Mercredi 3 février 2021
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Proposition de loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification - Audition du Professeur Olivier Claris, coordonnateur de la mission sur la gouvernance et la simplification hospitalières
Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, nous recevons ce matin le professeur Olivier Claris, président de la commission médicale d'établissement (CME) des hospices civils de Lyon et coordonnateur de la mission sur la gouvernance et la simplification hospitalières.
Je salue les commissaires qui assistent à cette réunion à distance.
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat, qui sera ensuite disponible en vidéo à la demande.
La mission sur la gouvernance et la simplification hospitalières a été lancée en décembre 2019 dans le cadre de Ma Santé 2022. Le rapport, rendu à l'été 2020, dans un tout autre contexte - celui de la pandémie -, a été versé aux travaux du Ségur de la santé.
Décidé dans l'urgence, le Ségur de la santé avait pour objectif premier de tenter d'éteindre l'incendie qui, avec l'épidémie de Covid-19, gagnait un hôpital public déjà en crise.
Le Gouvernement n'avait certainement pas d'autre choix que de répondre dans l'urgence à la demande de soignants exténués par la première vague de l'épidémie, qu'il devait mobiliser dans la perspective de la deuxième vague.
Les aspects plus structurels de l'organisation de l'hôpital, tels qu'envisagés par la mission Claris, sont en revanche passés au second plan.
Les ambitions de la proposition de loi que nous examinerons la semaine prochaine nous semblent ainsi singulièrement réduites.
Nous attendons de cette audition, monsieur le professeur, que vous nous exposiez les constats et les solutions proposées par votre mission, avant que le débat ne s'engage avec les commissaires.
M. Olivier Claris, coordonnateur de la mission sur la gouvernance et la simplification hospitalières. - Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis très honoré d'être auditionné à propos de cette proposition de loi portée par Mme Rist. Vous vous souvenez certainement que, dès la fin des années 2018, et plus particulièrement en 2019, des mouvements de contestation assez importants se sont fait entendre au sein des hôpitaux.
De ce fait, le Premier ministre, en novembre 2019, a annoncé une mission sur la médicalisation de la gouvernance hospitalière et la simplification, mission qui a été alors confirmée par Mme Agnès Buzyn, ministre de la santé, en décembre 2019.
Initialement, le rapport devrait être rendu à la fin du mois de mars, mais la pandémie virale est arrivée au cours du mois de février. De ce fait, nous avons rendu nos conclusions au ministre de la santé, M. Véran, le 16 juin 2020.
À l'issue de cette réception, il nous a demandé une mission complémentaire, qui a pris la forme de propositions qui ont été remises le 30 juin 2020.
Tout le monde sait ce qui se passe dans notre pays en termes de santé, mais l'attente des personnels hospitaliers, que ce soient les directeurs ou les personnels, soignants ou non, est importante. Nous avons, à l'occasion de cette mission, rencontré un certain nombre de personnes. Nous avons aussi effectué douze déplacements, ainsi qu'un certain nombre d'auditions. Au total, nous avons entendu plus de 240 personnes.
Nous avons rédigé un questionnaire qui a reçu plus de 6 000 réponses. C'est dire si les hospitaliers se sont mobilisés. Ils attendent à présent avec impatience des conclusions et des décisions, faute de quoi la remise en question des décisions du Gouvernement serait forte.
Cette mission a recueilli un fort consensus, puisque les conférences des présidents de CME, de CHU, de centres hospitaliers spécialisés psychiatrique, de directeurs généraux de CHU et de CH, l'association des directeurs de soins, l'association des directeurs d'hôpitaux, les cadres de santé ainsi que certains syndicats se sont associés aux conclusions.
À partir du moment où un avis très favorable émerge à propos des recommandations, il faut que celles-ci soient appliquées. La proposition de la loi portée par Mme Rist ne va pas aussi loin que nous l'aurions espéré. Certes, des ordonnances sont en cours de rédaction, mais je ne sais trop ce qui va en ressortir. J'ai cependant quelques propositions à vous soumettre. J'en profite pour remercier le sénateur Milon, qui nous a reçus ici, dans le cadre de l'élaboration de cette mission, il y a exactement un an.
Mme Catherine Deroche, présidente. - J'ai demandé que le rapport que vous avez rédigé soit mis en ligne sur l'espace de dématérialisation de l'espace de travail en réunion (DEMETER) afin que nos collègues puissent y avoir accès pour la préparation du texte.
M. Alain Milon. - Merci pour ce rapport extrêmement intéressant, qui répond en effet à l'intégralité des attentes des personnels hospitaliers, qu'ils soient administratifs, praticiens ou infirmiers. Tous ceux que j'ai interrogés jusqu'à présent - syndicats, présidents de conférence, etc. - ont dit beaucoup attendre de cette proposition de loi à la suite du rapport Claris.
Monsieur le professeur, toutes les conclusions de votre rapport font l'objet d'un très large consensus. Estimez-vous de façon générale que la proposition de loi qui nous est présentée a retenu l'essentiel de vos recommandations ? Certaines ont-elles été dénaturées par la proposition de loi ou le passage à l'Assemblée nationale ?
En second lieu, la proposition de loi est allée au-delà de ce que vous aviez proposé sur certains sujets. Je pense en particulier au recrutement des praticiens hospitaliers, à la liberté d'organisation des établissements hospitaliers ou à la lutte contre l'intérim médical. Il s'agit du dernier article, et j'aimerais avoir votre avis sur ce sujet extrêmement important pour les hôpitaux.
Cependant, la proposition de loi développe au sujet des groupements hospitaliers de territoire (GHT) des visions contradictoires avec vos propres conclusions. J'attends beaucoup de vos réflexions sur le sujet. Les dispositions qui sont présentées dans le cadre des GHT sont, à partir des auditions qu'on a pu faire, ressenties comme une véritable marche forcée par les fédérations, dont la Fédération hospitalière de France, les présidents de CME et l'ensemble du personnel, en particulier s'agissant du recrutement des directeurs ou des personnels médicaux. Ceci est difficilement accepté par les personnels et ne correspond en rien aux conclusions de votre rapport.
M. Olivier Claris. - Tout d'abord, bien que ce rapport porte mon nom, je ne l'ai pas rédigé seul, et je tiens à y associer absolument le docteur David Piney, président de la CME de Lunéville, le Docteur Radoine Haoui, président de la CME du CHS de Toulouse, M. Thierry Gamond-Rius, directeur général du Centre hospitalier de Lorient, et M. Philippe Sudreau, de l'IGAS.
Tout soignant, tout gouvernement, tout élu souhaite que la qualité des soins soit la même pour tous les citoyens, dans tous les territoires, avec un accès égal à des soins de qualité, un parcours simple et gradué en fonction de la gravité de la situation, d'où la nécessité d'avoir des soins de proximité grâce à la médecine générale ou la médecine libérale et des hôpitaux avec des spécificités différentes.
Ce qui importe aux hospitaliers que nous sommes, c'est un fonctionnement aussi souple que possible, dans l'intérêt du patient. Le premier cercle autour du patient est représenté par l'ensemble des soignants, dont la compétence et l'efficience doivent permettre de proposer des soins tout en limitant les durées d'hospitalisation.
Pour fonctionner correctement, les soignants ont besoin d'un certain nombre de services support, de technique, de logistique, d'administratifs, de pharmaciens, de biologistes, de radiologues, etc. Ceux-ci doivent s'organiser pour faciliter l'organisation des soignants, pour le bien des patients.
Nul ne conteste la responsabilité légale du directeur d'établissement, mais chacun trouve son rôle : le médecin a une vision de la qualité, de la sécurité, de la pertinence des soins et de l'organisation de l'hôpital. Il est là pour diriger, le directeur gardant ses propres responsabilités.
On trouve dans la proposition de loi de Mme Rist peu de choses sur la médicalisation, si ce n'est le rappel du rôle fondamental du service dans l'organigramme de l'hôpital et, en particulier, du chef de service. Je pense que les recommandations 7 et 14 que nous avions faites dans le rapport sont importantes pour redonner une vraie fonction au chef de service - qui n'est pas une fonction de pouvoir mais de manager, dans un service dans lequel se trouvent des patients, des soignants, des étudiants en formation, etc.
C'est un point important et, vous le savez, nous avons beaucoup insisté sur le binôme que représentent le chef de service et le cadre de santé, qui joue un rôle considérable dans le fonctionnement du service.
Qui dit service ne dit pas forcément suppression des pôles. Là encore, qu'un hôpital décide ou non de s'organiser en pôles est de sa responsabilité et de sa liberté, mais le bon fonctionnement d'un service et l'implication de son chef de service ne sont pas incompatibles avec une telle organisation. Je l'expérimente depuis suffisamment d'années pour pouvoir le dire sans la moindre ambiguïté ni la moindre arrière-pensée. C'est aussi une question de relations humaines. Si un chef de pôle n'écoute pas le chef de service, cela amène bien évidemment un dysfonctionnement.
Il nous paraissait très important de rappeler le rôle d'un président. Je suis dans ma douzième année de présidence de CME, et j'ai donc une certaine expérience. Nous avons été amenés à écrire des choses qui peuvent paraître évidentes, mais à propos desquelles nous avons perçu des dysfonctionnements. Il n'est pas question d'opposer le clan des présidents de conseil médical d'établissement (PCME) au clan des directeurs. Nous avons éthiquement la responsabilité de nous entendre pour le bon fonctionnement de l'hôpital, la qualité, la sécurité et la pertinence des soins apportés aux patients. Ce n'est donc pas une question de pouvoir, mais de travail en bonne intelligence. C'est pourquoi nous avons émis un certain nombre de recommandations.
Le PCME joue un rôle décisionnaire dans la nomination des chefs de service et des médecins. C'est pourquoi nous avons insisté sur une cosignature de ces nominations, qui ne doivent pas être de la seule responsabilité du directeur.
La réponse du Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS), que vous avez reçus très récemment, nous a surpris car, lorsque nous l'avions rencontré, il n'avait absolument pas contesté cette décision - mais il était alors présidé par quelqu'un d'autre.
Ce n'est pas une remise en question du pouvoir du directeur, mais si les chefs de service sont nommés contre l'avis du PCME, je ne vois pas comment celui-ci pourrait agir.
Le PCME est impliqué dans tout ce qui est médical, sous forme de codécisions ou de cosignatures. Certains points sont de la responsabilité d'un chef d'établissement. Il s'agit de toute la partie finance, du plan pluriannuel d'investissement, du plan global de financement pluriannuel (PGFP), etc.
Nous nous étions entendus avec les directeurs pour qu'il y ait un visa avant l'envoi officiel à l'ARS. Peu importe que ce visa ait ou non une valeur juridique, puisque c'est le directeur qui est le garant de l'établissement. Toutefois, un visa du PCME signifie que la communauté médicale approuve les décisions. Sans cela, les décisions ne sont pas validées par la commission médicale. C'est ensuite aux tutelles d'en prendre la responsabilité, que ce soit le directeur d'établissement ou l'ARS, voire éventuellement la direction générale de l'offre de soins (DGOS) ou le ministère de la santé. Il est important que le corps médical soit informé des grandes décisions budgétaires qui vont impliquer le fonctionnement quotidien de l'hôpital.
L'autre point important, qui n'apparaît pas dans cette loi et qui est pourtant très attendu, c'est la demande de délégation. Certains médecins n'ont aucune formation à la gestion d'un budget, et n'ont aucun désir de s'y impliquer. Cette délégation ne doit donc pas être une obligation. Si des chefs de service ou des chefs de pôle ont une formation et souhaitent s'impliquer, pourquoi ne pas leur confier une délégation, à condition qu'ils soient assistés par un directeur de pôle et éventuellement un cadre supérieur de santé afin de les aider à avoir une vision globale de leur pôle ou de leur service ?
La délégation fonctionne : tout le monde connaît l'exemple de Valenciennes, qui a été mis en place dans les années 2006-2007. L'hôpital de Valenciennes ne connaît pas de déficit démesuré par rapport à d'autres hôpitaux. Je ne connais pas sa situation financière, mais je sais qu'elle n'est pas mauvaise.
La délégation est donc possible. Il suffit de se faire confiance et de donner les moyens de fonctionner. Bien évidemment, celui qui accepte une délégation de gestion a le devoir de rendre des comptes. N'oublions pas que le financement de l'hôpital se fait grâce à l'impôt de toutes les Françaises et de tous les Français. Il est logique que l'on rende des comptes à l'État. Le financement par l'assurance maladie de l'hôpital est colossal. Il est donc normal de parvenir à un équilibre budgétaire. Si un chef de service ou un chef de pôle s'engage dans une délégation de gestion, il doit rendre des comptes mais avoir aussi les moyens de fonctionner.
Un autre point important réside dans le fonctionnement du président de CME et des directions fonctionnelles. On s'aperçoit qu'il existe des blocages dans certains endroits. Il est logique qu'un président de CME ait des liens privilégiés avec, pour les CHU, la direction de la recherche et de l'innovation, mais également avec la direction des affaires médicales pour tout ce qui est prospective, gestion des carrières, etc.
Cela ne veut pas dire que le président du CME va prendre la place du directeur et donner des ordres au directeur de la recherche ou des affaires médicales, mais il doit pouvoir travailler avec lui de façon privilégiée, sans toujours passer par le directeur général. Je le dis d'autant plus que je n'ai, dans mon CHU, jamais eu de problème avec le directeur de la recherche ni avec celui des affaires médicales ou des affaires logistiques, etc. Lorsque cela ne fonctionne pas, il faut écrire un minimum de choses.
Enfin, le dernier point concerne la représentation de l'hôpital, en particulier du CHU vis-à-vis des tutelles, que ce soit l'ARS, les établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST), l'INSERM, l'assurance maladie. Tout ce qui engage l'hôpital en dehors de la partie financière nécessite la présence du président de CME, qui doit représenter la communauté médicale auprès de ces instances, ou qui s'entend avec son directeur pour être présent lors d'un certain nombre de rencontres. Il ne faut pas l'exclure de cette représentation.
Les rencontres que j'ai eues avec certains directeurs d'ARS, en particulier celui de ma région, étaient claires de ce point de vue. Le directeur général de l'ARS, le docteur Grall, dit que son interlocuteur est le directeur général de l'hôpital, charge à ce dernier de transmettre les informations à qui de droit et, en particulier, au président de CME. Ce n'est pas au directeur général de l'ARS de s'assurer que telle information parvient à telle ou telle personne. Si le président de CME ne veut pas aller à telle ou telle réunion, il s'entend avec son directeur général.
Je n'ai aucun problème à parler au nom de la mission et d'un certain nombre de présidents de CME pour dire qu'il est très important de pourvoir les postes vacants. La question fondamentale est de savoir pourquoi un poste est vacant. Soit il n'y a pas assez de médecins disponibles, soit il manque d'attractivité.
Il est certain qu'une certaine souplesse est nécessaire pour que les établissements aient une organisation et un règlement internes. La France s'est historiquement construite, à partir de Louis XI, grâce à une certaine centralisation, mais celle-ci connaît quelques limites. Il peut y avoir un cadre général dans lequel tout le monde doit rentrer et une souplesse d'organisation locale en fonction de la spécificité des équipes, des hommes et des territoires ou des établissements.
Enfin, l'intérim constitue un problème majeur. Si l'on faisait le calcul du coût réel de l'intérim par rapport aux services rendus, je pense qu'on éprouverait de grandes frayeurs. J'ai quelques exemples en tête. Il est inadmissible qu'on soit rentré dans une inflation des salaires proposés à un certain nombre de médecins qui ne sont pas toujours compétents - pour ne pas dire plus -, qui ne s'intègrent pas forcément dans un service ou un hôpital porteur d'un projet, et qui viennent en tant que « mercenaires » pour effectuer une vacation. Quoiqu'il se passe, ils n'en sauront rien, repartiront et iront exercer ou sévir ailleurs.
Ce mode de fonctionnement n'est pas acceptable. Il ne répond pas à un critère de qualité et il s'agit d'une dépense excessive. Je suis persuadé que si l'on utilisait l'argent de l'intérim pour le mettre à la disposition des établissements, instiller de la souplesse dans des crédits de remplacements ou dans tout ce que l'on peut imaginer, ce serait tout aussi efficace.
Le problème de l'intérim pose une autre question : pourquoi certains postes restent-ils aussi longtemps vacants ? Faut-il maintenir des structures de santé qui n'arrivent pas à recruter du personnel compétent ? On ne peut faire croire à nos concitoyens qu'ils seront bien traités quand on sait la qualité du personnel que l'on recrute. On ne peut laisser un citoyen aller dans un hôpital dans lequel les « sachants » n'iraient pas. C'est inacceptable collectivement. Il faut donc absolument mettre des limites à l'intérim.
Je sais que des syndicats d'intérimaires sont montés au créneau et ont attaqué Mme Buzyn quand elle a commencé à vouloir y mettre des limites, mais elle avait tout à fait raison de vouloir le faire - et nous sommes collectivement du même avis.
Pour ce qui est de votre troisième question, elle est très compliquée, et il faut bien savoir ce que l'on imagine pour un GHT. Souvenons-nous que les GHT ont été décidés par les directeurs généraux d'ARS. Il existe donc une hétérogénéité manifeste dans chaque type de GHT, sur tous les territoires.
Je prendrai, pour illustrer ce que je dis, l'exemple de la région Rhône-Alpes-Auvergne. Dans la Loire, il n'existe qu'un seul GHT, dont l'établissement support est le CHU de Saint-Étienne. Tous les hôpitaux et tous les CH font partie du GHT. Dans le département du Rhône, le CHU de Lyon est membre d'un GHT avec trois hôpitaux, qui ont essentiellement une orientation gériatrique et qui sont de très petite taille. C'est vous dire la différence majeure qui peut exister. Le fonctionnement des GHT ne peut donc être homogène.
Comment fixer un cadre ? Tout d'abord, quel est l'objectif du GHT ? Le GHT a été proposé et instauré un peu à marche forcée, puisqu'il a été exigé d'avoir d'abord une pharmacie unique, un département d'information médicale de territoire unique, et un système d'information unique. On a donc commencé à cristalliser des oppositions, et notamment à mettre en difficulté des hôpitaux qui n'avaient pas le même système d'information. Or changer de système d'information est une dépense non négligeable !
Je ne suis pas persuadé que cela ait été le meilleur moyen de fédérer les acteurs dans le cadre du GHT. Il est important - la mission l'a écrit - d'avoir un projet territorial de santé. Qu'est-ce donc là ? Il s'agit d'un projet qui fédère tous les acteurs concernés : usagers, médecins libéraux, établissements de santé publics et privés, hôpitaux psychiatriques, centres hospitaliers spécialisés (CHS), établissements de santé privés d'intérêt collectif (ESPIC), centres hospitaliers et éventuellement facultés de médecine, sous l'égide des universités.
Les acteurs, outre les présidents de CME et les DG, en sont bien évidemment les élus locaux, qui doivent participer aux décisions concernant les impératifs de santé du territoire, qui restent à définir. Si un élu local n'a pas les éléments pour comprendre pourquoi tel hôpital ne peut plus fonctionner, il ne pourra partager une décision de réorientation de l'activité.
Si, dans un territoire, il est important de restaurer un hôpital, voire d'en construire un nouveau, il faut que les élus locaux soient impliqués dans la compréhension du phénomène, la gestion du projet et peut-être même, afin d'éviter des dépenses colossales à l'assurance maladie, qu'ils y participent financièrement.
À partir du moment où on a un projet territorial, on peut imaginer des GHT. Un certain nombre d'établissements décident de se regrouper dans un territoire défini avec un vrai projet médical de territoire. Dès lors, les organisations se mettent en place autour de ce projet. Il s'agit d'une commission médicale de groupement, autour du directeur de l'établissement support ou du directeur du comité stratégique. On remplace le comité médical par une commission médicale de groupement, avec un président à sa tête. C'est parfaitement légitime. Reste à décider des responsabilités et des modes de fonctionnement avec un règlement interne. On peut imaginer qu'une commission médicale de groupement ne fonctionne pas comme celle d'un territoire très éloigné, les impératifs ou les spécificités n'étant pas les mêmes.
Oui aux GHT, mais le risque demeure le même : le petit a peur du gros. Le CH a peur du CHU, le petit CH a peur du gros CH, l'hôpital de proximité a peur du CH. Chacun pense y perdre à la fois sa spécificité, ce qui fait son existence même, et imagine que cela va lui « mettre des bâtons dans les roues » dans son fonctionnement quotidien. Le but du GHT n'est pas d'ennuyer les gens et de perturber leur fonctionnement quotidien.
Les directeurs d'établissements faisant partie de GHT m'ont tenu des discours différents, certains m'expliquant qu'ils ne se sentent pas dévalorisés lorsqu'ils ne sont plus responsables de la procédure des achats, que cela représente pour eux un gain de temps, d'autres me disant y avoir perdu dans leur liberté de décision.
Comme toujours, c'est une affaire de relations humaines. Une volonté empiriste de tout diriger fera forcément des mécontents, qui ne se satisferont pas du fonctionnement du GHT. À l'inverse, si l'on fonctionne intelligemment, le GHT et la commission médicale d'établissement présentent un certain nombre d'avantages.
On peut aller très loin : faut-il fusionner les CME dans une commission unifiée de groupement ? Beaucoup d'entre nous n'y sont pas favorables. Nous avons peur de superstructures qui seraient mises en place immédiatement avant qu'on voie le fonctionnement réel d'un GHT. Nous sommes plusieurs à penser qu'il ne faut pas aller trop vite - mais pourquoi pas ? Il faut auparavant asseoir le fonctionnement d'un GHT, afin que les gens aient l'habitude de travailler ensemble, les GHT s'entendant sur tel type d'organisation pour répondre aux besoins de la santé de la population dans un territoire bien défini, avec une interaction entre les petits CH, les gros CH, les établissements spécialisés, la médecine libérale, etc. On doit avoir, en fonction de ce projet, une véritable gestion prévisionnelle des emplois pour imaginer tel praticien à tel endroit et tel autre ailleurs, en relation avec des besoins de santé.
N'oublions pas les spécificités du CHU. Celui-ci doit conserver un rôle dans la recherche et l'innovation, qui sont sources de progrès pour la santé en France. Il doit également avoir une réactivité en matière de recherche et d'investissements. Le CHU doit pouvoir demander quelques postes supplémentaires dans telle discipline qui lui permettra de développer un projet même si, dans un établissement qui est partie prenante, il existe des difficultés dans cette discipline. Ce n'est pas parce qu'un établissement est en difficulté qu'on doit affaiblir le rôle du CHU. Le CHU doit aider au fonctionnement, mais ne doit pas être affaibli par la difficulté d'un ensemble d'hôpitaux.
Dans le cas contraire, on risque d'assister à la disparition des CHU. La France avait pris un retard considérable dans ce domaine, dans les années 1970-1980, peu de temps après leur création. Nous n'occupions alors pas un rang extraordinaire au niveau mondial. Nous avons maintenant une bonne place. Peut-être pourrions-nous être meilleurs, mais nous sommes largement parmi les dix premiers au niveau international, grâce au développement des CHU.
Le CHU garde une mission très importante, à la fois en termes de proximité, mais également de formation de tous les professionnels de la santé. C'est au CHU que l'on forme les infirmières, les kinésithérapeutes, les orthophonistes etc. Il faut donc que le CHU puisse fonctionner, mais cela ne doit pas être au détriment des autres hôpitaux, d'où la nécessité de bénéficier de relations.
Avant même que le GHT n'existe, beaucoup de CHU, dans une même région, se réunissaient et travaillaient avec de gros CH. Si un CHU n'a pas dans son territoire de gros CH, il ne pourra fonctionner : il sera en effet « embolisé » par un certain nombre de demandes qui ne correspondront pas à sa mission. Si un CH ne dispose pas d'un CHU fort, il ne pourra pas fonctionner non plus.
Je cite volontiers Thierry Godeau, président de la conférence des CME de CH. Invité aux assises hospitalo-universitaires de Toulouse en 2014, il avait indiqué que les CH avaient besoin de CHU forts. Nous, CHU, avons répondu que nous avions besoin de CH forts.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Comment avez-vous tenu compte de la crise sanitaire dans le rendu de vos travaux ?
M. Olivier Claris. - Nous n'en avons volontairement pas tenu compte. La mission a en effet démarré fin décembre et s'est achevée la première semaine de mars, avant le déclenchement de la crise sanitaire. Nous n'avons donc pas modifié nos conclusions. Force a été de constater que cette crise a répondu aux observations que nous faisions. Elle a bien démontré que si le système de santé a été réactif, c'est parce qu'on a facilité le fonctionnement de l'hôpital et qu'on n'a pas compté l'argent. Je ne parle pas de la médecine libérale ou des établissements privés, que je ne connais pas. L'argent n'a pas coulé à flots pour autant. Aucun d'entre nous ne l'a dépensé inutilement, mais le fonctionnement a été facilité afin d'être réactif, réarmer des lits de réanimation ou de soins intensifs, réorganiser les services, les consultations, recruter du personnel, obtenir du matériel identique.
Ceci prouve bien que lorsqu'on fonctionne intelligemment et qu'on prend des décisions en accord avec les acteurs de terrain - infirmière, médecin ou chef de service -, elles sont appliquées immédiatement, qu'il s'agisse de pharmacie, de logistique ou de travaux. C'est grâce à cela que le système de santé français a répondu présent durant cette crise sanitaire.
Mme Catherine Deroche, présidente. - La parole est aux commissaires.
Mme Frédérique Puissat. - Monsieur le professeur, vous l'avez dit en introduction : la loi est parfois complexe et embrasse largement les choses. L'article 14 du texte de loi porte sur la création d'une plateforme numérique à destination des personnes handicapées. Même si le sujet n'est pas au coeur de votre rapport, on n'est pas très loin des enjeux de projets territoriaux de santé, notamment en matière de handicap.
Avez-vous un avis sur cette plateforme et la notion de service qui y est intégrée et, au-delà, sur l'articulation entre celle-ci et les départements qui gèrent les MDA et les MDPH ?
Mme Michelle Meunier. - Merci pour ces propos clairs et précis, néanmoins très médico-centrés.
Je ne suis pas compétente pour qualifier l'organisation des soins que vous décrivez, mais cela a le mérite d'être clair, bien que le binôme que vous appelez de vos voeux ait, me semble-t-il, déjà existé dans le passé.
L'objectif, avez-vous dit, est de viser la qualité des soins. C'est tant mieux pour l'intérêt du patient. J'ai souvenir, lors d'une des tables rondes organisées par notre collègue Alain Milon, d'avoir entendu une représentante des usagers déplorer le manque de place des patients, de leurs représentants et des usagers en général. Est-ce une notion que vous avez volontairement écartée dans votre rapport ?
Si c'est le cas, je trouve cela dommage, car on a l'habitude de dire dans cette commission qu'il existe un triptyque entre le patient, l'hôpital, le professeur ou le médecin.
Mme Florence Lassarade. - Je me demande si l'on pourra un jour revenir en arrière face à cette vague qui grossit de plus en plus. J'ai été praticien hospitalier à temps partiel, et on a vu les dégâts causés par ces GHT hors CHU. Je ne reviendrai pas sur ce point, que vous avez longuement développé.
Par ailleurs, l'intérim est un poison pour les hôpitaux et leurs finances. On le déplore, et on essaye de trouver d'autres solutions. On ne peut cependant fermer toutes les maternités. On a besoin des intérimaires qui, comme vous le disiez, ne sont pas toujours compétents et perturbent souvent les services en voulant tout réorganiser ou en changeant les protocoles en un week-end. J'ai connu cette situation, qui est très déplaisante, y compris pour les équipes soignantes.
Ma question porte sur les hôpitaux psychiatriques. Quelle spécificité leur accordez-vous dans votre rapport ? Ce sont les grands oubliés de la médecine et des soins français. Mme Buzyn avait évoqué des infirmiers en pratique avancée (IPA), en particulier dans les hôpitaux psychiatriques. Finalement, ce sont plutôt les élèves infirmiers en fin d'études qui s'en chargent, sans expérience aucune. Y aura-il un progrès à ce niveau ?
Mme Marie-Pierre Richer. - Monsieur le professeur, vous n'avez pas évoqué les urgences, alors que l'on sait que ces services engorgent beaucoup les hôpitaux. Qu'en est-il donc ?
Par ailleurs, les intérimaires constituent un vrai fléau. Comment revenir en arrière maintenant qu'on a mis le doigt dans l'engrenage ?
Enfin, vous avez évoqué les élus locaux. Avez-vous également étudié le fait que l'on soit passé d'un conseil d'administration à un conseil de surveillance ? Dans le Cher, le centre hospitalier psychiatrique George Sand a regroupé trois établissements. L'un est à Bourges, ville centre, les deux autres dans des communes plus petites. Aujourd'hui, l'un des élus n'est pas représenté au sein du conseil de surveillance. Or on est en plein projet d'établissement, et les élus ne comprennent pas qu'on ne les sollicite pas davantage.
M. Olivier Claris. - Le numérique et le handicap sont des points importants. La place du handicap est actuellement prise en compte dans chaque restauration ou chaque construction. Nous travaillons notamment avec des représentants des personnes handicapées pour valider le fait que nos organisations laissent suffisamment de place aux personnes handicapées.
S'agissant du numérique, nous avons vu, grâce à la crise, se développer la télésanté au sens large, l'expertise et les consultations, etc. C'est certainement une chose, qu'il faut maintenir, car cela rend service à tout le monde et évite des transports en ambulance inutiles. Le coût des ambulances, en France, représente plusieurs milliards d'euros. C'est donc un point qu'il faut développer, en n'oubliant pas qu'on a besoin de palper un ventre, d'écouter un coeur, de prendre une tension artérielle. Je suis pédiatre, et c'est encore plus difficile avec des enfants. Dans le cas d'une maladie particulière qu'on connaît bien, je pense qu'on peut faire, sur trois consultations par an, deux en téléconférence ou visioconférence et une sur place.
Le numérique est une part importante de nos organisations à venir. Toutefois, je n'ai pas la compétence pour répondre à votre question sur le lien avec les départements.
Madame Meunier, vous n'avez pas dû lire l'intégralité du rapport, car la place des usagers y est bien précisée. Nous avons évoqué à plusieurs reprises leur rôle dans l'organisation de l'hôpital, en indiquant qu'ils pouvaient être invités ponctuellement, aussi bien en CME que dans le cadre du directoire, et qu'ils étaient partie prenante dans l'organisation d'un projet de santé territorial. Nous en sommes donc parfaitement conscients.
Il se trouve qu'en tant que néonatologue, je travaille avec une association d'usagers « SOS Préma », que vous connaissez probablement. Nous avons des liens très forts, notamment en matière de restructuration du service. Mon institution, les Hospices civils de Lyon, a salarié un usager à mi-temps pour être impliqué dans le projet d'établissement. La place des usagers est donc bel et bien importante.
Il est par ailleurs certain que l'intérim représente un fléau et un poison. Je suis convaincu que s'il existe une volonté politique forte, nous pourrons revenir en arrière. Il le faut !
Les hôpitaux psychiatriques n'ont pas été oubliés. Un président de CME de CHS siégeait avec nous, le docteur Radoine Haoui, et nous avons par ailleurs à plusieurs reprises bien précisé le rôle spécifique des hôpitaux psychiatriques. Ils sont nos partenaires à part entière.
La difficulté vient de la participation des hôpitaux psychiatriques aux GHT, qui donne lieu à un grand débat. Certains hôpitaux psychiatriques ont souhaité être en dehors du GHT, d'autres étant quasiment partie prenante. Il ne faut pas s'arrêter aux barrières, si elles existent. L'objectif est bien la coopération. Un CHU comme le mien collabore avec le centre hospitalier spécialisé, situé juste à côté. Nous partageons en outre des postes hospitalo-universitaires, des projets de recherche et des réorganisations.
Les IPA sont un sujet depuis un certain nombre d'années. À un moment donné, le ministre avait parlé de nouveaux métiers de la santé. Je pense qu'il ne faut pas créer de nouveaux métiers médicaux. Certains coeurs de métier ont des spécificités particulières. Redonnons à tous les coeurs de métier ce qui leur revient réellement, qu'il s'agisse des infirmières, des auxiliaires de puériculture, des aides-soignants. Je suis stupéfait de constater que des protocoles de coopération écrits il y a trois ou quatre ans reprennent ce que l'on faisait il y a 35 ans. C'est un peu dommage. On a professionnalisé, sécurisé, mais on a stratifié, réglementé, et finalement enlevé des compétences à des corps de métier qui les ont exercées durant des années.
Il y a très peu de temps encore, une auxiliaire de puériculture en maternité pouvait donner de la vitamine D aux nouveau-nés. Elles n'en ont à présent plus le droit. Des centaines de milliers de bébés ont reçu de la vitamine D et, jusqu'à preuve du contraire, aucun n'en est mort. On a enlevé une tâche à des auxiliaires de puériculture pour la confier à des sages-femmes, dont on perturbe l'organisation.
Redéfinissons ensemble les coeurs de métier et innovons ! Chaque fois qu'une activité effectuée par un professionnel peut être réalisée par une autre catégorie en toute sécurité, pourquoi pas ? On y gagne à la fois en qualité et en pertinence de soins, ainsi qu'en efficience et en temps médical.
Madame Richer, les urgences constituent un problème colossal. C'est le souci de tout hôpital. Plusieurs problèmes se posent : quelle est la réponse de la médecine libérale à une demande de proximité ? Si les gens vont à l'hôpital, est-on certain que la médecine libérale répond à toutes les attentes dans son organisation ?
En tant que médecin hospitalier, je ne suis pas chargé de critiquer la médecine libérale. J'ai quelques collègues généralistes avec lesquels je m'entends très bien. L'un d'eux m'a dit que si chacun pouvait faire un effort, des plages de consultation se libéreraient, permettant d'assumer les urgences.
Par ailleurs, les jeunes collègues ne veulent plus travailler seuls en cabinet. C'est impensable aujourd'hui. Les gens souhaitent se regrouper à trois, quatre ou cinq, voire plus. Peu importent les structures. Il ne me paraît donc pas déraisonnable d'imaginer des horaires variables. L'un commence à 8 heures et l'autre à 14 heures, pour terminer à 20 heures ou 21 heures, surtout s'il existe un financement de l'assurance maladie pour favoriser ce type de maisons médicales.
En tant que pédiatre, je sais fort bien que tous les parents ne vont pas pouvoir se libérer à 15 heures pour venir consulter. Ils ont leur travail, et c'est parfois en récupérant les enfants à la sortie de l'école ou de la crèche qu'ils se rendent compte qu'ils sont malades et qu'une consultation d'urgence est nécessaire. Il faut bien l'assumer.
C'est un débat que l'on a avec certains pédiatres libéraux, qui estiment qu'ils sont des spécialistes comme les autres, et qui reçoivent donc de 9 heures à midi et de 14 heures 17 heures ou 18 heures. Or la pédiatrie, ce n'est pas cela. Il faut accepter, en période d'épidémie, que les consultations puissent aller jusqu'à 21 heures. Cela évite d'aller à l'hôpital.
Il faut aussi tenir compte de l'organisation des urgences à l'hôpital. Des collaborations se développent avec des maisons médicales de garde à proximité, voire dans le cadre de l'hôpital. Toute initiative est bonne à prendre pour faciliter le fonctionnement. En aval, on ne peut admettre que des patients s'entassent sur des brancards dans les couloirs. Ce n'est pas humainement acceptable. Lorsque c'est le cas, ce n'est pas de la mauvaise volonté : y a-t-il suffisamment de lits pour admettre ces patients ? Si c'est le cas, la possibilité d'hospitaliser en toute sécurité et de ne pas déprogrammer est-elle ouverte ? L'expérience prouve que les CH déprogramment plus que les cliniques. Le patient qui est déprogrammé deux fois va voir ailleurs, l'organisation des cliniques faisant que la déprogrammation y est moindre. Il y a là un aspect concurrentiel qu'il faut bien avoir en tête.
D'autre part, il convient de définir l'effectif par rapport à l'activité d'un service. Le point le plus simple à régler est celui de la responsabilité. Qui assure la responsabilité médicale d'une personne de 80 ans en provenance des urgences et qui va dans un service d'ophtalmologie ? On ne peut demander à un ophtalmologue d'assurer la prise en charge d'un patient qui n'est pas de son ressort et qui souffre éventuellement de polypathologies. Il suffit d'un règlement intérieur pour régler le problème.
Le sujet des urgences est important à prendre en compte. Je pense qu'il faut établir une collaboration entre tous les acteurs de la santé du territoire et que les hôpitaux adoptent un minimum de souplesse.
En 2016, nous avons subi de très fortes pressions venant d'en haut pour fermer des lits. La canicule s'est abattue sur la France vers mi-juin ou début juillet. Il a été en particulier demandé au CHU d'ouvrir des lits. Quand on vient de les fermer, comment fait-on ? Les lits sont là physiquement, mais on ne dispose plus de personnel. Soyons raisonnables et n'exigeons pas que les lits soient occupés en permanence à 95 %. Cela ne laisse ensuite aucune liberté d'action et on ne peut plus répondre aux besoins de santé.
Je n'ai pas constaté de différence entre un conseil d'administration et un conseil de surveillance, mais notre conseil de surveillance compte des élus locaux. On y trouve un représentant de la ville - en l'occurrence, c'est le maire qui est président -, un représentant de la métropole et un représentant de la région.
Mme Marie-Pierre Richer. - Mais il n'y a pas forcément d'élus dans le petit hôpital désormais rattaché au grand. Certains élus qui disposent d'un centre hospitalier et qui ne sont pas représentés au conseil de surveillance se sentent frustrés.
M. Olivier Claris. - C'est bien pourquoi l'hôpital et le GHT doivent travailler ensemble intelligemment et que l'on doit se pencher à nouveau sur la définition d'un projet de santé au sens large sur un territoire, en définissant les besoins spécifiques de celui-ci, en mettant en évidence les forces en présence, en répartissant l'organisation des soins, le parcours de soins et l'implication des élus locaux, qui sont responsables devant ceux qui les élisent.
Beaucoup d'entre nous sont très favorables au dialogue permanent avec les élus locaux pour l'organisation des soins et de la santé sur le territoire, mais nous sommes beaucoup plus réticents à ce qu'un maire s'implique dans les décisions fines du fonctionnement de l'hôpital pour prévenir tout clientélisme.
Mme Jocelyne Guidez. - Il me semble qu'à l'origine, ce texte prévoyait la création d'une profession médicale intermédiaire, dont le diplôme est situé entre bac + 10 et bac + 3. Face à l'opposition du monde médical, l'article a été réécrit me semble-t-il et consiste désormais en une demande de rapport au Gouvernement dressant, dans un délai de six mois après le vote de la proposition de loi, un état des lieux de l'exercice des auxiliaires médicaux en pratique avancée et des protocoles de coopération.
La mise en place de ce statut intermédiaire apparaît-elle comme une nécessité selon vous. Si c'est le cas, sous quelle forme ?
M. René-Paul Savary. - Votre point de vue est celui d'un président de CME, mais il existe cependant un environnement auquel il faut être attentif.
Vous affirmez qu'il faut associer l'usager et les médecins libéraux. Cela s'appelle un groupement hospitalier de territoire. Je ne vois pas comment ceux qui n'y sont pas associés se considéreraient comme directement concernés. Pourtant, la territorialisation demeure la bonne formule.
Vous allez plus loin : une CME est un véritable outil hospitalier. Une prise en main d'une CME sur un GHT risque de constituer une prise en main trop importante du milieu hospitalier sur le privé, parfois plus performant que le public dans certains territoires.
Ne faudrait-il pas créer un groupement de projet médical de territoire, ce qui associerait tout le monde et permettrait à l'hôpital de rester au centre du dispositif ? Cela permettrait peut-être de régler le problème des urgences, de la formation - puisqu'il faut bien que les généralistes participent à la formation - et de faire en sorte que certains praticiens qui n'exercent pas à l'hôpital soient associés à la recherche et à l'université. On pourrait alors avoir une organisation territoriale plus cohérente, en ce sens qu'elle prendrait en compte toutes les difficultés rencontrées par les uns et les autres. Il ne faut pas oublier que le médico-social est également attaché aux GHT. Une évolution juridique serait peut-être intéressante. Qu'en pensez-vous ?
M. Bernard Bonne. - Il était important que des médecins s'occupent un peu de la médecine et ne laissent pas tout aux administratifs.
L'attractivité des structures hospitalières ou médicales apparaît comme le problème essentiel. On sait qu'un hôpital ou un établissement privé n'ont de valeur que dans la mesure où les médecins qui y viennent jouissent d'une certaine réputation. Comment faire en sorte que s'exerce cette attractivité ?
Vous avez parlé du rôle des élus locaux : je crois qu'ils peuvent éventuellement attirer sur leur secteur géographique des médecins en essayant de démontrer toutes les qualités de l'endroit où ils sont. Le rôle des élus locaux est souvent intéressant, mais quelquefois difficile à accepter.
J'ai pu ainsi constater les difficultés qui existaient entre les hôpitaux de Montbrison et de Feurs, où il fallait supprimer des services à un endroit, ce que les élus ne souhaitaient pas. Il a été compliqué de trouver une solution à ce problème, malheureusement imputable aux élus locaux.
Par ailleurs, sur le plan financier, il est important de revaloriser les salaires des médecins comme ceux des personnels paramédicaux, qui n'ont pas été fixés au niveau des responsabilités de chacun.
Enfin, sur le plan médical, la formation des internes permet à ces derniers de rester dans les services où ils ont trouvé ce qu'ils cherchaient. Je me souviens d'être intervenu en faveur du service de dermatologie du professeur Cambazard, qui bénéficie d'une certaine réputation. Il ne parvenait pas à obtenir un interne supplémentaire, qu'il pouvait former. Le président de la CME et les instances médicales ne pourraient-ils disposer d'un poids plus important pour ce faire ?
Il faut renforcer leur rôle et prendre en compte les besoins. On se plaint aujourd'hui du délai nécessaire pour obtenir un rendez-vous, quelles que soient les spécialités. Il faut trouver des solutions. Or la formation que dispensent les hôpitaux, universitaires ou non universitaires, est excellente.
M. Olivier Claris. - Nous sommes vent debout contre l'idée de profession médicale intermédiaire. On ne va pas faire une médecine sous-qualifiée ! Le risque est de considérer que l'on pourrait avoir des médecins « au rabais ». Ce n'est pas possible ! On n'a pas besoin de nouvelles professions médicales intermédiaires. Il est nécessaire de redéfinir les rôles des uns et des autres, d'avoir des protocoles de coopération, des infirmières en pratique avancée, mais certainement pas une profession médicale intermédiaire. Nous sommes formels sur ce point.
Monsieur Savary, je suis convaincu qu'il n'y a pas d'opposition entre un GHT qui fonctionne bien et un projet médical de territoire. Les deux sont possibles, chacun dans son rôle, mais sans que l'un ignore l'autre. C'est très important.
Je n'entrerai pas dans la polémique entre public et privé. Ce qui est certain, c'est que les Françaises et les Français plébiscitent notre système de santé sous deux formes, l'une publique, l'autre privée. Il n'est pas question de revenir dessus. Ces systèmes sont complémentaires. Je ne chercherai pas à trancher pour dire lequel est le meilleur. Il y a du bon et du mauvais partout, exemples à l'appui.
La formation des médecins généralistes est un point très important. L'université, via les facultés de médecine, est le lieu de formation des étudiants en santé, en particulier en médecine. La médecine s'exerce sous différents aspects. L'exercice du généraliste est très particulier et n'a rien à voir avec l'hyperspécialiste du CHU. C'est pourquoi l'enseignement doit porter sur les choses les plus simples. C'est ce qui se passe notamment au CHU, qui doit être le premier recours pour le patient qui vit à côté en cas d'hospitalisation, mais également offrir la plus grande des expertises dans les domaines les plus compliqués, comme la transplantation hépatique, etc.
On doit travailler intelligemment avec toutes les spécialités, y compris la médecine générale. Il faut reconnaître que les départements de médecine générale ont été parmi les plus innovants en matière de techniques pédagogiques.
Vous avez évoqué la recherche. Celle-ci s'est professionnalisée, et c'est pour cela que la France a atteint un niveau international satisfaisant. La recherche se fait à partir du patient. Tout médecin, où qu'il soit, a toute légitimité pour se poser une question et engager une recherche. Toutefois, si vous avez une bonne question et une mauvaise méthodologie, vous n'arriverez pas à répondre à la question. Le débat sur l'hydroxychloroquine relève exactement de ce sujet.
Si la recherche n'est pas gérée par des professionnels, les bonnes questions n'auront pas de réponse. Personne n'est dépositaire de la recherche, mais celle-ci doit se faire sous la bannière du CHU, de l'université, parce que c'est là que sont formés les professionnels de la recherche. Cela n'empêche pas tel ou tel médecin d'avoir un projet, mais il doit être aidé par des professionnels de la recherche pour qu'on ne lui vole pas ses résultats en les publiant en son nom.
Je suis d'accord pour ce qui est du médico-social, mais ce secteur doit accepter un certain nombre de règles de certification ou d'accréditation et rendre des comptes, ce qui n'est pas toujours le cas. Les acteurs du médico-social jouent un rôle à part entière dans un territoire de santé. Il n'y a pas de confusion possible pour moi sur ce point.
Je suis d'accord avec M. Bonne à propos du dialogue entre un hôpital qui a des difficultés pour recruter et les élus locaux. Une mission m'avait été proposée pour une maternité qui ne fonctionnait pas correctement et qu'il fallait fermer, faute de recrutement. Il n'y avait plus de pédiatre, plus d'anesthésiste, plus d'obstétricien. Cette maternité ne pouvait donc fonctionner. Elle comptait certes une excellente équipe de sages-femmes, mais cela ne fait pas tout. Le maire de la ville à côté ne comprenait pas que sa magnifique région n'attire pas les médecins, alors que, géographiquement, elle fait rêver beaucoup de personnes.
Vous pouvez favoriser une installation, proposer des aides et des crédits, des locaux, s'il n'y a pas de projet médical ni d'autres médecins, aucun praticien ne viendra s'installer. Il faut favoriser l'attractivité par un projet médical et aider à l'implantation quand le lieu n'est pas attractif.
Je vous rejoins totalement sur le fait qu'il faut s'intéresser aux gens que l'on forme. C'est un rôle majeur lorsqu'on est maître de stage. L'étudiant en médecine, l'interne, l'étudiante sage-femme ou infirmière ne sont pas la dernière roue du carrosse, à qui l'on donne à faire les corvées dont personne ne veut !
J'ai connu l'époque des externes qui collaient les résultats dans les dossiers. On acceptait de le faire si on avait une formation en contrepartie. Si on sortait du stage en ayant appris quelque chose et en ayant accompli des progrès, on pouvait accepter ce type de tâches. Si le service qui reçoit un stagiaire ne lui donne pas envie d'y travailler ou de demeurer dans l'hôpital, il ne viendra pas.
S'agissant du salaire, deux aspects sont importants pour moi. Quand on propose à une jeune infirmière qui débute en alternance jour/nuit, avec deux week-ends par mois, un salaire net de 1 400 euros, on méconnaît la réalité des choses. Ce n'est pas normal. Il ne faut pas tout ramener à l'argent, mais il y a un moment où les salaires doivent être décents. Tout le monde est d'accord sur ce point : il faut faire quelque chose !
Par ailleurs, une grande majorité de médecins font partie, en France, du « top 10 », voire du « top 5 » des rémunérations. Je ne trouve pas forcément admissible que l'on demande une revalorisation du salaire des médecins. Il faut appeler un chat un chat !
Ce qui est difficile pour le corps médical, c'est d'avoir un écart de rémunération parfois colossal entre le public et le privé. Beaucoup de mes collègues médecins ne revendiquent pas forcément des revalorisations salariales, mais certains salaires sont quatre à cinq fois supérieurs ailleurs. On a proposé à l'un de mes jeunes collègues une carrière hospitalo-universitaire dans une discipline particulière. Il a finalement choisi une clinique privée, où il gagne trois fois plus et ne travaille que quatre jours par semaine. Ce n'est pas normal. C'est une concurrence déloyale.
Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : je ne suis pas contre le fait de gagner de l'argent. Ce n'est pas le problème, mais pour un même métier, une même activité, lorsqu'on touche de l'argent de l'assurance maladie, être au-delà d'un facteur trois ou quatre ne me paraît pas normal. Il s'agit d'argent public.
Que l'on ait revalorisé l'indemnité d'engagement de service public pour pallier des défauts de rémunération par rapport à l'activité libérale est une bonne chose, mais certains praticiens hospitaliers en fin de carrière, à 62 ou 63 ans, au dernier échelon de la fameuse nouvelle grille, touchent, avec l'indemnité de service public, plus de 100 000 euros nets par an. On ne peut pas dire que ce sont des salaires déraisonnables. Il s'agit là d'une appréciation personnelle.
Vous avez parlé des réorganisations et cité Montbrison et Feurs. Je connais bien Feurs : il y a plus de vingt ans, mes collègues pédiatres des hôpitaux d'Épinal et Saint-Dié considéraient qu'ils avaient du mal à recruter correctement dans ces deux villes, distantes de trente kilomètres et reliées par une route à trois voies. On ne peut dire, si un service disparaît dans un hôpital, que cela va mettre en danger la population.
Le corps médical avait alors proposé un projet. Le maire d'Épinal, Philippe Séguin, pour lequel j'ai le plus grand respect, et celui de Saint-Dié, qui étaient tous deux du même parti politique, s'y sont opposés. Peut-être ne se sont-ils pas assez impliqués ou qu'ils n'ont considéré que la fermeture d'un service sans voir l'intérêt global de la population.
Cela revient à ce que je disais : si les acteurs de la santé et les élus locaux travaillent ensemble, on peut arriver à trouver des solutions intelligentes, y compris pour la qualité des soins de la population.
Mme Laurence Cohen. - Monsieur le professeur, votre mission insiste sur le développement des pôles et vous préconisez que les chefs de service s'impliquent davantage dans la définition de la stratégie médicale. Ils constitueraient en quelque sorte une force de proposition auprès des instances de gouvernance.
Il me semble que cela contredit un certain nombre d'auditions que nous avons menées. Je pense notamment à l'audition du collectif inter-hôpitaux (CIH), qui a remis en cause la gouvernance verticale et a demandé la suppression des pôles, expliquant qu'il fallait encourager les parcours de soins et considérant les pôles comme une entrave. J'aimerais que vous puissiez revenir sur ce sujet.
Par ailleurs, il me semble que si l'on peut développer une démocratie sanitaire réelle et faire participer tous les acteurs du parcours de soins - médicaux, paramédicaux et usagers -, il faut des pouvoirs et des contre-pouvoirs. Or depuis la loi « Hôpital, Patients, Santé, Territoires » (HPST), le directeur de l'hôpital est devenu tout-puissant. J'ai eu l'occasion de le voir lors d'un tour de France des hôpitaux : c'est ce qui monte dans les revendications. Certains directeurs d'hôpitaux eux-mêmes se plaignent de ce non-partage.
Je suis d'accord avec tout ce que mes collègues ont dit à propos de l'hôpital en matière de rémunérations, mais je pense que la gouvernance fait aussi partie de l'attractivité. Le partage de pouvoir fait sens au niveau d'une profession. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Enfin, il me semble important que, parmi les pouvoirs que l'on accorde aux différents acteurs, professionnels ou organisations syndicales, il existe une possibilité de droit de veto sur les réorganisations, les fermetures de services, etc. Lorsqu'on discute avec les personnels, on s'aperçoit que les choses sont subies et non partagées. Cela pourrait-il faire avancer les choses ?
Mme Corinne Imbert. - Monsieur le professeur, vous avez affirmé qu'il fallait faire en sorte que le parcours des patients soit simple, avec une qualité de soins identiques. C'est un idéal que nous partageons, mais en a-t-on les moyens ?
Je souhaiterais vous interroger sur la notion d'hôpital de proximité. Qu'est-ce pour vous qu'un hôpital de proximité ? Comment peut-il s'inscrire dans un projet médical dont on voit bien l'importance ?
Cela renvoie à la question de l'aménagement du territoire, de l'implication des élus locaux et de l'attractivité. Vous évoquiez les postes vacants en vous demandant s'il fallait maintenir des structures lorsqu'il en existait. On a du coup recours à l'intérim, avec des médecins mercenaires - et je partage votre appréciation sur ces excès de rémunération, qui me désolent autant que vous. Comment cet équilibre peut-il être possible ?
Par ailleurs, quel est votre avis sur le rapport de la Cour des comptes rédigé à la demande de la commission des affaires sociales du Sénat ? Je suppose que vous l'avez étudié. La Cour des comptes a enquêté sur les GHT, dont vous avez souligné l'hétérogénéité, appréciation que je partage également.
La Cour des comptes affirme que les GHT ont produit un faible niveau d'intégration des établissements, qu'ils n'ont pas eu d'impact significatif sur l'offre et la consommation de soins, et qu'ils doivent permettent de mener à son terme l'organisation territoriale de l'hospitalisation publique. Quel est votre avis sur ce jugement ? Je rappelle que ce rapport a été présenté en octobre.
Vous insistez sur un certain nombre de recommandations, dont une vingtaine sont importantes. J'ai noté la rapidité de leur délai de mise en application. Dans le contexte actuel, qui est exceptionnel, pensez-vous que ce délai puisse être atteint si le ministre retient les recommandations que vous faites ?
Enfin, même si ce n'était pas dans votre lettre de mission, vous avez quand même évoqué la question financière. Quel est l'impact financier de ces recommandations ? Avez-vous pu avoir des éléments en la matière ?
Vous l'avez rappelé, l'hôpital coûte. Certaines recommandations ne coûtent pas cher et peuvent être facilement mises en place. C'est une bonne chose, mais je souhaiterais obtenir quelques précisions financières.
Mme Élisabeth Doineau. - Je trouve qu'il y a un décalage entre votre rapport et les articles qui nous ont été communiqués à travers cette proposition de loi. J'espère que notre rapporteur nous fera des propositions proches des recommandations que vous avez évoquées ce matin. Je le souhaite fortement, car j'ai étudié votre travail avec beaucoup d'attention.
Tout comme vous, je pense que la réussite sur les
territoires réside d'abord dans l'idée d'une non-concurrence
entre établissements ou entre strates de réponses
sanitaires
- mais il s'agit là d'une vigilance quotidienne.
On évoquait deux établissements qui voulaient survivre : cela existe partout sur les territoires. Les élus défendent leur établissement, car s'ils ne le font pas, tous leurs concitoyens leur en feront le reproche, sans parler des professionnels qui sont encore dans la structure. En Mayenne, nous n'avons pas de CHU, mais notre GHT fonctionne très bien.
Malgré la concurrence - certains sont entrés dans le GHT pour sauver leur établissement -, nous avons réussi à mettre en oeuvre un certain un certain nombre de services support et à partager le temps des professionnels. C'est une remise en cause de tous les jours, mais le projet territorial de santé est véritablement l'outil qui nous permet d'avoir cette dynamique. Il faut donc l'encourager.
Pour ce faire, dans les territoires où cette dynamique n'existe pas, quelle structure permet de s'inspirer des bonnes pratiques et de bénéficier d'une montée en qualité sur l'ensemble du territoire français ?
Ma deuxième question concerne certains professionnels de santé, comme les sages-femmes, ou auxiliaires de santé, comme les masseurs kinésithérapeutes, les orthophonistes, etc., qui ont déserté l'hôpital, les rémunérations étant aujourd'hui insuffisantes. Sans doute n'ont-ils pas été suffisamment impliqués dans un projet d'établissement.
La proposition de loi Rist énumère bien quelques délégations de tâches, mais insuffisamment pour donner à ces professionnels le sentiment qu'ils ont toute leur importance et sont efficaces dans un parcours de soins. Comment les faire revenir au sein de l'hôpital ?
Mme Émilienne Poumirol. - Je tiens à noter le décalage qui existe entre vos recommandations, qui sont particulièrement claires et bien étayées, et le projet de loi, décevant aux dires de plusieurs personnes que nous avons auditionnées.
Je suis d'accord avec vous sur beaucoup de points, mais je souhaiterais revenir sur l'organisation des urgences. Je suis un ancien généraliste et je considère que l'organisation des maisons de santé devrait permettre de fournir une réponse plus large que le 8 heures-18 heures.
L'article 7 évoque l'expérimentation des services d'accès aux soins (SAS) sur 22 territoires. Pensez-vous que ceux-ci apportent quelque chose de plus ? Dans mon département, le centre ressources autisme (CRA) accueillait jusqu'au 31 décembre la permanence des soins ambulatoires avec des généralistes à partir de 20 heures. Cela a été étendu, mais cette pseudo-nouvelle organisation n'apporte rien de nouveau.
Ce financement a permis au directeur du CHU de créer des postes d'opérateurs pour répondre à l'urgence. Toutefois, cette dichotomie entre santé et secours d'urgence, éventuellement avec un nouveau numéro, m'apparaît aller, en matière de simplification, aller à l'encontre de ce que l'on pouvait espérer.
Le Président de la République a parlé en début de mandat du 112, numéro unique européen. Beaucoup de nos concitoyens se le sont approprié, et il représente à peu près la moitié des appels par rapport au 15 et au 18. Au début de la crise sanitaire, on a demandé que tous les appels soient dirigés vers le 15, qui s'est retrouvé noyé. Je crains, si l'on crée un numéro spécifique santé, que l'on noie à nouveau les centres de régulation du SAMU et que l'on passe à côté des véritables urgences.
La levée de boucliers contre un numéro unique est unanime sur mon territoire. Dans beaucoup de départements, le centre d'alerte des pompiers, le SAMU, les médecins généralistes, voire le SAMU social travaillent en coopération, apportant un gain de temps et de qualité extraordinaire. Je crains donc que, de ce point de vue, les SAS ne constituent un retour en arrière.
Mme Annick Jacquemet. - Je suis vétérinaire, et la comparaison entre les gardes et la prise en charge des urgences dans notre métier et dans le domaine médical pose question.
Dans le Doubs, aucun médecin n'assure de garde après 20 heures, alors même que certains le souhaitent ! Je suis également étonnée que des patients arrivent aux urgences pour des morsures de chats, de petites plaies, etc. Pensez-vous que ce sont les médecins qui les envoient par manque de temps, de formation ou par peur des responsabilités en cas d'évolution qu'ils ne maîtriseraient pas - et on peut le comprendre ?
Par ailleurs, les infirmières puéricultrices de mon département souhaiteraient être mieux intégrées parmi le personnel hospitalier. Elles seraient capables d'apporter leur aide dans les domaines autres que ceux concernant les enfants. Elles demandent également un quota d'infirmières par rapport aux infirmiers généralistes des hôpitaux, qui doivent suivre une formation de trois mois pour acquérir certaines connaissances concernant les jeunes enfants, alors qu'elles sont formées pour cela.
Enfin, la question du salaire des infirmières est encore beaucoup plus sensible dans notre département, frontalier avec la Suisse, où une infirmière de bloc est payée 12 000 euros, ce qui pose des problèmes pour le recrutement dans les hôpitaux du secteur.
M. Olivier Claris. - Madame Cohen, j'ai été invité à une séance du Ségur de la santé, et j'ai été face au CIH, dont l'une des représentantes, que je connais bien puisqu'elle a été présidente de CME, était vent debout contre les pôles.
Je pense qu'il ne faut pas adopter d'attitude dogmatique. Le pôle n'est pas une fin en soi. Dans beaucoup de structures, il a montré son utilité et son bon fonctionnement. Si un hôpital décide collectivement de ne pas avoir de pôle, il faut qu'il ait la liberté de le faire. A contrario, s'il décide d'en avoir, il faut qu'il soit libre de le faire.
Il n'y a pour moi, encore une fois, aucun obstacle à l'implication d'un chef de service dans le fonctionnement de l'hôpital, sous la direction d'un chef de pôle. J'ai un chef de pôle avec qui je m'entends très bien. Il me laisse m'occuper de ce qui concerne mon service, et effectue un certain nombre de tâches que je n'ai plus à faire. Cela me va bien.
Tout est fonction de la définition de la fonction de manager : que doit faire un manager ? Que délègue-t-il ? Que peut-il entendre ? Ceux qui sont au quotidien dans les services, par définition, sont ceux qui connaissent bien les choses et peuvent avoir de bonnes idées. Il faut ensuite les mettre en musique, et c'est compliqué.
Je suis évidemment totalement contre la suppression globale des pôles dans tous les hôpitaux. Qu'on leur laisse le choix !
Pour ce qui est de votre question sur l'organisation de la démocratie sanitaire et du droit de véto, l'objectif est d'éviter un blocage de l'hôpital. Il faut que l'hôpital continue à fonctionner. C'est toujours le même problème lorsqu'il s'agit de faire passer des décisions : on doit s'expliquer, argumenter, et il existe des contre-pouvoirs. C'est pourquoi la vision d'un service par rapport à un pôle, d'un président de CME par rapport à un directeur, ou du président de la commission des soins infirmiers de rééducation et médicotechniques est importante. Un décideur doit s'être suffisamment concerté pour pouvoir prendre une décision.
On sait également que la peur du changement est toujours là. Il est confortable d'être enfermé dans ses habitudes. Le changement fait peur, mais s'il est argumenté et expliqué - j'en ai une certaine expérience -, cela peut très bien passer. Prudence de ne pas instituer un blocage de l'hôpital, qui serait compliqué.
À l'inverse, j'ai déjà porté un certain nombre de projets. Il m'est arrivé de demander au directeur général de les différer pendant quelques mois, le temps qu'il y ait un peu plus de concertation et qu'on réfléchisse à tous les tenants et les aboutissants pour le faire passer. C'est toujours préférable plutôt que de recourir à la force.
Madame Imbert, les moyens dont on dispose sont-ils idéaux ? Il n'y a pas que des moyens financiers. La volonté politique peut venir du Gouvernement ou des acteurs locaux de l'hôpital. Un président de CME ou un directeur qui n'a pas envie de déléguer ne déléguera pas. Ce que l'on voudrait avec ce rapport, c'est donner des règles pour que tout le monde s'y plie a minima.
La volonté de faire appliquer les choses doit venir du Gouvernement, qui est tout à fait légitime pour le faire puisque démocratiquement élu, et de chacun des acteurs demandeurs de responsabilités. Un président de CME n'a pas été élu « à l'insu de son plein gré » et doit se montrer dynamique et attentif.
Le problème des hôpitaux de proximité relève du parcours de soins et de la réponse aux besoins de la population. Chaque fois qu'on peut éviter une hospitalisation, il faut le faire. Pour quel type de problème une hospitalisation est-elle nécessaire ? Quelle est la structure la plus appropriée pour le faire avec qualité et efficience ? Les hôpitaux de proximité ont leur place dans ce schéma, mais ils ne peuvent constituer des électrons libres, pas plus que le CHU ou d'autres structures. On ne peut imaginer un hôpital de proximité en dehors du GHT, sous peine de connaître une redondance d'activités.
Quant au délai d'application, il faut être raisonnable. La France, comme tous les autres pays, connaît une pandémie majeure - nous en sommes à plus de 76 000 morts en France, ce qui est colossal -, et je comprends qu'il a fallu traiter des urgences autres que l'application des recommandations de la mission sur la gouvernance et la simplification hospitalières.
Je n'ai aucun regret par rapport au délai imposé par les circonstances, mais il ne faut pas que ce soit une excuse. On a le même discours dans nos structures, où l'on parle virus et vaccinations du matin au soir, mais un hôpital doit évoluer malgré la pandémie. On doit avoir une stratégie, des projets de recherche, et il faut répondre à une attente de la communauté hospitalière en la matière. Il est donc temps de finaliser les ordonnances, même si le retard est compréhensible.
Par ailleurs, toutes les recommandations ne sont pas financées. On peut faire énormément avec des réorganisations, en particulier s'agissant du financement local, sans demander un supplément. Quand on demande à quelqu'un de s'impliquer, il est logique qu'une compensation financière intervienne, même s'il ne s'agit pas de sommes folles.
Pour ce qui est de l'avis de la Cour des comptes sur les GHT, votre collègue vient de nous citer un exemple de GHT qui fonctionne très bien en Mayenne. Il ne faut donc pas généraliser. Certains GHT fonctionnent très bien, d'autres non. Dans certains, rien n'a été fait, leur création n'a en rien modifié les organisations. Pour d'autres, cela fonctionne très bien. Ceci ne doit pas remettre en question le concept de GHT, auquel nous sommes nombreux à être attachés, à condition qu'on n'en fasse pas une structure technocratique immobile qui n'apporte rien et qui coûte du temps et de l'argent.
Quand on s'implique dans une responsabilité, c'est qu'on a envie d'apporter quelque chose. On le fait pour la collectivité. Je suis peut-être naïf, mais si chacun se mobilise pour apporter quelque chose, c'est possible - et certains exemples le prouvent.
Madame Doineau, encore une fois, la base de notre fonctionnement doit reposer sur la prise en compte des spécificités de santé et de soins d'un territoire, ainsi que sur l'organisation. On part bien d'un projet territorial de santé. Région, département, regroupement de communes, peu importe : chacun définira le territoire comme il le veut, en fonction d'une gestion empirique et pragmatique. Dès lors qu'on le construit et que l'on définit les besoins, on affine les organisations. On ne va pas créer un hôpital pour créer un hôpital. Qu'est-ce que cela va apporter par rapport à ce qui existe déjà ? Si les besoins sont là, ils sont là. Si ce n'est pas le cas, il n'est pas utile de le faire.
Il est sûr qu'il faut que le ministère de la santé, les ARS et les personnes qui s'occupent du fonctionnement local s'impliquent pour définir ensemble des projets territoriaux de santé. On ne peut plus en faire l'abstraction, car cela constitue la clé de l'organisation si l'on veut obtenir une rationalisation des moyens disponibles et une véritable pertinence dans la qualité de soins.
Chacun a son rôle à jouer en matière d'attractivité. Je dirige un service de réanimation néonatale où l'on a connu quelques difficultés de suractivité et de pénurie de personnel. Un certain nombre de personnes sont parties. On n'avait pas de véritable dynamisme. Il se trouve que, pour différentes raisons, on a aménagé un certain nombre de choses. On ressent à présent beaucoup moins ce sentiment d'inconfort quotidien perçu par les soignants et de manque de temps. À partir du moment où le soignant retrouve son identité et pense qu'il fait son travail dans de bonnes conditions, il reste en poste et échafaude des projets. Ces projets font avancer le service, le service qui a un projet fait avancer le pôle, le pôle qui a un projet fait avancer l'hôpital, avec la participation de tous.
Je ne fais pas partie de ceux qui disent qu'il faut toujours plus de moyens, mais il en faut un minimum. Quand on dispose de moyens satisfaisants et d'une vraie qualité de vie au travail, on fidélise les gens, et ils sont très inventifs pour s'impliquer dans le fonctionnement et l'amélioration des structures.
Concernant les urgences et le SAS, nous avons ouvert ce dernier lundi à 11 heures 20. Mon expérience est de 48 heures à peine. Je ne peux vous en dire plus. L'idée me convainc plutôt, tout simplement parce que j'ai travaillé avec quelques collègues, très engagés dans les urgences et la régulation au SAMU. Il se trouve par ailleurs que mon directeur général a été impliqué dans la mise en place des SAS lorsqu'il était au cabinet de Mme Buzyn. Je suis donc plutôt ouvert à l'idée.
On jugera sur les actes et sur les effets. Si c'est pour faire des superstructures technocratiques, cela n'aura aucun intérêt, mais on peut ainsi parvenir à réunir les acteurs des urgences en échappant aux petites « guéguerres » entre SAMU et pompiers. Je comprends que le Président de la République ait estimé nécessaire de remettre un peu d'ordre là-dedans.
La proposition qui m'a été soumise hier dans mon CHU me paraît plutôt satisfaisante. On verra. Je jugerai sur pièces.
Madame Jacquemet, en tant que médecin qui effectue encore des gardes, je sais ce que c'est que de passer la nuit debout, etc. Ce n'est pas la partie la plus agréable du métier, mais quand on choisit la médecine, on sait qu'on va effectuer des gardes. Il en va de même pour les pharmaciens. Cela fait partie des aspects pénibles du service. Il en existe aussi d'agréables.
Il faut cependant qu'une garde serve à quelque chose et ne constitue pas un revenu supplémentaire pour des médecins ou pour qui que ce soit. S'il ne se passe rien dans une permanence de soins de minuit à 6 heures du matin et qu'on ne voit que deux patients entre 20 heures et 22 heures, elle peut être supprimée. Elle n'a aucun intérêt pour la population.
Il faut, là encore, redéfinir les besoins d'un territoire et déterminer ce qui justifie que l'on y mette des moyens. Il faut aussi prendre en compte la pénibilité du travail de nuit et que la garde soit rémunérée à sa juste valeur. C'est tout le problème de l'organisation des urgences.
Dans beaucoup de services d'urgence, ce sont des infirmières, puéricultrices en pédiatrie et non puéricultrices dans les services adultes, qui s'occupent de l'orientation. Elles réalisent un premier tri, et sont bien évidemment très utiles, mais elles doivent recevoir une formation.
Par principe, je suis opposé aux quotas. Je ne sais pas ce que signifie un quota d'infirmières puéricultrices. Je travaille en pédiatrie : j'ai des infirmières et des infirmières puéricultrices. Je pense que la qualité de la personne est plus importante que son titre ou son diplôme. On a bien sûr besoin d'infirmières puéricultrices, mais connaissant la formation qui se fait dans les écoles, cela me paraît beaucoup plus adapté pour des postes de pédiatrie standard, PMI, crèches, etc. En réanimation néonatale et en réanimation pédiatrique, il n'y a pas de plus-value, sauf sur certains points, mais une infirmière compétente peut aussi convenir.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Vous nous avez beaucoup éclairés. J'invite chacun à lire votre rapport de façon approfondie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Désignation de rapporteurs
La commission désigne :
- Mme Michelle Meunier rapporteure sur la proposition de loi n° 131 (2020-2021) visant à établir le droit de mourir dans la dignité ;
- M. Jean-Marie Vanlerenberghe rapporteur sur la proposition de loi n° 232 (2020-2021) tendant à appliquer vingt-quatre mesures urgentes pour lutter contre les fraudes sociales ;
- et Mme Jocelyne Guidez rapporteure sur la proposition de loi n° 241 (2019-2020) relative au monde combattant.
La réunion est close à 10 h 55.