Mercredi 30 octobre 2019
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 10 heures.
Groupe de suivi de la loi Egalim, dressant un bilan du titre 1er de la loi Egalim un an après sa promulgation - Présentation du rapport d'information
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le rapport du groupe de suivi de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim). C'est un rapport très attendu, tant la situation de nos agriculteurs est aujourd'hui critique. Il dresse un bilan de l'application de la loi un an jour pour jour après sa promulgation par le Président de la République. L'adoption de la loi Egalim a suscité, dans les campagnes, l'espoir d'un remède à l'ensemble des maux dont souffre l'agriculture française et en particulier l'espérance d'une augmentation significative du revenu agricole. Qu'en est-il ? Quelles sont les conséquences de la loi sur la formation des prix et des revenus ? Sur quels sujets devrons-nous être particulièrement vigilants ?
M. Daniel Gremillet, président du groupe de suivi. - Au lendemain de la promulgation de la loi Egalim, notre commission s'est dotée d'un groupe de suivi, dont l'ambition est de suivre les effets de la loi tout au long de son existence sur l'ensemble des acteurs : les citoyens, les consommateurs, les distributeurs, les industriels, mais aussi et surtout, les agriculteurs.
Je ne reviens pas sur la méthode. En moins d'un an, notre commission a organisé plusieurs tables rondes pour que les producteurs, industriels et distributeurs puissent rendre compte de leur appréciation de la loi Egalim. Nous avons entendu la ministre Agnès Pannier-Runacher pour avoir eu les résultats des négociations commerciales en 2019. Le groupe de suivi a mené, en parallèle, plus de vingt auditions, tant d'acteurs institutionnels que d'entreprises individuelles, dont nous devons taire les noms pour protéger le secret des affaires. L'idée était de se forger notre opinion à partir des avis recueillis sur le terrain.
Notre travail a porté, pour l'instant, sur le suivi des ordonnances prévues dans la loi et plus généralement sur son titre Ier, à savoir celui qui porte sur les relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire. Pourquoi le titre Ier ? Tout simplement, parce qu'il a été le premier à être applicable. Dès le début de l'année prochaine, le groupe de suivi se penchera sur les effets du titre II, dont une partie significative des dispositions entrera en vigueur à compter de 2020. C'est un travail indispensable à mener sur les charges supplémentaires que cela représentera pour nos agriculteurs et les collectivités territoriales en matière de restauration collective.
Notre objectif n'est pas de dire, moins d'un an après son adoption, que la loi Egalim ne fonctionne pas - le titre Ier repose sur une expérimentation qui dure deux ans. L'idée est davantage de distinguer, à froid, ce qui fonctionne de ce qui ne fonctionne pas et de proposer les mesures d'adaptation les plus nécessaires, lorsque l'urgence le justifie.
La présidente l'a rappelé, l'adoption de la loi a suscité une immense espérance sur le revenu des agriculteurs. C'était l'un des objectifs de la loi et c'est un point crucial pour l'avenir de notre agriculture. Comment peut-on, au XXIe siècle, assurer le renouvellement des générations en agriculture, quand la promesse de revenus à venir est insuffisante ? C'est un défi immense pour la France qui va voir un tiers de ses exploitants partir à la retraite avant 2030.
Le Sénat l'a toujours dit, la loi Egalim ne pourra répondre à elle seule à cet enjeu majeur. L'affirmer, c'était déjà mentir aux agriculteurs, car cette loi ne vise qu'une petite partie de ce qui constitue le revenu des exploitants. Selon l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, les recettes d'un agriculteur sont aujourd'hui composées à 36 % de la consommation alimentaire, à 27 % des subventions publiques, notamment celles de la politique agricole commune (PAC), et à 30 % de l'export.
En retenant les parts de marché de la restauration collective et de la grande distribution, le titre Ier de la loi Egalim entend agir, au mieux, sur moins d'un cinquième des recettes des agriculteurs. Or, pour traiter le revenu de l'agriculteur, il faudrait également agir sur la PAC, sur l'export, mais aussi et surtout sur les charges des agriculteurs, car le compte de résultat d'un exploitant a bien une colonne recettes, mais aussi une colonne charges. Mais, sur tous ces autres plans, nous reculons. Cela étant dit, il importait d'étudier les effets de cette loi sur l'ensemble de la chaîne alimentaire et de repérer les effets pervers qu'elle pourrait avoir afin, au besoin, de proposer des ajustements.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure du groupe de suivi. - Un an après son adoption, les effets de la loi Egalim pourraient se résumer ainsi : un peu d'inflation pour le consommateur qui ne se retrouve pas dans les revenus des agriculteurs.
La loi a relevé le seuil de revente à perte (SRP) sur les denrées alimentaires de 10 % et a encadré les promotions en magasin afin que l'argent supplémentaire dépensé par le consommateur puisse ruisseler vers le revenu de l'agriculteur.
La loi prévoyait de déclencher une augmentation des prix en grande surface, ce qui est arrivé dans des proportions limitées. L'inflation se situerait, selon les panélistes, entre 0,3 % et 0,8 % sur l'ensemble des produits du magasin et serait supérieure, évidemment, sur les produits alimentaires, sans doute entre 1,1 % et 1,2 %. Elle serait bien plus forte sur les produits d'appel, notamment les alcools et les produits frais à base de matières premières non transformées comme le beurre.
À lire la presse de la semaine dernière, on pourrait penser que cette inflation retrouvée en grande surface démontre la réussite de la loi. Rappelons simplement que l'objectif de la loi est d'améliorer le revenu de l'agriculteur, et non d'augmenter l'inflation pour nos consommateurs. Or, du point de vue du revenu de l'agriculteur, la loi a des effets bien plus limités.
D'une part, son mécanisme assis sur des indicateurs notamment de coût de revient servant de base à la construction des prix des contrats agricoles a dû mal à se mettre en place. De tels indicateurs ont bien été dégagés dans certaines interprofessions, mais pas dans toutes. Par exemple, l'interprofession bovine et ovine n'est parvenue à ce stade qu'à dégager non pas un indicateur, mais une méthodologie de calcul de l'indicateur.
La prise en compte des indicateurs, en outre, n'assure pas une couverture du coût de revient, y compris dans les contrats les plus emblématiques signés entre la grande distribution et quelques industriels. Des accords-cadres dans le domaine du lait calculent, par exemple, entre 20 % et 30 % du prix du lait en référence à un indicateur de coût de production fixé autour de 350 euros, lui-même largement inférieur à celui qui est fixé au niveau interprofessionnel de 396 euros. On le voit, nous sommes encore loin de l'espoir d'une rémunération des agriculteurs au moins au niveau de leur prix de revient.
Par ailleurs, le déploiement des indicateurs dans les contrats ne se fait pas sans mal. La loi prévoyait par exemple un renouvellement des accords-cadres et des contrats dans les secteurs à contractualisation obligatoire au premier semestre 2019 - je pense notamment au lait. Or, à ce stade, très peu de contrats et accords-cadres ont été renouvelés pour se mettre en conformité avec le code rural et de la pêche maritime. Les autorités de contrôle compétentes doivent vérifier dans les plus brefs délais le respect de cette obligation de mise en conformité avec ce que la loi Egalim a prévu.
D'autre part, alors que la distribution savait qu'elle allait bénéficier du SRP, elle a signé avec les industriels, lors des négociations commerciales de 2019, des accords en déflation de 0,4 %, selon l'Observatoire des négociations commerciales. Sans retour aux industriels, il apparaît difficile d'espérer un meilleur revenu aux agriculteurs. En tout état de cause, et comme cela nous a été indiqué lors des auditions, les agriculteurs n'ont pas vu la couleur du ruissellement. Le ministre de l'agriculture n'a d'ailleurs pas dit autre chose lundi en affirmant que « concernant la loi Egalim, pour l'agriculteur, le compte n'y est pas ». En résumé, à ce stade, il y a eu de l'inflation pour le consommateur, mais pas de revenu pour l'agriculteur !
Mais alors, où est passée la hausse des prix liée au relèvement du SRP encaissée par la grande distribution ? Premièrement, la grande distribution a baissé les prix sur les produits des marques des distributeurs (MDD). Deuxièmement, elle a baissé les prix sur les produits des rayons non soumis au SRP, à savoir les produits du rayon droguerie, parfumerie et hygiène. Ces produits, du type brosses à dents ou gels douche, sont devenus les produits d'appel dans les catalogues de la grande distribution, où les promotions sont parfois supérieures à 60 % ou 70 %. Il en résulte une déflation des prix sur ces produits de l'ordre de 1,1 % depuis un an. Troisièmement, les distributeurs ont mis en place des contournements de l'encadrement des promotions pour limiter l'effet sur le consommateur. Voici deux exemples :
- les remises ne disent plus « 5 euros offerts pour l'achat d'un pot de Nutella de 5 euros », mais « 5 euros offerts pour l'achat de 5 euros dans le rayon pâte à tartiner » ; on ne peut plus dire « un foie gras acheté, un foie gras offert », mais on peut dire « un foie gras acheté, une boîte de caviar offerte ». Si les produits sont différents, il n'y a aucun problème. Le vice peut être poussé jusqu'à proposer une bouteille de champagne brut offerte pour une bouteille de champagne demi-sec de la même marque achetée... La grande distribution fait preuve d'une grande créativité pour trouver les moyens de contourner la loi ;
- enfin, la grande distribution a soit accordé des hausses de tarif soit conservé une partie de cette marge, la situation financière du secteur étant toujours difficile. De ce fait, nombre de difficultés ont été reportées sur les PME.
Dans ces conditions, l'année 2020 sera le juge de paix. Il faudra observer les résultats des négociations commerciales annuelles, bien sûr, mais aussi les résultats des négociations sur les produits MDD qui constituent une part significative du revenu de l'agriculteur.
À l'heure actuelle, le bilan n'est, en tout état de cause, pas convaincant en ce qui concerne le revenu des agriculteurs.
M. Michel Raison, rapporteur du groupe de suivi. - Il est clair que le ruissellement annoncé n'a pas eu lieu. J'ai d'ailleurs coutume de dire que, pour faire ruisseler de l'aval vers l'amont, il faut une bonne pompe de relevage...
Venons-en aux effets de la loi Egalim dans les rayons des grandes surfaces. Les effets quantitatifs de la loi sont limités pour l'agriculteur. Néanmoins, ses effets qualitatifs dans les rayons de la grande distribution sont majeurs.
La loi Egalim, en revalorisant le SRP, a sans doute eu l'effet inverse de ce qui était attendu par le Gouvernement. Je cite l'étude d'impact du projet de loi initial : « Le relèvement du SRP vise à renforcer l'équilibre général de la négociation au profit des entreprises de taille petite ou moyenne grâce à une meilleure péréquation entre produits. »
L'idée était donc de revaloriser nos PME et ETI françaises. Or la loi a pour l'instant un effet contraire. D'une part, les grandes marques sortent renforcées, puisqu'elles voient leur part de marché augmenter de 0,8 point depuis le début d'année dans les rayons - cela est normal, puisque les distributeurs font plus de marges dessus. D'autre part, compte tenu de la hausse des prix des produits de grandes marques, les produits MDD sont revalorisés, car leur avantage prix devient plus intéressant pour le consommateur. Les MDD gagnent pour la première fois depuis 2012 des parts de marché dans les rayons.
Mais si en volume elles s'en sortent, les MDD souffrent d'un déplacement de la guerre des prix sur leurs produits, car la grande distribution a tendance à se différencier désormais sur ces produits, notamment par le prix. Plusieurs distributeurs ont ainsi annoncé une baisse des prix sur les MDD dès le début d'année pour compenser la hausse du SRP sur les produits des grandes marques.
Si les grandes marques et les MDD sont revalorisées en rayon, ce sont les PME qui perdent des parts de marché et sont donc les principales victimes de la loi. Alors qu'elles représentaient plus de 80 % de croissance de la grande distribution, les PME ne portent la croissance des ventes que pour 32,7 % cette année.
Les PME souffrent également particulièrement de l'encadrement des promotions en volume. Toutes les PME que nous avons reçues - certes, il ne s'agit que d'un échantillon -nous ont signalé des difficultés compte tenu de cette mesure. Trois effets sont à signaler.
Premièrement, pour les meilleurs élèves, ceux qui n'avaient pas besoin de vivre avec beaucoup de promotions, le plafond de 25 % est devenu un plancher. Les industriels ont dû augmenter, et donc payer, des promotions, alors qu'ils vivaient très bien sans auparavant.
Deuxièmement, les produits saisonniers souffrent particulièrement de cet encadrement. Ces produits se vendent avec de fortes promotions, en avril pour le chocolat ou en décembre pour le foie gras. Or, sans soutien promotionnel qui incite les consommateurs à réaliser leurs achats, ces filières ne s'en sortent pas. La filière foie gras fait état d'un recul des ventes de 25 % en volume depuis le début d'année, certains industriels constatant un recul de 50 % de leur chiffre d'affaires cette année après plusieurs années de croissance.
Sur cette filière, les distributeurs réduisant les rayons de ces produits qui se vendent moins sans promotion, les industriels se font la guerre pour gagner les quelques places restantes dans les rayons, mais aussi sur les marchés restants, notamment à l'export. La mesure a ainsi paradoxalement recréé une dynamique de guerre de prix pour ces produits. Pour les producteurs de champagne, le recul est évalué à 21 % en volume sur le premier semestre dans les grandes surfaces. Il en va sans doute de même pour le saumon fumé ou le chocolat. Si rien n'est fait, des entreprises fermeront.
Troisièmement, les PME ne peuvent plus utiliser les promotions comme outil marketing et ne sont donc plus concurrentielles par rapport aux budgets publicitaires des grandes marques. Une PME de Haute-Saône, de Côte-d'Or ou des Vosges ne peut pas se payer une publicité après le journal télévisé de 20 heures, contrairement à la grande marque opérant sur son marché. Là encore, faute de soutien promotionnel, certaines PME ont perdu depuis le début d'année plus de 30 % de leur chiffre d'affaires.
L'encadrement est donc trop rigide - nous l'avions dit au Sénat lors des débats. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) partage ce point de vue, puisqu'elle s'est octroyé le droit, dans une circulaire, d'exonérer une entreprise de son choix de l'application de la loi, ce qui est tout de même extraordinaire... Je ne suis pas certain que l'administration puisse décider seule de soustraire à la volonté du législateur une entreprise sans condition. Il conviendrait de réfléchir à une solution pour donner de la sécurité juridique à cette possibilité de dérogation.
La loi pénalise donc lourdement les PME et déplace la guerre des prix sur les produits MDD. Enfin, elle pénalise également les coopératives, en proposant une révision intégrale du droit coopératif. Cela revient à changer tout le droit pour régler quelques cas isolés.
Le Sénat avait estimé que le champ d'habilitation prévu dans le projet de loi qui nous était soumis était trop large - il revenait à signer un chèque en blanc au Gouvernement. En commission mixte paritaire, nous avions proposé un encadrement de ce dernier qui avait été repris in fine par le rapporteur de l'Assemblée nationale et figure donc dans le texte final de la loi.
Ne pouvant plus s'appuyer sur un champ d'habilitation trop large, le Gouvernement s'est appuyé sur une autre ordonnance prévue dans la loi pour appliquer aux coopératives le principe de la responsabilité pour prix abusivement bas. Cela revient à assimiler une coopérative à une société commerciale, ce qui risque de fragiliser son équilibre financier compte tenu de la lourdeur des sanctions financières pouvant être prononcées par le juge. Or, jamais dans les débats parlementaires - ce point est partagé par le rapporteur de l'Assemblée nationale -, nous n'avions évoqué l'idée de soumettre les coopératives agricoles à une responsabilité pour prix abusivement bas. Le Gouvernement est sorti du champ de l'habilitation à légiférer par ordonnance sur le sujet des coopératives agricoles. C'est un passage en force qu'il faut dénoncer et que nous ne pouvons accepter. Cela revient à priver les parlementaires d'un débat important sur les coopératives.
La loi Egalim en revient donc à pénaliser les PME sur les volumes, les MDD sur les prix et les coopératives. Voilà peut-être le paradoxe de cette loi : l'adoption de ses mesures dites commerciales aboutit à ce que les entreprises les plus proches des agriculteurs français soient les plus pénalisées ! Les grands gagnants sont actuellement la grande distribution, les grandes marques et l'État, compte tenu des recettes de TVA supplémentaires induites par la hausse du SRP.
M. Daniel Gremillet, président du groupe de suivi. - Ce nouvel équilibre des rapports de force, s'il venait à se poursuivre, serait insatisfaisant. Il faut l'avoir en tête et voir si l'année prochaine ces premiers résultats sont confirmés. J'ajoute que la situation semble urgente pour trois acteurs.
Tout d'abord les PME, notamment celles qui produisent des produits saisonniers. Il convient de les exclure du champ d'application de l'encadrement des promotions.
Ensuite, les industriels fabriquant des produits à forte composante de matière première comme le porc. Les charcutiers, compte tenu de la peste porcine africaine, sont ainsi pris en étau entre des tarifs fixes avec la grande distribution et la hausse du cours de leur matière première. La clause de renégociation des prix est une procédure trop longue pour eux. Nous proposons d'expérimenter la mise en place d'une clause de révision des prix dans ces filières particulièrement concernées, solution que nous avions déjà défendue lors de la loi Egalim.
Enfin, les coopératives qui peuvent voir leur modèle remis en cause, si l'ordonnance restait en l'état. Une modification pour revenir à l'esprit de l'habilitation initiale est nécessaire.
Notre rapport propose de déposer une proposition de loi au nom du groupe de suivi pour traiter ces trois urgences. Il faut que cette proposition soit ramassée afin qu'elle puisse prospérer. Notre esprit n'est pas de contester l'intégralité de la loi Egalim. Ce serait d'ailleurs fortement prématuré, moins d'une année après son adoption et alors que l'expérimentation de deux ans sur le SRP et les promotions n'est pas encore terminée. Toutefois, notre groupe de suivi est là pour évaluer la loi et la corriger au fur et à mesure, là où c'est nécessaire. Répondre aux appels du terrain, c'est aussi tout mettre en oeuvre pour que cette loi fonctionne.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie pour la précision et la clarté de ces informations. Je sais que vous avez été très sollicités par les entreprises. En tout cas, la méthode que nous avons mise en place permet un contrôle méticuleux de l'application de la loi, ce qui est très positif - c'est quelque chose de très important, que nous devrons garder en mémoire.
Mme Marie-Christine Chauvin. - Je remercie les rapporteurs de cette brillante et synthétique présentation.
Malgré la hausse des tarifs du lait de 1 %, le ruissellement n'a pas eu lieu : les producteurs n'ont pas bénéficié de cette augmentation et les prix restent beaucoup trop bas.
La peste porcine fait flamber le coût du porc : + 45 % en moins d'un an. Si c'est une opportunité pour les producteurs, les industriels charcutiers sont coincés entre la hausse des prix des matières premières et les prix fixes qu'ils négocient annuellement avec la grande distribution. Pouvez-vous préciser votre solution ? Sans action, leur compétitivité est en danger.
M. Henri Cabanel. - Depuis que j'ai été élu en 2014, c'est la première fois que je me sens complètement investi dans mon mandat de législateur. Nous votons beaucoup de lois, mais un problème de méthode se pose, car les études d'impact en amont ne sont pas suffisamment approfondies et nous n'évaluons pas assez les lois que nous votons. Aujourd'hui, nous évaluons les conséquences de la loi Egalim et les objectifs fixés : le partage de la valeur. On s'aperçoit qu'il reste des trous dans la raquette. Il n'y a pas une agriculture, mais des agricultures, dont certaines dépendent des saisonnalités.
Il est essentiel de poursuivre ce travail et de continuer à formuler des propositions. Au-delà de la guerre des prix et du partage de la valeur qui n'advient pas, ce qui compte, c'est la communication que l'on peut faire autour de cette situation. Car, si les agriculteurs continuent d'être confrontés à une perte de leurs revenus et les consommateurs à payer le prix fort, les marges des différents acteurs de la filière - transformateurs et distributeurs - sont souvent indécentes. Il faut le dénoncer !
Je prendrai un exemple. Je vends du vin avant mise en bouteille à 90 centimes d'euro le litre, que je retrouve dans un restaurant à 16 euros la bouteille de 75 cl ! Tout le monde est en train de tuer la poule aux oeufs d'or. À ce rythme, on n'aura bientôt plus d'agriculteurs.
M. Jean-Claude Tissot. - Force est de constater que l'objectif de cette loi, qui aurait dû régler la question de la répartition des marges, n'est pas atteint. Les consommateurs ont subi une hausse de 0,83 % des prix alimentaires entre les mois de janvier et février 2019, date à laquelle le relèvement du seuil de revente à perte est entré en vigueur : ils paient plus cher, mais les agriculteurs n'en bénéficient pas. Où vont les marges ?
Que faut-il penser de la proposition de déléguer à un prestataire privé le travail d'enquête de la DGCCRF ? Je rappelle que cette structure doit garantir la traçabilité et l'équité du circuit alimentaire.
M. Franck Montaugé. - Je souligne l'approche très pertinente du travail mené par ce groupe de suivi : il s'agissait non pas de critiquer à tout-va la loi Egalim, mais de poser un diagnostic.
Si la démarche des états généraux de l'agriculture était bonne et constituait un excellent début, elle a généré beaucoup d'attentes, mais les promesses n'ont pas été tenues. Les filières sont-elles allées au bout de cette démarche ? Se sont-elles interrogées sur l'organisation de leur production ? Si la réflexion autour de la construction des prix n'a pas été menée à son terme, les filières n'en sont-elles pas responsables ?
Nous sommes dans un temps d'expérimentation de la loi Egalim. Il y a urgence pour les agriculteurs et les producteurs, dont beaucoup se trouvent en grande difficulté. Je suis très inquiet face à la deuxième lame qui va arriver avec le budget de la future PAC, dont nous savons tous qu'il va se traduire par des diminutions très sensibles sur les aides directes comme sur le deuxième pilier. La question des coûts de revient des producteurs ne doit-elle pas être prise en compte dans le calcul des aides de la PAC ?
Il faut reconnaître ce que l'agriculture apporte à notre société, notamment au regard des enjeux environnementaux, climatiques et en matière de biodiversité. La reconnaissance que doivent en tirer nos agriculteurs doit se traduire de manière sonnante et trébuchante.
La DGCCRF est mandatée par le ministère pour réaliser le contrôle des prix de 6 000 produits. J'ai du mal à comprendre que, à l'ère de l'intelligence artificielle, on ne soit pas capable d'enregistrer systématiquement ce qui se passe du champ jusqu'à la fourchette. Cela nous permettrait d'avoir une base scientifique exhaustive et d'en tirer des conclusions pertinentes. Sur ce sujet, j'en appelle à l'État : il faut mobiliser ces techniques nouvelles au bénéfice de nos producteurs.
M. Laurent Duplomb. - Je salue à mon tour l'analyse menée par le groupe de suivi. Malheureusement, ses conclusions correspondent à ce que nous pensions depuis le début, lors des débats sur la loi Egalim. Et je fais partie de ceux qui l'ont exprimé très fort.
Le principal problème est que nous n'arrivons pas
à avoir un débat global qui prenne en compte toutes les
composantes de l'agriculture. Résultat, on en revient toujours à
ajouter des contraintes supplémentaires et on ne donne ni une vision
claire aux agriculteurs
- ce qui explique le marasme actuel du secteur
agricole - ni un cap politique. On n'a jamais eu de ministre de
l'agriculture qui sache si peu ce qu'il a à défendre et c'est ce
qui fait que la voix de la France à l'échelle européenne
ne porte plus.
La valeur de la ferme France, ce n'est pas que de produire des denrées alimentaires pour les Français, c'est bien plus que cela ! C'est la capacité à contribuer à l'aménagement du territoire, à maintenir une agriculture sur l'ensemble du territoire et à développer une politique exportatrice.
Michel Raison l'a dit : ce texte n'est pas une loi agricole. Par conséquent, ces résultats ne peuvent être que partiels. Il aurait fallu commencer par se poser cette question : que veut-on pour notre agriculture ?
Le titre Ier ne permet pas de traiter tous ces problèmes et n'a pas apporté grand-chose. Le titre II se traduira par une montée des charges que les agriculteurs auront à supporter. Plus que ce texte, il aurait fallu une loi de réglementation des relations commerciales. Cela aurait permis de taper sur la grande distribution, elle qui, depuis des décennies, se charge de faire la pluie et le beau temps dans l'agriculture française ! Confier son portemonnaie à quelqu'un de mafieux n'a jamais permis de le remplir ! La relation avec la grande distribution a toujours été perverse.
Par ailleurs, nous n'avons rien fait sur la politique agricole commune et notre message n'est pas clair. Le Président de la République parle d'une plus forte subsidiarité. Or tous les pays vont faire leur propre politique agricole et la France perdra encore des parts de marché !
Enfin, cette loi n'a rien apporté du point de vue de la compétitivité. Les charges et le coût de la main-d'oeuvre sont plus élevés que dans les autres pays. Comment répondre aux 30 % concernant l'exportation ? Face à ce constat d'échec, nous devons nous interroger pour bâtir une véritable loi agricole !
Mme Sophie Primas, présidente. - Les propos des uns et des autres n'engagent que leurs auteurs.
M. Joël Labbé. - Il s'agit d'un sujet dramatique pour une partie importante de nos agriculteurs. Quid de l'évolution du revenu moyen des agriculteurs, qui s'élevait à 350 euros par mois ? Certes, une partie d'entre eux n'est pas encore à plaindre.
Mme Sophie Primas, présidente. - Heureusement !
M. Joël Labbé. - Néanmoins, il est inacceptable que beaucoup ne disposent que d'un revenu mensuel de 350 euros ! Nous sommes pris dans un carcan où la grande distribution, les grands opérateurs de l'agroalimentaire et les grandes coopératives ont un rôle majeur. J'ai discuté longuement il y a deux jours avec Nicolas Hulot, qui est à l'initiative de la loi Egalim. Il ne s'est toujours pas remis d'en avoir été écarté et que le texte s'éloigne de son intention première.
Nous examinerons prochainement le projet de loi de finances. Les grands groupes, qui ont les moyens de la publicité, faussent le jeu. Pourquoi ne pas la taxer très lourdement ? De petites choses sont à mettre en oeuvre pour favoriser la relocalisation de l'alimentation. Je pense au soutien à la restauration collective, aux projets alimentaires territoriaux, aux filières de proximité.
Serons-nous capables d'être leaders pour une remise en cause des aides à l'hectare ? Selon une étude qui vient d'être menée, si la PAC était distribuée équitablement en Bretagne, 13 000 euros par an seraient donnés par actif agricole. On est très loin du compte ! Pour conclure, je ne pense pas que le grand plan de réindustrialisation des élevages aviaires servira le monde agricole.
Mme Sophie Primas, présidente. - Même remarque que précédemment...
Mme Sylviane Noël. - La loi Egalim s'apparente à un chèque en blanc donné par les consommateurs à la grande distribution et à un chèque en bois reçu par les agriculteurs. Au vu des effets négatifs de ce texte sur les consommateurs, sur les PME et surtout sur les agriculteurs, pourquoi attendre encore un an ? Allons-nous continuer longtemps le massacre ? Quand prendrons-nous les mesures correctives qui s'imposent ?
M. Marc Daunis. - Je remercie nos collègues de la façon dont ils ont abordé leur rapport. Notre travail doit être à la hauteur de notre fonction. Il ne s'agit pas ici de polémiquer sur l'avenir de l'agriculture, mais de contrôler la loi votée.
La loi Egalim n'est pas une loi-cadre sur l'agriculture. Ne lui donnons pas des ambitions qui n'étaient pas les siennes au départ. Pour lui apporter des correctifs, il importe de mesurer ses résultats par rapport aux objectifs fixés. Au vu des attentes suscitées par ce texte, ce serait une erreur que de nous laver les mains de son échec. L'essentiel du constat se dessinait déjà lors de la table ronde où nous avions pour objectif d'y voir plus clair. Comment une bouteille payée 1 euro peut-elle être facturée 16 euros sur la table d'un restaurant ? Bien évidemment, les situations sont différentes d'une filière à l'autre, c'est toute la difficulté de notre travail.
Mme Anne-Marie Bertrand. - Avons-nous pu auditionner la filière des fruits et légumes ? Cette année, l'Union fédérale des consommateurs Que-Choisir pointait du doigt l'augmentation des prix alors nos agriculteurs ont énormément souffert. Heureusement qu'il existe des circuits courts pour améliorer leurs revenus !
Mme Élisabeth Lamure. - C'est une très bonne façon de travailler que d'assurer le suivi d'un texte aussi important. Faire une étude d'impact en aval prouve qu'une telle étude nous a manqué en amont. Jusqu'à présent, il n'a été question que des choses qui ne fonctionnaient pas. Y a-t-il des choses qui fonctionnent ? J'ai découvert avec étonnement que certaines PME avaient perdu jusqu'à 30 % de leur chiffre d'affaires en raison de l'impossibilité d'utiliser les promotions. Est-ce la seule explication ? N'existe-t-il pas d'explication plus fine ?
Mme Noëlle Rauscent. - La production bovine est en détresse et les producteurs n'arrivent pas à s'organiser en filière. Aujourd'hui, les budgets sont consacrés aux études et non à aider le secteur, qui est pourtant un des fleurons de notre agriculture. Il faut donc revoir le rôle et les missions des interprofessions. Le but de cette loi est de revaloriser le travail des agriculteurs et des éleveurs : tâchons d'avancer dans ce sens !
M. Jean-François Mayet. - Depuis des mois, la grande distribution a été mise en cause. Or elle aussi est en grande difficulté. Danone et Nestlé sont en cours de restructuration, et même les petits industriels ont des problèmes. Les organisations agricoles et l'État doivent donc poser la question d'une autre manière et trouver des solutions pour aider les agriculteurs, par exemple en rémunérant leur activité en matière d'aménagement du territoire.
La grande distribution n'est pas malhonnête : elle paie ce qu'elle achète, mais comme le contexte est difficile, elle essaie d'acheter au prix le plus bas. Peut-on le lui reprocher ? Je suis très inquiet pour les agriculteurs !
M. Fabien Gay. - Le travail d'évaluation et de correction que nous menons en tant que législateurs est très important. Peut-être même pourrions-nous présenter des propositions de loi en la matière ?
L'ambition de la loi Egalim était d'augmenter le revenu des agriculteurs, d'améliorer l'information des consommateurs, de favoriser l'agriculture paysanne, etc. Or ce revenu n'a pas évolué. Quant aux marges de la grande distribution, elles se sont accrues. On peut entendre ce que vient de dire Jean-François Mayet à propos des restructurations dans le secteur des hypermarchés ; il n'en demeure pas moins que ces marges sont énormes.
Mme Sophie Primas, présidente. - En volume.
M. Fabien Gay. - Comment augmenter le revenu des agriculteurs ? Je suis prêt à avoir ce débat, mais il faut tout mettre sur la table, notamment la question de la construction du prix, laquelle doit être transparente dans les différentes filières. Il y a tout de même des personnes qui font du profit !
Mme Sophie Primas, présidente. - Je ne sais pas...
M. Laurent Duplomb. - Moi non plus !
M. Fabien Gay. - Au final, les agriculteurs ne s'en sortent pas et les consommateurs paient plus cher, alors même que les salaires sont bloqués. Je souhaite donc que nous poursuivions cette réflexion, y compris dans le cadre du débat politique, afin d'apporter d'autres solutions. La loi Egalim a en effet dégradé la situation et personne n'est content. Certains agriculteurs perçoivent 350 euros de revenu, alors qu'ils travaillent deux fois 35 heures et nous nourrissent ; c'est insupportable ! Tel doit être le point de départ de nos travaux. Nous devons nous attaquer au monopole de ceux qui prennent des marges !
Je souhaite également que nous puissions faire le même travail d'évaluation sur d'autres textes de loi.
Mme Françoise Férat. - Michel Raison a cité des chiffres relatifs au champagne. Je souhaite préciser que les ventes globales ont largement baissé depuis le début d'année conjoncturellement, mais aussi plus structurellement du fait notamment de l'évolution de la consommation. Les jeunes préfèrent acheter du prosecco, plus à la mode et moins cher. Il y a de très bons champagnes à des prix raisonnables, mais, quoi qu'il en soit, la filière doit évoluer. Le viticulteur champenois n'est pas un nanti !
M. Daniel Gremillet, président du groupe de suivi. - Pour commencer, j'aimerais faire un point particulier sur la filière laitière, laquelle semble être la seule à avoir profité d'une revalorisation des contrats industriels accordés par la grande distribution cette année, à hauteur de + 1,4 %.
Cette filière ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt, d'une part, parce que les contrats de grandes marques en grande surface ne concernent qu'une part minoritaire du lait produit en France ; d'autre part, parce que le cours du lait a augmenté sur tous les marchés, tiré par celui de la poudre de lait. J'ajoute qu'il y a, pour cette filière comme pour le porc, des éléments cycliques. En Allemagne, le prix du lait baisse plus vite qu'en France ; à l'inverse, dans notre pays, ce prix augmente plus lentement. Il serait intéressant de savoir s'il y a eu rupture dans ces cycles de cours et quelle est la situation française par rapport à celle des autres pays. Nous allons travailler sur ce point.
Je rappelle en outre que les produits laitiers vendus en grande surface avaient déjà été revalorisés en 2018, soit avant l'application de la loi Egalim !
Enfin, il faut observer l'évolution des coûts de production, qui sont particulièrement dynamiques dans la filière laitière : l'alimentation et l'énergie ont augmenté de + 3,5 % depuis 2019. Certains producteurs se sont également vu imposer un durcissement de leurs cahiers des charges, notamment pour augmenter la durée du pâturage ou pour garantir une alimentation sans OGM. Or cela a un coût qui explique en partie l'évolution des prix ! En retraitant tous ces effets de marché, l'effet de revalorisation des tarifs aux producteurs laitiers uniquement dû à la loi apparaît donc limité, quand il n'est pas négatif.
J'ajoute que certaines inquiétudes proviennent des prix pratiqués sur certaines bouteilles de lait de qualité : je pense notamment au litre de lait bio vendu à 0,87 euro dans une grande surface, soit un prix inférieur au lait conventionnel. Cela peut s'apparenter à un piège de la montée en gamme : on accorde des tarifs revalorisés contre des cahiers des charges plus durs, au risque que les charges supplémentaires induites soient supérieures aux recettes supplémentaires obtenues. Rappelons qu'en France, tous les produits commercialisés respectent des normes de qualité exceptionnelles, que beaucoup de pays nous envient.
Je partage la préoccupation de Laurent Duplomb. Quelle sera la performance de la ferme France en 2020 par rapport à celle des autres membres du marché unique européen ? Il sera intéressant de connaître ce positionnement.
Élisabeth Lamure se demandait pourquoi nous n'allions pas plus vite. Pour être crédible, il faut être honnête : la mise en oeuvre de la loi Egalim a été compliquée et l'on peut s'interroger sur l'influence des négociations à cet égard. En 2020, les règles seront connues. Dans cette perspective, nous proposons de corriger ce qui est d'ores et déjà certain ; pour ce qui ne l'est pas, nous devons attendre qu'un bilan soit dressé.
Pour ce qui est des autres questions, le groupe de suivi a voté à l'unanimité des propositions visant à corriger les trois points urgents que nous avons évoqués. Nous déposerons très rapidement une proposition de loi, dès que la commission des affaires économiques aura validé notre travail.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure du groupe de suivi. - Il s'agit d'un bilan d'étape de la loi Egalim, dans un contexte sociétal où la tension grandit. Je pense notamment au succès du film Au nom de la terre. Les sujets de la place de l'agriculture, des revenus des agriculteurs, du modèle d'agriculture que nous voulons deviennent de véritables sujets de société. La loi Egalim s'inscrit dans cette pression sociétale et cette urgence. Malheureusement, les outils de cette loi ne sont pas les mieux adaptés pour répondre à ces enjeux.
Les indicateurs ne sont pas dégagés dans toutes les filières, notamment pour l'élevage. Or c'est justement parce que ces filières n'arrivaient pas à se structurer qu'on a voulu faire la loi Egalim ! Il y a là une difficulté au sujet de laquelle nous interpellons les pouvoirs publics pour trouver des éléments de régulation.
À l'époque, nous avions suggéré un certain nombre de solutions, notamment le recours à l'aide de l'Observatoire de la formation des prix et des marges. On le voit bien, cette filière a du mal à formaliser des outils pour dégager ses coûts de revient et, donc, faire évoluer la logique des prix de la grande distribution. Le rapport de force ne s'est absolument pas inversé, comme en témoigne le résultat des négociations, les prix étant toujours à la baisse.
Pour répondre à Anne-Marie Bertrand, nous avons bien reçu l'interprofession des fruits et légumes. La loi peut dans certains cas leur poser problème. J'évoquerai le cas des fraises. Il s'agit d'un produit d'appel. Elles sont vendues, au-dessus du seuil de vente à perte, en moyenne à 1,99 euro la barquette. On aurait pu penser que, avec la mise en place du SRP, le distributeur vendrait la même barquette à 2,19 euros, soit une augmentation de 10 %. Mais les distributeurs ont imposé leur propre stratégie de commercialisation, puisqu'ils ont continué à considérer ce produit comme un produit d'appel. Ils ont donc continué de le vendre à 1,99 euro, tout en le rémunérant à 1,79 euro, soit un prix d'achat à l'agriculteur inférieur à ce qu'il était avant la loi. Ainsi, cet outil, conçu pour enclencher une dynamique vertueuse, est finalement contourné par la grande distribution.
On peut observer le même phénomène dans tous les rayons bien-être des grandes surfaces, qui utilisent le SRP pour garder leur compétitivité. L'objectif du ruissellement n'est donc pas atteint.
Pour être crédible et que notre travail constructif se poursuive, il faut aller au bout de cette expérimentation et proposer, au besoin, les ajustements nécessaires pour laisser sa chance à la loi.
M. Michel Raison, rapporteur du groupe de suivi. - Les sujets complexes du revenu des agriculteurs et du revenu de la ferme France nécessiteraient des heures de discussion.
Tout d'abord, je me félicite de l'absence de politique politicienne des différentes interventions. Chacun a pris conscience de la gravité de la situation de l'agriculture française. Tous les orateurs ont fait de la politique, au sens noble du terme.
Ensuite, Laurent Duplomb et Franck Montaugé ont commencé à analyser le revenu de l'agriculteur, dont la loi Egalim ne traitait pas. Pour le définir, il faut faire analyser par des spécialistes ses composantes. On peut déjà distinguer une colonne « charges » et une colonne « produits ». Pour ce qui concerne cette dernière, la loi Egalim se contente d'analyser le prix de vente à la grande distribution. Pourtant, tout n'est pas vendu à la grande distribution, et le prix de vente de l'agriculteur ne dépend pas uniquement du prix d'achat de la grande distribution.
Ainsi, au sein de certaines coopératives, pour le même type de lait, de ferme et de relief, un producteur touchera 320 euros, tandis qu'un autre en touchera 420. Ce n'est pas la faute de la grande distribution ! Ce n'est pas non plus la faute de l'interprofession. Il existe en effet une confusion entre l'interprofession et l'organisation des producteurs. Ainsi, dans la filière viande, ce n'est pas l'interprofession qui règlera les problèmes ! L'enjeu est de mieux structurer les agriculteurs en organisations de producteurs.
Par ailleurs, je suis très attaché à la formation des agriculteurs et à la recherche en agriculture. Je suis allé voir un proviseur de lycée agricole pour en rediscuter. Nous devons mener une action préventive et non pas uniquement curative.
Je reviendrai également sur quelques idées reçues. Dieu sait si je combats les méthodes de la grande distribution depuis des années ! Il n'y a pas de marges nettes dans la grande distribution, ou alors elles sont extrêmement faibles, parce que les enseignes se font la guerre entre elles. Il y a sans doute là un problème de droit de la concurrence. Ainsi, on a du mal à redistribuer de la valeur à l'agriculteur, celle-ci ayant été détruite. Le sujet de la bouteille de vin dans la restauration évoqué par Henri Cabanel n'est pas directement concerné par la loi Egalim.
Dans ces conditions, comment faire ruisseler de la valeur ?
J'ai analysé deux exemples dans le rapport, le champagne et le foie gras. Heureusement, le champagne est majoritairement distribué de manière très différente. Toutefois, il existe une conséquence directe de la loi Egalim sur ce type de produits.
Madame Lamure, il existe un autre point positif de la loi Egalim. Vous avez tous dû recevoir un courrier de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), qui regroupe tous les distributeurs, sauf les Intermarché et les Leclerc. Elle se félicite de la loi Egalim, car la plupart des grandes surfaces étaient quasiment dans le rouge. Le relèvement du seuil de vente à perte et l'encadrement des promotions sont des idées qui ont été défendues par les grandes marques et certaines enseignes de la grande distribution lors des États généraux de l'alimentation. Il faut donc admettre en un sens qu'il y a des points positifs pour ces fédérations, mais pas pour les agriculteurs !
Madame Chauvin, au sujet de la révision des prix, nous savons qu'un certain nombre de transformateurs souffrent de ne pas pouvoir rééquilibrer leurs prix avec la grande distribution quand il y a une hausse particulière de la matière première. Les deux exemples classiques sont les fabricants de pâtes et les charcutiers. Cette année, avec la hausse du cours du porc, la revalorisation partielle de leurs tarifs par la grande distribution concerne seulement les deux tiers des demandes. Et les groupes concernés n'ont même pas eu recours à la clause de révision des prix prévue dans le code de commerce car elle n'est pas du tout opérationnelle. Nous avons porté lors des débats sur la loi Egalim un amendement, qui a désormais reçu le soutien du médiateur. Il s'agit de prévoir dans la loi une clause de révision automatique des prix lorsque le pourcentage de matière première dans le produit final atteint un certain seuil et que la variation du prix de la matière première est trop importante. Voilà quelques années, nous avons failli perdre tous nos producteurs de pâtes, à la suite d'une augmentation importante du blé dur.
Ces propositions seront intégrées à la proposition de loi que nous présenterons.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je remercie les rapporteurs de ce premier rapport, en leur souhaitant le meilleur pour la suite. On voit à quel point le travail sur le revenu de l'agriculteur est structurant pour notre économie, la vie de nos territoires, la survie de notre agriculture et notre souveraineté alimentaire.
Michel Raison l'a dit, le problème de la valeur doit être abordé, car il est central. On a tellement détruit cette valeur qu'il n'y en a plus nulle part. Savoir où elle est désormais constitue une partie du problème.
Le Sénat devrait sans doute, comme nous l'avions proposé, entendre l'Observatoire de la formation des prix et des marges, dans la mesure où une grande partie de nos questions y trouvent leur réponse. Il avait été mis en place, je le rappelle, dans le cadre d'une des lois de régulation de la grande distribution.
La méthode que nous avons prise est la bonne. En effet, l'impatience de nos concitoyens et des agriculteurs n'est pas compatible avec la mise en place d'une loi. Au bout d'un an, nous pouvons faire un premier constat sur trois points particuliers. Il faut permettre à la loi de s'implémenter complètement, en la corrigeant si nécessaire.
Le dernier point que je souhaite aborde concerne le pouvoir du consommateur, qui est plus fort que toute la régulation que nous pourrons faire. Comment pouvons-nous faire pour renforcer le pouvoir du consommateur sur les achats qu'il réalise ?
M. Michel Raison, rapporteur du groupe de suivi. - L'Observatoire de la formation des prix et des marges nous donne les chiffres deux ans après. Je ne sais pas comment on pourrait les actualiser, mais il faut examiner cette question complexe en partant de la ferme jusqu'à la sortie en caisse.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je vais vous consulter sur le principe de déposer une proposition de loi qui reprendra les trois propositions formulées par nos rapporteurs.
Il en est ainsi décidé.
Le rapport d'information est adopté.
Questions diverses
Mme Sophie Primas, présidente. - Permettez-moi de vous dire que j'ai assisté lundi dernier, avec Jean Bizet et Jean-Baptiste Moreau, à la réunion des Parlements européens qui se tenait à Helsinki pour parler de la PAC. Seuls la Belgique et le Portugal n'étaient pas représentés.
Tous les représentants des Parlements nationaux ont signifié à la Commission européenne qu'ils n'étaient pas d'accord avec la réduction du budget de la PAC. Mais la réponse qui nous a été faite est désespérante : la baisse du budget de la PAC est quasiment actée, nous a-t-on indiqué. Cette réponse m'inquiète non seulement d'un point de vue démocratique, mais également au regard de l'impact d'une telle décision sur le revenu des agriculteurs. La seule solution, c'est que les chefs d'État s'emparent de ce sujet et imposent une révision des positions de la Commission.
M. Franck Montaugé. - La baisse annoncée...
Mme Sophie Primas, présidente. - Elle est de - 15 % en euros constants.
M. Franck Montaugé. - Elle intègre la sortie des Britanniques, qui sont contributeurs nets, mais va-t-elle au-delà de cet impact mécanique ?
Mme Sophie Primas, présidente. - La réponse est oui. La baisse est même de - 25 % pour le deuxième pilier.
Sous un principe de simplification de la PAC, réclamé par l'ensemble des États, nous allons assister à une renationalisation. La Commission nous annonce que certains éléments seraient décidés par les États, tels que le plafonnement des aides à l'hectare, les transferts du premier au deuxième pilier ou du deuxième au premier. Cela est de nature à créer des distorsions intracommunautaires.
Par ailleurs, certains pays, comme la Pologne, continuent à réclamer la convergence des aides, et on peut les comprendre. Sur ce sujet, nous avons demandé que cette convergence soit liée à une convergence de la fiscalité, une convergence sociale, une convergence environnementale et une convergence normative. Je ne sais pas si nous serons entendus.
Enfin, s'agissant de l'agriculture, je vous informe du lancement de nouveaux travaux de notre commission résultant de la réunion du bureau de notre commission ce matin. D'une part, sera constitué un groupe de travail dirigé par Laurent Duplomb qui va engager un travail sur l'assurance-récolte. Les groupes d'études Agriculture et alimentation et Élevage vont, de leur côté, sous l'égide de Marie-Christine Chauvin, travailler sur la problématique de l'étiquetage de l'origine France sur les produits alimentaires.
M. Joël Labbé. - On vient d'évoquer l'importance de la PAC et le poids que pourra avoir la France dans les futures négociations. Depuis deux ans, une plateforme « Pour une autre PAC » travaille sur l'idée d'une autre PAC. Il serait intéressant que notre commission puisse auditionner les représentants de cette plateforme pour alimenter nos réflexions.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je ferai cette proposition au groupe d'études sur la PAC.
Enfin, je vous informe que la proposition de loi de M. Cabanel visant à prévenir le suicide des agriculteurs sera débattue en séance publique le 12 décembre prochain. Nous allons organiser nos travaux pour que notre commission émette un avis.
La réunion est close à 11 h 40.