Mercredi 3 février 2021
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
« Quel rôle pour l'hydrogène vert dans la transition écologique ? » - Audition de MM. Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat, ministère de la transition écologique, Philippe Boucly, président de l'association France Hydrogène, et Jacques Treiner, président du comité des experts de The Shift Project
M. Jean-François Longeot, président. -Le développement de l'hydrogène décarboné fait l'objet d'un soutien de 2 milliards d'euros pour les années 2021 et 2022 et de 7 milliards d'euros d'ici 2030. Il s'agit d'un pari économique, industriel et environnemental enthousiasmant, mais qui soulève de nombreuses questions. Nous nous interrogerons spécifiquement aujourd'hui sur le rôle que pourrait jouer l'hydrogène dans la transition énergétique, en identifiant ses atouts et ses limites. Pour évoquer ce sujet primordial, nous accueillons aujourd'hui Philippe Boucly, président de France Hydrogène, association fédérant les acteurs de l'hydrogène et des piles à combustible. Nous recevons également Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat. Nous accueillons enfin Jacques Treiner, qui représente The Shift Project, laboratoire d'idées spécialisé dans les enjeux de la transition énergétique et de la réduction de la dépendance de l'économie aux énergies fossiles.
M. Boucly, pouvez-vous nous rappeler rapidement les atouts de l'hydrogène bas-carbone pour accompagner notre transition écologique et les utilisations envisagées de cette source d'énergie ?
Je demanderai ensuite à M. Michel de nous présenter les grandes lignes de la stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné, en détaillant les objectifs visés, ainsi que les technologies et mécanismes envisagés pour décupler la production et l'usage de l'hydrogène bas-carbone en France. Pourriez-vous également nous en dire davantage quant à l'articulation de cette stratégie avec les initiatives portées par l'Union européenne et les plans annoncés par certains pays européens, parmi lesquels l'Allemagne ?
Nous terminerons ce premier tour de table avec M. Treiner, qui pourra partager, dans un propos introductif, le point de vue de The Shift Project sur la stratégie gouvernementale et, plus largement, sur la capacité de l'hydrogène décarboné à être un moteur de la transition écologique.
Je donne la parole à Monsieur Boucly.
M. Philippe Boucly, président de l'association France Hydrogène. -Je souhaiterais commencer par quelques mots d'introduction sur France Hydrogène. France Hydrogène est le nouveau nom de l'AFHYPAC, Association Française pour l'Hydrogène et les Piles à Combustible, qui rassemble l'ensemble de la filière française de l'hydrogène. Nous constatons actuellement un fort dynamisme de la filière, puisque nous avons dépassé les 270 membres, alors que nous étions 120 membres au début de l'année 2019. Pour structurer notre développement, nous avons créé des délégations régionales, destinées à animer, au plus près du terrain, l'ensemble des acteurs de la filière, de façon à monter les projets et mettre en oeuvre l'ensemble des technologies pour développer l'hydrogène en France.
La France dispose désormais d'une stratégie nationale relative à l'hydrogène. Vous posiez la question des atouts de l'hydrogène. L'hydrogène assume un double rôle, d'une part celui de décarboner l'ensemble des segments de l'économie, d'autre part, probablement dans une perspective plus lointaine, celui de permettre d'intégrer les énergies renouvelables dans les systèmes énergétiques. Cette stratégie nationale correspond ainsi à notre vision du rôle de l'hydrogène. Il est important de noter qu'elle présente également une gouvernance, avec un organe de pilotage, le Conseil national de l'hydrogène, qui permet de suivre, au niveau interministériel, la mise en oeuvre de la stratégie, d'identifier les obstacles et de mettre en place des leviers de façon à en accélérer la mise en oeuvre.
Nous avons devant nous trois défis majeurs dans la mise en oeuvre de la stratégie. Le premier défi est la neutralité technologique. La stratégie française présentée par le Gouvernement le 8 septembre dernier met l'accent sur l'électrolyse de l'eau pour produire de l'hydrogène vert. Il existe d'autres façons de produire de l'hydrogène. Je crois que, dans la situation d'urgence dans laquelle nous nous trouvons, le fait de ne pas se limiter à une technologie mais de donner sa chance à chaque technologie - notamment la production d'hydrogène à partir de la biomasse ou des solutions de type captage et séquestration du carbone dans le cadre du vaporeformage - est nécessaire. Le développement de l'hydrogène vert renvoie à un autre enjeu, celui de disposer d'une électricité renouvelable suffisante pour produire l'hydrogène renouvelable dont nous avons besoin.
Le deuxième défi réside dans le changement d'échelle pour réduire les coûts qui demeurent encore trop élevés. Ils imposent aujourd'hui un soutien des régions, de l'État ou de l'Europe. À terme, ce soutien disparaîtra. La réduction des coûts est par conséquent impérative, par la mutualisation des besoins et le regroupement des usages dans le cadre d'écosystèmes territoriaux d'envergure. Les délégations régionales s'y emploieront notamment, de façon à créer des « vallées Hydrogène » dont il est déjà question, incluant des ports et un certain nombre de plaques industrielles.
Le troisième défi consiste à contribuer à la réindustrialisation de la France et au développement local. L'argent du contribuable français irait ainsi en priorité à l'industrie française et non pas à l'industrie chinoise ou à l'industrie d'un autre pays étranger. Nous mènerons donc un travail sur les chaînes de valeur et sur les compétences utiles et les formations à mettre en place, de façon à disposer demain de la main-d'oeuvre nécessaire.
M. Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat, ministère de la transition écologique. - Tout d'abord, je vous remercie de votre invitation. En complément et en cohérence avec l'intervention de M. Boucly, j'ajouterai quelques mots sur la stratégie nationale annoncée par les ministres Barbara Pompili et Bruno Le Maire le 8 septembre dernier. Nous tentons de faire avancer de manière systémique à la fois des objectifs environnementaux et des objectifs économiques en allant vers le changement d'échelle évoqué précédemment par M. Boucly.
L'objectif environnemental réside dans le fait que l'hydrogène, s'il est produit sans l'émission d'une quantité excessive de CO2, peut constituer un moyen de décarboner des usages existants de l'hydrogène. En effet, 1 million de tonnes d'hydrogène sont utilisées chaque année contribuant à l'émission de 9 millions de tonnes de CO2. En outre, l'hydrogène peut assumer un rôle dans les nouvelles technologies de la mobilité, en particulier la mobilité lourde, contribuant à la décarbonation des poids lourds, des trains, des bateaux et, à un horizon plus lointain, des avions. Les procédés industriels, de surcroît, sont susceptibles d'évoluer en utilisant de l'hydrogène à la place d'autres vecteurs. À terme, pour le système énergétique métropolitain, il peut s'agir d'un moyen, en concurrence avec d'autres, de stocker de l'énergie. Le terme pourrait même être plus rapproché pour des systèmes énergétiques isolés dans les zones non interconnectées (ZNI) de Corse et de l'outremer, où de premiers projets de production d'électricité couplée avec de l'hydrogène pourraient être lancés dès cette année.
L'approche est systémique. Nous souhaitons coupler la production d'hydrogène décarboné et les usages, amenant à fixer un objectif de 6,5 GW d'électrolyse à l'horizon de l'année 2030 pour alimenter les usages de l'hydrogène. Je parle de l'aval. En amont, nous devons travailler sur l'ensemble de la chaîne de valeur, en soutenant les phases de recherche en amont et le développement et l'industrialisation. L'objectif est de faire émerger les usines de production d'électrolyseurs et les technologies pour utiliser l'hydrogène. Il existe en effet des particularités, par exemple concernant les réservoirs pour la mobilité. Il existe une nécessité d'améliorer les piles à combustible ou les composants de différents éléments.
À cette fin, le gouvernement considère que la stratégie doit reposer sur des soutiens qui existaient déjà, mais en impulsant une dynamique accrue et en ayant recours à de nouveaux soutiens financiers. L'objectif est d'améliorer les phases de R&D mais également, avec des mécanismes compétitifs d'appels d'offres, d'apporter un soutien à la production d'hydrogène décarboné qui demeure encore aujourd'hui plus coûteux que l'hydrogène classique issu du vaporeformage. L'idée est de mettre en place un nouveau cadre combinant soutien à l'investissement et soutien à la tonne produite, en particulier par des mécanismes d'appels d'offres compétitifs. Il s'agira de mettre en place un prix du soutien public, comme pour les énergies renouvelables, en euros à la tonne d'hydrogène ou en euros à la tonne de CO2 évitée, pour disposer des meilleurs projets. Dans le temps, il faudra en soutenir le passage à l'échelle de projets de plus grande ampleur afin de réduire les coûts. Nous pourrions ainsi mettre en valeur les technologies les mieux adaptées. Nous devons enfin mener un travail d'évolution et d'adaptation des cadres réglementaires et un travail d'animation par le biais de France Hydrogène et au niveau de l'État avec la mise en place d'une coordination interministérielle. Le coordinateur de la stratégie sera d'ailleurs nommé en fin de semaine.
Concrètement, la stratégie avance avec deux appels à projets ouverts. Le premier d'entre eux porte sur les écosystèmes territoriaux qui combinent production et utilisation d'hydrogène décarboné. Dix-sept projets sont d'ores et déjà en cours d'examen par l'Agence de la transition écologique (Ademe), représentant 106 MW d'électrolyse et des montants d'investissements élevés. Plus en amont, le programme des investissements d'avenir a quant à lui pour objectif de soutenir l'émergence des briques technologiques, d'une part, et les premières productions industrielles, d'autre part, par exemple, les premières productions d'électrolyses de grande puissance. Un premier appel à projets a également été lancé. D'autres suivront. Sur les 15 projets relativement avancés, 10 pourraient aboutir. L'objectif est qu'une dynamique s'enclenche. Nous l'alimentons de surcroît en amont par un programme et équipement prioritaire pour la recherche (PEPR) mené par le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, au travers de l'Agence nationale de la recherche (ANR).
Ces deux appels à projets sont lancés pour que la dynamique se concrétise. Par ailleurs, en application de la loi Énergie-Climat de 2019, une ordonnance sera présentée dans deux semaines au conseil des ministres. L'objectif sera d'adapter les cadres de traçabilité de l'hydrogène, afin de fournir aux utilisateurs une garantie quant à la nature de leur hydrogène (renouvelable ou bas-carbone), et de créer un fondement juridique à la mise en place des cadres de soutien comme les mécanismes d'appels d'offres. Le cadre sera ensuite notifié officiellement à la Commission européenne, avec laquelle nous avons déjà de premiers contacts, puisqu'il s'agit d'un dispositif d'aides d'État.
L'hydrogène n'est pas un objet nouveau dans le paysage industriel. Il est en revanche évolutif. De nouvelles applications se développent. Il est important d'assurer une entière sécurité de l'utilisation de la molécule dynamique que constitue l'hydrogène. Il est important également de donner aux utilisateurs une lisibilité pleine et entière sur le cadre réglementaire, en particulier en matière de sécurité. Des travaux menés depuis 2018 ont notamment conduit à modifier le cadre réglementaire pour les stations-services. Il se poursuit actuellement sur les installations industrielles, les stations de ravitaillement, l'injection dans les réseaux de gaz. À cet égard, les échanges avec l'État et les collectivités locales sont essentiels, de nombreux projets s'inscrivant dans les territoires.
J'ajoute également qu'il existe une stratégie
européenne, sur la base notamment des projets importants
d'intérêt européen commun (PIIEC), comme cela est
déjà le cas, par exemple, pour les travaux sur les usines de
batteries. Il existe une initiative similaire pour créer des usines
consacrées à l'hydrogène, en identifiant des projets dans
chaque pays
- 19 projets sont en cours d'examen à la suite
d'un appel à projets - et en les connectant à des projets
analogues dans d'autres pays. Nous avons d'ores et déjà des
échanges avec l'Allemagne et l'Italie. Des projets de fabrication
d'électrolyseurs pourraient par exemple émerger. Nous sommes
ainsi en liaison avec différents pays, sous la houlette du
ministère de l'économie et des finances, pour monter des projets.
Plus globalement, nous échangeons avec les pays de l'Union
européenne et la Commission européenne sur la montée en
puissance des cadres de soutien et de réglementation.
M. Jacques Treiner, président du comité des experts de The Shift Project. - Je vous remercie de votre invitation. Avant de vous parler d'énergie, j'accomplirai un pas de côté en vous parlant durant quelques minutes de l'imaginaire de l'énergie. Je donnerai en effet lecture de lignes d'auteurs français et anglais sur le sujet qui restent d'actualité dans le débat. Ensuite, je vous donnerai mon point de vue sur les conclusions du rapport élaboré par réseau de transport d'électricité (RTE) et sur la politique de soutien au développement des électrolyseurs.
Jules Verne, dans L'île mystérieuse, rapporte le dialogue suivant entre deux de ses personnages, Cyrus Smith et le marin Pencroff. Nous sommes en 1875.
« -- L'eau, répondit Cyrus Smith.
-- L'eau, s'écria Pencroff, l'eau pour chauffer les bateaux à vapeur et les locomotives, l'eau pour chauffer l'eau !
-- Oui, mais l'eau décomposée en ses éléments constitutifs, répondit Cyrus Smith, et décomposée, sans doute, par l'électricité, qui sera devenue alors une force puissante et maniable car toutes les grandes découvertes, par une loi inexplicable, semblent concorder et se compléter au même moment. Oui, mes amis, je crois que l'eau sera un jour employée comme combustible, que l'hydrogène et l'oxygène, qui la constituent, utilisés isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables et d'une intensité que la houille ne saurait avoir (...). Je crois donc que lorsque les gisements de houille seront épuisés, on chauffera et on se chauffera avec de l'eau. L'eau est le charbon de l'avenir. »
Jules Verne ne se posait pas la question de la manière dont il était possible de décomposer l'eau. Cinquante ans plus tard, en 1923, le généticien britannique John Burdon Sanderson Haldane écrit : « Si une éolienne dans le jardin pouvait produire 50 kg de charbon par jour (or elle peut produire l'équivalent en énergie), nos mines de charbon fermeraient dès demain. Personnellement, je pense que d'ici 400 ans, on aura peut-être résolu le problème de l'énergie en Angleterre de la façon suivante : le pays sera recouvert de rangées d'éoliennes de métal, entraînant des moteurs électriques qui eux-mêmes fourniront un courant à très haute tension à un grand réseau électrique. De grandes centrales judicieuses espacées utiliseront le surplus d'énergie des périodes venteuses pour effectuer la décomposition électrolytique de l'eau en oxygène et en hydrogène. Ces gaz seront liquéfiés et stockés dans de vastes réservoirs à double paroi sous vide, probablement enterrés. (...) Par temps calme, les gaz seraient recombinés dans des moteurs à explosion reliés à des dynamos pour récupérer de l'électricité ou, plus probablement, dans des piles à combustibles. »
Enfin, plus récemment, Jeremy Rifkin, « prophète » de l'hydrogène, écrit : « L'ère du pétrole touche à sa fin, ouvrant la voie d'une extraordinaire révolution économique. Un nouveau régime énergétique apparaît, susceptible de reconstruire la civilisation sur d'autres fondements. Si cette nouvelle technologie n'est pas abandonnée aux grands fournisseurs d'électricité, les piles à combustible permettront à chaque être humain de produire et même d'échanger sa propre électricité. L'ensemble de nos institutions économiques, politiques et sociales, ainsi que nos modes de vie s'en trouveraient transformés. »
La perspective, chez Jeremy Rifkin, est donc celle d'une décentralisation complète de la production d'électricité. Une éolienne au fond du jardin, quelques panneaux sur le toit de la maison, un électrolyseur ou une pile à combustible dans la cave pour stocker les excès de production et déstocker en cas de manque donnent une nouvelle dimension à l'avenir de l'énergie. Je crois qu'il s'agit d'une image forte en arrière-fond des débats que nous pouvons avoir, notamment sur l'utilisation de l'hydrogène pour gérer les fluctuations des énergies renouvelables.
Je souhaite à présent évoquer le Shift Project. Le Shift Project est un think-tank qui réfléchit à la manière dont il est possible de décarboner l'économie. Il travaille actuellement à un plan de transformation de l'économie française. Des réflexions ont démarré sur l'hydrogène. Le travail demeurant cependant pour le moment inabouti, je m'exprime aujourd'hui en mon nom propre.
Sur la politique gouvernementale, c'est-à-dire les axes tracés, nous ne pouvons qu'être d'accord quant au fait de décarboner l'hydrogène dans ses usages non énergétiques dans un premier temps et quant au développement d'un secteur industriel d'électrolyseurs. Je pense en revanche qu'un point pose débat. Il s'agit d'utiliser l'hydrogène pour gérer les fluctuations des intermittents. Le mix électrique que nous possédons aujourd'hui est décarboné à 95 %, grâce essentiellement au nucléaire et à l'hydraulique. L'hydraulique a pour but de gérer les fluctuations de la demande d'électricité. Les pics du matin et de 19 heures sont gérés essentiellement par l'hydraulique. Les fluctuations de la demande sont de l'ordre de 10 à 15 % de l'appel moyen. Si vous imaginez une forte pénétration des renouvelables intermittents, comme par exemple en Allemagne, les fluctuations deviennent cependant d'un autre ordre de grandeur.
La fluctuation de la production solaire est importante : à l'arrêt en pleine nuit, une éolienne produit au maximum de sa capacité en pleine journée. Il est question de plusieurs dizaines de GW dans la fluctuation entre le jour et la nuit, chiffre qui est homogène à travers l'Europe.
Le facteur de charge de l'éolien, de son côté, est en France de 23 %. Les fluctuations de la puissance instantanée atteignent entre quelques pourcents de la puissance installée et 70 ou 80 % de la puissance installée lorsqu'il y a beaucoup de vent.
Les fluctuations de la production sont donc d'un ordre de grandeur supérieur aux fluctuations de la demande. En d'autres termes, le système installé aujourd'hui et les moyens mis à disposition pour gérer les fluctuations ne sont absolument pas adaptés à une forte pénétration des intermittents.
En Allemagne, par exemple, la puissance pilotable installée n'a pas de limite. Il est important en effet de posséder de la puissance de réserve pour les jours où, par exemple, le vent ne souffle pas.
J'ai ainsi posé le cadre d'un débat particulier qui n'est pas le débat immédiat. J'en viens à présent à deux points concrets relatifs à l'hydrogène.
En premier lieu, le rapport RTE est extrêmement intéressant. Il évalue les coûts de trois scénarios d'approvisionnement d'électrolyseurs. Le scénario au coût le plus faible survient quand nous alimentons les électrolyseurs avec de la puissance constante selon un facteur de charge élevé, pour amortir les coûts d'investissement et les coûts de fonctionnement. L'électricité est alors peu chère.
S'agissant de la politique de soutien à l'hydrogène, en comparaison à la politique de soutien aux énergies renouvelables, je souhaite rappeler un chiffre de la Cour des comptes qui, il y a 2 ans, évaluait le surcoût de la politique d'achat de l'électricité renouvelable d'EDF. Ainsi, l'ensemble des contrats passés avant 2017 représenteront, à maturité, 121 milliards d'euros. À mon sens, la différence essentielle tient au fait que le soutien à l'hydrogène et la tentative de développement d'une filière industrielle ont pour objectif d'éviter l'émission de CO2. Les 121 milliards d'euros investis n'évitent en revanche aucune émission de CO2. Il s'agit simplement de remplacer de l'électricité décarbonée par une autre électricité décarbonée. Aucun gain du point de vue de l'émission de CO2 n'est engrangé. La différence est par conséquent massive du point de vue de la réduction des émissions de CO2.
M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie. Je donne la parole à Didier Mandelli, puis à Jean-Michel Houllegate.
M. Didier Mandelli. - Je vous remercie. Je m'exprime au nom de François Calvet, notre rapporteur, qui ne peut pas être présent aujourd'hui.
Les premières questions auront trait aux modalités de production de l'hydrogène. Notre pays entend industrialiser la production d'hydrogène bas-carbone par électrolyse de l'eau. Ce choix implique une alimentation des électrolyseurs par de l'électricité renouvelable ou de l'électricité nucléaire, qui est grandement décarbonée. Or l'Union européenne semble privilégier, à ce stade, un hydrogène « vert » excluant de sa réflexion le recours au nucléaire. Est-ce un motif d'inquiétude pour la France ? Dans quelle mesure la stratégie européenne aura-t-elle une influence sur la stratégie française ?
Le plan présenté par le gouvernement ne mentionne pas, en revanche, la piste d'un hydrogène « bleu », produit à base d'énergies fossiles, notamment de méthane, associé à une méthode de capture et de séquestration du CO2. Pourquoi ce choix ? Les méthodes de capture et de séquestration du CO2 ne sont-elles pas suffisamment sûres ou matures ?
Je souhaite également vous interroger sur les modes d'approvisionnement des électrolyseurs en électricité. RTE, dans un récent rapport, identifie trois modes d'alimentation envisageables : un approvisionnement des électrolyseurs sur le marché sur les périodes de surplus de production d'électricité renouvelable ou nucléaire ; un approvisionnement des électrolyseurs sur le marché de l'électricité en base, hors situations de tension et un approvisionnement des électrolyseurs avec de la production renouvelable dans le cadre de modèles « locaux ». Ces modèles conduisent à des enjeux techniques et économiques très différents. Quel pourrait être le modèle privilégié par la stratégie française ? Pourquoi ?
Enfin, j'ai quelques questions à vous poser sur la compétitivité de l'hydrogène décarboné. RTE estimait que, quel que soit le mode retenu, le prix de l'hydrogène décarboné demeurait structurellement supérieur à celui de l'hydrogène « gris », même en tenant compte de baisses de coûts importantes des électrolyseurs. C'est pourquoi le gouvernement a prévu la mise en place d'un mécanisme de soutien public, sur un modèle proche de ce qui existe aujourd'hui pour les énergies renouvelables. Ne faudra-t-il pas compléter à terme ce mécanisme de soutien par une taxation importante du CO2 ? Cette contrainte est-elle d'ores et déjà intégrée par la stratégie gouvernementale ?
M. Jean-Michel Houllegatte. -M. Michel, vous indiquez que la France consomme actuellement environ 1 million de tonnes d'hydrogène, en grande partie de l'hydrogène carboné, engendrant l'émission de 9 millions de tonnes de CO2 chaque année. Il est important de noter que ce gaz est exclusivement utilisé pour le raffinage des produits pétroliers, la production d'ammoniac pour les engrais azotés et la production de méthanol, destiné à la production de plastique. Dans l'hypothèse de la décarbonation de l'hydrogène, quelle serait la quantité d'énergie nécessaire ? Il avait été question de 55 KW d'énergie électrique par kilogramme d'hydrogène produit. Pouvez-vous nous donner des ordres de grandeur ?
Par ailleurs, une note de l'ADEME d'il y a un an précisait que, malheureusement, la technique du power to gas présentait des rendements extrêmement faibles, de l'ordre de 23 %. Existe-t-il des marges de manoeuvre pour augmenter ces rendements ? Comment le plan de relance pourrait-il être orienté vers la recherche pour augmenter la performance et réduire l'impact environnemental des électrolyseurs ?
Enfin, l'Union européenne affiche l'ambition de faire rouler ses 100 000 camions à l'hydrogène d'ici 2030. Avons-nous une perception de la consommation énergétique nécessaire pour produire l'hydrogène servant de carburant à ces camions ?
M. Philippe Boucly. - Ces questions sont importantes. Elles s'inscrivent au coeur de nos réflexions.
La France dispose d'un atout majeur en matière d'électricité décarbonée avec l'électricité nucléaire. Il importe par conséquent que, dans les approches et les textes adoptés au niveau européen, l'électricité décarbonée d'origine nucléaire soit prise en compte. Le Portugal, l'Espagne, le Danemark, l'Autriche et le Luxembourg, plus ou moins richement dotés en énergies renouvelables, prônent l'utilisation de l'électricité renouvelable seule. La France, les Pays-Bas et les pays de l'Est de l'Europe sont en faveur d'un mix plus varié qui n'exclut pas l'électricité nucléaire. Tandis que les textes, il y a quelques mois, étaient en faveur de la première position, la diversité est désormais plus grande.
J'évoquais également, au titre de la neutralité technologique, l'utilisation de l'hydrogène bleu, c'est-à-dire l'hydrogène obtenu lorsque le CO2 émis est capté puis réutilisé ou stocké. Cette forme me semble ne pas devoir être écartée. Elle peut, au moins dans une phase transitoire, être utile pour mettre en place les technologies de l'hydrogène.
Je vous communique quelques ordres de grandeur d'énergie nécessaires. 1 MW d'électrolyse permet de produire environ 20 kg par heure. Il convient ensuite de prendre en compte le délai d'utilisation de l'électrolyseur. Une utilisation strictement avec de l'énergie éolienne, soit 2 000 heures par an (facteur de charge de 23 %), correspond à 40 tonnes chaque année. Pour obtenir 40 000 tonnes, 1 GW, ce qui représente un réacteur nucléaire, est donc nécessaire. Avec de l'éolien offshore, il est question de 4 000 heures et de 80 tonnes par mégawatt. Le mix électrique français permet une utilisation de 7 500 heures, pour 150 tonnes d'hydrogène par an par mégawatt d'électrolyse. Le taux d'utilisation des électrolyseurs est par conséquent essentiel.
Concernant l'augmentation des rendements, un effort de recherche reste à mener, de façon à maintenir la France à un haut niveau d'excellence en matière de recherche. Le programme prioritaire de recherche, qui sera piloté par l'ANR, visera à augmenter l'efficacité des technologies et, par conséquent, les rendements. Nous pensons fondamentalement que les coûts et, de façon induite, les aides publiques diminueront par le changement d'échelle, par la création de gigafactories et par le développement massif. Les aides publiques, à terme, doivent progressivement tendre vers zéro.
S'agissant de l'objectif de l'Union européenne de faire fonctionner à l'hydrogène 100 000 camions à l'horizon 2030, si nous comptabilisons 160 000 km par an et 11 kg d'hydrogène pour 100 km, nous obtenons environ 97 térawattheures, soit l'équivalent de 15 réacteurs nucléaires.
Je souhaite ajouter que l'hydrogène ne sera pas l'unique solution. La plupart des modèles au niveau mondial considèrent que nous nous dirigeons vers davantage d'électrification. La part de l'électricité dans la consommation finale d'énergie sera à terme de l'ordre de 50 à 60 %. Il reste néanmoins à couvrir les 40 à 50 % restants, notamment avec la biomasse et l'hydrogène. Ainsi, dans la plupart des modèles, l'hydrogène représente entre 10 et 20 % de la consommation finale d'énergie. L'Union européenne, à l'horizon 2050, vise un taux de 13 à 14 %. Nous préconisons par conséquent l'utilisation de l'hydrogène à bon escient dans la décarbonation de l'industrie lourde (sidérurgie, cimenterie, production d'engrais) et dans les transports lourds.
M. Jacques Treiner. - Je rejoins vos propos. S'agissant des ordres de grandeur, 1 kg d'hydrogène nécessite 50 kilowattheures d'énergie pour libérer 35 kilowattheures. La performance est appréciable. Elle est relativement concentrée. Un litre d'essence correspond en effet à 10 kilowattheures. A priori, le niveau est donc correct. La consommation actuelle de 1 million de tonnes d'hydrogène correspond à 3 millions de tonnes d'énergie finale. L'énergie finale représente aujourd'hui en France 150 millions de tonnes. Il est question cependant, en l'occurrence, des usages industriels non énergétiques, l'objectif étant évidemment de développer des usages énergétiques.
Dans certains cas, il est envisagé que 20 % de l'énergie finale soit prise en charge par l'hydrogène, c'est-à-dire 30 millions de tonnes. 10 millions de tonnes d'hydrogène seraient ainsi nécessaires. Pour fabriquer cette quantité, la production d'électricité française serait doublée. Or nous entendons par ailleurs qu'il est nécessaire de diminuer la production d'électricité. Il existe ainsi des incohérences. Il est extrêmement important d'éviter les divergences dans l'ensemble du secteur énergétique.
Dans d'autres scénarios, il est question d'une énergie finale inférieure à 150 MT, de 100 ou, parfois de 80 MT. Il s'agit tout de même d'augmenter de moitié la production d'électricité. Les cohérences à respecter sont donc à examiner dans le détail.
Enfin, l'Allemagne et le Japon, qui possèdent des programmes de développement de la mobilité, y compris la mobilité individuelle, indiquent explicitement qu'ils achèteront la majorité de leur hydrogène. L'Australie est prête à produire de l'hydrogène, notamment pour le Japon. Je ne pense pas que l'Australie fabriquera son hydrogène avec des éoliennes ou du photovoltaïque.
M. Laurent Michel. - En complément, sur la stratégie européenne et la question de l'origine renouvelable et décarbonée de l'électricité, des équilibres s'opèrent, comme l'a indiqué M. Boucly. La Commission européenne elle-même a précisé, dans ses propositions de stratégie hydrogène pour l'Europe, que l'hydrogène bas-carbone est nécessaire au minimum pour une période de transition. En décembre dernier, nous avons pris connaissance des conclusions du Conseil Énergie des États membres. Elles soulignent le rôle de l'hydrogène bas-carbone, induisant, par des encadrements divers, des aides et des réglementations, la possibilité de soutenir l'électrolyse à partir d'électricité décarbonée.
S'agissant des autres technologies, j'ajouterai trois points. Le premier d'entre eux a trait à l'alimentation de l'électrolyse par de l'électricité décarbonée.
Le deuxième point concerne l'ouverture, dans nos stratégies, vers d'autres technologies si elles sont décarbonées et cohérentes avec d'autres stratégies. Un certain nombre de questions se posent. Faut-il utiliser de la biomasse pour produire du biogaz, recraqué ensuite en hydrogène, tandis qu'il existerait des utilisations plus utiles de ce biogaz ? L'hydrogène n'est pas la solution à tout. Par moment, certaines formes d'énergie peuvent être utilisées directement plus facilement sous une autre forme.
Sur la question spécifique du méthane fossile et de la capture de CO2, il existe plusieurs technologies, par exemple le stockage de CO2 dans des formations géologiques. Dans ce dernier cas, l'opération repose sur des modèles de production massive, avec stockage dans des formations géologiques proches. Certains pays qui possèdent des équipements de pétrole ou de gaz ont des opportunités. En revanche, les configurations nationales ne le permettent pas nécessairement.
De nombreuses recherches portent actuellement sur la réutilisation du carbone capté. La réutilisation dans un matériau durable dans un bâtiment est possible. La réutilisation dans un carburant pour un véhicule reste carbonée. Certaines technologies doivent par conséquent encore faire leurs preuves à la fois sur leur caractère décarboné et sur leur modèle économique.
Pour revenir sur les ordres de grandeur et les besoins, nous sommes dans une première phase de montée en puissance de l'utilisation de l'hydrogène décarboné. La projection empirique, à l'époque de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) adoptée l'année dernière consistait, avec une capacité d'électrolyse de 6,5 GW, à produire 600 000 tonnes chaque année. Ce ratio démontre un besoin de puissance non négligeable.
Si nous nous projetons dans le futur, nous devons garder en tête que l'hydrogène ne sera pas l'unique solution. La sidérurgie pourrait par exemple excéder fortement les autres consommations du point de vue statistique. En revanche, dans nos premières projections, la mobilité, selon qu'elle représente 15 ou 50 % d'hydrogène dans les poids lourds, représente au maximum 30 % dans les projections d'utilisation de l'hydrogène en 2050. L'histoire n'est donc pas écrite. Un suivi des performances et des technologies, ainsi qu'une vision systémique sont nécessaires.
Nous avions pris en compte, dans la stratégie nationale bas-carbone et les projections, qu'au niveau de l'électricité, il existerait une concurrence entre la baisse de la consommation par économie d'énergie dans certains secteurs et l'électrification directe ou indirecte liée à l'hydrogène. Nous constations ainsi une stabilité de la consommation jusqu'en 2035 environ et une croissance à l'horizon 2050 de + 30 %. Nous commencions à inclure des besoins supplémentaires d'électricité dans les prévisions. Il est clair que ces projections doivent être régulièrement affinées. Nous le prendrons en compte dans les travaux qui seront lancés prochainement. Le Parlement a en effet demandé, dans la loi Énergie-Climat, que, tous les 5 ans, une loi de programmation soit votée, déterminant ensuite la stratégie nationale bas-carbone. La première loi sera votée en 2023. Dans les nouvelles projections, nous devrons donc inclure, de manière plus approfondie, un certain nombre de déterminants, dont des options pour l'hydrogène à l'horizon 2040.
J'ajoute un dernier point sur les prix. Aujourd'hui, en électrolyse, le prix est de 8 euros du kilo, contre 1,2 euro en procédé classique. Avec l'amélioration du rendement des électrolyseurs, nous pourrions cependant viser un prix compris entre 2 et 3 euros du kilo. La baisse des prix rendra évidemment plus aisé le déploiement à grande échelle.
M. Jean-François Longeot, président. - Merci. Je vous propose à présent de répondre à une série de questions.
M. Frédéric Marchand. - Je vous remercie pour ce débat. Il est beaucoup question de l'utilisation de l'hydrogène dans l'industrie et dans les transports. L'utilisation de l'hydrogène semble également pertinente aujourd'hui dans le cadre de la décarbonation des réseaux énergétiques. Je souhaite m'appuyer sur l'expérience menée sur le territoire de Dunkerque. Le retour d'expérience sur la gestion des réseaux par injection d'hydrogène pour décarboner les énergies a permis à 100 logements et à un centre de soins d'être alimentés par un nouveau gaz composé d'une part variable d'hydrogène et de gaz naturel. Le projet a visiblement rencontré le succès. Quelques champs restent néanmoins évidemment à investiguer, avant de pouvoir généraliser l'injection d'hydrogène dans le réseau de gaz naturel. De surcroît, la question de l'acceptabilité sociale de l'hydrogène se pose. Ma question s'adresse plus particulièrement à M. Michel. Quels sont les outils de participation citoyenne envisagés dans le plan de relance pour que la question de l'hydrogène gagne les esprits ?
M. Stéphane Demilly. - Je remercie les intervenants pour leurs propos. J'ai deux questions à leur poser.
Ma première question est d'ordre pédagogique et de compréhension. Dans le plan de relance de 100 milliards d'euros que le Gouvernement a présenté en septembre dernier, 2 milliards d'euros sont dédiés à l'hydrogène pour la période s'étalant de 2020 à 2022. Le Gouvernement a, par ailleurs, annoncé le développement pour 2035 d'un avion neutre en carbone, fonctionnant à l'hydrogène. Ce projet bénéficierait d'ici 2022 de 1,5 milliard d'euros de financements publics. Je sollicite un éclaircissement. Le montant de 1,5 milliard d'euros entre-t-il dans l'enveloppe de 2 milliards d'euros ? Entre-t-il au contraire dans les 15 milliards d'euros de l'enveloppe dédiée au secteur aéronautique ? Je souhaite en outre connaître votre sentiment sur le projet d'avion décarboné à un moment où la filière aéronautique traverse une situation catastrophique.
Ma seconde question concerne des propos entendus hier lors de la mission d'information sur le transport de marchandises face aux impératifs environnementaux. La déléguée générale de la Fédération nationale du transport routier (FNTR), Florence Berthelot, indiquait : « Nous représentons 5 000 entreprises et 225 000 salariés. L'idéal à terme serait de développer un camion électrique ou un camion à hydrogène. Un camion à hydrogène présente cependant un coût de 650 000 euros, c'est-à-dire cinq à six fois plus élevé que le coût d'un camion traditionnel au diesel. L'objectif européen de 100 000 camions est par conséquent très éloigné. » La question est également celle de l'acceptabilité, cette fois dans le transport routier.
M. Éric Gold. - S'agissant du développement de la filière hydrogène, les efforts de recherche sont aujourd'hui orientés vers la mobilité et l'industrie. La région Auvergne-Rhône-Alpes concentre une grande partie de la filière hydrogène en France. Différents acteurs, avec le soutien des pouvoirs publics, ont lancé le projet Zero Emission Valley (ZEV), afin d'alimenter 20 stations en hydrogène vert, avec comme objectif d'éviter l'émission de 13 000 tonnes de CO2 et l'utilisation de 4,3 millions de litres de diesel. Ce projet a été financé par des fonds européens et porté par un partenariat public-privé, avec Michelin, la région et des acteurs du territoire. À terme, il s'agit de développer un maillage suffisant en stations hydrogène et de rendre la mobilité accessible au plus grand nombre, y compris aux particuliers, avec un coût visé comparable à celui du diesel.
Dans le même ordre d'idée, nous savons que le logement est source d'émission de CO2 et de consommation d'énergie. Est-il illusoire de penser que le développement de la filière hydrogène bas-carbone pourrait se structurer également à moyen terme autour du marché du chauffage et de la production d'eau chaude domestique pour un développement massif avec des coûts plus acceptables ?
Mme Nicole Bonnefoy. -Notre commission a récemment créé une mission d'information relative au transport de marchandises face aux impératifs environnementaux comme cela a déjà été indiqué, dont je suis rapporteur avec mon collègue Rémy Pointereau, présent aujourd'hui. Le soutien à l'acquisition de véhicules industriels à hydrogène était une des mesures phares annoncées par le Gouvernement dans le cadre du plan de relance, afin d'accélérer le verdissement de la filière. Par ailleurs, le projet de loi « Climat » intègre également une incitation à cette transition, avec un soutien aux transporteurs en contrepartie du déremboursement progressif de la TICPE. Néanmoins, de nombreux acteurs du transport de marchandises considèrent que le marché n'est pas mature pour concurrencer les motorisations fossiles. Les bonus à l'acquisition de véhicules hydrogène leur semblent ainsi relever aujourd'hui de l'affichage. Selon vous, quelle est l'échéance de compétitivité des poids lourds à l'hydrogène ? Est-il réaliste d'amorcer la transition du secteur dès aujourd'hui ? Est-il préférable d'investir dans des énergies de transition, par exemple les biocarburants, comme suggéré dans nos auditions ?
M. Rémy Pointereau. - La plupart des acteurs que nous avons auditionnés mettent en avant l'hydrogène comme solution pour l'avenir. Il s'agit de décarboner le transport des marchandises. L'hydrogène possède des propriétés intéressantes par rapport aux carburants fossiles. En revanche, il est plus inflammable. Il présente ainsi l'obligation d'un stockage particulier, relativement encombrant pour le transport ferroviaire, les poids lourds, etc. Selon vous, l'hydrogène est-il compatible avec une utilisation dans le cadre de mobilités ?
Je souhaite préciser par ailleurs que le coût de 600 000 euros l'unité annoncé précédemment par Stéphane Demilly concerne les véhicules électriques. Pour l'hydrogène, aucun coût n'a été mentionné. Un poids lourd classique coûte de son côté environ 120 000 euros.
M. Bruno Rojouan. - Je souhaite obtenir quelques précisions. L'hydrogène n'est pas une source énergétique mais un vecteur qui sert à stocker et à transporter jusqu'à son utilisateur l'énergie produite par une source (pétrole, photovoltaïque, charbon). Il est considéré comme propre. Lors de son utilisation, il n'émet comme déchet que de l'eau. Il n'émet aucun gaz à effet de serre. Néanmoins, l'énergie stockée et transportée grâce à l'hydrogène provient souvent de sources fossiles. J'ai lu dans une étude du cabinet Norton Rose qu'en France, 94 % de l'hydrogène produit proviendrait aujourd'hui de sources d'énergie fossile. Vous êtes-vous fixé un échéancier dans vos études et analyses pour envisager l'échéance à laquelle il serait possible par exemple d'imaginer un passage à un taux de 50 % ?
J'ai lu également que Berlin, en juin 2020, avait mis à disposition un budget de 9 milliards d'euros concernant l'hydrogène. La France se prépare quant à elle à investir 7 milliards d'euros sur 10 ans. Les discussions entre la France et l'Allemagne ont débuté. L'objectif est-il de mutualiser les budgets et de travailler ensemble ?
Enfin, comment réagissent les pétroliers face au développement en cours et futur de l'hydrogène ? Seront-ils des partenaires ? Prévoient-ils de s'impliquer ?
M. Philippe Boucly. - France Hydrogène possède un groupe de travail dédié à la mobilité en général, aux bus et camions en particulier. La question du coût est évidemment fondamentale. Nous avons un objectif de déployer 1 000 bus à l'horizon 2024. À ce jour, plus d'une vingtaine de villes sont candidates à l'adoption de flottes de bus à hydrogène (Dijon, Le Mans, etc.). Nous entamons en outre actuellement un travail sur les camions. Les offres restent rares. À ma connaissance, seule l'entreprise Hyundai est impliquée. Elle a livré 50 premiers camions à la grande distribution, qui souhaite décarboner sa chaîne logistique. Nous avons des contacts avec la FNTR et l'ensemble des syndicats de transporteurs. Les transports acceptent de recourir aux véhicules à l'hydrogène à la condition que l'augmentation du coût total de possession n'excède pas 5 %. Nous commençons donc à agréger des offres. Les candidats sont principalement les collectivités, qui attendent de pouvoir s'équiper de bennes à ordures. Entre 20 et 30 bennes à ordures sont envisagées en France. En outre, la société Chéreau a mis au point des remorques frigorifiques à hydrogène. Le marché se met par conséquent en place. L'offre demeure néanmoins insuffisante, en l'absence de demande. Une montée en puissance est toutefois attendue.
J'entends fréquemment insister sur la recherche pour réduire les coûts. Nous devons effectivement poursuivre la recherche, le développement et l'innovation. La filière considère cependant que seul un changement d'échelle, avec le passage à des gigafactories, permettra de réduire les coûts.
Par ailleurs, nous avons répondu à la question du passage à 50 % d'hydrogène bas-carbone au travers du manifeste que nous avons publié en juillet dernier. Nous nous sommes en effet posé la question des actions à mener pour atteindre l'objectif de l'article 1er de la loi Énergie-Climat, c'est-à-dire 20 à 40 % d'hydrogène décarboné à l'horizon 2030. Nous avons évoqué la nécessité d'un investissement de l'ordre de 24 milliards d'euros et d'un soutien global, sans distinguer le soutien national, le soutien des régions et le soutien européen, de l'ordre de 10 milliards d'euros. À cette fin, nous avons mentionné la mise en place de 7 000 MW d'électrolyse, proches des 6 500 MW dont fait état la stratégie nationale. La réponse est donc de parvenir au taux de 50 % à l'horizon 2030, pour autant que la stratégie nationale en matière d'hydrogène soit réalisée.
Concernant la relation entre la France et l'Allemagne, les ordres de grandeur sont équivalents. La mutualisation de la recherche est effective depuis longtemps, au travers notamment des programmes européens. Plus précisément, entre la France et l'Allemagne, une position commune a été adoptée et présentée par l'Élysée le 13 décembre dernier. Le président Macron et la chancelière Merkel se sont déclarés favorables à un IPCEI « important project of common European interest » pour mutualiser les besoins, gagner en taille pour les projets développés et, par conséquent, réduire les coûts.
Il est fondamental, par ailleurs, d'avancer sur la question de l'hydrogène dans les réseaux. Les opérateurs gaziers du transport, de la distribution et du stockage y travaillent. Ils ont publié un rapport accessible sur Internet sur les conditions pour accueillir de l'hydrogène dans les infrastructures gazières. Il est nécessaire de créer les conditions du marché et donc de mettre en place l'infrastructure sous-jacente qui permet les échanges entre les producteurs et les consommateurs. Le travail porte sur la technologie elle-même, sur les dispositifs réglementaires et sur des questions d'ordre régulatoire, notamment concernant le statut du réseau appelé à transporter l'hydrogène, qui sera probablement proche du statut du réseau de transport du gaz naturel.
Enfin, je constate que les grands pétroliers investissent progressivement le champ de l'hydrogène. Total a créé une entité dans ce domaine. En coopération avec Engie, Total travaille en outre au développement d'un parc de 100 MW de photovoltaïque et de 40 MW d'électrolyse de façon à introduire de l'hydrogène dans les procédés de production de la raffinerie de La Mède. Shell, de son côté, est impliqué pour décarboner l'hydrogène qui sert au raffinage du pétrole. Il l'est également dans des consortiums, notamment aux Pays-Bas, pour développer de l'éolien qui permettra d'obtenir de l'énergie renouvelable pour alimenter les électrolyseurs qui produiront l'hydrogène. En tout état de cause, les pétroliers prennent le virage de l'hydrogène. La progression est notable.
M. Laurent Michel. - Une question portait sur la participation citoyenne. Il est important que l'hydrogène figure dans les débats sur l'énergie, dans les futurs débats parlementaires sur la loi de programmation, dans les concertations que nous mènerons sur la future stratégie nationale bas-carbone, la programmation pluriannuelle de l'énergie.
Au niveau de la mise en oeuvre des projets, par ailleurs, la question des nuisances ou des risques peut se poser. Nous devons créer un cadre réglementaire clair par des arrêtés ministériels et des directives précises. L'installation doit en outre être conçue et fonctionner correctement. Les porteurs de projets, de leur côté, doivent savoir expliquer les processus et les procédures. Je ne suis pas certain que l'hydrogène, à cet égard, se distingue de ce point de vue des autres thèmes énergétiques. Simplement, comme il s'agit d'une question nouvelle, il existe peut-être un besoin accru d'appropriation et d'échange.
Une question portait sur les modèles économiques de la mobilité. Le montant de 1,5 milliard d'euros consacré à l'avion neutre en carbone a été mentionné. 50 millions d'euros proviennent de la stratégie hydrogène au titre du plan d'investissement d'avenir (PIA). Le reste de la somme relève des dispositifs spécifiques du plan sur l'aviation et du Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC).
Concernant les camions, les motorisations alternatives demeurent aujourd'hui peu nombreuses. Elles sont plus répandues au niveau du bus. Le travail mené aujourd'hui vise cependant l'horizon de l'année 2030 pour les généraliser.
S'agissant du chauffage et de l'eau chaude sanitaire, des réflexions sont menées dans plusieurs pays, parmi lesquels les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Elles posent de nouveau la question de l'équation énergétique et économique. Un certain nombre d'experts ne pensent pas aujourd'hui qu'il existe un avantage à focaliser l'hydrogène sur le chauffage.
Enfin, le cadre de sûreté est essentiel, tant pour les installations de production, de stockage et de distribution que pour les véhicules. Les activités sont fortement réglementées en France, dans l'Union européenne et dans le monde. L'objectif est de définir un équilibre entre sécurité et praticabilité, par exemple des stations-services. Il existe en outre des cadres d'homologation des véhicules. Il existe en particulier un cadre onusien de la réception des véhicules, décliné au niveau européen. Aujourd'hui, un certain nombre de véhicules à hydrogène sont homologués dans l'Union européenne, par exemple, les camions Hyundai ou un certain nombre de bus de constructeurs français.
M. Jacques Treiner. - Je souhaite ajouter que le rendement global du power to gasto power est de 35 %. Pour déstocker 1, il convie d'avoir stocké 3, ce qui fixe les limites de l'exercice. Des sources d'énergie dédiées apparaissent, de ce fait, indispensables.
M. Jean-François Longeot, président. - Monsieur Michel souhaite apporter un complément.
M. Laurent Michel. - Oui. L'objectif de l'IPCEI évoqué précédemment est d'additionner les efforts de l'Allemagne et de la France en matière de recherche, de développement et d'innovation. Le financement provient de la Commission européenne. Plusieurs réunions d'échange et de mise en relation franco-allemande ont déjà eu lieu. Il s'agit désormais d'entrer dans la phase d'appropriation et d'examen des projets. Cela étant, nous avons également tenu il y a une dizaine de jours une première réunion avec nos homologues italiens. Nous avons donc également initié ce travail avec l'Italie. Ces différents échanges permettront de nourrir les politiques des uns et des autres.
M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie pour ces précisions. Je vous propose à présent de répondre à une nouvelle série de questions.
Mme Angèle Préville. - Je souhaite revenir sur les projections d'avenir et la prise en compte de la possibilité de réduire la consommation d'énergie et la production d'engrais, qui consomme de l'hydrogène. De surcroît, quand des énergies renouvelables sont par exemple produites par des éoliennes, tandis qu'il existe une demande d'utilisation faible, voire nulle, il est peut-être intéressant d'utiliser ces énergies pour produire de l'hydrogène. Je reviens également sur les conversions d'énergie. Chaque conversion sous-tend une perte d'énergie. Je pense néanmoins que, pour les électrolyseurs, nous sommes en passe de réaliser des progrès significatifs.
Par ailleurs, il a été question de la mobilité lourde. Le sujet des trains n'a en revanche pas été abordé. En France, il est prévu de remplacer les trains diesels par des trains à hydrogène. Il existe une urgence en la matière. Les trains à hydrogène circulent déjà depuis 3 ans en Allemagne. Quel est par conséquent l'horizon de déploiement prévu en France ?
S'agissant de l'hydrogène bas-carbone produit par des énergies renouvelables ou non, nous devons prendre en compte la réduction de notre production nucléaire. Nous ne devons pas prendre du retard en ne développant pas suffisamment, au contraire des autres pays, la production d'hydrogène vert avec des énergies renouvelables.
J'ai une dernière question sur les besoins de formations d'ingénieurs, de techniciens et d'ouvriers qui travailleront sur ces écosystèmes. Des formations sont-elles prévues pour faire en sorte de ne pas être freinés par l'absence des emplois adéquats ?
M. Hervé Gillé. - Contrairement à l'Union européenne, la France ne s'impose aucun objectif concernant le nombre de tonnes d'hydrogène décarboné. À ce titre, notre ambition peut manquer de lisibilité et de partage d'enjeux et d'objectifs à l'échelle des collectivités, des territoires ou d'un certain nombre de parties prenantes. Je souhaite connaître votre opinion sur le sujet.
Quelle planification faut-il prévoir, en outre, pour le développement de l'hydrogène vert ? Le Haut-Commissariat au Plan est-il aujourd'hui directement concerné ? Une réflexion est-elle menée pour se mobiliser ? Possédez-vous des éléments précis sur le sujet ?
Comment le maillage territorial de production d'hydrogène peut-il se structurer ? Quel partenariat avec les régions prévoir ? Des objectifs de développement de l'hydrogène doivent-ils être inscrits dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) ? Doivent-ils être déclinés, par exemple au niveau des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), pour faire en sorte que les territoires s'en emparent également et s'engagent notamment dans le cadre des politiques d'appels à projets ?
Vous avez beaucoup évoqué les appels à projets. Le déploiement des politiques ne peut pas cependant reposer uniquement sur les appels à projets. Il existe un intérêt à posséder une vision de planification et de coordination, notamment avec les collectivités territoriales.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Je souhaite revenir sur les programmes co-construits, notamment avec les territoires. Je vous donne l'exemple de la Sarthe, avec Le Mans Métropole et une entreprise, Qairos Energies, qui ambitionnent de produire de l'hydrogène à partir de la pyrolyse de gaz naturel, grâce à la méthanisation agricole. Il semble que la technologie soit inédite en Europe. Elle est complémentaire à l'électrolyse de l'eau. La production s'opérerait massivement par l'hydrogène vert. Il s'agit d'un procédé de calcification à très haute température duplicable et adaptable sur les territoires ruraux en utilisant la biomasse agricole. Le projet s'appuie sur une centaine d'agriculteurs du chanvre. Ils pourraient produire ainsi la méthanisation. Quelle est l'opinion de nos intervenants sur ce type de projets ?
M. Guillaume Chevrollier. - Je souhaite revenir sur les objectifs climatiques, 5 ans après l'Accord de Paris. Cette année, la COP 26 est prévue à Glasgow. Des politiques publiques sont nécessaires pour décarboner notre économie. Vous en avez parlé. Le Royaume-Uni envisage une réduction de 68 % de sa production de gaz à effet de serre par rapport à 1990. Ses objectifs sont donc extrêmement ambitieux. La France, de son côté, a mis en place la stratégie nationale hydrogène, avec un Conseil national de l'hydrogène. Vous en avez également parlé, ainsi que du nucléaire. Je souhaite que vous précisiez vos positions sur l'importance de la filière nucléaire pour le déploiement de la filière hydrogène dans notre pays, si nous souhaitons obtenir des résultats face à l'urgence climatique.
Ma seconde question porte sur la déclinaison dans l'ensemble des régions. Je souhaite connaître vos réflexions sur le déploiement territorial de l'hydrogène, notamment de façon pratique, par le maillage de stations hydrogène sur notre territoire.
M. Ronan Dantec. - Le débat sur l'avenir de l'énergie est toujours extraordinaire. Nous constatons que le système est matriciel, avec de nombreuses inconnues. En modifiant quelques variables, les solutions de chacun peuvent se révéler diamétralement opposées.
Je souhaite en premier lieu connaître votre avis sur le moment où il sera possible d'arrêter une stratégie, sachant qu'actuellement, nous explorons les différents systèmes. Par ailleurs, une question me semble essentielle. Elle concerne les acteurs de la production de l'électricité. Il a peu été question du photovoltaïque. Le projet d'Engie à La Mède est cependant un projet photovoltaïque. Je peux citer également le projet EDF de Dubaï. Le coût est de 11 euros le mégawattheure, contre 120 ou 130 euros depuis le réacteur nucléaire EPR de Hinkley Point. Le marché tranche par conséquent pour le photovoltaïque, qui requiert cependant des surfaces au sol considérables. Les grands producteurs d'électricité et peut-être d'hydrogène demain seront ceux possédant sols et soleil, notamment les pays désertiques. Ne pensez-vous pas qu'une pièce importante du puzzle concerne la production massive d'électricité photovoltaïque demain dans les pays sahéliens et désertiques ?
Mme Marta de Cidrac. - L'hydrogène vit actuellement un véritable engouement. La vertu de l'hydrogène semble désormais acceptée. Toutefois, quel est, selon vous, l'enjeu réel qui se pose dorénavant ? Est-il économique ? Est-il environnemental ? Est-il un enjeu de souveraineté ? Il apparaît en particulier important d'élargir le débat sur l'origine de l'électricité alimentant la production d'hydrogène.
Par ailleurs, Jacques Treiner a évoqué les fluctuations que nos installations actuelles ne nous permettent pas d'absorber dans la production d'hydrogène vert en raison de l'intermittence de l'éolien ou du solaire. Surtout, il a parlé d'incohérences dans le débat aujourd'hui autour de l'hydrogène. Parliez-vous de l'origine de l'électricité alimentant la production d'hydrogène ? Parliez-vous de l'hydrogène lui-même ? Où situez-vous ces incohérences aujourd'hui autour du débat sur l'hydrogène ?
M. Didier Mandelli. - Je souhaite revenir sur un point précis de la loi d'orientation des mobilités. Ce point peut être déterminant notamment pour un grand nombre de start-ups. Il s'agit de la possibilité de rétrofit, c'est-à-dire la transformation de véhicules existants, qui évite les mises à la casse et le changement intempestif de véhicules pouvant continuer de servir. Nous avions intégré ce point pour les véhicules automobiles. Le décret du 13 mars dernier permet, de fait, d'intégrer cette technologie pour l'ensemble des véhicules de plus de 5 ans à moteur thermique, notamment au niveau des poids lourds.
M. Philippe Boucly. - Vos questions sont extrêmement intéressantes. Je ne comprends pas en revanche l'argument du manque de visibilité. Il me semble en effet que les annonces du 8 septembre dernier par deux ministres constituent clairement une stratégie. Concernant la planification, j'ai indiqué que la mise en place d'une gouvernance était prévue. Le Conseil national de l'hydrogène, en particulier, vérifiera que la stratégie affichée est effectivement réalisée.
S'agissant de la déclinaison au niveau du territoire, l'ensemble des régions de France sont adhérentes de France Hydrogène. Elles possèdent soit une feuille de route, soit une stratégie hydrogène, avec des montants significatifs alloués au développement de technologies sur leur territoire. Je citerai l'Occitanie, avec un montant de 150 millions d'euros d'ici 2030 et la Bourgogne-Franche-Comté, avec 90 millions d'euros. Nous constatons une volonté forte au niveau des territoires. C'est pourquoi nous avons souhaité créer des délégations régionales de France Hydrogène, de façon à décliner la stratégie au niveau des territoires.
Certes, des points de la stratégie restent à préciser, en particulier au-delà de 2030.
M. Ronan Dantec. - À mon sens, les usages prioritaires ne sont pas définis dans la stratégie. Nous ne connaissons pas les priorités en matière de mobilité industrielle. Par ailleurs, je ne suis pas certain que les grandes décisions stratégiques soient prises par exemple dans le domaine de la sidérurgie.
M. Philippe Boucly. - Nous sommes notamment en contact avec les dirigeants d'Arcelor Mittal France et avec le groupe Liberty, qui s'engagent dans des plans de décarbonation à l'horizon 2050. Je ne suis pas certain en revanche que l'hydrogène prenne une grande place dans la sidérurgie en 2030, le processus n'étant pas au point. Chacun monte en puissance. L'élan est présent. Du temps reste cependant nécessaire.
S'agissant de la vision à 2050, il est clair que nous nous dirigeons vers davantage d'électricité renouvelable pour produire notamment de l'hydrogène renouvelable. À l'heure actuelle, il demeure en revanche difficile de posséder une vision globale du dispositif à l'horizon 2050. Même les études de RTE ne me semblent pas couvrir l'ensemble des domaines, notamment la conversion de la sidérurgie à de l'hydrogène renouvelable. France Hydrogène lancera prochainement une étude avec notamment RTE et l'Ademe de façon à obtenir une vision plus claire du sujet. Le développement du renouvelable en France est trop lent, concernant l'éolien offshore notamment. L'étude prendra également en compte l'importation d'hydrogène de pays richement dotés en énergies renouvelables, comme les pays de la péninsule ibérique ou encore le Maroc.
La question suivante portait sur la biomasse. Je crois avoir répondu dans mon propos liminaire. La stratégie française présentée par le Gouvernement le 8 septembre dernier met l'accent sur l'électrolyse de l'eau pour produire de l'hydrogène. Il existe cependant d'autres technologies pour produire de l'hydrogène, notamment la production d'hydrogène à partir de la biomasse, de chanvre ou des solutions de type captage et séquestration du carbone dans le cadre du vaporeformage.
Concernant la mobilité lourde, le manifeste que nous avions publié au mois de juillet dernier évoquait 250 trains pouvant passer à l'hydrogène. Une récente étude de l'Ademe mentionne pour sa part entre 250 et 300 trains susceptibles de passer à l'hydrogène dans le futur. Certes, l'Allemagne a déjà acheté 14 rames, quand l'Italie s'équipe en trains à hydrogène de fabrication française (Alstom). Je pense qu'il existe un sujet dans la relation entre les régions, l'État, la SNCF et Alstom, qui est probablement à clarifier. Il n'en demeure pas moins que le train est en cours de mise au point. Sa spécificité par rapport au train allemand est qu'il sera bi-mode, avec des lignes avec caténaires et des lignes non électrifiées, ce qui exige des développements plus longs qu'en Allemagne. Je crois savoir que l'Occitanie a commandé ses premières rames. La solution se met donc en place.
Enfin, le sujet de la formation est important. Il est essentiel d'identifier les compétences nécessaires et de mettre en place les formations ad hoc. France Hydrogène y travaille, en lien avec un certain nombre de régions.
M. Jacques Treiner. - L'introduction n'était pas inutile. Il existe beaucoup d'images d'Épinal concernant l'énergie, notamment l'électricité.
Sur la gestion des fluctuations, à l'heure actuelle, la production des énergies renouvelables en France demeure marginale. Il est donc possible de gérer les fluctuations. La question est de savoir si une forte pénétration des renouvelables intermittents est envisagée. Dans ce cas, les fluctuations sont supérieures à la puissance moyenne. Pour le solaire, elle s'étale de zéro la nuit à une fraction notable de la puissance installée le jour. Pour l'éolien, la fluctuation s'étend de quelques pourcents à 70 % de la puissance installée. Il ne sera donc pas possible de gérer ces fluctuations avec le système actuel. La gestion sera-t-elle possible avec des batteries et avec de l'hydrogène ? La réponse est, selon moi, clairement négative. La gestion des fluctuations de la demande d'électricité est un sujet ; la gestion des fluctuations de la production d'électricité avec une forte pénétration de ressources intermittentes est un autre sujet, qui doit être examiné. Je pourrais vous montrer en une demi-heure que, sans doute, la gestion des fluctuations de la production d'électricité avec une forte pénétration de ressources intermittentes demeurera impossible.
Il existe évidemment des répercussions sur les trois scénarios de production d'hydrogène, que nous pouvons observer dans le rapport de RTE. Avec de l'électricité peu chère et un facteur de charge le plus élevé possible, le prix est le plus faible.
Un élément de stratégie est clair, le remplacement de l'hydrogène industriel. Je mets en revanche un point d'interrogation sur la mobilité, le sujet ne pouvant pas être traité uniquement par l'hydrogène. De son côté, la gestion des fluctuations des intermittents avec l'hydrogène ne sera jamais possible. Nous n'augmenterons pas la production d'hydrogène avec des sources d'électricité fluctuantes. Il s'agit d'une image d'Épinal.
Du point de vue du climat, enfin, l'hydrogène n'a pas de couleur. Il est décarboné ou carboné. Le détail de la fabrication n'a aucune incidence sur le climat.
M. Laurent Michel. - Concernant les trains, plusieurs technologies, expérimentations et déploiements sont en cours de gestion par la SNCF avec les régions. Des trains électriques avec batteries peuvent rouler sur des voies avec caténaires, avant de finir leur voyage grâce à leurs batteries. Il existe également des trains à hydrogène. Des trains hybrides ont en outre été développés. En effet, la question de l'infrastructure se pose. L'investissement en caténaires n'est pas rentable, expliquant les solutions mixtes sur les lignes de faible taille, alors que les grandes lignes sont massivement électrifiées. Actuellement, les modalités d'intervention via un cofinancement conjoint de l'ensemble des acteurs sont en cours de finalisation au niveau interministériel avec le cabinet du Premier ministre.
Des questions ont posé sur les modèles économiques, avec des productions à partir de surplus d'énergies renouvelables. RTE a montré dans ses études que la production d'hydrogène avec du surplus d'électricité renouvelable non consommée n'était pas rentable avant un horizon 2035.
La formation est essentielle. La stratégie prévoit un volet relatif à la recherche, par le PEPR, qui alimentera notamment la formation par la recherche. Plus largement, il est question de 30 millions d'euros pour la formation initiale et continue et de 5 millions d'euros pour un travail sur un campus des métiers et qualifications. Ce volet est donc pris en compte.
Des questions ont été posées sur les objectifs, la stratégie et la déclinaison territoriale. Notre stratégie est en cours de construction. Elle sera en construction permanente. Notre plan hydrogène date de 2018. Notre stratégie date de 2020. Je suis d'accord avec M. Dantec pour reconnaître qu'il s'agit en partie d'une stratégie d'exploration. Les éléments qui avanceront moins efficacement permettront notamment de réorienter nos intuitions et nos futures orientations. De même, nous appréhendons progressivement la dimension territoriale. Je pense en particulier que les appels à projet seront l'occasion de monter des partenariats, dans une logique de co-construction.
S'agissant du nucléaire, sur le court et le moyen terme, la France a défendu la position selon laquelle l'électricité décarbonée du réseau peut être un moyen important de soutenir la production d'hydrogène par électrolyse. Dès lors, le nucléaire assumerait un rôle important, puisqu'il représente aujourd'hui 70 % de la production en France. À plus long terme, la question se pose du mix électrique postérieur à 2035. Des besoins d'électricité sont à prendre en compte, y compris pour alimenter l'hydrogène. Le remplacement d'une partie de la production du parc nucléaire par des moyens de production décarbonés devra s'enclencher. Il existe plusieurs options, qui seront tranchées à partir de 2022-2023.
La question a été posée de l'enjeu principal de la stratégie : enjeu économique, environnemental ou de souveraineté ? D'après moi, l'enjeu principal est environnemental. Il n'en demeure pas moins que la stratégie est bâtie sur ces trois composantes, car, outre l'enjeu environnemental, il existe une opportunité économique de monter des filières en France.
Enfin, le rétrofit des véhicules existants suscite un intérêt grandissant. Il existe désormais un cadre facilitant au niveau des homologations et des aides créées. Diverses pistes sont possibles. Je pense que le rétrofit rencontrera le succès s'il est industrialisable et peu coûteux.
M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie d'avoir accepté de répondre aux nombreuses questions de mes collègues. Vous avez pu constater tout l'intérêt que portent les sénateurs au développement des énergies renouvelables et de l'hydrogène. La question de la déclinaison concrète est revenue souvent. Vous conviendrez que, pour nous, représentants des territoires, une telle déclinaison est essentielle. Je vous remercie des apports que vous nous avez fournis à travers vos réponses.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 heures 05.