Mercredi 19 juin 2019
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de Mme Dominique Le Guludec, présidente de la Haute Autorité de santé
M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, nous accueillons ce matin la professeure Dominique Le Guludec, présidente de la Haute Autorité de santé (HAS), pour la présentation du rapport prospectif de l'agence sur le numérique en santé. Je vous rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site Internet du Sénat et consultable en vidéo à la demande.
Mme le Guludec est accompagnée de M. Christian Saout, membre du collège, et de M. Pierre de Montalembert, chef de cabinet.
L'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à la HAS lui a confié une mission d'analyse prospective du système de santé comportant des propositions d'amélioration de sa qualité, de son efficacité et de son efficience. Le premier rapport prospectif de la HAS, publié en 2018, s'intitulait ainsi De nouveaux choix pour soigner mieux. Le rapport que vous vous apprêtez à nous présenter sera, cette année, consacré au numérique en santé.
Permettez-moi, tout d'abord, de relever que les conclusions et propositions de votre rapport semblent recouper très largement les apports du Sénat au projet de loi « Santé » en cours d'examen sur la question du numérique en santé. Nous avons en effet procédé à un renforcement substantiel des exigences d'interopérabilité applicables au secteur dans un souci de meilleure coordination des soins, notamment entre la ville et l'hôpital. Nous avons également inclus les secteurs social et médico-social tant dans le champ des données alimentant le système national des données de santé que dans les éléments appelés à alimenter l'espace numérique de santé.
En outre, des amendements de la majorité et de l'opposition sont susceptibles de répondre aux préoccupations que vous soulevez dans votre rapport ; le Sénat a ainsi proposé de définir dans la loi la notion de médiation numérique et a établi un cadre d'évaluation des technologies d'intelligence artificielle utilisées dans le domaine médical.
À cet égard, nous serions heureux de connaître votre point de vue sur le dispositif adopté par le Sénat. Nous souhaitons, à terme, que l'ensemble des technologies d'assistance diagnostique ou thérapeutique fasse l'objet de règles de bonne pratique élaborées par la HAS et que leur conformité à ce cadre puisse être certifiée sur une base volontaire, afin d'éclairer les professionnels et les établissements de santé dans une offre de plus en plus foisonnante et pour laquelle le marquage CE est, reconnaissons-le, bien insuffisant. Votre réflexion a-t-elle déjà progressé sur cette question ? Comment envisagez-vous l'évaluation clinique des logiciels recourant à l'intelligence artificielle ? Pour rappel, un rapport sur les modalités d'évaluation des outils d'intelligence artificielle dans le domaine médical devra être remis au Parlement avant la fin de cette année.
Enfin, il serait utile que vous nous fassiez part de votre sentiment sur le développement de la télémédecine et, à l'avenir, du télésoin. Aujourd'hui, ces solutions doivent être développées dans un cadre territorial, comme les communautés professionnelles territoriales de santé, afin de ne pas être complètement déconnectées des spécificités territoriales de l'offre de soins. En outre, le patient doit avoir eu au moins une consultation physique avec le médecin téléconsultant dans l'année précédant la téléconsultation. Ces conditions, auxquelles la ministre est particulièrement attachée, - et je le suis moi-même à titre personnel -, viennent d'être confirmées par une décision récente du Conseil d'État sur les conditions de remboursement des téléconsultations. Partagez-vous ce souci de l'ancrage territorial des solutions de télémédecine ou estimez-vous qu'à terme, le développement de plateformes nationales de téléconsultations est inévitable ? Celui-ci serait dramatique, je le pense.
Je vous laisse la parole pour présenter les principaux constats et conclusions de votre rapport, avant que nos collègues ne vous adressent leurs questions. Je vous remercie.
Mme Dominique Le Guludec, présidente de la Haute Autorité de santé. - Merci de votre invitation et de votre intérêt sur ce sujet essentiel.
À titre liminaire, je rappellerai que la Haute Autorité de santé est une autorité publique indépendante à vocation scientifique, avec pour missions principales : évaluer les produits de santé et les actes en vue de leur remboursement ; définir les bonnes pratiques professionnelles et élaborer des recommandations de santé publique ; enfin, mesurer et améliorer la qualité des soins dans les hôpitaux et cliniques, et des accompagnements dans les établissements sociaux et médico-sociaux. Cette dernière démarche recouvre la certification des établissements de santé, l'accréditation des professionnels à risque, et l'amélioration de la sécurité du patient, avec l'analyse des événements indésirables. Elle inclut également l'évaluation des établissements et services sociaux et médico-sociaux depuis avril 2018. Notre objectif ultime est d'assurer à tous un accès pérenne et équitable à des soins pertinents, sûrs et efficients.
La HAS est toujours mue par ses trois piliers fondamentaux que sont la rigueur scientifique, l'indépendance et enfin la transparence.
Comme vous l'avez rappelé, Monsieur le président, les missions de la HAS s'élargissent tous les ans. Pour preuve, l'ordonnance du 27 janvier 2017 pose le principe d'une « analyse prospective du système de santé comportant des propositions d'amélioration de la qualité, de l'efficacité et de l'efficience ».
Nous avons décidé de consacrer le rapport 2019 au numérique en santé. Pourquoi le numérique ? Notre système de santé fait face à des changements de besoins et de moyens tels qu'il doit s'adapter en profondeur pour maintenir un niveau de qualité et d'équité qui fait notre fierté. La révolution numérique constitue un outil inédit, tombant à point nommé pour faciliter ces changements. Comment faire de cette innovation un outil de la qualité et de l'équité dans la prise en charge dans les champs sanitaires, social et médico-social ?
En effet, le numérique et l'intelligence artificielle sont porteurs de promesses, notamment thérapeutiques, extraordinaires. Nous sommes peut-être à l'aube d'une révolution qui bouleversera notre approche de la santé, des outils et des acteurs de santé. Établissements et professionnels sanitaires, sociaux et médico-sociaux vont devoir s'adapter et revoir en profondeur leur organisation. Le rôle potentiel du numérique rend optimiste sur l'évolution de notre système sanitaire et médico-social, dans le respect de ses valeurs humaines et en respectant des pré-requis sur lesquels nous avons souhaité attirer votre attention.
Un exemple parmi tant d'autres dans ce vaste champ du numérique : les « Living Labs » dédiés à la santé des usagers et à l'autonomie des personnes handicapées essaiment un peu partout en France. Ces structures permettent des rencontres entre des acteurs publics, privés et des citoyens. Il s'y crée des produits et des services testés en conditions « réelles » par de véritables usagers. Ainsi, la « Fabrique de l'hospitalité » est le laboratoire d'innovation des hôpitaux universitaires de Strasbourg. Elle a pour objet de favoriser la co-création des agents hospitaliers et des usagers afin d'améliorer les conditions de travail et la délivrance de soins. Elle utilise des outils issus des sciences humaines, de la création en général et du design en particulier. Elle est une plateforme de collaboration entre les hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) et de nombreux partenaires autour des mêmes objectifs d'amélioration des espaces et du temps vécu à l'hôpital.
Autre exemple : la simulation en santé fait appel au numérique, sous la forme de réalité virtuelle ou augmentée, d'un environnement 3D ou encore de « Serious Games ». En 2012, la HAS a publié un guide de bonnes pratiques en matière de simulation en santé. En effet, la simulation en santé permet, d'une part, de former à des procédures, à des gestes ou à la prise en charge de situations et, d'autre part, d'acquérir et réactualiser des connaissances et des compétences techniques et non techniques ; d'aborder les situations dites « à risque pour le patient » et d'améliorer la capacité à y faire face en participant à des scénarios qui peuvent être répétés ; ou encore de reconstituer des événements indésirables et mettre en oeuvre des actions d'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. Ce potentiel extrêmement vaste pourrait ainsi être davantage exploité.
Les apports du numérique couvrent bien sûr le champ social et médico-social : la HAS a par exemple relevé l'initiative d'Emmaüs Solidarité, qui a déployé 25 cyber-espaces dans les accueils de jour et dans les centres d'hébergement afin d'intégrer l'offre numérique dans les parcours d'insertion. Je citerai enfin le site internet « Psychoactif », qui a été visité plus d'un demi-million de fois par mois en 2018 et qui est géré par des usagers ou ex-usagers de drogues mettant leurs retours d'expérience des usagers de drogues : c'est ce que l'on appelle l'engagement de pair à pair. Un tel site est dédié à l'information, l'entraide, l'échange d'expériences et la construction de savoirs sur les drogues, dans une démarche de réduction des risques. Il se révèle utile aussi aux pouvoirs publics et aux professionnels de santé.
Cependant, le numérique appliqué à la santé peut aussi faire peur, par exemple pour les menaces d'intrusion dans la vie privée qu'il laisse planer. La confiance est indispensable. Le but de la HAS, à travers ce rapport prospectif, est de proposer une analyse menée par le prisme singulier de ses missions. Il s'agit donc de définir les quelques conditions et priorités qui nous paraissent fondamentales, afin de faire du numérique un outil au service de l'amélioration de notre système de santé.
La HAS a centré son approche sur quatre axes qui lui apparaissent, dans la vision prospective réclamée par le législateur, autant de conditions nécessaires pour que le virage numérique en santé et dans l'accompagnement social se fasse sous le signe de la confiance et de la qualité.
Ces quatre axes s'intitulent respectivement « pour un numérique au service de tous les usagers et de l'engagement de chacun » ; « mettre le numérique au service de la qualité des soins et des accompagnements » ; « organiser l'évaluation du numérique » et enfin les « principes de bon usage des données sensibles et de l'intelligence artificielle par la puissance publique ».
Comme vous le constatez, nous nous retrouvons donc sur de nombreux points importants qui fournissent une base pour le déploiement du numérique.
Ainsi, s'agissant du premier axe, pour les usagers, les gains en termes d'accès et en termes de mobilisation personnelle ou collective sont essentiels. Trois préoccupations se profilent d'ores et déjà pour rendre le numérique acceptable socialement.
La première a trait à l'accès physique à Internet et aux technologies associées. Plusieurs rapports mettent en exergue la suppression des zones « blanches » ou « grises » qui obèrent l'accès universel à Internet. Combien de pensionnaires d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ont-ils un accès direct à un ordinateur ?
La deuxième préoccupation porte sur la nécessité de progrès dans la médiation numérique. Pour tous, car il ne s'agit pas seulement de viser les publics les plus précarisés ou vulnérables, mais aussi tous ceux qui éprouvent une difficulté, technique ou culturelle, avec le numérique.
La troisième préoccupation tient enfin à la sauvegarde de l'anonymat lorsqu'il est prévu par certaines politiques de santé ou d'accompagnement social : maladies à déclaration obligatoire, don et utilisation des produits du corps humain, centre d'hébergement et de réinsertion sociale, pour ne citer que ces trois exemples. À l'inverse, dans certains domaines, l'anonymat doit être totalement préservé.
C'est pourquoi, dans cette première partie, la HAS se propose notamment de garantir l'accès aux services numériques, par une alternative physique ou humaine à tout moment, au nom du principe d'égalité devant le service public ; promouvoir la médiation numérique, par un référentiel de compétences, de formation et de bonnes pratiques, sans préjuger des métiers, fonctions et lieux en situation d'assurer cette médiation numérique ; donner les moyens, financiers et humains, aux secteurs social et médico-social de rattraper leur retard technologique. En effet, le numérique est particulièrement peu développé dans le secteur médico-social.
J'en viens à présent au deuxième axe qui se décline en deux grands volets que sont, d'une part, l'amélioration de la coordination des parcours et, d'autre part, celle des pratiques et des produits. Pour faire face aux défis actuels de l'organisation des parcours des usagers de la santé et du social, les transformations structurelles à engager sont majeures, et nombre d'entre elles peuvent bénéficier des solutions offertes par le numérique pour améliorer divers aspects de la qualité des soins et des accompagnements. En effet, le numérique doit faciliter le travail des professionnels, la coordination, la pertinence ou encore la continuité des soins.
Dès lors, la HAS propose trois séries d'actions complémentaires pour faire du numérique un outil de l'amélioration de la qualité des soins et des accompagnements. D'abord, la mise à la disposition des professionnels d'outils d'aide à une bonne prise en charge comme d'auto-évaluation, favorise la qualité de leur action. Une attention toute particulière doit être consacrée à la consolidation du numérique dans les secteurs social et médico-social, pour éviter les ruptures de prise en charge et améliorer la qualité des accompagnements grâce au numérique.
Ensuite, une appropriation par les professionnels de la culture numérique appliquée à leurs pratiques s'impose. Des formations au numérique et par le numérique permettront, à terme, une meilleure appropriation des outils et techniques spécifiques au numérique appliqué à la santé et à l'accompagnement social.
Enfin, l'utilisation des données de vie réelle recueillies grâce aux outils numériques peut permettre une amélioration de la qualité des parcours et des pratiques, d'une part, et des technologies de santé, d'autre part. Parmi les principales recommandations de la HAS dans cette partie, je souhaite insister tout particulièrement sur l'incitation à la structuration d'une réflexion collective, sur le mode d'états généraux par exemple, pour chaque corps professionnel, afin que chacun se penche sur l'évolution potentielle de ses pratiques. Certains l'ont fait, de manière parcellaire et hétérogène. Il nous semble important d'anticiper et de pousser les professionnels de santé à avoir une réflexion collective structurée sur ce sujet. Il est également nécessaire d'intégrer des fonctionnalités d'évaluation des parcours, ainsi que de restitution aux utilisateurs avec comparaison à la distribution nationale ou régionale et ce, d'emblée dans la conception d'outils numériques à destination des professionnels.
Le troisième axe vise ainsi à organiser l'évaluation des solutions numériques afin de développer la confiance et d'améliorer la qualité. Pour la HAS, investir efficacement dans le numérique en santé, c'est poursuivre des objectifs de qualité, d'efficacité, d'équité et d'accessibilité des soins. Dans ce contexte, le développement de démarches d'évaluation des solutions numériques en vue d'en assurer la qualité et la sécurité et d'éclairer les choix de la puissance publique et des utilisateurs apparaît comme un levier indispensable pour renforcer la confiance et accompagner cette transition. Or ces outils numériques, qui vont de l'application de bien-être sur un smartphone jusqu'à des logiciels utilisant l'intelligence artificielle pour la prise en charge personnalisée des patients, se caractérisent par leur grande hétérogénéité.
Il s'agit de structurer ces évaluations autour d'une matrice d'évaluation, afin de déterminer quand une évaluation est nécessaire, et, le cas échéant, quelles modalités peuvent être mobilisées. Pour cela, il est nécessaire de mener, en concertation avec les opérateurs de l'évaluation en France, des réflexions préalables à la construction de la matrice d'évaluation du numérique, en priorisant en particulier les logiciels représentant un risque médical majeur pour les patients. Nous pensons ainsi qu'un scandale relatif aux applications de santé numérique entraverait le déploiement du numérique dans le secteur sanitaire et entamerait durablement la confiance dans cette technologie. À terme, cette structuration permettra également de mieux mutualiser les résultats d'évaluation, au niveau national comme à des échelles locales, pour assurer la qualité et la sécurité des solutions numériques, et éclairer les choix de la puissance publique et des utilisateurs.
Dans cet axe, la HAS formule plusieurs propositions, parmi lesquelles la construction, au plus tôt, d'une matrice d'évaluation adaptée au numérique, construite par fonctionnalité, afin de définir le champ de ce qui doit être évalué et selon quelles modalités, en fonction des priorités nationales et des risques pour l'individu et la collectivité. Je souhaite par ailleurs préciser que la HAS se félicite de l'adoption d'un amendement au projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé. L'évaluation des outils numériques qui sont dans les mains des professionnels présente en effet quelques lacunes dans notre pays. Les logiciels d'aide à la prescription (LAP) et les logiciels d'aide à la dispensation (LAD) font l'objet d'une certification, devenue facultative, par la HAS tandis que les systèmes d'information hospitaliers d'une labellisation facultative de l'agence nationale des systèmes d'information partagés de santé (ASIP). De nouveaux et nombreux logiciels d'aide à la décision font leur apparition et sont proposés aux professionnels de santé pour les assister dans leurs diagnostics ou leurs choix thérapeutiques. L'offre se développe très rapidement au vu des promesses du développement de l'intelligence artificielle. La HAS avait proposé de modifier l'article 14 du projet de loi, pour permettre une évaluation ne pouvant qu'être facultative, compte tenu du marquage CE, de ces logiciels d'aide à la décision. Elle accueille donc avec satisfaction la disposition votée par le Sénat qui prévoit la remise au Parlement d'un rapport détaillant les enjeux et les modalités d'une évaluation des logiciels destinés à fournir des informations utilisées à des fins diagnostiques et d'aide aux choix thérapeutiques, ainsi que la possibilité pour le gouvernement de prendre par voie d'ordonnance des mesures relatives à l'évaluation de ces logiciels. Une telle démarche nous semble très importante pour répondre aux exigences de qualité et de sécurité.
Le quatrième axe concerne les principes de bon usage des données de santé sensibles et de l'intelligence artificielle. Ceux-ci doivent être coordonnés par la puissance publique, au regard du respect des droits fondamentaux. Cette démarche dépasse néanmoins largement les missions imparties à la HAS. L'essor de l'intelligence artificielle et du Big Data ouvre des possibilités inédites de connaissance et de compréhension des déterminants de l'état de santé, non sans soulever quelques inquiétudes chez nos concitoyens. Une utilisation plus intensive des données de santé pourrait améliorer la compréhension des déterminants de l'état de santé, renforcer le suivi en vie réelle des produits de santé, fluidifier les parcours de soins, améliorer les diagnostics et transformer la relation entre patients et professionnels. En matière sociale, l'exploration des données et le croisement des fichiers peuvent aussi aider à personnaliser l'accompagnement des usagers ou à comprendre les déterminants de réussite des parcours notamment d'insertion. Toutefois, les données de santé et les données sociales sont parmi les plus sensibles : elles révèlent des aspects intimes de notre vie privée, dont des fragilités qui pourraient être exploitées à notre désavantage. Il ne peut pas être envisagé de les faire circuler sans règles et le cadre juridique actuel énonce des restrictions spécifiques à leur utilisation.
L'enjeu pour le régulateur public est donc de renforcer la confiance dans le numérique d'une part, et de mettre en oeuvre un encadrement éthique sur les données et les pratiques du numérique d'autre part. Dans un tel contexte, la HAS plaide pour une utilisation raisonnée du numérique et de l'intelligence artificielle en santé. Elle soutient un encadrement éthique et responsable de l'intelligence artificielle et du numérique grâce à l'inscription d'une garantie de droits fondamentaux envisagée au niveau européen. Ainsi, dans ses propositions, la HAS insiste notamment sur les éléments suivants : élargir, d'une part, la notion de « données d'intérêt public » à toutes les données qui présentent un intérêt pour l'évaluation des politiques publiques en matière de santé et d'accompagnement social et médico-social, notamment les décisions de financement public de solutions numériques ; introduire, d'autre part, au niveau européen un principe visant à garantir les droits fondamentaux des usagers des systèmes de santé et d'accompagnement social en cas d'utilisation d'outils numériques et particulièrement d'outils d'intelligence artificielle, dont les risques de biais et de discrimination sont inhérents à leur construction.
En conclusion, ce rapport a choisi de croire à une promesse positive dans le numérique en santé. Nous sommes persuadés que cet outil arrive à point dans ce contexte où la transformation de notre système de santé doit être profonde. Son approche est centrée sur quatre points qui apparaissent, dans la vision d'analyse prospective demandée à la HAS par le législateur, essentiels. Constituant autant de conditions nécessaires à ce que le virage numérique en santé et dans l'accompagnement social se fasse sous le signe de la confiance et de la qualité : les usagers gagneront en autonomie, la qualité sera augmentée, l'évaluation des technologies sera profondément renouvelée et la stratégie publique sera maîtrisée. Cette révolution numérique nous interpelle, à l'instar des grands changements technologiques, sur la question de savoir ce que nous souhaitons pour nous-mêmes, individuellement ou collectivement. Que voulons-nous faire du numérique en santé et dans l'accompagnement social ? À l'évidence, la HAS considère que le numérique doit améliorer la qualité du système dans sa globalité. Je vous remercie de votre attention.
M. Alain Milon, président. - Je vous remercie, Madame la présidente, de votre présentation.
Mme Corinne Imbert. - Je vous remercie, Madame la présidente, de votre exposé. Vous avez évoqué l'absence d'homogénéité de l'accès à l'Internet. En effet, le raccordement à Internet progresse sur le territoire et dépasse 80 % en moyenne nationale mais la réalité est beaucoup plus problématique pour nos outre-mer : seulement 50 % de la population ultramarine dispose d'un accès à Internet. Des solutions de médiation numérique spécifiques pour les territoires ultramarins sont-elles prévues pour l'accès aux services numériques en santé ? Avez-vous connaissance de plateformes de téléconsultations développées outre-mer ?
Seconde question : depuis un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) de décembre 2017, les logiciels d'aide à la prescription et à la dispensation échappent à une certification obligatoire par la HAS, et il en ira de même pour les technologies d'intelligence artificielle. Or on sait parfaitement que le marquage « CE » est insuffisant pour attester de la pertinence clinique de ces outils. Comment peut-on parvenir à une labellisation de ces logiciels sur un mode incitatif ? La mise en place d'un registre des technologies évaluées par la HAS, conditionnant par exemple l'obtention de financements publics pour leur acquisition par les établissements et professionnels de santé, n'est-elle pas, selon vous, incontournable ?
J'en viens, enfin, à ma troisième question : l'agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) est-elle, selon vous, suffisamment préparée pour garantir la sécurité de ces technologies de santé innovantes qui sont considérées comme des dispositifs médicaux ? Évitons tout scandale sanitaire sur le numérique !
Mme Dominique le Guludec. - Les populations, qui sont loin du numérique physiquement ou culturellement, se trouvent sur l'ensemble de notre territoire national. L'équité est fondamentale à la perception du numérique comme outil qualitatif. En effet, dans des champs particuliers, comme le médico-social, ou des territoires spécifiques, il va falloir mobiliser des moyens pour réduire cette fracture.
Sur le marquage CE, certains de nos dispositifs médicaux ont connu quelques vicissitudes. Il est vrai que les logiciels d'aide aux diagnostics et aux choix thérapeutiques sont labellisés au niveau européen. Or le marquage CE et la démarche de la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (Cnedimts) à la HAS ne recouvrent pas les mêmes champs. En effet, cette dernière évalue l'intérêt clinique pour les patients et les pouvoirs publics ; nos modes d'évaluation sont aujourd'hui liés aux modes de financement. Sont ainsi principalement évalués les dispositifs qui s'adressent aux patients et non ceux utilisés par les professionnels, pourtant financés par la collectivité. En outre, la réglementation européenne confirme le caractère facultatif de cette évaluation nationale.
Le panier de soins pris comme base dans notre démarche prospective est particulièrement large. Il nous faut être d'autant plus vigilants sur ce que nous payons collectivement. Différents modes d'évaluation existent ; certains font appel à des référentiels, tandis que d'autres nécessitent des évaluations cliniques beaucoup plus précises, notamment en cancérologie où le médecin rentre les données de son patient et détermine, à l'aide d'algorithmes avec intelligence artificielle, sa prise en charge optimale. Ces Big Data peuvent d'ailleurs compenser l'absence partielle de certaines informations et prendre en compte les différences qui se font jour au gré des populations concernées. Ainsi, les patients japonais ne sont pas les patients français.
En outre, comme nous avons pu le constater avec les signatures moléculaires dans le cancer du sein, les systèmes de soins peuvent différer selon les pays. L'intérêt clinique et la balance bénéfices-risques dans la prise en charge des patients doivent être appréhendés au niveau national. Par ailleurs, nous échangeons avec nos collègues britanniques et allemands sur l'évaluation de ces logiciels qui sont considérés, au niveau européen, comme des dispositifs médicaux classés en fonction de l'impact pour le patient et des risques. Il nous est possible de décider collectivement, en fonction du risque, de la nécessité de conduire une évaluation au-delà du marquage CE. Cette réflexion est ainsi indispensable et peut s'inspirer des modalités d'évaluation différentes selon les pays.
Je ne peux répondre en lieu et place de l'ANSM qui a cependant toute vocation à être associée aux discussions sur la matrice d'évaluation que nous appelons de nos voeux.
M. Michel Forissier. - Vous avez souligné que l'outil informatique devait être au service de l'homme et exigeait de l'éthique. Cependant, avec l'intelligence artificielle, la machine est en mesure de prendre des décisions en lieu et place du professionnel et du patient. Quel espace de décision est-il alors laissé concrètement à ces derniers ? Ce n'est que par le biais de la formation des professionnels, qui doit évoluer en fonction des techniques, que nous y parviendrons. Or certains s'équipent par nécessité tandis que d'autres le font avec conviction. C'est là une hétérogénéité de points de vue qui rend d'autant plus complexe la situation. En outre, comment lutter contre la relative psychose, au sein de certaines populations, de l'outil informatique, s'agissant notamment de la diffusion des données personnelles ?
Mme Dominique Le Guludec. - Les logiciels d'intelligence artificielle suggèrent des décisions ; à charge pour les professionnels de santé de les suivre ou pas. En revanche, les dispositifs médicaux connectés avec intelligence artificielle représentent un cas particulier, sur lesquels nous avons réalisé un guide à destination des industriels destinés à préciser les prérequis de leur évaluation. Pour le reste, l'éthique, en matière notamment d'explicabilité des algorithmes, implique que le professionnel, tout comme le patient, demeure maître de la connaissance et de la décision, tout en étant éclairé par des évaluations suffisantes, de manière à avoir confiance dans l'outil utilisé. Dès lors, cette matrice d'évaluation doit être mise en oeuvre en fonction de risques gradués. Si certains outils peuvent requérir uniquement une labellisation sommaire, certains, du fait des risques importants qu'ils peuvent engendrer, requièrent une information clinique au cas par cas. La formation des usagers et des professionnels implique une réflexion construite de leur part sur les modifications de leur pratique, spécialité par spécialité, afin d'améliorer l'accès aux soins. Je laisse la parole à mon collègue Christian Saout pour vous répondre sur les moyens de lutte contre la méfiance et la peur. Les conditions indispensables que nous avons définies dans notre rapport visent à rassurer nos concitoyens, dont la liberté doit être confortée à chaque étape de leur traitement. Il faut également se méfier des ré-identifications possibles des patients tout en mettant en oeuvre des dispositifs de protection suffisants.
M. Christian Saout, membre du collège de la HAS. - Jusqu'à présent, les règles de l'État de droit nous ont plutôt bien protégés, à l'exception de rares fuites de données personnelles concernant certaines célébrités. La gestion ordinaire des données ne connaît pas ces difficultés. En revanche, nous sommes en train de changer d'échelle, la puissance de ces outils devenant considérable. Je ne pense pas que les solutions se trouvent en dehors de l'espace démocratique, du renforcement de la transparence, des garanties de recours devant des instances ou de lancements d'alerte. Notre logique de protection n'a donc pas à être modifiée de ce point de vue. L'engagement des professionnels à respecter une éthique nous protège des désagréments, sachant que l'ambiguïté de nos concitoyens demeure forte : si près de 80 % d'entre eux reconnaissent des dangers à répondre à une offre numérique, une même proportion de nos concitoyens considère le numérique comme facilitant leur vie quotidienne. Nous sommes tous pris dans cette double dimension de facilitation et d'inquiétude.
La prochaine révision des lois de bioéthique pourrait comprendre des mesures relatives à cette question, sachant que certains sujets demeurent difficiles à traiter : le consentement est réputé libre et éclairé, dès lors qu'il est loyal. Or quelle est la loyauté de l'information lorsqu'il s'agit d'expliquer le fonctionnement d'un algorithme décrit dans une présentation technique de plusieurs dizaines de pages ? L'avis 130 du comité consultatif national d'éthique et son rapport préliminaire nous aident à mieux entrevoir des réponses à de telles questions. La protection des personnes doit ainsi faire l'objet d'une vigilance accrue, à l'occasion de la révision de la loi de bioéthique.
La médiation numérique, sur laquelle vous avez adopté un amendement lors de l'examen du projet de loi « Santé », nous semble extrêmement importante, parce qu'elle renforce la dimension démocratique selon laquelle chacun doit être en capacité de comprendre et d'utiliser un outil numérique au fonctionnement connu. Il faut que les usagers comprennent que certains outils, à l'inverse d'autres, ne permettent pas de sécuriser les données personnelles. C'est aussi une question d'éducation qui nous protège, pour le moment, face aux excès de réglementation et nous invite à nous forger un ensemble d'outils au service d'une vision globale, dans le contexte de la prochaine révision des lois de bioéthique.
Mme Martine Berthet. - J'ai assisté dernièrement à la soutenance d'une thèse portant sur le taux de pénétration des biosimilaires entre ville et hôpital qui soulignait les freins à l'accès aux données, s'agissant notamment de l'implication des patients et des professionnels de santé. De nombreux freins techniques subsistent également. Comment voyez-vous l'évolution de l'économie de la santé suite à l'usage accru du numérique ?
Mme Dominique Le Guludec. - Il faut en effet passer de la théorie à la pratique. À cet égard, la feuille de route diffusée par la ministre de la Santé en avril dernier en fixe les jalons. Des structures - comme le Health Data Hub - sont en cours d'élaboration et devraient, une fois opérationnelles, favoriser cette utilisation des données et l'implication des patients. Évidemment, il faudra veiller à ce qu'elles ne restent pas des coquilles vides et qu'elles deviennent très vite soient opérationnelles. Ce sont autant de marges de manoeuvre médico-économiques susceptibles de nous aider à répondre à des besoins dans d'autres domaines. Le numérique a ainsi vocation à devenir un outil d'optimisation et, en retour, de redistribution des ressources dans des secteurs sous tension.
Mme Nadine Grelet-Certenais. - Je suis tout à fait favorable à vos préconisations en matière de médiation numérique. La fracture numérique existe, puisque 13 millions de Français ont encore du mal à accéder à Internet ou à le maîtriser. Selon le Défenseur des droits, les jeunes sont aussi concernés et 56 % des Français se disent démunis, face à Internet, lors d'une démarche. J'ai pu d'ailleurs le constater à maintes reprises, en recueillant le témoignage des élus sur le terrain.
En matière de médiation numérique, j'ai été porteuse de l'amendement qui permettait de prendre en compte les difficultés de nombre de nos concitoyens distants de ces nouvelles technologies et se trouvant, pour la plupart d'entre eux, en zone rurale. Les publics jeunes ou en situation de grande précarité sont aussi concernés. Sur la proposition n° 8 de votre rapport, avez-vous conduit une évaluation des moyens financiers requis pour assurer cette médiation numérique ?
Ma seconde question portera sur les règles de protection des données qui requièrent, en France, le consentement. En effet, être prévenu de son droit à s'opposer me semble différent de donner son accord. Que pensez-vous de l'automaticité envisagée pour l'ouverture de l'espace numérique de santé dans le projet de loi « Santé » ? En effet, l'information des usagers sur l'utilisation de leurs données demeure, à ce jour, très imparfaite. Enfin, en ce qui concerne l'utilisation de ces outils numériques, les médecins, déjà saturés par leur mission dans des territoires sous-dotés, expriment une certaine inquiétude quant au temps à y consacrer. Aussi, que comptez-vous faire pour ces zones particulièrement fragilisées ?
Mme Dominique Le Guludec. - Notre Autorité fournit au politique ou aux instances de régulation des avis pour éclairer leurs choix sur les priorités, sans pour autant en préciser les coûts. Assurer l'équité pour l'accès au numérique implique de mobiliser au préalable des moyens qui permettront, à terme, d'en recueillir les bénéfices.
S'agissant du consentement, un débat doit être conduit avant de mettre en oeuvre l'automaticité. Les demandes permanentes d'accès peuvent susciter lassitude ou incompréhension chez nos concitoyens qui ne savent toujours pas ce qu'emporte leur accord. Néanmoins, remettre en cause cette automaticité impliquerait de définir, si le contrôle n'est pas fait par l'individu a priori, des règles draconiennes d'usage de ces données a posteriori et qu'il faudra évaluer de manière rigoureuse. Faute de quoi, l'assurance pour nos concitoyens serait plus qu'hypothétique ! Ainsi, qu'il s'agisse de contrôle a priori ou a posteriori, il faut s'en donner les moyens. Je citerai un exemple : aux États-Unis, des grands groupes de cliniques vendent aux industriels du médicament les données de santé de leurs patients. Les patients, en toute connaissance de cause et compte tenu de l'apport incroyable du numérique sur la recherche et la facilitation de mise au point de nouveaux traitements, ne peuvent se priver de cette technologie. Toutefois, la question de la finalité de l'usage de ces données se pose : est-elle purement lucrative ou vise-t-elle à améliorer la santé de nos concitoyens ?
Dernier point, sur le temps passé par les professionnels de santé, il faut d'abord investir du temps, notamment dans la formation, afin d'en gagner énormément à terme. Mon expérience dans les hôpitaux le démontre : les lettres de sortie ont radicalement évolué, à partir de la mise en service d'un outil numérique permettant de les concevoir à partir des données des patients et leur nombre a, en conséquence, explosé. Preuve que les outils numériques nous font gagner un temps précieux !
Mme Élisabeth Doineau. - Je voulais vous remercier d'avoir travaillé sur cet important sujet. L'usage de cet outil inédit, aux fortes potentialités, peut être dévié et causer de nombreux problèmes. Vous avez participé à notre dernière table ronde sur la maladie de Lyme. Ainsi, l'outil numérique permet sans doute d'appréhender les difficultés, à la fois des professionnels de santé et des malades atteints de cette maladie. Comment pourrait-on employer les outils de co-construction que sont les Living Labs ou les Serious Games pour accompagner les malades et leurs familles ? Comment ces technologies peuvent-elles devenir des outils efficients à la décision et fournir des données susceptibles de réconcilier les différents protagonistes de cette pathologie ?
Mme Dominique Le Guludec. - Nous nous sommes retrouvés dans votre rapport sur la maladie de Lyme. Il y a manifestement un décalage, parfois difficile à combler, entre ce que connaissent les professionnels et ce qu'éprouvent les patients. Votre question concerne également toutes les maladies rares, puisque les patients atteints de la maladie de Lyme qui ne sont pas guéris après un traitement sont dans la même situation que les patients des maladies rares. Cette démarche de recueil et de partage des données permet de faire avancer la recherche clinique plus rapidement.
Votre question concerne également la constitution, le recensement et l'utilisation des registres sur lesquels nous devons progresser. À cet égard, nous nous félicitons de l'appel d'offres en cours pour établir des centres de compétences et de référence sur cette maladie de Lyme. D'ailleurs, dans le Quotidien du Médecin d'hier, un article sur cette pathologie évoquait la situation de patients officiellement guéris mais présentant des stigmates biologiques dérogeant, pour le moment, à toute explication scientifique possible. Le numérique est une aide à la constitution des registres et à la recherche clinique. Il favorise également la participation des patients, soit de manière individuelle ou collective à leur maladie et permet, en retour, à la recherche clinique de progresser beaucoup plus rapidement.
Les problèmes suscités par la maladie de Lyme sont également culturels ; la participation des patients à leur prise en charge doit encore progresser en France. Si d'un point de vue scientifique, l'absence de preuve clinique conduit à réfuter l'existence de la maladie, je pense, en revanche, qu'un nombre important d'alertes de la part de patients doit nous conduire à admettre qu'il y a quelque chose que nous n'avons pas compris. Sur le plan social et médico-social, la prise en charge des patients de Lyme doit également être améliorée.
M. Christian Saout. - Il y a, en effet, un énorme pas à franchir dans ces secteurs. La situation actuelle s'explique par le fait que les soins d'urgence ont longtemps prévalus sur les soins de longue durée. Or les soins ont désormais tous une résonance sociale, médico-sociale, familiale et affective, dont ils étaient dépourvus jusqu'à ces dernières années dans des prises en charge relativement courtes et épisodiques. C'est un changement de paradigme qui marque également l'entrée tardive des sciences humaines et sociales dans le domaine de la santé. Ce retard a d'ailleurs été comblé avec la création de l'agence nationale de recherche contre le sida dont la logique est d'associer très fortement les chercheurs, les médecins et les populations concernés. Ce modèle de co-construction - expression difficile à inscrire dans la loi, à l'instar de celle d'Empowerment - n'a pas été généralisé. Autant les concepts juridiques sont stabilisés, autant ce type de terminologie est évolutif. Cependant, il me semble que le législateur aurait intérêt à inscrire ce concept de co-construction dans la loi et de faire en sorte que, dans certains domaines, les solutions soient conçues avec les personnes concernées. Cette notion de co-construction vaut également pour les professionnels de santé.
Mme Michelle Meunier. - Nous sommes bel et bien dans le sujet du prochain texte sur la bioéthique sur lequel nous débattrons à la rentrée. Il est rassurant que la HAS veille à ce que le patient soit le premier informé. Ma question portera sur la sécurisation des données de santé. En France, la plateforme Doctolib-R est en plein essor et dispose d'un grand nombre de données individuelles. Qu'adviendrait-il si cette plateforme était vendue à une GAFA (Google-Amazon-Facebook-Apple) ? Quelles sont les garanties dont nous disposons qui peuvent renforcer la confiance des usagers dans le numérique appliqué au domaine médical ? En outre, avez-vous des retours sur le dossier médical partagé (DMP) ?
Mme Dominique Le Guludec. - Vous avez totalement raison sur la sécurisation des données de santé. C'est pourquoi j'ai précédemment évoqué la question rectrice de l'usage des données qui peut soit concourir à l'amélioration globale de la santé de nos concitoyens, soit servir des intérêts privés. Cette question implique une réponse à l'échelle, selon moi, européenne.
Si je crois en la préservation d'une éthique des données et de leur usage, je constate cependant que les principes éthiques peuvent diverger selon les pays, même en Europe. D'ailleurs, l'Assistance publique a décidé de ne pas ouvrir sa plateforme de données, qui constitue un élément essentiel de la recherche, aux autres plateformes privées qui restent des entreprises à but commercial. Que voulons-nous faire de nos données de santé et du numérique ? Il faut édifier des garde-fous pour que l'usage de ces données réponde à ce que nous souhaitons réellement. L'échelon européen, au-delà de la dimension nationale, est nodal pour y parvenir.
M. Christian Saout. - Des balises peuvent être posées au niveau national. L'ensemble des entreprises, qui disposent d'un site Internet et possèdent des données, pourraient se conformer à une obligation de transparence. Il revient à la loi d'en déterminer le contenu précis. D'ailleurs, les lois prohibent d'ores et déjà la transmission d'informations aux assureurs et à l'industrie pharmaceutique dans des domaines relativement restreints. Votre rôle de parlementaire est ainsi d'établir, en fonction de votre conception de l'ordre social, les éléments de droit qui nous protégeront collectivement et individuellement.
Mme Dominique Le Guludec. - La plateforme, à laquelle vous faîtes référence et qui permet de prendre rendez-vous, est logistique. La HAS a élaboré des règles de mise en oeuvre pour les plateformes plus médicales dans son guide sur la télémédecine, la téléconsultation, la télé-imagerie et la télé-expertise. Nous veillons notamment à ce que les droits du patient, les exigences de communication avec les professionnels de santé, ainsi que les bonnes conditions de suivi, soient respectés. Certains professionnels de santé pourront considérer ces conditions comme autant de freins, mais je crois qu'elles sont avant tout des règles de bonne pratique, sans lesquelles l'accès aux soins ne sera pas satisfaisant. L'usage du numérique doit être encadré par de bonnes pratiques et des règles qui permettent de préserver les valeurs fondamentales du métier médical.
Le DMP est indispensable, surtout pour les patients en parcours de soins dont les données doivent sans cesse être suivies, malgré les réticences qui peuvent être exprimées par certains professionnels. L'absence de DMP est catastrophique, notamment en cas d'interférences médicamenteuses, et le bénéfice de son existence ne se discute plus par rapport aux risques !
Mme Michelle Gréaume. - Certains patients, réfractaires aux outils du numérique, risqueraient d'être oubliés, si notre système de santé venait à basculer intégralement dans le numérique. Ces patients risquent également d'être éloignés des professionnels de santé, car de nombreuses personnes construisent aujourd'hui leur propre expertise de santé via des sites Internet. Ne croyez-vous pas que certains usagers risquent d'être mal pris en charge et comment comptez-vous éviter leur totale occultation par notre système de santé ? Par ailleurs, le numérique est un marché juteux pour les entreprises de santé. Cependant, certaines données personnelles peuvent être utilisées ; à titre d'exemple, la commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) a épinglé la société Optical Center pour atteinte à la sécurité de ses clients sur Internet et lui a infligé une amende record de 250 000 euros. Quelles mesures comptez-vous mettre en oeuvre pour surveiller de telles dérives ?
Mme Dominique Le Guludec. - Ces questions demeurent centrales et nous leur accordons une place importante dans notre rapport. Nous devons partager ces préoccupations et des mesures communes doivent être mises en oeuvre de manière collective, faute de quoi nous allons perdre cette bataille du numérique dont nous ne bénéficierons pas des avancées. Les règles accéléreront davantage le déploiement du numérique qu'elles ne le freineront. Ainsi, le principe d'équité doit être respecté. La réussite de la médiation numérique en matière fiscale doit nous inspirer dans le domaine de la santé ! En matière, enfin, de réglementation sur l'utilisation des données, nous partageons totalement les règles de prudence que vous évoquez.
M. Christian Saout. - Je crois beaucoup à cette médiation numérique dans le domaine de la santé. Plutôt que de nourrir des peurs, il faut construire des réassurances. Vous avez créé, à l'occasion d'un PLFSS précédent, le fonds national pour la démocratie sanitaire, qui est abondé par une taxe sur le tabac, dont il est aisé de faire varier le taux. On pourrait également prescrire au fonds de répondre au défi de la médiation numérique dans la santé, afin que les associations de la société civile, qui rassemblent tout autant les patients que les familles et le médico-social, pourraient bénéficier, en retour, de ressources pour participer à sa réalisation effective. Néanmoins, cette suggestion de financement déroge aux missions imparties à la HAS !
M. Alain Milon, président. - Elle tombe également sous le coup de l'article 40 de la Constitution !
M. Yves Daudigny. - Les grands groupes, comme Google, s'intéressent au secteur de la santé. Comme l'indique aujourd'hui le quotidien Les Échos, Sanofi et Google renforcent aujourd'hui leur partenariat en e-santé autour des axes suivants : mieux comprendre les patients grâce à l'analyse de leurs données, améliorer leur utilisation des produits en leur proposant des solutions personnalisées et accroître l'efficacité opérationnelle de Sanofi. Manifestement, Google s'immisce dans le stockage des données pour les laboratoires. N'y a-t-il pas danger à ce que ces grands groupes ne finissent par régner sans partage sur le secteur de la santé ?
Mme Dominique Le Guludec. - Des grands groupes européens sont également à la manoeuvre. Indubitablement, ce risque existe et il importe d'agir dès à présent en réglementant. D'ailleurs, les systèmes de santé français et américains diffèrent et nos visions divergent. La question se pose de la préservation de nos grands principes fondamentaux. Il faut le faire dès à présent, et sans doute à l'échelle européenne.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je suis pour ma part très favorable au numérique et à l'intelligence artificielle, même si rien ne peut remplacer l'humain dans la prise de décision. Il faut aller vers les outils numériques, ce qui est une bonne chose, mais il est regrettable que la HAS ne puisse envisager les moyens nécessaires pour y parvenir. Je ne vous comprends pas sur ce point : la question des moyens et des coûts me paraît cruciale. Ainsi, quels moyens humains comptez-vous donner aux personnes les plus vulnérables, notamment dans les Ehpad, pour qu'elles puissent accéder aux outils numériques ? Quels moyens, notamment financiers, comptez-vous donner aux professionnels de la santé, qui peuvent conserver jusqu'à 40 % de leur temps à des activités non médicales ? En outre, les professionnels de l'informatique sont-ils pris en compte dans vos estimations ?
Mme Dominique Le Guludec. - Les missions d'une autorité publique indépendante sont définies par la loi. Nous n'avons pas ni les ressources ni les compétences pour estimer les moyens à allouer, ce qui n'est peut-être pas si mal, après tout. En effet, nos avis sont motivés par d'autres considérations que financières et permettent d'éclairer les pouvoirs publics sur les priorités pour lesquelles ils doivent mobiliser des moyens. Je n'empiéterai pas sur les prérogatives du ministre en la matière ! Nos référentiels de bonne pratique, dans lesquels les priorités sont hiérarchisées, sont destinés à la fois aux professionnels de santé et aux usagers. Nous espérons que les débats sur la loi « Santé » vont permettre d'améliorer le temps médical disponible, par la mobilisation d'un plus grand nombre de personnels et l'incitation à un mode d'exercice plus collectif, les assistants médicaux ayant pour vocation de faire gagner du temps aux praticiens qui aspirent, notamment chez les plus jeunes d'entre eux, à être regroupés. En outre, dans ma propre expérience personnelle, le temps que j'ai investi m'a d'ailleurs permise d'en gagner beaucoup.
M. Alain Milon, président. - Merci, Madame la présidente et Monsieur Saout, pour l'ensemble des informations que vous nous avez données. Sur le temps médical, je rappellerai que, selon l'Ordre des médecins, près de douze minutes par heure sont consacrées par les praticiens à des tâches administratives. Ce temps est considérable.
La réunion est close à 11 h 05.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.