Jeudi 19 mars 2020
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 - Demande de saisine et désignation d'un rapporteur pour avis
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, je vous remercie d'avoir répondu à mon appel dans ces circonstances particulières et éprouvantes ; je souhaite pour vos familles, votre entourage, dans vos régions, qu'une issue favorable puisse être trouvée le plus rapidement possible. Je remercie également les services du Sénat qui nous accompagnent et permettent le fonctionnement des institutions. Il ne faudrait pas ajouter à la crise sanitaire et économique qui s'annonce une crise institutionnelle. Nous sommes volontairement peu nombreux de façon à limiter les risques de contagion, mais il était de notre devoir d'assurer la continuité de la vie parlementaire et démocratique, en étudiant le projet de loi du Gouvernement, notamment son volet économique.
Avant de procéder à cet examen, je voudrais, en notre nom à tous, avoir une pensée pour les premières victimes de cette crise sanitaire et leurs proches, ainsi que pour les personnes aujourd'hui contaminées et pour celles à venir. Je tiens également à saluer le dévouement du personnel soignant, qui effectue un travail remarquable dans des conditions difficiles, puisqu'il faut à la fois faire face à l'augmentation du nombre de personnes contaminées et assurer les soins aux autres patients, qui ne sont pas moins nombreux. Je pense enfin aux salariés et aux chefs d'entreprise qui sont confrontés, avec le confinement, à un arrêt brutal de leur activité ou à des difficultés d'exécution de leur travail. Le fonctionnement de la coopérative laitière de Daniel Gremillet, avec lequel je me suis entretenue par téléphone, est par exemple un véritable casse-tête quotidien.
L'impact économique de la crise est catastrophique et nous conduit tout droit à la récession. Nous étions censés connaître une croissance supérieure à 1,3 % en 2020, le Gouvernement prévoit désormais une récession de 1 % cette année. Comme le souligne le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), cette prévision repose sur des hypothèses optimistes et notamment celle d'un confinement limité à un mois et d'un retour rapide à la normale de la demande française et étrangère.
Les mécanismes à l'oeuvre sont bien connus : l'activité des entreprises est en chute libre, car la demande s'effondre ; en outre, les entreprises ne produisent plus, car elles font face à des pénuries de matières premières, de pièces détachées et au confinement de la main-d'oeuvre. L'effondrement de la demande est particulièrement visible dans le domaine de la restauration, du tourisme et des activités récréatives et culturelles. Les problématiques d'approvisionnement ont par ailleurs conduit Peugeot et Renault à fermer leurs usines en Europe. D'autres secteurs, comme celui des transports, sont particulièrement exposés : le groupe Air France-KLM a réduit de 90 % son activité et pourrait être contraint à un plan social visant 2 000 personnes. La France fait donc face à un double choc de l'offre et de la demande.
Pour les PME, c'est bien plus qu'un mauvais moment à passer ; c'est souvent une épreuve qui met en jeu leur pérennité même, car elles ont enduré quatre crises consécutives en cinq ans : les attentats, les violences commises en marge du mouvement des « gilets jaunes », les grèves de décembre 2019 et désormais la pandémie de coronavirus. Pour certaines PME, dont la trésorerie s'est drastiquement réduite du fait de ces crises, c'est sans doute la crise de trop. Pour nos grandes entreprises qui tirent une grande partie de leurs revenus de l'export, le caractère international de la crise sanitaire pénalise également leur activité ; les restrictions posées à la circulation des hommes, des biens et des services mettent en péril l'économie mondiale et la demande internationale adressée à la France. Notre pays est donc confronté aux conséquences d'une triple crise internationale : sanitaire, commerciale et probablement financière. La vraie question est la suivante : combien de temps pourrons-nous y faire face ?
Dans ce contexte particulièrement grave, le Gouvernement présente deux projets de loi : un projet de loi de finances rectificative et un projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19. Dans ce second projet de loi, le titre III nous concerne plus particulièrement, puisqu'il s'agit de dispositions de nature économique en matière de soutien direct et indirect aux entreprises.
Je vous propose donc dans un premier temps de vous prononcer sur notre saisine. Il me semble naturel que la commission des affaires économiques puisse se saisir de ces aspects du projet de loi et, si vous en êtes d'accord, je me propose de présenter le rapport de notre commission. Notre saisine concernera le titre III, mais plus particulièrement l'article 7, qui habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour prendre des dispositions de soutien aux entreprises.
La commission demande à être saisie pour avis du titre III du projet de loi n° 376 (2019-2020) d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 et désigne Mme Sophie Primas en qualité de rapporteur pour avis.
Projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 - Examen du rapport pour avis
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - Vous savez que nous ne sommes pas, en général, favorables aux ordonnances qui dessaisissent le Parlement de ses prérogatives, mais je dois dire que, en la circonstance, et au vu de l'urgence nationale, l'ordonnance est un outil adapté. Ce critère lié à l'urgence justifie d'ailleurs pleinement le recours aux ordonnances dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Que contient ce projet de loi ? Avant de vous présenter l'étendue du champ de l'habilitation, je voudrais vous rappeler les engagements pris par le Président de la République et le ministre de l'économie et des finances. Notre tâche, ce matin, sera de confronter les objectifs fixés par l'exécutif avec les dispositions qui nous sont proposées pour voir si elles sont bien en capacité de les atteindre.
Le Président de la République a fixé l'objectif général très ambitieux qu'aucune entreprise, quelle que soit sa taille, ne soit livrée au risque de faillite au regard des conditions sanitaires. Le Gouvernement a annoncé un plan d'une ampleur inédite de 45 milliards d'euros. Dans ce plan, il y a des mesures classiques de report de charges fiscales et sociales, voire d'annulation pour les plus petites d'entre elles, ainsi que des mesures plus volontaristes, notamment pour les entrepreneurs, commerçants et artisans, avec la création d'un fonds de solidarité doté de 2 milliards d'euros en vue de garantir un filet de sécurité aux entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 1 million d'euros et qui auraient perdu plus de 70 % de leur activité en mars. Ce plan annoncé devrait comporter également un dispositif de chômage partiel, des dispositions relatives au report d'échéances bancaires avec un mécanisme de garantie de l'État, ainsi que des dispositions relatives aux factures de gaz, d'électricité, d'eau et de loyer. D'autres dispositions annoncées concernent les plus démunis, notamment en matière d'hébergement d'urgence et de trêve hivernale.
Que retrouve-t-on dans le projet de loi qui nous est soumis ?
Je ne parle pas du projet de loi de finances rectificative déposé à l'Assemblée nationale, qui relève de la commission des finances et prévoit des dispositions de nature fiscale et sociale, mais de l'article 7, qui habilite le Gouvernement à prendre des mesures en matière de soutien à la trésorerie des entreprises, d'aides directes au profit des entreprises dont la viabilité serait mise en cause - c'est le fameux fonds de solidarité - ; des mesures relatives à la modification des obligations des entreprises à l'égard de leurs clients et fournisseurs, notamment en termes de délais et de pénalités ; des mesures modifiant les procédures collectives pour les entreprises en difficulté ; des mesures relatives au report ou à l'étalement des paiements des loyers ou des charges pour des locaux professionnels.
Le Gouvernement sollicite également une habilitation concernant des mesures plus indirectes au profit des entreprises, s'agissant des délais d'exécution des contrats publics, des délais applicables aux déclarations et demandes présentées aux autorités administratives, ainsi que l'ensemble des délais qui entraînent la nullité, la caducité, la forclusion ou la déchéance d'un droit, et des mesures relatives à la publication des comptes.
Il demande également une habilitation pour prendre des mesures visant à renforcer le rôle de Bpifrance, notamment en termes de garantie bancaire. Je crois me souvenir que le Gouvernement faisait le contraire dans la dernière loi de finances, mais peu importe, les conditions ont changé.
Que penser de ces différentes dispositions ? Elles sont très générales et très vastes ; elles comportent un certain nombre d'ambiguïtés qui pourraient être clarifiées en séance. Mais, compte tenu de l'évolution très rapide de la situation, on peut comprendre que le Gouvernement réclame une marge de manoeuvre relativement large.
J'observe que les aides directes sont limitées aux entreprises de petite taille - on évoque un chiffre d'affaires de moins d'un million d'euros -, dont la viabilité est mise en cause. Je constate que le report ou l'étalement du paiement des loyers ou des factures sont réservés aux seules TPE dont l'activité est affectée directement par la propagation de la pandémie.
On peut donc s'interroger sur le caractère restreint de ces dispositifs. En même temps, si l'on s'inscrit dans la durée, il faut sans doute optimiser l'utilisation des deniers publics et se concentrer sur les entreprises les plus fragiles et les plus directement impactées.
Même si nous prenons des libertés avec les règles européennes en matière de déficit et d'endettement, il faut imaginer pouvoir financer sur plusieurs mois un plan massif de soutien à l'économie, alors même que nous avons dépassé une dette publique supérieure à 100 % du PIB.
Je constate ensuite que certaines dispositions de l'article 7 du projet de loi, si elles ne sont pas suffisamment encadrées, sont susceptibles d'avoir des incidences négatives sur les entreprises elles-mêmes. En effet, l'adaptation des obligations des entreprises à l'égard de leurs clients ou de leurs fournisseurs, de même que le report ou l'étalement des paiements des loyers ou des factures, aura des conséquences pour les entreprises selon leur fonction : client, fournisseur ou bailleur.
Dans le même ordre d'idées, l'adaptation des règles applicables aux contrats publics ou aux demandes présentées à l'administration peuvent avoir des effets non anticipés sur les entreprises en tant que cocontractantes ou pétitionnaires. Comme en toute chose, ce sera une question de dosage.
Dans l'ensemble, j'estime que ces dispositions vont dans le bon sens et traduisent une prise de conscience de la nécessité d'agir vite et fort pour sauver le tissu économique du pays. Ces dispositions semblent concerner toutes les parties prenantes à la vie des entreprises, contrairement aux dispositions qui avaient été prises lors de la crise des « gilets jaunes ». Sont en effet prévues des mesures pour les salariés, les clients, les fournisseurs, les bailleurs, les banques, les entreprises aussi bien dans leur vie interne que dans leurs relations avec les administrations. Je regrette toutefois que les compagnies d'assurance ne soient jamais évoquées. Elles devront contribuer à l'atténuation des conséquences de cette crise sanitaire. Je déplore également que peu d'éléments soient fournis sur le financement de ces mesures. Elles doivent être prises en charge essentiellement par l'État, garant de la solidarité nationale, et seulement à titre subsidiaire par les collectivités territoriales.
Les mesures du projet de loi sont donc en cohérence avec les objectifs annoncés par l'exécutif. J'imagine que si nous avions eu plus de temps pour examiner ce texte, qui nous a été transmis hier après-midi à l'issue du conseil des ministres, nous aurions trouvé matière à l'améliorer, même si, s'agissant d'une loi d'habilitation, nous ne sommes pas en capacité de l'élargir. Je n'en ressens pas la nécessité et, en la circonstance, il ne me paraît pas opportun de discuter de quelques dispositions à la marge.
Pour ces ordonnances, le Gouvernement sera tenu de déposer un projet de loi de ratification et nous mènerons à cette occasion un examen approfondi des dispositions qui auront entre-temps été adoptées. Je souhaite cependant attirer l'attention du Gouvernement sur quelques points de vigilance.
Premièrement, je souhaite que ces dispositions s'inscrivent dans la durée pour aller plus loin qu'un simple effet d'annonces ; les conséquences de cette crise sur la trésorerie des entreprises, la consommation et l'investissement risquent, elles, d'être durables. Il faudra donc accompagner nos entreprises pendant de nombreux mois pour veiller à ce que cette crise transitoire ne se transforme pas en crise structurelle et, de ce point de vue, être à l'écoute des différents secteurs qui ont chacun leurs problématiques spécifiques. C'est pourquoi je vous propose que nous apportions notre contribution au suivi de ce plan en créant une cellule de veille qui fera remonter au Gouvernement les difficultés de chaque secteur selon des modalités que nous pourrions déterminer en concertation avec nos collègues des autres commissions. Un amendement visant à instaurer un dispositif de contrôle et de suivi de ces dispositions sera probablement déposé en commission des lois, je m'y associe.
Le deuxième point d'attention concerne les démarches administratives nécessaires pour bénéficier de ce plan. Il est impératif que ces démarches soient les plus simples possible. C'est l'un des enseignements du rapport d'information de notre collègue Évelyne Renaud-Garabedian sur les conséquences économiques des violences en marge des manifestations des gilets jaunes : les entreprises touchées n'ont pas de service à plein temps chargé de gérer des dossiers souvent exigeants, très fournis et parfois peu accessibles.
Enfin les mesures économiques prises par le Gouvernement doivent s'inscrire dans une coordination européenne. La crise est mondiale et l'on voit chacun se replier derrière ses frontières. Il faut s'inscrire dans une coordination a minima au niveau européen, sinon nous n'y arriverons pas.
Sous réserve de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption du titre III de ce texte. Je voudrais toutefois saisir cette occasion pour évoquer la résilience économique de notre pays.
La crise met à l'épreuve notre modèle de société. Ce modèle résiste pour le moment. Les infrastructures publiques comme privées fonctionnent, même en mode dégradé. La continuité de la vie de la Nation semble garantie. Et cela, nous le devons à tous les acteurs en première ligne, aux services de soins, aux services publics en général, mais aussi aux entreprises privées, je pense en particulier à nos agriculteurs et à l'ensemble de l'écosystème agricole et agroalimentaire, qui nous permettent dans ces circonstances éprouvantes de nourrir la population.
Il faudrait également parler des opérateurs de télécommunications : huit millions de salariés sont actuellement en télétravail et l'ensemble de la population confinée est en interaction via internet. Un amendement est à l'étude pour permettre des installations rapides d'antennes supplémentaires. Tout cela montre que la France a la capacité de faire face à cette crise grâce à l'énergie collective de nos concitoyens, mais aussi grâce à un État structuré, à des services publics performants et à une conception élevée de l'intérêt général.
Toutefois, cette crise laissera des traces. Elle doit nous permettre de réfléchir dès aujourd'hui aux priorités de demain. Ces priorités me semblent s'articuler autour de trois valeurs.
La première valeur est la souveraineté : maintenir ou renforcer notre souveraineté industrielle aux niveaux français et européen, à défaut de quoi nous ne pourrons plus être autonomes ; la souveraineté alimentaire, qui est mise à mal par la croissance de nos importations alimentaires ; la souveraineté énergétique en matière d'électricité, voire d'énergie fossile ; la souveraineté numérique, car c'est un élément essentiel de la continuité de la vie de la nation en période de crise.
La deuxième valeur, c'est la responsabilité : notre responsabilité individuelle, car l'évolution de la maladie dépend du comportement de chacun ; la responsabilité collective, car plus que jamais cette crise nous montre que nous sommes dépendants les uns des autres et combien les règles de vie collective sont nécessaires.
La troisième valeur, c'est la résilience : nous sommes dans une période de graves incertitudes géopolitiques, écologiques, sanitaires et donc économiques. Dans ce contexte, le rôle de l'État comme garant de la vie de la Nation apparaît essentiel ; une capacité d'intervention budgétaire et donc des marges de manoeuvre en matière de finances publiques sont d'autant plus nécessaires que nous n'avons plus de levier monétaire. Le secteur privé aura son rôle à jouer en réinventant de nouveaux modèles d'assurance, de nouveaux services, en particulier dans le domaine numérique. Cette résilience de la société passe également par la protection des plus démunis et des plus âgés, qui sont non seulement les plus exposés aux risques sanitaires, mais également trop souvent les plus isolés. Enfin, plus que jamais, les conséquences de cette pandémie nous montrent combien il est important de maintenir notre effort en matière de recherche et autour du système de santé, en France et dans le monde.
Cette crise touche un tissu économique et social affaibli, des finances publiques qui laissent peu de marges de manoeuvre budgétaires, un secteur agricole en crise, un système hospitalier exsangue. Ce n'est pas le lieu ni le moment d'en discuter. Aujourd'hui, nous soutenons les efforts du Gouvernement pour limiter les effets de cette crise, mais nous serons vigilants sur son application. Comme nous l'avons fait pour d'autres lois, nous suivrons pas à pas sa mise en oeuvre en nous appuyant sur les retours du terrain des différents secteurs de l'économie.
Mme Catherine Procaccia. - Je vous remercie pour votre rapport, Madame la Présidente, qui résume le texte auquel il nous était difficile d'accéder hier, et formule des interrogations que je partage pour la plupart.
S'agissant d'un éventuel amendement relatif aux télécommunications : en France comme ailleurs, on s'interroge sur la capacité des réseaux à faire face à l'afflux de télétravail. Je crains leur explosion. S'ils sont en capacité de stabiliser et de densifier les réseaux, il faut leur donner les autorisations nécessaires, au-delà de l'inquiétude sur les ondes et autres. Si un tel amendement est présenté, je le soutiendrai.
Mme Anne Chain-Larché. - Je vous remercie à mon tour pour ce rapport très complet. J'interviendrai concernant l'aide aux PME dont le chiffre d'affaires est inférieur à un million d'euros et ayant perdu 70 % de leur chiffre d'affaires de mars 2019 à mars 2020. Ce seuil est un obstacle qu'il conviendrait d'abaisser à 50 %.
M. Franck Menonville. - Madame la Présidente, nous souscrivons au rapport que vous nous avez présenté. Sénateur de la Meuse, dans la région Grand Est, particulièrement impactée, il me paraît important, à ce stade, de prendre des mesures fortes, rapides et faciles à mettre en place. Le seuil de 70 %, sur une période comprenant d'autres crises qui ont déjà altéré les entreprises, est trop élevé : celui de 50 % serait préférable. Au-delà de 50 % de pertes, les entreprises qui ne seront pas aidées auront les plus grandes difficultés à perdurer. Des aides directes, notamment en termes de trésorerie, doivent être rapidement et facilement mises en place.
Le contexte est compliqué, les entreprises rencontrant des difficultés de main-d'oeuvre, d'approvisionnement et de refus de clients, par exemple dans le secteur du bâtiment.
Je soutiens pleinement la mise en place d'une cellule de veille et de suivi. Il faudra pouvoir intégrer les conséquences de nos votes et rester réactifs.
M. Jean-Claude Tissot. - Nous n'avons guère eu le temps de réfléchir sur le texte, mais je souhaite intervenir sur l'économie sociale et solidaire (ESS), qui passe à travers les mailles du filet. Ses acteurs sont, pour certains, condamnés à disparaître, car ils exercent essentiellement dans les services à la personne, activité stoppée. Ce sont souvent des associations exemptes de trésorerie, qui n'apparaissent pas comme des entreprises. Je me demande comment les associer aux dispositifs. Je n'ai pas la réponse.
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - Comme je le mentionnais, l'étendue des habilitations à légiférer par ordonnances permettra au Gouvernement d'intégrer nos remarques. Je vous conseille non pas de déposer des amendements, mais de formuler vos remarques en séance publique afin que le Gouvernement en tienne compte.
M. Franck Montaugé. - Je vous remercie également de votre rapport, Madame la Présidente, dont je partage l'esprit. Nous sommes dans une situation exceptionnelle, qui appelle un consensus, ce qui ne nous empêche pas de rester critiques et constructifs pour la mise en place du dispositif le plus efficace possible.
Il existe un lien fort entre ce texte et le projet de loi de finances rectificative. Or 15 milliards d'euros d'interventions de l'État sont prévus, soit moins que pour traiter la crise des « gilets jaunes », tous dispositifs confondus. Je m'interroge donc sur l'efficacité du dispositif auprès des entreprises. Il ne faudrait pas oublier l'agriculture et l'agroalimentaire.
Je voudrais également attirer l'attention sur la relation entre les collectivités locales et le soutien aux PME et TPE. Il faut préserver la capacité d'investissement des collectivités locales, voire la faciliter ou l'accroître, comme le président Sarkozy l'a fait en 2008. Les banques centrales déversent des milliards sur les marchés. Comment orienter ces sommes considérables vers l'investissement, en particulier l'investissement public local ?
J'espère que les collectivités locales - je pense au pacte de Cahors, qu'il faudrait remettre en question - pourront continuer à investir. Si elles participent au fonds de solidarité nationale, leurs capacités d'investissement seront affaiblies, ce qui affectera directement les acteurs locaux.
Enfin, je partage les propos qui ont été tenus sur la souveraineté numérique et la capacité opérationnelle en la matière, qui pénalise trop souvent les entreprises en zones rurales. Il faudra en tirer les enseignements et rendre les territoires plus résilients qu'aujourd'hui.
M. Fabien Gay. - Je vous remercie pour votre rapport, Madame la Présidente. À la sortie de cette crise, nous devrons engager un débat politique de très haut niveau, sans polémique. Solidarité contre concurrence, coopération contre compétition, bien commun et service public contre privé : l'État providence et les services publics sont au coeur de la gestion de cette crise, comme l'a indiqué le Président de la République lui-même. L'hôpital nous réclame des moyens depuis des années. Il faut parer à l'urgence, mais il faudra aussi faire vivre ce débat de fond.
Je ferai deux remarques sur le titre III. Il manque un listing des entreprises qui ne sont pas essentielles à l'état d'urgence sanitaire et qui continuent à travailler. Beaucoup de salariés s'interrogent. Ceux d'Amazon, par exemple, se côtoient par milliers dans des entrepôts. Le secteur automobile a pris ses responsabilités. Si de nouvelles mesures devaient être prises dans les prochains jours, il faudrait définir clairement les entreprises indispensables et celles qui ne le sont pas.
Il est question de nationalisations partielles ou totales. J'ai des propositions à faire à M. Bruno Le Maire dans les transports, l'énergie, les banques et l'assurance, mais aussi dans le secteur pharmaceutique - manque de médicaments, etc.
L'habilitation à légiférer par ordonnances se justifie en période de crise, mais le texte me semble déséquilibré entre les différentes composantes de l'entreprise - des directions, des actionnaires, des machines-outils et des salariés - au détriment des salariés. Il faut, par exemple, appeler les grands groupes à plus de solidarité ; ce sont souvent des donneurs d'ordre des PME et TPE. Par ailleurs, l'alinéa 8 de l'article 7 est bien trop large ; il couvre 95 % de nos entreprises. Quelle sera la durée de l'habilitation à déroger au code du travail ? Il faut trouver la juste mesure.
Nous nous abstiendrons sur le rapport de la commission, mais nous continuerons à travailler et à échanger entre nous ; nous déposerons en outre quelques amendements de fond. Après cette crise sanitaire et sociale, il va falloir reconstruire, mais sans s'asseoir sur tous nos principes.
Les indépendants, les saisonniers, les intermittents, le monde de l'événementiel sont complètement à l'arrêt. Les plateformes Uber et Deliveroo continuent à travailler. Les questions de chômage partiel ou d'arrêt pour maladie font débat pour ces travailleurs.
Nous sommes en situation d'urgence nationale, mais il faut continuer à faire vivre le débat d'idées. Je suis favorable à ce qu'un groupe de suivi représentatif y travaille, en liaison avec le ministre de l'économie.
M. Pierre Louault. - Je vous remercie de votre rapport et souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur quelques points.
Il faudra tout d'abord être vigilant sur la fraude, car je connais des salariés à qui l'on demande à la fois de se déclarer en arrêt de travail et de travailler chez eux. En période de crise, on ne peut pas se faire du gras sur le dos de l'État. Si la productivité n'est pas la même à domicile, peut-être convient-il d'envisager des mesures de chômage partiel ?
Les règles d'arrêt du travail me paraissent bien adaptées en ville, mais pas trop à la campagne. Beaucoup d'entrepreneurs travaillent seuls ou avec un ou deux salariés, sans être en contact entre eux et sans utiliser les transports en commun. Je pense, par exemple, aux jardiniers chez les particuliers. Il convient sans doute de prévoir un peu de souplesse dans le dispositif.
À la sortie de la crise, un bilan complet devra être dressé. Ainsi, on ne veut plus entendre parler de plastique, mais sans les blouses jetables en plastique, ce serait la catastrophe... Ce sera l'occasion d'apporter un peu de modération.
Pour honorer les carnets de commandes, il faudra prévoir des mesures d'assouplissement des règles du travail pendant une période limitée, afin de faire repartir les entreprises rapidement, dans l'intérêt de tous.
Mme Agnès Constant. - Félicitations pour ce rapport succinct, mais très efficace, Madame la Présidente.
Je reviens sur la sortie de crise : il faudra prévoir la possibilité de travailler davantage, le tissu économique en aura besoin.
La cellule de veille est une excellente idée : nous aurons besoin d'un état des lieux permanent, puis d'un retour d'expérience, pour échafauder des solutions pour l'avenir, démondialiser l'économie dans certains domaines.
La souplesse du dispositif est nécessaire. Dans les territoires viticoles, beaucoup d'auto-entrepreneurs et de travailleurs indépendants peuvent travailler seuls à l'extérieur. Nous travaillons dans l'urgence, puis le bon sens permettra d'affiner.
Les assurances doivent se positionner en termes de solidarité. Les cas de force majeure ne sont pas assurés, mais il faudrait imaginer à l'avenir une contribution minimum.
En ce qui concerne l'économie sociale et solidaire, les banques alimentaires, Les Restos du coeur ont fermé. De nombreuses personnes sont complètement dépendantes des collectivités locales actuellement. Comment les prendre en charge ?
Nous sommes dans l'urgence, mais il faudra en tirer les conséquences et proposer des solutions législatives, pour sortir grandis de cette période.
Enfin, qu'en est-il du mécanisme européen de stabilité (MES) ?
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - Comme Mme Catherine Procaccia, je soutiens l'augmentation de la capacité des réseaux numériques sans état d'âme. Il s'agirait d'installations d'antennes temporaires, avant de récupérer les autorisations. Les besoins ont doublé. Outre le télétravail, l'occupationnel occupe une grande place puisque You Tube, Netflix et les sites pornographiques sont les services qui requièrent le plus de bande passante. Il est envisagé, le cas échéant, de réduire la capacité de ces trois services pour laisser de la place aux autres.
Des amendements sectoriels nous sont remontés, comme des reports de paiement de charges, qui relèvent plutôt de la commission des finances. La TVA s'apparente à de la trésorerie pour les entreprises, que les banques n'auront pas à couvrir.
M. Serge Babary se demande si les loyers des bailleurs commerciaux font bien partie des locaux professionnels. Nous demanderons confirmation en séance que la rédaction de l'habilitation concernant les entreprises comprend bien les indépendants, les auto-entrepreneurs, les ESS. La rédaction doit couvrir l'ensemble des activités.
Les instances européennes sont en train de travailler sur le mécanisme européen de stabilité. Sur la dimension du projet de loi de finances rectificative évoquée par M. Franck Montaugé, les 15 milliards d'euros viennent s'ajouter aux 478 milliards d'euros prévus en loi de finances pour l'ensemble du budget général. Il faudrait étudier la totalité des capacités d'action auprès des entreprises et des aides directes et indirectes susceptible d'être mobilisée au sein de ce budget pour connaître le montant des financements véritablement disponibles pour faire face à la crise
Je partage vos réserves sur le seuil de 70 % de perte d'activité. Sur le mois de mars, les carnets de commandes des artisans sont pleins, mais ceux-ci doivent arrêter leurs activités. Il faudra en tenir compte.
Il convient de rester vigilant sur les fraudes, comme l'a souligné M. Pierre Louault, mais sans complexifier les déclarations. Bien sûr, les fraudeurs utilisent les facilités mises en place pour demander le chômage partiel, le télétravail, etc.
M. Pierre Louault. - Les fraudeurs doivent savoir qu'il existe une sanction.
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - Il faut se garder d'opposer les grandes entreprises et les PME-TPE, comme en témoigne la situation d'Air France. Le Gouvernement aura une vision sectorielle, il ne peut pas en être autrement.
Je partage les remarques de MM. Pierre Louault et Fabien Gay concernant la souplesse du code du travail. Il faudra donner aux entreprises la capacité de redémarrer plus vite et de passer outre les barrières du code du travail, mais de façon graduée et temporaire. Pour une action collective et unie, il ne faut pas que le patronat et les syndicats partent opposés.
Bien sûr, il va falloir vérifier que les mesures prises respectent bien les habilitations, et s'interroger ensuite sur le modèle économique. Comme le soulignait le patron d'Airbus lors d'une audition récente, ne perdons pas l'occasion d'apprendre d'une crise. Nous n'avons pas le droit de ne pas apprendre de cette crise ! Une réflexion doit s'engager sur la réindustrialisation du pays. La question de la production des substances actives de médicaments se pose, au moins en Europe ; celle des pièces détachées également. Les industriels privés doivent reconsidérer les risques géopolitiques et sanitaires, probablement mal estimés dans l'ensemble de leur stratégie d'entreprise.
Je vous invite à intervenir en séance publique pour être sûrs que le champ de vos interrogations soit bien pris en compte par le Gouvernement.
Mme Catherine Procaccia. - Les réseaux sociaux se demandent pourquoi le Parlement se réunit en état d'urgence sanitaire. Nous devrons exprimer nos limites, sans donner à redire sur le rôle des politiques.
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - N'ajoutons pas à la crise actuelle une crise institutionnelle ! Il faut être raisonnable.
Je précise que la séance de questions d'actualité au Gouvernement est un impératif, conformément à l'article 48 de la Constitution. Le nombre de questions et le temps imparti seront limités.
La réunion est close à 10 h 40.