Mercredi 25 septembre 2019
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Audition de M. Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie
M. Alain Milon, président. - Nous accueillons ce matin M. le professeur Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, chef du département de psychiatrie et de médecine addictologique du groupe hospitalier Saint-Louis-Lariboisière et Fernand-Widal, à Paris.
Monsieur le professeur, vous avez été nommé le 11 avril dernier par la ministre des solidarités et de la santé pour assurer le déploiement de la feuille de route de santé mentale et psychiatrie annoncée en juin 2018.
Le communiqué du ministère indiquait également qu'il vous reviendrait d'impulser la dynamique de transformation et d'ouverture de la psychiatrie, de coordonner le pilotage national de la stratégie en santé mentale et psychiatrie, et de participer ainsi au développement de la stratégie dans les régions et les territoires.
Sur le sujet de la psychiatrie, je pense que l'heure n'est plus au constat. Celui-ci est désormais bien connu. Il a été rappelé récemment encore par nos collègues députés. Jusqu'à présent, l'accumulation des formule-chocs n'a pas suffi à déclencher une action résolue des pouvoirs publics. Une réforme du financement de la psychiatrie est annoncée dans le PLFSS. Nous l'examinerons évidemment avec beaucoup d'attention, la psychiatrie étant notoirement sous-dotée.
Mais le financement n'est pas seul en cause. L'organisation territoriale et la relation ville-hôpital sont aussi des objets de réforme. Vous pourrez ainsi nous faire part, six mois après votre nomination, de l'état d'avancement de la feuille de route relative à la santé mentale.
M. Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie. -Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le constat répété d'une situation préoccupante pour la prise en charge des personnes porteuses de pathologies psychiatriques et d'un handicap psychique témoigne en effet d'une prise de conscience qui va crescendo. Cette prise de conscience est un élément extrêmement important pour l'action que je suis chargé de déployer. C'est peut-être ce qui a manqué dans le passé pour accompagner les actions attendues.
Le récent rapport de Mmes Wonner et Fiat vient s'ajouter à un nombre important de rapports sur la situation de la psychiatrie, comme celui de MM. Lopez et Laforcade, ou l'interpellation de l'Académie nationale de médecine. Tout ceci témoigne d'une prise de conscience et de la nécessité d'une action.
Les conditions commencent peut-être à être réunies pour que les choses changent. Plusieurs constats fondent cette première remarque. Tout d'abord, on assiste à une prise de parole assez inédite des malades et de leurs proches. C'est un premier élément important pour guider notre action. Deuxièmement cela coïncide avec un moment où, pour la première fois, une volonté politique forte s'affiche, avec une démarche construite. Je fais ici référence aux déclarations très précoces de la ministre des solidarités et de la santé qui, dès sa prise de fonction, a annoncé que la situation de la psychiatrie serait au centre de son action. Très vite, une feuille de route complète a été élaborée par les services, visant à répondre aux attentes fortes dans ce domaine.
Nous reviendrons certainement au cours de cette séance sur la doctrine et les axes directeurs de cette feuille de route, mais je voudrais d'emblée souligner que la promotion et la défense des droits des patients sont un élément très structurant. C'est une porte d'entrée dont découlent beaucoup des principes contenus dans cette feuille de route.
Le Gouvernement est au travail. Aujourd'hui, nous nous préoccupons plutôt de la méthode destinée à conduire les changements contenus dans cette feuille de route, laquelle trouve des points d'articulation avec le secrétariat d'État à l'enfance, le secrétariat d'État au handicap, la délégation interministérielle à l'autisme, le ministère de l'éducation nationale, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, le ministère de la justice et celui de l'intérieur.
Les exemples étrangers en matière de réforme des systèmes de santé mentale et de psychiatrie démontrent que celles-ci prennent du temps. Ceci va devoir s'opérer pas à pas, en coopération avec tous les acteurs. Les diagnostics sont assez hétérogènes suivant les territoires, et les opportunités ou les difficultés ne seront pas les mêmes d'un territoire à un autre. Il est donc important que cette déclinaison intègre une stratégie tenant compte des singularités.
Il y a urgence. Certains sujets ont commencé à être traités avant ma nomination, comme les inégalités territoriales en matière de dotation ou les actions en direction de la pédopsychiatrie. Les projets territoriaux de santé mentale sont au centre de notre attention, tout comme la stratégie de prévention du suicide, dont le déploiement est maintenant bien avancé au travers du dispositif Vigilance. Le réseau national des centres de prise en charge des psychotraumas est également en bonne voie d'avancement.
La question de la défense et de la promotion des droits des patients est un élément émergent à propos duquel nous sommes interpellés par l'Organisation mondiale de la santé et par l'Europe. Certains principes importants en découlent.
Nous ne sommes pas seulement sur un sujet de santé publique majeur : l'épidémiologie nous enseigne que nous avons affaire à des pathologies leaders en termes de coût et de handicap. L'actualisation de notre dispositif de prise en charge au sens large vise à répondre à ces besoins majeurs de santé publique, mais nous devons considérer que ces réformes visent également à répondre à des enjeux sociétaux. Nous savons que les conseils locaux de santé mentale jouent un rôle important dans la conduite de ces réformes, tout comme les élus s'agissant de la promotion de ces évolutions.
M. Philippe Mouiller. - Monsieur le professeur, j'espère qu'un certain nombre d'annonces se traduiront dans les chiffres lors de la présentation du projet de loi de finances. Sur le terrain, la plupart des structures sont tendues et souhaitent beaucoup d'évolutions. Or, lorsqu'on modifie la trajectoire d'un paquebot, on sait qu'il faut du temps avant que le changement de cap ne s'opère. À court terme, comment réagir par rapport aux situations de crise ?
Par ailleurs, il y a environ quatre ans, le Sénat a rédigé un rapport sur le problème des Français exilés en Belgique, notamment en matière d'autisme, et sur la prise en charge des handicaps lourds. Les départements se sont mobilisés pour éviter ces départs, ce qui n'est pas vraiment le cas des structures psychiatriques qui, globalement, continuent à alimenter un certain nombre de réseaux d'accueil belges. C'est même parfois une solution de repli, soit lorsque les moyens structurels ne sont pas suffisants ou que les méthodes proposées ne correspondent pas à ce qu'on en attend.
Environ 1 500 enfants sont aujourd'hui exilés en Belgique. C'est l'assurance maladie qui finance. C'est donc bien un problème de prise en charge et d'organisation territoriale. Il convient d'étudier cette question de près.
Mme Florence Lassarade. - Monsieur le professeur, en tant que pédiatre, j'ai presque l'impression que l'autisme est devenu une épidémie. Les chiffres sont en effet en augmentation constante.
Par ailleurs, où en est-on au sujet des infirmiers de pratiques avancées (IPA) ?
Enfin, j'ai visité l'hôpital de Cadillac, en Gironde, il y a quelques mois. Les structures n'ont quasiment pas changé depuis trente ans. Il me semble qu'il y a eu un glissement du budget vers l'hôpital général aux dépens des hôpitaux psychiatriques. Qu'en est-il ?
M. Bernard Jomier. - Monsieur le professeur, on se trouve confronté à une pénurie de moyens. Or ceci nécessite une certaine lisibilité. Lors de l'examen de la loi santé, au début de l'été, les différentes propositions que nous avons émises concernant le secteur de la psychiatrie n'ont pas été retenues par la ministre, qui nous a indiqué qu'elle en ferait d'autres en la matière. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Par ailleurs, j'aurais souhaité que vous nous apportiez des précisions sur la politique actuelle du Gouvernement en matière d'alcool. Il ne me semble en effet pas toujours trancher, notamment concernant la politique à mener à propos de la consommation d'alcool chez les jeunes. Le Sénat a adopté des mesures en la matière, que le Gouvernement n'a pas reprises. La ministre nous a annoncé des propositions, mais nous n'en avons pas entendu une seule.
S'agissant de la lutte contre la drogue, beaucoup d'annonces ont eu lieu du côté du ministère de l'intérieur, alors que la parole du ministère de la santé était beaucoup plus difficile à cerner - mais sans doute était-ce en attendant les orientations concrètes de la ministre...
M. Frank Bellivier. - Plusieurs d'entre vous posent la question des moyens. Nous sommes face à une demande plutôt croissante, avec une offre de soins qui n'a pas été accompagnée pour y répondre. À certains endroits, le dispositif de soins n'a pas été modernisé.
Tout d'abord, un certain nombre de financements exceptionnels débloqués en 2018 et 2019 seront reconduits en 2020. Il ne s'agit pas seulement de mettre en place une réforme dont les effets se feront sentir dans deux ou trois ans, mais d'accompagner financièrement ce changement. On sait ce que coûte ce type de réforme. C'est ce qui est anticipé au travers de ces financements exceptionnels.
Je laisse M. Guidoni, membre de la Task force sur le financement de la santé, vous apporter quelques précisions à ce sujet.
M. Didier Guidoni, membre de la Task force sur le financement de la santé. -La psychiatrie hospitalière publique et privée est aujourd'hui un secteur qui pèse 9,3 milliards d'euros. Elle est financée dans le public sous forme de dotation annuelle de financement (DAF) et, dans le privé, sous forme de prix de journée. Les deux modèles ne conviennent pas : la DAF anesthésie les hôpitaux publics, et le prix de journée n'incite pas forcément à la meilleure prise en charge du patient. La psychiatrie est le seul secteur d'hospitalisation où la durée de séjour dans le privé est plus longue que dans le public - 38 jours contre 28 jours.
Le nouveau modèle vise à unifier l'ensemble des modes de financement des deux secteurs. Il s'agit d'un système commun, mais non unique, en ce sens qu'on respectera les spécificités du secteur public comme du secteur privé. La plus importante de ces dotations sera régionale, populationnelle, de manière à faire converger les régions aujourd'hui très largement sous-dotées et celles qui ont des moyens beaucoup plus importants.
Des contrats seront passés entre l'ARS et chacun des établissements. Il en existera d'autres comme, pour la première fois en psychiatrie, une dotation destinée à récompenser l'activité effective des établissements, une dotation à la qualité en psychiatrie, une dotation pour la transition et la transformation stratégique de l'offre sur cinq années, afin de permettre aux établissements d'investir et de se moderniser. Ceci nécessitera que les ARS engagent un plan de transformation en s'appuyant notamment sur les travaux des plans territoriaux de santé (PTS).
Comme l'a dit M. Bellivier, on ne fait pas une réforme à coût nul. Un rattrapage est nécessaire, au moins au même rythme que celui de la médecine, chirurgie, obstétrique (MCO) et des soins de suite et de réadaptation (SSR). Il va donc falloir s'assurer que la psychiatrie revient à un niveau de financement en phase avec l'Ondam. On aura dès 2020 une première enveloppe d'amorçage de la transformation de 30 millions d'euros, qui seront distribués en régions pour concevoir ces plans de transformation stratégique.
La réforme elle-même entrera en vigueur au 1er janvier 2021. Vous retrouverez les grands principes que je viens de vous exposer dans le PLFSS, bien que moins détaillés. Le travail de construction avec l'ensemble des acteurs publics et privés est en cours. Il a démarré en juin et devrait s'achever en avril. Un décret en Conseil d'État, puis des arrêtés, doivent être pris pour mettre la loi en oeuvre. On a donc besoin de l'année 2020 pour garantir aux établissements que le système fonctionne.
M. Frank Bellivier. - Vous l'avez compris, les principes directeurs de cette réforme consistent à accompagner l'actualisation de l'offre au travers de modules bien plus incitatifs que la DAF et à encadrer les inégalités territoriales.
Je laisse la parole à M. Kurth, membre de la Direction générale de l'offre de soins (DGOS), afin qu'il vous présente la synthèse des mesures visant à traiter un certain nombre d'urgences.
M. Thierry Kurth, membre de la Direction générale de l'offre de soins. - Le principe de préservation du budget de la psychiatrie figure dans la feuille de route relative à la santé mentale et à la psychiatrie présentée par la ministre en juin 2018. Ce principe est d'ores et déjà à l'oeuvre, 50 millions d'euros ayant été alloués à titre exceptionnel à la psychiatrie dans la dernière circulaire budgétaire 2018. Ce geste est reconduit en 2019. Une enveloppe exceptionnelle de 80 millions d'euros de crédits pérennes supplémentaires a été allouée aux établissements de psychiatrie pour accompagner les évolutions de l'offre de soins sur les territoires, selon les priorités définies par la feuille de route.
Cette enveloppe exceptionnelle a également permis d'engager un effort de réduction historique des écarts de financement entre les régions. La moitié de cette enveloppe, soit 40 millions d'euros, a été répartie entre les régions sous-dotées par rapport à la dotation par habitant, en incluant par ailleurs un critère de précarité - le gradient social. La ministre a par ailleurs souhaité flécher 20 millions d'euros supplémentaires pour renforcer la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. La DGOS a donné instruction aux ARS en ce sens cet été pour lancer un appel à projets national, avec priorité aux départements insuffisamment pourvus.
Les appels à projets régionaux sont lancés. La remontée des projets des ARS, sur la base d'un état des lieux succinct de l'offre territoriale, est attendue pour le 21 octobre. Cette enveloppe de 20 millions d'euros pourra dès lors être allouée.
Par ailleurs, la ministre a également souhaité un appel à projets national sur un fonds d'innovation organisationnelle en psychiatrie, doté en 2019 de 10 millions d'euros. Ce fonds a vocation à permettre à amorcer le financement de projets innovants, tant dans l'organisation que dans la prise en charge proposée, afin de répondre aux besoins de transformation de l'offre de soins au service des usagers.
Une instruction de la DGOS a organisé cet appel à projets cet été. Les ARS instruisent en ce moment les dossiers, les classeront par ordre de priorité pour le 15 octobre. Un jury national sera ensuite réuni pour sélectionner les projets retenus.
Au chapitre des moyens nouveaux, je citerai également le déploiement des soins de réhabilitation psychosociale dans les territoires, très attendu par les usagers. L'Agence nationale d'appui à la performance (ANAP) a proposé des outils en ce sens. La Haute Autorité de santé (HAS) a fait de même.
Une deuxième tranche de financement de près de 6 millions d'euros viendra compléter une première tranche à peu près équivalente afin d'accompagner les ARS dans la mise en place de cette offre de soins de réhabilitation sur l'ensemble des territoires.
La prochaine circulaire budgétaire renforcera également les prises en charge ambulatoires, y compris celles qui passent par une mobilité des équipes de psychiatrie. Ces prises en charge font partie intégrante de l'organisation de soins de proximité dans le cadre de la mission de psychiatrie de secteur. Elles sont destinées à favoriser le maintien de la personne dans son milieu de vie ordinaire et à faciliter son insertion sociale et professionnelle.
Quatre millions d'euros seront alloués dans le cadre de cette circulaire budgétaire. Par ailleurs, une mission de l'IGAS est engagée à la demande de la ministre sur le fonctionnement des centres médico-psychologiques (CMP) afin de fluidifier le parcours de prise en charge des soins, l'objectif résidant aujourd'hui dans l'accessibilité aux soins sur l'ensemble des territoires.
M. Frank Bellivier. - L'affectation de la DAF au plan de rééquilibrage des hôpitaux généraux est en effet une irrégularité très claire. La ministre est « tombée de sa chaise » lorsqu'elle l'a appris. Avec la réforme, on se dotera des outils de suivi de ces lignes budgétaires. Peu de structures ont eu la possibilité d'activer cette « tuyauterie » financière. La majorité des établissements recourent en totalité à la DAF. Les vases communicants ne seront donc pas possibles. C'est le cas des hôpitaux généraux et des CHU.
Il existe toutefois une forme de paradoxe. On sait que les unités de psychiatrie insérées dans des hôpitaux généraux ou des CHU ont actualisé leurs offres et implémenté de nouveaux outils en matière de psychiatrie, mais leur dotation a été moins importante que celle des établissements psychiatriques du fait de ces phénomènes non contrôlés. Je n'ai pas de commentaire à faire au-delà. Le constat de l'irrégularité est toutefois totalement partagé.
Quant aux IPA, il existe cette année une autorisation pour leur formation. C'est une excellente nouvelle. Un premier contingent d'une quarantaine de personnes a été diplômé cette année. Ce dispositif rencontre un grand succès, avec des ratios de trois demandes pour une place. Dans un contexte d'une dizaine d'années de creux dans la démographie médicale, l'offre de soins va devoir s'appuyer sur des nouvelles catégories professionnelles - IPA, psychologues.
Par ailleurs, la situation des lieux de vie en Belgique relève de la loi de l'offre et de la demande. C'est en raison du peu d'offres résidentielles au long cours de notre pays que les équipes françaises ont été amenées à se tourner vers la Belgique.
Le projet comporte un dispositif d'accompagnement d'habitat inclusif qui devrait permettre de créer une offre répondant aux besoins résidentiels au long cours.
M. Patrick Risselin, secrétaire général à la Délégation ministérielle à la santé mentale et psychiatrique. - Cette question a été dénoncée par maints rapports et a déjà fait l'objet d'un certain nombre d'actions de la part de ce Gouvernement comme des précédents. Nous avons un accord avec l'autorité wallonne pour essayer de réguler les placements. Du côté des enfants, la dynamique semble, si elle n'est stoppée, tout au moins s'être très fortement ralentie. Elle perdure en revanche chez les adultes, ce qui est préoccupant.
Je pense qu'il faut examiner ce problème de
façon globale. Nous sommes dans le handicap au sens au sens large, mais
les handicaps spécifiques les plus
lourds
- polyhandicapés, handicapés psychiques et
autistes - représentent plus de la moitié de ces
« contingents ».
Un certain nombre d'actions sont reconduites. Un plan de régulation a été établi dans le cadre de l'Ondam médico-social et sera doté d'environ 15 millions d'euros. Il existe également un certain nombre de crédits pour les situations complexes. Ce problème va, je l'espère, progressivement se régler dans le cadre de la mise en oeuvre de la stratégie de lutte contre l'autisme et les troubles du neurodéveloppement. Des initiatives sont engagées à ce titre. La question des adultes autistes, qui passe par le repérage, est également à l'ordre du jour.
Nous travaillons en lien étroit avec la délégation interministérielle à l'autisme sur cette question. Ceci nécessite de sensibiliser tous les acteurs à cette réalité - maisons départementales des personnes handicapées, ARS, conseils départementaux. Nous allons travailler ce sujet dans le cadre du déploiement des projets territoriaux de santé mentale. Quelques régions sont identifiées, comme les régions frontalières, les Hauts-de-France, le Grand Est, la région parisienne - où le déficit est le plus sensible -, la région PACA.
Ce point est enfin traité par les groupes de travail mis en place dans le cadre de la préparation de la conférence nationale du handicap. Nous aurons l'occasion d'en reparler.
M. Frank Bellivier. - L'augmentation supposée de prévalence de l'autisme n'est pas confirmée. Il est certain que nos équipes sont aujourd'hui mieux armées et disposent d'un plus grand nombre d'outils pour repérer ces situations, que ce soit en matière précoce ou dans le diagnostic des adultes. Si on a l'impression qu'il existe plus de troubles du spectre autistique qu'auparavant, c'est simplement qu'on les diagnostique mieux et que les filières de repérage et de prise en charge sont en train de se structurer.
L'addiction est également un sujet très important. Un plan dont on ne connaît pas encore les déclinaisons fera prochainement l'objet d'une annonce de la ministre. Le sujet des comorbidités addictives est majeur. 50 % des patients rencontrent, durant leur vie entière, une comorbidité addictive. C'est un facteur de péjoration du pronostic, de rechute, de nouvelle hospitalisation, etc. Quand on parle de construction de parcours multidisciplinaire, on fait donc aussi référence à la prise en charge des comorbidités addictives. La stratégie de lutte contre les addictions concerne majoritairement la prévention.
Beaucoup de moyens y sont investis, mais on constate un manque important dans l'offre de soins pour ces patients, plus compliqués que les autres à stabiliser. Ces parcours doivent donc intégrer une offre de soins en addictologie. Cette intégration doit se retrouver dans l'élaboration des projets territoriaux de santé mentale, qui doivent comporter l'offre de prévention, l'offre sanitaire et l'offre médico-sociale parcours. Cela inclut les ressources d'offre de soins en addictologie qui, à certains endroits, doivent encore se développer.
Enfin, le plan de lutte contre les addictions est doté d'une enveloppe de 120 millions d'euros et comporte des actions de prévention, mais aussi un soutien à l'offre de soins.
M. René-Paul Savary. - Monsieur le professeur, Mme Catherine Deroche, qui ne peut être parmi nous aujourd'hui, estime que les chiffres annoncés, s'ils sont très intéressants, représentent moins de 0,3 % sur un budget de 9 milliards d'euros. Vous évoquez une plus grande justice territoriale, mais on reprend dans la poche des uns pour mettre dans la poche des autres. On sait que les choses ne se passent pas tout à fait ainsi. On risque de pénaliser ceux à qui on retire des moyens. Il faudra donc être attentif lors de l'examen du PLFSS pour que la psychiatrie reste dans le cadre de l'Ondam. Il faut trouver 200 millions d'euros supplémentaires si l'on veut que les établissements puissent fonctionner.
Catherine Deroche souhaite également savoir quel bilan vous tirez de la politique de secteur. La psychiatrie est sectorisée depuis longtemps. Ceci a fait ses preuves en matière d'insertion et nous paraît intéressant.
Nous voulions également obtenir des précisions sur la complémentarité entre le public et le privé. Sur le terrain, les généralistes sont confrontés à des difficultés en matière de prise en charge des malades psychiatriques. Des efforts sont à accomplir, me semble-t-il, dans le cadre de la loi santé 2022.
Enfin, comment envisagez-vous la prise en charge des personnes en situation de précarité, ou celle des migrants ?
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Je souhaite revenir sur le rapport parlementaire présenté par l'Assemblée nationale la semaine dernière, qui pointe la saturation de l'hôpital psychiatrique mais, surtout, la place qu'occupent les patients souffrant de troubles psychiatriques. Ceci a-t-il été pris en compte dans la réforme de l'organisation territoriale de la santé, et comment ?
Mme Michelle Gréaume. - Tout comme les urgences dans le système général, les services psychiatriques deviennent le réceptacle de toutes les carences. Nous sommes tous d'accord pour déplorer un manque de moyens. On annonce des mesures de refonte du financement de la psychiatrie dans le projet de budget de la Sécurité sociale pour 2020. Quelles sommes sont véritablement allouées à la psychiatrie ?
Vous avez annoncé des chiffres, notamment pour les régions : ces sommes sont-elles destinées uniquement à la psychiatrie ou à la santé en général ? Quels seront les critères d'attribution ?
Mme Élisabeth Doineau. - Je voudrais plus particulièrement aborder le sujet des enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance (ASE). Dans nos départements, environ 20 % à 25 % des enfants qui sont placés ont des problèmes de handicap, notamment psychiques ou psychiatriques. Or nos départements n'ont pas de pédopsychiatres.
Agnès Buzyn a dit qu'elle souhaitait une ligne budgétaire dans le futur PLFSS pour permettre une prise en charge médicale de ces enfants. Un lien est-il fait avec la psychiatrie ?
Vous avez également affirmé que le travail des ARS porterait sur l'actualisation de l'offre et chercherait à réparer les inégalités. Je souhaiterais que les ARS travaillent très étroitement avec les départements pour apporter une réponse au problème des enfants placés...
Mme Nadine Grelet-Certenais. - On a très largement évoqué la problématique de démographie médicale. Vous estimez que les IPA peuvent apporter un certain nombre de réponses à la question psychiatrique. Pour autant, il me semble que la médecine psychiatrique n'est pas spécialement valorisée en matière de formation, alors que les besoins sont réels.
Par ailleurs, il existe des manques cruciaux en matière de pédopsychiatres. On trouve ainsi, dans la Sarthe, un centre d'action médico-sociale précoce (CAMSP) en grande difficulté en matière de locaux, et ce depuis fort longtemps. L'équipe en place est tout à fait passionnée mais dénonce ce manque. Or, j'entends que les moyens financiers ne sont pas à la hauteur des besoins de ces structures, pourtant essentielles à la prévention. J'aimerais donc savoir si les CAMSP se verront attribués des moyens particuliers.
Enfin, il existe aussi un problème d'accessibilité, de mobilité et de transports dans le domaine de la prise en charge ambulatoire dans les territoires ruraux. Il me semble indispensable que les personnels - infirmiers psychiatriques, médecins, etc. - puissent se déplacer à domicile afin d'être en phase avec la réalité du malade....
M. Frank Bellivier. - On dispose aujourd'hui d'un maillage territorial grâce aux secteurs, qui garantissent une offre minimale en fonction des populations. Il faut faire évoluer l'offre de soins en tenant compte de ce premier niveau, qui doit être complété de façon transsectorielle et faire appel à d'autres disciplines. Je pense ici aux domaines de la prévention et du médico-social. Le maillage historique doit selon moi être conservé et l'on doit avancer sur cette base.
Merci d'avance pour le soutien que vous souhaitez apporter aux arbitrages qui seront faits dans le cadre du PLFSS.
Le budget global de la psychiatrie est-il en baisse ? En fait, il a insuffisamment progressé et l'inadéquation entre la demande et l'offre va grandissant. Les financements listés par M. Kurth concernent spécifiquement la psychiatrie des adultes et celle de l'enfant et de l'adolescent.
Le troisième pilier de la feuille de route cible plus spécifiquement des populations vulnérables. Parmi elles, nous incluons, avec des stratégies différenciées, la question de la précarité, celle des migrants, des personnes placées sous main de justice et de l'ASE.
Il est important de renforcer les structures de l'ASE par un suivi médical des populations. Le volet pédopsychiatrique et psychiatrique n'est pas oublié. Il est au centre de l'interpellation du secteur sanitaire et médico-social. Ce qu'il faut trouver, c'est l'articulation entre ce besoin et les ressources dont dispose le territoire. C'est vraiment une équation très locale.
Les possibilités de construire une articulation répondant à ces besoins sont un peu fonction de la structuration de l'offre sanitaire et médico-sociale à l'échelle d'un territoire.
Les projets territoriaux de santé mentale ayant le plus souvent un dimensionnement départemental, c'est dans l'élaboration de ces projets que ces spécificités doivent être traitées.
En tout état de cause, la feuille de route des porteurs de projets territoriaux de santé mentale préconise de prendre ces publics vulnérables en compte, en particulier ceux de l'ASE.
En ce qui concerne l'attractivité de la profession, je pense, en tant que psychiatre, que les chantiers qui sont devant nous sont extrêmement mobilisateurs. Je n'ai pas l'impression que la jeune génération de médecins voie la psychiatrie avec défiance. On n'a pas tellement de problèmes pour constituer les contingents de jeunes internes. Il y a aussi de belles histoires qui, aujourd'hui, en France, fondent cette attractivité. Ainsi, l'activité de recherche occupe une bonne place en termes de production.
On n'a pas de souci à ce sujet en matière de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. L'actualité du moment va certainement contribuer à en augmenter encore l'attractivité.
Concernant votre question au sujet des CAMSP, s'agit-il d'un centre financé par une association médico-sociale ou relève-t-il plutôt du secteur sanitaire ? Comment le projet de prise en charge porté par ce CAMSP s'intègre-t-il dans les démarches plus globales en matière de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent ? Je pense en particulier aux démarches très construites de la délégation interministérielle à l'autisme. Émarge-t-il plutôt dans cette thématique ?
Une priorité est mise sur l'offre de soins générale en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Cette équipe doit donc pouvoir trouver un guichet, au sein de l'ARS ou ailleurs, permettant d'inscrire cette offre et de la soutenir.
Les territoires ruraux n'ont pas le monopole des questions de mobilité en matière d'accès aux soins. Tout près de nous, en Seine-Saint-Denis, certaines populations numériquement importantes sont également éloignées des lieux de soins, y compris ambulatoires.
Là encore, la feuille de route contient un principe directeur. On incite fortement à développer « l'aller vers » et les unités mobiles destinées à la prise en charge des situations aiguës - les unités mobiles de crise -, mais aussi des dispositifs mobiles d'accompagnement au long cours des populations handicapées psychiquement.
Enfin, il existe des projets intéressants en matière de télémédecine psychiatrique qui, il y a encore quelques années, semblait pourtant n'avoir aucun avenir. Les expériences pilotes sont tout à fait convaincantes. Cela ne permet pas de tout régler, mais les communautés de proximité que sont les maisons médicales ou les médecins généralistes doivent être intégrées et pouvoir bénéficier de ce type d'outil pour permettre un avis spécialisé lorsqu'il est requis.
M. Yves Daudigny. - Vous avez évoqué les disparités entre les territoires. Je veux ici témoigner de la situation du département de l'Aisne, que je représente et dont je suis originaire. La situation de la psychiatrie y est particulièrement alarmante. La situation économique, sociale et culturelle du département génère une demande très forte. Les délais d'attente sont longs et le service de psychiatrie du département a du mal à apporter des réponses.
Deux établissements de l'Aisne traitent de psychiatrie, un hôpital de santé mentale, Prémontré, et un service à l'hôpital de Saint-Quentin.
Un service d'addictologie a été fermé, d'abord temporairement, puis définitivement, à Prémontré, au début de l'été. Par ailleurs, il n'existe pas dans l'Aisne de structure dédiée aux adolescents, alors que notre département affiche malheureusement les taux les plus élevés de suicides chez les 12-16 ans.
En pédopsychiatrie, on avait noté il y a quelques années l'absence de formation. Certaines facultés n'offraient même pas de cours en la matière. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Par ailleurs, quelle est la place des hôpitaux dans le dispositif que vous évoquez en matière de prise en charge ? Quel est leur rôle par rapport aux CMP ?
L'accueil familial thérapeutique, les résidences associatives communautaires (RAC) représentent-elles une voie d'avenir en matière de prise en charge ?
Quel regard portez-vous sur les pratiques de contention et d'isolement, qui n'ont pas été évoquées, et qui alimentent quelquefois la polémique ?
Je partage enfin l'opinion qui est la vôtre sur l'intérêt que peut représenter la télémédecine en matière de psychiatrie.
Enfin, l'Académie de médecine - qui se fait souvent remarquer, en bien ou en mal -, a déclaré récemment qu'il fallait se donner l'ambition de guérir les maladies mentales. Cela peut-il être le cas ?
Mme Laurence Cohen. - Monsieur le professeur, toutes les interventions soulignent que la psychiatrie et la pédopsychiatrie sont particulièrement sinistrées. C'est d'autant plus dommageable que la psychiatrie, en France, a été pendant très longtemps à l'avant-garde de pratiques innovantes qui ont sorti le patient de l'asile.
L'opinion publique a fait preuve jusqu'à présent d'une certaine indifférence vis-à-vis de la psychiatrie. Les choses se modifient un peu, suite à la mobilisation extrêmement forte des personnels des hôpitaux psychiatriques. Il est en effet assez rare que des personnels de santé aillent jusqu'à faire une grève de la faim. Je pense à l'hôpital du Rouvray, où la grève était due à un manque de personnel. Ils sont aujourd'hui à nouveau en grève, les 30 postes qui leur ont été promis n'étant pas au rendez-vous.
Un manque de moyens financiers et de moyens humains amènent des pratiques de contention ou des recours importants aux médicaments. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?
Par ailleurs, nous avons effectué, avec Annie David et Dominique Watrin, de nombreuses visites d'hôpitaux psychiatriques dans l'Isère, où l'état des lieux est très problématique. Il faut donc interroger la conception qu'on peut avoir du soin psychiatrique. Ne croyez-vous pas qu'on assiste aujourd'hui à une uniformisation des réponses psychiatriques, alors que la protocolisation des pratiques n'est selon moi pas nécessaire en psychiatrie et en pédopsychiatrie ?
Je pense que la psychiatrie doit s'appuyer sur les sciences cognitives, mais aussi sur les sciences humaines, la psychanalyse, la psychologie. Or en France, on a un peu l'impression qu'il existe un mouvement de balancier : c'est ou l'un ou l'autre, et on oppose les pratiques les unes aux autres.
Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les formations des infirmiers et sur la valorisation des métiers ? On assiste en psychiatrie à un recours massif aux CDD courts et les possibilités d'évolution des carrières demeurent très faibles. Quelles propositions pouvez-vous faire en ce domaine ?
Vous avez parlé à juste titre d'ambulatoire. Je suis toujours dubitative à ce sujet. La psychiatrie, en France, comme je l'ai déjà dit, a toujours voulu placer le malade hors les murs. On a cassé cette tentative. Vous affirmez qu'on maintient les secteurs, mais pour combien d'habitants ? Si les secteurs sont immenses, on perd du sens.
Je voudrais également connaître votre avis sur la fusion des CMP. Aujourd'hui, on est dans une logique de groupements hospitaliers de territoire (GHT), de fusion des établissements, etc., soi-disant pour fédérer les moyens. Il en va de même pour les CMP. Lors d'une visite, on m'a dit qu'on allait rapprocher les professionnels des quartiers populaires en fusionnant plusieurs CMP afin de mieux répondre à la demande.
J'aimerais obtenir des précisions sur cette politique, qui risque de générer de nouveaux problèmes. Peut-être reconnaîtra-t-on dans dix ans qu'on n'aurait pas dû fusionner les établissements.
Mme Corinne Imbert. - Monsieur le professeur, vous nous avez rappelé votre feuille de route et ses aspects financiers. Nous y serons évidemment attentifs. Reste à savoir avec quels professionnels. Les IPA seront-ils suffisants ? Je rejoins l'avis d'Yves Daudigny au sujet des pédopsychiatres. J'aimerais partager votre vision optimiste mais en 2017, la mission d'information sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France, présidée par Alain Milon, avait relevé qu'il n'y avait même pas un professeur de pédopsychiatrie par université.
À l'issue de ces travaux, un rapport avait été publié. En avez-vous pris connaissance ? Une cinquantaine de propositions avaient été faites. Quelles sont celles que vous pourriez retenir dans le cadre de votre mission ?
M. Daniel Chasseing. - Monsieur le professeur, le projet que vous avez décrit démontre que vous avez bien cerné les problèmes et que vous voulez y répondre.
Le repérage des troubles du spectre de l'autisme (TSA) est essentiel, tout comme la détection en foyers occupationnels et en maisons d'accueil spécialisées (MAS). Vous avez évoqué la télémédecine. Pourquoi pas ? Les psychiatres ne pourront peut-être pas tous effectuer des consultations avancées dans les territoires ruraux où existent des foyers ou des MAS.
Enfin le déploiement et la réhabilitation sur l'ensemble du territoire des prises en charge ambulatoires constituent deux sujets importants. Les personnes isolées qui vont en effet dans les CMP pour consulter un psychiatre ne prennent aucun traitement une fois revenues chez elles. Les troubles psychotiques réapparaissent et une nouvelle prise en charge est difficile.
Enfin, la Corrèze connaît un manque de pédopsychiatres criant : depuis 30 ans, certains enfants subissent des troubles psychotiques graves et il n'existe aucun lit de rupture. Cela perturbe les établissements. Il serait vraiment important de pouvoir en disposer, car le personnel est usé par le fait que la maladie mentale n'est pas prise en charge à l'échelle départementale.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je suis élue du département du Pas-de-Calais. Vous avez évoqué la question de la Belgique. Je pense qu'on marche sur la tête ! Il n'est pas rare que je rencontre des personnes dont l'enfant va tous les jours en Belgique dans une école spécialisée, à une centaine de kilomètres, en taxi ! Cela représente un coût énorme pour la sécurité sociale. Ce n'est pas la faute des familles qui n'ont évidemment pas d'autre choix, puisqu'il n'y a pas de place dans notre pays.
La France devrait être capable d'accueillir ses enfants. C'est très difficile pour l'enfant et la famille. N'aurions-nous pas intérêt à créer une enveloppe spéciale pour faire revenir ceux et celles qui le souhaitent, en leur proposant bien évidemment un accompagnement ? Quand un enfant est dans ce type de structure depuis plusieurs années, on ne peut en effet le faire revenir sans suivi.
Par ailleurs, dans certaines prisons, il faut parfois attendre un rendez-vous en psychiatrie plus d'une année. Dans l'établissement que j'ai visité, des adolescents de treize ans ou quatorze ans sont déjà passés à l'acte faute de prévention, alors même qu'ils avaient été signalés. Leur place n'est d'ailleurs pas en prison, mais dans des structures psychiatriques.
Enfin, selon le rapport de Mmes Fiat et Wonner, il existe en Italie, dans chaque grand quartier, comme à Trieste, des centres ouverts 24 heures sur 24, avec des personnels en nombre et des équipes mobiles qui se déplacent lorsqu'elles sont alertées par la famille. Ne pourrait-on préconiser cette solution en France ?
M. Frank Bellivier. - On assiste en effet à un appel à la mobilisation pour que l'offre de formation se dynamise. Ceci a été accompagné, en collaboration avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, par la création de postes de chefs de clinique supplémentaires. Sur deux années consécutives, dix postes par an en pédopsychiatrie ont pu être affectés à des projets spécifiques.
Pourquoi a-t-on procédé de la sorte ? On ne souhaite pas que la psychiatrie et la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent soient placées sous un régime dérogatoire. Les universitaires, en matière de psychiatrie et de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, doivent satisfaire aux mêmes critères que les autres disciplines et avoir accès à des postes de maîtres de conférences ou de professeurs des universités. Il faut donc soutenir la dynamique de formation et de recherche en pédopsychiatrie. C'est pourquoi on compte sur des contingents de chefs de clinique juniors pour « réamorcer la pompe », avoir des candidats qui remplissent les critères afin de pouvoir être concurrentiels à l'échelle d'un UFR de médecine et s'installer dans des postes de titulaires. C'est une première approche.
D'autres outils, que je ne vais pas pouvoir détailler, permettront de soutenir le développement qualitatif - en termes de formation d'hospitalo-universitaires - et quantitatif. C'est une priorité de la ministre.
Une instruction vise à créer soit des lits, soit des dispositifs ambulatoires en pédopsychiatrie, là où existent des manques criants. La difficulté vient du fait que, là où il n'y a rien, la « marche » est parfois assez haute. C'est vrai pour la pédopsychiatrie, mais aussi de façon générale. Si l'urgence est certes manifeste dans certains cas, les changements vont toutefois nécessiter du temps.
On sait le retard qui existe dans le département de l'Aisne. Comment accompagner les acteurs, qui sont aujourd'hui débordés, pour reformuler une offre adaptée aux besoins tels qu'ils se manifestent dans leur territoire ? Les spécificités que vous signalez dans l'Aisne doivent pouvoir être traitées avec les opportunités locales, qu'on accompagnera évidemment financièrement en élaborant des projets accessibles.
S'agissant de la contention et de l'isolement, un groupe de travail a oeuvré sur ce sujet durant deux ans, pour déboucher finalement sur des actions très concrètes. En premier lieu, le séminaire itinérant animé par le professeur Jean-Louis Senon et le docteur Triantafyllou a rencontré un grand succès. Ils vont au contact des équipes pour promouvoir les bonnes pratiques en matière de désescalade. Ceci permet d'éviter les soins sans consentement et le recours à la contention ou à l'isolement.
L'énoncé des bonnes pratiques et leur diffusion sont des points extrêmement importants. Ces mesures sont aujourd'hui intégrées dans les pratiques. Nous sommes soutenus sur ce sujet par les usagers.
Par ailleurs, il a été décidé d'élargir le spectre d'action de l'observatoire chargé du suivi de ces pratiques et de lui confier celui du droit des patients. Les arbitrages financiers auront lieu prochainement. Cette démarche devrait se construire à partir du printemps 2020, avec une équipe dédiée.
L'Académie nationale de médecine nous a récemment interpellés par le biais d'un rapport qui vient enrichir le constat alarmant sur la situation de la psychiatrie. Je salue le travail de l'Académie nationale de médecine, qui témoigne de cette prise de conscience. C'est un élément très important pour que les changements sociétaux qui doivent accompagner ces réformes puissent s'opérer.
Quant à la notion de guérison, il faut relire Canguilhem et se rappeler qu'en médecine, cette notion est souvent une chimère. Dans le cas de la fracture du fémur, on peut éventuellement parler de guérison, bien qu'il s'agisse le plus souvent d'une consolidation. Canguilhem nous dit qu'il n'y a pas d'innocence biologique. Même s'il n'y a plus de trace de cette fracture, elle a quand même eu lieu. Cette notion de guérison est donc à manier avec précaution pour 99 % des morbidités que nous avons à traiter.
Il est sûr qu'il existe une marge de progrès dans la politique du rétablissement portée par notre feuille de route. Les changements de concept dans la prise en charge des pathologies psychiatriques me paraissent extrêmement importants.
Quand on parle de handicap, on fait souvent référence à des difficultés fixées. Dans le cas particulier des handicaps psychiques, c'est plutôt le contraire : les données scientifiques établissent aujourd'hui que ces handicaps psychiques sont mobilisables. Cette offre reformulée, qui vise au rétablissement, comporte précisément la remobilisation des déficits cognitifs, dont on sait qu'ils peuvent être améliorés grâce à des outils spécifiques,
Vous avez fait allusion à la mobilisation des soignants. Là encore, je voudrais insister sur la conduite du changement. Nous sommes dans une situation où tout le monde va mal. Les patients se plaignent d'une offre de soins qui n'est pas à la hauteur de leurs attentes, et les soignants ne vont globalement pas bien non plus, puisqu'ils ne se retrouvent pas forcément dans le modèle de soins qu'ils portent. Cette mobilisation du monde soignant me paraît un élément supplémentaire dans la prise de conscience. Je pense que ceci va crédibiliser la démarche de changement qui est engagée.
La grève de la faim que vous avez évoquée n'est pas comparable, selon les informations dont je dispose, à la grève que nous connaissons actuellement. Sur les trente postes demandés, vingt ont été pourvus. Le désaccord actuel porte sur le projet tel qu'il avait été décidé initialement, et qui tarde à aboutir.
La suroccupation des lits, le recours inadéquat à des médicaments, à l'isolement et à la contention viennent du manque de ressources. C'est tout le contenu de la politique de développement de l'offre ambulatoire, qui vise principalement à protéger les urgences et les unités d'hospitalisation afin que celles-ci deviennent un mode de recours accessoire.
Vous m'avez interpellé sur les débats théoriques qui opposeraient certaines approches à d'autres. C'est là un effet générationnel qui s'opère de manière intéressante. Je n'ai pas l'impression que ce soit aujourd'hui un élément de blocage. On a plutôt une démarche très intégrative, plurielle. Il n'existe pas de dogmatisme dans cette feuille de route. On soutient au contraire l'importation des données de la science, qui nous informe de ce qui fonctionne le mieux dans telle et telle situation. Il s'agit d'une incitation forte à déployer ces outils et à faire en sorte que les équipes se forment à la reformulation de l'offre de soins, dans le cadre de ce que j'appellerais une actualisation.
Là encore, les usagers, qui lisent la littérature, nous guident dans la formulation de ces orientations. Ce ne sont plus les experts, les psychiatres, les professeurs d'université qui disent comment faire, mais les usagers qui prennent connaissance des données de la science. La promotion de la réhabilitation psychosociale s'est faite ainsi sous l'influence des communautés d'usagers. C'est en cela, selon moi, que la voix des patients est extrêmement structurante pour notre action.
Les IPA sont une des réponses, bien que modeste, à la promotion des carrières en psychiatrie. Je pense que la communauté soignante appelle de ses voeux une réflexion complémentaire sur la reconnaissance des spécificités du soin en psychiatrie. Il faudra l'entendre. Les modalités ne sont pas inscrites dans cette feuille de route, au-delà de la démarche de promotion des IPA, mais celle-ci n'est pas figée. J'ai entendu cette demande de revalorisation très tôt après mon installation. Je ne puis vous dire comment nous allons faire, mais ceci fait partie des valeurs que je porte.
Quant à la fusion des CMP, il s'agit d'une question compliquée à l'échelle d'un territoire. Il n'y a pas que l'efficience financière qui compte. La finalité de beaucoup de regroupements était de réaliser des économies. On n'est pas dans cette démarche. En revanche, une coopération dans une complémentarité d'offres peut présider au regroupement de structures. Dans le cas que vous citez, peut-être le regroupement a-t-il été provoqué par la proximité des lieux de vie des usagers.
Les personnes placées sous main de justice constituent un vaste sujet, partagé avec le ministère de la justice. Certaines spécificités sont propres aux soins psychiques.
En premier lieu, il ne faut pas que la question de la santé mentale des personnes placées sous main de justice soit dissociée de celle de la santé. C'est un levier extrêmement important pour la promotion de la santé. Les malades mentaux préoccupent beaucoup le ministère de la justice, car ce sont eux qui posent problème en détention.
La situation sanitaire de ces populations est extrêmement préoccupante, à d'autres titres. Le renforcement de l'offre de soins ne suit pas la conjoncture, et nous avons en détention ou en préventive des pourcentages croissants de personnes atteintes de pathologies psychiatriques. Ce phénomène est lié à plusieurs facteurs. Le premier est la tendance qui existe à judiciariser les auteurs de troubles même lorsqu'ils sont atteints d'une pathologie psychiatrique.
Par ailleurs, le filtre de la garde à vue, qui permettait que l'instruction passe après les soins, est beaucoup moins présent aujourd'hui. Nous avons donc des contingents numériquement croissants de patients en prison avec une pathologie psychiatrique souvent décompensée. L'offre de soins que nous avons à mettre en face a du mal à s'adapter à cette augmentation très significative.
Une première tranche d'unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) a été mise en place. Les arbitrages concernant la deuxième tranche devraient être connus prochainement, en coopération avec le ministère de la justice, et permettre de trouver d'autres réponses, comme les unités de soins intensifs psychiatriques polyvalentes de Paul Guiraud, en région parisienne, qui apportent une réponse plus adaptée. Cette préoccupation est partagée avec le ministère de la justice.
Vous avez fait allusion aux soins résidentiels des personnes chroniquement handicapées. Deux sujets doivent être traités différemment, le stock et le flux. Concernant le flux, l'objectif de cette feuille de route est de prévenir le plus possible le recours aux soins résidentiels chroniques. Ce n'est pas pour autant qu'on va éteindre le besoin de soins résidentiels dans des pathologies lourdement et chroniquement handicapantes.
Dans le stock, nous avons aujourd'hui des patients institutionnalisés. On ne va les désinstitutionnaliser par un coup de baguette magique. En même temps, il nous faut continuer à les accompagner. Ceci rejoint le sujet du recours aux structures belges que nous devons traiter.
Mme Corinne Imbert. - Vous n'avez pas répondu à la question sur le rapport de la mission d'information à propos de l'état de la psychiatrie des mineurs.
M. Alain Milon, président. - Cela fait plus d'une dizaine d'années que la commission des affaires sociales du Sénat s'est penchée sur la psychiatrie. Je me souviens de quelques rapports que j'ai commis à ce sujet. Il y en a eu d'autres.
La psychiatrie est restée longtemps le parent pauvre de la santé, c'est une évidence. Ce que nous avons entendu ce matin apporte des réponses en matière d'organisation et de mise en place de la psychiatrie, etc.
À titre personnel, je suis assez satisfait de ce qui est en train de se passer à ce niveau, même si les financements nécessaires manquent sans doute pour mettre tout cela en route.
Si la psychiatrie est le parent pauvre de la santé en France, la santé en France est assez pauvre également, ne serait-ce qu'au niveau des hôpitaux, dont les budgets connaissent de grosses difficultés.
Il faut peut-être aussi mener une réflexion sur le financement de la santé.
Merci.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Emploi des seniors - Examen du rapport d'information
M. René-Paul Savary, rapporteur. - Nous poursuivons notre travail sur l'emploi des seniors avec la remise de nos conclusions pour lesquelles nous attendions la publication du rapport du Haut-commissaire à la réforme des retraites. Depuis notre rapport d'étape de juillet dernier, l'intérêt pour le sujet ne s'est pas démenti.
Le jeudi 12 septembre, dans son discours sur la réforme des retraites, le Premier ministre a fait de la mobilisation des employeurs pour le travail des seniors une condition primordiale à la réussite de la réforme. Il a ainsi confié une mission à trois experts censée alimenter le futur « grand plan » sur l'emploi des seniors annoncé dans son discours de politique générale de juin dernier.
Je salue la prise de conscience de l'importance de ce sujet au sommet de l'État. Je constate néanmoins que les rapports et les propositions en la matière sont déjà très nombreux et la remise de nos conclusions ce matin va contribuer à nourrir un débat déjà largement engagé. Plutôt que d'installer une nouvelle mission, le Gouvernement aurait pu nous exposer sa vision du problème et les solutions envisagées en vue de la réforme des retraites.
C'est précisément ce que nous faisons, avec Monique Lubin, dans le rapport que vous nous avez confié avec pour mission d'éclairer les conséquences d'une nouvelle augmentation de l'âge de départ à la retraite.
Si nous vous avons présenté à deux voix, en juillet dernier, le diagnostic et les facteurs explicatifs de la situation des seniors sur le marché du travail, notre différence d'approche du problème nous conduit à vous faire part de nos recommandations, pourtant communes, de façon séparée.
Je rappelle les trois points de diagnostic que nous partageons :
- premier élément : la France se distingue par un taux d'emploi des 60-64 ans particulièrement faible, 33 % contre 47 % en moyenne dans l'UE ou 60 % en Allemagne ;
- ensuite, un retraité sur deux a connu une période d'inactivité ou de chômage avant de liquider sa retraite ;
- enfin, si le taux de chômage des seniors est en moyenne plus faible que celui du reste de la population active, environ 7 % pour les 55-64 ans contre plus de 8 % en moyenne, la perte d'emploi pour un actif de plus de 50 ans est souvent irrémédiable et le condamne à un chômage de longue durée ou un passage par l'inactivité subie.
Cette situation résulte de trente ans de politiques ayant conduit à écarter les travailleurs de plus de 55 ans du marché du travail en réponse à la montée du chômage.
J'ai longuement exposé en juillet la responsabilité des règles de l'assurance vieillesse : l'abaissement de l'âge du taux plein à 60 ans, en 1982, a sacralisé ce seuil d'âge qui correspond encore à un totem dans l'esprit de beaucoup.
Malgré les réformes des retraites et la poursuite de l'augmentation de l'espérance de vie, il n'est toujours pas possible d'aborder sereinement dans notre pays le recul de l'âge de la retraite. C'est pourtant cet âge qui explique la faiblesse du taux d'emploi des 60-64 ans et c'est par lui que nous réussirons à impulser une dynamique et une culture du travail pour les plus de 60 ans.
De même, notre mission m'a fait prendre conscience du rôle déterminant qu'ont joué les dispositifs de cessation anticipée d'activité au premier rang desquels les préretraites. Si ces dernières sont désormais abrogées, l'impact du dispositif de retraite anticipée pour carrière longue demeure conséquent.
Il concerne depuis 2012 une personne sur quatre partant à la retraite (soit entre 250 et 300 000 personnes par an), pour un coût de plus de 6 milliards d'euros par an. S'il me paraît juste d'autoriser les actifs ayant commencé à travailler tôt à devancer l'âge légal de départ à la retraite, je pense que l'élargissement du dispositif « Retraite anticipée pour carrière longue » (RACL) en 2012 a été déraisonnable.
Comment justifier en effet qu'un tiers des personnes retraitées cumulant leur pension et les revenus d'une activité professionnelle bénéficient ou ont bénéficié du dispositif RACL ?
Dans son rapport, le Haut-commissaire souhaite maintenir les critères pour le bénéfice de ce dispositif en autorisant un départ dès 60 ans. Même si le nombre de personnes concernées va décroître, il conviendra de bien en mesurer les effets voire de revenir aux règles qui prévalaient avant 2012 et qui me paraissaient équilibrées.
Sur le marché du travail, le rapport montre bien l'échec de tous les dispositifs spécifiques aux seniors. De la contribution « Delalande » aux contrats de génération, ces mesures ont contribué à stigmatiser les actifs les plus âgés et ont eu des effets contreproductifs au point qu'ils ont même freiné les recrutements.
Nous pensons, et nous sommes d'accord sur ce point, qu'il faut changer de paradigme en considérant les travailleurs âgés comme les autres.
Les propositions visant à instaurer un « bonus-malus » sur les cotisations d'assurance chômage des plus de 55 ans ou de créer de nouveaux contrats de travail seniors me paraissent devoir être écartées.
En clair, le dispositif miracle n'existe pas et les réponses apportées par les pouvoirs publics ne peuvent qu'être modestes. En revanche, nous devons faire de l'emploi des seniors une grande cause nationale autour de laquelle doivent s'articuler non seulement les réformes des retraites, de l'assurance chômage et du marché du travail mais aussi la stratégie de gestion des ressources humaines de toutes les entreprises.
Nous formulons une vingtaine de propositions visant à penser, anticiper et préparer la seconde moitié de la carrière qui débute autour de 45 ans. Cette nécessité doit être partagée par tous les managers mais aussi les salariés et être intégrée dès le début de la vie active voire de la formation. Nous devons réussir à penser le temps long d'une carrière dont la durée pourra désormais dépasser 45 ans.
Le recul de l'âge de la retraite est engagé et me parait inéluctable au regard de l'augmentation de l'espérance de vie qui allonge la durée de vie passée à la retraite et pose un défi au financement des retraites.
C'est pourquoi je regrette la confusion régnant au sein du Gouvernement depuis plus d'un an par refus d'aborder frontalement la question du recul de l'âge de la retraite.
Il s'agit pourtant du seul levier actionnable pour atteindre l'équilibre financier du système. Certes, j'ai conscience des effets de report existant entre la baisse des dépenses de retraite et l'augmentation de certaines autres prestations sociales (chômage, pensions d'invalidité, arrêts maladie...).
Mais ces reports sont loin d'effacer l'efficacité de la mesure tant au niveau des finances publiques - la réforme des retraites de 2010 a permis une économie de plus de 20 milliards d'euros - que de la conjoncture économique. Reculer l'âge de la retraite surtout dans une période économiquement porteuse, c'est augmenter l'emploi et donc la croissance économique, à raison de 0,7 point de PIB par année supplémentaire de recul de l'âge de la retraite, d'après la direction du Trésor.
Il faut que nous réussissions à enclencher ce cercle vertueux et nos propositions, que Monique Lubin va préciser, doivent conduire à maintenir les actifs seniors en emploi.
J'évoquerai les deux propositions que nous formulons dans le domaine de la retraite et qui rejoignent les positions du Haut-commissaire évoquées dans son rapport de juillet.
La première concerne un dispositif encore trop méconnu : la retraite progressive. Elle permet au salarié, deux ans avant l'âge de son départ à la retraite, de demander un temps partiel, la perte de salaire étant compensée par la liquidation d'une partie des droits à la retraite. Nous proposons de l'étendre à l'ensemble des actifs, en particulier aux fonctionnaires et aux salariés au forfait qui ne peuvent y prétendre actuellement.
Je considère que ce dispositif doit participer d'une plus grande fluidité entre la vie professionnelle et la retraite et qu'il convient d'en faire un outil de transition favorisant l'emploi des seniors le plus longtemps possible.
Je propose également, sans l'appui de ma collègue, de renforcer l'attractivité du cumul emploi-retraite en rendant créatrices de droits les cotisations versées par les retraités-actifs.
Ce n'est pas le cas aujourd'hui et ces cotisations représentent une recette de solidarité d'environ 850 millions d'euros pour le régime général et l'Agirc-Arrco. Cette dépense supplémentaire me paraît indispensable et juste pour promouvoir ce dispositif et favoriser des retraités qui souhaitent se maintenir en activité.
Enfin, s'agissant des demandeurs d'emploi âgés, nous suggérons que la négociation de la prochaine convention Unédic soit l'occasion de définir des règles pour trouver un équilibre entre protection des demandeurs d'emploi et incitation au maintien ou au retour à l'emploi.
Les règles actuelles engendrent des effets induits qu'il convient de corriger.
Miser sur les seniors, anticiper et prévenir leur perte d'employabilité, diffuser une culture du travail au-delà de 60 ans, tels sont les défis soulevés par cette problématique de l'emploi des seniors.
Nos propositions recoupent en partie celles déjà avancées dans le débat public. Le temps est donc désormais à la mobilisation de tous pour faire de l'allongement de la durée d'activité une opportunité pour notre pays.
Mme Monique Lubin, rapporteure. - Je n'insisterai pas sur les différences que je peux avoir avec mon collègue René-Paul Savary et qui portent sur la vision que nous avons de la réforme des retraites. Je ne partage évidemment pas sa position sur le dispositif RACL. Néanmoins, au fil de nos auditions, nous avons réussi à aboutir sur un constat et des propositions communs.
Un mot en préambule sur ce terme de « seniors » que je récuse lorsque l'on parle d'actifs. Évoquons plutôt les problématiques de fin de carrière, de transition emploi-retraite ou même de formation ou de chômage tout au long de la vie mais réservons le terme de « senior » pour les troisième et quatrième âges !
René-Paul Savary a raison lorsqu'il dit que les actifs « seniors » sont des travailleurs comme les autres. Inutile de les appeler différemment.
Ce n'est pas qu'une question de sémantique mais bien de représentation tant auprès des employeurs que des actifs eux-mêmes. Le rapport, mal nommé, du Conseil économique, social et environnemental sur l'emploi des seniors a particulièrement insisté sur la nécessité de lutter contre les stéréotypes. Je pense que ce combat commence par celui des mots et bannir, autant que faire se peut, l'usage de « senior » me paraît pertinent.
Ce qui me paraît important de rappeler, dans la perspective de l'allongement de la durée de carrière, c'est qu'une personne sur deux à la retraite a connu une période d'inactivité ou de chômage avant de faire valoir ses droits.
Le Conseil d'orientation des retraites (COR) a bien indiqué que l'effet de la réforme de 2010 a été de figer les situations atteintes à l'approche de la soixantaine (emploi, chômage, inactivité) dans l'attente du nouvel âge de départ à la retraite.
Le décalage de l'âge de la retraite n'entraîne donc pas une hausse du taux d'emploi de même ampleur et il faut donc être précautionneux en la matière car les conséquences sociales sont évidemment lourdes : les actifs occupés restent occupés mais les chômeurs ne retrouvent pas plus de travail pour autant.
Voilà résumée notre divergence d'approche avec René-Paul Savary. Elle ne nous empêche pas pour autant de partager tant le diagnostic que les recommandations pour favoriser le maintien ou le retour à l'emploi des travailleurs approchant l'âge de la retraite.
Lors de nos auditions, nous avons tous les deux été désolés d'entendre que l'âge à partir duquel les salariés sont renvoyés à leur séniorité et disent ressentir leurs premières difficultés dans les entreprises est de 45 ans, âge qui correspond bien souvent à la moitié de la vie active.
Il faut donc effectivement réussir à anticiper et préparer la seconde moitié de carrière afin d'éviter la perte d'emploi. Nous formulons pour ce faire une série de propositions.
Une partie d'entre elles renvoient à la négociation.
La mobilisation doit d'abord être celle des employeurs. La seconde moitié de carrière doit faire l'objet d'une réflexion au niveau de la branche et des entreprises et être intégrée explicitement dans la liste des négociations annuelles obligatoires.
Au niveau interprofessionnel, un accord avait déjà été signé en 2005 mais il relevait plus de la déclaration de principe que du guide d'actions à mettre en oeuvre. La ministre Muriel Pénicaud a annoncé le 19 juin que l'emploi des seniors ferait l'objet d'une nouvelle concertation sans apporter plus de précisions.
Les partenaires sociaux vont devoir être imaginatifs ! La tâche est rude et nos auditions nous l'ont bien montré.
Ces négociations vont donc devoir aboutir sur une meilleure prise en compte du risque de désinsertion professionnelle qui passe par une meilleure prévention de la pénibilité et de l'usure au travail mais également de la nécessité de maintenir par tous les moyens l'employabilité de salariés avançant dans l'âge.
Sur la prévention de la pénibilité, le dispositif du compte personnel de prévention (C2P) existe déjà et doit permettre d'envisager des transitions vers des postes moins exposés. Au-delà des six facteurs de pénibilité couverts par le C2P, nous pensons que le suivi par les employeurs de toutes les sources d'usure doit se renforcer. Les PME et TPE devront être accompagnées en la matière et c'est tout l'objet des accords de branche.
Le maintien de l'employabilité des salariés passe par un effort constant de formation et un dialogue permanent sur les besoins et les envies des salariés d'évoluer professionnellement.
Nous avons conscience que ces préconisations sont formulées dans des termes généraux mais il relève bien de la responsabilité de chaque entreprise et même de chaque salarié de s'engager dans une démarche d'employabilité durable.
Certaines initiatives très concrètes méritent toutefois d'être saluées. Il en est ainsi de la création de labels permettant de distinguer les entreprises « inclusives » en matière d'emploi des travailleurs plus âgés.
J'ai d'ailleurs lu avec intérêt la proposition récente de l'association nationale des directeurs des ressources humaines tendant à transposer pour l'emploi des seniors l'index par entreprise prévu en matière d'égalité professionnelle femmes-hommes et qui est en cours de déploiement.
La logique de discrimination positive déployée dans le domaine de l'égalité femmes-hommes peut être appliquée à la question des fins de carrière. Ces labels permettent de valoriser les bonnes pratiques en matière de recrutement ou de participation des travailleurs âgés au sein des entreprises engagées. Ils constituent des repères pour les chercheurs d'emploi et peuvent aider à la diffusion de ces bonnes pratiques.
Nous formulons également plusieurs propositions relatives à l'entretien professionnel qui doit devenir un moment d'échange permettant d'anticiper la seconde moitié de carrière. Au cours de cet entretien, obligatoire tous les deux ans, certains outils comme le conseil en évolution professionnelle ou le bilan de compétences pourraient être présentés et promus auprès des salariés.
Enfin, je crois beaucoup à la nécessité de renforcer la formation des managers et des gestionnaires RH pour mieux prendre en compte le phénomène de vieillissement de la population active. Cet aspect n'est pas du tout abordé actuellement et les jeunes managers fraîchement émoulus ont tendance à privilégier des profils qui leur ressemblent.
S'agissant des travailleurs âgés se retrouvant au chômage, nous considérons à ce stade que la meilleure solution reste la prévention du licenciement.
L'accompagnement spécifique des demandeurs d'emploi âgés pourra également être renforcé. Nous renvoyons aussi à la négociation pour en fixer les conditions mais le service public de l'emploi doit apporter une réponse dédiée aux seniors.
Cela pourrait passer à mon sens, et je le dis à titre personnel, par la création de structures spécifiques sur le modèle des missions locales.
L'effort de formation professionnelle sur les plus de 45 ans doit être renforcé. Cela peut passer par la mobilisation des crédits du plan d'investissement dans les compétences déployé par le Gouvernement. Il met l'accent sur certains publics éloignés de l'emploi mais ne prévoit pas d'action spécifique envers les demandeurs d'emploi âgés. C'est à notre sens une lacune et il serait souhaitable qu'il y soit remédié.
Enfin, le rôle de la médecine du travail dans la prévention de la désinsertion professionnelle est essentiel et mériterait d'être revalorisé. Le rapport de nos collègues Pascale Gruny et Stéphane Artano présenté la semaine prochaine abordera plus en détails ce sujet.
Tels sont les axes de notre réflexion sur cette question complexe des fins de carrière dans un contexte d'allongement de la durée d'activité.
Ces propositions rejoignent bon nombre de celles déjà formulées dans différents rapports.
Nous souhaitons en tous cas avec ce rapport contribuer à faire de la question des fins de carrière et de la transition emploi-retraite une cause nationale qui doit guider désormais toutes les autres réformes.
M. Philippe Mouiller. - La mobilisation générale sur l'emploi des seniors me paraît essentielle. Ce sont les entreprises qui doivent s'engager. Les dispositifs administratifs ont d'ailleurs montré leurs limites. Toutes les régions ne se ressemblent pas. Certains territoires, comme mon département les Deux-Sèvres, ont un taux de chômage faible et les entreprises peinent à y recruter. Elles sont pleinement mobilisées pour le maintien de l'emploi des seniors et de leurs compétences. Sans cet engagement, elles seraient contraintes de changer de territoire par manque de main d'oeuvre. Je pense donc que l'approche de nos rapporteurs centrée sur l'entreprise est la bonne.
Mme Florence Lassarade. - Quelle est la durée du mi-temps thérapeutique ? J'ai été très sensible aux propositions faites sur la retraite progressive. Pourriez-vous les développer ? La retraite progressive est-elle conditionnée à l'accord de l'employeur ?
Mme Victoire Jasmin. - La prise en compte de la différence entre les territoires me paraît essentielle y compris s'agissant du niveau de vie des retraités qui peuvent être confrontés, comme dans les outre-mer, à des surcoûts spécifiques. Par ailleurs, dans les territoires ultramarins, les jeunes diplômés ont du mal à trouver du travail et il est nécessaire de leur trouver un emploi. L'allongement de la durée du travail doit être mis en perspective avec cette réalité. A l'inverse, pour certains secteurs, comme celui de la médecine, le cumul emploi-retraite est une piste privilégiée pour répondre aux carences des professionnels de santé.
Mme Michelle Meunier. - J'approuve votre recommandation visant à prévoir un suivi renforcé par l'employeur des salariés exposés à des facteurs de pénibilité afin d'envisager des transitions vers des postes moins exposés avant que ne surviennent des difficultés. Quelles sont vos positions sur les aspects de santé et de prévention des risques psychosociaux ?
M. Bernard Jomier. - Comment expliquer les différences de taux d'emploi entre la France et les autres pays européens ?
Mme Catherine Fournier. - La situation économique dans les territoires est évidemment différente, le taux de chômage dans mon département s'élève à 13 %. Les recommandations formulées dans le rapport sont-elles applicables dans les PME et TPE ? Ces entreprises n'ont pas de vision sur leur activité et travaillent souvent au mois le mois. Il me paraît difficile de leur demander de prévoir d'anticiper les fins de carrières de leurs travailleurs seniors. Compte tenu de l'évolution de l'état de santé et de la productivité des seniors, avez-vous réfléchi sur la flexibilité des contrats de travail ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. - J'ai rappelé hier lors des questions au Gouvernement l'opposition de notre groupe au projet de réforme des retraites. Elle vise reculer l'âge du départ à la retraite qui passera de 62 à 64 ans avec le mécanisme de décote de 5 % à 10 %. Je pense aux salariés et ouvriers soumis à des conditions de travail pénibles qui devront continuer à travailler plus longtemps car ils ne pourront subir une baisse de leur pension. Alors que le taux de chômage est encore élevé pour les seniors, pourquoi vouloir reculer l'âge de la retraite ? Pensez-vous que la réforme des retraites risque de fragiliser les seniors en les contraignant à accepter des emplois précaires pour augmenter leur retraite ?
M. Daniel Chasseing. - J'approuve les remarques de notre collègue Monique Lubin sur les missions locales. Il faut effectivement favoriser les transitions emploi-retraite à la fois pour permettre l'allongement de la durée de la carrière et la transmission dans les entreprises. Je considère à ce titre important de rendre le cumul emploi-retraite créateur de droits. Pour la croissance de notre pays, il faut gagner le combat de l'emploi des seniors.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Dans le cadre de la retraite progressive, est-il possible de sur-cotiser sur la base d'un temps complet ? Pouvez-vous me confirmer que ce dispositif n'existe pas pour les fonctionnaires ?
Mme Martine Berthet. - J'approuve votre position visant à ne plus parler d'actifs seniors, surtout si les difficultés commencent dès 45 ans. Il faut favoriser la retraite progressive.
Mme Monique Lubin, rapporteure. - Nous sommes d'accord pour dire que les dispositifs publics coercitifs ou incitatifs ne fonctionnent pas. C'est pourquoi nous avons privilégié d'autres solutions.
M. René-Paul Savary, rapporteur. - La personne de 70 ans aujourd'hui n'est pas la même que dans les générations passées. De plus, quatre générations cohabitent parfois au sein d'une famille. Ce qui signifie qu'il y a désormais une nouvelle période à appréhender dans les âges de la vie : après la période de formation et la période de vie active et avant le quatrième âge, se dessine une période de transition entre la fin de carrière et une première partie de retraite active. Je souhaite que nous ayons une vision sur cette période. Plus les seniors sont au travail, plus on crée de la croissance et plus les jeunes peuvent trouver un emploi. Les entreprises remarquent également que les seniors même en fin de carrière offrent des perspectives de stabilité plus longues que certains jeunes qui souhaitent être mobiles.
Le projet de retraite par points pourra simplifier l'arbitrage des salariés en fin de carrière entre la poursuite de l'activité ou la retraite en donnant une information plus prévisible du montant de la retraite. Les employeurs doivent en revanche sortir du double discours : ils ne peuvent plus dire qu'il faut travailler plus longtemps et dans le même temps se débarrasser des actifs les plus âgés. Ils doivent également investir dans la formation de leurs salariés y compris après 45 ans.
S'agissant du chômage des seniors, je considère que la préretraite n'a pas été et n'est pas une solution, y compris pour les salariés eux-mêmes, alors que le travail est une solution pour prévenir les maladies neurodégénératives. À l'inverse, il faut prévenir le licenciement des seniors qui est un drame passé 50 ans.
Nous appelons donc à faire de l'emploi des seniors une cause nationale. C'est incontournable pour réussir la réforme des retraites. Sans prolongement de la durée d'activité, le système de retraite ne pourra plus financer des pensions suffisantes.
Mme Monique Lubin, rapporteure. - Nous sommes lucides face à nos propositions incitant les entreprises à se mobiliser. Nous n'avons pas les moyens de le décréter ! De même, les TPE et PME sont moins bien armées pour les mettre en oeuvre. C'est pourquoi nous renvoyons aussi à la négociation de branche.
Nous avons également beaucoup réfléchi à la santé au travail et à la prévention des risques psychosociaux. Nous avons tous des exemples de salariés, licenciés à 50 ans après une carrière pénible et ne pouvant pas retrouver d'emploi. Si les grandes entreprises commencent à se saisir de cette question de la prévention, je crois que nous avons baissé la garde dans notre pays ces dernières années. L'État doit avoir une réflexion sur ce point.
M. René-Paul Savary, rapporteur. - La compensation de la pénibilité dans notre pays peut avoir un effet pervers en incitant les travailleurs à rester dans des emplois pénibles pour partir plus tôt à la retraite. Dans l'industrie automobile en Allemagne, l'occupation d'un poste pénible est temporaire et des propositions d'évolution sont faites aux salariés. Je partage les remarques et questions sur le mi-temps thérapeutique et la retraite progressive. Le mi-temps thérapeutique est possible jusqu'à quatre ans de suite. Je pense également que la retraite progressive peut être une solution pour les proches aidants.
Mme Monique Lubin, rapporteure. - La retraite progressive est effectivement un dispositif méconnu. Elle est soumise à l'accord de l'employeur car il s'agit d'un passage à temps partiel, ce qui nécessite une modification de son contrat de travail. Les entreprises financent également la possibilité de sur-cotiser à la retraite sur la base d'un temps complet. Il est donc difficile de les contraindre à accepter la retraite progressive.
M. René-Paul Savary, rapporteur. - Sur le cumul emploi-retraite, nous reprenons à notre compte la proposition du Haut-commissaire de le rendre créateur de droits. Nous nous sommes interrogés sur ce dispositif car il peut servir d'argument pour ne pas augmenter les retraites.
Mme Monique Lubin, rapporteure. - J'étais en effet fortement opposée à ce dispositif. Quel est l'état d'esprit d'une personne bénéficiant d'une retraite à taux plein et qui reprend un contrat de travail parfois même dans son ancienne entreprise ? Les bénéficiaires du cumul sont en majorité soit des cadres aux bonnes rémunérations, soit des personnes qui sont parties dans le cadre de la retraite anticipée pour carrière longue. Cette situation m'interpelle ! Je ne fais donc pas mienne cette proposition tout en ayant conscience que cela prive de droits supplémentaires des retraités reprenant une activité. Parmi ces dernières, il y a souvent aussi des femmes aux carrières heurtées. Le cumul peut être alors une solution.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Quelle est la borne d'âge pour définir un senior ?
Mme Monique Lubin, rapporteure. - C'est l'un des enjeux du sujet. Nous l'avons fixé à 55 ans mais nos auditions nous ont montré que les premières difficultés se rencontrent dès 45 ans. L'enjeu de notre rapport c'est l'emploi jusqu'à l'âge de la retraite.
M. René-Paul Savary, rapporteur. - Il faut bannir le terme de senior quand on parle d'actifs. Le combat sera gagné lorsque l'on considèrera les actifs les plus âgés comme les autres.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
Désignation d'un rapporteur
La commission nomme M. Jean Sol rapporteur du groupe de travail, commun avec la commission des lois, sur l'expertise psychiatrique en matière pénale.
La réunion est close à 12 h 25.