- Mercredi 19 février 2020
- Questions diverses
- Projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relative à la reconnaissance réciproque des poinçons officiels apposés sur les ouvrages en métaux précieux et les ouvrages multimétaux - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi autorisant la ratification du deuxième protocole additionnel à la convention européenne d'extradition, du troisième protocole additionnel à la convention européenne d'extradition et du quatrième protocole additionnel à la convention européenne d'extradition - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif aux modalités de financement des infrastructures et de l'acquisition des outils de formation dans le cadre de la coopération franco-allemande dans le domaine du transport tactique aérien - Examen du rapport et du texte de la commission
- Désignation d'un rapporteur
- Audition de M. Pierre Vimont, envoyé spécial du Président de la République pour l'architecture de sécurité et de confiance avec la Russie
- Politique de coopération - Ouverture de négociations en vue d'un nouveau partenariat entre l'Union européenne et le Royaume-Uni - Audition de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes
- Politique de coopération - Ouverture de négociations en vue d'un nouveau partenariat entre l'Union européenne et le Royaume-Uni : examen d'une proposition de résolution européenne et d'un avis politique
Mercredi 19 février 2020
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Questions diverses
M. Christian Cambon, président. - Nous avons appris avec tristesse la mort, dans le cadre de l'opération Barkhane, au Burkina Faso, le 16 février dernier, du sergent-chef Morgan Henry, du 54e régiment de transmissions de Haguenau. Il a été découvert mort au sein de son campement ; une enquête est en cours.
J'adresse en cet instant, en notre nom à tous, à ses camarades, à sa famille et à ses proches, nos plus vives condoléances, et je vous propose d'observer un instant de silence à sa mémoire.
Les membres de la commission se lèvent et observent une minute de silence.
Projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relative à la reconnaissance réciproque des poinçons officiels apposés sur les ouvrages en métaux précieux et les ouvrages multimétaux - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Christian Cambon, président. - Nous examinons désormais le projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre la France et la Suisse relative à la reconnaissance réciproque des poinçons officiels apposés sur les ouvrages en métaux précieux et les ouvrages multimétaux.
M. Richard Yung, rapporteur. - À titre liminaire, et afin de mieux comprendre les enjeux de cette convention, je souhaiterais vous présenter à grands traits le système de garantie des métaux précieux en vigueur en France.
Les secteurs de l'horlogerie et de la bijouterie-joaillerie sont encadrés par une réglementation stricte qui vise à protéger les consommateurs contre les risques de tromperie, et à lutter contre le recel dont les ouvrages en métaux précieux peuvent faire l'objet en raison de leur valeur.
À cet effet, la législation française impose la présence de deux poinçons sur les ouvrages en métaux précieux, qu'il s'agisse de montres ou de bijoux : d'une part, le poinçon de maître (pour les fabricants), ou de responsabilité (pour les importateurs), qui assure la traçabilité de l'origine des ouvrages et engage le professionnel à respecter les règles de garantie ; d'autre part, le poinçon de garantie, qui certifie la teneur en or, en argent ou en platine. En France, il prend la forme d'un poinçon figuratif, utilisé depuis le XIIIe siècle. Les poinçons les plus connus sont la tête d'aigle pour l'or et la tête de Minerve pour l'argent.
La marque des ouvrages en métaux précieux est assurée : gratuitement par les bureaux de garantie, c'est-à-dire par les services douaniers ; de manière payante par les organismes de contrôle agréés ; ou par les professionnels eux-mêmes, à condition qu'ils soient agréés comme délégataires de poinçon.
La mission de ces différentes entités est d'assurer la conformité du titre des ouvrages, c'est-à-dire de vérifier leur teneur en métal précieux. Pour ce faire, les professionnels ont recours à plusieurs techniques comme l'« essai au touchau », réalisé à l'aide d'une pierre de touche sur laquelle les ouvrages sont frottés, et d'acides qui permettent de déterminer la teneur en or, en argent ou en platine, exprimée en carats ou en millièmes. Si les ouvrages sont aux titres légaux, ils sont alors marqués du poinçon de garantie, apposé de manière mécanique ou gravé au laser.
Tous les ouvrages introduits sur le territoire national doivent être marqués de ce poinçon. Le code général des impôts prévoit toutefois quelques exceptions ; ainsi, les ouvrages en provenance d'un État membre de l'Union européenne ou d'un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen (Islande, Liechtenstein, Norvège) sont le plus souvent dispensés du poinçon de garantie français, sous réserve qu'ils soient déjà marqués d'un poinçon de fabricant et du poinçon de garantie de leur pays d'origine.
La Suisse bénéficie d'une exemption similaire en vertu d'une convention bilatérale conclue en 1987, qui se limite toutefois aux seuls ouvrages en métaux précieux. Cette convention a été révisée en 2018 afin d'étendre son champ d'application aux ouvrages multimétaux, c'est-à-dire composés d'un métal précieux et d'un métal commun, comme l'acier par exemple.
Cette nouvelle convention, soumise à notre approbation, a une vocation plus large. Elle répond aux intérêts des professionnels français en facilitant leurs exportations vers la Suisse, qui constitue leur principal marché étranger avec près de 45 % des exportations du secteur. Dans ce domaine, l'excédent de la balance commerciale avec la Suisse dépasse le milliard et demi d'euros.
Les professionnels français n'auront donc plus à faire poinçonner leurs ouvrages multimétaux en Suisse, ce qui permettra de fluidifier leurs échanges commerciaux et de réaliser des économies, l'apposition du poinçon de garantie étant payante dans ce pays. Par ailleurs, les marques des fabricants déjà enregistrées en France sont dispensées d'enregistrement en Suisse, et réciproquement.
Cette reconnaissance mutuelle de nos poinçons officiels n'empêche en rien les autorités douanières de procéder à des contrôles sur les ouvrages visés par la convention et revêtus d'un poinçon de garantie. S'ils ne sont pas conformes à la législation nationale, ils seront renvoyés à l'exportateur.
Pour conclure, cette nouvelle convention répond aux intérêts des professionnels français en facilitant leurs exportations vers leur principal marché étranger, tout en garantissant la protection des consommateurs. Je préconise donc l'adoption de ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier. La partie suisse a, quant à elle, déjà ratifié la convention en novembre 2018. L'examen en séance publique est prévu le mercredi 4 mars prochain, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la Conférence des présidents, de même que votre rapporteur, ont souscrit.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte à l'unanimité le rapport ainsi que le projet de loi.
Projet de loi autorisant la ratification du deuxième protocole additionnel à la convention européenne d'extradition, du troisième protocole additionnel à la convention européenne d'extradition et du quatrième protocole additionnel à la convention européenne d'extradition - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Hugues Saury, rapporteur. - Nous examinons aujourd'hui un projet de loi autorisant l'approbation des 2e, 3e et 4e protocoles additionnels à la convention européenne d'extradition, l'une des plus anciennes conventions européennes dans le domaine de la coopération en matière pénale. Ils visent à simplifier et à rendre plus efficace la procédure applicable en matière d'extradition entre les Etats parties qui ont ratifié ces instruments. Ces protocoles additionnels visent à simplifier et à rendre plus efficace la procédure applicable en matière d'extradition entre les États parties qui ont ratifié ces instruments.
La convention européenne d'extradition de 1957, entrée en vigueur en 1960, pose un principe d'extradition obligatoire pour des faits passibles d'une peine privative de liberté d'un maximum d'au moins un an ou d'une peine plus sévère, selon les lois de la partie requise et de la partie requérante, conformément au principe de la double incrimination. La France a usé de son droit de réserve pour fixer le quantum de cette peine à deux ans, ce qui couvre pratiquement toutes les infractions. La France a signé cette convention en 1957, mais ne l'a ratifiée qu'en 1986, après l'abolition de la peine de mort en 1981. Cinquante États sont aujourd'hui parties à cette convention, dont l'Afrique du Sud, Israël, la Corée du Sud, qui ne sont pas membres du Conseil de l'Europe.
Cette convention a été modifiée par un premier protocole additionnel de 1975 - antérieur donc à la ratification par la France de la convention mère - qui complète la liste des infractions qui ne sont pas considérées comme des infractions politiques et étend la règle du non bis in idem aux jugements définitifs rendus par un État tiers. À l'instar d'autres pays européens, la France ne l'a pas signé et ne le signera pas, car il n'apporte pas de plus-value opérationnelle.
Voyons le champ d'application de ces trois protocoles additionnels. Ils ne s'appliqueront que pour la coopération avec des États non membres de l'Union européenne ayant ratifié ces instruments et avec lesquels la France n'a signé aucun accord bilatéral d'extradition. Cela représente un nombre assez restreint de flux, car dans l'espace européen, c'est la procédure du mandat d'arrêt européen qui s'applique conformément à la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise.
Quel est le contenu de ces trois protocoles adoptés respectivement en 1978, 2010 et 2012, et signés par la France en octobre 2018 ?
Le 2e protocole étend la convention européenne d'extradition aux infractions fiscales - un arrangement préalable entre les parties n'est plus nécessaire - et encadre la possibilité d'extrader les personnes qui ont été condamnées par défaut, en donnant la faculté à la partie requise de refuser l'extradition si elle estime que la procédure de jugement n'a pas satisfait aux droits minimaux de la défense. Il prévoit également que l'extradition ne sera pas accordée pour une infraction couverte par l'amnistie dans l'État requis si celui-ci avait compétence pour poursuivre concurremment avec l'État requérant. Enfin, il permet la transmission des demandes d'extradition directement entre les ministères de la justice des parties, sans recours systématique à la voie diplomatique. Ce 2e protocole correspond à une pratique constante de la France, sans compter que la transmission directe permet de gagner en efficacité !
Partant du constat que le plus souvent l'individu recherché consent à l'extradition, le 3e protocole présente l'avancée la plus importante en mettant en place une procédure d'extradition simplifiée dans ce cas de figure. Cette procédure peut être utilisée en cas de présentation d'une demande d'extradition en bonne et due forme, mais aussi lorsque la partie requise agit dans le seul cadre d'une demande d'arrestation provisoire. Cet instrument s'inspire de la procédure du mandat d'arrêt européen et prévoit, comme celle-ci, une phase unique exclusivement judiciaire, et non pas une phase judiciaire puis une phase administrative comme dans la procédure classique d'extradition, ce qui permet de gagner un temps considérable. L'autorité judiciaire est compétente pour vérifier les conditions légales de l'extradition ainsi que la validité du consentement de la personne réclamée. Ce 3e protocole permet de répondre à une demande récurrente des juridictions dans un contexte d'internationalisation de la criminalité. La France fera une déclaration précisant que le consentement de l'intéressé pourra être retiré jusqu'à ce que la décision sur l'extradition ait acquis un caractère définitif.
Le 4e protocole additionnel vise à moderniser les autres stipulations de la convention européenne d'extradition relatives à l'appréciation de la prescription des faits, objet de la demande d'extradition - seule la prescription acquise d'après la législation de la partie requérante compte -, au principe de la spécialité, à la ré-extradition vers un État tiers, au transit et aux moyens et voies de communication entre les autorités compétentes. La France a prévu de se réserver le droit de refuser l'extradition lorsque la prescription de l'action publique ou de la peine est acquise en vertu du droit français.
En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi dans la mesure où les dispositions de ces trois protocoles se rapprochent de celles du mandat d'arrêt européen, qui a fait ses preuves entre les États membres de l'Union européenne. Ils permettront d'améliorer les canaux de la coopération en matière de remise des personnes, notamment par le biais de la procédure simplifiée d'extradition lorsque la personne recherchée consent à son extradition et par la transmission directe entre les ministères de la justice des parties. Ils faciliteront, en outre, la coopération dans les procédures d'extradition - relativement nombreuses - avec le Royaume-Uni dans le contexte du Brexit, d'autant que le Royaume-Uni a déjà ratifié ces trois protocoles. L'examen en séance publique est prévu le mercredi 4 mars 2020, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte à l'unanimité le rapport ainsi que le projet de loi précité.
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif aux modalités de financement des infrastructures et de l'acquisition des outils de formation dans le cadre de la coopération franco-allemande dans le domaine du transport tactique aérien - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Christian Cambon, président. - Nous examinons désormais le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif aux modalités de financement des infrastructures et de l'acquisition des outils de formation dans le cadre de la coopération franco-allemande dans le domaine du transport tactique aérien.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Il y a quinze jours, nous évoquions le Fonds européen de défense (FEDef), à travers le rapport de Cédric Perrin. Nous examinons aujourd'hui, à travers un projet de loi autorisant l'approbation d'une convention entre la France et l'Allemagne, une autre brique de la défense européenne : la création de la première unité opérationnelle binationale franco-allemande. Ce texte a en commun avec l'accord avec la Belgique (accord « CaMo ») que nous avons examiné l'an passé, et dont M. Cigolotti était le rapporteur, d'avoir peu retenu l'attention du grand public, alors qu'il traduit en réalité une avancée majeure.
De quoi s'agit-il concrètement ? L'accord prévoit le financement et la création d'une unité franco-allemande de transport tactique aérien, qui sera basée sur la base aérienne 105 d'Évreux (BA 105). Certains ont pu penser qu'il s'agissait d'une coopération rappelant, par exemple, la brigade franco-allemande (BFA). En réalité, il s'agit de quelque chose de tout à fait différent et novateur. La BFA permet à des unités françaises et allemandes de travailler dans un cadre commun, mais de façon parallèle. Ainsi, on a pu dire que la BFA était engagée au Mali, mais, en fait, les unités françaises faisaient partie du dispositif Barkhane, alors que les éléments allemands étaient intégrés dans la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma). Les missions étaient donc différentes.
Dans le cas de la future unité de transport aérien d'Évreux, on trouvera dans chaque appareil des équipages mêlant aviateurs français et allemands. La dimension binationale deviendra réellement opérationnelle, et il s'agit donc d'une innovation majeure.
Certes, on peut observer qu'il s'agit de transport tactique, et non d'aviation de combat, le recours direct à la force étant susceptible de rencontrer plus rapidement l'écueil des différences de doctrines et de circuits de décision dans les deux pays.
On peut également relever que chaque pays conservera la possibilité de ne pas participer à tout ou partie d'une mission. À l'inverse, chacun des deux pays pourra demander à préempter la totalité d'un avion pour une mission. Ces aspects fondamentaux devront être traités dans une seconde convention, actuellement en cours de négociation, et qui devrait nous être soumise d'ici l'été.
Je vous propose de rentrer maintenant dans une description du dispositif prévu. Il s'agit de constituer une flotte de dix avions de transports C-130J. Il est prévu que l'Allemagne achète six appareils, et la France quatre.
Cet avion produit par l'américain Lockeed Martin, répond au segment intermédiaire du transport aérien militaire. En effet, entre le CASA (CN-160), qui offre un emport de 30 hommes, et l'A400M qui peut en emporter 120, il manquait un avion de taille moyenne. Or les besoins, sur ce segment médian, se font d'autant plus pressants que les Transall sont progressivement retirés du service. La conjonction des retards du programme A400M et du retrait progressif des Transall a conduit à une réduction temporaire de capacité (RTC) dont le point bas est encore à venir, puisqu'il sera atteint en 2023, même si la capacité globale de transport remonte déjà du fait de la capacité d'emport des A400M déjà livrés (16 sur 35 de la première tranche).
Il faut rappeler également que l'armée de l'air dispose déjà d'une version plus ancienne de cet avion, avec douze C-130H basés à Orléans. Ces C-130H sont entrés en service en 1984 et voleront jusque vers 2030. C'est également à Orléans que sont provisoirement basés les trois C-130J que l'armée de l'air a déjà reçus. Le dernier avion français devrait être livré le mois prochain. Deux des avions français disposeront de la capacité de faire du ravitaillement en vol - les KC-130J-AAR - pour les avions et les hélicoptères, capacité dont vous vous souvenez sans doute qu'elle n'a pu pour l'instant être certifiée sur l'A400M, ce qui est une des raisons de l'achat de C-130J.
Quant aux appareils allemands, le premier d'entre eux se posera à Évreux en 2021, peut-être sans même passer par l'Allemagne.
Le second aspect du projet, en matière d'investissement, concerne les bâtiments. Ceux-ci sont de deux natures. Il y aura d'une part les bâtiments de l'escadron, c'est-à-dire un parking dédié, car la conception d'origine des parkings de la BA 105, « en marguerite », n'est pas adaptée à cet avion ; trois hangars de maintenance ; des ateliers de stockage du matériel ; et l'escadron opérationnel où seront préparées les missions.
Les travaux devraient débuter en mai ou juin. Pour donner une idée de l'ampleur des travaux, ils correspondent à un volume de 100 à 150 camions par jour, pour lesquels un accès spécifique a été aménagé dans la base afin de préserver sa sécurité globale.
Dans un second temps, en 2023, viendra s'ajouter un bâtiment abritant les simulateurs et permettant la formation des équipages.
Je voudrais maintenant aborder un second volet du projet, qui n'est pas directement couvert par l'accord qui nous est soumis, mais qu'il est important de connaître pour appréhender l'ensemble du dispositif. Il s'agit des personnels allemands. Ceux-ci seront au nombre de 160. Mais le point le plus important, et le plus emblématique de cette coopération, c'est qu'il s'agira, pour les militaires allemands d'affectations longues, c'est-à-dire de cinq ans et plus. Autrement dit, une part significative de ces 160 militaires viendront en famille de façon pérenne, voire définitive. C'est un beau symbole de l'intégration réellement binationale de ce projet. Il faut souligner à ce titre la mobilisation des élus locaux et des administrations des environs pour permettre le meilleur accueil et la bonne intégration de ces familles allemandes, ce qui sera un gage du succès de l'opération.
J'insiste sur cet élément de la durée des affectations, car c'est très original et cela exprime le fait qu'il s'agit bien d'une unité entièrement binationale, et non d'une coopération militaire classique. Du reste, cela a amené le chef d'état-major de l'armée de l'air (Cemaa) à envisager une opération équivalente en retour en Allemagne. Il pourrait s'agir par exemple d'une unité d'hélicoptères tactiques ou, si la France et l'Allemagne venaient à s'en doter, d'hélicoptères lourds qui nous font, à l'heure actuelle, gravement défaut.
Enfin, la préparation de ce rapport m'a conduit à me rendre sur place pour rencontrer le commandant de la BA 105, le colonel Sébastien Delporte. Il me semble utile de partager avec vous les informations que j'ai recueillies à cette occasion, sur cette base très proche de la région parisienne. La base compte environ 2 500 personnels, et elle a toujours eu une vocation de transport aérien. Elle dispose d'une emprise importante, car elle a été une importante base américaine après-guerre, qui a compté jusqu'à 9 000 hommes. Lorsque la France a quitté le commandement intégré de l'OTAN, l'armée de l'air a récupéré cette base et y a notamment abrité ses Transall. Il me semble intéressant de souligner que, dans le contexte de réduction du format des armées après la fin de la Guerre froide, il a été envisagé jusque dans les années 2010 de fermer la BA 105. Il s'en est notamment suivi un arrêt des investissements lourds sur les bâtiments, ce qui demande aujourd'hui un effort d'autant plus soutenu pour moderniser la base. On ne peut qu'être frappé du changement de pied auquel on assiste désormais, puisque la BA 105 est aujourd'hui confortée dans son rôle, et devrait même être renforcée à l'avenir par les nouveaux avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR). Le caractère stratégique de cette base tient aussi au fait qu'elle abrite les deux C160 Gabriel, qui sont un élément central de nos capacités de guerre électronique. Au retrait des Gabriel, en 2025, la BA 105 accueillera leurs successeurs dans le cadre du programme Archange : il s'agira de trois Falcon adaptés. Il est également envisagé qu'un détachement de Rafale participant à la police de l'air puisse être stationné de façon pérenne à Évreux.
De ce point de vue, le projet d'unité franco-allemande de transport tactique est doublement emblématique, en ce qu'il reflète deux tendances de fond que nous voyons à l'oeuvre dans nos armées : un effort très marqué de réinvestissement - comme corapporteure, avec Cédric Perrin, du programme 146, je suis naturellement sensible à cette dimension - ; et une volonté d'aller plus loin dans les coopérations européennes, à des niveaux de plus en plus proches des opérations.
En conclusion, il me semble que nous pouvons nous réjouir de l'avancée de ce projet. Nous avons suffisamment évoqué ici les complexités de la coopération franco-allemande pour ne pas manquer de souligner les avancées réelles et importantes, lorsque nous les constatons.
M. Christian Cambon, président. - Je rappelle aussi que le Sénat a insisté pour que le texte soit examiné le plus rapidement possible, afin de ne pas retarder davantage le lancement des travaux.
Suivant l'avis de la rapporteure, la commission adopte à l'unanimité le rapport ainsi que le projet de loi.
Désignation d'un rapporteur
M. Christian Cambon, président. - Nous devons nommer un rapporteur sur la proposition de résolution européenne, que nous avons déposée lundi dernier avec Jean Bizet, portant sur le projet de décision autorisant l'ouverture de négociations en vue d'un nouveau partenariat avec le Royaume-Uni. Le calendrier est très serré, puisque le mandat de négociation sera examiné par le Conseil le 25 février prochain. C'est pourquoi nous avons déposé un texte commun, après consultation des présidents de toutes les commissions permanentes.
Nous auditionnerons tout à l'heure, sur ce sujet, Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État chargée des affaires européennes, conjointement avec la commission des affaires européennes. Tous les sénateurs sont invités à cette audition. Puis nous nous réunirons à 17h, avec la commission des affaires européennes, pour l'examen de cette proposition de résolution européenne, qui sera, comme le veut le Règlement, adoptée d'abord par les membres de la commission des affaires européennes. Nous l'examinerons, pour notre part, mercredi prochain, le 26 février, ce qui nous permettra d'avoir les résultats du Conseil. Le règlement du Sénat prévoit en effet deux phases d'examen, d'abord par la commission des affaires européennes, puis par la commission au fond.
La négociation avec les Britanniques s'annonce ardue, comme le montrent les déclarations du négociateur britannique, et dans des délais exceptionnellement brefs : tout doit être fini d'ici au 31 décembre prochain. Il serait opportun sans doute que nous puissions auditionner M. Michel Barnier. Pour ce rapport, je propose la candidature de M. Ladislas Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski est nommé rapporteur sur la proposition de résolution européenne portant sur le projet de décision autorisant l'ouverture de négociations en vue d'un nouveau partenariat avec le Royaume-Uni.
M. Christian Cambon, président. - Mme Pérol-Dumont étant empêchée pour des raisons de santé, c'est Rachid Témal qui lui succède au sein de la mission sur l'Inde et qui en devient donc co-rapporteur aux côtés de Ladislas Poniatowski. Leur déplacement en Inde est prévu du 29 février au 7 mars prochain.
Audition de M. Pierre Vimont, envoyé spécial du Président de la République pour l'architecture de sécurité et de confiance avec la Russie
M. Christian Cambon, président. - Monsieur l'ambassadeur, c'est avec grand plaisir que notre commission vous reçoit aujourd'hui pour évoquer la mission que vous a confiée le Président de la République : le réengagement d'un dialogue stratégique avec la Russie.
Diplomate chevronné, vous avez été notamment représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne à Bruxelles entre 1999 et 2002, ambassadeur de France aux États-Unis entre 2007 et 2010 et secrétaire général exécutif du service européen pour l'action extérieure (SEAE) de 2010 à 2015. Il y a quelques mois, le Président de la République vous a désigné comme envoyé spécial pour coordonner le dialogue autour de la proposition française d'agenda de confiance et de sécurité qui a été soumise aux autorités russes en septembre dernier.
La commission des affaires étrangères et de la défense, qui est elle-même engagée depuis 2016 dans un dialogue avec le Conseil de la Fédération de Russie, approuve la démarche présidentielle et souhaite l'accompagner. À cet égard, après un premier rapport paru en 2016, elle est en train de réaliser, conjointement avec le Conseil de la Fédération de Russie, un deuxième rapport sur le thème des relations entre nos deux pays.
Il est en effet nécessaire de tenter de renouer des liens plus étroits avec la Russie, compte tenu de l'importance stratégique de ce pays pour la sécurité de l'Europe et de son implication dans un grand nombre de dossiers internationaux. Mais nous sommes bien conscients aussi qu'il faut le faire avec exigence et sans naïveté. Car si elle a reconquis son rang et son aura au plan international, la Russie n'a pour l'instant pas changé et garde un comportement négatif dans bien des domaines. On pense bien sûr à l'obstruction systématique qu'elle pratique au Conseil de sécurité sur le dossier syrien, à ses agissements en Afrique - je pense en particulier à l'action de la milice de mercenaires Wagner -, mais aussi à ses tentatives de déstabilisation par des manipulations de l'information, comme l'a rappelé il y a quelques jours le Président Macron à la Conférence de Munich sur la sécurité.
Monsieur l'ambassadeur, pour commencer, pourriez-vous nous présenter le mandat que vous a confié le Président de la République ? Quelles en sont les échéances et la méthode ? Quel premier bilan faites-vous de votre mission, tant au plan interne que dans vos relations avec la partie russe ?
Quelles sont les chances de réussite de cette démarche de réengagement de la Russie et quels sont nos leviers pour y parvenir ? Dans quels domaines vous paraît-il possible d'obtenir rapidement des avancées ? Est-ce sur l'Ukraine ? Est-ce sur le front africain ? Ou encore en matière de maîtrise des armements ?
Enfin, comment gérez-vous l'autre volet de votre mission, qui est de rassurer nos partenaires européens, dont beaucoup se montrent sceptiques, voire inquiets, de l'initiative française ?
M. Pierre Vimont, envoyé spécial du Président de la République pour l'architecture de sécurité et de confiance avec la Russie. - Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir invité. C'est pour moi un grand honneur de pouvoir vous expliquer plus en détail le sens de cette mission, dont l'initiative revient au Président de la République afin qu'elle soit le prolongement de toute sa réflexion sur la construction européenne, en particulier sur la souveraineté européenne, comme il l'avait notamment exprimé lors de son discours de la Sorbonne en 2017.
Dès lors que l'Europe veut à nouveau jouer un rôle sur la scène internationale, il devient indispensable de mieux affirmer nos relations bilatérales, notamment avec la Chine et les États-Unis, et de réengager un dialogue plus développé avec la Russie, qui est à l'évidence un acteur incontournable. Une telle démarche serait un moyen d'inciter nos partenaires européens à nous imiter sur un dossier où l'Europe s'est illustrée par son absence, en maintenant un statu quo après avoir mis en place une politique de fermeté et de sanctions. Et cela permettrait de relancer le processus en ce domaine.
Au travers de ce dialogue de sécurité et de confiance avec la Russie, nous voulons tout d'abord densifier nos échanges bilatéraux, qui se sont révélés moins fréquents que ceux de nombre de nos partenaires européens. Ceux-ci ont d'ailleurs été surpris lorsque le Président de la République a décidé de relancer le dialogue des « 2+2 » qui n'avait plus eu lieu depuis 2012, entre les ministres français des affaires étrangères, de la défense, et leurs homologues russes.
Dans cet effort de densification de notre dialogue avec la Russie, nous voulons avancer dans toute une série de domaines. Les plus habituels sont la sécurité et la stabilité stratégique en Europe. Or, sur la maîtrise des armements que vous avez évoquée à juste titre, monsieur le président, nous pouvons avoir un dialogue avec la Russie, mais sans stipulation pour autrui, ou dans le cadre de l'OTAN à l'instar de nos partenaires américains. Selon le Président de la République, la solidarité au sein de l'Alliance atlantique ou de l'Union européenne ne doit pas nous empêcher d'entretenir notre propre dialogue et de défendre nos intérêts concernant la sécurité, l'armement stratégique ou nucléaire, les forces conventionnelles, ou encore le traité Ciel ouvert sur l'avenir duquel les Américains s'interrogent.
Nous voulons également instaurer des contacts entre chefs d'État-major, ce qui a suscité un vif intérêt de nos partenaires russes, et mettre en place des canaux de « déconfliction », ou de « désescalade » - il vaut mieux franciser ce terme anglo-saxon - dans tous les domaines où cela peut-être utile et nonobstant d'éventuels différends avec nos interlocuteurs russes : cyberattaques, environnement, exploration en Arctique, coopération sur l'industrie spatiale et nucléaire, droits de l'homme, contacts entre sociétés civiles en vertu du dialogue de Trianon entamé dès 2017, conflits qui se déroulent actuellement en Ukraine, en Géorgie, en Moldavie, entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, en Syrie, en Libye ou encore en Afrique.
La situation en République centrafricaine nous oppose aux Russes dont la présence plus ou moins discrète se développe aussi en Afrique occidentale et dans le sud du continent. Il semble donc judicieux, pour ne pas se retrouver devant le fait accompli comme ce fut souvent le cas par le passé, d'établir un dialogue avec nos homologues dans le cadre des institutions internationales comme l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ou l'ONU.
Par ailleurs, nous voulons rendre ce dialogue plus ambitieux, notamment dans le cas de la Libye, en y intégrant non seulement la diplomatie, mais également la sécurité et le renseignement, grâce à des plateformes diplomatiques réunissant des représentants des différentes administrations, russes et françaises.
Enfin, notre objectif est de rendre ce dialogue un peu plus créatif et innovant, grâce à des échanges avec la nouvelle génération de fonctionnaires russes qui montent en grade.
Telles sont les lignes de conduite que nous avons présentées à nos partenaires russes après que M. Poutine a accepté la proposition de dialogue de M. Macron. Quel est actuellement l'état des lieux ?
Nous avons proposé un programme de travail autour de cinq grands thèmes : les défis technologiques et stratégiques ; la coopération bilatérale en matière de sécurité et de défense ; la coopération au niveau européen sur ces questions ; les principes et les valeurs du dialogue de Trianon, les droits de l'homme, la place des femmes dans les conflits et dans leur prévention ; enfin, les grands conflits dans les différentes régions du monde.
Nos partenaires russes nous ont répondu en développant aussi cinq axes de coopération, mais présentés différemment et plus centrés sur les questions militaires et de sécurité. Les Russes ont repris nombre de nos idées, mais nous avons dû leur rappeler notre volonté de discuter de l'Arctique, du nucléaire civil, du spatial ou des droits de l'homme.
Maintenant que nous avons montré à nos interlocuteurs russes nos priorités, et vice-versa, il convient de rapprocher ces deux points de vue d'une manière aussi opérationnelle que possible, en mettant en place quelques groupes de travail afin de commencer à avancer sur ces sujets. Dans les prochaines semaines, je rencontrerai mon homologue russe, l'ambassadeur Yuri Ushakov, qui est le conseiller diplomatique de Vladimir Poutine, afin que nous nous mettions d'accord sur ces groupes de travail.
Bien que j'aie été chargé d'être le coordonnateur de cette mission, les canaux de dialogue perdurent : le directeur politique du ministère des affaires étrangères a des contacts avec ses interlocuteurs russes sur l'accord nucléaire avec l'Iran et d'autres dossiers d'actualité ; il en est de même de l'envoyé spécial du Président de la République sur la Syrie, de l'ambassadeur chargé de la question libyenne ou de la directrice générale des relations internationales et de la stratégie, rattachée au ministère des armées, qui a récemment participé à une réunion avec son homologue au ministère de la défense russe.
Donc, les choses avancent, et personne n'attend mon feu vert pour agir. Toutefois, les réunions sont organisées avec la volonté d'être plus ambitieux, plus dynamiques et plus innovants comme l'a voulu le Président de la République.
Le deuxième volet de l'état des lieux concerne nos partenaires européens.
J'ai rencontré deux fois à Bruxelles les ambassadeurs des pays membres de l'Union européenne auprès du Comité politique et de sécurité et du Conseil de l'OTAN. De plus, j'ai commencé à visiter la Pologne et la Finlande, et je me rendrai prochainement dans les Pays baltes et en Roumanie. Enfin, j'ai rencontré à Paris beaucoup d'ambassadeurs de nos pays partenaires.
Je continuerai cette mission, qui est essentiellement un travail d'explication et d'information face à des positions très diverses. Vous l'avez souligné, monsieur le président, le sentiment général était au départ assez critique pour une initiative qui était considérée comme une démarche bilatérale individuelle ayant pour objet, selon certains, de remettre en cause la solidarité entre les Européens.
Nous avons dû rassurer et dissiper les malentendus en expliquant que nous ne remettions aucunement en cause les positions adoptées, les sanctions retenues et les cinq grands principes qui ont été mis en place en 2016 concernant les relations entre l'Union européenne et la Russie.
Si nous restons bien évidemment solidaires de toutes les décisions qui ont été adoptées à l'unanimité, elles ne constituent pas en elles-mêmes une politique, une stratégie. Par conséquent, depuis le statu quo qui a lieu depuis la crise ukrainienne de 2014, nous attendons pendant que la Russie avance en Syrie, en Libye, en Afrique. Cela explique le sentiment du Président de la République que nous avons peut-être transmis à nos partenaires européens : il faut se mettre en mouvement et prendre des initiatives.
Parmi nos partenaires européens, certains restent circonspects, quand d'autres sont beaucoup plus constructifs par rapport au fait que la France tente sa chance. Nous comprenons ces réticences, mais nous gardons l'espoir que nos partenaires acceptent de nous suivre dans cette nouvelle dynamique d'un réengagement bilatéral. La situation évolue doucement, car la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité, Josep Borrell, et le nouveau président du Conseil européen, Charles Michel, ont manifesté la volonté de relancer la discussion avec la Russie. M. Borrell veut inscrire ce point à l'agenda de la réunion informelle des ministres des affaires étrangères - le Gymnich - au mois de mars ; M. Michel opte plutôt pour un Conseil européen au second semestre, car l'Allemagne, qui assurera la présidence de l'Union européenne, souhaiterait discuter de l'un des cinq principes de 2016 : l'engagement sélectif dans des domaines d'intérêts communs. Ce cheminement parallèle est assez intéressant à observer.
Pour conclure, j'évoquerai les prochaines étapes.
D'abord, la démarche du Président s'inscrit dans le temps long, et il faut faire preuve de patience. Cette mission n'a vraiment commencé que fin novembre, lorsque j'ai pris mes fonctions à Paris. Imaginer que nous allions obtenir en trois mois, d'un coup de baguette magique, un revirement de la part de la partie russe serait irréaliste ! En effet, il faut trouver les bons leviers pour inciter nos interlocuteurs russes à évoluer, et il en existe parmi nos propositions à l'instar de la coopération à partir de technologies que possèdent les Européens dans les domaines environnemental et climatique.
En outre, les investissements européens pourront être utiles à l'économie russe - bien sûr, dans le respect des sanctions édictées. Sur le dossier syrien, nos interlocuteurs russes font des appels du pied pour que les partenaires européens participent à la reconstruction du pays ; les capitaux nécessaires seront énormes, et une expertise, dont l'Europe dispose, sera nécessaire.
Je pourrais poursuivre l'énumération. Quoi qu'il en soit, c'est un travail de temps long, qui exige de la patience.
Enfin, ne nous le cachons pas non plus : nous sommes face à des interlocuteurs difficiles, qui imposent un rapport de force. Nous devons être exigeants en dosant fermeté et dialogue. C'est dans cette direction que nous comptons avancer au cours des prochains mois et, à ce titre, le premier dossier test est sans doute le dossier ukrainien. La France et l'Allemagne devront s'assurer du respect des engagements, côté russe et côté ukrainien.
M. Christian Cambon, président. - En résumé, votre philosophie consiste à obtenir des résultats concrets sur des points précis, au-delà du dialogue, exercice que nos interlocuteurs russes apprécient particulièrement. Vous avez relevé les avancées accomplies en Ukraine, mais il faut aller plus loin : ainsi, nos amis lituaniens nous rappellent qu'ils continuent de subir de nombreuses cyberattaques.
Au demeurant, la Russie a-t-elle intérêt à faire de la France un partenaire ? D'après certains analystes, l'Europe ne compte plus pour elle depuis les sanctions ; elle regarderait essentiellement vers la Chine.
M. Robert del Picchia. - Dans le cadre de l'union interparlementaire à Genève, j'ai, depuis longtemps, de nombreux contacts parmi les parlementaires russes. Le Sénat tout entier a été précurseur de cette volonté de dialogue avec la Russie - l'Assemblée nationale arrive loin derrière. Nous avons dressé un état des lieux et mis au jour plusieurs pistes d'amélioration des relations bilatérales. En particulier, nous avons formulé une recommandation qui, à l'époque, semblait un peu baroque : pourquoi pas un Helsinki 2 ? Ce travail durera peut-être dix ans, mais l'ensemble des conflits gelés pourraient être traités dans ce cadre et - vous l'avez dit vous-même - ce travail s'inscrit dans le temps long. Que pensez-vous de cette idée ?
M. André Vallini. - Parlez-vous de la Crimée avec vos interlocuteurs russes ? Le réalisme ne devrait-il pas nous conduire à considérer que la Crimée a toujours été russe et que M. Poutine ne la quittera jamais ?
M. Gilbert Roger. - Je rentre d'une session de travail de l'assemblée parlementaire de l'OTAN à Bruxelles, et j'ai l'impression que nous vivons dans deux mondes différents. Les Américains exercent une pression amicale, mais ferme, pour qu'aucun dialogue avec la Russie n'ait lieu sans leur autorisation.
De surcroît, après une vingtaine d'années de rapports difficiles avec l'Europe, pensez-vous que M. Poutine puisse être l'homme du rapprochement ? De leur côté, les Allemands me semblent plus que frileux face à notre action diplomatique à l'égard de la Russie. Sur qui, en Europe, pourrait-on s'appuyer ?
Mme Sylvie Goy-Chavent. - M. le Président de la République l'a reconnu, l'embargo contre la Russie a coûté extrêmement cher à l'Union européenne, notamment à la France ; et nous sommes aujourd'hui les otages des Américains, sur lesquels nous avons eu le tort de nous aligner, par manque de courage politique. Sommes-nous aujourd'hui sur la bonne voie ? Quelles actions recommandez-vous très concrètement à cet égard ?
M. Olivier Cigolotti. - L'OTAN n'est plus l'alliance robuste sur laquelle l'Europe appuyait sa défense et, malgré de belles réussites, l'armée européenne est difficile à construire. Or de nombreux conflits font rage aux portes de l'Europe. Notre sécurité est-elle liée inéluctablement au rapprochement avec la Russie ?
Mme Christine Prunaud. - Comment la partie russe réagit-elle à notre démarche ? Le cas échéant, quels sont les dossiers qui l'intéressent particulièrement ?
La reprise du dialogue est une bonne chose, mais la « prévention des conflits » m'interpelle. Dans le dossier syrien, M. Poutine est intervenu avec M. Erdogan contre les Kurdes. Il semble vouloir étendre son action à la Libye, toujours à l'appui de M. Erdogan. La Russie peut-elle avoir suffisamment d'influence pour éviter, dans ce pays, une nouvelle guerre par procuration ? Que signifie précisément, pour nous, la prévention des conflits ?
M. Ronan Le Gleut. - Un dialogue de sécurité et de confiance entre la France et la Russie est nécessaire ; mais ne va-t-il pas à l'encontre d'une défense européenne ? La Pologne, la Roumanie, les pays baltes considèrent la Russie comme la principale menace. De même, les Néerlandais et les Britanniques ont été traumatisés par de récentes affaires, en particulier l'affaire Skripal. Comment mettre en oeuvre cette volonté de dialogue avec la Russie tout en inspirant confiance aux partenaires européens avec qui l'on veut créer la défense européenne ?
M. Hugues Saury. - Dans son discours du 7 février dernier, M. Macron a fait du dialogue avec la Russie la condition de la pleine réussite du projet de défense et de sécurité européen. À cet égard, quels sont les axes de notre action envers les pays de l'est de l'Europe ?
M. Ladislas Poniatowski. - Le Président de la République vous a-t-il également demandé de tâter le terrain, au sein de l'Union européenne, quant à la levée des sanctions ? Ces dernières coûtent très cher à la France, mais tous les États membres ne les respectent pas : ainsi, les Allemands continuent de beaucoup commercer avec la Russie, à l'instar des Américains. La Finlande n'est pas forcément hostile à cette levée, contrairement à la Pologne.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Nous vous félicitons d'avoir pris l'initiative de cette tournée européenne, indispensable pour rassurer nos partenaires, notamment nos interlocuteurs au nord et à l'est de l'Union européenne. D'ores et déjà, avez-vous identifié un certain nombre de dossiers sur lesquels la Russie est prête à avancer ? Dans l'affirmative, quels sont-ils ? Et menez-vous la même démarche envers les Américains ? Pour eux, il est très pratique et commercialement très profitable de présenter la menace russe comme le seul péril ; ce faisant, elle entretient un très fort atlantisme de la part d'un certain nombre de pays.
M. Pascal Allizard. - Comme vice-président de l'assemblée parlementaire de l'OSCE, je travaille régulièrement sur ce sujet. Nous avons noté les maladresses, voire les provocations de l'Union européenne contre la Russie, au regard notamment de sa fièvre obsidionale ancestrale. Les perdants des sanctions sont la France, l'Allemagne et la Pologne ; et le grand gagnant, ce sont les États-Unis. Quant aux Russes, ils ont reconstitué leur agriculture et leur industrie agroalimentaire, via des coopérations vers l'est et le sud-est.
Cette diplomatie pendulaire n'est pas nouvelle et, pour ma part, je suis prêt à soutenir votre initiative. Mais comment la France a-t-elle pu se placer dans une telle situation ? Et la Russie a-t-elle vraiment besoin de la France ?
M. Yannick Vaugrenard. - Outre les considérations économiques, la position de la France se fonde sur des principes et s'ancre dans son histoire. L'Allemagne s'étant politiquement affaiblie depuis la crise ukrainienne, il semble plus judicieux de travailler aujourd'hui sur ces questions avec nos amis britanniques, indépendamment du Brexit.
M. Pierre Laurent. - La déclaration finale du sommet de l'OTAN qui s'est tenu à Londres en décembre dernier entre, assez nettement, en contradiction avec vos propos. De toute évidence, l'orientation n'est pas réellement fixée. Ne faudrait-il pas affirmer des ambitions fortes, par exemple, comme le suggère M. del Picchia, à travers un Helsinki 2 ? Voulons-nous, oui ou non, travailler avec les Russes pour la prévention et la gestion des conflits ? Les considérons-nous comme des partenaires nécessaires ?
M. Jean-Paul Émorine. - Je souhaite vous interroger à propos de l'évolution de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Avec Jean Bizet, qui préside la commission des affaires européennes, nous nous sommes rendus à Genève et nous avons rencontré le directeur général de l'OMC, laquelle paraît paralysée par la position des États-Unis qui bloque la nomination d'un juge de l'organe de règlements des différends. Comment les Russes s'impliquent-ils dans cette organisation pour éviter le bilatéralisme et aller vers un multilatéralisme ?
M. Rachid Temal. - Comment voyez-vous l'issue des travaux sur les sanctions et sur leur impact sur notre pays ? Comment voyez-vous votre mission à l'aune de la dernière déclaration du Président de la République ce week-end en Allemagne à propos des risques de déstabilisation venant de Russie ?
M. Pierre Vimont. - Je commencerai en relevant que beaucoup de ces questions peuvent se résumer ainsi : la France est-elle considérée par la Russie comme un partenaire intéressant ? Deux réponses différentes me viennent à l'esprit.
Tout d'abord, un peu cyniquement, la France intéresse la Russie, parce que cette relation pourrait diviser les Européens. L'idée qu'un pays se détache des autres pour nouer un dialogue bilatéral ambitieux avec la Russie pourrait être considérée comme une manière d'entamer l'unité européenne. Ce n'est toutefois pas notre objectif, comme je l'ai dit à nos amis européens. J'ai d'ailleurs informé mes interlocuteurs russes. Que je tenais régulièrement informés nos partenaires de l'OTAN et nos homologues européens. L'un n'empêche pas l'autre.
Ensuite, aux yeux des Russes, ce qui se passe actuellement en Europe mérite d'être observé avec attention : la mise en place d'une nouvelle direction européenne, les discussions nombreuses sur la défense et la sécurité européenne, accompagnées de l'abondement d'un fonds européen de défense et d'une coopération structurelle renforcée, les actions de la France dans le Sahel avec le soutien croissant de ses partenaires européens, ou la présence maritime accrue au large de la Libye pour surveiller l'embargo sur les armes. Sur ces sujets, la France est à la tête de l'effort et les Russes sont intéressés par ce rôle que joue notre pays dans le renforcement de l'Union européenne. Le sujet revient régulièrement : la France avance ses idées et, pour les Russes, il est important de bien comprendre et de dialoguer. Il en va de même s'agissant de l'Afrique, par exemple, où la Franc est un acteur important et où la Russie veut être plus présente. En Syrie, au Liban, en Libye, sur le dossier iranien, etc., nous sommes également un acteur important. Enfin, c'est également le cas sur le sujet de la technologie spatiale. Nous sommes donc un partenaire important pour les Russes, même si ce n'est pas au même niveau que les États-Unis, avec lesquels ils aimeraient avoir un dialogue stratégique. Nous devons mesurer notre place et jouer dessus.
Les Russes souhaitent mieux comprendre ce que l'Union européenne essaie de faire, car nous sommes voisins. Les maladresses commises à propos du partenariat oriental ont été évoquées, je les regrette, d'autres risques du même ordre peuvent apparaître s'agissant de l'Ukraine, en Géorgie ou dans les Balkans occidentaux. Nous avons donc intérêt à trouver la voie d'une cohabitation avec eux et à définir un moyen de leur expliquer ce que nous sommes en train de faire.
Enfin, en matière de finances et de commerce, nous ne devons pas croire que nous sommes laissés de côté. Certes, la Russie a pu penser que l'Union européenne était en déclin, avec la crise migratoire, la crise de l'euro ou celle de la dette grecque. Aujourd'hui, pourtant, nous sommes dans une nouvelle phase et les Russes ont développé un intérêt véritable pour les actes de l'Union européenne. Nous devons en tirer parti.
S'agissant d'une conférence Helsinki 2, monsieur del Picchia, nous y réfléchissons plus précisément qu'on ne le pense parfois. Les principes d'Helsinki ont été repris dans la charte de Paris, laquelle aura trente ans cette année. Ce rendez-vous pourrait nous permettre de moderniser ces principes dont on a vu, d'ailleurs, qu'ils avaient été violés au moment de la crise ukrainienne. Il s'agit d'un élément important, en liaison avec nos collègues au sein de l'OSCE, une organisation elle-même issue des accords d'Helsinki. Comment traduire cela et lancer une réflexion pour apporter une pierre à l'édifice de ce nouvel ordre européen que nous voulons bâtir ?
Dans les années 1970 et 1980, nous avions su trouver une forme de dialogue avec l'Union soviétique, qui évoquait pourtant une « souveraineté limitée » à propos des États d'Europe orientale et centrale. Malgré cela, grâce à l'Ostpolitik mise en oeuvre par Willy Brandt, puis aux accords d'Helsinki avec les « trois corbeilles », nous avions su trouver les moyens d'un dialogue. Aujourd'hui, paradoxalement, nous n'y parvenons plus. Malgré nos réelles divergences avec la Russie, malgré les critiques que nous leur adressons, malgré les cyberattaques que nous subissons, nous devons retrouver les moyens de dialoguer. Une idée à ce sujet serait donc de nous placer dans l'esprit des accords d'Helsinki et de la charte de Paris.
Vous me demandez si la Crimée doit rester russe. Soyons clairs : malgré ce que l'on entend de la part des Russes, y compris dans la bouche d'opposants farouches au régime, nous devons rester fermes pour des raisons de principe et dans le respect du droit international. Ce qui s'est passé en Crimée, comme ce qui se passe dans l'est de l'Ukraine, n'est pas acceptable, c'est pourquoi nous avons mis en place ces sanctions en 2014 et nous les avons renouvelées depuis lors.
S'agissant des sanctions, vous faites un rapprochement avec les sanctions extraterritoriales américaines. Il faut toutefois différencier les deux : nos sanctions ne sont pas extraterritoriales. Rappelons que, sur la question de l'accord sur le nucléaire iranien, par exemple, nous avons adopté une position de principe opposée à celle des États-Unis, qui ont pris la décision d'appliquer des sanctions extraterritoriales : nous entendons faire respecter cet accord signé en 2015 et le préserver. Il est difficile, toutefois, de faire respecter notre position face à des sanctions extraterritoriales, parce que l'Europe n'a pas réussi à se doter des moyens nécessaires. Cela demande de la patience et un très long travail pour donner plus de force et de puissance à l'euro sur les marchés financiers afin d'échapper au passage obligé par le dollar. C'est un problème commercial et financier : nous devons rendre le marché des capitaux européens attractif afin que beaucoup d'entreprises préfèrent travailler en euros qu'en dollars. Le dossier avance lentement, mais nous y travaillons. La Commission précédente, dirigée par M. Juncker avait fait des propositions dont nous pourrions nous inspirer : pourquoi, par exemple, le commerce des avions Airbus se fait-il aujourd'hui en dollars ?
L'Allemagne est-elle frileuse sur le dialogue avec la Russie ? Je n'en suis pas certain. Elle n'a, certes, pas apprécié la manière dont la France a lancé cette initiative et elle aurait voulu que nous y travaillions conjointement, mais j'ai constaté, en discutant avec les Allemands, que ceux-ci sont sur la même ligne que nous sur le fond : ils souhaitent trouver les moyens d'un dialogue nourri avec la partie russe. L'Allemagne a d'ailleurs inscrit cette question à l'ordre du jour de sa présidence du deuxième semestre, signe que Berlin souhaite avancer sur le sujet et trouver les moyens de travailler avec nous, à l'instar des institutions européennes, qui me disent qu'elles tireront enseignement de l'expérience française. Nous pouvons donc tous travailler en bonne intelligence.
S'agissant de la prévention des conflits, vous citez l'exemple du rôle de la Russie et de la Turquie en Syrie. À mon sens, la Syrie, comme la Libye, n'est pas un exemple de prévention de conflit, mais de son échec. À l'avenir, il faut agir pour ne pas laisser les conflits prendre de l'importance, avec des interventions des pays voisins qui entremêlent les rapports de force. Nous devons reprendre le travail diplomatique et sécuritaire pour sortir de l'impasse en liaison avec les représentants des Nations unies. La prévention des conflits concerne ceux qui risquent d'apparaître, en Afrique ou ailleurs. Pour cela, il faut dialoguer avec la Russie à propos des terrains à risques qui n'ont pas encore explosé. Il faut user de toutes les cartes disponibles, y compris en menant un dialogue lucide et exigeant avec la Russie.
À l'égard du multilatéralisme, on sent poindre, depuis quelques années, un début de défiance de la Russie. En particulier, les Russes s'intéressent assez peu aux difficultés actuelles de l'OMC : ils sont trop heureux de nous laisser nous en dépêtrer... Plus qu'à la défense du système multilatéral, la Russie incline aux approches transactionnelles - un peu à la manière de l'actuelle administration américaine -, comme on le voit en Syrie et en Libye, où les processus qu'elle a lancés semblent ignorer les efforts des Nations unies. Je pense, par exemple, aux discussions très difficiles que nous avons eues à l'ONU avec les Russes sur les points de passage en Syrie. Nous voulons, grâce à un dialogue à la fois exigeant et serein, ramener la Russie à un soutien plus fort au système multilatéral.
Plusieurs sénateurs ont souligné la faible appétence des États baltes et d'Europe centrale pour notre dialogue stratégique avec la Russie. Je ne nie pas que ces pays soient au minimum circonspects, voire hostiles ; leur attitude est évidemment liée à leur histoire et à leur géographie, des données qui ne s'effaceront pas. En revanche, ils apprécient que nous leur expliquions notre démarche et que nous les écoutions. Quand je rencontre mes interlocuteurs dans ces pays, je leur demande : devant la présence accrue de la Russie sur les terrains de conflit, faudrait-il ne rien faire ? Ils reconnaissent qu'il y a un problème, mais pensent que notre démarche ne servira à rien. Je leur dis : laissez-nous tenter... En tout cas, nous sommes d'accord pour préserver l'unité des pays européens.
Les sanctions que nous avons prises contre la Russie ne font-elles pas de nous les dindons de la farce ? Assurément, les pays européens en pâtissent sur le plan commercial, alors que les échanges de la Russie avec les États-Unis progressent. Par ailleurs, la Russie a tiré parti de la situation pour développer son agriculture, au point même de devenir exportatrice dans ce domaine, et pour se rapprocher de la Chine, devenue pour elle un partenaire privilégié en matière de nouvelles technologies. Il y a donc bien une face sombre à notre politique de sanction.
Dans la crise ukrainienne, pourtant, elle était une de nos rares armes. Et, depuis lors, malgré des oppositions parfois très dures, les États européens ont toujours fini par tomber d'accord sur le renouvellement des sanctions, parce qu'elles sont l'expression de l'unité européenne. À la partie russe de faire des ouvertures suffisantes pour que nous puissions modifier notre position.
M. Christian Cambon, président. - Quel type d'ouvertures jugeriez-vous suffisamment décisives pour justifier une évolution des Européens ?
M. Pierre Vimont. - À la mi-décembre, à Paris, la Russie a pris des engagements précis, sécuritaires et politiques, s'agissant par exemple de l'organisation d'élections locales en Ukraine de l'Est, qui suppose un retrait des forces russes de cette région. Nous attendons des Russes qu'ils mettent en oeuvre progressivement ces engagements. Nous aimerions, bien sûr, que les résultats sur le terrain soient plus importants, que le niveau de la violence baisse ; pour l'heure, malheureusement, la situation n'évolue pas en ce sens...
S'agissant des supposées contradictions dont a parlé M. Laurent avec notre appartenance à l'OTAN, il est certain que notre initiative a suscité au sein de l'Alliance de nombreuses récriminations. J'ai tenté d'expliquer notre démarche, sans toujours convaincre. Nous continuerons de suivre notre propre approche, tout en préservant le lien de confiance avec nos partenaires de l'OTAN.
Il me semble d'autant moins contradictoire d'appartenir à l'Alliance et d'entretenir avec la Russie un dialogue bilatéral que nous assistons au développement d'un dialogue direct, au-dessus de nos têtes, entre Russes et Américains sur des questions qui intéressent la sécurité des États européens, ce qui me dérange quelque peu. Les Européens doivent défendre leurs propres intérêts. Ainsi, en insistant sur la nécessité de tenir compte des armes de courte portée, le Président de la République a affirmé une position différente de celle des Américains, à la satisfaction des États baltes et de la Pologne. Nous n'hésiterons pas à manifester des différences de point de vue avec les Américains quand l'intérêt des Européens sera en jeu.
Les Américains s'intéressent à notre démarche et souhaitent que nous les tenions informés, ce que nous faisons. Je ne suis pas sûr qu'ils en conçoivent de l'inquiétude, pourvu que nous n'interférions pas avec leurs propres canaux de discussion en matière de réduction des armes stratégiques.
M. Christian Cambon, président. - Nous vous remercions, monsieur l'ambassadeur, de nous avoir apporté vos lumières. Nos relations avec la Russie sont complexes, mais j'ai senti de la part de nos interlocuteurs une véritable volonté d'ouverture. Tout en restant lucides, nous continuerons d'apporter notre concours au dialogue entre nos deux pays.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 heures 30.
- Présidence de MM. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, et Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes -
La réunion est ouverte à 13 h 35.
Politique de coopération - Ouverture de négociations en vue d'un nouveau partenariat entre l'Union européenne et le Royaume-Uni - Audition de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes
M. Christian Cambon, président. - Nous accueillons cet après-midi Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes, afin d'évoquer l'ouverture des négociations en vue d'un nouveau partenariat entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Nous ne sommes pas naïfs : la négociation avec les Britanniques sera difficile.
Les Britanniques sont désormais unis - même si les divisions en Irlande et en Écosse nous préoccupent. Le Premier ministre Boris Johnson est déterminé et refuse tout alignement avec l'Union européenne (UE). Il s'agit probablement d'une posture offensive de départ dans la négociation, mais le peuple britannique a voulu le Brexit pour mettre fin à la libre circulation.
Les présidents de nos deux commissions ont déposé lundi dernier une proposition de résolution européenne afin que le Sénat puisse faire entendre sa voix.
Le Premier ministre britannique a indiqué vouloir une série limitée d'accords - et non plus 120 comme envisagé au départ. Il estime que la coopération en matière de politique étrangère et de défense ne nécessite ni nouveau traité ni nouvelles institutions - ce qui n'était pas la position du gouvernement de Theresa May. Quelle est la position du Gouvernement ? La France a proposé un conseil de sécurité européen, qui pourrait associer le Royaume-Uni sans porter atteinte à l'autonomie de décision de l'Union européenne : cette proposition a-t-elle encore un avenir ? Comment envisager une future coopération entre l'Union européenne et le Royaume-Uni dans les domaines de la politique étrangère et de la défense, sans la mise en place d'un cadre commun permanent d'information, de dialogue et de coopération ? Ce point ne risque-t-il pas de sortir de la négociation globale ?
Nous souhaitons par ailleurs que le Royaume-Uni puisse participer à l'effort capacitaire de défense commun, notamment au travers de la coopération structurée permanente et du Fonds européen de la défense (FEDef). Mais le Royaume-Uni le souhaite-t-il ? Alors que notre coopération avec l'Allemagne avance, quel est l'avenir de la défense européenne, car le Royaume-Uni joue un rôle essentiel dans l'architecture de sécurité de l'Europe et dans sa base industrielle et technologique de défense (BITD) ? Comment continuer à l'intégrer dans cette coopération qui est une construction difficile, lente, mais nécessaire ?
Demain, le Conseil européen examinera le futur cadre financier pluriannuel : nous sommes très inquiets de la réduction de moitié envisagée pour le budget du FEDef. L'effort annoncé de 13 milliards d'euros allait dans le bon sens ; sa réduction à 6 milliards d'euros serait mal comprise. L'ambition d'autonomie stratégique européenne ne risque-t-elle pas d'être indirectement remise en cause ?
J'appelle le Gouvernement à veiller à la bonne application de l'accord de retrait sur plusieurs points. Concernant les droits des citoyens, 4,5 millions de personnes sont concernées. L'accord de retrait leur fournit un certain nombre de garanties, mais il reste des incertitudes, pour les citoyens actuellement établis et, plus encore, pour ceux qui souhaiteraient s'établir après le 1er janvier 2021. Or cette question est supposée réglée et ne fait pas partie du mandat de négociation. Quels seront les pouvoirs de la Commission pour faire respecter l'accord de retrait sur ce point ?
Le protocole sur l'Irlande du Nord, qui doit préserver la paix et la stabilité en Irlande, est également supposé réglé par l'accord de retrait. Mais il implique la mise en place effective d'un dispositif frontalier en mer d'Irlande. Le Royaume-Uni et l'UE ont-ils commencé à préparer la mise en oeuvre des dispositions de l'accord de retrait sur ce point ?
Enfin, quelles sont les mesures envisagées par le Gouvernement et l'Union européenne pour préparer l'éventualité d'un non-accord, ou d'un accord a minima ? Les dispositions prises l'an dernier dans l'urgence, pour préparer un hard Brexit, seront-elles suffisantes ? Les entreprises se préparent-elles suffisamment à cette éventualité ?
M. Jean Bizet, président. - Je tiens à remercier M. le Président du Sénat qui nous a permis d'ouvrir cette audition à tous les sénateurs.
Une nouvelle page s'ouvre dans l'histoire de l'Union européenne, en raison du retrait d'un de ses membres, le Royaume-Uni, effectif depuis deux semaines. L'Union européenne a été éprouvée par les trois années et demie qui viennent de s'écouler, passées à concrétiser la volonté du peuple britannique, exprimée dans les urnes en juin 2016. L'accord de retrait finalement conclu en octobre dernier a été le fruit de négociations ardues, tant entre l'Union et le Royaume-Uni qu'au sein même du Royaume-Uni. Une nouvelle négociation encore plus ardue s'engage à présent, dans des délais encore plus contraints puisqu'elle doit se conclure d'ici la fin de l'année, sauf prolongation à demander avant fin juin, mais le Premier ministre britannique, M. Johnson, s'y refuse déjà - et je ne pense pas qu'il changera d'avis. Il s'agit de rebâtir une nouvelle relation euro-britannique, dans toutes ses dimensions. Nos économies sont étroitement imbriquées, l'UE étant le premier fournisseur et client du Royaume-Uni, la géographie nous gardera très proches, et nos liens historiques sont profonds. Sachez que les flux commerciaux sortants du Royaume-Uni sont dirigés à 47 % vers l'UE, tandis que les flux inverses ne représentent que 9 %. Établir un nouveau partenariat entre l'UE et le Royaume-Uni est donc impératif, mais aussi compliqué : de nombreux sujets sont sur la table. Nous nous félicitons que la proposition de mandat de négociation soit globale et couvre l'ensemble de ces sujets, car nous avons, selon les dossiers, des intérêts offensifs ou défensifs, et seul un accord couvrant le tout pourra être équilibré. Pour les Britanniques, il semble que les deux sujets majeurs de la négociation soient la pêche et les services financiers.
De ce point de vue, nous nous interrogeons sur un élément de calendrier : dans sa proposition de mandat de négociation, la Commission propose que les dispositions en matière de pêche soient établies d'ici le 1er juillet 2020, afin de pouvoir déterminer à temps les possibilités de pêche en 2021. Or, nous sommes particulièrement inquiets, car nous avons absolument besoin de conserver un accès aux eaux britanniques pour nos pêcheurs qui y font entre 30 et 45 % de leurs prises, même si je rappelle que les trois quarts des prises britanniques s'écoulent sur notre territoire. Cette disjonction de calendrier entre la pêche et le reste de la négociation me semble dangereuse : ne risque-t-on pas d'aboutir à un mauvais accord sur la pêche s'il est conclu isolément du reste ?
Deuxième sujet de préoccupation : quelle forme juridique prendra l'accord commercial qui sera conclu entre l'UE et le Royaume-Uni ? S'agira-t-il d'un accord mixte, qui impliquera une ratification par chaque État membre ? Si l'on tient compte du temps que requiert la ratification de l'accord, non seulement par le Royaume-Uni et l'Union européenne, mais aussi par les États membres, cela impliquerait de conclure la négociation plusieurs semaines, voire plusieurs mois, avant le 31 décembre 2020, ce qui écourterait encore la phase utile de négociation. La jurisprudence de la CJUE sur l'accord commercial de l'UE avec Singapour s'appliquera-t-elle, ne laissant qu'une portion congrue de l'accord à ratifier par les parlements nationaux ?
Troisième motif d'inquiétude : nous entrons dans une phase plus délicate où chaque État membre n'a pas les mêmes intérêts à défendre dans cette négociation avec le Royaume-Uni. L'unité qui a prévalu entre les États membres durant la négociation de l'accord de retrait risque d'être fragilisée. Quel est votre pronostic à cet égard ? C'est avec une grande satisfaction que nous avons constaté que l'unité des 27 n'a jamais été prise en défaut jusque-là. Nous avons enfin réalisé que nous étions copropriétaires du premier marché économique mondial.
Enfin, puisque nous sommes à la veille du Conseil européen extraordinaire sur le cadre financier pluriannuel, je ne peux manquer de vous interroger sur la nature du compromis que Charles Michel entrevoit à ce sujet et sur ce qu'il adviendra des priorités du Sénat en la matière, que nous avons signalées au Gouvernement dans une récente résolution européenne. Nos propositions sur la politique agricole commune (PAC) sont restées lettre morte et nous n'avons obtenu, en ce domaine, aucune réponse sur nos trois propositions de résolution.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. - Nous sommes au coeur d'une semaine européenne intense. Demain, un Conseil européen extraordinaire se réunira au sujet du budget. Nous y porterons quatre grandes priorités : l'agriculture - afin de ne pas demander aux agriculteurs de faire plus avec moins d'argent et de maintenir l'enveloppe de la PAC en euros courants pour l'Europe et pour la France -, la politique de cohésion - afin de préserver l'aide aux régions en transition ainsi qu'aux régions ultrapériphériques -, nos priorités thématiques - la défense, l'espace, Erasmus sont des programmes essentiels pour notre souveraineté -, et enfin de nouvelles ressources propres : aucun accord ne sera possible si nous n'avançons pas sur cette question. En effet, il n'est pas question d'augmenter les impôts sur les contribuables, mais il faut faire contribuer des acteurs qui bénéficient du marché intérieur sans y contribuer - importateurs de plastique, entreprises polluantes, Gafam, etc. Cette orientation est d'ailleurs assez convergente avec les résolutions adoptées par le Sénat.
Nous entrons dans ce débat de manière offensive. Nous n'accepterons pas de conserver indéfiniment les rabais : la France est contributeur net et n'a pas vocation à faire des chèques aux uns et aux autres. Nous ne voulons pas non plus d'une Europe au rabais, qui serait moins ambitieuse au motif qu'elle aurait perdu un membre.
Cette semaine a également été marquée par la réunion consacrée au Brexit qui s'est tenue lundi autour de Michel Barnier à Matignon. Le Brexit est désormais une réalité : le Royaume-Uni a quitté l'UE le 31 janvier sur un plan politique : il n'y a plus de commissaire britannique à la Commission, de députés européens britanniques au Parlement, ni de ministres britanniques au Conseil. Il s'agit d'un choix souverain et démocratique que nous respectons. Nous serons vigilants sur la mise en oeuvre des dispositions relatives aux droits des citoyens afin de préserver les conditions de séjour et de travail des citoyens européens au Royaume-Uni et des citoyens britanniques en France - qui n'auront plus le droit de vote ni d'éligibilité aux prochaines élections municipales. Nous veillerons en outre à ce que le Royaume-Uni mette bien en place l'autorité de surveillance indépendante, conformément aux engagements qu'il a pris dans l'accord de retrait.
L'accord de retrait garantit aussi que le Royaume-Uni honore les engagements qu'il a déjà contractés : ce qui a été décidé à 28, sera payé à 28. Le coût de la sortie est donc à la charge du Royaume-Uni.
Enfin, notamment en ce qui concerne les entreprises, l'accord de retrait prévoit que le droit européen continuera à s'appliquer au moins jusqu'au 31 décembre 2020. Pendant cette période de transition, les choses ne changent pas, ce qui nous permet de négocier dans un cadre apaisé.
Mais le délai de négociation a été fixé par Boris Johnson lui-même à onze mois. Ce calendrier contraint ne doit pas nous détourner de l'essentiel : notre objectif est d'aboutir à un accord équilibré, ambitieux et conforme aux intérêts de l'Union. Nous ne pouvons pas demander aux acteurs économiques européens de faire face à la concurrence déloyale du Royaume-Uni, sous prétexte que nous aurions mal négocié le traité. Atteindre un tel accord est difficile : les sujets sont complexes, nombreux, et nous sommes nous-mêmes nombreux autour de la table pour négocier.
Plusieurs écueils sont à éviter dans cette négociation. Nous ne devrons pas revenir sur nos ambitions. Boris Johnson déclare depuis quelques semaines qu'il ne voit pas de raisons de se restreindre, notamment sur la question des conditions équitables de concurrence - ce que nous appelons le level playing field. Or cette notion est au coeur de la déclaration politique de l'accord de retrait, approuvée par le Conseil et le Parlement européens, mais aussi le gouvernement et le Parlement britanniques : il ne s'agit pas d'un diktat européen.
L'Union ne doit pas craindre d'affirmer ses principes : les droits devront avoir des obligations en contrepartie ; plus l'Europe s'ouvre, plus elle doit exiger une relation équilibrée et loyale. Il en va de la protection du projet européen et autrement, il deviendra difficile de prendre des décisions coûteuses à 27 - comme le Green deal européen - en raison de la présence d'un concurrent à nos portes.
Nous ne devrons pas non plus céder à la pression du temps, en intériorisant les contraintes du calendrier politique britannique. À chaque étape, le fond doit primer le calendrier. Nous ne signerons pas le 31 décembre 2020 un mauvais accord qui nous engagerait pour plusieurs décennies.
Soyons lucides : la situation post-Brexit ne sera pas comme avant. Le statut d'État tiers ne peut pas être aussi avantageux que celui d'État membre de l'UE. Il n'y aura pas de statu quo : le Royaume-Uni ne bénéficiera plus de la politique de cohésion, de la PAC ni d'Eurojust, etc. Nous devons sensibiliser nos entreprises et nos partenaires à cette nouvelle réalité.
Ne nous divisons pas sur les priorités et sachons tenir un front commun. Cela a été notre force ces trois dernières années.
Le 3 février dernier, Michel Barnier a présenté un projet de mandat dont les principes doivent refléter les intérêts de l'Union. Ce mandat doit être approuvé mardi prochain lors du conseil des ministres des affaires générales, afin que les négociations puissent être lancées la première semaine de mars. Nos points de vigilance absolus concernent la situation des citoyens, des agriculteurs, des pêcheurs et des entreprises.
Le partenariat que nous allons bâtir est inédit par son étendue et sa profondeur. Au-delà des sujets thématiques, il y a des enjeux de gouvernance, de règlement des différends et de sanctions. Boris Johnson ne veut pas que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) ait cette compétence. Mais il nous faudra contrôler le respect des engagements pris et sanctionner les écarts ! Évitons de rééditer ce qui a été fait avec la Suisse, de manière progressive et sans cadre de gouvernance commun. Des mécanismes transversaux doivent être établis.
En matière de conditions de concurrence, nous ne pourrons proposer zéro tarif et zéro quota au Royaume-Uni que s'il y a zéro dumping. Quelle que soit la nature de l'accord, il y aura des contrôles aux frontières : le libre-échange, même maximal, ne signifie pas absence de contrôle.
S'agissant de la pêche, nous poursuivons trois objectifs : l'accès aux eaux, la gestion de la ressource et le maintien des clés de répartition actuelles.
Ces quatre sujets - gouvernance, accord commercial, level playing field et pêche - seront liés dans la négociation : nous ne serons d'accord sur rien, si nous ne sommes pas d'accord sur tout. Cela nous met dans une position de force.
Pour la pêche, le choix de la date du 1er juillet est lié aux demandes de la filière qui a besoin d'un peu de visibilité, mais il n'y aura pas d'accord séparé sur la pêche. D'ici au mois de juillet pourraient être fixées les grandes orientations.
Les services financiers, qui constituent un enjeu important pour le Royaume-Uni, ne font pas partie de l'accord. L'équivalence financière est en effet accordée à un pays tiers par une décision unilatérale de l'Union : une telle décision ne se négocie pas et n'est pas permanente dans le temps. Il en va de même en matière de circulation des données personnelles.
S'agissant de la sécurité et de la défense, nous cherchons à établir un partenariat étroit avec deux piliers : la sécurité intérieure et la politique étrangère. Le Royaume-Uni est désormais un État tiers. Certains programmes sont ouverts aux États tiers, d'autres non, et nous ne ferons pas d'exception.
Nous sommes particulièrement attentifs aux prérogatives des parlements nationaux et à continuer à les informer et à les associer. Ne connaissant pas encore le contenu de l'accord, nous ne pouvons présumer de sa nature mixte ou pas. Il a donc été décidé que le sujet n'était pas encore tranché. Ce qui sera soumis aux parlements nationaux dépendra donc du contenu de l'accord.
Nous sommes préparés à tous les scénarios, il en va de la crédibilité de l'UE. Des infrastructures sont en place dans les ports normands et bretons, à Calais, à Boulogne, etc. ; certaines dispositions des ordonnances devront être renouvelées ; les mécanismes restent en sommeil, mais nous pourrons les déclencher le moment venu.
En conclusion, je tiens à redire, avec beaucoup d'amitié pour le Royaume-Uni, que l'on ne peut pas être un pied dedans, un pied dehors. Nous ne sommes pas en position de faiblesse face au Royaume-Uni, nous ne sommes pas demandeurs et nos principes sont clairs et fermes.
M. Olivier Cadic. - Je vous remercie pour vos propos et votre défense de l'UE dans cette discussion avec le Royaume-Uni. La secrétaire d'État britannique à l'intérieur, Mme Priti Patel, a annoncé la mise en place d'un mécanisme à points qui fermerait les frontières du Royaume-Uni aux locuteurs non anglophones ou non qualifiés : que prévoit la France à cet égard ? Y aura-t-il un principe de réciprocité ? Cela peut handicaper nos entreprises.
Seulement un tiers des inscrits au consulat français ont demandé à bénéficier du settled status. Je suis particulièrement inquiet pour les personnes âgées qui ne s'estiment pas toujours concernées et qui pourraient se retrouver sans couverture sociale à compter du 1er juillet 2021.
M. Richard Yung. - Le brevet unitaire va prochainement entrer en vigueur. Le Royaume-Uni fait partie de cet accord, qui prévoit une juridiction à Paris et la CJUE comme instance d'appel. Or Boris Johnson ne reconnaît pas l'autorité de la CJUE. Que va-t-il se passer ? La France souhaite-t-elle que le Royaume-Uni quitte l'accord sur le brevet unitaire ?
M. Jean-François Rapin. - La diminution du budget européen consacré à l'espace serait délétère pour notre autonomie et notre indépendance européennes. Cela aurait de surcroît un grave retentissement sur notre budget national, car nous ne pourrons pas revoir à la baisse nos programmes spatiaux.
Je partage votre préoccupation sur la question de la pêche. En revanche, je ne suis pas convaincu que tous nos collègues européens partagent la même ambition. Comment créer l'unité des 27 sur ce sujet ? Prévoir le pire, c'est nous préparer au meilleur : dans l'hypothèse d'un accord compliqué, prévoyez-vous des indemnisations ou des compensations pour toute la filière ?
Je reviens de Bruxelles où je n'ai pas senti de réelle unité sur les sujets entre les Parlements nationaux. Les divergences entre le Conseil, la Commission et le Parlement européens sont également perceptibles. Cela n'est pas de bon augure pour entrer dans une discussion forte avec le Royaume-Uni.
M. Ladislas Poniatowski. - Je m'étonne que deux sujets essentiels, dont pourtant Michel Barnier nous avait longuement entretenus, ne figurent pas dans le mandat de négociation. Je pense notamment à la question des droits des citoyens : 4,5 millions de personnes sont concernées, dont 3,2 millions d'Européens et 1,2 million de Britanniques ; le Royaume-Uni a adopté un statut de résident, mais, de notre côté, nous n'avons rien fait ! Le second sujet qui fait défaut est celui de l'Irlande : ce sujet n'est pas réglé ! L'Irlande du Nord aura désormais un double statut douanier, anglais et européen. C'est une erreur de ne pas intégrer cette question dans le mandat de négociation !
Nous ne nous préparons pas suffisamment à la perspective d'un échec. Il est impossible de régler en seulement dix mois tous les sujets que nous venons d'évoquer et nous nous dirigeons tout droit vers un échec. La date butoir du 1er juillet est un cadeau fait à Boris Johnson. Or rien n'est prêt et nous serons contraints de prendre des mesures de dernière minute !
M. Robert del Picchia. - Je ne suis pas aussi certain que vous que Boris Johnson ne changera pas d'avis !
Dans les milieux financiers et bancaires, les Britanniques ne respectent absolument pas le contrôle des financements. Il semblerait que certaines banques britanniques proposent déjà de placer de l'argent dans des endroits peu convenables...
M. Yannick Vaugrenard. -Vous vous montrez ferme à l'égard du Royaume-Uni, mais ne faudrait-il pas aussi se montrer rassurant ? L'Europe est économique et financière, mais aussi diplomatique et l'élaboration de positions communes avec le Royaume-Uni - sur la défense, le spatial, la géopolitique, la recherche, etc. - serait intéressante.
Ne pensez-vous pas qu'il sera difficile d'obtenir un accord global sans que l'unité des 27 ne se lézarde ? Les Français ont intérêt à défendre la pêche, les Allemands, l'automobile...
Et si l'on démontre que tout se passe bien, d'autres États membres ne risquent-ils pas d'être tentés de quitter l'Union ?
M. Jean-Yves Leconte. - La question des droits des citoyens est cruciale pour la crédibilité de l'Union européenne et la notion de citoyenneté européenne. Or ce sujet n'apparaît pas dans le mandat de négociation. 40 % des personnes qui ont demandé à bénéficier du nouveau statut de résident n'ont pas eu de réponse dans les délais. Ne faudrait-il pas prévoir la protection des droits des citoyens par le droit de l'Union plutôt que de renvoyer aux États membres ?
Par ailleurs, il semblerait que depuis le 1er février dernier, les transferts d'argent en provenance du Royaume-Uni ne fonctionnent plus...
Mme Laurence Harribey. - Je rejoins mes collègues qui ont évoqué la question des droits des citoyens.
S'agissant de la gouvernance, nous avons besoin d'un outil de règlement des conflits, mais de quoi s'agira-t-il précisément ? Cela ne risque-t-il pas de conférer au Royaume-Uni un statut spécifique et de donner des idées aux autres États membres de l'Union ?
Votre propos est ferme et volontariste. Mais quid des autres pays ? N'y a-t-il pas un risque que l'unité européenne ne se lézarde, car les enjeux ne sont pas les mêmes selon les pays ? Chaque État risque de souhaiter conclure un accord séparé sur les sujets qui l'intéressent.
M. Didier Marie. - Le projet de mandat de Michel Barnier est à la fois ambitieux et généreux. Mais la position de Boris Johnson est assez éloignée : il considère que onze mois seront suffisants, qu'il n'est tenu juridiquement par rien et qu'il pourrait s'écarter des règles européennes. Ne pensez-vous pas qu'il vise un non-accord et une sortie sèche de l'Union ?
Le Royaume-Uni refuse de se soumettre à la CJUE. Envisagez-vous la mise en place d'un comité mixte, organe de pilotage de cet accord, doté de pouvoirs de sanction en cas de non-respect des engagements du Royaume-Uni ?
M. Benoît Huré. - Je vous félicite pour votre volontarisme. La question du budget de l'Union constitue une grosse pierre d'achoppement. Nous n'avons pas le droit à l'erreur : un budget au rabais serait dangereux pour l'avenir de l'Europe.
Nous avons organisé hier un colloque de haut niveau sur la réunification de l'Europe depuis 1989, avec la présence notamment d'Alexis Tsipras, et je vous recommande la lecture des comptes rendus : cela permet de mieux comprendre les attentes des acteurs et les blocages réels.
Sans moyens financiers suffisants et ambitieux, nous n'avancerons pas. Vous avez insisté sur la nécessité pour l'Union de disposer de ressources propres. À chaque fois qu'une compétence est transférée à l'Union, les financements doivent également être transférés par les États, comme cela se fait habituellement entre les communes et l'intercommunalité.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - L'année dernière, à la suite d'une décision de la Cour de justice de l'Union européenne, les Français résidant dans l'Union européenne ont bénéficié d'une exonération de CSG et de CRDS sur les revenus fonciers perçus en France. Cette exonération sera-t-elle reprise dans les accords avec le Royaume-Uni ? Dans le cas contraire, nos compatriotes français s'estimeraient lésés.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Il est important que les États membres de l'UE soient unis, mais le Royaume-Uni, lui, ne l'est pas, puisque l'Écosse et l'Irlande du Nord ont voté majoritairement pour rester dans l'Union européenne. Pourtant, le Premier ministre anglais va négocier pour l'ensemble de ce royaume. Il faudrait que les droits des citoyens soient vraiment pris en compte. Cela enverrait un message très fort d'une Union européenne qui, elle, reste ouverte, s'intéresse aux gens et peut ainsi combattre les nationalismes, en tout cas le type de courant qui a mené au Brexit. Cela enverrait aussi un message très fort à nos amis écossais et irlandais du Nord qui, eux, continuent à être tournés vers l'Union et à croire en nous. J'ai passé le 31 janvier auprès de nos amis écossais pour partager leur tristesse et montrer que nous sommes toujours à leurs côtés. Les Français vivant en Écosse m'ont demandé, en effet, s'ils allaient de nouveau être imposés comme résidents dans un pays tiers.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Sur l'immigration, un système à points a été présenté hier, avec plusieurs critères : la maîtrise de l'anglais, une offre d'emploi, un niveau de salaire minimum... L'objectif recherché, tel qu'annoncé pour le moment, est bien d'organiser une immigration légale de travailleurs qualifiés. Ayons en tête que 70 % des Européens vivant actuellement sur le sol britannique, avec le système tel qu'il est présenté, n'auraient pas pu y entrer. Le ministre de l'intérieur et l'administration s'efforcent depuis hier d'analyser ce nouveau système. Une partie de l'analyse relève de la souveraineté nationale, une autre du marché intérieur. Or, les quatre libertés du marché intérieur sont liées : on ne peut pas ouvrir totalement une liberté sans réciprocité. Je placerais donc cela dans un paquet global, que nous suivrons avec vigilance, de construction de notre relation future. Des échanges auront lieu de manière à la fois bilatérale et collective. Chaque pays européen a ses propres points d'attention. Pour nous, c'est la pêche. Pour d'autres, c'est ce système nouveau d'immigration.
Nous suivons de très près les enjeux de mise en oeuvre du settled status. Il faut que nous arrivions à bien faire comprendre à tous les Européens présents sur le sol britannique que nous avons bataillé pour qu'ils puissent rester au Royaume-Uni dans les mêmes conditions s'ils se sont installés avant la fin de la période de transition, c'est-à-dire avant le 31 décembre 2020 - ou plus longtemps si cette période se prolonge. Il reste du travail, et l'organisme de gouvernance devra assurer un travail collectif qui soit à la hauteur des attentes des citoyens européens qui sont installés sur le sol britannique, et dont nous devons assurer réellement la protection des droits.
Le brevet unitaire est un sujet qui est au coeur du marché unique. Effectivement, il n'est pas encore en vigueur. Je peux toutefois vous dire qu'il est hors mandat et qu'il n'est pas question qu'y participent des pays tiers. Dans les négociations sur le cadre financier pluriannuel, l'espace, le Fonds européen de la défense et la politique de recherche font bien partie de nos priorités et sont au coeur de notre capacité à préparer le futur en tant qu'Européens. Il s'agit d'éléments de souveraineté essentiels, comme Thierry Breton l'a rappelé.
S'agissant de la pêche, Boris Johnson, dans son discours à Greenwich le 3 février que je vous invite à lire, n'a pas dit qu'il voulait la fermeture des eaux britanniques - et c'est un changement de pied important. Je l'ai entendu dire que les eaux britanniques seront sous contrôle britannique et qu'il chercherait à avoir un accord avec l'Union européenne tous les ans. C'était le point de départ de la négociation. Des dizaines de milliers d'emplois, de la filière dans son ensemble, sont concernés. Reste à négocier un bon accord.
Vous évoquiez les divisions entre les 27. La résolution du Parlement européen sur le mandat du Brexit est très claire, et correspond largement au discours que je vous tiens. Même si chaque État membre est concerné différemment, les échanges politiques au niveau ministériel avec le Parlement et la Commission permettent de mesurer une convergence certaine.
Il me semble y avoir un malentendu, Monsieur Poniatowski : beaucoup des points que vous évoquez sont réglés. Ils faisaient partie de l'accord de retrait, qui est entré dans le droit international depuis le 31 janvier. Sur les droits des citoyens, tout est en place.
M. Ladislas Poniatowski. - Rien n'est réglé !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - En France, un système très simple permettra à tous les citoyens britanniques, dès le 1er juillet, d'accéder à des titres de séjour de dix ans ou plus. Tout a été préparé, en concertation avec les Britanniques et la Commission européenne. Nous sommes en train de mettre en place les procédures, et il ne faut pas donner l'impression que nous n'aurions rien fait, au contraire ! Nous ne souhaitons pas rendre la vie des Britanniques en France plus compliquée.
Sur l'Irlande, il en va de même : nous avons le cadre et tous les acteurs sont vigilants sur la mise en oeuvre de l'accord. Il doit y avoir des contrôles en mer d'Irlande, parce que tous les produits qui passeront de la grande île britannique à l'Irlande du Nord et qui passeraient ensuite cette mer d'Irlande doivent être contrôlés au même titre que s'ils entraient dans le marché intérieur. Nous avons délégué les contrôles européens aux douaniers britanniques.
M. Ladislas Poniatowski. - Oui, britanniques !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Comme sur les droits des citoyens, les engagements pris doivent être tenus. S'ils ne contrôlent pas comme nous le souhaitons, nous pouvons prendre des mesures de rétorsion. Sur le comité de suivi des droits des citoyens et sur cette question de l'Irlande, la priorité n'est plus de négocier, mais de contrôler la mise en oeuvre. C'est pourquoi la gouvernance future doit nous armer pour pouvoir, si les engagements pris ne sont pas tenus, prendre des mesures de rétorsion, de sanction, de sauvegarde, de suspension.
L'accord de retrait a déjà réglé un certain nombre de points. S'il n'y avait pas d'accord au 31 décembre, nous tomberions dans le régime de l'OMC. Boris Johnson a dit souhaiter un accord « à l'australienne ». Je rappelle qu'il n'y a pas d'accord commercial entre l'Union et l'Australie aujourd'hui. Cela équivaudrait donc au régime de l'OMC, ce qui signifie qu'il y aurait des tarifs douaniers et des quotas. Il y aurait des contrôles aux frontières et des droits de douane. Mais l'accord de retrait nous assure un certain nombre de protections.
Les milieux d'affaires britanniques veulent continuer à avoir accès au marché intérieur de la manière la plus ouverte possible : dans un cas, 65 millions de consommateurs, dans l'autre, 460 millions ! Les entreprises veulent donc conserver les mêmes règles parce que c'est pour elles la garantie d'avoir accès à un grand marché.
En ce qui concerne la gouvernance, le Royaume-Uni aura le statut de pays tiers. Cela ne constitue pas une originalité. Il existe déjà des organes de gouvernance qui règlent nos rapports avec des pays tiers, comme dans le cadre du CETA par exemple.
Monsieur Leconte, je comprends votre inquiétude sur les droits des citoyens : les engagements pris devront être tenus.
Monsieur del Picchia, vous évoquiez les sujets financiers et fiscaux : le Conseil Ecofin, hier, a ajouté les îles Caïmans à la liste noire des paradis fiscaux de l'Union européenne. L'Union a donc des moyens d'action et ne laissera pas faire n'importe quoi. Nous serons très vigilants à l'égard du dumping fiscal et Michel Barnier connaît très bien ces sujets.
Monsieur Vaugrenard, il faudra évidemment que nous puissions nous coordonner dans le cadre des instances multilatérales. Avec l'Allemagne et le Royaume-Uni, nous avons déjà l'habitude de nous réunir en format « E3 ». Ce format pourra être utilisé de manière plus fréquente, dans la mesure où nous ne pourrons plus nous coordonner au sein des instances de l'Union. Je ne crois pas que les Britanniques se désolidariseront systématiquement de nos positions. Il appartiendra à notre diplomatie de travailler dans un cadre bilatéral là où les sujets étaient traités dans le cadre européen.
J'en viens au risque politique. Il faut être clair : nous ne nous inscrivons pas dans une logique de punition ou de revanche. Notre position est économiquement rationnelle, à tel point que notre position en faveur de l'application de règles identiques est aussi défendue par de nombreuses entreprises britanniques. Toutefois, le Royaume-Uni ne peut avoir un pied hors de l'Europe et un pied dedans ; le Brexit doit avoir des conséquences. Le statu quo ne peut perdurer. Si l'on jouit des mêmes avantages en étant hors de l'Union européenne, pourquoi se plier aux contraintes de l'Union ? Mais les agriculteurs britanniques ne bénéficieront plus de la politique agricole commune ; les régions n'auront plus accès aux fonds de cohésion ; les chercheurs britanniques ne pourront plus participer aux programmes européens de recherche, sauf si le gouvernement britannique en fait la demande explicite ; il en va de même pour les étudiants avec Erasmus. L'Europe, c'est aussi des politiques concrètes. Le Brexit aura donc des conséquences concrètes dans la vie des Britanniques. Notre but n'est pas de pénaliser les Britanniques ni de les punir, mais nous devons exprimer une position rationnelle, et si nous signons un accord, celui-ci doit être équilibré et protéger nos acteurs économiques.
Monsieur Huré, vous avez raison sur le cadre financier pluriannuel, et le parallèle avec les intercommunalités est éclairant : les compétences doivent aller de pair avec les responsabilités et les moyens. Mais trop souvent au niveau européen, on veut faire des choses ensemble, sans s'en donner les moyens. La position des États « frugaux », qui consiste à chercher à définir le budget européen en fonction de ce que chacun est prêt à donner et de voir ensuite comment on répartit les parts du gâteau, aboutit à une Europe au rabais. C'est prendre les problèmes à l'envers. Il faut commencer par examiner les politiques qui gagnent à être exercées en commun plutôt que séparément, puis y consacrer les moyens nécessaires, pourvu qu'in fine, comme le disait Jean Arthuis, on ne paie pas plus cher au total et que l'on évite les doublons. C'est pourquoi nous avons ces discussions au niveau européen sur les ressources propres, sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, la taxe plastique, la fiscalité des Gafa, la taxe sur les transactions financières... Un certain nombre d'outils existent. Deux semblent plus mûrs : la taxe carbone et la taxe sur le plastique, pour taxer ceux qui nous inondent de plastique sans financer aucunement le recyclage, tout en permettant de moduler le taux en fonction du recyclage.
La question des exonérations de CSG et de CRDS est une question bilatérale qui ne concerne pas l'Union européenne. M. Darmanin pourrait mieux vous répondre que moi.
Enfin, je ne peux pas, pour des raisons évidentes me prononcer d'un point de vue politique sur la question de l'unité du Royaume-Uni. En revanche, il m'apparaît important que l'État de droit soit pleinement respecté dans tous les pays. Partout, les évolutions doivent se produire dans le respect de la Constitution.
M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 heures.
- Présidence conjointe de MM. Ladislas Poniatowski, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes -
La réunion est ouverte à 17 heures 05.
Politique de coopération - Ouverture de négociations en vue d'un nouveau partenariat entre l'Union européenne et le Royaume-Uni : examen d'une proposition de résolution européenne et d'un avis politique
M. Jean Bizet, président. - Nous nous réunissons cet après-midi, conjointement avec nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour examiner une proposition de résolution européenne (PPRE) que j'ai déposée avec le président Cambon sur le projet de mandat de négociation en vue d'un nouveau partenariat entre l'Union européenne et le Royaume-Uni et dont vous avez pu prendre connaissance. Je salue également la présence des présidents de chacune des commissions permanentes ou de leur représentant. Nous les avons en effet sollicités pour qu'ils nous fassent part de leurs éventuelles remarques sur le mandat proposé par la Commission. Nous avons notamment reçu des contributions ou des observations de Vincent Eblé, de Sophie Primas, d'Hervé Maurey et de Philippe Bas. Le président de la commission des finances nous a indiqué que le rapporteur général, Albéric de Montgolfier, avait consacré l'un de ses rapports à la question de la stratégie française face au Brexit concernant les places financières : je vous propose d'y ajouter une référence dans notre PPRE.
Cette démarche est inhabituelle dans son format, mais elle s'explique par les délais très courts qui s'imposent à nous. La Commission européenne a publié le 3 février dernier une recommandation de décision du Conseil autorisant l'ouverture de négociations en vue d'un nouveau partenariat avec le Royaume-Uni. Ces négociations seront à nouveau menées par Michel Barnier, sur le fondement du mandat que le Conseil doit arrêter le 25 février, c'est-à-dire mardi prochain.
Le calendrier extrêmement serré de cette négociation nous imposait d'informer le Gouvernement dès que possible des lignes rouges que le Sénat souhaite voir respectées. Le président Cambon et moi-même avons examiné les possibilités offertes par le Règlement du Sénat. La seule solution possible pour être dans les temps consistait à adopter aujourd'hui une PPRE qui n'ait plus vocation à évoluer après cette réunion. En effet, le texte que la commission des affaires européennes adoptera tout à l'heure sera renvoyé à la commission des affaires étrangères, qui ne pourra l'examiner que le 26 février, soit le lendemain du Conseil validant le mandat. Ce sera donc un examen pour ordre, l'objectif étant bien d'aboutir à un texte stabilisé au cours de notre réunion de ce jour, afin de le transmettre au Gouvernement dès à présent de façon informelle.
Cette négociation s'annonce rude. Même si nous pouvons nous féliciter de pouvoir compter sur l'expérience de Michel Barnier, nos amis britanniques ne nous feront pas de cadeau. Les propos du Premier ministre Boris Johnson et du négociateur britannique David Frost ne laissent aucun doute à ce sujet. La période actuelle est d'une certaine manière une phase d'affirmation et de démonstration de force de part et d'autre. Mais il nous appartient, à nous les Européens, de ne pas être naïfs ! Et nous devons nous préparer à tout, même à l'absence d'accord en bout de course. Un no deal, après tout, est possible, qui ferait basculer notre relation avec le Royaume-Uni dans le régime applicable aux États tiers dans le respect des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - J'ai été nommé rapporteur de ce texte ce matin ! Mais je vous conseille de lire l'exposé des motifs, qui est extrêmement clair. Nous venons d'auditionner la secrétaire d'État chargée des affaires européennes, qui a confirmé nos craintes, s'agissant de cette négociation d'un nouveau partenariat avec le Royaume-Uni. Ce ne sera pas simple. Je reviendrai sur quelques points particuliers.
Sur la politique étrangère et la défense, nous souhaitons un partenariat aussi proche que possible avec le Royaume-Uni, qui reste le partenaire le plus naturel de la France en Europe, du point de vue de sa culture stratégique et de ses ambitions opérationnelles et capacitaires. C'est un partenaire clef aussi en raison de sa place à l'ONU et à l'OTAN. Je suis très optimiste sur ce partenariat bilatéral de défense : il restera excellent.
Notre coopération bilatérale sera marquée cette année par la célébration de l'Appel du 18 juin, et par les dix ans des traités de Lancaster House. La force expéditionnaire conjointe franco-britannique doit bientôt atteindre sa pleine capacité opérationnelle. Notre coopération dans le domaine capacitaire, notamment en matière de missiles et de guerre des mines, est essentielle. Cette coopération bilatérale est structurante pour la défense européenne. Elle doit se poursuivre et se renforcer.
Nous appelons à la mise en place de mécanismes permanents d'échange et de coopération entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, mais le gouvernement britannique ne souhaite ni un nouveau traité ni de nouvelles institutions. Cela me convient, mais cela ne risque-t-il pas de fragiliser considérablement la défense européenne ?
Nous craignons aussi l'impact de la révision à la baisse du budget du Fonds européen de la défense. La récente proposition du président du Conseil, Charles Michel, dénote un progrès. Alors qu'on était passé de 13 milliards d'euros à 6 milliards d'euros, il propose 1 milliard d'euros supplémentaires. Ces évolutions risquent toutefois de remettre en cause l'ambition d'autonomie stratégique européenne.
La question des droits des citoyens est supposée réglée par l'Accord de retrait, qui fournit un certain nombre de garanties aux 4,5 millions de citoyens dont le Brexit fragilise le statut : 3,2 millions d'Européens résidant en Angleterre, et 1,2 million de Britanniques installés en Europe. La PPRE insiste sur la nécessité de faire respecter scrupuleusement cet accord, pour sécuriser la situation de ces personnes, alors que des incertitudes demeurent. Nous demandons de la souplesse et une prise en compte des situations particulières. Nous souhaitons aussi, autant que possible, la distribution de documents attestant du maintien des droits des personnes afin de recréer un climat de confiance qui fait actuellement défaut. Pour les citoyens qui souhaiteront s'établir après la fin de la période de transition, soit après le 31 décembre, le sujet n'est pas traité par cet accord, les perspectives sont particulièrement floues et la secrétaire d'État n'est pas parvenue à les éclaircir pour nous.
Le risque d'éclatement du Royaume-Uni est également une source d'inquiétude, comme nous l'avons vu récemment en Écosse. Le gouvernement écossais est entré en campagne en faveur d'un second référendum sur l'indépendance, susceptible, d'après les derniers sondages, d'aboutir à un résultat positif - et Boris Johnson s'est empressé d'indiquer qu'il n'en était pas question. La situation est donc bloquée. En Irlande, la victoire du Sinn Fein aux récentes élections législatives complique la situation, puisque ce parti rejette en bloc le dispositif frontalier prévu.
En définitive, les déclarations récentes du Premier ministre Boris Johnson sont inquiétantes. Il aura à coeur de donner un nouvel élan au Royaume-Uni et ne se privera sans doute pas de jouer sur nos divisions. Il faut donc se préparer à tout, notamment à ne pas aboutir, ou à parvenir à un accord a minima dont les répercussions économiques doivent être anticipées.
Tels sont les éléments que je puis vous apporter pour lancer le débat. J'ai bien compris que ne voteront aujourd'hui que les membres de la commission des affaires européennes. La commission des affaires étrangères se prononcera formellement mercredi prochain mais ses membres sont invités à enrichir le texte dès aujourd'hui grâce à cette réunion commune.
M. Jean Bizet, président. - Nous sommes contraints par ce calendrier particulier. Le Royaume-Uni ne peut pas espérer à la fois conserver le bénéfice de certaines dimensions de la construction européenne et s'exonérer d'autres aspects de cette construction ressentis comme contraignants : la liberté que le Royaume-Uni entend retrouver en se retirant de l'Union a nécessairement un prix. Cela est particulièrement important en matière de services financiers. Le négociateur en chef de l'Union européenne a indiqué qu'il n'y aurait « pas d'équivalence générale, globale ou permanente sur les services financiers ». C'est évidemment un point sur lequel nous insistons. Selon la directrice générale du Trésor, Mme Renaud-Basso, que vient d'auditionner la commission des finances, une équivalence serait accordée sur certains services financiers, mais elle serait révisable et révocable dès que le Royaume-Uni montrerait des velléités de diverger.
Nous insistons également sur la nécessité de parvenir à un accord sur la pêche. C'est une condition sine qua non pour permettre la conclusion d'un accord d'ensemble. Cela figure bien dans le projet de mandat, mais nous insistons particulièrement sur ce point. J'aimerais que nous y consacrions du temps avant l'été. Je crois que nous allons revivre à grande échelle ce que j'ai vécu à petite échelle avec Guernesey : Londres s'est empressée de dénoncer l'accord de 1964 liant les îles anglo-normandes et les Vingt-Sept ; mais, en dix jours, le problème a été résolu. Les pêcheurs de Guernesey se sont fait prendre en otage par Londres, mais le comité régional des pêches de Normandie a réagi en proclamant que si les Français n'avaient plus accès aux eaux britanniques, les Britanniques n'auraient plus accès aux criées de Normandie. Le matin, 46 licences ont été émises au prix de 100 euros, puis elles ont été gratuites. Cela risque de se passer de la même façon. Il faut dire que les pêcheurs français prennent parfois jusqu'à 60 % de leurs poissons dans les eaux britanniques, en particulier écossaises, mais que 75 % du poisson pêché par les Britanniques est vendu dans l'Union européenne.
Nous considérons que le niveau d'ambition du partenariat sera directement corrélé au niveau d'harmonisation des normes, dans un contexte où, pour la première fois, l'enjeu est de gérer une volonté de divergence réglementaire.
Comme l'a fait le Parlement européen dans sa résolution adoptée le 12 février, nous relevons que le niveau d'ambition le plus élevé suppose une harmonisation dynamique des normes. J'ai bien entendu les propos tenus par David Frost, qui rejette tout alignement dynamique et dénonce par avance le traitement injuste qui serait fait au Royaume-Uni, par rapport à d'autres États ayant conclu des accords de commerce.
Mais le Royaume-Uni n'est pas dans la position classique des autres États avec lesquels nous contractons. L'imbrication des économies britannique et européenne est sans commune mesure avec celle des autres États. La proximité géographique se passe de commentaire. Or, pour la première fois, nous sommes confrontés à nos frontières immédiates, je le souligne à nouveau, à un État qui veut diverger pour nous faire concurrence, et à non à un État qui souhaite converger.
Nous relevons donc les enjeux relatifs aux conditions de concurrence loyale, équilibrée et équitable, notamment l'importance des sujets relatifs à l'environnement et à la lutte contre les changements climatiques, au moment où le Pacte vert pour l'Europe est l'une des priorités de la Commission européenne.
Nous souhaitons que des mesures de sauvegarde puissent être envisagées pour des produits sensibles. Celles-ci pourraient ainsi être activées si les produits concernés sont importés dans l'Union dans des quantités tellement accrues et à des conditions telles qu'ils causent ou menacent de causer un préjudice grave aux producteurs de l'Union fabriquant des produits similaires ou directement concurrents.
Nous avons également plaidé pour renforcer le mécanisme de règlement des différends, qui doit être crédible, réactif et dissuasif. Il sera forcément différent de celui qui est prévu par les autres accords de libre-échange. Nous insistons en effet sur la qualité de la gouvernance, le suivi de l'accord et le mécanisme de règlement des différends. Ce sera un point important pour la crédibilité d'ensemble.
Le Royaume-Uni et l'Union devront mettre en place des organismes indépendants dotés de moyens suffisants pour veiller au respect des engagements pris.
Le Royaume-Uni devra, et c'est un point fondamental, reconnaître la compétence exclusive de la Cour de justice de l'Union européenne pour apprécier le droit européen. C'est un chiffon rouge pour les Britanniques, mais c'est nécessaire s'ils veulent rester dans certaines agences de l'Union européenne...
Enfin, nous demandons expressément que les parlements nationaux soient étroitement et régulièrement informés, en temps utile, de l'évolution des négociations, tout au long de celles-ci. C'est là un enjeu démocratique majeur !
S'agira-t-il d'un accord mixte, d'un accord simple ? La question n'est pas tranchée.
Sur le fondement du rapport qui vous a été présenté, je vous invite à formuler vos éventuelles observations.
M. Jean-Yves Leconte. - Il serait bon que nous affirmions plus que par quelques lignes notre attachement aux droits des citoyens. Nous pourrions y consacrer un chapitre à part, qui affirme : « Concernant les droits des citoyens, plus de 5 millions de personnes sont impactées par la perte des droits de citoyen européen qu'engendre le Brexit. La manière dont ces droits au séjour, droits sociaux et autres protections seront assurés dans la relation future entre l'Union européenne et le Royaume-Uni illustrera la place que l'Union européenne fait à ses citoyens et à leurs droits. Les droits des citoyens britanniques dans l'Union européenne et européens au Royaume-Uni doivent être réaffirmés dans la relation finale entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. »
Cela est certes précisé dans l'accord existant. Mais son application laisse à désirer : les demandes de titres de séjours ne sont pas honorées dans les délais.
M. Jean Bizet, président. - Nous en parlons aux points 83 et 84 : le Sénat « recommande une extrême vigilance quant à la mise en oeuvre des dispositions de l'Accord de retrait sur les droits des citoyens, pendant et à l'issue de la période de transition » et « invite en particulier le Royaume-Uni et les États membres de l'Union européenne à sécuriser la situation des citoyens de l'autre Partie établis sur leur territoire, grâce à une politique de communication adaptée, à la délivrance de documents attestant du maintien des droits, et à une prise en compte effective des situations particulières ».
M. André Gattolin. - Mais le chapeau « concernant la conduite des négociations » qui précède ces alinéas ne convient pas : il ne s'agit pas de cela.
M. Jean-Yves Leconte. - Cela me gêne de parler de la pêche avant de parler des citoyens.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Je le comprends, mais la pêche fait partie du mandat de négociation, à l'inverse du problème très important que vous évoquez. Nous avons le droit de vouloir insister sur ce fait, mais pas au même niveau.
M. Jean Bizet, président. - Nous pouvons cependant modifier le chapeau en indiquant : « Concernant le suivi des dispositions de l'accord de retrait relatives aux droits des citoyens. »
M. Gilbert Roger. - Peut-être serait-il intéressant, soit dans l'exposé des motifs, soit dans la résolution, de faire référence aux outre-mer ?
Nous nous sommes rendus il y a une quinzaine de jours au Parlement européen et à la Commission. J'ai été inquiet lorsque j'ai entendu dire à la Commission que le départ du Royaume-Uni allait représenter une contrainte financière, et qu'il nous fallait faire encore plus d'économies sur les différents programmes. Je crains que cela ne soit difficile à accepter par nos concitoyens. Peut-être faudrait-il préciser que le résultat de la négociation ne doit pas être négatif pour nos concitoyens ?...
M. Jean Bizet, président. - On pourra sans doute insérer une mention sur les outre-mer. Concernant les aspects financiers, le Royaume-Uni étant un contributeur net, le budget sera forcément moindre.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - À l'alinéa où il est écrit que les 27 veilleront à préserver les intérêts de l'Union européenne, nous pourrions ajouter que cela comprend les outre-mer.
M. Jean Bizet, président. - Il s'agit du point 87 : le Sénat « invite les 27 États membres à rester unis dans cette négociation pour préserver les intérêts économiques et stratégiques de l'Union européenne ». Nous pourrions ajouter : « y compris des régions ultrapériphériques et des pays et territoires d'outre-mer. »
M. Gilbert Roger. - C'est parfait.
M. Didier Marie. - Le plus dur est devant nous, comme en témoignent les soubresauts de nos relations avec les Britanniques sur la pêche ou l'immigration. Les déclarations de Boris Johnson ne peuvent être qu'inquiétantes. Dire que le retour aux règles de l'OMC ne posera pas de problème particulier lui permet de mettre la pression sur les autorités européennes. Affirmer sa volonté de diverger des règles européennes avant même le début des négociations ne peut qu'aboutir à durcir ces dernières.
À l'alinéa 26, il serait intéressant de rappeler que le respect des conditions de concurrence équitable s'impose dans la durée.
À l'alinéa 31, qui affirme la nécessité de renforcer les services douaniers, il faudrait ajouter qu'il convient aussi de renforcer les services vétérinaires, qui sont très mal dotés.
À l'alinéa 32, il est question de l'harmonisation dynamique des normes et des règles.
M. Jean Bizet, président. - Cela répond-il à votre préoccupation concernant l'alinéa 26 ?
M. Didier Marie. - Il serait préférable de préciser à l'alinéa 32 : « vers le mieux-disant. » La dynamique pourrait en effet être négative.
Concernant la pêche, la Commission européenne ne souhaite pas des négociations annuelles concernant les quotas. Or cela n'apparaît pas clairement aux alinéas 34 à 39.
À propos de la coopération sur les services financiers, il conviendrait d'ajouter une phrase sur la lutte contre l'évasion fiscale. Londres est une des principales places financières et les îles Caïman sont sous souveraineté britannique.
Concernant les transports à l'alinéa 58, j'ai publié un rapport d'information avec Jean-François Rapin, qui insistait sur la nécessité de maintenir le corridor entre la mer du Nord et la Méditerranée, et impliquant les ports normands. Une référence y serait utile, car le problème n'est pas réglé.
Enfin, à l'alinéa 62, concernant la sécurité intérieure, plutôt que « constate », je préférerais que l'on écrive : « rappelle que l'Union européenne et le Royaume-Uni partagent des valeurs communes » et « souligne » plutôt que « relève que l'Union européenne et le Royaume-Uni sont confrontés à des menaces communes ».
De même, à l'alinéa 64, plutôt que d'écrire : « estime que le nouveau partenariat ne devra pas se traduire par une diminution du niveau de protection », il me semble préférable de préciser que le nouveau partenariat « devra garantir » un haut niveau de protection et de coopération.
L'alinéa 69 évoque le Conseil de sécurité européen. Je ne suis pas convaincu de la pertinence de le faire à ce stade.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Modifier l'alinéa 69 est compliqué parce que le Président de la République s'est engagé sur le sujet. La rédaction n'est pas si mauvaise. Concernant les quotas de pêches, les Britanniques vont se battre ! Nous allons avoir des discussions de marchands de tapis !
M. Didier Marie. - L'idée, c'est qu'il n'y ait pas de négociations annuelles !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'alinéa 58 sur les ports normands tel qu'il est rédigé me convient, car il fait simplement état d'une vigilance à avoir sur le fameux Land Bridge. Si cette voie est ralentie, ce sera la liaison directe Dublin-Le Havre qui en profitera. Cela me convient tout à fait !
M. Jean Bizet, président. - Je précise que les alinéas 59 et 60 ont été intégrés dans cette formulation conformément à une suggestion de la commission du développement durable. On peut aisément insérer au paragraphe 31 le mot : « vétérinaire ».
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Excellent !
M. Jean Bizet, président. - Depuis la crise de la vache folle, le réseau d'épidémiosurveillance britannique ne s'est guère amélioré.
En ce qui concerne le paragraphe 32, la convergence réglementaire prévue dans la durée, par définition, ne sera jamais moins-disante, elle ne peut être que mieux-disante.
On peut enfin ajouter après le paragraphe 45 un petit mot sur l'évasion fiscale.
M. Claude Kern. - Je partage l'inquiétude exprimée par rapport à la position des autres pays européens, notamment l'Allemagne et les Pays-Bas. Aujourd'hui, les pêcheurs néerlandais n'insistent plus, car ils ont trouvé des solutions en installant une partie de leur flotte en Angleterre. L'Allemagne a d'autres intérêts. Ils plaident donc pour un départ doux du Royaume-Uni. Il est important d'échanger avec les différents parlements.
M. Jean Bizet, président. - Je suis d'accord avec cette analyse. La pêche représente 0,1 % du PIB britannique, contre 13 % à 14 % pour la City. Ils vont nous « occuper » avec le problème de la pêche. Derrière cela, va se poser la problématique des reports de pêche et des poissons sous quota. Il va falloir repenser toute la politique commune de la pêche, mais c'est un dossier à tiroirs.
M. Robert del Picchia, rapporteur. - Je me souviens d'un entretien que j'ai eu avec Maurice Faure. Je lui demandais pourquoi le traité de Rome ne comportait pas un paragraphe concernant la sortie. Il m'a répondu qu'il y en avait un initialement, mais qu'il avait été supprimé de crainte que l'un des six ne quitte l'accord ! Entretemps, il y a eu Lisbonne et nous rencontrons aujourd'hui ce grand problème !
Je suis d'accord avec Didier Marie sur l'évasion fiscale. Depuis quelques mois, des personnes sont chargées dans les banques anglaises de trouver des solutions pour placer les euros déposés par des Français. Pire, les grandes assurances britanniques ont développé à Paris des bureaux pour placer de l'argent sur des fonds britanniques. La place financière britannique posera problème. C'est pourquoi l'expression « coopération en matière de services financiers » ne me plaît pas. Nous n'allons pas coopérer puisqu'il s'agit d'un grand concurrent qui nous crée déjà des ennuis. Il faudrait être plus dur et parler de « relation » dans le domaine financier.
M. Jean Bizet, président. - Ces deux remarques sont pertinentes ! Supprimons le mot « coopération » pour le remplacer par « relation ». À la suite de la remarque de Didier Marie, on ajouterait un paragraphe après le 45 : « estime que le Royaume-Uni et l'Union européenne doivent continuer à partager des objectifs communs en matière de lutte contre l'évasion fiscale et y contribuer ensemble. »
M. Pierre Laurent. - Je vais m'abstenir sur la PPRE. Je partage l'objectif d'exprimer des exigences sur le mandat de négociation, qu'il s'agisse de la pêche, du climat, ou de la propriété intellectuelle. En revanche, malgré les exigences qui sont portées, cela me paraît insuffisant. Nous allons assister dans les prochains mois à un face à face entre le modèle actuel de libre-échange de l'Union européenne et un autre modèle de libre-échange plus concurrentiel, plus dur, plus égoïste. Cela me paraît insuffisant pour traiter les enjeux qui sont les nôtres. Si nous voulons relever le défi climatique, il va falloir penser à de véritables politiques industrielles européennes et bilatérales avec d'autres pays. L'Union européenne prend beaucoup de retard pour passer à l'offensive sur ces sujets.
L'organisation du règlement des différends me préoccupe. C'est une question essentielle qui pose de plus en plus de difficultés sur le plan international, singulièrement avec le développement des accords de libre-échange. Comme tout le monde laisse dépérir l'OMC, nous avançons vers un système à la carte de règlement des différends. J'ai écouté la ministre tout à l'heure : ce vers quoi nous allons n'est ni clair ni limpide !
Sur la question : « accord mixte ou pas, », je reste sur ma faim par rapport à la réponse de la ministre. On entre dans un processus de décision problématique vu l'ampleur des enjeux. Je constate néanmoins que la tendance est d'essayer d'éviter les accords mixtes pour ne pas « s'emmerder » - excusez-moi l'expression - avec la ratification des États. Cela pose néanmoins des problèmes démocratiques au vu de la nature des enjeux.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Je n'ai pas compris si votre abstention était liée à l'accord mixte, aux enjeux climatiques ou aux programmes industriels innovants sur lesquels les Anglais sont demandeurs ? En ce qui concerne le défi climatique, la rédaction me semble de nature à vous rassurer : nous ne voulons pas de tricheurs.
En revanche, je suis tout à fait d'accord avec vous en ce qui concerne les programmes techniques et autres. Je fais confiance à Michel Barnier. Nous devons être très fermes sur tout ce qui risque de créer un conflit ne pouvant être réglé que par la Cour de justice de l'Union européenne. Prenons l'exemple de Galileo : en quittant l'Europe, les Anglais sont perdants. C'est pourquoi ils ont intérêt à négocier, et nous aussi parce que nous ne devons pas nous affaiblir dans toutes ces technologies. Dans tous les domaines où ils sont demandeurs, il faut dire leur dire oui, mais à condition qu'ils respectent la compétence de la Cour de justice de l'Union européenne en cas de litige.
En ce qui concerne l'accord mixte, je comprends votre réticence, notamment par rapport à la réponse de la ministre.
M. Jean Bizet, président. - La dérive libérale des Anglais est ancienne, elle fait partie de leur référence génétique - dont acte. C'est la raison pour laquelle ils se sentent un peu à l'étroit dans l'Union européenne, qui a des valeurs qu'ils ne partagent plus. On le voit bien y compris au travers du socle européen des droits sociaux. Nous regrettons tous la dérive du multilatéralisme vers le bilatéralisme, mais je rends toujours hommage à Jean-Claude Juncker, qui s'est engagé à marche forcée sur des accords de libre-échange bilatéraux parce que le multilatéralisme était en panne. La multiplication des accords bilatéraux permet de faire référence à des normes qui sont européennes. Or celui qui a les normes a aussi le marché !
En ce qui concerne la mixité ou non d'un accord, les accords de libre-échange sont par définition une compétence exclusive de l'Union européenne. Quand on pèse 440 millions d'habitants, on a plus de force dans la compétition commerciale internationale. L'exemple du CETA, auquel la Wallonie s'était opposée, est édifiant. D'où la nécessité d'un travail régulier de notre groupe de suivi sur les négociations commerciales internationales pour éviter les frustrations finales.
La ministre a laissé entendre que la partie régalienne serait du registre des parlements nationaux, mais ce ne sera pas la partie consistante de l'accord. D'où l'intérêt du groupe que Christian Cambon et moi-même animons pour être au plus proche des évolutions et vous informer au mieux.
S'agissant des ports, évoqués par Didier Marie, nous ferons référence au rapport d'information n° 171 du 30 novembre 2018 que ce dernier a publié avec Pascal Allizard et Jean-François Rapin.
M. Michel Vaspart. - J'interviens au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, son président n'ayant pu assister à la présente réunion.
Je vous remercie d'avoir intégré les alinéas 59 et 60, que notre commission, consultée par vos soins, vous a proposé d'ajouter. Nous avons mis en place, comme vous le savez, une mission d'information relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes. Or les ports de commerce français s'inquiètent de la récente décision des Britanniques de mettre en place dix zones franches, dont la localisation ne devrait être précisée qu'à la fin de l'année, mais pour une mise en oeuvre dès 2021.
Nous aurons à travailler également sur la performance et la compétitivité, y compris sociale, de nos grands ports français. Nous avons déjà un handicap par rapport aux ports du nord de l'Europe, nous risquons d'en cumuler un autre... Si, comme le président l'indiquait précédemment, il ne faut pas faire preuve de naïveté vis-à-vis des Anglais, c'est également valable face aux actions menées par la Chine !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - J'apprécie beaucoup cette intervention. Bien sûr, l'alinéa 60 répond à votre attente, mais nos services ne pourraient-ils pas travailler sur cette notion de « zone franche », derrière laquelle peut se cacher toute une série d'avantages ? J'entends que l'alinéa 60 évoque « l'adoption de règles fiscales et sociales particulièrement attractives au Royaume-Uni », mais n'y a-t-il pas moyen de glisser dans le texte ces termes « zone franche » ? Boris Johnson, lui-même, en a parlé !
M. Jean Bizet, président. - Nous avons pris en compte, me semble-t-il, toutes les remarques exprimées. Je soumets donc aux membres de la commission des affaires européennes le texte de la PPRE.
La proposition de résolution européenne est adoptée dans la rédaction suivante, de même que l'avis politique qui en reprend les termes :
La réunion est close à 18 h 15.