- Mardi 27 novembre 2018
- Mercredi 28 novembre 2018
- Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Travail et emploi » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Régimes sociaux et de retraite - compte d'affectation spéciale pensions » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport pour avis
- Jeudi 29 novembre 2018
Mardi 27 novembre 2018
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 18 heures.
Projet de loi de finances pour 2019 - Audition de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail
M. Alain Milon, président. - Je suis heureux d'accueillir cet après-midi Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, pour la présentation des crédits de la mission « Travail et emploi » et, pour cette année encore, du compte d'affectation spéciale « Fonds de modernisation de l'apprentissage ». Notre réunion fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site internet du Sénat et consultable en vidéo à la demande. Ces crédits feront demain matin l'objet d'un avis de notre commission sur le rapport de notre collègue Michel Forissier et ils seront examinés en séance publique le mardi 4 décembre dans la soirée.
Les crédits de la mission « Travail et emploi » représentent 12,4 milliards en 2019 et traduisent, après la réforme du marché du travail conduite par le Gouvernement, les orientations données à la politique de l'emploi : baisse des contrats aidés, diminution des exonérations ciblées au profit des allégements généraux de cotisations et réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle. Si ces orientations peuvent être partagées par notre commission, elles interrogent la transition entre un modèle de soutien rapide à la mise en emploi, auquel le Gouvernement n'a pas totalement renoncé, comme en témoigne le dispositif des emplois francs, et celui d'une montée en compétence permettant une plus grande autonomie des demandeurs d'emploi, qui s'inscrit nécessairement dans un temps plus long. L'objectif d'un taux de chômage ramené à 7,5 % de la population active d'ici à la fin du quinquennat reste en ligne de mire sur fond de perspectives de croissance européennes très incertaines.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. - L'année 2019 poursuit la transformation profonde des politiques de l'emploi et de la formation professionnelle que j'ai engagée dès mon arrivée, en parallèle des ordonnances pour le renforcement du dialogue social. J'ai mené en 2018 des réformes structurantes avec des choix forts et assumés de réallocation de nos moyens, notamment en faveur des compétences dans notre pays.
Le premier chantier est la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui réforme les règles de gouvernance et de financement des politiques de la formation professionnelle et de l'apprentissage en replaçant l'individu au centre du jeu et dans une posture de décideur de son propre parcours, qui élargit la couverture de l'assurance chômage pour faciliter les transitions professionnelles, qui lutte contre la précarité, qui renforce le retour à l'emploi et qui pose les fondements d'une égalité salariale entre les femmes et les hommes et d'une meilleure inclusion des personnes en situation de handicap.
Le deuxième chantier est le déploiement du Plan d'investissement dans les compétences (PIC). Cette année, 1,5 milliard ont déjà été engagés pour lancer une vingtaine de programmes servant deux objectifs : accompagner et former les personnes peu qualifiées en recherche d'emploi dans une logique d'acquisition des compétences attendues sur le marché du travail ; intensifier les effets de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel en accélérant par l'investissement et l'innovation la transformation du système de formation professionnelle.
Le troisième chantier est l'approche renouvelée de la politique d'inclusion dans l'emploi, fondée notamment sur la création des parcours emploi compétences et des moyens effectivement mis en oeuvre pour associer à la mise en emploi des ambitions d'accompagnement et de formation. La dimension territoriale du pilotage des outils de l'insertion a été renforcée, avec la création du Fonds d'inclusion pour l'emploi, qui a permis d'adapter l'allocation des moyens aux besoins régionaux.
Le quatrième chantier est le renforcement sans précédent du modèle inclusif des entreprises adaptées. C'est le sens de l'accord pluriannuel « Cap vers l'entreprise inclusive », qui résulte d'une concertation nourrie avec le secteur du handicap. L'objectif est de permettre à 40 000 personnes handicapées supplémentaires d'avoir accès à un emploi d'ici à 2022. Nous lançons aussi l'expérimentation des emplois dits « tremplins », visant à faciliter les passerelles vers le milieu ordinaire. Un plan de transformation de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) a été annoncé voilà quelques semaines.
Le budget de la mission « Travail et emploi » est de 12,4 milliards en 2019. À périmètre constant, il y a certes une baisse de 2 milliards par rapport à 2018, mais elle est principalement liée à l'extinction des mesures dont j'ai pris acte à mon arrivée, en particulier l'aide ponctuelle à l'embauche dans les TPE et PME, et à un choix assumé de réduction en volume des contrats aidés pour en faire des parcours plus qualitatifs et tenir compte de la consommation réelle observée cette année.
Ce budget poursuit les efforts engagés en 2018 avec un objectif d'oeuvrer à l'inclusion dans l'emploi. Il est primordial que les personnes les plus vulnérables soient replacées au coeur des politiques d'inclusion, en cohérence avec l'objectif d'émancipation porté par la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté présentée par le Président de la République le 13 septembre 2018.
Nous allons poursuivre la montée en puissance du PIC, avec un nouvel engagement de 3 milliards, financé pour moitié par des crédits budgétaires et pour moitié par la contribution, via France compétences, des entreprises, soit 1,5 milliard.
Les crédits du PIC seront mobilisés dans quatre directions : mettre en oeuvre des parcours de formation qui seront déployés dans le cadre des pactes régionaux pluriannuels d'investissement dans les compétences en cours de négociation entre l'État et les régions ou les collectivités compétentes sur la période 2019-2022, soit 1,6 milliard d'engagements provisionnés pour la seule année 2019 ; assurer un effort particulier pour certains publics accompagnés par la politique de l'emploi, et renforcer son articulation avec les enjeux de formation après 20 millions en 2018, 60 millions par an seront consacrés à partir de 2019 à la formation des bénéficiaires de l'insertion par l'activité économique ; consolider les mesures d'accompagnement des jeunes du Parcours contractualisé vers l'autonomie et l'emploi (Pacea) avec sa formule intensive, la Garantie jeunes pour 100 000 jeunes ; promouvoir les expérimentations portant des approches innovantes sur des problématiques ciblées telles que la remobilisation et le retour à l'emploi dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville par l'appel à projets.
Il y a également un engagement important en direction des publics qui en ont le plus besoin, pour que 10 000 personnes de plus puissent accéder à l'insertion par l'activité économique dès 2019, avec une augmentation du budget de 50 millions.
L'année 2019 sera aussi celle du plein déploiement de la réforme des entreprises adaptées, avec un budget de 400 millions, en augmentation par rapport à 2018. Nous voulons que 10 000 personnes supplémentaires accèdent aux entreprises adaptées dès 2019, grâce aussi au financement de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés (Agefiph), qui participera au suivi des expérimentations.
Ces efforts sont complétés par 100 000 nouveaux parcours emploi compétences (PEC), qui seront prescrits en 2019. À ces contrats s'ajoutent près de 30 000 contrats dédiés à l'accompagnement des élèves en situation de handicap, dont le financement relève dorénavant entièrement de l'éducation nationale, avec un transfert de 124 millions.
L'expérimentation des emplois francs, lancée au 1er avril 2018, se poursuit en 2019 pour renforcer le soutien en faveur des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Après un démarrage progressif, nous constatons ces dernières semaines une augmentation des signatures.
Pour assurer la pleine cohérence de cette politique publique en faveur des personnes pour lesquelles le soutien de l'État est indispensable dans le retour à l'emploi et pour réfléchir aux moyens d'améliorer les solutions proposées, j'ai réuni ce matin l'ensemble des parties prenantes de l'inclusion : réseaux de l'insertion par l'activité économique (IAE), entreprises adaptées, collectif Alerte, ainsi que partenaires sociaux.
Nous avons pu partager le double pari de l'inclusion : celui de la personne en difficulté, qui peut retrouver le chemin de l'insertion et de l'emploi en construisant un projet par le triptyque emploi-accompagnement-formation, et celui des entreprises, pour les mobiliser toujours plus sur l'inclusion pour l'accueil, l'accompagnement et la formation.
C'est pour enclencher cette nouvelle dynamique que je viens de créer par décret le Conseil de l'inclusion dans l'emploi, présidé par Thibaut Guilluy. Ce sera une structure agile et resserrée, qui sera force de proposition et qui pourra nous aider à coconstruire des propositions pour changer d'échelle en matière d'inclusion.
Nous avons à coeur d'accompagner les actifs et les entreprises dans leurs phases de transition et dans leur montée en compétence, d'aider les restructurations sur les territoires, et de stimuler l'emploi et la compétitivité. C'est pourquoi le budget présenté porte en termes de coût du travail une simplification du paysage des exonérations, avec la bascule de certains allégements spécifiques vers le droit commun - les allégements de charges prévus en 2019 s'appliquent à plein dès le 1er janvier -, ainsi qu'un effort budgétaire de presque 4 milliards, soit un tiers de mon budget, pour soutenir l'emploi dans les services à la personne ou encore la création d'entreprises.
La mise en oeuvre et la réussite de ces orientations nécessitent de renforcer la performance, mais également la coordination des acteurs du service public de l'emploi. L'expérimentation d'un rapprochement entre les missions locales et Pôle emploi ne doit pas être un sujet tabou.
Dans cette perspective de recentrage des financements de l'État sur ses objectifs prioritaires, je poursuivrai le retrait de l'État de la subvention de fonctionnement des maisons de l'emploi, pour privilégier une approche par projet. Il s'agit là aussi de tirer les conséquences des choix retenus par les gouvernements successifs depuis dix ans. J'ai néanmoins entendu lors du débat à l'Assemblée nationale les craintes des élus sur la capacité pour les maisons de l'emploi de s'adapter dans ce délai. J'ai donc accepté de provisionner un budget de 5 millions cette année pour accompagner la transition.
Dans le cadre d'Action publique 2022, le ministère participera à l'objectif gouvernemental global de réduction des effectifs. La baisse sera de 233 emplois, soit un taux d'effort stable. L'effort s'inscrira plus largement dans le cadre d'une réflexion sur l'évolution du périmètre des missions et de l'organisation territoriale des services.
Le ministère relèvera le défi du numérique par le biais de la modernisation des systèmes d'information du ministère en appui des politiques de l'emploi.
Ce budget cohérent porte en synthèse deux grandes ambitions : intensifier l'effort d'inclusion et favoriser l'émancipation par l'emploi ; stimuler la création d'emplois, par la libération de l'alternance et un renforcement de l'effort en matière de baisse du coût du travail.
M. Michel Forissier, rapporteur pour avis de la mission « Travail et emploi ». - S'il est vrai que la baisse des crédits résulte en partie de l'extinction des dispositifs inefficients, on aurait pu s'attendre à ce que des économies ainsi dégagées soient redéployées en direction de dispositifs permettant de lutter plus efficacement contre le chômage. Ce n'est manifestement pas le choix qui a été fait : les crédits de la politique de l'emploi baissent d'environ 2 milliards, alors que la baisse du chômage n'est pas encore avérée.
Le budget que vous nous présentez doit mettre en oeuvre le PIC annoncé par le Gouvernement. Sur le principe, cet effort en faveur de la formation est louable. Toutefois, l'analyse des crédits me laisse dubitatif. D'abord, les crédits présentés comme relevant du PIC sont gonflés par l'intégration de dispositifs comme la Garantie jeunes, qui existe déjà et qu'il aurait de toute façon fallu financer. En outre, le fonds de concours provenant de France compétences est intégré dans le PIC alors qu'il correspond à la réorientation des crédits auparavant dépensés par les organismes paritaires collecteurs agréés et le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. Si l'on considère le programme 103, les crédits de paiement du PIC baissent même en réalité de 40 millions.
Le projet de loi de finances décline les dispositions de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Lors de votre audition par notre commission le 19 juin dernier, vous aviez annoncé que le montant de la nouvelle aide unique aux employeurs d'apprentis serait de 6 000 euros la première année et de 3 000 euros la deuxième. Or il est actuellement évoqué une aide de 4 200 euros la première année. Pouvez-vous nous confirmer ce montant ? Comment justifier un tel écart ?
Un certain nombre de décrets essentiels pour la mise en oeuvre de la loi ne sont pas encore parus ou ont suscité une forte opposition de la part des partenaires sociaux. Ne craignez-vous pas des turbulences qui fragiliseraient en 2019 le regain d'intérêt pour l'apprentissage que l'on voit poindre ?
L'année dernière, le Gouvernement a choisi de relancer sans étude d'impact le dispositif des emplois francs, qui avait été un échec en 2013-2014. Vous avez annoncé devant les députés que 2 500 contrats ont été conclus depuis avril. Or, vous prévoyez d'en financer 25 000 sur la durée de l'expérimentation, qui s'arrête fin 2019. Êtes-vous certaine de parvenir à cet objectif ? Pour ma part, je suis au minimum dubitatif.
Sortons légèrement du champ du projet de loi de finances : la suppression des cotisations salariales d'assurance chômage devrait être compensée à l'euro près. Or la part de CSG affectée à l'assurance chômage l'année prochaine ne représenterait que 14 milliards. Il manquerait donc environ 200 millions pour une compensation intégrale. On se souvient des conditions dans lesquelles le Président de la République a demandé aux partenaires sociaux de retourner à la table des négociations, notamment pour dégager des économies. Le Gouvernement a-t-il prévu de garantir les recettes de l'Unedic ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Les 15 milliards d'euros au titre du PIC sont pour la formation des jeunes et des demandeurs d'emploi. Une petite partie va à l'éducation nationale et à l'enseignement supérieur, notamment pour favoriser l'innovation. La Garantie jeunes relève bien des parcours pour l'emploi. Il est donc logique qu'elle soit dans le PIC.
Certes, le budget baisse de 2 milliards par rapport à 2018. Mais cela s'explique pour 1 milliard par la fin des aides à l'embauche de TPE-PME et pour 900 millions par la baisse des contrats aidés. Dans les deux cas - cela représente au total, 1,9 milliard, soit la quasi-totalité de la baisse -, les politiques mises en oeuvre ne seront pas affectées. En revanche, nous bénéficierons d'un milliard et demi d'euros supplémentaires grâce au fonds de concours pour le PIC. Ainsi, alors que mon budget baisse de 2 milliards, nous aurons paradoxalement plus de moyens qu'en 2018.
En 2013, les emplois francs avaient effectivement échoué ; il y avait eu au total 250 contrats. Nous avons donc modifié le dispositif. Certes, cela a été un peu plus long à démarrer que nous ne l'aurions espéré. En effet, il s'agit d'aider à l'embauche de personnes dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Or, la plupart des embauches ne se font pas dans ces quartiers. Mais, depuis quelques semaines, cela démarre fortement, et 80 % des embauches sont en contrat à durée indéterminée. Il s'agit de publics vivant des discriminations et ayant trois fois moins de chance d'être recrutés à qualification égale.
Sur les cotisations salariales, il y a bien un engagement de l'État pour compenser l'Unedic à l'euro près.
J'ai effectivement évoqué le chiffre de 6 000 euros pour l'aide unique. Mais c'est une moyenne entre les trois premières années. Pour les contrats d'apprentissage, qui durent trois ans, ce sera plus. Dans d'autres cas, ce sera moins.
La quasi-totalité des décrets d'application de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel sont aujourd'hui devant le Conseil d'État. Mon objectif est qu'ils soient tous publiés d'ici janvier. En attendant, nous informons les acteurs concernés du contenu de ces décrets à venir.
J'ai demandé aux branches de définir leur coût au contrat au cours du premier trimestre pour que les centres de formation des apprentis aient de la visibilité pour l'année d'après. Nous publions aussi ces jours-ci un kit pour la création des centres de formation d'apprentis. Nous constatons un frémissement. Avec Jean-Michel Blanquer, nous avons eu la bonne surprise de voir qu'il y avait eu 45 % de demandes en plus dans le logiciel de voeux à la sortie de la troisième. Cela ne s'était jamais produit en France. Il y a donc une vraie dynamique. Je rencontre individuellement tous les présidents de région, qui auront l'entière compétence en 2019, pour faire en sorte que la loi s'applique en bonne intelligence.
M. Michel Forissier, rapporteur pour avis. - Il y a, me semble-t-il, une concurrence entre les emplois francs et le plan de lutte contre la pauvreté et le chômage de longue durée, deux dispositifs qui sont à titre expérimental.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Le plan d'insertion professionnelle, qui est un des volets de la stratégie de lutte contre la pauvreté, est concerné par les crédits.
Il n'est pas facile de vaincre la discrimination. L'argent n'est qu'un indicateur. Il faut faire évoluer les mentalités. Les emplois francs concernent un public spécifique. Du point de vue démocratique, il est très important que des jeunes issus de quartiers difficiles ayant fait l'effort de suivre des études puissent trouver un emploi, non seulement pour eux, mais également pour d'autres jeunes auxquels ils peuvent servir de modèle. Je ne crois pas que ce dispositif concurrence les autres mesures ; les publics visés sont très différents. D'ailleurs, peu importe que les dispositifs se fassent concurrence ; l'important est qu'ils soient efficaces. Je fais le choix de la déconcentration et de la fongibilité, donc de la souplesse. Il faut permettre à nos concitoyens qui n'ont ni qualification ni réseau d'accéder à l'emploi.
Mme Frédérique Puissat. - Le projet de loi de finances réduit de 400 postes les effectifs de Pôle Emploi, après la bascule, dont la mise en oeuvre semble rassurante, de 300 conseillers vers des missions de contrôle, conformément à la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Nous sommes confrontés au double défi de la diminution des dépenses publiques, à laquelle contribue la réduction des effectifs, et de la visibilité. Je salue à cet égard le lancement d'une expérimentation relative au rapprochement entre Pôle Emploi, Cap Emploi et les missions locales. Nous montrons-nous, pour autant, suffisamment clairvoyants quant à l'avenir de Pôle Emploi ? La grève du 20 novembre a rassemblé l'ensemble des syndicats, signe d'un véritable malaise social et d'une communication perfectible à l'endroit des agents.
La seconde question porte sur la permittence, dont nous avons débattu à de multiples reprises. La délégation sénatoriale aux entreprises a commandé une étude à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) : le Gouvernement en tiendra-t-il compte, notamment s'agissant du bonus-malus qui pèse sur nos entreprises comme une épée de Damoclès ?
M. Philippe Mouiller. - Je salue, pour ma part, l'effort porté sur les entreprises adaptées. Prenons toutefois garde d'éviter la contradiction avec la mise en place de nouvelles règles de calcul en matière d'obligation d'emploi des travailleurs handicapés et le risque de recul du volume d'activité. Comment, par ailleurs, améliorer la fluidité entre les entreprises adaptées et les entreprises ordinaires ? Qu'en est-il du développement annoncé d'un service public de l'insertion ? Comment, enfin, s'organise la coordination entre les contrats aidés, les entreprises adaptées, les chantiers d'insertion et les autres dispositifs d'insertion par le travail ?
Mme Nadine Grelet-Certenais. - Je regrette la remise en cause de plusieurs dispositifs, ainsi que la suppression de nombreux postes. Les missions locales font montre d'une intense inquiétude face à l'expérimentation d'un rapprochement avec Pôle Emploi. Elles craignent de perdre leur indépendance, alors que les collaborations existent déjà et fonctionnent de façon satisfaisante. Je regrette également la suppression de l'exonération, qui s'élevait à 2 milliards, pour les entreprises de petite taille en zones rurales : votre décision pèsera sur les jeunes éloignés de l'emploi qui ne bénéficient pas des mêmes dispositifs que ceux des quartiers populaires.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - S'agissant des centres de formation des apprentis (CFA), vous avez évoqué un appel à projet pour expérimenter des approches innovantes. J'y suis favorable, mais les établissements eux-mêmes ne doivent pas être laissés pour compte. En Lot-et-Garonne, nous souhaitons que l'État participe à la rénovation du CFA, qui n'a fait l'objet d'aucune réfection depuis sa construction en 1968. Plus ancien centre de la région, il accueille 800 apprentis. Il convient de le maintenir en état si nous souhaitons que l'offre d'apprentissage demeure attractive. Le Gouvernement envisage-t-il d'intervenir ? Concernant le plan de transformation de l'AFPA, qui enregistre une perte de 70 millions en 2018, des fermetures de sites sont-elles envisagées ?
M. Jean-Marie Morisset. - Vous portez l'ambition de soutenir le travail et d'investir dans l'avenir, mais, paradoxalement, votre budget diminue. Il est vrai, néanmoins, que vous avez procédé à quelques ruptures par rapport au quinquennat précédent. Le coup de frein porté, pour la deuxième année consécutive, aux contrats aidés, qui s'établiront à 100 000 en 2019 contre 170 000 en 2018, pèse sur les territoires ruraux, où les associations, les collectivités territoriales et les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) usent fréquemment du dispositif. En outre, la gestion du fonds d'inclusion par les préfets de région peut conduire à pénaliser les contrats aidés. Il conviendrait que leur affectation soit décidée par une instance de concertation locale.
Je regrette l'absence des maisons de l'emploi dans le présent projet de loi de finances. Quand disposerons-nous des résultats de l'évaluation prévue ? Dans mon département, l'expérimentation du dispositif « zéro chômeur de longue durée » paraît encourageante. Pourquoi, dès lors, attendre 2020 pour la généraliser à l'ensemble du territoire national ? Je déplore également la diminution de 85 millions de la subvention de l'État à Pôle Emploi et m'interroge sur le maintien du soutien de l'Unedic aux missions locales - elle finance 10 % de leur budget - dans un contexte de grandes difficultés budgétaires. Je vous rappelle enfin que les fonds européens que vous vous plaisez à évoquer ne représentent pas le mode de financement le plus aisé pour les porteurs de projets.
Mme Corinne Féret. - Nous assistons, pour la deuxième année, à une réduction drastique des contrats aidés, aux dépens des populations qui ont le plus besoin d'accompagnement. Sous le prétexte fallacieux d'une sous-consommation de l'enveloppe budgétaire dédiée en 2018, vous en réduisez le nombre à 100 000 en 2019. Vous auriez dû davantage vous interroger sur les raisons de la sous-consommation constatée, due notamment au renforcement des exigences en matière de formation et à la réduction du taux de prise en charge par l'État qui ont conduit les employeurs à se détourner du dispositif. Les missions locales, quant à elles, se voient amputer de 8 millions d'euros en 2019, alors que le Gouvernement souhaite amplifier le dispositif « garantie jeunes » qu'elles accompagnent, au bénéfice de 100 000 personnes. L'expérimentation de leur fusion avec Pôle Emploi remet en cause, à mon sens, la spécificité de leur action auprès des 18-25 ans, d'autant que 30 % des jeunes qu'elles accompagnent ne sont pas inscrits à Pôle Emploi. Le recul de 5 % du soutien de l'État à Pôle emploi et la croissance de 3 % du nombre de personnes suivies entraînent une augmentation de 5 % de la charge de travail de chaque agent. Les offres d'emploi signalées ont crû de 30 % en cinq ans : le bilan est positif, mais pour que Pôle Emploi accompagne et suive efficacement les chômeurs, les financements de l'État doivent être maintenus. J'évoquerai enfin les maisons de l'emploi, que l'Assemblée nationale a doté, par voie d'amendement, de 5 millions d'euros. Cette dotation semble très insuffisante au regard de leur rôle dans les territoires. En outre, les financements par appel à projet comportent des limites et ne sont pas pérennes. Je rejoins enfin notre collègue Jean-Marie Morisset : dans le Calvados, le dispositif « zéro chômeur de longue durée » fonctionne de façon satisfaisante. Son extension est-elle prévue et, le cas échéant, dans quel délai ?
Mme Monique Lubin. - Les contrats aidés subissent une diminution des crédits et, concomitamment, un renforcement des exigences de formation, entraînant un recul du nombre de bénéficiaires. Au contraire de leurs besoins, les plus fragiles sont exclus du dispositif. Les missions locales réalisent un travail de qualité. Après un délai d'installation, elles ont gagné en crédibilité et sont désormais arrivées à maturité, capables de gérer le dispositif « garantie jeunes ». Une fusion avec Pôle Emploi ferait disparaître la spécificité de leur action auprès des jeunes éloignés de l'emploi. Je ne suis pas non plus certaine que les collectivités territoriales, premiers financeurs des missions locales, maintiendraient le niveau de subvention à une structure fusionnée.
Vous avez évoqué, madame la ministre, l'augmentation des crédits destinés aux services à la personne. Cet effort poursuit-il l'objectif d'une croissance de l'emploi dans le secteur ou d'une revalorisation de ces métiers ? Ces derniers sont hélas pénibles, mal payés et, partant, dévalorisés. Pour attirer les chômeurs, il convient donc d'améliorer la qualité des emplois proposés. Il en va de même des contrats saisonniers, dont les bénéficiaires ne peuvent obtenir de prime de précarité à leur issue. La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels exigeait la remise au Parlement d'un rapport portant bilan des négociations sociales sur la réduction de la précarité de ces contrats. Cette demande a-t-elle été honorée ?
M. Daniel Chasseing. - J'admire votre volonté de favoriser l'insertion par l'activité économique et par la formation, dont la loi du 5 septembre 2018 constitue la traduction. Envisagez-vous une expérimentation des emplois francs, que je soutiens, dans les territoires ruraux ? J'approuve également la simplification des aides à l'apprentissage et la suppression du recours aux Prud'hommes, qui freinait les embauches. L'augmentation du nombre d'entreprises adaptées mérite aussi d'être saluée, dans un contexte où 20 % des personnes handicapées se trouvent au chômage. Je m'interroge sur le financement effectif, par les régions, des CFA dans les territoires ruraux. Je rejoins enfin madame Lubin : les emplois à la personne sont trop fragiles ; les salaires doivent être revalorisés.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - La subvention de l'État à Pôle Emploi diminue effectivement de 85 millions. Mais il convient de rappeler qu'un effort du même ordre est demandé à l'ensemble des opérateurs et qu'il doit être relativisé au regard des 5 milliards d'euros de son budget. En outre, la contribution de l'Unedic, assise sur une masse salariale dynamique, devrait parallèlement croître de 100 millions en 2019. Mêmement, après une réduction de 300 postes, les effectifs de Pôle Emploi seront diminués de 400 équivalents temps plein, soit un effort de 0,86 % sur un total de 46 000 postes. L'effort sera, en outre, absorbé par la dématérialisation de certaines tâches, qui permettra d'économiser des emplois au profit des missions d'accompagnement. Le climat social sera évoqué lors du prochain conseil d'administration, qui se tiendra préalablement à la signature, avant le 31 décembre, de la prochaine convention triennale.
Cap Emploi, qui aidait les chômeurs handicapés, a été intégré en 2018 à Pôle Emploi : son identité n'a pas pour autant été absorbée, tandis que les démarches des demandeurs d'emploi s'en sont trouvées simplifiées et les compétences de Pôle Emploi élargies. Il peut donc y avoir intégration sans fusion ! Certaines missions locales collaborent efficacement avec Pôle Emploi, d'autres moins. Notre objectif consiste à renforcer cette coopération, en partageant a minima les systèmes d'information pour un meilleur accès aux offres d'emploi. Certains élus souhaitent expérimenter l'intégration dans une structure unique ; nous leur en donnons la possibilité. Le financement des missions locales, assumé à 53 % par l'État, est porté à 356 millions en 2019 contre 360 millions en 2018. L'effort demandé paraît minime par rapport à celui imposé à d'autres dispositifs ! Leur rôle auprès des jeunes éloignés de l'emploi est effectivement essentiel. Le ministère lancera prochainement un appel à projet pour démarcher ceux que je nomme les invisibles. À cet égard, je vous indique que Patrick Toulmet, président de la Chambre des métiers et de l'artisanat de Bobigny, a été nommé délégué interministériel pour le développement de l'apprentissage dans les quartiers relevant de la politique de la ville, où ce type de formation est deux fois moins développé qu'ailleurs.
La loi du 5 septembre 2018 a confié aux régions, déjà en charge des lycées professionnels, la compétence relative à l'investissement dans les CFA, en lien étroit avec les branches professionnelles. Elle n'a, en revanche, pas levé les freins au développement de l'apprentissage dans les collectivités territoriales. Nous y travaillerons. En 2020, 250 millions seront consacrés aux CFA dans les territoires ruraux, mais, en 2019, la compétence de fonctionnement demeure dévolue aux régions.
Le dispositif « zéro chômeur de longue durée » sera expérimenté dans les dix territoires choisis jusqu'en 2020. Nous accompagnons, à hauteur de 17 000 euros par poste, sa montée en charge, avec 1 270 emplois équivalent temps plein en 2019 ; contre seulement 650 en 2018. L'évaluation qui en sera faite devra se pencher sur les externalités positives du dispositif pour les collectivités territoriales, dans la mesure où des dépenses actives remplacent des dépenses passives. Elle devra également envisager la frontière, ténue, entre l'activité des entreprises aidées et celle des petites entreprises du territoire concerné qui s'en trouveraient concurrencées.
J'assume la transformation des contrats aidés en parcours emploi compétences. Le dispositif initial n'affichait, en effet, qu'un taux de 27 % d'insertion professionnelle durable, soit un résultat décevant comparé à d'autres mesures. Notre approche est qualitative : la demande a certes diminué, mais, surtout, elle a changé au profit d'une meilleure formation, d'une véritable acquisition de compétences et du développement de projets professionnels. Pensez que 42 % des bénéficiaires sont des chômeurs de longue durée, 21 % des allocataires du revenu de solidarité active (RSA), 18 % des personnes handicapées et 13 % des habitants de quartiers prioritaires : l'objectif d'insertion est primordial ! Nous devons également investir dans d'autres dispositifs plus performants que les contrats aidés, comme les entreprises adaptées et les entreprises d'insertion par l'activité économique, qui s'adressent aux publics en grande difficulté avec des taux d'insertion compris entre 50 % et 75 %.
Depuis la décentralisation, l'AFPA se trouve dans une situation économique dégradée. Elle perd régulièrement les appels d'offre auxquels elle candidate en raison du prix élevé des prestations proposées et, parfois, de leur inadéquation aux besoins de formation. Elle a ainsi accusé une perte d'exploitation cumulée de 723 millions sur les cinq derniers exercices, dont plus de 70 millions en 2018, que l'État ne peut indéfiniment compenser. Dès lors, la nouvelle gouvernance de l'AFPA a proposé un plan de redressement et de développement : 1 500 postes seront supprimés sur un total de 8 000 et certains sites seront fermés. Pensez que, parfois, le nombre de formateurs est supérieur à celui des stagiaires ! Parallèlement, certains secteurs seront développés - je pense au programme Hope dédié aux réfugiés et confié à l'AFPA ou à la mise en service de centres de formation mobiles - et, à cet effet, 630 postes seront créés. Je suis convaincue que cette évolution se fera d'une façon socialement responsable.
Oui, il y a une gradation entre les établissements et les services d'aide par le travail, l'entreprise adaptée et l'emploi non subventionné, qu'il faut encore assouplir - dans les deux sens - avec pour objectif l'inclusion dans l'emploi ordinaire. L'accord du 12 juillet, très ambitieux, va doubler la capacité d'accueil dans les entreprises adaptées tout en accroissant la performance sociale : jusqu'à présent, les entreprises adaptées avaient intérêt à conserver les travailleurs capables d'occuper des emplois ordinaires, ce qui était absurde.
La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel ne change pas la règle des 6 % en matière d'obligation d'emploi de travailleurs handicapés. Le secteur privé est à 3,2 %, ce qui est encore loin du compte. Désormais, cette obligation sera calculée par entreprise et non plus par établissement, ce qui ouvrira 100 000 postes supplémentaires. Comme il y a 500 000 demandeurs d'emploi en situation de handicap, un tel appel d'air sera bienvenu. Autre modification : les entreprises pouvaient se décharger de l'obligation par la sous-traitance. Elles pourront toujours le faire, mais on comptera en somme et non plus en postes. Ce sera neutre financièrement mais plus responsabilisant pour les entreprises, qui devront afficher le nombre réel d'embauches en leur sein. L'insertion par l'activité économique concerne de plus en plus de personnes en situation de handicap, notamment psychique. Sur ce sujet comme sur d'autres, nous ne renonçons pas : nul n'est inemployable, il faut simplement un marchepied pour aider nos concitoyens les plus vulnérables.
L'accompagnement spécifique qui a été voté dans le PLFSS est un soutien renforcé, et la baisse générale du coût du travail doit renforcer l'effort vers les aidants. Ce secteur, qui a du mal à recruter, est l'un de ceux qui utilisent le plus les contrats extrêmement courts. Sur les contrats aidés, il y a une exigence qualitative, et la transformation du CICE en baisse de charges va apporter l'année prochaine 1,4 milliard d'euros au secteur associatif.
M. Olivier Henno. - Je ne suis pas choqué qu'on veuille rationaliser le service public de l'emploi dès lors qu'on veut maîtriser la dépense publique. Dans certains territoires, des complémentarités se sont créées entre maisons de l'emploi, missions locales et Pôle emploi. Ailleurs, il peut y avoir des doublons ou des triplets. Si ces structures se regroupent, ne pourrait-on saisir l'opportunité pour impliquer davantage les acteurs locaux dans le pilotage du service public de l'emploi ? Ils participent déjà à la gouvernance des missions locales et des maisons de l'emploi, mais un peu moins à celle de Pôle emploi.
Mme Martine Berthet. - En amont de la transformation du système de formation professionnelle que vous souhaitez mettre en oeuvre, prévoyez-vous une revalorisation en direction de tous les âges - et pas seulement des scolaires - de l'image de certains métiers ? Je pense par exemple aux aides-soignantes, dont les Ehpad ont grand besoin : une école d'aides-soignantes que je connais propose 24 places et n'a reçu que 5 demandes ! Il y a aussi l'industrie, et bien d'autres secteurs... Quelle part de votre budget est consacrée à cette indispensable revalorisation de l'image de certains métiers ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je regrette la suppression du financement des maisons de l'emploi, qui jouent un rôle important dans la gouvernance territoriale du service public de l'emploi. On ne fait pas suffisamment confiance aux acteurs locaux, comme je l'ai rappelé au directeur général de Pôle emploi. Pour ma part, j'ai rapproché la maison locale et le plan local pluriannuel pour l'insertion et l'emploi et cela a accru la coordination et rationalisé l'usage des moyens en clarifiant la gouvernance. Le but n'est pas de faire des économies, cela dit, mais d'être plus efficace : à cet égard, le pilotage par les élus est essentiel, parce qu'ils connaissent le terrain et son économie.
La loi sur l'avenir professionnel transfère l'orientation à la région. Les psychologues de l'Éducation nationale sont quasiment intégrés dans les collèges ou les lycées, leur mission n'est pas définie et les régions n'ont pas l'air de se saisir du dossier. Inquiétant. Vous avez mentionné 124 millions d'euros transférés à l'Éducation nationale : à quoi seront-ils employés ?
M. Dominique Théophile. - Votre budget est offensif : faire mieux avec moins. Quelle part sera consacrée au soutien des entreprises outre-mer, où près de 50 % des jeunes sont au chômage, soit deux fois plus qu'en métropole ? Comment y sera décliné le PIC ? Y aura-t-il en 2019 une expérimentation outre-mer des emplois francs dans les quartiers prioritaires de la ville ? Ce dispositif pourrait redonner de l'espoir aux jeunes éloignés de l'emploi.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Ce PLF, marqué par des réductions budgétaires, prolonge la politique engagée l'année dernière. Les crédits de la mission « Travail et emploi » baissent de 496 millions en autorisations d'engagement et de 2,9 milliards en crédits de paiement. On était encore en 2018 à 15 milliards d'euros, auxquels s'ajoutaient 1,5 milliard consacrés au financement national de la modernisation de l'apprentissage. La baisse globale atteint les 3 milliards. Certains opérateurs nécessaires à l'insertion professionnelle vont perdre des moyens. Et des contrats aidés utiles à des collectivités territoriales, qui vont déjà bien mal, vont disparaître.
Il y a eu récemment une importante manifestation contre les violences faites aux femmes et les inégalités entre les femmes et les hommes au travail. Quelles mesures ce PLF prévoit-il pour lutter contre ce phénomène ? Il faudrait notamment contrôler mieux et sanctionner plus souvent les entreprises réfractaires.
M. Martin Lévrier. - En fin de troisième, le nombre de jeunes intéressés par l'apprentissage a crû de 40 %, dites-vous. Combien s'y engagent réellement ? Sont-ils financés ? Le produit de la taxe d'apprentissage n'est pas extensible. A-t-on observé un frémissement pour l'année prochaine ?
Mme Patricia Schillinger. - J'ai interrogé la directrice de Pôle Emploi de ma région sur l'explosion du chômage des seniors. Elle m'a dit qu'il fallait être réactif. Avez-vous prévu des crédits spéciaux pour leur formation ?
M. Jean Sol. - Je salue le plan ambitieux en matière d'emploi que vous nous présentez ce soir. De nombreux jeunes font l'effort non seulement de se former mais aussi, parfois, de se réorienter. Il leur est alors reproché leur manque d'expérience. Que leur dites-vous ? Les assistants de vie scolaire sont déterminants pour l'inclusion scolaire, notamment des enfants handicapés. Envisagez-vous de renforcer leur statut ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Je suis favorable à une gouvernance partagée avec les collectivités territoriales en cas de rapprochement des différentes structures du service public de l'emploi, car c'est au plus près du terrain qu'on trouve le mieux les solutions - ne fût-ce qu'au sein de comités d'orientations dotés de vraies prérogatives.
La loi a prévu 54 heures de découverte des métiers, chaque année, pour tous les jeunes de la quatrième à la première. Cela fait donc 2,5 millions de jeunes chaque année ! On n'a jamais fait cela. C'est aussi exaltant que nécessaire. Les régions travaillent avec les rectorats et l'idée est de commencer cette année par les secondes avant d'élargir à toutes les autres classes les années suivantes. Les modalités seront diverses, et iront du témoignage de chefs d'entreprises, d'artisans ou de jeunes apprentis passionnés par leur métier aux visites d'entreprises ou de « l'Usine extraordinaire » ou au speed dating. Certains métiers, dans l'industrie, ont changé du tout au tout ! Cet énorme travail mettra plusieurs années à porter ses fruits, mais tout le monde va s'y mettre et la découverte de métiers va entrer dans la culture.
Le développement de l'intérêt pour l'apprentissage est une bonne surprise. Les débats sur la loi, les travaux préparatoires du Sénat et de l'Assemblée nationale n'y sont pas étrangers. Les médias se sont aussi emparés du sujet, aussi, et, en un an, l'image de l'apprentissage a changé. De fait, c'est une voie de réussite où l'on peut exceller. Le Conseil national de l'industrie s'est engagé à créer plus de 40 000 places d'apprentis et l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat, plus de 60 000. Il faut porter l'offre à hauteur de la demande ! Dès à présent, le ministre de l'Éducation nationale et moi- même avons demandé aux préfets et aux recteurs de mobiliser immédiatement les entreprises sur ce point.
Les 124 millions d'euros qui sont transférés de mon budget à celui du ministère de l'Éducation nationale correspondent, à l'euro près, aux 30 000 contrats aidés des assistants de vie scolaire. Le ministère de l'Éducation nationale va progressivement leur procurer des emplois permanents et mieux qualifiés. Dès cette année, 10 000 seront créés. C'est vital : pas d'entreprise inclusive sans école inclusive !
La revalorisation de l'image de certains métiers n'est pas tant un problème de budget que de mobilisation générale. L'industrie a détruit un million d'emplois en quinze ans, et tout le monde a arrêté d'y chercher des emplois. À présent, elle cherche désespérément des jeunes. C'est aussi pour cela qu'elle s'engage massivement sur l'apprentissage : on ne peut pas créer ex nihilo des soudeurs ou des techniciens supérieurs. À chaque fois qu'on valorise l'apprentissage, on contribue à restaurer la valeur travail et l'image de certains métiers. Certains ont changé, notamment dans l'industrie. La transition numérique et la transition écologique ont un fort impact sur le bâtiment et l'artisanat. Pour certains métiers, ce sont les conditions même de travail qui ont besoin d'être revalorisées. Je pense par exemple à l'aide à la personne, ou à l'hôtellerie-restauration. D'une manière générale, les jeunes ne connaissent pas les métiers. Souvent, ils ne connaissent que ceux de leurs parents - et, pour certains entre eux, leurs parents n'ont jamais travaillé, ce qui ne les aide pas à se représenter le travail !
Pour lutter contre la précarité, il existe des outils qui pourraient être développés, comme le CDI intérimaire, qui donne à l'employé la capacité à se projeter, à trouver un logement et disposer d'une autonomie tout en étant placé dans les entreprises, surtout de petite taille, qui n'ont pas de besoins permanents. Les groupements d'employeurs sont aussi une très bonne solution pour garantir à la fois de la flexibilité pour l'entreprise et la sécurité d'un CDI. Nous augmentons d'ailleurs les aides aux groupements d'employeurs.
Pour les outre-mer, l'État déploie 16,7 milliards de crédits de paiement en 2019, dont 777 millions sur les crédits de la mission « Travail et emploi ». Le PIC se focalise aussi sur les outre-mer, puisque 7,7 % des moyens régionaux, soit 500 millions, sont consacrés aux territoires ultramarins, qui représentent 3,3 % de la population nationale. J'étais il y a quelques jours à la Réunion et à Mayotte, et je connais les chiffres du chômage des jeunes. Cela demande des efforts à proportion des besoins. Avec la ministre des outre-mer, nous avons prévu dans le PIC un axe d'initiatives territoriales spécifique aux territoires d'outre-mer. Nous devons aussi y encourager la création d'emplois, notamment sur les territoires insulaires, sinon nos efforts de formation auront un impact limité. Les écoles de la deuxième chance et le service militaire adapté ont des effets très bénéfiques.
Je ne veux pas empiéter sur les prérogatives de la secrétaire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les discriminations. Nous avons une action forte sur ce sujet, puisque la loi sur l'avenir professionnel instaure des référents « ressources humaines » dans toutes les entreprises de plus de 250 salariés et dans les comités sociaux-économiques. Nous publions des guides pour aider les entreprises à sanctionner le harcèlement, et les inspecteurs du travail seront tous formés. Le 22 novembre, l'ensemble des partenaires sociaux, avec qui nous avions travaillé pendant trois mois, ont réagi positivement aux mesures, issues de la concertation, que nous avons prises en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Dans la loi sur l'avenir professionnel, nous avons prévu de fixer une obligation de résultat sur l'égalité salariale, dont nous avons annoncé jeudi dernier les modalités d'application. Les partenaires sociaux ont tous fait des propositions extrêmement approfondies.
Les demandeurs d'emploi de longue durée seniors sont évidemment un public-cible pour le PIC, pour les parcours emploi compétence et pour l'ensemble de nos dispositifs. Au cours des derniers trimestres, nous avons enregistré une légère baisse du chômage des jeunes et des seniors - mais on vient de loin. De plus, le nombre de CDI a crû de 14 %. Si les entreprises ne cherchent que des hommes entre 28 et 38 ans, ayant les mêmes diplômes et les mêmes qualifications, avec dix ans d'expérience, n'ayant jamais été au chômage et qui habitent dans les beaux quartiers, elles ne trouveront pas ! Mais beaucoup d'autres Français veulent travailler, heureusement.
Je parlais ce matin des frontaliers avec le président de la région Grand-Est. C'est un sujet compliqué : on les qualifie et ils partent travailler en Suisse ou au Luxembourg... Du coup, nos régions frontalières manquent de main-d'oeuvre. Ce sont aussi des discussions que nous avons en bilatéral avec nos voisins. J'ai par exemple obtenu du Luxembourg qu'il prenne en charge l'assurance chômage des Français travaillent sur son territoire.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 55.
Mercredi 28 novembre 2018
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 8 h 30
Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Travail et emploi » - Examen du rapport pour avis
M. Alain Milon, président. - Ainsi que je l'évoquais hier soir à l'issue de l'audition de Mme Pénicaud, l'Assemblée nationale n'a pas achevé l'examen en nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, dont le texte n'a donc pas pu nous être transmis cette nuit. L'Assemblée nationale ne reprendra ses travaux sur le PLFSS que ce soir. Je me vois donc contraint de reporter l'examen de notre rapport demain matin, jeudi 29 novembre à 8 h 30. Venons-en à la mission « Travail et emploi ».
M. Michel Forissier, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Travail et emploi ». - Les derniers chiffres, ceux du troisième trimestre 2018, montrent que la baisse du chômage observée depuis la fin du quinquennat précédent demeure très limitée. En effet, le taux de chômage s'est maintenu au troisième trimestre et ne baisserait que de 0,5 point sur un an pour s'établir à 9,1 %. La situation du marché de l'emploi demeure donc préoccupante.
Dans ce contexte, les crédits de la mission « Travail et emploi » baisseraient de près de 3 milliards d'euros. Certes, cette baisse s'explique en partie par des effets de périmètre, et notamment par la suppression de dispositifs spécifiques d'exonération, consécutive à l'augmentation des allègements généraux, qui sont compensés, non pas par des crédits budgétaires, mais par l'affectation de recettes fiscales. À périmètre constant, les crédits de la mission baisseraient tout de même de 2 milliards d'euros.
Pour l'essentiel, cette baisse des crédits résulte, d'une part, du recentrage du recours aux contrats aidés sur les publics les plus éloignés de l'emploi, d'autre part, de l'extinction progressive de dispositifs qui ont fait la preuve de leur échec, et dont la suppression a été décidée par le Gouvernement actuel ou le précédent.
Je partage globalement la philosophie du Gouvernement sur les contrats aidés et je note que la réduction des moyens qui leur sont alloués s'accompagne d'une hausse des crédits dédiés à l'insertion par l'activité économique. De même, le Sénat a eu l'occasion d'approuver la suppression de certains dispositifs peu efficaces, comme les contrats de génération ou les dispositifs de préretraite.
L'année 2019 doit marquer la première année pleine de mise en oeuvre du plan d'investissement dans les compétences, le PIC, qui serait doté de 2,5 milliards d'euros en crédits de paiement et 3 milliards d'euros en autorisations d'engagement. Une action forte en faveur de la formation des demandeurs d'emploi et des jeunes décrocheurs est tout à fait nécessaire et les crédits demandés à ce titre semblent tout à fait pertinents.
L'effort affiché par le Gouvernement doit toutefois être fortement relativisé. En effet, une partie importante des crédits présentés comme relevant du PIC finance en fait des dispositifs déjà existants qu'il aurait bien fallu financer, même en l'absence de plan spécifique. Il en est ainsi de la garantie jeune, qui représenterait près de 500 millions d'euros en 2019. La progression des crédits du programme 102 au titre du PIC est même gonflée quelque peu artificiellement par l'inscription sous ce label de dispositifs qui étaient présentés dans d'autres enveloppes en 2018, comme les parcours contractualisés d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie ou la rémunération de fin de formation. En outre, le programme 103 doit bénéficier d'un fonds de concours de 1,5 milliard d'euros provenant de la future agence France compétences en application des nouvelles modalités de collecte et de répartition de la contribution des entreprises au financement de la formation professionnelle.
L'année 2019 marquera, par ailleurs, la première année de mise en oeuvre de la loi du 5 septembre dernier pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Cette loi a prévu un certain nombre de changements dans la gouvernance et le financement de la politique de formation professionnelle. Il est regrettable de constater que très peu des mesures d'application nécessaires ont à ce jour été publiées. Notamment, le montant de l'aide unique aux employeurs d'apprentis n'est pas encore connu et les annonces du Gouvernement sont nettement en deçà de ce qui nous avait été annoncé au moment des débats sur le projet de loi.
Avant d'évoquer les articles rattachés, je souhaite aborder un point qui sort du cadre du PLF, mais qui relève de la politique de l'emploi.
La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a prévu la suppression des contributions salariales d'assurance chômage. Cette suppression devait être intégralement compensée à l'Unedic par l'État. Or l'affectation d'une part de CSG se traduit dès 2019 par une perte de recettes de 200 millions d'euros pour l'assurance chômage. À long terme, la CSG étant moins dynamique que les cotisations salariales, la trajectoire de solde pourrait s'en trouver dégradée. Mme la ministre a confirmé la compensation, hier, mais nous ne voyons rien venir pour l'instant dans les textes financiers.
Deux articles sont rattachés à la mission « Travail et emploi ». L'article 84 révise les conditions de versement de l'aide en cas d'activité partielle. Il est proposé de ramener de quatre à un an le délai dont les entreprises disposent pour demander le versement de cette aide et de prévoir des sanctions en cas de fraude. L'article 84 bis, inséré par l'Assemblée nationale, crée une contribution de 25 millions d'euros de l'association de gestion du fonds de développement pour l'insertion professionnelle des handicapés, l'Agefiph, pour le financement des entreprises adaptées.
Faute de pouvoir majorer les crédits demandés, et tout en constatant que les résultats de la politique menée en matière d'emploi ne sont encore que peu visibles, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission et des articles rattachés, ainsi que du compte d'affectation spéciale pour le financement de l'apprentissage.
Si cela ne doit pas conditionner la position de notre commission, je précise que la commission des finances a aussi émis un avis favorable, sous réserve de l'adoption d'un amendement de ses rapporteurs spéciaux tendant à augmenter les crédits dédiés aux maisons de l'emploi. Je serai à titre personnel favorable à cet amendement.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Les contrôles menés par l'inspection du travail doivent être renforcés, ce dont nous nous félicitons, mais comment celle-ci pourra-t-elle mener à bien ses missions, alors que ses effectifs sont en baisse ?
M. Michel Forissier, rapporteur pour avis. - Effectivement, si les moyens ne sont pas mis en place, cela sera compliqué. Je voudrais ajouter une réflexion quant à la situation de l'emploi. On constate dans certains bassins économiques que l'activité reprend sans création d'emplois. C'est plutôt inquiétant.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Travail et emploi ».
Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Régimes sociaux et de retraite - compte d'affectation spéciale pensions » - Examen du rapport pour avis
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite ». - Pour la seconde année consécutive, notre commission examine conjointement les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions ».
Cet avis budgétaire consolide notre analyse sur l'objectif de dépenses de la branche vieillesse que nous avons adopté dans le PLFSS pour 2019 : 241,2 milliards d'euros, qui couvrent les dépenses de l'ensemble des régimes de base obligatoires, y compris des régimes intégrés concernés par ces deux missions.
Le CAS « Pensions » retrace principalement les recettes et les dépenses du régime de retraite de la fonction publique de l'État, qui sont par construction équilibrées, et qui atteindront en 2019 un montant de 59 milliards d'euros.
De son côté, la mission « Régimes sociaux et de retraite » fixe les crédits budgétaires affectés aux subventions d'équilibre versées à 11 régimes spéciaux de retraite, ainsi qu'à une subvention pérenne au régime complémentaire obligatoire des exploitants agricoles. En 2019, alors que ces 11 régimes spéciaux verseront environ 9 milliards d'euros de prestations, ils bénéficieront de subventions d'un montant cumulé de 6,3 milliards d'euros, soit plus des deux tiers de leurs prestations financées par la solidarité nationale.
Dans le cadre de la mission d'information sur les conditions de réussite d'une réforme systémique des retraites en France, dont je suis le rapporteur, j'ai entendu les responsables de l'ensemble des régimes spéciaux ; et j'ai pu constater la convergence réelle de ces régimes spéciaux vers le régime général entreprise à partir de 2003 pour les régimes de la fonction publique, et de 2008 pour les autres régimes spéciaux propres à certaines branches ou entreprises publiques. Il demeure toutefois des différences structurelles qui constituent un véritable défi pour la réforme des retraites à venir. J'y reviendrai.
Le CAS « Pensions » regroupe trois programmes, dont deux concernent l'État en tant qu'employeur ou ancien employeur. Le programme 741 retrace les dépenses des pensions de retraite, ainsi que des allocations temporaires d'invalidité des fonctionnaires civils et militaires de l'État. Avec 55,4 milliards d'euros pour 2019, il représente plus de 95 % des dépenses du CAS « Pensions ». Le programme 742 concerne le Fonds spécial des ouvriers des établissements de l'État, qui verse 1,9 milliard d'euros de prestations en 2019 ; enfin, le programme 743 regroupe les pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, ainsi que les pensions ou rentes de régimes de retraite dont l'État est redevable, notamment au titre d'engagements historiques et de reconnaissance de la Nation. Ces dépenses sont financées exclusivement par la solidarité nationale et atteindront en 2019 1,7 milliard d'euros, en recul de 7,6 % par rapport à 2018, en raison d'une baisse du nombre des bénéficiaires.
La mission « Régimes sociaux et de retraite » est également composée de trois programmes, qui déterminent le montant des seules subventions d'équilibre aux régimes spéciaux. Le programme 198, relatif aux régimes sociaux et de retraite des transports, affiche une dépense de 4,2 milliards d'euros pour 2019, principalement les subventions versées aux régimes de la SNCF (3,3 milliards d'euros sur 5,4 milliards de prestations) et de la RATP (736 millions d'euros sur 1,2 milliard). Le programme 197 concerne le régime de retraite et de sécurité sociale des marins, qui comprend la subvention d'équilibre versée par l'État à la branche vieillesse de l'Établissement national des invalides de la marine, 815 millions d'euros. Enfin, le programme 195, relatif aux régimes de retraite des mines, de la Seita et divers réunit les crédits consacrés à des régimes en extinction rapide et aux caractéristiques démographiques extrêmement dégradées pour un montant de 1,3 milliard. La principale dépense correspond à la subvention d'équilibre au fonds spécial de retraite de la caisse des mineurs, d'un montant de 1,1 milliard d'euros. La subvention de 55 millions d'euros au régime complémentaire des exploitants agricoles figure également dans ce programme, ce qui constitue une curiosité car il n'est ni un régime de base ni un régime fermé. C'est d'ailleurs le seul régime complémentaire.
Les auditions des représentants de l'ensemble des régimes spéciaux m'ont fait connaître leur état d'esprit dans la perspective de la réforme systémique.
Tout d'abord, ils ont tous rappelé le très fort attachement culturel des assurés à leur régime spécial. Les régimes renvoient toujours à l'histoire sociale de notre pays, régime des mines créé sous Henri IV, celui des marins sur l'initiative de Colbert,... Le régime de retraite de la SNCF est celui des cheminots, qui entraient très jeunes « au statut », la SNCF les formant et jouant un rôle d'ascenseur social. Si leur existence mérite d'être interrogée au regard du principe d'équité, la réforme devra le faire sans pour autant « stigmatiser » leurs bénéficiaires.
Ensuite, ils s'inscrivent tous dans la dynamique lancée par le Gouvernement et rappellent les réformes actuellement menées pour faire converger certains de leurs paramètres vers le régime des salariés du privé. La réforme des retraites de 2003 comprenait l'alignement des régimes de la fonction publique sur le régime général, pour les critères à la fois de revalorisation des pensions et de durée d'assurance exigible pour le versement d'une retraite à taux plein. Le taux de « cotisation salariale » converge depuis la réforme 2010 et ce jusqu'en 2020 sur celui du régime général. Ces régimes sont depuis lors soumis aux mêmes réformes que les régimes alignés sur le régime général. Les autres régimes spéciaux, qui n'avaient jamais été concernés par les réformes des retraites depuis 1993, convergent depuis 2008 sur les régimes de la fonction publique, selon un calendrier très progressif. Les réformes de 2010 et de 2014 leur ont également été appliquées.
Tous les assurés « sédentaires » des régimes spéciaux partiront à la retraite à l'âge de 62 ans à partir de 2024, contre 2017 dans le régime général. Mais les personnels non roulants de la SNCF continueront à partir à 57 ans, contre 52 pour les personnels navigants. Pour cette raison, notre commission assortit depuis plusieurs années son vote sur la mission « Régimes sociaux» de réserves, que je vous demande de renouveler cette année encore. Je précise toutefois que l'ensemble des bornes d'âge inférieures à 62 ans, dans tous les régimes spéciaux, ont été reportées de deux ans à la suite de la réforme de 2010. Depuis le 1er janvier 2017, le taux de cotisation salariale dans les régimes spéciaux est également en train de converger sur le taux des fonctionnaires et augmentera de 2,7 points sur dix ans, et les pensions servies par les régimes spéciaux sont désormais revalorisées selon le même rythme que les pensions de la fonction publique et donc du secteur privé.
Enfin, les responsables que j'ai entendus ont insisté sur certaines spécificités qui leur semblent a priori difficilement solubles dans les axes de la réforme annoncée. La première concerne l'architecture et les règles de calcul de la pension. Les régimes de la fonction publique et les régimes spéciaux sont tous des régimes complets, qui servent une pension calculée sur le traitement de base des six derniers mois, excluant les primes, avec un taux de liquidation de 75 %. La deuxième difficulté tient à l'existence des « catégories actives » qui occupent un emploi présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles. Ces personnels peuvent partir à 57 ans dans la fonction publique, voire plus tôt dans certains régimes spéciaux. Le Gouvernement n'a encore rien annoncé à leur sujet. Nos interlocuteurs ont tous mis en avant la nécessité d'une transition suffisamment longue pour rendre acceptable le bouleversement que représenterait l'abandon de leur régime, considéré dans certaines entreprises comme « le totem des totems ».
Une réflexion générale devra être menée sur la pénibilité dans l'ensemble de la population active, avec des mécanismes clairs, ne créant pas de tensions dans les entreprises comme a pu le faire le compte personnel de prévention de la pénibilité. C'est, je crois, l'intention du Gouvernement, et nous serons attentifs à ce que le débat ait lieu suffisamment tôt pour être intégré par nos concitoyens.
En attendant, je vous propose de donner un avis favorable sur les crédits du CAS « Pensions » et de la mission « Régimes sociaux et de retraite », assorti des réserves évoquées.
M. Philippe Mouiller. - Avez-vous des informations sur l'avenir des pensions de réversion ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Nous sommes nous aussi inquiets à leur sujet. En ce qui concerne la fusion des régimes spéciaux, nous sommes opposés à tout ce qui pourrait se traduire par une baisse des pensions.
M. Martin Lévrier. - Parlez-vous des pensions de réversion déjà versées ou du dispositif une fois la réforme intervenue ?
M. Alain Milon, président. - Pour le futur.
M. Martin Lévrier. - Cela va mieux en le disant.
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. - Pour 2018, les pensions de retraite représentent 316 milliards d'euros ; les pensions de réversion 36 milliards d'euros. La solidarité, c'est 20 % du système. Nous sommes actuellement dans un système par répartition à prestations définies ; on nous annonce un système par points à cotisations définies.
À notre connaissance, il n'y a pas de remise en cause des pensions de réversion, mais la recherche d'une harmonisation entre les treize régimes de pension de réversion existant. Selon le Haut-Commissaire, la réforme entrera en vigueur cinq ans après son adoption. Je ne sais pas ce qu'il adviendra de la pension de réversion pour les retraités actuellement à la retraite et qui décéderaient plus de cinq ans après la réforme. Seront-ils concernés par ces mesures ? Il faudra être attentif.
Aujourd'hui, le niveau de vie des retraités est supérieur en moyenne à celui des salariés, mais, avec la non-revalorisation de 2018 et la sous-revalorisation décidée pour les années 2019 et 2020, les pensions auront de fait baissé, dans cinq ans. Le Gouvernement aura beau jeu de dire que sa réforme ne fera pas baisser les pensions.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions ».
Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport pour avis
M. Alain Milon, président. - La parole est à Mme Élisabeth Doineau, en remplacement de Mme Nassimah Dindar, pour la présentation de l'avis sur la mission « Outre-mer ».
Mme Élisabeth Doineau, en remplacement de Mme Nassimah Dindar, rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « Outre-mer ». - J'ai le plaisir et l'honneur de vous présenter les observations de notre rapporteure pour avis, Mme Nassimah Dindar, sur les crédits de la mission « Outre-mer » dans le projet de loi de finances pour 2019.
Mme Dindar a été contrainte de se rendre à La Réunion en raison de l'urgence de la situation sur l'île. Comme vous le savez sans doute, la contestation portée par le mouvement des « gilets jaunes » y a pris une tournure violente, et l'économie de l'île, déjà en grande difficulté, est quasiment paralysée depuis plus de dix jours. Un couvre-feu a été instauré la semaine dernière, et, à la demande de la ministre outre-mer, qui se rend aujourd'hui sur place, les prix des carburants et du gaz ont été abaissés hier.
Notre rapporteure pour avis nous avait alertés l'an passé sur la situation sociale très dégradée de la plupart des territoires ultramarins, qui en fait de véritables poudrières. Entre la fin de l'année 2016 et le début de l'année 2017, la Guyane avait été secouée par un mouvement social d'une ampleur et d'une longueur inédites depuis les émeutes de 2009. Le passage de l'ouragan Irma à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy et les difficultés sociales et sécuritaires qui en découlent appellent toujours un important effort de reconstruction. Le CHU de Pointe-à-Pitre, pivot de l'organisation des soins sur l'île de la Guadeloupe, a été largement détruit par un violent incendie en novembre 2017. Cette année, l'île de Mayotte a été le théâtre d'intenses manifestations contre l'insécurité et l'immigration illégales.
Ces difficultés remettent cruellement en lumière l'intensité des difficultés économiques, sanitaires, sociales et sécuritaires rencontrées par la plupart des territoires ultramarins. Permettez-moi de citer, à titre d'illustration, quelques chiffres qui me paraissent rendre compte de manière particulièrement parlante de la situation difficile, parfois même critique, des outre-mer sur les sujets qui intéressent notre commission.
Le chômage des jeunes culmine à des niveaux insoutenables, avec 45 à 55 % de jeunes concernés dans la plupart des outre-mer, soit la moitié d'une génération. Il est inquiétant de constater que ces chiffres sont en très nette augmentation par rapport à l'an dernier aux Antilles et à La Réunion.
Les Drom, qui ne comptent que 2,8 % de la population nationale, représentent 10 % des bénéficiaires du RSA en 2015. 19 % de la population est bénéficiaire du RSA en Guadeloupe, 16 % en Martinique, 14 % en Guyane et 18 % à La Réunion, contre 4 % dans l'hexagone.
De très graves et profondes difficultés sont également constatées dans le champ sanitaire, du point de vue de l'état de santé des populations ultramarines comme de l'offre de soins disponible sur ces territoires. Notre commission a pu le mesurer de manière très concrète lors des deux déplacements qu'elle a effectués, en 2016 et 2018, sur les territoires de l'Océan Indien et en Guyane. Mayotte et la Guyane sont particulièrement affectées par la mortalité périnatale, qui est le triple de celle constatée dans l'hexagone. Les standards de prise en charge sont encore très éloignés des normes hexagonales, du fait principalement du manque de praticiens. Ainsi, dans les maternités périphériques du centre hospitalier mahorais (CHM), les accouchements se font le plus souvent sans présence d'un médecin obstétricien. L'ensemble du territoire guyanais est déficitaire pour tous les maillons de l'offre de soins (offre médicale, PMI, prise en charge du handicap et de la dépendance, structures psychiatriques), ce qui nécessite de fréquentes évacuations sanitaires.
Sur le logement, enfin, les besoins restent immenses en matière de logement social, alors qu'une très large part de la population ultramarine y est éligible. Selon la DGOM, il serait nécessaire de disposer d'ici à 2030 de 50 000 logements supplémentaires en Guadeloupe pour répondre aux besoins, dont au moins 25 000 logements sociaux. 113 500 logements ultramarins dans les Drom sont par ailleurs considérés comme insalubres et indignes.
Face à ce sombre tableau, il faut reconnaître que le Gouvernement s'est montré particulièrement actif, en ce début de quinquennat, sur le front ultramarin. L'exécutif s'est déplacé à plusieurs reprises dans ces territoires, et a fait passer de nombreuses annonces portant sur le champ social. Lors de son déplacement aux Antilles en septembre dernier, le Président de la République a ainsi annoncé la reconnaissance de l'exposition au chlordécone comme maladie professionnelle ; après sa visite à Mayotte en octobre 2017, la ministre de la santé a annoncé la création d'une agence régionale de santé (ARS) de plein exercice sur ce territoire, ainsi que le doublement des montants du fonds d'intervention régional (Fir) dédiés à Mayotte.
Surtout, des Assises de l'outre-mer se sont tenues au premier semestre 2018, et ont débouché en juin dernier sur la publication d'un Livre bleu retraçant les attentes formulées par nos concitoyens d'outre-mer au cours de larges consultations publiques.
Il faut bien entendu se réjouir de cette meilleure prise en compte des difficultés ultramarines dans le débat public comme dans les ambitions gouvernementales. Nous devrons cependant nous montrer très attentifs quant à la traduction concrète de ces annonces, qu'elle soit législative ou financière. Les Assises de l'outre-mer sont intervenues huit ans après les États généraux de 2009, alors que nombre des constats et des propositions formulés dans ce cadre gardent toute leur actualité et toute leur urgence. Je vous rappelle par ailleurs que nous avons voté en 2017 une loi d'orientation pour les outre-mer, dite loi « Erom », qui est encore bien loin d'avoir produit tous ses effets - à tel point que l'on peut craindre qu'elle demeure à l'état de loi programmatique, plutôt que de loi de programmation. Afin que les constats et propositions formulés par les Assises ne se restent pas limités à de simples outils de communication, les véhicules législatifs et juridiques permettant de mettre en oeuvre l'ensemble des mesures du Livre bleu doivent être très rapidement identifiés.
Je me suis employée à rechercher la traduction de ces annonces dans le budget qui nous est proposé pour l'année 2019. Je vous le dis sans plus de suspense : si l'on peut observer une première évolution positive des outils financiers déployés en direction des outre-mer, les moyens proposés seront très insuffisants à répondre à l'immensité des besoins.
En 2019, les crédits de la mission « Outre-mer » s'élèveront à 2,6 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 2,5 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une augmentation respective de près de 23 % et 27 %, à périmètre courant, par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2018.
Cette augmentation, spectaculaire à première vue, résulte d'importantes mesures de périmètre qui font sensiblement évoluer les contours de la mission, puisqu'elles s'élèvent au total à 417 millions d'euros de crédits de paiement, soit 17 % des crédits de la mission. Ces mesures portent principalement sur le programme 138, qui retrace les différentes actions de soutien aux entreprises ultramarines.
Hors mesures de périmètre, les crédits de la mission seraient stables par rapport à la loi de finances initiale pour 2018 (0 % d'évolution en AE et + 0,1 % en CP, selon les éléments fournis par la DGOM). L'augmentation des crédits constants serait concentrée sur le programme 138, tandis que le programme 123 relatif aux conditions de vie outre-mer connaîtrait une diminution de 3,2 % en AE et 0,2 % en CP. Je dois vous dire que je m'interroge sur la compatibilité de cette évolution avec les objectifs de convergence fixés par le Gouvernement.
Dans ce budget, deux sujets entrent plus particulièrement dans le champ de compétence de notre commission.
Plus de la moitié des dépenses de la mission (soit 1,4 milliard d'euros) est consacrée à la compensation des exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane, de La Réunion ainsi que de Saint-Martin et Saint-Barthelémy. Cette politique d'exonération vise à la fois à améliorer la compétitivité des entreprises ultramarines, par une compensation des difficultés structurelles liées à leur position géographique, et à encourager la création d'emplois par la réduction du coût du travail.
Cette politique d'exonération a fait l'objet de mesures de rationalisation successives au cours des dernières années, visant notamment à recentrer ces exonérations sur les bas salaires, et qui est poursuivie dans le cadre de l'article 8 PLFSS pour 2019. Cet article opère, en même temps que la transformation du CICE en exonérations de cotisation sociales, un recentrage du soutien aux entreprises sur les niveaux de rémunération allant jusqu'à 2 SMIC - alors que le régime précédent permettait des allégements jusqu'à 3,5 SMIC pour les secteurs prioritaires, voire 4,5 SMIC pour certaines entreprises. C'est là l'origine de la première mesure de périmètre touchant à la mission, pour un montant de 296 millions d'euros.
Les amendements que j'ai déposés sur le PLFSS pour étendre la fourchette d'exonération n'ont malheureusement pas été repris par l'Assemblée nationale. Cela me paraît regrettable, et je vous le redis : il me semble dangereux de créer des trappes à bas salaires dans les outre-mer, qui ont au contraire fortement besoin de développer l'emploi qualifié pour renforcer leur attractivité.
S'agissant ensuite du domaine sanitaire et social, les budgets prévus dans le cadre de la présente mission sont limités : ils s'élèvent à 21 millions d'euros seulement pour un ensemble hétéroclite regroupant le sanitaire, le social, la culture, la jeunesse et les sports. En réalité, la plupart des dispositifs sanitaires sont financés ou dans le cadre de la sécurité sociale, ou au travers de financements versés aux collectivités territoriales pour l'exercice de leurs compétences.
Les crédits ouverts sont fléchés vers l'allocation spéciale vieillesse à Saint-Pierre-et-Miquelon, une aide aux personnes âgées et handicapées à Wallis-et-Futuna, ainsi que diverses subventions visant au financement d'actions de santé dans les collectivités d'outre-mer. La mission finance également le régime de solidarité territoriale (RST) polynésien.
J'observe que, contrairement aux années passées, les montants associés à ces différentes lignes budgétaires ne sont pas détaillés, ce qui ne me paraît pas de nature -c'est un euphémisme- à garantir la bonne information des parlementaires que nous sommes.
Les budgets dédiés au service militaire adapté (SMA) et au logement sont stables par rapport à l'année dernière, et ne portent pas de particulière ambition - ambition pourtant plus que nécessaire au regard des enjeux associés dans les outre-mer.
Il nous faut malgré tout nous satisfaire de ce que le budget qui nous est proposé confirme, en tout état de cause, la stabilisation des crédits spécifiquement dédiés à l'outre-mer au-dessus du seuil symbolique de 2 milliards d'euros. Je relève par ailleurs la mission « Outre-mer » représente 0,54 % du budget général de l'État pour 2019, contre 0,48 % l'an passé. Ce pourcentage en hausse témoigne au moins d'une certaine préservation des crédits spécifiquement affectés à l'outre-mer dans le cadre de l'effort financier global.
Je souhaite, pour conclure, vous faire quelques observations sur la confusion qui me paraît régner autour des dispositifs budgétaires bénéficiant aux outre-mer, ce qui rend malaisée l'évaluation des crédits associés dans le cadre du débat parlementaire.
Nous devons avoir en tête que la mission « Outre-mer » est bien loin de retracer l'ensemble des crédits consacrés aux territoires ultramarins : ceux-ci bénéficient en effet de crédits transversaux portés par 88 programmes relevant de 31 missions. La majeure partie des crédits concourant à l'action sanitaire et sociale de l'État dans les outre-mer est ainsi portée par d'autres missions que celle que nous examinons aujourd'hui. Au total, si l'on prend en compte à la fois les crédits retracés par la présente mission, ces crédits transversaux ainsi que les dépenses fiscales spécifiques aux territoires ultramarins, l'effort total de l'État en outre-mer atteindra 21,2 milliards en 2019 - soit dix fois les montants sur lesquels nous nous prononçons aujourd'hui.
Il résulte de cette architecture budgétaire que les réformes touchant aux outre-mer sont pour l'essentiel opérées en dehors du champ de la présente mission, ce qui rend leur suivi complexe. Je relève en particulier un réel problème de lisibilité des mesures successives d'ajustement des exonérations de cotisations sociales, qui sont faites, selon les années, ou bien dans le cadre du projet de loi de finances (PLF), ou bien dans celui du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), c'est-à-dire de manière non concomitante à l'examen de la présente mission. Les mesures structurantes concernant la santé interviennent également à titre principal en dehors du présent budget : la prise en charge totale par l'assurance maladie des soins de ville à Mayotte -et le report du déploiement un temps annoncé de la CMU-C sur ce territoire- a ainsi été actée dans le cadre de l'article 35 du PLFSS.
Enfin, les diverses mesures de périmètre qui redessinent au fil des ans les contours de la mission rendent très malaisé l'établissement de comparaisons entre les différents exercices budgétaires.
Sur ce point cependant, un élément du budget qui nous est proposé retient mon attention : les marges de manoeuvre dégagées par les mesures de périmètre prévues pour 2019 sont pour partie réaffectées à de nouvelles dépenses budgétaires. La maquette du programme 138 intègre ainsi une nouvelle action intitulée « Financement de l'économie », abondée par l'extinction de la TVA NPR ainsi que la réforme de l'impôt sur le revenu. Ce déplacement des moyens de la mission des dépenses fiscales et sociales vers des crédits budgétaires correspond à une orientation générale fixée par le Gouvernement. Lors de la discussion de l'article 8 du PLFSS en séance publique au Sénat, le ministre de l'action et des comptes publics a décrit la logique des mesures proposées en ces termes ! « moins de niches sociales et moins de niches fiscales pour les transformer en crédits budgétaires pour la mission ».
Je ne suis pas par principe opposée à une telle évolution, à condition de garder en tête que l'économie des territoires ultramarins est devenue, au fil des années, largement dépendante de la dépense fiscale et des exonérations de cotisations sociales. Cette dépendance ne résulte bien évidemment pas d'une préférence formulée par les territoires ultra marins eux-mêmes : c'est le résultat d'une préférence historique pour l'outil de la défiscalisation, au détriment de celui de la dépense budgétaire. Toute réforme en ce sens devra donc, en tout état de cause, être accompagnée d'un important travail d'évaluation préalable, afin de ne pas asphyxier les économies ultramarines, et de pédagogie auprès des acteurs concernés.
Tels sont, Monsieur le Président, mes chers collègues, les principaux éléments que je souhaitais porter à votre connaissance au sujet de la mission « Outre-mer ». Compte tenu de l'ensemble de ces observations, vous comprendrez que c'est sans grand enthousiasme que je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits - qui correspondent, je l'espère, à un budget de transition en attendant la traduction concrète des propositions des Assises.
Mme Laurence Cohen. - J'adresse mes remerciements à notre collègue Nassimah Dindar pour la qualité de son travail et la sincérité de son propos, retranscrit fidèlement par Élisabeth Doineau. La gravité de la situation dans nos territoires ultramarins en matière sociale, de logement et d'emploi ne cesse de me frapper. Nos collègues d'outre-mer nous alertent régulièrement, mais il faut s'y rendre pour véritablement observer les difficultés. Le budget qui nous est proposé pour 2019 apparaît très insuffisant au regard des besoins et notre insatisfaction à son endroit doit nous conduire à le rejeter. Les différents postes de dépense ne répondent pas à l'ambition qu'exige la situation. Le chômage des jeunes affiche un niveau inquiétant, pourtant le Gouvernement poursuit sa politique d'exonération des charges patronales, que notre groupe dénonce de longue date comme une trappe à bas salaires. Les remèdes proposés sont inefficaces ; ils n'amélioreront ni l'emploi, ni la situation sanitaire. La crise qui retient Nassimah Dindar à La Réunion représente la traduction d'une colère justifiée de nos concitoyens. Le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) votera contre les crédits de la mission.
M. Guillaume Arnell. - Nous avons débattu hier soir en séance publique des difficultés de l'outre-mer. Nous ne demandons pas l'aumône, mais une attention soutenue des pouvoirs publics à l'endroit de nos territoires qui cumulent les faiblesses et s'interrogent parfois sur la réalité de leur appartenance à la nation française... Le vote extrême, les velléités d'indépendance en sont favorisés. Nous sommes évidemment conscients des difficultés de la métropole. En tant que sénateur, je ne me préoccupe pas uniquement de l'outre-mer et souhaite un soutien réciproque. Je me réjouis d'ailleurs que mes collègues métropolitains s'intéressent à l'outre-mer, s'y déplacent et se rendent ainsi compte de la situation dégradée qui est la nôtre en tous domaines.
Nous défendons le maintien des exonérations, bien que nos entreprises ne jouent pas toujours le jeu de l'emploi au point que la situation des jeunes ne cesse de se dégrader, car elles sont les seules armes dont nous disposons. Les problèmes sanitaires de nos territoires ne sont plus acceptables ! Certes, les distances existent également en métropole, mais les surcoûts sanitaires demeurent supérieurs en outre-mer. Je comprends mal que les gouvernements successifs n'y aient apporté aucune réponse ! Il faut modifier en profondeur l'architecture même de la nation ; le ministre des outre-mer ne pèse que trop peu au sein du Gouvernement. Pour ne pas être contraint de voter par défaut, je m'abstiendrai sur les crédits de la mission. J'espère qu'un jour nos interventions porteront leurs fruits et que le Gouvernement, constatant que les mesures prises paraissent jusqu'à présent inefficaces, changera d'orientation. L'outre-mer représente un rayonnement pour la France. Nos territoires constituent un vivier d'athlètes ; nous placions de grands espoirs en Laura Flessel mais ce fut, hélas, une catastrophe.
Mme Jocelyne Guidez. - Veillons, outre-mer, à ne pas construire sans précaution et à prendre en considération le risque d'ouragan et de glissement de terrain. La population diminue en Martinique, nombre de logements demeurent vides et sans propriétaire connu : pourquoi, dès lors, en construire de nouveaux ? Il conviendrait de réhabiliter l'existant avant d'étendre l'habitat sur les collines ! La population antillaise est pauvre, car les Antillais qui étudient en métropole n'en reviennent pas. Les habitants sont, pour beaucoup, déscolarisés et peu d'emplois, hormis dans l'industrie de la canne à sucre, peuvent leur être proposés. Le tourisme souffre, en outre, du fléau des sargasses, qui touche également les autochtones. Des aides de l'État seraient utiles, d'autant que la vie quotidienne est déjà bien coûteuse. La lutte contre les sargasses doit constituer une priorité sanitaire et sociale pour que les touristes ne boudent plus nos territoires des Caraïbes.
M. Dominique Théophile. - Je salue l'excellent rapport de notre collègue Nassimah Dindar. Reconnaissez combien les territoires ultramarins sont résilients : ils subissent chaque année une catastrophe naturelle - cyclone, risque sismique, incendie de l'hôpital de Pointe-à-Pitre, scandale du chlordécone, dont la réminiscence est évaluée à 300 ans et qui a détruit de nombreuses zones de pêche. Je fais partie d'une mission internationale sur le problème des sargasses, qui ne pourra trouver une solution que dans une collaboration interétatique. Avec le réchauffement climatique, l'ammoniac qui se dégage des algues après quarante-huit heures représente un grave problème sanitaire, au point d'entraîner parfois des déplacements de population.
Un territoire comme Marie-Galante, en Guadeloupe, souffre d'une double insularité. Pourtant, nous bénéficions de richesses à développer, compte tenu notamment de notre proximité avec d'autres États des Caraïbes et avec les États-Unis. Nous représentons un atout pour la France ! Nous devons changer de paradigme en matière d'architecture budgétaire, car la multiplication des budgets transversaux rend moins lisible la politique menée en faveur de l'outre-mer et malaisée son évaluation. Malgré nos difficultés, qui nécessitent des aides de l'État, nous possédons des atouts ! Ainsi, la Guadeloupe dispose d'un cyclotron : pour un coût de 1 000 euros, au lieu des 9 000 euros exigés au Mexique ou aux États-Unis, les habitants des pays limitrophes pourraient y réaliser leurs examens. Si nous arrivions à capter cette patientèle, nous créerions des emplois dans le secteur sanitaire. De la même façon, les coopérations pourraient utilement être développées avec d'autres États caribéens dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche. Les moyens budgétaires doivent, en conséquence, être consacrés au développement de nos économies, pour qu'elles ne dépendent plus seulement des crédits publics et des exonérations de charges. Nous espérons à cet égard beaucoup du Livre bleu et souhaitons la mise en oeuvre d'un véritable plan Marshall en faveur de nos territoires. Dans cette attente, je voterai en faveur de l'adoption des crédits de la mission.
M. Stéphane Artano. - Je remercie Nassimah Dindar pour son excellent rapport. Mes pensées accompagnent nos collègues réunionnais, dont le territoire connaît une violente crise. Je voterai, par cohérence, contre les crédits de la mission, même si certaines mesures bénéficient à Saint-Pierre-et-Miquelon. Le présent projet de loi de finances devait traduire la vision du Gouvernement ; il n'en est hélas rien. À mon initiative, Saint-Pierre-et-Miquelon n'a pas participé aux Assises de l'outre-mer. J'assume ce choix : la méthode n'était pas efficiente et nous avions déjà, en 2009, établi un schéma programmatique de développement économique pour notre collectivité. La crise de confiance entre les élus ultramarins, qui pourtant connaissent parfaitement les difficultés de leur territoire, et le Gouvernement est réelle. Nous souhaitons, au-delà des exonérations de charges, bénéficier de solides investissements publics.
La loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique est vidée de son sens, les Assises se résument à un effet d'affichage et le projet de loi de finances ne traduit aucune vision. Il a fallu attendre la nuit de dimanche à lundi pour que la ministre des outre-mer obtienne enfin un arbitrage favorable sur les exonérations de charge, à hauteur de 120 millions d'euros, qui a été présenté à l'Assemblée nationale lors de la nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Les documents budgétaires de programmation transversale n'ont été distribués que fort tardivement et certains chiffres, notamment relatifs au logement, n'ont pas été fournis par le Gouvernement. Ces méthodes ne sont pas acceptables et attisent la colère des élus ! Quoi qu'il en soit, le budget annoncé pour 2019 ne permettra pas le développement endogène des outre-mer que souhaite le Président de la République ; il ne traduit ni le contenu des Assises, ni le Livre bleu. Si les politiques en faveur de l'outre-mer sont désormais alignées sur celles qui s'appliquent en métropole alors que les difficultés économiques et sanitaires diffèrent, quel est le rôle du ministre des outre-mer ? Le ministère de l'économie et des finances paraît tellement plus puissant !
Mme Michelle Meunier. - Cohérent avec le constat qu'il dresse de la situation des outre-mer, le groupe socialiste et républicain ne votera pas les crédits de la mission.
Mme Élisabeth Doineau. - Notre collègue Nassimah Dindar m'a indiquée avoir été partagée sur l'avis qu'il convenait de proposer. Les territoires ultramarins subissent les effets d'une lente dégradation et cumulent les difficultés structurelles comme les catastrophes naturelles. Les Assises ont suscité un vent d'espoir, mais je comprends le scepticisme de Stéphane Artano, car la réflexion demandée a déjà été menée en 2009 et les besoins demeurent considérables par rapport à ceux de la métropole.
Madame Cohen, je suis favorable à ce que notre commission travaille régulièrement sur les sujets ressortant de l'outre-mer et s'y rende pour observer les lacunes et les défis à relever. Certes, les moyens budgétaires pour 2019 restent insuffisants, mais ils n'en sont pas moins en augmentation, quoi qu'il soit malaisé de repérer l'ensemble des sommes consacrées à l'outre-mer dans le projet de loi de finances et dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. À cet égard, je ne suis pas certaine qu'une différenciation absolue des politiques et des budgets constitue la solution idoine pour l'outre-mer, même si elle offrirait effectivement au Parlement une visibilité bienvenue sur ces crédits.
Monsieur Arnell, par une implication renforcée des sénateurs, je suis convaincue que nous pourrons améliorer notre connaissance de l'outre-mer et de ses spécificités, qu'il s'agisse de faiblesses ou de points forts. Votre appartenance à la nation française constitue une évidence, mais je mesure le doute que, parfois, vous pouvez ressentir. Vos difficultés sont nombreuses et il apparaît difficile de les prioriser. S'agissant des sargasses, j'ai ouïe dire qu'une entreprise bretonne cherchait à les transformer en plastique, mais la solution sera, d'après moi, internationale.
Madame Guidez, il apparaît effectivement indispensable d'engager une réhabilitation ambitieuse des logements, dont il n'est hélas pas suffisamment fait mention dans le Livre bleu. La vue est certes plus belle depuis les collines, mais la vie y est plus dangereuse !
Les territoires ultramarins souffrent de la grande pauvreté d'une partie de leurs habitants ; comme en milieu rural, les plus qualifiés s'en vont. Voici un exemple parmi d'autres des difficultés auxquelles nous devons nous atteler : les premières années des études de médecine peuvent se dérouler dans les outre-mer, mais les étudiants doivent ensuite poursuivre leur cursus dans l'hexagone, et bien souvent ne reviennent pas ensuite. Pour remédier à la carence constatée en personnel médical, il pourrait être envisagé d'embaucher des médecins non européens, notamment cubains.
Je partage votre analyse, monsieur Théophile : les habitants des outre-mer, où une tempête, au propre comme au figuré, chasse l'autre, font preuve d'une admirable résilience.
Nous prenons acte de vos propos, monsieur Artano, qui s'expliquent d'autant plus que votre territoire est isolé et que les outre-mer ont déjà, en 2009, mené un important travail de prospective. Je suis convaincue que les propositions doivent être issues des territoires. Il nous faudra rester vigilants quant à l'application effectives des mesures du Livre bleu. Nos collègues réunionnais sont inquiets, comme habituellement lorsque des émeutes secouent un territoire isolé. Je crois, pour ma part, en la nécessité de développer une culture de l'expérimentation, en lien avec les entreprises métropolitaines.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».
La réunion est close à 10 h 15.
Jeudi 29 novembre 2018
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 - Examen du rapport, en nouvelle lecture
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - L'Assemblée nationale a adopté hier soir en nouvelle lecture le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2019. En première lecture, le Sénat l'avait abordé de manière constructive, adoptant 49 articles sans modification, soit plus de la moitié du texte transmis par les députés, et 30 articles avec modification, supprimant 8 articles et insérant 25 articles additionnels.
Néanmoins, l'existence de divergences de fond, en particulier sur la trajectoire financière de la sécurité sociale ou, de manière plus immédiate, la forte sous-revalorisation de nombreuses prestations, dont les retraites et les allocations familiales, ont conduit à l'échec de la commission mixte paritaire (CMP), réunie au Sénat le 20 novembre.
J'en viens au vote des députés en nouvelle lecture ; un tableau indiquant le sort de chacun des amendements que le Sénat avait adoptés en première lecture figure dans le rapport écrit. Commençons par un constat tout à fait regrettable. L'amendement du Gouvernement à l'article 22 tendant à tirer les conséquences de la navette sur les comptes sociaux fait apparaître un déficit du solde consolidé des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) de 200 millions d'euros en 2019, au lieu de l'excédent de 400 millions d'euros affiché au dépôt du texte. Certes, en s'en tenant au régime général et au FSV, il y a un excédent infime de 100 millions d'euros. Mais, arithmétiquement, le budget de la sécurité sociale n'est pas à l'équilibre.
Deux mesures adoptées sur l'initiative du Gouvernement expliquent principalement cette dégradation : d'une part, la non-soumission à la CSG et à la CRDS des revenus du capital des personnes non inscrites à la sécurité sociale française et relevant d'un régime obligatoire de sécurité sociale d'un autre État membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de Suisse ; d'autre part, en nouvelle lecture, l'augmentation de la part de CSG affectée à l'Unedic, en compensation de la suppression des contributions chômage des salariés, du fait d'un mauvais calibrage de cette part au moment du dépôt du texte. Cette mesure illustre aussi la confusion croissante des ressources des administrations de sécurité sociale au sens large. La volonté de faire financer par la sécurité sociale une mesure décidée par l'État et à laquelle elle est totalement étrangère augure mal de la « rénovation » des relations financières entre l'État et la sécurité sociale.
Comme Olivier Véran l'avait laissé entendre en CMP, l'Assemblée nationale a repris certains des amendements que nous avions adoptés en première lecture. Au-delà des amendements rédactionnels, de précision ou de coordination, cela concerne quelques dispositions de fond : la suppression de la définition législative du régime social de divers avantages accordés par les employeurs ou les comités sociaux d'entreprise aux salariés, comme les chèques-vacances ; l'alignement sur six ans de la fiscalité sur les alcools forts dans les outre-mer sur celle en vigueur dans l'hexagone ; la priorité donnée aux transferts de déficits cumulés de l'assurance maladie et du FSV en direction de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), afin que ces transferts bénéficient avant tout aux branches et organismes les plus endettés ; dans le secteur médico-social, la possibilité accordée au médecin coordonnateur des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de prescrire en dehors des cas d'urgence et la possibilité de mettre fin à titre expérimental au cofinancement de certaines structures dans le champ du handicap.
Sur d'autres sujets, l'Assemblée nationale n'a pas rejoint la position du Sénat, mais a néanmoins fait un pas vers nos propositions. Je pense en particulier au dispositif Lodeom, sur lequel l'Assemblée nationale a sensiblement fait évoluer sa position, en maintenant les collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy dans le régime actuel d'exonération, en adoptant des dispositions spécifiques relatives à la Guyane et en élargissant les fourchettes de rémunérations éligibles aux allégements spécifiques. En revanche, les élargissements sectoriels votés par le Sénat n'ont pas été retenus par les députés. Je pense aussi au dispositif TO-DE, relatif aux travailleurs occasionnels du secteur agricole, sur lequel l'Assemblée nationale a adopté contre l'avis de sa commission des affaires sociales et du Gouvernement un amendement améliorant sensiblement le mécanisme de sortie progressive issu de la première lecture. Ainsi, l'exonération totale de cotisations et contributions sociales concernera les rémunérations inférieures à 1,20 SMIC en 2019 et en 2020. Mais le dispositif doit toujours s'éteindre fin 2020. La question se reposera immanquablement dans les prochains PLFSS, car les problèmes liés au travail saisonnier resteront.
La navette parlementaire a donc été utile, voire fructueuse sur quelques mesures concrètes. Cependant, sur de nombreuses autres questions, les députés ont confirmé leur position de première lecture, en particulier sur les points ayant abouti à l'échec de la CMP.
L'Assemblée nationale a rétabli le quasi-gel, à plus 0,3 % pendant deux ans, des prestations sociales. Elle n'a pas non plus suivi le Sénat sur la mesure d'atténuation de l'effet de seuil de la CSG pour les retraités qui passeraient du taux nul au taux de 3,8 %. Les députés ont avalisé les conséquences financières des coupes croissantes de TVA à destination de la sécurité sociale programmées par le Gouvernement à partir de 2020. Celles-ci devraient atteindre 5 milliards d'euros par an à compter de 2022, ce qui remet en cause le désendettement de la branche maladie et du Fonds de solidarité vieillesse. Sur la branche maladie, l'Assemblée nationale a rétabli le forfait de réorientation des urgences prévu par l'article 29 quinquies, de même que le conditionnement des prestations de maternité à une durée minimale d'interruption d'activité de huit semaines pour les travailleuses indépendantes et les non-salariées agricoles. Nous avions proposé un dispositif plus souple et mieux adapté.
Les différences qui subsistent entre les deux assemblées à l'issue de cette nouvelle lecture des députés traduisent de véritables divergences politiques. Il ne me semble plus possible d'adopter des amendements susceptibles d'être repris par l'Assemblée nationale en lecture définitive. Nous constatons ainsi la fin du « dialogue utile » entre l'Assemblée nationale et le Sénat. C'est pourquoi je vous propose l'adoption d'une question préalable.
M. René-Paul Savary. - Certes, on peut comprendre qu'il y ait des différences de philosophie entre les deux assemblées. Mais le rapporteur général de l'Assemblée nationale avait semblé ouvert à certaines de nos propositions en CMP. Manifestement, il a dû y avoir des pressions gouvernementales. Nous discuterons pour savoir s'il faut travailler plus en amont avec l'Assemblée nationale. Mais nous voyons bien qu'il n'y a pas de volonté réelle du Gouvernement d'avancer sur certains points : la mesure que nous avions votée à propos de la maladie d'Alzheimer a été balayée d'un revers de main.
Mme Laurence Cohen. - Le groupe CRCE ne voit pas où est le dialogue qu'évoque le rapporteur général. La majorité sénatoriale fait les mêmes choix que le Gouvernement - des exonérations de cotisations -, c'est-à-dire des remèdes qui aggravent la maladie. Nous nous abstiendrons sur la question préalable ; nous aurions aimé en déposer une, mais pas pour les mêmes raisons. Les propositions du Gouvernement sont extrêmement préoccupantes. La sécurité sociale a besoin d'autres financements.
M. Bernard Jomier. - Il est légitime que l'Assemblée nationale affiche ses options politiques. Mais voyons le comportement des députés : toutes les mesures votées par le Sénat, parfois à l'unanimité, ont été balayées. Et, à la tribune de l'Assemblée, les propos de l'orateur du groupe La République en Marche dénotent un refus de tout dialogue avec le Sénat. La ministre a laissé détricoter toutes nos propositions. Il est difficile de continuer à discuter dans ces conditions. C'est cohérent avec ce qui se passe dans le pays : quand on ne sait pas dialoguer avec les parlementaires, on ne sait pas dialoguer avec les Français.
M. Martin Lévrier. - Même si nous soutenons le Gouvernement, nous avons voté un certain nombre d'amendements ; nous ne sommes donc pas fermés. Simplement, il y a de vraies divergences politiques qui empêchent le dialogue. Nous voterons contre la question préalable. On ne peut pas arrêter systématiquement la discussion avant son terme et demander à être entendus. Le rôle du Sénat est de continuer l'examen du texte jusqu'au bout.
M. Yves Daudigny. - Le groupe socialiste, qui s'était opposé au texte initial, maintient sa position. La désindexation signifie l'appauvrissement des retraités et des familles ; dans un contexte de creusement des inégalités et de revendications sur le pouvoir d'achat, une telle mesure paraît très malvenue. De façon plus générale, la sécurité sociale se trouve englobée dans un grand ensemble dont on ne perçoit plus le sens. Nous nous abstiendrons sur la motion.
Mme Florence Lassarade. - Le rétablissement du forfait de réorientation des urgences et la décision relative aux travailleuses indépendantes, notamment en milieu agricole, sont deux très mauvais signaux. Pour un gouvernement qui prétend valoriser le travail, on est loin du compte.
Mme Catherine Fournier. - Certes, au Sénat, nous ne sommes pas d'accord sur le fond avec l'Assemblée nationale. Mais notre élection est tout à fait légitime. Nous devons exprimer certaines voix tout en maintenant le dialogue avec l'autre assemblée.
Cependant, cette volonté de dialogue ne semble pas partagée, notamment par le Gouvernement. Dans ces conditions, nous voterons la question préalable.
Mme Nadine Grelet-Certenais. - La suppression de certaines de nos propositions traduit un manque de souplesse. Je pense à la suppression de l'exonération spécifique pour les associations intermédiaires dans les services à la personne, à la suppression de la possibilité d'expérimentation de l'infirmière référente ou à la suppression de la possibilité de recrutement d'assistants médicaux dans les secteurs au-delà de ceux qui sont sous-dotés. Les réponses du Gouvernement sont très tranchées. Il n'y a pas de demi-mesure.
M. Daniel Chasseing. - L'Assemblée nationale a repris un certain nombre d'amendements du Sénat. Il aurait été bien d'arriver à une exonération de 1,25 sur le TO-DE. Sur le principe, nous sommes pour continuer la discussion. Mais nous sommes contre le gel des retraites à 0,3 %, notamment pour les petites retraites.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - J'ai indiqué à mon homologue de l'Assemblée nationale que si nous n'étions pas capables de nous concerter, nous serions toujours à la merci de Bercy et des conseillers ministériels. Il faut essayer de nous concerter plus en amont pour le prochain exercice budgétaire. Une prise de conscience de la part de l'Assemblée nationale me semble nécessaire. Certes, ce sera difficile si celle-ci ne s'affranchit pas des positions gouvernementales.
Il y a d'autres solutions que la désindexation des retraites pour parvenir à l'équilibre. Le choix du Gouvernement n'est pas forcément judicieux, y compris d'un point de vue politique. Tout ce que M. Darmanin a été capable de répondre est que ces autres solutions ne figuraient pas dans le programme du Président de la République pour lequel j'ai voté. Cela ne me semble pas à la hauteur des enjeux : face à des parlementaires, on essaie d'argumenter.
Nous devons tenter le dialogue. Mais, pour être dans le dialogue, il faut être fort. Le Gouvernement joue sur la division entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Essayons de rapprocher ce qui peut être rapproché. Les sénateurs ont une expérience de terrain à faire valoir.
M. Martin Lévrier. - Monsieur le rapporteur général, je sais que vous êtes proche du Gouvernement. Ce n'est pas pour autant que vous avez obligatoirement raison et que nous avons obligatoirement tort. En l'occurrence, la marche était trop haute pour pouvoir aboutir. Mais je soutiens l'idée du dialogue. Simplement, dans ce cas, il serait plus cohérent de ne pas voter la question préalable et de continuer à examiner le PLFSS.
Mme Véronique Guillotin. - Je regrette l'issue de la CMP. Peut-être des concertations en amont nous permettraient-elles d'aboutir à des résultats conclusifs et d'enrichir le texte. Aujourd'hui, on est plus sur un rapport de force que sur la recherche d'un consensus. En plus, nos conditions de travail sont très difficiles, dans un temps restreint.
Notre groupe votera contre la question préalable. Nous considérons qu'il faut poursuivre le dialogue. Il y a deux points d'achoppement : le blocage sur la revalorisation des retraites, qui est un message politique catastrophique, et le retrait du forfait d'urgence. Pour autant, je trouve que nous avons eu un débat constructif.
M. Jean-Marie Morisset. - Le dialogue doit exister à tous les nouveaux. Si l'Assemblée nationale avait adopté la position unanime de la commission des affaires sociales sur les travailleurs occasionnels, nous aurions gagné du temps.
M. Alain Milon, président. - Dans les mandatures précédentes, 80 % des amendements adoptés par le Sénat étaient repris par l'Assemblée nationale. Aujourd'hui, nous ne sommes même pas à 50 %. Il y a un véritable problème de concertation, probablement parce que le « nouveau monde » considère que l'ancien n'a plus rien à dire.
La demande formulée par Olivier Véran fait écho à une demande du Gouvernement sur d'autres textes. Mais j'attire votre attention sur le fait que cela reviendrait, en quelque sorte, à mettre en place la CMP avant la discussion à l'Assemblée nationale et au Sénat, les autres parlementaires pouvant alors être invités à s'aligner sur la position ainsi définie. Or, pour ma part, je pense que la CMP doit venir après. C'est ce que la Constitution prévoit, et cela a toujours très bien fonctionné ainsi.
La motion ASOC.1 est adoptée.
La réunion est close à 9 h 15.