Mercredi 13 mars 2019
- Présidence de M. Pascal Allizard, vice-président -
La réunion est ouverte à 9 heures 30.
Loi d'orientation et de programmation sur la solidarité internationale - Audition conjointe d'ONG d'aide au développement (Coordination Sud, CCFD Terre solidaire, Action Santé mondiale, Plan international France, La Chaîne de l'Espoir)
M. Pascal Allizard, président. - Je vous prie d'excuser le président Cambon, qui accompagne le Président de la République dans son voyage dans la Corne de l'Afrique.
Nous entamons aujourd'hui notre travail sur la future loi d'orientation sur la politique de partenariats pour le développement solidaire. Cette loi sur l'aide au développement devrait être présentée au Parlement au cours de l'année, d'abord à l'Assemblée nationale avant l'été, puis, dans le meilleur des cas, au Sénat à partir de l'automne prochain.
Afin de faire le point sur les grands enjeux de la politique d'aide au développement, qui constitue un pilier essentiel de nos relations extérieures, nous entamons aujourd'hui une série de tables rondes. Nous recevons ce matin des représentants des organisations non gouvernementales (ONG).
Nous accueillons ainsi Philippe Jahshan, président de Coordination SUD, la plateforme qui regroupe l'ensemble des ONG compétentes en la matière ; Elvira Rodriguez Escudeiro, responsable « financements institutionnels » à La Chaîne de l'Espoir ; Claire Baudot, responsable plaidoyer à Action Santé Mondiale ; Hélène Dulin, chargée d'études et de coordination au CCFD - Terre Solidaire ; Nastasia Thebaud-Bouillon, chargée de plaidoyer à Plan International France ; et, enfin, Yann Illiaquer, chargé de mission à Coordination SUD.
L'objet de cette table ronde est ainsi de recueillir l'analyse des acteurs associatifs sur les enjeux d'une nouvelle loi d'orientation sur la solidarité internationale.
Les travaux antérieurs de notre commission, sous l'égide d'abord d'Hélène Conway-Mouret et Henri de Raincourt, puis de Jean-Pierre Vial et Marie-Françoise Perol-Dumont, ont mis en exergue les réussites, mais aussi les nombreux problèmes que pose la politique française en matière d'aide au développement dans sa configuration actuelle. Cette « doctrine » de notre commission a été synthétisée dans une note de position, qui vous a été distribuée, et que le président de notre commission a remise au ministre, afin qu'elle puisse nourrir les travaux préparatoires du Gouvernement. Selon l'analyse de la commission, la politique française d'aide au développement souffre d'une stratégie d'ensemble souvent confuse et lacunaire ; d'un pilotage politique parfois défaillant, avec une aide française au développement efficace, mais insuffisamment intégrée au dispositif global ; de financements fluctuants et globalement insuffisants par rapport aux ambitions affichées ; d'une mauvaise articulation des contributions bilatérales et multilatérales et, enfin, d'une évaluation trop faible de son efficacité globale.
En outre, la France se singularise, par rapport à l'ensemble de ses partenaires, par une très faible proportion de son aide au développement transitant par les ONG.
Première question : que pensez-vous de l'analyse de notre commission et souhaitez-vous réagir à notre note de position ? Ma deuxième question portera sur « l'approche globale ». Les responsables militaires des forces françaises engagées sur des théâtres d'opérations extérieurs indiquent tous qu'aucune solution durable n'est possible sans un renforcement du soutien au développement. Cette nécessité vous paraît-elle actuellement suffisamment prise en compte ? Enfin, quel est aujourd'hui le poids réel de l'aide publique au développement (APD) par rapport à l'ensemble des flux financiers entre les pays riches et les pays en développement - échanges commerciaux et d'investissements, flux financiers au sein des entreprises ou encore transferts des diasporas - ?
Votre exposé liminaire s'articulera en cinq parties : un cadrage d'ensemble avec une évocation des priorités de l'aide au développement ; la question du financement ; la cohérence des politiques publiques ; la place accordée à la société civile dans cette politique ; et, enfin, la question de l'égalité femme-homme et du genre.
Philippe Jahshan, président de Coordination SUD. - Merci à la commission des affaires étrangères du Sénat de nous accueillir pour évoquer la prochaine loi d'orientation et de programmation sur la solidarité internationale. Je dresserai, dans un premier temps, un état de lieux de la politique française en matière d'aide au développement, en en soulignant les carences. J'énoncerai ensuite quelques éléments de principe défendus par les ONG françaises sur l'aide publique. Je ferai quelques commentaires sur les acquis du dernier comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) de février 2018 et j'indiquerai nos attentes au regard de ce projet de loi.
La politique de coopération française se caractérise encore aujourd'hui par la faible lisibilité de ses objectifs et leur relative déconnexion avec les stratégies mises en oeuvre par la loi du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale. Cette politique s'est transformée en une politique d'instruments, et ce sont eux qui ont guidé les orientations.
Autre élément : la faible lisibilité de notre politique, soulignée par l'OCDE, et la déconnexion entre les objectifs, les réalisations et les instruments. Cette faible prévisibilité s'explique notamment par l'absence d'une loi de programmation budgétaire, en faveur de laquelle nous avions plaidé lors de la préparation de la loi de juillet 2014. Nous saluons l'engagement pris, qui devrait permettre de renforcer la prévisibilité de cette politique, trop souvent victime des arbitrages budgétaires.
Cette politique souffre également de la complexité de sa gouvernance et de son pilotage, les compétences se partageant notamment entre les Affaires étrangères et Bercy, chacune de ces deux administrations représentant la France dans les différentes instances internationales. Cette dualité a souvent conduit à une perte d'efficacité du pilotage. La réforme de 1998 a renforcé la coordination notamment interministérielle, objet du Cicid, créé en remplacement du ministère de la coopération. Celui-ci a depuis lors été très peu réuni, et, aujourd'hui, ce sont encore sept ou huit ministères qui interviennent en matière de coopération.
Nous déplorons l'absence d'une véritable stratégie en matière d'aide multilatérale. De fait, on a du mal à comprendre les arbitrages rendus par la France en la matière. D'où une perte d'efficacité. À la suite de la loi de 2014, un document a été produit, qui dresse plutôt un état de lieux des contributions françaises aux fonds multilatéraux plutôt que de définir véritablement une stratégie.
Le déséquilibre entre les prêts et les dons, qui s'est accentué dans le temps, caractérise également notre politique. En 2017, les prêts représentaient 60 % de notre APD et 22 % de celle-ci était destinée aux pays les moins avancés. Aucun des pays pauvres prioritaires ne figure parmi les dix premiers bénéficiaires. Le résultat, c'est la faiblesse de notre politique dans sa dimension bilatérale, dans son appui à l'éducation, à la santé, à l'adaptation au changement climatique, à la société civile. De même, la France est un tout petit bailleur en matière d'aide humanitaire : les dons, du fait de leur faible volume, sont répartis sur de trop nombreux guichets. Il faut noter toutefois une volonté de rééquilibrage.
L'APD française revêt une faible dimension citoyenne : elle relève essentiellement de l'État - seulement 3 % de l'aide publique transite par sa société civile et par les ONG, contre 13 à 16 % de moyenne dans les autres pays de l'OCDE. De fait, les ONG françaises ne bénéficient pas du même soutien de l'État, même si cette spécificité a été légèrement corrigée ces dernières années.
De même, l'aide française pèche par sa faible capacité à soutenir des programmes de mobilisation et de sensibilisation citoyenne, d'éducation à la citoyenneté, à la solidarité internationale et à promouvoir la compréhension, essentielle, par les citoyens des enjeux de cette politique. Ainsi, seulement 0,03 % de l'APD est fléchée sur des projets d'éducation au développement, à la citoyenneté, à la solidarité internationale.
Dernier point : la politique des instruments. Ces dix dernières années, l'instrument prêt a prévalu sur l'instrument don, au détriment de la coopération technique et des autres instruments qui ont fait son histoire. Nous avons perdu ainsi notre capacité à traiter des problématiques diverses.
Pour nous, l'APD, c'est la contribution budgétaire et solidaire de la France à la réduction de la pauvreté, des inégalités, des fractures et des déséquilibres dans le monde. Elle doit essentiellement servir à réduire la pauvreté, les inégalités, et à contribuer à la lutte contre le changement climatique. Souvent, on confond les enjeux d'une coopération internationale avec les enjeux de l'aide publique.
Autre principe : l'aide ne doit pas être détournée de ses objectifs pour servir les intérêts directs de la France. Il existe parfois la tentation de la considérer comme un instrument de régulation des migrations, par exemple. Ce n'est pas son objet et, en plus, c'est inefficace. Autre biais : faire, sans le dire, de l'aide un instrument d'ouverture de marchés au profit des intérêts économiques français. Même si l'aide et la coopération françaises peuvent utilement contribuer à l'image de notre pays.
À l'issue du dernier Cicid, en février 2017, le Président de la République s'est engagé à ce que l'APD représente 0,55 % du revenu national brut, après cette très longue période de baisse, et à présenter une loi de programmation. Dans son rapport rendu en août dernier, Hervé Berville abonde dans le même sens et rappelle un certain nombre d'objectifs : accorder la priorité à l'éducation et à la santé, promouvoir l'égalité homme-femme, s'engager en faveur de l'adaptation au changement climatique, modifier l'équilibre entre les prêts et les dons en faveur des dons et l'équilibre entre engagement bilatéral et engagement multilatéral en faveur du premier, même si le multilatéral est essentiel.
Nous saluons le relevé de conclusions du Cicid, même si fixer des priorités ne constitue pas en soi une stratégie. Celle-ci sera fixée par la loi et son annexe.
Qu'attendons-nous de cette loi ? Renforcer le pilier politique et le pilier non étatique de la politique d'aide ; plus de lisibilité, de transparence ; une plus grande clarté des objectifs ; une déclinaison entre engagements bilatéraux et multilatéraux ; des moyens à la hauteur des engagements - nous proposons 0,7 % à l'horizon de 2025 - ; une simplification de la gouvernance ; une politique partenariale renforcée par le soutien à la société civile française, mieux évaluée et s'inscrivant dans une démarche globale en cohérence avec les autres politiques publiques - la politique commerciale, par exemple.
Cela soulève la question de l'efficacité de l'APD, souvent décriée. Elle ne peut, à elle seule, régler l'ensemble des problèmes, compte tenu des flux financiers qu'on observe dans le système international. C'est pourquoi il faut veiller à sa cohérence.
Mme Nastasia Thebaud-Bouillon, chargée de plaidoyer à Plan International France. - Je représente la commission genre de Coordination SUD.
Au cours de mes cinq minutes de parole, 150 filles seront mariées de force à travers le monde, seront ainsi privées d'éducation et ne participeront pas au développement de leur pays.
L'égalité femme-homme est une priorité du Cicid et du quinquennat. La France s'est dotée d'une stratégie internationale pour l'égalité entre les femmes et les hommes (2018-2022) et porte une parole puissante dans les instances multilatérales, notamment dans le cadre du G7 et à l'assemblée générale des Nations unies.
L'égalité de genre est avant tout une question de justice et de garantie des droits humains. La prise en compte des enjeux de genre est une condition sine qua non de l'efficacité du développement et de l'action humanitaire. À défaut, nous ne pouvons parler de développement et de solidarité internationale. La future loi devra donner corps à l'objectif de développement durable n° 5, qui vise l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes et des filles à la fois de manière transversale et de manière spécifique.
L'inclusion des femmes et des filles constitue un moteur de croissance, de stabilité, de développement humain. Vaincre les inégalités femme-homme dans l''éducation pourrait rapporter aux pays en développement entre 112 et 152 milliards de dollars par an.
La future loi devra prendre en compte l'approche genre dans l'ensemble de la politique de développement et de solidarité internationale de la France. L'égalité doit ainsi apparaître comme un principe directeur et transversal de cette loi. Elle devra fixer des objectifs clairs et définir un cadre précis de « redevabilité », notamment par l'application systématique des marqueurs genre de l'OCDE et la formation de l'ensemble des agents de l'APD à l'égalité de genre.
En matière de programmation budgétaire, la France doit mener une action double d'intégration de l'égalité de genre dans la loi, au travers d'abord d'une intégration de manière transversale dans l'ensemble des projets que porte la France des marqueurs n° 1 et 2 de l'OCDE, qui mesurent les projets selon qu'ils prennent en compte l'égalité de genre comme un objectif significatif ou un objectif principal, et ce à hauteur de 85 % d'ici à 2022. Dans un second temps, l'objectif doit être d'accroître la part des projets ayant comme objectif principal les enjeux en matière d'égalité femme-homme.
Il s'agit d'inscrire dans la future loi à la fois la trajectoire d'augmentation de l'APD dédiée au genre de manière transversale - 85 % - et de la part de projets intégrant le genre comme objectif principal - 20 %. L'Union européenne s'est d'ailleurs engagée au travers de son plan d'action genre 2016-2020 à ce que 85 % de son aide publique au développement intègre le genre - marqueurs n°1 et 2 de l'OCDE.
M. Ladislas Poniatowski. - Je ne comprends pas bien !
Mme Nastasia Thebaud-Bouillon. - L'OCDE a défini trois marqueurs pour mesurer la politique d'aide et d'appui à l'égalité homme-femme. Un marqueur 0 signale un projet de développement neutre en matière de genre, qui ne prend pas en compte l'égalité homme-femme. Un marqueur 1 signifie que l'égalité de genre est inscrite dans le projet comme un objectif significatif. Par exemple, les agents chargés de sa mise en oeuvre ont mené une analyse sexospécifique.
Quant au marqueur 2, il caractérise les projets dont l'objectif principal est de garantir l'égalité entre les femmes et les hommes.
Notre première attente dans la perspective de la loi de programmation est que le marqueur genre soit utilisé pour l'analyse par l'Agence française de développement (AFD) de l'ensemble des projets financés. Notre seconde attente est que 85 % de l'aide de la France bénéficient à des projets de type marqueur 1 ou marqueur 2.
Nous souhaitons que l'aide au développement donne la priorité à cet objectif politique d'égalité, qui doit se décliner sur le terrain.
M. Alain Cazabonne. - Comment traduire l'objectif d'égalité entre les femmes et les hommes en termes d'aide au développement ?
Mme Nastasia Thebaud-Bouillon. - Cet objectif, loin d'être annexe, doit être transversal et structurant dans la politique internationale de la France, et assorti de moyens financiers et opérationnels solides.
Mme Claire Baudot, responsable plaidoyer à Action Santé Mondiale. - L'ONG Action santé mondiale oeuvre en faveur de l'accès à la santé dans les pays en développement.
La future loi sur l'APD est une première historique, car elle sera programmatique, contrairement à la loi de 2014. Nous veillerons ainsi à ce que la programmation intègre pour ce secteur un objectif de 0,7 % du revenu national brut (RNB).
Le Président de la République s'est engagé à allouer à l'APD 0,55 % du RNB d'ici à la fin de son mandat, la deuxième étape prévue étant de 0,7 % en 2025. Il est en effet possible d'intégrer une programmation qui dépasse la fin d'un mandat, comme le montre l'exemple de la loi de programmation militaire.
Comment réaliser ces engagements, et par quels canaux ? Action Santé Mondiale et l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) observent que les marges de manoeuvre sont limitées et que l'on n'obtiendra pas les résultats attendus sans mobiliser davantage les financements innovants : la taxe de solidarité sur les billets d'avion et la taxe sur les transactions financières (TTF).
Pour parvenir à l'objectif de 0,55 % en 2022, deux options sont possibles.
Première option : tenter de respecter la trajectoire adoptée par le Cicid. Or la contribution des financements innovants stagne, voire diminue, et la part des revenus de la TTF dédiée à l'APD est passée de 50 % à 35 % depuis la dernière loi de finances. En outre, la trajectoire prévoit une très forte croissance des crédits en fin de période, non soutenable selon nous. Compte tenu de ces éléments, l'objectif ne pourra pas être atteint en 2020.
Seconde option : augmenter plus graduellement les crédits de l'APD et utiliser davantage la TTF, soit en affectant la totalité de ses recettes à la mission, soit en augmentant son taux - il pourrait passer à 0,5 %, comme au Royaume-Uni - et donc son rendement.
Le choix des outils n'est pas neutre. La TTF finance ainsi principalement la santé, l'éducation et les projets liés au climat.
Coordination Sud recommande en outre de maintenir le caractère extrabudgétaire des financements innovants. D'aucuns ont proposé d'englober dans le budget général de l'État la TTF et la taxe de solidarité sur les billets d'avion, qui sont des taxes affectées ; or cela remettrait en cause le symbole politique fort qu'elles représentent. La TTF a ainsi été créée après la crise financière de 2008 pour faire participer les bénéficiaires de la mondialisation à la réduction de la pauvreté et à la lutte contre les inégalités. Il serait politiquement risqué d'abandonner cette affectation directe.
Mme Hélène Dulin, chargée d'études et de coordination au CCFD-Terre Solidaire. - Je souhaite attirer votre attention sur la nécessaire cohérence des politiques publiques et des financements afin d'assurer la viabilité de la politique de développement et de solidarité internationale, laquelle doit viser à éradiquer la pauvreté, les inégalités et l'insécurité alimentaire.
Il est primordial, pour atteindre ces objectifs, de mener cette politique dans l'intérêt premier des populations bénéficiaires, en garantissant le respect de leurs droits, et non selon une approche de diplomatie économique. Utiliser l'APD pour dynamiser les exportations françaises ou favoriser l'internationalisation de nos entreprises serait facteur de confusion.
Il convient que les modes de financement mobilisés soient cohérents avec les objectifs poursuivis. La France doit s'assurer que ces instruments servent bien à apporter une aide aux populations des États bénéficiaires. Des engagements doivent être pris dans la future loi de programmation afin de garantir l'implication des bénéficiaires finaux des projets et la prise en compte de leurs besoins et de permettre un développement endogène des sociétés. Il faut aussi instaurer une mesure d'impact indépendante pour veiller à ce que les objectifs soient atteints, et ne recourir au financement privé que s'il apporte une réelle « valeur ajoutée ».
La cohérence des politiques publiques, principe consacré à l'article 3 de la loi de 2014, est un gage de viabilité et d'efficacité. Il importe qu'aucune politique nationale ne nuise à la réalisation des objectifs de développement, au lieu de concourir à leur réalisation. Nous souhaitons que soit prévu dans la future loi un mécanisme dédié de nature à garantir le respect de ce principe. Nous recommandons ainsi la création de postes de rapporteurs dédiés à la cohérence des politiques publiques au Sénat et à l'Assemblée nationale, ou celle d'un bureau spécifique au sein de l'administration. Enfin, des études d'impact indépendantes sont nécessaires.
Il est fondamental que la politique d'aide au développement soit construite avec les populations bénéficiaires. Le cadre de partenariat global qui sera prévu dans la loi doit concourir à établir dans les pays bénéficiaires un contexte de paix et à la reconnaissance de la société civile et de ses corps intermédiaires.
Ce processus de solidarité concerne l'ensemble des sociétés, au Nord comme au Sud. La loi devra donc prévoir un renforcement de l'éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale, et consacrer le soutien aux initiatives citoyennes.
Mme Elvira Rodriguez Escudeiro, responsable « financements institutionnels » à La Chaîne de l'Espoir. - La solidarité internationale telle que nous l'entendons est partenariale ; tous les acteurs y ont une place et un rôle à jouer en fonction de leur valeur ajoutée et de leurs spécificités. Le rôle des ONG est reconnu au niveau international par l'OCDE. En France, qui a formalisé cette reconnaissance en 2017, seulement 3 % de l'APD bilatérale transite par ces organisations, contre 15 % dans la moyenne des pays donateurs de l'OCDE.
Engagées auprès des sociétés civiles, les ONG ont une connaissance fine des contextes et assurent une présence directe dans les pays bénéficiaires, afin de définir les actions pertinentes. Les organisations françaises agissent dans 150 pays et sur 5 continents.
Les ONG ont un lien non seulement avec les citoyens, notamment français, qui cherchent à s'informer sur les enjeux de la solidarité internationale et à se les approprier, mais aussi avec ceux qui sont récipiendaires d'actions d'éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale. Plus de 3 millions de nos concitoyens sont des donateurs des ONG françaises. Certains sont aussi bénévoles ou volontaires. L'activité de ce secteur, divers et riche, a augmenté de 38 % entre 2012 et 2016. Une multitude de domaines sont couverts : défense des droits de l'homme, aide au développement, éducation à la citoyenneté et à solidarité internationale, protection de l'environnement, actions d'urgence, aide humanitaire... Ces organisations créent aussi des emplois, à hauteur de 59 % dans les pays bénéficiaires de la solidarité internationale. Leur connaissance des contextes et des sociétés civiles leur permet d'obtenir des résultats réels et tangibles, qui sont évalués et publiés. Leurs ressources sont utilisées de la manière suivante : environ 7 % pour les frais de fonctionnement - 15 % si l'on ajoute les frais de recherche de fonds - et plus de 80 % pour les missions sociales.
Les ONG françaises du secteur de la solidarité internationale se caractérisent par la rapidité d'intervention, l'adaptation à des contextes changeants et la capacité à aller là où certains acteurs ne vont pas et où la coopération bilatérale entre États ne fonctionne pas, par exemple en Somalie. Elles relaient également les revendications, défendent les droits des populations vulnérables très marginalisées et plaident pour le respect des droits humains.
Le Président de la République a exprimé une volonté forte, ambitieuse, moderne et partenariale en termes de solidarité internationale. Pourtant, le Cicid du 8 février dernier n'a prévu que le doublement de l'aide transitant par les ONG. Coordination SUD a proposé que soit alloué 1 milliard d'euros à ce titre à l'échéance de 2022, ce qui permettrait de s'approcher de la moyenne des pays de l'OCDE.
L'augmentation des moyens n'est pas la seule préoccupation ; il faut une prévisibilité des ressources pour que nous puissions préparer nos actions, nous former et embaucher, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Les ressources des ONG françaises sont surtout d'origine privée, et proviennent notamment de la collecte de fonds auprès du grand public. Les fonds publics ne représentent que 10 % de ces ressources. Les fonds publics internationaux sont en augmentation. Ces organisations font preuve de dynamisme en allant chercher des sources de financement à l'étranger. Du fait de la faiblesse des financements français, la voix de la France porte moins, notamment dans les forums internationaux.
M. Jean-Pierre Vial, rapporteur. - L'augmentation très rapide des financements ne risque-t-elle pas de nous faire passer d'une logique de la demande à une logique de l'offre, consistant à placer des financements à tout prix au détriment de la qualité et de la durabilité des projets ? Comment éviter cet écueil ?
Les grandes institutions internationales, les agences de développement et les ONG mènent des réflexions pour améliorer leurs pratiques, tirer les leçons de leurs réussites ou adopter une approche plus expérimentale. Pouvez-vous nous donner des exemples d'innovations récentes en matière de projets de développement et d'évaluation ? Il y a aussi des projets qui ont été évalués, mais qui restent ensuite « en état d'apesanteur »...
L'Afrique est un point focal parmi les orientations annoncées par le Gouvernement et le Président de la République. De nombreux pays en développement font partie de l'arc de crise qui va du Levant au Sahel. Comment les organisations de la société civile parviennent-elles à y travailler ? Comment améliorer la coordination entre les États et les officines de sécurité dans les pays en crise ?
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure. - Cette première réunion plénière avec les ONG fait sens. J'ai noté des points de convergence, mais aussi de divergence.
La politique des institutions de Bretton Woods - Fonds monétaire international (FMI), Banque mondiale, Organisation mondiale du commerce (OMC) - a souvent été accusée d'entrer en contradiction avec un développement harmonieux des pays du Sud. Les politiques d'austérité menées par le FMI dans les années quatre-vingt-dix ont ainsi eu des effets désastreux notamment sur le système éducatif en Afrique. Sur le plan agricole, on a parfois encouragé les grandes exploitations, ce qui va à l'encontre de la subsistance des agriculteurs. Ces erreurs sont-elles derrière nous ? Quelles leçons du passé devons-nous tirer ?
Malgré les progrès enregistrés depuis la mise en oeuvre des objectifs du millénaire pour le développement (OMD), puis des objectifs de développement durable (ODD), la faim, la sous-alimentation et la malnutrition sont toujours très présentes, et les enfants sont les premiers frappés. Quelle est votre appréciation de la politique française à cet égard ? Quels sont les principaux obstacles qu'il conviendrait de lever afin de garantir le droit fondamental à l'alimentation ?
Le fonds français Muskoka en faveur de la santé maternelle et infantile a permis à l'Agence française de développement d'augmenter ses financements dans ce secteur où les besoins sont immenses. Pourtant, l'AFD a redéployé ses actions notamment vers l'activité agricole, avant de revenir vers le volet alimentation. Le caractère erratique de cette politique n'est-il pas préjudiciable à long terme ?
M. Gilbert Roger. - Quelle est la cohérence, voire la complémentarité, entre le volet français et le volet européen ?
Comment améliorer la coopération des ONG avec nos forces armées, qui se sentent parfois bien seules dans certains secteurs où elles préféreraient ne pas intervenir ?
M. Joël Guerriau. - La dimension humaine et le bénévolat n'ont pas été suffisamment abordés. La solidarité n'est rien sans motivation, et l'on parle beaucoup trop de chiffres. Un projet est efficace lorsqu'il est vivant ; il est vivant s'il est suivi par les bénévoles.
Monsieur Jahshan, ne court-on pas le risque, avec la loi de programmation, de renforcer la centralisation dans ce secteur ? L'État doit fixer le cadre et contrôler l'usage par les ONG des fonds publics, mais aussi s'appuyer davantage sur ces organisations. La solidarité internationale part du coeur avant de se traduire en termes financiers. L'argent ne doit pas servir à se donner bonne conscience ; ce sont les relations humaines qui importent.
M. André Vallini. - La gouvernance de la politique française d'aide au développement n'est pas toujours très claire. Les enjeux de la solidarité internationale ne méritent-ils pas un ministère dédié ?
M. Yannick Vaugrenard. - Un ministère de plein exercice me paraît en effet indispensable. Bercy a une vision purement comptable de l'aide humanitaire...
Ne faudrait-il pas prévoir, en termes de stratégie globale, une coordination avec les pays anglo-saxons et l'Allemagne ?
Ne faudrait-il pas inscrire dans la loi de programmation le principe de l'évaluation des ONG, concernant notamment leur transparence et leur efficacité, mais aussi de la politique générale de la France en faveur des pays en voie de développement ?
Mme Christine Prunaud. - L'aide publique au développement ne doit pas être détournée de son objectif. La plupart des membres de cette commission ont dénoncé celle dont a bénéficié la Turquie pour bloquer les migrants sur son territoire. Avez-vous visité les centres de rétention situés dans le sud de ce pays ?
Le sud de la Libye est difficile d'accès. Des ONG parviennent-elles à rencontrer les migrants qui s'y trouvent ?
En tant qu'élus de terrain, nous faisons de notre mieux pour sensibiliser nos concitoyens à la solidarité internationale. Des ONG travaillent-elles avec les collectivités des pays référents dans le cadre des coopérations décentralisées ?
M. Jacques Le Nay. - Vous avez insisté sur le critère de l'égalité entre les femmes et les hommes. La France doit-elle intervenir dans les pays menant une politique intérieure incompatible avec les principes que nous soutenons au niveau international ? Ne faut-il pas conditionner le versement de l'aide au respect de certains standards en termes de démocratie et de lutte contre la corruption ?
M. Philippe Jahshan. - Le sujet est extrêmement dense. Je remercie le Sénat d'avoir consacré cette première table ronde aux ONG.
Sur l'engagement et le bénévolat, nous sommes favorables au soutien à la capacité de déploiement, à l'accompagnement des associations et au renforcement de leur capacité d'action. Il faut en quelque sorte « nourrir » une solidarité des citoyens français avec les citoyens du monde. Cette solidarité citoyenne de société civile à société civile est essentielle : elle doit être considérée comme un enjeu politique et stratégique pour la France. Il faut accroître le soutien budgétaire aux associations françaises de solidarité internationale, dont moins de 10 % des moyens sont issus des finances publiques, nationales ou territoriales. Cela dénote un manque d'intérêt ou de conscience des pouvoirs publics, alors même que l'opinion publique reste favorable à la politique d'APD.
L'effort des collectivités territoriales ne doit pas décroître : une grande partie de la mobilisation de la société française se fait dans les territoires par le biais de petites associations locales, dont les moyens ont baissé. Certaines régions ont en effet fortement réduit les financements dédiés à la solidarité internationale. La politique d'APD ne doit pas relever uniquement de la responsabilité de l'État.
Concernant la gouvernance, Coordination Sud avait proposé, au moment de la campagne présidentielle, mais aussi dans le cadre d'un avis rendu au Conseil économique, social et environnemental (CESE) en 2016, la création d'un ministère de plein exercice ou d'un ministère délégué rassemblant les moyens existants et l'ensemble des opérateurs. Un rapport sénatorial avait fait la même recommandation. La recapitalisation de l'AFD, le rassemblement de l'expertise au sein d'Expertise France et, aujourd'hui, l'absorption de cette agence au sein de l'AFD plaide en faveur d'un ministère pilote disposant d'instruments suffisamment puissants pour mener une politique d'APD, car une politique doit être incarnée par un ministre. Cette recommandation n'a pas été reprise et le quinquennat a commencé sans ministre dédié.
L'évaluation est un point essentiel. Nous avons salué la proposition d'Hervé Berville de créer une commission. L'accroissement des volumes risque de renforcer la logique de l'offre. C'est la raison pour laquelle nous plaidons pour un lissage de l'augmentation des moyens : il faut parvenir progressivement à 0,55 %. Il faut sortir de la programmation triennale « à plat » jusqu'en 2020.
La loi de 2014 avait créé un observatoire pour l'évaluation qui a été insuffisamment investi. C'est dommage !
Les ONG, au sein de Coordination Sud, mais aussi du F3e (évaluer, échanger, éclairer) - structure fondée en 1994 par le ministère des affaires étrangères et dédiée à la question de l'évaluation et de la qualité de l'action -, ont beaucoup travaillé sur les innovations en matière d'évaluation. Nous promouvons une évaluation qui ne soit pas seulement de résultat, mais également de processus, d'impact, afin de vérifier la pertinence d'une action dans la durée, même si le contexte a changé, et de se donner les moyens de l'adapter. Un euro ne produit pas tout de suite le résultat attendu ; nous sommes dans des processus longs, qui nécessitent des mécanismes d'analyse et d'évaluation fins.
Les mécanismes qui pourraient figurer dans la loi devront certes renforcer la transparence et la redevabilité, mais aussi s'inscrire dans une longue temporalité.
Il faut enfin aborder la question de la cohérence des politiques : les effets de la politique d'APD ne doivent pas être annulés par d'autres politiques. Cela doit faire partie de l'évaluation. On ne peut pas faire porter à l'APD et à son seul budget la responsabilité des échecs ou du fait que si la pauvreté dans le monde a bien reculé, elle n'a pas été éradiquée. L'ensemble des politiques doivent contribuer à cet enjeu.
Mme Hélène Dulin. - Les institutions financières internationales, comme la Banque mondiale et le FMI, ont été créées après la guerre dans une logique de reconstruction de l'Europe et d'investissement. Se pose la question de la gouvernance du modèle de développement.
L'ONU a un rôle à jouer en matière de reprise de pouvoir de cette gouvernance mondiale et d'implication de l'ensemble des pays Nord-Sud, afin de construire un modèle de développement endogène.
Mme Claire Baudot. - Pour répondre à la question de M. Vial, on peut tomber dans l'écueil d'une logique de l'offre, indépendamment des montants alloués. Certains outils de la politique française ne respectent pas les principes d'efficacité de l'aide que sont l'appropriation par les pays partenaires ainsi que l'harmonisation et l'alignement avec les besoins des pays.
Si l'on augmente les montants, la demande existe bel et bien. La France va accueillir la conférence de reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme : l'objectif est de recueillir 14 milliards de dollars pour le prochain cycle de financement de trois ans. De même, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) est en train de reconstituer ses ressources. La France a annoncé sa contribution à Unitaid jusqu'en 2019, mais il faudra continuer à abonder ce fonds.
Madame Perol-Dumont, les besoins en matière de nutrition sont considérables. L'aide française est très faible : en 2016, elle représentait 0,4 % de l'APD totale.
S'agissant de l'initiative Muskoka, les changements d'orientation peuvent être préjudiciables. Mais le manque de prévisibilité des financements n'arrange rien. L'initiative a été lancée en 2010 : 5 milliards d'euros étaient apportés par les pays du G8 pour la période 2011-2015, la France contribuant à hauteur de 500 millions d'euros. Le Cicid a prévu seulement 10 millions d'euros pour les années suivantes. Ces montants sont très faibles.
M. Philippe Jahshan. - Nous sommes opposés à tout conditionnement de l'aide. En revanche, il faut soutenir des canaux non étatiques, être auprès de ceux qui agissent pour faire avancer les droits démocratiques, sociaux et environnementaux. Il s'agit d'une question de stratégie et de tactique.
Concernant la sécurité, nous sommes prudents sur les opérations « militaro-humanitaires ». Le monde humanitaire est très soucieux de l'impartialité et de la neutralité de ses interventions, et souhaite préserver sa capacité à intervenir auprès de l'ensemble des parties, dans tous les territoires. Pour les populations, il ne doit pas y avoir de confusion entre une intervention étatique et une intervention humanitaire.
M. Richard Yung. - La question de la cohérence de la politique d'APD et de la politique commerciale a été évoquée. Pouvons-nous en savoir plus ?
Quid de la lutte contre la corruption, qui est l'un des grands problèmes de l'aide au développement ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je salue les ONG pour le travail qu'elles effectuent et que j'ai l'occasion de voir sur le terrain. Nous pouvons néanmoins faire davantage. Des structures d'échanges et de vigilance, permettant un travail en commun avec les parlementaires, seraient extrêmement utiles. Il nous a fallu des années pour obtenir un fléchage sur les questions hommes-femmes dans l'aide au développement : les ONG - je pense en particulier à Plan International France avec qui j'ai beaucoup travaillé - ont vraiment été d'une grande aide sur ce sujet.
Le problème vient de la corruption : nous avons besoin des ONG pour exercer le contrôle, qui est notre devoir de parlementaires, mais que nous n'avons pas vraiment le temps de faire, de l'action sur le terrain.
Enfin, je voudrais vous lancer une exhortation : les ONG collaborent au rayonnement de la France, mais il faudrait qu'elles nous aident à défendre la francophonie. J'ai vu des petites écoles créées par des ONG françaises dans lesquelles l'enseignement se fait en anglais : c'est dommage ! J'espère que vous pourrez faire un effort en ce sens.
Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Nous savons combien la préservation des acquis de l'expertise internationale française est importante au service d'une approche globale du développement. C'est également le rôle spécifique d'Expertise France, qui devra être garanti au sein du groupe AFD, avec son champ de compétences actuel, englobant la sécurité !
Quel regard portez-vous sur la coopération entre Expertise France et les ONG ? Quel est votre avis sur les modalités de dialogue avec les ambassades ? Doivent-elles être renforcées afin de leur donner davantage de moyens pour une meilleure connaissance des besoins ?
M. Ladislas Poniatowski. - Nous avons bien compris vos revendications : vous voulez plus, vous voulez que l'aide transite davantage par vous et vous voulez une plus grande visibilité. Mais permettez-moi de vous dire que vous vous vendez très mal ! Monsieur Jahshan, vous avez trop bien briefé vos associations, qui ont répété ce que vous avez dit.
Nous sommes des sénateurs de terrain : chacun de nous voit le travail incroyable fait par les ONG dans les pays où il se rend. Je connais notamment bien les actions menées par La Chaîne de l'Espoir en matière de santé et par Plan International pour les enfants. Mais, j'insiste, vendez ce que vous faites ! Vous avez des projets incroyables, vous faites un travail courageux sur le terrain, dangereux même dans certains cas. Si vous voulez que les pouvoirs publics vous donnent plus, montrez des exemples concrets. J'avais envie non pas d'entendre des généralités, mais d'en apprendre plus sur les actions de vos organisations.
Ma question porte sur les financements : quelle part vient de l'État français, de l'Europe, d'ailleurs ? Quel est le montant des dons des Français ?
M. Michel Boutant. - Quelle est la proportion de « l'évaporation » de l'aide apportée localement ?
M. Jean-Marie Bockel. - Je suis tout à fait d'accord avec ce qui a été dit, y compris par Coordination Sud, sur l'intérêt d'un ministère bilatéral. Nous pourrions surmonter ce mal français, cette difficulté presque culturelle, à évaluer. La problématique de la gouvernance nous interpelle très fortement.
Nous sommes obligés de nous remettre tous en question ; le mieux, c'est de le faire ensemble ! C'est peut-être l'état d'esprit de cette rencontre et de la loi à venir.
M. Pierre Laurent. - Je vous remercie pour vos présentations, qui n'étaient pas que des généralités !
S'agissant de la trajectoire de financement, qui sera un enjeu majeur de la discussion de la loi, j'ai tendance à penser qu'on ne devrait déjà pas considérer comme close la question de la date : 2022 ou 2025. L'engagement politique, c'est d'atteindre 0,7 %. Il faut porter cette question dans le débat public.
Par ailleurs, le principe de cohérence est une question majeure si nous ne voulons pas que l'aide publique au développement soit sans cesse contredite par des politiques menées par la France ou par l'Union européenne à l'échelon international. Il faut évaluer les politiques publiques menées par la France, mais aussi la part que prend notre pays - ou pas -, et dans quelle direction, aux politiques menées à une échelle plus globale. Par exemple, les accords de libre-échange et la fixation des prix mondiaux de l'alimentation ont de lourdes conséquences sur la situation alimentaire de nombreux pays, notamment les plus fragiles.
Si l'on déstabilise tout d'un côté, il est difficile d'essayer, de l'autre, de réparer avec une petite cuillère des dégâts gigantesques... Il s'agit d'une question centrale en matière d'évaluation. Je serais preneur d'échanges supplémentaires pour examiner comment inscrire dans la loi, si ce n'est des garanties définitives, du moins des outils politiques permettant de garantir le principe de cohérence.
Mme Hélène Dulin. - La cohérence des politiques publiques est un gage d'efficacité et de viabilité. Il faut promouvoir des garde-fous et créer un mécanisme autour d'institutions indépendantes. Nous avons fait des propositions, sur lesquelles nous aimerions avoir votre avis. Il faut cibler les politiques qui peuvent rentrer en collision avec les objectifs de développement : politique fiscale, commerciale et d'investissement, politique de prêt dans un contexte de crise de la dette, politique économique. Il faut examiner ce maillage à différents niveaux - français, européen, international - et s'outiller pour systématiser les études d'impact en amont et en aval et garantir la cohérence des politiques publiques par des indicateurs.
Mme Claire Baudot. - Sur la trajectoire jusqu'en 2025, l'étude avec l'Iddri avait été conduite pendant la campagne présidentielle, la plupart des candidats s'engageant à atteindre 0,7 %. Nous avions fait ces projections pour 0,7 % jusqu'à 2025 ; nous avions fait des adaptations à la suite de l'engagement présidentiel de parvenir à 0,55 % en 2022. Nous pourrons faire les projections jusqu'à l'échéance de 2025.
S'agissant du dialogue avec les ambassades, pour prendre l'exemple de la santé, le rôle des conseillers régionaux en santé mondiale dans les ambassades mériterait d'être renforcé pour mettre en oeuvre plus efficacement les subventions des différents fonds multilatéraux auxquels la France contribue.
Mme Elvira Rodriguez Escudeiro. - Dans les ressources des ONG, en ce qui concerne les ressources publiques internationales, qui représentent 76 % de la part des financements publics, 43 % d'entre elles proviennent des institutions de l'Union européenne, 26 % de coopérations bilatérales autres que la France, et 25 % des agences des Nations unies - Unicef, Programme alimentaire mondial (PAM), etc.
Quant aux fonds privés, 59 % proviennent de la générosité du public, notamment des dons et des legs ; 13 % de fonds privés internationaux, c'est-à-dire de fondations étrangères ; 7 % de fondations françaises et 4 % des entreprises. Nous vous fournirons des données plus précises.
M. Philippe Jahshan. - Si l'on regarde les ressources des ONG françaises, nous ne faisons pas si mal, monsieur Poniatowski, du moins auprès des citoyens ! Le premier financeur aujourd'hui des ONG, c'est bien le citoyen, avec, d'ailleurs, la contribution de l'État, au travers de la défiscalisation.
Les moins convaincus, ce sont les administrations et les pouvoirs publics. Nous allons essayer d'améliorer notre plaidoyer. Aujourd'hui, la table ronde était plutôt consacrée aux enjeux de la loi et de cette politique ; nous sommes disposés à revenir pour évoquer les projets et l'activité des ONG.
J'ai évoqué la rareté des dons, notamment dans la part bilatérale de l'aide française. La part de l'APD transitant par les ONG s'est accrue entre 2012 et 2017, alors même que l'APD baissait. Il y a eu, en quelque sorte, un chassé-croisé des trajectoires. Cela rend parfois complexes les relations avec l'administration et les ambassades, quand les moyens de l'aide bilatérale française baissent, alors que ceux des ONG s'accroissent. Ces situations créent des tensions extrêmement néfastes pour tous, et les arbitrages sont rendus extrêmement compliqués entre les différents guichets. Plus la part des dons augmentera, mieux on répondra aux enjeux humanitaires, sociaux, de gouvernance et de capacité d'action de la société civile.
Nous pensons qu'il faut absolument accroître la part de l'aide sur les enjeux de gouvernance démocratique : il s'agit non seulement de renforcer les capacités des administrations dans les pays partenaires, mais aussi de permettre à la société civile locale à demander des comptes. C'est essentiel pour lutter contre la corruption et l'évaporation de l'aide. La France s'est engagée à ce que les contrats de désendettement et de développement (C2D) signés avec différents pays soient suivis par la société civile locale. Cet engagement n'est malheureusement pas respecté dans un certain nombre de pays où la société civile est réprimée et empêchée de faire son travail de transparence et de contrôle démocratique.
Sur le dialogue avec les ambassades, Hervé Berville a proposé dans son rapport - et nous y sommes favorables - que des cadres stratégiques nationaux soient établis. La France avait mis en place des cadres de coopération bilatéraux, qui fixaient les grands enjeux de la coopération. Cet instrument avait quelque peu disparu. Il s'agirait, si l'on suit cette proposition, de doter chaque opération d'un cadre stratégique national permettant de fixer les enjeux et de rassembler l'ensemble des parties. Ces éléments favorisent une meilleure clarté et une meilleure lisibilité de la coopération bilatérale, pays par pays, mais également une meilleure participation et appropriation des acteurs locaux.
M. Pascal Allizard, président. - Je vous remercie pour vos exposés et pour vous être prêtés au jeu des questions-réponses. Le débat ne fait que commencer sous l'égide de nos deux rapporteurs. Vous pourrez compter sur les travaux du Sénat et sur les échanges avec notre commission pour faire en sorte d'enrichir le texte et tenir les objectifs.
Dans le cadre de nos responsabilités, nous visitons un certain nombre de pays, dans lesquels nous voyons de très belles réalisations, mais où nous avons aussi parfois quelques déceptions. En l'occurrence, dans un pays d'Afrique, l'AFD a abandonné l'accompagnement d'un projet de maternité en raison de problèmes d'arbitrage entre prêts et dons et de corruption - « l'évaporation » étant évaluée pour ce projet à 20 ou 25 %.
Nous espérons contribuer par nos travaux communs à améliorer la situation dans le cadre de l'objectif que nous nous sommes fixé.
La réunion est close à 11 h 25.