Lundi 20 avril 2020
- Présidence de M. Cédric Perrin, vice-président -
La téléconférence est ouverte à 14 h 35.
Audition de MM. Pierre-Marie Girard, directeur international de l'Institut Pasteur, et Amadou Sall, directeur de l'Institut Pasteur de Dakar, référent de l'Union africaine pour la crise du Covid-19, sur la pandémie de Covid-19 en Afrique (en téléconférence)
M. Cédric Perrin, président. - Je vous prie d'excuser le président Christian Cambon, qui est retenu.
Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Pierre-Marie Girard, directeur international de l'institut Pasteur, professeur à la faculté de médecine de la Sorbonne et chef de service des maladies infectieuses et de médecine tropicale à l'hôpital Saint-Antoine, et M. Amadou Sall, directeur de l'institut Pasteur de Dakar, où il a travaillé pendant vingt-cinq années en tant que chercheur, responsable d'unité puis directeur scientifique, avec une longue expérience de terrain notamment lors de la grave épidémie du virus Ebola en 2013-2014. M. Sall est actuellement référent de l'Union africaine pour la crise du Covid. Messieurs les directeurs, nous vous sommes reconnaissants de prendre de votre temps si précieux pour faire le point avec nous.
Chacun connaît les instituts Pasteur qui forment un réseau de trente-deux établissements, dans vingt-cinq pays, avec, pour missions, la recherche, en particulier face aux agents infectieux, la santé publique, la formation, l'innovation et le transfert technologique. Ce sont donc des acteurs incontournables dans la gestion des épidémies et la production de vaccins.
Nous nous penchons aujourd'hui sur la situation de l'Afrique face au coronavirus. Le nombre de cas y reste certes limité, en partie du fait du manque de moyens de détection : on dénombre ainsi environ 16 000 cas et 800 morts à l'échelle du continent. Par ailleurs, de nombreux pays africains ont réagi de manière précoce et coordonnée, notamment au travers du Centre africain de prévention et de lutte contre les maladies de l'Union africaine (CDC Afrique). Enfin, la mobilisation, à laquelle notre pays a contribué en première ligne, des bailleurs bilatéraux et multilatéraux et l'annonce d'un moratoire sur la dette des pays viennent apporter une bouffée d'oxygène.
Nos inquiétudes restent néanmoins très fortes sur la capacité du continent à faire face à l'épidémie. Très peu de respirateurs et de lits de réanimation seraient actuellement disponibles dans les pays les plus fragiles. De nombreux États n'ont pas les moyens d'augmenter massivement leurs dépenses de santé et risquent de se trouver rapidement à bout de souffle financièrement, ce qui pourrait aussi avoir des conséquences néfastes sur la lutte contre les autres maladies graves. Nous redoutons également les obstacles à la stratégie de confinement.
Dans ce contexte, nous aimerions vous entendre à la fois sur le rôle des instituts Pasteur sur le continent, sur les moyens mobilisés par la France pour aider les systèmes de santé en Afrique, et sur les actions spécifiquement mises en place par l'institut Pasteur de Dakar pour répondre à la crise et leur articulation avec les plans mis en oeuvre par l'Union africaine.
Je laisse la parole à M. Girard puis à M. Sall pour une intervention liminaire, avant de solliciter nos deux rapporteurs de l'aide publique au développement, M. Jean-Pierre Vial et Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Je laisserai MM. les directeurs leur répondre, avant de donner la parole à un orateur par groupe politique.
M. Pierre-Marie Girard, directeur international de l'institut Pasteur. - Je remercie votre commission de se pencher sur la situation africaine en cette période difficile. Le réseau des instituts Pasteur compte trente-deux instituts, sur les cinq continents. L'institut Pasteur de Paris est connu pour sa mission de recherche, mais il anime aussi le réseau des instituts, qu'ils soient en métropole, dans les outre-mer ou à l'étranger, singulièrement en Afrique où l'on compte dix instituts si l'on inclut celui de Madagascar.
Ces instituts sont très divers, et certains sont axés vers des missions de très haute technologie, comme ceux de Hong Kong ou de Shanghai. La force du réseau est de faire travailler ensemble ces entités. Le partage des actions et la solidarité entre les instituts sont des valeurs fondatrices du réseau.
En Afrique, les instituts se trouvent dans les trois pays du Maghreb - Maroc, Algérie, Tunisie -, au Sénégal, en Guinée, au Niger, en Côte d'Ivoire, au Cameroun, en République centrafricaine et à Madagascar. Chaque institut a une mission de recherche et des activités de santé publique, c'est-à-dire des actions menées pour protéger les populations, en agissant sur la santé, en préparant l'éventuelle survenance d'épidémies et en étant présent lorsque malheureusement elles se développent. La formation est également importante : il n'y a pas de recherche sans formation, et vice-versa. Certains instituts mènent également des travaux importants dans le domaine de l'innovation et des transferts technologiques.
Les instituts Pasteur sont des établissements nationaux autonomes, qui, sous des structures juridiques variables, appartiennent au pays dans lesquels ils sont situés. Très bien insérés dans le tissu international, ils sont souvent des centres de référence pour leur pays, et des centres de collaboration pour l'Organisation mondiale de la santé (OMS), auprès de laquelle le réseau est représenté.
L'institut Pasteur en France est une fondation privée, qui a des liens étroits avec les établissements de recherche publics. Un appui important est apporté par le ministère de la recherche et par celui de l'Europe et des affaires étrangères.
M. Amadou Sall, directeur de l'institut Pasteur de Dakar. - Je vous remercie d'avoir invité l'institut Pasteur à évoquer le sujet de l'épidémie du Covid.
Les instituts Pasteur en Afrique sont l'exemple d'une coopération réussie, c'est-à-dire durable : plusieurs instituts sont centenaires. Ils ont permis de faire émerger une élite locale scientifique, ce qui a contribué à renforcer les compétences sur le continent, particulièrement en Afrique francophone. Grâce à leurs plateaux techniques, ils sont le « réceptacle » d'une diaspora formée à l'étranger. Ils ont contribué à la mise en place progressive d'un écosystème important pour le niveau local : par exemple, l'institut Pasteur de Dakar a, dans les domaines des services, de la production de vaccins, de la recherche et de la formation, permis l'émergence d'un écosystème unique qui permet de lutter contre les épidémies et d'apporter une aide au système de santé du pays. Leur démarche repose toujours sur une priorité locale.
Les instituts ont obtenu des résultats scientifiques majeurs, comme la mise au point de vaccins encore utiles aujourd'hui. Ils jouent un rôle majeur dans le cadre de l'épidémie. L'institut de Dakar s'est vu confier, au travers de trois institutions - le CDC Afrique, l'OMS, l'Organisation ouest-africaine de la santé -, une mission régionale d'appui à un certain nombre de laboratoires d'autres pays. Durant la phase de préparation de l'épidémie, seuls deux laboratoires pouvaient faire le diagnostic du Covid-19. Nous avons organisé des sessions de formation, qui ont permis de doter une quarantaine de pays, dont vingt-cinq par l'institut Pasteur de Dakar, de cette compétence, grâce à la formation et à la fourniture de tests.
La stratégie adoptée est de chercher à détecter la plupart des cas et à assurer leur suivi, ainsi que celui des personnes avec lesquelles ils ont été en contact. Il faut s'organiser pour que l'extension de l'épidémie reste dans la limite des capacités des systèmes de santé. Les instituts Pasteur jouent ainsi un rôle important non seulement par leur capacité de diagnostic, mais aussi par leur rôle dans l'investigation des cas, la recherche, la communication et la compréhension des canaux de transmission.
La recherche est vraiment essentielle. Les travaux de l'institut Pasteur de Dakar devraient permettre de mettre en place rapidement des outils de diagnostic, grâce à un programme lancé il y a un an. Le travail en réseau des instituts Pasteur permet de suivre l'évolution du virus. Aujourd'hui, très peu de molécules permettent de lutter contre l'épidémie ; un certain nombre de protocoles sont en phase d'évaluation.
Nous procédons également au partage d'informations, ce qui a permis de préparer une majorité des instituts Pasteur à l'épidémie dès la fin du mois de janvier dernier.
Les instituts jouent un rôle important d'expertise aux niveaux africain et mondial. Dans le cadre du programme de gestion des situations d'urgence de l'OMS, les instituts Pasteur participent aux travaux d'un groupe de conseillers, notamment pour évoquer les pratiques comme le port du masque.
La situation en Afrique est différenciée. La plupart des pays ne sont pas extrêmement touchés. La mortalité, à part en Afrique du Sud, est plutôt limitée. Des stratégies diverses sont appliquées face à cette épidémie.
L'Afrique est confrontée à un problème majeur d'approvisionnement, notamment pour les réactifs, en raison des tensions mondiales, ce qui pourrait avoir des conséquences importantes sur l'évolution de l'épidémie. Or il faut pouvoir faire les tests, organiser la distanciation sociale.
Je veux conclure sur le rôle que pourrait jouer la France dans le cadre de cette épidémie. L'Agence française de développement (AFD) apporte déjà un appui au continent africain, mais il faudrait aller plus loin. Un certain nombre de pays ne peuvent plus faire de tests, car ceux-ci ne sont pas accessibles pour des raisons soit financières soit d'approvisionnement.
Par ailleurs, l'impact économique de l'épidémie est énorme. Selon les scénarios les plus pessimistes, on parle d'un recul de 8 % de la croissance. Un plaidoyer comme celui de M. Macron auprès du G20 pour alléger ou annuler certaines dettes me paraît très important.
Enfin, il faut soutenir la recherche. Les instituts Pasteur ont une forte capacité d'adaptation, grâce à leurs outils de recherche, pour lutter contre le Covid, mais également contre de futures épidémies.
M. Jean-Pierre Vial, rapporteur de la mission « Aide publique au développement ». - Je vous remercie de vos présentations, messieurs les directeurs. Nous avons visité, dans le cadre de notre mission, l'institut Pasteur de Madagascar à la fin de l'année 2019. Je concentrerai mon propos sur l'aspect institutionnel.
Que pensez-vous de la coordination entre les différentes institutions chargées de la santé en Afrique et de son efficacité ? Je pense au Centre africain de prévention des maladies de l'Union africaine, aux organisations sous-régionales comme l'Organisation ouest-africaine de la santé (OOAS), à l'OMS, à la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI) - Coalition for Epidemic Preparedness Innovations.
Le 15 avril dernier, la France et dix-sept pays africains et européens ont signé une tribune commune appelant à l'inclusion de l'Afrique dans la stratégie globale de lutte contre le virus : que pensez-vous de la création d'un mécanisme panafricain de coopération scientifique et politique ?
Par ailleurs, l'Union européenne a annoncé qu'elle débloquait 15 milliards d'euros pour soutenir les pays qui en ont le plus besoin. Le Fonds mondial, l'alliance GAVI, Unitaid se mobilisent : la réponse internationale est-elle assez forte ?
Si la recherche a besoin d'être confortée et coordonnée dans les politiques publiques des pays africains, elle peut compter sur les partenariats extérieurs. La France vient de décider une aide de 1,2 milliard d'euros. L'AFD, qui est chargée de gérer cette aide, vient de signer une convention avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de 1,5 million d'euros. Ce projet est-il à la hauteur ? Peut-il se conjuguer avec les autres acteurs français ?
Il y a à peine sept mois, en septembre dernier, l'institut Pasteur et la Fondation Mérieux, elle aussi très investie en Afrique, ont annoncé une alliance « pour renforcer les systèmes de santé publique des pays à ressources limitées et la préparation à la réponse aux épidémies face à une menace infectieuse qui prend de nouvelles formes » : c'était prémonitoire !
Je ne cite que ces acteurs impliqués dans la recherche, mais je pourrais aussi évoquer les nombreux autres qui se sont fortement mobilisés sur le terrain.
La mobilisation des moyens et de l'aide décidée par la France peut-elle être amplifiée et dans quelle direction doit-elle être orientée ?
Les prestations localement offertes par les institutions telles que l'institut Pasteur sont-elles suffisamment accessibles en termes de coût pour les populations locales ? En cas d'épidémie, les prestations sont-elles gratuites et comment en sont assurés les financements dans la période actuelle ?
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteur de la mission « Aide publique au développement ». - Je veux dire tout l'intérêt que nous avons porté, avec Jean-Pierre Vial, à la visite de l'institut Pasteur de Madagascar. Nous avons pu apprécier la qualité des dispositifs de recherche fondamentale et appliquée et constater de visu les politiques de santé publique menées. Nous n'imaginions pas qu'une telle pandémie surviendrait et que vous seriez en première ligne. Merci pour votre action.
Vous avez présenté l'action des instituts Pasteur dans le monde, l'autonomie de chacun et le travail en réseau. Vous avez évoqué les différentes aides apportées par la France. À Madagascar, nous avons été alertés sur le fait que le ministère des affaires étrangères avait diminué le nombre de postes mis à disposition. Nous avons relayé cette inquiétude auprès du ministre.
Pensez-vous que les pays africains aient pris la mesure de la crise et aient répondu en conséquence ? Le Sénégal a, par exemple, réagi activement. Néanmoins, les mesures sanitaires diffèrent. Les gouvernements africains peuvent-ils et doivent-ils travailler à davantage d'homogénéité à l'échelle du continent, notamment par l'utilisation du travail effectué en réseau par les instituts Pasteur ?
La prévention, les gestes barrières, le confinement, la distanciation sociale demeurent des éléments clés dans la lutte contre le virus. Lorsqu'on connaît les conditions de surpeuplement qui prévalent dans certains pays et que l'on sait que, dans plusieurs pays, les forces de l'ordre ont tiré sur la population pour faire respecter le confinement, comment permettre une meilleure prise de conscience des populations ?
L'épidémie du virus Ebola a-t-elle préparé le continent à l'épidémie actuelle ? A-t-elle eu des effets en termes de structures permanentes ou temporaires de crise, de plateformes de coordination, de support aux engagements communautaires, de partage d'informations et de bonnes pratiques ?
Le nombre de cas recensés en Afrique est aujourd'hui relativement modéré, même s'il est variable selon les pays. Il ne s'agit que des cas qui ont pu être détectés, et non des cas réels. Certains médecins estiment que les traitements antipaludiques, utilisés plus largement en Afrique qu'ailleurs, jouent un rôle préventif. Qu'en pensez-vous ?
S'agissant du diagnostic, quels sont les outils actuellement développés ? Vous avez fait référence à la difficulté de vous procurer des réactifs ; la France n'échappe pas non plus à ce problème. Dans ce contexte, quelle aide attendez-vous de notre pays ?
M. Amadou Sall. - La coordination entre les différentes institutions a connu une amélioration salutaire.
Le CDC Afrique, qui est le bras armé de l'Union africaine, a permis d'améliorer la coordination dans différents domaines. Avec l'OMS, la dynamique a été plus lente à se mettre en place. Dans certains domaines, cela marche bien ; dans d'autres, la situation est perfectible. On peut relever que la crise a conduit les différentes institutions à travailler de façon solidaire.
S'agissant de l'inclusion de l'Afrique, les chefs d'État et les ministres de la santé ont décidé de parler d'une seule voix. Le président Sall fait partie des leaders qui prônent cette démarche, avec le président Macron et d'autres. L'Afrique n'a pas les moyens de se retrouver au milieu d'une compétition internationale pour trouver des réactifs...
Le partenariat avec l'Union européenne, avec l'AFD, est important. Mais il faut mener une réflexion de plus long terme. Il importe de trouver des solutions locales, notamment dans le secteur de l'industrie du vaccin. Sans capacités locales, nous aurons toujours des problèmes d'approvisionnement.
Le retrait du ministère des affaires étrangères a conduit à une baisse de 50 % de l'aide apportée à l'Institut Pasteur de Dakar. Cela peut poser des problèmes en termes de viabilité financière de nos institutions.
La question du surpeuplement et de la distanciation sociale a été évoquée. Je veux saluer l'engagement communautaire qui a permis de s'adapter. Au Sénégal, les mesures draconiennes qui ont été prises ont été bien reçues grâce aux leaders d'opinion, lesquels ont joué un rôle dans l'annulation des rassemblements publics. La notion de surpeuplement ne peut pas être présentée comme un obstacle, car, en écoutant les communautés, on trouve des solutions. On ne peut pas faire de copier-coller des mesures prises en Asie ou en Europe: cela ne marcherait pas.
L'épidémie Ebola a permis à l'Afrique de se doter de structures. Par exemple, les centres d'urgence sanitaire au Sénégal, qui sont le bras opérationnel du ministère de la santé, ont été créés à la suite de cette épidémie.
S'agissant des diagnostics, une aide serait importante. Les capacités de production ne sont pas suffisantes en Afrique.
M. Pierre-Marie Girard. - En matière de recherche, les partenariats sont bel et bien essentiels, en particulier pour faire face aux adaptations du virus. C'est précisément le sens du réseau des instituts Pasteur. Certains résultats épidémiologiques peuvent certes être exportés, mais l'expertise locale a toute son importance. La recherche fondamentale est également menée sur place, en Afrique, grâce à diverses technologies transférables sur le terrain. Ainsi, l'institut Pasteur de Hong Kong a pu développer un test moléculaire et le mettre rapidement à disposition de l'ensemble des instituts Pasteur.
Ces instituts ont également un très fort engagement régional, notamment celui de Dakar : les apports de technologies et de connaissances doivent être partagés avec les pays où ne se trouve pas d'institut Pasteur. C'est précisément ce que nous avons fait pour les tests.
Le rôle de l'AFD est important. Sa mobilisation a été particulièrement rapide. Au titre des aides exceptionnelles, deux types de fonds ont été annoncés, l'enveloppe de 1,2 milliard d'euros comprenant à la fois des subventions, à hauteur de 150 millions d'euros, et des prêts à long terme, qui permettront de soutenir bien des pays.
Est-ce suffisant ? Clairement non. Mais il est difficile de prédire le montant nécessaire. En Afrique, l'épidémie monte plus lentement qu'ailleurs. Certains redoutent une catastrophe sanitaire. Divers facteurs, en particulier démographiques, doivent être pris en compte : le pourcentage de personnes âgées est moins élevé sur le continent, ce qui pourrait entraîner une protection relative. Cela étant, d'autres facteurs de comorbidité sont assez forts sur ce continent - diabète, hypertension artérielle, maladies cardiovasculaires et pulmonaires. Les prévisions sont donc extrêmement difficiles à établir.
Une première tranche de financements a été débloquée par la France. Nous lui sommes tous reconnaissants ; en Afrique de l'Ouest, au Maghreb, à Madagascar, le soutien apporté aux instituts Pasteur permettra de répondre aux demandes exprimées, mais tout à fait partiellement, pour faire face aux ruptures de stock et assurer la formation continue. En résumé, la mobilisation doit être amplifiée et adaptée selon l'évolution de l'épidémie.
Les principaux financeurs étatiques français sont, actuellement, l'AFD et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Le retrait du ministère se traduit effectivement par des chiffres cruels : l'ensemble du réseau dénombrait vingt-quatre experts techniques internationaux (ETI), travaillant notamment en Asie. En l'espace de deux ou trois ans, ces effectifs ont été réduits à six. Or l'expertise partagée passe par ces chercheurs, comme par les gestionnaires, ou encore par les directeurs d'institut. Nous espérons vivement que ces pertes d'ETI seront compensées, afin que nous puissions mettre en oeuvre une réelle collaboration.
Comment les gestes barrières déclinés en Europe peuvent-ils être appliqués en Afrique, notamment dans des communautés placées dans des situations particulièrement précaires ? C'est une question clé. L'expérience d'Ebola a permis de dresser ce constat : il ne faut surtout pas imposer des mesures qui, en touchant à des questions aussi sensibles que les processus funéraires, dramatisent encore le drame. Il est essentiel de travailler avec les communautés ; tout ce qui a trait aux comportements doit être accepté, adopté et adapté. Il ne faut surtout pas plaquer les pratiques des pays occidentaux. D'ailleurs, les projets financés par l'AFD et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères comprennent un volet de sciences sociales, afin de travailler sur les représentations de la maladie, d'adapter les discours de prévention et de rendre les mesures plus acceptables.
La question des antipaludiques est assez envahissante. La chloroquine, dont on a sans doute trop parlé, et de manière hâtive, a été très utilisée en un temps ; mais, aujourd'hui, elle est assez peu employée en Afrique de l'Ouest. Le fait qu'elle ait retardé l'épidémie nous paraît hautement improbable. L'explication doit sans doute être cherchée ailleurs.
C'est sur les réactifs que se porte, actuellement, l'attention la plus forte. Il s'agit d'un enjeu logistique au sens large. Les gouvernements vont devoir gérer la pénurie. En parallèle, une solidarité internationale est indispensable. Il est essentiel de ne pas oublier l'Afrique : certes, les prévisions sont difficiles à établir, mais les courbes des différents pays laissent présager une situation grave. L'OMS a d'ailleurs tiré la sonnette d'alarme.
Le plus difficile à mesurer, c'est la fréquence des cas graves. On en observe d'ores et déjà. Leur incidence sera-t-elle plus faible que dans d'autres pays ? La prise en charge médicale, notamment clinique, devrait poser plus de difficultés qu'ailleurs, d'où l'enjeu de l'appui en technique médicale et en matériel, en particulier pour la réanimation. La solidarité doit s'exprimer par tous les moyens possibles - soutien logistique, mise à disposition de matériels de protection et de matériels médicaux. Gardons-nous des égoïsmes nationaux.
M. Édouard Courtial. - Messieurs les directeurs, votre audition est précieuse, du fait de votre positionnement géographique et scientifique. Au sein d'un réseau mondial de trente-deux instituts, vous disposez d'une expérience tout à fait unique de la géopolitique des pandémies. Les grandes ambitions des instituts Pasteur sont détaillées dans le dernier plan stratégique en date, couvrant la période 2019-2023 : recherche biomédicale, élaboration de politiques de santé publique dans le monde, formation, prévention. Schématiquement, vous avez 133 unités de recherche, un pied en Chine et dix en Afrique.
Monsieur Girard, à ce titre, je m'interroge sur le fonctionnement institutionnel du réseau. Quels ont été, en janvier dernier, les retours de l'institut Pasteur de Shanghai, lequel reste soumis au droit national chinois ? Quels sont vos liens avec l'OMS ? Je pense en particulier à la question des délais d'alerte lors de pandémies. Au sujet du SARS-CoV-2, disposez-vous d'une forme de benchmarking international ou d'un premier mémento des actions les plus efficaces selon les zones géographiques et les populations ?
En outre, le 29 février dernier sur RFI, vous vous inquiétiez du faible nombre de cas recensés en Afrique. Qu'en est-il aujourd'hui ? Le continent tout entier est inclus dans les nouvelles routes de la soie chinoises, qui s'étendent aux domaines scientifiques et médicaux. Y a-t-il des équivalents chinois de l'institut Pasteur en Afrique ? Que pensez-vous de l'aide chinoise déployée, par exemple, auprès de l'Union africaine ? Face à cette pandémie, certains traitements sont-ils aujourd'hui utilisés en Afrique ? Et, si oui, quels en sont les fournisseurs ?
M. Gilbert-Luc Devinaz. - L'état des lieux de l'épidémie en Afrique évolue au rythme des dépêches. Pour autant, avec 17 000 cas et 911 décès recensés, le continent semble moins touché que l'Europe ou l'Asie. La situation s'explique-t-elle par un effet retard, dû à la moindre insertion de ce continent dans les échanges mondiaux ? Aux difficultés de collecter les données en déterminant la cause des décès ? Ou encore à la spécificité du climat, qui expliquerait une moindre exposition ? Selon le professeur Raoult, l'usage courant de traitements antipaludiques offre une protection relative. Né à Dakar, il affirme : « en Afrique, la chloroquine, on en a tous bouffé quand on était gosse. » Mais, si tant est que cet effet existe, perdure-t-il tout au long de la vie ? En résumé, quelle évolution peut-on attendre pour cette pandémie ? Quel sera son effet sur les 25 millions de personnes réfugiées ou déplacées en Afrique ?
De quels moyens disposent, de leur côté, les instituts Pasteur face à cette crise ? On peut effectivement décentraliser la recherche, mais il faut aussi la coordonner. Comment fonctionne la coopération entre États ? Où en sont vos recherches sur le vaccin ? Les personnes ayant contracté le Covid-19 sont-elles immunisées, et si oui pour combien de temps ? Dans certains quartiers de nos grandes villes, on observe divers problèmes pour faire respecter les gestes barrières et le confinement. Qu'en est-il en Afrique, dans les quartiers insalubres et a fortiori dans les bidonvilles ? Comment les médecins et les autorités luttent-ils contre la désinformation massive, en particulier sur les réseaux sociaux ? Enfin, comme l'a souligné Mme Perol-Dumont, l'Afrique a malheureusement l'habitude des épidémies. L'expérience d'Ebola pourrait-elle, paradoxalement, aider le continent à mieux faire face au Covid-19 ?
M. Olivier Cadic. - J'ai pu visiter l'institut Pasteur de Hong Kong, qui se consacre à la prévention et au traitement des maladies infectieuses, et rencontrer son codirecteur, M. Malik Peiris, dont les contributions scientifiques se sont révélées majeures, qu'il s'agisse de la mise au point d'un test permettant de détecter le SARS ou de ses études sur les souches mutantes du virus H5N1. Lors de ma venue, il y a deux ans, les scientifiques s'inquiétaient d'une mutation du virus de la grippe aviaire, qui ferait des millions de victimes ; et M. Peiris s'alarmait, comme moi, des marchés d'animaux vivants en Chine.
Jean-Yves Le Drian a déclaré que la France allait proposer un dispositif de soutien sanitaire à chaque communauté française dans les pays les plus exposés à la pandémie. Il prépare une liste d'États prioritaires. D'après vous, quels sont les pays africains qui devraient y figurer ? Nombre de nos compatriotes résidant en Afrique ont lancé des appels pour obtenir des médicaments qu'ils ne trouvent plus localement, car ils ont été réquisitionnés, notamment les stocks de plaquenil au Maroc. On manque d'une vision globale des besoins et le Quai d'Orsay se refuse à créer une plateforme « Médicaments ». Que préconisez-vous pour garantir l'accès aux médicaments en Afrique ? Avez-vous dressé une liste de produits dont le continent a absolument besoin ?
Enfin, dans un article récent, Le Monde annonce que Dakar va produire des tests rapides de dépistage du coronavirus, à moins d'un euro, en partenariat avec le Royaume-Uni. Il s'agit de garantir la disponibilité des tests sur le continent. Pourquoi la France n'est-elle pas partie prenante de cette initiative ?
M. Pierre Laurent. - Premièrement, au titre de la prévention, la prise de conscience de cette pandémie n'a-t-elle pas été trop tardive, notamment dans les continents les plus développés ? La situation dramatique que nous connaissons aujourd'hui ne doit-elle pas servir à améliorer, en la matière, les dispositifs de coordination mondiale ?
Deuxièmement, à mesure que la recherche scientifique progressera, comment garantir l'accès universel aux traitements et aux vaccins, en Afrique et au-delà ? Quelles conditions faut-il réunir dès maintenant pour éviter de graves inégalités d'une région à l'autre, d'un continent à l'autre ?
Troisièmement et enfin, M. Sall a évoqué l'important débat de la dette africaine. Comment consacrer davantage de moyens à la construction des systèmes sanitaires en Afrique ? Dans la durée, il faudra pallier le manque de structures que subit toute une partie du continent et restaurer de véritables moyens en faveur des politiques publiques. Il faudra donc, non seulement annuler les dettes, mais aussi assurer un accompagnement. Quel rôle la France peut-elle jouer en la matière, par exemple via l'aide publique au développement (APD) ?
M. Richard Yung. - Au total, j'ai visité une quinzaine d'instituts Pasteur à l'étranger, notamment celui de Shanghai, à l'époque où le gouvernement chinois proposait de le racheter. Il n'en a rien été, mais cet exemple montre combien ces structures sont convoitées.
Tout d'abord, qu'en est-il du développement de tests rapides, mené en partenariat avec la société Mologic ? Seront-ils bientôt mis sur le marché ? Pourquoi la France ne participe-t-elle pas à ce travail ?
Ensuite, au titre des recherches de financement, participez-vous au projet de partenariat entre l'Europe et les pays en développement pour les essais cliniques, lancé pour les activités de recherche en Afrique subsaharienne ?
Vous avez proposé plusieurs ateliers aux personnels de laboratoire. D'autres formations de ce type seront-elles organisées dans les prochaines semaines ? Le centre africain pour le contrôle et la prévention des maladies joue-t-il un rôle en la matière ?
Enfin, le Président de la République et dix-sept de ses homologues africains ont proposé un mécanisme panafricain de coordination scientifique et politique, en liaison avec plusieurs organisations, dont la CEPI et le CDC Afrique. Le but serait de coordonner les compétences africaines dans le domaine médical, notamment pour ce qui concerne les vaccins. Quelle sera, plus précisément, votre participation à ce projet ?
M. Pierre-Marie Girard. - Structure de haute technologie, l'institut Pasteur de Shanghai est engagé dans la recherche sur les coronavirus. Ce n'est pas lui qui a repéré, isolé et séquencé le Covid-19 ; mais il a contribué à décrire certaines particularités moléculaires, fondées sur l'analyse des séquences génétiques faites à Wuhan. Fort de 350 personnes, cet institut Pasteur mène évidemment des programmes de lutte contre le Covid-19.
L'Afrique compte un certain nombre de centres de référence collaborateurs de l'OMS. C'est par ce biais et par l'application du règlement sanitaire international que le lien existe. Ces missions sont dévolues à l'institut Pasteur ou à d'autres structures, en vertu d'accords nationaux. Au total, seize instituts Pasteur sont en lien direct avec l'OMS.
En Afrique, le nombre de cas recensés est effectivement assez faible. Est-ce un problème de reporting ? À mon sens, la réponse est non. Si l'épidémie avait connu la même ampleur qu'en Europe, on l'aurait perçu. On n'a pas observé de cas secondaires, résultant de cas importés, ce qui prouve l'efficacité de la culture du repérage et du diagnostic. Malheureusement, la flambée est en cours ; nous espérons qu'elle sera moins forte qu'en Europe.
Les propos du professeur Raoult ont été largement commentés. J'y insiste, la chloroquine a été très importante il y a cinquante ans, mais, du fait de nombreuses résistances paludiques, elle est peu utilisée aujourd'hui ; l'efficacité prouvée à ce jour est extrêmement faible, et la persistance d'une exposition à la chloroquine vieille de cinquante ans est fort peu probable. Quant à l'efficacité clinique, rien ne la démontre. Mais, grâce aux données virologiques, nous serons bientôt fixés.
Nous tenons bel et bien à la recherche décentralisée au sein du réseau des instituts Pasteur. À nos yeux, il y va de la production et de l'appropriation des connaissances. À Paris, notre responsabilité, c'est de soutenir la recherche, par la formation, par la mise à disposition de technologies et par le financement des projets.
Tout projet de recherche doit disposer d'un financement spécifique structurel. Des appels d'offres ont été lancés et dix projets de recherche sont d'ores et déjà enclenchés en Afrique grâce à divers financements, venant notamment de l'Union européenne.
Le programme Europe-pays en développement pour les essais cliniques (EDCTP) organise les projets menés dans le cadre de partenariats entre pays européens et africains. Il s'agit de projets de recherche à haut niveau, bien financés, visant le renforcement de capacités. Malgré les pesanteurs institutionnelles, l'EDCTP s'est mobilisé face à la crise, comme l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS), en France, afin de lancer un appel d'offres dédié.
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Y a-t-il, en Afrique, des médecins qui appliquent le protocole du professeur Raoult ? La souche Covid-19 est-elle exactement la même en Afrique et en France ? Certains prétendaient que l'arrivée des beaux jours et de la chaleur en Europe participeraient à lutter contre le coronavirus. Qu'en pensez-vous ? Pensez-vous qu'avoir contracté la maladie immunise contre celle-ci ?
M. Amadou Sall. - Le réseau des instituts Pasteur est membre de l'assemblée mondiale de l'OMS depuis quelques années, ce qui nous permet de prendre part aux grandes décisions de l'organisation.
Nous ne sommes qu'au début de l'épidémie en Afrique. La dynamique de celle-ci est très différente suivant les pays. Elle est très dépendante des stratégies retenues, des conditions sociales et économiques locales, du système de santé. Dans certains pays peuvent se poser des problèmes de diagnostic et de reporting, mais pas de manière colossale - cela se verrait rapidement.
On constate que, plus on s'y prend tôt, plus la stratégie est rapidement cohérente, mieux on peut affronter l'épidémie, comme on a pu l'observer en Europe et en Asie. De ce point de vue, le contact local sera déterminant. On peut donc s'attendre à une diversité de situations selon les pays.
Oui, il y a beaucoup de désinformation en Afrique, sur les médicaments ou sur un certain nombre de mesures. Au Sénégal, le ministère de la santé a une vraie stratégie de communication, de transparence, qu'il me paraît important de saluer, pour rebâtir la confiance. Comme dans la plupart des pays, les fake news relayées sur les réseaux sociaux posent problème.
La France est partie prenante au projet de production de tests rapides par l'institut Pasteur de Dakar dans le cadre de l'initiative Diatropix. La Fondation Mérieux et l'Institut de recherche pour le développement (IRD) font ainsi partie des bailleurs « historiques » qui ont contribué financièrement à la mise en place de cette plateforme et qui vont continuer à suivre le projet. Celui-ci a également été financé par l'un de nos partenaires industriels, Mologic, qui est britannique, mais la France est très présente. Elle l'est également dans d'autres projets, par exemple sur l'hépatite B et la méningite.
En matière de prévention des épidémies, tous les pays collaborent dans le cadre juridique du règlement sanitaire international de l'OMS, avec une stratégie fondée sur le confinement en cas d'épidémie, une approche globale plutôt qu'une approche aux frontières et, surtout, une adaptation aux situations plutôt qu'un cadre préexistant.
Ce mécanisme important assure, aujourd'hui, un reporting régulier. Il comprend un système d'alerte, des appels internationaux d'urgence et associe des processus de mobilisation de ressources. La mise en oeuvre de cette réglementation depuis 2005 a entraîné une amélioration significative de la situation. Le dispositif de coopération a également été énormément organisé. Comme nous devrons de plus en plus faire face à des épidémies, nous espérons que cette dynamique perdurera.
L'accès universel aux vaccins et aux traitements est une question extrêmement importante. Sur ce plan, le risque est considérable pour les pays africains. Cela doit être un point de vigilance. Des mécanismes, comme la CEPI, existent pour garantir cet accès universel, mais une production locale est essentielle. L'institut Pasteur de Dakar est le seul producteur de vaccins préqualifié par l'OMS en Afrique. Le Président de la République française et les présidents africains peuvent peser dans la balance, car il y a une véritable compétition dans l'accès à ces vaccins.
Pour ce qui concerne la dette et sa prise en compte dans la construction du système de santé, j'espère que rien ne sera plus comme avant après le Covid-19. Voilà une vingtaine d'années, nous avons connu un désengagement dans le domaine de la santé, entraînant un certain nombre de retards. À cet égard, le débat sur la dette doit être une opportunité. Il faudra vraiment que l'humain soit mis au centre du nouvel ordre mondial. Cela ne doit pas rester une incantation.
Nous sommes très engagés dans des partenariats de recherche clinique entre l'Europe et l'Afrique. Ainsi, nous avons remporté plusieurs appels d'offres de l'EDCTP. Actuellement, nous sommes candidats à des ressources pour effectuer des recherches sur le Covid-19.
Comment approvisionner les Français qui sont ici ? Au Sénégal, l'ambassade de France joue un rôle extrêmement actif. Certains de nos collègues appuient la prise en compte des besoins.
Plusieurs candidats à la mise au point d'un vaccin contre le Covid-19 sont actuellement en cours d'évaluation. Les plus optimistes évoquent le dernier trimestre 2020 ; d'autres, 2021. Les essais cliniques ont débuté. Il faut être extrêmement prudent.
Le prototype de test rapide en cours d'évaluation donne des résultats prometteurs. La date limite est en juin prochain, mais nous essayons de faire plus vite encore.
Les prestations des instituts Pasteur sont gratuites dans le contexte épidémique, grâce à une levée de fonds. En période non épidémique, elles sont relativement accessibles, mais gardent un coût, lié à la qualité du service.
M. Pierre-Marie Girard. - Il existe des liens entre les équipes chinoises et certains partenaires africains, même s'il pourrait y en avoir plus. Le but intrinsèque du réseau est justement de mettre en relation des chercheurs, dans une recherche de complémentarités.
La question de l'accès au vaccin est très sensible. Il est absolument essentiel qu'il y ait un prix différencié pour les médicaments et les vaccins. C'est la moindre des choses, mais je pense que nous pouvons être confiants.
La situation est plus compliquée et moins avancée pour les tests. Ces derniers sont fabriqués dans le monde entier, mais leur validation est souvent insuffisante et les prix sont également très variables. Nous sommes très vigilants sur la qualité de ces tests, notamment en Afrique. Leur coût y est encore franchement excessif.
Le rôle de l'institut Pasteur est précisément de surveiller les souches, de les séquencer et de faire de la phylogénie, c'est-à-dire de comparer les séquences du génome. Ce sont des techniques complexes et coûteuses. Pour l'instant, rien n'indique que la souche évolue vers une plus grande agressivité à l'égard de l'organisme humain ou vers une plus grande faculté de transmission. Cependant, nous devons rester vigilants. L'épidémie n'en est qu'à son tout début. Quoi qu'il en soit, il n'y a pas aujourd'hui de modification majeure de nature à nous préoccuper.
Il existe certainement des facteurs écologiques au sens large, dont le climat, qui favorisent la survie et la transmission des virus. Pour l'heure, nous ne disposons d'aucun élément permettant d'affirmer que le virus sera saisonnier, comme la grippe, ou qu'il n'aura qu'une saison. Nous avons encore de nombreuses choses à apprendre sur ce virus, notamment sur son réservoir. L'institut Pasteur est très engagé sur cette question.
L'IRD est un partenaire important dans la réponse française à l'épidémie en matière de recherche, aussi bien en sciences fondamentales qu'en sciences humaines.
M. Amadou Sall. - On observe très peu de changements du virus, mis à part de petites évolutions locales. Pour l'essentiel, les souches ont été importées d'Europe.
Le fait d'avoir été infecté confère-t-il une immunité ? Nous n'avons pas encore de réponse à cette question. On a remarqué la présence d'anticorps après une dizaine de jours, ce qui semble indiquer une protection. Mais on sait aussi que l'on a retrouvé le virus chez des malades guéris... Était-ce une réinfection, une résurgence du virus ? Combien de temps dure l'immunité ? Ces points doivent être étudiés.
M. Jean-Marie Bockel. - Je salue l'initiative de cette audition. En tant que représentant de l'AFD, je me rends compte de l'importance de notre partenariat de coopération avec l'Afrique. Nous sommes admiratifs de votre travail au long cours. Le Sénégal peut être fier de cet engagement.
Quelle est la part du financement français dans l'action que vous menez ? Quelles subventions percevez-vous de l'AFD, des ministères autres que le ministère de la recherche et de l'institut Pasteur de Paris ? Quid des postes du ministère de l'Europe et des affaires étrangères ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - En tant que présidente du groupe d'amitié France-Sénégal, je dois dire que je suis très inquiète du manque de moyens et de matériel, ainsi que du déni qui semble être celui de nombreux Africains, qui se sentent protégés par le climat, les croyances ou les marabouts ou qui ont peur d'être contaminés. L'information est capitale.
Nous avons réussi à étendre le champ du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Aujourd'hui, seules 5 % des subventions peuvent être utilisées par les États dans la lutte contre le Covid-19. C'est très insuffisant. Quel est votre point de vue sur ce sujet ? Comment pouvons-nous vous aider à obtenir une meilleure fongibilité ?
M. Gilbert Bouchet. - Je fais, moi aussi, partie du conseil d'administration de l'AFD. Quelle est votre opinion sur les relations avec celle-ci ? La température exerce-t-elle un effet sur le virus ? La grippe de Hong Kong, qui a été totalement effacée des médias, a causé près de 30 000 morts en France en 1969. Y avait-il eu autant de décès en Afrique ?
M. Amadou Sall. - L'institut de Dakar bénéficiait de quatre postes du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Nous n'en avons plus qu'un, et nous nous battons pour son maintien... Autant dire que la réduction est drastique.
Nous recevons une subvention de l'institut Pasteur de Paris qui a énormément baissé ces cinq dernières années. Dès lors, tout appui serait évidemment bienvenu dans le contexte actuel.
Je veux souligner le rôle particulier d'appui et de relais de nos requêtes que joue l'ambassade de France localement. Ce partenariat me paraît intéressant et porteur d'avenir.
Nous avons une relation particulière avec l'AFD dans le cadre d'un projet que nous sommes en train de mener. Les relations sont bonnes. Il y a parfois des discussions, mais, globalement, nous sommes assez contents de ce partenariat, qui me semble appelé à s'améliorer. L'appui dont nous avons bénéficié dans le cadre du Covid-19 nous permet de travailler en réseau.
L'appui que le Fonds mondial peut apporter en cas d'épidémie ou de pandémie est quasi inexistant. J'espère que le Covid-19 permettra d'en prendre conscience. Du fait de leurs spécificités, les épidémies devraient faire l'objet d'un programme prioritaire d'investissement dans les prochaines années.
Je veux vous rassurer : seule une minorité des Africains est dans le déni. Ce phénomène existe, mais il demeure marginal. La majorité de la population a une pleine conscience de la crise, qui a impacté sérieusement leur quotidien. Je partage vos inquiétudes sur la faiblesse du système de santé, mais, comme je l'ai dit, je pense que les choses peuvent changer.
M. Pierre-Marie Girard. - Les financements sont absolument essentiels. Hors épidémie, nous percevons, chaque année, 2 millions d'euros du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation nous verse 7,2 millions d'euros par an. Les financements de l'AFD se font exclusivement sur projets ; ils sont de l'ordre de 3 à 4 millions par an sur les projets en cours. Enfin, l'aide de l'Europe, notamment pour la préparation aux épidémies, s'établit à environ 2 millions par an. La participation propre de l'institut Pasteur de Paris au fonctionnement du réseau s'élève, quant à elle, à quelque 10 millions par an. Ces montants sont très en deçà de ce qui nous serait nécessaire pour financer nos ambitions - il nous faudrait trois fois plus.
Depuis un mois et demi, des fonds ont été débloqués : le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a versé une enveloppe de 2 millions d'euros pour l'Afrique, auxquels s'ajoutent 2 millions d'euros sur une enveloppe versée par l'AFD, et 2 millions d'euros pour l'Asie du Sud-Est.
M. Bernard Cazeau. - Il semble qu'il y ait moins de cas graves et de décès en Afrique qu'en Europe. Est-ce une réalité fondée sur des statistiques précises ou est-ce une apparence liée à des difficultés de comptage, pour des raisons notamment de pratiques sanitaires ? On a vu que certains malades d'Ebola avaient eu tendance à ne pas se rendre à l'hôpital.
M. Olivier Cigolotti. - Voilà quelques semaines encore, nous nous attendions tous à une extension simultanée de l'épidémie sur les continents américain et africain. Or, à ce jour, l'Afrique est particulièrement épargnée.
Dans le cas d'une propagation plus importante du virus, quel crédit pourrions-nous accorder aux chiffres communiqués par certains pays ? La gestion d'une crise sanitaire remet inévitablement en cause les politiques de santé publique menées dans chaque pays. Quand on connaît le manque de moyens et d'infrastructures qui prévaut en Afrique, il est permis de se poser des questions...
Quelle possibilité avez-vous de croiser les chiffres communiqués et quel rôle peuvent jouer les ONG dans une telle situation ?
M. Amadou Sall. - La létalité relativement limitée peut s'expliquer par des raisons démographiques. La population africaine est beaucoup plus jeune. La précocité de la détection est importante. On voit, au Sénégal, que, plus la prise en charge a lieu tôt, plus la mortalité est faible. De nombreuses hypothèses sont avancées, notamment sur le climat ou la génétique, mais aucune n'a reçu de preuve scientifique évidente.
Je pense que les chiffres communiqués sont crédibles. Nos systèmes de santé sont faibles, mais il y a, en Afrique, des professionnels de très grande qualité, notamment dans le domaine de la statistique, et une prise de conscience de l'importance de l'information dans la gestion des épidémies. Un important travail a été fait ces dernières années pour l'améliorer, même si ce n'est pas encore parfait.
M. Cédric Perrin, président. - Je vous remercie de votre participation à cette audition. Nombreux sont ceux qui redécouvrent aujourd'hui l'importance de vos professions. Au nom de notre commission, je vous souhaite le succès que vous méritez.
La téléconférence est close à 16 h 25.
Jeudi 23 avril 2020
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La téléconférence est ouverte à 15 heures.
Audition du général d'armée François Lecointre, chef d'état-major des Armées, sur le bilan des opérations intérieures et extérieures (en téléconférence)
M. Christian Cambon, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi le général François Lecointre, chef d'état-major des Armées. Merci de vous être rendu disponible pour cette audition, que nous attendions avec beaucoup d'intérêt.
Au nom de notre commission, je tiens tout d'abord à réaffirmer notre solidarité vis-à-vis des marins du porte-avions Charles-de-Gaulle : nous ne chercherons pas à créer de polémique, même si nous nous posons évidemment des questions sur les causes de la contamination massive à bord de ce navire si important pour notre Nation. Je tiens également à réaffirmer notre solidarité à l'égard des 2 700 marins qui naviguent actuellement sur les cinquante-trois bâtiments de la marine nationale et, plus généralement, vis-à-vis des 30 000 hommes et femmes, soldats, aviateurs, marins, en posture opérationnelle. Nous saluons leur courage et leur dévouement - les événements actuels au Sahel montrent qu'il ne faut surtout pas relâcher la pression. Je veux adresser une mention toute particulière au service de santé des armées (SSA) qui a démontré, une fois de plus, sa compétence et sa capacité de mobilisation pour venir en aide aux soignants civils et hospitaliers.
Mon Général, je souhaite évoquer avec vous deux sujets d'inquiétude.
Tout d'abord, à la suite de la contamination des marins du Charles-de-Gaulle, nous souhaitons, non pas nous substituer aux deux enquêtes qui ont été mises en place, mais tirer des leçons pour l'avenir. Nous pensons qu'il faudrait organiser un dépistage systématique de nos forces armées avant leur départ en mission, en particulier avant l'appareillage des bâtiments de la marine nationale ou les relèves des militaires engagés en opération. Je pense notamment aux soldats de l'opération Barkhane, dans les rangs desquels on recensait déjà il y a quelques jours au moins quatre cas de contamination. C'est une question d'efficacité opérationnelle et de crédibilité politique.
La ministre des armées, à qui j'ai fait part de cette suggestion, m'a semblé réceptive. J'aimerais avoir votre point de vue à ce sujet. Nos forces armées méritent au moins autant d'attention que certains secteurs d'activité qui sont aujourd'hui au centre des préoccupations du Gouvernement, et cet effort me paraît à notre portée.
Notre second sujet d'inquiétude concerne la trajectoire financière définie par la loi de programmation militaire (LPM). L'opération Résilience devrait accroître le coût des opérations : disposez-vous d'ores et déjà d'une estimation de son impact budgétaire ? La brusque dégradation des finances de l'État, qui sortiront exsangues de la crise, risque également d'affecter cette trajectoire financière. Qu'en pensez-vous ?
Enfin, nous craignons que les industriels de notre base industrielle et technologique de défense (BITD) ne soient durablement fragilisés, alors que nos forces armées rencontrent déjà un certain nombre de problèmes de maintenance. Là encore, estimez-vous que nos craintes sont fondées ?
Au sortir de la crise, l'opinion publique sera sans doute plus sensible à l'idée que les financements doivent aller aux hôpitaux et au secteur de la santé qu'aux enjeux de sécurité ou à l'armement. Dans ce contexte, les « marches » de 3 milliards d'euros prévues dans la LPM à partir de 2022 ne vont-elles pas devenir infranchissables ? Quelles sont vos projections à cette échéance ? Vous a-t-on donné des garanties concernant la pérennité de ces crédits budgétaires ?
Général d'armée François Lecointre, chef d'état-major des Armées. - Je vous remercie de l'opportunité qui m'est donnée d'échanger avec vous et de répondre à vos questions.
En introduction, j'aimerais réagir à cette idée que nos concitoyens pourraient considérer que la nécessité de conserver une armée forte dans un monde de plus en plus incertain ne serait plus une priorité.
La crise actuelle provoque des réactions de repli sur soi et d'isolement, qui sont de nature à rendre encore plus instable le monde de demain. Elle constitue également une sorte d'égalisateur de puissance entre les pays qui, quelle que soit leur taille, rencontrent des difficultés à la surmonter. Enfin, elle représente une menace pour tous les systèmes politiques et pour l'économie mondiale. C'est pourquoi notre pays doit garder sa capacité à se défendre et à porter sa voix dans le monde, en s'appuyant notamment sur un appareil militaire digne de ce nom. Je compte sur votre appui, monsieur le président.
M. Christian Cambon, président. - Il vous est acquis, mon Général.
Général François Lecointre. - Une armée sert à se préparer à ce qui n'est pas envisageable. Si nous consacrions aujourd'hui la totalité de nos moyens à faire face à la survenue d'une nouvelle crise du même type, ce serait, de mon point de vue, une erreur extrêmement grave. J'observe au passage que, si nous redécouvrons le tragique de notre existence et la nécessité de redéfinir l'ordre de nos priorités, cette crise ne constitue pas à proprement parler une surprise stratégique, puisqu'elle avait été identifiée dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 et la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale 2017. Ce type d'expertises est malheureusement trop rarement pris en considération.
Mon propos s'articulera autour de trois points.
Le premier concerne la façon dont l'armée gère la crise. Devant l'ampleur de l'événement, la ministre des armées et moi-même avons proposé le déclenchement d'une nouvelle opération clairement distincte de l'opération Sentinelle, l'opération Résilience, que le Président de la République a officiellement lancée le 24 mars dernier à Mulhouse. Cette opération vise à répondre aux besoins exprimés par les autorités civiles dans les domaines sanitaire, logistique et, dans une moindre mesure, de protection, les armées n'agissant, dans ce dernier domaine, qu'en appui des forces de sécurité intérieures.
Aujourd'hui, la réponse à la crise est principalement conduite par les officiers généraux de zone de défense et de sécurité (OGZDS), qui s'appuient sur les délégués militaires départementaux (DMD) et les commandants de base de défense (COMBdD), puis par les commandants de zone maritime (CZM) sur le territoire métropolitain et le Commandant de la défense aérienne et les opérations aériennes (CDAOA). En outre-mer, l'action est menée par l'ensemble des commandants supérieurs (COMSUP) pour les départements et régions d'outre-mer. Tous ces officiers ont reçu la consigne de nouer le dialogue le plus constructif possible avec les autorités civiles, afin qu'elles sollicitent les capacités de nos armées, que ce soit sous la forme de réquisitions ou de demandes de concours.
Selon moi, le succès de l'opération Résilience s'explique par le fonctionnement même des armées, à la fois vertical et déconcentré. D'un côté, l'opération s'est révélée efficace grâce à notre maillage territorial, adapté aux réalités locales. De l'autre, l'approche centralisée, propre au fonctionnement militaire, a permis d'employer des moyens très spécifiques et rares. Je pense aux moyens maritimes ou aériens qui ont permis de délester les hôpitaux des zones les plus touchées par la crise, ou à l'élément militaire de réanimation (EMR) du service de santé des armées déployé à Mulhouse.
L'opération a mobilisé en moyenne plus de 3 100 hommes, une partie d'entre eux provenant de l'opération Sentinelle, l'autre partie de renforts dédiés spécialement à cette mission. Cette contribution peut certes paraître bien symbolique, mais elle a été parfois décisive : à titre d'exemple, l'aide fournie par l'EMR à Mulhouse ou par le bataillon de marins-pompiers de Marseille (BMPM) s'est révélée extrêmement précieuse pour éviter la saturation des services de l'État. Nous avons été au rendez-vous et le serons encore durant la phase de déconfinement, au cours de laquelle l'aide des armées sera certainement utile.
J'ai le souci permanent de préserver notre capacité à engager une réserve, que ce soit pour aider nos concitoyens en cas de dégradation de la situation en France ou pour faire face à des sollicitations impérieuses et imprévisibles auxquelles l'armée ne pourrait se dérober, par exemple sur l'un de nos théâtres d'opérations extérieures (OPEX).
En effet, malgré la crise sanitaire, les conflits perdurent. Près de 30 000 militaires restent engagés aujourd'hui au profit de la sécurité de la France et des Français sur le territoire national ou en OPEX, ainsi que 12 000 pompiers sous statut militaire et qui sont mis pour emploi au ministère de l'intérieur.
Sur le territoire national, les postures permanentes ont été conservées à terre, avec le maintien des opérations Sentinelle et Harpie, mais aussi sur mer et dans les airs. Dans le champ cyber, la sécurité a été renforcée devant le risque accru d'attaques virales.
En Afrique, l'opération Barkhane se poursuit avec l'ensemble de nos partenaires, dans la dynamique du sommet de Pau. Nous obtenons des résultats positifs dans le Liptako et la task force Takuba, malgré les aléas politiques, verra bien le jour cet été, avec la capacité opérationnelle initiale déployée à l'été, comme prévu.
En Méditerranée, après l'opération Sophia, l'Union européenne lance l'opération Irini, qui vise à faire respecter l'embargo sur les livraisons d'armes à destination de la Libye.
Dans le Golfe persique, l'opération Agénor est une mission de surveillance du trafic maritime dans le détroit d'Ormuz. Elle est proprement européenne et fonctionne avec plusieurs bâtiments de guerre. Cette opération nous assure une forme d'indépendance dans la région par rapport aux États-Unis, avec lesquels nous nous coordonnons.
Au Levant, nous avons fait évoluer notre dispositif en Irak en rapatriant un certain nombre de soldats. Cela étant, nous gardons nos capacités d'engagement intactes, ce qui est primordial, dans la mesure où nous observons une importante résurgence de Daech dans la moyenne vallée de l'Euphrate, ainsi que dans les régions de Mossoul et de Kirkouk.
Les États engagés dans la même compétition stratégique que notre pays nous observent et évaluent notre capacité de résilience. Au-delà des confrontations quotidiennes sur les théâtres d'opérations, nous renforçons notre crédit auprès de nos partenaires en nous affirmant comme une Nation qui ne se laisse pas abattre par les crises, aussi graves soient-elles.
Je voudrais maintenant vous présenter l'impact de la crise sur le fonctionnement courant des armées.
D'abord, vous le savez, les armées n'ont pas été épargnées par le virus. Le cas du Charles-de-Gaulle illustre bien l'ampleur que cette infection virale peut avoir dans nos milieux parfois très contraints.
Concrètement, il nous a fallu adapter nos modes de fonctionnement. Nous avons mis en place un plan de continuité de l'activité, qui définit depuis 2013 l'organisation à adopter en cas de pandémie virale. Ce plan a été ajusté au fur et à mesure de la montée du péril en Asie et mis en oeuvre sans délai. Il continue évidemment de l'être en fonction de l'évolution de notre connaissance du virus et au gré de nos missions.
Il a ensuite fallu mettre en place des structures dédiées pour gérer cette menace : je pense à la cellule de crise que nous avons créée à Balard, le plateau ministériel de crise (PMC). Il est chargé de la gestion et de l'anticipation des conséquences organiques de la crise, ainsi que d'une cellule dédiée au suivi de l'opération Résilience. Il communique ses diagnostics sur l'évolution de la situation au ministère. Par ailleurs, il coordonne très étroitement ses activités avec la conduite des opérations sur le terrain : le travail de mise en cohérence et de synthèse réalisé par le plateau est décliné par les OGZDS, les CZM et les COMSUP sur les territoires. Là encore, l'organisation militaire s'est adaptée très rapidement grâce à la culture opérationnelle qui est la nôtre, mais aussi grâce au maillage territorial que j'ai évoqué tout à l'heure.
Malgré tout, et c'est mon troisième point, nous contractons progressivement une « dette organique » qui aura forcément des conséquences à moyen et long termes pour nos armées.
Cette dette aura un impact en termes de préparation opérationnelle, en portant préjudice au maintien en condition de nos matériels, ainsi qu'à la qualité de notre ressource humaine. Nous préparons certes les grandes relèves prévues à l'été sur nos théâtres d'opérations, mais la dette s'accroîtra à mesure que la crise se poursuivra. Il faudra ensuite parvenir à la résorber et à déterminer la manière dont nous pourrons remonter en puissance vers un modèle d'armée complet. Je n'ai pas encore une vision claire de ce que pourraient être les ressources de la loi de programmation militaire. Je compte surtout sur les parlementaires... Évidemment, les besoins ne sont pas moins importants qu'hier. J'observe que les dépenses des armées, en plus d'être vertueuses, profitent au tissu industriel national. C'est vrai pour l'armement, mais aussi pour les dépenses du fonctionnement quotidien. Nous aurons donc des arguments à faire valoir au moment de la reprise pour que les ressources consacrées aux armées soient maintenues.
Enfin, les limites que je décrivais lors de précédentes auditions existent toujours. Les précédentes LPM et la révision générale des politiques publiques (RGPP) ont conduit à privilégier le management sur le commandement, l'efficience sur l'efficacité, la logique de flux sur celle de stock. Elles nous ont affaiblis et ont bridé notre réactivité, en allant à l'encontre de la singularité militaire. Aujourd'hui, ces faiblesses se trouvent cruellement mises en évidence par la crise : je pense à l'externalisation d'un certain nombre de fonctions, à la délocalisation de fonctions vitales, au manque de réserves opérationnelles et d'épaisseur organique de nos armées.
En conclusion, je souhaite dire combien je suis fier de nos armées : en plus des services qu'elles rendent à nos concitoyens, elles leur apportent un certain état d'esprit, une certaine culture de la gestion de crise, leur savoir-faire pour décider dans l'incertitude et suggérer des choix au politique. Ces compétences sont au fondement de la résilience de notre organisation. Cette culture est de nature à inspirer d'autres organisations car elle s'avère particulièrement utile en temps de crise; d'ailleurs beaucoup de nos partenaires viennent chez nous la chercher pour gérer les circonstances exceptionnelles que nous vivons. Voilà qui renforce l'importance de préserver la singularité militaire, qui est une composante essentielle de la résilience de notre nation.
M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie pour ces précisions. Nous serons à vos côtés pour rappeler que les crises sanitaires, comme les crises géostratégiques, se préparent à l'avance et non dans l'urgence.
M. Hugues Saury, au nom du groupe Les Républicains. - Je veux tout d'abord saluer l'engagement de nos soldats dans le cadre de la nouvelle opération Résilience, lancée il y a un mois à peine.
Ma première interrogation concerne la doctrine d'emploi des forces militaires sur le territoire national et les conséquences de la nouvelle opération de sécurité intérieure (Opint). La stratégie française diffère de celle de ses voisins : les trois armées sont très mobilisées, mais ne sont pas en première ligne. Elles viennent en soutien des services publics de santé, de logistique et de sécurité. Il s'agit d'une approche raisonnable permettant une montée en puissance de l'effort, notamment en cas d'aggravation de la crise. Par ailleurs, les opérations sur le territoire national obéissent à un cadre juridique strict. Nos concitoyens considèrent le recours à l'armée comme une solution à de nombreux maux sociétaux, ce qui démontre la confiance de la population envers son armée.
En termes de ressources humaines, l'équation était déjà délicate avec l'opération Sentinelle. Comment réussissez-vous à concilier les deux Opint avec la préparation opérationnelle et le respect du temps de régénération des troupes ? L'action de la marine a permis de conserver un lien essentiel entre la métropole et les territoires ultramarins, en plus d'acheminer des matériels de première nécessité. Quelle est votre analyse de la conduite de la crise dans la marine américaine avec l'épisode de l'USS Theodore Roosevelt et la prolongation des opérations en mer de l'USS Harry Truman ? En comparaison avec la contamination des marins du Charles-de-Gaulle, comment expliquez-vous les différences notables dans la gestion de ces situations ?
Ma deuxième question porte sur la protection des soldats en mission. Les armées disposent-elles de matériels et de stocks suffisants pour tenir en cas de rebond de l'épidémie ? En termes de préparation, l'état-major envisage-t-il des mesures pour renforcer les manoeuvres de protection en milieu nucléaire, radiologique, biologique ou chimique (NRBC) à grande échelle ?
Si la mobilisation du service de santé des armées a été exceptionnelle, sur les théâtres extérieurs, la priorité reste la lutte contre le terrorisme, qui ne faiblit pas malgré le Covid-19. En cas de regain d'intensité, de combien d'hôpitaux de campagne, avec matériel sensible et équipement post-opératoire, disposons-nous ?
La France participe à plusieurs opérations avec l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) et l'Union européenne. Quelles sont les normes en matière de sécurité sanitaire ? Comment maintenir notre interopérabilité avec les autres armées en cas de pandémie, et garantir une protection minimale contre les contaminations ? Quelles sont les procédures spécifiques, sanitaires et sécuritaires, mises en place en cas de pandémie pour les familles des soldats ?
Enfin, nous travaillons actuellement à la future révision de la LPM. Que préconisez-vous pour parvenir à intégrer le concept de défense sanitaire dans le texte, avec une ligne budgétaire dédiée ?
M. Gilbert Roger, au nom du groupe socialiste et républicain. - Comment assurer la poursuite des OPEX en cette période de crise sanitaire mondiale, notamment les opérations anti-djihadistes au Sahel ?
Comment le risque de pandémie sera-t-il intégré à la loi de programmation militaire dès 2021 ? Nous avions envisagé l'attaque bactériologique d'une armée contre une autre, mais pas que la moitié du monde puisse être touchée par une pandémie importante.
La directrice du service de santé des armées estime qu'il manque au moins 100 médecins. Quelles décisions devrions-nous prendre ?
M. Jean-Marie Bockel, au nom du groupe Union Centriste. - Depuis Mulhouse, où je suis confiné, je tiens à vous redire combien la présence de l'hôpital de campagne, connecté à l'hôpital civil, a été précieuse sur le plan médical et psychologique, à un moment où la population et les soignants en avaient le plus besoin.
Résilience vient s'ajouter à toutes les opérations intérieures et extérieures en cours, et cela fait beaucoup d'engagements concomitants pour nos armées. Conditions optimales de relève des troupes, protection sanitaire, efficacité opérationnelle, gestion de la fatigue de nos soldats : les défis à relever sont nombreux. Comment y faire face dans la durée ? Notre commission entend être aux côtés des armées, dans une logique de partenariat, ce qui nécessite, comme nous le faisons aujourd'hui, une transparence et un dialogue permanents.
Alors que nous déplorons des premiers cas de contamination au Sahel, les terroristes ne connaissent pas le confinement. Quel est l'état de la mobilisation de nos partenaires européens dans l'opération Barkhane ? Les armées européennes apportent chacune leurs réponses face à l'épidémie et il est important, y compris pour le moral des troupes, que la coordination soit optimale entre les différents contingents. Qu'en est-il actuellement ?
Avec ma collègue Christine Prunaud, je suis rapporteur spécial du programme budgétaire 178, qui comprend notamment le service de santé des armées. L'audition de sa directrice centrale fut très intéressante. La question de la montée en puissance des moyens se pose, de même que celle du risque d'être confronté à une pénurie de médecins en raison d'un important turn-over. Au-delà, l'affaire du Charles-de-Gaulle pose aussi en filigrane la question de la bonne coordination entre le SSA et les différentes armes. Elle existe déjà, mais peut-être faut-il, en temps de crise, que les chefs de ce service aient assez d'autorité pour imposer certaines règles à tous. Je le dis dans un esprit très positif, car les commandants des différentes unités sont aussi dans l'attente des bonnes consignes, au bon moment.
M. Jean-Noël Guérini, au nom du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. - Je veux tout d'abord témoigner de la solidarité et du respect de notre groupe envers nos trois armées.
Beaucoup d'entreprises sont à l'arrêt depuis le début du confinement, mais nos armées, en raison de leur haut niveau d'engagement, continuent d'avoir des besoins en matériel. Comment se porte notre industrie de défense dans le contexte actuel ? Y a-t-il des tensions sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) ? Les missions peuvent-elles se poursuivre dans de bonnes conditions de sécurité pour nos armées ?
Dès le 19 mars, après le discours du Président de la République, l'Agence de l'innovation de défense (AID) a lancé un appel à projets afin de développer des technologies innovantes pour gagner la guerre sanitaire. Le cahier des charges a mis en exergue la recherche de solutions technologiques, organisationnelles, managériales ou d'adaptation des processus industriels. Une enveloppe de 10 millions d'euros a été débloquée. Les entreprises innovantes ont entendu l'appel et 1 050 projets ont été déposés. Deux sont connus du grand public : le test sérologique rapide, développé par une entreprise bretonne, et l'automate mobile connecté, capable de dépister en moins de trente minutes une infection au coronavirus, développé par une entreprise francilienne. Pouvez-vous établir un point d'étape sur ces initiatives de l'AID ?
M. Bernard Cazeau, au nom du groupe La République En Marche. - Nous saluons l'engagement des militaires à tous les niveaux et nous sommes particulièrement fiers de l'action qu'ils mènent dans la lutte contre le coronavirus.
La directrice générale du SSA a confirmé que l'élément militaire de réanimation (EMR) de Mulhouse allait être mis progressivement en décontamination et qu'il avait vocation à être déployé ailleurs, en fonction des besoins, notamment outre-mer. À Mayotte, l'inquiétude est très grande face à l'augmentation des cas de Covid-19, alors que sévit déjà une épidémie de dengue et que les infrastructures sanitaires sont déjà en tension. L'EMR pourrait-il être déployé à Mayotte, en complément du fret sanitaire assuré par le porte-hélicoptères amphibie Mistral ?
Nous savons aussi que le continent africain va certainement encaisser très durement cette épidémie. Quels modes d'action nouveaux envisageons-nous, avec nos partenaires du Sahel, face au Covid ? Une réflexion est-elle en cours au sein de la force européenne Takuba ? Quel est l'impact de la pandémie sur le processus de coordination 3D - diplomatie, défense et développement - de Barkhane ?
Mme Christine Prunaud, au nom du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. - L'opération Résilience est une réussite. Nous ne devrons pas oublier le SSA dans les futures LPM.
Comment organisez-vous la relève et les rotations des militaires en OPEX et sur notre territoire dans ce contexte de crise sanitaire ? Le mandat actuel des soldats engagés est-il prolongé de un à deux mois, comme la ministre l'avait envisagé lors de sa dernière audition ?
Le terrorisme s'amplifie dans de nombreux pays, au-delà même du Sahel. Les fondamentalistes sont de plus en plus vindicatifs et ils utilisent le Covid-19 pour leur propagande, en le présentant comme une sanction divine contre les mécréants. Les attentats contre les civils et les armées gouvernementales se multiplient. Comment pouvez-vous organiser l'action des troupes dans un tel marasme, malgré quelques succès enregistrés récemment ?
Notre gouvernement soutient enfin l'appel du secrétaire général des Nations Unies à un cessez-le-feu universel et immédiat. Il existe un véritable consensus au sein de notre commission en faveur de cet appel. Est-ce un voeu pieux selon vous ? Au Sahel en particulier, vous semble-t-il possible de mettre fin au conflit armé ?
M. Joël Guerriau, au nom du groupe Les Indépendants. - Le porte-avions Charles-de-Gaulle représente une capacité opérationnelle et symbolique, considérée comme l'affirmation de notre puissance nationale. L'immobilisation de ce navire amiral est-elle préjudiciable aux opérations navales actuellement en cours ? Quand sera-t-il de nouveau opérationnel ? Quelles mesures sanitaires sont-elles prises pour éviter que le même scénario ne se reproduise sur d'autres bâtiments maritimes engagés dans différentes missions à travers le monde ?
La recrudescence du terrorisme en Afrique affecte-t-elle nos opérations Barkhane et Chammal ?
Certaines armées, compte tenu de la pénurie de masques, assurent elles-mêmes la fabrication et la distribution de cet équipement de protection. C'est le cas des États-Unis, de l'Australie et du Liban. Qu'en pensez-vous ?
M. Christian Cambon, président. - Mon général, je vous rappelle également que je souhaiterais recueillir votre avis sur ma proposition de tester systématiquement les membres de nos forces armées avant toute projection en opération.
Général François Lecointre. - Je commencerai par vous apporter des précisions sur les OPEX. Au Levant, nous nous sommes retirés des missions de formation que nous menions auprès de l'armée irakienne, mais nous sommes prêts à les poursuivre ultérieurement, dans le cadre de la coalition, dans celui de la mission de l'OTAN en Irak, voire dans le cadre de notre relation bilatérale. Plusieurs options seront proposées au Président de la République.
En revanche, nous y poursuivons notre action antiterroriste, en particulier par voie aérienne.
Nous ne savons pas exactement ce que vont faire les Américains. Ils ont recentré leur dispositif sur trois bases très protégées, dotées de moyens de défense antiaérienne renforcés, qui leur permettent de faire face à toute agression.
Nous constatons par ailleurs une nette remontée en puissance des groupes armés terroristes, notamment de Daech dans le nord de l'Irak et dans la moyenne vallée de l'Euphrate. Il fallait s'y attendre, mais cela nous inquiète.
Madame Prunaud, ayant horreur de la guerre comme tout militaire, je rêverais d'une trêve générale. Mais cela n'est possible qu'entre des armées organisées, respectueuses du droit de la guerre et obéissant à un pouvoir politique bien établi. Sur nos deux principaux théâtres d'opérations, nous n'observons aucune trêve, et la demande du Secrétaire général de l'ONU ne rencontre aucun écho.
Barkhane connaît une bonne dynamique depuis le sommet de Pau. En concentrant notre action sur la zone des trois frontières, nous avons obtenu des résultats très importants, avec une désorganisation de l'État islamique au Grand Sahara (EIGS) et, parallèlement, une montée en puissance technique et logistique de deux armées partenaires, celles du Niger et du Mali. Afin de ne pas casser cette dynamique issue du sommet de Pau, nous devons rester auprès de nos partenaires africains, y compris dans le cadre de l'engagement de la force conjointe du G5 Sahel. Nous le faisons avec beaucoup d'efficacité, en ayant mis en place des moyens pertinents de commandement et d'acquisition du renseignement. Nous devons continuer à entraîner nos partenaires européens dans cette dynamique. L'Allemagne et l'Espagne nous fournissent un appui précieux en matière de logistique et de transport stratégique, et, outre l'engagement des Britanniques, des Danois et des Estoniens au sein même de l'opération Barkhane, nous continuons par ailleurs de recevoir l'appui des Américains. Nous avons réussi à maintenir le déploiement de la capacité opérationnelle initiale de la task force Takuba, qui devrait prendre le relais, en accompagnement des forces partenaires, à partir de l'été, avant d'être pleinement opérationnelle cet automne.
Pour répondre plus précisément à M. Bockel, nos partenaires qui s'étaient engagés maintiennent leur participation à Barkhane, à l'exception des Norvégiens, qui devraient je l'espère nous rejoindre plus tard.
L'armée française exerce objectivement le leadership sur cette coalition, et il est important de montrer que nous ne nous laissons pas abattre par la crise du Covid.
Comment concilier cet engagement au combat et la protection de nos personnels ? Aujourd'hui, l'épidémie est en Afrique. Depuis le début de la crise sanitaire, moins d'une cinquantaine de cas se sont déclarés sur l'ensemble de nos théâtres d'opérations extérieures. Nous avons déployé sur place des moyens de détection appropriés, de même que des moyens de réanimation et nous préservons des moyens d'évacuation comme nos avions MRTT équipés de kits Morphée. Deux personnes engagées dans l'opération Barkhane ont ainsi été évacuées voilà quelques semaines.
Nous sommes également très attentifs à limiter les contacts de nos soldats avec la population locale, et les règles de recours au personnel civil local ont été revues. Nous veillons aussi, tout en continuant à mener des opérations conjointes avec des armées partenaires, à respecter les règles de distanciation sociales nécessaires à la protection de nos troupes.
Nous apportons un appui méthodologique à nos camarades africains des forces armées partenaires pour prendre en charge la crise du Covid, le cas échéant. Toutefois, aujourd'hui, je ne puis vous dire de quelle façon nos partenaires seront atteints par cette crise. Elle peut s'avérer catastrophique, mais elle peut aussi se mêler au bruit de fond des maladies, épidémies - dengue, paludisme, tuberculose - et crises sanitaires multiples du continent. La population de ces pays est très jeune, et son rapport à la mort très différent du nôtre. Je me garderai donc bien de faire le moindre pronostic.
Monsieur le président, oui, bien sûr, nous souhaitons que tous les soldats engagés dans les OPEX soient préalablement testés.
D'ores et déjà, des systèmes de quatorzaine ont été mis en place pour tous les soldats engagés dans une situation opérationnelle. Pour les missions les plus sensibles et les plus stratégiques, nous combinons à cette quatorzaine un test systématique de toutes les personnes engagées.
Nous avons par ailleurs commandé 100 000 tests de dépistage rapide dits TDR. Notre objectif est d'être en mesure de tester rapidement, avant leur projection en mission au terme de leur quatorzaine, les 14 000 militaires engagés dans les postures permanentes, les opérations Sentinelle et Résilience, ainsi que tout le personnel soignant et des états-majors opérationnels. Dans un second temps, nous voulons pouvoir tester les 65 000 militaires engagés dans la posture permanente de sécurité et les mandats d'opérations extérieures.
Nous devons préserver notre capacité opérationnelle en garantissant que les militaires engagés ne sont pas malades. Nous avons aussi une obligation vis-à-vis des pays qui acceptent nos forces, que nous ne voulons bien sûr pas risquer de contaminer.
Ce système lourd, qui nécessite une logistique importante, se traduit dans l'immédiat par un allongement des relèves. Nous venons d'effectuer celle du poste de commandement interarmées de théâtre (PCIAT) de Barkhane avec quelques semaines de retard, car nous avons pris la précaution de ces quatorzaines.
Je précise aussi que les soldats de l'opération Résilience qui vont venir en renfort outre-mer auront au préalable été en quatorzaine, de façon à garantir qu'ils n'apporteront pas le virus sur ces territoires.
Nous ferons tout pour éviter autant que possible des décalages dans les relèves des opérations. La quatorzaine rallonge déjà le temps d'absence des soldats auprès de leur famille, et la durée d'une mission est très importante pour le moral de nos hommes Je ne peux toutefois pas garantir que nous parviendrons à éviter les décalages, car les précautions que nous prenons compliquent l'organisation logistique et nécessitent une préparation importante. C'est d'ailleurs ce que Madame la ministre vous a dit.
S'agissant du Charles-de-Gaulle, à ce stade des enquêtes, je ne suis pas capable de dire si des erreurs ont été commises et, si oui, lesquelles. Le commandement du bâtiment, et le commandement organique de la marine, conservent toute ma confiance. En l'état de nos connaissances sur le virus au moment où la contagion s'est propagée à bord du Charles-de-Gaulle, le commandement a entrepris des actions sensées et sérieuses, avec l'obsession de protéger ses hommes et de poursuivre sa mission de préparation opérationnelle et d'engagement - une ultime mission était prévue, mais elle a finalement dû être écourtée.
Dès lors que nous avons eu connaissance de l'accélération rapide des contaminations, qui signait l'infection par le Covid 19, nous avons envoyé sur place une mission d'épidémiologistes et nous avons décidé de faire revenir le bâtiment au port de Toulon.
Nous avons mis en place un système de quarantaine très exigeant et testé l'ensemble de l'équipage pour éviter que la contagion ne s'étende au-delà de l'équipage, en particulier aux familles. J'espère que l'enquête épidémiologique permettra de nous éclairer et que nous pourrons en tirer le maximum d'enseignements, le Charles-de-Gaulle constituant finalement un laboratoire de la façon dont se comporte le virus.
Le Charles-de-Gaulle sera disponible lorsque son équipage le sera et une fois la désinfection achevée. Cette dernière est déjà réalisée à 90 %, grâce aux équipes du 2e régiment de dragons NBC, qui ont été extrêmement efficaces et rapides. Elle sera terminée à la fin de ce mois. « Ce bâtiment sera apte à reprendre la mer avec ses pleines capacités opérationnelles lorsque les marins qui le composent seront guéris, et auront pu prendre quelques congés, dûment mérités aux termes d'une mission exigeante de trois mois en mer. Et je ne considère absolument pas la période de confinement qu'ils vivent aujourd'hui comme une période de repos ».
Le surcoût de l'opération Résilience est en cours d'évaluation. Les lieux publics étant moins fréquentés du fait du confinement, l'activité de l'opération Sentinelle est réduite, et environ 1 500 hommes ont été ponctionnés au profit de Résilience. Les quelque 1 700 autres hommes participant à cette mission sont des renforts déployés spécifiquement par les armées.
Les contraintes de préparation opérationnelle, qui s'ajoutent à celles du confinement, compliquent le déploiement dans l'opération Résilience. Mais les armées peuvent soutenir cette charge pour s'engager massivement en soutien à la population, qu'il s'agisse de missions sanitaires, de missions de logistique ou, si nécessaire, de missions de protection. C'est pleinement cohérent avec la doctrine de nos armées.
Aujourd'hui, le problème n'est pas le manque de moyens, mais le fait qu'un certain nombre d'entreprises sont dans l'incapacité de fournir les services demandés. Voilà pourquoi l'armée assume diverses missions logistiques. Bien sûr, sitôt que le déconfinement sera engagé, ces tâches seront confiées en priorité aux prestataires privés ; ce sera aussi le moyen de relancer l'emploi. Nous y sommes très attentifs, ainsi qu'à la dette que nous commençons à accumuler quant à la préparation opérationnelle.
Au titre du maintien en condition opérationnelle (MCO), la contrainte subie par les armées du fait de l'arrêt de l'activité industrielle est maîtrisée. Nous avons constitué des stocks, qu'il s'agisse des pièces de rechange, des vivres ou du carburant, y compris sur les théâtres d'opérations. Nous pouvons donc tenir le rythme de nos engagements et de nos opérations à horizon de trois ou quatre mois. En revanche, nous connaîtrons probablement un effet retard. Un certain nombre d'arrêts techniques et de visites systématiques d'équipements ont été reportés ; sans doute à partir de la rentrée, nous aurons donc une baisse de régime pour assurer les mises en réparation, notamment dans le domaine naval.
Monsieur Bockel, monsieur le ministre, vous êtes un fin connaisseur de la chose militaire, et vous savez que le commandement ne saurait abdiquer sa responsabilité. Bien sûr, le service de santé a une compétence technique et une expertise à faire valoir. Il exerce un rôle de conseil. Mais en aucun cas je n'accepterai que cet avis d'expert vienne se substituer à la responsabilité du commandement qui, in fine, doit décider après avoir développé une vision la plus globale possible, et en endossant seul l'entière responsabilité des ordres donnés. Pour autant, des avis très précis sont donnés à toutes les forces engagées en opération, jusqu'au plus haut niveau.
D'une part, la médecine hospitalière est très engagée, en particulier dans les zones où la crise atteint de hauts degrés, comme le Grand Est et l'Île-de-France. Je pense en particulier aux hôpitaux d'instruction des armées (HIA), qui participent, au même titre que les hôpitaux civils, à la prise en charge d'une population entièrement civile. On peut citer les hôpitaux Percy et Bégin près de Paris, ou encore l'hôpital Laveran, à Marseille.
D'autre part, la médecine des forces, organisée en centres médicaux des armées, est engagée auprès des bases de défense ainsi que sur les bâtiments de la marine nationale, auprès des chefs militaires. Elle remplit parfaitement son rôle d'expertise et de conseil.
Cette crise confirme toutefois un certain nombre de faiblesses connues du service de santé des armées. Si ce service manque d'une centaine de médecins, c'est moins faute de postes budgétaires qu'à cause de l'instabilité des effectifs : à nous de faire les efforts nécessaires pour les fidéliser.
Aujourd'hui, nous avons un seul hôpital de campagne, à partir duquel nous avons créé notre élément militaire de réanimation. De plus, nous avons mis en place en opérations extérieures, ainsi qu'au sein de nos forces prépositionnées ou de nos navires, des infrastructures médicales de type ROLE 2 et ROLE 1. Depuis des années, le service de santé des armées s'est adapté à la médicalisation de l'avant, pour respecter l'exigence de la Golden Hour : il doit être en mesure d'hospitaliser ou de traiter médicalement un blessé une heure après qu'il a été atteint par l'ennemi. Cela suppose de l'éparpiller sur tous les théâtres d'opération, ce qui coûte cher.
Dans cette médecine des forces, le service de santé fait preuve d'une remarquable efficacité, mais il n'a pas de réserves au-delà. Nous sommes ainsi, globalement, à notre contrat opérationnel en termes de ROLE 1 et 2 déployés. Nous verrons s'il faut constituer des réserves supplémentaires pour le service de santé des armées ; mais ne tirons pas de conclusions hâtives.
Enfin, monsieur Guérini, au sujet de cet appel à projets de l'AID, je n'ai pas d'éléments à ce stade, mais reviendrai vers vous.
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Les personnels de l'armée travaillant dans nos bases souterraines occupent des postes extrêmement sensibles et hautement stratégiques. Ils se trouvent dans des espaces réduits, à des postes toujours très proches physiquement les uns des autres. Comment se passe le confinement pour eux ? Rentrent-ils chez eux tous les soirs, au risque de propager le virus ? Sont-ils régulièrement testés ? Pour faire face à d'éventuelles attaques venant de l'extérieur, l'air de ces bases souterraines est le plus souvent filtré et recyclé en circuit fermé. Quel est le système d'aération utilisé dans les sous-sols des bases comme celle de Lyon-Mont Verdun ? Quels sont les moyens mis en place pour y empêcher la propagation du virus, afin d'éviter un Charles-de-Gaulle bis ?
M. Olivier Cadic. - Le risque cyber est au niveau écarlate et, sur la blogosphère, pas moins de 100 000 domaines « .org » ont été créés, en Afrique, en lien avec le Covid-19. Une galaxie de militants attaque la France, accusant nos armées d'avoir propagé la maladie. Avez-vous des précisions à ce sujet ? Vos services ont-ils identifié le ou les pays qui sont derrière ces créations de comptes ? Si oui, pouvez-vous les nommer ?
M. Olivier Cigolotti. - Suivant les scenarii les plus sombres, peut-on envisager que la crise du Covid-19 ait raison de la construction du porte-avions de nouvelle génération ? La situation économique pourrait-elle primer les intérêts stratégiques de notre Nation ?
M. Ladislas Poniatowski. - Mercredi dernier, l'Iran a lancé un satellite militaire, semble-t-il avec succès, puisqu'il a orbité autour de la Terre à 425 kilomètres. Les États-Unis ont réagi très vivement, en dénonçant une violation de la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU - la France est, elle aussi, très vigilante à cet égard. Ils ont ajouté que, dans le détroit d'Ormuz, ils n'accepteraient plus la moindre approche d'un de leurs navires par des bâtiments iraniens. Ne risquons-nous pas de subir des répercussions en Jordanie, en Syrie et en Irak ?
M. Ronan Le Gleut. - Le 23 mars dernier, Boko Haram a mené une attaque sur la presqu'île de Bohoma, au Tchad. Les combats ont duré sept heures sur les rives du lac Tchad et coûté la vie à une centaine de militaires tchadiens. Il s'agit des plus lourdes pertes subies par l'armée tchadienne en une seule journée. Depuis, le président Idriss Déby a déclenché l'opération Colère de Bohoma. Si l'armée tchadienne décide de ne plus sortir de ses frontières, le G5 Sahel sera-t-il durablement affaibli ? Le Tchad reste-t-il pleinement engagé dans cette coalition ?
M. Robert Laufoaulu. - La ministre des armées nous a déclaré que l'opération Résilience allait se déployer en Polynésie française, en commençant par l'envoi d'un avion. Le vol programmé a-t-il eu lieu ? Qu'en est-il d'un soutien à la Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna ? L'arrivée d'une relève militaire suscite beaucoup de craintes dans la population de Nouvelle-Calédonie, qui redoute une plus grande propagation du Covid-19. Est-elle bien prévue pour le 26 avril prochain ? Combien de temps les militaires qui arrivent au terme de leur séjour calédonien pourraient-ils encore tenir s'ils ne pouvaient être remplacés ?
Général François Lecointre. - Madame Goy-Chavent, le personnel des bases souterraines est beaucoup moins confiné que celui du Charles-de-Gaulle ; il dispose la plupart du temps d'espaces de bureau permettant de respecter les distanciations préconisées par le Gouvernement. Par ailleurs, pour chaque site, enterré ou non, nous avons une bonne connaissance des circuits d'aération et de filtration, grâce à la triple expertise des architectes, des maintenanciers, et de nos experts NRBC, donc dans le cas qui nous occupe, Bactériologique. Enfin, pour le centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), comme pour toute la chaîne opérationnelle à Paris et au-delà, les équipes appliquent les gestes barrières, portent le masque et se relayent selon un système de bordées. Certains, confinés chez eux ou travaillant dans un autre lieu, sont appelés le cas échéant pour remplacer d'éventuelles personnes contaminées.
Monsieur Cadic, 100 000 domaines « .org » en lien avec le Covid-19 sont effectivement en cours de création à partir de l'Afrique. Aujourd'hui, nous n'identifions pas de pays derrière cette opération. Cela étant - c'est de notoriété publique -, la Chine orchestre une propagande très offensive, vers les pays d'Europe et d'Afrique, pour tenter de redorer son blason. Nous nous efforçons de contrer cette propagande. Non seulement nos armées ne baissent pas la garde - elles poursuivent leur action auprès des armées partenaires -, mais, dans les domaines sanitaire, humanitaire et financier, nous maintenons les engagements de la France envers l'Afrique : en témoignent les initiatives du Président de la République pour ce qui concerne la dette, ou encore les actions menées dans le domaine de la recherche.
Monsieur Cigolotti, le porte-avions de nouvelle génération est une capacité clef des armées, sur les plans opérationnel, politique et symbolique. Il est nécessaire que ce porte-avions soit lancé à la date prévue pour prendre la relève du Charles-de-Gaulle. Je n'imagine pas que la France remette en question un tel programme.
Monsieur Poniatowski, nous sommes des partenaires fermes, fiables, solides et pleinement engagés au sein de la coalition dirigée par les Américains, étant entendu que celle-ci a pour seul ennemi Daech. Nous tenons ce rang. Néanmoins, nous n'entendons pas suivre les Américains dans une montée en tension contre l'Iran : pour marquer notre différence avec l'opération Sentinel, nous avons donc lancé l'opération Agénor. Cette posture équilibrée est bien comprise par tous les acteurs. Elle est la mieux à même d'empêcher un entraînement dans une action contre l'Iran. Je n'observe donc pas de risque particulier à cet égard, même s'il ne faut jamais rien écarter.
Monsieur Le Gleut, l'engagement du Tchad dans le G5 Sahel n'est pas remis en cause, mais l'envoi du bataillon tchadien promis par le président Déby dans la zone des trois frontières, côté nigérien, pourrait être retardé : l'opération « Colère de Bohoma » a conduit à retenir ce bataillon, qui était prêt à partir pour le Niger avec le soutien logistique de la France. Nous espérons qu'il sera engagé le plus rapidement possible.
Monsieur Laufoaulu, votre question m'incite à évoquer, plus largement, les outre-mer. L'aide apportée par l'envoi du porte-hélicoptères Mistral à La Réunion bénéficie principalement à Mayotte : au déploiement de renforts sur place, permettant de mener des opérations de protection, de surveillance et d'aide à la population, s'ajoute le transfert de fret de La Réunion vers Mayotte, les liaisons directes ayant été coupées et le pont aérien ne pouvant avoir les mêmes performances que le Mistral.
En outre, on pourrait y engager demain des modules de l'élément militaire de réanimation (EMR) mis en place à Mulhouse. Dans cette hypothèse, nous sommes en train de le reconditionner pour partie, ce qui demande une dizaine de jours. Toutefois, il doit être déployé auprès d'un hôpital, pour bénéficier des flux de ce dernier ; si les conditions à Mayotte le nécessitent et le permettent, nous le ferons. Nous pourrons également délester certains services de réanimation outre-mer à l'aide de nos MRTT équipés du kit Morphée ; c'est ce que nous avons fait en France métropolitaine, entre régions et entre hôpitaux.
L'A400M, qui a pour mission de décloisonner les différentes îles de Polynésie française, devrait arriver sur place le 27 avril prochain. Il est attendu par la Polynésie et il y rendra de fiers services. Des discussions sont en cours avec le gouvernement de Nouvelle-Calédonie quant à la relève prévue. En tout état de cause, nous respecterons les conditions de confinement préalable et de quatorzaine, portée à vingt et un jours en vertu de la décision prise aujourd'hui par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie.
M. Pascal Allizard. - Mon général, ma question portait sur la disponibilité des industriels, mais vous y avez déjà répondu, et je vous en remercie.
Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Dans ce contexte de pandémie, nous subissons de plus en plus de cyberattaques. Menées par un terrorisme mutant, qui maîtrise parfaitement les nouvelles technologies, elles exigent une riposte militaire pointue. En cas de cyberattaque avec destruction de satellites, pourrons-nous préserver une capacité opérationnelle pour la surveillance et le renseignement de l'espace ? Quels types de partenariats la France a-t-elle développés pour faire face à une telle situation ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - L'OTAN a récemment détaillé ses initiatives face au Covid-19, en soutien aux populations civiles. La note publiée à ce titre mentionne beaucoup de pays membres, mais ne consacre pas un mot à la France. Quelles sont les opérations que vous menez avec l'OTAN ? Ne pourrait-on pas améliorer nos efforts de communication envers cette organisation ?
M. Bruno Sido. - Le confinement de quatorze jours avant le départ en opération est une bonne chose, mais il pose problème sur le plan opérationnel. En particulier, comment préserver la réactivité de notre marine ?
Général François Lecointre. - Madame Raimond-Pavero, nos capacités de surveillance et de défense de l'espace sont pleinement conservées, et nous faisons monter en puissance le commandement de l'espace. Nos capacités nous placent aujourd'hui parmi les principaux acteurs du monde occidental et parmi les grands acteurs mondiaux dans le domaine spatial, y compris en matière militaire. Nous disposons, à ce titre, d'un partenariat extrêmement étroit avec les États-Unis. Tout ce que je pourrais craindre, c'est que nous ne puissions plus faire monter en puissance le commandement de l'espace comme prévu, du fait d'une réaffectation des ressources ; mais chacun a conscience qu'il s'agit d'un impératif.
En outre, nous avons proposé que le commandement de l'espace soit érigé en centre d'excellence de l'OTAN et nous avons de bonnes chances d'être retenus.
Madame Garriaud-Maylam, l'OTAN essaye d'exister dans cette crise, face à l'Union européenne et aux coopérations armées bilatérales des pays membres de l'OTAN. La coopération européenne, en particulier via l'European Air Transport Command (EATC), a sans doute été plus efficace que les institutions de l'OTAN. Je ne le regrette pas : sont ainsi réaffirmés les rôles de l'état-major de l'Union européenne (EMUE) et de la capacité militaire de planification et de conduite (MPCC), qui doit lui être strictement subordonnée - la question se pose aujourd'hui, dans le cadre de la réorganisation du service européen pour l'action extérieure (SEAE). L'OTAN a toute sa légitimité dans la défense collective ; personne ne la remet en question. Mais s'il doit y avoir concurrence, ce qui n'est pas souhaitable, priorité doit être donnée à la coopération menée dans le cadre de l'Union européenne.
Enfin, monsieur Sido, la mise en quatorzaine ne nuit pas à la réactivité de nos armées. Ces dernières disposent de capacités d'anticipation, en particulier d'anticipation d'alerte. Ainsi, l'élément national d'urgence peut être engagé : les personnes qui le composent sont déjà mises en quatorzaine.
M. Christian Cambon, président. - Mon général, vous constatez que, malgré des conditions de travail un peu particulières, nous restons très attentifs à nos forces armées. Nous sommes à vos côtés et nous le serons plus tard pour tirer toutes les conséquences, y compris budgétaires, de la situation actuelle. Au nom de la commission, je vous adresse tous nos remerciements.
Mes chers collègues, nous nous retrouvons demain, à dix heures trente, pour une audition partagée de Mme de Montchalin avec la commission des finances et la commission des affaires européennes. Ladislas Poniatowski m'y représentera. Les temps de parole seront nécessairement contingentés.
La téléconférence est close à 17 heures.
Vendredi 24 avril 2020
- Présidence de M. Ladislas Poniatowski, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes et de M. Emmanuel Capus, vice-président de la commission des finances
La téléconférence est ouverte à 10 h 30.
Audition de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes, suite au Conseil européen du 23 avril 2020 (en téléconférence)
M. Jean Bizet, président. - Madame la ministre, merci d'avoir accepté notre sollicitation pour cet échange par audioconférence au lendemain d'un Conseil européen très attendu. Nous vous entendons un mois à peine après notre dernière réunion, qui suivait le Conseil européen du 26 mars, au tout début de la période de confinement.
Ce laps de temps aura été dense : en quatre semaines, l'Union européenne est parvenue à construire une réponse tous azimuts à la crise sanitaire qui la frappe aujourd'hui, comme elle frappe l'ensemble de la planète, ainsi qu'au choc économique qui en découle et qui s'annonce très profond.
Dans leur déclaration commune du 26 mars 2020, les chefs d'État ou de gouvernement des États membres avaient mandaté les présidents du Conseil européen et de la Commission européenne pour coordonner leur action en vue de la levée progressive du confinement. C'est chose faite grâce à l'accord intervenu la semaine dernière sur des lignes directrices communes pour encadrer cette étape. Il devrait permettre de garantir un équilibre entre l'impératif de sécurité sanitaire et le respect de nos valeurs fondamentales.
Il leur était demandé de s'accorder sur un plan de relance et d'investissement sans précédent. Une feuille de route commune, élaborée par le président Michel et la présidente von der Leyen, a donc été discutée hier au Conseil européen. Elle appelait notamment à un effort d'investissement commun et massif, qui viendrait compléter le plan de 540 milliards d'euros arrêté par l'Eurogroupe le 9 avril et reposant sur le Mécanisme européen de stabilité (MES), la Banque européenne d'investissement (BEI), et le nouveau dispositif SURE de financement du chômage partiel.
Il semblerait pourtant que le Conseil européen n'ait pas réussi hier à convenir d'une capacité commune d'endettement à la hauteur de la crise. L'Union européenne se trouve à un moment de vérité : son unité serait mise en péril si elle laissait à l'abandon les États les plus frappés par le virus, d'autant que ceux-ci se trouvent être les plus fragiles financièrement. Sa place dans le monde serait menacée si elle n'apportait pas une réponse économique aussi forte que le choc subi.
Thierry Breton, que nous avons auditionné lundi, a précisément insisté sur la nécessité d'assurer des conditions loyales de concurrence entre les continents et de doter l'Europe d'un plan de relance d'ampleur comparable à celui engagé par nos partenaires américain et chinois, autour de 10 % de leur PIB.
Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, si les positions des États membres sont en voie de converger sur ce sujet ? La solution qui consisterait à utiliser plutôt le budget européen pour financer cette relance est-elle mieux reçue par nos partenaires les plus rétifs que l'hypothèse d'un fonds dédié ? Le débat sur la création de nouvelles ressources propres de l'Union européenne a-t-il repris ? S'agira-t-il, avec ce plan de relance, de financer des prêts aux États ou des transferts vers les secteurs ou régions les plus affectés ?
Imaginons qu'un accord soit trouvé sur les modalités de financement de la relance au prochain Conseil européen, début mai. Voyez-vous se dégager un consensus sur les priorités de ce plan ?
On évoque un consensus grandissant autour de la notion d'autonomie stratégique de l'Union européenne : quelle en sera la traduction concrète dans le nouveau cadre financier pluriannuel que prépare la Commission ? Le budget consacré à la politique agricole, dont le caractère stratégique est désormais reconnu, sera-t-il revu à la hausse ? L'articulation de la politique de concurrence avec la politique industrielle sera-t-elle modifiée pour restaurer l'autonomie de l'Union européenne là où la crise a montré que c'était nécessaire ?
Nous voyons à cet égard un début encourageant d'assouplissement des règles de concurrence au bénéfice des secteurs les plus touchés, comme l'agriculture ou le transport aérien, mais cela reste timide.
La commission des affaires européennes du Sénat entend pousser les feux, notamment sur ces deux dossiers urgents. Je lui proposerai dès la semaine prochaine d'adresser à la Commission européenne un avis politique pour la survie de nos agriculteurs.
Avant de vous laisser nous éclairer sur tous ces sujets, je suggère de donner la parole à Emmanuel Capus, vice-président de la commission des finances, puis à Ladislas Poniatowski, qui représente ce matin la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
M. Emmanuel Capus. - Madame la ministre, l'ordre du jour du Conseil européen qui s'est tenu hier visait notamment à déterminer une feuille de route commune pour la relance de l'économie européenne, mise à l'arrêt de façon brutale par l'épidémie de Covid-19. L'accord trouvé par l'Eurogroupe le 9 avril dernier constituait une base de discussion, mais éludait la question d'une possible mutualisation des dettes entre les États membres.
Le recours à un fonds de relance, dont la nature était à définir, a ainsi permis de renvoyer au Conseil européen la délicate tâche de clarifier les caractéristiques de ce nouvel instrument budgétaire. Or au terme des échanges qui se sont tenus hier, force est de constater que cette question n'a pas encore été résolue et que les désaccords entre les États membres persistent toujours.
Ce fonds de relance pourrait prendre plusieurs formes. Il pourrait se traduire par l'émission de titres de dettes communs, abaissant ainsi le coût de l'emprunt pour les États membres. Néanmoins, cette option n'élude pas le problème de la progression de la dette publique, qui devient insoutenable pour certains États membres.
Ce fonds pourrait également permettre des transferts budgétaires entre États membres, mais il reste à définir les pays bénéficiaires et l'articulation d'un tel dispositif avec le budget de l'Union européenne.
Toutes les options restent ouvertes et renvoient, comme toujours, à l'un des problèmes existentiels de l'Union européenne : où faut-il placer le curseur de la solidarité entre les États membres ?
Un prochain Conseil européen devrait se tenir début mai afin de poursuivre ces débats. D'ici là, nous pouvons toutefois nous réjouir que les États membres se soient accordés sur les trois volets de l'accord de l'Eurogroupe, à savoir la mobilisation d'une ligne de crédit du MES, le dispositif de refinancement des mécanismes de chômage partiel et la mobilisation de la BEI.
Madame la ministre, la crise économique résultant de la crise sanitaire appelle à la prise de mesures urgentes pour nos entreprises. Or le chemin d'une relance budgétaire coordonnée au sein de l'Union européenne s'annonce long et difficile. Dans cette perspective, plusieurs inquiétudes doivent être relayées.
Premièrement, si le plan de relance budgétaire au niveau de l'Union européenne n'est pas assez ambitieux, le soutien de l'économie reposera uniquement sur l'action de la BCE, qui a montré ses limites lors de la dernière crise.
Deuxièmement, la réduction des déséquilibres financiers au sein de la zone euro devrait être l'un des objectifs du plan de relance après-crise. Elle devra permettre le rattrapage des régions les plus en difficulté économiquement et encourager l'investissement dans les États membres qui bénéficient d'excédents budgétaires, comme l'Allemagne ou les Pays-Bas.
En effet, la fragilité de la zone euro tient à son hétérogénéité, qui rend d'autant plus difficile la résilience en cas de choc économique comme celui que nous connaissons.
Troisièmement, l'articulation de ce fonds de relance avec le budget pluriannuel de l'Union européenne doit être débattue. Le président de l'Eurogroupe, Mário Centeno, s'est exprimé en faveur d'une dissociation de ces deux instruments. Le plan de relance doit être opérationnel très rapidement, au plus tard l'été prochain. Sa mise en oeuvre doit être facile et innovante, plus satisfaisante que celle des fonds structurels de la politique de cohésion.
Je m'interroge dans ce contexte sur l'avenir de l'instrument budgétaire et convergence et de compétitivité (IBBC), anciennement désigné comme le budget de la zone euro. Ne devrait-il pas être intégré au sein de ce fonds de relance ?
Enfin, la perspective d'un nouvel accord a minima ferait porter un lourd tribut politique à l'Union européenne, dont la crédibilité a déjà été entamée par la paralysie des négociations liées au Brexit et par son incapacité à surmonter les blocages lors des négociations du prochain cadre financier pluriannuel.
L'Union européenne ne peut se le permettre. Elle doit être en grande partie la solution à cette crise et se doit d'être au rendez-vous pour apporter une réponse globale, concrète et efficace.
M. Ladislas Poniatowski. - Madame la ministre, j'interviens au nom du président Cambon, que je vous prie d'excuser.
Nos préoccupations sont de deux ordres et liées, d'une part, aux problèmes de libre circulation, d'autre part aux problèmes budgétaires.
S'agissant de la libre circulation en Europe, j'ai bien noté qu'une feuille de route a été fixée hier. J'aimerais que vous nous rappeliez la position de la France, notamment sur le problème de la fermeture de l'espace Schengen. Quelles modalités de réouverture allez-vous défendre compte tenu des tensions transfrontalières et de la difficulté d'harmoniser cette remise en vigueur de la libre circulation ?
Notre deuxième préoccupation est d'ordre budgétaire. Elle concerne le fonds européen de défense, ainsi que l'aide au continent africain.
La commission des affaires étrangères du Sénat a toujours défendu le fonds européen de défense, dont le projet de budget à venir avait déjà été considérablement rogné, alors qu'il est très important pour les différents pays européens et les industriels de l'armement, qui occupent une grande place dans le redémarrage économique. Ne craignez-vous pas que le fonds européen de défense, qui a du mal à sortir la tête de l'eau, ne finisse par être tué par le fonds de relance ?
Enfin, lors de leur dernier sommet, les chefs d'État des vingt-sept pays européens devaient exprimer leur solidarité vis-à-vis du continent africain, mais rien n'a été dit, l'ordre du jour étant sûrement trop chargé pour qu'on puisse aborder ce sujet.
Une des préoccupations du Président de la République est cependant d'aider les pays africains dans cette crise. L'Europe s'est montrée très frileuse dans le soutien qu'elle a apporté à la France pour soutenir son action sur ce continent afin de lutter contre le terrorisme et le djihadisme. Ne va-t-on pas encore rater le coche ?
M. Jean Bizet, président. - Madame la ministre, vous avez la parole.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. - Messieurs les présidents, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis très heureuse d'échanger avec vous. Il est important de pouvoir se retrouver au lendemain de la visioconférence des chefs d'État ou de gouvernement, qui nous a permis d'échanger sur ce que nous devons encore faire ensemble pour sortir de la crise.
Avant de revenir en détail sur les discussions d'hier et la reprise, il nous faut regarder la situation avec lucidité, non pour tirer tous les enseignements de cette crise, mais pour revenir sur ce qui n'a pas fonctionné, notamment nos capacités d'alerte et de réaction collective, qui n'ont pas été activées suffisamment tôt, sur la fermeture unilatérale de certaines frontières et sur les actes de solidarité tangibles, qui ont pu tarder à se manifester.
Il faut aussi reconnaître que les domaines où l'Europe a su jouer un rôle déterminant méritent d'être valorisés.
Je pense à la réponse de la BCE et au soutien massif à la recherche pour trouver un vaccin. 150 millions d'euros ont été rapidement déployés, avec une conférence de financement mondiale qui se tiendra le 4 mai prochain à l'initiative de la Commission européenne et le soutien de la France afin que l'OMS, le GAVI et toutes les institutions publiques, parapubliques et privées puissent contribuer à un fonds commun de recherche.
Je pense aussi aux 600 000 Européens qui ont pu être rapatriés grâce à nos efforts coordonnés, dont 51 000 avec l'aide de moyens mutualisés sur la base d'un financement européen.
Je pense également à la mobilisation de moyens pour financer les systèmes nationaux de santé au profit des plus fragiles, qui représentent 3,5 milliards d'euros, ou pour aider les secteurs les plus touchés grâce au redéploiement de fonds destinés à financer les dépenses induites par la crise à hauteur de 37 milliards d'euros, notamment dans les régions, au titre de l'initiative d'investissement en réaction au Coronavirus.
Enfin, des mesures de marché en faveur du lait et de la viande ont été prises ces derniers jours et des mesures de flexibilité exceptionnelles ont été mises en oeuvre en matière de versement des aides relatives à la politique agricole commune (PAC) et au fonds pêche. La France a pesé de tout son poids. Nous poursuivons le combat avec Didier Guillaume pour aider aussi la filière viticole.
La priorité est maintenant d'élaborer une stratégie de sortie de crise. Une partie de la discussion d'hier était très importante pour acter le fait que nous devons le faire ensemble. Nos destins sont liés, et l'efficacité et la rapidité de la reprise dépendent de notre capacité à définir des réponses communes.
Le premier élément pour réussir la sortie de crise repose sur la coordination des stratégies nationales de déconfinement. La Commission européenne a formulé des orientations de bon sens pour que chaque pays réfléchisse à la sortie du confinement. Le Président de la République a dit hier que le travail que mène Jean Castex sous l'autorité du Premier ministre s'inscrit pleinement dans ces recommandations.
Il ne s'agit pas d'une harmonisation, qui serait illusoire puisque les calendriers et les modalités doivent d'abord dépendre de la situation sanitaire nationale. Il est néanmoins important que nous parvenions à nous coordonner, en particulier sur la question des frontières et de la levée progressive des contrôles en fonction de l'évolution de la situation sanitaire en France, dans les pays qui nous entourent et dans les pays tiers.
Il faut que la levée des contrôles s'effectue de façon progressive C'est le travail que nous conduisons en ce moment avec mes collègues Jean-Yves Le Drian, Christophe Castaner et Laurent Nunez. Nous avons réuni hier le Comité de coopération transfrontalière pour réfléchir à l'ensemble des questions que pose ce déconfinement et qui ont des répercussions des deux côtés de la frontière.
Par ailleurs, les applications mobiles pourront contribuer à rétablir dès que possible une forme de liberté de circulation. Nous cherchons à faire en sorte que ces applications respectent les règles européennes sur les données personnelles et à les rendre interopérables. Il existe un projet franco-allemand très avancé à ce sujet. Il est extrêmement utile que le débat se poursuive au niveau européen. Le Parlement européen s'est saisi du sujet. La France a demandé une réunion des ministres chargés du numérique pour avancer ensemble.
Le deuxième enjeu est celui de la relance économique, principal sujet au coeur des discussions d'hier entre chefs d'État ou de gouvernement. La question est de savoir comment reconstruire ensemble notre économie, et surtout comment faire en sorte que le marché intérieur demeure un bloc cohérent, sans distorsion majeure.
Deux principes guident notre position dans la manière de penser les outils de la relance et ce qu'ils doivent financer.
Le premier principe est celui du renforcement de notre autonomie stratégique et de notre capacité à produire sur notre sol des biens stratégiques en matière économique, industrielle, alimentaire et de défense. Le fonds européen de défense reste donc une priorité de la France.
Le deuxième principe repose sur la solidarité. Le virus a frappé les pays aveuglément, avec des intensités différentes, mais personne n'est responsable. Il est donc très important d'être solidaires, car nous sommes extrêmement interdépendants les uns des autres et aucun pays, si riche soit-il, ne peut se relever seul. Sans client ni fournisseur, les usines ne tourneront pas.
La situation dans laquelle nous nous trouvons est inédite. La récession prévue à ce stade se situe autour de 9 %. Le taux de chômage pourrait doubler mais les évaluations montrent que ce peut être encore plus profond. Nous évaluons l'ensemble des mesures budgétaires déjà annoncées dans la zone euro à 3 % du PIB et les garanties de liquidité à 16 %.
Beaucoup de choses ont été faites depuis le 26 mars. L'Eurogroupe a pu, grâce à un travail franco-allemand, sous la houlette de Bruno Lemaire et d'Olaf Scholz, proposer un compromis sur la protection des travailleurs. Ajoutés au mécanisme SURE de financement du chômage partiel, la mobilisation de la BEI en faveur des entreprises et le recours possible au MES sans réelle conditionnalité, avec les mêmes conditions pour tous les États membres, représentent 540 milliards d'euros. Ces mesures d'urgence ont été validées hier et devront être effectives au 1er juin.
La situation exige cependant que nous allions plus loin, d'où l'idée française d'un fonds de relance, véritable outil de solidarité financière destiné à faire en sorte que la reprise puisse se produire le plus rapidement possible.
Nous défendons quatre priorités.
La première concerne le montant. Les États-Unis, la Chine et l'Allemagne elle-même prévoient à ce stade des fonds de relance massifs. L'Europe ne peut se placer elle-même en situation de déséquilibre ou de désavantage.
Deuxième priorité : chercher à financer l'investissement et à rester compétitifs en cohérence avec l'agenda vert ou les activités numériques. Le but est de préparer l'avenir, de protéger notre capacité à exporter et de faire en sorte que la consommation des citoyens et des entreprises soit basée sur la production européenne afin de ne pas perdre en compétitivité. Il nous faudra naturellement soutenir les secteurs les plus touchés - aérien, automobile - qui, si nous ne les relançons pas par l'investissement, ne seront plus en capacité d'être compétitifs.
Troisième priorité : le mode de financement. Nous cherchons à agir vite et massivement. Nous pensons pouvoir nous appuyer sur le budget européen, les garanties des États ou les ressources propres pour lever de l'argent sur les marchés financiers et obtenir ainsi un effet très en amont. C'est pourquoi l'endettement commun, avec des modalités à définir, est une option que nous défendons.
Quatrième priorité : l'utilisation du budget pluriannuel de l'Union européenne, encore en négociation. Il nous semble important de rendre le fonds de relance et le budget cohérents. Ce fonds de relance constitue une poche d'argent. Il serait intéressant que le budget de la zone euro ou la politique de cohésion contribuent à le déployer. Il est très important de renforcer les outils les plus efficaces. Il faut donc établir une connexion entre le budget lui-même, qu'il nous faut renforcer notamment dans le domaine agricole et celui de la défense, et le fonds de relance, qui peut utiliser les canaux déjà existants dans le budget européen.
Les discussions d'hier ont ouvert toutes ces possibilités. Nous allons continuer à y travailler dans les prochaines semaines avec la Commission européenne, l'Eurogroupe, ainsi qu'avec Charles Michel et les chefs d'État ou de gouvernement.
Nous cherchons à préserver les trois impératifs que sont l'ambition, la solidarité, et l'effet de levier. Nous ne voulons pas d'un accord au rabais.
Il existe encore des désaccords - c'est normal -, mais je suis relativement optimiste. Nous n'avons pas le choix si nous voulons être crédibles. La solennité des discussions qui ont eu lieu hier montre bien que nous devons avoir un dialogue technique sur les meilleurs outils et sur la façon de rembourser les sommes qui auront été levées.
Vous l'avez dit, ce système ne peut reposer que sur des prêts. Les pays qui en ont le plus besoin risquent de se retrouver, à terme, avec des remboursements trop élevés.
Je voudrais, pour conclure, aborder deux sujets qu'on ne peut mettre de côté.
Le premier concerne le respect de l'État de droit et des libertés fondamentales. Les mesures d'urgence sont légitimes, la situation étant exceptionnelle, mais nous ne voulons pas que ces mesures mettent en danger les valeurs fondamentales de protection des citoyens contre des jugements ou des positions arbitraires.
C'est pourquoi nous cherchons à soutenir autant que possible les efforts de la Commission européenne autour du commissaire Reynders, pour qu'elle puisse examiner les mesures d'urgence prises par les États membres.
J'ai demandé hier que le Conseil des affaires générales, où je siège, soit régulièrement informé du suivi de ces mesures, de leur mise en oeuvre et que la discussion puisse rapidement s'engager sur le sujet si des manquements sont constatés.
Par ailleurs, comme le Président de la République nous y a invités, au niveau national comme au niveau européen, nous devons réfléchir à l'après-crise et à la refondation européenne. Ce que nous vivons ne peut être qu'une simple parenthèse. Les citoyens européens ne le vivent pas comme tel, nous le voyons bien. Une réflexion stratégique s'impose.
La conférence sur l'avenir de l'Europe, que la France a initialement proposée, offre un cadre à une réflexion sur nos compétences, nos modes de décision, notre souveraineté et sur la façon d'être plus solidaires et réactifs en y associant les citoyens, qui demandent plus d'Europe.
Ce qui compte, c'est que nous puissions avancer rapidement, pour montrer à nos concitoyens que l'Europe n'esquivera pas le débat d'après-crise, mais qu'elle cherche avant tout à être utile. C'est plus un débat sur l'utilité et la crédibilité de l'Europe que nous devons lancer plutôt qu'un débat existentiel, qui peut rester très conceptuel et très détaché de la vie quotidienne. Le « monde d'après » doit se construire avec les citoyens et, bien sûr, avec les représentants que vous êtes.
Quant à l'Afrique, monsieur le sénateur Poniatowski, il s'agit d'une priorité que nous portons au niveau national mais également à l'échelon de l'Union européenne, avec nos partenaires africains et l'ensemble de la communauté internationale. Vous l'avez vu hier, les chefs d'État ou de gouvernement se sont mis d'accord sur une aide renforcée à hauteur de 16 milliards d'euros. Le but est d'avoir une action en matière sanitaire, humanitaire, économique et en matière de recherche. Nous devons en effet inclure le continent africain dans le développement d'une protection à long terme contre le virus.
Il est très important d'adopter un consensus sur la nécessité d'un fonds de relance qui puisse agir rapidement et massivement, face à une crise qui nous surprend tous et qui demande des réponses très créatives.
M. Jean Bizet, président. - La parole est aux commissaires.
M. André Gattolin. - Madame la ministre, je voudrais revenir sur le filtrage des investissements étrangers au sein du marché intérieur et le risque de voir des entreprises stratégiques de l'Union européenne tomber sous le contrôle de pays tiers, question que nous n'avons pu évoquer lors de l'audition de Thierry Breton.
Le règlement européen en la matière a été établi avant la crise du Covid-19. Je pense que la France voulait aller plus loin en matière de contrôle. Il s'agit d'un compromis qui doit entrer en vigueur en octobre prochain. Est-il suffisant ou doit-il être renforcé ?
Par ailleurs, la Commission européenne est intervenue pour sauver une entreprise stratégique allemande dans le domaine de la santé d'une tentative de rachat par un pays tiers. Qu'en est-il exactement ? Que va-t-il se passer avant l'entrée en vigueur de ce règlement sur le filtrage des investissements étrangers ? Existe-t-il une veille permanente sur ces questions et une capacité d'intervention rapide dans ce domaine ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Madame la ministre, la moitié du nombre de victimes du Covid-19 en Europe se répartit entre l'Italie, la France et l'Espagne. La gestion de la crise diverge selon les pays et les moyens politiques.
Hier, le Président de la République a évoqué notre dépendance concernant le matériel de protection. Il est primordial que les Vingt-Sept aillent au-delà de la coopération sanitaire et s'entendent pour acquérir une véritable souveraineté médicale et sanitaire. Quelles solutions concrètes la France propose-t-elle en termes de protection et d'approvisionnement ?
Les vols de livraisons de masques entre États membres sont un véritable coup de poignard porté au concept de solidarité et au contrat moral censé unir les États. Quelle est la position française en la matière ?
L'élaboration d'une politique médicale européenne est-elle envisagée sérieusement face au risque de deuxième vague du Covid-19 ou d'autres maladies gravissimes comme Ebola ? Des coordinations sont-elles à l'étude en cas de deuxième vague de contamination ?
Par ailleurs, la crise du Covid-19 suspend-elle les problèmes relatifs à la gestion de migrants transitant par la Turquie ? Où en sommes-nous ?
Enfin, pourriez-vous nous parler des relations avec le Royaume-Uni dans cette gestion de crise ?
M. Jean Bizet, président. - Il est important de ne pas oublier nos amis britanniques dans ce qui se dessine pour demain.
M. Yvon Collin. - Madame la ministre, on sait que la question de la mutualisation des dettes est sensible. Le commissaire à l'économie, Paolo Gentiloni, a appelé l'Union européenne à faire preuve de solidarité en créant un fonds européen financé par l'impôt et capable d'émettre des obligations à long terme. Que pense la France de cette démarche ? L'Allemagne l'accepterait-elle davantage, alors que l'idée des « coronabonds » ne fait pas l'unanimité ?
En ce qui concerne la politique monétaire, la BCE, afin de rassurer les marchés face au spectre de la crise de la zone euro, est intervenue avec un plan de sauvetage qui aboutira au total à des rachats de titres à hauteur de 1 050 milliards d'euros d'ici fin 2020. C'est une bonne chose, mais on sait qu'il est souhaitable de limiter la hausse des taux d'intérêt pour garantir la transition efficace de la politique monétaire des pays les plus en difficulté. Or si la clé de répartition des achats des titres est maintenue dans son cadre actuel par la BCE, cela reviendra à soutenir davantage le marché des titres allemands et bien moins le marché italien. En Italie, on observait au mois de mars que le taux des obligations à dix ans avait bondi de 1 % à 3 % en l'espace de deux semaines. Ne pensez-vous pas qu'il serait urgent d'assouplir cette fameuse clé de répartition ?
Enfin, la Commission européenne a rendu éligibles aux fonds structurels les dépenses liées à la crise sanitaire. Comment va s'organiser la flexibilité promise dans la gestion des fonds, et quel type d'actions pourrait en bénéficier ?
Mme Mireille Jouve. - Madame la ministre, le 12 mars dernier, un Airbus A350 d'une compagnie chinoise livrait du matériel médical à l'Italie, ce soutien démontrant à la fois la faiblesse de la solidarité européenne et la dépendance de l'Union européenne vis-à-vis d'États tiers pour la fourniture de produits médicaux essentiels.
La vice-présidente de la Commission européenne, Vìra Jourová, a qualifié cette dépendance de « morbide ». Face à la pandémie, les Vingt-Sept ont réagi à l'échelon national, avec toutefois des solidarités transfrontalières, notamment pour l'accueil de patients.
Bien que la santé soit une prérogative nationale, ne pensez-vous pas qu'il faudra tirer les enseignements de la crise du Covid-19 et penser à l'Europe sanitaire ? La Commission européenne va-t-elle intégrer la santé publique parmi ses nouvelles priorités, éventuellement dans le cadre financier pluriannuel ?
S'agissant de la politique migratoire, la crise sanitaire annonce une crise économique sur le plan mondial. L'Afrique sera fortement touchée. Le continent devrait entrer en récession, comme le souligne la Banque mondiale, ce qui n'était pas arrivé depuis 25 ans. Le moratoire décidé par le G20 sur la dette africaine est une bonne nouvelle, mais cela ne suffira pas, et beaucoup de pays vont perdre leur acquis de développement.
Cette prévision d'effondrement de certaines économies nationales devrait de nouveau accroître la pression migratoire aux frontières de l'Europe. L'Union européenne se prépare-t-elle à l'éventualité d'une nouvelle crise en la matière ?
M. Yannick Vaugrenard. - Madame la ministre, vous avez évoqué deux points très importants, l'autonomie stratégique et la stratégie de sortie de crise.
S'agissant de l'autonomie stratégique, la feuille de route de la présidente de la Commission européenne présentée au Conseil européen du 23 avril m'apparaît assez décevante, car elle n'esquisse pas l'émergence d'une Europe de la santé. Quelle est la position du Gouvernement sur ce point ? Ne pensez-vous pas qu'il est temps d'imaginer une véritable organisation européenne de la santé, avec des objectifs multiples, telles que la recherche et les études, l'approvisionnement médical, la gestion commune des crises ou la mise en commun de moyens, afin de promouvoir véritablement une Europe qui protège et qui parle à l'ensemble des citoyens européens ?
Par ailleurs, les doutes sur l'efficacité et l'indépendance réelle de l'OMS plaident dans le sens d'une véritable organisation européenne de la santé.
En second lieu, s'agissant de la stratégie de sortie de crise, l'Europe réagit, sur le plan financier, de manière bien plus efficace qu'en 2008-2010. Ne pensez-vous pas qu'au-delà des emprunts très importants qui vont être lancés, il est nécessaire d'évoquer l'hypothèse de nouvelles ressources propres ? Je pense notamment à l'idée avancée maintes fois d'une taxe européenne sur les transactions financières. Quelle est la position du Gouvernement à ce sujet ?
Enfin, au moment de la reprise, ne croyez-vous pas qu'il est important d'éviter une forme de concurrence fiscale déloyale qui profiterait à certains pays et en pénaliserait d'autres, dont la France pourrait malheureusement faire partie ?
Mme Christine Lavarde. - Madame la ministre, lors du Conseil européen du 12 décembre, l'Union européenne avait affirmé la priorité qu'elle entendait donner à la croissance verte. Le cadre financier pluriannuel doit contribuer de manière notable à l'action en faveur du climat. Il a été reconnu que toutes les politiques pertinentes de l'Union européenne devaient être compatibles avec l'objectif de neutralité climatique.
Le plan d'investissement pour une Europe durable a été dévoilé le 15 janvier dernier. Il fait état d'un besoin supplémentaire de 260 milliards d'euros par an d'ici 2030 pour atteindre les objectifs climatiques et énergétiques qui ont été fixés à cette échéance. Au cours de la prochaine décennie, 1 000 milliards d'euros seront mobilisés, dont 503 milliards d'euros de dépenses portées par le budget de l'Union européenne, soit 25 % des dépenses du cadre financier.
Selon le communiqué de presse du Conseil européen qui s'est tenu hier, le fonds de relance doit avoir une taille suffisante, être orienté vers les secteurs et les zones géographiques les plus touchées par le Covid-19 et dédié à la gestion de la crise.
Le Conseil européen a missionné la Commission européenne pour analyser ce besoin et clarifier le lien avec le cadre financier, mais rien n'est dit sur le fléchage des investissements.
Dans une interview donnée au journal Le Parisien mercredi, vous avez mentionné un soutien au secteur sanitaire et médical, alors que la stratégie pour l'énergie et le climat de la France, rendue publique hier, a pour objectif de décarboner tous les secteurs de l'économie et que le ministre de l'économie Bruno Le Maire affirme vouloir faire redémarrer l'économie en garantissant une croissance durable.
Dans quelle mesure le plan de relance décidé hier par le Conseil européen sera-t-il compatible avec les objectifs ambitieux mais coûteux que s'est fixés l'Union européenne en matière de croissance durable ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Monsieur Gattolin, le filtrage des investissements étrangers est en effet déterminant. Les mesures qui sont décidées nous semblent suffisantes. La Commission européenne a encouragé tous les pays à les mettre en oeuvre dès à présent, ce que la France fait pour sa part.
Nous avons, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative (PLFR) qui a été approuvé hier en commission mixte paritaire, validé le fait que la France mette de l'argent sur la table pour pouvoir prendre des participations dans des entreprises considérées comme stratégiques. Nous défendons l'idée qu'il convient d'interdire les participations étrangères dans les actifs stratégiques et de permettre aux Européens de prendre des positions dans ces entreprises. Si celles-ci ont besoin d'argent, il faut en effet qu'elles le trouvent quelque part. Ce règlement est une étape majeure pour protéger notre autonomie et notre souveraineté.
Madame Garriaud-Maylam, s'agissant des équipements médicaux, des médicaments, de la sécurité sanitaire et de la coordination en cas de seconde vague, les enjeux sont à présent considérés comme stratégiques. La Commission européenne propose aujourd'hui des achats groupés de matériels, ainsi que la mise en oeuvre d'une réserve stratégique d'équipements médicaux. Elle achètera pour le compte des États un certain nombre d'équipements qui seront ensuite répartis sur le territoire comme des réserves pouvant notamment servir en cas de crise sanitaire, car nous voyons bien aujourd'hui les manquements et les leçons à tirer de ce qui s'est passé. Ce sont là les prémisses de ce qui nous permettra de réagir ensemble à court ou moyen terme.
Concernant le Brexit, à propos duquel j'ai eu ces derniers jours encore des échanges avec Michel Barnier, les discussions se poursuivent dans un cadre qui, compte tenu de la pandémie, n'était pas initialement celui qui était prévu. Nos priorités européennes demeurent inchangées, je le répète.
Nous pensons qu'il ne peut y avoir d'accord si nous ne nous sommes pas entendus sur les conditions de concurrence entre le Royaume-Uni et le marché intérieur, les questions de gouvernance et la façon dont nous gérons les éventuels manquements, la question de la pêche et, plus largement, les conditions commerciales. Les Vingt-Sept partagent l'idée qu'il ne peut y avoir d'accord sans tout cela. Notre position reste ferme. Les travaux consistent à comparer les textes juridiques qui ont été produits de part et d'autre. Michel Barnier, au cours du Conseil affaires générales auquel je participais mercredi, a demandé que nous puissions être informés de la conduite de ces négociations afin de pouvoir donner des orientations politiques si les choses n'avancent pas comme nous le souhaitons. La négociation est certes importante, mais ce sont les Britanniques qui en ont la clé. Il est nécessaire que nous donnions leur chance aux négociations, car on risque un choc supplémentaire lié au Brexit dans le contexte actuel de la crise. Les Britanniques sont probablement ceux qui en souffriraient le plus. Je rappelle que l'accord de retrait qui a été adopté protège beaucoup de secteurs. Il reste un enjeu en matière de pêche, à propos duquel nous avons une position très ferme.
Enfin, s'agissant des migrations, question qui fait le lien avec celle de Mme Jouve, nous travaillons très activement avec la Grèce pour lui apporter toute l'aide possible en matière de gestion de la situation migratoire, notamment sur les îles. Nous continuons à travailler avec la Commission européenne et le commissaire Schinás sur la préparation du nouveau pacte migratoire qui aurait dû être dévoilé dans les tout prochains jours si l'épidémie ne nous avait pas touchés. Nous voyons bien l'importance d'une véritable solidarité et la nécessité de coordonner nos moyens. Il ne s'agit ni d'être une forteresse ni d'ouvrir totalement nos frontières, mais il faut que nous puissions nous organiser, notamment en termes humanitaires, pour accueillir les migrants dans de bonnes conditions et combattre autant que possible toutes les filières migratoires illégales, alors qu'il existe des voies officielles pour l'immigration économique vers l'Europe.
Monsieur le sénateur Collin, vous m'avez interrogé sur l'endettement et la meilleure façon de convaincre nos partenaires de lever de l'argent pour bénéficier d'une capacité d'investissement maximale à court terme.
Le budget européen offre un certain nombre de possibilités pour le faire. C'est là un élément rassurant pour nos partenaires, qui voient que la méthode communautaire, reposant sur un contrôle par le Conseil et le Parlement européen, peut constituer une voie de compromis pour avancer dans un cadre plus organisé.
La Commission européenne propose de lever elle-même de l'argent dans un cadre communautaire qui ne soit pas un fonds dédié, mais qui puisse inclure les transferts vers les États les plus touchés. Cette capacité d'investissement et d'action rapide nous semble intéressante.
Notre proposition initiale présente des avantages, mais aussi des inconvénients. L'un d'eux réside dans le fait que la ratification des 27 parlements est nécessaire pour créer un tel mécanisme, qui constituerait un nouvel instrument, ce qui demande du temps. C'est pourquoi le budget européen présente le double avantage d'apporter des garanties de contrôle, de supervision et de prévisibilité, et de permettre d'aller plus vite.
Je ne commenterai pas ici la politique monétaire de la BCE. Ce qui compte pour la France, c'est sa capacité d'action massive. Elle a permis de maintenir un écart entre les taux de financement qui reste gérable. Bien sûr, nous aimerions que l'Italie puisse se financer dans des conditions les plus avantageuses possible étant donné la situation économique. C'est pourquoi nous soutenons l'action de la BCE, qui a pris par ailleurs des mesures très importantes sur l'élargissement des titres éligibles en collatéral dans les opérations de refinancement des banques. Ce sont des mesures très ambitieuses, qu'il faut soutenir.
Enfin, les fonds structurels constituent en effet un mécanisme de diffusion important de l'action européenne. Je rappelle que je me suis personnellement engagée à simplifier l'accès de notre pays à ces fonds européens, sous le contrôle des autorités de gestion que sont les régions mais aussi de l'État. Les procédures actuelles génèrent beaucoup de complexité. Nous réalisons actuellement, avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires, dans le cadre d'une mission d'inspection placée sous l'autorité du Premier ministre, un énorme travail avec les régions et les autorités de gestion afin de simplifier l'accès à ces fonds. Ils étaient utiles avant, ils le sont encore plus aujourd'hui, les instruments de relance et de soutien économique au développement des territoires étant plus que jamais nécessaires.
Madame Jouve, concernant les questions de dépendance vis-à-vis de puissances extérieures à l'Union européenne, je tiens à être ici extrêmement claire : la Chine a demandé à l'Union européenne son soutien fin janvier-début février parce qu'elle manquait d'équipements de protection médicaux au moment où elle a été frappée par la crise. Nous avons pleinement joué le jeu de la solidarité internationale.
En retour, nous avons eu, à un moment donné, besoin de soutien, les stocks d'équipements médicaux s'étant trouvés sous tension. Nous avons considéré cet acte de solidarité comme un acte de réciprocité.
Bien sûr, la solidarité aurait pu et aurait dû s'exprimer plus massivement. Encore faut-il en avoir les moyens. Toute l'ambition que nous portons est de pouvoir relancer une production, des réserves stratégiques, au niveau national et au niveau européen, non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour pouvoir faire preuve de solidarité.
Il est vrai que nous n'avons pas eu la capacité d'appuyer l'Italie à un moment donné, mais nous avons ensuite activé tous les mécanismes européens. C'est pourquoi l'avancée sanitaire dont vous parlez est au coeur de nos ambitions.
Comment y parvenir ? C'est la question que pose Yannick Vaugrenard. L'équipement médical est au nombre des secteurs que nous cherchons à développer dans le cadre de la relance, par le biais de fonds européens, nationaux, et aussi privés.
M. Vaugrenard m'interroge également sur les ressources propres. Ce débat est plus que jamais d'actualité. Des ressources propres nouvelles sont nécessaires pour générer de vrais transferts grâce à ce fonds de relance et pour que le budget européen puisse jouer un rôle dans de nombreux domaines, alors que les moyens de tous les États sont limités.
Nous soutenons la taxe sur les transactions financières, ainsi qu'un mécanisme carbone aux frontières qui puisse à la fois assurer une plus grande compétitivité des biens produits et surtout une plus grande efficacité sur le plan climatique. C'est aussi une source de financement évident pour la transition écologique et, plus largement, pour les ambitions européennes. Nous soutenons également le principe d'une taxe sur le plastique et le fait que l'Emission Trading Scheme (ETS) puisse servir de source financement.
Sur le plan de la coopération et de la coordination fiscale, la France joue un rôle moteur. Les annonces faites par Bruno Le Maire dans le cadre du PLFR à propos du fait que nous n'octroierons pas d'aides publiques aux entreprises qui ne jouent pas le jeu fiscal et qui ont des établissements dans les paradis fiscaux sont cohérentes en ce sens.
Enfin, Christine Lavarde m'a demandé ce que nous allions financer avec le fonds de relance. Nous allons financer à la fois le redémarrage des secteurs les plus durement impactés, un plus large verdissement d'un certain nombre d'activités et une numérisation plus importante de certains secteurs.
Ce fonds de relance nous permettra aussi de financer des investissements qui garantiront notre compétitivité en matière de recherche et d'infrastructures, afin d'abaisser les coûts de production, mutualiser nos moyens et ainsi continuer à vendre aux Européens tout en exportant.
M. Jean-François Rapin. - Madame la ministre, dans votre exposé liminaire, vous avez parlé de célérité s'agissant du plan de relance. Or selon le directeur général du MES, Klaus Regling, il serait impossible d'établir rapidement un plan financé par l'émission de dettes communes. Il évoque une durée d'un à trois ans pour créer un tel dispositif. Qu'en pensez-vous ?
Il considère par ailleurs que le plan d'urgence de 540 milliards d'euros agréé par l'Eurogroupe, et qui mobilise le MES, la BEI et la Commission européenne constitue une forme de mutualisation des dettes qui pourrait être approfondie. Quel est votre sentiment ? On évoque aussi une solution, celle des « coronabonds », qui permettraient de soutenir la relance dans des conditions appropriées pour tous les État membres.
L'un des arguments du Président de la République en faveur de la création de dettes communes est de prévenir la montée de mouvements populistes dans les pays qui ne bénéficieraient pas suffisamment de cette solidarité européenne face aux difficultés économiques. Il se dit aussi qu'on pourrait craindre qu'un risque similaire puisse émerger dans les États membres où cette solidarité serait considérée comme excessive et vécue comme une contrainte. Je pense en particulier aux États les plus riches.
M. Gérard Poadja. - Madame la ministre, Emanuel Macron a appelé, lors du Conseil européen, à aller plus loin en matière de souveraineté européenne, un concept que la France pousse depuis près de trois ans. Selon le Président de la République, les choses sont en train d'avancer en matière de souveraineté économique, industrielle, stratégique, militaire, technologique, environnementale. L'Europe est en ce sens au rendez-vous de l'histoire.
Pouvez-vous nous préciser les mesures concrètes que l'Europe est en train de prendre, sous l'impulsion de la France, pour assurer sa souveraineté à l'heure où la crise du Covid-19 fait apparaître notre forte dépendance industrielle et économique à l'égard des puissances américaine et chinoise ?
Mme Nathalie Goulet. - Madame la ministre, un amendement déposé par notre groupe, ainsi que par le groupe communiste, républicain et citoyen, et celui des indépendants à la suite de la déclaration de Bruno Le Maire relative à l'interdiction de verser des aides aux entreprises qui disposeraient de filiales dans les paradis fiscaux a été adopté par le Sénat. Cet amendement n'a pas été retenu en commission mixte paritaire, malgré les annonces du ministre. Je ne comprends pas pourquoi cette mesure ne figure pas dans la loi, alors qu'elle n'est pas d'ordre réglementaire.
De la même façon, l'interdiction d'aide à des sociétés qui verseraient des dividendes n'y figure pas non plus, mais se retrouve dans un autre texte.
Pensez-vous pouvoir porter ces deux mesures au niveau européen à des fins d'harmonisation ? La circulaire sortie ce matin sur ce sujet évoque les entreprises sans plus de précisions, ce qui n'est pas du tout la même chose que le fait de disposer de filiales ou d'établissements dans des territoires non coopératifs.
Il serait également extrêmement utile de porter ces mesures au niveau européen afin d'obtenir une harmonisation sur les questions d'évasion fiscale.
M. Didier Marie. - Madame la ministre, quelle est votre position à l'égard de la proposition de l'Espagne de renforcer le budget européen en mettant en place une dette de très long terme et de porter le plan de relance à hauteur de 1 500 milliards d'euros grâce à de nouvelles ressources propres, que vous avez déjà évoquées ?
Par ailleurs, si l'on aboutit - ce qui est probable - à un renforcement du budget ou à un fonds autonome, ce plan de relance se traduira-t-il par l'octroi de prêts, ce qui conduirait les États les plus pauvres à s'endetter davantage ? Cela peut fonctionner avec l'appui de la BCE, mais accentuer les difficultés de ces États à se refinancer si les taux d'emprunt sur les marchés remontent.
En outre, ce plan de relance sera-t-il fléché vers les pays, les régions et les secteurs les plus touchés ? Si tous les pays y ont accès sans discrimination, les inégalités risquent de s'aggraver, les pays les plus touchés n'ayant pas les moyens de répondre. On voit par exemple que l'Allemagne utilise plus la dérogation des aides d'État que l'Italie, du fait de ses capacités financières.
Enfin, quelles garanties la France peut-elle obtenir pour que le plan de relance permette d'inventer un nouveau modèle de développement plaçant en son coeur le Green Deal, quand on voit aujourd'hui un certain nombre de lobbies et d'États, notamment à l'est de l'Europe, remettre en cause ces objectifs ?
M. Richard Yung. - Madame la ministre, je me joins à la question de Didier Marie à propos du niveau de notre plan de relance. La BCE a accompli sa tâche, concernant le volet monétaire de la relance ; mais est-on à la hauteur sur le volet budgétaire ? Les plans de relance de l'Allemagne ou des États-Unis sont de l'ordre de 10 % du PIB. Le PIB de l'Union européenne s'élevant à environ 20 000 milliards d'euros, le nôtre devrait donc atteindre 2 000 milliards d'euros. Est-ce réalisable ? Cela fait-il partie de vos réflexions ?
Par ailleurs, s'agissant du Brexit, on a l'impression que les Britanniques ne sont pas engagés dans la négociation. On a maintenant perdu plus d'un mois. A-t-on raison ou tort d'être pessimiste à ce sujet ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Monsieur Rapin m'interroge sur le MES et les conditionnalités.
Ce qui comptait pour nous, comme pour l'Italie et pour beaucoup de pays, c'était de ne pas mettre en place une conditionnalité ad hoc. Aujourd'hui, la conditionnalité porte sur le respect des règles européennes. Cela va de soi puisque, a priori, lorsqu'on fait partie de l'Union européenne, on respecte les règles européennes.
Le MES permet en effet une forme de mutualisation de la dette, avec un effet de levier : les garanties sont mises en commun pour permettre de lever de la trésorerie à destination des États. Néanmoins, il repose sur un système de prêts et un remboursement par l'État bénéficiaire. Son intérêt est d'offrir à des pays dont l'accès au marché financier est détérioré une capacité de refinancement à de meilleurs taux, mais sans transfert. C'est plus une ligne de survie qu'un réel mécanisme de solidarité. C'est pourquoi nous cherchons à aller plus loin.
Votre remarque au sujet du populisme dans certains pays qui n'auraient pas bénéficié de suffisamment de solidarité, mais également dans ceux qui pourraient considérer que cette solidarité est imposée, est très pertinente. La Chancelière Merkel a toutefois souligné que l'Allemagne ne pouvait aller bien que si l'Europe allait bien.
Ce débat politique est une étape importante pour rentrer dans une discussion plus technique respectant la demande des uns et des autres, notamment de la Finlande, et permettant de convenir d'un calendrier pour le plan de relance. Le temps que nous nous donnons est essentiel pour trouver un compromis respectant les sensibilités nationales. C'est là toute la complexité de l'Europe. La meilleure réponse à apporter aux populistes est de construire des solutions efficaces qui soient le fruit d'un compromis respectant les nécessités de chacun.
Monsieur le sénateur Poadja, vous m'avez interrogée sur la souveraineté. En France, l'autonomie stratégique est considérée comme une nécessité depuis bien longtemps. Nous savons, parce que nous sommes une puissance nucléaire et que nous siégeons au Conseil de sécurité des Nations unies, qu'il est nécessaire de faire entendre plus fortement la voix de l'Europe. Quand le Président de la République en parlait il y a trois ans, ce thème était considéré comme une lubie française. Nous avons franchi hier une grande étape : la Commission européenne a en effet été mandatée par l'ensemble des chefs d'État ou de gouvernement pour proposer des actions concrètes pour résorber les poches de dépendance là où elles existent. Il faut cependant être vigilant sur la mise en oeuvre et avoir les moyens de le faire. Il faut être dans la réalité et non dans l'habillage.
Dans quels domaines cherchons-nous à prendre des mesures ? D'abord dans celui des investissements stratégiques, mais aussi dans celui de la sécurité alimentaire, des équipements médicaux, des médicaments, de certains biens sur lesquels nous voulons définir nos propres normes, comme la 5G, dans le respect du règlement général pour la protection des données (RGPD). Nous avons réussi, peut-être parce que la crise a agi comme un révélateur, à convaincre nos partenaires qu'il en allait de notre crédibilité et de notre utilité, dans un monde où la Chine et les États-Unis ne se privent pas d'imposer leurs normes.
Madame la sénatrice Goulet, je ne reviendrai pas ici sur les discussions qui ont eu lieu en CMP. Il serait malvenu que l'exécutif commente le travail des parlementaires.
Pour ce qui est de l'évasion fiscale, la France a beaucoup oeuvré au sein de l'OCDE pour que la liste des pays non coopératifs soit mise à jour régulièrement et qu'il existe une certaine cohérence à ce niveau avec les travaux de l'Union européenne. Il faut que nous arrivions à faire suivre cette voie à l'ensemble des pays qui nous entourent.
Il est important de conserver un marché intérieur. Nous parlons beaucoup de mesures de relance et d'aides d'État, et il est certain que des distorsions de plus en plus importantes pourraient voir le jour au sein du marché intérieur. L'enjeu fiscal est également un sujet où des distorsions peuvent apparaître. Il est donc important que nous continuions à travailler pour les éviter, et vous pouvez compter sur notre engagement. Je serai ravie de poursuivre cette discussion technique dès que nous pourrons nous retrouver.
Monsieur le sénateur Yung, si l'on compte ce que chaque pays a mis sur la table, c'est plus de 3 % du PIB européen et 3 000 milliards d'euros qui ont déjà été activés. Nous cherchons à mettre sur la table un volume d'environ 1 000 milliards d'euros supplémentaires au niveau européen au titre du fonds de relance. Je pense que nous pouvons y parvenir. Il faut montrer, secteur par secteur et région par région, pourquoi nous avons besoin de cet argent. Thierry Breton travaille en ce sens pour consolider tous les besoins qui remontent des différents pays.
Quant au Brexit, dont vous évoquez le report, nous n'avons pas à dicter leur conduite aux Britanniques. Néanmoins, la France essaye de trouver un bon accord, en particulier sur les questions de pêche, que nous savons extrêmement sensibles, pour assurer des conditions de concurrence loyale.
Je terminerai par les questions du sénateur Marie. La proposition espagnole tient en trois points. Nous sommes d'accord pour ce qui est du volume et de la capacité d'endettement afin de favoriser un effet de levier et une action rapide. Pour ce qui est de la durée perpétuelle des titres de dettes proposés, nous pensons qu'il y a là un point de crispation potentiel. Nous défendons donc une maturité longue qui permette d'étaler le coût de la reprise dans le temps. Il nous semble donc important de pouvoir soutenir les principes de la proposition espagnole, tout en recherchant les voies d'un compromis. Ceci permettrait de financer un véritable transfert avec une clé de remboursement qui dépend du poids économique de chacun.
M. Pierre Cuypers. - Madame la ministre, la consommation de biocarburants s'est effondrée depuis la mi-mars. Il en résulte une saturation des infrastructures de stockage et une baisse de la production de nombreux acteurs industriels.
Dès le début avril, la filière éthanol a saisi le Gouvernement d'une demande de déclenchement d'une clause de sauvegarde à l'échelle européenne visant à limiter les importations d'éthanol à des prix bradés. On aurait en effet perdu plus de 20 euros à l'hectolitre.
Quelle est la position du Gouvernement et quelle sera celle des autres États membres, en particulier l'Allemagne ? Un principe de subsidiarité pourrait-il se dégager d'une négociation communautaire ?
M. Raymond Vall. - Madame la ministre, vous avez survolé le sujet du Pacte vert. Pensez-vous qu'il puisse être remis en cause ?
Enfin, que pensez-vous de la demande de la filière viticole, qui souhaite pouvoir recourir davantage à la distillation ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Je remercie Pierre Cuypers pour sa question. S'agissant de l'éthanol et des clauses de sauvegarde, il existe une coordination entre les différents ministères, et notamment le ministère de l'agriculture.
J'essaierai de vous répondre par écrit. Cela demande à entrer dans la technique. Il semble important de faire bénéficier de clauses de sauvegarde et de protection l'intégralité des secteurs qui se voient touchés par la crise. Nous allons y travailler.
S'agissant de la question du sénateur Vall, le Pacte vert n'est évidemment pas remis en question. La crise climatique, les enjeux de transition énergétique, le fait que nous devions coûte que coûte arriver à la neutralité carbone en 2050 n'ont pas disparu à cause du virus.
C'est pourquoi la France, aux côtés de ses partenaires du groupe de travail sur la croissance verte, tient à être un acteur qui pèse dans la construction du fonds de relance. Nous cherchons également à voir comment les investissements que nous allons promouvoir dans les différents secteurs sont utiles dans le cas de la transition environnementale. Il nous faut être cohérents. Il n'y a aucune hésitation côté français. La Commission européenne est consciente qu'elle ne doit pas affaiblir le Pacte vert. Certains pays y ont vu l'occasion de réduire les exigences qui leur étaient imposées. Ce n'est pas notre vision des choses, et le Parlement européen l'a rappelé.
Concernant la filière viticole et la capacité de distillation, nous allons regarder avec mes collègues Agnès Pannier-Runacher et Didier Guillaume comment vous apporter des réponses. Cela intègre à la fois des questions industrielles et agricoles, et je préfère ne pas m'engager.
M. Jean Bizet, président. - Madame la ministre, serait-il possible que vos services nous apportent dans les jours qui viennent quelques précisions au sujet des décisions agricoles, notamment au sujet du déclenchement de mesures de crise prévues aux articles 219 et 222 du règlement portant organisation commune de marchés, dit « OCM », concernant les filières de la viande, des légumes et du vin et, par ailleurs, au sujet des assouplissements en matière de mobilisation des fonds structurels et d'aide aux plus démunis ?
Enfin, vous l'avez dit, ces périodes de crise sont des révélateurs voire des accélérateurs d'évolution. Si nous sommes aujourd'hui touchés par une pandémie virale, nous pouvons également être victimes demain d'un virus informatique mondial. J'insiste donc sur la digitalisation de nos économies, la souveraineté européenne de nos plateformes et la lutte pour la cybersécurité, sujets sur lesquels la commission des affaires européennes accentuera ses travaux.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Pour ce qui est de l'activation des mesures de marché, je vais me rapprocher du cabinet de Didier Guillaume afin qu'il vous envoie les détails.
Je vous ferai également parvenir tous les éléments utiles concernant les assouplissements des fonds structurels dans le cadre de l'enveloppe Coronavirus Response Investment Initiative (CRII) et Coronavirus Response Investment Initiative Plus (CRII +). Je me suis personnellement impliquée à ce sujet auprès du commissaire en charge de la politique de cohésion, Elisa Ferreira, pour lui faire part de nos demandes.
L'idée de régionaliser les systèmes de santé pour aider à financer les dépenses de ce secteur est sûrement intéressante pour beaucoup de pays, mais n'a pas de pertinence en France. Par ailleurs, la clé de répartition sur les fonds non programmés ne permettait pas de cibler les régions les plus touchées, puisqu'il n'y a pas de lien entre la programmation des fonds européens et la propagation du virus. Cela a donc été revu dans un sens qui devrait permettre de gagner beaucoup en matière de flexibilité. Je vais vous faire parvenir un document permettant d'avoir une vision claire de ce que cela signifie pour vos régions afin que vous puissiez suivre la mise en oeuvre de ces dépenses.
S'agissant de l'aide alimentaire, les assouplissements que nous avons obtenus sont absolument nécessaires dans cette période où certains se retrouvent en grande précarité.
Prenez soin de vous. Merci pour votre engagement et votre soutien.
M. Jean Bizet, président. - Merci beaucoup.
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