- Mardi 19 novembre 2019
- Mercredi 20 novembre 2019
- Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Sécurités » - Programme 152 « Gendarmerie nationale » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Défense » - Programme 146 « Équipement des forces » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Défense » - Programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Défense » - Programme 178 « Préparation et emploi des forces » - Examen du rapport pour avis
- Vote sur l'avis de la commission sur les crédits de la mission « Défense »
- Proposition de loi permettant à tout médaillé militaire ayant fait l'objet d'une citation à l'ordre de l'armée de bénéficier d'une draperie tricolore sur son cercueil - Examen des amendements
Mardi 19 novembre 2019
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
Groupe de travail sur l'espace sur la politique des lanceurs spatiaux - Examen du rapport d'information
M. Christian Cambon, président. - Madame la présidente, mes chers collègues. Le 22 mai dernier, nos deux commissions ont auditionné Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d'études spatiales (Cnes) et André-Hubert Roussel, président exécutif d'ArianeGroup sur la politique des lanceurs spatiaux.
Les 27 et 28 novembre prochains, le Conseil de l'Agence spatiale européenne se réunira au niveau ministériel pour prendre des décisions cruciales s'agissant des lanceurs. C'est pour mieux en cerner les enjeux que nous avions décidé, dans la foulée de l'audition du Cnes et d'ArianeGroup, de créer un groupe de travail commun à nos deux commissions, co-présidé par Jean-Marie Bockel, ancien président du groupe des élus pour l'espace, et par Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Ce groupe de travail composé de seize membres répartis à la proportionnelle des groupes et entre nos deux commissions, a en conséquence effectué plusieurs auditions, tant dans le secteur public que chez les industriels.
C'est pour examiner ses conclusions que nos commissions se réunissent aujourd'hui. Initialement, nous devions clore ces travaux par l'audition de Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, qui représentera la France à la ministérielle, mais celle-ci a dû finalement décliner l'invitation compte tenu de l'actualité récente concernant les étudiants. J'excuse également le co-président du groupe de travail Jean-Marie Bockel, que je remplacerai pour présenter les travaux du groupe.
L'axe essentiel retenu par le groupe de travail est évidemment le suivant : la nécessité de maintenir, à court et long terme, notre indépendance d'accès à l'espace. C'est un enjeu de souveraineté : souvenons-nous toujours que les Européens ont lancé Ariane suite au refus, dans les années 1970, de la part des américains, de lancer un satellite européen à vocation commerciale qui aurait pu concurrencer leurs satellites. Les tensions avec nos amis américains ne datent pas du mois dernier ! C'est aussi un enjeu stratégique pour nos armées qui ont, plus que jamais, besoin de l'Espace pour communiquer, observer et se mouvoir. Rappelons-nous de la décision du Président de la République de créer un véritable commandement de l'Espace associé à l'armée de l'air, actant ainsi l'émergence de ce nouveau territoire de confrontation stratégique. Aussi, l'accès indépendant à l'espace est une brique de base nécessaire à la mise en oeuvre de la stratégie spatiale de Défense annoncée cet été.
À l'issue des auditions du groupe de travail, quel est le premier constat ? D'abord que nous pouvons nous féliciter de la réussite de la filière Ariane, alors que nous fêterons, en cette fin d'année, le quarantième anniversaire du lancement d'Ariane 1.
Les yeux des observateurs sont souvent tournés vers les États-Unis. Mais on ne le dit pas assez : c'est l'Europe qui a été pionnière dans le spatial commercial en créant Arianespace pour commercialiser les lanceurs de la famille Ariane. Et Ariane 5 a su s'octroyer, sur les dix dernières années, près de la moitié du marché commercial accessible des satellites géostationnaires ! Nous devons être fiers de ce succès qui, je le rappelle, repose depuis 60 ans sur des technologies duales qui trouvent aussi une application militaire dans la conception, la fabrication et le maintien en condition opérationnelle des missiles balistiques nécessaires à la dissuasion nucléaire.
L'aventure continue avec Ariane 6. Il faut souligner le véritable effort de nos industriels qui, sous l'égide de l'Agence spatiale européenne, sont parvenus, tout en se réorganisant, à développer un nouveau lanceur très rapidement. Le premier objectif du lanceur est de baisser les coûts, de 40 à 50 %. Il est également plus flexible, grâce à son moteur Vinci rallumable qui permettra d'injecter des charges utiles sur plusieurs orbites. Il est aussi modulable : disponible en deux versions avec deux ou quatre boosters (6-2 et 6-4), il permettra, à terme, de se passer de Soyouz.
Huit missions sont déjà en carnet de commandes. Si, avec Ariane 6, les Européens ont fait le choix de la continuité, aujourd'hui tous les acteurs s'accordent sur la nécessité d'en faire une réussite.
Mme Sophie Primas. - Nous devons nous féliciter de cette réussite, mais ne devons pas faire preuve de cécité. C'est le second constat. Le programme Ariane 6 a été dimensionné pour les conditions de 2014. Or depuis, les prix ont baissé et la cadence minimale de 11 lancements par an sera très difficile à atteindre, et ce pour deux raisons.
D'abord une concurrence extrêmement féroce : en quelques années, l'entreprise d'Elon Musk, SpaceX, a divisé les prix par trois, multiplié ses capacités d'emport par huit et sa cadence de lancement par sept. La semaine dernière, l'entreprise a réussi un lancement avec un booster réutilisé pour la quatrième fois. Nous ne devons certes pas être naïfs : SpaceX a bénéficié de 9,5 milliards de dollars de contrats de la part des autorités américaines, souvent à des prix deux fois plus élevés que ceux pratiqués par l'entreprise sur le marché commercial. Mais nous ne devons pas être aveugles : contrairement à nos pratiques sur Ariane, cette aide ne finance pas l'exploitation du lanceur, mais - et c'est déjà beaucoup - surtout la R&D car le coût d'un lancement pour SpaceX est de l'ordre de 44 millions de dollars, ce qui lui permet de pratiquer un tarif de l'ordre de 50 à 60 millions de dollars, contre près de 150 pour Ariane 5. Et la concurrence devrait s'accroître dans la mesure où de nouveaux entrants arrivent : Blue Origin de Jeff Bezos par exemple.
Ensuite, les conditions de marché sont particulièrement incertaines : le coeur de cible d'Ariane, à savoir le marché des satellites en orbite géostationnaire, a connu un effondrement ces dernières années. Le relais de croissance des constellations en orbite basse peine, à ce jour, à convaincre. De plus les solutions d'emport de petits satellites en passager ne constituent qu'un complément de revenu faiblement rémunérateur.
À partir de ces constats, que pouvons-nous faire ?
D'abord, c'est un impératif : réussir la ministérielle de fin novembre, qui est particulièrement stratégique. Je regrette l'absence de la ministre, car nous aurions pu lui dire à quel point sa tâche est importante. Deux grandes orientations doivent être actées, pour un budget de 2,6 milliards d'euros sur les lanceurs.
En premier lieu, le soutien financier à la fin d'exploitation d'Ariane 5 et à la transition vers Ariane 6. On l'a dit, les conditions de marché ont évolué, ce qui rend nécessaire un soutien financier plus important de la part des États. C'est la condition de la garantie de notre indépendance d'accès à l'espace à court terme, qui est absolument essentielle.
Mais il faut aussi, en second lieu, préparer l'avenir. Et l'avenir, selon nous, passe par la réutilisation. C'est pourquoi nous appelons à miser dès aujourd'hui sur le réutilisable. Le Cnes estime en effet que la réutilisation du premier étage diminue de 30 à 50 % les coûts. Avec dix réutilisations, le coût du lancement d'un Falcon 9 de SpaceX tomberait à 29 millions de dollars !
Dans la mesure où le soutien de nos partenaires européens au principe d'indépendance d'accès à l'espace dépend en grande partie de la limitation du coût financier qu'ils ont à supporter, ne pas se lancer dans le réutilisable serait particulièrement dangereux. C'est toute la filière qui pourrait en pâtir ainsi que notre souveraineté. À la ministérielle, il faudra donc financer les programmes de préparation du futur : le nouveau moteur Prometheus, le démonstrateur d'étage réutilisable Themis et l'étage supérieur moins cher Icarus. Ces briques permettront de décider, dès 2022, du développement d'un nouveau lanceur réutilisable.
Enfin, l'entreprise Avio a connu un magnifique succès avec Vega C et nous pouvons, en tant qu'Européens, nous en féliciter. Elle souhaite aujourd'hui le faire grandir avec le programme Vega E. Mais cela pourrait créer une concurrence fratricide entre Ariane et Vega. Il faut s'opposer à un programme qui viserait à augmenter les performances de Vega C pour les rapprocher de celles d'Ariane : améliorer les performances intrinsèques de Vega C oui, mais les porter au niveau de celles d'Ariane, cela ferait courir le risque d'un combat fratricide et inutile. Nous préconisons donc une extrême prudence sur ce sujet.
M. Christian Cambon. - Il faut accompagner ces décisions prises à la ministérielle par une modernisation de notre politique industrielle en matière de lanceurs.
Le groupe de travail propose deux grandes orientations. Établir une préférence européenne. Des avancées notables ont eu lieu récemment, à l'Agence spatiale européenne, au sein de l'Union européenne et lors du conseil franco-allemand d'octobre dernier. C'est bien, mais cela mérite d'être traduit dans les faits.
Parallèlement, il faudrait étudier les possibilités d'augmenter la demande institutionnelle de services de lancements, car Ariane 5 est dépendante à 75 % du marché commercial, alors que plus de 60% des commandes passées à SpaceX sont des commandes publiques américaines ! Sur ce point, notre pays fait les efforts nécessaires dans le cadre de l'actuelle loi de programmation militaire, qui mobilise 3,6 milliards d'euros en vue d'assurer le renouvellement complet de nos capacités satellitaires (renseignement avec Cérès, télécommunications avec Syracuse IV, observation avec Musis).
Ce faisant, nous pourrions mettre en place une politique industrielle plus efficace, par laquelle le public garantit aux industriels des commandes agrégées au niveau européen et sur un horizon pluriannuel plutôt que de verser des subventions d'exploitation.
Mme Sophie Primas. - Deuxième grand principe : assouplir le principe du retour géographique. Vous connaissez le sujet : la production de SpaceX est intégrée alors que celle d'Ariane est éclatée car tout euro mis par un État dans un programme de l'Agence spatiale européenne doit revenir sur son territoire, à son industrie. Le retour géographique est nécessaire pour la plupart des programmes de l'ESA. Mais pour les lanceurs, dans un contexte de concurrence féroce, ce n'est pas tenable sans un ajustement.
En lien avec ce principe, le groupe de travail recommande de poursuivre la rationalisation de l'outil industriel au niveau européen. Ariane Group a fait des efforts, ses sous-traitants aussi. Mais ce n'est pas le cas de tous les industriels : il y a donc des marges de progression dans la rentabilité et l'efficience.
L'Europe doit donc pouvoir s'appuyer sur une industrie compétitive et maîtrisant la réutilisation pour maintenir ses parts de marché. Parallèlement, les pouvoirs publics européens doivent se mobiliser pour reconnaître l'autonomie d'accès à l'espace comme une condition de l'autonomie stratégique européenne et un relais de croissance pour notre économie spatiale. Cette mobilisation politique doit se traduire par des moyens budgétaires au niveau de l'enjeu, répartis équitablement avec nos partenaires européens.
La France doit, avec l'Allemagne et l'Italie - principaux États compétents sur les lanceurs -, assumer un leadership collectif pour proposer à l'Europe spatiale une ambition renouvelée et partagée par nos concitoyens. À l'heure où la construction européenne fait l'objet de tiraillements, l'Europe spatiale peut devenir sa nouvelle locomotive.
En somme, et c'est le titre que le groupe de travail propose de donner au rapport : il s'agit, à travers la politique des lanceurs, de restaurer l'ambition spatiale européenne. Pour résumer les quatre principales recommandations du groupe de travail cela passe par : miser sur le réutilisable, établir une préférence européenne, assouplir le retour géographique, s'opposer à l'établissement d'une concurrence intra-européenne.
Je crois que nous sommes parfaitement alignés avec les travaux de nos collègues, qu'il s'agisse de la commission des affaires européennes ou de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques. Je salue d'ailleurs Catherine Procaccia et Bruno Sido, qui maîtrisent parfaitement ces sujets, ainsi que le récent rapport de l'office publié suite à la table-ronde organisée le 29 octobre dernier, et qui a pu nourrir nos travaux.
M. Bruno Sido. - Les conclusions de ce groupe de travail vont dans le bon sens. Hélas, nous en avions déjà fait de semblables dans un rapport précédent que j'avais présenté avec Catherine Procaccia et elles avaient été reçues avec morgue, le mot n'est pas trop fort, en particulier celles qui concernaient les fusées réutilisables. À l'époque, seul M. Yannick d'Escatha, président du Centre national d'études spatiales, portait une vision claire du sujet. Il n'a pourtant pas été écouté. Pour des raisons industrielles et sociales, nous avons fait l'erreur de choisir de construire Ariane 6 avec des moteurs cryogéniques et non à poudre ; M. d'Escatha nous avait pourtant rappelé qu'il n'y avait jamais eu d'échec avec la poudre. Fort heureusement, nous avons tout de même prévu le ré-allumable pour les étages supérieurs. Ceci ne nous a pas empêchés de rester beaucoup plus chers que SpaceX, comme l'indique le rapport.
C'est aussi à juste titre que le rapport pointe du doigt les pratiques américaines peu libérales : l'activité de leurs lanceurs domestiques est soutenue par la demande institutionnelle, tandis que nous, Européens, allons chercher la concurrence, en affectant nos lanceurs à des missions commerciales. Si bien que nous n'utilisons pas assez la base de lancement de Kourou, qui coûte très cher et qui doit donc être utilisée, ainsi que nos lanceurs.
Je partage plus particulièrement l'analyse que vous avez faite du risque de concurrence entre les lanceurs Vega et Ariane 6.
Je souhaite que nous tirions deux leçons de ce qui a été dit. Tout d'abord, il nous faut prendre de l'avance, regarder l'avenir et anticiper sur les évolutions prévisibles de l'espace. De plus, en matière de politique européenne, il est essentiel que les Français ne se montrent pas hautains à l'encontre des Allemands, qui ont historiquement et très tôt su démontrer - Londres s'en souvient - leur savoir-faire en politique de l`espace. Les alliés se sont d'ailleurs arrachés les spécialistes allemands à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Les Allemands sont très bons et très forts dans le domaine spatial. Par conséquent, pour mettre en place une politique européenne véritablement efficace pour notre industrie, notre avenir et notre indépendance dans l'espace, il faut travailler d'égal à égal avec les Allemands, en dépit de nos puissants acteurs respectifs, tels que le Cnes, et de nos différences d'organisation.
Mme Catherine Procaccia. - J'attire l'attention depuis quelques années sur le fait que l'on conçoit les lanceurs sans vraiment réfléchir à l'avenir des satellites. Il y a huit ans, nous évoquions les satellites électriques et les constellations et nos propositions n'avaient certainement pas reçu l'attention qu'elles méritaient. Aujourd'hui, on sait qu'Ariane 6 doit pouvoir - et elle le fera sans doute - placer en orbite des constellations. Il est temps de réfléchir avec les fabricants sur les évolutions à venir des satellites. Nous parlons sans cesse de la politique des lanceurs en oubliant que ceux-ci sont faits pour lancer les satellites. Pourtant, ces deux filières spatiales ne travaillent pas toujours ensemble, malgré une récente amélioration due aux restructurations du secteur. Pour envisager la future Ariane 7, il est nécessaire de rapprocher ces deux filières et de travailler en bonne concertation sur ce que pourrait être l'avenir.
S'agissant du lanceur Vega, je partage les conclusions du rapport. Je note toutefois la ferme position italienne au sujet du développement futur de Vega : l'Italie tient absolument à l'évolution de son lanceur. Si, à l'occasion de la prochaine conférence ministérielle, nous adoptions une orientation jugée par l'Italie contraire à sa position, elle pourrait décider de diminuer son financement au projet spatial européen. C'est un des sujets difficiles de la prochaine conférence.
Mme Sophie Primas. - Ariane 6 reste un lanceur intermédiaire, à la jonction entre un lanceur qui marquerait une véritable rupture technologique et la merveilleuse Ariane qui a fait les beaux jours de l'espace européen. Il nous faudra mettre au point un lanceur qui sera dicté par le marché et l'évolution des satellites.
Effectivement, plusieurs enjeux - des enjeux territoriaux, sociaux, des enjeux de retour industriel et de primauté de l'industrie français - ont été pris en compte dans la décision de construire Ariane 6. Malgré les critiques, il est toutefois essentiel de noter la réduction de 30 à 50% des prix par rapport à Ariane. Cette réduction est le résultat d'importants efforts de l'industrie, qu'il convient de saluer. Les acteurs industriels ont su relever le véritable challenge de reconstruire ce lanceur en trois ans.
Je me joins à l'appel en faveur d'un leadership européen, à construire et à consolider avec les Allemands. Toutefois, le renforcement de notre partenariat et de ce leadership doit avoir pour prérequis la mise en place d'une préférence européenne, en particulier en Allemagne, qui a fréquemment recours à SpaceX.
Longtemps ont existé des écarts de vue très importants entre les acteurs du domaine des satellites, le CNES, et l'industrie de l'espace. Depuis plusieurs années, ces écarts ont été progressivement gommés, notamment lors de la conférence ministérielle qui s'est tenue à Naples en 2012. Un des enjeux essentiels de la prochaine conférence sera de préserver le budget afin d'une part, d'assurer la transition entre Ariane 5 et Ariane 6 et d'autre part, de travailler sur les prochaines étapes.
M. Bruno Sido. - Pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur les propos que j'ai précédemment tenus sur M. Yannick d'Escatha, permettez-moi de souligner que le travail effectué par Geneviève Fioraso, lorsqu'elle était en charge de ce dossier, était également remarquable.
Ariane 6 est une fusée de transition mais il est urgent d'anticiper et d'inventer l'avenir pour améliorer notre offre. De grands progrès ont été effectués : nous avons en effet divisé le coût d'Ariane 6 par deux, mais SpaceX va encore plus vite. Leur usine à Los Angeles - qui appartenait auparavant à Boeing - est remarquable : il y entre des taules et en sort des fusées. Notre organisation européenne, semblable à une Tour de Babel, est à revoir de fond en comble. J'espère que la conférence ministérielle visera loin et ne se trompera pas d'objectifs.
Mme Catherine Procaccia. - Est-ce que le commissaire européen en charge de l'espace Thierry Breton participe à la conférence ministérielle ?
Mme Sophie Primas. - A priori oui, mais c'est à vérifier.
M. Christian Cambon. - Il viendra d'entrer en fonction.
Pour conclure, il convient de remercier le groupe de travail de ses travaux base du rapport d'information que nous venons d'examiner. En matière de défense, notre commission avait déjà veillé, à l'occasion de l'examen de la loi de programmation militaire (LPM), aux moyens de la politique spatiale militaire. Aujourd'hui, il n'est pas de puissance militaire importante sans dimension spatiale. L'espace devient un théâtre d'opération.
La commission des affaires économiques et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées autorisent la publication du rapport d'information conjoint.
Mercredi 20 novembre 2019
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Sécurités » - Programme 152 « Gendarmerie nationale » - Examen du rapport pour avis
M. Philippe Paul, co-rapporteur des crédits de la gendarmerie. - Mes chers collègues, cette année encore, le budget de la gendarmerie nationale nous paraît préoccupant à plus d'un titre. Certes, le Général Lizurey nous a présenté la situation sous un jour plutôt positif, conformément à l' « esprit gendarmerie », qui est de chercher à remplir la mission le mieux possible avec les moyens disponibles. Pour notre part, nous ne sommes pas tenus par la même réserve ! Si les crédits de paiement du programme augmentent de 1,7 % par rapport au PLF 2019, cette augmentation provient essentiellement d'une hausse des dépenses de personnel de 2,5 %. Rappelons que le Président de la République a annoncé la création de 10 000 emplois sur la période 2018-2022 au sein des forces de sécurité intérieure. Dans ce cadre, la gendarmerie nationale bénéficie de 527 emplois au titre de 2020. Du fait de cette augmentation, les dépenses de personnel représentent désormais presque 86 % des crédits du programme. Avec un tel ratio, les effets des gels budgétaires sont particulièrement handicapants puisqu'ils impactent d'autant plus fortement les crédits de fonctionnement et d'investissement. Concernant justement ces crédits de fonctionnement, ils stagnent encore cette année. Je rappelle qu'entre 2006 et 2019, les dépenses autres que de personnel de la gendarmerie ont déjà connu une baisse de 6,5 %, pendant que les dépenses de personnel ont augmenté de 35 % ! Le budget de fonctionnement prévu au PLF 2020 permettra ainsi seulement de reconduire les dotations de fonctionnement courant des unités, les loyers de droit commun, le maintien en condition opérationnelle des systèmes d'information et de communication et des hélicoptères, ainsi que l'équipement des unités. Il n'y aura aucune amélioration des moyens dont disposent des gendarmes pour accomplir leurs missions quotidiennes. S'agissant par ailleurs de la réserve opérationnelle, désormais essentielle au fonctionnement quotidien de la gendarmerie, le constat est le même. Il y avait déjà eu de grandes difficultés en 2019. En 2020, il est prévu une réduction de 28 millions d'euros des crédits, ramenés de 98,7 M€ à 70,7 M€. Cette diminution va nécessairement peser sur les capacités opérationnelles. Je laisserai mon collègue Yannick Vaugrenard évoquer plus en détail la faiblesse tout aussi inquiétante des crédits d'investissement, notamment en ce qui concerne les véhicules légers. En effet, sur ce plan également, on est loin du compte avec seulement 1 600 nouveaux véhicules prévus en 2020. Pour ma part, je souhaite évoquer certains résultats de ces « ateliers d'idéation » qui ont permis au cours de l'année 2019 à la gendarmerie de réfléchir à son avenir avec l'appui de 1 500 réservistes citoyens. Le premier atelier portait sur le thème : « dégager des marges nouvelles pour investir ». L'une des propositions qui s'en est dégagée est assez radicale : « contracter significativement le maillage territorial par regroupements d'unités et fermer les brigades de moins de 10 gendarmes ». C'est en fait un sujet qui « est dans l'air » depuis plusieurs années à cause de la baisse des crédits destinés à l'entretien du parc immobilier, réductions qui font désormais craindre des fermetures de locaux pour des raisons de sécurité ou de salubrité. Une telle contraction du maillage territorial permettrait certes peut-être d'obtenir une meilleure rationalisation des moyens. Toutefois, elle signifierait surtout un recul des services publics de proximité, qui semble particulièrement peu pertinent dans le contexte actuel ! Relancer la fonction contact dans les brigades, comme l'a souvent évoqué le Directeur général, c'est une bonne chose, mais encore faut-il qu'il reste des brigades ! L'une des pistes alternatives envisagées pour maintenir une certaine présence territoriale tout en réalisant des économies est de s'appuyer sur la création des maisons « France service », dont 300 doivent ouvrir d'ici janvier 2020. Il s'agirait ainsi de profiter de la densité du maillage des brigades de gendarmerie et des plages horaires larges des gendarmes qui y travaillent pour y installer d'autres services publics. Dans l'esprit de ceux qui la soutiennent, une telle démarche permettrait de mieux rentabiliser la présence d'emprises foncières gendarmiques parfois sous-employées. Pour intéressante qu'elle paraisse, cette solution marquerait une forme de renoncement devant les efforts à fournir pour maintenir le maillage territorial qui fait la spécificité de cette force de sécurité en zone rurale et périurbaine. Il existe en effet une autre possibilité, celle défendue par le rapport de la commission d'enquête sur l'état des forces de police et de gendarmerie de nos collègues Michel Boutant et François Grosdidier : un renforcement des moyens planifié de manière pluriannuelle, via une nouvelle loi de programmation de la sécurité intérieure. La gendarmerie nationale se trouve ainsi en quelque sorte à la croisée des chemins : Soit les prochaines années verront une forte remise en cause de son modèle territorial, en partie compensée par des efforts drastiques de mutualisation avec d'autres services de l'Etat ; soit la Nation décide d'un effort d'ampleur en faveur du service public de la sécurité afin de remettre à niveau l'ensemble des moyens matériels sur lesquels s'appuient la gendarmerie nationale (et la police nationale) - pour remplir leurs missions au service de nos concitoyens. En conclusion, compte tenu de la nette insuffisance des crédits prévus pour le fonctionnement et l'investissement, je vous propose de donner un avis défavorable au programme « Gendarmerie nationale ». Je vous remercie et je passe la parole à Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard, co-rapporteur des crédits de la gendarmerie. - Je souhaite commencer mon intervention en soulignant les conditions de travail difficiles auxquelles sont de plus en plus souvent confrontés les gendarmes. Ainsi, au 30 juin 2019, la gendarmerie enregistre par rapport au 30 juin 2018 une augmentation de +11,5 % des agressions physiques ; une augmentation de +3,7 % du nombre de blessés à la suite d'agressions armées et une augmentation de 11,4 % du nombre de blessés à la suite d'agressions sans arme. Ces augmentations sont inquiétantes et doivent être condamnées fermement. Nous savons que la gendarmerie a eu affaire à forte partie au cours des deux années passées en matière de maintien de l'ordre. Certaines mesures ont été prises. Ainsi, en 2019, la direction générale de la gendarmerie nationale, la direction générale de la police nationale et la préfecture de police se sont réunies pour élaborer un schéma national de maintien de l'ordre (SNMO), sur la base des enseignements tirés des engagements des derniers mois, avec notamment un accent mis sur la formation des unités spécialisées comme des unités territoriales. Ce travail crucial toujours en cours doit absolument aboutir à un cadre juridique clarifié, adapté à la diversité des situations rencontrées. Autre sujet d'inquiétude pour les gendarmes, la réforme des retraites. En effet, alors qu'il était entendu qu'ils seraient traités comme les autres militaires, donc dans une logique statutaire, une déclaration récente du Président de la République a pu faire craindre que ce ne soit pas le cas. Le général Lizurey a indiqué pour sa part lors de son audition qu'il n'y avait pas d'inquiétude particulière à avoir sur ce sujet. Nous devrons en tout cas rester vigilants sur ce point. Par ailleurs, nous devons certes nous féliciter que le nombre de gendarmes augmente encore en 2020 avec 527 postes créés dans le cadre du plan mis en oeuvre depuis 2017. Toutefois, il faut noter que les gendarmes n'ont pas apprécié que sur les 10 000 postes créés, seulement 2 500 le soient pour la gendarmerie nationale. Une telle différence de traitement ne semble pas vraiment justifiée. En outre, augmenter les effectifs n'a de sens que si les équipements, les matériels et les véhicules permettent à ces nouveaux militaires d'exercer leurs missions. Avec la stagnation des moyens de fonctionnement et la diminution des crédits d'investissement, cela ne sera malheureusement pas le cas. Enfin, mon collègue ayant plus longuement évoqué les crédits de fonctionnement, je souhaiterais évoquer la situation de l'investissement. Alors que la situation n'était déjà pas brillante l'année dernière, on observe encore une diminution de ces crédits, puisque l'on passe de 174 millions d'euros en 2019, montant déjà en forte baisse par rapport à l'année précédente, à 165 millions d'euros dans le PLF 2020. Arrêtons-nous par exemple sur la situation du parc automobile de la gendarmerie. Au 1er janvier 2019, la gendarmerie nationale dispose de 30 350 véhicules dont 26 992 véhicules opérationnels. Le parc automobile présente un âge moyen de 7 ans et un kilométrage moyen de 110 000 km. Le parc deux-roues a un âge moyen de 5,7 ans et un kilométrage de 57 000 km. Un léger rajeunissement du parc a certes pu être constaté depuis 2018 grâce à la sortie prioritaire des véhicules atteignant les critères de réforme. Cela reste toutefois nettement insuffisant. De l'aveu même du ministère, le remplacement idéal serait de de 2 800 véhicules par an, soit environ 60 M€. En réalité, sur la période 2010-2019, en moyenne annuelle, environ 2 000 véhicules ont été acquis. En 2019, l'année en cours, on est à environ 1 950 véhicules. Loin de redresser la barre, au sein du PLF 2020, le budget consacré au renouvellement du parc de véhicules est de 43,6 M€, ne permettant que l'acquisition de 1 550 véhicules légers et 48 véhicules de commandement et de transmission pour la gendarmerie mobile. C'est évidemment très nettement insuffisant, d'autant que les habituels gels de crédit risquent de nous faire descendre bien en-dessous de ces 1 550 véhicules prévus ! J'en viens à présent à la question des investissements immobiliers. Le rapport de la commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité évaluait à environ 300 millions d'euros la dépense annuelle nécessaire pour entretenir un parc domanial tel que celui de la gendarmerie nationale selon les standards généralement admis. Les services du ministère eux-mêmes confirment cette évaluation qui recouvre deux aspects : 200 M€ seraient dédiés à la reconstruction de casernes et aux réhabilitations et restructurations de grande envergure ; 100 M€ seraient destinés aux travaux de maintenance. Or, qu'observe-t-on au sein du PLF 2020 ? Le plan de réhabilitation du parc immobilier domanial de la gendarmerie est certes poursuivi, mais avec des crédits en baisse. Ainsi, un montant d'engagements de seulement 83,1 millions, contre 90 M€ en 2019, est prévu. Même en y ajoutant les 15 millions d'euros prévus pour continuer à sécuriser les casernes, c'est 3 fois moins que ce qui serait nécessaire ! Comme nous l'ont clairement dit les membres du Conseil de la fonction militaire gendarmerie (CFMG), le moral des gendarmes est profondément affecté par l'état de l'immobilier, par les conditions dans lesquelles vivent leurs familles. Dans les casernes, les problèmes de sécurité, les fuites d'eau, les pannes d'ascenseurs sont permanentes. À Nantes, le GIGN a été forcé de réinvestir de vieux locaux qui doivent être vendus. Les travaux sont attendus depuis 2016. Devant la dégradation de la situation, une généralisation de la location est désormais évoquée. Ça ne serait sans doute pas de la très bonne gestion à long terme : mieux vaudrait faire l'effort d'investissement nécessaire et gérer le parc domanial, comme on dit traditionnellement en bon père de famille ! Au total, il ne me paraît pas acceptable que nos gendarmes soient nettement moins bien traités que leurs homologues des pays comparables à la France, comme c'est malheureusement le cas. En conséquence, je vous propose de donner un avis défavorable aux crédits du programme « Gendarmerie nationale ».
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Qu'en est-il du problème des dotations en carburant insuffisantes ? Par ailleurs, les maisons France Service intégrant les brigades de gendarmerie, ce n'est pas une bonne idée : il y aurait une perte de sécurité et d'image. C'est un peu la « foir'fouille » !
M. René Danesi. - En matière de renseignement territorial, la gendarmerie a des capteurs dans tous les milieux. Pourtant, le projet de loi de finances pour 2020 ne prévoit aucun crédit pour former des gendarmes aux langues étrangères ! Seuls 20 gendarmes connaissent l'arabe littéraire. Il faut absolument développer une politique de formation en ce domaine, au profit, en particulier, du renseignement gendarmique !
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Je partage l'avis de Mme Pérol-Dumont sur ces « supérettes » avec gendarmerie incluse. C'est aberrant. Concernant les moyens, j'ai auditionné des gendarmes des services de renseignement au cours des travaux de la commission d'enquête sur le suivi de la menace terroriste : ils paient l'addition avec leur propre argent lorsqu'ils invitent des gens à déjeuner dans le cadre de leur travail !
M. Richard Yung. - Je ne partage pas ces sentiments très pessimistes. Les crédits augmentent de 3 % après des années de baisse ; on est à presque 10 milliards d'euros de crédits et il y aura 527 postes en plus. Il y a eu d'importants projets en matière informatique, comme NéoGend. Sur l'immobilier, c'est vrai que la situation est difficile, mais on ne peut pas tout faire ! Je voterai pour ces crédits.
Mme Gisèle Jourda. - La question du maillage territorial dans le rural et l'hyperruralité est très inquiétante. Des brigades sont parfois supprimées alors même que leurs locaux ne sont pas vétustes. On a besoin des gendarmes dans les territoires de montagne. Il faudrait certes une représentation territoriale plus efficiente, mais sans oublier les territoires reculés.
M. Jean-Pierre Grand. - Le problème de l'immobilier est gérable pour les maires avec de la volonté et les bonnes informations. Il est crucial que nous soyons informés des projets de redéploiements autrement qu'au détour d'une visite ministérielle. La gendarmerie, ce sont des postes avancés de la République sur les territoires, cela a une dimension préventive. Il faut donc que nous soyons informés sur les modifications de la carte des implantations dans nos territoires.
M. Christian Cambon, président. - En petite couronne, toutes les petites gendarmeries ont été supprimées d'un trait de plume. Or elles étaient essentielles. Dans ma commune, les six gendarmes de la brigade se mêlaient à la population et avaient un rôle préventif. En outre le patrimoine de l'arme a été souvent bradé !
M. François Patriat. - Certes il y a eu des contractions de moyens, et des problèmes d'immobilier. Cela ne date pas d'hier. Aujourd'hui la gendarmerie est beaucoup plus visible sur le terrain et les gendarmes disent qu'ils ont des moyens pour cela. Les personnels augmentent. Ce n'est pas le nirvana, mais c'est mieux que par le passé : je voterai ces crédits.
M. Philippe Paul, co-rapporteur. - Le budget n'augmente que parce qu'il y a des recrutements. Les investissements, eux, diminuent. Pour les véhicules, certains craignent que moins de 700 seront acquis en 2021 ! Pour le carburant, les gendarmes disent qu'ils ne sont pas là pour faire des kilomètres. Certes, mais pour le GIGN, il n'y a pas de carburant pour les vols d'essai... Nous avons reçu le groupe de contact du Conseil de la formation militaire gendarmerie (CFMG) : ils nous ont indiqué qu'il y avait un bon coin des pièces détachées spécialement pour les gendarmes ! Pour ce qui est du maillage territorial, aucun plan n'est encore arrêté, mais il y a des propositions pour supprimer les brigades de moins de 10 gendarmes. Concernant les maisons France Service, bientôt on demandera au brigadier un paquet de nouilles après avoir porté plainte... Pour l'immobilier, les gendarmes se tournent actuellement vers les mairies. Mais les communes ne sont pas riches. On tourne donc vers les Conseils régionaux !
M. Yannick Vaugrenard, co-rapporteur. - Nous devrons effectivement creuser cette question des gendarmes qui utilisent leurs propres ressources dans le cadre de leurs missions. Lorsqu'il y a redéploiement, il est en effet indispensable que les élus locaux en soient informés pour qu'une co-décision puisse être élaborée. Je suis d'accord avec Richard Yung et François Patriat sur un point : les problèmes ne datent pas d'hier. Mais le phénomène des gilets jaunes, et une telle violence à l'encontre des forces de sécurité, cela nous ne l'avions jamais connu. La reconnaissance est donc encore plus nécessaire aujourd'hui qu'hier. Une enquête d'opinion auprès de plus de 13 000 gendarmes a montré que 60 % ne sont pas satisfaits de l'état de leur logement. 80 % des casernes ont plus de 50 ans. Dès lors qu'il y a davantage de postes, il devrait y avoir plus de moyens de fonctionnement et d'investissement. Le ministère dit lui-même qu'il faudrait au moins 2 800 véhicules supplémentaires chaque année ! Ce n'est pas un problème politicien. En outre, les véhicules blindés à roues de la gendarmerie ont plus de 45 ans de moyenne d'âge ! Les efforts à faire sont considérables. Enfin, il y a eu 33 suicides depuis le 1er janvier dernier, contre 14 sur la même période en 2010. Il y a donc un malaise qui doit être pris en compte. Nous souhaitons alerter le Gouvernement par ce vote négatif.
Les crédits du programme 152 « Gendarmerie nationale » sont rejetés par la commission, les quatre membres du groupe LREM s'étant prononcés en faveur des crédits et deux sénateurs s'étant abstenus.
Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Défense » - Programme 146 « Équipement des forces » - Examen du rapport pour avis
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Il nous revient de vous présenter les crédits du programme 146, structurant pour nos armées car il concerne l'équipement des forces et qu'il représente 27 % des crédits du ministère pour 2020.
Avec 12,6 milliards d'euros, il s'agit aussi du premier budget d'investissement de l'Etat.
Le fait majeur de ce deuxième budget de la nouvelle LPM, c'est naturellement la poursuite de la progression des crédits : + 1,7 milliard d'euros par rapport à 2019, soit une augmentation forte de 15,6 %. Nous sommes bien sur la trajectoire prévue par la LPM, et, globalement, nous pouvons en donner acte au Gouvernement.
Deux nuances doivent toutefois être apportées : d'une part, comme la ministre l'avait signalé lors de son audition, il y a un léger changement de périmètre, puisque certaines infrastructures nécessaires aux nouveaux matériels sont désormais rattachées au programme 146, et non plus au programme 212. Il s'agit de 320 millions d'euros qui sont désormais inscrits au programme 146. Même avec cette nuance, ce sont tout de même, à périmètre constant, près de 1,4 milliard d'euros de crédits qui viennent accroître l'effort d'équipement des forces.
Seconde nuance à apporter à cette hausse significative : les conditions de l'exécution de 2019. En effet, c'est une chose de majorer les crédits en loi de finances initiale. Encore faut-il tenir cet engagement sur l'exécution. Comme l'an passé, il y a, de ce point de vue, un bémol à apporter : d'une part, 70 millions d'euros sont annulés sur la mission défense : il s'agit d'une partie des crédits mis en réserve et qui sont supprimés. D'autre part, des transferts de crédits sont, une fois de plus, nécessaires pour financer le surcoût des OPEX. Comme le Président Cambon l'avait indiqué la semaine dernière, la part non financée du surcoût se montait à 400 millions d'euros. Une fois pris en compte une sous-consommation de 140 millions d'euros de crédits du titre 2 (dépenses de personnel) et le report d'un marché de MCO pour 57 millions d'euros, ce sont encore 284 millions qui restent à financer pour le surcoût des OPEX. Vous vous souvenez que nous avions rétabli dans la LPM le principe du financement interministériel du surcoût des OPEX. C'est ce principe, énoncé clairement dans l'article que le Sénat avait voté, qui n'est pas respecté aujourd'hui, comme l'an passé, puisque les différents programmes de la mission défense sont mis à contribution. C'est regrettable et il faut le dire. Pour le programme 146, ce sont 167 millions qui sont affectés au financement de ce surcoût.
Cela doit être un point de vigilance, car si l'épure est globalement respectée en 2019 et 2020, qu'en sera-t-il lorsque nous serons dans la seconde partie de la LPM, avec des marches à +3 milliards par an ?
Naturellement, ces transferts et annulation risquent de peser sur le report de charges. Le DGA nous assuré que l'impact devrait être limité cette année, mais là encore, la vigilance s'impose. Je rappelle que la LPM prévoit une trajectoire de réduction du report de charges, qui n'est finalement qu'une sorte de cavalerie budgétaire institutionnalisée.
Je voudrais maintenant m'attarder sur un dossier qui marque nécessairement la thématique de l'équipement des forces : le dossier de la coopération franco-allemande, et en particulier du SCAF (système de combat aérien du futur). Depuis l'audition du Délégué général pour l'Armement devant la commission début octobre, les dossiers franco-allemands ont bien avancé. C'est le cas pour le MGCS (Main Ground Combat System), système de combat terrestre du futur autour d'un char lourd. L'accord entre KNDS (la joint-venture de Nexter et KMW) et Rheinmetall, qui se dessinait lors de l'audition du DGA a été confirmé, et ce dossier semble désormais lancé, même s'il a pris un peu de retard. Naturellement, il conviendra de suivre dans la durée ce dossier complexe.
Par ailleurs, le dossier du SCAF a bien avancé. Reste la question du moteur, et plus particulièrement des rôles respectifs du français SAFRAN et de l'allemand MTU, qui travaillent à rapprocher leurs positions. Les points de vue des gouvernements des deux pays semblent converger. Lors de nos dernières auditions, on nous indiquait que le compromis proposé achoppait encore sur des réticences de MTU. Le problème devrait se régler avant la fin de l'année. Dans le pire des cas, si le blocage devait persister, le reste du projet pourrait être lancé, la question de la motorisation restant à définir. Pour ma part, je ne suis pas certain que cela se ferait au bénéfice de MTU, car il ne faut pas oublier qu'il demeure, à l'horizon, la question d'une éventuelle convergence avec le projet britannique Tempest. Or, parmi les domaines de prédilection des Britanniques, il y a, notamment, la motorisation, avec l'acteur majeur Rolls-Royce. Il n'est donc pas certain que l'industrie allemande serait gagnante à jouer les prolongations sur la motorisation...
Autre aspect fondamental de la coopération capacitaire franco-allemande : la question des exportations. L'accord conclu à Toulouse a désormais été publié. Il fixe un seuil de minimis en deça duquel un pays ne peut bloquer les exportations d'un produit. Ce seuil est de 20 %. Nous ne devrions donc plus rencontrer le problème des matériels dont l'exportation était bloquée parce qu'une petite pièce était fabriquée en Allemagne. Encore un exemple des convergences qui peuvent se dessiner progressivement.
Enfin, en ce mois où nous fêtons le neuvième anniversaire des accords de Lancaster House, et alors que les esprits se tournent vers les 10 ans de ces accords essentiels, il importe de rappeler l'importance que le partenaire britannique devrait conserver, quelle que soit l'issue du Brexit. L'année 2020 sera celle de l'actualisation de notre relation avec ce partenaire majeur, avec lequel nous partageons, entre autres, une culture opérationnelle. La France est prête à donner un nouvel élan à ces accords.
Au vu de ces différents éléments, je vous propose d'émettre un avis favorable aux crédits du programme 146.
M. Cédric Perrin, rapporteur. - Après la présentation générale des crédits qui vous a été faite par Hélène Conway-Mouret, je voudrais d'une part vous présenter rapidement la conséquence concrète des crédits inscrits, c'est-à-dire les matériels dont la livraison est prévue pour 2020, ainsi que les principales commandes effectuées, et m'attarder sur un dossier qui a particulièrement retenu mon attention, celui du drone européen de moyenne altitude-longue endurance MALE, dit Eurodrone.
Pour commencer avec cette question très sensible du drone MALE, je voudrais tout d'abord rappeler le contexte. Il s'agit d'un grand programme de coopération européenne. Airbus défense and Space est le leader du projet, pour environ 50 %. Dassault représente environ 35 %, et l'italien Leonardo les 15 % restant.
Je rappelle aussi que la dernière loi de programmation militaire (LPM) repose en partie sur l'hypothèse que nous parviendrons à équiper nos forces pour moins cher en travaillant en coopération européenne. L'idée est simple et connue : en mutualisant les coûts de développement, d'une part, et en augmentant le nombre d'exemplaires produits du fait des besoins cumulés des différents pays européens participant au programme, on espère obtenir un matériel de meilleur niveau, à un coût moindre.
Evidemment, ces objectifs louables contrastent avec les difficultés inhérentes à tout partage de la décision entre plusieurs pays. Les écueils sont de deux natures : le risque de sur-spécification. Concrètement, si chacun fait sa demande spécifique, qui diffère légèrement ou largement de celle des autres partenaires, on finit par chercher à produire un mouton à cinq pattes.
Second écueil : la logique industrielle, c'est-à-dire, pour parler crûment, l'absence de logique industrielle qui conduit d'abord, pour un pays, à réclamer la partie sur laquelle il est le moins compétent, pour chercher à monter en gamme et acquérir une compétence ; et ensuite la logique de retour géographique qui consiste à réclamer pour son industrie une part au moins égale à son financement du programme..
Quand on combine ces deux écueils, on rencontre les difficultés de l'A400M...
Toute la question de l'Eurodrone est donc de savoir s'il est parvenu à éviter ces écueils. Eh bien, nous sommes parvenus, dans le cadre de notre rapport sur le programme 146, à une conclusion peu rassurante. Il semble qu'il y ait une difficulté majeure sur le prix. Il semble que l'écart entre le prix attendu par la DGA et le prix proposé par les industriels soit de près de 30 %. Autant dire qu'il y a péril, car le risque est grand, qu'à ce prix-là, les Etats qui participent au programme n'achètent pas (sans même parler des perspectives d'exportation, qui seraient compromises par un prix trop élevé). La France a voulu être vertueuse, en n'annonçant à ce stade qu'une commande réaliste de 4 systèmes de drones MALE européen, quand l'Allemagne en annonce 7, et l'Espagne et l'Italie 5.
La tentation pourra alors exister, même pour les pays qui ont participé à ce programme, soit d'acheter un matériel non-européen, soit du moins d'acheter un vecteur sur étagère, pour y greffer une charge nationale. La faisabilité d'une telle solution de repli resterait évidemment encore à expertiser. Mais la question du prix se pose aujourd'hui de façon aigüe. Il reste quelques semaines aux industriels et à la DGA pour se mettre d'accord. Il faut souhaiter que ce dossier puisse évoluer de façon favorable, car rappelons que l'Eurodrone devrait être une des composantes du SCAF.
J'en viens maintenant aux livraisons. La trajectoire d'augmentation des crédits du programme 146 permet des avancées significatives, qui se traduisent par l'arrivée dans les forces, en 2020, de nombreux matériels :
Pour l'armée de terre, sont notamment prévus :
- 128 blindés Griffon (contre 3 en 2018 et 89 en 2019). Je précise que nous avons à nouveau contrôlé le niveau des livraisons actuel. Ont été livrés à ce jour 38 Griffon. 16 devraient être livrés d'ici la fin de la semaine prochaine, soit 54 à la fin novembre. L'objectif de 92 livrés à fin décembre semble donc possible, si ce rythme exigeant est tenu ;
- les 4 premiers Jaguar (successeur de l'AMX 10 RC) ;
- 12.000 fusils d'assaut HK 416F (soit 50 % de plus qu'en 2019) ;
- 7 hélicoptères NH90 Caïman ;
- 1.000 VLTP (véhicules légers tactiques polyvalents, successeur du P4) ;
- 1 système de drone tactique (SDT) Patroller, dont il est désormais prévu qu'il soit armé, comme le CEMAT nous l'avait confirmé lors de son audition, et comme le DGA nous l'a encore redit la semaine dernière, puisqu'une étude de levée de risques a été commandée. Il faut rappeler que, sans possibilité d'armer ce drone, ses perspectives d'exportation auraient été restreintes.
Pour la marine, ce seront bien sûr le Suffren (SNA de classe Barracuda), 2 ATL 2 rénovés, 2 hélicoptères NH90 Caïman Marine ;
Pour l'armée de l'air, les livraisons sont également très importantes :
- 2 A400M Atlas ;
- 1 MRTT Phénix (avion de transport et de ravitaillement) ;
- 1 ravitailleur KC-130J ;
- 2 Mirage 2000D rénovés ;
- 1 système Reaper.
Pour l'espace, puisqu'il convient désormais d'identifier ce domaine de façon spécifique, le deuxième satellite MUSIS/CSO.
Je passerai plus rapidement sur les commandes : il est prévu de commander en 2020, notamment, pour l'armée de terre, 271 Griffons, 364 Serval, 42 Jaguar, la rénovation de 50 Leclerc ; pour la marine nationale, 3 avions de surveillance Hawkeye, 7 avions de surveillance maritime et 2 modules de lutte contre les mines (programme SLAMF) ; pour l'armée de l'air, 4 C130-H rénovés et les 4 premiers systèmes MALE, si nous avons pu nous entendre sur le prix. En revanche, je rappelle pour mémoire qu'il n'y a pas de livraisons de Rafale prévues pour 2020 ni 2021, ce qui portera donc à 5 ans la durée sans livraison d'exemplaire neuf de cet appareil.
Au vu de ces différents éléments, je vous propose d'émettre un avis favorable aux crédits du programme 146.
M. Ladislas Poniatowski. - Vous avez évoqué un surcoût en discussion de l'ordre de 30 % sur le drone MALE. Comment peut-on expliquer un tel surcoût ?
M. Cédric Perrin, rapporteur. - Cette question nous a évidemment beaucoup préoccupé. Selon nos interlocuteurs, la raison n'en serait pas des surspécifications, dans le sens où les éléments demandés par les Etats ont été intégrés depuis 2017, comme par exemple le choix de la double motorisation. Il peut toujours y a voir des estimations qui divergent entre le client sur le prix des différents éléments du contrat. Il faut bien penser que le contrat ne porte pas que sur les drones eux-mêmes, mais aussi sur les matériels nécessaires à la formation, en l'espèce des simulateurs, le système de contrôle et même le début du maintien en condition opérationnelle.
Deuxième aspect important : l'appréciation du risque industriel lié au programme, et la question de savoir qui supporte ce risque, entre les industriels et les Etats clients. La position de l'industrie consiste, semble-t-il, à dire que si c'est elle qui supporte seule le risque du programme, cela s'intègre dans le prix global. La question du prix n'est donc pas qu'une question de coût de production d'un matériel, elle dépend aussi d'appréciation plus subjectives, et bien sûr les analyses peuvent diverger sur ce point. En tout état de cause, il faudra trouver un accord avant la fin décembre, si ce programme doit se concrétiser. Il faut souhaiter que cette négociation puisse aboutir, car il faut rappeler que le drone MALE européen a vocation à faire partie, à terme et dans une version qui aura évolué, du SCAF.
Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Défense » - Programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » - Examen du rapport pour avis
M. Pascal Allizard, co-rapporteur. - Il me revient de vous présenter tout d'abord le cadre budgétaire du programme 144. Il est cohérent avec le reste de la mission défense, et la trajectoire définie en LPM, à savoir l'augmentation progressive des crédits d'ici 2025.
De fait, les autorisations d'engagement (AE) devraient progresser de 8,4 %, pour s'établir à 1,77 milliard d'euros. Les crédits de paiement augmenteraient, eux, de 4,9 % pour s'établir à 1,55 milliard d'euros, soit une hausse de 72 millions d'euros par rapport à 2019.
Cette hausse des crédits profite en particulier à l'action « Prospective de défense », qui regroupe les études amont, les études prospectives et les subventions. Cette action représente presque les trois-quarts (73,9 %) du programme 144, et elle voit ses crédits progresser de 6 %, soit 65 millions d'euros.
Au sein de cette action, je vais m'attarder sur les crédits d'études amont, car ils représentent à eux seuls un peu plus de la moitié des crédits du programme 144 (53 %).
Les crédits d'études amont progresseront de 62,5 millions d'euros, pour s'établir à 821 millions d'euros. Notre commission avait réclamé dans son rapport « 2% du PIB : les moyens de la défense nationale » la remontée de ces crédits jusqu'à un milliard d'euros par an. Nous avions obtenu gain de cause en LPM, mais encore fallait-il préciser la trajectoire de progression, ce que nous avions ajouté au texte par un amendement. Nous commençons donc à sentir les effets de cette progression, puisque qu'elle est presque deux fois plus importante que l'an passé (+ 35 millions d'euros l'an passé). Il faut noter que, comme l'an passé, cette progression sensible est légèrement inférieure à ce qui était prévu dans la LPM de 2018. On attendait en effet à l'époque 832 millions de crédits d'études amont pour 2020.
Plus fondamentalement, cette présentation rapide des crédits inscrits au PLF 2020 ne dispense pas de regarder attentivement les conditions de la fin de gestion 2019.
Or, comme cela a été dit, le PLFR prévoit 70 millions d'annulations de crédits sur la mission défense, soit environ 9,7 millions pour le programme 144.
Il nous a été indiqué par le Délégué général pour l'Armement que ces annulations n'auraient pas d'incidences matérielles concrètes, dans la mesure où certains programmes auraient connu des retards qui emportent aussi un décalage des études amont. C'est par exemple le cas du programme de char du futur MGCS (Main Ground Combat System), pour lequel les premières études n'interviendraient pas avant le printemps 2020.
Je voudrais enfin évoquer à nouveau avec vous la situation de l'ONERA, office dont la subvention est inscrite au programme 144. Nous vous avions présenté l'an dernier la situation fragile de cet établissement qui porte pourtant une forme d'excellence française en matière aéronautique. Nous appelions l'an passé à reconsidérer les moyens de l'ONERA, et en particulier la trajectoire quasi-plane de la subvention que lui versait l'Etat, dans le cadre d'un contrat d'objectif et de performance (COP). Cela nous semblait d'autant plus légitime que d'une part la LPM prévoyait le redressement de notre effort de défense, et que d'autre part la France s'engageait avec l'Allemagne dans l'ambitieux projet du SCAF.
Nous avons cru, en début d'année, avoir été entendus. En effet, lors de sa visite à l'ONERA en janvier, la ministre des armées a semblé ouvrir des perspectives favorables. Vous vous souvenez que cela nous avait d'ailleurs été confirmé ici même par le DGA début octobre. Malheureusement, il apparaît que la réalité du PLF pour 2020 est tout autre.
D'une part, la subvention n'évolue pas favorablement. En effet, elle passe de 104,7 millions d'euros à 105,7 millions d'euros, soit une hausse d'un million d'euros. Mais il faut savoir qu'en 2019 l'Etat apportait également 2 millions d'euros de dotation en fonds propres. L'effort de l'Etat pour l'Office diminue donc en réalité d'un million ! S'ajoute à cela le fait que l'ONERA, contrairement aux années précédentes, ne serait plus exemptée de la mise en réserve de crédits, ce qui diminuerait encore son budget disponible de 2 millions d'euros. Un autre indicateur pertinent, en cette période d'augmentation des crédits, est l'évolution des emplois : l'ONERA perdra en 2020 11 ETP (équivalents-temps plein).
Cette cure prolongée d'austérité budgétaire a des conséquences fortes sur les ressources humaines de l'Office, dont le niveau de rémunération est, toutes choses égales par ailleurs, inférieur par exemple à celui constaté à la DGA, et, bien évidemment, très inférieur à celui trouvé dans les entreprises privées du secteur aéronautique ou aérodynamique. Une étude de l'AID montre ainsi que, si l'on voulait payer les personnels de l'ONERA au niveau où ils seraient payés à la DGA, il faudrait 5 millions pour combler l'écart.
Autre exemple assez parlant : le budget de l'équivalent allemand de l'ONERA, dont nous avions évoqué déjà l'an passé le dynamisme : la subvention de l'Etat allemand au DLR est passée de 130 millions d'euros par an au début de la décennie à 180 millions en 2017, et elle continue d'augmenter rapidement. Il est évident que nous ne pourrons pas conserver longtemps notre position de référence européenne dans ce domaine si nous y mettons beaucoup moins de moyens que nos partenaires et concurrents allemands.
Très franchement, on a du mal à comprendre cette situation. Tout le monde en France, et même au niveau mondial, salue l'excellence de l'ONERA. Et dans le même temps, dans un budget de défense qui augmente de 1,7 milliard, le Gouvernement et la DGA ne trouvent pas les quelques millions qui redonneraient une bouffée d'air à cette pépite technologique.
Dans ces conditions, je me réjouis que nous ayons la possibilité d'entendre ici dans 15 jours le P-DG de l'ONERA, pour que vous ayez la possibilité de vous faire une idée par vous-même des enjeux de cette situation.
Voici donc les réserves et les nuances qu'il me paraissait utile d'apporter à ce budget du programme 144 qui reste, globalement, positif car marqué par un accroissement sensible des crédits. Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
M. Michel Boutant, co-rapporteur. - L'ONERA est effectivement une pépite technologique. Il faut avoir conscience que nous nous dirigeons vers un rôle important confié au DLR allemand pour les études du SCAF. On ne comprend pas bien pourquoi l'ONERA n'a pas été retenu.
J'en viens à l'examen des crédits inscrits au programme 144, pour les services de renseignement relevant du ministère des armées, c'est-à-dire la DGSE et la DRSD, comme d'ailleurs ceux inscrits pour la rémunération de leurs personnels au programme 212.
Le niveau des menaces auxquelles notre pays est confronté, tel qu'il a été décrit par la LPM 2019-2025 n'a pas diminué. Il justifie les efforts conduits dans le domaine du renseignement. Le PLF 2020 est, de ce point de vue, en phase avec la loi de programmation et se traduit par un renforcement des moyens des services.
Je formulerai deux observations.
Première observation : le PLF 2020 traduit, en autorisations d'engagement, le lancement de programmes d'investissements capacitaires.
Hors titre 2, les crédits attribués à la DGSE progressent de 13 % en autorisations d'engagement : 375,75 millions d'euros dont 329,49 pour l'agrégat équipement. Les CP ne progressent que de 2 % (348,3 millions d'euros), ce qui correspond à un point bas du cycle des investissements techniques. Mêmes éléments, s'agissant de la DRSD dont la dotation progresse de 4,46 % en CP (16,4M€) et de 49 % en autorisations d'engagement (23,4 M€).
Les crédits de fonctionnement sont maîtrisés et progressent à un rythme modéré mais nécessaire à l'accueil des nouveaux personnels et à raison d'un niveau élevé d'engagement opérationnel.
S'agissant des équipements, pour la DGSE cela concerne principalement l'intensification et la consolidation capacitaire des grands programmes interministériels et de la cyberdéfense, qui font également l'objet en cours d'exercice de transferts de crédits complémentaires des services du Premier ministre et du ministère des Armées. En effet, la France ne s'est pas dotée d'un service technique de renseignement, comme la NSA aux États-Unis et le GCHQ en Grande-Bretagne. Les grands programmes sont donc développés par la direction technique de la DGSE au profit de l'ensemble des services de la communauté du renseignement et certaines capacités cyber sont partagées avec les Armées. Il est donc logique que le financement de ces programmes soit mutualisé.
Pour la DRSD, il s'agit de renforcer les capacités de ce service tant pour la mise en oeuvre de ses missions de contre ingérence d'une part, de détection et de réduction des vulnérabilités dans la sphère de la défense d'autre part. Je rappelle que c'est la DRSD qui, dans la sphère de la défense, réalise les enquêtes préalables aux habilitations et les contrôles élémentaires pour l'accès à des zones protégées ou à régime restrictif, comme pour le recrutement des militaires. Pour l'une et l'autre de ces missions, elle a besoin d'outils plus modernes afin d'automatiser certains traitements des données pour améliorer son efficacité.
Ses nouvelles orientations montrent que dans un monde où la collecte des données, notamment en source ouverte, est massive, la performance d'un service se mesurera par ses capacités à exploiter intelligemment l'information recueillie.
Dans l'un et l'autre service, un accent est également mis sur les capacités de cyberdéfense.
S'agissant des infrastructures immobilières, les programmes, que j'avais détaillés l'année dernière, se poursuivent, financés sur les crédits du programme 144 s'agissant de la DGSE, sur le programme 212 pour la DRSD puisque c'est le service des infrastructures de la défense (SID) qui réalise les travaux. Dans l'un et l'autre cas, il s'agit de construire de nouveaux bâtiments permettant d'accueillir plusieurs centaines de collaborateurs et de consolider les réseaux d'alimentations des capacités techniques.
Deuxième observation : des améliorations en matière de gestion des ressources humaines doivent être soulignées.
La DGSE bénéficie sur la période 2019-2025 de 722 créations d'emplois, 89 en 2019 et 65 en 2020. Hors service action et renforcement cyber des Armées, elle emploiera 5 754 agents fin 2020. Le montant des crédits de titre 2 progressent en conséquence pour atteindre 358,89 millions d'euros en 2020 (hors CAS pensions). Compte tenu de sa notoriété et de son autonomie, la DGSE ne rencontre pas de difficultés majeures de recrutement. La DRSD devrait connaître cette année encore un renforcement de ses effectifs qui atteindront 1 523 fin 2020. La création de 30 emplois est programmée. Ces dernières années, elle ne parvenait pas à pourvoir tous les emplois créés : elle avait un retard de 128 unités fin 2018 sur son schéma d'emploi. Les dispositions prises, tant pour améliorer la communication et le recrutement, que pour fidéliser certains agents, y compris par un assouplissement des règles de rémunération, commencent à porter. La DRSD a réduit cet écart de moitié en 2019. Elle devrait l'avoir comblé en 2020. En conséquence, les crédits du titre 2 progressent de 1,4 % à 121,76 M€.
On observe toutefois, dans les deux services, une baisse significative des personnels militaires surtout au niveau des sous-officiers en raison de la difficulté des armées à fournir les personnels nécessaires suite aux années de déflation et à leur difficulté actuelle de remontée en puissance. Cela est compensé dans la plupart des cas par le recrutement de civils, principalement des contractuels, mais cela n'est pas toujours possible dans certaines spécialités et pour pourvoir certains postes déployés à l'extérieur dans les zones de guerre.
En outre, les difficultés de recrutement et de fidélisation dans les spécialités à viviers limités demeurent. C'est une préoccupation pour l'ensemble des services de renseignement que le dernier rapport de la délégation parlementaire au renseignement a mise en exergue. Elle est prise en compte par le Coordonnateur national du renseignement qui a défini un cadre d'action entre les services. Ajoutons que des assouplissements sont désormais possibles s'agissant des niveaux de rémunération et la durée des contrats.
Le problème n'en demeure pas moins structurel, dans certaines spécialités. Il me paraît nécessaire que des politiques d'orientation et d'incitation soient mises en oeuvre pour réduire ces tensions notamment dans les filières de formations scientifiques, à défaut la France aura, à terme, des difficultés à suivre les pays concurrents ou adversaires dans le domaine du renseignement technique, de la cyberdéfense et de l'intelligence artificielle, et ne sera pas à l'abri d'un décrochage dans les technologies avancées.
Sous le bénéfice de ces observations, et pour ce qui concerne spécifiquement le programme 144, mon appréciation est favorable à l'adoption des crédits de la mission Défense.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Dans nos échanges avec les industriels dans le cadre du programme 146, il nous a été dit que, dans un certain nombre de domaines, nous avions pris vingt ans de retard sur les Américains. La remontée en puissance des crédits d'études-amont est-elle à la hauteur des enjeux et du retard pris ?
Nous constatons des difficultés de recrutement et de fidélisation sur certains emplois dans les armées et y compris dans les services de renseignement. Y-a-t-il des réflexions en cours pour palier à ces difficultés ?
M. Jean-Pierre Vial. - Concernant l'ONERA, je souhaite rappeler les très importants travaux qui ont été faits pour consolider les installations des grandes souffleries. Ces investissements lourds sont justifiés par le fait qu'il s'agit d'installations parmi les plus performantes du monde. On ne peut être que très inquiet de voir qu'il est envisagé de passer commande des études ailleurs. Comment accepter que la France gâche ses capacités technologiques et accepte d'être supplantée par d'autres pays européens ?
M. Olivier Cadic. - Je souhaiterai attirer votre attention sur la nécessité d'harmoniser les niveaux de classification avec nos alliés dans le cadre des échanges d'information que nous réalisons dans le cadre de coalition, ce qui limite nos capacités à les utiliser facilement. Un processus est engagé en France depuis quatre ans. Il serait souhaitable que cette réforme aboutisse.
M. Pascal Allizard, co-rapporteur. - En réponse à Hélène Conway-Mouret, je dirais qu'il y a plusieurs facteurs qui peuvent ralentir la remontée en puissance. Il y a le caractère très centralisé, autour de la DGA, de notre organisation institutionnelle. De ce point de vue, l'AID n'a pas encore complètement trouvé sa place. Quant aux crédits d'études amont, il faut aussi savoir qui va bénéficier des nouveaux crédits. Il y a notamment un espoir des industriels du matériel terrestre que leur secteur puisse en bénéficier un peu plus que par le passé.
Concernant ensuite l'ONERA, je voudrais ajouter à l'équation la question de la pyramide des âges, qui n'est pas favorable puisque de nombreux départs en retraite sont attendus dans les 5 ans qui viennent. Comment remplacer ces départs si l'office ne peut offrir des rémunérations au niveau ?
Pour la question relative aux règles de protection du secret de la défense nationale, elles ne relèvent pas de ce programme du ministère des Armées et je ne peux donc apporter une réponse précise, tout en partageant cette préoccupation.
M. Michel Boutant, co-rapporteur. - S'agissant des recrutements qui vont être très importants dans les années à venir, il y a désormais une ouverture des services de renseignement qui n'hésitent plus à communiquer dans les salons et forums pour étudiants ou directement dans les établissements universitaires et les grandes écoles.
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Défense » - Programme 178 « Préparation et emploi des forces » - Examen du rapport pour avis
M. Christian Cambon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'examen des crédits du programme 178 « Préparation et emploi des forces ».
M. Jean-Marie Bockel, co-rapporteur. - Les crédits de paiement du programme 178 augmentent de 13,8 % par rapport à 2019 pour s'établir à 10 milliards d'euros, soit 1,21 milliard supplémentaire en crédits de paiement (CP).
Le transfert d'une partie des crédits d'infrastructure depuis le programme 212, soit 879 millions d'euros, explique l'essentiel de cette progression. Il s'agit de redonner de la subsidiarité aux armées et aux commandements locaux en leur confiant la main sur la gestion des infrastructures opérationnelles.
Deuxième cause d'augmentation des crédits du programme : la progression des ressources dédiées au financement des opérations extérieures, soit 250 M€ pour atteindre 850 millions d'euros au programme 178 sur les 1,1 milliard d'euros désormais consacrés aux OPEX. Cette « sincérisation » du budget des OPEX nous évitera, espérons-le, les difficultés de fin de gestion connues en 2019 et dont Hélène Conway-Mouret a parlé à l'instant.
L'augmentation des dépenses de fonctionnement de 4 %, soit 350 millions d'euros supplémentaires, permettra notamment de financer des locations d'aéronefs pour l'instruction, -et ce n'est pas un luxe, nous connaissons tous les retard de formation dus à l'indisponibilité des équipements-, la hausse tarifaire des énergies et le plan famille. Est concernée en particulier l'accélération du déploiement des espaces ATLAS pour Accès en Tout temps et en tout Lieu Au Soutien. Le Directeur central du service du commissariat des armées, que nous avons auditionné, nous a présenté ces espaces multiservices qui rassemblent dans une pièce un maximum de prestations du commissariat, de l'institution de gestion sociale des armées (IGESA), mais aussi les prestations des services municipaux et de la CAF. Ils désengorgent les groupes de soutien des bases. De 26 espaces ATLAS aujourd'hui, on passera à 200 à terme, afin de rapprocher le soutenu du soutenant en veillant à renforcer le lien humain.
Ceci s'inscrit dans le cadre de la responsabilisation des commandements annoncée l'année dernière. Après avoir auditionné le major général des armées, deux constats s'imposent qui plaident en faveur de cette réforme.
Les armées sont confrontées à des générations plus exigeantes envers l'institution et plus mobiles dans leur vie professionnelle ; nos rapporteurs, Joël Guerriau et Gilbert Roger, en charge des ressources humaines, nous alertent d'ailleurs sur le défi que représente la fidélisation. Si les lieutenants quittent les rangs, qui seront les prochains colonels ? Dans ce contexte, les tracasseries administratives, les lourdeurs de mise en oeuvre des services de soutien sont plus sensibles que jamais.
Or, pour préserver les armées en temps de restriction budgétaire, les services de soutien ont été l'objet de grands sacrifices. Face aux réductions de personnels, ils ont été organisés selon une logique de « bout en bout » pour favoriser leur efficacité-métier qui a mis à mal la cohérence organique des armées. Réaffirmer la « militarité » des soutiens est indispensable au bon fonctionnement de nos armées qui doivent pouvoir ainsi accomplir leur contrat opérationnel, en temps de paix, de crise ou de guerre.
C'est bien ce que propose la réforme en oeuvre qui redonne des leviers au commandement opérationnel et aux armées sans pour autant remettre en question les structures organisationnelles qui prévalent actuellement dans les soutiens. L'instruction ministérielle sur les commandants de base de Défense (COMBdD) leur redonne des leviers budgétaires et le pouvoir de décider localement des priorités d'aménagement par exemple. Des dérogations aux modalités d'achats publics des armées visent également à apporter de la souplesse dans la gestion des bases de défense. Dans le même temps, le Commissariat central met en place des guichets uniques - nouvelle génération.
Enfin, l'évolution remarquable de 2020 concerne la contraction des moyens du programme 178 dédiés à l'entretien programmé du matériel (EPM), soit une diminution de 3,7 % par rapport à 2019. Cette évolution est due au retour à la normale après le pic de ressources exceptionnelles de 500 millions d'euros votées lors de l'actualisation de juillet 2015 de la LPM 2014-2019. La LPM 2019-2025 prévoit de consacrer 4,4 milliards d'euros par an à l'EPM, soit 22 milliards d'euros sur la période de programmation. J'ai en la matière deux recommandations.
Tout d'abord, nous devons rester particulièrement attentifs à la progression des coûts unitaires du maintien en condition opérationnelle qui augmentent. Aucune amélioration n'est à attendre, qu'il s'agisse d'entretenir des flottes ou parcs vieillissants ou neufs. Le risque d'une envolée exponentielle de ces lignes budgétaires doit nous alerter et inciter le ministère à prendre cette dimension en compte dans la réforme de la maintenance en cours. Réforme qui marque un vrai changement d'orientation de l'organisation du MCO au profit de l'externalisation de marchés d'entretien des équipements aéronautiques globaux et verticalisés sous la houlette de la Direction de la maintenance aéronautique (DMaé) que nous avons auditionnée. Désormais, pour un équipement, tous les contrats d'entretien sont regroupés, confié à un seul industriel en charge de l'entretien, de la gestion des stocks de rechange et de la disponibilité de l'équipement concerné. C'est un changement de paradigme. Il nous faut veiller à la réalisation des objectifs de la performance et à l'encadrement de l'évolution des coûts. C'est le capital opérationnel de notre armée qui est en jeu !
Deuxième recommandation, l'augmentation de la disponibilité technique opérationnelle doit être au rendez-vous. En 15 ans la disponibilité des aéronefs a baissé de 10 points et est globalement inférieure à 50 %, tandis que les coûts de maintenance ont augmenté de près de 40 %. La disponibilité technique de l'A400M était de 31 % du parc au 31 août 2019, celle du Caïman Marine de 29 %, celle du Rafale Marine de 41 %. Les progrès enregistrés sur la flotte FENNEC seront plus difficiles à obtenir pour les Rafale. Ce dossier requiert notre attention. Nos interlocuteurs ont bien conscience de notre vigilance et de nos attentes de résultats.
Enfin mes chers collègues, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 178.
Mme Christine Prunaud, co-rapporteure. - Conforme à la programmation, ce budget suscite quelques inquiétudes que nous avions pointées lors de la préparation de la LPM dans un contexte de suremploi des équipements et de dépassement des contrats opérationnels.
Le programme 178 est au coeur de la mission défense car il porte les crédits de la préparation opérationnelle de nos armées, gage de notre réactivité, de notre efficacité et de la sécurité des personnels. Or l'activité opérationnelle reste inférieure aux objectifs fixés, de près de 10 %. La situation est préoccupante pour les trois armées.
Ainsi, la cible de 90 jours de préparation opérationnelle pour l'armée de terre n'a plus été atteinte depuis 2015, elle est de 81 jours depuis 2017 et aucun progrès n'est prévu en 2020. Ceci induit l'allongement de la durée de mise en oeuvre du contrat opérationnel ! Pour 2019 le contrat d'intervention ne peut être tenu que moyennant une adaptation du dispositif de gestion de crise et un accroissement du délai de montée en puissance de 9 à 12 mois des 15 000 hommes prévus par le contrat opérationnel. De même, les nouvelles normes d'entraînement sur cinq matériels majeurs en service dans les forces : dont notamment le Leclerc, le VBCI et le VAB, ne seront réalisées qu'à 57 % en 2020.
Pour l'armée de l'air, le défaut d'entraînement se traduit par la perte progressive de certaines compétences, des difficultés dans la formation des jeunes équipages et l'abandon de l'entraînement des équipages aux savoir-faire non sollicités en opération. Cela pourrait se traduire à terme par la perte de savoir-faire indispensables, notamment pour la capacité d'entrer en premier. La capacité de l'Armée de l'air à intervenir dans une situation mettant en jeu la sécurité de la France a été revue à la baisse dans le cadre du PLF pour 2020, passant de 75 % à 70 %. C'est bien sûr l'indisponibilité des Mirage 2000D et des avions de transport tactique qui pertube la préparation opérationnelle.
Enfin, pour la marine, les niveaux de préparation sont tributaires de la régénération des potentiels humain et technique. Malgré le retour du porte-avion Charles de Gaulle dans le cycle opérationnel, la disponibilité insuffisante des équipements, tels que les frégates d'ancienne génération, les bâtiments de commandement et de ravitaillement ainsi que les flottes d'ATL2 (avion de patrouille maritime) et les hélicoptères, plafonne les capacités d'entraînement des marins.
Nous avons fait adopter dans la cadre de la LPM des amendements pour que l'urgence de la remontée de la préparation opérationnelle soit affirmée. Il nous faut continuer d'attirer l'attention du Gouvernement sur ce sujet essentiel.
Dans le cadre de la préparation de cet avis budgétaire, nous avons poursuivi l'examen attentif de l'exercice de leur mission par les grands services de soutien, éternels sacrifiés du ministère ayant subi de plein fouet les déflations de personnels puis la remontée en puissance de la FOT qui les a mis sous tension.
Depuis 2014, le SSA a perdu 1 600 hommes soit 8 % de ses effectifs. Le service dispose de 700 médecins des forces, il lui en manque toujours 100 ! La stabilisation des effectifs du SSA jusqu'en 2023 et leur remontée modérée au-delà ont amélioré les perspectives, notamment dans la relation du service aux réservistes. Vous m'avez entendue vous alerter ces dernières années sur l'importante contribution de ces derniers à la projection en OPEX du SSA. Entre 10 % et 20 % du contrat opérationnel du SSA en OPEX est en effet assuré par des réservistes. Cette tendance était inquiétante dans une trajectoire de déflation des effectifs du SSA, elle ne l'est plus dans la nouvelle perspective dessinée par la LPM. Au contraire, les relations entre le SSA et les réservistes me semblent fructueuses. Elles permettent de pourvoir le service en tant que de besoin en attendant que des médecins et infirmiers supplémentaires soient formés, et les besoins sont réels chez les chirurgiens orthopédistes ou les dentistes. Elles garantissent également l'irrigation des savoir-faire du SSA au sein de notre société lorsque les réservistes retournent à leur pratique.
En compagnie de la Générale Maryline Gygax Généro, directrice centrale et Médecin général des armées, que notre commission a entendue à votre initiative, Monsieur le président en janvier dernier, la visite du centre de transfusion sanguine des armées (CTSA) la semaine dernière, m'a permis une fois encore de rencontrer des personnels de très haute qualité dont l'engagement et le dévouement sont exemplaires. Nous devons soutenir la modification des décrets permettant la prise en compte de la spécificité des missions du SSA : notamment l'abaissement de l'ancienneté requise des infirmiers menant les entretiens préparant les dons du sang de deux ans à un an, et les conditions de dépôt d'urgence de plasma lyophilisé universel. C'est un domaine dans lequel le SSA excelle, produisant ce plasma pour d'autres pays, notamment les États-Unis, sur fourniture de leur propre plasma et contre paiement naturellement. N'oublions pas que la recherche et l'innovation font partie des missions du CTSA.
Cette nouvelle trajectoire positive se traduit enfin par la mise en oeuvre du nouveau modèle hospitalier militaire, la poursuite de la remontée en puissance de la médecine des forces, avec notamment la mise en oeuvre des nouvelles antennes de réanimation, de chirurgie et de sauvetage. Nous devrons rester attentifs car ces antennes, indispensables à notre capacité à entrer en premier sur les nouveaux théâtres d'opération, sont financées au prix de renoncement sur d'autres équipements.
Mes chers collègues, ces services de soutien sont une des raisons pour laquelle je ne voterai pas contre l'adoption des crédits du programme 178. Sur ce programme, je m'abstiendrai.
M. Joël Guerriau. - Je m'interroge beaucoup sur tout ce qui touche l'externalisation. Il semble préférable qu'elle bénéficie à des entreprises françaises. D'une manière générale, l'efficacité est indispensable dans l'action militaire, et connaître des difficultés liées à un matériel défaillant que l'on n'entretient pas soi-même est un risque inutile.
Concernant les uniformes, lors d'une commémoration à laquelle je me suis rendu, avec Philippe Paul, à l'école navale, il faisait très froid, il pleuvait et un peloton était en chemisette. On m'a expliqué que cela tenait à la livraison d'uniformes dont la couleur n'était pas conforme qui avait dû être renvoyée. J'ai également vu récemment des marins dont les chaussures, lors d'un embarquement en mer, présentaient des fermetures défectueuses. Ce n'est pas bon pour le moral des troupes. Ce n'est certainement pas un élément favorable à la fidélisation des personnels. Avant les uniformes étaient fabriqués par l'armée elle-même. Aujourd'hui on externalise ces prestations, avec des résultats qui ne sont pas à la hauteur des attentes légitimes.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Sur le soutien médical des forces, j'aimerais savoir, au vue de la pénurie que connait notre pays en matière médicale, notamment le manque de médecins, si les armées sont confrontées à un problème de recrutement et de fidélisation de leurs personnels soignants ? Et le cas échéant, quelles en sont les conséquences ?
M. Jean-Marie Bockel, co-rapporteur. - Il y a deux aspects sur l'externalisation, et ce n'est pas une problématique nouvelle : on distingue ce qui doit être externalisé et ce qu'il ne vaut peut-être mieux pas externaliser. L'externalisation n'est pas un mauvais choix en soi, lorsqu'elle est confiée notamment à de bons industriels, de bonnes entreprises, si possibles françaises. Ce n'est pas le rôle de l'armée que de tout faire soi-même, je pense aux uniformes par exemple.
Nous avons eu le débat ces dernières années sur les excès d'externalisation, et on s'est rendu compte, en raison d'une présence plus importante sur les théâtres extérieurs qu'il était parfois bon de faire soi-même, sur le terrain, lorsque cela touche le plan opérationnel ou la qualité de vie du soldat déployé. Je crois que ces sujets-là ont été surmontés de manière pragmatique au cas par cas. Cela ne veut pas dire que tout soit parfait et il est normal de souligner les incohérences, lorsqu'on les rencontre. C'est un premier aspect.
L'autre aspect est plus prosaïque. Il s'agit de distinguer le « bon travail du mauvais travail », ou pour le dire autrement, il y a, au sein des armées, une entité responsable de la qualité des matériels et équipements utilisés, qu'ils soient produits en interne par des services de l'armée ou externalisés à des prestataires ou industriels. Que ce soit sur des questions de nourriture, ou d'habillement, comme dans l'exemple donné de l'uniforme, le Commissariat des armées doit intervenir et veiller au respect du cahier des charges. Des procédures idoines existent, permettant de sanctionner les défauts constatés. Je ne sais pas si tel est le cas dans l'exemple cité, mais la responsabilité du Commissariat peut aussi être mise en question si des demandes ont été mal formulées ou à contre temps. C'est lui qui doit en assumer la responsabilité dans de tels cas.
Mme Christine Prunaud, co-rapporteure. - Le problème de recrutement et de fidélisation du SSA est le même que celui que connaît nos hôpitaux publics. Il manque 100 médecins, mais la Directrice centrale du SSA, lorsque je l'ai rencontrée, m'a indiqué être satisfaite de la trajectoire prévue par la LPM. Elle a pris des mesures favorisant le recrutement des infirmiers et des médecins, mais le temps de formation est long. Les perspectives sont positives, ce qui est nouveau, les années précédentes, le SSA était sur le fil du rasoir.
Ainsi les réservistes me semblaient un moyen de pallier les manques d'effectifs et leur proportion augmentait, ce que je n'acceptais pas facilement. Dans une trajectoire haussière des effectifs du SSA, leur participation aux projetions du service est une force. Les réservistes, spécialistes, interviennent sur un temps limité et enrichissent le SSA avant de diffuser les bonnes pratiques du service dans le monde civil.
Les personnels du SSA sont des gens très engagés, très dévoués, ce qui compense en partie les difficultés liées à la fidélisation. Ce ne peut toutefois être la seule réponse. La féminisation pose aussi des défis particuliers de conciliation entre la vie personnelle et professionnelle qui sont désormais traités.
Je n'ai en revanche pas de chiffres précis à vous donner sur les niveaux de rémunération et les différentiels entre le secteur public ou privé et le secteur militaire.
M. Christian Cambon, président. - Je remercie les rapporteurs.
Vote sur l'avis de la commission sur les crédits de la mission « Défense »
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Défense », le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste votant contre.
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
Proposition de loi permettant à tout médaillé militaire ayant fait l'objet d'une citation à l'ordre de l'armée de bénéficier d'une draperie tricolore sur son cercueil - Examen des amendements
M. Jean-Louis Lagourgue. - J'interviens en parfait accord avec mon collègue Jean-Pierre Decool, auteur de la PPL et au nom du groupe Les Indépendants : cette proposition de loi sera retirée avant son examen demain. Je voulais vous dire que nous avions souhaité, à travers cette proposition de loi, renforcer les droits des militaires qui ont combattu pour la France. L'essentiel pour nous était que nos soldats n'aient pas à quémander ce qui leur revient, ce qu'ils ont mérité par leur bravoure et leur dévouement, et qu'ils en soient mieux informés. Nous voulions des avancées concrètes pour eux, et il ne s'agissait pas d'inscrire un nom sur une loi. Les critiques formulées en commission la semaine dernière n'étaient pas toutes pertinentes : cette PPL concernait les militaires et n'enlevait rien aux autres composantes de la Nation. Par ailleurs, cette PPL ne visait à favoriser aucun corps mais à distinguer le courage de celles et ceux qui se sont battus pour défendre la France, ses valeurs et ses intérêts. Nous avons eu l'occasion de dire et de rappeler que la rédaction du texte était perfectible. Nous avons nous-mêmes fait une proposition d'amendements, ceux de Joël Guerriau, dont certains ici ont partagé l'esprit et que nous tenons à remercier. Ces amendements n'ont pas été adoptés par la commission et aucune proposition alternative n'a été formulée. Nous avons simplement été invités à retirer la proposition de loi, et ce, dès le stade des auditions. Un retrait anticipé n'aurait cependant eu aucun effet positif sur les droits de nos soldats. Convaincus que le droit existant pouvait et devait être amélioré, nous avons continué à travailler. Le droit à la draperie tricolore sur son cercueil est subordonné à la détention par le militaire de la carte du combattant. Cette carte permet en outre aux soldats de bénéficier de plusieurs autres avantages. C'est donc sur ce sujet que nous avons tenté d'obtenir des avancées concrètes. Nous avons obtenu plusieurs engagements écrits de la Secrétaire d'État, Madame Darrieussecq. L'ONAC se rendra désormais dans les unités de retour d'OPEX pour informer les militaires sur leurs droits et les modalités à accomplir ; le ministère s'est en outre engagé à développer les demandes collectives de cette carte au sein des unités ; les ressources humaines des armées s'assureront enfin que tout militaire éligible à la carte du combattant en ait été individuellement informé. Notre objectif principal est assez largement atteint, même si nous aurions préféré une inscription dans la loi. Jean-Pierre Decool décide par conséquent de retirer sa proposition de loi. Chers Collègues, même si nous avons pu avoir quelques différences de vue sur la méthode, je suis certain que nous nous réjouissons tous de ces avancées.
M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie pour ces éclaircissements. Les assurances données par le Gouvernement pour faciliter l'accès à la carte du combattant et au TRN vont dans le bon sens : il n'était pas acceptable que ceux qui y ont droit ne puissent pas en bénéficier à cause de la complexité du dispositif. Nous sommes toutefois tenus de donner notre avis sur l'unique amendement à la proposition de loi, avant la demande de retrait officielle de celle-ci.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Cet amendement est le même que celui que nous avons examiné et rejeté la semaine dernière. Je vous propose donc de donner le même avis défavorable. Je voudrais surtout dire combien je suis sensible aux propos prononcés par M. Lagourgue : l'intention de cette proposition de loi était bonne, des avancées ont été obtenues.
M. Joël Guerriau. - Personne ne sait qui a droit au drapeau tricolore : il fallait donc que le problème soit posé !
L'amendement 1 rect bis reçoit un avis défavorable de la commission.
La réunion est close à 12 h 10.