- Mardi 21 mai 2019
- mercredi 22 mai 2019
- Audition de M. Augustin de Romanet, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président-directeur général d'Aéroports de Paris
- Vote sur la proposition de nomination de M. Augustin de Romanet, aux fonctions de Président-directeur général d'Aéroports de Paris (ADP)
- Projet de loi portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement - Projet de loi organique modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution - Désignation des candidats aux commissions mixtes paritaires
- Dépouillement et résultat du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Augustin de Romanet, aux fonctions de président-directeur général d'Aéroports de Paris
Mardi 21 mai 2019
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La réunion est ouverte à 9 h 5.
Projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé - Examen du rapport pour avis
M. Hervé Maurey, président. - Nous avons enfin banni de notre salle de commission les bouteilles et les gobelets en plastique au profit de fontaines à eau : je m'en félicite ! Déjà, nous avions été précurseurs, il y a deux ans, en matière de dématérialisation des amendements.
Nous examinons le rapport pour avis de notre collègue Jean-François Longeot sur le projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé, assorti d'une trentaine d'amendements.
La question de l'accès aux soins concerne les territoires et leur aménagement. Nous travaillons sur le sujet depuis la création de notre commission, d'abord avec un rapport d'information sur les déserts médicaux remisen 2013 par un groupe de travail sous la présidence de Jean-Luc Fichet et dont j'étais rapporteur, puis avec un rapport pour avis de Jean-François Longeot sur la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, enfin avec la création, en 2017, d'un nouveau groupe de travail sur les déserts médicaux, dont les travaux se trouvent à l'origine de plusieurs propositions qui vous seront présentées sur le texte.
Le sujet de l'accès aux soins s'est également imposé lors du grand débat. Selon un récent sondage du Journal du dimanche, 87 % des personnes interrogées souhaitent obliger les médecins à s'installer dans les zones sous-denses. Les attentes de la population, malgré les plans des gouvernements successifs, demeurent élevées. De fait, comme l'indiquent les travaux du géographe Emmanuel Vigneron, la mortalité apparaît plus précoce dans les cantons où l'offre de soins est insuffisante. Nous l'évoquerons avec Agnès Buzyn lors de son audition.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Le projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé présenté par la ministre des solidarités et de la santé a été transmis au Sénat le 26 mars dernier. Je vous remercie de la confiance que vous m'avez accordée en m'en confiant le rapport pour avis, dans le prolongement de ma fonction de coprésident du groupe de travail de la commission sur les déserts médicaux. Le texte comportait initialement vingt-trois articles, constitués de mesures techniques et de nombreuses demandes d'habilitation à légiférer par ordonnances sur des sujets importants comme les hôpitaux de proximité, l'exercice coordonné ou encore les agences régionales de santé (ARS). Après son examen par les députés, il en compte désormais soixante-treize, mais son ambition demeure limitée.
Dans le cadre de mes travaux, au cours desquels j'ai effectué de nombreuses consultations représentant environ vingt-cinq heures d'auditions, je me suis particulièrement intéressé à une vingtaine d'articles ayant des conséquences pour l'organisation territoriale du système de soins avec quatre points d'attention : la réforme des études de médecine et le développement des stages pratiques pour les étudiants ; l'adaptation du système de soins à l'exigence de proximité et l'association des élus à la politique de santé ; les partages de compétences entre professionnels de santé, qui doivent permettre de libérer du temps médical dans tous les territoires ; enfin, le développement de la télémédecine et du télésoin.
À titre liminaire, je souhaiterais aborder la réforme du système de santé, les inégalités territoriales en matière d'accès aux soins et les négociations conventionnelles en cours entre les médecins et l'assurance maladie.
Je constate d'abord que le rythme d'adoption des lois relatives à la santé tend à s'accélérer : il semblerait que le Parlement ait désormais à connaître d'un tel texte tous les trois ans, contre dix à quinze ans auparavant. Les plans gouvernementaux se succèdent - « pacte territoire santé » sous la précédente législature, « plan de renforcement de l'accès territorial aux soins », stratégie de transformation du système de santé et plan « Ma Santé 2022 » -, mais les mêmes constats demeurent : le système de soins français est très axé sur l'hôpital et cloisonné, avec des modes de régulation peu souples qui ne permettent pas de corriger les inégalités sociales et territoriales de santé, ni de répondre de façon pérenne aux enjeux liés au vieillissement de la population et au développement des maladies chroniques.
Les délais d'attente pour consulter un médecin sont en constante augmentation et les urgences des hôpitaux sont engorgées à défaut de solution de proximité. De 1996 à 2014, la fréquentation des urgences a doublé, passant de dix à vingt millions de passages annuels. À cela s'ajoutent l'épuisement des professionnels de santé et des phénomènes de non-recours aux soins. Nul besoin d'être médecin ou professionnel de santé pour se rendre compte qu'il y a urgence à réformer le système.
Le contexte actuel doit nous alerter : il n'y a jamais eu autant de médecins en France, mais ils n'ont jamais été aussi mal répartis et le temps médical continue de diminuer ! Ces dernières années, je relève que la progression des effectifs est d'abord largement due au recours aux médecins retraités avec la possibilité d'un cumul emploi/retraite. Le nombre de médecins retraités inscrits à l'ordre a quasiment doublé entre 2008 et 2018, tandis que celui des médecins actifs a progressé de 1 % seulement en dix ans. De même, le recours aux médecins étrangers est en forte hausse ; l'exemple de l'hôpital de Nevers est révélateur, avec 55 % des 143 praticiens nés et diplômés à l'étranger. Par ailleurs, en tendance, les effectifs de médecins vont reculer jusqu'en 2030, alors que la population française augmente. D'ici à 2025, un médecin généraliste sur quatre aura cessé d'exercer. La densité médicale va donc continuer à baisser.
Les politiques de santé visant à réduire les inégalités d'accès aux soins courants ont toutes échoué. Depuis plus de dix ans, même si l'État a parfois fait illusion, le problème des déserts médicaux n'a connu aucune amélioration concrète.
Les constats et propositions formulés par le Président Maurey dans son rapport d'information de 2013 restent d'actualité. Les inégalités territoriales se creusent : les écarts de densité médicale entre les départements varient de un à cinq toutes spécialités confondues. Je pense notamment à l'Ain, à la Mayenne, à la Nièvre ou encore à l'Eure, très mal dotés. Ces inégalités ne se limitent plus à la classique opposition entre la France du Nord et la France méridionale : elles se retrouvent à toutes les échelles géographiques selon une configuration centre/périphérie.
Selon les chiffres du ministère de la santé, 9 % de la population vit dans un désert de médecins généralistes, soit près de six millions de personnes. Il s'agit en particulier de territoires ruraux qui ont, par ailleurs, des difficultés à développer leur attractivité. Pour les médecins spécialistes, les écarts de densité sont encore plus importants et vont de un à huit, voire de un à vingt-quatre pour les pédiatres. Selon une enquête de l'UFC-Que choisir réalisée fin 2016, environ vingt et un millions de Français ont un accès restreint aux pédiatres et dix-neuf millions aux gynécologues.
Les conséquences de cette situation sont potentiellement dévastatrices, même s'il est difficile de faire un raisonnement toutes choses égales par ailleurs : des géographes tels Olivier Lacoste et Emmanuel Vigneron s'intéressent depuis longtemps aux répercussions de la désertification médicale sur l'état de santé des populations. La France est très mal classée en Europe en matière de mortalité précoce, c'est-à-dire de mortalité survenant avant l'âge de soixante-cinq ans. Les travaux d'Emmanuel Vigneron montrent ainsi une sous-mortalité nette en Île-de-France, dans le Centre-Ouest et dans l'ensemble méridional du pays. A contrario, une zone de surmortalité existe dans certains départements du Centre et de l'Est, en Bretagne et dans le Nord. Au total, plus de 60 % des cantons regroupant la moitié de la population métropolitaine ont connu une évolution moins favorable que la moyenne du pays. Il s'agit avant tout d'un scandale démocratique, car ces citoyens contribuent de la même façon aux ressources de la sécurité sociale, mais cela pourrait devenir un scandale sanitaire à terme.
Les négociations entre les médecins et l'assurance maladie dans le cadre du plan « Ma Santé 2022 » présenté par le Président de la République en septembre 2018 prévoient la création de 4 000 postes d'assistants médicaux assortie d'une prise en charge pérenne de leur coût - 36 000 euros la première année, 27 000 euros la seconde, puis 21 000 euros les années suivantes - et d'un engagement des médecins d'accroître le nombre de patients dont ils sont le médecin traitant de 5 % à 20 %.
Par ailleurs, la croissance des dépenses d'assurance maladie a été fixée à 2,5 % par la dernière loi de financement de la sécurité sociale, ce qui représente un total de 200 milliards d'euros pour 2019. Les moyens consacrés à « Ma Santé 2022 » devraient par ailleurs atteindre 3,5 milliards d'euros d'ici à 2022.
Nous partagerons tous l'objectif de faire de la santé une priorité. À cet égard, il est essentiel de s'attaquer aux inégalités territoriales : la Cour des comptes estime leur coût entre 900 millions d'euros et 3 milliards d'euros par an pour le système de santé. Le rapport du comité « Action publique 2022 », remis en juin 2018 au Président de la République, avançait même le chiffre de 5 milliards d'euros d'économies potentielles face aux inefficiences dans la répartition et l'allocation des soins. Rien ne sert d'augmenter les dépenses, si l'on ne corrige pas les effets pervers du système ! Or il existe une corrélation positive entre la densité des médecins et les dépenses de santé et de médicament par habitant : selon la Cour des comptes, en 2015, la dépense de soins ambulatoires allait de 944 euros par habitant en Mayenne à 1 829 euros dans les Bouches-du-Rhône, sans que l'état sanitaire de la population présente des écarts aussi notables.
Certaines mesures du projet de loi apparaissent certes positives, mais globalement il semble très insuffisant pour répondre aux enjeux.
Un premier bloc vise à réformer en profondeur l'organisation de la formation initiale des professionnels de santé, c'est notamment l'objet des articles 1er, 2 et 2 bis.
Le numerus clausus, instauré en France en 1971 pour maîtriser l'évolution des dépenses de santé, serait remplacé par un système dans lequel les capacités d'accueil des formations à l'université en 2ème et 3ème cycle seront déterminées de façon pluriannuelle en lien avec les besoins de santé des territoires. Reste à éclaircir la question des moyens dont disposeront les universités.
De même, s'agissant des stages en zones sous-denses, aucune obligation n'est prévue, compte tenu du manque de maîtres de stages et de moyens pour accueillir les étudiants.
D'autres articles incitent, directement ou indirectement, les médecins à s'installer en zone sous-dense, dont la définition sera d'ailleurs affinée par profession et par spécialité comme le prévoit l'article 5 bis. Je pense par exemple à l'article 4 sur la sécurisation du contrat d'engagement de service public (CESP) ou encore à l'article 5 concernant l'ouverture du recours au médecin adjoint dans les zones sous-denses, à laquelle je suis naturellement favorable.
Sur ce premier bloc, je vous proposerai six amendements : quatre relatifs aux stages et deux favorisant l'installation en zones sous-denses.
Un deuxième bloc adapte le système de soins à l'exigence de proximité et renforce l'association des élus à la mise en oeuvre de la politique de santé.
C'est l'objet de plusieurs mesures que je qualifierais de « cosmétiques », notamment les articles 7 A, 7 B et 7 E ou d'autres mesures plus importantes comme l'article 7 sur les communautés territoriales professionnelles de santé, l'article 7 septies qui doit permettre de faciliter l'accès à un médecin traitant, l'article 8 sur les hôpitaux de proximité, l'article 10 concernant les groupements hospitaliers de territoire (GHT), l'article 15 sur l'abrogation du pacte territoire-santé ou encore l'article 19 sur la réforme, par voie d'ordonnances, des agences régionales de santé (ARS), de l'exercice coordonné et qui porte également création d'une ARS à Mayotte et à La Réunion. Les articles 7 D, 10 ter et l'article 19 bis A renforcent la présence des parlementaires au conseil territorial de santé, comme au conseil de surveillance de certains hôpitaux et des ARS.
Sur ces dispositions, je vous proposerai plusieurs amendements, dont trois visant à supprimer des articles sans portée normative, qui ne répondent pas aux exigences de clarté de la loi. Un amendement à l'article 7 doit permettre d'alléger les contraintes administratives pesant sur les professionnels de santé lors de la conception du projet territorial de santé.
J'ai souhaité renvoyer à la négociation conventionnelle plusieurs points essentiels pour assurer la permanence des soins dans tous les territoires avec trois amendements visant à réguler l'installation des médecins au regard du principe constitutionnel d'égal accès aux soins. La régulation n'a jamais été expérimentée pour les médecins, alors que de nombreuses professions font déjà l'objet de telles mesures, comme le conventionnement sélectif.
Je vous proposerai également plusieurs amendements aux articles 8 et 10 pour garantir l'autonomie des hôpitaux de proximité dans les GHT et leur rôle de premier recours dans la gradation des soins à la suite d'inquiétudes formulées par les représentants des hôpitaux locaux et par les élus.
Un troisième bloc de mesures renforce le partage des tâches entre les professionnels de santé et accompagne le développement du numérique, outil essentiel pour lutter contre la désertification médicale et rapprocher l'offre de soins des patients.
C'est notamment l'objet des articles 7 bis pour les infirmiers, 7 quater, 7 quinquies et 7 sexies B pour les pharmaciens, de l'article 7 sexies A pour les sages-femmes et de l'article 7 sexies C pour les orthoptistes. Par ailleurs, l'article 19 ter réforme les protocoles de coopération entre professionnels à l'échelle nationale et locale pour développer les transferts d'actes et libérer du temps médical. L'article 12 prévoit l'ouverture d'un espace numérique de santé pour tous les citoyens d'ici à 2022. Enfin, l'article 13 étend aux professionnels paramédicaux et aux pharmaciens la faculté de réaliser des actes par le biais des technologies numériques via la reconnaissance du télésoin.
Mes amendements sur ce dernier bloc consistent à renforcer les partages de compétences au bénéfice des pharmaciens, des sages-femmes et des opticiens-lunetiers. Par ailleurs, le tournant numérique dans le secteur de la santé ne sera réussi que s'il intègre la réalité des territoires : c'est pourquoi je vous proposerai de faire du numérique un recours pour les assurés résidant dans des zones sous-denses et exposés à une autre fracture que nous connaissons bien : la fracture numérique.
J'ai fait le choix, mes chers collègues, de proposer des mesures resserrées et pragmatiques au service d'un meilleur aménagement sanitaire et social du territoire. D'aucuns estimeront que ce projet de loi manque d'ambition. Il est vrai que l'on peut fortement douter de sa capacité à améliorer concrètement le quotidien de nos concitoyens qui éprouvent des difficultés à accéder à des soins de qualité dans des délais raisonnables. La régulation de l'offre médicale constitue une nécessité, car elle représente le maillon manquant de la politique d'incitation qui s'avère aujourd'hui inefficace.
M. Hervé Maurey, président. - Merci pour ce rapport complet, dont le constat apparaît, hélas, aussi éloquent que réaliste.
M. Claude Bérit-Débat. - Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour la qualité de votre analyse, rappelant celle réalisée à plusieurs reprises par notre commission. Quelles que soient les mesures prises par les gouvernements successifs, la situation ne s'améliore pas et, pour les territoires ruraux, le constat demeure implacable. En Dordogne, le troisième département français par la surface, dont la densité moyenne ne dépasse pas quarante-trois habitants au kilomètre carré - dans certaines zones, elle atteint même sept ou huit habitants au kilomètre carré -, la désertification médicale constitue une réalité.
Si la coercition ne semble pas idéale, quelle est la solution ? Pensez qu'à Périgueux, il faut attendre six mois pour obtenir un rendez-vous chez un médecin spécialiste. Ce n'est pas acceptable ! Notre groupe présentera en séance publique des amendements allant dans le sens de l'analyse du rapporteur. J'espère que nous réussirons à faire entendre ensemble la voix des territoires. Il ne s'agit pas seulement, en effet, d'un enjeu de santé publique, mais d'une nécessité pour l'aménagement.
Mme Nelly Tocqueville. - Je partage le constat de notre rapporteur. J'ai inauguré récemment une maison de santé dans mon département. Elle accueille plusieurs professionnels de santé mais pas encore de médecin. Les élus locaux n'hésitent pas à engager des dépenses pour répondre aux demandes et aux besoins de la population qui demeure dans les territoires ruraux à condition de disposer de services médicaux. N'oublions pas, mes chers collègues, que les déserts médicaux existent également en zone urbaine, notamment dans certaines banlieues.
M. Pierre Médevielle. - Je félicite le rapporteur pour l'excellence de son travail. Il nous faut tenir jusqu'en 2025 avec les moyens du bord... Les médecins doivent aussi prendre leurs responsabilités ! Il est temps que leurs syndicats assouplissent leur position quant aux déserts médicaux : ils doivent se montrer solidaires des Français et accepter quelques aménagements. Je pense notamment à l'autorisation de délivrance par les pharmaciens de certains médicaments sans ordonnance, qui les avait crispés.
Il pourrait également s'avérer pertinent de permettre à des étudiants ayant connu un échec de réintégrer des études de médecine. Il faut enfin développer les soins ambulatoires et, en particulier, revenir sur l'interdiction de la prescription de bronchodilatateurs, fort utiles à la prise en charge des personnes âgées souffrant de détresse respiratoire, par les médecins généralistes.
Mme Nadia Sollogoub. - Les mesures incitatives pour la répartition des médecins sur le territoire ne seront efficaces que si le temps médical augmente. Il faut tenir jusqu'en 2025 nous dit-on mais nous reviendrons alors au niveau d'offre de 2015 ! Nous devons intégrer le fait que les nouveaux médecins produisent moins de temps médical. Le présent projet de loi a été pensé par des médecins et pour des médecins. Ayons conscience que les étudiants en médecine ne prônent nullement une augmentation de leurs effectifs ! Autrefois, il fallait acheter une clientèle à prix d'or ; désormais, les élus leur déroulent le tapis rouge ! L'excuse du manque de formateurs pour faire face à la croissance du nombre d'étudiants me semble, avec le développement de la visioconférence, bien fragile. Un décret fixera chaque année le nombre de médecins formés, nous devrons donc convaincre la ministre des besoins des territoires.
M. Joël Bigot. - La désertification médicale représente un problème crucial, qui concerne des territoires ruraux aussi bien que des zones urbaines. À cet égard, le constat réalisé en 2013 par notre commission semble toujours d'actualité, plusieurs tentatives d'y remédier ayant échoué. La ministre s'oppose à toute régulation ; dès lors, le plan « Ma Santé 2022 » ne comprend que quelques mesures correctrices très insuffisantes, à l'instar de la création de 4 000 postes d'assistants médicaux. Le développement de la télémédecine peut constituer une solution intéressante, à la condition qu'il ne s'accompagne pas de la fermeture de services de santé conduisant à une déshumanisation de l'offre de soins.
Notre collègue Nadia Sollogoub a raison : en 2025, nous ne ferons que revenir à la situation de 2015. Cela questionne notre pacte républicain : comment éviter les inégalités en termes de couverture médicale ? Plusieurs solutions ont déjà été testées, en vain. Il convient, à mon sens, de développer les stages pour les étudiants en médecine dans les zones sous-dotées et d'y favoriser la scolarisation des futurs médecins. Agnès Buzyn n'y semble pas opposée. D'ailleurs, deux ou trois départements ont déjà mis en oeuvre de telles mesures. Il faut, en outre, maintenir les hôpitaux de proximité. Les maires ruraux, souvent, réclament des dispositifs coercitifs qui ne fonctionnent pas : il faut imaginer de nouvelles solutions.
M. Benoît Huré. - Je remercie la commission de s'être saisie du sujet de l'offre de soins, prélude à toute politique volontariste d'aménagement du territoire. L'analyse du rapporteur n'est pas nouvelle, mais le constat s'aggrave. Nous devons, je crois, expliquer les enjeux du pacte républicain évoqué par Joël Bigot aux médecins qui se disent libéraux, mais usent des deniers publics pour assurer la solvabilité de leur travail.
Depuis dix ans, diverses mesures ont été mises en oeuvre. Le présent texte, pour sa part, possède déjà le mérite de corriger les erreurs des lois respectivement portées par Roselyne Bachelot et Marisol Touraine. Mon analyse sera donc moins sévère, d'autant qu'il marque la fin de l'ineptie que représente le numerus clausus créé, à rebours du bon sens, à une époque de croissance démographique et d'amélioration de l'espérance de vie.
Les mesures coercitives, il est vrai, n'apparaissent pas forcément efficaces. Dans les années 1980 et 1990, l'enseignement de la médecine générale a progressivement été délaissé au profit du tout hospitalier. Heureusement, nous faisons marche arrière. Les jeunes médecins installés en milieu rural comme les étudiants qui s'interrogent sur une telle vocation connaissent mal les territoires et craignent l'exercice solitaire de la médecine. Les stages obligatoires devraient utilement permettre de leur offrir une expérience en la matière. Dans le nord du département des Ardennes, nous avons ouvert trois maisons médicales depuis 2005. À chaque fois, les élus locaux ont préalablement rencontré des étudiants en médecine pour les convaincre de s'y installer. Cela a fonctionné ! Les élus doivent donc investir pour accueillir aux mieux les praticiens et, surtout, les démarcher.
Mme Angèle Préville. - Votre présentation était très juste, monsieur le rapporteur, et sans fard. Récemment, un préfet a repris un élu local qui évoquait le problème des déserts médicaux : le terme était, selon lui, trop stigmatisant... Je partage l'analyse de Nadia Sollogoub : j'ai rencontré deux étudiantes en médecine de la faculté de Toulouse éventuellement intéressées par une installation dans le département du Lot. Elles s'attendaient à ce que leur soit offert le permis de conduire, voire une voiture, parce qu'elles acceptaient d'exercer en territoire rural. Il faut désormais leur déployer le tapis rouge ! Dans le même département, deux médecins généralistes partent en retraite et n'ont trouvé qu'un seul remplaçant. Comment seront assurées les visites indispensables au maintien à domicile des personnes âgées ? Il s'agit d'un tel enjeu sanitaire que je crains que nous ne puissions échapper à l'instauration de contraintes à l'installation des étudiants diplômés de médecine.
M. Michel Dennemont. - Notre débat tourne autour des médecins, mais l'offre de soins concerne l'ensemble des professionnels de santé qui, après le diagnostic, assurent le suivi des patients. Infirmier libéral pendant cinquante ans, je puis vous l'assurer ! Il est regrettable que le présent projet de loi se focalise uniquement sur les médecins, sans mieux considérer la chaîne de santé et les professionnels qui y participent.
Mme Évelyne Perrot. - La médecine du travail connaît aussi une dramatique pénurie. La formation n'attire plus les étudiants ! Nous devons alerter la ministre sur ce sujet. Les déserts médicaux ne concernent effectivement pas que les médecins mais tous les professionnels de santé. À titre d'illustration, la ville de Troyes manque de toutes les spécialités médicales et paramédicales.
M. Michel Vaspart. - Notre commission a l'impérieux devoir de traiter ce sujet qui concerne évidemment l'aménagement du territoire. Il en va de notre responsabilité vis-à-vis de nos concitoyens et des élus locaux. Les mesures incitatives ont échoué et toute coercition est rejetée. Un amendement présenté par notre collègue Jean-François Longeot lors de l'examen de la loi du 26 janvier 2016 proposait qu'un état des lieux soit réalisé pour définir les secteurs sur-dotés et sous-dotés. Les médecins conventionnés n'auraient pu alors s'installer dans les zones sur-dotées. Ce n'était pas vraiment coercitif : la liberté d'installation restait importante. En outre, la mesure avait l'avantage, pour la sécurité sociale, d'éviter l'accélération des actes médicaux dans des secteurs déjà denses. Un amendement de même nature sera à nouveau présenté.
La suppression du numerus clausus semble pertinente, mais encore faut-il que les facultés de médecine des secteurs peu denses puissent accueillir davantage d'étudiants. Il aurait, à mon sens, été préférable de créer un numerus clausus régional.
Enfin, je regrette que les élus locaux aient perdu la main sur les hôpitaux et que les conseils d'administration aient été transformés en conseils de surveillance privés de pouvoir. L'Assemblée nationale a introduit un article prévoyant que des parlementaires puissent y siéger. Nous devons être très prudents sur ces sujets. Les élus doivent être représentés dans les hôpitaux !
M. Jean-Michel Houllegatte. - Il me semble également important que notre commission s'intéresse à ce projet de loi qui concerne directement nos territoires.
Je ne suis pas certain que ce texte nous permette de retrouver une offre médicale suffisante. C'est pourquoi je suis assez déçu.
La suppression du numerus clausus ne va pas régler tous les problèmes ; en effet, les objectifs pluriannuels d'admission seront certes déterminés en tenant compte des besoins de santé des territoires, mais ils le seront aussi en tenant compte des capacités de formation - c'est là que le bât blesse !
Le numerus clausus est déjà régionalisé, puisqu'il est fixé par université. Je rappelle qu'il s'élevait à 8 700 à la fin des années 1970, que nous sommes descendus jusqu'à 3 500 durant les années 1980 et que nous ne remontons que progressivement, 8 205 en 2018 et 9 314 en 2019. Pourtant, la population française et les besoins de santé ont beaucoup augmenté durant cette période.
L'augmentation globale des dernières années ne doit pas masquer le fait que les nouvelles places ouvertes sont concentrées sur quelques universités seulement, celles qui ont des capacités d'accueil - Paris, Marseille, Lyon, Saint-Étienne et Toulouse -, tandis que le nombre de places reste stable en Corse et à Bordeaux, Caen, Clermont-Ferrand, Dijon, Grenoble, Lille, Nancy, Nantes, Poitiers, Reims, Rouen et Tours.
Vous le voyez, augmenter le numerus clausus ne sert à rien, si on ne travaille pas sur la réforme des études de médecine, notamment pour permettre aux hôpitaux non universitaires d'accueillir des stagiaires.
M. Jordi Ginesta. - Mon propos dérangera peut-être, mais je veux dire que les médecins sont sûrement en partie responsables de certaines difficultés. Dans le Var ou les Alpes-Maritimes, nous ne sommes pas dans un désert médical mais il me semble que la situation que nous vivons est révélatrice d'un affaiblissement moral de notre pays.
À partir du moment où les médecins n'ont plus voulu assurer les permanences, il a fallu construire des maisons de santé, souvent financées sur des fonds publics. En outre, nous sommes dans des départements où les possibilités de loisirs comme la clientèle sont importantes. De ce fait, les médecins limitent fréquemment leur temps de travail à quatre jours par semaine, parce qu'ils estiment qu'ils ont gagné suffisamment d'argent et qu'ils paient beaucoup d'impôts... Le temps médical est donc réduit !
Ces différences entre les territoires justifieraient que, plutôt que d'apporter des réponses globales, nous agissions territoire par territoire, région par région.
M. Jérôme Bignon. - Il faudrait donc exonérer d'impôt les médecins pour qu'ils travaillent davantage...
Plus sérieusement, le mot désertification me peine toujours, parce qu'il a un côté dévalorisant pour nos territoires. Pour autant, il montre bien que ce sont les territoires les plus fragiles qui paient le plus lourd tribut !
Dans mon intercommunalité qui est composée de 121 communes et où 40 000 personnes habitent, nous en sommes à notre troisième contrat local de santé. Ceux qui souffrent le plus de la situation, ce sont, d'une part, les personnes âgées qui vivent en maison de retraite - au moindre problème, on les envoie aux urgences et ils en reviennent en plus mauvaise santé en raison des conditions d'accueil... -, d'autre part, les personnes qui perçoivent les minima sociaux. C'est finalement une double punition ! Je vois bien, dans la banque alimentaire dont je m'occupe, les malheurs de santé que vivent les gens.
Notre commission a évidemment eu raison de se saisir de ces questions, mais je crois que nous devons d'abord sensibiliser la ministre sur des considérations humaines. Les ministres de la santé qui se succèdent sont trop accaparés par des problématiques de gestion ; or il faut revenir à l'humain, parce que ce sont les populations les plus fragiles qui sont les plus pénalisées.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Je crois que nous partageons le constat : les choses n'avancent pas, alors que la situation est connue depuis longtemps ! C'est pour cette raison qu'il est important que la commission de l'aménagement du territoire se soit saisie pour avis de ce projet de loi. Il nous revient de faire entendre la voix de nos territoires. Il faut arrêter de ne prendre en considération que les médecins ; nous devons d'abord nous occuper de la population, notamment des personnes les plus fragiles. Un exemple : il n'est satisfaisant pour personne qu'une personne âgée soit contrainte d'aller à l'hôpital, parce qu'elle n'a accès pas à un médecin.
Il est vrai que décider de construire une maison de santé n'est pas suffisant, il faut avant tout un projet médical. Personnellement, je n'ai pas utilisé le terme de coercition mais celui de régulation. Si nous n'adoptons pas des mesures fortes, les problèmes seront extrêmement graves et la situation dramatique. Comment un infirmier, un pharmacien ou un autre professionnel de santé peut-il s'installer quelque part, s'il n'y a pas de prescripteur à proximité ?
En ce qui concerne la formation, l'analyse par université que vient de faire M. Houllegatte est très intéressante. L'augmentation du numerus clausus pose la question du nombre de formateurs et de places dans les universités. Or il faudrait inciter les étudiants à aller ailleurs que dans une métropole.
Préparons-nous à défendre nos propositions ! Nous ne pouvons pas accepter ce qui s'est passé il y a trois ans. J'avais pourtant proposé une mesure de bon sens, non coercitive - dans les zones sur-denses, un médecin qui partait ne pouvait pas être remplacé par plus d'un confrère -, mais elle avait été refusée ! Quel est le résultat ? En 2016, trois millions de personnes n'avaient pas accès à un médecin et elles sont six millions aujourd'hui, soit 9 % de la population ! Dans le même temps, les préfets ont pour instruction de ne pas parler de déserts médicaux pour éviter le mot désert...
La médecine du travail est un vrai problème, comme la médecine scolaire. Beaucoup d'enfants n'ont pas accès aux soins et le seul endroit où ils pourraient voir un médecin, c'est à l'école - encore faut-il qu'il y ait des médecins !
Il me semble important de réaliser un état des lieux complet des zones sous-dotées et sur-dotées. Certains disent qu'il n'y a pas plus de zones sur-dotées, mais rien ne semble appuyer précisément cette assertion.
En ce qui concerne les formations, je crois qu'il faut les décentraliser et faire en sorte que les étudiants fassent des stages dans les hôpitaux de proximité. Comme je le rappelle régulièrement, lorsque je suis arrivé à Ornans dans le Doubs en 1981, je ne connaissais pas la région et finalement j'y suis toujours, j'ai même été maire pendant vingt-et-un ans...
La suppression du numerus clausus, qui est une bonne décision, ne va pas résoudre tous les problèmes, d'autant que ses effets seront longs à se faire sentir.
En conclusion, je voudrais simplement rappeler que nous devrons défendre nos propositions, parce qu'elles sont au service des territoires et de la population.
Mme Marta de Cidrac. - Ce projet de loi aborde des sujets délicats. Au sein de la commission de l'aménagement du territoire, je ne vais pas intervenir sur les aspects liés à la formation, mais plutôt sur l'installation des médecins. Je crois que nous devons nous interroger sur les raisons profondes qui font que des médecins ne veulent plus s'installer sur certains territoires. Si nous proposons des mesures, ne doivent-elles pas s'appliquer aussi aux boulangers ou aux autres professions qui font vivre nos territoires ?
Il est vrai que la santé nous touche au plus profond, mais nous devons rester vigilants sur les positions que nous prenons. Je reste convaincue que nous devons laisser la liberté à l'exercice professionnel et je suis réservée sur les amendements qui orienteraient le choix du lieu d'installation pour les médecins.
La question de l'aménagement du territoire va bien au-delà du seul aspect sanitaire et nous devons travailler sur l'ensemble des autres services, dont l'absence crée les déserts que nous connaissons.
M. Didier Mandelli. - Mes chers collègues, si vous ne la connaissez pas, je vous conseille de chercher sur internet la carte des déserts médicaux par canton. Elle est très facile à trouver et très instructive.
Plus largement, je suis assez surpris du sens des priorités des gouvernements successifs. Pour le numérique ou les mobilités, on nous parle de zones blanches et on annonce des mesures et des moyens parfois colossaux, mais pour la santé - les rapports sont pourtant nombreux sur ce sujet -, rien ne se passe ! Sans parler de coercition, je crois que nous devons avoir le courage de prendre certaines décisions. En quelques années, le nombre de personnes qui n'ont pas accès aux soins a doublé, ce qui contribue évidemment au sentiment de délaissement qui est apparu clairement dans le grand débat.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Je partage les propos de Didier Mandelli : on ne peut pas continuer ainsi. À force de ne vouloir fâcher personne, c'est la population qui souffre !
Je répète que je n'utilise pas le mot coercition. Dans le même temps, l'aménagement du territoire passe naturellement par la mise à disposition de certains services à la population partout où ils sont nécessaires. Nos concitoyens payent les mêmes cotisations et charges sociales et ont le droit d'habiter où ils le souhaitent et d'accéder facilement à un médecin. Je respecte la liberté d'installation. C'est pourquoi je propose de renvoyer à la négociation conventionnelle le soin de régler ce problème.
Je note aussi que le grand débat a fait émerger ce sujet, alors que les revendications d'origine concernaient d'autres questions et que le cadre fixé par le Président de la République ne l'incluait pas. Il nous revient de prendre cette conclusion en considération.
M. Hervé Maurey, président. - Coercition et régulation ne sont pas la même chose. Ce sont ceux qui ne veulent toucher à rien qui caricaturent les propositions de la commission - celle-ci n'a jamais proposé de mesures coercitives. Je rappelle qu'il n'y pas de liberté qui ne puisse être régulée en vertu d'un objectif d'intérêt général suffisant.
En Allemagne, des mesures de régulation ont été mises en place il y a environ trente ans et, alors même que la Constitution allemande évoque la liberté d'installation, la Cour constitutionnelle a estimé qu'il fallait aussi prendre en compte l'intérêt général.
Il est vrai que le thème de la santé s'est imposé dans le grand débat, mais le plus stupéfiant est que le Président de la République n'en ait pas dit un mot... Or la question des déserts médicaux est très importante pour la population et pèsera sur la manière dont les Français voteront.
Le Sénat représente les territoires, il est donc de notre devoir qu'à l'issue de son examen par notre assemblée le projet de loi soit renforcé sur les questions liées à l'accès aux soins sur l'ensemble du territoire. L'inverse serait désolant ! Notre commission a un rôle particulier à tenir en la matière.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Grâce aux auditions des différentes associations étudiantes que j'ai menées, j'ai pu mesurer à quel point la formation théorique et pratique des futurs professionnels de santé joue un rôle déterminant dans leurs choix d'installation. L'amendement DEVDUR.28 vise ainsi à ce que l'objectif de répartition équilibrée des futurs praticiens soit pleinement intégré dans les objectifs généraux des formations de santé. Je vous signale que le rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a déposé un amendement identique.
L'amendement DEVDUR.28 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.27 a pour objectif de valoriser les étudiants qui ont fait la démarche, durant leur parcours de formation, d'effectuer un ou plusieurs stages en zone sous-dense. À mes yeux, le fait d'avoir effectué un stage en zone sous-dotée doit devenir un critère à part entière dans les modalités d'affectation des postes ouverts aux étudiants en troisième cycle des études de médecine.
M. Benoît Huré. - Ne faudrait-il pas rendre ce stage de troisième cycle obligatoire ? Je sais d'expérience que, parmi les étudiants qui font un stage en zone sous-dense, plusieurs sont ensuite intéressés par une installation dans cette même zone. Ce n'est pas une mesure coercitive.
Mme Nadia Sollogoub. - Aujourd'hui, certains stages sont proposés en zone sous-dotée, mais l'université ne veut pas les pourvoir, même si certains étudiants sont volontaires, car cela désorganiserait le fonctionnement des CHU... C'est aussi pour cela qu'il faut rendre ce stage obligatoire !
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Je suis favorable à l'idée de rendre ce stage obligatoire, mais nous devrons être attentifs au nombre de formateurs disponibles.
M. Benoît Huré. - Les médecins qui exercent en zone sous-dense sont souvent volontaires pour devenir maîtres de stage, mais il faut régler l'éventuel frein financier et simplifier les procédures administratives, aujourd'hui bien trop complexes.
M. Michel Vaspart. - Pour des raisons de recevabilité financière, nous ne pouvons pas déposer d'amendement pour augmenter la rémunération qui est versée aux maîtres de stage - environ 600 euros actuellement, me semble-t-il -, mais nous pouvons le suggérer à la ministre...
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Monsieur Huré, voulezvous déposer un amendement pour rendre obligatoire le stage de troisième cycle en zone sous-dense?
M. Benoît Huré. - Monsieur le rapporteur, si vous êtes d'accord avec cette idée, je vous propose de la reprendre. Ce sera plus efficace et plus simple !
Mme Marta de Cidrac. - Dans l'amendement DEVDUR.27, il est prévu de « valoriser » les étudiants qui effectuent un stage en zone sous-dotée. Comment ce stage sera-t-il valorisé concrètement dans la poursuite des études ?
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Le fait d'avoir effectué un stage en zone sous-dense sera un critère pris en compte, aux côtés des résultats aux épreuves, du parcours de formation et du projet professionnel, dans les modalités d'affectation des postes ouverts aux étudiants de troisième cycle.
L'amendement DEVDUR.27 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Mes chers collègues, à la suite de nos débats, je vous propose aussi d'adopter l'amendement DEVDUR.30 qui, comme le proposait Benoît Huré, vise à inclure dans le troisième cycle des étudiants en médecine la réalisation d'un stage en zone sous-dense.
L'amendement DEVDUR.30 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.31 vise à intégrer les modalités d'organisation des stages dans les zones sous-denses dans le cadre du troisième cycle des études de médecine. Le rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a également déposé un amendement identique.
Mes chers collègues, les amendements DEVDUR.27, DEVDUR.30 et DEVDUR.31 portent sur la question du stage réalisé en zone sous-dotée au cours des études de médecine. Nous verrons comment les débats évoluent !
L'amendement DEVDUR.31 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Dès 2013, le rapport d'information du président Maurey sur les déserts médicaux préconisait d'adapter les études de médecine et de revoir le système des stages. L'amendement DEVDUR.33 vise à encourager les étudiants de deuxième et troisième cycle de médecine à effectuer des stages en zone sous-dense. Le rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a également déposé un amendement identique.
M. Hervé Maurey, président. - Cet amendement reste pertinent pour le deuxième cycle, du fait de l'adoption de l'amendement DEVDUR.30.
L'amendement DEVDUR.33 est adopté avec modification.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Le contrat d'engagement de service public (CESP) est un dispositif incitant de jeunes médecins à s'installer en zone sous-dense - une grande majorité des signataires exerce la médecine générale. Or il est possible qu'un étudiant qui a signé un tel contrat au cours de sa formation ne bénéficie plus de la même liste de lieux d'exercice à l'issue de celle-ci, si le zonage a évolué entre temps.
Afin de rendre ce dispositif plus efficace, l'amendement DEVDUR.23 vise à aligner la durée du bénéfice du CESP, en cas d'évolution du zonage, sur la durée de l'internat de médecine générale, c'est-à-dire trois années.
L'amendement DEVDUR.23 est adopté.
Articles additionnels après l'article 4
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Face au creusement des inégalités territoriales dans l'accès aux soins, tout n'a pas été tenté. Les mesures d'incitation à l'installation des médecins sont aujourd'hui nombreuses, dispersées entre une pluralité d'acteurs - État, collectivités territoriales, assurance maladie, etc. -, sans coordination d'ensemble et inefficaces, comme a pu le relever la Cour des comptes dans plusieurs rapports parus depuis 2014.
L'amendement DEVDUR.45 concerne ce sujet et s'inscrit dans le droit fil des positions que la commission défend depuis plusieurs années. J'ai étudié plusieurs options : un conventionnement individuel, une obligation d'installation dans les zones sous-denses pendant une période déterminée sous la forme d'un « service à la nation » ou encore le conventionnement sélectif dans les zones sur-dotées.
Ce dernier dispositif correspond à ce qui existe pour d'autres professions de santé, comme les infirmiers libéraux, les sages-femmes, les masseurs-kinésithérapeutes ou encore les chirurgiens-orthodontistes, mais il n'a jamais été tenté pour les médecins. Nos concitoyens demandent des réponses concrètes sur la santé et l'accès aux soins. Cet amendement est une réponse possible.
L'innovation par rapport à l'amendement que j'avais porté en 2016 sur le projet de loi de modernisation de notre système de santé est le renvoi à la négociation conventionnelle en première intention. J'ai entendu les critiques émises par les médecins, mais aussi les constats auxquels sont parvenues les autres professions de santé.
Un renvoi à la négociation conventionnelle me semble donc plus à même de garantir l'effectivité de la régulation de l'offre de soins qui est particulièrement nécessaire aujourd'hui. À défaut, si les médecins ne parviennent pas à se mettre d'accord entre eux et avec l'assurance maladie dans un délai d'un an, le conventionnement sélectif s'appliquera, dans les zones sur-dotées, sur le principe « une arrivée pour un départ ».
M. Hervé Maurey, président. - Selon ce dispositif, c'est seulement en cas d'échec de la négociation conventionnelle que le principe « un départ, une installation » s'appliquera. Il n'est pas acceptable que, dans les zones sur-denses, le nombre de médecins continue d'augmenter.
L'amendement DEVDUR.45 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.47 vise à introduire une précision relative au principe d'égal accès aux soins à l'article du code de la sécurité sociale relatif à la liberté d'installation des médecins.
L'inscription de ce principe, consacré tant par le Conseil constitutionnel que par le Conseil d'État, vise à rappeler que la liberté d'installation des médecins peut être régulée au nom de la nécessaire réduction des inégalités d'accès aux soins et de la protection de la santé des populations, principes particulièrement nécessaires à notre temps au sens du Préambule de 1946. Dans notre pays, il n'existe aucune liberté qui ne puisse être régulée par des mesures proportionnées à un objectif d'intérêt général.
L'amendement DEVDUR.47 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.22 vise à élargir la possibilité de recourir à un médecin adjoint en cas de carence dans l'offre de soins, ponctuelle ou permanente, constatée par le conseil départemental de l'ordre des médecins, quand bien même une zone ne serait pas considérée comme une zone sous-dense au titre de l'article L. 1434-4 du code de la santé publique.
L'amendement DEVDUR.22 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.17 vise à supprimer l'article 7 B du projet de loi, qui constitue davantage une mesure d'affichage politique qu'une réelle extension de compétences au profit des collectivités territoriales. Je ne souhaite pas que le Gouvernement puisse dire qu'il a pris des mesures ambitieuses pour les territoires alors que, juridiquement, plusieurs articles de ce projet de loi n'apportent rien au droit existant et sont faiblement normatifs.
L'amendement DEVDUR.17 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.18 propose de supprimer l'article 7 E pour les mêmes raisons que celles que je viens d'évoquer.
Cet article tend à dégager l'État de sa responsabilité, alors que l'article L. 1411-1 du code de la santé publique est très clair sur ce point et dispose que la mise en oeuvre de la politique de santé « relève de la responsabilité de l'État », même si les collectivités territoriales disposent également de prérogatives en la matière. Ensuite, il ne répond pas aux exigences de clarté et d'intelligibilité du droit, faute de définir les notions qu'il emploie et d'assortir la responsabilité ainsi créée des obligations et sanctions nécessaires à son effectivité.
L'amendement DEVDUR.18 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.15 prévoit la mise en oeuvre d'un système de garde dans chaque canton qui serait organisé par les professionnels de santé dans le cadre des communautés professionnelles territoriales de santé et selon des modalités déterminées aux termes de négociations conventionnelles. Ce système permettrait d'assurer une permanence des soins jusqu'en fin de journée au plus près des territoires, et ainsi d'éviter un engorgement des urgences à ce moment de la journée. Il serait le parallèle de l'annonce faite par le Président de la République en avril 2019 du déploiement d'une maison de services au public dans tous les cantons de France. Il poursuit par ailleurs le même objectif que le rapport de Thomas Mesnier de mai 2018 sur l'organisation des soins non programmés.
M. Benoît Huré. - Un dispositif existe déjà et fonctionne correctement dans de nombreux départements : lorsque les professionnels ne réussissent pas à se mettre d'accord, le préfet peut trancher et réquisitionner les personnes nécessaires. Il y a déjà eu des conflits dans mon département à ce sujet et la permanence des soins a quand même été assurée. Devons-nous aller plus loin ? Je n'en suis pas convaincu.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Plusieurs personnes que nous avons auditionnées sont pourtant allées dans le sens de cet amendement qui concerne les gardes et vise plutôt à alléger la charge des services d'urgence en fin d'après-midi et début de soirée. Par ailleurs, je crois que le dispositif actuel est mis en place de manière très inégale sur le territoire.
Mme Michèle Vullien. - Je vous signale qu'il n'existe plus de canton sur la métropole de Lyon. Une telle rédaction ne pourrait donc pas s'appliquer sur une métropole de 59 communes et 1,4 million d'habitants...
L'amendement DEVDUR.15 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Lors des auditions que j'ai menées, les professionnels de santé, en particulier la Fédération des communautés professionnelles territoriales de santé, ont insisté sur la nécessité de ne pas créer de nouvelles charges administratives et contraintes procédurales sur leurs activités.
Le Conseil d'État, dans son avis rendu sur le projet de loi, s'interroge lui-même sur la nécessité des nouvelles procédures applicables aux projets territoriaux de santé et souligne le nombre très important des dispositifs de planification et d'organisation existants : projet médical partagé, projets territoriaux de santé mentale, contrats locaux de santé, etc.
En conséquence, je propose à la commission de transformer la procédure de validation du projet territorial par le directeur général de l'ARS en une procédure de transmission pour avis simple, tout en préservant l'information du conseil territorial de santé, composé d'élus locaux en particulier. Tel est l'objet de l'amendement DEVDUR.19.
L'amendement DEVDUR.19 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - La répartition particulièrement favorable des pharmaciens sur le territoire doit servir de support à la prise en charge des pathologies chroniques, vouées à occuper une part croissante en raison du vieillissement de la population.
L'amendement DEVDUR.2 vise à étendre les compétences des pharmaciens correspondants à la prescription d'examens de biologie médicale permettant d'accompagner les patients atteints de pathologies chroniques dans le cadre de l'exercice coordonné. Il s'agirait d'un complément à la faculté aujourd'hui reconnue aux pharmaciens correspondants de renouveler et d'adapter les traitements chroniques dans le cadre de l'exercice coordonné. En effet, les examens de biologie médicale prescrits faciliteraient le suivi de la thérapie médicamenteuse.
M. Benoît Huré. - Il ne faudrait pas que cette louable intention se télescope avec la mise en place du statut d'infirmières en pratiques avancées, qui va déjà changer un certain nombre de choses. Je suis favorable à un panel de réponses, mais elles doivent être coordonnées.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Ces deux dispositifs sont complémentaires. Je propose cette mesure, parce que les pharmaciens sont encore bien répartis sur le territoire. Nous pouvons donc nous appuyer sur eux.
Mme Nadia Sollogoub. - Les infirmières en pratiques avancées auront en fait des prérogatives assez limitées, puisque le médecin devra toujours intervenir en premier, ce qui pose un problème quand il n'y a pas de médecin...
L'amendement DEVDUR.2 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.3 vise à reconnaître officiellement la participation des sages-femmes aux soins de premier recours, notamment aux actions de dépistage, d'orientation dans le système de santé ou d'éducation à la santé. Cette place dans le système de santé français nécessite d'être clairement identifiée dans la loi, d'autant plus que les compétences des sages-femmes restent peu connues des patientes et des autres professionnels de santé. Ces soins de premier recours contribuent à compenser le manque de médecins et à assurer un meilleur accès aux soins pour les Françaises, sur l'ensemble du territoire.
L'amendement DEVDUR.3 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.4 propose d'élargir le droit de prescription des sages-femmes, aujourd'hui limité par des listes fixées par voie réglementaire. Ces listes étant rapidement obsolètes, elles exposent les patientes à des doubles consultations, d'abord chez la sage-femme, puis chez le médecin.
En supprimant ces restrictions, cet amendement simplifierait l'accès aux soins sur l'ensemble du territoire, tout en préservant la sécurité des soins. Il alignerait de plus le régime applicable aux sages-femmes sur celui d'autres professions médicales, comme les chirurgiens-dentistes, qui disposent dans leur champ de compétences d'une pleine faculté de prescription.
L'amendement DEVDUR.4 est adopté.
Article additionnel après l'article 7 sexies C
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Les difficultés d'accès à un médecin sont particulièrement prononcées en matière de soins visuels. Dans la continuité des travaux de l'Assemblée nationale qui ont étendu les compétences des orthoptistes, l'amendement DEVDUR.6 vise à améliorer l'accès aux soins visuels sur l'ensemble du territoire, en étendant les compétences d'une autre profession paramédicale, les opticiens.
Le potentiel que constitue le réseau des opticiens-lunetiers sur le territoire national est insuffisamment mis en valeur en matière de prévention. La faculté de pouvoir réaliser des actions de dépistage et, par suite, d'orienter les patients dans le système de soins doit ainsi pouvoir être reconnue. C'est ce que propose le présent amendement. Cette disposition entrerait en vigueur en 2021 pour permettre une adaptation des formations des opticiens.
M. Benoît Huré. - Je suis réservé sur cet amendement. Je rappelle que les opticiens et les ophtalmologues ne travaillent pas sur le même lieu ni dans les mêmes conditions. Et je ne suis pas certain qu'un tel amendement entre dans le champ de compétences de notre commission.
Mme Évelyne Perrot. - Les compétences qui seraient exercées doivent être clairement encadrées.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Je rappelle que les opticiens sont bien répartis sur l'ensemble du territoire et que nous parlons uniquement de dépistage.
M. Didier Mandelli. - La rédaction évoque le « dépistage », il faudrait sûrement préciser les choses. Les opticiens ne disposent pas de l'ensemble du matériel et des compétences d'un ophtalmologue.
M. Pierre Médevielle. - J'ai moi-même travaillé sur cette question, en préparant une proposition de loi visant à mettre à niveau les formations des opticiens et des orthoptistes. Ce n'est qu'après une telle mise à niveau que nous pourrons autoriser ces professionnels à pratiquer certains examens.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Nous allons retravailler l'amendement. À ce stade, je le retire !
L'amendement DEVDUR.6 est retiré.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.34 vise à rendre effective la procédure introduite par les députés à l'article 7 septies pour que les assurés qui sont sans médecin traitant puissent en avoir un.
L'amendement DEVDUR.34 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Nous abordons maintenant la question des hôpitaux de proximité et des groupements hospitaliers de territoire (GHT) qui sont traités par les articles 8 et 10 du projet de loi. Comme je vous l'indiquais, les amendements DEVDUR.35, DEVDUR.36 et DEVDUR.37 que je vous propose d'adopter visent à assurer l'autonomie des hôpitaux de proximité au sein des GHT et à garantir en conséquence une offre hospitalière de proximité et de qualité dans tous les territoires.
Les amendements DEVDUR.35, DEVDUR.36 et DEVDUR.37 sont adoptés.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.38 s'inscrit dans la logique d'un décloisonnement entre hôpital et médecine de ville.
L'amendement DEVDUR.38 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.41 vise à remettre la responsabilité sur le ministre de la santé s'agissant de la détermination des futurs hôpitaux de proximité. Nous avons besoin de transparence dans la prise des décisions, et non d'une dilution des responsabilités.
L'amendement DEVDUR.41 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.42 vise à supprimer l'habilitation à légiférer par ordonnances demandée par le Gouvernement pour réformer le statut et la gouvernance des hôpitaux de proximité à la suite des craintes et inquiétudes notamment exprimées par les élus locaux. La méthode du Gouvernement pose problème, car un débat doit avoir lieu sur de telles dispositions, qui touchent à la proximité des soins et sont essentielles pour les territoires. Qui plus est, l'amendement que je viens de vous proposer et que vous avez adopté permet de traiter le cas du 2° de cette demande d'habilitation.
L'amendement DEVDUR.42 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.43 vise à supprimer la possibilité, prévue à l'article 10 du projet de loi, d'une mise en commun des ressources humaines et financières des hôpitaux parties à un GHT qui fait planer une menace sur l'autonomie des hôpitaux de proximité, tout en ouvrant une telle possibilité en cas de délégation expresse des hôpitaux au GHT. Dans une récente communication, nos collègues Yves Daudigny, Catherine Deroche et Véronique Guillotin insistaient sur la « nécessité pour les GHT d'accompagner les dynamiques locales plutôt que d'imposer un schéma homogène à tous ». Je partage cette volonté et nous devons éviter l'intégration de certains hôpitaux à marche forcée dans les GHT.
L'amendement DEVDUR.43 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.20 vise à supprimer l'article 10 ter. Je considère qu'il est inutile de faire siéger des parlementaires dans les conseils de surveillances des hôpitaux, dès lors qu'ils disposent d'une simple voix consultative. En revanche, je suis favorable à l'article 7 D sur la présence des parlementaires au sein des conseils territoriaux de santé et à l'article 19 bis A sur la présence des parlementaires au conseil de surveillance de l'ARS avec voix délibérative.
L'amendement DEVDUR.20 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.9 vise à intégrer dans l'espace numérique de santé, dont disposera chaque usager d'ici à 2022, un outil lui permettant de connaître la disponibilité des professionnels de santé à proximité afin de faciliter sa prise en charge dans le cadre de soins non programmés ou du parcours de soins. Il s'agit de faire de cet espace numérique un outil aux services des citoyens, leur permettant de faire valoir leur droit à la santé.
L'amendement DEVDUR.9 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - L'espace numérique de santé pourrait permettre aux patients résidant dans un désert médical de saisir l'organisme gestionnaire afin qu'un médecin traitant puisse leur être proposé, comme le prévoit l'article 7 septies de ce projet de loi. C'est ce que propose l'amendement DEVDUR.10.
L'amendement DEVDUR.10 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Le numérique doit offrir une solution pour les territoires, et non constituer un handicap supplémentaire. Aussi, la fracture numérique ne doit pas se superposer à la problématique des déserts médicaux.
Pour cela, l'amendement DEVDUR.12 prévoit que le pouvoir réglementaire tient compte des inégalités d'accès à internet, notamment au très haut débit, pour le déploiement du télésoin. Cette prise en compte peut passer par de nombreux aménagements pragmatiques, comme la mise en place de cabines numériques dans les mairies, les maisons de services au public ou encore les pharmacies d'officine.
L'amendement DEVDUR.12 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.14 porte sur le déploiement de la télémédecine. De la même manière que l'amendement précédent, il s'agit d'intégrer l'enjeu de l'inégal accès à internet dans la mise en oeuvre de la télémédecine. Ensuite, cet amendement précise que le pouvoir réglementaire doit prendre en compte la spécificité des déserts médicaux dans la définition des conditions de mise en oeuvre et de prise en charge financière des activités de télémédecine. Cette mention est d'autant plus importante que, dans le cadre conventionnel actuel, le remboursement des activités de télémédecine n'est pas garanti pour les patients résidant dans un désert médical, car les organisations territoriales de santé, comme les communautés professionnelles territoriales de santé, ne sont pas encore pleinement déployées sur le territoire.
L'amendement DEVDUR.14 est adopté.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.21 vise à intégrer deux députés et deux sénateurs dans les conseils de surveillance des ARS. L'Assemblée nationale avait seulement prévu un représentant de chaque assemblée, ce qui ne permet pas un pluralisme d'opinions.
L'amendement DEVDUR.21 est adopté.
M. Benoît Huré. - La plus-value que notre commission peut apporter à ce projet de loi n'est pas d'ordre technique, nous devons retransmettre la préoccupation que nos concitoyens expriment sur la nécessité de répondre aux besoins de santé sur l'ensemble du territoire.
Dans cet objectif, nous avons adopté le principe d'un stage obligatoire de troisième cycle en zone sous-dotée, il ne s'agit nullement d'ennuyer les étudiants, mais de leur faire connaître nos territoires pour qu'ils fassent leur choix avec tous les éléments en main.
Dans le même esprit, il me semble qu'il serait intéressant d'insérer une disposition dans le projet de loi pour permettre aux élus d'aller s'exprimer devant les étudiants. J'ai participé à une telle expérience, je peux vous dire qu'elle a été particulièrement intéressante. Il n'est sûrement pas possible de rendre ce temps d'échange obligatoire, mais c'est une dynamique que nous pouvons fortement conseiller...
M. Hervé Maurey, président. - Je partage cette idée, mais il n'est pas évident de l'écrire dans la loi. Nous nous réunirons mardi prochain à 10 heures 15 et pourrons, à ce moment-là, adopter de nouveaux amendements en vue de la séance publique.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Je suis d'accord avec Benoît Huré : notre commission doit avoir une approche pratique des choses, pas technique. La proposition d'un temps d'échange entre les étudiants et les représentants du territoire est intéressante, mais il n'est pas évident de l'intégrer dans la loi. Nous allons y travailler !
M. Jean-Claude Luche. - Je partage aussi les propos de Benoît Huré, même s'ils sont en effet difficiles à retranscrire dans la loi. Nous devons donner envie aux étudiants de découvrir la médecine générale dans nos territoires. C'est davantage une question d'état d'esprit que de légistique !
M. Hervé Maurey, président. - Je vous remercie et je me réjouis que notre commission continue de défendre des positions fortes sur ce sujet.
La réunion est close à 11 heures.
La réunion est ouverte à 18 heures.
Projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé - Audition de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé
M. Hervé Maurey, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation dans le cadre de l'avis émis par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur le projet de loi Santé qui sera examiné par le Sénat lors de la première semaine de juin. Nous avons souhaité nous en saisir, car l'accès aux soins est un élément essentiel de l'aménagement du territoire, au même titre que la couverture numérique ou la mobilité. Notre jeune commission, née en 2012, a déjà produit sur le sujet un rapport d'information en 2013 et émis un avis en 2016 sur le projet de loi de Marisol Touraine, dont l'auteur était Jean-François Longeot. Les gouvernements se suivent - c'est le troisième que je connais depuis que je suis sénateur -, chaque ministre vient avec ses solutions, mais les problématiques demeurent malgré des mesures dont certaines ont sûrement été utiles ; la situation a même tendance à se dégrader, ce qui montre que tout n'a pas été tenté.
Dans votre projet de loi d'ailleurs, certaines mesures nous semblent tout à fait utiles, telles que la suppression du numerus clausus, les partage de compétences et délégations de tâches entre professionnels de santé, le développement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et bien sûr le déploiement de la télémédecine. Mais ce n'est pas suffisant : comme l'a dit ce matin le rapporteur, sur les déserts médicaux, vous ne proposez que des mesures essentiellement incitatives. Or, comme la Cour des comptes le souligne, ces mesures sont à la fois onéreuses et très peu efficaces contre le constat fait par le géographe Emmanuel Vigneron selon lequel les territoires où le nombre de médecins est faible sont ceux où la mortalité précoce est importante. Nous avons le sentiment d'une bombe à retardement qui nous prépare des drames sanitaires. Alors que l'accès aux soins n'avait pas été identifié comme l'un des sujets à traiter dans le grand débat, il est apparu comme l'une des toutes premières priorités des Français, comme en témoigne un sondage paru dans Le Journal du dimanche établissant que 87 % des Français souhaiteraient obliger les médecins à s'installer dans les zones sous-denses.
Or le président de la République n'a apporté aucun élément de réponse sur ce sujet ; nous espérons que l'examen du texte au Sénat permettra d'en améliorer le volet territorial. Ce matin, le rapporteur Jean-François Longeot a présenté son rapport pour avis, et notre commission a adopté trente amendements concernant la délégation d'actes, les stages en zone sous-dense, le développement territorial de l'offre de soins et des mesures en matière de régulation. J'insiste : nous ne parlons pas de coercition, nous avons adopté ce matin un amendement proposant une régulation au terme d'un processus de négociation collective au cas où cette négociation collective ne serait pas couronnée de succès.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. - Je mesure les attentes des territoires. La difficulté d'accéder aux soins est la première chose dont j'ai entendu parler lorsque je suis devenue ministre. Depuis deux ans, nous travaillons sur la question de l'aménagement du territoire, qui suscite beaucoup d'inquiétude chez les citoyens et les élus. J'ai évidemment pris connaissance de vos travaux, notamment de l'avis que vous avez adopté. Je pense que nous avons une préoccupation commune, celle de répondre à l'urgence de l'accès aux soins et d'anticiper le déclin démographique des médecins, qui s'accentuera dans les années qui viennent. Nous subissons l'effet des mesures prises dans les années 1990, mais que nous allons mettre un certain nombre d'années à rattraper, puisque les médecins formés après le baby-boom partent à la retraite et que moins de 4 000 médecins par an ont été formés dans ces années, faute d'une anticipation de la transition démographique et épidémiologique de la population qui vieillit - c'est une chance - mais est atteinte de maladies chroniques et a donc des besoins nouveaux. N'a pas non plus été anticipé le souhait des professionnels de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale, grâce à une pratique différente de celles de nos aînés.
Notre objectif est de dépasser la logique d'incitation financière à l'installation. Je partage votre avis et celui de la Cour des comptes : ces politiques sont coûteuses, complexes, nombreuses et n'ont pas forcément fait la preuve de leur efficacité, créant souvent des effets d'aubaine. Nous proposons donc un vrai changement de paradigme avec deux axes : rendre du temps médical au médecin, d'une part, et décloisonner les professionnels, d'autre part, avec plus de coopération et de coordination, afin que l'exercice isolé des médecins devienne à terme l'exception - d'ailleurs seuls 5 % des jeunes médecins en sortie d'études souhaitent s'installer dans une pratique libérale isolée.
Nous voulons transformer les modes d'organisation, les modes de financement pour inciter à l'exercice coopératif et collaboratif, modifier la formation et les conditions d'exercice des professionnels afin de garantir et améliorer l'accès aux soins et leur qualité. Ma stratégie « Ma santé 2022 » ne se résume pas à ce projet de projet de loi, qui n'en comprend que les mesures législatives nécessaires et est donc réduit au strict minimum. Il comprend aussi des mesures conventionnelles en discussion avec l'assurance maladie et des dispositions tarifaires qui seront intégrées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Pour modifier les organisations, nous avons d'autres leviers que la loi : des leviers réglementaires, des leviers financiers et des leviers d'animation territoriale - nous comptons sur les acteurs pour mieux animer les territoires et favoriser des organisations vertueuses. Dans le plan d'urgence d'accès aux soins, nous avons mis en place 400 postes de médecins généralistes salariés, soit dans les collectivités, soit dans les hôpitaux locaux. Les assistants médicaux permettront, grâce à la négociation conventionnelle, de libérer entre 15 ou 20 % de temps médical. Enfin, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), auxquelles nous proposons une responsabilité populationnelle inédite, définie par un cahier des charges et financée par l'assurance maladie, devront proposer un médecin traitant à chaque usager, assurer une permanence, assurer l'accès à des soins non programmés et, par là même, nous aider à désengorger les urgences, et feront plus de prévention. Nous y travaillons dans le cadre de la convention médicale.
Un point sur les ordonnances, qui sont nombreuses, il est vrai, mais justifiées par un calendrier extrêmement restreint : nous avons le devoir de supprimer la première année commune aux études de santé (Paces) et donc le numerus clausus pour la rentrée 2020, ce qui déclenche un compte à rebours dans Parcoursup dès septembre 2019. J'ai bien entendu toutes les critiques sur ce recours à l'article 38 de la Constitution, mais, comme j'ai eu l'occasion de le dire à la commission des affaires sociales du Sénat, ces ordonnances donnent aussi la garantie d'une plus grande concertation, un certain nombre de mesures n'ayant pas encore suffisamment fait l'objet d'une concertation, telles que le statut des professionnels de santé hospitaliers ou la gouvernance des hôpitaux. C'est un choix assumé par le Gouvernement pour accélérer le calendrier d'une réforme urgente. Pour autant, je me suis engagée à l'Assemblée nationale à ce que les concertations ayant abouti suffisamment tôt puissent être traduites dans la loi, comme nous avons déjà réussi à le faire pour les missions des hôpitaux de proximité ou la création d'une agence régionale de santé (ARS) à Mayotte. Je me suis surtout engagée à associer pleinement les élus et les parlementaires dans ces concertations : je présenterai devant les commissions des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat les ordonnances avant la discussion du projet de loi de ratification, ainsi qu'une étude d'impact ; les parlementaires pourront donc regarder de près la traduction de ces ordonnances sur le terrain.
Le projet de loi initial, qui comportait vingt-trois articles, a été enrichi par l'Assemblée nationale. Parmi ses grandes orientations, figurent la suppression du numerus clausus, qui existe depuis 1971, et de la Paces dès 2020, celle-ci cédant la place à un système qui demeurera sélectif et exigeant, mais recrutera les étudiants sur leurs compétences et leur projet professionnel, ce qui devrait améliorer la qualité des de vie des étudiants et diminuer le coût social de cette épreuve, qui est une grande gabegie. Pour l'entrée en étude de médecine, il y aura des passerelles et une entrée par Parcoursup au travers de laquelle Frédérique Vidal et moi voulons favoriser la diversité des profils. Le deuxième cycle des études médicales sera également rénové, avec la suppression des épreuves classantes nationales (ECN). La procédure d'orientation prendra en compte non seulement la qualité des connaissances, mais aussi les compétences cliniques et relationnelles, et sera respectueuse des projets des futurs médecins.
Le titre II prévoit la création de projets territoriaux de santé devant mettre en cohérence les initiatives de tous les acteurs des territoires : médecins libéraux ou en exercice regroupé, secteur hospitalier, secteur social ou médico-social, public ou privé. L'idée est aussi d'associer les élus locaux et les usagers. Ils formalisent le décloisonnement visé par le plan « Ma santé 2022 ». Le statut des hôpitaux de proximité sera revisité pour être mieux lié aux soins du quotidien, plus ouvert vers la ville et le médico-social ; leurs missions seront inscrites dans la loi, tandis que les modalités de leur financement seront fixées dans le PLFSS et la gouvernance le sera dans une ordonnance, car la concertation n'est pas terminée. Un amendement du Gouvernement à l'Assemblée nationale a autorisé les hôpitaux de proximité à pratiquer certains actes chirurgicaux ciblés, dont la liste sera validée par la Haute Autorité de santé (HAS) : l'idée est que les actes faits sous anesthésie locale puissent continuer à y être pratiqués.
Un chapitre du projet de loi est également consacré à l'acte II des groupements hospitaliers de territoire (GHT), dont le projet médical doit désormais être le centre de gravité. La gestion des ressources humaines médicales sera mutualisée entre tous les hôpitaux et la gouvernance médicale sera adaptée et renforcée en conséquence dans les établissements de santé pour privilégier le projet médical. Un article introduit par l'Assemblée nationale offre également la possibilité aux professionnels paramédicaux de la filière de rééducation de cumuler une activité libérale en ville avec une activité hospitalière ; cette mesure devrait favoriser l'attractivité des hôpitaux, notamment pour ce qui concerne les kinésithérapeutes. L'Assemblée nationale a modifié le périmètre de compétence de certaines professions de santé, autorisant les pharmaciens à délivrer des médicaments sous prescription médicale obligatoire ou les infirmiers à adapter les prescriptions et à prescrire certains produits en vente libre.
Enfin, dernier pivot du projet de loi, l'ambition de donner à la France les moyens d'être en pointe pour l'innovation et le numérique. L'utilisation et l'exploitation des données de santé dans les domaines de la recherche, du pilotage du système de santé et de l'information des patients seront favorisées. Nous créerons l'espace numérique en santé, un compte personnel en ligne permettant à chacun d'accéder à son dossier médical partagé, mais aussi à des applications sécurisées et à des informations de santé. Enfin, la dématérialisation des pratiques passera par le renforcement de la télésanté : certains paramédicaux et les pharmaciens pourront pratiquer certains actes à distance, ce qui devrait créer de nouvelles opportunités sur les territoires dans des filières sous-dotées comme l'orthophonie.
Les élus auront une place importante dans le futur système de santé que nous dessinons. La politique que nous conduisons doit s'inscrire dans une relation de confiance avec eux. Le projet de loi a largement été amendé pour répondre à cette attente, à commencer par la reconnaissance de la promotion de la santé comme une compétence partagée des collectivités territoriales et de l'État. Nous prévoyons également l'association des collectivités territoriales dans la mise en oeuvre de la politique de santé, la présence de parlementaires au Conseil territorial de santé et la présentation aux élus par le directeur général de l'ARS de la mise en oeuvre de la politique de santé.
Dans chaque département, nous prévoyons enfin la participation de parlementaires au conseil de surveillance des ARS. Il n'y aura donc pas de dispositions imposées par le haut. La nouvelle structuration de l'offre de soins partira des territoires, fera l'objet d'une large concertation avec les élus et les citoyens. Je sais que l'attente est grande.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Votre projet de loi traduit le plan « Ma santé 2022 », présenté en septembre dernier. Certaines de ses mesures sont positives et consensuelles, d'autres plus techniques, et je regrette la place importante des habilitations à légiférer par ordonnance, sur la question des hôpitaux de proximité notamment. Je déplore aussi certains manques, ce qui ne vous surprendra pas : vous connaissez la position de notre commission.
Première question, un peu naïve : quelles dispositions du projet de loi participent concrètement à la résorption des déserts médicaux ou plutôt, comme je sais que vous n'aimez pas ce terme, à la réduction des inégalités territoriales dans l'accès aux soins ?
Sur le numerus clausus, le projet de loi prévoit la détermination des capacités d'accueil des formations en deuxième et troisième années de premier cycle par les universités en fonction des besoins des territoires, mais ces capacités ne sont pas infinies. Comment envisagez-vous la mise en oeuvre de la réforme des études de santé ? En particulier, quels seront les moyens mis à la disposition des universités ?
Dernière question sur la télémédecine. Depuis 2018, les téléconsultations peuvent être prises en charge par l'assurance maladie, y compris pour les patients n'ayant pas de médecin traitant, à condition que ces patients consultent des médecins d'une organisation locale de santé, comme une CPTS. D'ici à leur déploiement complet, les assurés résidant dans un désert médical pourraient donc subir une double peine : déjà exclus d'une prise en charge présentielle, ils pourraient bientôt être exclus de la télémédecine, faute de pouvoir bénéficier d'un remboursement dans le cadre posé en 2018. Ne faut-il pas prévoir pour ces patients un régime dérogatoire ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Je vais vous faire une confidence : après avoir passé deux jours avec les ministres de la santé du G7 jeudi et vendredi derniers à Paris, je sors de l'assemblée générale de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) à Genève où j'étais dimanche soir et hier toute la journée. J'ai eu l'occasion de travailler et de discuter avec l'ensemble de mes homologues : la question de la désertification médicale et, au-delà, de la démographie médicale est un problème mondial. Le directeur général de l'OMS a annoncé hier au pupitre de l'assemblée générale le chiffre suivant : il manquera dans les cinq ans à venir 12 millions de professionnels de santé à travers le monde. Nous sommes face à un dumping des pays les plus riches vis-à-vis des pays les moins riches : les médecins africains sont attirés par l'Europe de l'Est, les médecins d'Europe de l'Est par l'Europe de l'Ouest, les médecins de l'Europe de l'Ouest par le Canada... Aujourd'hui, on offre 100 000 dollars par mois aux médecins canadiens pour s'installer dans les territoires les plus reculés du pays. La secrétaire d'État norvégienne à la santé, à qui je demandais comment elle faisait fonctionner les maternités, m'a répondu : « C'est une horreur, il y a des manifestations tous les jours, nous fermons des maternités tous les jours, car nous ne sommes plus en mesure de les faire fonctionner, n'ayant plus d'obstétricien ni d'anesthésiste. Les femmes manifestent, car elles sont obligées de faire en moyenne entre quatre et cinq heures de route pour rejoindre une maternité. » Je lui ai répondu : « Chez moi, on manifeste pour quarante-cinq minutes ! »
Ce projet de loi comprend donc des mesures de nature à répondre à la question de la désertification médicale. Mais, face à un dumping qui va s'aggraver dans les années qui viennent, les seules solutions sont des solutions d'attractivité, car les moyens pour un médecin d'échapper aujourd'hui à une obligation d'aller dans un territoire vont se multiplier. Je ne parle même pas des offres financières faites aujourd'hui par l'Allemagne à l'endroit de nos infirmières, tous ceux qui vivent en zone frontalière le savent.
Notre objectif est donc de rendre l'exercice professionnel confortable. D'une part, les jeunes professionnels souhaitent un exercice regroupé, collaboratif avec d'autres professions de santé paramédicales notamment ; d'autre part, nous avons besoin de temps médical, d'où les mesures en faveur de la délégation de tâches, qui permettra aux médecins de se concentrer sur leur valeur ajoutée médicale. Nous avons créé des infirmiers de pratique avancée pouvant prendre en charge les patients chroniques, de façon à libérer du temps médical.
Les communautés professionnelles territoriales de santé sont plébiscitées par les médecins qui y participent ; elles leur permettent de s'allier pour trouver des réponses à des enjeux territoriaux, notamment en termes de permanence des soins ou d'accès à des soins non programmés ou de coopération entre professionnels. Moins de 15 % des médecins à la sortie de leurs études souhaitent s'installer en libéral, les autres voulant un exercice salarié ou des remplacements ; 5 % seulement d'entre eux veulent un exercice isolé. Nous devons favoriser l'appropriation par les jeunes de l'exercice libéral en zone rurale et l'exercice regroupé avec les maisons de santé, les centres de santé et les communautés professionnelles territoriales de santé. Nous créons des postes salariés dans les hôpitaux, avec 400 postes cette année - si ces postes rencontrent du succès, nous les développerons. Enfin, les contrats d'engagement de service public financent les études de certains étudiants, notamment issus des zones rurales. La ministre italienne était très intéressée par ce dispositif, les Allemands et les Canadiens le mettent en place, ces derniers pour financer des étudiants issus des communautés territoriales dans les zones très reculées. Ainsi, 95 % des jeunes qui en bénéficient retournent dans le territoire dont ils sont issus.
Nous avons créé des postes de médecin adjoint, qui, en fin d'internat, pourront assister en libéral un médecin qui part à la retraite. Notre ambition est de renforcer les soins de proximité, de faire en sorte que les hôpitaux de proximité répondent aux besoins de santé de la population et ne se dispersent pas en essayant de maintenir des plateaux techniques que nous n'arriverons pas à faire fonctionner, faute de professionnels, et d'assumer une gradation des soins avec une entrée dans le système hospitalier en proximité des personnes qui peuvent être adressées au fur et à mesure de la gravité de leur état vers des hôpitaux de recours ou des centres hospitaliers universitaires (CHU).
Mais ne nous leurrons pas, personne aujourd'hui dans le monde n'a de recette miracle pour mettre fin aux déserts médicaux. Les Allemands et les Canadiens me l'ont dit : tous les mécanismes de coercition qu'ils ont essayé de mettre en place ont été des échecs notables. Nous mettons en place des échanges de connaissances sur la structuration des soins primaires entre tous les pays du G7 et bien au-delà.
La suppression du numerus clausus, vous le savez, permettra une légère augmentation du nombre de médecins formés ; mais nous sommes passés de 3 000 médecins formés dans les années 1990 à plus de 9 000 aujourd'hui, ce qui nécessite énormément d'infrastructures et de lieux de stages diversifiés : aujourd'hui, les facultés tentent de diversifier les stages dans les centres de protection maternelle infantile (PMI), en médecine du travail, en médecine libérale spécialisée, chez les généralistes... Mais nous savons très bien que nous aurons des difficultés à augmenter encore au-delà de 10 000 ou 11 000, selon les possibilités des universités. Les étudiants doivent être accompagnés dans leur formation : on ne peut pas les envoyer sur le terrain sans formateur ! Frédérique Vidal vous répondra plus précisément sur les moyens, mais nous n'avons pas besoin de moyens supplémentaires, ceux-ci ayant déjà été donnés aux universités pour augmenter le nombre d'étudiants - un milliard d'euros - et les moyens dédiés à la Paces étant redéployés vers les passerelles.
Je finirai par la télémédecine, qui a fait, je crois, l'objet d'une tribune dans Le Journal du dimanche. Je souhaite que la télémédecine soit ancrée dans les territoires. Avec le parcours de soins, nous voulons que le malade soit connu des professionnels de santé qui interviennent autour de lui, qu'il y ait des échanges autour du dossier médical et nous souhaitons favoriser l'attractivité du territoire. Or, avec des plateformes nationales d'accès à la télémédecine, nous verrons de plus en plus de médecins qui seront ravis de ne plus voir de malades - cela arrive ! - et d'être derrière leur téléphone ou un ordinateur en étant très bien financés. Je ne vois pas comment nous rendrons les territoires attractifs. Le fait d'ancrer la télémédecine dans une CPTS oblige les médecins de ce territoire à rendre ce service.
M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. - Je n'ai jamais utilisé le mot « coercition ». Je parle de « régulation » : cela n'a jamais été essayé en France et pourrait l'être. Et comparaison n'est pas raison.
M. Hervé Maurey, président. - L'amalgame entre les deux termes est souvent fait. Or, à aucun moment, les dispositions que nous avons adoptées ce matin ne peuvent être qualifiées de « coercitives ».
M. Michel Vaspart. - La coercition n'est pas dans notre vocabulaire ; il est donc désagréable d'entendre ce mot en permanence. Vous nous avez dit que vous souhaitiez mieux associer les élus locaux ; notre commission y est sensible. Mais, dans ce domaine, les conseils d'administration ont laissé place aux conseils de surveillance, qui n'ont presque plus de poids et ressemblent à une chambre d'enregistrement, dont le président n'a pas d'autre pouvoir que de la convoquer. Il faudrait revenir au conseil d'administration en y incluant les élus locaux. Les intercommunalités ont une compétence en matière d'aménagement du territoire. Il serait logique que le président de l'intercommunalité ou son représentant participe au conseil de surveillance des hôpitaux. Pour aller plus loin dans ce domaine, je vous présenterai en séance un amendement d'appel tendant à poser la question de l'existence des ARS, avec qui les élus locaux ont bien des difficultés relationnelles. Lorsque nous avions affaire aux préfets, les sujets étaient mieux appréhendés.
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Pardonnez-moi d'avoir parlé de « coercition » : le mot a été beaucoup employé à l'Assemblée nationale, mais il ne correspond pas à ce que vous proposez.
M. Hervé Maurey, président. - Je suis heureux de vous l'entendre dire !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Nous reviendrons sur le sujet de la régulation.
Aujourd'hui, les maires président les conseils de surveillance. Dans certains territoires, les intercommunalités sont sans doute les échelons les plus pertinents. Au sujet de la gouvernance des hôpitaux de proximité, une concertation est prévue. Les élus locaux seront, quoi qu'il en soit, bien représentés dans cette gouvernance, et l'ordonnance vous sera présentée.
En matière d'aménagement du territoire, les préfets disposent d'une vision d'ensemble et les ARS doivent travailler beaucoup plus étroitement avec eux, à l'échelle des départements comme des régions. Toutefois, depuis la loi NOTRe, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, les ARS ont été précipitées vers une réorganisation régionale, contrairement aux rectorats. On leur a imposé des restructurations au 1er janvier 2017, c'est-à-dire avant ma prise de fonctions. Depuis lors, elles couvrent de grandes régions, très loin du territoire, et nous en payons tous les conséquences.
M. Benoît Huré. - C'était une mauvaise réforme.
Mme Agnès Buzyn, ministre. - En outre, la problématique de la désertification médicale n'a jamais été aussi aiguë. Les élus locaux sollicitent donc, plus que jamais, une relation directe avec les ARS, qui sont dans l'impossibilité matérielle de répondre à toutes les sollicitations. À l'avenir, elles devront présenter les projets de santé aux élus une fois par an et travailler beaucoup plus directement avec eux.
Mme Angèle Préville. - Dans les territoires ruraux, le maintien à domicile des personnes âgées est en péril : certaines communes sont d'ores et déjà sans médecin, et l'absence de suivi risque d'entraîner des problèmes sanitaires en cascade.
En France, les études de médecine sont bien moins onéreuses que dans la plupart des pays. Les jeunes médecins devraient être plus nombreux à s'installer dans les zones sous-dotées : ce serait un juste retour des choses. Parallèlement, la mixité sociale n'est plus réellement assurée parmi eux. Avez-vous des données chiffrées à ce sujet ?
Le projet de loi pour une école de la confiance prévoit des visites médicales obligatoires, mais la médecine scolaire n'est pas florissante. Comment y remédier ?
Les jeunes médecins semblent s'être installés dans un certain confort. Or la responsabilité du médecin, c'est de prendre des décisions : leur frilosité n'est pas acceptable. Peut-être faudra-t-il mieux les préparer au cours de leur formation.
Enfin, au titre de la contraception, il faudrait envoyer à toutes les jeunes femmes un bon pour une visite médicale.
Mme Agnès Buzyn, ministre. - La situation des personnes âgées mérite toute notre vigilance. Toutefois, la visite d'un médecin au domicile du patient n'est pas toujours nécessaire - je pense, notamment, à un certain nombre de pathologies chroniques. À ce titre, les infirmiers en pratique avancée de grade master pourront assurer un suivi régulier : pour cette formation, la première rentrée a eu lieu en 2018, et les premiers professionnels prendront leurs fonctions d'ici à un an. Les CPTS garantiront un médecin traitant pour toutes les personnes suivies dans leur ressort. Certains départements déploient également des équipes mobiles, qui vont de village en village. De plus, la télémédecine sera bénéfique pour le suivi des personnes âgées. Bref, les pratiques sont en train de se transformer.
La mixité sociale a, effectivement, évolué de manière négative. Les catégories socioprofessionnelles favorisées, dites CSP+, sont surreprésentées chez les médecins, et pour cause, le prix des études fait peur à bien des familles. Mais plusieurs milliers de contrats d'engagement de service public ont été signés au cours des dernières années : grâce à ce dispositif, qui progresse de manière exponentielle, les étudiants sont rétribués au SMIC ; et ils s'engagent à pratiquer la médecine dans un territoire sous-doté pour un laps de temps équivalent à celui de leur rémunération. En outre, grâce aux passerelles, que nous créerons avec Frédérique Vidal et qui ouvriront d'autres filières d'entrée, grâce à la réforme du numerus clausus, les phénomènes d'autocensure devraient reculer. Ainsi, la mixité sociale sera améliorée.
Jean-Michel Blanquer et moi-même travaillons pour multiplier les passerelles entre la médecine de ville et la médecine scolaire, qui peine à recruter. À cette fin, nous proposons aux jeunes médecins des stages de découverte de la médecine scolaire.
Vous me demandez, en somme, si les jeunes médecins ne doivent pas assumer plus tôt des responsabilités. Prenons garde à ne pas créer une médecine à deux vitesses. À ce sujet, je suis très prudente, car il faut avant tout garantir une médecine de même qualité partout sur le territoire. La médecine devient de plus en plus technique : il faut donc exiger la meilleure formation.
Enfin, la consultation de contraception gratuite a été votée dans le PLFSS pour 2018. Remboursée à 100 % par la sécurité sociale, cette visite est proposée de quinze à dix-huit ans, non seulement aux jeunes filles, mais aussi aux jeunes garçons, au titre de la santé sexuelle. Les sages-femmes peuvent prescrire la consultation et assurer un suivi non pathologique. Nous devons faire en sorte que ces services soient mieux connus.
Mme Marta de Cidrac. - À propos de l'espace numérique en santé, quelles dispositions prévoyez-vous en faveur des personnes âgées et, plus largement, de celles et ceux qui n'ont pas facilement accès au numérique ? Je pense notamment aux habitants des zones blanches.
Pour ce qui concerne la formation des médecins, vous insistez sur les enjeux du handicap, mais votre projet de loi n'apporte pas de précisions s'agissant des violences faites aux femmes. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. - L'espace numérique en santé va se déployer progressivement, et nous veillerons à ce qu'il soit inclusif. En priorité, nous devons nous assurer que toutes les maisons de santé, les centres de santé et les hôpitaux de proximité ont une couverture internet correcte. Plus largement, Mme la ministre de la cohésion des territoires s'efforce d'assurer une meilleure couverture numérique : c'est de ce vaste chantier que dépend notre travail.
Des médiateurs accompagneront les personnes éloignées du numérique, notamment les personnes âgées. Ils travailleront en particulier dans les maisons France services, annoncées par le Président de la République. Cela étant, avec l'espace numérique en santé, nous travaillons pour l'avenir. Aujourd'hui, tous les trentenaires ont un téléphone portable : demain, ils n'auront aucune difficulté à utiliser l'outil que nous créons. Ils vieilliront avec lui.
Enfin, les violences faites aux femmes ont donné lieu à un long débat à l'Assemblée nationale. Il est essentiel d'aborder ce problème lors des études de médecine. Mais nombre d'autres thématiques exigent une formation ad hoc : le handicap, la maladie de Lyme, les maladies rares et orphelines, etc. Le danger était d'inscrire dans la loi un inventaire à la Prévert. Avec Frédérique Vidal, nous proposons d'écrire à l'ensemble des doyens afin que ces thématiques fassent l'objet d'une attention particulière au cours des deuxième et troisième cycles de médecine. Le thème du handicap est désormais le seul que mentionne le projet de loi.
M. Joël Bigot. - Pour lutter contre la désertification médicale, certains départements ont entrepris de salarier les médecins au sein de centres de santé. Or les praticiens ne connaissent que rarement cette possibilité, qui est pourtant susceptible de les intéresser, notamment en début ou en fin de carrière, car elle les libère de lourdes charges administratives. Sur ce sujet, les élus doivent aller à l'offensive plutôt que de subir les transformations : que prévoyez-vous pour accompagner et encourager les collectivités territoriales dans de telles expériences ?
J'ai compris que vous souhaitiez maintenir les hôpitaux de proximité faisant des actes ambulatoires. Qu'en est-il des maternités ? Les familles rechignent à s'installer dans des territoires où ces services ne sont pas proposés. Il est temps de mettre un terme aux fermetures de maternité : elles nourrissent le sentiment d'abandon qui s'exprime aujourd'hui.
M. Hervé Maurey, président. - Je me suis rendu récemment dans le Doubs, à l'invitation de Jean-François Longeot ; avec les élus locaux et les représentants de l'ARS, nous avons examiné le cas d'une maison de santé où il faudrait assurer l'installation de médecins. Le maire de la commune a déclaré à la fin de la réunion : « On ne sait plus quoi faire. » Ce cri du coeur fait écho à la question de notre collègue.
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Beaucoup de jeunes médecins souhaitent opter pour l'exercice salarié, et j'y suis moi-même extrêmement favorable : nous avons déjà créé 400 postes de médecins salariés, financés sur le budget du ministère de la santé, et ce n'est un début. De leur côté, les ARS agissent, de concert avec les doyens, pour que les médecins connaissent mieux toutes les aides existantes. Diverses brochures sont ainsi proposées dans les facultés de médecine : à l'intention de la commission, j'en ai apporté plusieurs exemplaires.
Entre 2017 et 2019, le nombre de centres de santé a augmenté de 49 %. Au total, 40 millions de crédits de l'assurance maladie servent aujourd'hui à financer leur création. Je suis également très favorable à ces actions : je ne fais aucune différence entre les maisons de santé pluriprofessionnelles, à exercice libéral, et les centres de santé, à exercice salarié. Pour nos concitoyens, le service est le même - dans 99 % des cas, il relève du secteur 1 -, et tout exercice est bon à prendre.
Les hôpitaux de proximité pourront effectivement garder une petite activité de chirurgie, mais, contrairement à ce que l'on pourrait croire, la chirurgie ambulatoire n'est pas forcément de la petite chirurgie. Les actes susceptibles d'être maintenus sont ceux qui sont effectués sous anesthésie locale. Ils seront détaillés par la HAS.
Je n'ai aucune envie de fermer des maternités. Mais ces structures exigent beaucoup de personnels - pour maintenir une liste de garde, il faut huit professionnels à temps plein pour chaque fonction - et nous faisons face à de grandes difficultés en matière de recrutement. Beaucoup de maternités fonctionnent aujourd'hui avec des intérimaires, ce qui pose problème pour la qualité et la sécurité des soins.
La Norvège, l'Allemagne et la Grande-Bretagne sont confrontées à la même situation. Mais le maillage de maternités dont dispose la France est parmi les meilleurs au monde. Seuls 20 % des femmes accouchent dans des maternités totalisant plus de 3 000 accouchements par an, contre 80 % dans bien des pays. Avec mes homologues du G7, j'examine aujourd'hui les moyens de garantir le meilleur suivi. Ainsi, nous allons proposer aux femmes un « pack maternité », avec un accompagnement par des sages-femmes et des hôtels réservés près des maternités pour les accouchements programmés.
La suppression de la spécialité de gynécologie médicale, décidée il y a une vingtaine d'années, explique en partie la situation que nous vivons aujourd'hui. Nous venons de recréer cette spécialité, mais les effets de cette décision ne seront pas immédiatement perceptibles.
M. Guillaume Chevrollier. - Dans mon département, la Mayenne, la dépense moyenne de santé est parmi les plus faibles de France : 944 euros par habitant et par an. Cette situation résulte notamment de la faible densité de médecins. Or les élus du territoire se mobilisent pour recruter et accueillir des praticiens. Vous avez pu visiter plusieurs pôles de santé créés grâce à eux. Comment les associer réellement à la politique de santé ? Les parlementaires siègent déjà dans des commissions réunies au titre de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), mais ils n'y ont qu'une voix consultative. Les élus locaux doivent, eux aussi, avoir une véritable place dans ces structures.
Avec ce projet de loi, vous vous apprêtez également à réviser la carte hospitalière, mais selon quels critères ? Comment les élus seront-ils associés à ce travail ? La notion d'« hôpital de proximité » mérite d'être précisée. Il ne faudrait pas que les centres hospitaliers existants perdent telle ou telle activité. L'inquiétude est d'autant plus grande que cette décision sera prise par voie d'ordonnance.
Le recrutement des médecins dans les hôpitaux suit, désormais, une procédure complexe. L'intérim est sollicité à outrance. Quelle réponse apportez-vous à cette situation ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Le Président de la République s'y est engagé : il n'y aura plus de fermeture d'hôpitaux sans accord du maire. De plus, les élus locaux doivent être plus nombreux au sein des conseils de surveillance des ARS, à l'instar des députés et - j'ai insisté en ce sens - des sénateurs.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Nous sommes très touchés !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - C'est un gage de dialogue, d'information et de compréhension mutuelle.
Les missions des hôpitaux de proximité ne relèveront pas de l'ordonnance : elles sont précisées dans le projet de loi. Le territoire français compte environ 250 établissements de cette nature, et ils donnent tout à fait satisfaction. Je pense notamment à l'hôpital de Pont-Audemer, où exercent plusieurs médecins spécialisés du Havre. Nous n'avons pas une liste cachée des hôpitaux de proximité prévus pour l'avenir. Le seul point qui ne figure pas encore dans le texte, c'est la gouvernance, sujet sur lequel nous continuons à travailler.
La démographie médicale est cruellement insuffisante : les régions et même les pays se livrent, de ce fait, une compétition féroce. Or le secteur privé est plus attractif que le secteur public, surtout dans certaines spécialités très bien payées, dont les anesthésistes. Voilà pourquoi nous souhaitons favoriser les statuts mixtes, mêlant activité libérale en dehors de l'hôpital et service hospitalier.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Vous avez pu constater le volontarisme des élus lors de votre déplacement dans la Manche. Pour faire découvrir les territoires, il est impératif d'adapter la formation des médecins. À ce titre, les projets territoriaux de santé ne pourraient-ils pas consacrer un volet à la contribution des collectivités territoriales ?
La Basse-Normandie a la chance de disposer d'assistants spécialistes régionaux, qui doivent pouvoir être accueillis au sein des hôpitaux. À cet égard, les groupements hospitaliers de territoires ne pourraient-ils pas jouer un plus grand rôle ? Certains présidents d'université demandent en outre la création de nouveaux statuts, comme celui de professeur associé en service temporaire ou celui d'assistant territorial universitaire.
Enfin, le numerus clausus est fixé à 9 314 pour la prochaine rentrée ; pour mémoire, il était de 8 205 cette année, après être tombé à 3 500 dans les années 1990. Toutefois, certaines universités vont conserver les mêmes quotas : l'augmentation sera concentrée sur Paris, Aix, Marseille, Lyon, Toulouse et Rennes.
M. Hervé Maurey, président. - Cette situation est regrettable pour les territoires fragiles.
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Les écarts observés résultent de mesures techniques. L'augmentation du numerus clausus a été discutée avec les ARS et les doyens. Or, au cours des dernières années, certaines universités ont fait des efforts considérables pour augmenter leurs capacités de formation. Il faut donc examiner la situation sur des périodes de plusieurs années.
La loi Fioraso de 2013 avait proposé des expérimentations pour supprimer la Paces. Les facultés parisiennes notamment ont interdit cette année le redoublement. Pour éviter que les étudiants ne soient pénalisés, le numerus clausus a été considérablement augmenté.
En réalité, les explications sont extrêmement techniques et n'ont rien à voir avec les besoins des territoires. La situation peut être choquante, mais elle s'explique par les dispositions prises pour compenser la Paces en un an.
Les projets territoriaux de santé peuvent inclure un volet relatif à la formation. Nous ne voulons pas alourdir la loi : les professionnels de santé peuvent y inscrire ce qu'ils veulent. Toutefois, le volet de la formation doit être négocié avec les doyens, car les maîtres de stage universitaires doivent être eux-mêmes formés à l'enseignement. Il faut s'assurer qu'ils aient les compétences requises pour former les jeunes médecins en stage.
Pour suivre de très près les réseaux sociaux des internes et des externes en médecine, je suis assez inquiète à la lecture des commentaires très négatifs sur les maîtres de stage et les lieux de stage. Veillons à ne pas dégrader la qualité de la formation par volonté de créer de nombreux lieux de stage. Ma réponse est prudente en la matière.
Mme Nadia Sollogoub. - Je reviendrai sur la question de l'attractivité des territoires. Les étudiants en médecine que nous avons entendus nous ont confié qu'il leur était difficile de s'installer dans un territoire où l'hôpital de proximité n'a que des missions limitées.
Je peine à comprendre la notion de saturation de la formation. À l'ère du numérique, on pourrait imaginer que les cours théoriques soient diffusés à distance. Concernant les lieux de stage, le secteur privé propose de plus en plus d'accueillir des stagiaires. A contrario, dans la Nièvre, le fait d'envoyer des stagiaires aux médecins généralistes est de nature à désorganiser le CHU de Dijon. Pourquoi ne forme-t-on pas plus de stagiaires ? J'ai du mal à comprendre cette situation de pénurie chronique et définitive.
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Je déplore l'absence de Frédérique Vidal, puisque c'est elle qui a essentiellement négocié le volet formation avec les doyens. La formation prend un temps considérable. Le temps de formation notamment dans le deuxième cycle est extrêmement chronophage. C'est un peu le serpent qui se mord la queue, avec une incapacité à former, faute de formateurs.
Mme Nadia Sollogoub. - La situation va aller de mal en pis.
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Non, car le nombre de médecins formés a considérablement augmenté depuis 2005. Ces médecins commencent à exercer dans les CHU ; les chefs de clinique sont plus nombreux. En pédopsychiatrie, par exemple, il n'y a plus de formateurs dans des régions entières. Il faut donc recréer des postes des chefs de clinique pour qu'ils se forment eux-mêmes, deviennent maîtres de conférences des universités-praticiens hospitaliers (MCU-PH), puis professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PUPH) et puissent former des internes. Cela prend entre cinq et dix ans. Il ne s'agit pas uniquement de décider de créer des lieux de stage, encore faut-il avoir des formateurs.
Mme Nadia Sollogoub. - À Dijon, on n'a pas de stagiaires !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Je ne comprends pas bien. Aujourd'hui, les CHU ont trop d'externes et d'internes, mais cela dépend en réalité des spécialités. Dans certaines spécialités, la pénurie est telle que les CHU souhaitent garder les internes ; je pense notamment à l'anesthésie ou aux urgences.
Pour avoir été responsable d'une unité importante, alors que j'avais quatre internes dans les années 1990, je ne savais pas quoi faire des treize internes que j'avais dans les années 2000. C'était un gâchis avec un malade chacun à prendre en charge. La situation commence à s'améliorer et nous entrons dans un cercle plus vertueux, avec l'augmentation du numerus clausus. Mais cela ne se fait pas en un jour.
Nous souhaitons, par ailleurs, diversifier les origines des étudiants en ne concentrant pas la première année dans les villes universitaires où est implantée une faculté de médecine.
M. Cyril Pellevat. - Je reviendrai sur la nécessaire mise en lien des ARS avec les élus locaux. Je prendrai un exemple un peu singulier.
Dans mon territoire, la Haute-Savoie, dans une commune-centre comptant 7 000 habitants, pour diverses raisons tenant à l'aménagement du territoire, l'obtention du label maison de santé pluridisciplinaire demandé par les professionnels de santé a pris quatre ans ; et les financements étaient prévus. Or la commune rurale voisine, avec 1 500 habitants, a obtenu ce label, sans aucune concertation avec l'ARS, alors que le projet a été élaboré à des fins électoralistes. C'est un véritable gâchis financier, avec des conséquences pour l'aménagement du territoire.
Aux termes de l'article 4 du projet de loi, en quoi consiste le parcours de consolidation des compétences autorisées aux praticiens possédant un diplôme étranger hors Union européenne ? Pourquoi ce parcours est-il autorisé et non obligatoire ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Je ne peux pas vous répondre sur ce cas particulier dont je n'ai pas connaissance.
Les praticiens diplômés hors de l'Union européenne (Padhues) exercent en réalité souvent illégalement dans nos hôpitaux. Par ce projet de loi, on essaie de les intégrer. Celui-ci prévoit une vérification des connaissances par les spécialistes qui exercent dans la même spécialité et, en cas de niveau insuffisant, un accompagnement, un compagnonnage pouvant aller jusqu'à trois ans, permet une remise à niveau. Il convient de tenir compte de leur niveau de compétences d'autant qu'un certain nombre d'entre eux ont préféré respecter la loi et exercer en tant qu'infirmier, par exemple, et non médecins. Le texte prévoit une intégration contrôlée, mais la plus large possible, de ces médecins.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Je vous remercie, madame la ministre, d'avoir rappelé aux députés que les sénateurs existent.
Dans le prolongement des propos de Guillaume Chevrollier, je prendrai l'exemple de la Sarthe, doté d'un centre hospitalier au Mans, d'hôpitaux de proximité, d'hôpitaux locaux et d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ces derniers dépendant des départements. Certains hôpitaux ont une direction commune avec le centre hospitalier, d'autres des directions partagées et d'autres sont indépendants. Quel est, selon vous, l'avenir des hôpitaux locaux, qui jouent un rôle important dans les territoires, notamment avec les soins de suite, les soins de longue durée, des médecins qui sont à la fois médecins hospitaliers et médecins libéraux ? Les hôpitaux de proximité ne pouvant pas faire de chirurgie sont-ils condamnés à devenir des Ehpad ? Êtes-vous favorable à des directions communes ?
Par ailleurs, j'ai rencontré le même problème que Cyril Pellevat. La maison de santé que nous avons essayé de mettre en place à l'hôpital local a été refusée par l'ARS au motif que le projet n'était pas porté par les collectivités territoriales. C'est à n'y rien comprendre...
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Aujourd'hui, les hôpitaux locaux sont soit des établissements de soins de suite soit des Ephad. Rien ne les empêche de devenir des hôpitaux de proximité s'ils souhaitent proposer de nouveau de la médecine polyvalente et remettre un plateau technique. Quel est le cahier des charges des hôpitaux de proximité ? De la médecine, de la biologie et de la radiologie.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Il faut trouver des médecins.
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Les médecins libéraux pourront intervenir. Dans la Mayenne, la maison de santé pluriprofessionnelle de M. Gendry, le président de la Fédération française des maisons et pôles de santé, est adossée à un hôpital de proximité : ce dernier suit ses malades lorsqu'ils sont hospitalisés dans le service qui se situe à côté. En réalité, ces établissements constituent une meilleure articulation entre la médecine de ville et la médecine hospitalière.
Tout hôpital en capacité de fournir une activité de médecine polyvalente avec un plateau technique minimal, qui s'articule bien dans le tissu territorial avec la médecine libérale, trouvera sa place. Ce mode d'organisation, qui existe dans les autres pays, est même très attractif pour la médecine libérale. La France est l'un des rares pays à connaître une telle dichotomie entre la médecine hospitalière, avec des statuts très particuliers, et la médecine libérale. Dans les autres pays, la médecine générale peut se faire à l'hôpital ou en ville. Dans notre pays, les médecins généralistes considèrent que les médecins qui font de la médecine générale à l'hôpital ne sont pas des généralistes. Il faut faire évoluer les mentalités.
M. Didier Mandelli. - Le Conseil national de l'Ordre des médecins a publié une carte concernant la répartition des médecins généralistes sur l'ensemble du territoire. On le voit bien, la situation est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît avec des territoires sur-dotés dans certains secteurs et d'autres sous-dotés. La Vendée, en dépit de son attractivité et de son dynamisme, avec 7 500 habitants supplémentaires par an, est aussi sous-dotée dans certaines spécialités.
On pourrait dresser un parallèle avec les résultats des dernières élections, la mobilisation de nos concitoyens, le numérique, les mobilités. Pour la téléphonie mobile, des moyens considérables ont été prévus pour éradiquer les zones blanches, notamment en instaurant des obligations aux acteurs et aux opérateurs. Le projet de loi d'orientation des mobilités adopté par le Sénat, soumis à l'examen de l'Assemblée nationale, impose aux intercommunalités et aux régions de se saisir de cette compétence afin qu'il n'y ait plus de zones blanches pour ce qui concerne la mobilité. Quid des déserts médicaux ? Certes, c'est une question de sémantique, mais je serais partisan de parler de « zones blanches de la santé » : plus de 6 millions de nos concitoyens n'ont pas accès aux soins ou y ont accès dans des conditions difficiles. Pourquoi ne pas en faire une cause nationale ? Pour finir par un trait d'humour, on pourrait parler « des zones sans blouses blanches ».
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Vous l'avez dit en préambule, la situation est complexe. L'accès aux soins n'est pas uniquement déterminé par le nombre de professionnels dans un territoire, il est aussi lié au temps médical que ces professionnels dédient à leur exercice professionnel. Nombre de médecins s'installent dans certains territoires, mais y travaillent à mi-temps. Ce ne sont certes pas des zones blanches, mais le temps médical est réduit. La réalité ne peut pas être identifiée au travers d'une carte, d'autant que la santé recouvre aussi les pharmaciens, les sages-femmes, les infirmiers, etc. D'autres professionnels peuvent aujourd'hui intervenir dans le suivi des maladies chroniques. On ne peut donc pas réduire le maillage territorial à une carte, qui ne traduit pas le besoin médical de ce territoire, en termes de démographie, d'inégalités de santé, d'âge, ni les difficultés d'accès aux soins. Les besoins territoriaux sont éminemment variables, même d'une commune à l'autre. Et je ne parle pas des spécialistes. C'est beaucoup plus compliqué que de mailler le territoire avec des pylônes électriques !
Le plan « Ma santé 2022 » vise à lutter contre ce que vous appelez « les zones blanches » au travers d'un décloisonnement entre professionnels, d'un meilleur partage des tâches, en vue de favoriser l'attractivité des territoires. La carte donne une vision macroéconomique assez grossière de la répartition des médecins : elle ne donne pas le temps médical accessible.
M. Guillaume Gontard. - En procédant par ordonnances, vous sortez du débat parlementaire une bonne partie, voire l'essentiel, de la réforme ; je pense notamment à la refonte de la carte hospitalière.
Vous proposez une gradation des soins à trois niveaux, les soins de proximité, les soins spécialisés et les soins ultraspécialisés, ce qui va entraîner une transformation profonde des établissements et la fermeture de certaines maternités et de certains services spécialisés. Je sais de quoi il s'agit avec la fermeture de la maternité de Die. Dans ces conditions, ne craignez-vous pas une métropolisation de la santé, avec des centres très performants et des zones blanches ? Certes, le Président de la République l'a annoncé, il n'y aura pas de fermetures d'hôpitaux, mais, en vidant les hôpitaux de leurs spécialités, n'allez-vous pas créer une santé à deux vitesses ? D'ailleurs, les territoires subiront une double peine, cette décision ayant des conséquences sur la dynamique autour des établissements et l'éventuelle installation des médecins.
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Tous les pays ont organisé l'offre de soins selon la gradation des soins. D'ailleurs, lorsque j'ai rédigé le plan Cancer 2014-2019 et que j'ai voulu acter la gradation des soins en cancérologie pour améliorer la qualité des soins pour les cancers les plus complexes, c'était un gros mot que l'on ne pouvait pas prononcer.
La médecine est devenue de plus en plus complexe. Les plateaux techniques nécessitent énormément de compétences qu'il faut renouveler en permanence. Aujourd'hui, les 3 800 établissements de santé ne sont plus en capacité d'assurer la totalité des actes médicaux disponibles, et la situation va s'aggraver. On a donc intérêt à concentrer les ressources humaines et les compétences sur des plateaux techniques très qualifiés et de très grande qualité pour améliorer la qualité des soins.
Soyons clairs, nous vivons actuellement une médecine à deux vitesses ! N'importe quel professionnel de santé sait qu'il ne faut pas aller se faire soigner dans certains établissements. Je ne supporte plus en tant que ministre et professionnelle soignante cette médecine à deux vitesses : j'ai passé ma vie de soignante à orienter les patients vers les établissements. Je veux que tous les citoyens français soient soignés comme je voudrais que l'on soigne mon père ou ma mère.
Dans le cadre du maillage territorial des compétences, avec les consultations avancées dans les hôpitaux de proximité, qui constituent le lien avec les médecines spécialisées, nous assurons à tous nos concitoyens l'accès à des spécialistes qualifiés, compétents de différents niveaux en fonction des besoins et offrons à tous des soins de qualité.
M. Benoît Huré. - Je vous remercie de porter ce texte sur la santé, pour lequel vous avez engagé de nombreuses concertations. Vous avez conduit ce travail avec beaucoup d'honnêteté intellectuelle. Vous venez de le dire, la situation est très différente selon que vous êtes élu ou patient concerné par la maladie. Quand il s'est agi de fermer des maternités de proximité, les grands-mères et les mères sont allées manifester, tandis que leur petite-fille ou leur fille se rendait dans une maternité plus éloignée qui offrait plus de sécurité pour y accoucher.
On peut contester le fait que vous vouliez procéder par ordonnances, mais il faut aller vite. Vous l'avez dit, la médecine à deux vitesses, nous la vivons aujourd'hui. Je fais partie de ceux qui vous aideront à réparer les erreurs du passé, car il faut préparer l'avenir. Oui, la santé numérique aura toute son importance, mais sans doute pour la génération après la mienne. En attendant, comment former les futurs praticiens et développer de nouvelles approches ?
Je vous félicite d'avoir engagé une réforme sur les études de médecine. L'une des raisons pour lesquelles il y avait moins de candidats tenait à l'impasse dans laquelle ils se retrouvaient au bout de deux années en cas d'échec.
La pratique avancée dégagera plus de 20 % de temps pour le praticien. Élu d'un territoire rural, les personnes âgées ont besoin de visites médicales régulières à domicile, mais deux visites sur trois peuvent être assurées par une infirmière de pratique avancée, en lien avec le médecin praticien.
Fixer à trois ans le statut de remplaçant est aussi une bonne mesure. De même, il est positif que la dernière année de stage soit faite sur le terrain. Certes, il faut des maîtres de stage qualifiés, mais, avec cette mesure, vous donnez à de jeunes étudiants l'occasion de connaître un territoire, une pratique. Cela donnera des résultats intéressants.
Mettre en place un projet de créer une maison de santé ne signifie pas seulement qu'il faut construire des murs, il faut que ce soit un projet commun partagé. Il faut que les élus des territoires puissent accéder à l'université pour présenter le territoire et le projet.
Ce texte va dans le bon sens, madame la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Je retiens la proposition de permettre aux élus d'aller faire de la publicité pour leurs territoires dans les facultés. D'ailleurs, certains élus le font déjà, dans les Hauts-de-France, par exemple.
M. Jean-Claude Luche. - Et dans l'Aveyron.
M. Benoît Huré. - Dans les Ardennes, dans le territoire le plus retiré du département, une maison de santé a été créée parce que des élus sont allés présenter le projet devant les étudiants. C'est la première maison de santé universitaire du Grand Est. Le contact avec les élus est donc important.
Mme Pascale Bories. - Pouvez-vous nous garantir, comme le Président de la République l'a annoncé, qu'il n'y aura pas de fermeture d'hôpitaux et que des CHU ne seront pas transformés en hôpital de proximité ? Pouvez-vous nous assurer que le CHU d'Arles ne deviendra pas à terme un hôpital de proximité ?
Par ailleurs, comment comptez-vous inciter les étudiants à se diriger vers les spécialités en pénurie ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Il n'y a pas de carte hospitalière cachée. Chaque territoire décidera s'il souhaite s'inscrire dans la dynamique des hôpitaux de proximité ou pas. Il est hors de question de transformer un CHU en hôpital de proximité. Des hôpitaux locaux ou des hôpitaux généraux rencontrant des difficultés pour faire fonctionner une activité de chirurgie pérenne, par exemple, pourraient devenir des hôpitaux de proximité. Un travail de concertation sera engagé avec les élus. Le Président de la République a promis qu'il n'y aurait pas de fermeture contre l'avis des élus et des maires.
Le problème que je rencontre concerne la reconstruction d'établissements dans une autre commune. Le maire va-t-il accepter la reconstruction d'un hôpital vétuste qui se trouvait dans une zone inondable dans une zone non inondable ? Réhabilite-t-on un hôpital vétuste dans une zone dangereuse ? Dans ces cas à la marge, pour des raisons de sécurité, on va être conduit à modifier des sites. Tous les hôpitaux ont vocation à rester des hôpitaux dans les territoires. Certains seront parfois transformés en hôpital de proximité s'ils ne peuvent pas maintenir un certain nombre de pratiques. Mais je veux au contraire redynamiser les hôpitaux de proximité.
M. Rémy Pointereau. - Madame la ministre, vos réponses sur le numerus clausus ne me satisfont pas. Dans le cadre des questions d'actualité au Gouvernement, notre collègue Hugues Saury a posé jeudi dernier une question concernant la région Centre-Val de Loire. Le numerus clausus augmente de 13,5 % au niveau national, mais aucune augmentation n'est prévue dans cette région. Alors qu'elle représente environ 4 % de la population, celle-ci a le plus faible taux de places dans les études de médecine, avec 2,74 % du numerus clausus, et nous avons 124 médecins pour 100 000 habitants, contre 153 au niveau national. Certes, certains de mes collègues m'objecteront les zones blanches dans certains territoires.
Qui va être concerné par l'augmentation du numerus clausus ? Paris, Marseille, Lyon, les grandes métropoles ? Quid de l'attractivité de nos zones rurales ? Comment faire pour former des formateurs ? J'aurais aimé que vous nous disiez que vous vous engagiez à recruter dans les régions qui ne sont pas concernées par l'augmentation du numerus clausus des formateurs dans les trois ou quatre ans à venir pour pallier ce déficit en médecins. Où seront les 1 400 médecins ? Tous mes collègues se plaignent. Des médecins sont prêts à prendre des stagiaires pour les former dans les zones rurales.
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Une négociation a eu lieu à Paris à cause de l'expérimentation de la Paces en un an. Pour que ces étudiants aient les mêmes chances que les autres étudiants qui ont le droit de la faire en deux ans, on a augmenté le numerus clausus. Cela ne change rien au nombre d'étudiants formés in fine.
Concernant les autres régions, il faut travailler sur deux niveaux d'attractivité. La formation des externes est essentiellement hospitalière parce qu'il faut beaucoup de temps pour apprendre à un jeune à faire un examen médical, à comprendre, à faire un geste. Nous essayons de mieux répartir les étudiants. Dans le cadre du troisième cycle, après les épreuves classantes nationales, les ARS veillent à ce qu'il y ait plus de postes d'internes dans les zones sous-dotées.
En réalité, le numerus clausus contribue peu à l'installation des médecins : ceux-ci s'installent là où ils ont fait leur internat, et non pas là où ils ont suivi leurs études. Il n'est donc pas tellement important de savoir si on a formé plus de médecins à Dijon qu'à Angers, ce qui compte, c'est qu'il y ait plus d'internes.
Par ailleurs, en 2018, le nombre de maîtres de stage universitaires a augmenté de près de 14 % en un an, avec l'idée d'avoir plus de maîtres de stage dans les zones rurales, notamment dans les régions sous-dotées pour que les internes aillent se former.
M. Jean-Claude Luche. - Je partage l'avis de bon nombre de collègues, je salue l'intention qui sous-tend ce projet de loi.
Grâce aux initiatives menées en 2009-2010, le département de l'Aveyron compte plus d'installations que de départs à la retraite ; et je me réjouis d'un travail réalisé entre les médecins locaux et les acteurs locaux.
Ma question concerne les spécialistes. Mon ophtalmologue, âgé de soixante-deux ans, était prêt à céder son cabinet à son fils. Mais, compte tenu de son classement, il a été obligé de choisir une autre spécialité. Je prends cet exemple, mais je pourrais en prendre bien d'autres : le classement constitue un lourd handicap.
Concernant les Ehpad, dans la région Occitanie, l'ARS prélève ici ou là un certain nombre de lits pour les recentrer sur les grandes métropoles, comme Montpellier ou Toulouse. Je comprends les besoins, mais, dans quinze ans, avec le papy-boom, j'attire votre attention sur le fait que nous manquerons de lits dans ces territoires.
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Pour répondre à votre préoccupation concernant les ophtalmologues, c'est exactement la raison pour laquelle nous supprimons les épreuves classantes nationales. Nous ne voulons plus de classement arbitraire, qui bloque des étudiants dans leur projet professionnel. Avec Frédérique Vidal, nous proposons une adéquation entre les demandes de spécialité des jeunes en fonction de trois critères : les connaissances, avec une note minimale à l'examen - aujourd'hui, avec l'examen classant, même quand vous avez zéro, vous êtes interne, ce qui est un peu choquant - ; une évaluation des compétences cliniques, qui sont liées au stage ; et le parcours professionnel de l'étudiant. La fin des ECN est inscrite dans le projet de loi. Nous avions prévu que la fin de la Paces et la fin des ECN soient concomitantes en 2020, mais, à la demande des doyens, nous avons décalé d'un an la fin des ECN.
Concernant les Ehpad, je suis bien consciente du vieillissement de la population. Un projet de loi sur le grand âge et la dépendance vous sera présenté à la fin de l'année, je l'espère. Nous travaillons sur toutes les modalités d'hébergement, de suivi et de prise en charge des personnes âgées, avec l'objectif que les personnes puissent rester chez elles un maximum de temps. Nous pouvons faire beaucoup mieux sur la question de la perte d'autonomie des personnes âgées, avec un système curatif et peu préventif. À l'issue des concertations qui ont été conduites, M. Dominique Libault m'a remis un rapport sur ce sujet il y a un mois.
M. Hervé Maurey, président. - Merci beaucoup, madame la ministre, de nous avoir consacré tout ce temps. Vous le voyez, nous n'avons pas un a priori négatif sur ce texte ; nous avons, les uns et les autres, souligné les apports de votre projet de loi, mais nous avons le sentiment que nous pouvons aller un peu plus loin concernant le volet territorial. Depuis un certain nombre de décennies, nous constatons tous que les choses s'aggravent. Tentons donc d'enrayer cette spirale infernale !
La réunion est close à 20 h 5.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
mercredi 22 mai 2019
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Audition de M. Augustin de Romanet, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président-directeur général d'Aéroports de Paris
M. Hervé Maurey, président. - Nous vous accueillons, monsieur le président, dans le cadre d'une audition, prévue par l'alinéa 5 de l'article 13 de la Constitution, préalable à votre reconduction aux fonctions de président-directeur général d'Aéroport de Paris (ADP), sur laquelle nous devons nous prononcer. Nous procéderons au dépouillement des votes aux alentours de 13 heures, en même temps que le dépouillement qui aura lieu à l'Assemblée nationale, et votre reconduction ne pourrait pas avoir lieu si le total des votes négatifs ou défavorables était supérieur ou égal aux trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Nous vous avons déjà auditionné à plusieurs reprises. Ancien élève de l'ENA, vous avez fait une grande partie de votre carrière à la direction du Budget. Vous avez aussi exercé des fonctions dans les cabinets ministériels, notamment auprès du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Vous avez été de 2007 à 2012 directeur général de la Caisse des dépôts, avant d'être nommé en 2012 président-directeur général d'ADP. Vous avez été renouvelé à ce poste en 2014, et le Gouvernement propose votre reconduction.
L'entreprise ADP gère les trois aéroports parisiens que sont Charles-de-Gaulle, Orly et Le Bourget, et sa filiale, ADP international, une vingtaine d'aéroports dans le monde. Au total, vous gérez 280 millions de passagers par an, dont 105 millions dans les seuls aéroports parisiens. Le chiffre d'affaires d'ADP atteint 4,5 milliards d'euros et son résultat net, qui a doublé en cinq ans, s'élève à 610 millions d'euros. En revanche, le classement des aéroports mondiaux publié récemment laisse apparaître que, sur 142 aéroports recensés, Charles-de-Gaulle n'est que 98e et Orly, 101e. Pourquoi ces résultats peu flatteurs ?
Nous vous entendrons aussi sur l'actualité de l'entreprise, très riche, puisque le Parlement a voté récemment la privatisation d'ADP et que, peu après, le Conseil constitutionnel a validé une proposition, déposée par 248 parlementaires, visant à donner le caractère de service public national aux aéroports de Paris. Cette proposition sera soumise à un référendum d'initiative partagée, si dans le délai de neuf mois qui s'est ouvert, au moins 4,7 millions de Français en font la demande. S'ouvre en attendant une période de gel et d'incertitude, qui retarde la mise en oeuvre de la loi votée par le Parlement - ce qui, j'imagine, n'est pas sans conséquences sur l'entreprise. Nous vous poserons sans doute aussi des questions sur le Charles-de-Gaulle Express (CDG Express), le quatrième terminal de Roissy ou sur les projets d'investissement que vous envisagez, notamment dans le prochain contrat de régulation économique.
M. Augustin de Romanet, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président-directeur général d'Aéroports de Paris. - Je suis ravi de me retrouver parmi vous pour vous exposer les perspectives de l'entreprise. Je parlerai d'abord des enjeux du transport aérien dans le monde et de ce que nous avons fait à ADP depuis quelques années. J'évoquerai ensuite nos projets et, enfin, je vous dirai quelques mots sur la privatisation.
Une entreprise n'appartient pas uniquement à ses actionnaires, mais aussi à ses salariés, à ses clients et aux territoires sur lesquels elle a une empreinte.
En quelques générations, le volume du transport aérien aura été multiplié par 80. En 1960, il y avait 100 millions de passagers dans le monde. En 2040, il y en aura plus de 8 milliards. On sera passé, en un peu moins d'un siècle, d'un métier qui n'existait pas à un métier de masse.
Ce métier est composé de cinq activités : nous sommes des gestionnaires d'infrastructures - nous construisons des pistes et des terminaux. Nous assurons la sûreté et la sécurité. Le troisième métier est le commerce de détail : nous aurons, à terme, 80 000 mètres carrés de commerce, bars et restaurants entre Charles-de-Gaulle et Orly, soit davantage que les galeries Lafayette. Nous sommes un métier d'hospitalité : un aéroport, c'est un hôtel où les gens ne dorment pas. Nous avons enfin une activité immobilière, avec plusieurs centaines d'hectares à aménager et équiper en bureaux, stations logistiques, etc.
Pour accueillir des clients en nombre toujours croissant, nous sommes en permanence en travaux. Lorsqu'on a inauguré Orly en 1961, le patron de TWA disait qu'en quinze ans dans le métier, il n'avait jamais vu un aéroport qui n'était pas en travaux. De fait, entre 2013 et aujourd'hui, nous avons accueilli à Paris, en nombre de passagers supplémentaires, l'équivalent de deux fois l'aéroport de Marseille : c'est comme si, en six ans, nous avions construit deux aéroports de Marseille ! En 2012, nous avions 88 millions de passagers à Paris. Cette année nous en aurons probablement plus de 107 millions - nous en avons accueilli 105,3 millions l'an dernier.
Le métier de l'aéroport est de vérifier en permanence qu'il accueille les passagers dans des conditions acceptables, dans des salles d'embarquement dignes de ce nom, dans des avions qui soient le plus possible au contact - sujet qui préoccupe le Sénat, parce que beaucoup de lignes sous obligations de service public (OSP) sont malheureusement trop souvent au large. Il faut que, pendant les travaux, la vente continue. Nous nous sommes donc efforcés d'optimiser les terminaux, dans une logique one roof : nous fusionnons les terminaux qui, à Charles-de-Gaulle, sont très éclatés. Mon prédécesseur avait fusionné le A et le C. Nous avons poursuivi la fusion du B et du D, et nous fusionnons des satellites du terminal 1, qui étaient à l'origine destinés à accueillir le Concorde, c'est-à-dire une centaine de passagers par avion.
Le rôle d'un aéroport est aussi d'être au service de la connectivité, demandée par les clients. Paris est une ville attractive parce qu'elle dispose de la première connectivité d'Europe avec 331 villes et 117 pays desservis. Nous avons notamment la fierté d'être la ville européenne la mieux reliée à la Chine, avec quatorze destinations dans ce pays. Or nous n'avons pas encore vu le vrai développement du tourisme des Chinois. Sur 1,4 milliard de Chinois, il y a environ 100 millions de touristes chaque année et on nous dit qu'il pourrait y avoir 50 millions de visas supplémentaires décidés par la Chine à partir de l'an prochain. Nous avons mis du chinois partout dans la signalétique et nous nous apprêtons à accueillir ces touristes qui sont désireux de connaître d'autres pays.
La qualité de service est notre préoccupation au quotidien. Le classement que vous évoquez est principalement pondéré par les retards des avions. Il est donc absolument inégalitaire, puisqu'entre l'aéroport de Viracopos, au Brésil, ou l'aéroport de Tenerife, qui voient passer quatre avions par jour, et l'aéroport d'Heathrow, il n'y a pas de vraie comparaison possible ! Le dernier aéroport du classement, celui de Lisbonne, n'est pas géré par ADP mais par Vinci. Pourtant, il a fait des progrès considérables en termes de qualité de service. Ce classement est donc tout aussi injuste pour Lisbonne que pour les aéroports d'ADP.
Pour développer la qualité, nos équipes font des efforts considérables - même si l'expression « qualité de service » n'est apparue dans l'histoire d'ADP qu'en 2010 ! Ce sont mon prédécesseur et son directeur général qui l'ont introduite dans les plans stratégiques, avec la surveillance de la maintenance des escalators, la vigilance sur la qualité des salles d'embarquement... Ces préoccupations sont arrivées tard dans l'histoire du groupe, qui a été créé en 1946. Nous essayons de rattraper le retard, avec de bons résultats puisque nous avons gagné 65 places dans le classement Skytrax à Charles-de-Gaulle.
Mais on peut faire dire ce qu'on veut aux classements... Je pourrais vous dire, par exemple, que Charles-de-Gaulle est le quatrième meilleur aéroport d'Europe occidentale. Pour autant, il y a toujours jusqu'à 30 minutes d'embouteillages à l'arrivée du 2 E le matin, la police aux frontières est trop souvent absente des aubettes, ce qui génère 25 minutes d'attente pour faire contrôler son passeport, les bagages sont parfois livrés en retard... Dans tous ces domaines, nous prenons le sujet à bras le corps et j'aurai l'occasion de vous expliquer, en réponse aux questions, les actions concrètes que nous menons au quotidien pour essayer de les régler. Le 11 juin, nous allons déployer de nouveaux uniformes plus élégants pour l'ensemble des collaborateurs d'ADP. Avec le dispositif « Bienvenue à Paris », nous mettons en place une nouvelle organisation, avec beaucoup plus de personnes en mobilité dans les linéaires, afin d'accueillir les passagers comme s'ils arrivaient dans un grand hôtel, en les aidant à trouver leur chemin.
Nous avons également à satisfaire les actionnaires. Que nous demandent-ils ? De la rentabilité, de la responsabilité, de la prévisibilité. La rentabilité, je crois que nous l'avons donnée : le total shareholder return (TSR) pour un actionnaire qui aurait investi en novembre 2012 ou janvier 2013 atteint, sur la période, 22,5 % par an. Avec la baisse du cours subséquente aux décisions récentes, ce TSR est ramené à 19 %. Bref, pour les actionnaires, nous avons rempli le contrat. Ils veulent aussi une entreprise socialement responsable. À cet égard, nous avons énormément progressé dans les notations et les classements et dans l'action quotidienne. Ils souhaitent enfin de la prévisibilité, c'est-à-dire des dividendes réguliers et pas trop volatiles. Notre bénéfice ayant doublé depuis cinq ans, le dividende a continûment progressé puisque nous avons pour règle de distribuer systématiquement 60 % de nos résultats, soit un peu plus de 300 millions d'euros - dont la moitié revient à l'État - pour un résultat de 610 millions d'euros.
Notre objectif a été de permettre à chaque salarié d'ADP de se développer dans son travail : une entreprise ne fonctionne pas bien si ses salariés ne sont pas au clair sur ses buts, s'ils ne sont pas épanouis et s'ils n'ont pas la certitude qu'ils auront un avenir professionnel. Nous portons donc beaucoup d'attention à la formation professionnelle et à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et nous avons un dialogue social nourri, avec des accords sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ou sur la diversité - et nous sommes très fiers d'avoir un taux de recrutement de handicapés de 7 %, très au-dessus des contraintes fixées par la loi. Nous allons multiplier par deux le nombre d'apprentis et le nombre de travailleurs en alternance. Enfin, nous avons déménagé notre siège social à Charles-de-Gaulle, ce qui a eu pour avantage de nous rapprocher de nos clients et pour inconvénient de créer des conditions de transport un peu plus délicates pour nos salariés, que nous avons accompagnés du mieux que nous pouvions.
La quatrième partie prenante à laquelle nous portons attention, ce sont les territoires. Notre objectif est que les nuisances créées par les aéroports soient plus que compensés par les externalités positives liées notamment aux emplois qu'ils créent. Nous nous battons pour l'accessibilité par les transports publics : la ligne 14 à Orly, la ligne 18 entre Orly et Saclay et la ligne 17, dont nous nous sommes efforcés de vérifier qu'elle n'arriverait pas trop tard, et qui devra desservir le futur terminal 4 de Charles-de-Gaulle. Nous militons aussi pour la liaison directe CDG Express.
Chaque million de passagers supplémentaires génère environ mille emplois directs et 4 000 emplois indirects. Or chaque année, le croît naturel exigé par la hausse du transport aérien amène à Paris environ 3 millions de passagers supplémentaires, c'est-à-dire une création d'entre 10 000 et 15 000 emplois. Certes, cette croissance du transport n'est probablement pas soutenable sur un siècle : les arbres ne montent pas jusqu'au ciel. Un jour, nous verrons cette croissance se ralentir.
Mais pour l'instant, un Indien voyage en moyenne 28 fois moins qu'un Américain. Dès lors que les personnes des pays émergents accèdent au statut de classe moyenne, elles veulent voyager, et à des prix qui défient toute concurrence puisque, pour aller d'un pays à l'autre en Asie, cela coûte environ 35 dollars. Nous allons devoir faire face à cette hausse du transport aérien et nous nous efforçons de le faire dans des conditions environnementales raisonnables : nous pénalisons les avions qui font du bruit et essayons, dans la nouvelle structure tarifaire du contrat de régulation économique, de favoriser ceux qui polluent moins.
Nous nous sommes exprimés publiquement il y a deux mois pour dire que nous n'étions plus très amis des avions qui polluaient beaucoup et qui faisaient beaucoup de bruit à Orly, notamment le 747. Résultat : lorsque j'ai reçu il y a quelques jours les actionnaires allemands la compagnie Corsair, ils m'ont promis qu'ils allaient progressivement faire disparaître les 747 d'Orly.
L'indice global moyen pondéré de bruit, qui est notre indicateur de mesure à Charles-de-Gaulle, est passé de de 93 en 2007 à 67 aujourd'hui grâce à l'amélioration de la qualité des avions. Le groupe ADP a aussi une action importante en matière d'insonorisation puisque nous gérons le dispositif de la taxe sur les nuisances et finançons l'isolation de tous les bureaux et de toutes les maisons aux alentours.
Plus généralement, l'attention que nous portons aux territoires nous a conduits à organiser volontairement une concertation, entre le 12 février et le 12 mai, sur l'extension de la capacité d'accueil de Charles-de-Gaulle. Sans créer aucune nouvelle piste, nous devons, pour que les avions soient au contact et que les passagers soient accueillis dans des conditions raisonnables, construire de nouvelles installations terminales. La concertation a concerné 488 communes. Nous avons distribué 200 000 dépliants, fait 10 réunions publiques, 13 ateliers, et nous avons reçu 110 000 contributions formalisées.
Nos projets visent à réaliser le triangle magique qui consiste à donner satisfaction à nos clients, avec des capacités supplémentaires en terminaux, à attirer un maximum de compagnies aériennes en leur proposant les tarifs les moins élevés possible et à continuer à assurer l'épanouissement de nos salariés, puisque c'est de leur équilibre personnel individuel que viendra la performance collective.
Dans notre contrat de régulation économique, nous avons essayé de minimiser les investissements, puisque ceux-ci sont payés par nos clients. Néanmoins, l'achèvement de la logique one roof nous oblige à prévoir un terminal supplémentaire, tout en étant respectueux des clients qui ne supportent plus les embouteillages. En quelque sorte, Charles-de-Gaulle est, comme le Mont-Saint-Michel, une île magnifique desservie par deux digues : l'autoroute A1 et le RER B. Il suffit que ces digues soient cassées pour qu'on ne puisse plus y accéder. Et on peut avoir un passager japonais qui arrive à 6 heures du matin à Charles-de-Gaulle pour assister la Fashion Week à midi et à qui on dit qu'il ne peut pas accéder à Paris ! Pour pallier cette fragilité, nous devons multiplier les voies d'accès routier - et mener à terme le CDG Express.
La régulation des aéroports plafonne notre rentabilité. Il n'y a donc aucun risque de sur-rentabilité du groupe, puisque l'État vérifie que la rentabilité n'excède pas le coût moyen pondéré du capital (CMPC), qui est de 5,6 %. Grâce aux efforts de productivité que vont faire nos équipes, nous allons réduire nos dépenses de 130 millions d'euros par rapport à la tendance. Pendant la période du contrat de régulation économique n° 3, nous avons réussi à ce que nos dépenses annuelles croissent de 1 à 2 %, alors que la tendance précédente était de plus de 7 % par an. En réduisant nos dépenses, en investissant 6 milliards d'euros et sur la base d'un coût moyen pondéré du capital de 5,6 %, nous allons pouvoir augmenter nos tarifs de seulement 1,35 %, ce qui nous laisse très en-dessous de Francfort, de Londres et des principaux aéroports européens en matière de croissance des tarifs.
Tout cela n'est possible qu'à la condition de minimiser l'empreinte carbone, sonore et la pollution de l'air. C'est pourquoi nous avons diminué de 70 % nos émissions de CO2 par passager depuis 2002. Nous nous sommes fixés un objectif de neutralité carbone en 2030 sans avoir recours à l'achat de quotas de compensation. Nous effectuons des investissements importants dans la géothermie, non seulement à Orly mais aussi à Charles-de-Gaulle, où nous avons par ailleurs une centrale qui chauffe le quart de l'aéroport au bois. Nous installons des prises sur les points de parking pour éviter que les avions ne se fournissent en groupes électrogènes, extrêmement consommateurs de pétrole, lorsqu'ils sont entre deux rotations. Enfin, nous avons décidé de fixer un prix interne du carbone pour nous, nos investissements et le fonctionnement de l'entreprise, à un niveau extrêmement élevé et aussi ambitieux que possible pour mordre sur nos comportements. Ce prix atteindra 100 euros en 2025, et est pour l'instant de 50 euros.
Nous proposons également des structures tarifaires qui pénalisent les avions les plus bruyants. Un avion A320 Neo émet deux fois moins d'agents polluants qu'un A320 d'ancienne génération. Et nous militons discrètement mais fermement pour que la direction générale de l'aviation civile mène à bien le projet de descente continue des avions. Il s'agit d'un mécanisme qui permet de systématiser la descente des avions sur des routes déterminées, ce qui limiterait fortement le recours aux moteurs des avions pendant la descente et réduirait la dispersion des routes à l'arrivée. Actuellement, chaque avion est pris en charge par un contrôleur aérien à 30 kilomètres de l'aéroport et le contrôle aérien lui fait un parcours sur mesure, ce qui donne des lignes en cheveux d'ange. Il faut aboutir à ce que les avions ne prennent qu'un seul couloir, prédéterminé, dans lequel ils seront conduits par ordinateur. Cela limitera les nuisances aériennes produites par les arrivées.
Nous favorisons aussi beaucoup l'emploi aux alentours de nos aéroports. À Charles-de-Gaulle, les territoires qui sont de l'autre côté de l'autoroute sont très mal connectés, et il arrive qu'un habitant de Gonesse, pour aller travailler à Charles-de-Gaulle, soit obligé de passer par la gare du Nord ! Nous finançons un service de bus qui permet aux personnes qui commencent très tôt le matin d'appeler un bus à quelques hectomètres de leur domicile : ce service est très apprécié. Nous avons aussi des services de location de voitures : un travailleur qui débute peut en louer une à 70 ou 80 euros par mois pour aller travailler.
Depuis que je suis arrivé dans cette entreprise, j'ai considéré que la privatisation était un événement extérieur. J'ai donc toujours dit à nos équipes de ne pas s'inquiéter et que, si la privatisation avait lieu, cela serait une bonne nouvelle, mais que si la privatisation n'avait pas lieu, ce serait aussi une bonne nouvelle. L'essentiel, pour les équipes, est d'être performantes afin de faire augmenter le cours de l'action pour garder la maîtrise de leur destin. Les salariés ont adhéré à cette démarche et consenti des efforts, puisqu'on a gelé les rémunérations pendant trois ans. Les salariés ont pris conscience du fait que ne pas augmenter trop les tarifs aériens était aussi de leur responsabilité. Ils savent aujourd'hui qu'ils sont suffisamment forts et compétents pour que l'évolution de l'actionnariat ne change pas leur existence. Notre objectif, en somme, a été d'immuniser l'entreprise contre le changement d'actionnaire.
En tous cas, le fait d'avoir l'État pour actionnaire ne nous a pas empêchés de devenir, en 2018, le leader mondial de la gestion des aéroports, avec 280 millions de passagers. M. Le Maire a déclaré dans le Journal du dimanche qu'il estimait utile qu'ADP soit un leader mondial. En perdant l'exploitation de l'aéroport d'Istanbul en 2019, nous ne serons peut-être plus leader en 2019, sauf si nous l'emportons au Japon ou en Bulgarie.
Bref, nous avons toujours envisagé la privatisation avec sérénité. Lorsque le Gouvernement, il y a deux ans, nous a annoncé qu'il préparait un projet de loi l'autorisant à descendre sous les 50 % du capital, nous avons eu avec lui des discussions qui ont conduit à préserver le modèle économique et social d'ADP et même à le renforcer. Ce texte renforce en effet les pouvoirs de l'État sur le foncier, et lui permet de reprendre possession de l'entreprise, pour sa partie parisienne, dans 70 ans. Il accroît son influence sur un certain nombre de décisions de l'entreprise. Comme je l'avais dit il y a un an, la privatisation dans ces conditions peut être une chance pour l'entreprise. Je n'ai pas de commentaire à faire sur le référendum d'initiative partagée, ni sur la décision du Conseil constitutionnel relative à la loi Pacte. Simplement, cette décision reconnaît que nous exerçons une activité concurrentielle : tous les jours, nous nous battons contre les hubs de Londres, Amsterdam, Francfort, Istanbul, Oman, Dubaï ou Abou Dhabi pour capter des passagers d'Amérique latine qui veulent aller en Chine, ou des passagers de Russie qui veulent se rendre en Amérique. Comme le rayon d'action maximal d'un avion est de 15 000 kilomètres, tous ces passagers sont obligés de faire une escale...
M. Hervé Maurey, président. - L'un des enjeux, dites-vous, est que les compagnies aériennes payent le moins cher possible. Plusieurs d'entre elles ont dénoncé le fait que, dans le prochain contrat de régulation économique, vous envisagiez une augmentation de 1,35 % par an de la redevance. N'y a-t-il pas contradiction entre la volonté que vous affichez et cette réaction des entreprises ? Vous avez évoqué à juste titre les difficultés d'accès, notamment à Roissy où, pour les dernières centaines de mètres, on met parfois une demi-heure, c'est-à-dire autant de temps que pour venir du centre de Paris. Vous auriez pu aussi mentionner les embouteillages à l'intérieur de l'aéroport : très souvent, l'attente pour accéder aux contrôles de sécurité est trop longue, y compris quand on utilise des voies censées être plus rapides. Et comme les deux embouteillages se cumulent...
M. Augustin de Romanet. - L'entreprise va investir 6 milliards d'euros, contre 3 milliards d'euros pendant le précédent contrat de régulation économique, qui a couvert la période 2016-2020, et pendant lequel nous avions demandé aux compagnies aériennes une hausse des tarifs de 1 %. Nous doublons les investissements et nous demandons aux compagnies aériennes une hausse de 1,35 %. Avons-nous une baguette magique ? Non. Mais nos collaborateurs ont accepté une certaine rigueur par rapport aux coutumes anciennes. En 2015, le taux de rentabilité des capitaux engagés était de 3,8 %. Et la loi nous impose une rentabilité des capitaux engagés égale au coût moyen pondéré du capital, qui est de 5,4 %. Nous étions donc en sous-rentabilité. Nous avons donc réduit nos dépenses, augmenté très modérément les tarifs et, depuis 2016 la rentabilité des capitaux engagés a augmenté chaque année, pour atteindre une situation où, en 2020, elle sera très légèrement supérieure au coût moyen pondéré du capital.
Bref, au début du contrat de régulation économique n° 3, nous partions avec un handicap, et il fallait augmenter les prix pour rattraper une bonne rentabilité. Et, pour financer les investissements futurs du contrat de régulation économique n° 4, entre 2021 et 2025, nous n'allons pas être obligé d'augmenter notre rentabilité : nous allons même la baisser. Démagogique ? Non, dès lors que la loi nous autorise un taux de rentabilité égal au coût moyen pondéré du capital, et que ce taux devrait atteindre 5,8 % en 2020, nous aurons un peu d'avance et devrons entamer une courbe descendante : entre le début du contrat de régulation économique et sa fin, notre rentabilité va légèrement baisser. Ainsi, en moyenne, elle sera de 5,6 %.
En tous cas, nous sommes très conscients de notre responsabilité qui est de ne pas augmenter trop les tarifs. Cela dit, pour une compagnie aérienne comme Air France, nos redevances aéronautiques représentent 2 % du compte de résultat. Notre augmentation équivaut à peine à quelques heures de grève... Les compagnies comprennent qu'elles ont intérêt à ce que l'aéroport soit en forme, investisse, soit à leur écoute et continue à faire des efforts pour sa productivité - et pour la leur ! Nous avons en effet pour ambition d'investir pour réduire les coûts d'exploitation des compagnies aériennes. Quand nous construisons un nouveau trieur à bagages permettant aux compagnies aériennes de supprimer le conducteur de chariot pour les valises, ou lorsque nous installons des systèmes d'enregistrement automatique, ou d'enregistrement automatique des bagages, les compagnies aériennes peuvent économiser du personnel.
Vous avez raison d'évoquer les embouteillages au niveau de la police aux frontières. Sur ce sujet, nous sommes des paratonnerres : nous prenons la foudre de tous les passagers et nous devons la transmettre à ceux qui en sont responsables, c'est-à-dire les autorités de l'État. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour aider à la manoeuvre. Nous avons pris la décision d'acheter nous-mêmes les systèmes Parafe, car s'il avait fallu attendre l'État, cela aurait pris du temps. Nous avons-nous-même fait avancer la validation du système de reconnaissance faciale. Et nous avons mis en place un système de mesure - car vous n'améliorez jamais que ce que vous mesurez. C'est ainsi que, pendant les vacances de Noël, de Pâques et d'été, toutes les autorités de l'aéroport, la police aux frontières, tous les patrons d'unités opérationnelles et tous les dirigeants d'ADP reçoivent toutes les heures sur leur iPhone le temps d'attente de chaque terminal.
Mais nous ne maîtrisons pas les vacances des policiers, nous ne maîtrisons pas leur temps de formation et nous ne maîtrisons pas ce qui se passe entre le moment où ils sont mutés et le moment où ils arrivent sur place. En tous cas, le Premier ministre a pris le dossier en main en juillet 2018 puisqu'il a fixé des limites maximales de temps d'attente et accru le nombre de policiers à Charles-de-Gaulle et à Orly de plus de 200 depuis deux ans, ce qui a évité la reproduction de la situation tragique du 14 juillet 2017 à Orly, où il avait jusqu'à trois heures de queue. Désormais, les temps d'attente supérieurs à 30 minutes pour les passagers Schengen et supérieurs à 45 minutes pour les passagers étrangers ne se produisent pas plus de quatre ou cinq fois par semaine - et c'est encore trop, j'en conviens.
M. Hervé Maurey, président. - Mme Bonnefoy est rapporteure pour avis du budget des transports aériens.
Mme Nicole Bonnefoy. - Le transport aérien représente 2 % des émissions totales de gaz à effet de serre. Sa hausse devrait largement accroître cette part. En France, le secteur est pourtant totalement exonéré de TICPE - et vous savez les critiques que cela soulève. Le projet d'ADP à l'horizon 2025 s'appuie sur une augmentation des investissements dans les capacités aéroportuaires et donc sur une hausse du transport aérien. Il semble par conséquent peu compatible avec les objectifs climatiques. L'urgence climatique ne justifie-t-elle pas une contribution du secteur aérien à son empreinte carbone ? La stratégie de développement des capacités aéroportuaires pour accompagner la croissance du trafic aérien est-elle compatible avec les engagements climatiques pris dans le cadre de l'accord de Paris ?
Selon le rapport publié en février dernier par le préfet de région Michel Cadot, les travaux permettant la mise en service du CDG Express pour les Jeux olympiques de 2024 entraîneront des coupures de circulation importantes sur le RER B, dont les usagers seront ainsi pénalisés et probablement obligés de prendre des bus de substitution pour se déplacer. Faut-il à tout prix maintenir l'objectif de fin des travaux pour 2024 ? N'est-il pas plus raisonnable d'envisager la livraison des travaux pour 2025, afin de garantir aux usagers une continuité de service ?
ADP dispose d'une envergure internationale importante via sa filiale qui assure la gestion d'une vingtaine d'aéroports dans le monde. Quelles sont les perspectives de croissance d'ADP international d'ici 2025 ? Quels projets d'investissements internationaux sont privilégiés ?
M. Augustin de Romanet. - Le transport aérien n'est pas dans la COP 21 : il a un accord spécifique, le Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation ou Corsia, qui a prévu que les émissions de gaz à effet de serre soient au même niveau en 2030 qu'en 2015, je crois. Les arbres ne montent pas jusqu'au ciel et je pense que notre siècle va voir la collision entre la demande des classes moyennes du monde entier de toujours voyager plus et la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Dans cinquante ans, sera-t-il socialement acceptable qu'une famille aille passer ses vacances aux Maldives à Noël ? Je pense que la réponse est non. Mais il se trouve que nous sommes dans un moment de l'histoire où la demande sociale de transport aérien est si forte que, même si vous doubliez la taxe carbone, les gens continueraient à voyager. Du reste, on peut se demander s'il est légitime que, au motif qu'on a la possibilité de payer, on ait la possibilité de polluer...
Le monde du transport aérien est l'un des rares, dans le transport collectif, qui paie complètement ses infrastructures. Les chemins de fer, par exemple, sont subventionnés à plus de 50 %. Le transport aérien est aussi, déjà, très lourdement taxé. On peut toujours ajouter les taxes qu'on veut, à condition que cela se fasse au niveau mondial. Sinon, cela fera le lit des compagnies concurrentes.
Pour le CDG Express, il faut bien sûr tenir compte des difficultés des passagers du quotidien. Mais je ne souhaite pas qu'il soit pris comme bouc émissaire. Il y aura trente chantiers dans le faisceau nord de l'Île-de-France dans les cinq ans qui viennent. Et dès qu'un problème survient, on blâme le CDG Express ! Je ne suis pas fétichiste sur l'année d'ouverture. En tous cas, ce serait une faute de ne pas faire cette ligne. Je suis président de Paris Europlace et les investisseurs étrangers, sans que je les sollicite, me disent qu'une des trois raisons pour lesquelles Paris n'est pas attractif, c'est l'accès à l'aéroport. Beaucoup disent que c'est le transport des riches. Ce n'est pas le cas. Nous avions promis de faire cette ligne pour les Jeux olympiques. Si l'on décide autre chose, ADP n'en fera pas une maladie. En tous cas, nous sommes décidés à ce que les travaux du CDG Express ne nuisent pas aux transports du quotidien - et même, qu'ils les améliorent, puisque sur 1,8 milliard d'euros prévus, 500 millions seront consacrés au renforcement de la robustesse du RER B et de la ligne K.
Nous devons nous apprêter à une croissance très forte du transport aérien pendant les vingt prochaines années. En tout état de cause, les aéroports parisiens seront saturés, et il faudra trouver des solutions nouvelles pour la fin du 21e siècle et le 22e siècle, car on ne construira pas un nouveau Charles-de-Gaulle ou un nouvel Orly ! Orly est plafonné à 250 000 mouvements et nous sommes déjà à 235 000. Même si les avions grossissent, même si le taux d'emport s'accroît, nous trouverons des limites naturelles à cette croissance.
M. Hervé Maurey, président. - Les Jeux olympiques ont été l'une des raisons mises en avant pour faire le CDG Express. C'est un engagement de la France. Peut-on ne peut pas le tenir ? Cela pose un problème moral, juridique, et pratique.
M. Augustin de Romanet. - ADP est investisseur, avec la Caisse des dépôts et SNCF Réseau, dans ce projet. Nous avions pris note de cette promesse faite par les pouvoirs publics.
Concernant le développement international envisagé d'ADP, à l'étranger, nous travaillons aujourd'hui sur la Bulgarie et le Japon.
M. Jean-Marc Boyer. - Je souhaite revenir aux conditions d'accueil et d'accès pour les passagers, en particulier à Orly. Le Sénat a constitué une mission sur le transport aérien et l'aménagement du territoire, qui débat beaucoup des conditions d'accueil sur les petites lignes, c'est-à-dire les lignes intérieures. Quelles améliorations prévoyez-vous dans les relations avec Hop! et Air France ? Comment réduirez-vous les délais pour les passagers entre le moment de l'atterrissage et celui du débarquement ? Quid des liaisons, parfois en bus, ce qui accroît le temps de transfert ? Améliorerez-vous l'accès pour les taxis ? Il faut aussi améliorer la lisibilité sur les terminaux, en particulier à Orly. Pour des passagers qui n'ont pas l'habitude, c'est difficile, notamment dans les terminaux ouest et sud qui ont été dernièrement rassemblés. Il faut simplifier la signalétique. Au Canada et au Québec, il y a un système de reconnaissance faciale pour les contrôles de sécurité. Allons-nous mettre la même chose en place en France ?
M. Augustin de Romanet. - Vous avez raison, les lignes sous obligation de service public sont un talon d'Achille. Nous avons donc réaménagé 48 postes avions, pour avoir des infrastructures modulaire permettant d'accueillir des gros et des petits modules. Sur la ligne d'Aurillac, on est passé de 31 % à 48 % d'avions au contact. L'ouverture d'Orly 3, qui nous donnera huit postes avions gros et moyens porteurs à terme, va nous permettre de libérer des postes Schengen pour les OSP. Quant aux bus utilisés quand les avions sont au large, ils sont de la compétence des compagnies aériennes.
Pour accéder à Orly 1, le décrochage se fait en amont de l'aéroport. Nous avons essayé de rendre la signalétique aussi claire que possible. L'accès à Orly est assez complexe pour que nous ayons pris sur nous de ne pas reconstruire le Hilton, que nous préférons remplacer par des voies d'accès. Nous avons aussi fait de nouvelles installations pour les cars de seniors afin qu'aucun passager n'ait plus de dix minutes de marche à faire. À partir du 7 juin, un nouveau rond-point facilitera les accès.
La reconnaissance faciale existe déjà à Paris, pour les vols internationaux. En revanche les passeports ne sont pas contrôlés pour les vols intérieurs.
M. Hervé Maurey, président. - On pourrait envisager d'améliorer la circulation des voiturettes et autres engins pour les personnes à mobilité réduite, âgées ou fatiguées. De façon générale, les distances à parcourir sont de plus en plus longues dans les aéroports. Je crois qu'il existe des marges d'amélioration.
M. Augustin de Romanet. - Un aéroport est un hôtel où les clients ne dorment pas. C'est aussi un lieu où il y aura de plus en plus de seniors, dont il faut éviter qu'ils ne détournent les services aux personnes handicapées. Beaucoup de personnes valides se déclarent handicapés pour avoir droit à une petite voiture, un chevalier servant et la priorité aux filtres de sécurité. Cette difficulté à laquelle nous sommes confrontés s'accroîtra si nous ne sommes pas capables d'assurer des services de bonne qualité.
Nous suivons un référentiel selon lequel on ne doit jamais avoir plus de x mètres à parcourir sans travelator. Nos équipes ont toujours tendance à ne pas vouloir s'y plier et la direction se bat au quotidien pour que l'installation de travelators assure le respect de la qualité de service attendue dans tous les terminaux.
Mme Nelly Tocqueville. - Monsieur de Romanet, vous avez salué la décision du Conseil constitutionnel sur la loi Pacte validant le principe de la privatisation du groupe ADP, dont vous venez de dire qu'elle constituait une chance pour l'établissement. Dans cette perspective, comment concilier les intérêts industriels et ceux des actionnaires, qui peuvent parfois diverger ? Comment concilier les exigences environnementales et le bien-être des populations riveraines, très inquiètes ? Une des préoccupations des actionnaires est la rentabilité, qui suppose une augmentation des vols, ce qui ne semble pas conciliable avec les problématiques que je viens d'évoquer, en particulier la baisse des émissions de gaz à effet de serre et des impacts environnementaux.
M. Augustin de Romanet. - La dépêche AFP n'a pas bien traduit mes propos. Je salue les considérants de la décision du Conseil constitutionnel qui disent que nous sommes en concurrence. Je n'ai pas dit que la privatisation était une chance, mais qu'elle pouvait en être une. Nous avons toujours conservé une santé mentale intacte en ne nous identifiant jamais à la privatisation. Nous sommes capables de gérer l'entreprise avec un actionnaire public. Nous n'avons pas besoin d'un actionnaire privé pour faire mieux, mais ce n'est pas non plus interdit. La vraie différence entre public et privé, presque organique, est que lorsque la loi empêche un actionnaire de voir sa part descendre en-deçà de 50 %, certaines opérations de développement ne sont pas autorisées, telles que la fusion avec une grande compagnie mondiale d'aéroports par échange de titres. Hormis ce point, rien ne change, ni la motivation des collaborateurs, ni la rentabilité, qui est plafonnée au coût moyen pondéré du capital. Si nous étions en 2012 et que notre rentabilité était inférieure de deux points au CMPC, certains pourraient dire : « C'est une boîte publique, elle est incapable d'être performante, il faut la privatiser. » On ne peut pas le dire aujourd'hui. Notre rentabilité va continuer à croître, je l'espère. Notre entreprise a vocation à se développer quels que soient ses actionnaires. La loi Pacte que vous avez votée autorise à ce qu'elle se développe bien avec un actionnaire privé. Il sera possible à l'entreprise de concilier intérêts économiques et environnementaux dans un dialogue permanent avec les parties prenantes. Nous allons, à ce titre, créer un comité des parties prenantes et probablement un comité de responsabilité sociale et environnementale au sein du conseil d'administration. Quoi qu'il arrive, l'empreinte territoriale est si importante que le Parlement ne sera jamais dessaisi de son regard sur le nombre de vols ou leurs conditions. Nous pouvons prévoir des débats politiques sur la soutenabilité du transport aérien, que l'actionnaire soit public ou privé.
Mme Nelly Tocqueville. - J'ai bien noté qu'il n'y avait pas besoin d'un actionnaire privé pour faire mieux.
M. Guillaume Chevrollier. - Pouvez-vous nous en dire plus sur les engagements d'ADP en faveur de la transition énergétique et sur son positionnement par rapport à ses concurrents internationaux ? Êtes-vous beaucoup plus vertueux que d'autres dans ce domaine tout à fait essentiel ? Quelle est votre réaction au mouvement « Honte de prendre l'avion » qui est de plus en plus en vogue ?
M. Augustin de Romanet. - Je n'aime pas les donneurs de leçons ni les faiseurs de morale. Je ne vais pas vous dire que nous sommes les plus beaux et les plus forts en matière de transition énergétique. Cela vous énerverait et vous me prendriez pour un menteur.
Le groupe ADP est très attentif à développer sa certification carbone, c'est-à-dire à ce que tous nos aéroports soient, à terme, neutres en émissions carbone. Les aéroports de Charles-de-Gaulle et d'Orly sont au niveau de classification 3, qui est très bon. Nous avons amélioré notre efficacité énergétique de 7 % ces cinq dernières années en diminuant nos émissions de CO2 de 65 %. Notre consommation d'eau potable a baissé de 5 % depuis 2014. Nous avons atteint une valorisation des déchets de 45 % et visons 70 % pour les déchets de chantier en 2020 et 100 % pour la collecte des biodéchets de nos clients à cette même date. Nous visons la classification Haute Qualité environnementale (HQE) pour 100 % de nos bâtiments. Nous allons vers une diminution de 50 % de l'usage de produits phytosanitaires d'ici 2020 et avons pour objectif 25 % de véhicules hybrides ou électriques en 2020. Je n'imagine pas un seul véhicule à pétrole sur les tarmacs en 2030. Si nous ne montrons pas l'exemple, nous n'y arriverons jamais. C'est pourquoi chaque année, nous essayons de faire mieux.
Le débat sur « Honte à l'avion » est politique. Est-ce que les Scandinaves, qui ont usé et abusé du transport aérien ont le droit de dire à la population mondiale de ne plus utiliser l'avion ? La Suède a-t-elle le droit d'imposer aux Philippines un comportement en matière de de tourisme ou d'utilisation de l'avion ? C'est une question politique à laquelle j'ai personnellement une réponse de citoyen qui n'intéresse personne.
M. Didier Mandelli. - Merci monsieur de Romanet pour votre travail à la tête d'Aéroports de Paris, qui a été profondément adapté aux enjeux, notamment environnementaux.
Avec la privatisation, l'attrait d'ADP est évident. Ma question porte sur les investissements prévus, de six milliards d'euros à échéance 2025. Vous avez indiqué que la rentabilité allait légèrement baisser pendant cette période. Certains investissements pourraient-ils être remis en cause pour l'éviter ? Quelques investisseurs potentiels pourraient s'interroger.
M. Augustin de Romanet. - Mon propos n'était pas clair : c'est la rentabilité du secteur régulé qui va baisser. Elle est capée par la loi. Le fait que nous ayons atteint le niveau du coût moyen pondéré du capital dès 2019 nous autorise une légère baisse ultérieure. En revanche, nos activités dans les domaines de l'international, de l'immobilier, des commerces vont se développer. C'est pourquoi, lors de la journée des investisseurs du 5 avril, nous avons présenté des projections montrant que notre ambition était d'accroître le résultat opérationnel courant et l'EBITDA (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement) de l'entreprise de 40 à 60 % d'ici 2025. Le résultat net pourrait même augmenter un peu plus vite. Un investisseur qui voudrait acheter le titre ADP a connaissance de ces chiffres. Les perspectives de croissance de la rentabilité de l'entreprise demeurent.
M. Guillaume Gontard. - Monsieur de Romanet, je souhaite revenir à vos déclarations sur la loi Pacte et la privatisation. Vous expliquez qu'il n'y aura pas de réelle différence de fonctionnement selon que la participation est publique ou privée. Je rappelle que dans le premier cas, l'État engrange des dividendes de 130 millions d'euros par an.
Quel est votre avis sur la privatisation de l'aéroport de Toulouse, qui ne s'est pas très bien passée ? Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné ?
Vous avez répondu à propos de la taxe sur le kérosène, qui pose un problème de concurrence. Quel est votre avis sur une taxation des billets, notamment en s'appuyant sur la taxe Chirac ? Un amendement au projet de loi sur les mobilités a été adopté pour que le surplus de la taxe Chirac soit reversé à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).
M. Augustin de Romanet. - Du côté de l'entreprise, la situation est identique que l'actionnaire soit privé ou public. Il est vrai que c'est différent du côté de l'État. Ce dernier peut utiliser son argent comme il le juge utile. Le ministre de l'économie a estimé qu'ADP avait un modèle économique lui offrant une rentabilité raisonnable et prévisible, ce qui permettait de le vendre à bon prix - s'il y avait privatisation, nous nous assurerions que l'investisseur paie le vrai prix.
La démarche du Gouvernement, dans la course technologique à l'innovation de rupture, est de tirer le maximum d'argent de la vente d'ADP - ce n'est pas très agréable pour nous qui sommes un peu pris pour des objets - et de l'investir dans des technologies de rupture pour que d'autres entreprises puissent atteindre un rythme de croisière.
Le cas de Toulouse est compliqué. Il a suscité beaucoup de fantasmes. Je veux rendre justice à l'équipe de direction de l'aéroport de Toulouse et à Mme Idrac qui en était présidente. Les habitants vous diront que la qualité de service de l'aéroport s'est améliorée. Je ne crois pas qu'ils en soient malheureux.
L'actionnaire de l'aéroport de Toulouse était une personnalité venue d'un pays lointain - on a souvent tendance à les prendre comme boucs émissaires, surtout quand ils viennent de Chine - qui a eu des problèmes avec la justice de son pays et a, semble-t-il, disparu. Certains se sont dit : « On n'a pas été très vigilants sur la personne à qui l'on vendait. » Je reconnais que ce n'était pas très satisfaisant.
On a reproché aux nouveaux actionnaires de l'aéroport de Toulouse d'avoir prélevé des dividendes mais l'honnêteté commande de dire que tous les candidats à l'achat, y compris ADP, l'avaient prévu dans leur plan d'acquisition car l'aéroport a été vendu très cher et disposait de beaucoup de trésorerie. Ce qui n'a pas fonctionné, c'est que personne n'a été en mesure d'identifier la grande inquiétude que l'acheteur pouvait susciter. Finalement, l'aéroport a été bien géré. Mais je conviens du fait que lorsque l'on privatise un actif aussi important, il faut prendre garde à qui l'on vend.
Quant à la taxe Chirac, je pense que le transport aérien est déjà très taxé. C'est un monde qui s'auto-entretient. Un de ses privilèges énormes est de pouvoir entretenir ses propres équipements sans problème de maintenance contrairement au secteur ferroviaire. L'introduction d'un pipeline de financement de l'aérien vers le ferroviaire est une question politique qui n'est pas du ressort d'ADP.
M. Cyril Pellevat. - Monsieur de Romanet, vous avez mentionné vouloir faire des gains de productivité pour diminuer les coûts d'exploitation tout en améliorant la qualité de service. C'est bien, parce qu'AirHelp classe les aéroports de Roissy et d'Orly parmi les pires plateformes. Où ces gains de productivité peuvent-ils exister ?
Concernant la reconnaissance faciale, un seul sas sur huit fonctionnait, ce matin à Roissy. Dans les autres aéroports, la norme est que tout fonctionne. Cela crée des engorgements.
Pourquoi l'Autorité de supervision indépendante a-t-elle contesté la méthode de calcul du coût capital moyen pondéré effectuée par ADP sur lequel vous avez justement été retoqués ?
M. Augustin de Romanet. - S'agissant des gains de productivité, je vais vous donner un seul exemple : nous avions 128 lieux de stockage de pièces détachées. Nous surstockions et constations des disparitions inexplicables de prises électriques ou de groupes électrogènes, notamment. Nous avons mis en place une direction spécifique pour améliorer la logistique, avons réduit le nombre de lieux de stockage à une dizaine et mis en place un système d'information bien plus actualisé.
Concernant Parafe, une phase de transition pour certifier la reconnaissance faciale des équipements de Gemalto ayant lieu en juin, ce sera le mois du cauchemar. La situation que vous évoquez n'est pas acceptable. J'espère que ce sera bientôt un mauvais souvenir.
L'Autorité de supervision indépendante avait pour ambition de revenir sur le fait qu'un contrat de régulation économique prévoyait un CMPC fixe pour cinq ans. Elle a souhaité l'examiner chaque année. C'est là qu'était notre point de désaccord. Nous avons revu notre position et l'Autorité a approuvé nos tarifs pour l'année 2019.
M. Philippe Pemezec. - La problématique de la privatisation nous préoccupe. Nous sommes un certain nombre à penser que l'entreprise privée est bien plus efficace au quotidien dans ce secteur d'activité, cependant compte tenu du caractère très stratégique des aéroports, il est difficile d'imaginer que la puissance publique ne puisse pas continuer à exercer un contrôle. Les collectivités territoriales, en particulier les départements, pourront-elles devenir actionnaires ?
Alors que la France accueillera bientôt les Jeux olympiques, la question de son image se pose. L'effort d'entretien autour des aéroports est notable. En revanche les circuits routiers sont très négligés. Avez-vous un programme d'actions ou de conventions avec les différents départements franciliens pour que les touristes soient accueillis dans un environnement moins inesthétique ?
Enfin, les contrôles sont très approfondis, ce qui est rassurant, cependant je ne suis pas sûr que les personnes voilées fassent l'objet d'un contrôle aussi exigeant que les autres. Que comptez-vous faire ?
M. Augustin de Romanet. - Justement, il ne devrait pas y avoir, en pratique, de différence de gestion selon que l'actionnariat est public ou privé. C'est notre fierté d'essayer d'avoir une gestion efficace. Et ce n'est pas parce que l'on est public que l'on n'est pas efficace.
Sur les collectivités territoriales, la réponse est oui. Votre assemblée a voté qu'elles pouvaient devenir actionnaires d'ADP.
Nous gérons 275 kilomètres de routes à Charles-de-Gaulle. Mais au-delà de l'hôtel Hyatt, ce n'est plus du ressort d'ADP. Nous essayons de donner un coup de main, par exemple une contribution volontaire il y a trois ans lorsque le préfet d'Île-de-France a voulu nettoyer l'autoroute A1. L'an dernier, nous avons dépensé 150 000 euros contre la flaque d'eau qui menaçait les conducteurs d'aquaplaning la nuit.
Le directeur général de l'Aviation civile donne ses prescriptions en matière de contrôle. Il ne supporterait pas que vous lui citiez un cas où les femmes voilées ne sont pas contrôlées comme les autres. Si vous en recensez-un, signalez-le-moi et je le lui transmettrai.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Le développement international d'Aéroports de Paris relève-t-il d'opportunités économico-financières ou d'une véritable stratégie indispensable au développement de l'entreprise ?
M. Augustin de Romanet. - C'est une véritable stratégie. Le développement international est de nature à satisfaire les actionnaires, en allant chercher la croissance mondiale où elle se situe ; les salariés en leur offrant des possibilités de carrière internationale - ce qui est extrêmement précieux pour les jeunes recrues ; nos territoires car nous acquérons des connaissances nouvelles à l'étranger et développons des synergies de performances ; nos clients, enfin, car en créant un réseau d'aéroports on crée aussi un réseau de services et d'hospitalité plus satisfaisant. Nous espérons amener plus de Français à voyager en Jordanie, au Chili, en Bulgarie - si nous remportons le marché - ou au Japon parce que nous développerons la marque ADP. Le client saura qu'à Hokkaido au Japon, il sera accueilli dans une ambiance gérée par des Français avec des services auxquels il sait pouvoir s'attendre. Notre idée est de passer de l'aéroport commodité à l'aéroport hospitalité et de créer une chaîne d'aéroports mondiaux.
J'ajoute que nous pouvons emmener nos équipes de BTP, de people movers - les petits trains de passagers -, d'ingénierie avec nous à l'étranger. Disposer d'un réseau international sera de nature à créer beaucoup d'emplois pour les jeunes Français.
M. Michel Vaspart. - L'image de la France dans le monde est surtout véhiculée par Air France. En long courrier, Air France est en concurrence avec des compagnies du Golfe et de l'Asie du Sud-Est qui ne jouent pas du tout selon les mêmes règles puisqu'elles reçoivent des investissements directs de leurs pays d'origine. Cette concurrence est déloyale. Est-il possible que les accords entre Air France et ADP tiennent compte de ce phénomène ?
M. Augustin de Romanet. - Le devoir d'un aéroport étant de traiter toutes les compagnies à égalité, de façon provocatrice, je répondrai donc qu'a priori, la réponse est non. Dans la réalité, Air France est un client extrêmement important puisqu'il représente plus de 50 % de notre trafic. Nous sommes très attentifs à optimiser les temps de connexion à Charles-de-Gaulle, qui est son hub. Nous nous attachons par conséquent à améliorer les parcours de connectivité, la signalétique et les services.
Une des premières décisions que j'ai dû prendre en arrivant chez ADP portait sur la création d'un centre de correspondance longue au terminal 2 E de type lounge de 4 000 mètres carrés, avec un hôtel. Le coût était de 15 millions d'euros. On m'expliquait que c'était bien trop cher et n'engendrerait aucune recette. C'est vrai. Quelques années plus tard, lors de son inauguration, j'ai rencontré un passager qui effectuait un trajet entre la Russie et la Colombie. Comme il n'avait pas de visa pour sortir de l'aéroport, il passait 24 heures dans le lounge. Avant, c'était 24 heures dans une salle d'embarquement assis sur un siège poutre. Il m'a dit que ce lounge lui avait changé la vie. Voilà typiquement un service qui, de facto, profite aux clients d'Air France dans l'immense majorité, tout en étant payé en totalité par ADP et l'ensemble des compagnies.
La norme est le level playing field, mais Air France étant l'un de nos très gros clients, nous menons un dialogue particulièrement nourri.
Mme Éliane Assassi. - Merci à M. de Romanet qui démontre que la privatisation n'est ni utile ni nécessaire car ADP avec un actionnariat public fonctionne bien et se projette dans son développement.
Vos propos sur les opposants à la ligne Charles-de-Gaulle Express m'ont heurté. Ils comprennent très bien de quoi il s'agit puisque ce sont des usagers quotidiens de la ligne B du RER. Ils sont tout aussi intéressés que vous par le développement économique de notre pays. Ils ont des propositions alternatives mais elles ne sont pas entendues.
M. Augustin de Romanet. - Je n'ai pas dit que la privatisation n'était ni utile ni nécessaire. J'ai dit qu'il était loisible à notre actionnaire de considérer qu'il pouvait investir son argent ailleurs. On peut même se demander si ce ne serait pas une bonne idée de financer plutôt des innovations de rupture : c'est la position du ministre de l'économie et des finances. À titre strictement personnel, elle me paraît recevable.
Le CDG Express et le RER B sont complémentaires. Nos collaborateurs sont usagers du RER B et font, le matin, la chronique de leurs retards. Vous devez avoir la conviction que nous sommes amis des transports du quotidien. Notre ambition est que le RER B fonctionne bien. Le CDG Express offrira en plus une liaison directe en vingt minutes, quatre fois par heure. Notre rêve est de réaliser la coexistence des deux mondes sans que l'un nuise à l'autre. Je pense que c'est possible. Tous les techniciens de SNCF Réseau nous le disent.
Nous payons collectivement un héritage auquel nous ne pouvons rien : pendant un grand nombre d'années, on a préféré investir dans le TGV Paris-Besançon plutôt qu'entretenir le RER B - désolé pour Besançon.
M. Jean-François Longeot. - La deuxième tranche de ce TGV a été votée hier à l'Assemblée nationale !
M. Olivier Jacquin. - Merci, monsieur de Romanet, pour ces éclairages très intéressants. Vous m'avez convaincu quand vous avez affirmé qu'une gestion publique pouvait être performante. Vous n'avez pas été plus convaincant que le ministre de l'économie quand vous avez tenté de nous faire croire qu'avec la privatisation, l'État pourrait être encore plus présent. Ni le ministre de l'économie ni le Premier ministre n'ont su expliquer en quoi ce montage alambiqué et complexe que personne n'a su comprendre ni décrire - une concession de 70 ans, c'est du jamais vu - renforcerait la place de la sphère publique. La réponse transpartisane de notre assemblée a été limpide.
Les salariés d'ADP et vous-même avez dû réagir lorsque le ministre de l'économie a qualifié la gestion aéroportuaire de simple gestion de supermarchés et d'hôtels. Il est vrai que le modèle économique des aéroports est plutôt facile grâce à l'allocation très profitable de mètres carrés commerciaux.
Je souhaite un éclairage sur vos ressources humaines. La pyramide des âges est très élevée, l'âge moyen s'approchant des 50 ans. Vous développez très fortement la sous-traitance.
Vous avez été convaincant lorsque vous avez affirmé que le modèle de développement du transport aérien n'était pas soutenable pour l'environnement dans le temps long. Vous n'êtes pas convaincant lorsque vous dites que vous ne voulez pas de taxe supplémentaire, ou alors sans distorsion de concurrence à l'échelle mondiale. Hier soir le Sénat a débattu d'une petite taxe sur les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) qui prend les devants, comme la Suède a su le faire sur le transport aérien. Quelle est votre vision d'avenir en la matière ? Il est moins cher de traverser la France en avion qu'en train alors que le bilan carbone du premier est désastreux.
M. Augustin de Romanet. - Nous avions coutume de dire, en interne, que la loi Pacte instaurait la nationalisation d'ADP car elle offre bien plus de leviers à l'État pour contrôler l'entreprise.
En effet, l'âge moyen chez ADP est de 48 ans.
Pour ce qui est de la sous-traitance, j'estime qu'il ne faut perdre de compétences dans les métiers techniques comme la plomberie ou le chauffage mais conserver en interne des gens qui connaissent nos réseaux et peuvent intervenir rapidement. La sous-traitance, dans ces domaines, coûte trop cher. J'ai en revanche changé d'avis sur l'accueil. Dans la réalité, on ne peut pas demander à un employé de courir dans les aéroports de 20 à 60 ans tout en restant aimable avec les clients. L'encadrement est interne mais pour le reste, la sous-traitance offre un personnel très motivé de très bonne qualité.
J'en viens aux taxes. Je le dis très clairement : cela ne me dérange pas que le transport aérien coûte plus cher à condition que ce soit le cas pour tous les habitants de la planète au même moment.
M. Olivier Jacquin. - Ce n'est pas possible.
M. Augustin de Romanet. - Je n'en suis pas sûr.
Mme Borne elle-même me faisait remarquer que le bilan carbone d'un trajet Paris-Toulouse était bien moindre en avion qu'en TGV, quand on prend en compte le bilan carbone de la construction d'une ligne de TGV. Ces débats sont compliqués. Allons vers la réduction des émissions de CO2 mais n'asphyxions pas les acteurs économiques de notre pays. Ne tuons pas Air France en la taxant toujours plus.
M. Christophe Priou. - Vous avez évoqué, en parlant de l'emploi des travailleurs handicapés, des contraintes fixées par la loi. Je pense que vous souhaitiez plutôt parler d'obligation morale.
Vous avez évoqué l'ardente obligation d'optimiser Charles-de-Gaulle et Orly. Faut-il y voir les conséquences de l'abandon du projet de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ? Je ne suis pas favorable à la privatisation. Le cas échéant, je serai attentif à ce qu'il n'y ait pas de jeu de compensation pour des grands groupes qui ont dû renoncer à Notre-Dame-des-Landes.
M. Augustin de Romanet. - Très sincèrement, il n'y a aucun lien entre Orly et Notre-Dame-des-Landes. J'étais plutôt favorable à cet aéroport car je pense que la concurrence est positive pour l'activité économique. En outre, la croissance du trafic aérien nantais est considérable.
M. Joël Bigot. - La construction du terminal 4 de Roissy a été annoncée peu de temps après la décision de ne pas réaliser Notre-Dame-des-Landes, dont on disait qu'il serait le quatrième aéroport de Paris. Le trafic croît de manière exponentielle à Nantes. Quelle plus-value y a-t-il à tout concentrer à Paris ? Construire ce terminal 4 thrombosera Paris. C'est Paris et le désert français au détriment de la modernisation d'autres aéroports.
M. Augustin de Romanet. - À titre personnel, j'étais favorable à Notre-Dame-des-Landes. Il n'y pas de plus-value mais de moins-value. La France crève de sa centralisation, comme le rappelle Tocqueville dans L'Ancien Régime et la Révolution.
M. Joël Bigot. - Mais quelle est la plus-value du nouveau terminal parisien ?
M. Augustin de Romanet. - Les deux sujets n'ont rien à voir. Il n'y a aucun lien entre l'abandon de Notre-Dame-des-Landes et ce terminal.
Pour tout vous dire, nous essayons de reporter au maximum l'ouverture du terminal 4 car nous voulons limiter les tarifs pour les compagnies aériennes. Le précédent directeur général d'Air France m'avait envoyé une belle lettre pour me dire que j'étais un affreux si le terminal 4 n'était pas prêt en 2023. Le nouveau directeur général d'Air France a reconsidéré la situation et envisagé un report à 2028. Si nous voulons accueillir correctement les passagers qui sont de plus en plus nombreux à Paris, il faut pouvoir créer des postes d'avion.
Le fait que l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ne soit pas construit n'a en rien changé nos plans de développement. Paris et Nantes sont suffisamment éloignées pour qu'il n'y ait pas de zone de chalandise concurrente.
M. Hervé Maurey, président. - Merci beaucoup.
Vote sur la proposition de nomination de M. Augustin de Romanet, aux fonctions de Président-directeur général d'Aéroports de Paris (ADP)
M. Hervé Maurey, président. - Nous avons procédé à l'audition de M. Augustin de Romanet, dont la nomination est envisagée par le Président de la République pour exercer les fonctions de président-directeur général d'Aéroports de Paris.
Nous allons désormais procéder au vote.
Le vote se déroulera à bulletins secrets, comme le prévoit l'article 19 bis du Règlement du Sénat, et les délégations de vote ne sont pas autorisées, en vertu de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote.
Le dépouillement se déroulera à 13 heures, de manière simultanée avec la commission du développement durable de l'Assemblée nationale.
Il est procédé au vote.
Projet de loi portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement - Projet de loi organique modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution - Désignation des candidats aux commissions mixtes paritaires
La commission soumet au Sénat la désignation de MM. Hervé Maurey, Jean-Claude Luche et Jean-Noël Cardoux, Mme Anne Chain-Larché, MM. Claude Bérit-Débat, Jean-Michel Houllegatte et François Patriat, comme membres titulaires, et de MM. Patrick Chaize, Pierre Charon, Guillaume Chevrollier et Ronan Dantec, Mme Martine Filleul et MM. Guillaume Gontard, Christophe Priou, comme membres suppléants, de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement, et de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
La réunion est close à 10 h 45.
Dépouillement et résultat du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Augustin de Romanet, aux fonctions de président-directeur général d'Aéroports de Paris
La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Augustin de Romanet, aux fonctions de président-directeur général d'Aéroports de Paris simultanément à celui de la commission du développement durable de l'Assemblée nationale.
Résultat du scrutin :
Nombre de votants : 28
Bulletin blanc : 0
Bulletin nul : 0
Nombre de suffrages exprimés : 28
Pour : 19
Contre : 9