Mercredi 4 décembre 2019
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 40.
Proposition de loi tendant à protéger les mineurs des usages dangereux du protoxyde d'azote - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Alain Milon, président. - Nous examinons ce matin la proposition de loi tendant à protéger les mineurs des usages dangereux du protoxyde d'azote, déposée par Mme Valérie Létard et plusieurs de nos collègues.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - La proposition de loi visant à protéger les jeunes des usages dangereux du protoxyde d'azote, que nous examinons ce matin, a été cosignée par Mme Valérie Létard et 93 de nos collègues, toutes tendances politiques confondues. Le problème qu'elle soulève est, en effet, sérieux et n'a pas, à ce jour, été considéré par le Gouvernement avec l'attention qu'il mérite.
Moi-même, je n'y avais guère été sensibilisée dans l'Essonne. J'ai donc cherché à en cerner tous les aspects, en auditionnant aussi bien les services de l'État que les professionnels de santé, mais aussi les fabricants et les distributeurs. Mais c'est dans l'agglomération lilloise, où je me suis rendue pour rencontrer les personnes qui y sont quotidiennement confrontées, que j'ai le mieux compris la nature du problème.
Le protoxyde d'azote est un gaz connu depuis les années 1800 pour ses propriétés à la fois anesthésiantes et euphorisantes. Les premières ont assuré son succès en médecine, où il est devenu quasiment indispensable dans la plupart des spécialités, y compris vétérinaire. Encore est-il utilisé par les médecins sous une forme mélangée à parité avec de l'oxygène, et de manière très encadrée : le MEOPA - c'est le nom du mélange - est soumis à une réglementation stricte qui impose notamment un stockage sécurisé et la déclaration obligatoire de tout vol.
C'est de ses autres propriétés, euphorisantes, qu'il est ici question, qui valent au protoxyde d'azote son surnom de « gaz hilarant ». Il provoque en effet une forme d'ivresse déjà très appréciée par la gentry anglaise au début du XIXe siècle. Elle semblait simplement avoir été dépassée, disons, en intensité, par d'autres substances.
L'engouement pour le protoxyde d'azote connaît toutefois une vigueur nouvelle depuis la fin des années 1990 dans les milieux festifs alternatifs et, surtout, depuis le milieu des années 2010, chez les jeunes, voire les très jeunes, de tous les milieux. Le mode d'administration de ce produit est simple : le gaz est transféré dans un ballon de baudruche puis inhalé au rythme de la respiration.
Cet engouement peut s'expliquer assez facilement. D'abord, le protoxyde d'azote est légal et, par conséquent, très facile d'accès. Vendu généralement contenu dans de petites cartouches d'aluminium conditionnées par boîtes de 5, 10 ou 20, destinées à faire fonctionner les siphons à usage culinaire dont ont besoin les amateurs de chantilly ou d'émulsions de toutes sortes, ce gaz se trouve au rayon cuisine de tous les supermarchés ou commerces de proximité.
Ensuite, il est très peu onéreux. Les cartouches coûtent en magasin environ 1 euro pièce, souvent moins. Surtout, la hausse de la demande a attiré sur le marché de nouveaux entrants, qui vont jusqu'à proposer, sur internet notamment, des bonbonnes entières à prix cassé et dont la réclame annonce fièrement que les ballons de baudruche sont offerts avec la livraison - ne laissant aucun doute sur l'usage qui sera fait du produit.
En outre, les effets du protoxyde d'azote sont brefs, de l'ordre de quelques minutes seulement, et malaisés à détecter. Il est par conséquent plus commode, avant de se rendre en classe ou de rentrer dîner chez ses parents, d'inhaler du protoxyde d'azote que de fumer du cannabis, si l'on souhaite éviter d'attirer l'attention.
Enfin, la popularité du protoxyde d'azote s'explique par son caractère de mode. Les réseaux sociaux dont les jeunes sont friands regorgent d'invitation à l'euphorie collective au moyen de ce gaz, et sont rapides à diffuser les modes d'emploi des derniers psychotropes en vogue.
On aurait cependant tort d'en conclure que la mode, comme la jeunesse, passera.
D'une part, car ce n'est pas sûr. Le protoxyde d'azote est en réalité consommé depuis deux siècles dans les pays anglo-saxons, et nous assistons à une diffusion de son influence comme pratique festive, qui touche de nombreux autres pays : la Belgique, les Pays-Bas, l'Australie, les États-Unis, la Corée du Sud, ont pris conscience avant nous des enjeux de santé publique que soulève ce gaz. L'épicentre de la fête en Europe, l'ile d'Ibiza, est aussi confrontée au problème.
D'autre part, car ses dangers pour la santé sont largement méconnus. Sa manipulation elle-même est dangereuse, car c'est un gaz froid, qui peut occasionner des brûlures. Même inhalé avec précaution, il produit des effets qui ne sont pas sans danger pour les consommateurs et leur entourage : distorsion visuelle et auditive, sensation de dissociation, désinhibition, état de flottement, vertiges. En phase de déclin de ses effets peuvent apparaître une anxiété voire un état panique du fait d'une modification des perceptions sensorielles, ou une dépression respiratoire.
Surtout, en consommation chronique, le protoxyde d'azote interfère dans le métabolisme de la vitamine B12, indispensable au bon entretien de la gaine de myéline qui protège les nerfs. Autrement dit, les consommateurs recherchant à l'excès la réitération de ses brefs effets risquent des atteintes extrêmement graves de la moelle épinière.
Le Centre d'addictovigilance de Lille, auquel je me suis rendue, a été saisi à cette date de huit cas graves dans les Hauts-de-France. Cinq de ces huit personnes ont entre 18 et 20 ans. Leurs diagnostics - sclérose combinée de la moelle et neuropathie sensitive, paraplégie flasque - sont dans certains cas irréversibles. Tous présentaient les symptômes d'une forme d'addiction au protoxyde d'azote : leur consommation s'élevait à plusieurs centaines de cartouches par jour pendant un à trois mois. Cinq cas sont en outre en cours d'examen pour des symptômes analogues ; ceux dont l'âge nous a été communiqué ont, respectivement, 23, 19, 18 et 17 ans. Pire : au Royaume-Uni, 36 personnes sont mortes depuis 2001 du fait d'une consommation excessive, et les États-Unis déplorent une quinzaine de morts par an.
Il faut donc en finir avec la notion de « gaz hilarant » : les effets de ce produit sur la santé n'ont pas de quoi faire rire. D'autant que l'image anodine qu'il conserve et la méconnaissance dont il fait l'objet conduisent sans doute à sous-évaluer le lien de causalité qui le relie à certaines affections neurologiques, qui sont du coup imputées à d'autres causes.
Si le diagnostic est aisé à établir, la solution à apporter est moins évidente qu'il y paraît.
Pour l'heure, apparaissent essentiellement en première ligne de la lutte contre ce phénomène les maires, confrontés aux troubles à l'ordre public causés par le bruit, les atteintes à la sécurité ou les déchets occasionnés par ce produit. Songez que la seule ville de Loos, 22 000 habitants, envoie au recyclage une centaine de kilos par mois de cartouches retrouvées sur la chaussée ! Sans parler des bonbonnes, que l'on retrouve aussi sur la chaussée... Une cinquantaine de maires, du Nord, du Pas-de-Calais mais aussi de l'Hérault ou d'Île-de-France, n'ont donc eu d'autre choix que de prendre des arrêtés interdisant la consommation ou la vente de protoxyde d'azote sur le territoire de leur commune.
Les limites d'une telle réaction sont évidentes : les arrêtés étant territorialisés, les consommateurs sont incités à acheter les cartouches dans la commune voisine ; ils ne s'appliquent que pour autant qu'il existe une force publique pour constater les infractions ; ils sont parfois fragiles juridiquement...
Le Gouvernement insiste à ce stade plutôt sur la prévention des mésusages. Le ministère de la santé et la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) ont d'ailleurs publié un communiqué de presse insistant sur ce point et sur la vigilance demandée aux ARS. Il est exact qu'en matière d'usage détourné de produits de consommation courante, il est crucial d'informer les consommateurs, et que l'on ne saurait interdire purement et simplement le produit en cause - d'autant que le protoxyde d'azote est à ce jour le seul gaz à réunir toutes les propriétés nécessaires à son usage culinaire.
Mais, d'une part, le problème est soulevé par les spécialistes depuis plus d'un an, la présente proposition de loi a été déposée en avril 2019 au Sénat, elle fait suite à une proposition déposée à l'Assemblée en janvier, et le communiqué du ministère ne date, lui, que du 19 novembre...
D'autre part, une telle réponse ne saurait suffire. L'âge des personnes ayant mis leur santé en danger semble diminuer, et le protoxyde d'azote n'a jamais été aussi accessible : les lycéens, voire les collégiens, s'en voient proposer à la sortie de leur établissement !
La présente proposition de loi poursuit un objectif modeste mais réaliste. Il ne s'agit pas d'empêcher quiconque de détourner des produits de consommation courante de leur usage ordinaire dans le but d'en obtenir quelque effet particulier. De tels comportements ont toujours existé et il n'appartient pas au législateur de chercher à les éradiquer.
Il s'agit plutôt de limiter autant que possible le premier contact des jeunes gens avec tout produit dont l'usage détourné à des fins récréatives peut avoir des effets graves sur leur santé.
C'est l'objet des dispositions de l'article 2, qui pénalise d'abord l'incitation d'un mineur à consommer du protoxyde d'azote. Je vous proposerai d'élargir un peu cette qualification à tout « usage détourné d'un produit de consommation courante pour en obtenir des effets psychoactifs », afin de couvrir non seulement le protoxyde aujourd'hui, mais aussi, à l'avenir, qui sait, d'autres substances.
L'article 2 interdit également la vente aux mineurs du protoxyde d'azote, en commerce physique comme en ligne. C'est bien le moins que l'on puisse faire. Les industriels n'y perdent pas grand-chose, puisque la part des mineurs dans les amateurs de chantilly montée au siphon est sans doute infime.
Il faut noter d'ailleurs qu'un nombre croissant de pays s'engagent dans cette voie : le Royaume-Uni, certains États américains, Chypre, la Croatie, la Corée, ou encore certains États australiens, pour ne rien dire des pays dans lesquels le protoxyde d'azote n'est pas visé directement mais tombe dans des catégories juridiques qui restreignent de fait ses mésusages.
L'article 2 propose, en outre, d'accompagner la politique de prévention du Gouvernement en obligeant les fabricants à commercialiser le protoxyde d'azote accompagné d'une indication rappelant sa dangerosité, comme cela se fait pour le tabac ou l'alcool. Les industriels, dont j'ai auditionné quelques représentants, n'y sont pas hostiles ; certains acteurs de la grande distribution réfléchissaient même déjà à mieux informer leurs clients en ce sens.
Autre argument qui pourra motiver des réticences : ces mesures sont certes constitutives d'une forme de restriction des échanges, et doivent à ce titre faire l'objet d'une notification à la Commission européenne. Il sera toutefois facile d'en justifier la nécessité au regard des impératifs de santé publique ; cela ralentira simplement l'entrée en vigueur de ce texte, s'il était adopté par les deux chambres.
Je vous proposerai en outre de ranger toutes ces dispositions dans une partie spécifique du code de la santé publique, afin de ne pas brouiller la politique conduite en matière de lutte contre les différentes formes d'addiction.
La commission a, de plus, été saisie de deux amendements de notre collègue Jean-Pierre Grand, qui précisent les activités d'information sur les addictions conduites à l'école d'une part, et les obligations pesant sur les hébergeurs et les fournisseurs d'accès à internet en matière d'information des clients sur les produits dont la vente est interdite aux mineurs, d'autre part. Ils sont très opportuns : je vous proposerai donc de les adopter.
La rédaction de ce texte n'est sans doute pas parfaite, mais elle apporte une réponse, opérante et assez simple, me semble-t-il, au problème auquel nous sommes confrontés ou risquons d'être confrontés à l'avenir en tant qu'élus locaux, parents, et législateurs soucieux de la santé publique et de la lutte contre les addictions dans notre pays. Nous espérons pouvoir compter sur la navette pour lui apporter les améliorations et les compléments qui se révéleraient nécessaires. Il fallait en toute hypothèse s'engager pour faire barrage à la multiplication de ces comportements à risque, et il faut savoir gré à Mme Valérie Létard et à ses collègues d'en avoir pris l'initiative.
Mme Brigitte Micouleau. - Je tiens, tout d'abord, à saluer la qualité du travail de notre rapporteure. Ce produit, potentiellement nocif, est en vente libre et facilement accessible sur internet. Il suffit d'aller sur le site d'Amazon : on voit immédiatement apparaître une trentaine de références de capsules ou de bonbonnes de protoxyde d'azote. Il est possible d'acheter 700 capsules pour 200 euros : ce n'est pas pour faire de la chantilly ! Il faudrait soulever la question de la responsabilité des fabricants et des vendeurs. La vente en ligne devrait être interdite aux mineurs. Les sites devraient au moins indiquer les risques pour la santé en cas de mésusage.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Le protoxyde d'azote est détourné de son usage, avec des conséquences sanitaires graves. Dans le Pas-de-Calais, la situation est critique et les maires sont contraints de prendre des arrêtés interdisant la vente sur le territoire de leur commune. On peut, toutefois, se procurer aisément du protoxyde d'azote sur n'importe quel site de vente en ligne. Cette proposition de loi interdit la vente aux mineurs, mais rien n'empêchera un majeur d'en acheter pour le revendre ensuite à un mineur. Au-delà de l'interdiction, il convient donc de mener une véritable politique de prévention pour alerter les consommateurs sur les risques encourus.
M. Martin Lévrier. - Dans les boites de nuit, on distribue des ballons gonflés au protoxyde d'azote, que les jeunes peuvent ensuite inhaler. Comment peut-on empêcher cette pratique ?
Mme Véronique Guillotin. - Cette proposition de loi est salutaire. Je connaissais les dangers liés à l'inhalation du protoxyde d'azote, mais j'ignorais que le phénomène était aussi répandu. Le Gouvernement entend-il mener une grande campagne d'information nationale pour informer les parents des risques ? Je ne suis pas certaine que ceux-ci en aient conscience.
Dispose-t-on de chiffres sur la consommation département par département ?
M. Philippe Mouiller. - Je salue aussi le travail de notre rapporteure. Je suis toutefois prudent. L'interdiction de la vente aux mineurs, qui est nécessaire, ne suffira pas. La vente de tabac est interdite aux mineurs, mais cela ne les empêche guère de fumer s'ils le souhaitent... Que peut-on faire ? Il est difficile de changer les pratiques. Je m'interroge sur l'efficacité de la loi à cet égard, au-delà de la prévention et de l'information.
Mme Corinne Féret. - Cette proposition de loi transpartisane avait été cosignée par des sénateurs socialistes. Monsieur Mouiller, si l'on ne fait rien, rien ne changera ! Il est pertinent de légiférer pour interdire la vente aux mineurs et fixer des limites. La réponse d'Adrien Taquet à la question orale de Valérie Létard au Sénat n'était pas suffisante. Le Gouvernement considère que la meilleure chose à faire est de mieux communiquer sur les usages et les pratiques à risques auprès des jeunes, sans changer la loi. Je ne partage pas ce point de vue et nous voterons ce texte.
M. Michel Forissier. - Le protoxyde d'azote est-il vraiment indispensable ? Ne peut-on pas simplement l'interdire, s'il est dangereux, et trouver des produits de substitution ? Dans ma jeunesse, l'éther était, de la même manière, détournée de son usage médical. Son accès est désormais très réglementé. Dès lors qu'un produit est en vente libre sur internet, il est difficile d'en limiter les usages. La vraie question est celle de l'interdiction des produits dangereux.
M. Daniel Chasseing. - Le texte permettra de sensibiliser les parents aux risques. Les propriétés anesthésiantes et hilarantes du protoxyde d'azote ont été découvertes de manière empirique par un dentiste américain au début du XIXe siècle, mais les forains l'utilisaient déjà. La prévention est essentielle et l'école a un rôle à jouer. Il est vrai qu'avec internet, il sera difficile d'interdire le produit, mais le texte constitue un premier pas.
M. Guillaume Arnell. - Qu'il s'agisse de l'éther ou du protoxyde d'azote, je constate que l'on intervient toujours avec retard. Ne faudrait-il pas mener une réflexion, en amont, sur les substances dangereuses, plutôt qu'intervenir après-coup, en réaction, à chaque fois qu'une nouvelle pratique addictive apparaît ?
Mme Annie Delmont-Koropoulis. - Le mieux serait sans doute d'interdire simplement le produit, mais il indispensable en raison de ses propriétés culinaires. Ce texte constitue une avancée. Il importe de légiférer sur le sujet. Les maires attendent ce texte. Dans ma ville, on a mené des opérations de prévention ; l'interdiction de la vente aux mineurs sera complémentaire.
Mme Catherine Fournier. - J'habite à 30 kilomètres de la frontière avec la Belgique. Si le gaz n'est pas interdit dans toute l'Europe, le problème perdurera car il suffira de traverser la frontière pour s'en procurer. Ce texte constitue toutefois une première étape. Ne pourrait-on pas également autoriser les enseignants, dans les territoires les plus touchés, à évoquer avec leurs élèves, dès le collège, les risques liés à l'inhalation de ce gaz ? Enfin, il faudrait aussi s'attaquer à ceux qui organisent la vente : cela limiterait la consommation.
Mme Corinne Imbert. - Les ARS ont été mobilisées. Comment interviennent-elles ? Il conviendrait aussi de mener une réflexion au niveau européen sur le sujet. Si l'on interdit le protoxyde d'azote en France, il suffira de franchir la frontière pour l'acheter. Où en est la réflexion en Europe sur ce sujet ?
M. Jean-Louis Tourenne. - Si l'on consulte Wikipédia, on apprend que le protoxyde d'azote constitue un puissant gaz à effet de serre. Il serait 298 fois plus puissant à cet égard que le CO2 et il est devenu le premier contributeur à la destruction de la couche d'ozone. C'est important de le souligner et cela plaide en faveur de son interdiction.
M. Dominique Théophile. - Dispose-t-on d'évaluations de l'étendue du phénomène ?
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Madame Micouleau, le Gouvernement réfléchit à la solution la plus appropriée pour restreindre les détournements d'usage dans la vente en ligne. Amazon fait même de la publicité pour le protoxyde d'azote et on comprend vite que le produit ne sert pas uniquement à faire de la chantilly... Quand on vend des lots de cinq capsules, on vise la ménagère, mais quand on propose des lots de 700 capsules, on vise, évidemment, d'autres publics ! Nous proposons d'interdire la vente en ligne aux mineurs, mais il est vrai qu'il leur suffira d'utiliser la carte bleue de leurs parents pour contourner l'interdiction. Il appartient donc aussi aux adultes d'être vigilants.
Un mot sur la prévention. Le Gouvernement a pris la mesure du problème mais ne souhaite pas communiquer spécifiquement sur ce gaz pour ne pas attirer sur lui l'attention des plus jeunes. Il préfère une stratégie de prévention globale, qui me parait intéressante. Les amendements de M. Grand seront aussi utiles sur ce point.
Monsieur Lévrier, il arrive en effet que l'on vende des ballons gonflés à l'hélium ou au protoxyde d'azote, ce qui constitue un exemple de ses usages détournés. Cette pratique nous conforte dans notre volonté d'interdire la vente de ce gaz aux mineurs et de pénaliser les incitations à leur en faire consommer.
Madame Guillotin, nous ne disposons que d'enquêtes en population générale et des études ponctuelles des observateurs régionaux de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), notamment dans les grandes métropoles.
Monsieur Mouiller, je ne peux que partager votre inquiétude, mais que faire ? L'alcool est un produit potentiellement dangereux. Il est fait mention sur les bouteilles des risques pour la santé en cas de consommation excessive, mais sa vente n'est pas interdite pour autant. On ne peut donc pas interdire à la ménagère ou au restaurateur d'acheter des capsules de protoxyde d'azote pour faire de la chantilly ou des émulsions. En revanche, la vente d'alcool est interdite aux mineurs, et chacun a un rôle à jouer pour faire respecter la loi. Dans ma commune, j'ai vu un épicier vendre de la bière à des mineurs : je l'ai menacé d'intervenir s'il continuait et il a cessé de le faire. Cette loi aidera les élus à agir. Mais je vous rejoins, aucune politique n'est parfaite.
Le protoxyde d'azote représente, M. Tourenne a eu raison de le souligner, un puisant gaz à effet de serre, mais il reste, pour l'instant, irremplaçable en cuisine, car il est légèrement sucré et remplit efficacement une fonction de conservation.
Monsieur Chasseing, c'est en effet un dentiste américain qui a, le premier, exploité les propriétés anesthésiantes du protoxyde d'azote, mais ses effets euphorisants étaient connus dès la fin du XVIIIe siècle, en Angleterre. Depuis, la pratique s'est répandue. Le Nord est très touché, mais, en fait, le phénomène concerne toutes les grandes agglomérations de France.
Monsieur Arnell, le législateur sera toujours contraint de s'adapter aux nouvelles pratiques à risque. C'est le propre de la jeunesse de tester les limites. Mais, comme le produit est potentiellement dangereux, il est bon de légiférer et cette loi permettra aux élus d'intervenir. Les arrêtés des maires sont territorialisés et il suffit, actuellement, aux jeunes d'aller dans la commune voisine pour se procurer le produit désiré. Et, si je prends l'exemple de l'alcool, on ne peut pas les verbaliser, même s'ils ont une bouteille à côté d'eux, sauf si on les prend sur le fait en train de boire. Il conviendrait d'ailleurs de changer certaines règles à cet égard. Le législateur a toutefois interdit la vente d'alcool aux jeunes et autorisé les maires à prendre des arrêtés encadrant la consommation.
Madame Fournier, à court terme, la proposition de loi et la prévention sont la meilleure combinaison. Je dirais qu'il s'agit d'une proposition de loi d'appel. Elle ouvre le débat et permet de faire prendre conscience des risques et des usages. Souvent, comme je l'ai constaté à Saint-Chéron, on ne consomme pas les capsules dans la rue mais en petit comité, dans des fêtes, et on retrouve ensuite les capsules dans les poubelles.
La prévention à l'école s'organise. Le Gouvernement veut sensibiliser aux pratiques à risques et au mésusage des produits dangereux, parmi lesquels le protoxyde, mais sans l'isoler, de manière à ne pas lui faire de publicité auprès de jeunes qui ne le connaîtraient pas encore.
Madame Imbert, le Gouvernement a publié un communiqué de presse le 19 novembre pour appeler les ARS à la vigilance et leur demander de répertorier les cas d'effets sanitaires graves. Nous n'en sommes que là. Au niveau européen, il y a une réflexion au sein du réseau des observatoires des drogues, dont fait partie l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies en France, mais il n'y a pas eu d'évolution de la réglementation à ce stade. J'espère que l'adoption de cette proposition de loi aura un effet déclencheur au niveau européen.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Il semble plus opportun de déplacer la substance de la proposition de loi dans un livre sixième de la troisième partie du code de la santé publique, consacré à la lutte contre les usages détournés de produits de consommation courante. L'amendement COM-5 supprime donc la dénomination initialement proposée du livre V, qui met sur le même plan les luttes contre le tabagisme, le dopage et la consommation de protoxyde d'azote.
L'amendement COM-5 est adopté. En conséquence, l'article 1er est supprimé.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - L'amendement COM-3 déplace le contenu de l'article 2 dans un nouveau livre VI, au sein de la troisième partie du code de la santé publique, intitulé « lutte contre les usages détournés dangereux de produits de consommation courante ».
L'amendement apporte également à l'article quelques modifications de fond. Le délit d'incitation d'un mineur à la consommation de protoxyde d'azote est élargi à tout usage détourné d'un produit de consommation courante pour obtenir des effets psychoactifs. La peine encourue en cas de commission de ce délit est ramenée à 15 000 euros d'amende, ce qui est la peine encourue pour la provocation d'un mineur à la consommation excessive d'alcool. Il semble en effet disproportionné d'infliger à la personne reconnue coupable d'une incitation d'un mineur à consommer du protoxyde d'azote la même peine qu'à celle qui se livre à la consommation de stupéfiants. Une plus grande latitude est rendue au pouvoir réglementaire pour fixer les conditions de l'étiquetage des produits contenant du protoxyde d'azote à des fins de prévention. Enfin, la disposition relative à l'information sur les risques de l'usage détourné du protoxyde d'azote dispensée « à l'école et à l'armée » est supprimée.
L'amendement COM-3 est adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article additionnel après l'article 2
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - L'amendement COM-1 oblige les fournisseurs d'accès à internet et les hébergeurs de contenus à informer leurs abonnés des interdictions de vente aux mineurs - de protoxyde d'azote, par exemple. Une telle obligation existe déjà pour les jeux en ligne et le tabac. Avis favorable.
L'amendement COM-1 est adopté et devient un article additionnel.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - L'amendement COM-2 élargit opportunément les modules de prévention dispensés à l'école à la question générale des comportements addictifs. Pour l'heure, sont en effet prioritairement visées les drogues, catégorie dans laquelle n'entre pas le protoxyde d'azote. L'amendement évite en outre de cibler exclusivement ce produit, ce qui aurait pu avoir pour effet d'orienter la curiosité des élèves. Avis favorable sous réserve de l'adoption du sous-amendement COM-7 qui rend la rédaction de l'amendement plus conforme à la terminologie en vigueur en matière de lutte contre les addictions.
Le sous-amendement COM-7 est adopté.
L'amendement COM-2, ainsi modifié, est adopté et devient un article additionnel.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - L'amendement de coordination COM-6 étend les dispositions de la présente proposition de loi à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et à Wallis et Futuna.
L'amendement COM-6 est adopté.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Je propose de supprimer cet article. La remise d'un rapport d'évaluation, outre que la doctrine sénatoriale n'y souscrit guère, ne semble pas nécessaire. Les outils de mesure du phénomène existent, même s'ils peuvent être affinés, et ils fonctionnent : l'OFDT pour la mesure des usages et des comportements addictifs, et le réseau des centres d'addictovigilance, auxquels remontent les cas présentant un risque sanitaire. Leurs analyses suffiront à mesurer l'efficacité de la présente proposition de loi.
L'amendement de suppression COM-4 est adopté. En conséquence, l'article 4 est supprimé.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
TABLEAU DES SORTS
La réunion est close à 10 h 30.