- Mercredi 16 décembre 2020
- Audition de Mmes Dominique Le Guludec, présidente, et Élisabeth Bouvet, présidente de la commission technique des vaccinations, de la Haute Autorité de santé et Marie-Paule Kieny, virologue, vaccinologiste et directrice de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, sur les vaccins contre la covid-19
- Audition de M. Alain Fischer, professeur d'immunologie pédiatrique et président du Conseil d'orientation sur la stratégie vaccinale
- Audition de M. Jean Bassères, candidat proposé par le Président de la République à la direction générale de Pôle emploi
- Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean Bassères à la direction générale de Pôle emploi
Mercredi 16 décembre 2020
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Audition de Mmes Dominique Le Guludec, présidente, et Élisabeth Bouvet, présidente de la commission technique des vaccinations, de la Haute Autorité de santé et Marie-Paule Kieny, virologue, vaccinologiste et directrice de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, sur les vaccins contre la covid-19
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous accueillons ce matin Mmes Dominique Le Guludec, présidente, et Élisabeth Bouvet, présidente de la commission technique des vaccinations, de la Haute Autorité de santé (HAS) ainsi qu'en visioconférence Mme Marie-Paule Kieny, virologue, vaccinologiste et directrice de recherche à l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Je les remercie pour leur disponibilité à venir s'exprimer devant notre commission. J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Alors que nous ne sommes toujours pas sortis de la deuxième vague de l'épidémie de covid-19 et que l'on nous en annonce une troisième, les annonces relatives à l'arrivée prochaine de vaccins constituent un formidable espoir et un horizon de sortie, enfin, de cette période où le confinement de la population au prix d'une terrible crise économique semble être le seul moyen de faire face à des périodes d'emballement épidémique.
Les recherches sur les vaccins ont commencé dès la séquence du génome du virus connue, à la mi-janvier 2020. Nous avons aujourd'hui plus de 50 candidats vaccins, à des stades différents de progression dans les essais cliniques. Malgré ce démarrage précoce de la recherche, les annonces des laboratoires nous ont plutôt surpris par leur rapidité.
Sans même attendre une autorisation de mise sur le marché par l'agence européenne du médicament, les Britanniques ont commencé leur campagne de vaccination le 2 décembre dernier, avec une dame fort sympathique de plus de 90 ans. Les États-Unis ont quant à eux commencé lundi dernier.
Pour l'Union européenne, la presse annonce une réunion le 21 décembre prochain, qui pourrait se traduire par une autorisation du vaccin du laboratoire Pfizer avant la fin de l'année 2020.
Nous attendons de cette audition qu'elle nous permette de mieux comprendre les vaccins envisagés, les garanties qu'ils offrent en matière d'immunité et de portage, ce que nous en savons et ce que nous ignorons encore. Comme tout produit de santé, ces vaccins ont aussi des effets secondaires dont nous aimerions mieux connaître l'équilibre bénéfices-risques en fonction des différentes populations concernées.
Je vais d'abord donner la parole à Mme Kieny pour un propos liminaire sur ces sujets, avant de la passer à Mme Le Guludec et Mme Bouvet afin qu'elles nous exposent les priorités définies par la Haute Autorité de santé.
Mme Marie-Paule Kieny, virologue, vaccinologiste et directrice de recherche à l'Inserm. - Je retracerai, dans un premier temps, mon parcours et mon engagement dans le domaine des vaccins. J'ai regagné l'Inserm en 2017, après un détachement de 17 ans auprès de l'organisation mondiale de la santé (OMS) où j'ai officié d'abord en tant que directrice de l'initiative de la recherche sur les vaccins puis en tant que sous-directrice générale. À l'Inserm, en dehors de la covid-19, je me consacre essentiellement à la recherche sur l'antibiorésistance, en tant que directrice du programme prioritaire de recherche dans ce domaine dans le cadre des investissements d'avenir, et je représente la France à ce titre dans un partenariat européen, le Joint Programming Initiative on Antimicrobial Resistance (JPIAMR).
Compte tenu de mon expérience dans la gestion des crises sanitaires à l'OMS, j'ai été mobilisée par Yazdan Yazdanpanah pour travailler avec les équipes de l'Inserm et du consortium REACTing (REsearch and ACTion targeting emerging infectious diseases) dans la riposte à la covid-19 en matière de recherche. J'ai été responsable, pour le compte de l'OMS, en 2009-2010 de campagne de distribution du vaccin contre la pandémie de grippe pour les pays à ressources limitées : 87 millions de doses de vaccins ont ainsi été distribuées à 87 pays. Pendant l'épidémie d'Ébola en 2014-2015, j'ai été chargée de la coordination de la recherche et développement pour l'OMS et j'ai été le représentant du promoteur dans un essai clinique sur un vaccin qui a montré son efficacité contre Ébola en Guinée en 2015.
Dans la réponse à la covid-19, j'ai dans un premier temps participé à la mise en place de l'essai « DisCoVery », grand essai thérapeutique d'abord français puis paneuropéen. J'ai été nommée par le directeur général de l'OMS représentante de la France au sein du comité exécutif de l'essai « Solidarity » destiné à tester les protocoles thérapeutiques pour les patients hospitalisés atteints de la covid-19.
Par la suite, j'ai rejoint le comité « analyse, recherche et expertise » (CARE), présidé par Françoise Barré-Sinoussi, pour la partie de ses travaux qui portent sur les vaccins. J'ai ainsi été amenée à présenter au CARE un avis à destination du ministère de la recherche pour le soutien particulier à trois candidats vaccins français.
Le 4 juin 2020, j'ai été sollicitée par la direction générale de la santé du ministère des solidarités et de la santé et la direction générale de la recherche et de l'innovation du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation pour mettre en place un comité sur les vaccins covid-19. Ce comité doit assurer trois missions : effectuer une veille afin d'informer le Gouvernement sur les vaccins en cours de développement ; élaborer des recommandations sur la pertinence de certains essais cliniques de vaccins covid-19 en France dans le cadre de la plateforme « Covireivac » ; collaborer avec la task force sur les vaccins placée sous le contrôle d'abord de Matignon et désormais du ministère des solidarités et de la santé.
Ce comité comprend onze membres, dont trois immunologues de pointe, un pharmacien, un spécialiste des essais cliniques, un virologue et trois spécialistes de la recherche et développement en milieu pharmaceutique - évidemment tous retirés de leurs fonctions exécutives en entreprise pharmaceutique. L'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), initialement représentée au sein du comité, a dû s'en retirer dès lors qu'elle pouvait se retrouver en situation de conflit d'intérêts en tant que rapporteure pour la France sur certains dossiers de vaccins. Elle a été remplacée au sein du comité par la HAS.
Nous nous penchons sur les vaccins pour lesquels la France et l'Europe ont exprimé un intérêt pour leur acquisition, via des réservations, commandes ou précommandes. Nous auditionnons les producteurs de vaccins puis nous présentons un avis écrit aux ministères de la santé et de la recherche et à la task force sur les vaccins. Je salue la mise en place en France de ce comité sur les vaccins. D'autres pays européens ont fait des choix différents, parfois en ne créant pas d'instance analogue ou en désignant une seule personne référente sur les vaccins. Nous produisons des rapports d'évaluation et des recommandations en français et anglais, la version anglaise étant partagée avec les négociateurs de la Commission européenne et des États membres pour l'acquisition de vaccins.
Le comité vaccin covid-19 que je préside a rendu le 9 juillet dernier, en collaboration avec le CARE et le conseil scientifique covid-19, une note sur les premières bases d'une stratégie française vaccinale, qui a été publiée par le ministère de la santé.
Depuis le mois d'octobre, on m'a demandé d'intégrer le comité technique « Independent Products Group » (IPG) du Covax, qui désigne l'axe de travail consacré aux vaccins de la collaboration internationale pour l'accès aux produits de lutte contre la covid-19. Ce comité a pour mission spécifique d'augmenter l'équité dans l'accès à ces produits. Il s'agit très concrètement d'évaluer des vaccins qui pourraient être ultérieurement achetés par le Covax.
J'ai enfin été contactée en décembre par M. Alain Fischer pour collaborer au comité d'orientation de la stratégie vaccinale, mis en place le 3 décembre dernier et qu'il préside.
Je tiens à souligner que, dans la participation à ces différentes instances, l'attention portée aux éventuels conflits d'intérêts est particulièrement importante, et fait de toute façon partie de l'ADN de toute personne étant passée par l'OMS. Le CARE avait déployé un mode de déclaration potentielle extrêmement élaboré ; le comité vaccin covid-19 s'en est inspiré pour ses membres.
Mme Dominique Le Guludec, présidente de la HAS. - Je vous remercie de cette audition sur un sujet sensible. Il me paraît important de rappeler que, pour faire face à cette pandémie, les pouvoirs publics se sont appuyés d'une part sur les grandes agences sanitaires de droit commun et, d'autre part, sur des comités scientifiques ad hoc. Sollicitée au titre de ses missions d'évaluation des produits de santé et des stratégies de santé, la HAS a mis en place une gestion de crise dédiée et agile, qui devait répondre à des niveaux d'urgence inédits, mais qui a tout de même eu à coeur de s'adapter en temps réel à l'arrivée continue de données en constante évolution.
Cette gestion de crise s'est appuyée sur trois piliers : protéger, traiter et prévenir. « Protéger », essentiellement pour la campagne de tests ; « traiter », pour assurer une veille sur les médicaments sur leur évaluation dans le cadre d'un éventuel remboursement ; enfin, « prévenir » recouvrait la stratégie vaccinale, sujet qui nous concerne plus particulièrement aujourd'hui.
Nous avons tenté de fournir des recommandations de prise en charge, co-construites avec les professionnels de santé. Nous en fournissons environ une quarantaine actuellement, réactualisées en permanence et accessibles sur le site de la HAS, notamment sur la prise en charge des patients en période de confinement. Ces documents rencontrent un grand succès auprès des professionnels.
La stratégie vaccinale est au coeur des missions de la HAS et, plus particulièrement, des travaux de la commission technique des vaccinations, que préside Élisabeth Bouvet. Deux axes ont structuré jusqu'à présent son travail : la stratégie vaccinale proprement dite et sa mise en oeuvre organisationnelle. Il est fondamental de préciser que sa méthodologie a dû s'accommoder d'un contexte - inhabituel - d'anticipation sur les données.
Dans un avis publié le 28 juillet, en anticipation des données des vaccins, nous avons proposé une première priorisation des publics à vacciner dans l'hypothèse d'une restriction de doses. La logique de cette priorisation doit être claire et transparente. Considérant les deux volets de l'efficacité vaccinale - protéger les patients de la maladie et éviter la transmission - et l'état des connaissances, nous avons fondé nos recommandations en insistant sur la protection contre les formes sévères de la maladie. Ainsi, deux critères de priorisation ont émergé : la vulnérabilité des personnes, liée à leur âge et à l'association de comorbidités, et leur degré d'exposition lié au cadre de vie. Le cumul de ces deux critères nous a conduits à privilégier les personnes âgées hébergées en établissement d'hébergement des personnes âgées dépendantes (Ehpad).
Le déploiement du vaccin se ferait ensuite en fonction d'une décroissance des vulnérabilités. Je rappelle que cette stratégie est, pour l'heure, toujours soumise à l'évolution des données disponibles. Aussi, ces premières recommandations sont « à grosse maille » et nous en publierons une nouvelle série dans la journée pour affiner les sous-populations qui seraient dans des catégories à risque particulièrement élevé. Je pense notamment aux personnes polyhandicapées hébergées dans des établissements collectifs, aux personnes dialysées ou aux personnes à déficit immunologique particulier. J'insiste sur le travail considérable que fournit la HAS afin d'intégrer au plus vite toutes les données disponibles pour affiner ces recommandations.
Sur l'organisation proprement dite de la campagne vaccinale, il me semble important de privilégier la souplesse et la proximité avec les patients. À ce titre, la place des médecins traitants, qui ont la confiance de leurs patients, doit être fondamentale, quand bien même le vaccin peut être dispensé par un personnel infirmier.
Nous avons enfin entamé une consultation publique très large, qui nous a permis de recueillir 87 réponses en tout, dont une vingtaine provient d'associations de patients. S'en dégagent deux groupes : un minoritaire défavorable au vaccin et un très majoritaire qui y a adhéré très fortement.
Nos résultats ne sont bien entendu que provisoires, et nous continuons nos travaux. Certaines impatiences existent, mais il faut garder à l'esprit la complexité du travail que nous menons.
Mme Élisabeth Bouvet, présidente de la commission technique des vaccinations de la Haute Autorité de santé. - Le comité technique des vaccinations est intégré à la HAS depuis 2017, il dépendait auparavant du Haut conseil de santé publique, rattaché au ministère. La vaccination est une question pluridisciplinaire, et nous veillons à associer à nos travaux des sociologues, des économistes mais également des représentants des usagers.
Nous serons très vite amenés à donner un avis sur les vaccins et sur leurs indications, une fois que les autorisations de mises sur le marché auront été délivrées. Nous pensons publier notre premier avis avant la fin du mois de décembre.
Mme Colette Mélot. - Quelle est la place des traitements antiviraux dans la stratégie de lutte contre l'épidémie, en complémentarité avec les vaccins ?
M. Bernard Jomier. - La stratégie actuelle, qui consiste à évite un engorgement des hôpitaux, conduit à prendre des mesures restrictives des libertés individuelles. À quelle échéance estimez-vous que la vaccination aura été suffisamment large pour que nous puissions nous passer de ces mesures restrictives ? Pensez-vous qu'il sera possible à terme de passer à une stratégie d'éradication de cette maladie ?
M. René-Paul Savary. - Il semble que les zones qui ont été les plus durement touchées par la première vague le sont moins par la seconde. Peut-on considérer qu'il existe une forme d'immunité collective géographique, et que doit-on en conclure s'agissant de la stratégie vaccinale ? Faut-il vacciner en priorité les Ehpad qui n'ont pas encore été touchés par le virus ?
À côté de la question du vaccin, des travaux se poursuivent-ils sur les traitements ? Je pense notamment à une récente publication de la revue The Lancet au sujet d'un traitement à base de zinc et de vitamine D. Certains pays ne connaissent-ils pas une mortalité moindre en raison de l'utilisation de traitements auxquels nous n'avons pas recours ?
Mme Florence Lassarade. - Une information plus claire sur les différents types de vaccins serait utile.
Pour maintenir des unités de réanimation opérationnelles dans la deuxième, voire la troisième vague, n'avez-vous pas réfléchi à vacciner les soignants volontaires, quel que soit leur âge ? Ils ne sont pas à l'abri d'un décès ou d'un covid long, qui peut s'avérer pénalisant.
À l'OPECST, nous avons auditionné les associations de patients et les syndicats de généralistes. Ceux-ci ont insisté sur la transparence de l'information sur les vaccins, condition pour qu'il y ait de la confiance. En effet, en dehors des syndicats de médecins, les généralistes semblent « hors jeu », alors que l'on nous dit que ce sont eux qui vont tout assurer. Sur le terrain, ils ne sont pas au courant de la façon dont cela va se dérouler.
En Ehpad, par exemple, il semble qu'il soit d'abord nécessaire de réaliser une consultation sur le consentement éclairé, lequel devra vraisemblablement être donné par écrit. Peut-être devra-t-il être donné par un ou plusieurs de membres de la famille, ce qui serait complexe à obtenir pour le médecin. Deuxième étape : le médecin généraliste devra venir en Ehpad vacciner ses propres patients. En outre, les vaccins en multidoses demanderont une organisation très particulière : comme nous l'avons appris, le transport des vaccins à ARNm est très délicat ; ensuite, il restera seulement 4 jours et demi pour l'utiliser. Je reviens à ma question précédente : dans les Ehpad, n'aurait-on pas intérêt à vacciner non seulement les patients mais aussi les personnels qui le souhaitent, faute de quoi il y aurait un gaspillage considérable ? Se pose par ailleurs la question de la technique de dilution.
Mme Dominique Le Guludec. - Sur la stratégie de lutte contre l'épidémie et le rôle des médicaments, je rappelle au préalable que la commission de la transparence de la HAS évalue habituellement les produits de santé en vue de leur remboursement. Or, dans cette pandémie, le problème du remboursement n'est pas au premier plan. Ce que nous avons fait, c'est d'abord, depuis le début de l'épidémie, de mettre en place une veille afin d'analyser les données disponibles sur les médicaments. Nous ne nous prononçons que lorsqu'il y a des données. Il faut par ailleurs qu'un industriel ait déposé un dossier. À ce jour, seuls deux types de traitements ont été proposés. L'un s'est révélé très efficace : la dexaméthasone et les autres traitements à base de corticoïdes, qui jouent aujourd'hui un rôle essentiel et sont accessibles aux médecins ; il n'y a donc pas eu besoin d'un processus particulier. Un certain nombre d'autres traitements ont été proposés, le premier étant le remdésivir, sur lequel la commission de la transparence a rendu un avis très circonspect et limitatif ; l'industriel a retiré son dossier mais nous avons publié notre analyse. Nous regardons de près tout ce qui sort sur les médicaments proposés aujourd'hui. Malheureusement, nous n'avons pas de traitement efficace à proposer en dehors des corticoïdes.
Les vaccins ne sont en effet qu'un outil de la stratégie. Nous aurons encore besoin de médicaments car il y aura encore des formes sévères, et parce qu'on ne sait pas encore pendant combien de temps les personnes ayant été malades ou vaccinées seront protégées.
Mme Élisabeth Bouvet. - La qualité des soins prodigués aux patients atteints de la covid-19 dans les établissements hospitaliers a beaucoup progressé : le taux de passage en réanimation et la mortalité ont diminué. Je pense que la mortalité des patients hospitalisés n'est actuellement pas particulièrement élevée en France car les équipes sont maintenant bien rodées.
Personnellement, je ne pense pas qu'il faille attendre beaucoup d'un traitement antiviral agissant sur la réplication virale. En effet, les malades ne meurent pas directement du virus mais essentiellement des complications liée à la réponse immunitaire inappropriée de l'organisme. Les médicaments qui ont fait la preuve de leur efficacité sont ceux qui viennent tempérer cette réaction inappropriée. Ainsi, les seuls antiviraux efficaces seraient ceux qui agiraient préventivement sur les phases initiales de la maladie et empêcheraient, à l'instar des vaccins, la pénétration du virus ; c'est probablement sur ces traitements qu'il faut travailler.
Mme Dominique Le Guludec. - Sur l'horizon auquel on peut espérer maîtriser l'épidémie, je suis dans l'incapacité totale de répondre. Je pense qu'il est important, dans cette crise, de savoir dire ce que l'on ne sait pas.
Concernant les aspects logistiques, nous ne savons pas exactement quand arriveront les différents vaccins en dehors des deux premiers, quand les doses pourront être délivrées et à quel rythme les différentes populations concernées pourront être vaccinées. Nous connaissons le schéma global mais il faudra l'ajuster en fonction d'aspects très concrets, tels que la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché par l'Agence européenne du médicament (EMA) et la production des doses. Il existe un espoir de maîtriser l'épidémie si l'immunité conférée par les vaccins est suffisamment durable, ce que nous ne pouvons aujourd'hui affirmer faute de recul ; mais il est complexe de donner un horizon temporel précis.
L'adaptation par département est impossible, car un Ehpad non touché hier pourra l'être demain. Il s'agit toutefois d'une question intéressante qui soulève celle de la protection innée qu'ont certaines régions contre la covid. C'est un sujet sur lequel la HAS va se prononcer aujourd'hui. Sous réserve du vote du collège, nous ne considérerons pas à ce stade que les patients ayant été atteints d'une covid symptomatique documentée auront besoin d'une vaccination dans la mesure où notre ligne directrice est de protéger des formes sévères et des décès. En effet, nous ne constatons pas en France de vague de récidives importante - il y a douze cas rapportés, auxquels s'ajoutent sûrement des cas asymptomatiques que l'on ne voit pas. Cependant, il ne s'agit pas d'une contre-indication à la vaccination mais d'une non-indication à ce stade. Nous changerions bien entendu de raisonnement si le nombre de récidives augmentait en France ou à l'étranger.
Vous avez évoqué les cas de covid longs. Nous sommes prudents sur ces patients qui ont eu des symptômes prolongés : nous ne saurions plus, si nous les vaccinons, si leurs symptômes sont dus au vaccin ou à la maladie. Le cas échéant, est-ce que ces personnes auront besoin d'une seule, de deux doses de vaccin ? Il reste beaucoup d'inconnues. Sous réserve de l'avis définitif du collège, il n'y a pas de besoin pressant et ces personnes ne seront pas considérées comme prioritaires.
Sur les comités, l'évaluation de chaque vaccin et sa place dans la stratégie vaccinale, je laisserai répondre la présidente de la commission technique des vaccinations.
Mme Élisabeth Bouvet. - Nous manquons encore de visibilité sur les effets de chaque vaccin sur la transmission. Or, c'est sur la base de ce critère que nous allons plutôt recommander tel vaccin pour telle population, selon que l'on veut plutôt agir sur les conséquences de l'infection, c'est-à-dire sur les formes graves de la maladie, ou sur le risque de transmission.
S'agissant de la vaccination des professionnels de santé, ne sachant pas si le vaccin aura un effet sur la transmission du virus, nous proposons d'abord le vaccin à ceux qui présentent un risque particulier et ont intérêt à être vaccinés pour eux-mêmes. Nous aurons plus tard des indications sur l'impact de vaccin sur la transmission ; ce sera pour nous très important pour définir à qui ils peuvent être administrés.
Pour l'instant, nous privilégions la prévention des formes graves pour soulager le système de santé et venir en aide aux personnes les plus exposées ; il n'y a guère d'autres indications à ce stade. Les vaccins qui arrivent semblent avoir un profil de tolérance assez bon, ce qui est rassurant, et un niveau d'efficacité important. Les deux données qui nous manquent sont l'impact sur la transmission et la durée de l'immunité.
Mme Dominique Le Guludec. - Dans la saisine à laquelle la HAS répondra ce jour, nous évoquerons ce problème opérationnel des soignants qui souhaiteront se faire vacciner en Ehpad. À ce sujet, nous gardons notre logique de prioriser la protection des personnes vulnérables, notamment celles présentant des comorbidités. Bien évidemment, si des personnels souhaitent se faire vacciner, il n'est pas question de les en empêcher.
Pour l'instant, nous privilégions la prévention des formes graves pour soulager le système de santé et venir en aide aux personnes les plus exposées, qui sont aussi les plus fragiles.
Les vaccins qui arrivent, en tout cas les deux premiers, semblent avoir un bon profil de tolérance, ce qui est très rassurant. Leur bon niveau d'efficacité est l'autre bonne nouvelle, que nous n'attendions pas. Manquent encore à nos connaissances l'impact sur la transmission et la durée d'immunité. Nous pourrons avancer quand nous en saurons plus sur les caractéristiques de tel ou tel vaccin.
Dans la saisine de ce jour, nous abordons également la question très opérationnelle des soignants d'Ehpad qui souhaiteront se faire vacciner. Nous réaffirmons la logique générale - sans laquelle il n'y aurait que des cas particuliers - consistant à protéger les personnes vulnérables, qui conduit à prioriser les soignants en Ehpad ayant un certain âge ou des comorbidités, mais si d'autres membres du personnel de ces établissements souhaitent se faire vacciner, il n'est évidemment pas question de les en empêcher. La souplesse est primordiale.
Vous nous interrogez enfin sur l'information et la transparence. Nous ne sommes pas seuls à nous prononcer sur ces questions : le conseil d'orientation de la stratégie vaccinale, l'Assurance maladie, l'ANSM... Tout le monde communique et rendra ses avis transparents. La HAS, elle, a mis en ligne un document pédagogique sur les vaccins et leurs mécanismes, à l'attention des professionnels de santé ; il n'est peut-être pas lisible pour tout le monde, mais il est accessible aux médecins. Nous avons en outre, depuis le début de la crise, assuré la transparence de nos avis auprès des journalistes, qui, je crois, l'apprécient.
Nous préparons enfin une réponse rapide aux professionnels de santé, construite avec eux, sur la vaccination : qui vacciner, comment, quelle information délivrer... Nous y travaillons dans l'urgence et espérons la sortir la semaine prochaine avec le premier avis sur les vaccins. Nous sollicitons énormément les professionnels à cette fin ; je salue d'ailleurs leur mobilisation car ils répondent très rapidement, de même que les associations de patients et les patients experts.
Nous ne nous prononcerons pas sur le consentement. Nous souhaitons qu'il y ait un consentement mais le CCNE, qui a été saisi, sera plus apte que nous à répondre sur la forme qu'il devra prendre.
Mme Marie-Paule Kieny. - Nous savons tout de même pas mal de choses sur ces vaccins. Nous savons que les premiers ne protègent pas seulement contre les maladies graves mais aussi contre les formes cliniques et donc les formes bénignes de la covid-19. Nous ne savons pas s'ils empêchent ou freinent la transmission du virus ; mais les données obtenues dans les modèles précliniques chez le primate non-humain indiquent qu'il pourrait bien y avoir des différences entre les vaccins et que certains pourraient au moins diminuer la durée ou l'intensité de la transmission chez les personnes déjà touchées.
Nous savons en outre qu'il n'y a pas de traitement en-dehors des corticoïdes pour les formes graves de la covid-19. L'hydroxychloroquine ne fait absolument rien ; le zinc et la vitamine B sont souvent recommandés en complément de l'alimentation mais ne semblent pas avoir d'effet sur la covid-19. Nous sommes donc dans une situation où les vaccins complèteront le respect des gestes barrières et de la distanciation sociale, et nous resterons de nombreux mois dans cette configuration.
Peut-on éradiquer le virus ? La réponse semble clairement négative. Combien de temps vivra-t-on avec le virus ? Nous ne le savons pas. Cela dépendra du virus lui-même, car il est possible, mais pas certain, qu'après une année de circulation sous forme pandémique, le virus devienne endémique, c'est-à-dire se fixe dans la population et donne lieu à des épidémies ponctuelles de moindre ampleur, comme c'est le cas avec d'autres coronavirus bénins tel le virus respiratoire syncytial ou celui de la grippe. Je n'ai pas de boule de cristal, mais ce que nous pensons savoir est qu'il n'est pas possible, en l'état actuel des choses, d'éradiquer un virus présent dans tant de pays. Nous pourrons toutefois trouver des modalités de coexistence avec lui. La vaccination contient à cet égard de grands espoirs.
La vaccination empêchera-t-elle le virus de circuler ? Je ne suis pas modélisatrice ni épidémiologiste, mais le professeur Anderson, au Royaume-Uni, a publié un article indiquant que pour bloquer la circulation du virus, il faudrait sans doute vacciner presque la totalité de la population avec un vaccin efficace durant toute la vie. Nous n'en sommes pas là. Nous devrons donc conjuguer les immunités induites respectivement par la vaccination et par l'infection.
Quel vaccin, et selon quelle méthode ? La HAS sera bien placée pour recommander les vaccins devant être utilisés chez les personnes plus jeunes ou plus âgées en fonction des risques et des caractéristiques des vaccins. Les vaccins à ARN ont produit de bonnes surprises : 80 % d'efficacité, c'est un bon score ; mais des anticorps présents 85 jours, ce n'est pas suffisamment long pour se prononcer. Il est toutefois possible que la protection atteigne une durée de six mois ou un an.
La mortalité par million d'habitants place la France en quinzième position, loin derrière la Belgique, l'Italie, l'Espagne, etc. La mortalité n'est donc pas particulièrement élevée en France.
La logistique du vaccin Pfizer/BioNTech ne sera en effet pas simple. La dilution est une manipulation classique, que les infirmières et les médecins font souvent pour vacciner leurs patients, et ne pose donc pas de problème particulier. Il ne faut en outre pas dépasser douze heures de transport après décongélation : congelé, il peut donc être transporté plus longtemps.
La stratégie vaccinale ne faisant pas partie du mandat du comité scientifique sur les vaccins covid-19, je vous donnerai sur ce point un avis strictement personnel : mon expérience m'invite à penser que plus on fait simple, plus les gens comprennent pourquoi on les vaccine et l'acceptent. La transparence est donc clé. Pour les soignants, il faudrait utiliser ce que les éthiciens appellent la réciprocité : les soignants se mettant et mettant leur famille en danger pour nous soigner, nous devons en conséquence, en tant que société, leur offrir l'accès au vaccin.
Il est bien compris dans la médecine de nos jours que tout acte médical nécessite le consentement éclairé du patient. Cela vaut aussi pour la vaccination, y compris pour les personnes qui n'ont plus leur libre arbitre : il serait sans doute souhaitable que le tiers en charge des personnes qui en sont privées s'engage à donner, le cas échéant, son accord à sa place.
Mme Michelle Meunier. - Mes questions concernaient les personnes âgées et vulnérables. Plus des trois quarts des personnes de plus de 75 ans vivent à domicile. Le rôle des généralistes, vous l'avez dit, est primordial. Mais comment procéder ? Quel rôle pourraient en outre jouer les communes et les CCAS, qui depuis 2003 disposent de registres des personnes isolées à domicile ? Mme Kieny a enfin répondu à l'essentiel de mes interrogations sur le consentement, mais je voulais rappeler qu'un tiers de confiance doit être renseigné à l'entrée en Ehpad : le consentement à la vaccination pourrait requérir son accord.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je souhaite revenir sur les deux intérêts du vaccin, que sont la protection contre les formes sévères et l'interruption de la transmission du virus, car il y a selon moi un conflit de temporalité. Alors que d'autres vaccins pourraient éventuellement être plus satisfaisants contre la transmission du virus, n'a-t-on pas cédé, à court terme, aux premiers arrivés dans la course au vaccin au détriment d'une efficacité plus complète et qui empêcherait la transmission ? Aujourd'hui, nous n'avons que des vaccins qui assurent une protection contre les formes sévères de la maladie. On comprend bien leur utilité mais c'est dommage qu'ils soient limités à cet aspect. Des moyens suffisants seront-ils accordés à l'évaluation de l'efficacité des vaccins contre la transmission du virus ? Il y a là une conflictualité sur la temporalité.
Concernant la protection contre les formes sévères de la maladie, l'efficacité du vaccin a été évaluée chez une population limitée compte tenu de la rapidité du développement des vaccins. La population testée a-t-elle été représentative ?
Les usagers ont-ils été suffisamment associés au processus de développement des vaccins et de la stratégie vaccinale ? C'est important pour la confiance de la population.
La difficulté pour la transparence sur les vaccins est l'opacité des contrats des industriels, qui restent secrets, notamment pour protéger le secret des affaires. Le Sénat avait déjà abordé le sujet de la responsabilité médicale dans le cadre de la grippe H1N1. Qui va porter la responsabilité médicale et le coût éventuel des effets secondaires ? J'ai bien peur qu'on ne le sache pas.
M. Martin Lévrier. - Merci pour votre la clarté et l'humilité de vos propos, la situation nous oblige à être prudents.
Ma question porte sur la protection des plus précaires. Les médecins généralistes vont être en première ligne dans la stratégie vaccinale. Or, les déserts médicaux comptent des zones urbaines où vivent les plus précaires. Comment protéger ces populations alors que les médecins généralistes sont moins nombreux dans ces zones urbaines ?
Une mutation du virus pourrait-elle affaiblir ou rendre inopérant les vaccins à ARN messager ?
Il semblerait que 15 % de la population soit farouchement opposée au vaccin. Comment contrer les messages anti-vaccin relayés par les médias ?
Mme Véronique Guillotin. - Vous avez donné les principes de la stratégie vaccinale en indiquant que les publics cibles sont les résidents d'Ehpad et les professionnels fragiles exerçant en Ehpad. Est-ce bien le public ciblé en priorité ? Ne serait-il pas judicieux de proposer également en priorité la vaccination à tous les professionnels de santé fragiles ?
Comment s'organise la mise en corrélation du nombre de doses disponibles et de la population cible ? Pourriez-vous préciser le calendrier des première et deuxième phases de vaccination puis des suivantes ?
M. Olivier Henno. - Je souhaiterais poser une question sur la réticence au vaccin qui touche presque un français sur deux selon les sondages. Avez-vous des éléments qualitatifs sur cette réticence ? Quelle population est la plus touchée par cette réticence, y a-t-il un effet générationnel ? Nous sommes tentés de faire vite dans le déploiement du vaccin, qui constitue un véritable espoir. Or, comme le disait le professeur Fischer, il faut une certaine progressivité dans la vaccination pour renforcer la confiance. L'obligation vaccinale serait intenable, le professeur Raoult a même dit que ce serait une révolution ! C'est peut-être excessif mais il y a un fond de vérité.
Concernant le nombre de doses, il a été annoncé le chiffre de 200 millions de doses. À quoi correspond ce chiffre ? Il reste encore des incertitudes sur la durée de l'immunité et sur la protection contre la transmission du virus.
M. Gabriel Attal, porte-parole du Gouvernement, a indiqué qu'il avait été décidé au niveau européen de distribuer un nombre identique de doses par habitant dans l'ensemble des pays de l'Union. Pourriez-vous nous le confirmer ?
Mme Marie-Paule Kieny. - La course au vaccin a-t-elle créé trop d'incertitudes ? La rapidité ne veut pas dire qu'on n'a pas fait toutes les études précliniques et cliniques. On a conduit les différentes phases en parallèle au lieu de les effectuer à la suite donc nous n'avons pas encore toutes les réponses. On sait que la protection donnée par les premiers vaccins ne permet pas seulement de neutraliser les formes sévères mais toute forme de la maladie.
Concernant les mutations, on entend beaucoup de choses mais il faut se hâter de ne pas conclure ! Ce virus mute tout le temps et certains mutants sont plus représentés dans certaines régions. Les producteurs des vaccins sont en train de montrer que leurs vaccins protègent contre les variants du virus. Le variant britannique est le dernier variant qu'on regarde. Il faut bien entendu se poser des questions sur les conséquences de ces variants. Si les variants réduisent la protection apportée par les vaccins, cela ne concernera pas seulement les vaccins à ARN messager mais tous les vaccins.
Concernant la temporalité, je rappelle qu'un vaccin doit d'abord être autorisé, dans notre cas par l'EMA. Il est très probable que le premier vaccin autorisé en France sera le vaccin de Pfizer et BioNTech, puis le deuxième celui de Moderna. Ensuite, les vaccins qui seront sans doute autorisés seront des vaccins à base de virus atténué, d'adénovirus, dont celui d'AstraZeneca dont le niveau de protection serait d'au moins 60 %, peut-être davantage. Nous pourrions donc avoir les vaccins des laboratoires AstraZeneca et Janssen Pharmaceutica en janvier ou en février. Puis nous aurons certainement accès au vaccin de Novavax, qui est un vaccin à protéine recombinante. Ensuite, pour les autres candidats vaccins, il faudra attendre l'avancée des essais cliniques. Les arrivées se feront donc de façon progressive.
Mme Dominique Le Guludec. - Les populations vulnérables en ville constituent une catégorie très importante. Nous identifions deux facteurs de vulnérabilité, l'un individuel, l'autre lié à l'exposition au virus, laquelle est plus importante en hébergement collectif. C'est la raison pour laquelle notre priorité va d'abord vers les résidents d'Ehpad, mais les populations vulnérables en ville viennent juste derrière, en phase 2. Les communes, mais également les médecins généralistes, infirmiers ou autres soignants seront essentiels à mobiliser, selon une politique d'« aller vers ».
Mme Kieny a répondu sur la temporalité du développement des vaccins. Je vous dirige vers les services ministériels s'agissant de la transparence des contrats qui ne relève pas de la responsabilité de la HAS. Il en est de même des commandes européennes de vaccins au prorata du nombre d'habitants.
Concernant la représentativité des personnes vulnérables dans les essais cliniques, celle-ci est suffisante d'après les spécialistes pour mesurer les effets secondaires. Cependant, des données manquent encore, par exemple sur les enfants vulnérables. Des connaissances restent à affiner.
Pour les publics précaires, nous préconisons la constitution d'équipes mobiles. Sans être prioritaires dans la mesure où ils sont souvent jeunes, ils se heurtent néanmoins à des difficultés d'accès aux soins.
Vous avez raison de souligner que les professionnels de santé sont exposés à un risque particulier. La logique de l'avis de la HAS est toutefois de placer la priorité sur ceux présentant des vulnérabilités. Si ce n'est pas le cas en général des médecins, nous constatons que les infirmiers ou aides-soignants sont souvent des personnes jeunes. Nous attendrons d'avoir plus de recul pour aller vers eux.
La commission technique des vaccinations intègre des représentants des usagers et nous avons lancé une large consultation à laquelle vingt de ces associations ont répondu. Le comité que préside le Pr Fischer va également s'appuyer sur la société civile. Face à une campagne de vaccination d'ampleur inédite, nous sommes toutefois conscients des difficultés susceptibles de se poser en termes à la fois de compréhension et d'organisation, alors que certaines personnes souhaiteraient être vaccinées plus vite et que d'autres ne souhaitent pas l'être. Nous allons avancer en marchant et la confiance va se gagner avec le temps.
Le suivi des personnes vaccinées, qui n'est pas sous la responsabilité de la HAS, sera d'une grande importance et d'une ampleur exceptionnelle et permettra des remontées au fil de l'eau. Cela contribuera à rassurer.
Mme Élisabeth Bouvet. - Les populations à risque, notamment âgées, sont en effet bien représentées dans les essais cliniques. Les données sont assez rassurantes et suffisent pour juger de l'efficacité du vaccin, peu différente pour les plus de 65 ans qui présentent une réponse immunitaire de même niveau que les plus jeunes face à la maladie. De même, pour d'autres catégories de populations à risque, nous ne constatons pas à l'heure actuelle de signal particulier de défaut d'efficacité ou de mauvaise tolérance. Les données n'existent pas encore en revanche pour les personnes immunodéprimées qui n'étaient pas incluses initialement dans les essais.
Sur la résistance aux vaccins ou l'hésitation vaccinale, nous distinguons deux catégories de personnes : la première, qui représente de 5 à 10 % de la population, comprend les anti-vaccins, hostiles à toute forme de vaccination et sur lesquels nous n'avons pas de prise ; la seconde, en proie à une hésitation vaccinale souvent assise sur la peur, est possible à convaincre et de nombreuses études sont engagées sur ce sujet pour comprendre les raisons de cette hésitation. Cette frange plus importante de la population sera dans l'attente : elle se fera probablement vacciner après les autres.
Les études montrent enfin que les personnes les plus à risque sont également les plus favorables au vaccin, ce qui est une bonne nouvelle. L'acceptabilité de la vaccination augmente avec l'âge. Elle est aussi plus élevée chez les hommes.
Mme Corinne Imbert. - Vous avez mentionné des documents à destination des professionnels de santé élaborés par la HAS. Ceux-ci, à l'instar des médecins coordonnateurs dans les Ehpad, joueront un rôle important dans la première phase de vaccination et la bonne information passera d'abord par eux. Vous pourrez compter sur eux et gagnerez à vous appuyer sur ces relais davantage que sur les media. Si je respecte le travail des journalistes, attention en effet à ce que l'entreprise de pédagogie par les media ne soit pas contreproductive. Nous avons vu ces derniers mois les effets délétères sur l'opinion d'une expression publique cacophonique.
Concernant les essais cliniques qui se sont développés selon un rythme inhabituel sur la technique d'ARN messager connue depuis quelques années sans aboutir, existe-t-il selon vous encore des zones d'incertitude en matière de sécurité ?
Alors que six pays ont déjà autorisé un vaccin, la décision de l'agence européenne du médicament ne devrait, elle, intervenir que d'ici la fin du mois de décembre. Pensez-vous que le système européen d'autorisation de la mise sur le marché des produits de santé est trop lourd ou insuffisamment agile face à des situations d'urgence ou faut-il au contraire assumer le fait de ne pas sacrifier l'exigence de sécurité au profit de la rapidité ?
Enfin, si j'entends que les commandes de vaccins ne sont pas de votre responsabilité, 200 millions de doses ont été annoncées pour signifier l'absence de pénurie, même à raison de deux doses par personne. Pour autant, vous avez évoqué des restrictions dans l'arrivée des doses, mais aussi l'efficacité du vaccin face à des formes plus légères de la maladie. Pourquoi, dès lors, ne pas vacciner tout le monde ? N'aurait-on pas la capacité de vacciner plus largement ? Va-t-on encore sur ce sujet, finalement, gérer la pénurie ?
M. Daniel Chasseing. - Je suis un peu surpris qu'aucun des vaccins que vous avez jusqu'à présent évoqués ne suscite un avis formel à ce stade. À ma connaissance, seule Mme Kieny en a exprimé un.
Je confirme en tout cas que la stratégie de santé, souvent élaborée par l'agence régionale de santé seule, est cette fois bien redescendue au niveau du territoire. Je me suis rendu à une conférence de santé où il a effectivement été indiqué que la priorité de la stratégie vaccinale serait les personnes vulnérables hébergées en Ehpad, avec une intervention importante des infirmiers sous supervision du médecin traitant et avec recueil du consentement. Par ailleurs, les pharmacies sont bien préparées à la réception de doses de vaccins, qui devront être conservées à moins de 8°C.
Je souhaite rebondir sur le propos initial de Mme Le Guludec, qui a souligné que l'objectif d'un vaccin se limiterait à la baisse de la mortalité des formes graves et pas à la lutte contre la propagation de la maladie. À mon sens, cette limite s'explique par le très faible investissement placé dans l'isolement des cas positifs et des cas contacts, qui reste un maillon faible dans la gestion de l'épidémie. Il faut que nous ayons des solutions d'isolement plus structurées : je peine à comprendre comment on a pu se contenter d'une politique fondée sur les seuls coups de téléphone de l'assurance maladie.
Mme
Laurence Garnier. - Je souhaite également faire
état de doutes concernant les vaccins, au sein d'une population qui ne
leur est pas automatiquement rétive. On assiste à un
déferlement de nombreux projets de vaccins, qui ont recours à de
nouvelles techniques
- notamment celle de l'ARN messager - et cela
engendre des interrogations. Comment peut-on sensibiliser cette population
particulière ? Pourra-t-on lui assurer un accès à
différents types de vaccins ?
Mme Laurence Cohen. - Je confirme le climat de défiance actuel à l'égard des vaccins, qui requiert une transparence absolue sur le sujet. Je souhaiterais recueillir votre opinion sur la récente déclaration de Sanofi, dont le vaccin spécifique accusera un certain retard. Je m'interroge, au vu des stratégies récentes du laboratoire qui a beaucoup étiolé son pôle recherche et développement, sur les raisons de ce retard : son origine est-elle interne à l'entreprise ou bien, en France, procède-t-on à des vérifications supplémentaires garantes de la sécurité des vaccins ?
Pourriez-vous m'éclairer sur l'articulation du rôle de la HAS et de celui de l'ANSM ?
Enfin, vous savez sans doute que la défiance générale en matière de vaccins est en grande partie due au problème de leurs adjuvants aluminiques. Qu'en est-il à cet égard pour les vaccins contre la covid-19 ?
Mme Annick Jacquemet. - On ne connaît pas la durée d'immunisation et de protection des personnes atteintes qui ont pris le vaccin. Dispose-t-on d'un suivi des taux d'anticorps des anciens malades ?
Mme Kieny évoquait une durée de 85 jours de protection pour les vaccins ; à quoi cette durée fait-elle référence ?
Mme Dominique Le Guludec. - Je commence par vous répondre sur la communication. La HAS a effectivement pour mission de construire les documents nécessaires pour les professionnels de santé. Les recommandations seront à peu près les mêmes pour les médecins traitants et les médecins coordonnateurs en Ehpad. Compte tenu des enseignements tirés au cours de la crise, la HAS a souhaité repositionner le médecin généraliste et le médecin traitant au coeur du suivi thérapeutique du patient pour cette pathologie, et nous recommandons donc un vaccin sur prescription individuelle.
Sur la cacophonie que vous avez déplorée, je ne peux que vous rappeler que nous restons extrêmement attachés à la transparence, sans pour autant nous être prêtés à l'exposition médiatique.
Sur l'agence européenne du médicament (EMA), son rôle n'est pas du tout le même que celui de la HAS. L'EMA délivre aux médicaments et aux vaccins l'autorisation centralisée de mise sur le marché européen, définie en fonction d'un ratio bénéfices-risques. Chaque pays membre de l'UE peut alors décider s'il commercialise le médicament ou le vaccin et, partant, s'il l'inscrit au remboursement par la sécurité sociale. C'est à ce stade que la HAS intervient : la commission de la transparence et la commission technique de la vaccination évaluent le service médical rendu (SMR) et l'amélioration du service médical rendu (ASMR) qui détermineront le niveau de remboursement. Pour le cas spécifique des vaccins, la CTV donne par ailleurs son avis sur l'opportunité du vaccin considéré dans la stratégie thérapeutique globale. Son avis ne sera bien évidemment pas le même selon qu'elle examine le vaccin initial ou les vaccins subséquents ; elle se montrera plus attentive, pour ces derniers, à leur positionnement par rapport aux comparateurs cliniques pertinents.
Monsieur Chasseing, vous avez déploré notre absence d'avis. Cela s'explique, comme je l'ai indiqué, par l'absence de données consolidées à l'issue des phases d'essais cliniques. Ces dernières n'arriveront qu'à la fin du mois de décembre, ce qui justifie que nous ayons différé nos avis jusqu'à présent. Nous nous sommes pour l'heure contentés d'émettre des avis sur les stratégies de priorisation ; nous rendrons ensuite nos avis scientifiques vaccin par vaccin lorsque nous disposerons de toutes les données. Nous devrons néanmoins pour cela attendre l'avis que rendra l'EMA sur chacun d'entre eux. À ce titre, je rappelle que l'EMA a fait preuve en la matière d'une extrême célérité et qu'elle a annoncé cet avis pour le 21 décembre. Je pense qu'au vu de la très grande qualité du travail fourni par l'EMA, qui reste l'une des meilleures agences du médicament au monde, nous ne pourrons que nous en remettre à la balance bénéfices-risques qu'elle dégagera pour chaque vaccin.
Nous ne sommes pas chargés du nombre de doses, mais avons toutefois tenu compte des contingences liées aux tensions potentielles dans nos avis.
Enfin, je ne peux que vous rejoindre sur l'efficacité requise de la politique d'isolement.
Sur le choix des vaccins, je laisse Mme Bouvet vous répondre mais je ne crois pas que le patient sera la personne la mieux informée pour choisir en conscience le vaccin qui lui conviendra le mieux.
Mme Élisabeth Bouvet. - Vous nous avez interrogées sur la possibilité laissée au patient de choisir son vaccin. Je précise qu'au début il n'y aura de toute façon qu'un vaccin et que les stocks prévus ne permettront peut-être pas d'en maintenir l'offre lorsque les vaccins suivants arriveront sur le marché. Pour le vaccin Pfizer, on évoque - mais c'est susceptible d'évolution - un stock de 3 à 4 millions de doses, à raison de 2 doses par patient.
Il y aura ensuite des indications thérapeutiques pour chaque vaccin, qui sera dispensé dans le cadre d'une prescription individuelle, laquelle tiendra compte des caractères spécifiques du patient. La question du choix du vaccin ne se posera peut-être donc pas.
Il n'y aura pas d'adjuvant dans les deux premiers vaccins annoncés, qui sont en eux-mêmes suffisamment immunogènes.
Enfin, je précise qu'il n'y aura pas de sollicitation de la commission de la transparence de la HAS pour les premiers vaccins, puisqu'ils ont été achetés par l'État. La question de leur remboursement par la sécurité sociale ne se posera donc pas.
Mme Marie-Paule Kieny. - Lorsque j'ai évoqué une durée de 85 jours, je visais exclusivement la persistance des anticorps et pas la protection du sujet. On ne sait pas du tout aujourd'hui comment ces vaccins protègent, et on ne le saura vraisemblablement pas avant un an.
Nous disposons en revanche de renseignements sur leur réactogénicité, c'est-à-dire sur leurs effets à très court terme (24-48 heures). On doit à cet égard s'attendre à quelques effets secondaires, souvent non sévères, comme le mal de bras, la fatigue ou la fièvre légère. On ne sait rien des effets secondaires à plus long terme après 6 mois après vaccination. On apprendra sans doute beaucoup des vaccins à grande échelle lancés depuis novembre au Royaume-Uni et aux États-Unis ; d'ici deux ou trois mois, nous aurons alors un recul beaucoup plus net, fourni par le résultat des essais cliniques et le déploiement à l'étranger de ces vaccins à l'échelle nationale.
Madame Jacquemet, nous suivons bien la persistance des anticorps chez les convalescents, mais seul le temps va nous permettre de connaître la durée et l'efficacité de ces anticorps. À ce stade, il nous manque un corrélat de protection, c'est-à-dire une preuve indirecte, le plus souvent sérologique, de l'existence d'une protection contre une maladie. Pour des gens qui ont guéri de la covid-19, on ne peut que constater, sans rien en déduire, une certaine diminution du taux d'anticorps, ce qui nous a conduits à recommander qu'ils maintiennent leur degré de protection et de distanciation.
Madame Cohen, le retard pris par le vaccin Sanofi s'explique par le fait que la formule a montré de bons résultats dans les essais cliniques uniquement chez les personnes jeunes, mais pas chez les personnes âgées. L'entreprise a donc décidé d'améliorer sa formule en conséquence.
Enfin, pour confirmer les propos de Mme Bouvet, je ne pense pas que nous vivrons une pénurie de vaccins, mais il est certain que nous ne disposerons pas de tous les vaccins possibles de façon simultanée. La France et l'Union européenne ont eu l'intelligence d'investir dans plusieurs plateformes et seront fournies en vaccins de type « ARN messager », en vaccins de type adenovirus et en vaccins - comme celui de Sanofi - fondés sur des protéines. Il ne sera certainement pas possible de tout avoir à la fois.
Du fait en outre de la compétition entre pays, les fabricants ne pourront pas promettre des vaccins non payés avant la fin 2021. Les vaccins les plus efficaces seront sans doute aussi les plus disponibles mais nous n'aurons pas en 2021 tous les vaccins en quantités suffisantes pour vacciner tout le monde. Nous n'aurons donc pas, comme au restaurant, la possibilité de choisir notre vaccin à la carte. La HAS aura donc un rôle crucial pour déterminer l'efficacité de tel vaccin pour tel segment de population ; celui qui se révèlerait plus efficace chez les personnes âgées pourrait par exemple leur être réservé, les autres ayant dans un premier temps accès à d'autres vaccins moins efficaces chez les personnes âgées. Tout cela sera donc extrêmement compliqué. Les recommandations de la HAS se feront naturellement au fil de l'eau, au fur et à mesure des progrès des connaissances.
Mme Dominique Le Guludec. - Je voudrais insister sur un point : il faudra bien prolonger le respect des mesures barrières car le coronavirus peut provoquer des formes asymptomatiques. Les effets secondaires à six mois sont rares, de toute façon. La balance bénéfices-risques des personnes prioritaires est tellement en faveur de la vaccination que les gens y auront tout intérêt. Lorsque viendra le tour des personnes moins prioritaires d'être vaccinées, nous aurons tout le recul nécessaire. Il ne faudrait pas que tout le monde attende six mois !
Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci beaucoup pour ces échanges, qui nous ont éclairés sur de nombreux points.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
Audition de M. Alain Fischer, professeur d'immunologie pédiatrique et président du Conseil d'orientation sur la stratégie vaccinale
Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, nous recevons M. Alain Fischer, professeur d'immunologie pédiatrique et président du conseil d'orientation sur la stratégie vaccinale.
Je salue les nombreux commissaires qui assistent à cette réunion à distance. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Monsieur Fischer, pouvez-vous nous présenter le rôle et les missions de l'instance que vous présidez et indiquer sa place parmi les nombreuses institutions chargées de gérer le dossier de la vaccination contre la covid-19 ?
Vous pourrez ensuite nous exposer la stratégie vaccinale et les questions qui se posent encore à vous dans la période qui s'ouvre. Nos collègues auront sûrement beaucoup de questions à vous poser.
Je vous laisse la parole.
M. Alain Fischer, professeur d'immunologie pédiatrique, président du Conseil d'orientation sur la stratégie vaccinale. - Merci de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous à propos d'un sujet évidemment majeur aujourd'hui, celui de la définition et - je l'espère - de l'exécution de la stratégie vaccinale en matière de covid-19, pandémie qui persiste et s'accentue même un peu chez nos voisins européens, ce qui est un signe d'alerte en soi.
Le Premier ministre m'a demandé d'animer un conseil stratégique concernant la vaccination contre la covid-19 pour assister les instances gouvernementales dans l'ensemble des décisions qu'elles sont amenées à prendre. Notre conseil est purement consultatif. De nature scientifique, sa mission est de réfléchir aux différents axes de la stratégie, aux aspects scientifiques et logistiques par exemple, aux questions de priorité vaccinale, ainsi qu'à la façon d'effectuer la vaccination et la manière de la faciliter.
L'attente la plus forte se situe dans le domaine de la communication. Comment informer et communiquer en direction des professionnels de santé - ce qui me paraît constituer une priorité absolue - mais aussi en direction de la population en général ?
Un conseil stratégique est en train de se mettre en place. Il comprend des scientifiques, médecins comme moi, issus du comité vaccinal, dont fait partie Marie-Paule Kieny, que vous venez d'auditionner. Ce comité a pour fonction d'auditionner les fabricants de vaccins, d'évaluer les candidats vaccins et de transmettre ces évaluations aux instances gouvernementales.
Il comprend aussi des chercheurs en sciences humaines et sociales, anthropologues et surtout sociologues spécialistes de la question centrale de l'hésitation vaccinale, sur lesquels nous comptons beaucoup pour réfléchir.
Quelques membres représentent la société civile à travers une association de patients atteints de maladies chroniques, des personnes qui ont déjà réfléchi aux questions de santé ou travaillant à l'Union nationale des associations familiales, avec qui j'ai déjà eu l'occasion de réfléchir au sujet de l'obligation vaccinale pour les jeunes enfants.
Nous comptons également parmi nous des praticiens, médecins, pharmaciens, infirmiers, qui sont au fait de ces questions au quotidien.
Nous sommes en train d'identifier nos priorités de travail, dont l'une est de savoir comment informer les professionnels de santé de façon satisfaisante. Ceux-ci sont concernés à plusieurs titres, et il est important qu'ils se vaccinent. Il faut qu'ils soient exemplaires sur ce plan. En outre, les généralistes et, dans une certaine mesure, les pharmaciens sont aussi ceux vers lesquels se tournent nos concitoyens lorsqu'ils ont besoin d'un conseil sur les questions de santé, et spécifiquement la vaccination. Ce sont donc eux qui emporteront beaucoup de convictions. C'est donc absolument essentiel.
Nous rendons compte au ministère de la santé et de la solidarité, et notre travail se situe en interface très fort avec la Haute Autorité de santé (HAS) qui, en tant qu'autorité indépendante, définit les priorités vaccinales ainsi que toutes sortes de documents destinés aux soignants et aux personnes qui vont être vaccinées.
Une autre agence avec laquelle nous sommes amenés à interagir est l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), qui est en charge de la pharmacovigilance, élément clé dans la surveillance de la vaccination à partir du moment où elle va se développer et devenir une vaccination « de masse ». Faire état de ce qui se passe en termes de pharmacovigilance va donc être crucial.
Je n'oublie pas Santé publique France, qui joue un rôle très important dans la collecte des informations, la réflexion et l'accompagnement des différentes étapes de cette campagne de vaccination. Santé Publique France s'implique évidemment beaucoup dans la logistique.
Nous servons de conseil, nous rendons compte au ministère de la santé et avons bien l'intention d'interagir étroitement avec les personnes qui sont très impliquées actuellement au sein de la HAS, comme le comité technique de la vaccination, mais aussi au sein des autres entités que j'ai évoquées. J'ai déjà commencé à le faire ces derniers jours.
Mme Florence Lassarade. - Vous avez souligné l'importance de vacciner les vaccinateurs. Ils ne semblent pas prioritaires dans la stratégie adoptée par la HAS.
Je suis moi aussi persuadée qu'il faut d'abord convaincre les généralistes, qui feront un premier pas en se vaccinant eux-mêmes. Tous les généralistes, infirmières et autres acteurs ne sont pas forcément convaincus de l'intérêt du vaccin. Peut-être les pharmaciens le sont-ils davantage. Je ne sais comment vous allez prendre le problème et quel vaccin vous allez leur proposer selon leur âge.
J'en viens aux jeunes : la stratégie de ne pas leur proposer de vaccin vient-elle du fait qu'ils sont moins fragiles, que l'on ne sait pas si le vaccin procure une protection contre la transmission ou parce qu'on a peur de conséquences auto-immunes, qui inquiètent toujours la population ? Cette attente s'explique-t-elle par la prudence ?
Si l'on était sûr que le vaccin stoppe la transmission, les jeunes ne seraient-ils pas la catégorie de population qu'il faudrait vacciner en premier ? On les culpabilise en effet beaucoup, ils rendent visite à leurs grands-parents et on leur demande de se tester deux fois par mois.
Mme Corinne Imbert. - Monsieur le professeur, la première phase de la vaccination, selon nos informations, pourrait être réservée aux résidents et aux personnels des Ehpad et, concernant ces derniers, prioritairement à ceux présentant des risques de développer des formes sévères de la maladie.
Ne pensez-vous pas qu'il aurait été plus efficace pour cette première phase d'élargir la vaccination à l'ensemble des professionnels de santé, qu'ils présentent ou non un risque de développer une forme sévère, dès lors que les soignants sont les plus exposés ? On l'a vu au début de la pandémie : certains soignants manquaient de masques et de protections individuelles.
J'y ajouterai également - parce que je trouve que ce sont les grands oubliés de cette pandémie - les personnes âgées de plus de 75 ou de 80 ans vivant à domicile. Il est vrai qu'ils ont été confinés et présentent moins de risques d'exposition, mais je pense à ceux qui ne sont pas dans les radars des départements parce qu'ils ne bénéficient pas de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), ou de l'Agence régionale de santé parce qu'ils sont autonomes, conduisent encore, font leurs courses, ont une vie sociale.
Les neuf mois que nous venons de vivre - et dont nous ne sommes pas encore sortis - constituent un accélérateur du vieillissement. Ces personnes hésitent à sortir ou ne sortent plus aujourd'hui. Pour autant, n'aurait-il pas fallu les protéger ? Si par hasard elles reçoivent de la visite et sont contaminées, elles seront en effet exposées à des formes graves.
Ces choix sont-ils la traduction d'un risque de pénurie, de difficultés ou de restrictions d'approvisionnement en vaccins ?
Mme Jocelyne Guidez. - Monsieur le professeur, on sait que la vaccination devrait commencer par les résidents des Ehpad et le personnel susceptible de développer une forme grave de la maladie.
Cependant, quelques réticences subsistent quant à cette stratégie, notamment en matière de sécurité sanitaire. En effet, pour les populations vulnérables qui présentent déjà ou sont susceptibles de présenter davantage de pathologies, il va être plus compliqué de déterminer la cause de la maladie survenue après l'injection du vaccin. Dans ce cas, ne risque-t-on pas de rendre le vaccin responsable de certaines pathologies ?
Mme Michelle Meunier. - Monsieur le professeur, vous avez indiqué que le calendrier vaccinal serait progressif et l'avez comparé à une montée d'escalier. Quelle est donc la première marche ?
M. Jean Sol. - Monsieur le professeur, pouvez-vous m'éclairer sur la durée de protection des vaccins ? Les avis auxquels nous avons accès aujourd'hui ne sont en effet pas tous convergents. Moderna, sauf erreur de ma part, avance que son vaccin produit des anticorps pendant trois mois. D'autres disent le contraire, ce qui crée encore plus de défiance.
Ma deuxième question porte sur l'autorisation de mise sur le marché. Nous savons qu'elle est délivrée par l'Agence européenne du médicament (AEM), organisme basé à Amsterdam. Qu'en est-il aujourd'hui ? Pensez-vous que nous obtiendrons vraiment ces autorisations de mise sur le marché assez rapidement pour que la stratégie vaccinale annoncée par le Premier ministre puisse être mise en oeuvre dans les plus brefs délais ?
Mme Monique Lubin. - Monsieur le professeur, a-t-on pensé à vacciner aussi, en plus des personnels des Ehpad, les personnels des services d'aide à domicile, qui ne sont pas forcément tous des personnels de santé, mais qui interviennent au quotidien auprès de personnes qui peuvent être touchées ?
J'insiste sur ce point car, au début, on a eu du mal à leur fournir des masques, du gel, et il a fallu que les départements se mobilisent. Ces personnels sont pour la plupart des femmes. Elles ont été les oubliées de la prime. Je ne voudrais pas qu'elles soient les oubliées des vaccins.
M. Alain Fischer. - Faut-il vacciner en priorité les vaccinateurs et convaincre les professionnels de santé du bien-fondé de la vaccination ? La HAS n'en a pas fait une priorité, sauf pour les professions de santé qui travaillent en Ehpad et à hauts risques, mais ce n'est qu'un tout petit contingent.
Les autres professionnels de santé apparaissent dans l'étape suivante - la deuxième marche de l'escalier - et la troisième étape arrive assez vite. En théorie, si tout se passe bien et si les vaccins sont délivrés à temps, la deuxième phase débutera en février ou mars. Il existe donc un petit délai.
L'option de la HAS a été de privilégier les personnes les plus à risques, à la fois les plus vulnérables - donc très âgées - et les plus exposées car, vous le savez bien, on a malheureusement connu des clusters et quelques catastrophes dans un certain nombre de ces établissements.
Les paramètres qui définissent cette priorité sont à mon avis respectables. Il est évident qu'on pourrait avoir des stratégies un peu différentes, mais les choses sont assez proches dans les pays voisins. Parfois, les professions de santé y apparaissent un peu plus tôt, comme en Grande-Bretagne, sans qu'il existe une énorme différence entre les priorités.
Il n'y a pas de vérité absolue : il faut bien commencer à un moment, sachant qu'il faut tenir compte des questions liées au nombre de vaccins disponibles et à la logistique autour de la vaccination. Tant mieux d'une certaine façon, car je trouve plutôt bien qu'on ne vaccine pas massivement 30 millions de personnes.
Je pense qu'on aurait plus de difficultés à le faire accepter qu'avec cette progressivité. Un bloc d'environ un million de personnes va être tout d'abord concerné, puis un deuxième bloc de l'ordre de 3 à 4 millions de personnes puis, crescendo, 14 millions de sujets. Ceci me paraît assez adapté et nous donne le temps, je le crois vraiment, de faire en sorte que l'adhésion à la vaccination progresse au fur et à mesure de ces étapes.
Cela n'empêche qu'il faut convaincre les professionnels de santé. Ce sont surtout les infirmiers qui sont réticents. Pour les médecins généralistes, ce n'est pas si mal, à vrai dire, d'après les dernières enquêtes, même s'il reste du travail. Les pharmaciens sont à peu près dans la même proportion que les généralistes. Ils sont très demandeurs d'informations sur les vaccins - et c'est plus que légitime puisqu'ils en ont très peu.
À vrai dire, je n'en sais guère plus. Les annonces des industriels - Pfizer, Moderna puis AstraZeneca - au sujet de résultats positifs datent d'il y a moins d'un mois. Les publications scientifiques dont on dispose enfin, qui sont très importantes pour bien évaluer ces résultats, remontent à il y a 8 jours. Il faut transposer tout cela en termes accessibles aux professionnels de santé, avec des documents clairs qui répondent à leurs questions.
Olivier Véran vient de réaliser une visioconférence avec 20 000 généralistes. Beaucoup plus modestement, je tiendrai une réunion vendredi après-midi avec un certain nombre de représentants de médecine générale. Je vais faire preuve de pédagogie. L'idée est de décrire les vaccins, de parler de leur efficacité, de la tolérance, des questions de logistique. Cet effort d'information doit être démultiplié. Plus les généralistes auront acquis de connaissances et disposeront de documents, plus ils seront à l'aise pour en discuter avec leurs patients.
Les choses se feront progressivement, mais il n'y a pas de raison qu'on n'y arrive pas. On part d'un niveau assez bas. J'observe néanmoins, en ce qui concerne les professionnels de santé et la population générale, que le climat, quoi qu'on en dise, est un tout petit peu plus en faveur de la vaccination. En témoigne ce qui se passe autour de la vaccination antigrippale, dont le taux de couverture atteint, selon les informations de Santé publique France de ce matin, quinze points de plus que l'année dernière. Cela signifie quelque chose. Cela veut dire que les gens attendent la vaccination, même s'il s'agit de la grippe.
Vous trouverez ces informations sur le site de Santé publique France. Je pense que les personnes vulnérables, les personnes âgées, celles atteintes de maladies chroniques diverses, les personnes en situation de précarité, qui représentent environ 14 millions de personnes, sont pour beaucoup prêtes à se faire vacciner. Elles vont nous apporter une aide importante pour convaincre leurs enfants, leurs amis, etc.
Quant à la vaccination des jeunes, elle est très dépendante de la transmission. Si on apprend dans les mois qui viennent - c'est malheureusement une information difficile à recueillir - qu'un ou plusieurs vaccins bloquent la transmission ou la réduisent, les jeunes étant, du fait de leurs habitudes sociales, ceux qui propagent le plus le virus, il y aura intérêt à accélérer leur vaccination. On aurait là un effet barrière plus fort. Tant qu'on ne dispose pas de cette information, il est plus légitime de protéger les plus fragiles. Lorsque l'information sera validée, les options devront être modifiées.
Existe-t-il des risques, en particulier pour les jeunes, de maladies auto-immunes ? Je ne peux répondre non. C'est aujourd'hui impossible à dire, mais si risque il y a, il est très faible. Selon les résultats des essais cliniques de Pfizer et de Moderna, les deux groupes représentent 35 000 personnes environ, dont beaucoup de jeunes. On n'enregistre pas de signal, avec trois mois de recul. Cela peut paraître insuffisant, mais ce n'est pas rien, car la plupart des troubles qui ont été décrits dans le passé, qu'ils soient exacts ou non - c'est encore une autre affaire - surviennent dans les semaines qui suivent la vaccination. Il n'y a pas de signe en ce sens. Les complications sont très rares.
Ce n'est évidemment pas une raison pour les négliger ou ne pas les dépister, mais c'est plutôt rassurant. Ce n'est sûrement pas un argument pour dire que les jeunes ne sont pas prioritaires, mais les personnes fragiles le sont davantage.
La première phase concerne les Ehpad ou les unités de soins de longue durée (USLD) et les professionnels de santé à risques de ces établissements. Faut-il l'élargir à tous les professionnels de santé ? Encore une fois, cela va venir assez vite.
Imaginons que l'option de vacciner d'emblée tous les professionnels de santé ait été prise en incluant les personnes travaillant dans le médico-social : cela représente environ 2 millions de personnes. En janvier, trois millions de doses environ seront disponibles. On peut donc vacciner 1,5 million de personnes en deux injections. On sait par ailleurs qu'on aura une déperdition, compte tenu d'une logistique malheureusement complexe. Les services du ministère estiment que l'on ne pourra vacciner qu'un million de personnes. Il faut donc s'adapter.
Les personnes âgées autonomes vivant à domicile sont prévues en phase 2, mais cela va dépendre des vaccins disponibles. Le vaccin de Pfizer a besoin d'être stocké à - 70 degrés, ce qui représente un nombre limité d'endroits en France.
Une fois que le vaccin est décongelé, on dispose de cinq jours pour l'utiliser, dont un maximum de douze heures de transport, car l'ARN est très fragile. Il existe donc un problème de logistique pour réaliser la vaccination dans les cabinets des généralistes à ce stade - je dis bien à ce stade.
Il faudra, tant qu'on n'a que ce vaccin, vacciner dans des centres de santé, ce qui n'est pas très approprié pour les personnes autonomes. Certaines communes sont très impliquées dans la mise en place de centres de vaccination et aller chercher les personnes, mais ce ne sera pas simple.
Les plus de 75 ans constituent la deuxième priorité. Cela me paraît assez raisonnable en termes de faisabilité.
La question de l'imputabilité des événements qui peuvent survenir chez les personnes vaccinées est une question majeure, en particulier dans les Ehpad ou les établissements accueillant des personnes âgées où, malheureusement, des patients décèdent. Il est statistiquement certain que certains décéderont dans les jours ou les semaines qui vont suivre la vaccination.
Comment éviter que cela ne crée une forme de crise ? Les systèmes de pharmacovigilance sont des éléments clés pour la remontée et l'analyse des événements, ainsi que pour l'information. L'ANSM est fortement mobilisée sur cette question et a déjà très bien géré la pharmacovigilance dans le passé. Les Français pensent qu'il n'existe pas de surveillance. Ce n'est pas exact. L'ANSM a repéré dans le passé des complications extrêmement rares dues à des vaccins, de l'ordre de moins de 1 sur 100 000. Elle est donc assez bien armée et très sensibilisée. Je suis convaincu que ce travail sera fait avec le plus grand sérieux.
Il est sûr que des incidents de communication peuvent survenir. Il faudra les gérer. Cela étant, ce problème n'est pas qu'à considérer dans le contexte de la vaccination des personnes âgées. La vaccination d'un million de femmes entre 30 et 40 ans serait suivie, dans les semaines qui suivent, d'environ 400 cas de sclérose en plaques. C'est ce qu'on observe dans la population générale. Or la sclérose en plaques est un sujet sensible depuis le problème survenu avec la vaccination contre l'hépatite B.
Il va falloir à nouveau réaliser un travail d'imputabilité pour savoir si on dépasse les seuils et expliquer tout cela. Dans le cas de l'hépatite B, on a mis un certain temps à démontrer qu'il n'existait pas de surrisque. Cette problématique d'imputabilité d'événements qui surviennent au décours de la vaccination va se poser globalement, et pas uniquement chez les personnes très âgées. Il retient toute l'attention de la pharmacovigilance. Nous y serons très attentifs. Le sujet va nécessiter des efforts de pédagogie importants pour faire comprendre au public que coïncidence ou concomitance d'événements ne vaut pas causalité.
La première marche se situera normalement en janvier et débordera probablement sur février. L'étape suivante définie par la HAS concerne les personnes de plus de 75 ans, les plus de 65 ans avec facteurs de risque, les professionnels de santé de plus de 50 ans ou avec des facteurs de risque. On commence là à couvrir une partie non négligeable des professionnels de santé. On descend ensuite dans les classes d'âge. Cela représente entre un mois et six semaines a priori, à réviser chaque semaine.
La phase 1 est prévue pour un million de personnes et doit se dérouler sur un mois, avec une marge d'erreurs importante. C'est l'ordre de grandeur que l'on peut garder en tête.
J'aimerais pouvoir répondre à la question sur la durée de la protection mais, par définition, on ne la connaît pas. Les premières personnes vaccinées dans les essais de phase 3 l'ont été fin juillet, il y a quatre mois et demi à cinq mois de cela, la deuxième vaccination devant être réalisée trois semaines plus tard. On sait aujourd'hui que les données d'efficacité se sont confirmées avec trois mais à trois mois et demi de recul. Les titres d'anticorps ne sont pas mauvais, mais la corrélation n'est pas encore établie entre anticorps et protection. Ce sera peut-être une manière d'accélérer l'information.
La seule réponse consistera à suivre ce qui se passe. C'est un élément clé dans l'évolution de la stratégie vaccinale : les adaptations liées à la durée de la protection, à la transmission, aux autorisations des prochains vaccins nécessitent la mise en oeuvre de logistiques plus ou moins complexes. L'Agence européenne du médicament a accéléré son processus et va donner sa réponse le 21 décembre. Il faut ensuite deux à trois jours pour que la HAS émette les documents et les recommandations associées. Un avis du Comité d'éthique est attendu sur les questions d'agrément et d'information des personnes qui vont être vaccinées.
Théoriquement, la vaccination peut ensuite commencer. Pour l'instant, seules 10 000 doses du vaccin Pfizer ont été livrées. Il est possible que quelques personnes soient vaccinées les jours suivants, mais le programme va véritablement se mettre en route en janvier avec la livraison d'au moins un million de doses fin décembre ou début janvier. Ce sera progressif, même au sein de la phase 1.
Pour s'assurer que tout fonctionne, il faut que la logistique soit effective en matière de matériels, d'organisation, de sécurité médicale et d'éthique. Il faut que les consentements aient été recueillis. On peut y ajouter la nécessité de la traçabilité, la possibilité de repérer d'éventuels événements. Même si on ne les redoute pas trop, il faut être en situation de les repérer.
Parmi les personnes prioritaires, vous avez évoqué les aides à domicile. Elles interviendront normalement en priorité 2 et 3, assez vite derrière la population des Ehpad. On pourra en ajouter d'autres, par exemple les patients atteints de maladies chroniques. On sait que les insuffisants rénaux chroniques courent des risques assez sérieux en cas d'infection. Les personnes en situation précaire ou vivant en promiscuité sont à la fois très exposées et très vulnérables. Ne faut-il pas, pour ces catégories, avancer le calendrier ?
Énormément de questions sont en suspens, mais ces sujets vont faire l'objet de discussions pour affiner les choses. Un certain nombre de populations sont concernées - caissières, policiers, gardiens de prison, prisonniers. Il faut toutefois essayer d'ajuster les choses et ne pas établir trop de sous-catégories, sous peine de se perdre sur le plan pratique. Il faut trouver le bon ton et le bon timing.
M. René-Paul Savary. - Une question quelque peu sémantique. Ce vaccin à ARN messager est très novateur. Il s'agit en fait de thérapie génique. Étant donné qu'il n'aide pas vraiment à lutter contre la propagation du virus, est-ce réellement un vaccin ou un médicament préventif, comme la nivaquine destinée à lutter contre le paludisme ?
M. Alain Milon. - Monsieur le professeur, j'apprécie beaucoup les travaux que vous menez, mais je n'aimerais pas être face à la montagne que vous allez devoir gravir.
Pour l'instant, les vaccins qui sont à notre disposition n'empêchent pas la transmission. Il va falloir communiquer en conseillant aux gens de se vacciner, mais cela n'empêchera toutefois pas le virus dont ils seront porteurs de contaminer d'autres personnes. Il sera donc nécessaire de continuer à porter des masques, à se laver les mains, à pratiquer la distanciation, etc. Le message va être compliqué à faire passer.
Par ailleurs, les porteurs du virus ayant développé des comorbidités importantes décèdent quasiment toujours à cause de la covid-19, même si ce décès est dû à une autre cause. Or chacun sait que les personnes qui vivent en Ehpad y demeurent environ deux ans à deux ans et demi. Les médias ne manqueront pas d'attribuer les décès qui auront lieu à la vaccination. C'est une autre difficulté qui risque d'être compliquée à expliquer.
Quel est votre point de vue à ce sujet ?
M. Alain Fischer. - Le vaccin ARN n'est pas une thérapie génique. Une thérapie génique consiste à modifier le patrimoine génétique d'une cellule donnée. Ce peut être une cellule-souche de la moelle osseuse, une cellule de la rétine - un très joli travail d'une équipe française vient d'être réalisé sur ce point -, avec un effet recherché le plus persistant possible, par exemple pour des maladies génétiques, ou moins persistant, pour traiter des cancers.
Dans le cas présent, on ne modifie pas le patrimoine génétique d'une cellule. On permet à une protéine ARN de s'exprimer, ce qui n'est pas la même chose. C'est un vrai vaccin, mais avec une façon différente d'apporter l'antigène. La façon classique de procéder repose sur un virus entier inactivé. Certains vaccins chinois anti-SARS-CoV-2 sont de ce type. Ce ne sont pas les meilleurs, mais ils existent. C'est la vision la plus traditionnelle de la vaccination. Cela pourrait être des virus atténués. Les Chinois travaillent aussi dessus. Ce n'est pas facile parce qu'il faut être sûr qu'il est vraiment atténué. C'est l'exemple, dans un autre domaine, du vaccin contre la rougeole.
Certaines stratégies ne sont pas nouvelles et existent depuis plusieurs années : on place dans le vaccin une ou plusieurs protéines et un adjuvant. C'est la stratégie de Sanofi et d'une société américaine appelée Novavax. C'est la protéine qui déclenche la réponse immune.
La stratégie avec l'ARN est nouvelle, car elle n'a jamais été utilisée à ce jour dans la vaccination contre les maladies infectieuses. Elle a toutefois déjà été utilisée pour essayer de renforcer les défenses immunitaires de personnes atteintes de cancers, sous forme d'immunothérapie depuis plusieurs années déjà. Il s'agit exactement de la même stratégie.
Un point important est que ces personnes atteintes de cancer, donc plutôt fragiles, n'ont pas développé d'effets secondaires. Cela me paraît une notion intéressante.
D'autre part, il convient de noter qu'on utilise d'autres ARN à but thérapeutique un peu différents. Ce sont des ARN plus courts, des molécules plus petites, utilisées par exemple pour bloquer l'expression d'un ARN physiologique ou pathologique en se fixant dessus. On les utilise pour traiter des maladies rares comme les porphyries, l'amyotrophie spinale. Ces ARN sont injectés dans le liquide céphalorachidien et se répandent dans le système nerveux.
On est dans un ordre de grandeur de 10 000 ou 100 000 fois plus. Ces traitements sont administrés régulièrement, car ces ARN se dégradent assez vite. Personne n'a pas développé de maladie auto-immune ni d'anomalies génétiques par intégration dans le génome. On pourrait d'ailleurs faire remarquer que si un tel risque existait, on pourrait avoir ce type d'événement en cas d'infection par un virus de la grippe. Or on ne l'a jamais vu.
Même les virus qui s'intègrent, comme celui du SIDA, s'intègrent dans le génome des cellules. Il est évidemment cause de la maladie que l'on connaît, mais ce n'est pas une lésion génétique. Il n'y a pas de remaniement génétique provoquant un cancer ou une autre maladie.
Ce sont des éléments rassurants, qu'il s'agisse de la crainte de cancers ou de maladies auto-immunes, même si tout cela n'est pas complètement bordé, puisque c'est nouveau. On part cependant avec beaucoup d'éléments rassurants, en plus du fait qu'on n'a rien observé à court terme.
Par ailleurs, on ne peut pas dire que les vaccins ne bloquent pas la transmission. On ne le sait pas, ce n'est pas pareil. Je dirais, sous forme de boutade, que je serais surpris qu'il n'existe pas un certain effet de protection. Il est peu fréquent, dans le monde des vaccins, qu'il y ait dissociation entre protection contre la maladie et transmission des virus, comme pour la poliomyélite. Il est probable que les choses ne sont pas toutes blanches ou toutes noires. Une protection partielle ne serait déjà pas si mal.
On aura assez vite des éléments indirects grâce à la mesure des anticorps contre d'autres protéines du virus pour voir si les personnes vaccinées développent ou non des infections asymptomatiques. Si ce n'est pas le cas, cela irait dans le bon sens.
À court terme, je vous rejoins : on ne peut évidemment pas utiliser cet argument pour communiquer ni compter sur l'altruisme en disant qu'il faut se vacciner pour se protéger mais aussi protéger ses proches. J'espère toutefois que cela pourra être le cas dans un second temps.
On peut cependant communiquer en disant qu'on peut, au-delà des professionnels de santé et des personnes fragiles, vacciner les personnes fragiles. Cette population-là, ainsi que le montrent les enquêtes d'opinions, est dans l'attente de la vaccination. On devrait donc avoir, sauf souci de logistique, en avril, mai ou juin, environ 10 millions de personnes vaccinées qui feront la promotion de la vaccination auprès de leur entourage familial, professionnel, amical, etc.
Pour l'instant, il n'y a pas d'alerte particulière, mais il existe des inconnues. Le vaccin Pfizer, aujourd'hui, n'est pas encore validé par la communauté européenne. Il est assez peu probable qu'il ne le soit pas, étant donné qu'il l'a été en Grande-Bretagne, aux États-Unis, au Canada, et même en Arabie saoudite.
Le Moderna va arriver assez vite. Ayant à peu près les mêmes caractéristiques, il est très probable qu'il sera validé. Il est un peu plus facile à stocker, puisqu'il se conserve à - 20 degrés. Pour l'AstraZeneca, c'est un peu plus compliqué parce que de petites erreurs ont été commises. On attend le résultat d'une étude clinique en cours qui tombera au printemps.
On trouve un autre vaccin du même type que l'AstraZeneca, fondé sur des adénovirus qui sont à l'origine d'infections respiratoires banales, soit des virus venant de l'homme ou du singe, modifiés ou dans lesquels se trouve le gène qui code pour la fameuse protéine Spike. Il est à la limite un peu plus proche de la thérapie génique. C'est une technologie qui a déjà été utilisée avec succès et en toute sécurité, par exemple contre le virus Ébola. On a donc un recul de plusieurs années.
La communauté européenne a commandé beaucoup de doses d'AstraZeneca. Il faut juste s'assurer que cela tient la route sur le plan de l'efficacité, en matière clinique et en matière d'anticorps.
Il existe une autre préparation de même type du laboratoire américain Johnson & Johnson. Elle est presque fondée sur le même principe. Ce laboratoire espère même qu'on pourra ne recourir qu'à une seule dose, ce qui serait évidemment un avantage. On verra. Je suis un peu dubitatif. Ce sera pour le printemps.
De même, on peut espérer des résultats en principe de phase 3 du premier vaccin américain basé sur les protéines, Sanofi ayant pris du retard. Ce sont des vaccins qui peuvent être conservés à 4 degrés, beaucoup plus faciles d'emploi pour les généralistes, les pharmaciens, etc.
L'Europe en a commandé un peu. Ils seront peut-être disponibles à la fin du deuxième trimestre, Sanofi venant au second semestre. D'autres stratégies vaccinales sont en train d'être testées. On aura des données à leur sujet au troisième ou au quatrième trimestre 2021. Des vagues successives de vaccins viendront donc alimenter la discussion sur la vaccination.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Quel vaccin la Russie utilise-t-elle ?
M. Alain Fischer. - Elle a recours à une combinaison de deux vecteurs adénoviraux. C'est une stratégie assez proche de la stratégie britannique d'AstraZeneca, mais ce n'est pas tout à fait la même. Il s'agit de deux adénovirus humains, le numéro 5 et le numéro 26, dont les doses sont administrées à trois semaines d'intervalle. Les données publiées ne sont pas totalement convaincantes, mais selon les dernières informations, ce ne serait pas si mal.
La production est toutefois assez modeste. Il est donc assez peu probable qu'ils arrivent jusqu'à nous.
Je suis d'accord avec vous sur le risque que l'on impute au vaccin des décès qui n'ont rien à voir avec lui. Je ne peux que répéter à ce stade qu'on a besoin pour chaque cas d'une pharmacovigilance extrêmement solide. L'ANSM est vraiment motivée. Il existera une traçabilité et un système de recueil de données pour toutes les personnes vaccinées. Il faudra communiquer, même si, je vous l'accorde, ce n'est pas facile.
On pourra s'appuyer sur les cas passés, où les imputabilités se sont révélées incorrectes. Il faudra beaucoup de pédagogie. Je ne suis pas seul. Vous aussi y participerez forcément. Il faut un engagement collectif, en premier lieu des professionnels de santé, mais aussi de la société civile, du milieu associatif et des politiques.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci pour la clarté de vos propos. On sait que le sujet est difficile. Notre commission a toujours été favorable à la vaccination. On a soutenu toutes les campagnes, quelles qu'elles soient. Il s'agit il est vrai d'un nouveau virus et de nouveaux vaccins, mais nous souhaitons qu'une vie un peu plus normale reprenne, même si nous avons bien entendu qu'il n'était pas question de voir rapidement l'épidémie disparaître.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 heures 10.
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
La réunion est ouverte à 17 h 5.
Audition de M. Jean Bassères, candidat proposé par le Président de la République à la direction générale de Pôle emploi
Mme Catherine Deroche, présidente. - En application de l'article 13 de la Constitution, nous accueillons cet après-midi M. Jean Bassères, candidat proposé par le Président de la République pour le renouvellement de son mandat à la direction générale de Pôle emploi. Je salue les commissaires qui assistent à cette réunion à distance.
Je rappelle que cette nomination ne sera effective qu'en l'absence d'opposition des commissions parlementaires compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat dans les formes prévues par la Constitution. Si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés, le Gouvernement ne pourrait pas procéder à cette nomination. À l'issue de l'audition, nous procéderons immédiatement au vote, ainsi qu'au dépouillement, de manière simultanée avec l'Assemblée nationale, qui a procédé à cette audition ce matin.
L'action de l'opérateur de l'emploi sera bien sûr plus que jamais importante dans la lutte que nous aurons à poursuivre contre le chômage.
La proposition de votre nomination s'inscrit dans la continuité.
Je vous laisse la parole pour présenter votre bilan et les perspectives que vous envisagez pour Pôle emploi dans les prochaines années, avant que nos collègues ne vous adressent leurs questions.
M. Jean Bassères, candidat à la direction générale de Pôle emploi. - Je suis très honoré de me retrouver devant vous pour candidater au renouvellement de mon mandat.
J'ose lire dans la volonté du Gouvernement de me proposer un quatrième mandat le signe d'une confiance dans la capacité de Pôle emploi à prendre sa part dans la lutte contre la crise économique et sociale que traverse notre pays. J'espère que cette confiance est la reconnaissance à l'égard de la profonde transformation engagée depuis 2012 et des résultats obtenus en conséquence, mais surtout à l'égard de la très forte mobilisation des collectifs de Pôle emploi, dont je veux saluer l'engagement et le grand professionnalisme au profit des demandeurs d'emploi et des entreprises.
Avant d'en venir aux transformations que j'envisage pour les années à venir, tant dans notre offre de services que dans notre organisation interne, je veux préciser la manière dont Pôle emploi se mobilise pour la réussite du plan de relance. Cette mobilisation est notre priorité majeure depuis l'été dernier, de manière adaptée à chaque territoire, en lien avec nos partenaires.
Nous avons trois priorités.
Notre première priorité est de contribuer au plan gouvernemental « 1 jeune, 1 solution » ; pour ce faire, nous mobilisons tous les dispositifs existants afin d'accompagner le plus intensivement possible les jeunes. Nous nous appuyons sur la possibilité d'augmenter le nombre de jeunes que nous accompagnons de façon intensive, dans le cadre de l'accompagnement intensif des jeunes (AIJ). Cela bénéficiera à 135 000 jeunes en 2020 et à 240 000 en 2021. Nous faisons la promotion des contrats d'insertion - contrats marchands ou parcours emploi compétences -, des aides à l'embauche et nous mobilisons nos actions de formation. En outre, nous rappelons systématiquement les recruteurs qui déposent une offre à destination d'un jeune sur notre plate-forme 1jeune1solution.gouv.fr et nous aurons organisé d'ici à la fin de l'année 3 000 événements de recrutement dédiés aux jeunes.
Notre deuxième priorité consiste à aider les entreprises à réduire leurs délais de recrutement. Nous nous sommes mobilisés prioritairement sur les secteurs visés par le plan de relance, en organisant dans chaque agence de Pôle emploi quatre événements mensuels, des « job datings » de la découverte de métiers ou de la promotion d'actions de formation. Nous menons avec les professions du BTP et du grand âge des actions de qualification des profils, pour répondre à leurs besoins urgents.
Le troisième volet est l'accompagnement personnalisé des demandeurs d'emploi. Pour ceux qui alternent chômage et travail, nous voulons favoriser une reprise d'emploi aussi rapide que possible. Dès l'été dernier, nous avons lancé deux nouvelles prestations prises en charge par des opérateurs privés. Pour les personnes qui ont perdu un emploi dans un secteur en restructuration, qui n'en retrouveront pas dans ce secteur à court terme, l'enjeu est de favoriser la reconversion, au travers d'ateliers pour identifier leurs compétences transférables dans un autre secteur ; les entreprises attachent maintenant beaucoup d'importance au savoir-être professionnel, que notre prestation ad hoc permet de valoriser, avec un taux de satisfaction supérieur à 95 %. Pour les plus éloignés de l'emploi - jeunes ou personnes en situation de handicap -, notre objectif est d'éviter l'enfermement dans le chômage de longue durée, grâce à des accompagnements intensifs, des formations, des emplois francs ou des parcours emploi compétences.
Nos résultats semblent assez bons ; nous atteindrons l'objectif de 135 000 jeunes accompagnés de manière intensive, grâce aux recrutements que nous avons obtenus. En ce qui concerne le grand âge, nous avons travaillé sur l'attractivité du métier et sur des parcours de formation permettant de répondre aux besoins des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et des services à domicile. Pour ce qui concerne le BTP, nous avons des relations partenariales avec les acteurs de ces professions ciblées autour de la préparation de candidats à des job datings. Le nombre d'entretiens a augmenté fortement au cours des derniers mois. Nous en attendons des résultats prochainement.
Nous devons nous adapter à la crise et nous avons eu des renforts significatifs : nous avons recruté 2 150 conseillers supplémentaires entre septembre et octobre, dont 650 qui se consacrent à l'accompagnement intensif des jeunes. Ces renforts nous permettent pour l'instant d'absorber l'augmentation de la charge, mais nous rencontrons régulièrement Mme Borne, ministre du travail, pour faire le point sur le sujet. Nous sommes donc mieux armés qu'en 2008 et nous espérons pouvoir réagir vite aux évolutions du marché du travail.
Je veux aborder maintenant mes projections pour l'avenir.
La crise que nous traversons ne doit pas remettre en cause la nécessité de continuer à transformer les services de Pôle emploi pour les rendre plus efficaces. Nous devons poursuivre nos efforts, en portant quatre ambitions.
En premier lieu, nous devons être toujours plus efficaces sur l'indemnisation. Si l'on veut sécuriser les demandeurs d'emploi et leur permettre de se consacrer pleinement à la recherche d'un emploi, il faut d'abord répondre à leurs attentes en la matière. Nous avons un socle solide ; nous avons mis en place les réformes successives de l'assurance chômage et les dispositifs d'aide exceptionnelle, tout en maintenant un niveau de qualité élevé. Les demandes d'allocation sont traitées en huit jours en moyenne.
Toutefois, nous avons devant nous des transformations majeures. Les demandeurs d'emploi peuvent contacter un conseiller référent pour l'accompagnement, mais ils n'en ont pas pour l'indemnisation ; le déploiement du conseiller référent « indemnisation », à partir d'avril 2021 doit corriger cette asymétrie. Cela permettra à nos conseillers de donner des conseils plus personnalisés et d'intervenir de manière proactive.
Par ailleurs, nous allons poursuivre le mouvement de dématérialisation, pour rendre plus efficiente la gestion des dossiers et des pièces justificatives, afin de donner aux conseillers la capacité de se consacrer pleinement au conseil. Nous devons améliorer, en lien avec l'Unédic, la gestion des trop-perçus, pour en limiter le nombre et faciliter leur traitement ; nous avons également une préoccupation de lutte contre la fraude.
En deuxième lieu, nous voulons être un service public qui accompagne chacun vers l'emploi selon ses besoins et qui accorde une attention particulière aux publics les plus touchés par la crise. Les parcours des demandeurs d'emploi sont de plus en plus discontinus et exigent un accompagnement personnalisé, surtout pour les publics fragiles touchés par la crise. L'objectif est de faire plus pour ceux qui en ont le plus besoin, au moment où ils en ont le plus besoin.
Nous avons installé des fondamentaux solides ; notre offre de services d'accompagnement est personnalisée, selon l'éloignement à l'emploi et nous avons développé un accompagnement intensif pour ceux qui sont le plus éloignés de l'emploi. Cet accompagnement mobilise plus du tiers de nos conseillers.
Notre offre de services s'est intensifiée et diversifiée grâce au numérique et aux relations partenariales que nous entretenons avec les collectivités ; je pense en particulier aux conventions de partenariat renforcé avec les départements, qui nous ont permis de mettre en place l'accompagnement global, afin d'appréhender les difficultés de retour à l'emploi et les freins sociaux. Nous avons également renforcé nos relations avec les régions.
Nous avons constaté une forte progression du nombre de retours à l'emploi, notamment de plus d'un mois et une hausse continue de la satisfaction des demandeurs d'emploi sur leur suivi. En novembre, ce taux était supérieur à 80 %.
Cela dit, nous devons également poursuivre les transformations en la matière, pour franchir un nouveau cap, en améliorant nos capacités de diagnostic ; c'est l'objet de notre projet « pack de démarrage », qui consiste à substituer à l'entretien initial de quarante minutes un programme de deux demi-journées de diagnostic avec séquences collectives et individuelles, afin de porter un diagnostic initial de meilleure qualité. C'est un sujet majeur, suspendu aujourd'hui pour des raisons sanitaires, car il repose sur des actions collectives. Il faudra le déployer quand la charge sera plus stable ; nous n'avons pas encore de calendrier précis. Nous souhaitons en outre coupler ce projet avec le Journal de la recherche d'emploi, présent dans deux régions, qui permet d'avoir des informations mensuelles sur l'évolution de la situation des demandeurs d'emploi.
Dès le premier semestre de 2021, nous mettrons en place un suivi plus numérique et plus collectif pour les demandeurs d'emploi les plus autonomes, ceux qui ont le moins besoin de nous. Nous voulons travailler sur un accompagnement ciblé sur les moments clefs.
Enfin, nous souhaitons mieux repérer les compétences transverses, afin de donner plus de corps à l'approche par les compétences, sur laquelle nous avons beaucoup avancé au cours des dernières années. C'est notamment l'enjeu de la rénovation de notre référentiel ROME, le répertoire opérationnel des métiers et des emplois.
En troisième lieu, nous voulons être un service public reconnu comme un partenaire de confiance des entreprises. Le volume d'offres d'emploi reste important, même s'il diminue et, en période de crise, on comprend encore moins qu'en période normale que des offres restent non pourvues. Nous avons mis en place des conseillers spécialisés dans la relation avec les entreprises ; c'était une forte innovation par rapport au modèle historique de Pôle emploi ; nous en comptons aujourd'hui 5 700. Nous avons développé une offre de service plus ambitieuse grâce à ces conseillers. Nous contactons, dans les trente jours, toutes les entreprises ayant déposé une offre qui n'a pas été pourvue, pour étudier la manière d'y trouver une réponse. Nous voulons également rendre plus claire notre palette de services, car elle est difficilement accessible aux entreprises.
Nous avons des résultats encourageants. Le taux de satisfaction des entreprises recourant à Pôle emploi était de 85 % en novembre dernier. Le délai de satisfaction des offres diminue : il était de trente-deux jours en octobre, soit treize de moins qu'il y a un an, même si c'est aussi lié au fait d'avoir moins d'offres.
Toutefois, nous souhaitons déployer, vers d'autres secteurs en tension, nos actions de qualification des profils pour le BTP et le grand âge. Nous souhaitons développer des groupes de travail régionaux pour faire mieux connaître notre offre de services, afin que celle-ci soit plus mobilisée par les entreprises. Nous nous appuierons également sur des outils, en cours de développement, issus de l'intelligence artificielle, afin que le conseiller puisse détecter dès le dépôt d'une offre d'emploi les difficultés potentielles de recrutement au regard du marché du travail et recommander des solutions.
Nous travaillons par ailleurs à la préparation, par les conseillers entreprises, des candidats au premier entretien de sélection ; c'est une clef du recrutement. Nous souhaitons nous appuyer sur le réseau des opérateurs de compétences (OPCO) pour mutualiser nos présences territoriales respectives.
En quatrième lieu, enfin, nous voulons nous appuyer fortement sur nos partenaires locaux afin d'enrichir notre action. Ma conviction est que Pôle emploi ne peut réussir seul ; il ne réussira que s'il s'inscrit efficacement dans un écosystème, avec des objectifs partagés avec nos partenaires. Nous devons progresser dans la contractualisation avec les départements, afin de réussir ensemble à augmenter le nombre de bénéficiaires de l'accompagnement global, conformément aux ambitions de la stratégie de lutte contre la pauvreté. Avec nos collègues du réseau Cap emploi, nous travaillons au déploiement, d'ici à la fin de l'année, d'une offre de services intégrée, au profit des demandeurs d'emploi en situation de handicap. C'est un projet de grande ampleur qui nous permettra de franchir un saut qualitatif majeur.
Nous devons simplifier le parcours des jeunes et travailler plus efficacement avec les missions locales. Le plan « 1 jeune, 1 solution » est une très belle opportunité pour le faire et, sur le terrain, des initiatives très intéressantes se font jour. L'objectif est d'intensifier, dans une logique de complémentarité et d'efficacité, tous nos partenariats : avec l'insertion par l'activité économique, avec l'Association pour l'emploi des cadres (APEC) et avec les régions, chefs de file en matière de formation professionnelle.
Avant de conclure, je veux dire un mot rapide sur l'autre volet de notre stratégie, relatif à l'organisation interne. Nous devons continuer d'innover et de tirer parti des avancées technologiques ; nous devons investir massivement dans le numérique et franchir un nouveau pas, afin de rester à la pointe de son utilisation, tout en ayant une attention soutenue à l'intégration numérique.
Deuxième enjeu interne, nous devons travailler à la performance par la confiance, qui consiste à donner le maximum de marges de manoeuvre aux acteurs locaux, pour leur permettre de soutenir les innovations.
Enfin, comme opérateur public important, nous avons une responsabilité sociale et environnementale, avec deux priorités : l'accessibilité de nos services - l'accessibilité physique est intégrale, nous devons progresser en matière d'accessibilité numérique - et notre impact environnemental pour diminuer notre empreinte carbone.
J'en termine en vous disant ma conviction : Pôle emploi peut se mettre au service des élus et de leurs priorités. J'en suis persuadé, la mobilisation des collègues de Pôle emploi dans cette crise est remarquable ; je salue de nouveau, devant vous, leur engagement et leur professionnalisme.
M. Philippe Mouiller. - Je m'associe à votre hommage aux collaborateurs de Pôle emploi. La situation est très compliquée et leur rôle est crucial.
On observe, dans les territoires, des situations économiques difficiles, avec des dépôts de bilan ou des plans de sauvegarde de l'emploi, mais on constate aussi, parallèlement, les difficultés de certaines entreprises à recruter. Ce n'est pas nouveau, mais c'est encore plus paradoxal avec la crise. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ne se fait pas en un instant, mais Pôle emploi doit accélérer la reconversion des salariés qui se retrouvent sans emploi. Dans ma région, l'ouest de la France, une entreprise sur trois ou quatre n'arrive pas à recruter. Que comptez-vous faire ?
Par ailleurs, vous avez évoqué le rapprochement avec Cap emploi et les initiatives sur l'emploi des travailleurs handicapés. Sur l'inclusion numérique de Pôle emploi, il y a encore beaucoup de travail, car un demandeur d'emploi qui ne peut pas utiliser seul internet est en difficulté. En outre, les travailleurs handicapés sont souvent les premiers concernés en cas de difficulté ou de non-reconduction de contrat. Il y a des démarches fortes du Gouvernement vis-à-vis des grands groupes, mais les PME sont en difficulté pour avoir la connaissance des possibilités de recrutement de travailleurs handicapés. Dans cette période très difficile, quels efforts particuliers pensez-vous mettre en place pour accompagner les travailleurs handicapés ?
Mme Jocelyne Guidez. - Je suis satisfaite de l'action de Pôle emploi dans mon territoire, mais j'ai été troublée d'apprendre que cet organisme recourait à des volontaires du service civique pour assurer des tâches de conseillers. Cela me semble être une dérive. Qu'en pensez-vous ?
Mme Monique Lubin. - Combien d'allocataires un conseiller de Pôle emploi suit-il ? Peut-il avoir un suivi humain ? Ne sommes-nous pas dans une politique du chiffre ?
Par ailleurs, la presse s'est fait l'écho d'une politique de gestion des ressources humaines peu respectueuse des personnes et du bien-être au travail. Qu'allez-vous faire pour y remédier ?
Depuis quelque temps, on assiste à un phénomène de yoyo dans les effectifs ; on alterne périodes de réduction et périodes d'augmentation du nombre d'emplois à Pôle emploi. C'est bien d'augmenter les recrutements quand on en a besoin, mais je crains que l'on ne recrute pas toujours des personnes formées. On doit voir arriver aujourd'hui à Pôle emploi des gens qui ne pensaient pas perdre leur emploi voilà un an et qui ne sont pas habitués à cette situation. Les conseillers recrutés en CDD sont-ils formés ?
La dématérialisation, c'est bien, mais il y a encore beaucoup de monde sur le bord de la route. Je pense que l'on a atteint un palier ; il y a des situations de blocage, par forcément chez les plus âgés ou les moins instruits, car il y a de moins en moins d'humain. Ne faut-il pas recréer des outils pour réintroduire de l'humain ?
Enfin, vous avez évoqué le plan Jeunes, très bien, mais qu'en est-il des seniors ?
M. Laurent Burgoa. - Je veux parler de l'action de Pôle emploi dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Dans ces quartiers, la population de moins de 25 ans représente plus de 50 % de la population et le taux de chômage dépasse 50 %. Quelles décisions Pôle emploi pourrait-il prendre à l'égard de cette population ? Envisagez-vous de remettre des agences dans ces quartiers ? Si ce n'est pas possible, ne faut-il pas accroître les partenariats publics-privés avec les associations qui sont les dernières structures de service public dans ces quartiers ?
M. Jean Bassères. - Nous avons encore des difficultés de recrutement, même si le volume des offres a diminué. Dans cette situation de chômage important, c'est un paradoxe, que nous avons beaucoup de mal à expliquer, et qui suscite d'ailleurs des analyses parfois très critiques. La réponse est d'agir au plus près du terrain, en travaillant sur les compétences. Au-delà des compétences techniques, les chefs d'entreprise cherchent de la motivation et du savoir-être professionnel. Nous devons faire connaître des métiers, surtout ceux qui ont du mal à recruter, en expliquant quelles sont les conditions de travail, au besoin en faisant venir des personnes qui exercent ces métiers. Enfin, il y a des déséquilibres territoriaux frappants. Dans le Choletais, nous avons été associés à une action consistant à aller chercher des compétences dans d'autres régions. Il faut monter des dispositifs ambitieux pour aller au-delà de la mobilité résidentielle.
Notre objectif premier est de convaincre les entreprises que nous sommes là pour elles. Celles qui travaillent avec nous affichent un taux de satisfaction de 85 %. Il reste une marge de progrès.
Sur la situation des handicapés, il y a aussi un paradoxe, puisque les entreprises ont une obligation légale et se demandent parfois comment la remplir. Nous avons beaucoup travaillé sur la question. Une solution est le rapprochement avec le réseau Cap emploi. Certains de nos conseillers doivent être capables d'expliquer à des PME ou à des TPE ce que veut dire l'embauche d'une personne en situation de handicap, afin d'aider à vaincre des stéréotypes. Nous espérons ainsi susciter des recrutements. Mais les dispositifs anti-discrimination interdisent à une entreprise de publier une offre spécifiant son désir de recruter une personne en situation de handicap...
Les volontaires du service civique à Pôle emploi ont été représentés dans un reportage de Cash Investigation, émission qui a tendance à ne retenir que les témoignages qui confirment ses thèses. Nous sommes le deuxième opérateur qui recourt aux volontaires du service civique : entre 3 000 et 4 000 par an. Nous l'avons fait dans le cadre de la numérisation de nos services, car nous avons rendu obligatoire l'inscription à Pôle emploi par numérique. Cela nous a imposé de laisser la possibilité à ceux qui ne maîtrisent pas le numérique de venir en agence pour travailler avec les outils numériques. Or l'ambition des volontaires du service civique est de prendre un engagement sociétal au profit, notamment, des personnes en difficulté. Aider des personnes à acquérir des compétences numériques dans les agences pour l'emploi, cela répond à l'objectif de la mission, à mon sens.
Le reportage a pointé un cas où un volontaire du service public fait autre chose. Ce n'est pas normal, sans aucun doute. En principe, dans nos agences, les volontaires sont dans les halls d'accueil, portent des gilets bleus et font une activité qui est conforme à la mission. Leur activité rend service aux demandeurs d'emploi, sans être une activité de conseillers : ils ne touchent pas à notre coeur de mission.
Lorsqu'on interroge ces jeunes en service civique sur leur satisfaction vis-à-vis de Pôle emploi, ils sont satisfaits à hauteur de 80 %. Et quand on regarde ce qu'ils deviennent quand ils ont fini leur mission de service civique, ils sont à 70 % en emploi, en formation, ou ont repris leurs études. Nous sommes donc parfaitement cohérents avec la mission du service civique. Il ne faudrait pas qu'un cas particulier jette l'opprobre sur l'ensemble du dispositif. Je vous suggère d'ailleurs de regarder les tweets qui ont été publiés le soir de l'émission : beaucoup critiquaient le reportage. Et, deux jours après, dans Ouest-France, un article témoignait de l'expérience de trois volontaires du service civique, de manière rassurante pour l'image des services publics à Pôle emploi.
La taille des portefeuilles, loin d'être secrète, est publiée. Il y a plusieurs catégories de portefeuilles, puisque notre stratégie a été de différencier l'accompagnement. L'accompagnement renforcé est supposé traiter la situation de ceux qui sont le plus en difficulté. L'accompagnement global ajoute une dimension liée aux travailleurs sociaux des départements. Et, à l'autre bout de la chaîne, il y a ce que l'on appelle le suivi, pour des gens qui sont autonomes, avec un accompagnement très numérique.
En accompagnement global, un conseiller, en moyenne nationale, traite 60 demandeurs d'emploi. En accompagnement renforcé, ce chiffre monte à 92. En accompagnement guidé, il est de 200, et en suivi, de 350. Ce dernier chiffre ne me choque pas, et pourrait même être augmenté, puisqu'on s'adresse à des personnes qui sont autonomes, auxquelles on peut répondre si elles ont un problème, mais qui n'ont pas besoin d'un accompagnement régulier. Ces personnes ont besoin de Pôle emploi d'abord pour leur indemnisation, et pour répondre à des questions. Avec un suivi plus numérique et un réseau social interne qui met en relation les demandeurs d'emploi entre eux, on peut aller au-delà de 350. En suivi renforcé, le chiffre de 92 me paraît dans la limite haute. Et sur le suivi guidé, c'est trop : un conseiller ne peut connaître parfaitement un portefeuille de 200 personnes !
Nous devons fournir à nos conseillers le moyen de mieux connaître leur portefeuille en fonction d'outils que nous leur donnerons. Dans le journal de la recherche d'emploi que nous mettons en place en Bourgogne-Franche-Comté, les demandeurs d'emploi nous indiquent ce qu'ils font : nous sommes alors capables de leur suggérer des services et de repérer ceux qui sont en train de décrocher, par exemple s'ils ne déclarent plus rien pendant trois mois.
Nous ne sommes pas dans la politique du chiffre. Notre objectif est le taux de satisfaction, ce qui exclut de faire du chiffre.
Vous évoquez les conditions de travail à Pôle emploi. Que voulez-vous dire ? Nous mesurons la qualité de vie au travail et réalisons un investissement très fort de formation, à hauteur de cinq jours par agent en moyenne. Nous sommes très vigilants sur la qualité de vie au travail, et nous avons un dispositif de prévention des risques psychosociaux, avec des lignes d'écoute. Je n'ai pas le sentiment que, en matière de politique sociale, vu les investissements que nous y consacrons, il y ait des problèmes particuliers. Pour celles et ceux qui ont été recrutés depuis juillet, par exemple, et qui sont au nombre de 2 150, nous prévoyons douze semaines de formation et un tutorat. Un certain nombre de ces CDD de dix-huit mois se transformeront en CDI. C'est un investissement nécessaire et utile.
Sur le numérique, je suis d'accord avec vous. Nous essayons d'avancer sur deux jambes : il faut travailler sur les services numériques, parce que ceux qui maîtrisent le numérique en ont besoin, et que cela dégage du temps pour nos conseillers. Et il faut travailler sur la fracture numérique. Au-delà des volontaires du service civique, nous réalisons un diagnostic des difficultés, en utilisant des outils qui ont été conçus par d'autres, et en mettant en place des ateliers de formation à la maîtrise des outils numériques de Pôle emploi, et des ateliers pour former à l'utilisation du numérique pour la recherche d'emploi. Nous avons des partenariats très forts avec Emmaüs Connect.
Le premier enjeu de l'emploi des seniors, c'est que les
seniors restent en emploi. Pour la reprise d'emploi, il faut combattre les
stéréotypes. Et c'est notre rôle d'essayer de les
combattre. Je ne pense pas qu'il faille créer des conseillers
spécialisés pour les seniors
- même si cette
question fait débat au sein de Pôle emploi. Les seniors à
Pôle emploi ont leur conseiller comme les autres, et
bénéficient de nos outils. En revanche, beaucoup d'agences
lancent des initiatives et créent des clubs seniors, ce qui impulse une
dynamique. Notre stratégie est de laisser les agences prendre le maximum
d'initiatives. Nous cherchons celles qui, pour les seniors, produisent le plus
d'efficacité. Pour autant, on sait bien qu'une fois que l'on est senior
et que l'on est inscrit à Pôle emploi, les chances de retrouver un
emploi sont plus faibles, pour différentes raisons.
Sur les QPV, un premier élément de réponse se trouve dans l'allocation des moyens au sein de Pôle Emploi. Nous répartissons les effectifs entre régions, et les régions les répartissent entre agences. Nous avons toutefois un mécanisme qui permet d'attribuer plus de moyens là où il y a des volumes significatifs de personnes en politique de la ville. Une des réponses à la question du traitement de ces jeunes, c'est de s'assurer que leurs agences ont plus de moyens que les autres. L'enjeu est moins de créer de nouvelles agences dans ces quartiers que de parvenir à aller vers les personnes concernées. Outre les inscrits, il y a les invisibles, et cela nous préoccupe. La réponse passe par un travail avec les associations, et par le déplacement physique de Pôle emploi. Dans quelques régions, nous créons une place de l'emploi, sous forme de chapiteaux qu'on peut monter, par exemple dans un centre commercial, et dans lesquels nous présentons tous nos services avec nos partenaires.
Je suis depuis fin 2011 à Pôle emploi. Je n'ai pas connu beaucoup d'années où l'on y a supprimé des emplois. Quand il y a eu des suppressions, c'était à hauteur de 395 ou 400 emplois. Depuis une longue période, on est plutôt en augmentation d'effectifs. Est-il anormal de se dire que, lorsque la charge augmente, on recrute pour une durée correspondant à l'augmentation de la charge ? C'est ce qu'on essaie de faire, en négociant avec les syndicats le recrutement, en cas d'à-coups conjoncturels, de CDD de dix-huit mois - avec la formation nécessaire. Je ne vois pas pourquoi on ne recruterait qu'en CDI si nous avons des variations de charges. Quel est l'organisme, public ou privé, qui étalonnerait ses ressources sur les pics d'activité ? Il faut simplement s'assurer que le socle fait face aux besoins récurrents - et je crois que c'est le cas.
Mme Catherine Conconne. - Je suis originaire, et élue, de la Martinique, pays particulier, avec le taux de chômage que vous savez. Les origines de ce chômage sont connues : mal-développement, petit marché... Dans le service rendu par Pôle emploi, je reconnais que d'énormes progrès ont été réalisés depuis plusieurs années : ouverture d'agences, proximité plus grande... Vous avez parlé d'appel à des opérateurs privés. Qu'en est-il ? Sur notre territoire, 30 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Or les équipements numériques coûtent cher - et il y a encore des zones blanches. Allez-vous consacrer des moyens à un accroissement encore plus fort de la proximité ? Nous avons plus de 50 000 chômeurs sur une population active de 150 000 personnes.
Je voulais vous parler aussi de notre directeur régional, qui est un Martiniquais. Pour nous, cela a du sens, parce qu'il faut savoir que, dans l'essentiel de l'administration française, les hautes fonctions ne sont pas tenues par des autochtones, ce qui pose parfois énormément de problèmes et engendre beaucoup de frustration dans la population. Je comprends que ce ne soit pas 100 %, mais à 95 %, cela devient frustrant et gênant - et cela fait partie des revendications de notre population qu'il y ait plus d'accès pour les Martiniquais aux hautes fonctions de l'administration, ou du secteur parapublic, comme Pôle emploi.
Or, justement, le directeur régional Antoine Denara en fonctions depuis sept ans est excellent. Martiniquais, il a bien compris l'approche culturelle des Martiniquais face à l'emploi, au travail, à l'économie informelle, sur la proximité... Il sait comment s'adresser aux gens, quels sont les canaux de communication. Je n'aimerais pas que cette dynamique dans laquelle nous sommes installés, et qui montre des signes intéressants, soit brutalement arrêtée, comme c'est souvent le cas, parce que l'administration française est très éprise de turn-over, en expédiant ce directeur quelque part, et en nous envoyant quelqu'un qui va redécouvrir le pays, nos moeurs, notre société et nos difficultés, et qui ne sera peut-être pas assez dynamique. Nous sommes déconfinés depuis une semaine et l'activité touristique reprend peu un peu, ce qui est une source d'emplois importante chez nous. J'aimerais donc vraiment que l'on fasse le maximum d'efforts pour nous conserver notre directeur général.
Un Martiniquais comprend mieux la Martinique : certes, nous sommes Français, mais nous avons aussi une identité martiniquaise très marquée, par notre histoire, avec une manière d'être, etc. Antoine Denara a très bien compris comment fonctionner avec nous, qu'il s'agisse des élus, des demandeurs d'emploi ou de l'administration. Il multiplie les initiatives qui collent parfaitement avec nos manières de faire. Bien sûr, c'est l'administration qui décide, mais je recommande très fortement qu'on nous laisse encore pour quelque temps notre directeur général. Il a une meilleure compréhension de notre énorme file d'attente de demandeurs d'emploi.
M. René-Paul Savary. - Sur l'emploi des seniors, j'avais rédigé un rapport avec Mme Lubin. Merci d'avoir exposé votre politique en la matière. Nous avions relevé dans le rapport qu'il était intéressant pour les entreprises de miser sur la formation des seniors, dès lors qu'il y avait une négociation avec eux, pour savoir le moment de leur départ en retraite, de façon à prévoir une période d'adaptation, pendant laquelle ils restent dans l'entreprise. Cela vaut le coup de miser sur les seniors, parce qu'ils ont tendance à être fidèles et à rester dans l'entreprise. Qu'en pensez-vous ? Vous laissez place à des initiatives locales, telles que le club senior. C'est tout à fait intéressant. Est-ce à dire que vous allez travailler sur davantage de décentralisation, comme nous l'avions proposé au moment de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) ? Nous suggérions que les services de l'emploi aillent jusqu'aux régions, qui avaient la responsabilité du développement économique, de l'enseignement supérieur, de l'apprentissage, à l'époque, et de la formation professionnelle. Avec le savoir-faire que vous nous avez décrit, une organisation territoriale pourrait être intéressante pour les régions qui souhaitaient se mobiliser. Y a-t-il des expériences locales de rapprochement de la compétence sur l'emploi avec celles des régions ?
Mme Frédérique Puissat. - Je m'associe aux remerciements adressés aux personnels de Pôle emploi, qui ont été mis à contribution pendant cette période ; ils côtoient des gens qui sont en grande difficulté, ce qui ne va pas sans une charge émotionnelle forte.
Nous avons souvent l'occasion de vous rencontrer, monsieur le directeur général : dès lors que nos travaux concernent Pôle emploi, vous répondez toujours présent. C'est la marque d'un grand respect pour le Parlement.
Vous avez fait état des ambitions de Pôle emploi pour les trois ans à venir. Votre action - j'en suis convaincue - va permettre d'améliorer l'efficacité du service public de l'emploi, mais aussi l'image de Pôle emploi, qui est quelque peu écornée. OEuvrer en faveur d'un rapprochement avec les territoires me semble d'ailleurs une bonne méthode pour améliorer cette image et cette efficacité.
Vous avez évoqué le rapprochement avec les opérateurs de compétences et avec les départements et régions. Je sais que la régionalisation de Pôle emploi est le grand dada, notamment, de Régions de France. Pouvez-vous nous donner un aperçu objectif des perspectives de rapprochement avec les départements et les régions ?
Par ailleurs, les ressources financières de Pôle emploi sont fortement liées aux recettes de l'assurance chômage, avec un décalage de deux ans. La crise sanitaire aura donc un impact fort sur ces ressources en 2022. Comment Pôle emploi compte-t-il faire face aux conséquences de l'endettement de l'Unédic ?
Une dernière question : les ministres Élisabeth Borne, Olivier Véran et Brigitte Klinkert sont sur le point d'annoncer le déploiement du service public de l'insertion et de l'emploi sur trente nouveaux territoires. Comment Pôle emploi va-t-il se situer dans ce cadre ?
Mme Catherine Procaccia. - Devant nos collègues de l'Assemblée nationale, vous avez évoqué une « impasse budgétaire » ; c'est en effet un grand défi.
Certaines personnes perdent leur emploi sans que l'entreprise leur fournisse ce fameux document dont elles ont besoin, l'attestation employeur. Qu'en est-il ? Avec la crise du covid-19 et la fermeture de nombreuses entreprises, la fourniture de ce formulaire de licenciement ou de fin de contrat a-t-elle posé des problèmes particuliers ?
Vous avez parlé de l'opération « 1 jeune 1 solution ». Pour ma part, j'ai rencontré plusieurs petites entreprises ou start-up qui proposent à des étudiants des jobs courts correspondant à des missions temporaires, sous statut d'autoentrepreneur, ce qui convient à bon nombre de jeunes. Les conseillers de Pôle emploi évoquent-ils cette piste auprès des jeunes qu'ils reçoivent ?
M. Olivier Henno. - Sur le terrain, les progrès dans le fonctionnement de Pôle emploi ont été considérables. J'ai en mémoire, en tant qu'élu au département chargé du retour à l'emploi des allocataires du revenu de solidarité active (RSA), la qualité du partenariat avec Pôle emploi, en matière d'accompagnement global notamment.
Une crise de l'ampleur de celle que nous vivons provoque une destruction et une création de valeur, donc des évolutions dans la structure de l'emploi. Avez-vous une réflexion stratégique sur ces évolutions, s'agissant de la reconversion des salariés en particulier ?
Une question plus précise sur votre organisation interne et sur les ressources humaines : la Cour des comptes avait préconisé, dans un rapport, une augmentation de la durée du temps de travail chez Pôle emploi. Où en êtes-vous sur ce point ?
M. Jean Bassères. - Je souhaite rassurer Mme Conconne : j'ai moi aussi beaucoup de respect pour Antoine Dénara ; mais sept ans, c'est raisonnable. Son travail est remarquable, mais il est nécessaire d'organiser la mobilité des directeurs régionaux et le changement à la tête des structures. Cela dit, nous sommes très attentifs à ce que des cadres ultramarins trouvent chez Pôle emploi des perspectives de carrière. Le jour où Antoine Dénara sera obligé, en vertu de notre politique de gestion classique, de quitter sa direction régionale, nous lui trouverons un successeur de grande qualité - c'est là le seul engagement que je puisse raisonnablement prendre devant vous.
Vous avez évoqué les opérateurs privés de placement ; bien qu'étant un homme de service public, je n'ai aucune aversion a priori en la matière. Pôle emploi n'hésite pas à travailler avec des partenaires privés, sur l'aide à la création d'entreprises en particulier : notre travail est de faire connaître cette possibilité à des demandeurs d'emploi ; mais nos partenaires sont mieux placés que nous pour les aider à bâtir un business plan.
Autre exemple : les prestations que nous avons mises en place à l'été à destination des personnes qui sont proches de l'emploi sont externalisées à des acteurs privés, dans une logique de partenariat. Nous réfléchissons ensemble, avec ces acteurs, à l'évolution de notre offre de services : ce n'est pas une relation de sous-traitance, mais un partenariat qui répond à une logique de spécialité.
Concernant les difficultés de la couverture numérique dans les Antilles, je les connais bien. Une bonne nouvelle, néanmoins : nous avons récemment organisé, en Martinique, un salon en ligne ; l'opération a très bien marché.
M. Savary m'a interrogé sur les seniors. Pôle emploi incite les seniors à se former, mais un phénomène d'autocensure est à l'oeuvre : il faut les convaincre. Nous avons observé que le recours à la formation professionnelle décroissait avec l'âge des demandeurs d'emploi.
Madame Puissat, vous me demandez d'évoquer la régionalisation et la décentralisation de Pôle emploi. C'est un sujet politique, qui relève du Gouvernement et du Parlement ; je vais donc m'élever au-dessus de ma condition, et vous donner un sentiment personnel : je trouve que c'est une mauvaise idée. Pôle emploi, ce sont 55 000 collaborateurs, sous statut de droit privé à 98 % ; régis, donc, par une convention collective nationale. La régionalisation serait, de ce point de vue, difficile. Un problème analogue se pose pour les systèmes d'information. Mes collaborateurs ont vécu la fusion ; ce n'est pas facile, une fusion : ça prend quatre ou cinq ans. Passer du temps sur une « dé-fusion », je ne le conseille pas.
Par ailleurs, si je comprends la logique consistant à unifier au niveau régional les politiques du développement économique, de la formation et de l'emploi, je n'ai jamais compris comment, dans un tel cadre, on traitait l'indemnisation. On me répond que l'indemnisation resterait nationale ; cela signifie-t-il qu'on recréerait la bipartition entre l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) et les associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Assedic) ? Si la réponse est non, et s'il faut négocier avec chaque région les conditions de la mise en oeuvre de chaque convention d'assurance chômage, le système promet d'être complexe : ce n'est pas réaliste. J'ignore comment articuler un régime d'assurance chômage par définition national avec une régionalisation du service public de l'emploi, sauf à dénationaliser l'assurance chômage.
Troisième observation : l'enjeu n'est pas la région, mais le bassin d'emploi. D'un point de vue opérationnel, ce qui importe avant tout, ce sont les discussions de Pôle emploi avec les intercommunalités. Les régions sont compétentes en matière de formation professionnelle ; mais le quotidien, ce sont les communes, les intercommunalités, le bassin d'emploi.
Regardez ce qui se fait à l'étranger : quels pays européens ont fait le choix de décentraliser leur service public de l'emploi ? L'Allemagne, dont la tradition décentralisatrice n'est pas à prouver, a-t-elle une Bundesagentur für Arbeit pour chaque Land ? Non : il s'agit d'une administration nationale ! On sait bien que l'État a besoin d'un opérateur national sur lequel il peut s'appuyer sur l'ensemble du territoire.
À titre personnel, donc, je suis opposé à la décentralisation de Pôle emploi : c'est une fausse bonne idée, dont je comprends néanmoins la persistance dans le débat public. Je souhaite simplement que la question soit un jour clairement tranchée.
En revanche, nous sommes tout à fait favorables à un leadership de la région en matière de formation professionnelle ; votre assemblée avait d'ailleurs voté une disposition en ce sens. Des expérimentations sont en cours pour créer des structures pilotées par la région sur des sujets opérationnels, et je pense qu'il faut travailler avec les régions dans leurs champs de compétences. Nous avons par exemple d'excellentes relations avec la région Grand Est.
Sur le déficit d'image dont souffre Pôle emploi, je suis malheureusement d'accord avec vous. À nous de convaincre par nos résultats, et de faire de la communication positive. Nous avons essayé de le faire via des séquences de conseils pratiques, Une minute pour l'emploi, diffusées sur France 3 après Plus belle la vie.
Les OPCO, c'est pour nous un chantier très important. Nous voulons vraiment développer avec eux un partenariat. Pour le financement des préparations opérationnelles à l'emploi individuelles (POEI), nous leur donnons notre accord de principe, pour éviter les aléas administratifs. Ils forment, au sein des TPE et des PME, un vrai réseau ; nous avons donc besoin de connaître leur offre de services comme ils ont besoin de connaître la nôtre.
Un mot sur le budget 2022 : 75 % de nos recettes sont assises sur les encaissements Unédic de l'année n-2. Nous devons anticiper la baisse certaine de la contribution Unédic, mais nous avons un peu de temps. Des moyens très importants nous sont accordés par l'État au titre du budget 2021 : 500 millions d'euros supplémentaires. Mais le sujet de l'endettement de l'Unédic est un vrai sujet, identifié comme tel.
Concernant le lancement d'un appel à manifestation d'intérêt visant à mettre en oeuvre le service public de l'insertion et de l'emploi (SPIE), nous souhaitons participer aux réflexions locales. J'attends de ces expérimentations qu'elles nous permettent de dégager des solutions opérationnelles et faciles pour mettre en relation les acteurs.
Madame Procaccia, vous avez évoqué l'attestation employeur, dont la loi impose la remise au demandeur d'emploi. Je vous rassure : nous n'avons pas identifié de difficultés particulières en la matière pendant l'épisode covid-19. Bonne nouvelle : la déclaration sociale nominative est en train de monter en puissance ; nous pourrions bientôt nous passer de ce document, puisque nous saurions l'extraire automatiquement. Reste la question de la matérialisation de l'attestation, mais elle concerne moins Pôle emploi que l'employeur et le salarié.
Nous essayons d'encourager la création d'entreprises, mais sans focus particulier sur l'auto-entreprenariat, qui donne souvent lieu à des polémiques.
Monsieur Henno, je suis bien conscient de la situation remarquable du Nord quant à ses relations avec Pôle emploi ; je vous sais gré d'avoir oeuvré au développement de l'accompagnement global à une époque où peu de départements s'engageaient. La reconversion est un sujet majeur, au-delà même de la crise. Élisabeth Borne a des projets ambitieux pour organiser les transitions professionnelles d'entreprise à entreprise. Certains secteurs vont rencontrer des difficultés structurelles ; d'autres vont avoir besoin d'embaucher ; comment organise-t-on cette transition avant même le passage par Pôle emploi ?
Un mot du rapport de la Cour des comptes : lorsque Pôle emploi a été créé, un accord social a été conclu en vertu duquel les conseillers de Pôle emploi ont cinq jours de congés supplémentaires par rapport à la durée légale. La Cour a pointé aussi un taux d'absentéisme plus élevé que dans le secteur privé ; il est vrai que ce métier est particulièrement exigeant, et que certaines situations peuvent expliquer des absences. Mais nous y travaillons ; en 2019, nous avons réussi à stabiliser ce taux d'absentéisme. Si l'on veut faire évoluer le temps de travail, en revanche, il faut renégocier un accord ; la priorité du moment n'est pas de remettre en cause la convention collective.
Mme Catherine Procaccia. - Je fus rapporteur du projet de loi relatif à la réforme du service public de l'emploi ; je me permets donc de préciser que cet accord sur les congés était, parmi d'autres, une condition sine qua non préalable à la fusion entre l'ANPE et les Assedic ; les syndicats avaient su se montrer très fermes.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous vous remercions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site internet du Sénat.
Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean Bassères à la direction générale de Pôle emploi
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous allons maintenant procéder au vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean Bassères à la direction générale de Pôle emploi.
Ce vote se déroule à bulletins secrets, comme le prévoit l'article 19 bis du Règlement du Sénat. En application de l'article 3 de la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, les délégations de vote ne sont pas autorisées.
La commission procède au vote puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean Bassères à la direction générale de Pôle emploi, simultanément à celui de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale :
Nombre de votants : 12
Nombre de suffrages exprimés : 12
Pour : 11
Contre : 1
La réunion est close à 18 h 30.