les données et le développement de nouvelles relations avec les plateformes. Nous avons lancé un dialogue avec tous les acteurs pour une mise en oeuvre rapide. Nous espérons agir dès cette année, car il y a urgence.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Nous vous remercions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 heures.
Mercredi 31 mars 2021
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Avenir du groupe La Poste - Présentation du rapport d'information
Mme Sophie Primas, présidente. - Mesdames et messieurs les sénateurs, notre ordre du jour appelle l'examen du rapport de MM. Patrick Chaize, Pierre Louault et Rémi Cardon relatif à l'avenir des missions de service public de La Poste.
Je laisse donc la parole à nos trois co-rapporteurs, premièrement M. Patrick Chaize, puis M. Pierre Louault et enfin M. Rémi Cardon.
M. Patrick Chaize, rapporteur. - Merci Madame la présidente, mes chers collègues, le groupe de travail sur l'avenir des missions de service public de La Poste a été constitué il y a près de deux mois, dans un esprit transpartisan, collaboratif, prospectif et opérationnel.
Transpartisan et collaboratif, car nous partageons des constats communs relatifs aux services publics exercés par La Poste, aux fragilités de leur financement, au sentiment de dégradation récente de la qualité de service, au manque de régulation et surtout concernant les recommandations à formuler pour préserver dans la durée un modèle exigeant de service public.
Prospectif, car si nous nous sommes d'abord intéressés aux quatre missions de service public existantes et à leur financement, c'est-à-dire le service universel postal, la contribution à l'aménagement du territoire, le transport et la distribution de la presse, et l'accessibilité bancaire, nous avons également mené une réflexion sur les nouvelles missions de service public qui pourraient être confiées à La Poste.
Opérationnel, car nous avons insisté sur les propositions, l'état des lieux étant déjà bien établi. Nous déposerons une proposition de loi commune visant à mettre en oeuvre nos recommandations à valeur législative et nous souhaitons interpeller le Gouvernement sur plusieurs points.
Depuis, nous avons réalisé 21 auditions, nous permettant d'interroger pendant plus de 22 heures plus de 50 intervenants. Fort de ces auditions, nous sommes convaincus que l'avenir des services publics de La Poste repose sur quatre leviers d'action : compenser, contrôler, améliorer, détecter.
Je vais désormais développer le premier levier d'action de notre rapport et de nos recommandations : compenser.
Premièrement, la compensation, c'est-à-dire le financement sur des fonds publics des missions de service public confiées à La Poste, concerne avant tout le service universel postal dont la situation financière est aujourd'hui inédite.
Fin février 2021, le président-directeur général de La Poste annonçait un déficit de 1,3 milliard d'euros pour le service universel postal. Pour rappel, cette mission de service public concerne la distribution du courrier et des colis sur l'ensemble du territoire, six jours sur sept, à des tarifs préférentiels.
Jusqu'en 2017, le compte du service universel postal était excédentaire. Or, depuis 2018, il est déficitaire. Cette situation s'explique par la baisse structurelle du volume du courrier, qui n'est plus contrebalancée par la hausse des tarifs et qui n'est pas encore contrebalancée par la hausse des activités de livraison de colis.
Pour la première fois, La Poste demande une compensation à l'État pour le service universel postal, car le déficit estimé en 2020 est près de quatre fois supérieur à celui constaté en 2018.
Si aucune compensation n'est accordée par l'État à La Poste, une « réduction » du service public s'imposera de fait aux usagers, cela nous a été indiqué lors des auditions des directions de La Poste et de la CDC.
Concrètement, cela signifierait une hausse des mesures d'optimisation des coûts, une accélération des réductions d'effectifs, des fermetures des bureaux de poste et de l'optimisation des facteurs, au détriment de la qualité de service dont les usagers ont déjà le sentiment qu'elle diminue.
Dans ce contexte, où des discussions sont actuellement en cours entre La Poste et l'État, nous avons souhaité apporter notre contribution afin d'inciter l'État à accorder la compensation la plus juste possible.
Nous proposons un mécanisme de compensation mixte, jusqu'à 1 milliard d'euros, à compter de 2021, qui se décompose de la manière suivante : d'une part, un volet fiscal, par un abattement sur la taxe sur les salaires dont s'acquitte La Poste, dans la limite de 270 millions d'euros par an ; d'autre part, un volet budgétaire, avec un complément apporté jusqu'à 730 millions d'euros par an.
Le montant est élevé, mais il ne doit pas nous effrayer car il est justifié, au moins pour les raisons suivantes :
- un mécanisme de compensation sur fonds publics est prévu par la réglementation européenne ;
- la compensation par l'État du déficit du service universel postal ne serait pas une exception française, d'autres pays de l'Union européenne accordent de telles compensations, avec des montants élevés et l'accord de la Commission européenne ;
- la « réduction » du service public postal est inenvisageable ;
- la compensation ne peut s'effectuer qu'à partir de 2021, alors que le déficit supporté pour l'année 2020 est estimé à 1,3 milliard d'euros.
Les trois autres missions de service public confiées à La Poste font l'objet d'une compensation par l'État, mais elles sont sous-compensées, c'est-à-dire qu'il y a un reste à charge pour La Poste.
Deuxième mission de service public, la contribution à l'aménagement du territoire se traduit par l'obligation de maintenir un réseau de 17 000 points de contact, ce qui garantit une densité du réseau postal spécifiquement française et qui constitue le principal atout de l'entreprise. En 2020, cette mission de service public était compensée à hauteur de 177 M€, pour un coût net évalué à 227 M€ par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep).
Déjà sous-compensée, cette mission doit être préservée des effets de la baisse des impôts de production qui contribuent à son financement. Comme le Sénat l'avait déjà remarqué lors de l'examen de la loi de finances pour 2021, cette mesure a un impact direct sur le financement de cette mission de service public, c'est pourquoi une compensation, à hauteur de 66 millions d'euros, doit également être accordée lors de l'examen du PLF 2022.
Troisième mission de service public, le transport et la distribution de la presse s'effectuent dans les conditions du service universel postal et à des tarifs préférentiels afin de favoriser le pluralisme des idées et des expressions. En 2020, cette mission de service public était compensée à hauteur de 96 M€, pour un coût net évalué à 296 M€.
Quatrième et dernière mission de service public confiée à La Poste, la mission d'accessibilité bancaire permet notamment aux personnes précaires d'ouvrir un livret A auprès de La Banque Postale et de l'utiliser comme un quasi-compte courant. En 2020, cette mission était compensée à hauteur de 230 M€, pour un coût net estimé à 260 M€.
En matière d'accessibilité bancaire, nous avons également constaté la nécessité d'améliorer l'accès aux espèces de la population, en particulier dans les zones peu denses, rurales et touristiques, c'est pourquoi nous appelons La Poste à mieux communiquer sur ses services existants et gratuits d'accès aux espèces, et à développer ses services pour ceux qui ne sont pas clients de La Banque Postale.
Les auditions successives ont démontré la forte utilité sociale de la mission d'accessibilité bancaire, avec environ 1,2 million de bénéficiaires, La Banque Postale étant aujourd'hui le seul opérateur capable de respecter cette obligation de service public.
En conclusion, si la sous-compensation des trois autres missions de service public était acceptée jusqu'à présent, c'est parce que le service universel postal était rentable. Or, aujourd'hui, le service universel postal est déficitaire, les trois autres missions demeurent sous-compensées et la charge financière pour La Poste est amenée à augmenter, au risque d'entraver son développement économique.
Par conséquent, nous considérons qu'une compensation par l'État du déficit du service universel postal est inévitable.
Je laisse désormais la parole à mon collègue, Pierre Louault, pour présenter les deux prochains leviers d'action : contrôler et améliorer.
M. Pierre Louault, rapporteur. - Merci Patrick. Dans la continuité de ce qui a été dit précédemment, la compensation par l'État des missions de service public de La Poste appelle à un plus grand contrôle du respect de ses obligations de service public. Si l'État finance, il doit pouvoir s'assurer du bon usage des fonds publics.
Premièrement, les auditions successives ont mis en évidence plusieurs vides juridiques ne permettant pas à l'Arcep de jouer pleinement son rôle de régulateur vis-à-vis de La Poste. Disons-le, les auditions de l'Arcep ont été mouvementées, le régulateur ayant reconnu ne pas jouer un rôle de contrôle vis-à-vis de La Poste aussi important que vis-à-vis des opérateurs de télécommunications.
Dans cette perspective, nous proposons de modifier et de compléter le cadre juridique existant pour confier explicitement à l'Arcep une mission de calcul du coût net du service universel postal. En effet, aujourd'hui, les seuls chiffres disponibles sont ceux de La Poste. Au regard des enjeux financiers considérés, il est primordial de disposer d'estimations chiffrées indépendantes et contre-expertisées à partir desquelles la compensation de l'État sera déterminée, puis notifiée à la Commission européenne.
Nous proposons également de confier à l'Arcep une mission de calcul du coût net de la mission de distribution de la presse afin de garantir davantage de transparence et de lisibilité aux éditeurs de presse qui dépendent du réseau postal de distribution. Jusqu'à présent, l'Arcep a seulement effectué deux fois ce calcul, à la demande du Gouvernement et sans cadre juridique approprié.
Deuxièmement, les auditions successives ont mis en évidence un manque de coordination et de supervision des questions postales. Cette situation peut avoir des conséquences nuisibles, pouvant conduire à un manque de consultation des différentes parties prenantes ou à un retard dans l'adoption des dispositions réglementaires relatives qui concernent l'exercice des missions de service public de La Poste.
Face à cette situation, nous proposons un renforcement du contrôle politique des questions postales, par modification de la loi postale, notamment pour pérenniser la présence des parlementaires au sein de l'Observatoire national de la présence postale (ONPP) et des commissions départementales de présence postale territoriale (CDPPT) et élargir la compétence de ces structures de concertation au-delà de la mission d'aménagement du territoire.
Nous considérons également que la Commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) devrait jouer un rôle de suivi de l'évolution du financement des missions de service public confiées à La Poste, la CDC étant désormais l'actionnaire de contrôle du groupe La Poste car détenant 66 % des participations.
Je vais désormais développer le troisième levier d'action de notre rapport et de nos recommandations : améliorer.
Les auditions successives ont mis en évidence que le sentiment des citoyens et des élus locaux est celui d'une satisfaction globale mais d'une dégradation récente de la qualité des services postaux ainsi que d'une moindre présence postale sur le territoire.
Or, si l'État finance les missions de service public de La Poste, en particulier le service universel postal pour la distribution du courrier et des colis, il doit y avoir des améliorations pour les usagers.
Pour le service universel postal, des objectifs de qualité de service sont fixés au niveau réglementaire, le contrôle étant assuré par l'Arcep. Cependant, les auditions ont mis en évidence un contrôle timide et un faible usage du pouvoir de sanction, c'est pourquoi une plus grande publicité des décisions prises par l'Arcep est nécessaire, des modifications de la législation sont proposées en ce sens.
Pour le transport et la distribution de la presse, le sentiment d'une dégradation récente de la qualité de service est particulièrement prégnant parmi les éditeurs de presse. Afin de mieux répondre à leurs attentes, nous recommandons notamment de fixer, pour la première fois, des objectifs de qualité de service contraignants pour La Poste en matière de transport et de distribution de la presse. Nous recommandons également de constituer un Observatoire de la qualité de la distribution de la presse, placé auprès de l'Arcep.
Enfin, afin de mieux appréhender la problématique de la qualité de service, une mission prospective de calcul du coût lié au manque de qualité de service pourrait être confiée à l'Arcep.
Premièrement, il est indispensable d'améliorer les modalités d'information des élus locaux qui dénoncent régulièrement les fermetures des bureaux de poste. Le cas échéant, la constitution d'agences postales communales (APC) ou intercommunales (API) est préférable aux fermetures sèches des bureaux de poste.
Enfin, pour mieux répondre aux attentes des citoyens, il est nécessaire d'augmenter le nombre de tournées de distribution du courrier et des colis le samedi. En effet, la présence postale est aussi celle du facteur, son passage étant attendu par les citoyens le samedi.
Je laisse désormais la parole à mon collègue, Rémi Cardon, pour présenter le dernier levier d'action de notre rapport et de nos recommandations : détecter.
M. Rémi Cardon, rapporteur. - Merci Pierre. Afin de parachever ses travaux, le groupe de travail s'est intéressé aux nouvelles missions de service public qui pourraient être exercées par La Poste, ainsi qu'aux activités concurrentielles d'intérêt général qui mériteraient d'être développées.
Aujourd'hui, 13 millions de personnes ne maîtrisent pas les outils numériques en France. Si plusieurs politiques publiques de lutte contre l'exclusion numérique sont mises en oeuvre, avec un budget de 250 M€ dans le cadre du plan de relance, et que des initiatives sont prises par La Poste en la matière, toutes ces actions ont la même limite : adopter une « approche par tiers lieux ».
Si toutes les actions en faveur de l'inclusion numérique sont souhaitables, une « approche à domicile » complémentaire pourrait être développée, avec l'appui de La Poste, pour inclure les « publics invisibles », c'est-à-dire les personnes qui ne sont pas en mesure de se déplacer dans un bureau de poste ou une maison France Services, qui n'osent pas demander de l'aide pour sortir de la précarité numérique ou qui ne connaissent pas les offres existantes de formation.
Dans cette perspective, les facteurs pourraient aussi devenir les « détecteurs » à domicile de la précarité numérique. Il ne s'agit pas de faire des facteurs des médiateurs numériques, mais de leur permettre d'intervenir en amont : avant de pouvoir former, il faut pouvoir identifier.
Une expérimentation convaincante a été réalisée en ce sens par la communauté d'agglomération du Sicoval en Haute-Garonne, en partenariat avec La Poste, et des expérimentations similaires devraient être développées sur l'ensemble du territoire afin de pouvoir déterminer si la détection à domicile de la précarité numérique par les facteurs peut constituer à terme une cinquième mission de service public confiée à La Poste.
Aujourd'hui, près de trois Français sur cinq se disent incapables de réaliser des démarches administratives en ligne, alors que l'objectif du Gouvernement est de dématérialiser à 100 % les 250 démarches administratives les plus utilisées d'ici le mois de mai 2022.
Face à cette situation, la puissance publique peut utilement mobiliser le réseau de La Poste et sa capacité de déploiement sur l'ensemble du territoire afin de confier un nouveau rôle aux facteurs, en soutien des politiques publiques existantes : celui de « détecteur » de la « galère administrative ».
Autrement dit, les facteurs pourraient devenir de véritables « représentants à domicile des maisons France Services », en identifiant les besoins des usagers et en établissant le lien avec les équipes compétentes des maisons France Services.
Pour cela, il est nécessaire d'accélérer la labellisation des bureaux de poste en maisons France Services sur l'ensemble du territoire. Dans une logique similaire à celle évoquée précédemment, les 250 équipes de facteurs mobiles que La Poste s'est engagée à déployer sur le territoire doivent être rapidement mises en place. Ces équipes mobiles, formées à la médiation numérique, pourront notamment se rendre au domicile des usagers en difficulté et dans l'incapacité de se déplacer afin de les aider gratuitement à la réalisation de certaines démarches administratives.
Dans le cadre de sa stratégie de diversification dans la Silver Economy et la santé, La Poste a été sollicitée par le Gérontopôle du CHU de Toulouse pour mener une expérimentation visant à détecter, par un questionnaire, la perte d'autonomie fonctionnelle des personnes âgées. Cette expérimentation s'inscrit dans le cadre du programme ICOPE de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui vise à prévenir la dépendance de 15 millions de personnes âgées d'ici 2025, dont 150 000 en France.
Selon les premiers enseignements de cette expérimentation, l'appui des facteurs dans la réalisation de la première étape du programme peut être sollicité dans trois configurations : lorsqu'il y a une carence de professionnels de santé sur un territoire ; lorsque les professionnels de santé sont mobilisés de façon exceptionnelle ; lorsque la personne concernée est en situation de vulnérabilité numérique et n'est pas en mesure de réaliser elle-même une évaluation de sa perte d'autonomie fonctionnelle.
Cette première expérimentation s'est avérée satisfaisante, à la fois pour les professionnels de santé, les facteurs et les personnes ayant bénéficié du programme ICOPE. Dans la continuité de cette initiative, des expérimentations similaires devraient être développées par d'autres CHU sur l'ensemble du territoire, le ministère des solidarités et de la santé ayant récemment publié un appel à manifestation d'intérêt pour la mise en oeuvre du programme ICOPE.
En conclusion, nous espérons que ces travaux permettront, à leur mesure, d'éclairer rapidement les décisions du Gouvernement concernant le financement des missions de service public de La Poste, de sécuriser le cadre juridique de l'Arcep afin qu'une régulation et un contrôle plus adéquat soient effectués et d'ouvrir de nouvelles perspectives.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci beaucoup aux trois rapporteurs d'avoir travaillé aussi vite parce que nous avions des échéances rapides.
M. Franck Menonville. - Merci Madame la présidente. Pour commencer mes propos, je souhaite féliciter nos trois rapporteurs pour leur excellent travail. Je pense que ce rapport est extrêmement important. On le voit bien en ce moment, il y a une dégradation du service sur notre territoire et en particulier sur nos territoires ruraux, avec des réductions d'amplitude horaire et surtout, peut être encore plus grave, une mauvaise concertation avec les acteurs locaux, ce qui conduit à opérer des ouvertures insuffisamment adaptées aux horaires des usagers. Finalement, cela finit par amplifier le phénomène de l'éloignement de nos concitoyens.
Renforcer le contrôle politique, je pense que c'est important et notamment il faut associer davantage les élus et même les parlementaires au niveau local, pour justement opérer cette synergie permettant d'adapter le service aux besoins des usagers. Si nous ne le faisons pas, je pense que nous allons continuer dans une mauvaise spirale.
Le renforcement de l'Arcep, je crois que c'est aussi absolument indispensable. L'élément sans doute le plus important est d'avoir des chiffrages objectifs pour analyser à la fois les coûts, les non-compensations et donc les besoins de compensation. Je pense que pour un service public, il doit y avoir à la fois de la qualité, mais aussi de l'accompagnement.
En dernier point, je voulais évoquer la précarité numérique et la précarité d'accès aux espèces dans nos territoires, notamment dans nos territoires ruraux. Je crois qu'il y a vraiment un rôle important de La Poste pour garantir et développer des outils de proximité permettant de faciliter l'accès aux espèces et de combattre cette fracture numérique qui s'amplifie par la dématérialisation des démarches administratives. Pour conclure, on a vraiment besoin sur nos territoires ruraux de plus de lien social et de plus d'accompagnement face au numérique.
M. Daniel Gremillet. -- Merci Madame la présidente. Je voulais remercier nos trois rapporteurs et effectivement, ils ont raison d'entrée de jeu de dire qu'il y a une dégradation du service de La Poste, le dire c'est rendre service au futur. Je l'amplifie parce que sur nos territoires, l'arrêt brutal de la distribution provoqué par la pandémie de Covid-19 a été un mauvais signal, même si effectivement il y avait un risque pour tout le monde et pour tous les salariés.
Il n'empêche que, en termes de service, il y a eu un sentiment de fragilité, d'abandon et effectivement de dégradation de la qualité du service. Ça me fait penser un peu à la perte de la compétitivité dans le domaine du transport de marchandises : quand vous avez une marchandise que vous mettez sur un wagon, vous ne savez jamais quel jour et à quelle heure elle va arriver. Ce n'est pas comme cela que vous pouvez intéresser des clients. Au niveau de La Poste, effectivement, entre les deux timbres ça ne sert à rien. On a des tas d'exemples qui montrent qu'il n'y a plus cette régularité et cette sécurité d'envoi d'un document.
L'autre point que je voudrais souligner, c'est qu'il faut peut-être aller plus vite parce que la dégradation de la qualité de La Poste passe aussi par ses amplitudes horaires très réduites. Peut-être qu'il faudrait aller plus vite dans la fermeture de certains bureaux pour ouvrir des points de contact, soit avec la mairie, soit avec des commerçants où là, on retrouve une amplitude horaire parfois phénoménale puisqu'ils sont ouverts y compris le samedi et le dimanche.
Il y a donc une remise en cause de la compétitivité de La Poste et des solutions qui permettraient de faire des économies tout en gardant un service performant dans le milieu rural ou dans les quartiers. Il n'y a pas que le milieu rural, il y a aussi les quartiers dans les milieux urbains.
J'ai également une question : est-ce que vous avez fait, comme il y a eu un travail qui a été fait au Sénat sur l'impact carbone du numérique, une étude permettant de savoir si aujourd'hui, pour certains documents, il ne serait pas préférable de continuer à envoyer des imprimés plutôt que d'appuyer sur un bouton et d'envoyer un mail ? Il y a un vrai débat sur l'impact environnemental, tout le monde doit y contribuer. Plus il y a de documents écrits et bien moindre est l'impact environnemental.
J'insisterai sur ma dernière remarque, vous avez fait ce qui me semble essentiel. La Poste a sûrement des services nouveaux à développer, ça s'apparente presque à du social, mais il n'empêche que toute remise en question est toujours bonne pour une entreprise. Je l'ai dit d'entrée de jeu par rapport à la pandémie, cette rupture soudaine a été très mal vécue sur le territoire. Je reste très optimiste sur le rôle de La Poste demain sur nos territoires.
Mme Viviane Artigalas. - Merci, Madame la présidente. Je voudrais à mon tour remercier les rapporteurs pour la qualité de leur travail. Comme j'ai participé à beaucoup d'auditions, j'ai bien vu combien ils étaient assidus.
Je souhaite souligner l'importance de cette mission à un moment où La Poste est à un tournant de son histoire. Je crois que nous en sommes tous conscients ici et vos propos montrent effectivement la perte inédite du service universel postal de cette année 2020. Cette perte ne date pas, elle était annoncée et elle va se poursuivre.
Or, cette question de la compensation pour cette année n'est pas à l'ordre du jour, puisque La Poste annonce des résultats positifs, grâce à l'opération Mandarine. Cette opération, qui a été permise par la loi PACTE, a fait que la Caisse des dépôts et consignations a pris le contrôle majoritaire du groupe La Poste et a surtout permis de constituer un grand pôle financier avec La Banque postale et CNP Assurances. Cette opération a permis d'afficher des résultats positifs pour cette année, mais uniquement pour cette année, donc les 2 milliards d'euros de pertes l'an prochain seront là.
La Caisse des dépôts et consignations ne compensera pas ces pertes. S'il n'y a pas la compensation de l'État, vous l'avez bien dit, il y aura une perte de la qualité du service, du service public postal particulièrement et de la présence postale sur le territoire. Nous sommes très inquiets parce que ce sont particulièrement les territoires ruraux qui risquent, encore une fois, d'être impactés par cette baisse du service public.
Je crois que ce rapport arrive au bon moment. Je voudrais aussi féliciter l'équilibre de ce rapport, parce que seule la question financière de la compensation aurait pu être traitée. Or, je crois que derrière, il y a cette qualité du service public, ce contrôle que la Caisse des dépôts commence à effectuer, que la commission de surveillance commence à faire aussi. Tant que nous n'avons pas les chiffres de la compensation, nous avons du mal à faire des hypothèses financières sur l'année 2021, mais nous y travaillons au sein de la commission de surveillance. Il faut vraiment insister sur cette qualité du service public et sur les territoires ruraux, c'est très important pour nous.
M. Jean-Marc Boyer. - Merci, Madame la présidente. Il y a effectivement eu un fort mécontentement sur les territoires au moment de la pandémie, avec une activité de La Poste réduite au début à trois jours sur sept. Cela semblait quand même très exagéré et cela a étonné quand même beaucoup de personnes.
Je voudrais revenir sur un point très positif qui fonctionne dans nos secteurs ruraux, c'est l'agence postale communale. L'agence postale communale, bien souvent jumelée aux locaux de la mairie, donne satisfaction aujourd'hui en termes de service public. Je crois qu'il faut le dire, et essayer de voir de quelle manière il faudrait pérenniser ce service public de La Poste. Chaque année, les commissions de présence postale se réunissent, mais chaque année, c'est une épée de Damoclès qui est sur les conseils municipaux qui doivent décider, en négociation avec La Poste. C'est relativement pénible. Parmi toutes les auditions que vous avez effectuées, est ce qu'il y a des solutions pérennes qui pourraient s'appliquer dans les zones rurales, en particulier pour garantir un service postal moderne et de proximité ?
M. Laurent Somon. - Merci, Madame la présidente. Félicitations pour cette analyse, qui démontre parfaitement les enjeux qui se posent, notamment en milieu rural. Je voudrais insister sur un certain nombre de points.
Tout d'abord, aujourd'hui, on a l'impression que La Poste se base sur la fréquentation des bureaux de poste dans la période post-Covid, en particulier en milieu rural. Or, ces chiffres ne sont pas satisfaisants car ils sont relevés dans une période très particulière. Le contrôle dont vous avez parlé est absolument essentiel et il doit être indépendant, à la fois sur les chiffres financiers et sur les chiffres de la fréquentation.
Deuxièmement, la compensation fera bien sûr l'affaire mais c'est aussi à La Poste de proposer un certain nombre de nouveaux services. Elle doit aussi essayer par elle-même, au-delà de la distribution du colis, d'apporter un certain nombre de services et de mener des expérimentations. Je peux vous en citer une autre, c'est la détection de l'habitat indigne et des passoires énergétiques dans notre communauté de communes. On a lancé avec La Poste justement la possibilité d'un questionnaire qui a été distribué par les facteurs pour essayer de repérer les habitats indignes. Dans le cadre de l'économie verte que l'on souhaite développer et du plan de relance, La Poste peut apporter un certain nombre de services publics.
Ce qui m'a beaucoup choqué parce que c'est arrivé récemment dans le département de la Somme, c'est que les fermetures sont décidées, avec ces chiffres-là présentés aux élus, en précisant que les agences postales communales peuvent finalement apporter plus et mieux. Mais il ne faut pas oublier quand même que les services bancaires dans les agences postales communales sont limités. Par conséquent, il y a un numéraire extrêmement réduit et donc ça n'apporte pas tous les services. Cela a un peu dévalorisé le travail des facteurs ou des personnels de La Poste que de dire qu'on peut facilement substituer ce qui est un service public dédié à La Poste par éventuellement d'autres systèmes, même si effectivement on peut essayer d'en trouver. Comme l'a précisé Jean-Marc Boyer, il faudrait être sûr de la pérennité du financement des agences postales communales.
Enfin, je suis surpris des décisions qui sont prises d'autant que les départements ont établi des schémas départementaux d'accessibilité aux services publics. Alors qu'on parle de la ville du quart d'heure, on oublie le village de la demi-heure. Il serait bien quand même qu'on s'appuie sur les élus locaux qui ont développé, notamment au niveau départemental, des schémas d'accessibilité aux services publics et que ce soit cohérent avec le déploiement des services de La Poste.
M. Franck Montaugé. - Merci Madame la présidente et merci à nos trois collègues pour ce rapport très intéressant.
Une remarque d'abord. J'ai un peu de mal à comprendre que l'Arcep se désintéresse autant de La Poste. Il faut dire les choses comme elles sont. Ça pose des questions par rapport à l'Arcep et encore plus par rapport à l'État, qui est quand même censé s'appuyer sur l'Arcep pour ce qui concerne la compensation à La Poste.
Après, je voudrais faire une proposition : il aurait pu être intéressant d'envisager des rapprochements public-privé, notamment à partir du développement que l'on constate sur l'ensemble du territoire national de l'économie des plateformes dans le transport des colis. Sur la partie rurale et très rurale du territoire national, est-ce qu'il n'y a pas intérêt à ce que La Poste noue des partenariats pour la livraison des colis qui sont commandés à partir de plateformes. Je me pose la question, ça pourrait avoir un impact d'optimisation sur les conséquences climatiques et environnementales du transport. Je pense qu'il y a quelque chose à faire par rapport à ça.
Sur le médico-social, là aussi, je pense qu'il y a des rapprochements à opérer avec des acteurs du territoire, qu'ils soient publics (CCAS, CIAS, etc.) ou privés, y compris sous forme associative (ADMR, etc.). Moi je ne voudrais pas que le développement de ce type d'activité de la part de La Poste se fasse au détriment ou à la place de ce qui a pu être développé jusqu'ici. Je pense qu'il y a là aussi des complémentarités à opérer.
Je voudrais faire une dernière remarque : c'est très bien, on partage l'enjeu de permettre la connexion informatique à domicile. Mais dans le rural, on sait tous que la couverture est loin d'être satisfaisante et qu'il y a des endroits où on ne peut pas faire les transactions qui sont souvent longues et complexes. Il y a quand même un sujet par rapport à ça qui mérite d'être rappelé.
Mme Sylviane Noël. - Merci Madame la présidente. À mon tour, bien sûr, de féliciter nos rapporteurs pour la qualité de leur rapport. Il y a quelques années, La Poste avait initié une diversification de son offre de services, notamment en direction des anciens, je pense par exemple à l'offre « veiller sur mes parents ». Je voulais savoir si vous aviez eu, dans le cadre de votre rapport, un recul sur le bilan financier et l'adhésion de nos concitoyens à ce type d'offres.
Mme Françoise Férat. - Merci Madame la présidente. À mon tour, je voudrais remercier les trois rapporteurs pour ce travail qui nous permet de faire un état des lieux à partir duquel nous pouvons maintenant travailler.
Sur le sujet des points poste en milieu rural, je m'inquiète sur la pérennisation, pas tant sur les points communaux parce que je doute que La Poste ose, encore une fois, se frotter aux élus. Nous nous sommes tellement battus pour ne pas fermer nos bureaux de poste.
Je prêche pour ma paroisse parce que dans ma commune, j'ai mis en place un point multiservices et dans lequel la commerçante a été ravie de récupérer ce « bureau de poste ». La compensation de La Poste lui permet de payer son loyer, ce qui n'est pas rien ! Je ne vous cache pas que dans un village de 450 habitants, il faut avoir la foi chevillée au corps pour tenir un tel magasin. Je me dis que la tentation serait peut-être grande pour La Poste de commencer par réduire un petit peu les financements qu'elle accorde à ces points. Est-ce que dans ce domaine vous avez eu quelques certitudes que ce soit ?
Mme Patricia Schillinger. - Merci pour ce rapport qui est d'autant plus d'actualité depuis un an par rapport à ce qu'on vit. Il y a beaucoup de sujets dans le sujet, mais moi je voudrais évoquer un sujet qui n'a peut-être pas été analysé, ce sont les employés de La Poste. Nous, nous sommes dans un secteur transfrontalier, et je pense qu'il y a beaucoup de cas comme le mien. La Poste ne trouve pas de personnel, parce que quand on a la Suisse à côté, les salaires sont trois ou quatre fois plus élevés qu'en France. La Poste se trouve vraiment impactée et le réseau ne fonctionne pas, c'est-à-dire la distribution, avec l'absentéisme et le burn out aussi. La Poste a pris le relais social. Elle est aussi un lien direct avec nos entreprises. Est-ce que ce volet rémunération par secteur a été pris en compte ? Parce que moi, je crois que c'est vraiment important, aujourd'hui, de faire du cas par cas, bassin de vie par bassin de vie, et notre secteur est très impacté à ce niveau-là.
M. Laurent Duplomb. - Merci Madame la présidente. Félicitations aux trois rapporteurs pour ce rapport sur La Poste. Je voudrais m'étonner de plusieurs éléments.
Le premier, c'est le nombre de remplacements à La Poste en temps normal. Dans mon département, on a énormément de jeunes qui sont obligés au pied levé de remplacer les postiers qui ne sont pas au travail ou avec des problèmes d'absentéisme. Ces jeunes qui arrivent sont souvent embauchés, débauchés, réembauchés, ce qui fait quand même des éléments de stabilité vis-à-vis de l'emploi un peu difficiles.
Il ressort des différents témoignages de ces jeunes qu'il y a quelques anomalies de gestion. Quand on est dans une entreprise, et quand on veut véritablement éviter d'avoir des déficits, on essaye de gérer au mieux les dépenses courantes de l'entreprise. Par exemple, dans le cadre d'une tournée de postiers, lorsque sa durée dépasse d'une heure la pause méridienne, les postiers sont obligés de retourner au siège de La Poste pour déjeuner. Ce qui fait que les postiers sont obligés de s'interrompre dans leur tournée, puis de retourner après distribuer le courrier.
Le dernier élément qui m'étonne, à titre personnel, est relatif à la commande de colis. Aujourd'hui, nous sommes tous confrontés dans nos activités à la commande de colis. C'est devenu quelque chose quand même incroyable, parfois même avec des colis où il y a 100 grammes de produit à l'intérieur et un carton qui fait 1 mètre cube. Ce que je ne comprends pas, c'est la multitude des transporteurs qui nous amènent ces colis. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi La Poste ne s'est pas imposée comme étant l'entreprise prioritaire sur la gestion de ces colis. C'est jour et nuit que ces colis sont livrés. J'irai même plus loin : le nombre de colis qui sont livrés par des petits camions blancs immatriculés en Pologne, c'est hallucinant.
Je pense qu'il y a deux éléments sur La Poste. Premièrement, réduire les coûts avec un peu plus d'intelligence et éviter que les postiers reprennent leur tournée après la pause méridienne, ça permettrait peut-être d'économiser un peu d'argent. Deuxièmement, être un peu plus dynamique pour prendre le marché des colis de façon à compenser la baisse du courrier par l'augmentation des colis.
Mme Sophie Primas, présidente. - Messieurs les rapporteurs, je vais vous laisser réagir aux différentes questions et interventions.
M. Patrick Chaize, rapporteur. - Merci Madame la présidente. Tout d'abord, merci pour toutes vos questions qui démontrent l'intérêt du sujet. Je vais essayer de concentrer mes réponses.
Tout d'abord, je souhaite répondre aux questions qui ont été posées sur la période Covid. En fait, dans la période Covid, d'après les informations qu'on a pu avoir, l'arrêt brutal était dû au fait que les postiers sont souvent jeunes et ont dû garder leurs enfants. De ce fait, c'est une réalité, c'est 60 % du personnel qui a été indisponible, du jour au lendemain. Après, il y a eu des malades. Je ne porte pas de jugement, juste un constat, ce qui a fait qu'effectivement la mécanique n'a pas pu fonctionner dans de bonnes conditions, avec un temps de retour à la normale qui a été très long puisqu'on est encore dans une phase presque transitoire.
Sur les questions liées à l'accessibilité et au maintien des points de présence et des points commerçants, c'est assez simple et c'est tout à fait dans le corps de notre rapport. Cela pourra continuer si la compensation est là, parce qu'en fait le financement est fait par le service public de contribution à l'aménagement du territoire. C'est le rôle même de l'Observatoire national de la présence postale, que j'ai l'honneur de présider, qui chaque année distribue des enveloppes en fonction des capacités financières de l'observatoire. Ces capacités financières sont estimées chaque année pour faire en sorte qu'on puisse mettre à disposition le financement. Le financement de cette mission est de 177 millions d'euros aujourd'hui alors que l'Arcep, qui a sur cette mission la charge du contrôle, estime le montant correspondant à 237 millions d'euros. Déjà, on a 60 millions d'euros manquants pour pouvoir financer ces opérations. Si l'État et le Gouvernement apportent leur contribution de compensation de service public, il n'y aura aucun souci pour maintenir les services au niveau des agences postales communales ou des points de présence chez les commerçants. S'il n'y a pas cette compensation, il est clair qu'à un moment donné, il y aura des coupes. Nous sommes vraiment dans le coeur de notre rapport.
Sur les impacts environnementaux, il y a effectivement des démarches qui sont faites en termes de réduction des émissions sur toute la partie colis. La Poste a un engagement là-dessus pour qu'à l'échéance 2025, c'est assez proche, ils atteignent zéro émission en termes de livraison, ce qui serait une performance.
Sur les questions des chiffres, ce qu'il faut avoir en tête, c'est que la rupture qui a eu lieu avec la Covid, elle sera durable. En termes de nombres de plis, en 2008, il y avait 18 milliards de plis distribués par La Poste. En 2018, nous sommes passés à 9 milliards. En 2020, à 7 milliards. À chaque fois, quand on parle de nombres de plis, on peut parler d'euros, car le prix du timbre est à peu près d'un euro. À chaque fois, vous perdez des milliards qui font que le service public ne s'équilibre plus. Ce qui s'est passé en 2020, c'est qu'on a eu une rupture en falaise qui a donc complètement déstructuré les prévisions. On perd environ 500 000 plis par an. Alors évidemment on pourrait espérer que les Français se remettent à écrire pour pouvoir remonter la courbe et faire en sorte que les recettes augmentent mais je pense que ce n'est pas forcément un sujet.
Sur l'Arcep et son désintérêt, je ne pense pas que ce soit complètement un désintérêt. D'un point de vue législatif, seule la mission de contribution à l'aménagement du territoire fait l'objet d'un contrôle de coût par l'Arcep, c'est défini dans la loi. Pour les autres missions, nous nous sommes aperçus qu'en fait il n'y avait rien dans la loi et qu'il fallait que ce soit corrigé. C'est le sens aussi des propositions du rapport.
Sur les rapprochements public-privé, ça se fait déjà. Mais là on sort du champ du service public, il s'agit d'un champ concurrentiel. De tels rapprochements et partenariats existent déjà. Il faut savoir qu'Amazon est l'un des plus gros clients de La Poste, notamment pour les livraisons dans les territoires ruraux, même si Amazon développe sur les secteurs plus denses ses propres services. Dans le domaine concurrentiel, ils arrivent à avoir un modèle économique qui tient et on ne peut rien imposer. On ne pourrait pas aujourd'hui considérer que tous les colis soient livrés par La Poste. Ce n'est pas possible, notamment par rapport à l'encadrement qui est fait au niveau européen.
Sur les aspects des employés, notamment dans les secteurs transfrontaliers, je connais cela aussi dans mon département, j'ai la même problématique avec la Suisse. Il y a une difficulté de recrutement au niveau de La Poste. Des solutions sont mises en oeuvre et des logements sont mis à disposition à des prix accessibles. Néanmoins, là-dessus, il y a des secteurs connaissant de grandes difficultés, mais qui sortent un peu du cadre de notre rapport. Par contre, ce que je peux dire, c'est que nous avons auditionné l'ensemble des organisations syndicales de La Poste. Cela a été plutôt une surprise pour nous de voir à quel point elles étaient engagées dans la transformation de La Poste et à quel point elles étaient volontaires pour faire en sorte de trouver des solutions.
Sur la question de Laurent Duplomb, très franchement, je suis preneur des éléments pour les faire remonter à La Poste. Cela me semble être un sujet très local. La règle c'est qu'effectivement il y a une pause méridienne qui souvent doit se passer dans un endroit sur la tournée. Il est possible qu'on les fasse revenir sur site, si la distance est compatible, mais ce n'est pas une règle de base.
M. Rémi Cardon, rapporteur. - Juste un complément sur la question de notre collègue Laurent Somon. Le passage du bureau de poste à l'agence postale communale, c'est un sujet important. C'est préférable en dernier ressort à une fermeture sèche d'un bureau de poste. C'est la raison pour laquelle on a aussi développé dans le rapport qu'il fallait faire la distinction entre les deux et qu'il y avait effectivement le volet service bancaire qui était important, notamment pour les publics fragiles en milieu rural. Généralement, c'est quand même La Banque Postale qui est présente dans ces milieux-là. C'est important qu'il y ait encore de la présence pour permettre aux usagers d'ouvrir un compte et de retirer de l'argent. Nous l'avons rappelé dans le rapport.
J'attire aussi votre attention sur ce qui risque de se produire prochainement. Il y a un déploiement en tout cas des relais pick up Chronopost. Il faut avoir en tête que ce sont des points relais tout simplement, mais qui ne sont pas là pour remplacer ou préparer un remplacement de bureaux de poste. Ce sont juste des points relais et c'est bien différent du bureau de poste. Enfin, je préfère le dire parce que j'ai des inquiétudes là-dessus, je crains que ce soit un moyen de masquer les nombreuses fermetures. Pour le coup, ça ne coûte quasiment rien à La Poste puisque ce sont des commerçants qui gèrent.
En tout cas, j'ai un cas très concret dans la Somme. Une équipe municipale m'a fait remarquer tout simplement que les habitants ont basculé totalement sur le pick up parce que les horaires étaient beaucoup plus flexibles, et s'interrogent sur la fermeture du bureau de poste. Je ne veux pas non plus que ce soit la stratégie de La Poste, c'est-à-dire dire qu'on ouvre un maximum de points relais pick up en utilisant un maximum les commerçants pour mieux fermer les bureaux de poste.
M. Pierre Louault, rapporteur. - Le problème du service public de La Poste se pose bien sûr en milieu rural, mais aussi en milieu urbain. En milieu urbain, vous avez toutes les personnes âgées isolées dans leur appartement. L'État s'est désengagé des services publics de proximité, les perceptions ont toutes fermé, tous les services publics de proximité ont fermé. Ces services publics ont été confiés, soit aux collectivités locales, soit à La Poste. Il est normal que La Poste soit compensée pour ce service public. Par exemple, pour le million d'usagers qui n'ont plus de comptes bancaires car les autres banques les ont mis à la porte. Comme les perceptions ont fermé, il n'y a plus de moyen de retirer du liquide. Tout ça revient à La Poste, c'est normal que l'État compense. Quand on parle d'un milliard supplémentaire, c'est vrai, ça paraît beaucoup, mais il y a une certaine logique.
Un dernier point qu'on a évoqué, le rapprochement des services publics, entre France Services et La Poste. Dès qu'on évoque les problèmes de personnes isolées du numérique et bien ce rapprochement des services entre collectivités locales et La Poste doit être bénéficiaire.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci beaucoup, messieurs les rapporteurs, merci à tous. Je retire de cette audition que bien sûr il faut compenser et contrôler le niveau de compensation de ce service public, mais que La Poste doit anticiper encore mieux qu'elle ne l'a fait jusqu'à présent les évolutions de la société et innover. Il y a des concurrents à elle sur différents secteurs d'activité, je pense à Amazon par exemple qui innove en termes de distribution. Il y a des casiers dans les gares, pourquoi ces casiers sont opérés par Amazon alors qu'ils pourraient très bien être opérés par La Poste ? Il ne faut s'interdire aucun champ d'innovation, parce que la société change, elle est très exigeante sur le niveau de service. Ce qui fera la différence entre La Poste d'aujourd'hui et de demain, c'est le niveau de service.
Le rapport est adopté à l'unanimité.
Audition de M. Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Monsieur Nicolas Dufourcq, directeur général depuis 2013 - depuis sa fondation ! - de Bpifrance, organisme public de financement des entreprises co-détenu par l'État et par la Caisse des dépôts, dont on a pu mesurer le rôle essentiel au coeur de la crise économique liée à la Covid-19.
Nous vous avions reçu, Monsieur le directeur général, il y a près d'un an, à la fin du premier confinement, encore au plus fort de la crise. Nous nous étions alors réjouis de l'assouplissement des critères d'octroi des prêts garantis par l'État (PGE), que vous étiez - et que vous êtes encore - chargés de garantir. Près de 60 milliards d'euros avaient alors été accordés ; depuis, le « quoi qu'il en coûte » est passé par là : les montants prêtés ont été doublés, le délai pour contracter un PGE a été étendu de fin 2020 à juin 2021 et le délai pour le rembourser a été allongé d'un à cinq ans supplémentaires. Dans le même temps, un plan de relance de 100 milliards d'euros, une ampleur inédite, a été décidé par le Gouvernement - et vous en êtes aussi un opérateur pour ce qui concerne l'investissement dans des secteurs stratégiques ou via les « prêts Rebond » avec les régions. Ces éléments - hélas incontournables ! - de contexte me conduisent à vous poser une première question : quel bilan tirez-vous de cette année passée au chevet des entreprises face au choc causé par la crise sanitaire ? En particulier, dans quelle mesure la mise en oeuvre du plan de relance vous a-t-elle amené à changer vos méthodes, votre façon d'appréhender votre métier ? En somme, comment le groupe Bpifrance, au milieu de la tempête, a-t-il pu maintenir le cap ?
Il me semble que le résultat net du groupe que vous dirigez a été pour la première fois négatif en 2020, ce que vous expliquez, et nous vous croyons volontiers, par des provisions importantes : vous avez délibérément prévu le pire pour ne pas avoir de mauvaises surprises. Ma seconde question concerne donc votre appréciation de la situation actuelle et future des entreprises, notamment des TPE et PME. Vous publiez un baromètre trimestriel sur leur santé financière, dont les résultats sont à chaque fois très suivis. Aujourd'hui sous assistance respiratoire de l'État, ces entreprises devront un jour respirer par elles-mêmes - et l'air ambiant est plutôt morose actuellement, malgré les déclarations optimistes du ministère de l'économie et des finances ce matin... On ne sait pas si c'est la méthode Coué ou si c'est la réalité. Faut-il craindre, selon vous, un pic soudain et massif des faillites à l'issue de cette crise, comme le redoutent certains économistes ? Je vous sais d'un naturel plutôt optimiste, Monsieur le directeur général, mais je crois aussi que le désengagement de l'État et des collectivités, le moment venu, sera particulièrement délicat à gérer pour les entreprises - évidemment dans certains secteurs plus que d'autres...
Les spécificités de l'intervention publique en France aideront peut-être les entreprises à se développer au-delà de cette passe difficile. En effet, le Conseil national de productivité a dans un récent rapport souligné que les mesures d'urgence et de relance étaient en France, légèrement plus que chez nos voisins européens, destinées à l'offre et à la réallocation, par contraste avec des mesures centrées sur la demande et sur la protection. En d'autres termes, les stabilisateurs automatiques ayant bien joué leur rôle en France, on a pu donner au plan de relance une visée davantage structurelle, d'accompagnement à moyen terme de la transformation des entreprises. Aussi, je voudrais vous interroger sur un point que nous avons suivi avec attention ces derniers mois, tant il est apparu avec la crise sanitaire qu'il était crucial pour la compétitivité de nos entreprises : la numérisation des TPE et PME. Il ne nous a pas échappé que vous venez de lancer une seconde campagne d'appel à projets pour financer des actions en ce sens. Pouvez-vous nous détailler les modalités pratiques de ce programme et les résultats que vous en attendez ? Quel est plus généralement l'avancement de la numérisation des entreprises françaises ?
Monsieur le directeur général, vous revendiquez pour Bpifrance le titre de banque des entrepreneurs, et plus spécialement de banque des entrepreneurs innovants. Aussi, je ne saurais conclure sans vous interroger sur ce qui constitue l'un de vos coeurs de métier : le financement de l'innovation de rupture, l'amorçage des jeunes pousses et l'articulation entre le monde de la recherche et le monde des affaires, qui est souvent notre talon d'Achille. Au travers du plan Deeptech, abondé à hauteur de 70 millions d'euros chaque année par le Fonds pour l'innovation et l'industrie, vous vous êtes fixé comme objectif de doubler le nombre de jeunes pousses issues de la recherche d'ici à 2023 et de devenir leader mondial en la matière. Ces objectifs ambitieux vous semblent-il tenables à l'heure où nous parlons ? On sait que la France se caractérise par la faiblesse de son capital-risque et par le manque de profondeur de son marché. Ne pourrait-on pas davantage mobiliser l'épargne des Français pour le financement des entreprises, notamment innovantes ? Cette proposition ancienne est revenue sur le devant de la scène depuis que la crise économique de la Covid a porté l'épargne des ménages à des niveaux inédits.
Voilà, Monsieur le directeur général, une première série de questions. Avant que nos collègues ne vous adressent les leurs, je vous cède la parole que vous nous exposiez votre vision de la période que nous traversons.
M. Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance. - Merci beaucoup Madame la présidente. Bonjour à tous. Je suis très heureux de pouvoir commenter nos travaux à vos côtés.
Pour le bilan 2020, nous avons fait deux séries de communications, tout d'abord sur le bilan d'activité le 4 février, puis le 22 mars sur notre résultat.
Je reviens sur le bilan de notre activité. Pratiquement toutes nos activités suivent une croissance très importante, sauf une : l'activité de garantie. La garantie sur fonds propres de Bpifrance a en effet basculé sur le PGE, qui est une garantie qui repose directement sur l'État. Nos activités de prêts des banques privées françaises garantis par Bpifrance diminuent de 27 %. En contrepartie, nous avons fait à la fin de l'année 2020 environ 120 milliards d'euros de PGE, dont la commercialisation n'est pas arrêtée, même si elle est relativement faible - on doit être à 120 milliards aujourd'hui.
Par ailleurs, les crédits à l'investissement réalisés par Bpifrance ont connu une hausse de 30 % en 2020, à 10,3 milliards d'euros pour 20 000 entreprises contre 6 000 l'an dernier. Cela indique une croissance considérable de l'activité. Pour l'essentiel, cela s'est fait à effectif constant dans les 50 agences du réseau Bpifrance sur le territoire. Toutes les équipes ont mené un travail très intense cette année, d'autant plus qu'outre les crédits qu'elles avaient à octroyer, elles ont rééchelonné les crédits passés. Bpifrance a été, le dimanche soir du 15 mars 2020, la première banque à annoncer ce rééchelonnement de toutes ses échéances de crédit.
Parmi ces crédits, le prêt sans garantie a explosé. On l'appelait, à la création de Bpifrance et du temps d'Oséo, le prêt participatif. Il a crû de 144 %, avec notamment les prêts à taux.
Pour anticiper sur une question sur le changement des méthodes de Bpifrance, le prêt Rebond a constitué une nouveauté fondamentale. Il s'agit d'un prêt à taux zéro, assis sur des fonds de garantie dotés par les conseils régionaux de 12 régions sur 13 - seule la Nouvelle-Aquitaine ne l'a pas fait. Ce prêt a bénéficié à environ 15 000 entreprises, ce qui est considérable. Pour une partie très importante - 1 milliard d'euros à la fin de l'année - il est 100 % digital, c'est-à-dire en ligne. Au lieu de parler à des banquiers physiques, vous cochez des cases, et, à la fin, des algorithmes décident si le crédit peut être octroyé ou non. Le taux de refus est inévitablement significatif, mais les allocations et octrois de crédits sont nombreux. C'est la nouveauté de 2020 pour Bpifrance. Nous sommes devenus pour les TPE et les petites PME une fintech, et même la plus grande fintech française de crédit direct 100 % digital.
En ce qui concerne les prêts à l'innovation, les prêts à l'amorçage, les aides comme les avances remboursables et les prêts à taux zéro, et l'ensemble du programme 192, avec le début de la mise en oeuvre du plan de relance à partir de septembre, on est en croissance de 140 %. Sur les prêts, assis sur des fonds de garantie dotés par la Commission européenne, la croissance est de 111 %. Nous avons doublé nos prêts à l'amorçage et prêts à l'innovation. Ce doublement s'explique notamment par la très forte demande des start-up qui ne pouvaient plus lever de fonds propres, et par le fait que nous avons mis en oeuvre le PGE « Inno », également appelé prêt de soutien à l'innovation (PSI). Il a très bien marché : cela a été le premier des PGE - annoncé par la première des banques - à se situer non pas sur un mais sur six ans, avec un taux annoncé d'emblée de 1,8 % sans garantie.
2020 est une très grosse année de fonds propres. En fonds de fonds, notre activité contracyclique est assumée. Tous les fonds qui ne pouvaient pas lever, notamment à cause d'un retrait des investisseurs internationaux de France, ont pu clore car Bpifrance s'est portée au devant d'eux, en acceptant exceptionnellement, et sur la base d'une validation de notre gouvernance, d'augmenter notre taux d'emprise de 20 à 30 %. Ensuite, ces fonds ont pu déployer leur capital. Sur 2020, notre activité de fonds de fonds s'établit à plus de 1 milliard : Bpifrance est le plus gros fonds de fonds de capital-risque et capital-développement de PME en Europe. Nous avons par ailleurs déployé d'importants investissements directs en capital-risque. Nous gérons à peu près 3 milliards d'euros, pour compte propre, pour le compte de l'État et pour celui de certaines grandes entreprises technologiques qui nous confient du capital. Ces investissements directs en capital-risque ont crû de 50 % en 2020. Les investissements dans les grosses entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les entreprises cotées françaises ont crû de 90 %, car nous avons commencé à déployer le fonds Lac d'argent, que nous avons levé pour 4,2 milliards d'euros. Nous avons investi dans Arkema et dans EssilorLuxottica pour bien ancrer ces entreprises en France.
Notre activité en 2020 a donc été intense.
Je fais mon commentaire sur notre résultat net. Nous nous mettons en résultat net négatif à 120 millions d'euros. Cela est dû à deux raisons. La première est la norme comptable bancaire IFRS 9, qui permet de calculer une provision pour risque attendu et non avéré. Nous avons voulu profiter du fait que nous ne sommes pas cotés pour nous mettre au maximum de nos possibilités, en tant que banque publique amenée à intervenir de façon forte en 2021. Nous avons ainsi largement augmenté la provision pour risque attendu. Elle passe de 15 millions d'euros en 2019 à 328 millions d'euros en 2020. C'est calculatoire, et cela n'indique pas une explosion du risque avéré dans nos comptes. Celui-ci reste faible chez nous, comme dans la plupart des banques françaises, et reste très concentré sur un nombre limité de « grumeaux ».
La seconde raison pour laquelle nous sommes en résultat négatif tient aux méthodes de comptabilisation des entreprises mises en équivalence dans nos comptes. Trois principales entreprises le sont aujourd'hui : STMicroelectronics, Eutelsat, et PSA - devenu Stellantis à partir du 10 janvier 2021. Les deux dernières ont nécessité le passage de provisions significatives, non parce qu'elles sont en perte - elles ont engendré des résultats corrects pour 2020, voire excellents pour PSA - mais parce que la règle comptable est paradoxale. En effet, quand une entreprise a une comptabilité en mise en équivalence, on lui fixe une valeur dans nos comptes. Quand elle accumule ensuite, année après année, des résultats nets de très grande qualité qui ne se traduisent pas par une augmentation du cours de bourse terme à terme, on est obligés de provisionner. C'est paradoxal, mais c'est la réalité, et c'est ce qui s'est passé avec PSA. Tous les ans, son résultat est impressionnant, mais la bourse n'en tient pas compte terme à terme, donc nous sommes obligés de provisionner et de réduire dans nos comptes la valeur de mise en équivalence de PSA. C'est une des complexités de la lecture des comptes de Bpifrance : nous allons essayer autant que possible de limiter les mises en équivalence. Nous avons réussi à en sortir Orange, nous sortons Stellantis de la mise en équivalence en 2021. Il ne nous restera plus que STMicroelectronics et Eutelsat. Cela représente à chaque fois plusieurs centaines de millions d'euros.
Pour le reste, je vous rassure : Bpifrance a créé de la valeur en 2020. Il s'agit d'une augmentation de la valeur sous-jacente du portefeuille, à laquelle s'ajoutent les dividendes, les revenus des obligations et la valeur du portefeuille de crédit. Bpifrance a créé 130 millions d'euros de valeur en 2020, en dépit de la crise.
Nous avons, par ailleurs, effectivement changé de méthode. À la fin de l'année 2020, 3 200 personnes travaillent à Bpifrance, dont 180 recrutées en 2020. Nous sommes une banque en forte croissance. Les encours de crédit de Bpifrance ont crû de 12 % en 2020, atteignant 42 milliards d'euros. Les actifs sous gestion représentent la même somme. Lorsqu'on ajoute les 14 milliards d'euros d'encours de nos fonds de garantie, on approche de 100 milliards d'euros. Lorsqu'on a créé la banque au 1er janvier 2013, on était à 45 milliards d'euros environ : on a doublé. On continue de recruter par nécessité, tout en maintenant nos ratios de gestion à des niveaux record de frugalité, comparés aux niveaux de la place de Paris. Le coefficient d'exploitation de notre activité de crédit est en-dessous de 50 % et le ratio entre nos charges et les actifs sous gestion est sous 0,5 %. On se tient à ces deux ratios, qui sont fondamentaux et largement commentés.
Notre forte croissance nous pousse à recruter. Nous avons dû en particulier le faire en fin d'année, de manière importante dans nos activités directement liées au plan de relance. La direction de l'expertise de Bpifrance et les ingénieurs de nos 50 directions régionales, qui instruisent notamment les dossiers Territoire d'industrie, ont été confrontés à une augmentation puissante des volumes. En 2019, ces équipes géraient environ 1,5 milliard, mais 3,5 milliards en 2020. Il a fallu instruire un nombre très conséquent de dossiers supplémentaires : on n'est pas passé loin de la surchauffe. Nous avons donc décidé de recruter des effectifs additionnels, y compris des consultants recrutés dans l'urgence en novembre-décembre, car la productivité demandée aux collaborateurs devenait excessive.
On s'est réoutillé pour un nouveau rythme de distribution de subventions, de produits d'intérêt général et de prêts à l'innovation de Bpifrance, à hauteur de 3 milliards par an. C'est deux fois supérieur à ce qu'on avait en 2019.
C'est le principal changement de calibrage de nos ressources humaines, qui s'ajoute au fait que Bpifrance passe de plus en plus au digital. Nos plateformes digitales sont de plus en plus utilisées. Vous avez pu mesurer le time to market, c'est-à-dire leur rapidité de mise en oeuvre sur le PGE, le prêt à taux, le prêt Rebond et le fonds de développement économique et social (FDES) dont nous sommes opérateurs pour le compte de l'État. Nous sommes aussi, dans certaines régions comme la Bretagne, opérateurs des fonds Résilience et Résistance. Ces plateformes servent, à partir de janvier 2021, à la distribution de nos prêts d'honneur pour la création d'entreprises. Nous avons l'intention d'en faire environ 70 000 cette année, ce qui représente un volume très important. Nous serons à nouveau mobilisés, avec ces plateformes digitales, sur le sujet des prêts participatifs et des obligations subordonnées.
Effectivement, nous publions régulièrement notre baromètre. On est très à l'écoute de nos clients, nos empreintes digitales en capital se trouvent dans un grand nombre d'entreprises : nous avons un portefeuille direct de l'ordre de 1 000 entreprises et indirect, au travers du fonds de fonds, de 4 000 de plus. Il nous montre que les entrepreneurs sont incroyablement résilients. Ils se préparent tous à ce que je me suis permis d'appeler sur France Info hier midi la « catapulte » du second semestre. En ce moment on tend le ressort et la catapulte, et à un moment donné cela va partir. Tout le monde se prépare un rebond post-Covid qui sera très puissant. Ce ne sera pas forcément un rebond de consommation, comme vous le disiez, mais un rebond d'investissement. Ce dernier se porte plutôt bien, et c'est la conséquence du policy mix du Gouvernement français, consistant en un plan de relance très axé sur l'offre. Il faut prendre une seconde d'arrêt pour constater que ces 100 milliards contiennent le plan de soutien à l'industrie française le plus important depuis très longtemps, avec la baisse des impôts de production, les plans en faveur des secteurs automobile et aéronautique, et Territoires d'industrie. Les entrepreneurs sont conscients du fait qu'ils vivent un moment exceptionnel, d'autant plus que la demande est très forte. Nous avons été, avec le ministère de l'industrie, récipiendaires d'environ 7 000 dossiers, dont tous ne pourront pas être satisfaits. Agnès Pannier-Runacher arrive à négocier des enveloppes supplémentaires, qui sont bienvenues.
Pour en revenir au moral des entrepreneurs, si vous laissez de côté les cafés-restaurants, l'hôtellerie de centre-ville et une partie de la filière aéronautique (les cadences sur différentes catégories de Boeing et d'Airbus sont en forte baisse), les entrepreneurs sont très résilients. On mesure beaucoup de choses chez eux, y compris la psychologie collective, le capital mental. Les indices que nous mesurons montrent qu'il a fortement baissé entre mars et juin 2020. Cela a été un très grand choc pour eux, ils ont eu très peur. Puis, voyant à quel point ils ont été soutenus par l'État, ils se sont stabilisés à ce niveau, voire ont remonté. Les mesures qui, le cas échéant, seront prises cette semaine ajouteront à la grande histoire de ce qu'ils vivent depuis le 15 mars 2020. Cela n'enlèvera pas leur certitude que les choses seront pour l'essentiel résolues au second semestre 2020.
Ensuite, le tourisme de centre-ville ainsi que l'économie du spectacle et de l'événementiel continuent de brûler du capital. Il faut reconnaître que nous sommes dans un moment très darwinien. Des petites chaînes hôtelières qui s'étaient bien préparées, possèdent leurs murs, ont de l'equity et commencent à être actifs en rachats, vont sortir leur épingle du jeu. En revanche, pour l'hôtelier de centre-ville qui ne possède pas ses murs, ce sera très difficile. Je pense que la casse sera importante. Quant au secteur des cafés-restaurants, il est soumis à un fort turn-over et a toujours été considéré comme secteur à risque, y compris avant la crise sanitaire. Il le sera encore plus. En dépit du fonds de solidarité, les faillites par non-redémarrage des activités devraient fortement augmenter en sortie de crise. C'est aussi l'opinion, par exemple, du patron du groupe Ricard, qui suit cela de très près et dans tous les pays.
Les chiffres des faillites sont les suivants. En année normale, 50 000 faillites se produisent en France. Dans les années de crise ou post-crise, ce chiffre atteint 60 000. En 2020, on en a eu 40 000. Par conséquent, il devrait selon moi y avoir un effet de report sur 2021, avec un chiffre qui atteindra probablement 60 000. Tous les économistes, Coface, ou Euler Hermes prévoient un tel effet. Se stabilisera-t-on à 60 000 comme on y est resté entre 2009 et 2016 ? C'est très difficile à dire. Je n'en suis pas sûr. Nous avons toujours été plutôt optimistes à Bpifrance et les faits nous ont donné raison. En dehors de la géopolitique, qui casse le moral des entrepreneurs européens, je crois à un rebond post-Covid lié à des changements technologiques et sociétaux fondamentaux vecteurs de croissance.
Je termine par la numérisation des TPE et des PME. Le programme France Num se déploie, à travers des appels à projets pour apporter des prestations d'accompagnement en ligne pour les TPE. Nous sommes à la manoeuvre pour piloter ces appels à projets dans les territoires.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci beaucoup Monsieur le directeur général. Je vous soumets aux questions de mes collègues.
Mme Viviane Artigalas. - Monsieur le directeur général, je voudrais saluer l'action de Bpifrance, qui a activé plusieurs dispositifs pour des aides d'urgence aux entreprises du secteur touristique, très touché pendant la crise. Au-delà, nous sommes tous conscients qu'il faut anticiper et travailler à la relance et à la compétitivité de ce secteur d'activité, essentiel pour notre pays.
J'ai deux questions à ce sujet, dont l'une à laquelle vous avez en partie répondu. Comment Bpifrance accompagne-t-elle les entreprises touristiques dans leur indispensable adaptation au numérique, alors que les acteurs du tourisme français souffrent d'une moindre numérisation que leurs homologues européens ?
Deuxième question : France Lab Tourisme fédère les incubateurs touristiques français en prenant en compte les besoins spécifiques des start-up touristiques afin de les accompagner efficacement dans leur développement. Comment Bpifrance intervient-elle pour favoriser l'émergence d'entreprises innovantes en matière touristique ? Que pensez-vous du modèle espagnol et de son agence de promotion de l'innovation, Segittur, qui semble être devenue une référence mondiale ?
M. Fabien Gay. - Monsieur le directeur général, j'ai trois questions.
La première porte sur les PGE. J'aimerais avoir les chiffres relatifs aux TPE et PME. On constate plusieurs situations. Certaines entreprises ont pris le PGE alors qu'elles n'en avaient pas besoin, mais parce que les comptables les y ont poussées pour le mettre de côté. D'autres l'ont pris et ont commencé à manger le capital car elles n'avaient pas le choix. D'autres encore l'ont pris, et ont déjà tout mangé car elles sont en très grande difficulté - il s'agit de l'hôtellerie, des cafés, de l'événementiel, de la culture et bien au-delà. On nous dit que 25 % des entreprises seraient dans cette dernière situation. Confirmez-vous ce chiffre ? Elles seront mises en très grande difficulté quand le « quoi qu'il en coûte » sera débranché. Il faudrait qu'on sache à combien se monte le total des PGE sur cette question. Pour les entreprises qui ont commencé à manger le capital, pourrait-on aller vers une solution de transformation en capitaux propres ?
Ensuite, nous avons un grand débat avec le Gouvernement sur les PGE distribués aux très grands groupes. On nous dit : « Ne vous inquiétez pas, il y a des conditions en termes d'emplois et maintien de sites industriels ». Mais c'est plus compliqué. On voit bien que, tous les jours, les plans de licenciement s'amoncellent. Existe-t-il des conditions aux PGE pour les très grands groupes ? Qui les contrôle ? Est-ce vous ? Et s'il n'y a pas de contrôle, au moins, qui en fait une évaluation ?
Dernière chose. L'Assemblée nationale a entamé la discussion du projet de loi Climat et résilience. Nous l'aborderons en juin. Une question se pose autour des subventions aux entreprises qui mènent des projets contraires aux objectifs environnementaux affichés par le Gouvernement, comme des projets de subvention aux énergies fossiles. Il me semble que vous en subventionnez à hauteur de 9,3 milliards. Il s'agit de projets gaziers au Mozambique ou des projets de Total en Antarctique. Le Gouvernement souhaite y mettre fin en 2035. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait accélérer le calendrier vu l'urgence climatique et mettre fin aux subventions à des projets qui contredisent nos projets environnementaux ?
M. Daniel Gremillet. - Monsieur le directeur général, je voudrais rendre hommage à Bpifrance pour cette proximité territoriale, notamment avec les collectivités régionales, depuis un an. Sur les PGE, je vais être bref car Fabien Gay a évoqué une grande partie de ce que je voulais dire. Voici ma seule question sur le sujet : certains élus de régions considèrent que des entreprises ne pourront pas les rembourser, et qu'il faudra trouver une autre solution pour les sauver. Comment imaginez-vous transformer ce PGE au niveau des fonds propres ?
Deuxième question : j'ai présidé dans mon département des Vosges le fonds Résistance. Votre équipe a été très précieuse dans les avis. J'ai néanmoins pu constater avec mes collègues des collectivités régionales et départementales que les banques n'ont pas fait leur travail. Très souvent, l'argent du contribuable et des collectivités a dû venir en secours des entreprises, notamment des petites entreprises, des commerces et des artisans, parce que le monde bancaire avait un peu déserté. Je voulais avoir votre sentiment global, au niveau national, sur cette situation.
Troisième point : tout le monde se satisfait du fonctionnement du plan de relance des investissements. Mais, Monsieur le directeur général, il n'y a pas de génération spontanée d'investissements dans les entreprises. La plupart de ceux qui ont été réalisés étaient déjà prévus. On sait le temps qu'il faut entre le moment où vous décidez de l'investissement et le moment où vous pouvez le réaliser. Je voudrais là aussi avoir votre sentiment. Ce n'est pas une critique : je veux dire qu'il y aura un après. Constituons-nous à nouveau un portefeuille d'investissements aussi significatif pour 2022 et au-delà ? En effet, ce qui a été réalisé n'est pas uniquement dû au plan de relance, mais peut-être à un soutien particulier à des investissements déjà prévus.
Je termine. J'ai bien entendu votre propos sur l'augmentation de 180 personnes au sein de Bpifrance, nécessaire eu égard à la place que vous avez prise par rapport au monde bancaire traditionnel. Comment voyez-vous le futur ?
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Monsieur le directeur général, en mai dernier, je vous avais interrogé sur la situation d'éligibilité des entreprises françaises installées à l'étranger aux outils mis en place par Bpifrance. Vous m'aviez répondu que vous aviez étudié la situation de la diaspora française à l'étranger, mais que vous ne pouviez pas suivre les entreprises qui avaient choisi de s'y déplacer. Un an après le déclenchement de la crise épidémique, certains dispositifs sont mis en place : ARIZ, la garantie Choose Africa Resilience... Ce sont des garanties en faveur d'entreprises françaises en fonction de la nature et du lieu de leur activité. Ces entreprises participent pourtant massivement à l'exportation des produits français à l'étranger. 40 % d'entre eux consomment des produits français. Il faut donc trouver impérativement une solution pour les aider à améliorer leur trésorerie, à être présents et à réinvestir pour se développer partout dans le monde. Je voudrais savoir si vous avez avancé dans votre réflexion, si vous avez reconsidéré votre position pour venir en aide aux entreprises françaises installées à l'étranger, selon des critères comme l'embauche de salariés français, l'achat de produits français pour les véhiculer à l'étranger, une clientèle française, ou bien le développement de marques françaises à l'étranger. À l'occasion d'une audition, le ministre des finances a déclaré qu'il n'y était pas hostile.
M. Serge Babary. - Monsieur le directeur général, des fonds dits « souverains » régionaux se mettent actuellement en place pour aider les entreprises à passer le cap de la crise et lutter contre les risques de prédation par des fonds étrangers, en particulier sur les ETI. La Région Rhône-Alpes a créé le premier fonds, et Bpifrance l'accompagne à hauteur de 10 millions d'euros. Soutiendra-t-elle d'autres fonds souverains régionaux de ce type, au même niveau, et si oui, selon quels critères ?
Ma deuxième question concerne le fait que Bpifrance a confié à Amazon la charge d'héberger sur son cloud des données issues des attestations des PGE. Qu'en est-il de la sécurité de ces informations, compte tenu du CLOUD Act et de la possibilité pour le Gouvernement américain d'avoir facilement accès à ces données stratégiques sur nos entreprises ?
M. Franck Montaugé. - J'aurai trois questions.
Que représente aujourd'hui l'endettement des entreprises françaises ? Quelle a été son évolution depuis 2019 ?
Quelle est la part de cet endettement qui relève de la survie à la crise - de la nécessité d'avoir à emprunter pour passer cette période - et quelle est celle qui relève de l'innovation ainsi que de la préparation à la reprise et à l'avenir ?
Enfin, quelle appréciation personnelle portez-vous sur la capacité des entreprises françaises à se désendetter, en faisant la part de ce qui relève de la crise et de la préparation de l'avenir ?
M. Yves Bouloux. - Monsieur le directeur général, l'une des priorités de Bpifrance pour 2021 est la Banque du climat. Vous avez annoncé la création d'une école de la transition énergétique à destination des entrepreneurs. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ?
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Monsieur le directeur général, les PGE non remboursés rentreront-ils dans un budget spécifique ou s'ajouteront-ils à la dette liée au Covid-19 ?
Ensuite, pouvez-vous mesurer et voir comment Bpifrance appréhende le plan de soutien au secteur de la montagne afin de tenir compte de la diversité des territoires et de la diversification des activités ? Pensez-vous que son périmètre doive être corrigé ? On a en effet pu remarquer de nombreuses lacunes, des aides non attribuées à certains acteurs de la montagne.
Enfin, l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) avait formulé des propositions à l'été 2020, notamment le recours à Bpifrance lorsque des aides de soutien à l'économie du fonds de la solidarité vont s'arrêter. Certains établissements dans le secteur de l'hôtellerie rencontreront des difficultés en fonction de la reprise du secteur. L'UMIH avait préconisé que Bpifrance puisse servir de caution et entrer dans le processus de vente afin d'éviter que des établissements soient vendus à des investisseurs étrangers.
M. Jean-Marc Boyer. - Après la montagne, je veux parler du thermalisme. Il est à l'arrêt depuis 2020 et ne redémarre pas en 2021. Ce secteur représente en France une centaine d'établissements thermaux et de villes thermales. Pour cette deuxième saison, les choses semblent mal se présenter en termes d'activité et d'ouverture. Quelles interventions Bpifrance a-t-elle menées vers les établissements thermaux et les villes thermales, sachant que le secteur représente environ 100 000 emplois au niveau national ? Quel avenir prévoyez-vous, si vous pouvez nous le dire, pour le rebond économique de cette activité thermale ? Lorsque vous parlez de rebond, voire de catapulte, j'avoue que cela me laisse un peu perplexe.
M. Michel Bonnus. - Ma première question porte sur le moment où le Gouvernement va siffler la fin du match. Je rebondis sur ce qu'a dit Mme la sénatrice Estrosi Sassone : quel impact cela peut-il avoir ? Y est-on bien préparé, et notamment les entreprises particulièrement touchées dans la filière touristique ?
Ma deuxième question porte sur les départements les plus touchés. Chacun d'entre eux est un cas particulier par rapport au tourisme. On parlait de montagne et de thermalisme, mais il existe aussi des croisiéristes, un tourisme de loisir, un tourisme d'affaires et un tourisme de proximité. Comment les collectivités, au niveau de leurs compétences, et notamment les départements et les régions, peuvent-elles, par des indicateurs précis, être facilitatrices pour les entreprises en grande difficulté ? Il s'agit de prévenir et s'y prendre dès maintenant. J'ai deux casquettes aujourd'hui. Je trouve qu'on n'est pas assez impliqués, tant les professionnels du tourisme que les collectivités. Pour elles, les choses sont désorganisées ; on ne sait pas l'impact du post-Covid par rapport aux caractéristiques de notre département. Pour moi, c'est très important, car des filières vont être directement touchées : l'agriculture, la viticulture - je parle pour le département du Var mais pour bien d'autres -, l'hôtellerie et le tourisme.
M. Daniel Salmon. - Monsieur le directeur général, mes collègues vous ont déjà interrogé sur la Banque du climat et les fossiles. Pourriez-vous nous donner également des indications sur les aides spécifiques que vous attribuez aux PME et ETI, qui sont impliquées dans la transition énergétique et écologique ? Comment voyez-vous l'évolution à ce sujet ?
Deuxième question : elle concerne la répartition territoriale des crédits. Vous nous avez parlé des plateformes régionales : pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Cette répartition de crédits est-elle uniforme ? Est-elle bonne sur le territoire français ?
Mme Sylviane Noël. - Monsieur le directeur, Bpifrance est pleinement mobilisée depuis plusieurs mois sur les fonds de modernisation des filières automobile et aéronautique. Je suis élue d'un territoire particulièrement concerné par ces deux secteurs, qui comporte bon nombre de sous-traitants de ces deux filières industrielles, pour la plupart des PME. Beaucoup m'ont exprimé leur grande satisfaction de pouvoir bénéficier de ces dispositifs à une heure où ils sont confrontés non seulement à une crise sanitaire mais aussi à des mutations technologiques profondes. Néanmoins, une critique revient très régulièrement et je souhaitais profiter de cette audition pour vous transmettre une requête : les démarches administratives pour percevoir le solde de ces subventions restent particulièrement lourdes, alors même qu'une très grande part des éléments vous auraient été déjà communiqués lors de l'appel à manifestation d'intérêt. Je rappelle que ces dispositifs profitent pour une large part à des PME, qui ont les plus grandes difficultés à répondre à ces exigences.
Mme Florence Blatrix Contat. - Monsieur le directeur général, les trois quarts des entreprises font appel à l'assurance-crédit pour se couvrir contre les risques d'impayé, qui étaient jugés en hausse avant même la crise : c'était déjà une tendance en 2018-2019. Aujourd'hui, les TPE et PME craignent que les grands assureurs privés baissent les montants assurés, notamment dans l'artisanat. Cela a pour conséquence de rendre plus difficile l'approvisionnement des TPE-PME, soit en limitant leurs achats, soit en leur imposant des achats au comptant, ce qui affecterait leurs besoins en fonds de roulement. Comment éviter cet écueil, qui serait un véritable frein à la reprise ?
M. Christian Redon-Sarrazy. - Monsieur le directeur général, Bpifrance intervient auprès du secteur agricole, en particulier pour renforcer le fonds de roulement des entreprises qui le compose. Les entreprises éligibles sont essentiellement des PME du secteur agricole, que vous accompagnez, soit pour allonger la durée des crédits, soit pour les réaménager afin de réduire sensiblement les remboursements, d'accorder de nouveaux crédits en fonds de roulement, ou de consolider des crédits à court terme par du crédit de moyen terme. Avez-vous noté depuis le début de la crise une sérieuse détérioration de la situation de ces entreprises et donc une hausse sensible de votre niveau d'intervention sur ce secteur ?
M. Bernard Buis. - Notre commission a auditionné en janvier Patrick Artus et Olivier Pastré, économistes et auteurs de L'économie post-Covid. Dans la presse, le premier paraissait pessimiste sur la résilience des PME dans cette lourde épreuve, évoquant même un « bain de sang » à venir. Il précisait la grande particularité de cette crise, selon laquelle d'habitude, dans une récession, la situation empire puis s'améliore pour tout le monde, alors que dans le cas présent, tout le monde va mal, mais certains secteurs ne retrouveront vraisemblablement jamais leur niveau d'activité normal. Dans une interview que vous avez accordée récemment à Boursorama, vous paraissez nettement plus optimiste. Vous faites mention d'une « catapulte économique » importante à partir de septembre. On aimerait vous croire. Pouvez-vous confirmer votre optimisme ?
M. Jean-Pierre Moga. - Monsieur le directeur général, je vous remercie pour vos propos. J'estime que Bpifrance a été au rendez-vous des défis économiques suscités par la crise sanitaire en jouant pleinement son rôle d'amortisseur en faveur des entreprises françaises. Lors de l'examen du budget 2020, en ma qualité de rapporteur pour avis de la mission interministérielle « Recherche et Enseignement Supérieur » (MIRES), je m'inquiétais de la diminution de l'attribution des crédits octroyés à Bpifrance dans le financement des aides à l'innovation. J'ai été satisfait de voir un niveau de dotation de 650 millions d'euros cette année, contre 477 en 2019. J'avais beaucoup de questions à vous poser, mais mes collègues les ont souvent abordées. Je voulais vous interroger sur la perte de 121 millions, mais vous y avez largement répondu dans votre propos liminaire.
Je reviendrai donc uniquement sur la question du remboursement des PGE, qui me semble cruciale pour l'économie française. On estime que 4,5 à 6 % du montant global de ces prêts pourraient ne pas être remboursés. Cela représente environ 6 à 8 milliards d'euros de pertes potentielles. Quelles sont vos inquiétudes et vos propositions par rapport à ce sujet ? Je vous remercie.
Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le directeur général, vous avez un grand menu ! Je vous laisse la parole. Merci d'avance de vos réponses.
M. Nicolas Dufourcq. - Je n'avais pas répondu à votre question sur la deep tech : je vais commencer par là. Nous avons publié les résultats du deuxième anniversaire du lancement du plan Deeptech, débuté en janvier 2019. Il se déroule de manière formidable. Nous avons en effet de grandes ambitions de création de start-up à partir des laboratoires des grands pôles scientifiques français. Il s'accompagne d'une boîte à outils, renforcée par le plan de relance s'agissant des fonds propres. Face à nous, même s'il a démarré, s'ouvre un réel changement culturel dans le monde de la recherche scientifique française autour de la possibilité de créer ces start-up. Le statut de chercheur-entrepreneur est fondamental, le début de simplification que nous appelons de nos voeux, qui est la deuxième étape des sujets de transfert de technologies, est une bonne nouvelle.
Le plan est d'autant plus important que la deep tech consiste à fabriquer des objets complexes. Elle comporte bien entendu du code et de l'intelligence artificielle, mais surtout énormément d'incarnation sous la forme d'objets fabriqués dans des usines. Le plan Deeptech engendre donc une partie du futur de l'industrie française sur notre territoire. L'énorme usine Ynsect construite à Amiens, pour fabriquer de l'alimentation animale à base d'insectes, est directement issue de ce plan. Il y aura de plus en plus de grandes usines de ce type. Nous avons d'ailleurs des fonds spécialisés pour y injecter du capital, notamment le fonds SPI (société de projets industriels). Ce plan Deeptech viendra en relais de l'industrie actuelle, qui a déposé les 7 000 dossiers du plan de relance.
J'ai eu beaucoup de questions sur le tourisme. La question qui se pose maintenant est bien sûr de savoir comment on rebondit à l'issue de la crise sanitaire pour franchir une étape de modernisation de l'offre touristique française, autour de la numérisation, du développement plus rapide d'entreprises qui, elles-mêmes, réinventent leurs concepts. J'étais ainsi récemment avec un entrepreneur qui a développé progressivement un concept de camping nouveau, avec des tentes préinstallées, un peu à la scandinave, et qui décolle actuellement. C'est ce genre de personnes que nous accompagnons depuis des années et au capital desquels nous rentrons pour leur permettre d'exploser.
Nous menons donc une action très importante en matière de numérisation du tourisme et d'innovation dans les concepts. C'est de l'accompagnement - nous avons nos écoles, un accélérateur de tourisme -, du crédit, des aides à l'innovation et des fonds propres. Nous venons par exemple de réinvestir dans le réseau de campings Sandaya, qui est une entreprise particulièrement innovante en la matière.
Je suis très intéressé par la remarque concernant cet organisme espagnol, Segittur. Nous allons regarder cela tout de suite. Chez Bpifrance, on apprécie les benchmarks qui nous permettent d'avancer. Si c'est une bonne pratique, on tentera de la reproduire.
Pour terminer sur le plan tourisme, nous travaillons avec les régions : sur les plans montagne de la Région Rhône-Alpes et montagne Pyrénées de la région Occitanie. Nos directions régionales déclinent nos actions touristiques avec les conseils régionaux pour monter des plans spécifiques aux régions en question. Je pense que cela se passe très bien avec les équipes de Laurent Wauquiez et de Carole Delga.
Je passe aux PGE. Ils représentent, selon les derniers chiffres, 119 milliards d'euros pour 710 000 entreprises. 365 000 entreprises, qui sont de facto de petites PME ou des TPE, ont pris moins de 50 000 euros de PGE, sachant que le PGE moyen est de 170 000 euros. On a également créé le PGE saison, qui permettait aux entreprises touristiques de reprendre un PGE fondé sur les meilleurs mois de la saison 2019. Il ne marche pas très bien : les banques françaises n'en ont placé que pour 1 milliard à 6 300 entreprises, avec un PGE moyen se chiffrant également à 170 000 euros.
Par ailleurs, nous maintenons en effet nos hypothèses de sinistralité entre 4 et 7 %. Depuis que la possibilité est offerte aux banques de permettre à leurs clients de différer non d'un mais de deux ans le premier remboursement du PGE, sur cette partie-là du portefeuille, le risque devient plus important. En effet, le risque augmente avec la longueur du différé. Nous avons fait tourner nos algorithmes, et il apparaît que si une proportion importante de détenteurs de PGE diffère de deux ans plutôt que d'un, le risque de perte finale en sinistralité, pour le plan PGE, de 4 à 7 % passerait à une fourchette de 5 à 8 voire 8,5 %. L'augmentation du risque n'est donc pas considérable. En termes d'efficacité de la dépense publique, les effets multiplicateurs demeurent très importants.
Pour ceux qui ne rembourseront pas, se pose la question de la conversion en capitaux propres. Depuis que cette idée est évoquée, j'ai souvent eu l'occasion de dire qu'on ne met pas de capitaux propres dans de toutes petites entreprises, ou alors c'est de la subvention ou du don : il s'agit dans ce cas de capitaux propres. En revanche, un pourcentage de capital, avec une représentation au conseil d'administration, est tout à fait inadapté à des petites entreprises. Vous pouvez imaginer des obligations convertibles, qui sont du quasi-capital, mais il n'est pas prévu aujourd'hui de convertir le PGE en de telles obligations.
En revanche, un enrichissement de la boîte à outils française, avec les prêts participatifs et les obligations subordonnées, a été annoncé il y a quinze jours. Il a été ardemment négocié avec la Commission européenne depuis de nombreux mois, et désormais avec les assureurs, qui vont financer le fonds.
Je fais une incise sur le sujet. Les prêts participatifs sont des prêts à 8 ans avec 4 ans de différé de remboursement. Ils sont garantis à 90 % par l'État. Leur taux sera autour de 4,5 % pour les PME et 5 à 5,5 pour les ETI. Ces prêts font payer le différé de 4 ans par un taux d'intérêt assez élevé. Ce sont bien des prêts, et pas du capital. Ils sont intéressants pour des entreprises qui ont besoin d'un nombre important d'années de différé pour pouvoir se remettre. Quelle est la profondeur réelle du marché pour de tels prêts ? C'est très difficile à dire. L'essentiel est que la place financière soit équipée de cette possibilité, sachant que l'État garantit aux assureurs qui investiront dans le fonds un rendement de l'ordre de 2 %. Ce fonds est donc attractif.
Les obligations subordonnées sont des obligations à 8 ans, à 5 % pour les PME et 6 % pour les ETI. Elles sont remboursables in fine : pendant 8 ans vous ne remboursez rien. Ce très beau produit sera commercialisé par une quarantaine de fonds d'investissement, habitués à investir auprès des PME en capital, quasi-capital, ou en dette (s'agissant des fonds de dette). Bpifrance est candidat pour commercialiser aussi bien les prêts participatifs que les obligations subordonnées, qui sont de la dette reportée.
Aujourd'hui, indépendamment de la subvention pure, qui est le constat de la perte, il n'existe pas pour les TPE de mécanisme de masse de conversion du PGE en capital. Je pense honnêtement qu'il ne peut pas y en avoir : le capital, tel qu'on le connaît, n'est pas la solution pour les toutes petites entreprises, d'autant plus que la quasi-totalité de leurs chefs d'entreprise ne veulent pas ouvrir leur capital.
Vous avez posé une question sur les PGE des très grands groupes. Ils sont gérés en direct à Bercy par les équipes de la Direction générale du Trésor. C'est à eux qu'il faudrait poser la question. Des conditionnalités ont effectivement été mises en place à chaque étape mais je ne les connais pas. Je sais qu'elles sont contrôlées, mais je ne sais pas comment et par qui.
J'ai eu une autre question sur le PGE : le PGE non remboursé rentre-t-il dans la dette liée au Covid-19 ? Oui. Le PGE non remboursé, mettons 6 % des 120 milliards - dont la partie État représente 90 % - seront financés par le déficit du budget de l'État, lui-même financé par la dette liée au Covid-19.
J'en viens au climat. Nous avons un accélérateur climat, et nous en aurons de plus en plus. Nous allons faire passer beaucoup d'entreprises dans nos écoles. Ces accélérateurs de Bpifrance sont très efficaces, avec un taux de satisfaction des clients de 99 % dont nous sommes très fiers. Leurs programmes s'étalent sur un à deux ans, ils proposent beaucoup de conseil, du consulting, un mentor, un advisory board, c'est-à-dire un comité consultatif de quatre dirigeants de grands groupes qui vient épauler le chef d'entreprise, et des sessions collectives qui permettent aux entrepreneurs de se parler les uns aux autres, de se comparer, et de se donner l'énergie d'être plus audacieux dans leurs plans de transformation. Par rapport à l'effet multiplicateur qu'il engendre sur la performance des entreprises, établi par des études économétriques assez puissantes faites par des chercheurs de l'école française, cet outil d'intervention publique est peu onéreux.
J'ai eu une question sur l'Arctique et le Mozambique qui citait le chiffre de 9,3 milliards d'euros. Il correspond en quasi-totalité aux expositions de l'assurance export sur compte État, autrefois Coface et qui s'appelle maintenant Bpifrance Assurance Exports. Ces décisions ne sont pas prises par Bpifrance mais par la commission des garanties au ministère de l'économie et des finances. Par le passé, celle-ci a effectivement accepté de garantir des grands contrats à l'export portant sur l'installation d'infrastructures de liquéfaction du gaz. 2035 est la date votée par le Parlement. Je pense que c'est la bonne décision : le compte à rebours commence à partir de cette date. S'il n'est plus possible d'assurer de grandes infrastructures de liquéfaction du gaz en 2035, c'est cinq à dix ans plus tôt que les acteurs commencent à s'ajuster. L'effet transformant de cette mesure existe donc. La position de Bpifrance est que le gaz naturel joue un rôle dans la transition énergétique, et en particulier celui qui est issu de l'Arctique. C'est le moins polluant. Pour liquéfier du gaz il faut en effet des températures très basses : il se trouve que c'est le cas là-bas. J'y suis allé moi-même, et c'est très impressionnant. Dans le mix de la transition, le gaz naturel trouve donc sa place, une place transitoire. C'est une raison pour lesquelles Bpifrance a continué de soutenir le retour en France de l'entreprise Technip Énergies, dont le siège est désormais à Levallois-Perret, qui a un management français, et qui dispose maintenant de son autonomie stratégique après avoir été extraite du groupe TechnipFMC, qui était devenu de facto un groupe atlantique.
Je termine sur ce commentaire : nous pensons que les grandes infrastructures d'extraction et de liquéfaction du gaz, notamment en Arctique, vont servir à produire, le moment venu, de l'hydrogène bleu, décarboné. Il constituera un élément fondamental de la transition énergétique.
Les banques ont-elles joué leur rôle ? Oui. Il faut continuer de le dire. Il suffit de se comparer avec les autres pays de l'Europe continentale. Les 17 000 agences des réseaux bancaires privés français ont fait un travail exceptionnel. Pendant un an, elles n'ont fait que du PGE et du report d'échéance. Nous pensions que le taux de refus serait plus important. C'est la raison pour laquelle j'avais beaucoup poussé pour que l'État isole une enveloppe d'un milliard d'euros, dite « du FDES », pour venir au secours des refusés du PGE, avec les fonds Résistance de toutes les régions, etc. L'enveloppe du FDES ne s'arrache pas aussi rapidement que ce que j'aurais imaginé. Le fait que, par ailleurs, entre 60 et 70 % des PGE n'aient pas été décaissés - ce sont des PGE de précaution en banque dans les entreprises - montre à quel point les banques ont joué le jeu à tous les niveaux. Je prends ce non-décaissement comme une très bonne nouvelle pour l'économie française. Cela montre la résilience des entreprises, le fait qu'elles sont entrées dans cette crise en étant assez liquides et plutôt bien préparées, et cela montre enfin que les autres dispositifs, liés au chômage partiel et au plan de relance, leur permettent d'économiser leur PGE. Que vont-elles en faire ? Je pense qu'une grande partie d'entre elles vont décider de le garder. C'est un très bon produit sans garantie, avec un taux relativement faible, et qui donne de la visibilité sur le financement du besoin en fonds de roulement (BFR). Ce financement sera important : nous pensons en effet que le rebond économique sera fort. Avoir une ressource de financement du BFR de cette qualité-là est une bonne chose. On avait prévu que le PGE financerait un fossé de trésorerie massif et transitoire. Il s'avère que pour énormément d'entreprises, le PGE est une bulle de crédit à l'investissement, que nous avons injectée dans l'économie française. Elle va trouver son affectation dans de l'investissement ou dans du financement de BFR engendré lui-même par de l'investissement. C'est donc une très bonne nouvelle.
Existe-t-il un effet d'aubaine sur les investissements liés au plan de relance ? Il est vrai que quand on voit 7 000 dossiers arriver, on se doute qu'ils n'ont pas tous été inventés sur le siège par une nuit de pleine lune au milieu du mois d'octobre. Dans la plupart des cas ces investissements étaient envisagés par les entrepreneurs, mais ils ne passaient pas à l'acte. Le plan de relance est l'étincelle dans le nuage de gaz, qui fait passer les entrepreneurs à l'acte, pour la partie gérée par Bpifrance, c'est-à-dire les subventions. En revanche, pour la partie gérée par l'agence des paiements de l'État, on est sur un guichet automatique, sur une liste de machines que vous pouvez vous acheter et que l'État rembourse à hauteur de 40 % ou un peu moins. C'est là aussi de l'ordre du déclenchement du passage à l'acte. C'est peut-être ainsi que cela doit marcher. Je ne considère pas que ce soit un effet d'aubaine. Les entrepreneurs ont besoin d'être poussés. Pour le futur, c'est par ces soutiens que la nouvelle économie française va être progressivement engendrée pour 2030. J'y inclus le plan Deeptech comme un ingrédient fondamental.
On m'a également posé une question sur le futur des recrutements chez Bpifrance. En 2021 nous recrutons à nouveau 150 personnes. Ensuite, nous nous stabiliserons pendant quelque temps à ce niveau. Le plan de relance, le quatrième plan d'investissement d'avenir (PIA 4), notre activité en matière de crédit sans garanties et d'opérateur de banque de place ainsi que nos activités d'accompagnement induisent un effet de marche d'escalier.
En ce qui concerne la diaspora française, je suis malheureusement obligé de redire que les statuts de Bpifrance nous empêchent de déployer une action d'ampleur de financement des entrepreneurs de la diaspora française. Il faudrait changer ces statuts pour permettre de le faire, mais également qu'on puisse gérer d'autres monnaies que l'euro, dont nous sommes aujourd'hui un opérateur. Il arrive dans des cas très exceptionnels, et quand une proportion importante des emplois de l'entreprise sont situés sur le territoire national, que nous mettions du capital dans une entreprise dirigée par les Français, ayant des salariés français, mais incorporée à l'étranger. C'est arrivé trois ou quatre fois, et nous nous autorisons cela, mais il faut vraiment qu'il y ait un centre de recherche en France.
J'en viens aux fonds souverains régionaux. Nous contribuons effectivement au fonds souverain de la Région Rhône-Alpes. Des projets existent dans pratiquement toutes les régions. Nos outils d'intervention sont notamment nos fonds propres et le plan « 1 200 tickets ». Il consiste à déployer 100 tickets de fonds propres par mois dans les PME et territoires et pour ce faire il faut plus d'argent dans les fonds régionaux, et plus de fonds régionaux. Pour cela, nous avons créé deux outils : un fonds de fonds public - qui est le fonds de fonds du plan de relance - avec 250 millions d'euros. C'est de l'argent de l'État confié en gestion à Bpifrance pour le répartir aux différents fonds régionaux, dont le fonds souverain Rhône-Alpes. Nous avons fait la même chose avec les ressources privées : nous avons constitué un fonds de fonds régional que nous présentons à la souscription aux assureurs français. Il trouve son public : de nombreux assureurs français ont décidé de contribuer, et je pense qu'on arrivera là aussi à 200 millions. Une poche publique d'État et une poche privée avec les assureurs convergent donc vers les fonds régionaux. La France a une grande chance : elle dispose maintenant, dans toutes les régions, d'un équipement en fonds de private equity - c'est-à-dire en équipes de gestion avec des investisseurs chevronnés - qui tient la route et peut déployer du capital.
J'ai eu une question sur Amazon Web Services (AWS). Lorsque nous avons décidé de structurer notre stratégie de cloud, au printemps 2019, nous avons procédé à un appel d'offres où nous avons examiné les propositions d'Amazon, Microsoft et d'OVH. C'était à peu près tout. Microsoft s'imposait puisque quand vous êtes sur 365, vous êtes sur le cloud de Microsoft, comme toutes les entreprises du CAC40 et du SBF120. Il y avait aussi Amazon et OVH, qui ne se comparent pas. Elles sont toutes deux une couche d'infrastructure. Mais au-dessus de ces couches, il y a une couche platform as a service, qui offre tout un stack applicatif, c'est-à-dire une quantité d'applications qui tournent sur le cloud et offrent des gains de productivité très importants dans le développement de nos actions. OVH en développe beaucoup, et de qualité. Amazon en a beaucoup plus. Quand nous avons dû développer en cinq jours et cinq nuits la plateforme permettant de gérer les attestations du PGE, il nous fallait des outils logiciels que seul AWS offrait : il n'y avait aucune alternative, et tout le monde le reconnaît. Il en était de même pour le plateforme des prêts rebond pour le compte des régions. Nous avons fait notre travail de développement avec nos développeurs internes pour mettre en ligne cette plateforme PGE, dans des délais record. Les données sont évidemment cryptées avec une clé de cryptage détenue par Bpifrance. On compte deux couches de sécurité : une couche générale sur AWS - pour laquelle la sécurité offerte est la meilleure parmi celles qu'on peut trouver sur le marché - et une deuxième couche « propriétaire de sécurité », avec une clé détenue par Bpifrance. Nous n'aurions pas fait tout cela si la plateforme n'avait pas été auditée par l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI) à partir du moment où nous avions déterminé notre choix dans l'appel d'offres. Notre stratégie est multicloud. Nous sommes par ailleurs actionnaires d'OVH. Nous faisons nos meilleurs efforts pour que son offre devienne une alternative possible. À ce moment-là, des débordements de nos applicatifs s'accompliront.
J'en viens à l'endettement des entreprises françaises depuis 2019. Parmi les chiffres macroéconomiques, on peut s'intéresser aux lignes de crédit confirmé des très grandes entreprises. Quand j'étais directeur financier de Capgemini, on négociait avec un pool de banques une ligne de crédit confirmé, qu'on ne tirait pas, mais qui représente des centaines de millions d'euros. Le total des lignes non tirées des entreprises françaises représente des montants très importants. Comme avec la crise, elles ont négocié des « RCF » (Revolving Credit Facilities, crédit renouvelable) très importantes, cette partie-là de l'endettement a augmenté, d'où les déclarations du gouverneur. Pour les PME, l'augmentation de l'endettement est due au PGE. Il n'y pas vraiment, de notre point de vue, d'alerte grave sur le surendettement des PME et ETI françaises. Nous le voyons bien dans notre portefeuille de clients bancaires et de clients fonds propres. On parle de 120 milliards d'euros répartis sur 710 000 entreprises.
J'ai eu une question sur la réorientation de l'épargne française vers le financement des entreprises. Si je peux me permettre de partager une conviction avec vous, je pense que l'économie française est très bien financée aujourd'hui. La politique monétaire européenne, avec le TLTRO (targeted long term refinancing operations), incite fortement à faire des prêts aux entreprises. La concurrence bancaire est féroce, les taux sont extrêmement bas pour les belles signatures et très corrects pour des notations de 4 à 5+, les PGE ont été mis en place et les fonds propres sont abondants. Un entrepreneur qui cherche des fonds propres aujourd'hui et dit ne pas en trouver cache sans doute un petit vice dans son projet. On compte également de plus en plus de prêts à taux zéro pour les TPE, il existe un système de garantie financé par l'État qui permet de couvrir de nombreuses situations. Au total, je ne pense pas qu'on ait besoin des 200 milliards de l'épargne des Français pour financer l'économie française. En revanche, les projets nous manquent, et en particulier dans le domaine du climat. Il y en a mais on en aimerait beaucoup plus. Je pense, à titre personnel, que les 200 milliards d'euros stockés par les Français trouveraient un meilleur emploi dans la préparation de la longue vie qui angoisse tellement nos concitoyens. Il existe un très bon instrument pour ça : le plan épargne retraite (PER). On a une chance exceptionnelle et presque historique de gonfler les PER des Français, avec l'épargne dont l'économie française n'a pas absolument besoin pour financer son investissement aujourd'hui.
J'en viens aux outils de Banque du climat. Il s'agit principalement du prêt vert. Il est à 10 ans, avec 3 ans de différé de remboursement, sans garantie, bonifié par l'État. On l'accorde aux entreprises qui se mettent en transition. Je voudrais faire une remarque importante, en tant que nous nous considérons à Bpifrance comme devant être une Banque du climat : nous sommes une banque militante. On est là pour convaincre les entrepreneurs et non pour les punir. Vous, représentation nationale, avez voté pour la neutralité carbone en 2050. Bpifrance se tient donc à cette date. Nous ne sommes pas là pour jouer les bons élèves et le faire en 2030, car cela nous forcerait à punir et à sortir de notre fichier client quantité d'entrepreneurs qui n'ont pas eu le temps de s'y mettre ou qui ne savent pas comment faire. Si je puis me permettre, nous ne sommes pas l'école de l'élite, mais l'école de la République. On va voir tout le monde en porte-à-porte de masse. Cela prendra le temps qu'il faut, d'où nos écoles, nos programmes d'accompagnement, le conseil digital. Dans le cas particulier des prêts verts, nous faisons des diagnostics « Éco-Flux », construits avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Nous en ferons par centaines, car ils permettent à l'entrepreneur de réaliser son plan stratégique de décarbonation. C'est un outil très important.
On compte d'autres outils : certains sont subventionnels, il y a beaucoup de financement de l'innovation dans les clean techs et les green techs, et beaucoup de capital : nous en investissons énormément chez les développeurs de la transition énergétique (photovoltaïque, éolien). Vous allez trouver de l'argent de Bpifrance et de la Banque des territoires dans une très grosse proportion des projets qui sont menés dans vos territoires. Quand nous finançons les entrepreneurs, la Banque des territoires finance en capital les infrastructures. Par ailleurs nous finançons en prêts, à ses côtés, les infrastructures. Cela représente plus de 2 milliards d'euros par an, presque 3 milliards. C'est le coeur du plan climat de Bpifrance, et il nous a amenés à nous engager sur 20 milliards d'euros pour les cinq ans s'étalant de 2019 à 2024.
En ce qui concerne le thermalisme, je considère que c'est un sujet pour la Banque des Territoires. C'est essentiellement elle qui finance ce secteur. Je me sens peu pertinent sur le sujet.
Comment les collectivités départementales et régionales peuvent-elles soutenir les entreprises du tourisme qui vont être en difficulté ? La boîte à outils consiste en une présence physique autour du conseil. Je me félicite que les régions financent les accélérateurs de Bpifrance. La boîte à outils consiste aussi en des fonds propres pour les belles entreprises de tourisme qui ont vu les leurs brûler comme une forêt pendant la crise du Covid-19, mais qui restent viables. Les fonds souverains régionaux servent notamment à cela. Sinon, pour les toutes petites entreprises, l'action des fonds Résistance et Résilience a été très appréciée sur le terrain.
J'en viens à la répartition territoriale des crédits et des actions de Bpifrance. Nous sommes en train de faire treize conférences de presse de publication de nos résultats par région. Ces documents sont en ligne et nous vous les adresserons. Il existe donc un rapport par région des actions de Bpifrance. La répartition territoriale des actions de Bpifrance est grosso modo indexée sur le PIB, avec une surpondération des régions hors Île-de-France, notamment dans le financement de l'innovation. Nos actions comportent donc une petite dimension d'aménagement du territoire.
Une question portait sur la lourdeur des démarches administratives pour les plans en faveur de l'automobile et de l'aéronautique. Ce sont des subventions sur des régimes d'aide très encadrés par la Commission européenne. On n'y peut pas malheureusement pas grand-chose. Tous ces programmes seront contrôlés, le moment venu, par la Cour des comptes européenne. Les entreprises doivent comprendre qu'il y a un minimum à leur demander quand elles reçoivent de pures subventions. On a essayé de raccourcir au maximum les délais, qui sont de trois mois entre le dépôt de la demande et l'octroi.
En ce qui concerne l'assurance-crédit, toutes les entreprises ont peur de ce qui s'est passé en 2008-2009, c'est-à-dire d'un crunch de l'assurance-crédit. Les dispositions prises par Bercy sont importantes : les assureurs-crédit ont bénéficié d'une contre-garantie de l'État à hauteur de 10 milliards d'euros, qui doit assurer la continuité de la garantie. À ce prix-là, je comprendrais mal que ce ne soit pas le cas.
J'en viens aux PME du secteur agricole. Nous finançons l'industrie agroalimentaire, la méthanisation dans les exploitations agricoles, on est parfois au capital de coopératives ou de filiales privées de coopératives agricoles, mais on s'arrête là. Je ne constate pas de sinistralité spécifique à ce secteur.
J'ai eu ensuite une question sur le pessimisme de Patrick Artus face à l'optimisme de Bpifrance. M. Artus a une vision très sombre sur le côté définitif de la désindustrialisation française. Je ne le pense pas, et Bpifrance non plus. J'estime que ce qui a été détruit en quinze ans peut être reconstruit dans les quinze ans pourvu qu'on soit très bon, et qu'on ne fasse pas du zigzag, du stop-and-go. Si on est permanent, si on est déterminé durablement sur quinze ans, on peut y arriver. La baisse des impôts de production est fondamentale : elle représente 20 milliards d'euros de fonds propres. Revenir dessus réduirait les espoirs de réindustrialisation. Il en est de même du plan Deeptech : il est fait pour favoriser la réindustrialisation par le digital et les hautes technologies. C'est la même chose pour la structuration des filières ou l'accompagnement à l'électrification du secteur de l'automobile. Il ne faut pas que la main tremble dans les dix ans qui viennent, c'est certain.
La catapulte suffira-t-elle à nous remettre sur le sentier de croissance perdu au début de l'année 2020 ? Personne ne peut le dire aujourd'hui. C'est la forme de la racine carrée : jusqu'où remonte-t-on avant de revenir à notre plateau ? Il est en tout cas certain que cette remontée sera très forte, ce qui donnera une impression de projection vers l'avant très massive. Mon optimisme est alimenté par mon dialogue avec les directeurs généraux des grands groupes cotés au capital desquels nous sommes. Ils prévoient un rebond mondial post-Covid très puissant. La France serait alors emmenée dans le mouvement.
Madame la présidente, je crois avoir parcouru toutes les questions que j'avais notées.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci beaucoup Monsieur le directeur général, pour ce difficile exercice, pour l'ensemble de vos réponses, et pour le soutien que vous apportez indéniablement à l'économie française par votre présence. J'ai retenu que le marché recelait beaucoup de capital qui avait besoin de projets pour s'investir. Vous l'avez dit à un moment. Vous avez besoin qu'on donne un petit coup dans le dos à l'ensemble de ces entrepreneurs français, grandes entreprises ou PME. J'ai retenu aussi que l'épargne des Français pourrait être redirigée vers d'autres orientations politiques, tant les capitaux sont là, prêts pour notre économie.
Je vous remercie encore d'avoir répondu à l'ensemble de nos questions. Je vous dis à bientôt, puisque nous avons l'opportunité de vous voir une fois par an environ.
La réunion est close à 11 h 00.
Proposition de loi tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous examinons la proposition de loi de notre collègue Daniel Gremillet, président du groupe d'études « Énergie », tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de transition énergétique et de la relance économique.
Ce texte sera examiné en séance publique le mardi 13 avril prochain.
À quelques semaines de l'examen par le Sénat du projet de loi « Climat -Résilience », ce texte entend revaloriser une source d'énergie renouvelable de premier ordre pour notre souveraineté et notre transition énergétiques : l'hydroélectricité.
L'article 5, qui concerne les règles de continuité écologique, a été délégué à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ; les articles 12 à 16, qui ont trait à la fiscalité, ont été délégués à la commission des finances.
Je salue la présence de nos collègues Laurence Muller-Bronn et Christine Lavarde, rapporteurs pour avis pour ces commissions.
M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de loi. - Cette proposition de loi résulte d'un engagement pris devant notre assemblée, lors de l'examen de la loi « Énergie-Climat » de 2019 dont j'étais le rapporteur pour le Sénat. Nous avions alors eu la désagréable surprise de voir que l'hydroélectricité n'y figurait quasiment pas et que nous ne pouvions pas l'inscrire pleinement dans ce texte, en raison des règles d'irrecevabilité fixées par l'article 45 de la Constitution, quand bien même nous en étions d'accord avec les députés, avec lesquels nous étions parvenus à un accord en CMP. Nous nous étions alors engagés à travailler sur le sujet, en vue d'une proposition de loi.
Je le dis dans un esprit constructif, ce travail a été fait dans la continuité de la loi « Énergie Climat », pour préciser les modalités de la production hydraulique que nous y avions fléchée. Nous avons auditionné des producteurs, des élus, des associations, l'administration, tous partagent l'intérêt pour ce texte. J'insiste, l'attente territoriale est forte, notre envie de simplifier les règles est très largement partagée, des entreprises veulent se développer, nous voulons associer mieux les élus locaux qui, eux aussi, veulent développer l'hydroélectricité. J'ai préféré la confiance à la contrainte, le droit souple à l'étouffement normatif, avec la vision d'une écologie positive, territoriale, car l'intérêt de l'énergie hydraulique est d'être au plus près des territoires. En réalité, la notion de développement durable est très ancienne, nous retrouvons là des pas qu'ont fait nos prédécesseurs pour utiliser la ressource en respectant l'environnement - et les territoires veulent jouer leur rôle dans la production d'une électricité décarbonée.
Je vous remercie de vos soutiens nombreux et j'espère que nous aboutirons, dans les meilleures conditions.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est d'un très grand intérêt pour notre transition énergétique. Elle porte sur une source d'énergie trop souvent ignorée, et même parfois dépréciée : l'hydroélectricité.
L'énergie hydraulique présente un caractère historique indéniable, puisqu'elle fut utilisée, à des fins économiques, dès le XIIIe siècle, et de production d'électricité dès le XIXe siècle : nos moulins et nos barrages représentent une richesse patrimoniale incommensurable.
Ancrée dans le passé, l'hydroélectricité est tournée vers l'avenir.
Face à l'urgence climatique, c'est aujourd'hui notre première source d'énergie renouvelable. En effet, la moitié de notre électricité renouvelable est produite par des installations hydroélectriques. Représentant une puissance de 25,5 gigawatts (GW), l'hydroélectricité est portée par 2 500 installations hydrauliques, dont 400 concédées et 2 100 autorisées. C'est une source d'énergie peu émissive, puisqu'elle ne génère que 10 grammes environ de dioxyde de carbone par kilowattheure. C'est aussi une source d'énergie stockable et modulable, qui contribue à garantir l'équilibre entre la production et la consommation d'énergie et à renforcer la flexibilité et la sécurité du système électrique. Surtout, les installations hydrauliques sont de véritables leviers de développement économique pour nos territoires ruraux, en particulier en zones de montagne.
En dépit de son intérêt, l'hydroélectricité est confrontée à plusieurs freins : la faiblesse de son cadre stratégique, la complexité normative et la pression fiscale ; c'est ce que nous ont dit les vingt personnalités que nous avons entendues.
Cette proposition de loi vise à développer l'hydroélectricité par trois leviers : en consolidant le cadre stratégique, en simplifiant les normes applicables et en renforçant les incitations fiscales. C'est nécessaire et utile.
Le chapitre premier vise à consolider le cadre stratégique en faveur de l'hydroélectricité.
L'article 1er conforte, quantitativement et qualitativement, les objectifs en matière de production et de stockage de l'énergie hydraulique, inscrits dans le code de l'énergie. Il relève à 27,5 gigawatts la cible de capacités installées d'ici à 2028, un quart de cette croissance devant être réservée à la « petite hydroélectricité ». Il consacre la nécessité de « maintenir notre souveraineté énergétique, garantir la sûreté des installations et favoriser le stockage de l'électricité ». La revalorisation de notre ambition en matière d'hydroélectricité me semble tout à fait opportune : tous les acteurs de terrain en ont convenu.
L'article 2 intègre pleinement la production et le stockage de l'énergie hydraulique dans la « loi quinquennale » qui fixera, à compter de 2023, l'ensemble de nos objectifs énergétiques et climatiques. De la sorte, le législateur pourra déterminer lui-même nos prochaines cibles de capacités installées, pour les installations hydrauliques concédées ou autorisées, ainsi que pour les stations de transfert d'électricité par pompage (STEP). Le Parlement s'en trouvera placé au coeur de la politique énergétique conduite en direction de l'hydroélectricité.
L'article 3 élargit la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), notre principal document programmatique en matière d'énergie, au suivi du déploiement des objectifs fixés pour l'hydroélectricité.
L'article 4 complète le rapport annuel sur l'impact environnemental du budget, devant être annexé à chaque projet de loi de finances initiale, d'un état évaluatif des moyens mis en oeuvre pour l'hydroélectricité.
Le chapitre II vise à simplifier les normes applicables aux projets d'énergie hydraulique.
Je laisserai notre collègue Laurence Muller-Bronn présenter l'article 5, dont l'objet est de conforter la dérogation à l'application des règles de continuité écologique dont disposent nos « moulins à eau ».
L'article 6 facilite les augmentations de puissance des installations hydrauliques autorisées, jusqu'à 25 %, sans qu'elles ne relèvent pour autant du régime de la concession. C'est un article majeur car la croissance de notre parc hydraulique, déjà ancien, réside davantage dans la rénovation des installations que dans leur création.
L'article 7 prévoit la détermination, par un arrêté, d'un modèle national pour les règlements d'eau, pour les installations hydrauliques autorisées comme concédées.
L'article 8 applique le principe « silence gardé par l'État vaut acceptation », à plusieurs procédures relatives aux concessions : les augmentations de puissance, la participation des collectivités à des sociétés d'économie mixte hydroélectriques, la prorogation des concessions contre travaux, le regroupement des concessions par chaîne d'aménagements.
L'article 9 renforce l'information et l'association des élus locaux aux évolutions des concessions : d'une part, il abaisse de 1 000 à 500 mégawatts le seuil au-delà duquel doit être créé un comité de suivi de l'exécution de la concession et de la gestion des usages de l'eau ; d'autre part, il prévoit l'information sans délai des maires et présidents d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de toute évolution dans l'organisation des concessions. Dans un contexte très incertain pour le devenir de nos concessions, l'information et l'association des élus locaux sont primordiales.
L'article 10 introduit une expérimentation pour les installations hydrauliques autorisées ou concédées, dont la puissance est inférieure à 10 mégawatts. Elle ouvre aux porteurs de projets ou aux gestionnaires plusieurs souplesses : un référent unique dans le département ; un large certificat de projet, c'est-à-dire un cadrage préalable sur les procédures et calendriers ; un rescrit, soit une position formelle de l'administration sur une question de droit ; un médiateur, en cas de difficultés ou de conflits avec l'administration. C'est un article très attendu par les professionnels, pour remédier concrètement aux situations de complexité et d'instabilité normatives.
L'article 11 institue un portail national de l'hydroélectricité, offrant aux professionnels un accès, à partir d'un point unique et dématérialisé, à l'ensemble des documents utiles.
Le chapitre III a pour objet de renforcer les incitations fiscales afférentes aux projets d'énergie hydraulique.
Je laisserai notre collègue Christine Lavarde présenter les articles 12 à 16, qui consistent en des exonérations, obligatoires, d'impôts nationaux, ou facultatives, d'impôts locaux, pour les professionnels de l'hydroélectricité ou les propriétaires de moulins, notamment pour se conformer aux règles de continuité écologique.
L'article 17 plafonne à 3 % du chiffre d'affaires les redevances frappant les installations hydrauliques autorisées pour prise d'eau ou occupation du domaine public fluvial de l'État, à l'image de ce qui existe pour les collectivités territoriales.
Au total, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui propose un cadre de soutien très complet en direction de l'hydroélectricité. C'est nécessaire, pour aider nos entreprises et nos collectivités à développer leurs projets. C'est opportun, pour diversifier notre mix énergétique face à l'urgence climat.
Plutôt que de discourir sur le climat, le Gouvernement devrait soutenir concrètement l'hydroélectricité car nos barrages et nos moulins sont indispensables pour atteindre l'objectif de « neutralité carbone » à l'horizon 2050, que notre commission a adopté à l'occasion de la loi « Énergie-Climat ».
Dans ce contexte, les dix amendements que je vous proposerai visent à consolider le texte, dans le sens voulu par l'auteur. Ils complètent les objectifs et les outils proposés, afin de renforcer les incitations économiques. Ils ajustent certaines procédures, dans un souci de simplification normative et de sécurité juridique.
Je veux remercier les rapporteurs pour avis ainsi que l'auteur, pour les excellentes relations de travail que nous avons nouées. C'est une belle initiative sénatoriale dont j'invite le Gouvernement à se saisir.
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Je remercie la commission des affaires économiques de nous avoir délégué au fond l'examen de l'article 5 de cette proposition de loi, qui concerne les dérogations applicables aux moulins hydroélectriques en matière de continuité écologique.
La continuité écologique, pour les milieux aquatiques, se définit par la circulation non entravée des espèces aquatiques et le bon déroulement du transport des sédiments, en vue d'assurer la préservation de la biodiversité et le bon état des masses d'eau.
Notre commission est très investie sur ce sujet : notre collègue Guillaume Chevrollier a présenté hier les conclusions du travail qu'il a conduit sur ce thème à l'issue d'un cycle d'auditions, qui donnera très prochainement lieu à la publication d'un rapport d'information.
Inspirée par ses constats et les auditions que j'ai menées, il m'a paru essentiel d'oeuvrer à la meilleure conciliation possible entre le potentiel hydroélectrique des moulins à eau et les règles de continuité écologique : les ouvrages construits sur nos cours identifiés comme des réservoirs biologiques et ceux faisant l'objet d'un classement doivent être aménagés et équipés pour leur franchissement, avec l'aide financière des agences de l'eau. La préservation de la biodiversité aquatique est une nécessité.
Cependant, il est extrêmement regrettable que la destruction des ouvrages hydrauliques et des seuils soit devenue une modalité de restauration de la continuité écologique. Le sujet constitue un irritant fort pour les propriétaires d'ouvrages : en audition, on nous a parlé de « continuité écologique destructive ». Les propriétaires de moulins peuvent ainsi bénéficier de subvention de l'ordre de 80 % pour l'arasement des seuils, alors que les solutions de franchissement - passe à poissons notamment - ne sont financées qu'à hauteur de 40 % maximum.
Avec la nouvelle rédaction de l'article 5 adoptée hier, notre commission a souhaité mettre fin à ces pratiques, clarifier la portée et le sens de la dérogation aux règles de continuité écologique pour les moulins hydroélectriques, tout en contribuant au développement du potentiel productible de la petite hydroélectricité.
Notre nouvelle rédaction clarifie les règles applicables aux acteurs. En effet, une certaine confusion existe encore sur la portée de la dérogation aux règles de continuité écologique accordée aux moulins à eau installés sur les cours d'eau de catégorie 2. Notre commission a précisé, à l'article L. 214-18-1 du code de l'environnement, que la dérogation bénéficie à l'ensemble des moulins existants équipés pour produire de l'électricité, indépendamment du moment où le projet d'équipement pour la production hydroélectrique a été mis en oeuvre. Nous avons donné toute sa portée à la règle adoptée par le Parlement dans la loi « Autoconsommation »de 2017.
Les propriétaires de moulins à eau engagés dans un projet hydroélectrique m'ont fait part en audition de diverses difficultés quant au champ d'application de la dérogation. La notion de moulin n'est pas définie en droit français, et la notion d'installation régulière sur les cours d'eau soulève des difficultés. En conséquence, notre commission a précisé que la dérogation qui bénéficie aux moulins à eau s'applique également « aux forges et à leurs dépendances » et remplacé la notion de « régulièrement installé », parfois source de difficultés pour les ouvrages anciens qui ne peuvent produire la preuve de leur installation régulière, par la notion d'ouvrages « autorisés » : tout en restant dans le cadre de la légalité, cela permet d'inclure les moulins fondés en titre et sur titre, qui font l'objet d'une autorisation attestée de longue date.
Nous avons enfin précisé, à l'article L. 214-17 du code de l'environnement, que le respect des obligations en matière de continuité écologique ne peut servir de motif pour justifier la destruction des moulins à eau. Cela nous a semblé essentiel de le mentionner, car si cette disposition n'est actuellement pas codifiée, elle n'est pas non plus interdite, pour la bonne raison que cette pratique n'a jamais constitué la volonté du législateur.
À l'article 7, notre commission a adopté un amendement identique à celui de votre rapporteur, à la suite des échanges fructueux qui ont eu lieu entre nos deux commissions.
La limitation des prescriptions contenues dans les règlements d'eau aux seules dispositions relatives à la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau et à la sécurité des ouvrages, en tenant compte de la viabilité économique de ces installations, nous est apparue équilibrée. Elle évite les hétérogénéités territoriales, sans pour autant fixer un cadre trop rigide.
Notre commission a également adopté un amendement de Laurent Duplomb visant à dispenser les seuils aménagés de l'application des règles de continuité écologique pour une durée de dix ans. Il faut assurer la sécurité juridique des propriétaires d'ouvrages hydrauliques réalisant les travaux de mise en conformité, dans le cadre d'une approche réaliste des conséquences économiques qui réduisent la rentabilité des équipements : la durée de 10 ans permet l'amortissement de l'équipement tout en tenant compte de l'éventuelle évolution hydromorphologique des cours d'eau.
Mme Christine Lavarde, rapporteure pour avis de la commission des finances. - La commission des finances s'est vue déléguer cinq articles relatifs au soutien économique à la filière hydroélectrique. Il faut mettre en avant les différences de situation entre les unités de production hydroélectriques : la Commission de régulation de l'énergie (CRE), dans un rapport de janvier 2020, estime que la moitié des petites installations hydroélectriques ont un taux rentabilité insuffisant, et un tiers, une rentabilité excessive. Dès lors, là où des mesures peuvent être bienvenues pour des installations déficitaires, elles sont dispendieuses des fonds publics pour les installations excédentaires. Ensuite, tout nouveau dispositif d'aide à la filière doit être notifié à la Commission européenne, au même titre que le sont les obligations d'achats et les compléments de rémunération, ce d'autant qu'il y a un avantage économique substantiel vis-à-vis d'autres secteurs ; la France a un passif d'aides non notifiées suffisamment important pour que nous n'ayons pas à recommencer dans cette voie, le juge européen s'est montré compréhensif, évitant à notre pays des sanctions qui auraient pu représenter des milliards d'euros : nous devons être prudents.
La commission des finances a donc adopté plusieurs amendements pour rendre les aides prévues plus efficaces, mieux soutenir les propriétaires de petits moulins, et rendre l'ensemble cohérent avec le droit européen notamment sur le suramortissement.
Nous avons supprimé l'article 12, qui rendait automatique une exonération de fiscalité locale aujourd'hui facultative - la commission des finances accepte qu'on autorise les collectivités locales à exonérer d'impôts qui leur reviennent, mais elle s'est fait un principe de ne pas obliger les collectivités à une exonération qu'elles n'auraient pas consentie et à tout le moins débattue. Or, il se trouve qu'EDF, sur plus de deux cents demandes d'exonération de taxe foncière, ne s'en est vu accorder... que deux, c'est un indicateur de la faible appétence des collectivités à accorder de telles exonérations d'impôts locaux pour les équipements des installations hydroélectriques servant à la préservation de la biodiversité et à la continuité écologique. Les collectivités territoriales peuvent déjà exonérer, ne rendons pas cette exonération obligatoire, d'autant qu'en pratique, les installations peuvent être partagées entre collectivités. Ce mécanisme met en lumière les difficultés de concilier enjeux économiques et écologiques ; il y a probablement des moyens plus appropriés pour viser directement les propriétaires de petites installations hydroélectriques.
Mme Françoise Férat. - Je félicite l'auteur de ce texte et les trois rapporteurs. Lors de la discussion de la loi « LCAP » de 2016, nous avions déjà eu ces débats, et nous avions discuté aussi des aspects patrimoniaux, chacun se souvient combien la question était épineuse. En réalité, nous devons y revenir régulièrement, et je ne doute pas que nous devions y revenir encore.
M. Daniel Salmon. - Il est bon que nous nous prononcions sur l'hydraulique, qui est un volet important de la transition énergétique française. Ce texte vise à stimuler la petite hydroélectricité en levant des contraintes administratives, mais il faut veiller à la continuité écologique et tenir compte des cultures agricoles aussi bien que des zones humides. Si toutes ces mesures sont bonnes à prendre, la question de l'hydraulique est globale, il faut que la mise en concurrence des concessions ne compromette pas la transition énergétique, nous avons besoin - et nous manquons cruellement - de planification sur la maintenance des barrages. Il nous faut une politique ambitieuse sur les stations de transfert d'électricité par pompage (STEP), pour adapter la production à la consommation, nous soutiendrons l'amendement qui s'y rapporte. On parle souvent de moulins, mais les installations sont bien diverses et nous pensons qu'il faut d'abord rénover l'existant et l'entretenir.
Nous sommes également vigilants sur l'impact des mises en service sur l'environnement : l'augmentation de puissance annoncée par la levée de contraintes administratives représente plusieurs centaines d'unités de petite hydroélectricité, il faut analyser leur impact sur l'environnement. Nous pensons également que nous devons mettre en avant la protection du patrimoine et qu'il faut prioriser la réhabilitation des petits moulins. Enfin, il faut considérer que l'état des eaux de surface n'est pas bon dans notre pays, 70 % des poissons ont disparu de nos rivières en quelques décennies, on n'en parle guère mais, par exemple, les anguilles ont quasiment disparu de nos cours d'eau.
Nous nous abstiendrons donc sur un certain nombre de propositions, même si nous souhaitons faire progresser l'hydraulique - en particulier en investissant bien davantage dans les STEP.
M. Bernard Buis. - Cette proposition de loi, que j'ai cosignée, lèvera utilement des contraintes sur petite hydroélectricité. J'en remercie notre collègue Daniel Gremillet. Dans la Drôme, nous avons mis en place des installations sur les conduites d'amenée d'eau potable, avec des turbines qui conviennent, et nous avons constaté combien les contraintes étaient nombreuses. Je déplore en revanche que l'article 7 institue un modèle national pour le règlement de l'eau, il faudrait aller plus près des territoires, mieux tenir compte de la topographie des réseaux d'eau.
M. Jean-Claude Tissot. - Je félicite notre collègue Daniel Gremillet pour cette proposition et je connais sa pugnacité et sa sincérité, pour l'avoir observée dans bien des auditions. Sur le fond, nous convenons tous que l'hydraulique est un levier important de notre transition énergétique ; mais, comme l'a relevé mon collègue Daniel Salmon, nous savons aussi que nous ne pouvons pas aller vers une production hydraulique sans limites, et qu'il faut se garder d'une déréglementation dangereuse - ce texte en prend le risque, par exemple avec l'automaticité d'une exonération fiscale de l'article 12. L'article 5 fera de toute évidence l'objet d'un débat animé en séance publique. Il faut prendre en compte un ensemble de facteurs, en particulier la diversité des usages de l'eau ; les baisses de fiscalité laissées à l'appréciation locale, ensuite, font courir le risque d'un développement disparate de la ressource.
À nouveau, nous saluons le travail effectué. Nous examinerons donc le tour que prendra le débat, pour adopter notre position sur ce texte.
M. Fabien Gay. - Je salue le travail de notre collègue Daniel Gremillet, dont je ne partage pas toutes les idées mais dont je connais le sérieux et avec qui j'ai toujours plaisir à débattre, en confiance. Il faut lire cette proposition de loi dans son contexte. La majorité sénatoriale a adopté une résolution sur le nucléaire, elle présente une proposition de loi sur l'hydroélectricité et il y aura sans doute d'autres initiatives. Pour autant, le sujet principal, s'agissant de notre production d'énergie, est de savoir si la production va rester publique, avec le groupe intégré qu'est encore EDF, ou bien si, avec le projet « Hercule », on va vers une autre organisation. La petite hydroélectricité est intéressante, mais elle ne représente en tout que 2,2 gigawatts (GW), cela ne compte que peu dans l'équation globale, donc dans le débat central qui porte sur le fait de savoir si les concessions resteront dans le domaine public ou en sortiront - et l'on sait le jeu de dupes que mène sur ce sujet la Commission européenne.
Je suis d'accord avec notre collègue Christine Lavarde - c'est assez rare - pour trouver que l'exonération fiscale automatique de l'article 12 ne va pas de soi, qu'il faut à tout le moins en discuter avec les collectivités territoriales plutôt qu'imposer un tel changement.
À ce stade, je m'abstiendrai mais je salue évidemment le travail réalisé.
M. Laurent Duplomb. - Je félicite notre collègue Daniel Gremillet pour son initiative. On parle beaucoup de la transition énergétique, sans toujours partir du même diagnostic ; or les données sont parlantes : pour sortir des énergies fossiles, il faut utiliser toutes les sources d'énergie dont nous disposons, de la méthanisation... à la petite hydroélectricité. Celle-ci représente encore peu, c'est vrai, mais c'est parce qu'on ne peut guère la développer avec les contraintes actuelles. Les quelque 2000 seuils qui ne sont pas utilisés représenteraient 1,2 GW, c'est l'électricité qu'il faut pour 600 000 habitants ; mais pour y parvenir, il faut lever des verrous et, dans le fond, sortir du dogme de l'écologie punitive. En lâchant la bride administrative, nous retrouverons ce que nos ancêtres ont fait avec les ruisseaux - qu'ils n'ont pas détruits, puisqu'ils nous les ont légués - et nous pourrons produire de l'énergie utile.
Je ne trouve pas normal que l'investissement sur la petite hydroélectricité doive, pour chaque installation, prouver l'intérêt public majeur, alors que cet intérêt est contenu dans l'objectif de transition écologique. Il faut revoir aussi le classement des cours d'eau : les trois quarts du potentiel hydroélectrique sont empêchés par le classement de cours d'eau en première catégorie, alors que ce classement ne se justifierait pas pour la moitié d'entre eux sur le plan scientifique. Sans ce dogmatisme, on retrouverait bien des marges d'action. J'ai donc proposé un amendement pour permettre le déclassement de cours d'eau lorsque les critères de classement ne sont pas réunis.
Enfin, j'ai déposé un amendement pour dispenser les seuils aménagés de l'application des règles de continuité écologique. Je crois qu'il a été adopté par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. La règle impose aujourd'hui un réexamen annuel, alors que l'investissement requiert souvent un engagement contractuel sur vingt ans ; cette obligation annuelle place les investisseurs sous le diktat de l'administration, c'est-à-dire, trop souvent, de l'interprétation des règles par tel ou tel fonctionnaire. Cette contrainte est disproportionnée : laissons l'exploitant faire son activité, plutôt que de la rendre incertaine pour l'année suivante, ou bien l'obligation de renouveler sans cesse des dossiers toujours plus complexes, ne fera que décourager l'activité.
M. Jean-Pierre Moga. - À mon tour de féliciter l'auteur et les trois rapporteurs. Nous parlons effectivement de petites installations hydroélectriques, mais nous savons bien que les petits ruisseaux font les grandes rivières. La modernisation aiderait la production d'une énergie très verte. Cependant, il faut aménager sans détruire, car au cours des siècles, il s'est créé de la biodiversité précieuse dans les seuils et les frayères. L'administration propose des aménagements avant de détruire les installations, je crois que c'est très important de les faire, il existe des turbines qui ne blessent pas les poissons, nous devons les utiliser.
Mon groupe soutiendra cette proposition de loi.
M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de loi. - Ce texte trouve sa raison d'être dans le constat que l'hydraulique a été oubliée par la loi « Énergie-Climat » de 2019. On ne peut pas décider de l'objectif de « neutralité carbone » à l'horizon 2050 sans dire comment on peut y parvenir, concrètement, dans les territoires. On ne pas décider, comme cela, de la fermeture des quatre centrales à charbon d'ici 2022 ou de celle des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim en 2020. Or, c'est bien dans les territoires que se trouve la ressource hydraulique, avec des matériels dont la plupart sont français, y compris les turbines, c'est un atout quand on parle de réindustrialisation. Et c'est bien à nous, au Sénat, après avoir pris l'initiative de l'introduction du critère « bilan carbone » dans les appels d'offres en matière d'énergies renouvelables, de dire que l'hydraulique doit avoir toute sa place parmi nos outils de transition énergétique.
La petite hydroélectricité représente peu, certes, mais elle va dans le bon sens, alors que notre pays connaît un état de tension sur le plan de notre sécurité d'approvisionnement, selon un rapport récent de Réseau public de transport d'électricité (RTE). Notre engagement enverra un signal aux investisseurs, à l'innovation, nous disposons d'outils nouveaux, avec ces turbines qui laissent passer les poissons, comme l'a évoqué notre collègue Jean-Pierre Moga.
Il faut agir vite, donc sortir des conflits. Le sujet n'en manque pas, nous le savons, et c'est pourquoi je me suis efforcé de trouver des compromis. Je remercie la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'avoir accepté, en le modifiant, l'article 5. J'ai aussi tâché de ménager la loi sur l'eau, qui est incontournable.
Je regrette que l'article 12 n'ait pas passé l'étape de la commission des finances, car le mécanisme que je proposais n'était pas systématique - puisqu'il prévoyait que les collectivités puissent s'opposer à l'exonération - et existe par ailleurs pour la création d'entreprises ; cela aurait constitué un signal fort de l'appliquer aussi à l'hydroélectricité. Cela ne changera pas substantiellement le texte, mais nous perdons en volontarisme affiché pour nos territoires. Nous avons besoin de mesures très concrètes, visibles depuis les territoires, où l'on ne perçoit surtout que des difficultés pour investir dans l'hydroélectricité, des incohérences dans les diverses strates des schémas et autres mécanismes de planification ou de protection de l'environnement. De même, nous avons été très prudents sur le cadre européen, en nous assurant que les aides ne seraient pas cumulables et en mentionnant une exigence de compatibilité entre les articles 13 et 14 et le droit de l'Union européenne, je pense que nous avons pris toutes les précautions.
Sur les STEP, je suis persuadé que nous aurons des possibilités d'aller plus loin dans un avenir proche, mais ce n'est pas l'objet de ce texte. Même chose pour le projet « Hercule » d'EDF, le débat est effectivement décisif, mais nous n'avons pas à le conduire ici - et, surtout, il ne doit pas nous empêcher d'agir pour ce qui nous occupe aujourd'hui, l'hydroélectricité dans les territoires.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Il faut savoir se rassembler sur l'essentiel, ici la reconnaissance d'une énergie renouvelable qui a une grande importance dans l'histoire locale, et des possibilités de développement. Le projet « Hercule » fait débat, mais il n'a pas de calendrier précis et il ne doit pas nous bloquer. Nous pouvons nous réunir pour encourager le développement d'une énergie propre, renouvelable, et si nous n'agissons pas au Sénat, avec pragmatisme, les oppositions se cristalliseront et je suis convaincu que la petite hydroélectricité aura disparu dans quelques années. Il faut veiller aussi à ne pas détruire, car quand on arase les seuils, on empêche la « petite hydroélectricité ».
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure pour avis. - Attention à ne pas sous-estimer la réserve d'énergie hydroélectrique dont nous parlons : nous avons là de quoi remplacer un réacteur nucléaire et produire de l'électricité pour un million d'habitants, sans parler de l'intérêt des installations elles-mêmes, sur le plan patrimonial aussi bien que sur des sujets très concrets comme la mécanique. J'habite au bord du Rhin et nous avons installé une passe à poissons d'une valeur de 18 millions d'euros pour que les saumons remontent le fleuve ; le projet était qu'ils puissent remonter jusqu'à Bâle, mais cela suppose l'installation d'une autre passe plus en amont, d'une valeur de 40 millions d'euros : ce coût ne peut pas être assumé, il y a des limites. J'ai été étonnée d'entendre, dans notre débat en commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, l'idée qu'il faudrait davantage d'études pour valider les équipements : en réalité, ils sont adéquats, leur coût est important et l'on ne peut les mettre indéfiniment en doute, ce qui reviendrait à décourager tout investissement et ne ferait qu'accroître l'incertitude.
Mme Christine Lavarde, rapporteure pour avis. - En réalité, l'article 12 accorde une exonération fiscale pour remplir une obligation légale, le fondement même est sujet à caution. Il y aurait aussi un enjeu de simplification pour les producteurs, car si l'exonération était adoptée, il leur faudrait décrire précisément chaque installation sur chaque parcelle, car l'administration fiscale ne dispose pas de cette information.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous rappelle que l'article 5 a été délégué au fond à la commission de l'aménagement du territoire et que cinq autres - les articles 12 à 16 - l'ont été à la commission des finances.
La règle du jeu est claire en matière de délégation au fond : la commission au fond s'en remet à la commission déléguée au fond et confirme le sort des amendements qu'elle a examinés. Il ne s'agit donc pas pour nous de rediscuter les amendements et de refaire le débat qui a déjà eu lieu à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Avec l'amendement COM-11, je vous propose d'inscrire parmi les objectifs de notre politique énergétique nationale un objectif d'au moins 1,5 GW de capacités installées en matière de STEP, entre 2030 et 2035. Il se place dans la droite ligne de la proposition de loi, en consacrant, pour la première fois, un objectif législatif en direction du stockage de l'énergie hydraulique. C'est très important car le stockage est indispensable pour garantir un équilibre entre l'offre et la demande d'électricité ainsi que la flexibilité d'ensemble de notre système électrique. À mesure que les énergies renouvelables, intermittentes, progresseront, nous aurons de plus en plus besoin de capacités de stockage. Or, les STEP, qui constituent un moyen éprouvé et répandu de stockage de l'électricité, sont encore très peu développées : nous n'en dénombrons que 6 ! C'est pourquoi l'amendement que je vous soumets me semble tout à fait nécessaire. Le chiffrage reprend celui existant dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Par ailleurs, le dispositif serait cohérent avec les quatre autres articles de la proposition de loi consacrés aux STEP.
L'amendement COM-11 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 2 est adopté sans modification.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. -Cet article prévoit de renforcer les volets de la PPE en matière de production et de stockage hydrauliques. Mon amendement COM-12, propose d'ajuster, sur trois points, les informations ainsi requises : d'une part, les professionnels souhaitent que soit réalisée, dans le cadre de la PPE, une identification des installations hydrauliques existantes car aucune donnée n'est disponible ; d'autre part, ces mêmes professionnels suggèrent de supprimer la référence à une liste indicative des cours d'eau ou parties de cours d'eau susceptibles d'accueillir de nouvelles installations, créée par cet article, afin d'éviter toute ambiguïté avec les classements déjà existants dans le code de l'environnement ; enfin, dans la mesure où nous avons consacré avec mon précédent amendement un objectif de 1,5 GW pour les STEP, le dispositif proposé par cet article doit logiquement être complété par un suivi de la mise en oeuvre de cette nouvelle cible.
L'amendement COM-12 est adopté.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Cet article complète le rapport annuel sur l'impact environnemental du budget d'un état évaluatif des moyens publics et privés mis en oeuvre en faveur de l'hydroélectricité.
Avec l'amendement COM-13, je vous propose d'ajouter à cette évaluation un bilan des contrats d'achat et des compléments de rémunération dont bénéficient les installations hydrauliques autorisées. C'est une demande pertinente des professionnels.
M. Franck Montaugé. - Je m'interroge sur ce choix et m'abstiendrai.
L'amendement COM-13 est adopté.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Sophie Primas, présidente. - Cet article a été délégué au fond à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, ainsi que les éventuels articles additionnels qui y sont rattachés. Je vous propose, Madame la Rapporteure pour avis, de nous présenter brièvement la position de votre commission et les amendements que vous avez adoptés. Je rappelle à chacun de nous que nous n'avons pas à refaire le débat, puisque nous travaillons en toute confiance avec la commission qui a déjà examiné cet article et les amendements qui s'y rapportent.
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure pour avis. - Avec l'amendement COM-5, nous vous proposons de réécrire l'article 5 pour en rendre les règles plus claires et plus sûres.
Une certaine confusion existe sur la portée de la dérogation aux règles de continuité écologique accordée aux moulins installés sur les cours d'eau de catégorie 2. Les services de l'État ne l'accordent qu'aux moulins à eau équipés pour produire de l'hydroélectricité ou en phase de l'être à la date de publication de la loi du 24 février 2017 relative à l'autoconsommation d'électricité et à la loi du 3 août 2016 relative à la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables. Les projets d'équipement postérieurs sont exclus de la dérogation, ce qui est contraire à l'intention du législateur.
Cet amendement remédie à cette interprétation restrictive en précisant, à l'article L. 214-18-1 du code de l'environnement, que la dérogation bénéficie à l'ensemble des moulins existants équipés pour produire de l'électricité, indépendamment du moment où le projet d'équipement pour la production hydroélectrique a été mis en oeuvre.
Ensuite, la notion de moulin n'est pas définie en droit français et celle d'installation régulière sur les cours d'eau pose des problèmes. Je vous propose de préciser que la dérogation s'applique également aux forges et à leurs dépendances et de remplacer la notion de « régulièrement installé », source de difficulté pour les ouvrages anciens qui ne peuvent produire la preuve de leur installation régulière, par la notion d'ouvrages autorisés : cela permet d'inclure les moulins fondés en titre et sur titre, qui font l'objet d'une autorisation attestée de longue date.
Je vous propose également de préciser, à l'article L. 214-17 du code de l'environnement, que le respect des obligations en matière de continuité écologique ne peut servir de motif pour justifier la destruction des moulins à eau. Cette pratique n'a jamais constitué, à mon sens, la volonté du législateur.
Cet amendement contribuera au développement du potentiel productible de la petite hydroélectricité. Il rend plus claire la dérogation aux règles de continuité écologique pour les moulins à eau équipés pour produire de l'électricité sur les cours d'eau de catégorie 2, facilite la prise en compte des différents ouvrages hydroélectriques, parfois anciens, et interdit la destruction des moulins à eau comme modalité de restauration de la continuité écologique.
Cet amendement rédigeant l'article, son adoption a rendu sans objet l'amendement COM-4 de votre rapporteur.
L'amendement COM-5 est adopté, il rédige l'article 5.
L'amendement COM-4 devient sans objet.
Articles additionnels après l'article 5 (délégués)
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure pour avis. - Les amendements COM-1 rectifié et COM-3 sont satisfaits par la nouvelle rédaction de l'article 5 : je vous propose en conséquence de les retirer.
Les amendements COM-1 rectifié et COM-3 sont successivement retirés.
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-10 rectifié bis intègre les notions de coût et d'efficacité dans les mesures prises au titre de la protection de l'environnement, c'est trop large, nous vous proposons de ne pas l'adopter.
M. Laurent Duplomb. - C'est dommage, car comme vous nous l'avez montré avec cet exemple d'une passe à poissons qui coûte 18 millions d'euros, les investissements demandés sont parfois disproportionnés dans les règles actuelles ; je propose donc de mieux prendre en compte les coûts effectifs, c'est une condition pour le développement de l'hydroélectricité.
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure pour avis. - Certes, mais avec un champ si large, votre amendement modifierait l'ensemble des décisions prises par l'administration dans ce domaine et modifierait l'équilibre des règles environnementales. Une étude d'impact semble, à tout le moins, nécessaire.
L'amendement COM-10 rectifié bis n'est pas adopté.
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-7 rectifié bis crée une obligation de réviser les classements des cours d'eau, notre commission propose de ne pas l'adopter.
M. Laurent Duplomb. - C'est dommage encore, car l'interprétation des critères actuels fait que les trois quarts des cours d'eau sont interdits à l'exploitation hydroélectrique, ceci « à dire d'experts », alors que la moitié de ces cours d'eau pourraient être exploités si l'on se fondait sur des critères plus scientifiques.
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure pour avis. - Votre amendement modifierait les classements du tiers des cours d'eau français, avec des conséquences sur leur biodiversité et sur leur état écologique. Le code de l'environnement prévoit déjà la mise à jour des listes de cours d'eau pour tenir compte de l'évolution des connaissances et des enjeux propres aux différents usagers.
L'amendement COM-7 rectifié bis n'est pas adopté.
Mme Laurence Muller-Bronn, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-8 rectifié bis dispense les seuils aménagés de l'application des règles de continuité écologique. Cette précision confortera la sécurité juridique des propriétaires d'ouvrages hydrauliques réalisant les travaux de mise en conformité, une durée de dix ans permet l'amortissement de l'équipement tout en tenant compte de l'évolution hydromorphologique des cours d'eau.
L'amendement COM-8 rectifié bis est adopté, il devient article additionnel.
Article 6
L'amendement rédactionnel COM-14 est adopté.
L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article additionnel après l'article 6
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - L'amendement COM-9 vise à dispenser d'autorisation au titre du code de l'environnement les activités accessoires des installations hydroélectriques. En l'état actuel du droit, ces activités accessoires sont dispensées d'obtenir une autorisation au titre du code de l'énergie. En revanche, elles doivent disposer d'une autorisation au titre du code de l'environnement.
Concrètement, l'administration évalue si le projet induit des modifications « notables » ou « substantielles » sur l'environnement : dans le premier cas, un porter à connaissance est suffisant ; dans le second, une autorisation environnementale est requise. L'amendement laisserait inchangé la dispense d'autorisation au titre du code de l'énergie et supprimerait l'autorisation exigée par le code de l'environnement. Cette suppression poserait plusieurs difficultés : tout d'abord, elle reviendrait à supprimer toute procédure d'autorisation pour les activités accessoires, tant au titre du code de l'énergie, qu'à celui du code de l'environnement ; c'est la raison pour laquelle le Sénat s'est déjà opposé à une telle proposition, à l'occasion de l'examen de la loi dite « Essoc » de 2018 ; enfin, la volonté de mieux articuler les procédures prévues par les codes de l'énergie et de l'environnement est déjà prévue par la proposition de loi. En effet, l'expérimentation mentionnée à l'article 10 permet à tous les porteurs de projets hydroélectriques, quelle que soit la législation applicable, de bénéficier d'un référent unique départemental, d'un certificat de projet, soit un engagement sur les procédures et délais, d'un rescrit, c'est-à-dire une réponse sur une question de droit, et enfin d'un médiateur, en cas de difficultés ou de litiges. Au total, si l'objectif poursuivi par l'amendement est utile et nécessaire, il est globalement satisfait par cette expérimentation. Je demande donc son retrait ou, à défaut, émettrai un avis défavorable.
M. Laurent Duplomb. - C'est dommage, encore une fois, j'y reviendrai en séance plénière, car des contradictions existent entre les critères d'autorisation des codes de l'énergie et de l'environnement, au détriment de notre objectif de développer l'hydroélectricité. C'est notamment le cas des canaux d'irrigation. Je maintiens donc cet amendement.
L'amendement COM-9 est adopté.
L'article 6 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Cet article propose d'instituer, par un arrêté du ministre de l'énergie, un modèle national sur les règlements d'eau pour les installations hydrauliques autorisées ou concédés. Plutôt que de renvoyer à un tel arrêté, mon amendement propose d'inscrire directement dans la loi un cadrage minimal de ces règlements d'eau, en précisant qu'ils « tiennent compte de la préservation de la viabilité économique de ces installations », afin d'uniformiser des pratiques hétérogènes et d'éviter des prescriptions superfétatoires. C'est, là encore, une demande légitime des professionnels. Je me réjouis que la rapporteure pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ait repris mon amendement COM-15, avec l'amendement COM-22, pour en soutenir l'objectif.
Les amendements identiques COM-15 et COM-22 sont adoptés.
L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Cet article applique le principe « silence gardé par l'État vaut acceptation », au terme d'un délai de 2 mois, à plusieurs procédures relatives aux concessions hydroélectriques. Ce principe est déjà largement appliqué dans les procédures prévues par les codes de l'énergie, de l'environnement et même minier.
Mon amendement COM-16 en précise les conditions d'application ; à cette fin, il propose : d'une part, d'appliquer ce principe, au terme d'un délai de 2 mois, renouvelable une fois, pour les augmentations de puissance, et d'un délai de 6 mois, renouvelable une fois, pour les regroupements de concessions détenues par un même concessionnaire et la participation des collectivités territoriales à une société d'économie mixte hydroélectrique (SEMH) ; d'autre part, de supprimer les références à la prorogation de concessions contre travaux, eu égard à son articulation en suspens avec le droit de l'Union européenne, ainsi qu'au regroupement des concessions détenues par plusieurs concessionnaires, compte tenu de la pluralité d'acteurs économiques en présence. De la sorte, la sécurité juridique et l'application pratique de ces dispositions seraient renforcées. Ces ajustements font suite aux demandes convergentes, entendues à l'occasion de mes auditions.
M. Daniel Salmon. - Je suis pour ma part opposé à ce principe, qui n'est guère sûr. L'État ne dispose pas toujours des moyens de répondre dans les temps impartis.
L'amendement COM-16 est adopté.
L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 9
L'amendement rédactionnel COM-17 est adopté.
L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Avec l'amendement COM-18, je précise que l'expérimentation de plusieurs souplesses administratives prévue à cet article - référent unique dans le département, certificat de projet étendu, rescrit, médiateur - s'applique aux installations hydrauliques de moins de 10 mégawatts (MW), nouvelles comme existantes.
C'est une demande très forte des acteurs de terrain que j'ai auditionnés ; un article-clef de la proposition de loi.
L'amendement COM-18 est adopté.
L'article 10 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Avec l'amendement COM-19, je propose de compléter le nouveau portail national de l'hydroélectricité par les informations collectées par l'État dans le cadre de l'état évaluatif sur les moyens publics et privés mis en oeuvre en faveur de l'hydroélectricité, prévu par l'article 4 de la proposition de loi. Il s'agit de renforcer la cohérence entre les dispositifs et surtout l'information disponible, des élus aux citoyens.
L'amendement COM-19 est adopté.
L'article 11 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article additionnel après l'article 11
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - L'amendement COM-6 rectifié qualifie l'hydroélectricité d'intérêt public majeur. Prévue par la directive-cadre sur l'eau (DCE) du 23 octobre 2000, cette notion permet de déroger aux exigences en matière de continuité écologique. Dans un arrêt du 4 mai 2016, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a appliqué cette dérogation à un projet hydroélectrique.
La notion d'intérêt général majeur est utile pour promouvoir l'hydroélectricité, mais l'amendement présente des difficultés. Sur le plan juridique, il étendrait la dérogation à tous les projets hydroélectriques, quelle que soit leur puissance, alors qu'il faut évaluer cette dérogation au cas par cas, à l'initiative de chaque porteur de projet et, le cas échéant, au terme d'un recours devant l'administration ou le juge ; il faut également concilier l'usage hydroélectrique avec les autres usages de l'eau : l'irrigation des terres agricoles ou la navigation marchande. Sur le plan pratique, l'amendement entrerait en contradiction avec la mesure d'assouplissement que nous avions prise, à l'initiative de notre collègue Daniel Gremillet, dans la loi ASAP. En effet, cette loi a introduit une souplesse administrative permettant aux porteurs de projets de mieux faire valoir leur demande de dérogation auprès de l'administration.
Enfin, cet amendement est satisfait par la proposition de résolution qui accompagne ce texte et qui invite le Gouvernement à renforcer la possibilité, pour les porteurs de projets hydroélectriques, de « déroger aux règles de continuité écologique des cours d'eau, en application d'un intérêt général majeur ».
C'est pourquoi, plutôt que de qualifier dans la loi l'hydroélectricité d'intérêt public majeur, je vous propose de faire suite à l'objectif poursuivi par l'amendement, en adoptant le principe d'une remise de rapport sur le sujet. C'est l'objet de mon sous-amendement COM-21.
M. Laurent Duplomb. - Vous me proposez de demander un rapport au Gouvernement, au lieu de modifier la loi ? C'est un enterrement, d'autant que vous savez bien qu'au Sénat nous écartons les demandes de rapport. Pourquoi ne pas se saisir du sujet pour déverrouiller la contrainte, pour éviter aux investisseurs d'avoir des dossiers toujours plus complexes à monter et qui dépendent de l'interprétation des textes, variable d'un territoire à l'autre ? Si nous ne faisons que suivre ce que dit l'administration, à quoi servons-nous ? Si nous reconnaissons que l'hydroélectricité est d'intérêt public majeur, il faut déverrouiller la contrainte.
M. Franck Montaugé. - Je comprends l'intention de notre collègue Laurent Duplomb, mais cela renvoie à la définition même de l'intérêt public majeur : où place-t-on le curseur ? L'instruction des dossiers hydroélectriques implique une enquête publique, donc tout le monde peut s'exprimer sur le sujet, et pas seulement deux experts dans un obscur bureau...
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Cet amendement nous ferait aller au-devant de difficultés juridiques fortes.
M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de loi. - Je crois que ce problème est réglé dans la proposition de résolution, avec une articulation claire, un crantage qui assure que tous les territoires seront traités avec les mêmes règles.
M. Laurent Duplomb. - Je veux bien retirer mon amendement, mais je ne comprends pas pourquoi une résolution au Gouvernement vaut mieux qu'un changement de la loi - car si le Gouvernement ne suit pas la résolution, qu'adviendra-t-il ?
L'amendement COM-6 rectifié est retiré, le sous-amendement COM-21 devient sans objet.
Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - La commission des finances vous propose de supprimer cet article, pour les raisons que je vous ai exposées : c'est l'objet de l'amendement COM-23.
L'amendement COM-23 est adopté.
L'article 12 est supprimé.
Article 13 (délégué)
L'amendement rédactionnel COM-24 est adopté.
Mme Christine Lavarde, rapporteure pour avis. - L'article 13 propose la création d'une réduction d'impôt visant à mieux concilier les activités hydroélectriques des moulins à eau avec les règles relatives à la préservation de la biodiversité et à la restauration de la continuité écologique.
Afin de tenir compte du coût important que peuvent représenter les équipements ou mesures visant à préserver la biodiversité et restaurer la continuité écologique, les contribuables domiciliés fiscalement en France pourraient bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu de 30 % pour les dépenses payées entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023, dans la limite d'un plafond de 20 000 euros, pour équiper les moulins à eau à usage énergétique dont ils sont propriétaires conformément à la législation.
Pour que cette réduction d'impôt puisse s'appliquer plus rapidement, je vous propose, avec l'amendement COM-25, d'élargir les dépenses éligibles à celles payées en 2021.
L'amendement COM-25 est adopté.
L'amendement rédactionnel COM-26 est adopté.
Mme Christine Lavarde. - Avec l'amendement COM-27, la commission des finances vous propose de mieux cibler la réduction d'impôt prévue à cet article.
L'amendement COM-27 est adopté.
L'article 13 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Christine Lavarde, rapporteure pour avis. - Dans la rédaction actuelle, les équipements acquis à l'état neuf entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023 seraient éligibles au suramortissement. Avec l'amendement COM-28, nous supprimons la mention de l'état neuf des équipements, superfétatoire.
L'amendement COM-28 est adopté.
Mme Christine Lavarde, rapporteure pour avis. - Avec l'amendement COM-29, nous recentrons le suramortissement sur les installations ne bénéficiant pas de soutien public.
L'amendement COM-29 est adopté.
L'article 14 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 15 (délégué) est adopté sans modification, de même que l'article 16 (délégué).
L'article 17 est adopté sans modification.
Article 18
L'amendement de coordination COM-20 est adopté.
L'article 18 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 19 est adopté sans modification.
Intitulé de la loi
L'intitulé de la proposition de loi est adopté sans modification.
L'ensemble de la proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Conformément au vademecum sur l'application des irrecevabilités en application de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient à présent d'arrêter le périmètre indicatif du projet de loi.
Sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé les dispositions relatives aux objectifs en matière d'énergie hydraulique et de son stockage ; à la prise en compte de l'énergie hydraulique et de son stockage par la « loi quinquennale », la programmation pluriannuelle de l'énergie et le rapport sur l'impact environnemental du budget ; aux règles de continuité écologique applicables aux ouvrages hydrauliques et notamment aux « moulins à eau » ; aux modalités de détermination du règlement d'eau des installations hydrauliques ; aux autorisations prévues pour les installations hydrauliques ; aux modalités de détermination du comité de suivi de l'exécution de la concession et de la gestion des usages de l'eau ainsi qu'aux modalités d'information des élus locaux à la gestion des installations hydrauliques concédées ; à la composition et aux modalités de mise en oeuvre de l'expérimentation visant à simplifier certaines procédures administratives pour les installations hydrauliques de moins de 10 mégawatts ; à la composition et aux modalités de mise en oeuvre du portail national de l'hydroélectricité ; aux modalités de détermination de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties applicable aux parties des installations hydroélectriques destinées à la préservation de la biodiversité et de la continuité écologique ; au champ et aux modalités de mise en oeuvre de la réduction d'impôt sur le revenu des personnes physiques pour les propriétaires de « moulins à eau » équipés pour produire de l'électricité ; au champ et aux modalités de mise en oeuvre du mécanisme de suramortissement sur l'impôt sur le revenu des personnes physiques ou l'impôt sur les sociétés pour les exploitants d'installations hydrauliques autorisées ; au champ et aux modalités de mise en oeuvre de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties et de la cotisation foncière des entreprises pour les installations hydroélectriques ; au champ et aux modalités de mise en oeuvre de l'exonération d'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux pour les stations de transfert d'électricité par pompage ; et aux modalités d'application aux installations hydrauliques autorisées de la redevance pour prise d'eau et pour occupation du domaine public fluvial de l'État.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci à tous !
Les sorts des amendements examinés par la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :
La réunion est close à 12 h 35.