Mercredi 24 juillet 2019
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Refonte du dispositif public d'appui au commerce extérieur - Audition
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Christine Lepage, directrice des affaires internationales du Mouvement des entreprises de France (Medef), et une délégation de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), composée de M. François Turcas, président de la CPME Auvergne-Rhône-Alpes et vice-président chargé de l'international, ainsi que de Mmes Béatrice Brisson, directrice des affaires européennes et internationales, et Marie-Laure Lemaître, responsable international de la CPME Auvergne-Rhône-Alpes, pour une troisième audition sur la réforme du dispositif de soutien à l'export.
Le Medef comme la CPME se sont dotés d'un service dédié à l'accompagnement à l'export des entreprises, traduisant l'ampleur de cette préoccupation pour le tissu économique français. Nous partons d'un constat simple : le déficit commercial se creuse en France, s'élevant à près de 60 milliards d'euros en 2018, alors que l'excédent commercial allemand atteint 244 milliards d'euros. Le décrochage de la France au sein même de l'Europe est donc important, alors que nous évoluons dans un environnement similaire, notamment en termes d'accords commerciaux - nous y reviendrons.
Or, la compétitivité à l'export de nos entreprises est une condition sine qua non de bonne santé de notre économie : sans conquête des marchés étrangers, c'est autant de possibilités de croissance de nos petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui disparaissent, conduisant à la fragilisation de notre base industrielle.
Chaque année, près de 50 000 emplois industriels sont détruits depuis 1989. En trente ans, ce sont 1,4 million d'emplois industriels qui ont disparu, soit une réduction de 30 %. Cette tendance n'est pas une spécificité française, mais elle est plus aiguë dans notre pays que chez nos voisins. La part de l'industrie manufacturière dans notre PIB est de 10,2 %, contre 12,8 % en Espagne, 14,6 % en Italie et 20,6 % en Allemagne.
Notre déficit commercial s'explique de différentes façons. Nous souhaiterions entendre votre analyse. Force est de constater le faible nombre d'entreprises exportatrices : elles sont 125 000 seulement à vendre leur production à l'étranger, trois fois moins qu'en Allemagne. Aussi apparaît-il indispensable d'identifier les principaux freins à l'amorce d'une véritable dynamisation de l'export en France. Sont-ils liés à une moindre compétitivité et à de faibles débouchés sur les marchés internationaux ? Tiennent-ils davantage à un manque d'accompagnement à l'export, sur le plan du coût des assurances, de l'accès aux financements ou encore de la disponibilité des informations ? Ou bien y'a-t-il un blocage au niveau de la culture des entreprises françaises, peu conquérantes à l'export ?
L'année dernière, le Gouvernement a annoncé une nouvelle « Stratégie en matière de commerce extérieur » et une réforme de l'accompagnement des entreprises à l'export. Au cours de nos précédentes auditions, l'accent a été mis sur le développement de ces dispositifs dans les territoires, au plus près des entreprises. Mais, derrière ces réorganisations de façade, ce sont les résultats qui nous intéressent : du point de vue des entreprises, une amélioration est-elle en vue ? La mise en place du nouveau système se passe-t-elle bien ? En particulier, la logique de guichet unique vous semble-t-elle effective sur le terrain ? Rappelons que la réforme se décline en trois volets : accompagnement, financement et formation. Quels sont les retours dont vous disposez, vos remarques, vos propositions ?
Enfin, le Sénat sera amené à se prononcer à l'automne sur l'accord CETA avec le Canada. Quelle est votre vision sur les traités de libre-échange ? Nous sommes vigilants sur le maintien de conditions commerciales loyales pour nos entreprises, en particulier dans le secteur agricole.
Mme Christine Lepage, directrice des affaires internationales du Medef. - Le Medef participe à l'internationalisation des entreprises de plusieurs façons et par le biais de plusieurs groupes de travail. La direction des affaires internationale du Medef s'occupe des règles du jeu du commerce international ; nous travaillons sur les règles douanières, les règles de déontologie, les accords de libre-échange et les financements. Nous participons aussi au sommet du G7 et à celui du G20. Medef international, association qui a été créée en 1989, aide les entreprises à renforcer leurs positions commerciales sur les marchés étrangers, notamment sur les marchés plus difficiles d'accès, en organisant, par exemple, des délégations à l'étranger pour rencontrer les donneurs d'ordres et les décisionnaires. Le comité France-Chine du Medef fait la même chose pour la Chine. Enfin l'association Stratexio, créée il y a quelques années, accompagne les dirigeants des ETI et des PME, les aide à comprendre comment on travaille à l'international, délivre des formations sur les outils et techniques à utiliser. Ainsi, nous avons essayé d'intervenir sur tous les créneaux pour faciliter le développement à l'international.
En outre, comme le G7 aura lieu cette année en France, le Medef a été chargé parallèlement d'organiser le sommet du Business 7. Nous avions retenu le thème du Gouvernement français : la lutte contre les inégalités. Nous avons abordé les questions relatives à la cybersécurité, à la défense du multilatéralisme, à la biodiversité. Nous avons aussi travaillé avec les syndicats, le Labour 7, et avons fait des recommandations en commun pour lutter contre les inégalités.
M. François Turcas, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) Auvergne-Rhône-Alpes et vice-président chargé de l'international. - Je suis très honoré d'être auditionné au Sénat ; c'est la première fois pour moi. La CPME représente 99 % des entreprises, mais celles-ci ne représentent que 13 % des exportations françaises. Par rapport au Medef, nous sommes donc un peu le petit Poucet... Pour les grandes entreprises ou les ETI, exporter est plus facile : elles sont soutenues par des organisations comme le Medef international, Business France ou la « Team France export ». Mais il ne faudrait pas oublier pour autant les entreprises de moins de vingt salariés. Je suis donc heureux de m'exprimer devant vous. J'en profite aussi pour lancer un appel : n'hésitez pas à nous associer à vos déplacements officiels à l'étranger ! Nos entreprises sont très réactives et très désireuses de gagner de nouveaux marchés. La CPME consent depuis trois ans un effort pour développer l'internationalisation de nos territoires. Des référents internationaux ont été installés. Cela n'a pas été facile. Dans une PME, c'est le chef d'entreprise qui fait tout. C'est lui qui décide ou non d'aller à l'international. S'il ne veut pas se lancer, il sera difficile de le faire changer d'avis avec de simples simulations financières. La dimension humaine est fondamentale. Il faut expliquer, comprendre, écouter le chef d'entreprise si l'on veut le convaincre, lui fournir un accompagnement personnel, lui apporter une formation. Nous devons comprendre les produits ou les processus et apprécier s'ils sont exportables. C'est ce travail de fond que nous menons sur le terrain.
Mme Élisabeth Lamure. - Sur le plan de l'accompagnement, quels sont les résultats de la constitution d'une « Team France Export » ? Le guichet unique est-il effectif sur le terrain ? Comment le Medef et la CPME se positionnent-ils, et travaillent-ils ensemble ?
Pour les entreprises de moins de vingt salariés, la question du financement est souvent déterminante dans la décision d'exporter. Pour assurer le suivi d'un salon à l'étranger, par exemple, il faut embaucher quelqu'un dans le pays. La question du financement ne semble pas réglée.
M. Alain Chatillon. - De nombreuses structures visent à soutenir l'exportation : Business France, les chambres de commerce et d'industrie, les chambres de métiers et de l'artisanat, les régions, BPI France, etc. Il conviendrait de rationaliser cette organisation, ou que ces organismes travaillent ensemble, comme le font les Italiens, avec leurs districts, ou les Japonais. En tant qu'administrateur de Business France, j'ai l'impression que nos initiatives manquent de coordination. Pour renforcer l'accompagnement, il me semble aussi utile d'envoyer des jeunes dans les pays cibles pendant un ou deux ans. Enfin, il serait aussi important que les hauts fonctionnaires qui représentent la France à Bruxelles et qui négocient les accords internationaux et la réglementation soient sensibilisés aux conséquences pour nos entreprises des décisions afin qu'elles ne soient pas pénalisées. En Allemagne, les fonctionnaires doivent rendre compte aux entreprises de leurs positions sur la réglementation.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Le Medef International entretient-il des relations avec les organisations patronales européennes et mondiales ? Quels genres d'actions pourriez-vous mener conjointement avec vos homologues étrangers et comment faire en sorte que nos PME en bénéficient aussi ? Comment articuler ces actions avec notre dispositif d'appui au commerce extérieur ?
Une étude récente semble indiquer qu'il existe un plafond de verre pour les sociétés exportatrices, quelle que soit leur taille : les exportations ne représenteraient, au maximum, que 20 % du chiffre d'affaires tandis que 80 % du chiffre d'affaires serait réalisé sur le marché domestique. Comment expliquer ce phénomène ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Quels facteurs expliquent, selon vous, le manque de dynamisme de nos entreprises à l'export ? S'agit-il d'un manque de volonté, d'un défaut de compétitivité, d'un problème d'accompagnement ? Quel bilan tirez-vous de la création d'un guichet unique ? L'équipe France est-elle bien structurée ? Nos entreprises chassent-elles en meute ? Enfin, quelle appréciation portez-vous sur les traités de libre-échange ?
Mme Christine Lepage. - La faiblesse de nos exportations peut s'expliquer par une combinaison de plusieurs facteurs. Le premier élément semble être culturel. On vit bien en France. En conséquence, les Français ont moins eu le besoin, historiquement, de s'expatrier, d'aller chercher la croissance à l'étranger. L'Italie, par exemple, a une diaspora très importante et très influente à l'étranger. Cela explique en partie la situation actuelle. Vous évoquez le manque d'accompagnement. Cela joue peut-être, mais les entreprises italiennes n'ont pas le sentiment d'être mieux accompagnées que les françaises. On évoque aussi parfois la différence de qualité des produits, les produits allemands seraient supérieurs aux produits français, mais cela n'est pas toujours vrai et l'explication n'est pas suffisante. Il y a donc une conjonction de facteurs.
Une rationalisation de notre système d'accompagnement des entreprises est en cours. Elle était très attendue. Le Medef a beaucoup travaillé avec Business France et les régions pour améliorer les choses. La rationalisation mise en place constitue un progrès, mais nous manquons encore de recul pour évaluer les effets de la réforme, même si l'on constate que le nombre de contrats signés avec les régions augmente. Il faut laisser aux entreprises le temps de s'approprier la réforme. Le guichet unique est un élément de simplification.
La France compte 130 000 exportateurs. C'est trop peu. Surtout, beaucoup sont laissés à l'abandon et ne sont pas accompagnés, notamment les primo-exportateurs. Business France se concentre surtout sur les exportateurs à potentiel, car elle n'a pas les moyens de suivre toutes les entreprises.
En outre, l'export requiert des techniques et des procédures complexes. Les entreprises ont besoin d'un accompagnement individualisé ; cela prend du temps et cela coûte cher. Tout le monde ne peut pas être suivi. C'est pourquoi, même si les réformes récentes vont dans le bon sens, je crois qu'il ne faut pas s'attendre à une explosion des exportations à très court terme. Un élément important est la sensibilisation et la formation dès le plus jeune âge comme cela se passe en Allemagne ou aux États-Unis, où l'on étudie couramment le commerce international dans les écoles de commerce ou les universités. Il faut aussi renforcer l'apprentissage des langues : il est difficile d'exporter et d'assurer le service après-vente si l'on ne maîtrise pas l'anglais ! Un tiers des 130 000 exportateurs ne renouvelle pas l'expérience. Souvent la trésorerie des entreprises n'est pas suffisante pour leur permettre de faire face à des problèmes. Cela soulève la question de la compétitivité et de la rentabilité des entreprises françaises.
Mme Sophie Primas, présidente. - Que pensez-vous du CETA et des traités de libre-échange ?
Mme Christine Lepage. - Le Medef est favorable aux traités de libre-échange. Nous les négocions âprement. Nous réclamons depuis toujours des accords ambitieux et équilibrés. Le Medef compte parmi ses membres l'Association nationale des industries alimentaires. Il n'est pas question de sacrifier l'agriculture française au profit des services ou de l'industrie. Nous soutenons le CETA et le traité avec le Mercosur, car ils nous paraissent équilibrés, notamment au regard de l'environnement, avec des quotas pour l'agriculture. Les premiers retours sont positifs. Les exportations européennes ont augmenté de 7 %, en moyenne, entre septembre 2017 et juillet 2018, avec des hausses fortes de 20 % pour la chimie et la pharmacie, de 43 % pour la céramique, de 29 % pour les fruits, de 34 % pour le chocolat, de 11 % pour les vins mousseux, etc. En France, nos exportations ont augmenté sur la même période de 5,3 %, mais beaucoup plus pour les vins, le luxe, l'automobile ou la chimie. Donc le bilan est positif et je n'ai pas entendu beaucoup de critiques de la part des agriculteurs.
Quant à l'environnement, on entend beaucoup de choses : il faudrait produire à proximité du lieu de consommation, car le bilan carbone des importations est négatif à cause des transports. Mais si l'on demande à des pays qui n'ont pas de ressources de produire sur place, le bilan carbone risque d'être beaucoup plus négatif ! Donc, il faut évaluer les conséquences avec précision.
M. François Turcas. - Vous m'avez interrogé sur le financement.
En préambule, je dois dire que je suis un peu contrarié par le fait que les corps intermédiaires aient été mis de côté dans le cadre de cette réforme. Les syndicats connaissent le terrain et leurs adhérents, et c'est en eux que les entreprises ont confiance. Lorsqu'un chef d'entreprise souhaite se lancer dans l'exportation, il s'informe auprès d'une autre entreprise. Ce tissu de confiance entre les entreprises et les syndicats doit absolument être exploité.
Notre rôle à tous, au Medef ou à la CPME, est d'occuper le terrain afin d'accroître le nombre d'entreprises exportatrices. Je rappelle que, en 2000, la France comptait 130 000 entreprises exportatrices, contre 125 000 aujourd'hui. Ces entreprises sont au nombre de 420 000 en Allemagne et de 250 000 en Italie. C'est donc qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Un Italien, lorsqu'il ne fabrique pas un produit, a le réflexe d'appeler celui qui le fabrique. Il ne lâche pas le client venu de l'étranger. C'est une culture que nous n'avons pas encore en France.
Dans nos anciennes colonies - pardonnez-moi d'utiliser ce terme, mais il a le mérite d'être compréhensible -, nous étions sûrs d'être sélectionnés dans tous les appels d'offres, mais le jour où le monde s'est ouvert, ces pays ont fait appel à des entreprises du monde entier. Nous avons alors perdu tous nos marchés en Afrique. Il faut en priorité reconquérir ces marchés, où se trouvent les matières premières. Il ne faut pas seulement exploiter ces matières premières, il faut aussi donner du travail aux populations sur place et donner une plus-value à leur travail, si nous ne voulons pas demain être envahis.
J'en viens au financement. Nous ne pouvons pas nous plaindre, car nous avons en France des dispositifs extraordinaires. Le problème est qu'ils ne sont pas connus et pas utilisés par les primo-exportateurs - je parle ici des entreprises comptant jusqu'à cinquante salariés. Il faut expliquer à ces entreprises qu'elles peuvent exporter sans trop toucher à leur trésorerie, en bénéficiant d'une assurance prospection par exemple, et les accompagner. Le fait est qu'on a beau fournir des explications aux chefs d'entreprise lors de réunions, ils oublient tout sitôt qu'ils ont quitté la réunion ! De même, on s'est aperçu que de nombreuses PME-PMI qui font l'effort d'aller à l'international n'exploitent pas à leur retour tous les contacts qu'ils ont établis sur place. Nous les obligeons donc à nous tenir au courant, et c'est nous qui relançons les contacts étrangers pour leur compte.
Au Japon, les entreprises qui ne souhaitent pas exporter confient leurs produits à de grandes entreprises, appelées des shôshas, lesquelles s'occupent ensuite de les commercialiser à l'échelon international. C'est une piste de développement pour nous. Le portage par de grands groupes est quelque chose de formidable, mais encore faut-il qu'il soit mis en place. Or c'est un échec total, car ce n'est pas dans la mentalité des grands groupes aujourd'hui, qui n'ont pas les cadres nécessaires. Il leur faudrait des tuteurs, mais nous n'en avons pas. Il faut envisager cette piste pour le futur, sinon nous n'arriverons jamais à atteindre le nombre de 200 000 entreprises exportatrices.
Alors, oui, nous disposons de suffisamment de financements, mais il faut materner les entreprises et les prendre en charge de leur départ à leur retour, afin qu'elles n'aient à s'occuper de rien d'autre que de vendre leurs produits et d'honorer les rendez-vous qui leur ont été pris. Voilà quel est notre travail en tant que syndicat.
Le renfort des conseillers territoriaux de BPI France et de Business France est extraordinaire. On connaît tous la situation des chambres de commerce et d'industrie (CCI) aujourd'hui. Les restrictions budgétaires signifient plus de voyages à l'étranger. Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, nous nous partageons les tâches : la région a délégué aux CCI la promotion à l'international et nous occupons du travail sur le terrain, c'est-à-dire de la formation, des journées pays, etc. C'est une répartition logique, qui pourrait être dupliquée dans d'autres régions.
Votre deuxième question portait sur l'envie. Ce qui donne envie aux entreprises d'exporter, c'est l'exemple d'autres entreprises. La première exportation se fait la plupart du temps dans les pays du Maghreb, dont le potentiel n'est pas négligeable et où l'on parle le français. Nous sommes ainsi l'un des plus gros exportateurs vers l'Algérie. Même si c'est difficile, on peut y emmener des primo-exportateurs, avant, petit à petit, de leur faire connaître l'Afrique. Il faut toutefois les former. Si on ne les materne pas, il y a automatiquement d'importants déchets. Sur 28 000 primo-exportateurs rentrants, on compte 26 000 sortants ! Ce n'est pas normal.
Les primo-exportateurs n'ont pas intérêt à aller se battre immédiatement contre l'Allemagne ou le Japon, ou encore les États-Unis, qui sont des pays très réglementés et difficiles d'accès. En 1974, nous avions emmené des entreprises au Liban. Nous avons fait la même chose au Vietnam. L'accord avec les patronats locaux est très important et nous fait gagner un temps fou. J'ajoute que, en règle générale, ils ont la déontologie de nous présenter des gens à qui on peut serrer la main sans avoir à compter ses doigts ensuite !
Vous m'avez ensuite interrogé sur le volontariat international en entreprise (VIE). Ce dispositif pourrait être amélioré, mais il n'en est pas moins formidable pour les jeunes. L'Europe a mis en place le programme Erasmus+, qui s'adresse aussi à de futurs chefs d'entreprise. Pouvoir travailler dans une entreprise étrangère est une ouverture dont les gens de mon époque n'ont pas bénéficié. Il faut en profiter au maximum.
Mme Sophie Primas, présidente. - À quelles améliorations pensez-vous ?
M. François Turcas. - Il n'est pas normal, par exemple, qu'une entreprise ne puisse pas engager un VIE sur place, à la fin de son contrat.
J'ai beaucoup apprécié votre intervention sur la formation et les langues vivantes, madame Lepage. Nous faisons nous aussi de la formation. Quand on se rend dans des classes de troisième, quand on fait visiter les entreprises aux élèves, on crée chez eux un état d'esprit positif et on les incite à se tourner vers l'international. Il faut absolument accroître de telles formations, mais nous sommes très en retard. Le fait d'avoir eu accès, sans faire d'efforts, à des marchés dédiés nous a tués.
Il existe aussi des entreprises françaises qui s'en sortent bien, mais qui refusent de sortir de leur région. Or, en tant que chefs d'entreprise, nous sommes responsables non seulement des gens que nous employons, mais aussi de la pérennité de l'entreprise. À cet égard, des actions doivent être menées. Le rôle des syndicats patronaux est aussi d'éveiller les consciences et de pousser les entreprises vers l'étranger.
J'en viens aux lobbys. Dans notre culture judéo-chrétienne, faire du lobbying ou parler d'argent, cela ne se fait pas. Nous avons honte, mais il faudra que cela change. À une époque, on envoyait à Bruxelles des gens peu motivés. Cela a bien changé heureusement, car c'est désormais à Bruxelles que les choses se passent.
Permettez-moi à cet égard d'ouvrir une parenthèse concernant le programme européen COSME, lequel est doté d'un budget de 2,3 milliards d'euros. Où sont ces milliards d'euros ? Deux sociétés font de tels prêts, la SIAGI, la société de caution mutuelle pour les petites entreprises, et la Socama, la société de caution mutuelle de la Banque populaire, mais je n'ai jamais vu de tels prêts être octroyés en France dans le cadre de ce programme.
Le Medef doit aussi travailler avec nous. La France compte treize régions métropolitaines. Pourquoi ne pas placer dans chaque territoire un référent territorial de la CPME et plusieurs du Medef pour dynamiser nos équipes d'attachés aux relations extérieures, qui se rendent dans les entreprises tous les jours et qui peuvent les motiver et leur offrir des possibilités de s'ouvrir à l'international ?
Madame Renaud-Garabedian, je n'ai pas bien compris votre question.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Vous le dites, les entreprises françaises ne savent pas exporter. Je voulais savoir pourquoi elles réalisent 80 % de leur chiffre d'affaires sur le marché domestique, mais vous avez répondu à ma question. Le problème, ce sont les entreprises françaises elles-mêmes.
M. François Turcas. - Nous avons besoin de tout le monde pour conquérir des marchés à l'international, mais nous avons tous les moyens dont nous avons besoin. Il faudrait juste procéder à quelques aménagements concernant le VIE. Il faudrait en particulier que ces personnes bénéficient d'un temps de formation plus long en France. Je crois également au temps partagé du VIE. Dans les pays étrangers, une même personne a souvent, par exemple, des agences de voyages, des hôtels, des usines. Un seul VIE peut à lui seul toucher trois ou quatre entreprises.
Permettez-moi de vous soumettre une idée farfelue. Nous avons en France deux leaders mondiaux, le groupe Accor et le groupe Ecco. Pourquoi ne pas conclure un accord avec eux ? L'un prêterait une chambre d'hôtel, l'autre recevrait dans ses locaux un VIE spécialisé. Un tel portage serait intéressant. Ecco a accès à toutes les entreprises, puisqu'il loue du personnel. On disposerait ainsi d'un sourcing qui pourrait être envoyé en France. Ces grands groupes pourraient aider la France à pénétrer les marchés à l'étranger.
J'en viens aux réseaux. Il en existe de formidables. La direction régionale des douanes à Lyon nous a proposé d'informer tous les membres de ses fichiers sur nos initiatives à l'international. Ce ne sera malheureusement pas possible en raison du règlement général sur la protection des données, mais si les douanes pouvaient ainsi être des véhicules et informer sur nos missions, elles nous rendraient un service extraordinaire.
Les réseaux du patronat local en Tunisie, en Algérie ou ailleurs, sont des réseaux très efficaces.
En revanche, nous ne nous servons pas assez des consuls. Lyon compte 80 consuls étrangers, qui constituent un formidable réseau, mais dont on ne profite pas. Ils pourraient pourtant nous fournir des informations, que nous exploiterions ensuite.
Il y a donc beaucoup de choses à faire s'agissant des réseaux.
J'en viens aux traités de libre-échange. Bien sûr, j'y suis favorable, compte tenu de tout ce que je viens de dire sur l'international. J'attirerai néanmoins votre attention sur plusieurs points.
Selon M. Trudeau, toutes les normes sont en place, mais les agriculteurs canadiens nous disent, eux, qu'ils ne sont pas prêts. Si les Canadiens n'ont pas utilisé leur quota annuel d'exportation de viande bovine, comme cela est indiqué dans certains rapports, c'est parce que l'accord n'étant pas encore ratifié, ils ne savaient pas s'ils devaient investir ou pas. Le jour où le traité sera ratifié, ils se mettront aux normes. Le problème, c'est que l'utilisation de farines animales ou d'hormones est visible sur l'animal vivant, mais pas sur la carcasse. Des précautions s'imposent donc. Je suis pour un libéralisme tempéré.
Ce qui m'inquiète, c'est que le Mercosur et le CETA vont être brutalement mis en oeuvre, que les droits de douane sont supprimés pour le Japon, le Vietnam et la Nouvelle-Zélande. Alors que nous ne sommes pas prêts à faire de l'international, on va accepter cette concurrence ? Nous devons agir tout de suite.
Je ne parle pas du CETA, la situation est irréversible, on le sait. En outre, les Canadiens sont nos amis, et le Canada est une porte d'entrée vers le marché nord-américain. En outre, il permettra à 10 000 entreprises de créer 80 000 emplois en France. Vérifions bien toutefois que M. Trudeau dit la vérité et que nous n'aurons pas de problème d'importations de viandes d'animaux nourris aux farines animales ou traités aux hormones. Le risque, sinon, est d'aggraver la fracture sociale. Les plus pauvres consommeront des viandes aux hormones, moins chères, quand les plus riches achèteront des produits locaux et bio.
M. Alain Chatillon. - Vos préoccupations me paraissent tout à fait légitimes. Je ne reviendrai pas sur le montant du déficit commercial de la France et sur l'excédent allemand. J'attirerai simplement votre attention sur le fait qu'il nous faudra travailler en France sur la transmission d'entreprise, la moyenne d'âge des chefs de petites entreprises étant de cinquante-neuf ans. En Allemagne, les entreprises, qui reposent sur un système de fondations depuis 150 ans, peuvent être transmises sans fiscalité.
Les pôles de compétitivité n'ont pas été évoqués. Or ils permettent la mutualisation et le financement de projets de développement.
En réponse à vos réflexions sur le CETA, je rappelle que la France perd aujourd'hui l'équivalent de la surface agricole d'un département tous les sept ans. Elle ne compte plus aujourd'hui que 360 000 agriculteurs, contre 2 millions en 1980. Veillons donc à ne pas tuer définitivement notre agriculture.
Enfin, vous avez raison concernant l'Afrique. Dans vingt ou vingt-cinq ans, ce continent sera le premier pôle mondial de développement, l'élément déterminant étant que 80 % de ses habitants parlent le français.
M. Daniel Gremillet. - La loi NOTRe a entraîné des bouleversements dans les relations entre les départements et les régions en matière de politique commerciale et de soutien à l'exportation. Avez-vous fait un bilan des conséquences de cette évolution ? Considérez-vous aujourd'hui comme un handicap l'absence de politique industrielle à l'échelon communautaire ?
Nous avons récemment auditionné les attachés d'ambassade. Eux n'ont pas peur des accords internationaux, de la réforme de la politique agricole commune. Pourquoi avons-nous peur ? Pourquoi ne sommes-nous pas capables d'être aussi bons que nos voisins ?
Mme Claudine Lepage. - Oui, bien sûr, nous défendons une industrie européenne parce que nous savons que, dans de nombreux secteurs, la taille des entreprises à l'échelon national est insuffisante pour lutter contre nos grands compétiteurs, particulièrement la Chine et les États-Unis. Une politique industrielle européenne est donc absolument nécessaire. La prise de conscience s'est faite avec les batteries électriques pour les véhicules. Compte tenu des montants à investir, le projet ne peut être qu'européen.
M. François Turcas. - C'est aussi une question de main-d'oeuvre : en France, son coût horaire est passé en quelques années de 21 à 37 euros. Cela dégrade notre compétitivité par rapport à des pays qui ont une main-d'oeuvre à bas coût. Cela n'explique pas tout, pour autant. En agriculture, il n'est pas normal que nous soyons au sixième rang. Il y a un problème normatif : il faudrait que tout le monde soit aux mêmes normes et utilise les mêmes produits. Or, on est loin du compte. Nous avons raté le tournant de l'entreprise : il nous faut gagner celui de l'innovation. C'est pourquoi il faut aider nos start-up. Celles-ci, dans leur business plan, partent de l'international. Le problème vient non pas de la mauvaise volonté des entreprises, en tous cas dans l'agroalimentaire, mais de nos conditions de travail : c'est l'environnement qui nous pénalise.
Mme Claudine Lepage. - Nous ne serons jamais assez nombreux pour accompagner les entreprises dans l'exportation. Il ne faut pas penser en termes de « Team France » publique indépendante de l'action du secteur privé. La coordination doit au contraire être sans cesse renforcée. Le dispositif du VIE est exceptionnel et nous devons le mettre en avant. Certaines améliorations ont été apportées par la loi Pacte, notamment sur le temps de formation dans l'entreprise. Reste à faire de la sensibilisation auprès des entreprises, qui doivent apprendre à attirer des jeunes qui exigent de plus en plus de sens, et le respect de l'environnement.
Je suis sans doute l'une des rares dans cette pièce à le penser, mais il ne faut pas diaboliser les accords commerciaux comme le CETA. Même les grandes entreprises disent qu'elles n'exportent pas dans certaines zones parce que la réglementation est trop complexe, ce qui constitue une barrière à l'entrée. Nous défendons bien sûr les primo-exportateurs et les PME, mais il ne faut pas négliger les plus grandes entreprises qui savent faire, ne souffrent pas des difficultés qui arrêtent les plus petits acteurs, mais peuvent être rebutées par des barrières tarifaires et non tarifaires trop importantes. Bien sûr, il faut améliorer au maximum ce qui concerne l'environnement et la protection du consommateur, mais, dans ces accords, les normes européennes ne sont pas revues à la baisse. S'il y a des points sensibles qu'il faut améliorer, il y a la possibilité de le faire. Il est dommage de rejeter des accords plutôt que de les améliorer.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous sommes plusieurs à partager votre point de vue, mais, lorsque le texte arrive au Parlement, il est trop tard pour le modifier.
Mme Christine Lepage. - Des clauses permettent de continuer à améliorer l'accord après sa signature.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci pour votre franc-parler.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Qualité des steaks hachés distribués dans le cadre du Fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD) - Présentation du rapport d'information
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je souhaitais tout d'abord remercier madame la présidente d'avoir accepté que la commission travaille sur ce sujet et de me confier ce rapport. Très rapidement après la révélation de l'affaire, nous avons organisé deux auditions publiques, l'une avec les quatre associations caritatives concernées et l'autre avec les services de l'État - la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), et FranceAgriMer -, ainsi qu'une série d'auditions avec la société Voldis (son actionnaire majoritaire et sa présidente), la société Marcel Proux (SMP) - courtier -, Mmes les ministres Pannier-Runacher et Dubos, et MM. Bazin et Bocquet, auteurs d'un rapport sur le Fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD). MM. Raison et Duplomb ont par ailleurs assisté à certaines de ces auditions et je tenais à les en remercier.
FranceAgriMer a passé un marché public pour 1 436 tonnes de steaks hachés de boeuf surgelés avec Voldis, qui, de son côté, a fait appel au négociant SMP pour l'aider à répondre à cet appel d'offres, puisque Voldis est en réalité spécialiste de la volaille. SMP, lui, est bien spécialiste de la viande bovine, et a identifié que l'entreprise Biernacki en Pologne était en capacité de lui livrer ces 1 436 tonnes. En février, des anomalies ont été décelées et des contrôles effectués par les associations. La DGCCRF, puis FranceAgriMer ont révélé des fraudes sur les 800 tonnes qui restaient à disposition.
Nos dix-huit recommandations suivent quatre axes principaux.
Tout d'abord, il y a des défaillances dans la passation du marché. Seul le critère prix est retenu, ce qui a pour conséquence d'inciter à la livraison de viandes de piètre qualité, de l'aveu même des fournisseurs. FranceAgriMer ne demande plus de tests gustatifs, ce qui est vécu par les attributaires des marchés publics comme une incitation à continuer la course au prix bas.
De plus, comme l'a souligné M. Duplomb, et comme l'a confirmé FranceAgriMer, aucune traçabilité des viandes n'est demandée. On sait que 97 % sont produites en Union européenne, et 80 % en France. Or les règles de traçabilité ne sont pas les mêmes en Europe et en France. Du coup, impossible de savoir si les quelques 10 000 bêtes tuées viennent de Pologne, d'Ukraine, du Brésil ou du Canada. Incroyable !
Enfin, il y a un manque de transparence, quelques négociants se partageant les 80 millions d'euros annuels que représente le marché du FEAD - chacun est spécialiste en son domaine -, alors qu'ils n'ont aucun lien avec la production.
Nous recommandons que le critère de qualité soit pris en compte dans les appels d'offres, ainsi que des critères environnementaux qui pourraient notamment permettre de redonner des chances aux producteurs français de remporter ces marchés. Un meilleur allotissement serait aussi bienvenu : la séparation de la fabrication du transport et de la logistique pourrait être expérimentée. Enfin, une hausse de qualité aura une incidence sur le prix alors que les besoins en volume n'ont jamais été aussi élevés pour les associations. Il y a là une contradiction. Nous proposons, pour concilier ces deux impératifs contradictoires, de passer à des marchés pluriannuels, qui permettraient de baisser les prix tout en assurant une meilleure qualité des produits et répondraient, d'ailleurs, à une demande récurrente des associations comme des fournisseurs.
Deuxième point : les contrôles de FranceAgriMer sont insuffisants mais ils ne doivent pas peser davantage sur les associations, qui croulent déjà sous les formalités, avec huit autorités différentes et des centaines d'heures par an consacrées aux charges administratives. Peut-être cette structure manque-t-elle de moyens. Ses contrôles se déroulent entre février et avril, et les fabricants le savent. FranceAgriMer nous avait déclaré que 100 % des lots et 60 % des fabricants étaient contrôlés tous les ans. Mais l'entreprise Biernacki n'a pas été contrôlée en 2018, ni d'ailleurs depuis 2013, alors que Voldis et SMP ont remporté depuis plusieurs lots avec eux ! C'est ahurissant, d'autant qu'il y avait eu des cas de salmonelle en 2015 et des traces noires sur les steaks avaient été relevées en novembre 2018. Stupéfiant.
Nous recommandons également que les contrôles soient plus aléatoires et que les autocontrôles de composition soient envoyés automatiquement à FranceAgriMer.
Les associations se sont senties seules. En février, après l'alerte, elles ont financé elles-mêmes des contrôles, dont les résultats ont été publiés à la mi-mars. Les autorités ont botté en touche. La DGCCRF a fait des contrôles et les associations ont pris la responsabilité en avril de sortir les lots. Ce n'est que fin mai que FranceAgriMer a demandé des contrôles, dont les résultats ont été rendus en juillet, soit quatre mois après l'alerte. Après les problèmes de salmonelle évoqués, la réaction aurait pu être plus rapide. Nous recommandons donc la mise en place d'un processus piloté par la DGCS afin que les associations ne soient plus laissées seules. Tout cela a eu un coût énorme pour les associations - coût de stockage et coût de rachat de steaks -, que l'on estime à 400 000 euros, et qui pourrait atteindre 1 million d'euros. Nous recommandons donc le déblocage d'une ligne budgétaire du programme 304 - Inclusion sociale et protection des personnes - afin d'alimenter un fonds d'urgence.
Je vous signale enfin qu'il y a 800 tonnes de viandes en stock, et que nous devons éviter que ce stock ne soit restitué à Biernacki. Il doit être détruit. En effet, on a trouvé dans les steaks livrés du cartilage, du tissu épithélial, des morceaux de coeur, d'estomac et d'amygdales, de l'amidon, du soja, des épices, ainsi que des morceaux de viande déjà transformée, ce qui laisse craindre que Biernacki ne les réutilise encore une fois s'il récupérait ces stocks.
Nous formulons dans ce rapport dix-huit recommandations.
Tout d'abord, il faut muscler les appels d'offres pour offrir une meilleure qualité et assurer une véritable traçabilité des denrées alimentaires. Pour cela, il faut mettre en place un critère de traçabilité sur les matières premières utilisées pour produire les denrées destinées au FEAD dans les appels d'offres ; imposer, dans la mesure du possible, des critères de qualité sur les produits dans les appels d'offres ; expérimenter sur certains lots la séparation des appels d'offres sur la production des denrées et la logistique de celles-ci; exiger plus systématiquement le respect par les attributaires des marchés publics de critères de responsabilité sociale et environnementale, de certification de qualité et de normes reconnues au niveau international ; préciser les appels d'offres pour mieux prendre en compte des critères environnementaux ; et favoriser la conclusion de contrats pluriannuels avec les associations.
Ensuite, il faut moins de contrôles administratifs pesant sur les associations, et plus de contrôles sur les produits. Je rappelle qu'actuellement les contrôles ne représentent que 0,3 % du budget du FEAD. Pour cela, il convient de préciser le contenu des autocontrôles de composition des produits réalisés par les fabricants dans le cahier des charges de FranceAgriMer, en prévoyant, au besoin, des tests ADN des produits ; de prévoir que les autocontrôles de composition des produits fournis par le fabricant soient réalisés obligatoirement par un laboratoire indépendant agréé ; de systématiser la transmission des autocontrôles de composition des produits par le fabricant à FranceAgriMer, comme cela est déjà le cas pour les autocontrôles sanitaires ; de renforcer la fréquence et la régularité des contrôles impromptus de FranceAgriMer - prélèvements et contrôles sur place - sur les denrées FEAD tout au long de l'année ; de rétablir des contrôles gustatifs obligatoires pour tous les produits lors des appels d'offres, et de contrôler le maintien de la qualité des produits entre les échantillons et les produits effectivement livrés ; de renforcer l'efficacité des plans de contrôles en les priorisant sur les produits les plus sensibles, dont les steaks hachés et les produits carnés ou les poissons, notamment en rendant systématiques des visites sur place chez les fabricants de ces produits sensibles ; de mobiliser plus rapidement les facultés d'analyses et de prélèvements à la main de FranceAgriMer en cas d'alerte sur des produits émise par des associations ; de s'assurer que les moyens accordés par FranceAgriMer aux contrôles sur les denrées FEAD soient accrus lors du prochain appel d'offres ; de demander au Gouvernement la remise d'un rapport au Parlement dans un délai de six mois sur la gestion du FEAD en France évaluant la qualité et la traçabilité des denrées, mesurant le degré de transparence dans la passation des marchés publics et garantissant l'efficacité des contrôles en analysant l'ensemble des lots soumis à appels d'offres pour une année donnée ; et de relancer la négociation européenne pour obtenir la création d'une brigade d'enquête européenne sur la sécurité sanitaire et la qualité des produits alimentaires européens. Il se pourrait que les steaks ne soient pas le seul produit dont on ne puisse garantir avec certitude la traçabilité : des questions se posent notamment sur les lasagnes, les sardines à l'huile...
Il ne faut pas laisser les associations seules, et il convient de prévoir une procédure d'alerte pilotée par les administrations en cas de crise. Pour cela, il faut mettre en place une procédure de crise pilotée par la DGCS en cas de problème sanitaire ou de fraude pour le retrait d'un lot.
Enfin, nous recommandons de débloquer urgemment des fonds pour couvrir les frais induits par la crise, aujourd'hui entièrement financés par les associations.
Nous avions deux pièges à éviter : jeter l'opprobre sur les associations, et plomber le FEAD. Nous ne remettons en question ni les associations ni le fonds. Les négociations sur le FEAD, dont le budget représente 500 millions d'euros sur six ans, vont revenir en 2021. Nous souhaitons que cette aide, qui touche 5 millions d'euros de personnes, demeure.
Enfin, permettez-moi de vous préciser que nos recommandations ont été présentées aux deux ministres en charge du dossier. Elles ont donné le sentiment de les apprécier.
Mme Sophie Primas, présidente. - Bravo pour ce travail : alors qu'il ne s'agissait pas d'une commission d'enquête, vous avez trouvé des éléments stupéfiants !
M. Joël Labbé. - Bravo pour ce travail rondement mené. Quels critères de qualité avez-vous à l'esprit ? Vous mentionnez qu'il faut les mettre en place « dans la mesure du possible ». Pourquoi ?
M. Daniel Gremillet. - Ce travail a en effet été mené à terme rapidement. La traçabilité ne signifie pas la même chose en France qu'ailleurs. J'ai été à l'origine de la mise en oeuvre de la traçabilité en France, et je connais la différence avec l'Europe. En France, un animal qui n'a pas de boucle va à l'équarrissage et ne peut être consommé. Ailleurs, les animaux sont bouclés lorsqu'ils entrent à l'abattoir, sans aucune connaissance de la vie de l'animal. En France, on en sait plus sur eux que sur les êtres humains !
Le Sénat avait adopté un texte permettant d'expérimenter la traçabilité et l'étiquetage à la française. Nous avions demandé une dérogation à Bruxelles pour la mise en oeuvre des dispositions. Il y a là un véritable chantier à ouvrir. Si je fais un lien avec l'audition précédente, il y a beaucoup à dire.
Mme Sophie Primas, présidente. - En effet.
M. Daniel Gremillet. - Il y a un fossé entre la loi et la pratique. Le consommateur peut vraiment être trompé.
Enfin, il est incroyable que l'État n'applique pas la loi qu'il impose aux industriels. Je rappelle qu'il incombait auparavant aux services de l'État de procéder aux contrôles pour s'assurer que les produits alimentaires pouvaient être commercialisés. Aujourd'hui, aux termes de la législation européenne, c'est l'inverse : celui qui met sur le marché est responsable du contrôle. L'État fait l'appel d'offres, met en marché en les confiant aux associations et pourtant ne s'applique l'autocontrôle qu'il doit réaliser, contrairement aux entreprises privées.
Aussi, il faudrait poursuivre l'initiative française en vue de renforcer l'exigence européenne et de peser sur les accords internationaux.
Mme Cécile Cukierman. - Je salue la qualité du travail de notre collègue dans le temps imparti. Il ne s'agit surtout pas de remettre en cause le FEAD, mais nous notons des défaillances au niveau des contrôles. On le voit, il y a deux poids deux mesures : une exigence de traçabilité maximale pour nos agriculteurs, alors que des tonnes de viande non contrôlées sont distribuées dans notre pays. Certains dénoncent déjà une alimentation à deux vitesses. Comment faire pour faire monter en gamme notre agriculture, tout en continuant à nourrir les habitants de notre pays, sans en exclure une partie ?
Enfin, les demandes de dédommagement sont-elles déjà faites ? Le Gouvernement a-t-il émis l'hypothèse qu'il pourrait y répondre ?
M. Michel Raison. - J'adresse, à mon tour, des félicitations très sincères au rapporteur. L'une des recommandations concerne le marché. L'État fonctionne comme une centrale d'achat aveugle. Pourquoi ne pas régionaliser les marchés ? On améliorerait la traçabilité et on augmenterait les chances de passer des marchés avec des acteurs locaux. Dans ma ville, Sodexo traite le marché de la cantine. Nous avons réussi, au bout de deux ans, à convaincre cette entreprise de faire des appels d'offres locaux et donc d'acheter la viande dans un abattoir local, que nous avions sauvé.
M. Bernard Buis. - Je remercie notre rapporteur pour la qualité et la quantité de travail fourni en un temps contraint. Les personnes que nous avons auditionnées ont indiqué que, auparavant, les produits étaient testés et goûtés. Or, vous affirmez le contraire ; je suis étonné et inquiet. Dans les collèges, nous avions l'habitude de faire des groupements de commandes et de tester les produits le matin, mais cette pratique a été abandonnée. Mes collègues de la Drôme et de l'Ardèche m'ont même confié qu'ils n'avaient pas organisé de commission de goût cette année. Cela pose problème.
Concernant les contrôles, il est très inquiétant de voir qu'une entreprise étrangère n'a jamais été contrôlée au cours des trois dernières années. Il faut progresser sur ce point.
Enfin, il faut insister sur les circuits courts, les marchés régionaux et favoriser cette démarche pour les groupements de commandes des collectivités ou des cuisines centrales. Notre collègue a cité l'exemple de Sodexo. Avec de la volonté et de la ténacité, on arrive à modifier les procédures. Parfois, par souci de simplification, nos collectivités recourent à un donneur d'ordres ; elles ont un peu perdu l'habitude de se retrousser les manches.
Mme Sophie Primas, présidente. - Il faut aussi considérer l'impact sur le prix.
M. Bernard Buis. - En travaillant avec les circuits courts, on arrive parfois à des prix très compétitifs.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Je salue le travail d'enquêteur de notre rapporteur, qui lève le voile sur des pratiques surprenantes.
Il est nécessaire de réfléchir à un échelon plus approprié - régional ou local - pour le portage. Il y a vraiment une manière plus vertueuse de mettre en oeuvre le FEAD. Ne pourrait-on pas inscrire les projets alimentaires territoriaux dans cette démarche ?
M. Henri Cabanel. - Je remercie le rapporteur, qui a réalisé un travail important : il a permis de mettre au jour cette situation inimaginable. Je me réjouis de constater que l'on partage tous la volonté de favoriser les circuits courts pour mieux maîtriser la qualité, la provenance et la traçabilité. J'adhère aux préconisations d'augmenter les contrôles et de donner de nouvelles prérogatives à FranceAgriMer. Mais il faut se poser la question des moyens qui pourraient être alloués à ces organismes pour assurer les contrôles.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Un certain nombre d'entre vous s'interrogent sur la qualité. C'est un peu de l'équilibrisme : d'un côté, les associations ont besoin d'une quantité énorme, qui progresse chaque année, et, d'un autre côté, on demande une meilleure traçabilité, une meilleure qualité. D'ailleurs, les questions que pose Laurent Duplomb dans son rapport méritent d'être posées. Face à une montée en gamme de notre agriculture, comment vont se nourrir celles et ceux qui n'en auront pas les moyens ?
Mme Marie-Christine Chauvin. - Eh oui !
Mme Sophie Primas, présidente. - C'est tout le débat de la loi Égalim.
M. Fabien Gay, rapporteur. - On ne peut pas demander une montée en gamme pour tous, sauf pour les plus démunis.
M. Michel Raison. - Il ne s'agit pas que d'eux d'ailleurs. Même la classe moyenne est concernée.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Bien sûr. Se pose donc là une véritable question.
C'est la même chose pour l'allotissement : les volumes ont un impact sur le prix. Un négociant français qui devrait produire en France a remporté le marché en 2019, alors qu'il ne pratiquait pas le même tarif : entre 4,30 et 4,50 euros au lieu de 3,50 euros.
La dernière recommandation est importante : nous voulons favoriser les contrats pluriannuels pour donner de la lisibilité et essayer de réduire l'écart de prix, tout en respectant les critères de qualité et les critères environnementaux. Il faut avoir un débat de société en la matière. Mes recommandations s'imbriquent entre elles.
Concernant l'étiquetage, notre pays a le plus haut niveau d'exigence. Quid des critères de traçabilité dans le modèle intra-européen que l'on nous vend ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Les faits sont parlants.
M. Fabien Gay, rapporteur. - L'État lui-même ne respecte pas la loi. Comment monter en gamme au niveau européen ? Il faudrait au minimum que l'on sache si la viande est polonaise, ukrainienne ou si, demain, elle sera brésilienne ou canadienne.
Concernant les moyens accordés aux contrôles, nous avions déjà posé cette question lors de l'affaire Lactalis. Nous ne voulons pas accabler FranceAgriMer. Au-delà des moyens, nous avons constaté des défaillances lourdes, mais il n'en reste pas moins que cette question demeure. Ont-ils les moyens de réaliser les contrôles en Pologne ? Peut-être pas...
L'absence de tests gustatifs a été vécue par les négociants comme un feu vert ; ils nous l'ont dit clairement, ajoutant même qu'ils allaient continuer à faire du business avec l'entreprise Biernacki, qui est la moins chère sur le marché. Si, demain, ce sont les Brésiliens qui sont les moins chers, ils ne se poseront pas de question.
Aujourd'hui, les tests peuvent être réalisés par les associations, mais elles n'ont pas les budgets pour les faire pratiquer. Elles peuvent faire un test gustatif du produit, mais elles n'ont pas la capacité d'en décrire la composition.
Mme Sophie Primas, présidente. - Pour votre information, et en accord avec le rapporteur, nous ferons cet après-midi un communiqué de presse sur ce rapport d'information. Je propose que notre commission poursuive la réflexion en matière de traçabilité, en y associant peut-être nos collègues de la commission des affaires européennes. D'une manière générale, se pose aussi la question de la qualité des produits extra-européens, qui vont arriver sur notre territoire.
M. Bernard Buis. - Je veux insister, si la pratique gustative ne se fait plus, ce sera n'importe quoi.
Mme Sophie Primas, présidente. - Exactement.
La commission des affaires économiques autorise la publication du rapport.
La réunion est close à 11 h 35